WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La blockchain, une révolution de l'intermédiation: un gain pour les entreprises au détriment des tiers de confiance ?

( Télécharger le fichier original )
par Jean-Louis LATHIERE
Université Paris Dauphine - Executive Master finance d'entreprise et pilotage de la performance 2018
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

    La blockchain, une révolution de l'intermédiation :
    Un gain pour les entreprises au détriment des tiers de
    confiance ?

    Hervé GUIMON

    Jean-Louis LATHIERE

    Executive Master finance d'entreprise et pilotage de la performance Document présenté le 16/02/2018

    Directeur de mémoire : Monsieur Jacques AMAR

    2

    DECLARATION SUR L'HONNEUR

    Nous certifions sur l'honneur que le présent mémoire est le fruit d'un travail personnel et que toute référence directe ou indirecte aux travaux de tiers est expressément indiquée. Nous demeurons seuls responsables des analyses et opinions exprimées dans ce document : l'Université Paris Dauphine n'entend y donner aucune approbation ni improbation.

    3

    REMERCIEMENTS

    Nous tenons, en préambule, à remercier toutes les personnes qui ont su nous conseiller et nous soutenir pendant la progression de notre mémoire.

    Tout particulièrement, c'est à M. Jacques Amar, notre directeur de mémoire, que nous témoignons notre reconnaissance. Il a suscité notre curiosité puis notre intérêt pour le terrain encore peu exploré de la blockchain. Par son écoute sensible, il a toujours répondu à nos interrogations.

    Enfin nous remercions MM. Burdet de la société AREP et Henocque de la société KEEEX qui nous ont donné accès au terrain de notre étude et nous ont consacré du temps pour la réalisation d'interviews. Sans les informations et la documentation qu'ils ont bien voulu partager avec nous, la construction de notre mémoire n'aurait pas été possible.

    4

    RESUME

    La réflexion menée dans ce mémoire est centrée sur les origines, le fonctionnement et les extensions potentielles d'une technologie de stockage de données sécurisées et de transmission de l'information qui permet de réaliser des transactions en pair à pair : la Blockchain. Elle a acquis une certaine visibilité pour la première fois, en servant de support technique à une monnaie virtuelle, le Bitcoin en 2008.

    Cette innovation numérique de rupture a montré rapidement qu'elle avait le pouvoir de modifier radicalement les modèles économiques classiques en rendant les transactions plus simples, rapides, sécurisées et moins coûteuses et fonctionnant sur un dispositif décentralisé et autonome.

    Cette étude aura pour objectif notamment d'établir si les apports de la Blockchain modifieront les coûts des relations contractuelles tels que définis par « la théorie de l'Agence » et « la théorie des coûts de transactions ». Et si l'instauration de données plus transparentes et disponibles par tous conduira à la réduction de l'asymétrie informationnelle et favorisera l'émergence de nouveaux modes de gouvernance.

    La blockchain, notamment par les smart contracts, a aussi pour ambition de recréer une confiance irréprochable : celle incarnée précédemment par différents experts ou organismes dits « tiers de confiance », qui s'est révélée défaillante en 2008. Ces derniers, dans leur rôle de garants, devront sans doute faire évoluer leur fonction.

    Certaines entreprises se sont lancées d'ores et déjà dans l'expérimentation de la blockchain. La SNCF, face au défi de la gestion efficace des déchets dans les gares, teste cette technologie pour réduire les dysfonctionnements constatés sur la chaîne de tri et de ramassage des déchets sur le site de la gare de Massy TGV. En étudiant ce cas, nos analyses ont mis en évidence les apports et les marges d'amélioration pour l'entreprise et aussi les déploiements désormais possibles.

    MOTS CLES : Bitcoin, Blockchain, décentralisé, tiers de confiance, intermédiation, disruption, coûts de transaction, coûts d'agence

    5

    ABSTRACT

    The discussion in this thesis focuses on the origins, operation and potential extensions of a secure data storage and information transmission technology that allows peer-to-peer transactions: the Blockchain. It gained some visibility for the first time in 2008, serving as technical infrastructure for a virtual currency, the Bitcoin.

    This breakthrough digital innovation quickly showed that it has the power to drastically change conventional business models by making transactions simpler, faster, more secured and less expensive by operating on a decentralized and autonomous technology.

    The purpose of this study will be to determine whether Blockchain's contributions will alter the costs of contractual relationships as defined by "Agency theory" and "transaction cost theory". And if the establishment of more transparent and available data by all will lead to the reduction of information asymmetry and will favor the emergence of new modes of governance.

    The Blockchain, and particularly with smart contracts, also aims to recreate faultless trust: that was previously embodied by various experts or organizations known as "trusted third party", which proved to be defective during the crisis in 2008. These latter will certainly see their role of warrantor deeply evolve.

    Some companies have already started experimenting with blockchain. The SNCF company, faced with the challenge of efficient waste management in stations, tests this technology to reduce the dysfunctions noted on the sorting and waste collection at the Massy TGV station. By studying this case, our analyzes have highlighted the contributions and potential for improvement that could be brought by this technology to the company as well as the extending that is now possible.

    KEY WORDS: Bitcoin, Blockchain, decentralized, trusted third party, intermediation, disruption, transaction costs, agency costs

    6

    TABLE DES MATIERES

    DECLARATION SUR L'HONNEUR 2

    REMERCIEMENTS 3

    RESUME 4

    ABSTRACT 5

    INTRODUCTION 9

    1 Cadres explicatifs : le fonctionnement actuel des transactions dans les entreprises et le rôle des

    tiers de confiance 13

    1.1 La théorie de l'agence 14

    1.2 Les coûts d'agence 15

    1.2.1 Les coûts relatifs à la divergence d'intérêts : 15

    1.2.2 Les coûts relatifs à l'opportunisme des agents 16

    1.3 La théorie des coûts de transaction 17

    1.3.1 Les coûts de rédaction liés au contrat 18

    1.3.2 L'opportunisme des parties - coûts de contrôle 18

    1.3.3 Les frais de contentieux 19

    2 L'innovation disruptive : la blockchain au travers de la revue de littérature 21

    2.1 Les origines techniques 21

    2.1.1 La signature électronique 22

    2.1.2 Les monnaies complémentaires, monnaies numériques anonymes 23

    2.1.3 La libéralisation de la cryptographie privée aux Etats-Unis 24

    2.2 Le contexte idéologique et socio-économique : crise de confiance suite à la crise des

    subprimes 24

    2.2.1 La protection de la vie privée et indépendance des institutions 25

    2.2.2 La crise financière et monétaire 25

    2.3 Une réaction : la crypto-monnaie, le Bitcoin 26

    2.3.1 L'aventure Bitcoin 26

    2.3.2 Un moyen de paiement ? 30

    7

    2.4 L'émergence de la technologie sous-jacente : la Blockchain et ses multiples applications 31

    2.4.1 Les concepts et la technologie 31

    2.4.2 Les utilisations et l'environnement 34

    2.4.3 La Blockchain dans la dynamique contractuelle 39

    2.5 Les smart contracts 41

    2.5.1 Les principes 41

    2.5.2 La mise en oeuvre des smart contracts 42

    2.5.3 La remise en cause des couts de transaction grâce au smart contract 43

    2.6 La DAO 44

    2.6.1 Les principes et les impacts potentiels 44

    2.6.2 Les apports de la DAO et des smart contracts 45

    2.7 L'étude Deloitte : état des lieux sur la vision que les entreprises portent à la Blockchain 46

    2.7.1 Le positionnement de l'industrie financière vis à vis de la Blockchain 47

    2.7.2 Une étude de cas : la banque KBC 49

    2.8 Les limites et les perspectives de développement de la Blockchain 50

    LES HYPOTHESES RETENUES 52

    3 Méthode de recherche et terrain : mise en place d'une blockchain à la SNCF 53

    3.1 Méthode de recherche 53

    3.1.1 La phase d'exploration de notre objet de recherche et de notre problématique 53

    3.1.2 L'approche de recherche déductive 54

    3.1.3 La collecte des données primaires 57

    3.1.4 La collecte des données secondaires 59

    3.2 Terrain et collecte de données 59

    3.2.1 La recherche de terrain 59

    3.2.2 Le projet choisi 60

    3.2.3 La prise de contact 62

    3.2.4 La préparation des entretiens 63

    8

    3.2.5 La réalisation des entretiens 64

    3.2.6 L'utilisation des entretiens 65

    4 Le cas pratique : d'un processus manuel et faillible à un système autonome et sécurisé 66

    4.1 L'analyse de la situation initiale : constat par AREP de dysfonctionnements graves 67

    4.2 L'élaboration d'une réflexion 69

    4.3 La solution disruptive : la mise en place de la Blockchain : enregistrement de données et

    création de smart contract sur Ethereum 74

    4.4 Les bénéfices pour l'entreprise étudiée 78

    CONCLUSION 82

    BIBLIOGRAPHIE 85

    ANNEXES 89

    9

    INTRODUCTION

    L'Histoire du commerce remonte à l'origine de l'humanité. En premier lieu, il se tient au sein d'une ou plusieurs tribus du même voisinage géographique ; l'échange se fait alors sous forme de troc. Il nécessite l'entente et l'intérêt mutuel des deux parties, mais restreint ainsi les champs des échanges et débouche souvent sur des conflits.

    Le procédé se normalise avec l'aménagement d'un lieu dédié au commerce, les places de marché, et avec les commerçants, premiers intermédiaires, qui utilisent un nouveau support, la monnaie créée par le pouvoir central en place. Elle équivaut à une contrepartie correspondant à la valeur de chaque marchandise. Les pièces mises en circulation sont en or ou en argent. Ces métaux précieux constituent une valeur d'échange sécurisant les transactions et favorisant nettement leur développement. La rareté et la garantie de l'émetteur de ce vecteur lui confèrent toute sa valeur et la confiance qu'on lui accorde.

    Aujourd'hui, les échanges se font à l'échelle mondiale, les nouvelles routes commerciales favorisent la multiplication et la diversification des biens disponibles. Ce changement de dimension rend très difficile les contrôles précédemment assurés par les parties elles-mêmes. En réponse à cet écueil, il devient nécessaire de mettre en place des moyens garantissant la confiance ; on instaure des intermédiaires et des tiers de confiance toujours plus nombreux. Leur mission est double : apporter les conditions d'un échange sécurisé et sans risque de perte. Il doit être également le moins coûteux et le plus rapide possible. L'Etat met en place des structures institutionnelles : notaire pour un transfert de propriété, avocat pour la rédaction d'un contrat ou le règlement d'un contentieux et bien sûr les banques pour les transactions financières.

    Les institutions, lois (règles formelles) et normes sociales (informelles) sont alors érigées en leviers économiques assurant aux sociétés humaines la garantie de croissance.

    Pour le prix Nobel d'économie en 1993, Douglass North1 (1920-2015), les institutions sont « des contraintes humainement conçues qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales qui sont essentielles à la croissance économique des pays ».

    Dès lors les banques centrales, émettant désormais la monnaie remplaçant l'or, et les banques commerciales qui veillent à la disponibilité des liquidités et à la gestion des moyens de paiement, deviennent, de manière incontournable, partie prenante de toute transaction. Ce sont

    1 North, D. (1990), Institutions, institutional change and economic performance, Cambridge, Cambridge University Press.

    10

    elles qui authentifient notamment la solvabilité des parties. Ces interventions et contrôles augmentent sensiblement les délais et représentent désormais une part importante dans les coûts de transactions.

    Afin de réduire ces charges, le secteur bancaire a su très vite adopter les nouvelles technologies : l'informatique et internet. Celles-ci leur facilitent la communication et raccourcissent les temps de traitement.

    Selon Yvon Lucas2 : « Les moyens de paiement ont suivi l'évolution des échanges commerciaux. On peut noter qu'au fil du temps, les développements ont été réalisés afin de répondre à trois principaux objectifs : la sécurisation, la rapidité d'exécution et enfin la dématérialisation ».

    La crise financière dite crise des subprimes, en 2008 ébranle l'édifice financier mondial et débouche sur une grave crise de confiance. Celle-ci est aggravée par la révélation de la fraude de Bernard Madoff (pyramide de type « Ponzi »3), encore renforcée par les lanceurs d'alerte de tous horizons (l'affaire Snowden en 2013) et se conclura par la généralisation de la défiance à l'égard de l'ensemble des institutions.

    On voit apparaître de nouveaux acteurs économiques en recherche de processus innovants pour s'affranchir des circuits classiques qui ont fait faillite. L'utilisation d'Internet et l'émergence des plates-formes centralisées (Uber, eBay) constituent une première tentative de réponse à même de rassurer les acheteurs et les vendeurs. La dématérialisation des échanges a certainement permis de poursuivre la démarche de réduction des coûts et d'améliorer de façon significative la réactivité et la satisfaction des parties.

    La confiance émerge des comportements d'une communauté (notation bilatérale) et non plus de l'intervention de tierces personnes extérieures (taxi pour Uber, commissaire-priseur pour des ventes aux enchères eBay). Mais cette innovation incrémentale (Clayton Christen, 19954) ne procède que d'une substitution : un organe central a repris les fonctions des experts.

    2 Lucas, Y. et al. (1995), Le système de paiement : Situation actuelle, perspectives d'évolution et comparaisons internationales. Revue d'économie financière, n° 35, 253-271

    3 Système financier frauduleux du nom d'un financier des années 1920 dans lequel les investissements des nouveaux clients sont utilisés pour payer à des taux élevés les intérêts des anciens. La « pyramide » s'effondre quand les intérêts à verser et/ou les demandes de remboursement deviennent supérieurs au montant des nouveaux fonds apportés

    4 Christensen C., Bower J. (1995), Disruptive technologies: catching the wave, Harvard Business Review, The seminal article, January-February.

    11

    Mais le système mondial du commerce ayant été secoué, une remise en cause en profondeur des principes anciens est devenue incontournable. Quelques précurseurs, jugés non crédibles, construisent le protocole blockchain et commencent à l'utiliser à la fin de 2008, en réaction à la crise de confiance placée dans les institutions et organisations humaines supervisant les échanges commerciaux et financiers via des systèmes d'information centralisés.

    Primavera de Filippi5 la définit ainsi : « Littéralement, une blockchain désigne une chaîne de blocs, des conteneurs numériques sur lesquels sont stockées des informations de toute nature : transactions, contrats, titres de propriétés, oeuvres d'art. L'ensemble de ces blocs forme une base de données semblable aux pages d'un grand livre de comptes ».

    Louis de Méneval et Simon Polrot ajoutent que : « La blockchain, registre partagé de transactions enregistrées, garantit le caractère immuable et Infalsifiable et non duplicable des inscriptions. Cette technologie émergente permet également la création d'actifs numériques »6.

    A la défaillance des banques, répond une « crypto-monnaie » ou « monnaie virtuelle » conçue hors de l'intervention d'un Etat et la garantie d'une Banque Centrale. Satoshi Nakamoto, pseudonyme derrière lequel se cache le ou les créateurs de la blockchain Bitcoin, expose sa méthode.

    Il part du postulat suivant : « On ne peut faire confiance à l'humain car il commet des erreurs et il a naturellement tendance à poursuivre ses propres intérêts afin de tirer parti des informations dont il dispose à son seul bénéfice ». Pour lui la technologie permet ce qui était irréalisable avant : un échange d'actifs entre acteurs qui ne se connaissent pas était impossible sans l'intervention d'un intermédiaire (autorité centrale) pour en assurer la sécurisation et la validation.

    La blockchain est-elle une révolution de l'intermédiation et représente-t-elle un gain pour les entreprises au détriment des tiers de confiance ?

    C'est autour de la recherche de réponses à cette question que nous avons articulé notre mémoire.

    5 De Filippi, P. (2016), Comprendre la blockchain, livre blanc, janvier 2016.

    6 De Méneval L., Polrot S. (2017), La blockchain, un nouveau paradigme pour le numérique, Expertises des Systèmes d'Information, n° 421, février 2017.

    12

    Nous nous sommes intéressés tout au long de notre étude, au contexte de la création de cette technologie disruptive, de ses déploiements, et au travers d'exemples d'expérimentation en entreprises, à ses apports sur un éventail de secteurs d'activités.

    13

    Ce mémoire a pour thématique la Blockchain, technologie de stockage et de transmission de l'information, apparue en 2008, pour réaliser des transactions décentralisées en toute sécurité. Avant d'examiner ce en quoi la blockchain constitue une innovation disruptive, nous allons retracer l'état actuel des échanges. Ils sont encore souvent régis par une optimisation limitée, « incrémentale », des relations contractuelles.

    1 Cadres explicatifs : le fonctionnement actuel des transactions dans les entreprises et le rôle des tiers de confiance

    Une notion fondamentale irrigue toute la problématique des relations entrepreneuriales : « la confiance ». C'est une espérance de fiabilité dans les conduites humaines qui précède et détermine la possibilité de l'échange (E. Laurent, 20127). Cette idée débattue lors d'un colloque à Lyon en 1998, « Confiance et gestion », mettait en exergue les travaux de A. Breton et R. Wintrobe (19828). Ce facteur comportemental, hautement psychologique, doit pour autant s'étayer concrètement au travers du chaînage contractuel.

    Actuellement, tous les systèmes qui reposent sur la confiance impliquent la présence d'un tiers de confiance. Ce dernier s'assure que toutes les conditions sont réunies pour réaliser la transaction et son exécution en conformité avec les contrats signés et la législation en vigueur. Les banques sont probablement les tiers de confiance les plus connus avec les avocats, les notaires et les experts comptables. Etant donné l'importance de leur rôle dans l'économie, les tiers de confiance sont eux-mêmes agréés par un régulateur (l'AMF - Autorité des Marchés Financiers - certifie des salariés des banques, l'administration fiscale agrée des tiers de confiance parmi les membres de professions réglementées d'avocat, notaire ou expert-comptable - article 170 ter du code Général des impôts9). Tout en haut de la chaîne de confiance, l'Etat est le garant de la cohérence et de la stabilité de l'ensemble du système.

    Ainsi, inscrits dans l'architecture conceptuelle des échanges des entreprises visant à satisfaire leurs besoins financiers, tout en réduisant leurs coûts, les tiers de confiance se trouvent au coeur de deux théories économiques. Elles se sont efforcées de répondre à ces enjeux de manière optimale : la théorie de l'agence et la théorie des coûts de transaction.

    7 Laurent, E. (2012), L'économie de la confiance, Ed. De la découverte, Paris.

    8 Breton A., Wintrobe R. (1982), The Logic of Bureaucratic Conduct, Cambridge University Press, 1982, 325 p.

    9 Article 170 ter, Modifié par Décret n° 2011-645 du 9 juin 2011 - art. 1, II. - La mission de tiers de confiance est réservée aux personnes membres des professions réglementées d'avocat, de notaire et de l'expertise comptable.

    14

    1.1 La théorie de l'agence

    Il faut entendre le terme « agence » dans le sens étymologique d'agent « celui qui fait », « qui s'occupe ».

    Dès 1976, Michael C. Jensen et William H. Meckling10 définissaient la relation d'agence comme un nouveau type de relation contractuelle par laquelle un groupe d'acteurs dit « le principal » (soit les actionnaires d'une entreprise) engage une personne dite « l'agent » (soit le dirigeant) pour agir en son nom. Il lui délègue une partie de l'autorité de la prise de décision. En outre, l'application contractuelle se complexifiera avec le comportement potentiellement divergent des deux acteurs : si chacun veut maximiser ses propres intérêts, une des parties (l'agent) peut être tentée de tirer profit de l'incomplétude des contrats (G. Charreaux, A. Couret, P. Joffre, 198711). Un contrat est incomplet quand il n'est pas possible de prévoir ce qui va se passer dans tous les cas de figure potentiels. Dès lors, quand une circonstance imprévue se produit, peut s'ouvrir une nouvelle négociation afin de fixer une interprétation ou de redéfinir des termes contractuels. Cette renégociation constitue le concept central de la théorie des contrats incomplets. En effet, personne ne serait capable de vérifier ex post l'état de certaines variables, du fait notamment de l'imperfection de l'information. (O. Hart et J. Moore, 199012). Ce postulat peut s'apparenter à celui posé par O.E. Williamson sur la rationalité limitée des agents (examinée infra avec les coûts de rédaction liés à la rédaction de contrats). Notons toutefois que les fondements de la théorie des contrats incomplets sont toujours en débat (E. Maskin et J. Tirole, 199913, O. Hart et J. Moore, 199914).

    En tout état de cause, l'ambivalence des acteurs s'invite dans l'exécution littérale contractuelle : la divergence de leurs intérêts conduit le principal (actionnaire) à valoriser ses dividendes, alors que l'agent (dirigeant) peut tenter de s'approprier les ressources de l'entreprise pour servir son développement, voire également la satisfaction de ses besoins personnels.

    L'opportunisme de l'agent quant à lui constitue la dérive évoquée, consubstantielle à l'évidente asymétrie informationnelle. Elle est inhérente à cette relation contractuelle, puisque

    10 Jensen M.C., Meckling W.H. (1976), Theory of the Firm, Managerial Behavior, Agency costs Ownership structure, Journal of Financial Economics, Vol. 3, 345-360

    11 Charreaux G., Couret A., Joffre P., (1987), De nouvelles théories pour gérer l'entreprise, Paris, Economica

    12 Hart O., Moore J. (1990), Property Rights and the nature of the Firm, journal of Political Economy, 98 (6), 1119-1158

    13 Maskin E., Tirole J., (1999), Unforeseen contingencies and incomplete contracts. Review of Economic Studies 66, 83-114

    14 Hart O., Moore J. (1999), Foundations of Incomplete Contracts, Review of Economic Studies, 1999, vol. 66, issue 1, 115138

    15

    le principal estime l'agent mieux placé que lui pour la gestion. Mais aussi pour bien d'autres co-contractants, ce que l'on appelle la sélection adverse. (P.Y. Gomez, 199615).

    Ces éléments comportementaux contribuent directement à l'existence des problèmes d'agence. C'est ainsi que les incertitudes intrinsèques à la délégation de pouvoir entraînent des coûts liés à chaque risque potentiel.

    1.2 Les coûts d'agence

    Compte tenu de la séparation des rôles entre propriétaires (actionnaires) et dirigeants, M.C. Jensen et W.H. Meckling distinguent deux principaux types de coûts liés à la décentralisation de la prise de décision. Il est à noter que les coûts d'agence au sein d'une entreprise naissent également des divergences entre un salarié et son responsable hiérarchique ou entre les dirigeants et les employés.

    1.2.1 Les coûts relatifs à la divergence d'intérêts :

    Dans ce paragraphe, nous présenterons les coûts supportés par chacune des parties soit le principal et l'agent afin d'établir une relation de confiance.

    - Les coûts de surveillance sont ceux entrepris par le principal - actionnaire afin de veiller à ce que l'agent - dirigeant n'agisse pas à son détriment. Il s'agit de vérifier la réalisation conforme des missions assignées au mandataire, et celles des objectifs fixés : mise en place de procédures de contrôle, recours à des tiers de confiance tel que des commissaires aux comptes (CAC), des experts comptables externes, audit. L'objectif sera de s'assurer que les décisions prises ont été optimales pour améliorer la performance de l'entreprise et non pour satisfaire l'ego des dirigeants. De son côté, Eugène Fama (198016), afin de réduire les conflits d'intérêts, suggère une évaluation en fin de période de la performance du mandataire dirigeant. Elle pourra conduire à une bonification de sa rémunération, devenant très incitative pour une rigoureuse exécution du mandat. Pour établir ce contrat, l'entreprise devra faire appel à un avocat

    15 Gomez, P.Y. (1996), Le gouvernement de l'entreprise, Paris, France, InterEditions, 1996, 266 p.

    16 Fama, E. (1980), Agency problems and theory of the firm, journal of economics, Holland publishing Company, n° 2, 288307.

    16

    afin de s'assurer de la mise au point d'un contrat adapté aux situations les plus diverses. La délégation de pouvoir des actionnaires au dirigeant doit prendre en compte que celui-ci détient des connaissances et des informations spécifiques en occupant cette fonction. Et l'actionnaire, voulant protéger ses actifs, fera établir un contrat dans le but d'équilibrer ses intérêts et ceux du dirigeant mis en place et de réduire les tensions ou contradictions à venir.

    Une solution d'un autre type, avec le même but, réside dans la conclusion de contrats à long terme qui permettent de privilégier la consolidation des résultats, en éliminant la tentation d'un profit à court terme.

    - Les coûts de dédouanement : il s'agit des dépenses engagées par le mandataire dirigeant afin de démontrer à son tour au mandant qu'il n'agit pas à l'encontre de ses intérêts, par la bonne qualité de sa gestion. En effet, le dirigeant peut être soupçonné de s'accorder des avantages pris sur les ressources de l'entreprise, mais plus encore de s'octroyer une marge de manoeuvre visant à renforcer son pouvoir managérial au profit, moins des intérêts des actionnaires, que de l'entreprise elle-même.

    La défense du mandataire le conduit ainsi à argumenter ses projets, formuler ses besoins, à rendre des comptes (bilans, rapports annuels...), source de coûts dits d'obligation.

    Les coûts d'agence engendrés par la divergence initiale d'intérêts de la relation mandant-mandataire se renforcent des failles rédactionnelles nées notamment de l'incomplétude des contrats.

    1.2.2 Les coûts relatifs à l'opportunisme des agents

    Les contractants, acteurs rationnels, doivent accorder les intérêts de chaque partie, sans pour autant envisager l'intégralité des options de gestion à venir. En effet, la délégation « du faire » par l'agent principal constitue un amoindrissement de sa complète information, détenue de manière privilégiée par le mandataire. Cette asymétrie informationnelle résulte de la capacité de ce dernier à être mieux placé pour la gestion ce qui, en cas de conflit d'intérêts, incite à l'opportunisme du dirigeant. Dès lors, la réduction de l'incertitude de la complète exécution du mandat, née de la complexité managériale, requiert un encadrement contractuel mieux

    17

    élaboré entraînant une majoration des coûts. Ainsi l'emploi d'experts externes permettra à la fois de réduire l'asymétrie d'information et d'apprécier le choix d'une décision.

    Le risque d'opportunisme du gestionnaire se trouve accentué lorsque s'invite la manipulation pure de l'information par ce dernier à son profit. Afin de limiter le risque de cet aléa moral (Adam Smith, XVIIIème siècle), devra être mis en place un contrôle technique renforcé, voire un système d'incitation, défini contractuellement, pour préserver les intérêts du principal - actionnaire.

    L'importance de ces coûts d'agence pourra évoluer en fonction de la taille de l'entreprise, bien que M.C. Jensen et W.H. Meckling aient montré, par exemple, que l'existence d'un monopole ne les fasse pas augmenter.

    Pour illustrer la théorie présentée, nous pouvons utiliser le cas d'un achat immobilier appartenant à un dirigeant par son entreprise. Ce dernier, pour justifier le prix fixé, devra faire appel à des agents immobiliers et des experts, ce qui le dédouanera de vouloir profiter de son positionnement pour s'enrichir au détriment des actionnaires. Il devra également pour effectuer la transaction faire appel à un notaire qui authentifiera l'origine de la propriété et évitera toute méfiance à son égard. L'entreprise en subira des coûts afin de réduire l'asymétrie d'information afin de s'assurer que l'opération soit conforme aux intérêts des actionnaires.

    Si en France l'Etat assure le respect de la propriété à l'aide d'un cadastre fiable, nous verrons que dans d'autres parties du monde, la blockchain pourra s'avérer très utile pour éviter des dysfonctionnements.

    Nous reviendrons sur cette situation dans notre « revue de littérature » afin de mettre en exergue les promesses d'amélioration offertes par la blockchain.

    1.3 La théorie des coûts de transaction

    L'approche théorique des coûts de transaction se fonde sur le calcul économique dans un espace contractuel, dans lequel les acteurs responsables se lient librement entre eux.

    Nous devons ce concept à son initiateur R. Coase (193717). Il met en évidence le fait qu'accéder au marché nécessite de consentir des coûts. Conceptualisation développée plus tard par O.E. Williamson (par plusieurs écrits en 1975, 1985, 1993-95), sous le vocable de

    17 Coase, R. (1937), the nature of the firm, Economica, New Series, Vol. 4, n° 16, November. Traduction française : la nature de la firme, revue française de l'économie, II, hiver.

    18

    coût de transaction. Ceux-ci sont tributaires de la notion centrale de temps. Elle fait passer le simple échange, instantané sur un marché (spot), à la transaction qui nécessite plusieurs étapes telles que : créer la confiance, négocier et conclure par la forme juridique du contrat. Ce fond générique proche de celui de la théorie de l'agence s'enrichit de nouveaux concepts élaborés par O.E. Williamson, qui constitueront le corpus de l'analyse des coûts.

    1.3.1 Les coûts de rédaction liés au contrat

    Ce premier poste résulte des comportements des acteurs liés à leurs capacités propres. D'emblée, O.E. Williamson émet l'hypothèse de la rationalité limitée du contractant, qui n'est pas en mesure d'anticiper tous les cas de figures (à rebours de la théorie économique classique qui suppose la rationalité absolue des acteurs de l'échange).

    La nécessité d'un recours à un contrat par des professionnels pertinents s'impose, afin de fixer les obligations déjà ébauchées au cours de la phase de négociation, elle-même productrice de coûts. A ce premier stade, pourra d'ailleurs déjà apparaître le risque de retenue délibérée d'information (biaisée ou non), dite de la sélection adverse.

    Pour O.E. Williamson, les coûts sont distingués ex ante (avant passation du contrat), et pourront ultérieurement, ex post, s'alourdir en raison de mauvaise adaptation du contrat. Extrêmement complexes à quantifier, les coûts ex ante et ex post sont interdépendants et s'apprécient de façon globale dans la recherche de la minimisation des coûts.

    1.3.2 L'opportunisme des parties - coûts de contrôle

    L'acteur autonome recherche naturellement son intérêt propre qui peut le conduire - moins légitimement - à un comportement opportuniste. D'abord, comme on vient de le voir, en minorant d'emblée l'information (sélection adverse). Mais aussi après la rédaction du contrat, lorsqu'un acteur n'est pas incité à sa bonne réalisation. C'est le risque moral, également proche des notions classiques des théories des contrats.

    A la difficulté de cerner le comportement de certains agents, s'ajoute la complexité de l'environnement qui rend difficilement prévisibles toutes les occurrences possibles, comme la connaissance des facteurs conditionnant l'avenir. S'établit ainsi un caractère d'incertitude que ne peut pas lever l'incomplétude des contrats, en raison du coût que représenterait la rédaction de multiples clauses trop spécifiques et contingentes.

    19

    Se prémunir des aléas des comportements des acteurs passe par le recours à des spécialistes, des experts, des conseils, pour engager les mécanismes de contrôle par tout tiers de confiance. Ils seront chargés de lever ces contraintes d'incertitude et d'invérifiabilité.

    Par ailleurs, une dimension fondamentale de l'économie des coûts de transactions est, selon O.E. Williamson la spécificité des actifs. Plus l'actif est engagé dans une transaction particulière, moins il peut être réalloué à une autre transaction sans augmentation substantielle des coûts. Dans ce domaine où l'interdépendance des acteurs est forte, le risque d'opportunisme se révèle d'autant plus préjudiciable et relève d'un contrôle renforcé.

    1.3.3 Les frais de contentieux

    L'incertitude résultant des acteurs eux-mêmes (rationalité limitée, opportunisme) ou de l'environnement (imprévisibilité) tentera d'être endiguée par l'élaboration de garanties. Toutefois, complexes, elles relèvent traditionnellement du recours au tribunal. O.E. Williamson estime le recours coûteux sinon inefficace. S'élaborent alors des mécanismes d'arbitrage entre les parties pour se substituer à la voie juridique classique. Moins formalisés, des coûts de « marchandage » seront une autre option offerte en cours d'exécution du contrat.

    Prenons l'exemple d'un contentieux né lors d'un différend entre une entreprise et un assureur pour la gestion d'un sinistre. Actuellement, le client doit compléter les documents nécessaires à l'indemnisation. L'assureur dépêche un expert qui se déplace sur site pour constater et estimer les dégâts. Plusieurs échanges sont nécessaires pour aboutir au montant d'une indemnisation. La divergence des intérêts des parties peut conduire à un échec des tractations. En cas de litige, une issue ne peut être trouvée qu'en ayant recours à des avocats pour porter l'affaire devant les tribunaux.

    Ainsi, pour s'entendre, les deux parties, auront dû supporter des coûts (experts, avocats) pour réaliser une transaction. Au final, ce processus apparaît pour une entreprise comme étant lent, incertain (décision de justice) et coûteux.

    Afin de mieux cerner l'apport de la blockchain, cet exemple sera repris dans la partie « revue de littérature ».

    20

    L'analyse des principaux aspects des transactions dans les entreprises montre que le schéma idéal classique d'acteurs rationnels, échangeant de manière équilibrée, rend imparfaitement compte de la réalité du terrain. L'aspect comportemental des intervenants introduit la dimension humaine au sein de l'échange économique. Il ne s'agit plus seulement d'une approche purement théorique, mathématique, mais d'intégrer la psychologie des protagonistes. La prise en compte de ce facteur s'effectuera aux différents stades des mécanismes contractuels, en donnant la part belle aux tiers de confiance.

    Remarquons que la mise en valeur de l'humain dans l'évolution économique se trouve déjà au coeur de la réflexion de J.A. Schumpeter (Théorie de l'évolution économique, 191118). Dans sa conception, l'entrepreneur est plus qu'un simple acteur, mais un créateur moteur de l'évolution économique. Il apporte une innovation, ce n'est pas uniquement un gestionnaire. C'est cette dimension psycho-économique, que nous retiendrons sans entrer ici dans l'étude de sa théorie, qui explique l'évolution de l'économie par l'alternance de périodes d'essors et de périodes crises.

    De même, l'actualité de la théorie économique continue de faire appel aux aspects psychologiques des acteurs, comme l'atteste l'attribution du prix Nobel 2017 à Richard Thaler. La finance comportementale remet en question le postulat de base de la finance moderne, l'investisseur rationnel. R. Thaler a montré l'emprise des travers comportementaux individuels, comme par exemple les préférences sociales, la peur, l'importance de la possession de quelque chose, qu'il a appelé l'aversion de la possession. Afin de les corriger, il a théorisé une forme d'intervention « douce », ou « paternalisme libéral », soit le « coup de pouce » (nudge) : l'individu reste libre d'agir mais il est incité à prendre un chemin plutôt qu'un autre. Toutefois, une interrogation peut apparaître au regard de l'innovation disruptive de la blockchain, susceptible par son automaticité, de réduire le recours au travestissement « coup de pouce » de l'approche théorisée par

    C. Sunstein et R. Thaler19.

    18 Schumpeter, J. A. (1911), Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung, Berlin, Duncker und Humblot, traduction française (1935), Théorie de l'évolution économique Recherches sur le profit, le crédit, l'intérêt et le cycle de la conjoncture, Paris, Dalloz.

    19 Thaler R., Sunstein C. (2009), Nudge : Improving Decisions About Health, Wealth and Happiness, Penguin, 5 mars, 320 p.

    21

    2 L'innovation disruptive : la blockchain au travers de la revue de littérature

    La lecture des ouvrages dédiés à la technologie de la blockchain fait apparaître une grande concordance dans la définition des concepts, dans les domaines d'utilisation possibles et dans les points de rupture.

    Nous avons organisé notre revue de littérature afin de présenter les innovations qu'entraîneront l'intégration de la blockchain dans les relations contractuelles inter et intra des entreprises.

    2.1 Les origines techniques

    Certaines innovations qui étaient initialement destinées à une utilisation particulière dans un contexte spécifique peuvent se développer par la suite pour apporter des solutions que leurs concepteurs n'auraient pu imaginer.

    Ce fut le cas d'Internet développé dans les années 60 par la recherche militaire américaine sous le nom d'ARPANET. Il s'agissait de construire un réseau de commandement pouvant résister à une attaque nucléaire soviétique. Suite à la détente entre les deux superpuissances, ce concept de réseaux interconnectés et décentralisés passa dans le civil via les universités américaines et aboutit à l'invention du WEB en 198920, puis au développement d'innombrables applications et de toute une industrie (Google, Amazon, Facebook, Apple) qui ont bouleversé nos modes de vie et dont nous pourrions difficilement nous passer au quotidien.

    C'est à une autre innovation que nous allons nous intéresser et celle-ci devrait également suivre un chemin qui n'est pas forcément celui qu'avait envisagé son ou ses concepteurs. Comme exposé dans le chapitre précédent, les entreprises sont confrontées à divers coûts et contingences dans leur fonctionnement quotidien et leur besoin d'investissement : coûts d'agence et de transaction, coûts de contrôle et frais de contentieux, rôle des intermédiaires, des tiers de confiance et des monopoles qui vont affecter l'établissement de transactions optimales. Nous allons voir quel rôle la Blockchain pourrait jouer dans ce contexte.

    20 Berners-Lee, T. (1989), La naissance du web, consulté le 12 janvier 2018.

    22

    Le développement de la Blockchain et de son application la plus médiatisée, le Bitcoin, a nécessité au préalable un certain nombre d'innovations et d'expérimentations techniques et financières, parfois accompagnées de tentatives de remise en question des modèles économiques régissant les entreprises et les monnaies. En voici quelques-unes :

    2.1.1 La signature électronique

    Cette technique consiste à valider le contenu d'un document non modifiable tout en étant capable d'en authentifier le signataire. Elle est apparue vers 2000 et avait pour but de lutter contre la fraude. Elle aurait donc dû connaître un développement rapide par l'intérêt qu'elle pouvait représenter pour les entreprises et les administrations. Pourtant, elle n'a été adoptée que très progressivement. Une des raisons tient à des différences de transposition de la directive 1999/93/CE du Parlement européen qui est à l'origine de la signature électronique, ainsi qu'à des choix techniques différents entre Etats qui ont nui au développement des échanges transfrontaliers. Un nouveau règlement n° 910/2014/UE dit « eIDAS » entré en vigueur en septembre 2014 a permis de corriger ces défauts21.

    Cette nouveauté a favorisé le développement d'un type d'intermédiaire que sont les prestataires de services de confiance souvent nommés tiers de confiance. Ceux-ci sont qualifiés par l'ANSSI (L'Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Information). Ces services de confiance incluent des notions d'identification électronique de personnes physiques ou morales, d'authentification de site Internet, d'horodatage électronique, de validation et de conservation de signature électronique, de preuve d'intégrité de données. Ces différents services vont se retrouver dans la Blockchain.

    Il faut noter que la signature électronique n'a pas empêché le recours au contentieux, par exemple du fait de débiteurs de mauvaise foi qui contestent la validité d'une signature électronique. Ce recours a un coût pour le créancier et ce problème reste donc à traiter pour être éliminé ou tout au moins être évité le plus possible.

    D'une manière générale, il ne faut pas sous-estimer le risque de lenteur de diffusion d'une nouveauté malgré l'intérêt qu'elle peut présenter. Cela peut venir des coûts de mise en oeuvre et de fonctionnement, des changements de fonctionnement qu'elle implique ou de difficultés techniques ou de réglementation.

    21 ANSSI (2018), Le règlement eIDAS, consulté le 12 janvier 2018.

    23

    2.1.2 Les monnaies complémentaires, monnaies numériques anonymes

    Dans le domaine des monnaies, des initiatives ont été régulièrement lancées pour créer des monnaies parallèles aux monnaies gérées par les Etats et les Banques centrales. Elles peuvent être locales ou liées à une région, nécessiter d'adhérer à une association, être liées à des matières premières agricoles. Ces monnaies complémentaires (terme utilisé par l'ACPR - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) n'ont pas de cours légal et sont adossées généralement à des fonds déposés en monnaie officielle auprès d'organismes financiers, mais également à des biens négociables.

    D'autres peuvent être liées à des entreprises qui faisaient face à des problèmes de liquidité et qui voulaient s'affranchir des conditions des banques et de leurs frais de transaction. Beaucoup ont été interdites par les autorités qui y voyaient une menace pour le monopole étatique et bancaire de la monnaie et de l'émission de crédit. Mais certaines ont survécu, telle que le WIR, monnaie créée par des entreprises suisses suite à la crise de 1929. Elles ont ainsi créé une sorte de crédit mutuel inter-entreprises indépendant des banques. Aujourd'hui encore, 60.000 entreprises suisses adhèrent à ce système qui connaît un accroissement d'activité dès que l'économie entre en récession22.

    Progressivement, des innovations technologiques ont vu le jour, ouvrant de nouvelles perspectives.

    Ainsi, en 1993, le docteur David Chaum, un cryptographe, c'est-à-dire un spécialiste des techniques de sécurisation des communications, à qui l'on doit le concept de signature en aveugle2324, a créé une monnaie numérique anonyme cryptée « ecash ». Elle fut implémentée pour des micropaiements par une banque de St-Louis (MO) pendant 3 ans. Les clients de la banque qui stockaient leurs « ecash » sur leur ordinateur personnel pouvaient l'utiliser auprès des commerçants l'acceptant sans passer par un compte ou une carte de crédit. Les seuls frais de transaction étaient à la charge du commerçant. Les « ecash » étaient cryptés et certifiés par la banque par un système de signature électronique à clé publique ou clés asymétriques développé à la fin des années 70 : ce système signifie que seul le propriétaire (la banque) peut

    22 Herlin, Ph. (2014), Les monnaies complémentaires et le bitcoin, Association d'économie financière, Rapport moral sur l'argent dans le monde.

    23 Signature en aveugle : une entité va faire signer un message par une autre entité en faisant en sorte que le signataire du message n'apprenne rien sur son contenu. Delaune S., Kremer S. (2009), Spécificités des protocoles de vote électronique.

    24 Chaum, D. (1984), Advances in cryptology - Proc. of Crypto '83, New York, P. Press, 153.

    24

    signer les « ecash », mais que tout le monde (les commerçants par exemple) peut vérifier la validité de la signature et du contenu signé, c'est-à-dire des « ecash ». Le rachat de cette banque par un groupe spécialisé dans les cartes de crédit mit fin à l'expérience qui a concerné 5.000 clients et 300 commerces25. Ce système, s'il permettait de s'affranchir de certains frais et services bancaires, restait néanmoins dépendant d'une banque, unique dans ce cas. Mais certaines bases étaient posées, en particulier par l'utilisation de la cryptographie qui assurait l'anonymat et la sécurité des données échangées, un moyen de paiement en l'occurrence.

    2.1.3 La libéralisation de la cryptographie privée aux Etats-Unis

    Cette innovation se heurtait également à un autre obstacle, la volonté des autorités américaines au début des années 90 de limiter l'utilisation publique de la cryptographie à des cryptages faibles facilement déchiffrables car le cryptage était assimilé à une arme de guerre. Un étudiant américain de l'université de Berkeley (CA) qui voulait publier un système d'encryptage décida de lancer une action contre le département de justice américain en 1995. Au bout de 4 ans, une cour d'appel conclut que les codes source de cryptage étaient protégés par le 1er amendement de la constitution américaine au titre de la liberté d'expression et que les règlements empêchant leur publication étaient non-constitutionnels.

    Ceci ouvrait la voie légale à des innovations protégeant la vie privée et les transactions financières.

    2.2 Le contexte idéologique et socio-économique : crise de confiance suite à la crise des subprimes

    Ces différentes évolutions techniques et légales auraient pu rester confidentielles et confinées à des niches à l'avenir limité, mais elles allaient rencontrer une combinaison d'acteurs et d'événements catalyseurs aboutissant à des innovations dont le grand potentiel s'est confirmé avec le temps.

    25 Clark, T. (1998), DigiCash loses U.S. toehold, CNET, September.

    25

    2.2.1 La protection de la vie privée et indépendance des institutions

    De nombreux acteurs qui militaient en ce sens depuis le début des années 90 participaient à un groupe informel nommé les « cyberpunks ». Parmi ceux-ci se trouvaient le créateur de WikiLeaks (Julian Assange), le développeur de Tor (réseau Internet plus ou moins sous-terrain), l'inventeur du protocole SSL qui protège entre autres nos paiements en ligne, le fondateur de BitTorrent (site d'échange de fichiers, en particulier de musique et de vidéo) ou le concepteur des smart contracts (Nick Szabo), dont nous reparlerons par la suite.

    Ceux-ci étaient animés entre autres par une défiance vis à vis d'autorités régulatrices qui leur semblaient menacer de plus en plus les libertés individuelles. Il ne manquait qu'un catalyseur pour que ces divers éléments débouchent sur la création d'une monnaie numérique indépendante de toute autorité centrale.

    2.2.2 La crise financière et monétaire

    La bulle des prêts hypothécaires à risque dit « subprimes » éclate aux US en 2007 suite à des dépréciations d'actifs liés aux subprimes de la banque HSBC, suivies par la faillite d'une cinquantaine de sociétés de prêts hypothécaires en particulier en Californie et en Floride où la bulle immobilière était la plus importante. Cette bulle avait en partie été alimentée par les taux bas pratiqués par la Réserve Fédérale américaine.

    L'éclatement de cette bulle conduisit à une grave crise bancaire et monétaire menaçant le système financier mondial. En effet, la présence de produits dérivés contenant des subprimes dans le bilan d'un grand nombre de sociétés financières provoqua une crise de confiance entre les banques qui ne voulaient plus se prêter de l'argent entre elles. Ceci déboucha sur une pénurie générale de liquidités qui aurait pu conduire à un effondrement financier.

    Les Banques centrales injectèrent fin 2008 des liquidités à un niveau inconnu jusque-là : 2.500 Mds de $ pour racheter des dettes d'état et des actifs bancaires douteux et 1.500 Mds de $ pour recapitaliser les banques « too big to fail ». Elles baissèrent leurs taux d'intérêt autour de 0% pour mettre fin à la récession. Celle-ci dura aux Etats-Unis de 2007 à 2009 et la loi de protection des consommateurs et de réforme de Wall Street,

    26

    dite loi Dodd-Franck, entra en vigueur en juillet 2010 pour empêcher la réapparition de certaines causes de cette crise.

    La confiance dans les banques, en particulier à cause de la porosité entre les activités de banque commerciale et de banque d'investissement et de marché, s'en est trouvée fortement ébranlée. De même, la politique des Banques centrales en matière de taux d'intérêt et de rachat d'actif n'a pas fait l'unanimité.

    2.3 Une réaction : la crypto-monnaie, le Bitcoin 2.3.1 L'aventure Bitcoin

    C'est dans ce contexte que fin 2008 une personne ou un groupe de personnes connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto rejoignit le groupe de cyberpunk et publia son « livre blanc sur le Bitcoin » 26. Celui-ci proposait de créer une nouvelle monnaie virtuelle basée sur une architecture décentralisée pour s'affranchir des institutions centrales et financières27.

    Nous pouvons voir la différence entre les deux modèles à l'aide des schémas présentés ci-dessous. Une architecture centralisée à gauche où une autorité centrale contrôle l'ensemble de l'organisation et une architecture décentralisée à droite qui se caractérise par l'absence de contrôle central et où toutes les entités composant l'organisation communiquent entre elles d'égal à égal.

    Source : https://www.goffi.org

    26 Nakamoto, S. (2008), Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System, consulté le 15 janvier 2018.

    27 Chevalier M., Vrignolles B. (2014), Le Bitcoin : défi à la souveraineté monétaire des Etats et ressource pour le blanchiment d'argent, Regards croisés sur l'économie, n° 14, La Découverte, 122-125.

    27

    Satoshi Nakamoto définissait le Bitcoin comme « un modèle de paiement électronique de pair-à-pair, permettant d'envoyer directement de l'argent d'une personne à une autre, sans passer par une institution financière »28. Il est basé sur la preuve cryptographique pour réaliser des transactions sans le recours à un tiers de confiance. « L'absence de banques centrales et commerciales, de systèmes de paiement et de chambres de compensation réduit les coûts de transaction supportés par les utilisateurs et constitue un avantage décisif du Bitcoin vis-à-vis des monnaies traditionnelles »29.

    Il faut noter que cette preuve cryptographique, calculée par des regroupements d'ordinateurs, nécessitait, d'après l'Agence internationale de l'Energie (sept. 2017), une consommation électrique équivalente à celle d'un pays comme la Hongrie30.

    D'autres estimations évaluent plutôt cette consommation à 18 TWh/an31, soit 2,5 fois moins et qui correspondrait à la consommation électrique de l'Islande. La réalité se situe sans doute entre les deux et reste considérable. Cette consommation est parfois comparée à celle du réseau Visa, mais elle n'est pas vraiment pertinente car le Bitcoin est autonome alors que Visa

    28 Durana, G. (2015), Bitcoin : bulle ou révolution ?, Esprit, juin, 88-96.

    29 Figuet, J-M (2015), Le Bitcoin : une monnaie ?, Larefi. Université de Bordeaux.

    30 IEA (2017), Key world energy statistics, International Energy Agency, September, consulté le 16 janvier 2018.

    31 http://blog.zorinaq.com/bitcoin-electricity-consumption/ - estimation au 11 janvier.

    28

    doit s'appuyer sur les infrastructures de l'ensemble de ses banques clientes pour effectuer ses transactions de bout en bout.

    La création de bitcoins n'est pas illimitée, Nakamoto avait fixé le nombre maximum pouvant être créés à 21 millions par opposition à la politique des Banques Centrales qui a généré d'énormes quantités de liquidités. Ce principe rappelle le fonctionnement des monnaies à l'époque où elles étaient adossées à une ressource existant en quantité limitée, l'or.

    Le Bitcoin qui, dans l'esprit de son concepteur, était avant tout la preuve pratique d'un concept, va s'avérer avoir une évolution explosive que ce soit d'un point de vue médiatique ou financier. Ainsi, selon Google Trends, le nombre de recherches ayant pour sujet le Bitcoin a été multiplié par 20 entre fin 2016 et fin 2017, pendant que son cours était multiplié par 14.

    D'après Investing .com32, 1.375 « crypto-monnaies » auraient été créées à ce jour (jan. 2018), la 1ère différente du bitcoin, la NameCoin ayant apparu mi-2011. Elles représentent une capitalisation totale de 700 Mds de $ avec un volume d'échange quotidien de 50 Mds de $. Il faut cependant noter que les 25 « crypto-monnaies » les plus importantes pèsent 87% de cette capitalisation et que les 5 premières en représentent 70% à elles seules.

    32 Investing, Toutes les crypto-monnaies, consulté le 20 janvier 2018.

    29

    Source : Investing.com

    Divers scandales ont émaillé le parcours de la plus importante de ces « crypto-monnaies » : faillite de certains intermédiaires ou vols sur des plates-formes d'échange (MtGox en 201433, Coincheck en 201834, ...) insuffisamment sécurisés, blanchiments d'argent qui ont d'ailleurs donné lieu à des poursuites judiciaires. Il faut noter que certaines utilisations pour du commerce illégal ont répandu l'idée que les transactions en bitcoin bénéficiaient d'un anonymat complet. Ceci n'est vrai que pour un nombre très restreint de « crypto-monnaies » (Monero, Zcash). En effet dans la grande majorité des cas, il est possible de remonter à l'identité réelle des utilisateurs ce que les autorités judiciaires ont eu l'occasion de faire dans certains cas comme lors de la fermeture par le FBI du site Silkroad. Ce site a été condamné par la justice américaine pour avoir favoriser le commerce de produits illicites pour un montant équivalent à 1,2 Mds de $ (Le Monde, 3 octobre 2013).

    33 Ali, S.T. et al. (2015), Bitcoin : Perils of an Unregulated Global P2P Currency, Technical Report Series, 1470, Newcastle University.

    34 La Tribune du 29 janvier 2018

    30

    2.3.2 Un moyen de paiement ?

    Le Bitcoin est-il une monnaie ? Traditionnellement, on associe 3 fonctions à une monnaie légale, celle d'unité de compte (évaluation), de moyen de paiement et de réserve de valeur (actif patrimonial)35. Cette notion donne lieu actuellement à des débats contradictoires et la question est loin d'être tranchée du côté des économistes.

    La situation du point de vue des Etats est également très contrastée, comme le montrent ces quelques exemples. Au Japon, le Bitcoin et certaines crypto-monnaies sont déclarés par une loi de finance d'avril 2017 comme moyens de paiement légaux, mais pas comme monnaie légalement reconnue. En mai 2017, la Chine l'a interdit car il favorisait la fuite des capitaux. Une société japonaise (La Tribune, 15/12/2017), GMO Internet, va proposer à ses salariés d'être partiellement rémunérés en Bitcoin afin de mieux comprendre les crypto-monnaies. La Russie, qui envisageait de reconnaître son utilisation en août 2017, souhaitait en interdire la vente en octobre de la même année (Le Monde, 11/10/2107).

    Ce phénomène ne peut plus être ignoré par les Etats36, les Banques Centrales et les autorités boursières qui se trouvent face à un défi d'un type entièrement nouveau qui échappe à leur contrôle et aux réglementations existantes, en particulier fiscales.

    De son côté, la Cour de justice européenne a rendu une décision en 2015 estimant que le Bitcoin « n'a pas d'autres finalités que celle de moyen de paiement et qu'elle est acceptée à cet effet par certains opérateurs ». (Huet J., 2017)

    Actuellement, nous sommes dans une phase de bulle spéculative, des variations de valeurs de plusieurs dizaines de pourcent ont été observées en une journée, mais ce phénomène n'est pas si rare dans le domaine financier (les produits dérivés par exemple) et il ne faut pas perdre de vue le fait principal qui est que la preuve de concept de S. Nakamoto a réussi.

    Ce système est indépendant de tout tiers extérieur, il est sécurisé, le coeur des principales « crypto-monnaies » n'ayant pas connu de faille de sécurité. C'est un moyen de paiement rapide à faible coût de transaction, des commerces de plus en plus nombreux l'acceptant, au Japon en particulier, mais également Microsoft.

    35 De Vauplane, H. (2014), L'analyse juridique du Bitcoin. Association d'économie financière, Rapport moral sur l'argent dans le monde.

    36 Marini Ph., Marc F. (2014), rapport d'information n° 767 rectifié de la Commission des finances du Sénat, 23 juillet.

    31

    La volatilité actuelle des cours n'en fait pas un outil adapté pour les entreprises qui souhaiteraient disposer d'un outil de paiement ou de financement sécurisé sans tiers de confiance. C'est ce qui nous a conduit à écarter le Bitcoin de notre problématique.

    Cependant même ceux qui considèrent « que le Bitcoin ne satisfait pas aujourd'hui les fonctions usuelles de la monnaie », lui reconnaissent un potentiel de développement avec « l'anonymat des opérations réalisées et la réduction des coûts de transactions » 37 et des opportunités de développement grâce à sa technologie.

    Une solution pour les entreprises devrait plutôt émerger du support technologique qui permet aux « crypto-monnaies » de fonctionner, il s'agit de la technologie Blockchain (ou chaîne de blocs) qui dans le cas du Bitcoin a substitué la sécurité garantie par l'Etat (monnaie légale) par une sécurité technique38.

    2.4 L'émergence de la technologie sous-jacente : la Blockchain et ses multiples applications

    2.4.1 Les concepts et la technologie

    La Blockchain est « une technologie de stockage et la transmission d'informations, transparente, sécurisée et fonctionnant en mode pair à pair, sans organe central de contrôle » selon Blockchain France39, organisme né à l'été 2015 dont l'objectif « est de démocratiser la Blockchain en faisant comprendre ses enjeux avec pédagogie, et en s'impliquant dans la construction d'applications concrètes. »

    On peut également l'assimiler à « un grand livre des comptes, décentralisé, dans lequel chacun des acteurs peut vérifier les transactions réalisées par ses pairs et les valider » (Estrade, Gaudemet, 201640), « mais elles sont impossibles à effacer et ce livre est indestructible » (Delahaye, 201441).

    La Blockchain s'appuie sur un réseau partagé, des algorithmes de validation et de la cryptographie asymétrique pour sécuriser les données échangées. Ce système crée la

    37 Figuet, J-M (2015), Le Bitcoin : une monnaie ?, Larefi. Université de Bordeaux.

    38 Huet, J. (2017), Le bitcoin, dont la légalité paraît admise, est une sorte de monnaie contractuelle, Revue des contrats, n° 01, 1er mars, 54.

    39 Blockchain France, Qu'est-ce que la Blockchain ?, consulté le 24 janvier 2018

    40 Estrade G., Gaudemet A. (2016), Blockchain : enjeux, risques et opportunité pour les acteurs du monde bancaire et financier, Lexbase Hebdo édition affaires n° 469 du 9 juin.

    41 Delahaye, J-P. (2014), Le Bitcoin, première crypto-monnaie, Bulletin de la société informatique de France, n° 4, octobre, 67-104.

    .

    32

    confiance entre des participants qui ne se connaissent pas puisqu'ils ne sont identifiés que par pseudonymes. C'est la résolution du paradoxe des généraux byzantins qui consiste à envoyer des informations de manière fiable à une autre partie sans la rencontrer. La réponse traditionnelle consistait à faire intervenir un tiers de confiance42.

    L'ensemble des transactions créées et validées depuis la création d'une blockchain est regroupé dans des blocs de taille fixe, chaînés entre eux au fur et à mesure de leur création via un code spécifique qui dépend du bloc précédent. C'est cette structure qui a donné son nom à la Blockchain (« chaîne de blocs »43).

    Source : Blockchain France

    Cette chaîne est recopiée sur l'ensemble des ordinateurs participants (les « noeuds ») à la Blockchain, ce qui lui confère son caractère décentralisé, les informations de référence n'étant plus détenues par une autorité centrale.

    La validation d'une transaction passe par plusieurs vérifications44 : le débiteur est-il solvable, la structure de la transaction est-elle conforme, son contenu est-il cohérent et n'a-t-il pas déjà été dépensé dans une autre transaction pour éviter le risque de double dépense. Il s'agit de prévenir toute tentative de fraude, les découverts n'étant pas autorisés. Pour cela l'ensemble des « noeuds » participants à la blockchain va effectuer individuellement ces vérifications et quand un consensus est trouvé, la transaction est validée et mise en attente. A intervalle régulier, ces transactions vont être intégrées dans des blocs par des « noeuds » spécifiques dénommés « mineurs » par analogie avec l'extraction de l'or.

    Pour ajouter un bloc à la chaîne, ces mineurs doivent remplir des conditions qui dépendent de la Blockchain45 :

    42 Caseau Y., Soudoplatoff S. (2016), La blockchain ou la confiance distribuée, Fondation pour l'innovation politique, juin.

    43 Egalement désignée par l'acronyme DLT en anglais : Distributed Ledger Technology (technologie de Grand Livre/Registre réparti)

    44 Blockchain France (2016), la Blockchain décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire Netexplo, mai.

    45 Adam-Kalfon P., el Moutaouakil S. (2017), Blockchain, catalyseur de nouvelles approches en assurance, PwC Société d'Avocats.

    ·

    33

    Soit apporter une Preuve de Travail (« Proof of Work ») en effectuant des calculs extrêmement gourmands en puissance informatique dont les résultats sont eux facilement vérifiables par les autres noeuds. C'est le mécanisme utilisé dès l'origine par le Bitcoin. Le 1er mineur dont le travail a été validé par consensus, intègre ce bloc dans la chaîne avec un horodatage crypté et reçoit une rémunération. Elle peut prendre la forme d'une part, de coûts de transaction facturés aux initiateurs des transactions validées et, d'autre part d'un montant fixe de la crypto-monnaie utilisée par la Blockchain, ce qui correspond en pratique à l'émission « crypto-monétaire ».

    · Soit apporter une Preuve d'Enjeu (« Proof of Stake ») qui correspond au nombre de jetons détenus dans la Blockchain, ce mécanisme étant beaucoup moins consommateur en énergie que le précédent, mais il devra démontrer qu'il est aussi sécurisé que la Preuve de Travail

    Tout essai frauduleux de modification d'un bloc déjà validé et intégré dans la chaîne nécessiterait de modifier l'ensemble des blocs car leur chaînage dépend de leur contenu et devrait donc être modifié. Ceci demanderait une capacité de calcul gigantesque générant un coût totalement dissuasif par rapport au gain espéré. De plus, les autres noeuds qui possèdent une copie complète de la chaîne détecteraient la tentative de violation du caractère inaltérable de la chaîne et le consensus rejetterait les modifications.

    Quant à la possibilité de faire des modifications en détenant seul plus de 50% du consensus pour nuire à une blockchain, en dehors de son coût démesuré, elle peut être contrée par la duplication de la chaîne préexistante à l'attaque (« hard fork »46) par les noeuds dont l'intérêt est de continuer à la faire vivre en modifiant ses règles de fonctionnement pour éviter qu'une telle attaque ne se reproduise.

    Ce type d'opération a déjà été effectué sur la blockchain Ethereum en novembre 201647. Cette technique peut également être utilisée pour corriger des dysfonctionnements qui apparaîtraient au cours de la vie de la Blockchain, sous réserve d'atteindre le consensus.

    46 Hard fork : Opération entraînant une évolution majeure de la blockchain en modifiant certaines de ses règles de fonctionnement tout en préservant la chaine de blocs historique. Un large consensus est nécessaire à son application.

    47 Adam-Kalfon P., el Moutaouakil S. (2017), Blockchain, catalyseur de nouvelles approches en assurance, PwC Société d'Avocats.

    34

    En résumé, le traitement d'une transaction peut se représenter de la manière simplifiée suivante :

    La fonction de tiers de confiance dans une Blockchain est donc assurée par le consensus cité plus haut, les modalités d'établissement de ce consensus dépendant du type de Blockchain mis en oeuvre. C'est bien à une désintermédiation qu'aboutit ce mode de fonctionnement.

    2.4.2 Les utilisations et l'environnement

    Pour bien distinguer les différentes utilisations possibles de la Blockchain, il faut préciser qu'il en existe plusieurs types :

    · Le premier et le plus courant actuellement concerne les blockchains publiques qui se caractérisent par leur transparence : tous les participants peuvent valider et consulter l'ensemble des informations. Ce réseau est ouvert et peut accueillir de nouveaux participants. Il n'y a pas d'intermédiaires et les participants ne se connaissent pas.

    · Il existe également des blockchains de consortium ou semi-privées où tous les noeuds n'ont pas les mêmes droits de participation au consensus, ni la même visibilité sur les informations enregistrées. Les nouveaux participants seront acceptés s'il y a consensus. Elles sont plutôt adaptées à des contextes réglementés.

    · Enfin les blockchains privées sont gérées par une autorité centrale qui valide les blocs, choisit les nouveaux participants et gère l'accès des participants aux données. Elles sont souvent utilisées dans des entreprises avec filiales. Le nombre de participants est réduit et la vitesse de validation des transactions est plus rapide.

    35

    36

    L'intérêt pour la Blockchain est en grande partie lié à l'envolée du cours du Bitcoin.

    Ainsi, selon Google Trends, le nombre de recherches ayant pour sujet la Blockchain a été multiplié par 8 entre fin 2016 et fin 2017.

    On peut citer d'autres chiffres révélateurs de l'intérêt porté par les entreprises à la Blockchain. Le nombre de brevets sur la Blockchain déposés depuis 2013 est supérieur à 2.500, IBM leader mondial de l'informatique a investi 200 M de $ dans cette technologie et les investissements dans les start-ups liées à la Blockchain ont atteint les 1,4 Md de $ en 2016.

    « Dans son rapport Fintech 2.0, la banque Santander estime que l'utilisation de la blockchain permettrait de réduire les coûts de structure pour les banques de 15 à 20 milliards de dollars par an »48.

    La Blockchain et ses caractéristiques propres de désintermédiation via le consensus et la sécurité, de transparence et de traçabilité, la prédestine à fournir des solutions dans des domaines aussi variés que les transferts d'actifs, en particulier internationaux, la traçabilité de produits et de données (la santé, la propriété intellectuelle, la logistique, le transport, les contrats et l'immobilier)

    Les applications en cours de test sont très nombreuses.

    Ainsi dans le domaine de la propriété intellectuelle, la SACEM et les sociétés américaines de gestion des droits d'auteur pour la musique collaborent avec IBM sur une solution de

    48 De Vauplane, H. (2015), La blockchain ou la révolution technologique : les impacts pour la finance, Revue Banque, n° 798, 30 novembre.

    37

    blockchain en logiciel libre (Hyperledger Fabric) afin de gérer les « conflits d'identifiants autour d'une même oeuvre pour de multiples ayants droit »49.

    L'ESILV (Ecole Supérieure d'Ingénieurs Léonard de Vinci à Paris la Défense) enregistre sur la blockchain Bitcoin via la société Paymium, l'empreinte numérique du diplôme de chaque étudiant et l'empreinte numérique de cette transaction qui prouve que c'est bien l'école qui a enregistré le diplôme50.

    Dans plusieurs pays du monde, la plupart des terrains ne sont pas enregistrés, ce qui entraîne des conflits fréquents et nombreux, notamment lors des successions De plus le développement rural en souffre, puisque l'absence de sécurité foncière freine en partie les investissements indispensables au développement de la productivité agricole.

    La technologie blockchain en tant que registre transparent et sécurisé intéresse plusieurs gouvernants des pays en voie de développement. Par exemple, le gouvernement du Honduras teste une application pour son cadastre afin de lutter contre la corruption. Celui de la Géorgie, a lancé en avril 2016 un projet pour permettre aux géorgiens d'enregistrer leur propriété dans une blockchain. Les objectifs communs sont de rendre ces informations incorruptibles et auditables en permanence et que les coûts d'enregistrement des droits de propriété soient transparents. En ces circonstances, la technologie vient compenser les défaillances des Etats. Le directeur du projet de la société Bitfury a déclaré que la blockchain assurera la fonction de notariat51 soulignant ainsi sa propriété de désintermédiation. Enfin, l'Estonie utilise déjà la blockchain pour certains actes notariés et commerciaux52. Dans ces pays aux institutions souvent « fragilisées et instables » la technologie vient recréer un lien de confiance avec les administrés.

    Dans le domaine du financement d'entreprise, un autre phénomène confirme le développement fulgurant qu'a connu le Bitcoin à partir du 2éme trimestre 2017 : il s'agit des ICO (Initial Coin Offering). Sur le modèle des IPO (Initial Public Offering) traditionnelles, il s'agit de levées de fonds pour financer des projets particuliers où les investisseurs reçoivent des jetons (tokens53) en échange de leur apport en capital.

    49 https://societe.sacem.fr/actualites/innovation/blockchain--la-sacem-ascap-et-prs-for-music-sallient-pour-une-meilleure-identif.ication-des-oeuvres.

    50 https://www.esilv.fr/lecole/certification-blockchain-diplomes-esilv/

    51 Blockchain France (2016), la Blockchain décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire Netexplo, mai.

    52 Caseau Y., Soudoplatoff S. (2016), La blockchain ou la confiance distribuée, Fondation pour l'innovation politique, juin.

    53 Le token est une crypto-monnaie privée liée à un projet qui devient échangeable quand le projet bascule en production.

    38

    Beaucoup d'incertitudes demeurent sur la valorisation de ces tokens et sur le sérieux des business plans de certains projets qui présentent souvent un caractère opportuniste voire frauduleux54. 2 enquêtes pour fraudes (projets DRC World et Recoin) ont été lancées par la Securities and Exchange Commission (SEC) aux Etats-Unis qui a créé une unité dédiée. La fraude la plus courante consiste à ne pas livrer les jetons dus aux investisseurs en échange de leurs fonds. Au lieu d'engager ces fonds dans les projets prévus, les initiateurs de l'ICO les utilisent par exemple pour émettre une nouvelle crypto-monnaie qui ne manque pas de prendre de la valeur dans le contexte actuel et qu'ils revendent en faisant une plus-value supplémentaire. Ceci est rendu possible par l'opacité entourant les modalités de lancement de certaines ICO.

    Selon EY (Ernst & Young)55, près de 4 Mds de $ de fonds ont été levés entre 2015 et 2017 pour 372 projets analysés dont 10% en Chine continentale qui les a interdites depuis, de même que la Corée du Sud. La tendance générale s'oriente plutôt vers des règles spécifiques aux ICO en complément des lois existantes souvent peu adaptées à cette nouveauté.

    54 Agosti, P. et al. (2017), Blockchain : quelles perspectives après la réglementation ?, Groupe de travail Blockchain de la FNTC (Fédération nationale des Tiers de Confiance).

    55 EY (2017), EY Research : initial coin offerings (ICOs), décembre 2017.

    39

    Un certain nombre d'ICO sont associées à la création de nouvelles blockchains et de tokens associés qui ne se justifient pas, les projets les plus prometteurs se faisant sur des plates-formes existantes à la structure déjà éprouvée, Ethereum principalement. D'ailleurs 10% des montants investis sur ces nouvelles blockchains ont été perdus ou volés.

    Comme à l'époque de la bulle Internet, un tri va s'opérer et les projets les plus solides vont émerger.

    Mais comme nous venons de le voir, les investisseurs sont souvent trompés car les initiateurs de l'ICO ne divulguent pas l'ensemble des documents régissant l'offre. Il faudra donc que la réglementation impose plus de transparence et d'informations obligatoires pour que les ICO deviennent une source de financement fiable pour les entreprises et en particulier les PME ou les startups qui peuvent être attirées par leur simplicité et par des frais financiers inférieurs à ceux du crowdlending par exemple. L'Autorité des marchés financiers (AMF) a d'ailleurs lancé une consultation sur ce sujet en oct. 2017 car les ICO, malgré leurs imperfections actuelles, présentent un vrai potentiel en s'appuyant sur certaines spécificités de la Blockchain telles que la transparence, la traçabilité, la désintermédiation, la coopération (entre investisseurs et entrepreneurs) ou les coûts limités de transaction.

    Si les fondements techniques de la Blockchain pour son adoption par les entreprises sont prometteurs, le cadre juridique dans lequel va évoluer la Blockchain s'adapte lentement, comme nous venons de le voir.

    Certains pays tels que la Grande-Bretagne ou Singapour ont une approche très souple souhaitant favoriser son utilisation par les entreprises.

    En France, des lois ont été publiées sur les bons de caisse (n° 2016-520, 26 avril 2016) et sur les transferts de propriété de titres financiers (n° 2016-1691, déc. 2016 et n° 2017-1674, 9 déc. 2017), mais les pouvoirs publics veulent aller beaucoup plus loin en dotant la France d'une réglementation complète sur les DEEP (Dispositif d'Enregistrement Electronique Partagé), terme juridique utilisé pour désigner la Blockchain.

    2.4.3 La Blockchain dans la dynamique contractuelle

    Pour se replacer dans les cadres explicatifs du fonctionnement des transactions dans les entreprises présentées plus haut, quels pourraient être les apports de la Blockchain dans la dynamique contractuelle ?

    40

    Avec la publication de sa théorie de l'évolution économique en 1911, l'autrichien Schumpeter définit le concept d'innovation et de développement économique comme un processus « de destruction créatrice » (King, Levine, 199356 ou Archibugi, Filippetti, Frenz, 201357). Ceci constitue une combinaison nouvelle propre à perturber tout un système et à renverser son échelle des valeurs. Certes nous avons changé d'époque, mais il y a des similitudes avec cette nouvelle technologie. Cette dernière pourrait bouleverser un système existant (structure horizontale, remise en cause des tiers de confiance, création de relations automatisées). La nouveauté serait son caractère disruptif au sens de remise en cause des conventions et des contraintes juridiques (JM Dru, 199658).

    En 1975, Williamson établit la théorie des coûts de transactions ; ils sont déterminés selon trois éléments : spécificités des actifs, incertitude et fréquence. Son analyse permet de mieux maîtriser le coût des échanges sans toutefois parvenir à une fluidité satisfaisante et sécurisée des transactions.

    En 1976, Jensen et Meckling définissent la théorie de l'agence comme une approche innovante des relations contractuelles. Elle repose sur la délégation d'une partie de l'autorité de prise de décisions et sur l'asymétrie informationnelle ce qui a des conséquences en termes de coûts d'organisation et de transaction.

    L'analyse de ces deux dernières théories fait apparaître des failles, des faiblesses, voire des blocages qui empêchent, ralentissent et entraînent systématiquement des coûts juridiques, de contrôles ou de règlement de contentieux.

    L'utilisation de l'automatisation inhérente à la technologie de la blockchain et à ses extensions optimisera-t-elle la fluidité, l'efficacité et la sécurisation des transactions ? La formalisation des relations contractuelles qu'elle entraînera remettra-t-elle en cause les relations entre les différents acteurs, voire l'existence de certains (tiers de confiance par exemple) tout en offrant la possibilité à certains d'émerger (ceux qui mettront en oeuvre cette technologie) ?

    56 King R., Levine R. (1993), Finance and growth : Schumpeter might be right ?, Quarterly Journal of Economics, 108, 717737

    57 Archibugi D., Filippetti A., Frenz M. (2013), The impact of the economic crisis on innovation : evidence from Europe", Technol. Forecast. Soc. Change, 80 (7), 1247-1260.

    58 Dru, J.M. (1996), Disruption - Overturning conventions and shaking up the marketplace, Wiley, 256 p.

    41

    Aussi, pouvons-nous nous interroger sur les impacts de la désintermédiation que cette technologie va induire dans les rapports entre les actionnaires et les dirigeants. En d'autres termes, les apports de blockchain permettront-ils de réduire certains coûts d'agence liés à la gouvernance de l'entreprise ?

    Dès la prise de décision, la blockchain modifie les rapports traditionnels entre les actionnaires et les dirigeants. La totalité des informations est disponible en temps réel pour tous les membres concernés par le projet. La blockchain est une application transversale renversant le système hiérarchique traditionnel. Les modes de gouvernance seront donc amenés à changer. La diffusion des informations de manière automatique et transparente permet la prise de décision de manière décentralisée et automatique.

    Toutefois la validation de l'ensemble des décisions individuelles équivaut-elle à préserver ou à développer l'intérêt commun ?

    2.5 Les smart contracts

    Une grande partie des innovations apportées par la Blockchain pourrait venir de certaines de ses extensions et en particulier des smart contracts.

    2.5.1 Les principes

    La puissance de la Blockchain ne se limite pas à des transactions statiques : les contrats passés entre 2 agents peuvent inclure des variables (performance ou valeur d'actif), d'où l'utilisation des smart contracts.

    En 1993, le concept du smart contract (ou contrat `intelligent') est une invention pour automatiser les relations contractuelles, en évitant toute intervention humaine. Tous les secteurs économiques seront concernés (ex : obtention d'un prêt bancaire, indemnisation d'un sinistre).

    Selon Nick Szabo59 son promoteur, le smart contract est un programme informatique mettant en application un contrat traditionnel (non numérique) et exécutant automatiquement les clauses de ce contrat dès que les conditions sont réunies. Il doit améliorer l'efficacité et la

    59 Szabo, N. (1997), Formalizing and securing relationships on public networks, University of Illinois, First Monday, Vol. 2, n° 9, 1st September.

    42

    rapidité d'exécution du contrat d'une part et éliminer l'ambiguïté du texte écrit car il doit être compris par une machine60, ce qui réduit le risque de contentieux.

    De plus, ces nouveaux processus appliqués à la gouvernance des entreprises pourraient permettre une plus grande réactivité61.

    Le code est autonome, les parties prenantes (humaines) n'ont plus à interagir et n'interférent pas dans son déclenchement. Il est important de préciser que le smart contract ne se substitue pas au contrat traditionnel, il n'est que sa reproduction en langage informatique. Tout seul, il n'a pas de valeur juridique (Collomb, 2016), il faut donc au préalable qu'un contrat ait été négocié et validé.

    A ce jour, la technologie Blockchain renforce la tendance à s'appuyer sur le code informatique plutôt que sur la loi62.

    Le juriste américain Lawrence Lessig l'a synthétisé dans la formule « code is law »63 qui signifie que le code informatique et les contraintes inhérentes à la programmation peuvent influencer la manière dont le droit s'appliquerait, voire la manière dont la loi ou les contrats seraient rédigés.

    Nous nous trouvons face à un système où la confiance est déléguée d'un tiers ou d'un dépositaire à un protocole (le consensus) et à un code (le smart contract). Ce code étant produit par des humains, il peut donc être aussi faillible qu'eux et pourrait nécessiter des procédures de résolution comme dans les domaines financiers ou des assurances64.

    2.5.2 La mise en oeuvre des smart contracts

    La blockchain qui a connu le plus grand développement après celle du bitcoin est Ethereum. Il s'agit d'une blockchain publique ciblant le développement d'applications décentralisées. Elle a pour particularité d'avoir généralisé la mise en oeuvre des smart Contracts. Ethereum, créée fin 2013 par Vitalik Buterin, bénéficie d'améliorations techniques par rapport au Bitcoin. Elle a pu lever 21 millions d'euros en 2014 lors de sa campagne de crowdfunding sans avoir à supporter les coûts d'une plateforme centralisée externe.

    60 De Filippi P., Hassan S. (2016), La Blockchain est une technologie de réglementation : de `code is law' à `law is code', University of Illinois, First Monday, Vol. 21, n° 12, 5 décembre.

    61 Hazard J., Hardjono T. (2016), CommonAccord : Towards a Foundation for Smart Contracts in Future Blockchains, W3C Position Paper, 9 June.

    62 De Filippi P., Hassan S. (2016), idem.

    63 Lessig, L. (2008), Le code et les autres lois du cyberespace v2.0, Basic Books.

    64 De Vauplane, H. (2017), Les impacts des réseaux distribués et de la technologie de Blockchain dans les activités de marché, Rapport Groupe Fintech, Paris Europlace, octobre.

    43

    Les attentes suscitées par la Blockchain peuvent se concrétiser dans l'évolution de l'activité de l'économie collaborative : les projets de crowfunding. En effet un mécanisme de consensus entre les membres qui disposent chacun de la totalité des informations permet la prise de décision du choix du projet retenu. Celui-ci définit aussi un objectif commun qui peut être codifié à l'aide d'un smart contract et validé par l'ensemble des membres du réseau. Une fois les conditions nécessaires à son lancement réalisées, l'opération est effectuée automatiquement. Cette pratique permet de supprimer les coûts liés à l'utilisation d'une plateforme centralisée et à l'intermédiation d'une institution financière65.

    Dans le secteur des assurances, Allianz a créé une application pour traiter l'indemnisation de sinistres en cas de catastrophe naturelle. Il suffit que 2 conditions soient remplies :

    · La déclaration de l'état de catastrophe naturelle au Journal Officiel

    · La localisation du sinistre qui doit se trouver dans la zone concernée

    Ces conditions ont été codées et certifiées dans un smart contract qui permettra une exécution très rapide du contrat, sans recours à un expert, d'où des gains de temps et de frais de contentieux. Lors de la tempête Xynthia en 2010, il avait fallu plus d'un an pour que les victimes soient indemnisées66.

    Dans le domaine de l'assurance voyage, AXA propose un contrat (fizzy) qui indemnise automatiquement et rapidement ses adhérents en cas d'annulation d'un vol ou de retard supérieur à 2 heures. Il s'appuie sur un smart contract dans la Blockchain Ethereum qui est connecté aux bases de données des compagnies aériennes.

    2.5.3 La remise en cause des couts de transaction grâce au smart contract

    Williamson67 définit les coûts de transaction, comme «les coûts engendrés (ou pouvant l'être) par les échanges contractuels de biens ou services entre firmes.»

    Pour des smart contracts plus complexes, les études actuelles tendraient à présenter un transfert des coûts de transaction plutôt que leur suppression68.

    65 Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), Blockchain : L'automate comme autorité ?, In : Blockchain : Eldorado ou mirage pour les services financiers ?, Banque & Stratégies, n° 350, septembre.

    66 Adam-Kalfon P., el Moutaouakil S. (2017), Blockchain, catalyseur de nouvelles approches en assurance, PwC Société d'Avocats.

    67 Williamson, O.E. (1975), Markets and Hierarchies : Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press.

    68 Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), Blockchain : L'automate comme autorité ?, In : Blockchain : Eldorado ou mirage pour les services financiers ?, Banque & Stratégies, n° 350, septembre.

    44

    La rédaction d'un smart contract fiable nécessite que toutes les parties prenantes s'accordent très rigoureusement et précisément sur les règles à suivre69, ce qui se concrétisera par plusieurs réunions et échanges qui pourront être facilités en s'appuyant sur des contrats types s'inspirant du droit des contrats. Cette étape est incontournable pour une analyse fine des enjeux et des objectifs. Cela permettra ainsi de limiter les conflits voir de supprimer les litiges70.

    Le codage du contrat effectué, son fonctionnement autonome (sans intervention humaine) amènera une réduction des coûts : les vérifications des transactions et leur validation se feront automatiquement. Tous les acteurs peuvent avoir accès à l'évolution des opérations, cette transparence dans la diffusion de l'information limitera les litiges.

    2.6 La DAO

    2.6.1 Les principes et les impacts potentiels

    Ce mode de fonctionnement de la Blockchain associé à l'utilisation des smart contracts aboutira-t-il à une nouvelle forme d'organisation entièrement « automatisée », ainsi que le laisserait penser l'émergence de la DAO (Decentralized Autonomous Organization) imaginée en 2013 par Vitalik Buterin le fondateur de la Blockchain Ethereum ?

    Une DAO est une forme de société entièrement décentralisée et horizontale dont les règles de gouvernance sont définies par des smart contracts et en général conçue autour d'un projet ou d'un objectif commun. Les relations de cette communauté avec l'extérieur sont également régies par des smart contracts. Les décisions sont prises par consensus conformément au code informatique qui a été déterminé. Ces décisions concernent la façon d'allouer ses fonds propres qui sont détenus dans la crypto-monnaie de la blockchain qui lui sert de support. Les règles de travail sont transparentes, auditables et infalsifiables71, les acteurs ne peuvent les contourner pour satisfaire leurs objectifs personnels au détriment de ceux de l'entreprise, les échanges entre participants sont publics, ce qui pourrait éliminer l'asymétrie d'information et les divergences d'intérêt entre actionnaire et dirigeant qui prévaut dans la firme72. Ce mode de

    69 De Filippi P., Hassan S. (2016), La Blockchain est une technologie de réglementation : de `code is law' à `law is code', University of Illinois, First Monday, Vol. 21, n° 12, 5 décembre.

    70 Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), idem.

    71 Caseau Y., Soudoplatoff S. (2016), La blockchain ou la confiance distribuée, Fondation pour l'innovation politique, juin.

    72 Bloch, P. (2016), DAO et théorie de l'agence, Les Echos, 31 mai.

    45

    gouvernance ne cadrerait plus avec la théorie de l'agence développée par Jensen, Meckling et Fama comme détaillée auparavant.

    Il n'existe pas de cadre juridique actuellement, mais cela devrait changer si les DAO se développent.

    On rencontre dans ce cadre, des projets tels que l' « Universal Sharing Network », une combinaison d'objets intelligents et d'applications rendant possible la location, la vente ou le partage d'objets connectés.

    2.6.2 Les apports de la DAO et des smart contracts

    Une des innovations majeures de la Blockchain est de créer la confiance sans passer par un intermédiaire. Ces dernières années ont vu se développer des plates-formes numériques qui mettent en relation clients et fournisseurs de services. Certaines ont connu un développement spectaculaire qui a abouti à des quasi-monopoles ou au minimum à détenir une part prépondérante sur leur marché. On peut citer Airbnb pour la location de courte durée d'appartement ou de chambre, Uber pour les VTC (voiture de transport avec chauffeur), Booking pour les réservations d'hôtel ou Blablacar pour le partage de véhicule. Or leur position dominante a permis à ces entreprises d'imposer leurs conditions que ce soit en termes de conditions de travail pour les VTC ou de commissions prélevées comme le montre le tableau ci-dessous73, mais également de les modifier à leur guise.

    73 Blockchain France (2016), la Blockchain décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire Netexplo, mai.

    46

    C'est dans ce contexte que des projets se développent dans les domaines du transport (Arcade City ou Mobtiq), du logement (Slock.it) ou de la vente de biens (OpenBazaar). Ils s'appuient sur la Blockchain, des smart contracts et des relations directes entre clients et fournisseurs de services ou vendeurs de biens avec des coûts de transaction attractifs. Mobtiq envisagerait la formation d'une DAO où les membres de la communauté seraient collectivement propriétaires de voitures autonomes.

    Dans le domaine de l'assurance74, il est envisagé de constituer des DAO qui fonctionneraient avec un mode collaboratif qui n'est pas sans rappeler le fonctionnement des mutuelles à leur origine avec la perspective d'une réduction radicale des frais de structure.

    Ces différents projets en développement montrent le potentiel bouleversement de la gouvernance d'entreprise et de l'économie que pourrait entraîner l'utilisation massive de la Blockchain et des smart contracts. Mais quel est le positionnement des grands acteurs de l'économie actuelle ?

    2.7 L'étude Deloitte : état des lieux sur la vision que les entreprises portent à la Blockchain

    Les potentialités offertes par la Blockchain dépassent largement le seul domaine des crypto-monnaies. D'un modèle initialement conçu contre les institutions notamment financières, celui-ci est en cours de réappropriation par les grands groupes notamment financiers.

    Ne pouvant mener nous même une analyse sectorielle exhaustive, nous nous sommes tournés vers des données secondaires issues d'études menées par des grands cabinets d'étude et d'audit.

    Nous avons retenu une qui confirme cette implication accrue de la finance.

    Cette étude75 a été menée par Deloitte en collaboration avec l'EFMA (European Financial Management Association) dans sa publication « Blockchain : de la frénésie au prototype ». Les évolutions techniques récentes rendent possibles l'utilisation de blockchains pour des besoins spécifiques comme par exemple des segments métiers, des classes d'actifs, avec une

    74 Blockchain France (2016), la Blockchain décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire Netexplo, mai.

    75 Deloitte (2016), Out of the blocks - Blockchain : de la frénésie au prototype, Deloitte Conseil & EFMA, juillet.

    47

    gestion des droits particulière. C'est sur ce nouveau marché émergent que Deloitte entend se positionner.

    2.7.1 Le positionnement de l'industrie financière vis à vis de la Blockchain

    Cette enquête a été menée en 2016 auprès d'un large échantillon de 3000 personnes travaillant dans l'industrie financière pour analyser l'intérêt et l'impact potentiel de la Blockchain sur leur métier.

    Quel est alors le positionnement des entreprises : 92% estiment que leur métier va s'en trouver modifier dont 85% d'ici 2020, mais seuls 15% y voit une menace. Elles voient la Blockchain comme un moyen de réduire les coûts, de gagner en efficacité et d'être un facteur de développement, de créer de nouveaux business y compris sous la forme de start-up. Il faut noter qu'une part non négligeable, mais minoritaire (26%), a pour motivation la peur de la concurrence et de rater le train d'une innovation majeure.

    Cependant au moment de l'étude, 28% n'avaient commencé aucuns travaux, le reste étant en phase d'apprentissage ou de collaboration avec d'autres groupes ou start-up. Les principaux freins sont l'absence de responsable technique et les incertitudes sur la réglementation (49%), ce qui confirme qu'il s'agit d'un enjeu majeur dans le domaine financier. En revanche, les craintes à propos des performances, de la sécurité ou de la viabilité de la technologie sont très faibles (9% cumulés) ce qui est un point très positif pour la Blockchain. Elle a en quelque sorte conquis les esprits. Cela est confirmé par la demande pour des formations et le développement de prototypes qui expriment le besoin de comprendre et maîtriser cette technologie. C'est évidemment l'intérêt de Deloitte car cela fait partie de son offre, mais les pourcentages positifs sont suffisamment élevés pour être significatifs et peu biaisés. Ce qui caractérise l'année 2016 est donc la mise en oeuvre de prototypes.

    L'autre aspect souligné par Deloitte est que l'industrie financière est convaincue des enjeux que représente la Blockchain, mais elle la considère plus pour son potentiel à améliorer et développer l'existant (les transferts internationaux de monnaie en particulier) que comme une technologie « disruptive » source d'innovations majeures pour leur métier. Comme l'avait exprimé prosaïquement un consultant en finance, la Blockchain est vue par la finance comme un moyen d'améliorer les performances de leurs chevaux plutôt que de créer leurs automobiles du futur. Cette lenteur d'adoption de la Blockchain par la finance sans doute liée

    48

    à une culture d'entreprise prudente et à travailler dans des cadres réglementaires bien définis pourrait laisser le champ libre à de nouveaux acteurs dont l'innovation est le moteur principal tels que les Fintech ou les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) dont certains ont d'ailleurs commencé à déposer auprès des autorités des demandes d'agrément en tant qu'établissements financiers. On a ainsi parlé d'instant « Kodak » quand cette entreprise leader mondial de la photographie argentique s'est retrouvée au bord de la faillite n'ayant pas compris à temps que la photographie basculait massivement et de manière irréversible vers le numérique.

    De plus, selon une étude réalisée par le cabinet Roland Berger76, les entreprises qui sont à la pointe en matière de numérique ont une croissance de l'ordre de 6 fois supérieure aux autres et selon le cabinet McKinsey77, le chiffre d'affaires généré par le numérique pourrait être de 1000 milliards d'€ d'ici 2025, si les infrastructures numériques étaient pleinement mises en oeuvre.

    Si les craintes sur la réglementation ou son absence actuelle sont un frein pour son développement, les autorités ont conscience que des règles trop restrictives seraient une menace pour l'avenir de cette innovation et pourraient constituer un désavantage compétitif. Il s'agit donc d'un enjeu très important qu'il faudra suivre de près.

    Pour des raisons de sécurité, l'industrie financière a l'habitude de travailler avec des environnements fermés. C'est probablement ce qui explique que seul 11% envisage de travailler en Blockchain publique et 18% en Blockchain bitcoin avec des applications supplémentaires. Cependant la moitié envisage de travailler avec des blockchains de consortium (semi-privée) ce qui montre qu'elles envisagent malgré tout de développer des échanges avec d'autres entités même s'il s'agit d'environnements bien encadrés et à ouverture très contrôlée. Il est probable qu'une plus grande ouverture sera progressivement acceptée avec la montée en maturité de la technologie. De plus, l'adoption d'un nouveau standard peut prendre jusqu'à 3 ans. Ainsi le consortium R3 compte 45 banques participantes, ce qui nécessite du temps pour aboutir à des accords entre ses membres. Dans ce type d'environnement, plusieurs risques peuvent se présenter : d'une part que le développement soit trop lent et finisse par décourager certains membres, d'autre part que les entreprises adhérentes se retrouvent liées à une plate-forme propriétaire limitant leurs possibilités

    76 Roland Berger Strategy Consultants (2014), Du rattrapage à la transformation - L'aventure numérique, une chance pour la France, Septembre.

    77 McKinsey France (2014), Accélérer la mutation numérique des entreprises - un gisement de croissance et de compétitivité pour la France, McKinsey&Company, septembre.

    49

    d'évolution et d'adaptation à leurs besoins propres. En revanche, cela peut faciliter la compréhension de la technologie et permettre d'acquérir une compétence plus complète et plus rapide grâce à la diversité des contacts et des expériences possibles, les problématiques rencontrées par ces différentes sociétés étant proches car elles exercent les mêmes métiers. Il est significatif que d'autres consortiums entre acteurs bancaires, assureurs et financiers se soient créés en Grande-Bretagne ou en France pour explorer le potentiel de la Blockchain.

    Deloitte s'est intéressé aux différentes expérimentations en cours au moment de l'enquête. Il faut noter qu'elles concernent principalement des applications existantes nécessitant d'être optimisées, le métier et la réglementation s'étant complexifiés avec le temps. Le but est de montrer concrètement les gains en termes de coût et d'efficacité que peut apporter la Blockchain. Il s'agit de montrer aux directions générales l'intérêt stratégique qu'il y a à investir dans cette technologie. Cette complexification du métier ainsi que la multiplication des intermédiaires ont non seulement un coût financier, mais également une augmentation des délais d'exécution des opérations qui pourraient être fortement optimisés en opérant de pair à pair de manière transparente avec l'exécution automatique de contrats et la sécurisation et la traçabilité qu'apporte la Blockchain. Cela concerne en particulier les opérations de distribution et de règlement des valeurs mobilières ainsi que les actions en back-office, de lutte anti-blanchiment ou de relation client. Ainsi le Nasdaq pour les valeurs mobilières et la Bank of Ireland pour la traçabilité de transaction dans le cadre de la réglementation européenne MiFID II, ont réalisé avec succès des plates-formes compatibles avec l'existant.

    Mais il existe une autre tendance, minoritaire pour l'instant, qui consiste à faire de la recherche, à expérimenter de nouvelles solutions pour ensuite déterminer si elles répondront à un besoin existant ou si elles ouvriront la voie à un nouveau business.

    2.7.2 Une étude de cas : la banque KBC

    En complément, Deloitte a choisi comme étude de cas la stratégie du bancassureur belge KBC qui a opté pour une stratégie intermédiaire. Elle consiste à évaluer de nouvelles solutions dont une doit être basée sur la Blockchain pour répondre à un besoin du marché financier. Le but n'est pas de développer systématiquement sur la Blockchain, mais seulement quand elle apporte un bénéfice supplémentaire par rapport aux techniques traditionnelles (bases de données, transactionnel, ...). Cela a été le cas pour des projets sur les marchés de capitaux,

    50

    pour des opérations bancaires courantes et sur une plate-forme de Financement Participatif « Bolero ». Celle-ci utilise des smart contracts pour le transfert automatique de propriétés des titres et le versement automatique de dividendes quand les conditions sont réunies. Elle évite par exemple de vérifier que toutes les informations nécessaires sont à jour ou d'effectuer des versements individuels. KBC explique qu'il aurait été possible de développer des solutions combinant plusieurs autres techniques, mais que la Blockchain avait permis des gains conséquents et une optimisation significative des processus. La banque a impliqué des clients et des entrepreneurs dans l'expérimentation pour améliorer la solution, mais également les régulateurs belges pour les sensibiliser aux spécificités et aux possibilités de cette technologie en prévision des futurs textes législatifs qui devraient encadrer ces évolutions pour garantir la confiance dans la finance sans étouffer ces innovations.

    Le potentiel de cette technologie pour les entreprises se confirme, comme le montre cette étude de 2016 dans le secteur des services financiers. Il devrait également s'exprimer dans d'autres secteurs comme va le montrer notre étude de cas.

    2.8 Les limites et les perspectives de développement de la Blockchain

    Cette technologie, comme toute innovation, est confrontée à de nombreux défis qui vont demander des réponses.

    Parmi ces défis, citons la consommation de puissance informatique et électrique et l'augmentation des coûts qui va de pair, la durée et la variabilité des délais de validation des blocs qui croissent avec la taille des chaînes, le pouvoir donné aux codeurs en particulier pour la rédaction des smart contracts, le maintien de la confiance quand le nombre de participants s'accroît, les incertitudes sur les régulations à venir, la modification dans le mécanisme des prises de décisions, la place des tiers de confiance à réinventer.

    Les recherches en cours et les montants investis fourniront sans doute des réponses à court et moyen terme à certaines de ces limites.

    51

    On peut citer de nouveaux mécanismes de validation des blocs comme le passage progressif de la preuve de travail à la preuve par l'enjeu78 qui pourrait fortement diminuer les besoins en puissance informatique et électrique.

    De nombreuses autres pistes sont envisagées :

    Ainsi, les transactions pourraient n'être validées que par des sous-ensembles de noeuds avec la technique de Blockchain fragmentée ou sharding79.

    Dans le projet Lightning Network, des sous-groupes de participants appelés canaux de paiement, enregistrés au préalable dans la blockchain, effectueraient des transactions entre eux dans ces canaux sécurisés hors de la chaîne et n'en soumettraient que le solde final à l'ensemble de la Blockchain.

    Sinon, des chaînes latérales (sidechains) avec un niveau de sécurité moindre et donc plus rapide pourraient traiter certains types de transactions, inférieures à un certain montant par exemple. Enfin, Un projet Polkadot propose d'interconnecter plusieurs blockchains.

    D'autres envisagent de passer de la simple chaîne de blocs vers des graphes orientés acycliques dans lesquels on ne peut passer 2 fois par le même objet et qui offrent a priori un plus grand potentiel qu'une chaîne en termes de taille et de rapidité de validation. Des projets tels que Byteball (paiements conditionnels) ou Iota (communication et paiements sécurisés dans l'Internet des Objets) les mettent en oeuvre.

    Source : https://steemit.com/cryptocurrency/@jimmco/byteball-vs-iota-battle-of-two-dag-cryptocurrencies

    De leur côté, les tiers de confiance verront sans doute une importante évolution de leur rôle et de leurs compétences qui devront être aussi bien juridiques que technologiques pour valider la recevabilité des preuves de transaction, gérer les contestations qui ne disparaitront pas complètement, et assurer la qualification juridique des smart contracts80 ou des ICO81.

    78 Blockchain France (2016), la Blockchain décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire Netexplo, mai.

    79 BCG (2017), Livre blanc - la Blockchain pour les entreprises - Soyez curieux ! Comprendre et expérimenter, the Boston Consulting Group & MEDEF.

    80 Agosti, P. et al. (2017), Blockchain : quelles perspectives après la réglementation ?, Groupe de travail Blockchain de la FNTC (Fédération nationale des Tiers de Confiance).

    52

    LES HYPOTHESES RETENUES

    A partir des éléments présentés, nous souhaitions vérifier les hypothèses suivantes :

    l La mise en place et les frais de fonctionnement d'une blockchain représentent-ils un investissement trop important pour une entreprise, réduisant ainsi les opportunités individuelles en les obligeant à se regrouper ? De nouveaux acteurs suffisamment puissants profiteront-ils de cette opportunité pour offrir de nouveaux services à des coûts attractifs ? Enfin, est-ce que le coût énergétique élevé de la validation des transactions sera un frein à son déploiement ?

    l Quelles sont les attentes des entreprises qui s'intéressent à la blockchain ? La recherche d'une meilleure sécurisation des transactions est-elle l'unique apport de la blockchain ? La diminution des interventions des tiers de confiance réduira-t-elle suffisamment les coûts et les délais de traitement des échanges pour motiver la poursuite des expérimentations ? Les smart contracts tiendront-ils leur promesse en impactant les coûts de transaction, en réduisant entre autres les frais et les incertitudes induits par les recours contentieux ?

    Nous souhaitons ainsi explorer les raisons qui incitent les entreprises à investir dans la blockchain et à envisager de modifier leur organisation et leur mode de fonctionnement.

    81 Heuvrard, F. (2018), la blockchain et le CAC (commissaire aux comptes), RF Comptable, n° 456, janvier.

    53

    3 Méthode de recherche et terrain : mise en place d'une blockchain à la SNCF

    A ce stade de nos réflexions, grâce à l'analyse des théories économiques et de la littérature relatives à notre thème nous disposions d'outils qui nous permettaient d'étudier un cas pratique. Nous nous orientons désormais vers la recherche d'une entreprise ayant mis en oeuvre la technologie blockchain. Cet exemple d'utilisation nous permettra de collecter des données primaires.

    3.1 Méthode de recherche

    3.1.1 La phase d'exploration de notre objet de recherche et de notre problématique

    Notre problématique s'est construite progressivement par une revue de littérature initialement orientée sur l'interrogation suivante : le Bitcoin dans la finance d'entreprise : intérêt, enjeu, opportunités.

    Afin de mieux cerner le sujet qui était nouveau pour nous, nous avons débuté cette revue par une démarche exploratoire en consultant deux sources d'informations différentes :

    · Tout d'abord, nous avons effectué une recherche d'articles académiques qui analysaient le sujet du Bitcoin sous les angles techniques (informatique, sécurité), bancaires, monétaires, finance d'entreprise ou juridiques. Le recul sur ce sujet étant encore limité lors de cette revue, la littérature académique était relativement peu abondante, mais elle commençait à monter en puissance avec l'intérêt grandissant pour ce sujet. Devant la diversité des thèmes développés, nous avons entrepris de faire des choix tout en conservant l'idée d'approches variées.

    Nous avons écarté les études liées au domaine juridique et à la vie privée qui sont des enjeux importants, mais n'entrant pas dans le périmètre de notre master et que notre tuteur souhaitait voit traiter par un autre groupe de recherche. De même nous n'avons pas intégré les études liées au système monétaire dont la thématique ne cadrait pas avec le champ d'application de notre formation.

    54

    Enfin, bien que la thématique de la sécurité soit un élément essentiel du fonctionnement de la Blockchain, nous ne ferons que l'évoquer. Son rôle dans cette technologie mérite de faire l'objet d'un mémoire uniquement consacré à ce thème.

    En conclusion, ce sont les interactions entre les institutions financières et de l'entreprise qui nous ont intéressé.

    · En complément, nous avons recueilli des articles de la presse professionnelle, financière, informatique, des livres et nous avons consulté des sites Web spécialisés.

    Nous avons observé dans ce domaine un flux très important de publications, ces sujets intéressent visiblement de plus en plus des secteurs aussi divers que la presse, les entreprises, les organismes financiers, les banques centrales et les Etats et autres organismes de régulation ou d'intermédiation souhaitant comprendre ce que recouvrait ce nouveau phénomène.

    Ceci nous a permis de dégager de grandes tendances et de voir émerger certains sujets plus originaux et plus intéressants à long terme tels que la Blockchain et ses impacts sur les entreprises et les tiers de confiance que ceux qui étaient les plus médiatiques et s'intéressaient aux bulles spéculatives sur les crypto-monnaies, les ICO (Initial Coin Offering (méthode de levée de fonds, fonctionnant via l'émission d'actifs numériques échangeables contre des crypto-monnaies), le recyclage d'argent sale ou l'évasion fiscale.

    Ces deux sources de données complémentaires nous ont permis de dégager les axes majeurs devant constituer notre objet de recherche et notre problématique.

    3.1.2 L'approche de recherche déductive

    S'est alors posée la question de l'approche à adopter pour définir notre sujet à partir d'une revue de littérature aussi ouverte.

    Une approche bottom-up ou inductive aurait consistée à l'aborder en commençant par une recherche empirique large nécessitant de récolter une grande quantité de données de terrain. Il aurait ensuite fallu en dégager des pistes de réflexion nous conduisant à des cadres théoriques qui seraient au moins partiellement remis en cause par l'observation du terrain.

    55

    Cette démarche présentait l'inconvénient d'être chronophage pour une récolte significative de données qui sont par nature plus difficiles à trouver sur un sujet émergent. A cela s'ajoute le risque que ces données ne soient pas suffisamment cohérentes pour valider la mise à l'épreuve de ces cadres théoriques.

    Sur recommandation de notre tuteur, cette démarche a été écartée au profit d'une approche top-down ou déductive consistant à partir des articles académiques de notre revue qui nous offrait un large spectre des réflexions en cours sur la Blockchain.

    Le but était de nous appuyer sur des propositions théoriques pour ensuite passer à une vérification sur des cas particuliers pour ensuite revenir sur ces représentations théoriques et voir en quoi elles pourraient demander des évolutions face à un nouvelle réalité (Huberman et Miles82, 1991 ; Collerette83, 1995).

    Nous avons choisi certains cadres conceptuels d'analyse des réalités économiques des entreprises qui nous paraissaient plus pertinents pour travailler dans un cadre bien délimité et maîtrisable.

    C'est ainsi que nous avons écarté les réflexions sur le secteur bancaire et financier pourtant fréquemment citées dans la littérature, mais dont le cadre réglementaire s'avère particulièrement dense et de plus en plus complexe et contraignant, en particulier depuis la crise financière de 2007/2008.

    D'autres objets de réflexion ressortaient régulièrement telles que la réduction des coûts pour les entreprises, la remise en cause de l'intermédiation, une nouvelle gestion des contrats et enfin les innovations technologiques.

    Nous avons alors décidé de nous intéresser aux transformations et aux bénéfices que pouvait apporter la Blockchain aux entreprises sans nous restreindre au départ à un secteur particulier. Garder un champ initial suffisamment large préservait nos chances de trouver un terrain pratique ce qui restait une de nos préoccupations principales.

    Plus précisément et en phase avec notre formation, nous nous sommes focalisés sur les enjeux financiers qui pouvaient être impactés par la Blockchain, en particulier ceux liés aux contrats et aux intermédiaires (tiers de confiance) tels que développés par la théorie de l'agence

    82 Huberman A.M., Miles M.B. (1991), Analyse des données qualitatives, Bruxelles, Editions du renouveau pédagogique.

    83 Collerette, P. (1995), Les enjeux communicationnels de la gestion d`un changement dans une organisation, Thèse de doctorat, Montpellier, Université Paul Valéry.

    56

    (Michael C. Jensen et William H. Meckling84) et la théorie des coûts de transaction et de la firme (R. Coase, O.E. Williamson85).

    Une fois ces hypothèses théoriques choisies, il fallait les mettre à l'épreuve de manière empirique c'est-à-dire en vérifiant par l'observation du phénomène blockchain si nos cadres théoriques pourraient se trouver concernés.

    Une des techniques pouvant être utilisée pour cette approche empirique est l'étude de cas. L'étude de cas au sens de technique de recherche (et non d'outil pédagogique de formation) est « une enquête empirique qui étudie un phénomène contemporain dans son contexte de la vie réelle » pour reprendre la définition de R. K. Yin86 (1984) l'un des auteurs les plus fréquemment cité à propos de cette méthode.

    Le cas sert entre autres à tester des théories, à éprouver des hypothèses, explorer ou réfuter (Joan le Goff, vertus problématiques de l'étude de cas, 2002).

    L'étude de cas peut faire appel à différentes méthodes telles que l'observation, l'entretien semi-directif ou des techniques d'analyse du contenu (Hamel87, 1997).

    Il s'agit ensuite d'analyser le cas pour découvrir comment se manifestent et évoluent les phénomènes auxquels nous nous intéressons et en extraire des conclusions pouvant enrichir ou nuancer l'univers des connaissances et des théories (Collerette88, 1997 ; Stake89, 1994).

    Pour conclure sur l'étude de cas, elle présente selon Isabelle Quentin90 (2012) l'avantage d'être flexible car elle permet de commencer par de larges questions (l'utilisation de la Blockchain en entreprise), puis de se focaliser sur des points particuliers (les gains financiers, la réduction des coûts de transaction, le rôle des tiers de confiance).

    Elle présente cependant certaines limites, dont il faut être conscient, telle que la subjectivité de l'interprétation des données qui peut rendre difficile la généralisation des résultats.

    84 Jensen M.C., Meckling W.H. (1976), Theory of the Firm, Managerial Behavior, Agency costs Ownership structure, Journal of Financial Economics, Vol. 3, 345-360.

    85 Williamson, O.E. (1975), Markets and Hierarchies : Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press

    86 Yin, R.K. (1984), Case study research, design and method, London. Sage publications.

    87 Hamel, J. (1997), Etude de cas et sciences sociales, Paris, L'Harmattan.

    88 Collerette, P. (1997), L'étude de cas au service de la recherche, Recherche en soins infirmiers, n° 50, septembre.

    89 Stake, R.E. (1994), Case Study - Handbook of Qualitative Research, London, Sage Publications. Chap. 14.

    90 Quentin, I. (2012), Méthodologie et méthodes de l'étude de cas, consulté le 6 novembre 2017.

    57

    3.1.3 La collecte des données primaires

    Nous devions donc choisir une méthode pour récolter des données primaires (celles que nous pourrions établir nous-mêmes) nécessaires à cette mise en lumière de notre problématique.

    Pour nous guider dans nos choix, nous nous sommes appuyés sur les livres d'Usunier91 et de Thiétart92 décrivant les différentes méthodes de recherche en gestion.

    En alternative, se présentait, l'approche quantitative que ce soit par questionnaire ou observation systématique. Nous l'avons écarté car le recueil d'une masse importante de données sur un sujet aussi récent et dans notre contexte de travail n'était pas réaliste. Sans compter que le taux de réponses aux questionnaires sur support (papier ou numérique) est généralement faible. On peut ajouter que les questionnaires sont par nature fermés ce qui aurait pu nous priver d'informations intéressantes. Le degré d'incertitude est élevé quant à la qualité de la personne qui a réellement répondu au questionnaire.

    Nous avons donc adopté une approche qualitative basée sur une étude de cas.

    Nous avons choisi de faire une étude de cas de type instrumentale au sens de Stake (1994), c'est-à-dire qui traite d'une situation qui comporte un grand nombre de traits typiques par rapport à l'objet de notre étude.

    Celle-ci devait porter sur une expérience en cours ou aboutie de mise en oeuvre d'une blockchain afin d'avoir un retour d'expérience concret sur les méthodes utilisées, les difficultés rencontrées, les solutions apportées et les retours économiques, financiers et organisationnels attendus et observés. Ce sera l'occasion de mesurer sur un ou plusieurs cas précis, le chemin qui va mener du concept à la mise en oeuvre réelle et à la tenue des objectifs.

    Avec cette approche qualitative, les deux principaux modes de collecte sont l'observation et l'entretien. Il nous était difficile d'avoir une démarche d'observation qu'elle soit participante ou non car il n'y avait pas de projet Blockchain dans les entreprises proches et de notre connaissance. Le contexte le plus favorable aurait été de trouver une entreprise avec une mise en oeuvre opérationnelle de Blockchain qui de plus nous aurait intégré même de manière intermittente, ce qui en la circonstance paraissait trop aléatoire.

    91 Usunier J.C., Easterby-Smith M., Thorpe R. (2000), Introduction à la recherche en gestion, Economica, 272 p.

    92 Thiétart, R.A. et al. (2014), Méthodes de recherche en management, 4ème éd. Paris, Dunod, 647 p.

    58

    Nous avons donc choisi de mener des entretiens en direct, de préférence individuels car les entretiens de groupe sont plus complexes à mener pour collecter des données pertinentes à cause des réticences éventuelles des participants à s'exprimer, des possibles enjeux de pouvoir ou d'interférences hiérarchiques que nous ne connaitrions pas.

    Dans la perspective d'entretiens individuels, nous avons écarté les entretiens directifs qui relèvent plus du questionnaire et donc du quantitatif et supposent d'avoir des idées déjà bien arrêtées sur un sujet alors que nous n'étions qu'en phase de découverte.

    A l'opposé, une attitude non-directive, présentait le risque de voir les entretiens s'écarter de notre cible en fonction des centres d'intérêts de notre interlocuteur ou des sujets qu'il aurait préféré éviter.

    Nous nous sommes donc orientés vers des entretiens semi-directifs ou centrés pour lesquels nous avons choisi un certain nombre de thèmes précis à aborder lors des interviews tout en laissant à notre sujet la possibilité de construire son discours quitte à le relancer ou à le réorienter pour revenir à nos thèmes.

    L'intérêt de cette démarche c'est qu'en laissant une relative liberté à notre interlocuteur, il pouvait nous faire découvrir des aspects inédits ou de nouvelles pistes de développement pour notre objet de recherche.

    Au final, cette démarche visait avant tout à présenter des expériences de mise en oeuvre de solutions ancrées sur la Blockchain en se focalisant sur les gains financiers espérés et éventuellement réalisés par des entreprises. Nous voulions montrer comment ces gains ont été obtenus par une diminution des coûts de transaction, le non-recours à des tiers de confiance ou un changement organisationnel remettant en cause les rapports principal-agent.

    Il s'agit d'une première approche cherchant à démontrer l'intérêt de la Blockchain vis à vis des cadres théoriques que nous avons choisis.

    Nous sommes conscients des limites de notre méthode reposant sur l'étude d'un nombre restreint de cas qui ne permet pas de généraliser nos observations. Celle-ci ne pourra se faire que par l'accumulation d'autres entretiens qui seront plus aisés à mener au fur et à mesure de la multiplication des projets réalisés sur la Blockchain.

    59

    3.1.4 La collecte des données secondaires

    Pour élargir les perspectives ouvertes par les données collectées lors de notre étude, nous avons décidé de nous tourner vers des enquêtes réalisées par des cabinets d'études et de conseil impliqués dans la mutation numérique des entreprises tel que Deloitte.

    Ce cabinet présente l'avantage de disposer des moyens pour rédiger et soumettre des questionnaires à de larges échantillons probabilistes d'entreprises, ce qui assure une représentativité nécessaire à la qualité des résultats obtenus, et avec une garantie quant aux méthodes appliquées à l'analyse des données. Ce qui représente donc une source intéressante d'études quantitatives complémentaires telles que les analyses sectorielles.

    3.2 Terrain et collecte de données

    Notre méthode de recherche étant définie, nous vous présentons dans un premier temps les différentes étapes qui nous ont permis de cibler et de trouver notre terrain de recherche puis, dans un second temps, le processus que nous avons suivi pour collecter la matière nécessaire pour mener à bien notre réflexion.

    3.2.1 La recherche de terrain

    Notre première contrainte, compte tenu de l'émergence du sujet a été de trouver une entreprise expérimentant la Blockchain et touchant à un domaine intéressant un public significatif.

    Nos recherches pour trouver l'organisme ou l'entreprise qui se sont investis dans la technologie Blockchain se sont effectuées grâce aux informations disponibles sur le site « Blockchain France ». En effet ce portail internet nous a servi de point d'entrée initiale pour avoir une vue d'ensemble des décideurs qui manifestaient un intérêt voir s'engageaient dans l'aventure Blockchain.

    60

    Rappelons que depuis 2015, cette entité est le leader du conseil et de l'accompagnement pour les entreprises sur la technologie Blockchain. Elle guide les organismes dans la découverte, l'exploration et le déploiement de cette technologie.

    En accord avec notre tuteur nous avons souhaité cibler notre étude sur une entreprise n'appartenant pas au secteur bancaire. En effet ces activités reposent sur des particularités qui auraient nécessité de faire référence à des théories monétaires qui n'entraient pas dans le cadre de notre formation. Le secteur financier est de plus le secteur le plus présent dans le domaine de la recherche, comme dans les médias, et il semblait plus intéressant et pertinent d'étudier les enjeux de la Blockchain dans les domaines moins explorés.

    Nous avons écarté également les entreprises encore en phase de réflexion ou dont les projets n'apportaient pas suffisamment d'éléments pour l'analyse de nos hypothèses.

    Par exemple : Air France KLM évalue actuellement le potentiel de la blockchain pour la gestion des pièces de rechange sur les avions en service. Et l'industrie musicale s'est engagée dans une réflexion sur l'automatisation et la personnalisation de la gestion des droits d'auteurs.

    Enfin, pour disposer d'une meilleure qualité d'échange, nous avons souhaité nous concentrer sur les entreprises françaises.

    3.2.2 Le projet choisi

    Notre attention a été retenue par l'expérience menée à la SNCF, entreprise présente sur l'ensemble du territoire, porteuse d'une image de dynamisme et de modernité dans un secteur, celui des transports, vital pour l'économie. L'Epic (Etablissement public industriel et commercial) « SNCF mobilité » - Gares & connexions au travers de sa filiale AREP venait d'expérimenter l'utilisation d'une blockchain pour la gestion des déchets de la gare de Massy TGV.

    61

    Source : Rapport annuel d'activité

    Ce qui rend également intéressant ce projet est qu'il apporte une réponse très novatrice, pour l'instant à un niveau local, en appliquant la technologie Blockchain à la gestion du tri et de ramassage des déchets dans la gare de Massy TGV, à un problème majeur à l'échelon mondial.

    Le développement de notre civilisation de consommation a engendré une production croissante de déchets de toute nature. Dès 1970 les interrogations et les contestations du modèle consumériste deviennent prégnantes ; la notion de tri et la prise de conscience de la nécessité du recyclage pour lutter contre la surconsommation des ressources naturelles apparaissent. Les dispositions de la loi du 13 juillet 1992 sur l'élimination des déchets, donnent un cadre juridique à ces pratiques. En effet, en triant de façon rigoureuse, nous réalisons des économies de matières premières (toutes les matières recyclées n'ont plus besoin d'être créées) et d'énergie (le recyclage nécessite moins d'énergie que la fabrication de ces matières).

    De plus, la généralisation de ces technologies intéressera la totalité des entreprises, toutes productrices de déchets. Ces réflexions vont dans le sens des travaux à l'ordre du jour, en 2016, de la COP 21 qui s'est tenue à Paris. En 2017, lors de la COP 23 à Bonn, dans le cadre de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique, les Etats sont tous à la recherche de

    62

    toute innovation permettant de compenser l'empreinte carbone. Le tri et le recyclage des déchets ne sont plus uniquement considérés comme un problème environnemental mais aussi comme un enjeu majeur de gains de productivité pour les partenaires économiques.

    3.2.3 La prise de contact

    A partir d'une première recherche effectuée sur « Blockchain France », nous avons poursuivi notre quête de terrain en utilisant les mots clés suivants dans un moteur de recherche « SNCF » et « Blockchain » ce qui nous a permis de trouver les coordonnées d'un contact pour réaliser notre première interview.

    Nous avons trouvé le service et identifié le chef du projet : Etienne Burdet au sein de « SNCF mobilité » - Gares & connexions au travers de sa filiale AREP.

    Créé en 1997 au sein du groupe SNCF, AREP est un bureau d'étude pluridisciplinaire composé de 900 personnes ayant pour vocation la conception et l'adaptation des espaces fréquentés par le public (chiffre d'affaires 2015 : 60 millions d'euros) en France et à l'étranger. AREP peut ainsi être sollicité par la SNCF pour améliorer la qualité d'accueil des gares. Ses activités ne se limitent pas à l'environnement ferroviaire, à titre d'exemple, elle mène actuellement une étude sur l'aménagement du port maritime de Marseille.

    Un premier contact a été établi par un échange de mails. Nous avons exposé le cadre de notre projet de recherche et l'objet de notre étude afin de nous assurer de la compatibilité entre le projet mené par AREP et nos attentes. Cette condition préalable ayant été remplie, un rendezvous a été fixé au 3 juillet 2017 ; pendant cette période estivale, notre correspondant avait plus de temps à nous consacrer.

    Un second interlocuteur nous a été suggéré par M. Burdet qui nous a appris que la SNCF avait fait appel à la start-up KEEEX pour développer une solution blockchain dans le domaine de la traçabilité de documents de références liés aux travaux sur les voies ferrées et sur la simplification de processus d'exploitation. Nous avons suivi la même démarche pour trouver les coordonnées d'un correspondant. Nous avons pris rendez-vous pour un entretien téléphonique le 2 août 2017 avec Laurent Henocque, fondateur et CEO.

    KEEEX est une start-up créée en 2014, elle développe pour ses clients des solutions numériques utilisant notamment la blockchain. Ainsi, elle a lancé la première application « photo proof » permettant de certifier l'intégrité et l'authenticité d'une photo en intégrant au cliché des informations de géolocalisation et un horodatage. Ce processus permet d'avoir la

    63

    certitude que le document est bien l'original non modifié. Une fois horodaté, cette information est ajoutée à un bloc en préparation. Une fois ce bloc rempli (1 Mo dans le cas du bitcoin standard), il est ajouté à une Blockchain Bitcoin permettant d'enregistrer l'existence du fichier. Cette procédure permet de réduire le coût de transaction en mutualisant plusieurs opérations dans un seul bloc, car c'est la validation du bloc qui est facturée.

    3.2.4 La préparation des entretiens

    Nous connaissons désormais l'entreprise et nos interlocuteurs. En amont des rencontres, nous avons conçu un guide d'entretien. Il devait nous permettre de confronter nos hypothèses de travail aux expériences engagées sur le terrain.

    L'enquête par entretien nous est apparue comme étant le processus le plus pertinent, en effet il est de par sa nature une démarche exploratoire. A. Blanchet et A. Gotman93 le présentent de la manière suivante : « L'entretien s'impose chaque fois que l'on ignore le monde de référence, ou que l'on ne veut pas décider a priori du système de cohérence interne des informations recherchées ».

    Afin que nous puissions garder un point de vue objectif, notre méthode d'interview a laissé une grande liberté de parole à nos interlocuteurs.

    Parallèlement nous avons retenu quatre thèmes qui servent à structurer notre démarche : les motivations, la mise en place de la Blockchain, les changements de fonctionnements, les perspectives envisagées ; ce qui nous a également conduit à préférer des entretiens semi-directifs. Ils sont caractérisés de la sorte car les questions posées ne sont ni entièrement ouvertes, ni entièrement fermées. Ils conviennent parfaitement au chercheur qui dispose d'une trame d'entretien et de thèmes suffisamment larges pour que l'interviewé puisse librement s'exprimer et choisir les sujets qu'il souhaite mettre en avant. Le chercheur essaie simplement de recentrer l'entretien sur les thèmes qu'il a prédéterminé. Nous avions bien sûr une logique de déroulement de nos entretiens, mais nos interventions devaient rester souples. Nous pouvions ainsi mieux adapter nos questions à chaque réponse de nos interlocuteurs. Notre attitude toujours réceptive favorisait un lien entre les réponses apportées et les thèmes initialement prévus.

    93 Blanchet A., Gotman A. (2006), L'enquête et ses méthodes, L'entretien, Armand Colin, coll. 128, Paris, 40.

    64

    Ainsi, il a été plus facile de comprendre la dynamique, les particularités du contexte pour mener à bien notre collecte de données.

    3.2.5 La réalisation des entretiens

    Pour le premier entretien, nous avons rencontré M. Etienne Burdet, chef de projet SmartCity, chez AREP - filiale de Gares & Connexion dans un restaurant proche de son bureau à Paris. Notre interview a duré une heure et demie.

    Avant de débuter, nous avons demandé l'autorisation d'enregistrer les échanges dans le but de mieux écouter le récit, de réagir à bon escient et donc de partager des échanges plus riches. Nous avons pu faire des allers retours entre l'application et notre questionnement issu de notre revue de littérature. Si ce 1er entretien a eu lieu en face à face, le second, compte tenu de l'implantation de la start-up KEEEX à Marseille s'est déroulé par téléphone pendant une heure.

    Sa teneur a été également différente : M. Burdet nous a expliqué le déroulement d'une expérience concrète (collecte de déchets sur le site de la gare de Massy TGV). Quant à M. Henocque, fondateur et CEO de KEEEX, il nous a expliqué les solutions trans-entreprises qu'il a créées à partir de la technologie Blockchain dans le domaine de la traçabilité de documents.

    Autant le premier entretien reposait sur une application concrète dans un cadre précis de l'utilisation d'une blockchain, le second lui a été beaucoup plus théorique et a détaillé les mécanismes qui amènent ou pas à développer une blockchain. Toutefois ce deuxième entretien nous a permis de conforter nos hypothèses de travail et de confirmer les éléments collectés lors du premier.

    L'entretien exploratoire tel que nous le percevions avant de commencer notre interview se voulait être un dialogue structuré sur la base des questions que nous avions préparées.

    Or, notre entretien s'est avéré correspondre à un échange où se mêlaient les épisodes du vécu professionnel et les réponses plus ciblées à partir de notre questionnement. Ce dialogue moins formel nous a permis d'élargir et de nourrir notre éventail de questions initiales sans nous détourner de nos objectifs.

    C'est ainsi qu'aux quatre grandes orientations rappelées ci-dessous :

    · Comment est née l'idée d'utiliser la blockchain ? A quel besoin répondait-elle ?

    · Comment a-t-elle été mise en place, avec quels moyens ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

    ·

    65

    Quels ont été les retours d'expérience sur les smart contracts ?

    · Les résultats constatés répondaient-ils aux attentes ? Quels ont été les impacts sur les processus et l'organisation ? Quelles sont les perspectives d'évolution et d'extension ? D'autres thèmes ont émergé :

    · Pourquoi choisir une blockchain publique ?

    · Comment la blockchain peut-elle fonctionner sans crypto monnaie ?

    · Comment les parties prenantes ont-elles réagi ?

    3.2.6 L'utilisation des entretiens

    Nous avons écouté à plusieurs reprises les enregistrements. Leur durée et leur densité a nécessité une transcription pour hiérarchiser et classer les données recueillies.

    Ce travail pourrait paraître fastidieux compte tenu de la durée de la retranscription (environ huit heures par enregistrement). De plus le restaurant pour le premier entretien s'est révélé assez bruyant, ce qui a parasité la clarté de l'enregistrement.

    Cependant, ce travail nous a été d'une grande aide pour clarifier et analyser les éléments clés de ces récits. Il est en effet plus aisé de traiter une information par thème lorsqu'elle est écrite. A partir des points essentiels nous avons pu ainsi organiser notre réflexion pour réaliser notre étude de cas.

    Nous avions de plus pu disposer de différents documents de travail sur l'élaboration de ce projet à la gare de Massy TGV.

    66

    4 Le cas pratique : d'un processus manuel et faillible à un système autonome et sécurisé

    Chaque jour, en France, ce sont 5 millions de voyageurs (rapport d'activité 2016 de la SNCF) qui utilisent les différents transports ferroviaires (TGV, TER, Intercités, RER...). Ces flux de personnes ont un impact sur l'environnement. Selon l'étude sur la fréquentation des grandes gares franciliennes réalisée en mars 2015, la gare de Paris Saint-Lazare (station accueillant le plus de trafic en France avec 359 200 voyageurs par jour) doit gérer 1 300 tonnes de déchets par an (soit le poids de 3 supertankers). D'une manière générale, la SNCF doit traiter 10 grammes de déchets par voyageur par jour. C'est pourquoi la gestion des déchets en gare est devenu un enjeu majeur.

    Source : la fréquentation des grandes gares franciliennes

    Comme toutes les entreprises productrices et détentrices de déchets, la SNCF doit s'adapter à la réglementation relative à la préservation de l'environnement et des ressources. Les déchets visés regroupent à la fois ceux produits par l'entreprise dans le cadre de son activité mais également ceux émanant de ses clients dans ses installations. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte encourage la lutte contre les gaspillages, la réduction des déchets à la source, leur tri et leur valorisation.

    Au début de l'année 2016, AREP (filiale de la SNCF Gares et connexions) a été missionné pour analyser et tester des scénarios de traitement des déchets à l'échelle de la gare de Massy

    67

    TGV. Cette gare, bien que modeste par son nombre de voyageurs annuel (un peu moins de deux millions et le volume de déchets à traiter : 17 tonnes ou 4 400 m3 soit l'équivalent d'une piscine olympique) reste significative par la diversité des déchets qu'elle doit gérer. La gare doit faire face au traitement d'une diversité des déchets répartie en trois types :

    y' La poubelle grise : déchets ordinaires ne faisant pas l'objet de tri ;

    y' La poubelle jaune : bouteilles en plastique, boites en carton, canettes ;

    y' La poubelle bleue : journaux et magazines.

    Il en résulte une complexité dans la gestion des contrats avec les prestataires (restaurant, boutique, personnel d'entretien et camion de ramassage). L'ampleur de la mission est réelle ; une vaste évaluation du fonctionnement des intervenants et de leurs interactions constituera le socle de l'étude. L'un des intérêts de ce travail consiste à analyser la méthode utilisée par AREP, qui a procédé par tests empiriques avant d'aboutir à l'appropriation d'une technologie émergente. L'enjeu à terme est aussi que les nouveaux procédés mis en place sur le site de la gare de Massy TGV serviront de référence soit à son déploiement soit par adaptabilité sur d'autres sites SNCF voire extérieurs.

    4.1 L'analyse de la situation initiale : constat par AREP de dysfonctionnements graves

    La première étape a consisté à examiner les maillons de la chaîne de la collecte des déchets, de leur tri et de leur enlèvement. Le traitement des déchets en gare de Massy TGV est préoccupant : tous les bacs, avec des contenus indifférenciés sont sortis tous les jours, sans vérification des jours ou des horaires et donc sans lien avec les tournées de ramassage.

    Les employés, en première ligne, susceptibles de rencontrer des difficultés ou de ne pas maîtriser le français et donc de ne pas comprendre les consignes ou de ne pas les appliquer, sortaient l'ensemble des bacs non triés dans le souci d'éviter toute sanction ou conflit. Les producteurs de déchets (usagers et commerçants) considéraient que les poubelles étaient vite pleines et pas assez rapidement sorties. De même le personnel en gare face à des poubelles pleines insistait auprès des employés en charge de l'évacuation des déchets pour qu'ils sortent les poubelles sans tenir compte ni de leur contenu ni du jour. Cet environnement mal contrôlé, notamment par le personnel de gare, laisse certainement une trop grande opportunité à l'agent

    68

    (la sortie des déchets peut servir de prétexte pour prendre une pause supplémentaire) pour privilégier son propre intérêt au détriment de celui de l'entreprise.

    Le résultat de cette désorganisation aboutit à ce que des poubelles pleines restées toute la journée aux abords de la gare, encombrent les trottoirs et dégradent ainsi l'image de la gare. Cette situation a deux conséquences immédiatement perceptibles. L'encombrement de la voierie est gênant et insalubre et au lieu d'inciter des passants ou usagers de la gare à trier, il accroît les comportements d'incivilité. C'est un cercle vicieux qui augmente par ailleurs la charge de travail des employés qui doivent trier les déchets à la place des usagers. C'est une dépense supplémentaire pour un travail non prévu initialement. Ces bacs débordants et stagnant sur l'espace public hors des créneaux horaires prévus sont par ailleurs sanctionnés par des amendes : la gare de Massy TGV payait jusqu'à 200 € par jour (soit 73 000 € par an). Cette absence de tri désorganise aussi la tâche du second intervenant du circuit : les prestataires en charge du ramassage des déchets recyclables finissent par ne plus s'arrêter mais continuent à facturer leur prestation.

    Ces sociétés considèrent que la gare ne trie pas efficacement ses déchets (cartons, papiers ou plastiques) et risque de compromettre le contenu de leurs camions. La sanction financière est importante : il est à noter que le coût du ramassage des déchets est différent selon leur nature, ainsi les déchets recyclables seront facturés moins chers que les ordures ordinaires qui sont incinérées. Ce mécanisme a pour but d'orienter les entreprises vers la valorisation de leurs déchets et une limitation de la pollution en CO2. Dans tous les cas de figure, la facture est établie selon le nombre de bacs et non selon le poids exact de déchets évacués.

    L'examen détaillé du trajet d'un bac de déchets par AREP démontre qu'aucune vérification, ni aucune coordination n'ont été mises en place par la gare pour s'assurer d'un résultat efficace et satisfaisant pour les parties.

    L'unité gare ne disposant d'aucun élément pour mesurer et connaître la nature et le volume des déchets produits en gare de Massy TGV était voué à supporter les pénalités financières. Il lui était impossible d'apporter des arguments pour contester la surfacturation des prestataires en charge du ramassage des déchets.

    69

    4.2 L'élaboration d'une réflexion

    Afin de réduire les dysfonctionnements, quelles solutions proposées par les outils de gestion traditionnels auraient pu être mises en place ?

    Le plus évident aurait été de développer les contrôles. Pour ce faire, le recrutement de personnel encadrant aurait été nécessaire, ce qui aurait engendré des coûts très importants de surveillances supplémentaires.

    Une autre solution aurait pu consister à recourir à un tiers de confiance : un audit extérieur pour évaluer la fiabilité du travail effectué (jour et heure de sortie des conteneurs).

    Il aurait été envisageable également de commander une étude à un expert pour définir précisément le volume des déchets et leur nature. Dans le meilleur des cas, les économies réalisées par la suppression des amendes et par une réduction du montant des factures d'enlèvement des déchets (factures au réel et non plus au forfait) auraient été absorbées par une augmentation des coûts de contrôle et de réorganisation. Ces solutions n'auraient sans doute pas apporté d'amélioration de la performance de l'entreprise. De plus, il s'agit de mesures coercitives qui ne sont pas le meilleur moyen de motiver les différents intervenants pour résoudre un dysfonctionnement.

    Une autre hypothèse pourrait apparaître comme facilement réalisable. Au sein de sa structure, la gare aurait pu mettre en place un système de pesée afin de vérifier que le poids des déchets transmis correspondait bien à celui que le prestataire facturait. Se poserait alors le problème de la transparence de l'information.

    En effet, pourquoi le prestataire accepterait-il d'établir sa facture sur la base d'une information fournie par le client sans autre élément de preuve ? Toute transaction reposant sur la confiance, il faut donc que celle-ci soit recréée. Tant que le risque de contentieux lié à l'asymétrie d'information est élevé, le prestataire craindra pour son chiffre d'affaires. Seul le recours à un tiers de confiance tel un avocat ou tout intermédiaire reconnu comme « neutre » sera rendu nécessaire afin de réduire les différends entre les parties. Mais là encore, l'économie liée à la réduction du montant des factures aurait, au mieux, été absorbée par les frais de production d'éléments justificatifs.

    La réaction la plus évidente des services financiers a été de proposer ces deux solutions visant à renforcer les contrôles. La première, qui nécessite le recrutement d'encadrants qualifiés

    70

    et / ou d'experts onéreux ne se justifiait pas sur le plan économique. La seconde, en apportant certes une information tangible (le poids des déchets), n'était considérée comme fiable que par l'une des parties et jugée contestable par l'autre. Or la défiance est un élément incompatible avec la bonne réalisation d'une transaction. Ces options n'ont donc pas permis de déboucher sur un processus satisfaisant d'amélioration des difficultés rencontrées à la gare de Massy TGV. Dès lors, de nouvelles approches sont recherchées par AREP.

    Au cours d'un concours d'innovation interne dans le cadre d'un « design thinking » (ou design créatif, concept créé par Rolf Faste, désigner américain à la fin des années 80), les collaborateurs de différents horizons d'AREP se sont intéressés à la problématique des déchets et de la complexité de leur gestion dans une gare. L'objectif du « design thinking » est de faire réfléchir une petite équipe constituée de membres aux origines diverses, cassant ainsi les préjugés afin d'émettre des idées novatrices. Il faut ensuite les tester pour arriver, de proche en proche, mais sans rien s'interdire, à l'émergence d'un nouveau concept.

    Quelles sont les origines des dysfonctionnements constatés ? Quels écueils faut-il surmonter ?

    AREP a testé plusieurs idées peu contraignantes dans le but de renouer les maillons de la chaîne de tri. La logique de l'expérience est de « générer et faire circuler l'information pour une amélioration quantitative ». Il faut être sur tous les fronts et mener la réflexion avec les clients, les employés d'entretien, le personnel de la gare et les entreprises de collecte.

    A destination des clients : une signalétique correspondant aux trois couleurs des bacs et visible dès l'accès à la gare, style kakémono (affiche plastifiée suspendue à des portants) a été mise en place. En cas de doute le client peut même envoyer un message via le canal Slack afin de faire le bon choix de poubelle. Slack est une plate-forme de communication collaborative permettant d'échanger des messages et des documents. Elle est organisée en canaux, chacun étant dédié à un sujet spécifique, un projet ou une équipe. Ces échanges ont apporté des solutions ponctuelles. Mais, par exemple, la question récurrente relative à la caractérisation des gobelets de café est restée sans réponse satisfaisante. Or leur nombre est conséquent comme dans toute gare, et ceux-ci, trop souvent jetés à tort dans les poubelles jaunes au lieu du bac ordures ménagères, invalident la qualité du tri.

    71

    A destination des employés : Afin de dépasser la barrière de la langue et de les informer très précisément de l'instauration de nouvelles pratiques, un système de code couleurs associé à chaque nature de déchets est créé. Un code QR (type de code-barres plus sophistiqué composé de carrés noirs sur un fond blanc94) est installé sur chaque bac qu'ils doivent flasher à l'aide de leur smartphone à chaque sortie. Parallèlement, l'utilisation d'un semainier en liaison avec le code couleur des bacs permet aisément d'associer la couleur du bac avec son jour de sortie.

    A destination des prestataires : Le code QR est également scanné par la société de ramassage indiquant ainsi qu'elle a bien collecté les déchets et à quel moment.

    A ce stade, AREP constate que le premier maillon composé des agents de terrain fonctionne de manière fiable et qu'une bonne collaboration s'est installée. L'utilisation des smartphones au quotidien a permis de contourner les difficultés de lire les textes en français. Ces agents apparaissent désormais comme des partenaires clés qui apportent des idées d'amélioration. Le déploiement des outils de connexion simples d'accès et peu onéreux sur les bacs permet rapidement d'avoir des informations transmissibles en temps réel.

    En effet, des capteurs beacons bluetooth (balises sans contact) dédiés à la logistique, ont été installés sur les bacs. Ces boîtiers d'un coût relativement modeste (inférieur à 50 €) sont peu énergivores ; ils émettent à intervalle régulier des signaux qui sont alors transmis aux smartphones. La fiabilité de ce système est quasi assurée, alors que l'enregistrement manuel par flash des codes QR était susceptible d'erreur (oubli, doublon). Le risque d'une balise défectueuse est très faible. Les agents disposent ainsi d'informations sur la localisation de la poubelle. Il devient désormais possible de connaître en temps réel et à tout moment où se trouve un bac et à fortiori de savoir s'il se trouve à l'endroit approprié.

    Simultanément, la pesée manuelle des déchets sera désormais remplacée par un dispositif de pesée automatique au sol sur le passage des bacs.

    On peut considérer que le cheminement d'un bac de son lieu de stockage à son lieu de ramassage est désormais connecté.

    En revanche, la dernière phase du trajet des bacs au moment de leur ramassage est encore problématique. Les différences entre les quantités facturées et celles réellement produites sont encore trop importantes : il reste encore des passages à vide des camions qui sont facturés.

    94 Exemple de Code QR :

    Mais le bilan de ces prototypes permet de disposer de données nouvelles en temps réel qui permettront de réduire le montant des factures tout en améliorant le bilan environnemental.

    AREP s'est alors attaché à résoudre les deux questions liées à la surfacturation des déchets. La première cause est due à l'absence de leur pesée. Le prestataire établit sa facture sur la base d'un prix forfaitaire par nombre de bacs. AREP a commencé par peser manuellement les déchets pendant une semaine et a constaté sur le terrain qu'il existait un écart important entre le poids des sacs pesés et le poids forfaire facturé. Ponctuellement, au vu de cette information, le prestataire a accepté de réajuster le prix des factures en éditant un avoir qui s'élève à 2 000 euros pour un mois.

    La seconde origine de la surfacturation est l'absence de tri des déchets ; après une semaine de manipulation de sacs pour la pesée, AREP a visuellement constaté que la majorité des déchets sont recyclables, ce qui représente entre 60 et 120 kilos par jour. Cette catégorie recyclable sera source dans le futur d'une facturation revue à la baisse.

    Un autre point positif notable est que l'ensemble des intervenants (employés, commerçants et personnel de gare) ont été largement associés et informés de ce nouveau dispositif dans le but de réduire l'asymétrie d'information et de rétablir la confiance sur l'ensemble de la chaîne. Chacun a pris connaissance et partagé les mêmes consignes.

    De cette concertation, il apparaît que le différend entre les acteurs ne provenait pas du non-respect des consignes ou d'une mauvaise interprétation de ces dernières. Certains bacs sont pleins avant leur heure de sortie, il devient par conséquent impossible de respecter la consigne de sortir les poubelles pleines tout en se conformant au semainier.

    Cette démarche a permis de mettre en lumière l'inopérabilité des directives avec le quotidien de la gare. L'intérêt des agents étant divergent dès l'origine, un bon fonctionnement était largement compromis

    AREP ne peut que constater que ces tests concernant le désengorgement des trottoirs, la fin des amendes et la reconnexion avec les camions de ramassage, montrent que ces objectifs n'ont été qu'en partie atteints et cela grâce à un investissement humain conséquent. Ce type de fonctionnement n'a de sens que pendant une courte période de test, mais maintenu sur le long terme elle serait beaucoup trop consommatrice de temps et de ressources.

    72

    AREP se pose alors la question de la cohérence des consignes.

    73

    L'origine du problème vient vraisemblablement des contrats passés. La fréquence de passage était devenue inadaptée à l'activité réelle de la gare ; la quantité de déchets était estimée trop approximativement et leur nature n'était pas valorisée. A ce stade de sa réflexion, AREP s'intéresse à l'examen des contrats passés avec chaque prestataire.

    L'objectif est de recréer une adéquation entre les termes de nouveaux contrats et des nouvelles réalités de la gare de Massy TGV. Le concept de tri étant devenu la priorité de la gestion des déchets, celui-ci doit apparaître comme tel dans le contrat à rédiger.

    S'agissant des activités soumises aux aléas des mouvements humains (vacances, grèves, météorologie...), les termes des contrats doivent aussi garantir une certaine souplesse et une grande réactivité.

    Un nouveau paramètre à prendre en compte est l'application d'une législation récente, innovante et en évolution permanente qui nécessite de toute évidence des ajustements très fréquents dans les termes des contrats.

    Les champs du tri et de la valorisation des déchets ont fait l'objet de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015. Des orientations et des recommandations étaient clairement éditées à l'attention des entreprises. Désormais, un décret n° 2016-288 du 10 mars 2016 vient rendre obligatoire, à partir du 1er juillet 2016, le tri à la source et la valorisation de 5 flux de déchets pour toutes les entreprises productrices ou détentrices de déchets. L'obligation porte sur le papier / carton, le métal, le plastique, le verre et le bois. La finalité de cette réglementation est de toujours réduire plus la consommation de nouvelle matière première et l'émission de CO2 en renforçant le recyclage des déchets.

    La réalisation de ce tri se voit matérialisée par la délivrance, par le prestataire chargé de la collecte, d'une attestation annuelle justifiant les quantités exprimées en tonnes, la nature des déchets et leur destination finale. La SNCF est dans l'obligation de se doter des moyens et de l'organisation pour s'y conformer dans un délai très contraint.

    Et si le big data, traitement de données massives et complexes, pouvait contribuer à l'émergence de nouvelles solutions ? Une des pistes de réflexion mène à l'utilisation offerte par une nouvelle technologie : la Blockchain.

    74

    4.3 La solution disruptive : la mise en place de la Blockchain : enregistrement de données et création de smart contract sur Ethereum

    Le premier travail mené par AREP a abouti à l'identification de l'une des origines des dysfonctionnements et à la proposition de solutions ponctuelles, mais pas encore à la création d'outil lui permettant de stocker, utiliser et partager les données qu'il s'est efforcé de fiabiliser.

    Il existe différentes sortes de systèmes blockchain, le plus connu étant celui de la crypto-monnaie Bitcoin. Il serait bien trop réducteur de limiter l'intérêt de la blockchain à cette seule utilisation. Elle possède d'autres fonctions qui peuvent être utiles au développement d'une entreprise.

    En effet, quel que soit la Blockchain utilisée, elles ont en commun d'avoir la fonctionnalité d'un grand registre distribué dans lequel s'inscrivent toutes les transactions afin qu'elles deviennent accessibles à tous les acteurs en temps réel, sans lieu de stockage unique.

    On lui attribue généralement trois fonctions qui peuvent être mises en oeuvre simultanément ou non : une fonction de paiement, une fonction de registre des transactions, et une fonction d'instructions automatisées. Dans ce dernier volet, le mécanisme permet d'édicter automatiquement un contrat adapté à la transaction passée par un des acteurs du système, on parle alors de : « smart contract ».

    Le smart contract - contrat intelligent - est un programme informatique mettant en application un contrat traditionnel (non numérique). Il exécute ainsi automatiquement les clauses du contrat dès que les conditions ont été réunies. Le code est autonome, les parties prenantes (humaines) n'ont plus à interagir et ne peuvent pas interférer dans son déclenchement. Ce code informatique permet l'exécution automatique sur un réseau décentralisé (de pair à pair) d'un ensemble de décisions et d'actions encodées en amont de l'exécution dudit contrat. Ces nouveaux processus appliqués à la gouvernance des entreprises instaureront une plus grande réactivité tout en utilisant des données fiables et sécurisées sans l'intervention ou le contrôle d'un tiers.

    Autrement dit, la technologie blockchain offrira la possibilité à différents opérateurs de réaliser des transactions prévues en enregistrant leurs actions dans un système électronique programmé pour sécuriser l'ensemble des opérations en question.

    75

    AREP a cherché sur quel protocole blockchain il pouvait s'appuyer pour enregistrer et traiter les informations transmises d'abord par le procédé QR code puis remplacé par les beacons bluetooth.

    Deux options étaient possibles, soit une blockchain publique soit privée.

    Dans une blockchain publique ou blockchain « originale », tous les noeuds (capacité de calcul, exemple : un ordinateur) qui constituent le réseau, s'auto-contrôlent (réseau peer to peer, « d'égal à égal). Il n'y a pas de barrière à l'entrée, tout le monde peut lire l'ensemble les transactions et y ajouter les siennes. Les modifications des règles de fonctionnement ne sont possibles que si la majorité des participants y est favorable. Tous les acteurs, qui peuvent rester anonymes, détiennent les mêmes droits et peuvent participer à la validation des transactions (minage : proof of work ou forgeage : proof of stake) ; c'est notamment le cas pour la blockchain Bitcoin et Ethereum.

    A l'inverse, une blockchain privée s'exécute sur un réseau privé sur lequel une autorité centrale crée et modifie les règles à suivre sans avoir besoin du consentement des autres participants. Pour rejoindre cette blockchain, il faut au préalable s'identifier et y avoir été autorisé par l'organe décisionnel. Les droits des membres sont définis et restreints. A titre d'exemple on peut citer le consortium R3 réunissant les plus grands établissements financiers internationaux (Goldman Sachs, JP Morgan, BNP Paribas...).

    Compte tenu de la taille du projet (une seule gare), AREP n'avait aucun intérêt à développer une blockchain privée qui aurait nécessité un coût de développement important. La blockchain publique permet une plus grande souplesse dans la gestion des partenaires, il est inutile de gérer les droits d'entrées et de sorties de chacun lors d'un changement de prestataires. De plus l'aspect partage de l'accès aux données est une fonctionnalité déterminante. La blockchain restaure la confiance entre les partenaires en leur permettant de lire les mêmes informations en temps réel, réalisant ainsi un partage équilibré de l'information.

    AREP choisit Ethereum qui a pour crypto monnaie l'Ether. Cette blockchain est récente, elle a été fondée en 2014 par Vitalik Buterin95. Du point de vue de la performance technique96, Ethereum est supérieur à Bitcoin. Il propose des tailles de blocs (les transactions sont

    95 Vitalik Buterin : programmeur canadien d'origine russe, co-fondateur d'Ethereum.

    96 Crypto-France (2016), Ethereum-vs-Bitcoin : quelles différences entre ces deux technologies ?, consulté le 15 janvier 2018.

    76

    enregistrées sont regroupées dans un bloc) plus importantes (aucune limite pour Ethereum contre 1 MB pour Bitcoin) et des temps de minage plus courts (14 secondes pour Ethereum contre 10 minutes pour Bitcoin).

    Mais la principale différence d'Ethereum ne réside pas que dans sa performance technique. Aux fonctions de la technologie la plus connue qui assure le fonctionnement du Bitcoin, cette blockchain permet non seulement de certifier, horodater et sécuriser des transactions mais aussi de structurer des échanges.

    La première fonction de cette blockchain testée par AREP fut l'horodatage afin d'enregistrer les heures et les jours de sorties des bacs. Ce test permettait de compiler toutes les données de mouvements des bacs et de s'assurer qu'ils étaient bien vidés. Ethereum prouve par conséquent qu'elle dispose de tous les mécanismes nécessaires à la logistique de flux et dans notre cas à la gestion de chaîne des déchets : de la collecte au ramassage jusqu'à son recyclage ou à son incinération, en supprimant les intermédiaires et dans un avenir proche en s'adaptant à l'accroissement des flux spécifiques des déchets.

    Ayant compris qu'Ethereum n'est pas dédiée uniquement à la gestion de devises, AREP réfléchit à son appropriation comme support pour d'autres activités. C'est vers la faculté de créer un système d'enregistrement d'actifs et de smart contracts que se focalisent les recherches d'AREP.

    L'enregistrement d'actifs est une digitalisation, soit l'intégration d'un élément physique (exemple : une monnaie l'Ether) ou d'une action réelle (exemple : un droit de vote pour the DAO) sur la blockchain. Cet actif dispose des mêmes caractéristiques qu'un bien commun : une identité et un propriétaire qui dispose de droits lui permettant de le prêter, le transférer, le vendre ou le détruire. Il représente l'unité de base dans la transaction. Dans l'environnement blockchain cet élément est référencé sous le nom de « token » (jeton). On peut distinguer deux natures de token différentes. Il est soit créé par le protocole même de la blockchain (les crypto monnaies) ou pour les besoins propres à un programmeur. Ces derniers sont alors utilisables sur une application web construite en sous-couche qui manipule la blockchain.

    Dans notre situation, AREP a recréé virtuellement des kilos de déchets en langage numérique pour répondre à sa problématique. Il n'existe pas de limite à son développement. Ainsi il a été possible d'attribuer à chaque nature de déchets de la gare un token spécifique permettant de reproduire la nature des déchets. Il est ainsi possible d'en créer autant que l'on souhaite, donc autant que l'on a produit de kilos de déchets.

    77

    Cette étape représente le pivot de l'avancement du prototype. Cela ouvre la voie à un système économique transactionnel entre acheteurs et vendeurs sans intermédiaire.

    L'article 1582 du code civil définit le contrat de vente comme « une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer »97. Le token permet de transposer « la chose » dans le registre digital. Dès lors le smart contract écrit à partir d'une API (une interface de programmation applicative) va intégrer les données représentées par le token et être construit autour des échanges dont il fait l'objet. Lors de la programmation du smart contract, il sera tenu compte de l'intérêt de chaque partie. Une fois achevé, le smart contract s'exécutera automatiquement. Il reste consultable par tous et à tout moment jusqu'à sa suppression éventuelle. Ethereum propose des modèles de smart contrats permettant au programmeur de disposer d'un cadre de travail qu'il adaptera à son schéma propre.

    Dans le cas d'AREP, les trajets des kilos de déchets enregistrés et sécurisés dans la blockchain (sous forme de token) sont d'abord suivis du local poubelle jusqu'au trottoir. Ces kilos de déchets sont ensuite transférés via le smart contract vers le compte du prestataire qui en deviendra le possesseur à la fois en consultant la blockchain et en réceptionnant son camion.

    Le code informatique de ce smart contract est présenté en annexe A. Si nous ne disposons pas des connaissances suffisantes pour le décrypter, il est cependant intéressant de se rendre compte qu'il ne nécessite que peu de lignes de codes (100 lignes) pour fonctionner, ce qui est peu volumineux pour un programme informatique. Le coût d'investissement pour rédiger un smart contract est donc négligeable et ne nécessite pas le déploiement d'un budget important pour faire appel un prestataire informatique.

    Chez AREP le smart contract relatif aux déchets a été rédigé en une semaine. Cette période comprend également l'apprentissage de sa manipulation et de son fonctionnement théorique. Le smart contract étant par nature autonome, dès que la phase de test est passée avec succès, il n'occasionne aucune maintenance et donc aucun coût de fonctionnement.

    Les seuls coûts de transaction récurrents sont les coûts du minage (validation d'un bloc) qui, compte tenu du faible nombre d'opérations à valider sur ce projet (maximum 5 bacs par jour), restent marginaux.

    97 Article 1582 du code civil.

    78

    Ici la solution de la blockchain choisie ne nécessite ni un coût d'entrée élevé, ni une dépense de fonctionnement important. AREP a réussi la mise en place d'un outil d'horodatage sécurisé et incorruptible qui enregistre toutes les transactions ainsi que la mise en place d'une base de données accessibles facilement par une API. Le contrôle automatique des contrats avec les prestataires assurera une efficacité, une réactivité et une fiabilité accrues dans la chaîne de tri. Sa réorganisation sur la technologie blockchain peu onéreuse met en évidence les gains de temps et la réussite du travail collaboratif en respectant les intérêts de chacun.

    4.4 Les bénéfices pour l'entreprise étudiée

    Rappelons que le cas qui a fait l'objet de notre étude est localisé à une gare de moyenne ampleur. Ce site est bien représentatif de la diversité des échanges et des interactions qui régissent la chaîne du traitement de déchets dans ce type d'environnement à taux élevé de fréquentation.

    L'intervention de la filiale de gares et connexions AREP avait deux objectifs majeurs : un défi opérationnel visant à structurer la chaîne de tri défaillante et un défi réglementaire pour respecter les textes toujours plus contraignants dans le cadre de la loi sur la transition énergétique.

    Le premier mois consacré au recensement des améliorations possibles a débouché sur un traçage simple du parcours des déchets : de la source de production à leur enlèvement, grâce à des objets connectés peu coûteux mais fiables, tel des balises. Cette phase a contribué à reconnecter les employés d'entretien et les prestataires de ramassage.

    La poursuite du projet s'est avérée plus ambitieuse : l'appropriation de la technologie innovante de la blockchain. Les transactions sur Ethereum ont instauré l'utilisation de données sécurisées. Le fait qu'à chaque transaction corresponde un smart contract en fait une variable ajustable et une mise à jour en temps réel de la base de données.

    L'instauration d'un système de pesée connectée enrichit et incrémente aussi la base de données dans la blockchain d'une information sécurisée sur le poids des déchets produits.

    La transmission de ces éléments fiables non corruptibles contribuera à réduire les risques de contentieux potentiels. La numérisation des échanges grâce au token et la rédaction des smart contract ont constitué une décision déterminante pour réussir la rationalisation des opérations. La gare constate rapidement plusieurs avantages en fonctionnant avec ce nouveau dispositif.

    79

    Les employés d'entretien se sont vus intégrés dans le système par l'utilisation d'une API, simple d'accès, sur leur smartphone. Les managers ont même souligné un engagement constructif vis-à-vis du projet. Il n'y a pas eu besoin de prévoir une formation du personnel. Ethereum met à disposition une application web intuitive disponible sur un smartphone qui indique les tâches à accomplir et les résultats obtenus (annexe B).

    Désormais connectés, les agents disposent de consignes intangibles et cohérentes qui donnent un cadre et une visibilité d'action qu'ils n'ont plus à justifier. Les déplacements des agents sont de fait optimisés. Ils ont réduit de 3 km leurs déplacements hebdomadaires. Ils reçoivent sur leurs smartphones les consignes prévues dans le smart contract : l'heure à laquelle ils doivent sortir tel type de bacs. Lors de la manipulation du bac, le capteur beacons bluetooth envoie l'information du déplacement et de la nouvelle localisation à la blockchain. Le smart contract confirme, sans qu'il y ait besoin d'augmenter le contrôle ou de faire appel à un organe extérieur, la bonne exécution de la consigne. En cas de d'anomalie, l'agent est averti toujours par son smartphone qu'il est en train de sortir la mauvaise poubelle ou qu'il a oublié de la sortir. Ce dernier a la possibilité de justifier qu'il ne sort pas volontairement un bac si un événement exceptionnel se produit (grève des éboueurs, poubelle vide). Il n'y a plus besoin de contrôle humain, c'est la blockchain qui joue ce rôle.

    De plus, la vérification de la bonne exécution est immédiate. L'utilisation du smart contract permet une plus grande réactivité qui engendre des gains de temps importants en optimisant l'exécution des opérations. L'ensemble des intervenants disposent des mêmes informations, renforçant nécessairement l'autocontrôle et rendant la chaîne de traitement plus dynamique. Le développement de la couche applicative n'a nécessité qu'une vingtaine de jours pour être paramétrée. La blockchain est complètement transparente pour les utilisateurs, elle n'est qu'un support technologique, dont ils n'ont finalement pas connaissance.

    Sur le plan financier, l'amélioration la plus évidente est le volume des amendes en nette diminution, du fait de moins de dépôt de bacs en infraction sur la voie publique. Le deuxième point, celui des surfacturations, s'est également bien amélioré par l'ajustement des factures de ramassage calculées sur le poids réel des déchets et non plus sur une évaluation.

    Enfin, un monitoring permet de lister toutes les opérations de la journée, ainsi AREP et ses prestataires peuvent lire à distance toutes les transactions de la journée : la quantité, la nature et les mouvements des déchets produits. C'est un élément de contrôle très appréciable, comparé à « l'état déclaratif » transmis annuellement de manière unilatérale par le prestataire de ramassage. Son incidence sera notable pour l'établissement de la facture dont le montant

    80

    sera établi en référence à des éléments chiffrés fiables, non contestables. Cette transaction, via un smart contract de la blockchain, recrée de la confiance entre les partenaires.

    A ces économies déjà constatées, s'oppose le reproche majeur fait d'emblée à la technologie blockchain, à savoir sa consommation énergétique onéreuse. Cet enjeu est d'importance et constitue un des sujets de réflexion de notre travail. Notre étude de cas montre que l'expérience de la gare de Massy TGV, à ce stade de son développement, n'apporte pas d'éléments de réponse déterminants à cette interrogation : le nombre trop faible de transactions quotidiennes n'entraînant pas une consommation d'énergie quantifiable, rend non signifiant l'appréciation de cet élément.

    Mais on relève dès à présent que l'utilisation de la blockchain dans le domaine d'activité du tri des déchets réduit les dépenses d'énergies liées à son fonctionnement. En effet, les progrès réalisés en matière de recyclage et de valorisation des déchets rééquilibrent le bilan énergétique. La transposition à grande échelle de cette utilisation amplifiera assurément les gains déjà réalisés.

    Dans ce cadre de la réorganisation du fonctionnement d'une entreprise s'appuyant sur une technologie innovante, notre seconde interrogation s'est portée sur les conséquences subies par les vecteurs traditionnels que sont les tiers de confiance.

    Dans le périmètre restreint étudié, l'intervention de ces experts n'était pas naturelle. La réflexion menée par AREP a été menée à bien en développant et en articulant plusieurs procédés offerts par l'utilisation des smart contracts de la technologie blockchain. Les qualités de sécurité et de fiabilité d'exécution ont été construites et mises en oeuvre sans le recours d'un tiers de confiance. De même, les fonctions de transparence et d'accessibilité ont su restaurer la confiance entre les parties et réduire les coûts de contentieux.

    Certes, notre étude n'a pas montré de suppression de ces intermédiaires, mais à chaque étape de la réorganisation, elle a mis néanmoins en évidence la réussite du projet sans que leur intervention ne soit requise. La conclusion bénéfique pour les entreprises est la réduction des coûts de transactions.

    Un intérêt supplémentaire de cette forme de réorganisation est que le déploiement de cette technologie est envisageable à l'échelle d'une gare plus grande, avec des intervenants plus nombreux générant des transactions plus denses, sans remettre en cause le bon fonctionnement des smart contracts. Ce nouveau savoir-faire apportera également une nouvelle offre de service aux concédés qui passaient individuellement un contrat avec un

    81

    prestataire ; la gare sera désormais à même de reprendre la gestion de l'intégralité des contrats de déchets sur son site. L'adaptabilité des smart contracts servira à l'ajout de maillons supplémentaires dans le réseau. Ainsi l'industrie du déchet pour répondre à un développement croissant des attentes pourra s'appuyer sur cette faculté pour intégrer aisément des filières d'un type nouveau, comme celle des bio déchets dès 2025 ou celle de la réorganisation totale de celle des plastiques tous rendus recyclables en 2030, tel que le prévoit la Commission européenne.

    82

    CONCLUSION

    Le choix de notre sujet de mémoire a été guidé à la fois par la curiosité et la volonté de découvrir l'histoire d'une nouvelle technologie. La blockchain n'a encore fait l'objet que de peu de recherches. Ces dernières portent principalement sur l'aspect technique de l'informatique ou de la cryptographie, ou sur l'aspect monétaire du bitcoin. Notre approche a été celle des liens économiques avec l'entreprise, des incertitudes et des risques inhérents, mais aussi des apports à la croissance de la valeur de celle-ci.

    Les nouveaux outils mis à la disposition des dirigeants par l'intermédiaire des smart contracts représentent une vague d'innovation de grande amplitude qui est à même de bouleverser les échanges internationaux. Les sociétés qui commencent à se les approprier ont pour objectifs de s'engager dans une refonte des rouages à la fois de leur organisation et aussi de leurs relations avec leurs fournisseurs et clients.

    La société de consommation du XXIème siècle a développé des exigences de sécurité, de transparence et de traçabilité envers l'ensemble des produits à sa disposition.

    Pour preuve, entre 2016 et 2017, plusieurs secteurs majeurs de l'économie internationale (l'agroalimentaire, les transports maritimes) ont porté une attention grandissante à cette technologie innovante. Des sociétés comme Walmart aux USA, Alibaba en Chine, ou Carrefour en France mettent, en place des blockchains pour créer des chaînes logistiques numériques.

    Bien sûr ces entrepreneurs savent qu'en intégrant ces nouveaux processus ils ne règleront pas toutes leurs difficultés. Il est toutefois incontestable que le suivi en temps réel, grâce à des capteurs électroniques fiables, réduira les fraudes, la contrefaçon et les « disparitions » de palettes ou de conteneurs. L'historique de leurs parcours, inscrit sur la blockchain, codé, horodaté et infalsifiable, facilitera la détection de l'incident qui retarde voire invalide une livraison. Les données sont consultables par l'ensemble des parties concernées par la transaction. La réactivité, qui sera d'autant plus rapide, permettra de trouver des solutions moins coûteuses et plus appropriées que si un long délai s'était écoulé, en réponse à des aléas climatiques, une rupture de chaîne du froid et un ralentissement sur le temps de parcours.

    Les premiers résultats tangibles de l'utilisation de la technologie apparaissent dans la diminution des frais de fonctionnement, la réduction des délais, les recours aux tiers de confiance moins fréquents.

    83

    Les apports de blockchain paraissent prometteurs dans les secteurs de la supply chain (logistique de l'approvisionnement). En particulier, le secteur du transport maritime des conteneurs est actuellement soumis à une très fréquente et nombreuse production de documentation pour justifier l'origine, le trajet et la destination finale des marchandises. Le port de Rotterdam (source Blockchain France) a commencé à tester l'utilisation de la blockchain pour simplifier et sécuriser son organisation. Ce projet d'envergure a pour champ d'expérimentation les parcours des bateaux qui doivent faire subir à leur cargaison en moyenne 30 contrôles avec visa sur support papier. La rationalisation et la numérisation des données va de toute évidence simplifier ces contrôles en les automatisant. Le coût de traitement et d'administration représentant 1/5ème des coûts de fret maritime, à terme, ce sont des économies de plusieurs milliards qui sont attendues.

    Compte tenu du poids économique et de l'implication d'entreprises de niveau international, il sera particulièrement intéressant que des études soient menées pour analyser les résultats et les conséquences de ces bouleversements dans le commerce maritime.

    Après quelques années de pratique, les procédures vont sans doute se perfectionner et se diversifier et seront utiles alors à ces établissements précurseurs pour se différencier de leurs concurrents.

    Certes, l'enjeu commun à la création de ces blockchains est d'instaurer ou de renouer la confiance entre les partenaires. La qualité et l'authenticité de leurs produits et la fiabilité de leurs services feront d'autant plus partie de leur image qu'elles la valoriseront. La start-up Everledger utilise la blockchain en rendant possible le suivi d'un diamant de son extraction à sa ou ses vente(s) successive(s) en inscrivant ces données de manière incorruptible dans le registre crypté et décentralisé. Cette particularité diminue le risque de fraude par rapport à des certifications papiers (modifiables) en dépôt chez un seul détenteur, tiers de confiance (faillible). Elle développe pour ses clients diamantaires des critères d'expertise augmentant la qualité de ses services par rapport à celles de ses concurrents.

    En conclusion, nous reprenons les interrogations de Patrick Waelbroeck, professeur à Télécom ParisTech, publiées en août 2017, dans le cahier de veille de la Fondation Mines-Télécom. « De par sa nature décentralisée, la technologie blockchain nourrit les espoirs de forger une confiance robuste entre les acteurs économiques. Mais bien qu'elle présente des atouts uniques, elle n'est pas non plus parfaite. Comme pour toute technologie, le facteur humain est à prendre en compte. À lui seul, il justifie de considérer avec précaution

    le plébiscite formulé à l'égard de la blockchain, et de rester vigilant sur les arbitrages effectués par les communautés de décideurs »98.

    Bien loin d'être uniquement techniques, les enjeux de la blockchain ont trait à la gouvernance et à la définition même des solutions qui permettront de répondre à la question de confiance dans les interactions humaines. Certes, mais il faudra qu'elle tienne aussi sa promesse la plus ambitieuse, celle d'être un outil de relation d'égal à égal au service de tous.

    84

    98 Waelbroeck, P. (2017), Les enjeux économiques de la blockchain, Réalités Industrielles, Annales des Mines, août.

    85

    BIBLIOGRAPHIE

    Adam-Kalfon P., el Moutaouakil S. (2017), Blockchain, catalyseur de nouvelles approches en assurance, PwC Société d'Avocats.

    Agosti, P. et al. (2017), Blockchain : quelles perspectives après la réglementation ?, Groupe de travail Blockchain de la FNTC (Fédération nationale des Tiers de Confiance).

    Ali, S.T. et al. (2015), Bitcoin : Perils of an Unregulated Global P2P Currency, Technical Report Series, 1470, Newcastle University.

    ANSSI (2018), Le règlement eIDAS, consulté le 12 janvier 2018. URL : https://www.ssi.gouv.fr/entreprise/reglementation/confiance-numerique/le-reglement-eidas/

    Archibugi D., Filippetti A., Frenz M. (2013), The impact of the economic crisis on innovation : evidence from Europe", Technol. Forecast. Soc. Change, 80 (7), 1247-1260.

    BCG (2017), Livre blanc - la Blockchain pour les entreprises - Soyez curieux ! Comprendre et expérimenter, the Boston Consulting Group & MEDEF.

    Berners-Lee, T. (1989), La naissance du web, consulté le 12 janvier 2018. URL : https://home.cern/fr/topics/birth-web

    Blanchet A., Gotman A. (2006), L'enquête et ses méthodes, L'entretien, Armand Colin, coll. 128, Paris, 40.

    Bloch, P. (2016), DAO et théorie de l'agence, Les Echos, 31 mai.

    Blockchain France (2016), La Blockchain décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire Netexplo, mai.

    Blockchain France, Qu'est-ce que la Blockchain ?, consulté le 24 janvier 2018. URL : https://blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/c-est-quoi-la-blockchain/

    Breton A., Wintrobe R. (1982), The Logic of Bureaucratic Conduct, Cambridge University Press, 325 p.

    Caseau Y., Soudoplatoff S. (2016), La blockchain ou la confiance distribuée, Fondation pour l'innovation politique, juin.

    Charreaux G., Couret A., Joffre P. (1987), De nouvelles théories pour gérer l'entreprise, Paris, Economica.

    Chaum, D. (1984), Advances in cryptology - Proc. of Crypto '83, New York, P. Press, 153.

    Chevalier M., Vrignolles B. (2014), Le Bitcoin : défi à la souveraineté monétaire des Etats et ressource pour le blanchiment d'argent, Regards croisés sur l'économie, n° 14, La Découverte, 122-125.

    86

    Christensen C., Bower J. (1995), Disruptive technologies : catching the wave, Harvard Business Review, The seminal article, January-February.

    Clark, T. (1998), DigiCash loses U.S. toehold, CNET, September.

    Coase, R. (1937), The nature of the firm, Economica, New Series, Vol. 4, n° 16, November, Traduction française : la nature de la firme, revue française de l'économie, II, hiver.

    Collerette, P. (1995), Les enjeux communicationnels de la gestion d`un changement dans une organisation, Thèse de doctorat, Montpellier, Université Paul Valéry.

    Collerette, P. (1997), L'étude de cas au service de la recherche, Recherche en soins infirmiers, n° 50, septembre.

    Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), Blockchain : L'automate comme autorité ?, In : Blockchain : Eldorado ou mirage pour les services financiers ?, Banque & Stratégies, n° 350, septembre.

    Crypto-France (2016), Ethereum-vs-Bitcoin : quelles différences entre ces deux technologies ?, consulté le 15 janvier 2018. URL : https://www.crypto-france.com/ethereum-vs-bitcoin

    De Filippi P., Hassan S. (2016), La Blockchain est une technologie de réglementation : de `code is law' à `law is code', University of Illinois, First Monday, Vol. 21, n° 12, 5 décembre.

    De Filippi, P. (2016), Comprendre la blockchain, Livre blanc, janvier.

    De Vauplane, H. (2014), L'analyse juridique du Bitcoin, Association d'économie financière, Rapport moral sur l'argent dans le monde.

    De Vauplane, H. (2016), La blockchain ou la révolution technologique : les impacts pour la finance, Revue Banque, n° 798, 30 novembre.

    De Vauplane, H. (2017), Les impacts des réseaux distribués et de la technologie de Blockchain dans les activités de marché, Rapport Groupe Fintech, Paris Europlace, octobre.

    Delahaye, J-P. (2014), Le Bitcoin, première crypto-monnaie, Bulletin de la société informatique de France, n° 4, octobre, 67-104.

    Deloitte (2016), Out of the blocks - Blockchain : de la frénésie au prototype, Deloitte Conseil & EFMA, juillet.

    Dru, J.M. (1996), Disruption - Overturning conventions and shaking up the marketplace, Wiley, 256 p.

    Durana, G. (2015), Bitcoin : bulle ou révolution ?, Esprit, juin, 88-96.

    Estrade G., Gaudemet A. (2016), Blockchain : enjeux, risques et opportunité pour les acteurs du monde bancaire et financier, Lexbase Hebdo édition affaires n° 469 du 9 juin.

    EY (2017), EY Research : initial coin offerings (ICOs), décembre.

    87

    Fama, E. (1980), Agency problems and theory of the firm, journal of economics, Holland publishing Company, n° 2, 288-307.

    Figuet, J-M (2015), Le Bitcoin : une monnaie ?, Larefi, Université de Bordeaux.

    Gomez, P.Y. (1996), Le gouvernement de l'entreprise, Paris, France, InterEditions, 266 p. Hamel, J. (1997), Etude de cas et sciences sociales, Paris, L'Harmattan.

    Hart O., Moore J. (1990), Property Rights and the nature of the Firm, journal of Political Economy, 98 (6), 1119-1158.

    Hart O., Moore J. (1999), Foundations of Incomplete Contracts, Review of Economic Studies, vol. 66, issue 1, 115-138.

    Hazard J., Hardjono T. (2016), CommonAccord : Towards a Foundation for Smart Contracts in Future Blockchains, W3C Position Paper, 9 June.

    Herlin, Ph. (2014), Les monnaies complémentaires et le bitcoin, Association d'économie financière, Rapport moral sur l'argent dans le monde.

    Heuvrard, F. (2018), La blockchain et le CAC (commissaire aux comptes), RF Comptable, n° 456, janvier.

    Huberman A.M., Miles M.B. (1991), Analyse des données qualitatives, Bruxelles, Editions du renouveau pédagogique.

    Huet, J. (2017), Le bitcoin, dont la légalité paraît admise, est une sorte de monnaie contractuelle, Revue des contrats, n° 01, 1er mars, 54.

    IEA (2017), Key world energy statistics, International Energy Agency, September, consulté le 16 janvier 2018. URL : http://www.iea.org/publications/freepublications/publication/key-world-energy-statistics.html

    Investing, Toutes les crypto-monnaies consulté le 20 janvier 2018. URL : https://fr.investing.com/crypto/currencies

    Jensen M.C., Meckling W.H. (1976), Theory of the Firm, Managerial Behavior, Agency costs Ownership structure, Journal of Financial Economics, Vol. 3, 345-360.

    King R., Levine R. (1993), Finance and growth : Schumpeter might be right ?, Quarterly Journal of Economics, 108, 717-737

    Laurent, E. (2012), L'économie de la confiance, Ed. De la découverte, Paris. Lessig, L. (2008), Le code et les autres lois du cyberespace v2.0, Basic Books.

    Lucas Y. et al. (1995), Le système de paiement : Situation actuelle, perspectives d'évolution et comparaisons internationales, Revue d'économie financière, n° 35, 253-271.

    88

    McKinsey France (2014), Accélérer la mutation numérique des entreprises - un gisement de croissance et de compétitivité pour la France, McKinsey&Company, septembre.

    Marini Ph., Marc F. (2014), Rapport d'information n° 767 rectifié de la Commission des finances du Sénat, 23 juillet.

    Maskin E., Tirole J., (1999), Unforeseen contingencies and incomplete contracts, Review of Economic Studies, 66, 83-114.

    Nakamoto, S. (2008), Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System, consulté le 15 janvier 2018. URL : https://www.bitcoin.org/bitcoin.pdf

    North, D. (1990), Institutions, institutional change and economic performance, Cambridge, Cambridge University Press.

    Quentin, I. (2012), Méthodologie et méthodes de l'étude de cas, consulté le 6 novembre 2017.

    URL : https://isabellequentin.wordpress.com/2012/04/02/methodologie-et-methodes-de-
    letude-de-cas/

    Roland Berger Strategy Consultants (2014), Du rattrapage à la transformation - L'aventure numérique, une chance pour la France , Septembre.

    Schumpeter, J. A. (1911), Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung, Berlin, Duncker und Humblot, traduction française (1935), Théorie de l'évolution économique Recherches sur le profit, le crédit, l'intérêt et le cycle de la conjoncture, Paris, Dalloz.

    Stake, R.E. (1994), Case Study - Handbook of Qualitative Research, London, Sage Publications, Chap. 14.

    Szabo, N. (1997), Formalizing and securing relationships on public networks, University of Illinois, First Monday, Vol. 2, n° 9, 1st September.

    Thaler R., Sunstein C. (2009), Nudge : Improving Decisions About Health, Wealth and Happiness, Penguin, 5 mars, 320 p.

    Thiétart, R.A. et al. (2014), Méthodes de recherche en management, 4ème éd., Paris, Dunod, 647 p.

    Usunier J.C., Easterby-Smith M., Thorpe R. (2000), Introduction à la recherche en gestion, Economica, 272 p.

    Waelbroeck, P. (2017), Les enjeux économiques de la blockchain, Réalités Industrielles, Annales des Mines, août.

    Williamson, O.E. (1975), Markets and Hierarchies : Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press.

    Yin, R.K. (1984), Case study research, design and method, London, Sage publications.

    ANNEXES

    89

    A. Smart contract

    90

    Source : https://github.com/etienneburdet/simple/blob/master/imports/ui/wastes/addWaste.js

    91

    B. Interface de programmation applicative (API) sur un smartphone






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King