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Un soin ordinaire en milieu extraordinaire


par Farid Mellal
Institut méditerranéen de formation en soins infirmiers  - Infirmier 2014
  

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2. Analyse des données

Pour mener à bien mon analyse, je vais reprendre chacune des questions posées et confrontées à chaque fois les différentes réponses qui me sont apportées en regard des objectifs visés par ma question au départ afin de faire émerger les similitudes et les divergences éventuelles. L'objectif principal est pour ma part de dégager les grandes tendances et de préciser les écarts afin de mieux tenter de les expliquer lors de mon étude.

Question 1 : selon vous, quelles qualités sont nécessaires pour être infirmier en prison/ milieu fermé ?

L'objectif visé par cette première question était pour moi de comprendre les ressources et qualités nécessaires selon les professionnels de santé pour exercer au mieux leur métier d'infirmier au quotidien dans un milieu fermé.

Les professionnels de santé mettent en avant pour la majorité d'entre eux les qualités d'écoute aussi bien pour les infirmières interrogées en psychiatrie qu'en unité de soins somatiques. Dans les mêmes proportions, on constate également qu'une des exigences qui ressort est le travail d'équipe nécessaire à la bonne prise en charge des patients. La nécessité de connaitre ses limites est formulée par les IDE 1, 4, 5. Il s'agit pour le professionnel de santé d'avoir la capacité de se questionner, se remettre en question et par extension donner du sens à ces pratiques. L'équilibre ou « homéostasie » du soignant apparait également. Le soignant exerçant dans un environnement anxiogène doit pouvoir comme l'a précisé l'IDE 4 « être bien dans ses pompes ». La compétence relationnelle du soignant se retrouve également dans la plupart des articles de recherche que j'ai pu consulter.

Je peux citer par exemple un article intitulé « être infirmier en prison : le soin derrière les murs »10(*) qui souligne que l'infirmière en milieu carcéral doit parmi les qualités requises « savoir être disponible et répondre aux demandes des patients de tout âge qui viennent autant pour des soins précis que pour changer d'air et se confier »11(*).

Les qualités relationnelles se retrouvent également dans un dossier réalisé par une infirmière d'une unité de consultation en milieu carcéral intitulé « le rôle des infirmiers dans les prisons »12(*). Dans ce document, on peut noter la phrase suivante « c'est pourquoi l'infirmière à un rôle fondamental d'écoute, d'aide et de soutien »13(*). La capacité d'écoute de l'infirmière semble conditionner la qualité de la prise en charge et permet d'instaurer une relation de confiance nécessaire aux soins. Dans le dossier évoqué précédemment, on peut lire la phrase suivante : «  Savoir écouter permet de mieux comprendre, de créer cette relation de confiance indispensable dans le soin, de signifier au patient qu'il peut être entendu, aidé, soigné »14(*).

Question 2 : Existe-t-il selon vous des limites/difficultés professionnels à l'exercice en milieu carcéral / fermé ?

A cette question, la majorité des professionnels répondent que la principale difficulté est de ne pas connaitre ses limites. Le caractère identitaire du soignant est mis en avant ainsi que la connaissance de soi. Cette construction identitaire est mentionnée dans un des articles rencontrés au cours de mes recherches. Il est dit que l'infirmière doit veiller « à bien connaitre ses limites, à protéger ses propres affects et à garder suffisamment de distance, afin que la relation soignant-soigné demeure saine et efficace »15(*). Cependant, certaines singularités apparaissent comme la réponse de l'IDE 1 qui note que le sexe du soignant peut être une difficulté à l'exercice du métier dans un univers carcéral principalement dominé par les hommes. Le témoignage suivant est celui d'un personnel soignant masculin. Il s'agit d'un point de vue pouvant être soumis à la critique notamment en termes de stéréotype lié au genre. L'argument principal avancé par l'infirmier est que face à un univers majoritairement masculin, le sexe du soignant représenterait un handicap à l'exercice de la profession. Je m'aperçois en confrontant cette idée avec un compte rendu d'une conférence universitaire tenu à l'université de Lyon que les stéréotypes restent difficiles à déconstruire aussi bien chez les surveillants hommes que chez les infirmiers. Rien ne permet aujourd'hui de valider scientifiquement de tels propos car si la profession infirmière tend à devenir de plus en plus masculine, on constate également que le processus s'inverse au niveau du recrutement des surveillants pénitenciers où la proportion de femmes augmente. L'IDE 2 ajoute que la réglementation peut représenter un frein dans la prise en charge. Lors de mon entretien, l'infirmier a anticipé la question suivante en évoquant l'aspect réglementaire. Je peux ici m'interroger sur la formulation de ma question qui n'a sans doute pas bien été comprise. L'IDE 3 m'a expliqué que la difficulté que le soignant peut avoir est l'impossibilité de préserver l'intimité du patient. Cela renvoie principalement à l'environnement carcéral où le bruit est permanent ainsi que le nombre de passages dans le service. L'exigüité des lieux de soins et l'exigence de sécurité qui consiste à laisser la porte entrouverte lors des soins empêchent ou rendent plus difficile l'entrée dans la relation avec le patient et la préservation de son intimité.

Question 3 : Selon vous, l'environnement carcéral en termes d'enfermement, de cadre réglementaire influence-t-il votre pratique au quotidien ?

La tendance qui se dégage lors des entretiens est que la réglementation contribue aux soins. Les soignants soulignent de manière globale que la règle existe, qu'elle s'impose à tous et qu'elle est destiné à protéger le soignant et contribue même à la qualité d'un soin. Je note également que les IDE 2 et 3 travaillant en secteur psychiatrique affirme un point de vue plus tranché sur la notion d'enfermement. Pour ces professionnels, l'enfermement est un frein au soin car la prison est selon eux perçus comme stigmatisante et empêche donc la réinsertion ou la réadaptation du détenu surtout lorsque celui-ci est pris en charge pour des pathologies mentales. L'environnement carcéral vient également influencer les représentations du soignant. Le soin se déroule derrière des barreaux toute la journée. Les soignants sont exposés à des patients plus ou moins difficiles à prendre en charge. les mesures réglementaires peuvent parfois être une contrainte en terme d'organisation soignante si on les compare à d'autres pratiques en milieu hospitalier comme j'ai pu le vivre en stage mais pour les professionnels, elles sont nécessaires pour la sécurité des personnels et les bonnes pratiques.

Question 4 : Que signifie pour vous la notion de neutralité dans les soins ? Est-elle toujours possible face à des patients détenus ?

La question de la neutralité est une interrogation que j'ai eue lors de mon stage au sein de la prison. Comment peut-on soigner dans un univers carcéral ? Peut on être réellement infirmier face à des personnes ayant commis des délits voir des crimes ?

Les réponses apportées par les professionnels sur le terrain semblent très nuancées. Pour L'IDE 1, la neutralité est possible à condition de connaitre ses limites de soignants rejoignant ainsi la réponse formulée par l'IDE 2 et 4. Pour l'IDE 4, la neutralité est imposée aux soignants par la règle et ne laisse donc pas le choix. L'infirmière m'explique également lors de l'entretien que pour tenter d'être neutre face à des patients difficiles, elle se fixe certaines règles de conduite comme par exemple se baser sur des critères objectifs qui seraient l'évaluation du sommeil, de l'appétit etc. Le seul écart qui tranche avec le reste des réponses est celui de l'IDE 5 car pour elle, on peut tenter d'être neutre, mais cela reste impossible, car plusieurs déterminants interviennent dans notre comportement de soignants tels que nos croyances, nos valeurs, notre culture. La neutralité est également évoquée dans la littérature scientifique que j'ai pu également consulté car cette question est au centre des préoccupations du professionnel exerçant en milieu fermé. Un article intitulé « la pratique en milieu carcéral : des détenus pour patients »16(*) permet de constater que beaucoup d'infirmières se demandent si elles arriveront à conserver leurs postures soignantes si elles connaissaient les motifs d'incarcération. Les sociologues interrogés dans cette étude notent que le milieu carcéral met à l'épreuve « la neutralité affective affichée »17(*).

Une des questions de relance posée concerne la distance faisant lien avec la posture professionnelle. Pour l'IDE 3, la distance est propre à chacun, il ne s'agit pas de quelque chose qui est figé, mais au contraire en perpétuel mouvement et fonction de chaque patient rencontré. La distance implique également une réciprocité, car selon l'IDE 3 si on ne donne rien de soi, on ne doit pas espérer recevoir de l'autre. Cela altère selon elle également la sincérité de la relation.

Question 5 : Au regard de votre expérience professionnelle, avez-vous le sentiment de soigner des patients ou des détenus ?

L'objectif principal de cette question vise à interroger le statut de la personne prise en charge au sein des unités fermées. Pour la totalité des professionnels, il s'agit d'un patient quels que soit les lieux où celui-ci se trouve. Le patient est souvent entendu comme la personne qui doit être écoutée, soignée. Cependant, on peut nuancer cette unanimité, car chacun des professionnels interrogés porte un regard différent sur la personne soignée. Pour l'IDE 1 et 5, il s'agit de « patients avec des particularités »18(*) ou « des contraintes particulières »19(*). Pour l'IDE 4 travaillant en psychiatrie, le patient est « l'être en souffrance ». Cette complexité liée à la définition peut s'expliquer par l'environnement dans lequel se trouvent la personne soignée et le soignant. La particularité soulignée par l'IDE 1 (infirmier en prison) renvoi au double statut de la personne. Il s'agit d'un patient mais également d'un détenu. Cette double représentation est rappelée au soignant par son environnement de travail. L'IDE 5 (infirmière en psychiatrie) parle de contrainte particulière c'est-à-dire de la réglementation liée au cadre. Les interdictions sont, en effet, formulées par des règles de fonctionnement très précises. L'ouverture à l'extérieur comme par exemple, les heures de visites ou les appels téléphoniques est limités et soumis à une autorisation médicale. Les IDE 2 et 3 (infirmiers au SMPR) n'attribuent aucun qualificatif au patient et marquent bien cette dichotomie existant entre patient et personne ayant fait des erreurs ou commis des délits dans sa trajectoire de vie : « On est face à des patients et pas face à un délit »20(*). Cette phrase réaffirme le statut du soignant qui n'est pas ici pour juger mais pour s'assurer du bien-être physique et mental de la personne qu'il a en face de lui-même dans un milieu sortant de l'ordinaire.

Question 6 : Pensez-vous que la prise en charge d'un détenu « potentiellement dangereux » influence votre pratique professionnelle ?

Il s'agit de la question clé de mon travail de fin d'études. Elle interroge directement les représentations que peuvent avoir les professionnels de santé  qui fréquentent au quotidien les personnes en privation de liberté. La formulation de cette dernière question est à mon sens un biais dans mon guide d'entretien, car elle induit la notion de dangerosité. Mon intention au départ était seulement de savoir comment les soignants pouvaient arriver à exercer leur profession lorsqu'il était en face de personnes agitées, voir violentes. Le biais de cette question est que j'ai projette mes propres représentations dans la formulation de celle-ci.

Cependant l'évocation du danger ou de la dangerosité potentielle du détenu semble être une réalité si je me réfère à mes recherches documentaires qui ont contribué à l'élaboration de cette question. Dans l'un des articles consultés intitulé « soigner les détenus, surveiller les malades : paradoxes des interactions entre personnels de santé et pénitentiaire dans un hôpital en milieu carcéral »21(*), on peut lire

« La connaissance tout comme la méconnaissance du délit par les professionnels de santé peut jouer un rôle dans leur perception du patient, et, en conséquence, dans leur rapport avec eux. Cela vient leur rappeler que le malade n'est pas seulement un patient : il est aussi un détenu. « On sait à qui on s'attend, même si on ignore pourquoi ils sont détenus. [...] ; Comme on sait qu'ont fait X choses pour arriver en prison, on reste sur nos gardes »22(*)

Un autre article évoque également la notion de danger. On peut citer le témoignage de Dominique, infirmière en prison qui nous dit qu'il « faut garder son sang-froid et ne pas hésiter à confier la prise en charge du patient à une collègue si nous sentons que la situation peut dégénérer »23(*). Cette article note que « la population carcérale peut parfois être violente verbalement »24(*).

* 10 MARTIN, Laure, infirmière en prison : le soin derrière les murs, Article. [en ligne]. Juin 2011, page consulté le 17/02/2014, disponible sur internet, http://www.actusoins.com/7860/infirmieres-en-prison-le-soin-derriere-les-murs.html

* 11 Ibid.

* 12 PICHERIE, E, dossier « la santé en prison » : le rôle des infirmiers dans les prisons, Revue actualité en santé publique, septembre 2003, n°44, p30.

* 13 PICHERIE, E. Ibid. p30.

* 14 PICHERIE, E. Ibid. p30.

* 15 PICHERIE, E, dossier « la santé en prison » : le rôle des infirmiers dans les prisons, Revue actualité en santé publique, septembre 2003, n°44, p30.

* 16 ALDERSON M, SAINT JEAN M, THERRIAULT P-Y, RHEAUME J, RUELLAND I, LAVOIE M, La pratique infirmière en milieu carcéral : des détenus pour patients. Recherche en soins infirmiers, juin 2013, n°113, p 95-106.

* 17 ALDERSON M, SAINT JEAN M, THERRIAULT P-Y, RHEAUME J, RUELLAND I, LAVOIE M, Ibid. p 99.

* 18 Voir Annexe II

* 19 Ibid.

* 20 Voir Annexe II.

* 21 MENDES-LEILE, Rommel, Soigner les Soigner les détenus, surveiller les malades : Paradoxes des interactions entre personnels de santé et pénitentiaire dans un hôpital en milieu carcéral. Article. [en ligne], 2006, Le journal des psychologues, n°241, 2006, consulté le 1/04/2014 à 12h, disponible sur internet, http://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2006-8-page-37.htm

* 22 MENDES-LEILE, Rommel, Ibid. p37.

* 23MARTIN, Laure, infirmière en prison : le soin derrière les murs, Article. [En ligne]. Juin 2011, page consulté le 17/02/2014, disponible sur internet, http://www.actusoins.com/7860/infirmieres-en-prison-le-soin-derriere-les-murs.html

* 24 Ibid.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld