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Le statut et les droits de la femme dans la pensée de John Stuart Mill

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par Camille Lepoutre
Université Paris 2 Pantheon Assas - Master 2 Recherche Philosophie du droit et droit politique 2017
  

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Chapitre 1 : Une argumentation théorique en faveur du suffrage féminin

La question est en réalité peu abordée au sein de De l'assujettissement. Elle apparaît en début de Chapitre III mais cède rapidement la place à celle des fonctions politiques au sens de professions. John Stuart Mill ne prend pas nécessairement le soin, dans son argumentaire, d'ordonner ses idées et de faire ressortir les plus élémentaires. Qu'il se place du point de vue de la femme ou de la société, Mill tente avant tout de convaincre son lecteur ce qui explique peut-être en partie la variété des arguments invoqués à l'appui de sa position.

Le philosophe défend tout d'abord l'injustice que constitue la privation de ce droit pour les femmes. Bien que celles-ci ne puissent invoquer un préjudice direct et identifiable, Mill soutient

246 Orazi (F.), op.cit. p.111. « Les droits des femmes », 1847. On ne connaît pas avec certitude l'auteur de ce texte : John Stuart Mill ou Harriet Taylor. Il serait de la main du philosophe, avec des corrections de la main de son épouse. Nous le classons donc dans la catégorie des écrits communs.

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que ce dernier existe. Pour lui, « personne ne fait de telles lois pour les appliquer à soi même »247. Aucun être humain n'accepterait de limiter sa propre liberté et ses possibilités d'action, qu'il s'agisse d'une expectative ou non. L'exclusion légale du vote subie par les femmes serait donc précisément dû à leur absence du jeu politique.

Un deuxième argument avancé par Mill tient à l'influence des femmes sur la société, et en premier lieu sur leur cercle familial (époux, enfants, et cætera). Selon lui, cette influence, bénéfique ou non, est toujours substantielle. Ainsi, dans ses Considérations sur le gouvernement représentatif, publiées en 1861, il défend l'idée que l'accès à la sphère politique permettrait aux femmes de réfléchir non plus en termes d'intérêt personnel et familial, mais en faveur du « principe public »248. Sensibilisées à des questions plus larges et impliquant des intérêts en jeu bien plus vastes ; les femmes auraient une influence, non plus nocive, mais bénéfique. Pour Mill, il s'agirait d' « un grand progrès pour la situation morale des femmes »249. La même thèse est défendue dans Les droits des femmes où Mill emploie des termes similaires : sens de l'intérêt public, intérêt pour la chose publique, ... Tant les femmes que les hommes seraient donc moralement meilleurs. L'accès au droit de vote, qui pour Mill s'accompagne d'une véritable intégrité politique, amènerait les hommes à attribuer plus de dignité et de valeur aux femmes.

Un argument non moins fondamental est l'argument historique de la marche constante vers le progrès à laquelle John Stuart Mill croit fermement. Pour lui, le monde moderne est celui de la liberté, de l'égalité de droit, du « règne de la justice »250. Les interdictions légales, auparavant communes, sont devenues l'exception et « l'on concède que la liberté et l'admissibilité devraient l'emporter »251. Au sein d'un tel processus, « l'incapacité de naissance »252 dont héritent les femmes fait figure d'incompréhensible injustice.

Cela est d'autant plus flagrant que, comme l'auteur le met en évidence, l'évolution sociale des femmes vers l'égalité a déjà débuté. Celles-ci ont un meilleur accès à l'éducation, aux fonctions prestigieuses, elles peuvent désormais « penser, écrire et enseigner »253. Une partie d'entre elles est donc indubitablement en mesure d'exercer un droit de vote et leur exclusion ne semble plus trouver

247 Orazi (F.), op.cit. « Les droits des femmes » p.105

248 Stuart Mill (J.), « Considerations on Representative Government », Parker, Son and Bourn, 1861 p.479-481

249 Ibid

250 Orazi (F.), op.cit. « Les droits des femmes » p.102

251 Ibid

252 Orazi (F.), op.cit. « Les droits des femmes » p.103

253 Stuart Mill (J.), op.cit. p.479-481

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de justification.

L'argument historique est doublé, chez John Stuart Mill, d'un argument de politique nationale. En effet, l'Angleterre constitue alors un régime politique libéral et très avancé pour son temps. L'auteur considère donc que la position des constitutionnalistes et des libéraux « se base sur des arguments qui leur donnent tort face à ceux qu'ils voudraient eux-mêmes exclure »254. Mill trouve incohérent le fait que des hommes favorables à la liberté politique, à la représentation, à l'égalité juridique veuillent par ailleurs exclure les femmes de cette sphère.

Selon Mill, la question est avant tout celle de l'utilité du vote. Il consiste, d'une part, à « protéger les intérêts particuliers des électeurs »255. Or, si chaque être humain a besoin d'une protection, cela est d'autant plus vrai pour la femme. Or, n'étant pas représentée, elle bénéficie d'une protection critiquable à maints égards. Dans De l'assujettissement, Mill compare la condition féminine à celle de l'esclave. Or, selon lui, « nous savons quelle protection légale les esclaves peuvent espérer des lois faites par leur maître ! »256. Il est donc absolument nécessaire que les femmes puissent faire entendre leur voix.

D'un point de vue plus général, les questions politiques se rapportent finalement au bien-être commun, au bonheur général. Dès lors, tous les individus dans la société y ont un intérêt, hommes comme femmes. L'un comme l'autre doivent « se prémunir contre les mauvais gouvernements »257 et avoir une voix afin que leurs intérêts soient défendus et leurs revendications entendues.

Enfin, de façon plus pragmatique, John Stuart Mill défend l'idée que les opinions politiques sont des opinions de classe (sociale) et non de genre. Cet argument, davantage destiné à rassurer le lecteur ou l'homme politique, est intéressant dans la mesure où ce n'était pas nécessairement le cas. En France, par exemple, le droit de vote a longtemps été refusé aux femmes, notamment car celles-ci avaient des opinions, en moyenne, plus conservatrices que les hommes. Leur accès au droit de vote aurait donc pu avoir un véritable impact sur la vie politique nationale.

La proposition de John Stuart Mill, nous allons le voir, est tempérée par le fait que seules les femmes remplissant les conditions légales alors imposées aux hommes devraient, selon lui, accéder

254 Orazi (F.), op.cit. « Les droits des femmes » p.107

255 Orazi (F.), op.cit. « Les droits des femmes » p.111

256 Stuart Mill (J.), « L'affranchissement des femmes », op.cit. p.100

257 Stuart Mill (J.), « Considerations on Representative Government », op.cit. p.479-481

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au suffrage258. Dès lors, les questions de leur indépendance financière, de leur niveau d'éducation, de leurs capacités intellectuelles ne devraient pas se poser davantage que pour les hommes.

John Stuart Mill prend le temps, dans plusieurs essais, de s'attarder sur cette question pourtant peu débattue à cette époque. Les mouvements en faveur du droit de vote féminin sont encore embryonnaires. Ils sont principalement l'oeuvre de femmes et, malgré une certaine réception dans les milieux bourgeois et éduqués, un crédit moindre leur est accordé dans la société et dans la sphère politique. John Stuart Mill lui-même déclarait, dans De l'assujettissement, que l'on ne pouvait « attendre des femmes qu'elles se consacrent à l'émancipation de leur sexe tant que des hommes, en nombre considérable, ne seront pas prêts à se joindre à elles dans cette entreprise »259. C'est précisément cette alliance entre hommes et femmes en faveur du droit de vote féminin qui allait peu à peu émerger dans la société anglaise. En effet, comme le souligne Harriet Taylor dans L'affranchissement des femmes260, en 1851 déjà, une pétition de femmes réclamant le droit de vote avait pu être présentée à la Chambre des lords grâce au comte de Carlisle261.

L'opinion de Mill sur la nécessaire intervention masculine peut-il expliquer son engagement en faveur de cette cause ? Nous allons pouvoir mesurer l'importance de l'activisme de Mill pour défendre le droit de vote féminin, engagement qu'il considérait comme un « devoir social et moral »262.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon