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La crise de la première période intermédiaire en Egypte pharaonique


par Mamadou Lamine Sané
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maîtrise 2007
  

sommaire suivant

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UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE

DAKAR

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT D'HISTOIRE

RECHERCHES SUR LES MANIFESTATIONS,

CAUSES ET CONSEQUENCES DE LA CRISE

DE LA PREMIERE PERIODE

INTERMEDIAIRE

THEME

Présenté par

Mamadou Lamine Sané

Sous la direction du

Année Académique

2006-2007

Professeur Babacar Sall

DEDICACES

2

Je DéDIe Ce MéMOIRe À MA MèRe eT À

TOUs CeUX QUI sONT ARRAChés À

NOTRe AffeCTION PAR le TOUT

PUIssANT.

3

REMERCIEMENTS

Nous remercions Allah de nous avoir donné la capacité et la force de réaliser ce travail.

Nous remercions nos chers parents (notre père, nos tantes ainsi que nos frères et soeurs).

Nos remerciements vont également à notre directeur de mémoire et à tous les enseignants qui ont participé à notre formation.

A nos amis du département d'histoire et à ceux de l'amicale des étudiants de la communauté rurale de Bona.

A tous ceux qui nous ont assistés par leur soutien moral ou matériel.

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Liste des abréviations

o A.E. : Ancien empire.

o F.L.S.H. : Faculté des Lettres et Sciences Humaines.

o H.G.A. : Histoire Générale de L'Afrique

o I.F.AN. : Institut Fondamental d'Afrique Noire.

o M.E. : Moyen empire.

o P.P.I. : Première Période Intermédiaire.

o P.U.F. : Presse Universitaire de France.

o U.C.A.D : Université Cheikh Anta DIOP.

5

PLAN

Introduction générale ..................

.. .

Première Partie : Présentation générale de l'Egypte sous la crise de la Première Période Intermédiaire ......

Chapitre I : Les bouleversements socio-politiques de la fin de

l'Ancien empire ..

Chapitre II : l'Effondrement de la civilisation .....

Deuxième Partie : La crise ...............................

Chapitre I : Le contexte

Chapitre II : Les facteurs générateurs dans l'éclatement de la violence.

Troisième Partie : Les conséquences

..

Chapitre I : Au plan politique et religieux Chapitre II : Renouveau culturel

Conclusion

BIBLIOGRAPHIE .s..s.

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INTRODUCTION GENERALE

L'histoire de la civilisation pharaonique concerne les époques les plus reculées de l'histoire des hommes. De ce point de vue, son étude permet d'éclaircir des questions aussi importantes que par exemple la formation de l'Etat, la naissance de la religion, des arts et des sciences.

Il est en effet établi que c'est aux environs de -3200 qu'un souverain du nom de Narmer (le légendaire Menés des Grecs) opère l'union des Deux-Terres (La Haute et la Basse Egypte) sous l'autorité d'un maître unique (Cl. Lalouette., L'empire des Ramsès, Paris Fayard, 1985, p.12 ; M. A. Bohème., L'art égyptien, Paris P.U.F., 1992, p.44). Avec cette unification, s'ouvre l'histoire d'un Etat qui continue encore de fasciner les historiens. En effet, de sa formation vers la fin du IVe millénaire à sa réduction en une simple province de l'empire romain, vers -30, la monarchie pharaonique va traverser plus de 30 siècles d'existence et devient du coup, dans l'histoire de l'humanité, l'Etat qui a gardé le plus longtemps une structure et des instituions cohérentes. Ceci pour dire que l'Etat des pharaons n'est pas seulement intéressent par son antiquité mais elle l'est aussi par sa continuité. Comment un Etat, constitué à cette haute antiquité, a pu se maintenir à travers des dizaines de siècles, en conservant sa forme et ses structures? Examiner les aspects liés à cette question revient à étudier l'évolution de la civilisation égyptienne, dans ses différentes phases de composition et de recomposition.

Comme l'a affirmé J. Vercoutter, « Au cours de ses 4000 ans d'histoire, [l'Egypte] a éprouvé toutes les vicissitudes qui peuvent s'abattre sur une société humaine : guerres civiles, anarchie, famines, invasions étrangères, querelles religieuses, rien ne lui a été épargné. Elle a tout connu... » (J. Vercoutter., l'Egypte ancienne, Paris, P.U.F, 2003, p.9). Ce texte de J. Vercoutter laisse apparaître une situation : c'est le fait qu'à côté des périodes fastes qui ont vu la civilisation égyptienne s'épanouir, il y a eu des époques de crise. Autrement dit, derrière cette continuité exceptionnelle qui caractérise cette civilisation, il y a eu des alternances de périodes stables et des époques de crise.

C'est partant de ce constat, que l'égyptologie moderne va diviser l'histoire de l'Egypte entre les phases appelées « empires » et les « périodes intermédiaires ». Les empires correspondant à des périodes stables, où toute la basse vallée du Nil est soumise à l'autorité d'un souverain unique, qui garantit l'ordre et la prospérité à son peuple. En revanche, les périodes intermédiaires sont des périodes de crise pendant lesquelles l'Egypte se trouve

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morcelée en royaumes pratiquement indépendants et rivaux, faisant en même temps face à un appauvrissement économique et à des invasions étrangères (G. Posener, S. Sauneron et J. Yoyotte., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Fernand Hazan, 1992, p.135 ; Bohème M.A., Forgeau A., Pharaon. Les secrets du pouvoir, Paris, Armand Colin, 1998, p.43).

Suivant cette division, nous nous sommes intéressés à la crise qui a marqué la période dite Première Période Intermédiaire et qui fait suite à l'Ancien empire.

En effet, au cours de ses différentes phases d'accomplissement, la civilisation égyptienne a connu une première brillante période appelée Ancien empire (A.E. en abrégé) (B. Sall., « Les luttes politiques dans l'Ancien empire égyptien », in, Notes africaines, no 173, I.F.A.N., 1982, p.10). Cette période qui correspond aux IIIe, IVe,Ve et VIe dynasties, est datée d'entre -2778 à -2423 ( E. Drioton J. Vandier., L'Egypte des origines à la conquête d'Alexandre, Paris, P.U.F., 1984, p.167) ou bien de -2700 à -2190 ( N. Grimal., Histoire de l'Egypte ancienne, Paris, Fayard, 1988, p.108). Ce fut une période qui avait vu la monarchie, instituée à l'époque thinite (I ère et IIe dynasties), atteindre son apogée avec une organisation étatique perfectionnée, contrôlant les biens et les hommes du pays et capable d'assurer la sécurité des frontières comme l'approvisionnement en produits extérieurs. Sous l'A.E., la monarchie a su développer un système politico-idéologique qui a regroupé tous les pouvoirs aux mains du pharaon. Ce dernier devait être à la tête d'une administration fortement centralisée avec des fonctionnaires à qui, il déléguait ses pouvoirs. Grâce à ce système, l'Egypte allait connaître une période de stabilité, de prospérité économique et de développement culturel pendant plusieurs siècles. L'une des marques les plus visibles de la grandeur de la civilisation égyptienne à cette époque dite A.E, est la construction de ces gigantesques complexes funéraires que sont les pyramides. D'où le terme d'époque des pyramides employé aussi pour désigner cette période.

Cependant, après avoir traversé plusieurs siècles de paix sociale, d'unité politique et de prospérité, l'A.E. va connaître une fin difficile, marquée par un bouleversement politique et social de grande envergure (Cf., B .Sall., op.cit., 1982, p.10). Ces événements qui intervinrent vers la fin de la VIe dynastie, devaient marquer en même temps les débuts d'une période sombre de la civilisation égyptienne. Celle-ci va perdurer jusqu'aux environs de -2050, c'est-à-dire à l'avènement du Moyen empire (M.E. en abrégé), considéré comme la seconde période faste de la civilisation égyptienne. C'est donc cette période sombre qui sépare l'Ancien du Moyen empire que les égyptologues ont désigné sous le terme de « Première Période Intermédiaire » (P.P.I. en abrégé) (N. Grimal., op.cit., 1988, p.172).

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La P.P.I. est une période de crise politique et sociale qui a vu la monarchie pharaonique sombrer dans l'anarchie. Pendant près de deux siècles l'Egypte allait être privée de sa royauté qui, comme on l'a évoqué tantôt, a été la garante de l'ordre social, de la prospérité économique et de la sécurité de ses frontières. Le Delta oriental allait être sous occupation étrangère et le pays devait se morceler en entités politiquement indépendantes et rivales. Aussi, les traces des grands édifices comme les pyramides (qui sont les témoins les plus visibles de la grandeur de la civilisation égyptienne à l'A.E.) sont absentes durant cette époque.

Il apparaît ainsi, que cette phase de l'histoire égyptienne dite P.P.I., a été une époque politiquement et culturellement décadente par rapport à l'Ancien et au Moyen empire.

C'est par rapport à cette situation de décadence entre deux des périodes considérées comme étant les plus achevées de la civilisation égyptienne, que l'étude portant sur la P.P.I., nous semble importante.

En suivant l'évolution historique de l'Egypte entre l'Ancien et le Moyen empire, un certain nombre d'interrogations nous sont venues à l'esprit.

Qu'est ce qui peut expliquer qu'un Etat aussi puissant que celui de l'A.E., sous lequel la civilisation égyptienne allait connaître une brillante période, puisse, à un certain moment donné de son évolution, décliner pour s'effondrer ensuite?

Comment est intervenue cette situation d'effondrement et comment elle s'est manifestée?

Etant donné que la situation de déclin a été momentanée, quels effets a-t-elle eu sur la monarchie qui s'est reconstituée par la suite ?

Telles sont les interrogations auxquelles notre présent travail tente d'apporter des réponses. En effet, répondre à ces questions, revient non seulement à étudier la P.P.I. en tant qu'époque historique comme l'Ancien ou le Moyen empire, mais c'est aussi revoir le processus qui conduit a la crise de la fin de l'A.E et son impacte sur l'évolution de la civilisation de l'Egypte pharaonique.

Les raisons qui nous ont poussé à faire une telle étude sont de divers ordres.

Il y a le fait que depuis très longtemps, nous nous sommes intéressés à des études portant sur les civilisations anciennes. Etant étudiant, faisant ses premiers pas dans la recherche, nous avons opté pour la civilisation égyptienne notamment son évolution au plan politique. Par rapport à cela, certaines études telles que celles de B. Sall (« Les luttes politiques dans l'Ancien empire égyptien », in, op.cit., 1982), portant sur l'évolution politique à l'A.E., nous ont montré que cette période, rendue célèbre par ses pyramides, a été

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une époque riche en activités politiques. Or, il se trouve que la P.P.I., en tant que période de crise politique, a été un résultat de l'évolution du système monarchique à l'époque précédente (c'est-à-dire à l'A.E.). Nous nous sommes dit qu'il est par conséquent possible de faire une étude sur cette période dite P.P.I.

Cette idée s'est confortée en nous, en s'apercevant que dans les travaux de mémoires de maîtrise soutenus à l'U.C.A.D., il n'y a pas d'étude portant sur la P.P.I.

Dans ce travail de recherche sur la crise de la P.P.I., notre objectif est de recourir à un certain nombre de sources que nous allons analyser et interpréter afin de pouvoir donner au finish, une idée sur ce qu'a été cette crise de la P.P.I., dans l'évolution de la civilisation égyptienne.

Parmi ces sources, il y a les inscriptions biographiques des cadres égyptiens qui ont été recueillies dans les Urkunden et dont on retrouve une traduction anglaise en 5 volumes faite par J.H., Breasted (Ancient records of Egypt., London, Chicago, 1988 - première édition 1906-). En rapport avec notre sujet d'étude, c'est le volume I qui nous intéresse parce que contenant les inscriptions biographiques allant du début de l'A.E. à la fin du M.E. Nous retrouvons une traduction française de ces textes avec A. Roccati (La littérature historique sous l'Ancien empire, Paris, Cerfs, 1982). Mais comme l'indique son titre, l'ouvrage de A. Roccati ne s'intéresse qu'à l'A.E. En dépit des lacunes qu'ils peuvent comporter (dues parfois à des altérations du texte original), ces documents sont d'un grand apport pour une étude portant sur les institutions égyptiennes.

L'autre catégorie de sources à la quelle nous avons fait recours concerne les textes littéraires, notamment ceux du M.E. En effet, comme l'a affirmé G., Posener, «son caractère d'actualité une fois reconnu, la littérature peut être exploitée par l'historien de manière systématique. Par ses thèmes et par la manière de les traiter, elle permet de mieux comprendre les problèmes politiques de l'époque, de saisir les conflits d'opinion et de suivre le mouvement des idée». (G. Posener., Littérature et politique sous l'Egypte de la XIIe dynastie, Paris, Librairie Ancienne Honoré Champion, 1956, p. X). Ainsi, les textes littéraires du M.E., par la diversité de leurs thèmes, nous permettent de saisir dans une certaine mesure, les changements intervenus par la faveur de la crise de la P.P.I., et cela aussi bien sur le plan politique que religieux et social. Pour l'essentiel de ces textes, nous avons utilisé les traductions contenues dans les ouvrages de (Cl. Lalouette., Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne Egypte. Des pharaons et des hommes, traduction française et commentaires, Paris, Gallimard, 1984 ; G. Lefebvre., Romans et contes égyptiens de l'époque pharaonique, Paris, Maisonneuve, 1982 ; G. Posener., op.cit., 1956).

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En plus des sources, certains ouvrages généraux nous ont été d'un grand apport. C'est notamment celui de N. Grimal., (op.cit., 1988), d'E Drioton et J Vandier., (op.cit., 1984), de J. Vercoutter., (L'Egypte et la vallée du Nil. Tome I: des origines à la fin de l'Ancien empire, Paris, P.U.F, 1992), d'A. Moret., (Le Nil et la civilisation égyptienne, Paris La Renaissance du livre, 1926) et de J. Pirenne., (Histoire de la civilisation de l'Egypte pharaonique, Tomes I et II, Neuchâtel, La Baconnière, 1961 et 1962).

Pour tenter d'apporter des réponses aux questions soulevées, notre démarche s'articule autour de trois parties.

La première partie est une approche descriptive, relative à la situation de l'Egypte pendant cette tranche chronologique appelée P.P.I. Elle est divisée en deux chapitres. Dans le premier chapitre, nous avons tenté de retracer le cadre chronologique de cette période de crise en évoquant les différentes dynasties qui se sont succédées ou qui ont régnés simultanément dans les différentes parties de l'Egypte. Ensuite nous avons procédé à une analyse de la situation anarchique de l'Egypte, à la fin de l'A.E., qui s'était caractérisée par un soulèvement du peuple contre la monarchie et par une invasion étrangère. Le deuxième chapitre a trait à l'état politique et culturel de l'Egypte à la suite de l'effondrement de la monarchie. Il y a été aussi question de la crise de conscience qui s'est emparée de l'Egyptien durant cette époque de bouleversement de l'ordre social établi.

La deuxième partie de notre travail est consacrée à l'analyse de la situation qui a conduit à l'effondrement de l'A.E. Cette partie aussi est divisée en deux chapitres. Dans le premier chapitre, nous avons tenté de remonter aux sources de la crise politique qui a été à la base de l'affaiblissement du pouvoir monarchique. La centralisation politico-religieuse entamée dès l'époque thinite, au moment de la formation de l'Etat, atteint son sommet à partir de l'A.E. avec le triomphe de l'absolutisme monarchique. Le système centralisé de l'Etat à l'A.E., a été le résultat d'une entreprise de neutralisation, entamée par les pharaons, contre les forces centrifuges représentées par les nomarques. Mais si dans la première moitié de l'A.E., l'absolutisme royale devait triompher, les choses devaient commencer à se renverser à partir de la Ve dynastie, en faveur des nomarques et ceci du fait des changements politico-idéologiques qui ont accompagné l'avènement de cette dynastie. Un processus d'affaiblissement de la royauté fut alors entrepris par les nomarques notamment sous la VIe dynastie. Le second chapitre porte sur l'analyse des éléments qui ont concouru à l'éclatement de la violence politique et sociale à la fin de l'A.E. La monarchie qui avait fini par s'affaiblir

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du fait de l'opposition des nomarques, allait au même moment, se confronter à une grave crise du trésor qui devait s'amplifier à cause de la dégradation des conditions climatiques.

La troisième partie est consacrée à l'analyse des effets de la crise sur l'évolution de la civilisation égyptienne. Cette partie aussi est divisée en deux chapitres. Le premier concerne les changements intervenus au niveau politico-idéologique et sur le plan des croyances religieuses, au sortir de la crise de la P.P.I. L'effondrement de l'A.E., signifiant en même temps, échec d'un système politico-idéologique, la monarchie qui allait se reconstituer au M.E. devait connaître une évolution par rapport à l'ancien système. Et, étant donné que la religion funéraire était étroitement liée à l'idéologie royale, elle devait nécessairement subir une certaine évolution par rapport à celle de l'A.E. Le dernier chapitre est consacré au renouveau culturel qui va accompagner le retour de la monarchie. Aussi bien au niveau de l'art que de la littérature, l'époque qui succède à la P.P.I, allait être une époque de renaissance. Cette renaissance est liée à l'éclosion de nouvelles idées, favorisée par la crise des consciences intervenue au cours de la P.P.I.

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PREMIERE PARTIE :

PRESENTATION GENERALE DE

L'EGYPTE SOUS LA PREMIERE

PERIODE INTERMEDIAIRE (P.P.I.)

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Chapitre I: Les bouleversements sociopolitiques de la fin de l'Ancien empire

A- Le cadre chronologique de la P.P.I.

Il convient de remarquer avant tout que le cadre chronologique de la période dite P.P.I., n'est pas facile à déterminer pour une raison fondamentale : la carence des sources pour ce qui concerne cette période de crise. Pour une époque aussi ancienne que celle de l'histoire de l'Egypte pharaonique, les traces font parfois défaut, même pour des phases considérées comme étant stables comme l'Ancien ou le Moyen empire. Ceci pour dire qu'en ce qui concerne une période de crise comme celle de la P.P.I., les sources posent problèmes. Pour autant, la P.P.I., semble-t-il, n'a pas été considérée par les anciens égyptiens comme étant une période de rupture au plan historique.1 Ceci pour une raison simple, elle est incluse dans la chronologie établie par l'historiographie égyptienne.

Ainsi, pour étudier la chronologie de cette période intermédiaire, il existe un certain nombre de sources.

D'abord il y a le découpage en dynasties de l'histoire égyptienne fait par Manéthon.2

Ensuite nous avons les listes royales parmi lesquelles il y a celles d'Abydos, de Saqqara ainsi que le Papyrus de Turin .Ce dernier document contient une liste de souverains, organisés en dynasties et allant des origines au Nouvel empire.3 La comparaison de ces différentes sources nous permet d'établir dans une certaine mesure le cadre chronologique de cette période dite P.P.I.

En ce qui concerne les débuts de cette période sombre, ils se confondent avec la fin troublée de l'A.E. La question à ce niveau est de déterminer à quel moment prend fin l'A.E. pour laisser la place à la P.P.I. Il se trouve que la fin de l'A.E n'est pas facile à déterminer du fait de la confusion dans laquelle il s'était achevé. Toutefois, on sait que la dernière dynastie considérée comme faisant partie de l'époque stable que fut l'A.E. avait été la VIe dynastie.

1 Grimal N., op.cit., 1988, p.72

2 Manéthon était un prêtre égyptien qui vivait sous la dynastie grecque des Ptolémée, laquelle gouverna l'Egypte de -305 à-30.C'est lui qui détermina le découpage en dynastie de la chronologie historique en trente dynasties allant de Ménès (considéré comme le premier pharaon) jusqu'à la conquête macédonienne intervenue vers -333(Cf., Rosalie and David A.E., A biographical dictionary of Ancient Egypt, London, Routledge, 2001, p.71 et 113)

3 Grimal N., op.cit, 1988, p.58

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Il convient d'étudier les conditions dans lesquelles s'était achevée cette dynastie, pour pouvoir déterminer les débuts de la crise qui a fait sombrer la monarchie.

Il semble en effet que c'est à la fin du règne de Pépi II (5e pharaon de la VIe dynastie) que l'instabilité s'installe à la tête de la monarchie pharaonique. Ce pharaon, semble-t-il, avait eu un règne trop long qui dura environ 94ans.4 Ce long règne de Pépi II n'avait pas manqué d'avoir des conséquences que sont entre autres, la crise de succession qu'avait connue la monarchie après lui5. En effet, d'après la liste royale d'Abydos, le successeur de Pépi II a été le pharaon Mérenrê II6. Mais ce dernier, semble-t-il, ne put guère se maintenir longtemps au pouvoir puisque le Papyrus de Turin ne lui accorde qu'un an et un mois de règne7. Cette même source, au même titre que Manéthon, considère la reine Nitocris comme successeur de Mérenrê II.8 Toutefois, là où Manéthon considère la reine Nitocris comme le dernier souverain de la VIe dynastie, le Papyrus de Turin donne six autres pharaons qui auraient régné après elle9. Quant à la liste royale d'Abydos, elle ne mentionne pas Nitocris, mais après Mérenrê II, et avant les pharaons du M.E., elle incorpore dix-sept cartouches royaux.10 Tout ceci montre que les sources divergent sur le nombre de pharaons qui avaient succédé à Pépi II. Et ce désaccord au niveau des sources peut être une illustration de la confusion qui a suivi la fin du règne de Pépi II.

A ce désaccord des sources, s'ajoutent les événements rapportés par Hérodote et qui se seraient déroulés durant cette fin d'époque. D'après ce dernier, la reine Nitocris avait vengé l'assassinat de son frère et roi par un massacre avant de se donner la mort.11 Hérodote ne donne pas l'identité des assassins de pharaon, mais ses propos laissent apparaître au moins qu'il y a eu une crise au sommet de l'Etat, pendant cette période qui a suivi le règne de Pépi II.

4 Vernus P, Yoyotte J., Dictionnaire des pharaons, Paris, Noêsis, 1998, p.121. A propos de la longueur du règne de Pépi II, les sources donnent divers chiffres. Le Papyrus de Turin donne 90 ans et plus (Cf., Roccati A., op.cit., 1982, p.35), Manéthon donne 94 ans (Manéthon, cité par H. Gauthier, Livre des Rois d'Egypte, Tome I, 1907, p.169). Mais si l'on se réfère à la lecture du chiffre 32 (du recensement), relevé sur un graffite de son temple funéraire, qui est la date la plus tardive notée sur les monuments, le règne de Pépi II n'excéderait pas 64 ans (Cf., Vercoutter J., op.cit., 1992, p.332). Quoi qu'il en soit, les chiffres donnés par les différentes sources montrent que Pépi II a eu un très long règne à la tête de la monarchie pharaonique.

5 Grimal N., op.cit, 1988, p.107

6 Ibidem

7 Roccati A., op.cit., 1982 p.35

8Ibidem

9 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.353-354

10Ibidem

11 Hérodote, II, 100, texte établi et traduit par PH.E Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1948

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Un autre fait qui montre qu'après Pépi II, la monarchie était confrontée à une crise, c'est l'interruption a partir de ce pharaon, de la série des grandes constructions (les pyramides) représentant les complexes funéraires des souverains de l'A.E.12

Ainsi en se fondant sur tous ces éléments que nous venons d'évoquer, nous pouvons considérer que les débuts de la P. P. I. se situent à la fin du règne de Pépi II. La conclusion à tirer de cet état de fait est que les souverains de la VIe dynastie, postérieurs à Pépi II (comme Mérenrê II ou Nitocris), ne font pas partie de l'A.E., mais de la P. P.I.13 Celle-ci comprend en plus, la fausse VIIe dynastie, les VIIIe, IXe, Xe, et une partie de la XIe dynastie.14

On parle de fausse VIIe dynastie car d'après Manéthon, elle comprend « soixante-dix rois de Memphis qui régnèrent pendant soixante-dix jours».15 Mais à l'exception de Manéthon, les autres sources n'évoquent pas ce nombre important de pharaons dans la période qui a suivi la fin de l'A.E. L'existence de cette dynastie, dont on ne connaît aucun nom des souverains qui l'auraient composée, est contestée. Pour certains historiens, elle n'a peut-être jamais existé. Placée dans le contexte troublé qui marqua la fin de la VIe dynastie, elle pourrait correspondre à un gouvernement oligarchique qui dirigea l'Egypte à cette époque.16 Mais même si l'on se place dans la perspective d'un gouvernement oligarchique, celui-ci a été d'une courte durée car, comme on le constate avec Manéthon, il dépasse à peine deux mois.

Il semble toutefois qu'après les troubles, la monarchie avait réussi à ressusciter avec la VIIIe dynastie. Cette dernière, bien que moins obscure, reste très mal connue. Elle serait originaire d'Abydos.17 Concernant les règnes, la liste d'Abydos et le Papyrus de Turin ont conservé une liste de pharaons (dix-sept sur la première et huit sur le second) ayant régné à cette période.18 Quant à Manéthon, ses abréviateurs parlent pour la VIIIe dynastie de 27 pharaons qui auraient régné 146 ans ou bien de 5 souverains restés au pouvoir pendant un siècle.19 Comme on le voit, le nombre de souverains qui ont composé cette dynastie reste très incertain et cela d'autant plus qu'ils ont laissé très peu de monuments. En effet, le seul édifice connu qui daterait de cette période est une pyramide trouvée dans une nécropole royale et qui

12 Seidlmayer S., « The First Intermediate Period »,in, Shaw I(editor),The Oxford History of Ancient Egypt, Oxford University Press, 2000, p.119-120

13 Sall B, op.cit, 1982, p.13

14 Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998, p.132

15 Manéthon cité par Vercoutter J., op.cit, 1992, p.354

16Drioton E et Vandier J., op.cit, 1984, Paris, P.U. F., p.214; Sall B., op.cit, 1982, p.14, note 19

17 Sall B., op.cit, 1982, p.10

18 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.214-215

19 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.359

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serait postérieure au règne de Pépi II.20 L'auteur de cette pyramide, située à Saqqara Sud, est le seul pharaon de cette période identifié avec précision. Il s'agit de Qakarê Aba à qui le Papyrus de Turin n'accorde que deux ans de règne21. On a aussi retrouvé des documents officiels qui appartiendraient à la VIIIe dynastie. Ce sont des textes de décrets royaux qui concernaient la famille du vizir Chémai à Coptos.22 Les pharaons qui avaient promulgué ces décrets en question étaient Néferkaouor et Demedjibtaoui. 23 Ces documents officiels nous renseignent dans une certaine mesure, sur la politique intérieure de la VIIIe dynastie. Par exemple un des décrets était un acte de nomination du vizir Chémai comme gouverneur des vingt deux nomes du sud24. Cette nomination montre quelque part, la volonté des souverains de cette dynastie de rétablir l'autorité royale en Haute Egypte. En effet, la VIIIe dynastie, semble-t-il, s'était placée dans l'héritage de la tradition memphite. C'est probablement dans ce sens que malgré son origine abydéenne, elle s'était basée à Memphis, capitale de la monarchie défunte. Cette idée semble se confirmer dans les noms de souverains supposés appartenir à cette dynastie et fournis par les listes royales. En effet, plusieurs de ces noms reprennent celui du couronnement de Pépi II à savoir Néferkarê. 25 Mais les pharaons de la VIIIe dynastie n'ont guère pu restauré la monarchie pharaonique à l'image de ce qu'elle fut sous l'A.E. Ils avaient dû faire face durant cette période, à l'occupation du Delta par les Asiatiques et à la tendance autonomiste des princes locaux dont ceux d'Héracléopolis qui vont finir par faire sécession.26

La période qui englobe la fausse VIIe dynastie et la VIIIe dynastie est datée d'entre -2263 et -222027. C'est aussi cette période qui constitue l'intervalle entre la fin troublée de l'A.E. et l'avènement de la royauté héracléopolitaine à savoir les IXe et Xe dynasties. Cette royauté héracléopolitaine fut l'oeuvre des princes de cette localité qui avaient réussi à unifier la Moyenne Egypte et à faire sécession vers -222228. Par la suite, un des leurs devait s'arroger la dignité royale sous le nom de Méribrê Khéti et va fonder la lignée des souverains héracléopolitains. Ce Méribrê Khéti fut un souverain énergique qui avait réussi à éclipser les derniers souverains memphites.29 C'est peut-être pour cette raison que la tradition grecque

20 Drioton E Vandier J op.cit. 1984, p. 215

21 Grimal N., op.cit., 1988, p.175

22 Ibidem

23 Le grand atlas de l'Egypte ancienne, Paris, Editions Atlas, 1998, p.100

24 Pirenne J., op.cit., 1962, p.11

25 Grimal N., op.cit., 1988, p.175

26Ibidem

27Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.216.

28 Ibidem

29 Pirenne J., op.cit, 1962, p.14

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le dépeint comme un cruel tyran, mort dévoré par un crocodile.30L'avènement de la dynastie héracléopolitaine annonce en même temps la fin de la suprématie de Memphis comme centre de la royauté. En effet, la VIIIe dynastie devait disparaître dans des conditions obscures et la royauté allait désormais s'installer à Héracléopolis. Ce changement de la résidence royale de Memphis à Héracléopolis avait été probablement considéré par les anciens Egyptiens comme une interruption majeure. Les compilateurs des listes royales comme ceux du Papyrus de Turin ont arrêté à la VIIIe dynastie le grand total de la première partie de l'histoire égyptienne et ceux de la liste d'Abydos ne mentionnent pas de nom royal entre la VIIIe dynastie et la XIe dynastie31. Les souverains qui ont régné à Héracléopolis sont répartis entre la IXe et la Xe dynastie. On ignore les raisons qui avaient entraîné le passage de la IXe à la Xe dynastie. Mais nous constatons que les noms de couronnement portés par les pharaons de ces deux dynasties ne reflètent pas de rupture. Il se pourrait alors qu'elles forment une seule famille.32 Le nombre des souverains qui l'ont composés reste toutefois mal connu. Manéthon attribue 19 souverains à chacune des deux dynasties héracléopolitaines alors que le Papyrus de Turin donne une liste de 18 souverains ayant directement précédé la XIe dynastie.33 Il s'y ajoute la perte de plusieurs noms de pharaons ainsi que les informations concernant la longueur de leurs règnes sur cette liste de Turin.34 Les seuls pharaons qui nous sont connus de la période héracléopolitaine sont Méribrê Khéti I, Nébkaourê Khéti II, Néferkarê, Ouahkarê Khéti III et Mérikarê35. Tous ces pharaons portent des noms de couronnement qui comportent le suffixe Rê. Ce qui laisse supposer que malgré leur origine héracléopolitaine, et les coups portés à la royauté memphite, ces pharaons se sont considérés comme les héritiers de la tradition memphite. La rareté des documents royaux et monuments officiels qui caractérise cette période empêche une description claire de leur politique. Les rares informations que nous avons de ces dynasties héracléopolitaines nous proviennent des inscriptions tombales des princes de Haute Egypte et de quelques oeuvres littéraires datant de

30Vernus P Yoyotte J, op.cit, 1998, p.108

31 Seidlmayer S., «The First Intermediate Period», in, Shaw I., op.cit., 2000.p.118

32 Aufrère S., Pharaons d'Egypte. Condensé des annales royales et liste exhaustives des souverains de Haute et Basse Egypte, Paris, Errance, 1997, p.8.

33 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraph 53

34 Seidlmayer S., «The First Intermediate Period», in, Shaw I., op.cit., 2000, 119

35 Sur le tableau chronologique des IXe et Xe dynasties (Cf., Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.217). Le pharaon Ouahkarê Khéti III est considéré comme l'auteur d'un Enseignement qu'il donna à son fils Mérikarê. C'est aussi sous son règne que se serait déroulée l'histoire du paysan volé. Pour ces deux textes (Cf., Lalouette Cl., op.cit., 1984, respectivement p.50 à57 et 197 à 211)

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cette période.36Ces documents nous permettent dans une certaine mesure de lire les faits sociaux et politiques des règnes de ces dynasties.

Il semble, qu'en dehors de la lutte qu'ils ont menée contre l'occupation asiatique dans le Delta, les souverains héracléopolitains avaient dû faire face aux prétentions hégémoniques des princes thébains37. Ce qui montre quelque part qu'ils ont tenté de restaurer l'unité de l'Egypte et l'autorité de la royauté pharaonique. Mais cette ambition devait être limitée du coté de la Haute Egypte par les Thébains. Ces derniers devaient par la suite parvenir à s'assurer la domination du Sud. Et vers -2130, au moment où Néferkarê accédait au trône à Héracléopolis, le prince thébain, s'arrogea la dignité royale et régna sur la Haute Egypte sous le nom de Séhertaoui Antef38. Il fonda ainsi la XIe dynastie qui s'installa à Thèbes. Cette dynastie devait être contemporaine, en partie, des règnes des dynasties héracléopolitaines.

Dès lors, la royauté égyptienne devait se partager entre les souverains établis à Thèbes et ceux qui sont à Héracléopolis. C'est dire qu'on va assister à des règnes parallèles dans ce pays où ce fut la personne de pharaon qui incarnait l'unité nationale. Le règne de Séhertaoui Antef I et de ses successeurs Ouhankh Antef II et Nekhtnebtepnefer Antef III devait être marqué par la rivalité avec les souverains Héracléopolitains.39 Contrairement à ces derniers dont les tombes ne sont pas connues, Séhertaoui et ses successeurs ont leurs tombes établies dans la nécropole de Drah Aboul Naga.40 Ils sont par conséquents connus d'après leurs édifices funéraires. Et, les inscriptions provenant de ces tombes, permettent de connaître certaines activités menées par ces souverains thébains.

Ainsi, dans une inscription qu'il a laissée, Ouhankh Antef II évoque le conflit avec le Nord c'est-à-dire le royaume d'Héracléopolis et sa conquête du nome thinite41. Il aurait comme souverain contemporain à Héracléopolis Ouahkarê Khéti III (auteur de l'Enseignement) et ils furent tous les deux de très grands souverains42. Ouhankh Antef II et son successeur Nekhtnebtepnefer Antef III sont aussi connus à travers l'inscription

36Pour les inscriptions des tombes (Cf., Breasted J H., op.cit, 1988, paragraphes 391 à 423G ; Grimal N., op.cit, 1988, p.177-178).Quant aux textes littéraires (Cf., Lalouette Cl., notre note précédente).

37Dans le texte de Khéti III, il évoque la lutte qu'il mena contre les Asiatiques dans le Delta et la guerre qui l'opposa aux princes locaux notamment les thébains (Cf., Lalouette Cl., op.cit, 1984, p. 53-54). 38 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.216.Ce Séhertaoui Antef n'est pas le fondateur de la lignée des princes thébains ; il y avait un Antef et un Montouhotep qui sont nommés dans la liste royale de la « Chambre des ancêtres » de Karnak en tant que nomarques (Cf., Grimal N., op.cit, 1988, p.179) 39Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.218-220

40Pour les tombes des Antef (Cf., Vandier J., Manuel d'archéologie égyptienne, Tome II. Les grandes époques. L'architecture funéraire, Paris, A. ET J. Picard ET Cie, 1954, p.154-155)

41 Breasted J H., op.cit, 1988, paragraphes 421à423

42 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.218

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biographique d'un certain Thethi qui fut trésorier en chef sous leurs règnes43. Dans le conflit qui les a opposé aux héracléopolitains, l'avantage devait finir par revenir aux thébains. En effet, c'est le fils de ce Antef III, Montouhotep II qui parvint à triompher définitivement de la royauté héracléopolitaine, mettant un terme à la P.P.I. et ouvrant le M.E.44

B- La phase violente de la crise

Ce que nous considérons ici comme étant la phase violente de la crise de la P.P.I., correspond à l'anarchie dans laquelle l'Egypte avait sombré à la fin de l'A.E. Cette situation avait constitué, en même temps, le début de la période décadente qui devait durer jusqu'au M.E. Sur cette violence qui caractérisa les débuts de la P.P.I., les documents officiels sont pratiquement muets. C'est peut-être là, un signe des troubles qu'avait connus le pays à l'époque. Mais la littérature populaire a heureusement conservé des échos de cette violence consécutive à la fin de l'A.E. Il s'agit d'abord du texte d'un certain Ipou-our connu sous le titre des Lamentations d'Ipou-our.45 L'auteur nous fait une peinture saisissante du chaos dans lequel était plongé son pays. Le texte, divisé en six parties, comporte toutefois de nombreuses lacunes. Les quatre premières parties sont consacrées à la description de l'état chaotique de l'Egypte et les deux dernières évoquent le souvenir de l'équilibre perdu du royaume tranquille46. La traduction de ce texte a été reprise par d'autres auteurs tels que A. Moret et C.A. Diop.47 A travers ces traductions, on peut dénoter certaines variations dans la forme du texte mais le fond reste le même. Pour ce qui nous concerne, nous avons utilisé la traduction de Cl. Lalouette contenue dans Textes sacrés textes profanes de l'ancienne Egypte.

43 Breasted J H., op.cit, 1988, paragraphes 423A-423G

44 Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998, p.100. Montouhotep II est classé en seconde position dans la suite des souverains qui portent ce nom après le premier qui est cité dans la liste royale de Karnak. Ce dernier n'a jamais régné effectivement, mais il fut considéré par la postérité au nombre des pharaons parce qu'il a été le père des deux premiers souverains de la XIe dynastie à savoir Séhertaoui Antef I et Ouhankh Antef II (Cf. Grimal N., op.cit, 1988, p.179 et Vernus P Yoyotte J., op.cit, 1998, p.100)

45 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p. 211 à 221. Ce texte a été traduit par A. Gardiner sous le titre de Admonition of egyptian sage, Leipzig, 1909

46Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.211

47 Moret A., op.cit., 1926, p.261à 267 ; Diop C.A., Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance, paris, Présence africaine, 1981, p.180-181

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Le second texte est un conte prophétique dont les personnages étaient le pharaon Snéfrou48 et le nommé Néferrohou (ou Neferty).49 Ce fut le souverain qui, désoeuvré et cherchant un homme qui pouvait le divertir, trouva en Néferrohou quelqu'un qui pouvait l'entretenir du passé comme de l'avenir. Ainsi, à la demande de Snéfrou qui préférait qu'on l'entretienne des choses à venir, Néferrohou se projeta dans le futur et fit une peinture dramatique d'une période difficile que devait traverser l'Egypte. Cette période allait être

caractérisée par des troubles à tous les niveaux de la société égyptienne. Le texte en question comprend trois parties. La première est une sorte d'introduction qui montre les circonstances qui ont permis la naissance de la prophétie. La seconde est consacrée à la description des malheurs qui allaient secouer l'Egypte. Quant à la troisième, elle annonce l'arrivée d'un roi considéré comme le sauveur du pays50.

La question qui est posée est celle de savoir si les événements douloureux que prédit Néferrohou sont consécutifs aux bouleversements de la fin de l'A.E. Sur ce point, les avis des historiens divergent. Mais nombre d'entre eux pensent que ces événements sont ceux qui marquèrent la fin difficile de l'A.E.51 Si nous partons de cette hypothèse, nous pouvons admettre que les malheurs que prédisait l'auteur du conte prophétique sont les mêmes que ceux dont il est question dans les Lamentations d'Ipou-our. En d'autres termes, la partie prophétique du texte de Néferrohou est une composition postérieure aux événements qu'elle est censée prédire.

Ce sont donc ces deux textes (celui d'Ipou-our et de Néferrohou) qui vont nous servir de source pour le tableau de la situation que nous allons tenter de reconstituer. En effet, présenter la situation de l'Egypte pendant cette phase violente de la crise nous semble important. Cela nous permettra d'identifier les différents acteurs qui ont intervenu dans les troubles, de mesurer la profondeur de ces troubles et enfin de dégager la signification de la violence qui mit fin à l'A.E.

A travers l'analyse des sources sus-citées, nous avons constaté que l'Egypte avait connu au cours de cette période, une guerre civile et une invasion étrangère. Ces deux faits

48Ce pharaon est considéré comme le fondateur de la IVe dynastie et c'est lui qui inaugura la politique de construction grandiose propre aux souverains de cette dynastie (Cf., Rachet G., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Larousse, 1998, p.246)

49 Le nom de Néferrohou est de la traduction de G. Lefebvre. Mais dans certaines traductions comme chez G. Posener on a le nom de Neferty au lieu de Néferrohou (Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.21-60 ; Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.70-74). Nous utiliserons dans ce mémoire l'appellation de Néferrohou ou de Neferty, selon l'auteur dont nous avons utilisé la traduction.

50 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.104-105

51Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.297-298, note168 ; Lefebvre G., op.cit, 1982, p.92. Sur les discussions concernant cette question, Cf., Posener G., op.cit, 1956, p.44-47

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s'étaient-ils produits simultanément ou successivement? La question reste ouverte. En ce qui nous concerne, nous pensons que pour l'aborder, il faut tenir en considération plusieurs faits.

Nous savons, d'après les sources, que l'invasion dont fut victime l'Egypte à l'A.E. avait concerné la partie Est du Delta et serait l'oeuvre des Asiatiques.52 Mais cette invasion semble-t-il n'était pas la première action de ces Asiatiques en direction de l'Egypte. Déjà sous Pipi Ier ils avaient entrepris une de leurs razzias habituelles contre le Delta dans l'intention de s'y établir avec leurs troupeaux.53 Il avait fallu mobiliser un nombre important de soldats venant de diverses régions d'Egypte et même de la Nubie pour faire face à ces envahisseurs54. Il semble d'ailleurs qu'une seule mobilisation n'avait pas suffis pour enrayer la menace bédouine. La même opération avait été menée cinq fois sous le même Pipi Ier et contre les mêmes ennemis. 55 Cependant, il semble que malgré les revers que leur avait infligé ce pharaon, les Bédouins n'avaient pas renoncé à l'espoir d'envahir l'Egypte.56 Or, nous sommes à la fin de l'A.E. La longévité exceptionnelle du règne de Pépi II avait entraîné une sclérose des rouages de l'administration.57 Les nomarques locaux, devenus quasi indépendants, n'obéissent plus à l'Etat central.58 Cette situation ne devait pas être favorable à la formation d'une armée homogène et nombreuse comme ce fut le cas sous Pépi Ier. Pour les Bédouins qui n'attendaient que l'occasion pour pénétrer en Egypte, il semble que celle-ci s'était présentée à la fin du règne de Pépi II. Et l'invasion devait intervenir dès les dernières années de règne de ce souverain.59 Cela implique le fait que les successeurs de Pépi II à savoir Mérenrê II et la reine Nitocris avaient régné avec la présence des envahisseurs dans le Delta. C'est sous ces dernières souverains qu'avait semble-t-il débuté l'explosion sociale.60

En s'appuyant sur ces faits que nous venons d'évoquer, nous préférons commencer l'étude de cette phase violente par l'invasion extérieure.

D'après l'auteur de la prophétie, «« Les ennemis ont apparu dans l'Est, les Asiatiques sont descendus en Egypte (E 32-33cf.18), ils « parcourent le pays » (E32), « ils terrorisent

52 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.99 ; Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.213

53 Erman A Ranke H., La Civilisation égyptienne (traduction française de Charles Mathien), Paris, Payot, 1976, p.698. Pépi Ier est considéré comme étant le second ou le troisième pharaon de la VIe dynastie.

54 Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes 306 à 315 ; Roccati A. op.cit, 1982, p.187à197 55Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphe 214

56 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.214

57 Grimal N., op.cit, 1988, p.107

58 Daumas F., La civilisation de l'Egypte pharaonique, Paris, Arthaud, 1982, p.76. Nous reviendrons sur cette question dans les prochains chapitres consacrés à l'évolution de la situation politique sous l'Ancien empire.

59 Sall B., op.cit, 1982, p.12

60 Ibidem

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les moissonneurs, et ils enlèvent les attelages qui sont en train de labourer » (E19). Les nomades viennent avec leurs troupeaux qui s'abreuvent librement aux fleuves d'Egypte... (E35-36)...Les Bédouins emportent la nourriture et le pays se trouve dans la misère (E3032)''.61 Nous retrouvons les mêmes renseignements, relatifs à l'invasion de l'Egypte dans le texte d'Ipou-our lorsqu'il dit que « du dehors [les Asiatiques] sont venus en Egypte »62. De ces deux passages, il apparaît que l'Egypte avait été victime d'une invasion étrangère dans sa partie orientale. Cette partie du Delta, comme on l'a vu, a toujours tenté, par sa fertilité et ses richesses, les peuples asiatiques.63 Ce qui explique le fait que leur entrée en Egypte allait être suivie d'une occupation effective. C'est ce que laisse apparaître ce passage du texte d'Ipou-our où il dit que les occupants sont devenus « les artisans des travaux de la Basse Egypte ».64 Ainsi, L'Egypte venait de par cette occupation d'être amputée d'une partie importante de son territoire. Cette occupation constitue une des premières manifestations de la décadence du pouvoir monarchique qui fut incapable de faire face aux envahisseurs.65 Cela, d'autant plus que cette invasion n'était pas semble-t-il, l'oeuvre d'un Etat conquérant. D'après D. Valbelle, le Delta oriental n'a pas été pris d'assaut par les armées régulières d'un quelconque royaume asiatique désirant l'annexer.66 Ceci pour dire que cette invasion ne fut pas une action organisée mais plutôt un rush de peuplades en direction de l'Egypte, laquelle n'était plus en mesure de protéger ses frontières.

Face à cette incapacité de l'autorité pharaonique à défendre son territoire, la situation intérieure ne devait pas tarder à basculer dans l'anarchie. L'auteur du Conte prophétique décrit cette situation en disant qu'« on prendra les armes de combat et le pays vivra dans le désordre. On fera des flèches en bronze et on demandera du pain avec du sang ».67 C'est cette même image de violence qui nous est décrite par Ipou-our lorsqu'il dit : « Voyez donc, le visage est blême...ce qu'avait prédit les ancêtres est atteint... ; le pays est affligé de bande de voleurs, et l'homme doit aller labourer avec un bouclier...Voyez donc, le visage est blême et l'archer est équipé car le crime est partout ».68 Ainsi, la sécurité dont la monarchie avait dotée l'Egypte a disparu. Le sujet est obligé de veiller à sa propre sécurité. Et dans ce climat

61 Posener G., op.cit., 1956, p.40

62 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.213

63 Posener G., op.cit, 1956, p.40

64 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.215

65Nous fondons cette idée sur le fait que les sources qui évoquent cette occupation n'ont pas fait état d'une quelconque tentative de résistance de la part des Egyptiens. Elles n'ont fait que déplorer l'occupation de leur pays.

66Valbelle D., Les Neufs Arcs. L'Egyptien et les étrangers de la préhistoire à la conquête d'Alexandre, Paris, A. Collin, 1990, p.71

67 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.101

68 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.212

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de terreur, toutes les activités économiques allaient être perturbées. « Le Nil frappe (ses rives), et pourtant on ne laboure pas [...] L'or manque, les matériaux pour tous les travaux également [...] On manque de fruits, de charbon de bois, de divers sortes de bois: irtiou, maâou, flout, shetaou ».69 Si on ajoute ces événements à l'occupation du Delta, on peut dire que la situation de l'époque fut particulièrement dure pour le peuple égyptien. En effet, selon Néferrohou, « le pays est complètement ruiné ; il n'y subsiste plus rien ».70 C'est probablement ces rudes conditions qui vont pousser le peuple à s'acharner contre ceux qui symbolisaient la source de leur misère, c'est-à-dire les fonctionnaires.71 Le dessin de cette action populaire contre les symboles de l'Etat nous est fait par Ipou-our en ces termes : « Voyez donc, les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie ; et chaque ville dit : « Laissez-nous chasser les puissants de chez nous » [...]Voyez donc, l'auguste chambre des archives, ses écrits ont été enlevés[...]Voyez donc, les bureaux administratives sont ouverts, les rôles ont été enlevés de sorte que celui qui était un serf peut devenir le maître des serfs. Voyez, (les scribes] sont tués, leurs écrits enlevés [...] Voyez donc, les scribes de l'office des grains, leurs livres aussi ont été arrachés[...]Voyez, les juges d'Egypte sont chassés à travers le pays, chassés des Maisons de la royauté .»72

Ces extraits du texte d'Ipou-our nous montrent ainsi que l'action populaire fut particulièrement violente à l'endroit de l'administration royale et de ses agents. En effet, tout ce qui constituait les fondements de cette administration tels que la justice, le trésor et les archives avaient été pillés. Les fonctionnaires eux-mêmes avaient subi les coups de la violence populaire. Les raisons de cet acharnement du peuple contre l'administration et tout ce qui le symbolisait peuvent être cherchées dans le fonctionnement de l'Etat memphite. Ce dernier, caractérisé par sa centralisation, avait comme base principale, le fonctionnarisme. Ainsi, les fonctionnaires jouissaient d'énormes privilèges de la part de pharaon. Entre autres attestations de cet état de fait, nous avons l'exemple des privilèges dont avait bénéficié Metjen, un fonctionnaire de la IIIe dynastie. Dans sa biographie, il nous fait savoir qu'il

69 Id., Ibid., p.212-214. Sur la question des crues du Nil, nos deux sources décrivent deux situations opposées. En effet, là ou Ipou-our dit que « le Nil frappe (ses rives) », Néferrohou dit que « les fleuves d'Egypte étant à sec, on pourra traverser l'eau à pied » (Cf., Lefebvre G., op.cit, 1982, p.100). Autrement dit, là où le premier évoque la venue des crues du Nil, le second parle d'une baisse du niveau des eaux du fleuve. Les propos de Néferrohou montrent quelque part que l'arrêt des activités, comme l'agriculture, n'est pas dû uniquement à la violence comme l'affirme Ipou-our mais également aux perturbations des conditions climatiques. Nous reviendrons sur le problème des crues du Nil et son impact dans l'effondrement de l'A.E.

70 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.99

71Sene Kh., Etude de l'évolution des luttes politiques en Egypte à l'Ancien empire, mémoire de maîtrise, F.L.S.H., U.C.A.D., 2002-2003, p.73

72 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.212, 216 -217

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obtint entant que directeur de mission des nomes de Neith, et de l'Occident, 12 « fondations de Metjen dans les nomes de Neith, du Taureau Sauvage et de la Cuisse ».73 Et une fois gouverneur de nome, il bénéficia en outre d'une donation royale prélevée sur le domaine de la couronne.74 Un autre exemple de cette situation se trouve dans un texte intitulé La Satire des métiers. Un homme faisant à son fils la comparaison entre le métier de scribe et les autres métiers lui disait ceci : « vois, aucun scribe ne manque de nourriture, ni de biens appartenant au Palais royale Vie-Santé-Force ».75 A travers ces exemples, il apparaît que l'Etat assurait à ses fonctionnaires des avantages qui les mettaient dans une certaine aisance. Ce qui ne pouvait pas manquer de provoquer une fracture sociale au détriment d'une grande partie du peuple. Ainsi, d'après C.A Diop, c'est l'appareil bureaucratique devenu, pour le peuple, extrêmement lourd, avec l'absolutisme royal qui était particulièrement visé.76

En plus de l'administration, l'institution royale devait elle-même être victime des bouleversements qui secouèrent l'Egypte à l'époque. D'après Ipou-our, « une chose a été faite qui n'était pas arrivée auparavant : on est tombé assez bas pour que des misérables enlèvent le roi ».77Ce passage traduit que le pharaon d'Egypte était déchu de la royauté qu'il incarnait. La continuité de cette royauté pharaonique venait donc de s'interrompre sous le coup d'une action populaire. Dans la conception idéologique que les Egyptiens avaient de cette institution monarchique, l'acte qui venait d'être commis fut d'une extrême gravité pour la marche du pays. En effet, le pharaon, en sa qualité de souverain d'Egypte, est considéré comme le successeur légitime d'Horus, premier souverain d'Egypte, fils d'Osiris et d'Isis.78 Il était aussi le fils du Dieu solaire Rê. Ainsi, en sa qualité d'héritier des dieux, le pharaon était le continuateur du pouvoir des dieux sur terre. Il était en outre chargé d'assurer l'Ordre Universel conformément à Maât, déesse de la vérité et de la Justice, enfant comme lui du dieu solaire Rê.79 Par rapport donc à tout ce que symbolisait pharaon, son absence sur le trône d'Egypte était synonyme de menace de chaos.

Dans son action contre la royauté, le peuple ne s'est pas limité au souverain en place. D'après Ipou-our, « ...celui qui avait été enterré en Faucon divin est maintenant sur une

73 Roccati A., op.cit., 1982, p.86-87

74 Pirenne J., op.cit, 1961, p.137

75 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.197

76 Diop C.A., Antériorité des civilisations nègres. Mythe ou vérité historique ? Paris, Présence Africaine, 1967, p.153

77 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217

78 Vercoutter J., « Pharaon », in, Dictionnaire de l'Egypte ancienne, Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 1998, p.297

79 Id., Ibid, p.298

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civière et ce que recelait la pyramide est désormais vide ».80 Ce passage du texte d'Ipou-our dénote que le peuple s'était attaqué également au pharaon défunt et à sa sépulture. Au vu des croyances funéraires de l'époque, cette action était lourde de conséquences. En effet, dans la religion funéraire de l'A.E., l'idée était que le pharaon, après sa mort, rejoignait son père Rê pour l'éternité81. Et, dans les Textes des Pyramide, confectionnés pour le pharaon défunt, on peut lire ces passages : « Tes os, pour toi, sont rassemblés, tes membres sont mis en place pour toi, la poussière qui était sur toi est chassé, tes biens, pour toi, sont dénoués. On ouvre pour toi le tombeau, on fait glisser les deux portes du sarcophage, enfin l'on déploie pour toi les portes du ciel [...] Les pieds du roi frappent la terre pour prendre son essor vers le ciel. Le voilà qui monte au ciel [...] il vole comme un oiseau, il se pose, tel un scarabée, sur le trône vacant qui est dans ta barque, ô Rê [...].Comme il est beau de voir le roi, le front ceint comme celui de Rê, vêtu de son pagne, comme Hathor, sa plume étant comme la plume du faucon tandis qu'il s'élève vers le ciel, parmi ses frères les dieux.»82 À travers ces extraits des textes des pyramides, on voit que non seulement le pharaon défunt ressuscitait mais il rejoignait les dieux. Et lors de son ascension au ciel, il ne se contentait pas de bénéficier, pour lui seul, de la vie éternelle. Certes, après la mort, pharaon devenait l'un des compagnons de Rê, mais il continuait de garder la charge de ses sujets, qu'il entraînait avec lui dans l'au-delà.83 Par conséquent, piller la tombe de ce défunt qui était au rang des dieux est une remise en cause des fondements de la religion funéraire de l'Egypte. D'après N. Grimal, le sacrilège est double, car non seulement le pays est privé de son pharaon, donc de la garantie du maintien de l'ordre établi, mais les générations précédentes sont dépouillées de leur survie84. A travers ces événements, on voit que non seulement la structure de l'Etat s'était effondrée, mais les bases religieuses dans lesquelles celle-ci était encrée avaient été renversées.

A l'issue de cette violence, la société égyptienne avait été particulièrement bouleversée. Ipou-our déplore cette situation en ces termes : « voyez, en vérité ces transformations du peuple d'Egypte [...] voyez, l'homme riche (d'autre fois) dort assoiffé, maintenant ; mais celui qui auparavant mendiait pour la lie, a désormais la bière à profusion [...] Voyez, celui qui ne possédait rien est maintenant un homme opulent, et le grand fait sa

80 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217

81 Vercoutter J., « Pharaon », in, op.cit., 1998, p.298

82 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 143-144. Les Textes des Pyramides constituent un recueil de textes gravés sur les parois des chambres de cinq pyramides de Saqqara appartenant respectivement à Ounas ( dernier pharaon de la Ve dynastie), Téti, Pépi Ier, Mérenrê Ier et Pépi II , tous pharaons de la VIe dynastie. C'est un recueil d'incantations grâce auxquelles le pharaon défunt pouvait rejoindre, dans l'au-delà, la place qui lui est réservée au prés des dieux (Cf., Rachet G., op.cit, 1998, p.222).

83 Grimal N., op.cit., 1988, p.159 84Grimal N., op.cit, 1988, p.173

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louange. Voyez l'homme pauvre démuni du pays est devenu riche ; le riche est devenu pauvre ».85 C'est dire qu'au plan social, la violence avait opposé les pauvres aux riches, permettant aux premiers de dépouiller les seconds de leurs biens. Ce qui avait donné l'occasion à ces anciens pauvres de se retrouver à la position des privilégiés. Il y a eu alors un changement des rôles au sein de la société égyptienne. En effet, si l'on suit la description de Ipou-our, on constate que toute la structuration de l'ancienne société était en place, mais ce sont plutôt les hommes qui avaient changé de position sociale. Autrement dit, il y avait un renversement de la situation sociale que Ipou-our assimile à l'image d'un « pays qui tourne comme tourne la roue du potier ».86 C'est donc dans ces conditions que s'était achevée la première phase brillante de la civilisation de l'Egypte pharaonique.

Il reste toutefois que ces événements douloureux qui avaient caractérisé cette fin d'époque sont diversement interprétés par les historiens. D'après certains d'entre eux, l'Egypte avait connu à la fin de l'A.E., une révolution, la première enregistrée dans l'histoire universelle.87 Cependant, si nous analysons la situation au cours de cette phase violente, il est difficile de qualifier ces événements de révolution.

D'abord sur le plan politique, Ipou-our, en décrivant la chute du pouvoir monarchique, disait ceci: « on n'est tombé assez bas pour que le pays ait été dépouillé de la royauté par un petit nombre de gens sans raison »88. Ce passage du texte d'Ipou-our montre clairement que le pharaon en place avait été déchu de son pouvoir. Mais le texte n'évoque pas une prise quelconque du pouvoir politique par les auteurs de cette chute du pharaon. D'ailleurs ces gens qui ont dépouillé l'Egypte de sa royauté sont qualifiés par d'Ipou-our de « petit nombre de gens sans raison »89. Autrement dit, il s'agissait de personnes qui n'avaient aucune connaissance par apport à la gestion du pouvoir politique.

Ensuite, dans la violence sociale, on na vu qu'il s'agissait d'une opposition entre les pauvres et les riches. Les premiers s'étant attaqués aux seconds pour s'emparer de leurs biens et de leur position sociale. Là aussi, on n'évoque pas une situation de redistribution des richesses

85 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.218 86Id., Ibid, p.213

87 Cf., Diop C.A., op.cit, 1981, p.178 ; Pirenne J., op.cit, 1961, p.329

88 Lalouette Cl., op.cit, 1984, p.217

89 Le qualificatif de « petit nombre de gens sans raison » utilisé par Ipou-our pour désigner les auteurs de la chute de pharaon doit être nuancé. Il se pourrait qu'il soit un partisan de la royauté défunte et pour masquer le fait que la chute de celle-ci fut le résultat d'un mécontentement populaire, il parle de petit nombre de gens sans raison. Et même si on se place dans la perspective d'un petit nombre de personnes qui aurait mis fin à la royauté, cela traduirait un autre fait : c'est le niveau de faiblesse atteint par la royauté à tel point qu'elle puisse être balayée par un petit groupe d'individus.

mais plutôt un changement de position sociale : «L'homme démuni du pays est devenu riche; le riche est devenu pauvre».

Voici la situation politique et sociale de l'Egypte à l'issu de la violence qui a marqué la fin de l'A.E. Or, dans le dictionnaire, la révolution est définie comme un ensemble d'événements historiques qui ont lieu dans une communauté importante (nationale en général), lorsqu'une partie du groupe en insurrection réussit à prendre le pouvoir politique et que des changements profonds (politiques, économiques et sociaux) se produisent dans la société.90

En s'appuyant sur cette définition, nous pouvons dire que le soulèvement populaire de la fin de l'A.E. avait certes été violent, mais et il n'avait pas abouti à une révolution. En effet, dans la définition du dictionnaire, il y a deux faits importants qui peuvent transformer un soulèvement populaire en révolution : c'est la prise du pouvoir d'Etat et l'introduction de changements profonds aussi bien sur le plan politique que social et économique. Mais le peuple égyptien qui s'était soulevé à cette époque n'avait ni pris le pouvoir ni introduit un nouveau système politique, social et économique. Nous pensons donc à l'instar des auteurs tels que N. Grimal ou B. Sall qu'il n'y avait pas eu de révolution en Egypte à la fin de l'A.E., mais plutôt une révolte91. Nous verrons par la suite que malgré les coups portés à l'institution royale, les symboles de cette dernière allaient subsister à travers les différents princes locaux qui devaient se l'approprier. Et la lutte pour l'héritage de cette royauté défunte était l'un des enjeux de la guerre civile qui opposa les princes locaux durant toute la période intermédiaire.

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90 Le grand Robert de langue française, Tome III, Paris, 1985, r. Révolution 91Grimal N., op.cit, 1988, p.173; Sall B., op.cit., 1982, p.12.

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