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Les ligues d'improvisation théàĒtrale dans les Hauts-de-France: histoire, organisation et codes


par Matthieu HACOT
Université de Lille UFR humanités Département Arts de la scène - Master 2019
  

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Université de Lille

UFR humanités

Département Arts de la scène

Les ligues d'improvisation théâtrale dans les Hauts-de-France :histoire, organisation et codes

Matthieu Hacot

Mémoire de Master 2

Sous la direction de Madame Ariane Martinez Soutenu à la session de juin 2019

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Remerciements

Je tiens à remercier Madame Ariane Martinez pour ses précieux conseils et sa disponibilité qui ont permis l'écriture de cet ouvrage.

J'adresse également mes remerciements à tous les improvisateurs qui ont généreusement accepté de répondre à mes interrogations : Monsieur Jean-Baptiste Chauvin, membre de la Ligue Majeure d'Improvisation et co-fondateur de la compagnie Déclic théâtre, ainsi qu'aux improvisateurs nordistes : Monsieur Emmanuel Leroy, fondateur de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. et Monsieur Simon Fache, membres de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, Madame Florine Sachy et Monsieur Maxime Curillon, du bureau du Groupe d'Improvisation du Terril, Monsieur Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, Monsieur Philippe Despature et Monsieur Corentin Vigou, professeurs à l'école Impro Academy. Un grand merci également à Thierry Bilisko pour les passionnantes discussions à propos de l'arbitrage, ainsi qu'à Grégory Allaeys pour son témoignage sur l'improvisation dans les Hauts-de-France .

Je souhaite également saluer et remercier tous les improvisateurs croisés jusqu'à ce jour, avec qui les discussions informelles entretiennent ma réflexion et mon intérêt pour l'improvisation théâtrale.

3

Table des matières

Introduction 4

Partie 1 : Du Canada à la France : Création et acclimatation des ligues d'improvisation 11

I.1 :Des Jeunes Comédiens au Théâtre expérimental de Montréal :l'époque des expérimentations.13

I.2 :La création du match d'improvisation théâtrale .19

I.3 :L'importation du match d'improvisation théâtrale en France :création et extensions des ligues

d'improvisation

28

I.4 :En jeux artistiques et financiers

..40

Partie 2 : codes et vocabulaire de l'improvisation théâtrale

59

II.1 :Le règlement du match d'improvisation théâtrale

59

II.2 :Lexique de l'improvisation théâtrale

81

Partie 3 : Paysage et évolution de l'improvisation théâtrale dans les Hauts-de-France.

100

III.1 :Le paysage actuel de l'improvisation théâtrale dans les Hauts-De-France

103

III,2 :Les méthodes de recrutements ; des différences selon les origines

106

III.3 :Les organisations internes des compagnies

111

III.4 :Le staff :mettre en valeur les partenaires

125

Conclusion

..133

Bibliographie

..139

Annexes

..142

Liste des entretiens réalisés

.142

Les signaux d'arbitre, pour le match d'improvisation théâtrale

..143

Table des illustrations

145

Introduction

« Pourquoi les salles de théâtres sont-elles vides et les stades de football pleins à craquer ? »1 Robert Gravel2

Dans les années 70, une crise identitaire frappe le théâtre québécois : Durant la Révolution Tranquille (1960-1970), des mouvements de réformes se heurtent aux tendances traditionalistes du gouvernement en place. Une envie de changement se manifeste dans les milieux étudiants, ainsi que dans les deux écoles où le théâtre est enseigné : le Conservatoire d'art Dramatique, fondé en 1958 à Québec et L'École Nationale de Théâtre du Canada fondée en 1960 à Montréal. La rencontre entre Robert Gravel (jeune comédien sorti du Conservatoire) et le metteur en scène Jean-Pierre Ronfard aboutit à des créations expérimentales et collectives qui renouvellent le paysage théâtral. Depuis son intégration dans la troupe des Jeunes Comédiens en 1970 jusqu'à la création de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1979, l'improvisation apparaît comme une source de créations expérimentales.

Lorsque Robert Gravel évoque salles de théâtre et salles de foot, il introduit une comparaison entre le simulacre et la compétition, deux des quatre catégories que le sociologue Roger Caillois classe dans sa typologie des formes de jeu. Celle-ci comprend : la compétition, le hasard, le simulacre et le vertige. Dans Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Caillois explique en quoi le jeu cimente les civilisations. Il fait la remarque suivante : «[Le jeu] repose et amuse. Il évoque une activité sans contrainte, mais aussi sans conséquence pour la vie réelle. Il s'oppose au sérieux de celle-ci et se voit ainsi qualifié de "frivole" »3.

Le théâtre, qui relève du simulacre, procure du plaisir au joueur dans la satisfaction de se faire passer pour autre : « le masque dissimule le personnage social et libère la personnalité véritable. »4 Les jeux de compétition permettent aux participants de prouver leur valeur ou leur adresse dans un domaine intellectuel ou sportif. Le cadre de la compétition dans un temps et un espace dédiés s'impose alors comme nécessaire pour mettre à exécution la soif de défi qui unit les hommes sans violence. Bien que ces deux catégories (jeux de simulacre et jeux de compétition) soient distinctes, il semble intéressant de pointer qu'elles peuvent parfois se rejoindre sur certains points. La présence de simulacre dans tout jeu de compétition est difficilement contestable : tout joueur, dès lors qu'il entre dans le cadre physique et temporel d'un jeu de compétition, s'amuse à devenir autre.

1 Christophe Tournier, Manuel d'improvisation théâtrale, Genève, Éditions de l'eau vive, 2006, p. 10.

2 Robert Gravel est né le 12 Septembre 1944 à Montréal et décédé le 12 Août 1996 à Saint-Gabriel-de Brandon.

3 Roger Caillois, Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1958, p. 9.

4 Ibid., p. 65.

4

5

L'expression « entrer en jeu » peut désigner autant l'acte d'entrer dans cet espace que la préparation au jeu de l'acteur. Le cérémonial d'une rencontre sportive englobe la présentation des joueurs, l'ouverture de la compétition ou encore leur entrée dans le cadre. Le terrain est une scène, et toute scène a son public. Si celui qui s'offre à une représentation théâtrale et celui qui concourt sont tous deux acteurs, l'improvisation théâtrale - lorsqu'elle se pratique sous une forme compétitive - unit ces deux niveaux de jeu.

Ce format de spectacle spécifique est aujourd'hui pratiquée par des compagnies qui se spécialisent dans les spectacles d'improvisation théâtrale appelées « ligues ». J'ai pu observer, dans la région des Hauts-De-France, nombreuses compagnies qui s'essaient à cette pratique, de façon amateur ou professionnelle. Depuis, bons nombres de formats se sont inspirés de cette première forme et constituent aujourd'hui une base de spectacles accessibles pour des amateurs, professionnels, ou des non praticiens du théâtre. C'est ce qui permet aujourd'hui une grande proposition quant à cette pratique. En effet, bons nombres de compagnies amateurs peuplent aujourd'hui la région, évoluant conjointement avec deux structures professionnalisantes. C'est grâce à cette grande offre que j'ai eu l'opportunité de prolonger et multiplier les expériences quant à une pratique artistique que j'ai découvert en 2013 à Lyon, avec une compagnie étudiante baptisée Collectif Lyonnais d'Artistes Polyvalents. Différentes structures m'ont ensuite permis de consolider ma pratique. Je suis élève, depuis septembre 2017, de l'école Impro Academy, qui essaime ses ateliers dans toute la Région. Dirigé par le comédien Philippe Despature, ce regroupement d'ateliers est une des structures qui propose de découvrir et d'en apprendre davantage sur l'improvisation théâtrale, quelque soit l'expérience de l'élève. Cette structure enseigne les bases, mais, en dehors de restitutions d'ateliers, ne propose que peu d'opportunités pour jouer des spectacles. C'est l'envie de jouer davantage qui m'a fait intégrer, en septembre 2018, le Groupe d'Improvisation du Terril, une des nombreuses ligues d'improvisation amateurs qui existent dans la région Hauts-de-France.

En plus des structures qui offrent une base d'enseignement ainsi qu'une possibilité de jouer dans des spectacles, la région est également dotée d'une des plus anciennes ligues professionnelles d'improvisation qu'est la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, fondée par le comédien Emmanuel Leroy.

Les différentes écoles et compagnies que je côtoie, tant par mon expérience d'acteur que de spectateur, font état d'une pratique maintenant fort répandue, sous formes de spectacles et d'ateliers, mais également d'ateliers de formations en milieu social et scolaire, ainsi qu'en entreprise. Ces services de formations, dans les Hauts-De-France, sont proposés par la Ligue

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d'improvisation de Marcq-en-Baroeul, ainsi que par l'organisation Les pieds sur scène, gérée par Philippe Despature, et François Samier, qui est en charge des projets de formation. Philippe Despature propose également, en plus des ateliers de formations et de l'école, des spectacles joués par l'organisation professionnelle Lille Impro. Ces trois pôles d'activités sont regroupés sous l'organisation de la Scénosphère.

La multiplicité des formes par lesquelles est utilisée l'improvisation théâtrale dans les Hauts-De-France fait donc état d'une pratique qui a évolué depuis le premier spectacle d'improvisation de ce ce genre qu'est le match d'improvisation théâtrale, inventé par le comédien Robert Gravel en 1977 à Montréal. C'est tout l'objet de cet ouvrage d'analyser les codes et l'histoire d'une discipline spécifique qui est devenue aujourd'hui accessible, ce qui m'amène a étudier les différents processus qui ont abouti à sa démocratisation.

Cette étude étant motivée par la curiosité et l'envie de connaître davantage les enjeux et les codes d'une discipline que je pratique depuis maintenant 2013, il me faut en étudier son histoire depuis la création du match d'improvisation théâtrale. C'est ce qui m'amènera, dans un premier temps, à étudier le contexte dans lequel Robert Gravel a évolué pour définir les influences qui ont abouti à la création du match d'improvisation théâtrale.

L'improvisation a joué un rôle essentiel dans de nombreuses périodes-clés du théâtre. La commedia dell'arte en constitue l'un des exemples les plus connus. Ses personnages-types reflètent la société de l'époque. Les puissants sont attaqués à travers la figure de Pantalon, marchand Vénitien avare et libidineux ; tandis que les plus modestes auront leur revanche grâce aux facéties du valet Arlequin : un personnage roublard, amoureux, qui punira les figures d'autorité. Outre le bourgeois et son valet, on y trouve également des figures qui peuplent le quotidien des italiens de cette époque, tel le médecin, perçu comme un charlatan qui écume les marchés pour vendre ses élixirs douteux aux plus démunis. Ces personnages sont typifiés par leurs masques, qui les dessine à grands traits. La commedia dell'arte a connu au XXe siècle une reviviscence dans la pédagogie du Vieux-Colombier, les spectacles de Giorgio Strehler et l'école de Jacques Lecoq. Ces influences témoignent du fait que l'improvisation, tout comme le masque, sont des sources inépuisables, à la fois pour l'apprentissage du jeu, et pour le renouvellement du théâtre au contact de la société.

En créant le match d'improvisation, Robert Gravel invente une forme de jeu où le masque et la compétition se mêlent et ont autant de poids l'un que l'autre. Peu de traces, cependant, évoquent avec précision la création du match d'improvisation. Le comédien-improvisateur Jean-Baptiste

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Chauvin la situe lors d'une soirée d'Automne 1977 rassemblant quelques personnes. Robert Gravel imagine alors un jeu théâtral s'inspirant des règles du match de hockey. La soirée se conclut sur la première charpente du match d'improvisation.

Je serais ensuite amené à étudier en quoi cette charpente a évolué, pour aboutir à la création de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1979.

Afin d'étudier les évènements qui ont abouti aujourd'hui à la présence de nombreuses ligues et organisations dans les Hauts-De-France, une partie historique sera consacrée à l'étude de périodes-clés qui ont façonné l'organisation des diverses structures relatives à l'improvisation théâtrale en France. En procédant ainsi, je relèverais les principaux évènements qui ont sculpté la pratique. Afin d'en déceler les les grandes évolutions, il sera nécessaire d'étudier le règlement du match d'improvisation tel qu'il fut écrit en 1977. L'objet de cette étude, complété par mes réflexions relatives à mes expériences d'improvisateur et de spectateur, sera de déterminer les transformations de ce règlement, qui détermine encore de nos jours tout le cadre cérémonial et rituel commun à toutes les ligues d'improvisation théâtrale. En mêlant les jeux de simulacre et de compétition, ce format a développé au fur et à mesure du temps des notions spécifiques avec des termes précis. C'est pourquoi à cet ouvrage est également joint un lexique explicitant les termes et les notions relatives à l'improvisation théâtrale. Je suis amené à utiliser certains de ces termes dans le corps de cet ouvrage. Ils sont identifiés par le signe « * » et font l'objet d'une définition et d'une réflexion dans le lexique.

Je conclurais mon mémoire par une étude de cas approfondie des différentes structures qui sont présentes dans la région Hauts-de-France.

Pour développer ma réflexion, je m'appuie à la fois sur une recherche documentaire (historique, et en ligne) et sur des enquêtes de terrain.

Le choix de l'enquête de terrain est lié à la fois à la nécessité de prendre du recul sur mon expérience personnelle, et au désir de rencontrer différents protagonistes, afin d'établir le socle commun reliant les diverses pratiques d'improvisation sur le territoire. J'emprunte donc ici à l'ethnologie et à la sociologie leurs pratiques de l'observation participante, afin de trouver des réponses sur le terrain étudié au-delà des ressources académiques. Dans le domaine de l'improvisation, il est indispensable d'« éprouver pour savoir »5, pour reprendre l'expression du

5 Jean Peneff, Le Goût de l'observation. Comprendre et pratiquer l'observation participante en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2009, p. 10

sociologue Jean Peneff. Il commente en ces termes la pratique de l'observation participante : 6 « La richesse de cette méthode découle le fait que le sociologue incorpore des savoirs au moment où il se met en porte-à-faux avec lui-même, au cours d'un déchirement dont il doit se sortir indemne. »7

Bien que ma démarche ne soit pas sociologique (étude exhaustive des acteurs, élaboration chiffrée des connaissances, etc), mais bien historique et esthétique, j'ai emprunté cette technique de l'observation participante à la sociologie, de façon à la fois libre et rigoureuse, pour obtenir des informations provenant d'un cercle privatif. Ma mise en « porte-à-faux avec [moi]-même » a résidé dans ma capacité à abandonner des convictions personnelles (sur les définitions de tel ou tel terme, sur la nécessité de telle ou telle règle en improvisation...) si elle se trouvent annihilées par la réalité du terrain. Mes observations de séances, et les entretiens que j'ai réalisés, m'ont aidé en ce sens. Par ailleurs, le choix de l'enquête de terrain se justifie par la nature de l'improvisation théâtrale en elle-même : différentes expériences relatives à cette pratique se sont exportées à grande vitesse, autant dans l'espace que dans le temps : les ateliers de formations, les créations de troupes et les spectacles se sont développés. Parties d'un socle commun, ces manifestations spontanées font office de relais de ces notions, remplaçant textes écrits et manifestes. Il y a là une forme de transmission orale qui peut se penser selon les modalités qu'a énoncées Paul Zumthor pour parler de la « voix poétique » des jongleurs médiévaux, qui se déplaçaient comme les comédiens improvisateurs d'aujourd'hui :

La voix poétique assume la fonction cohésive et stabilisante sans laquelle le groupe social ne pourrait survivre. Paradoxe: grâce à l'errance de ses interprètes dans l'espace - dans le temps, dans la conscience de soi - elle est présente en tout lieu, connue de chacun intégrée aux discours communs, pour eux référence permanente et sûre. Elle leur confère justement quelque extra-temporalité; à travers elle, ils demeurent et sont justifiés. 8

Dans son ouvrage, Jean Peneff détaille la place de l'observateur participant dans la sociologie. C'est dans ce chapitre que seront empruntées les techniques de cette méthode :

« L'implication est ici envisagée sous l'angle de la maîtrise du rôle avant l'entrée. L'avantage de connaître le milieu que l'on va étudier favorise la rapidité : il n'y a pas une mise à distance particulière, ni à se déprendre de son rôle naturel »9.

6 Gp.

7 Ibid.

8 Paul Zumthor, La Lettre et la voix. De la «littérature médiévale», Paris, Éditions du Seuil, 1987, p. 155.

9 Jean Peneff, op. cit., p. 203.

8

9

Ma position de membre des milieux étudiés favorisera donc ma position de chercheur, étant donné que je suis déjà sur les terrains que j'ai étudiés, que j'ai déjà reçu des définitions dans un cadre informel ou par l'entremise des relations que j'ai avec ses protagonistes.

». Je suis donc allé à la rencontre de certains protagonistes qui ont oeuvré à perpétuer cette pratique sur le territoire français ainsi que dans les Hauts-de-France.. Par la transmission orale, chacun de ces individus a reçu un héritage d'improvisateur différent. Il est donc intéressant de les interroger sur l'enseignement qui leur a été transmis.

C'est dans ce but que j'ai contacté Jean-Baptiste Chauvin et Emmanuel Leroy, qui ont été témoins de l'importation de l'improvisation théâtrale en France, dès le début des années 80. Ils ont également été acteurs, par leurs différentes actions et créations, de l'évolution de l'improvisation théâtrale sur le territoire national. Par ailleurs, Emmanuel Leroy étant directeur artistique de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, j'ai pu également m'interroger sur la pratique dans un contexte plus local. L'entretien a effectivement porté sur le positionnement d'une des plus anciennes ligues de France dans un milieu où les initiatives par rapport à l'improvisation théâtrale sont nombreuses. C'est également ce qui m'a amené à m'entretenir avec des protagonistes qui sont à la tête des différentes structures des Hauts-De-France aux côtés desquelles j'improvise aujourd'hui.

Par les trois entités qu'elle regroupe, la Scénosphère joue un rôle majeur dans les activités d'improvisation théâtrale que l'on peut trouver dans les Hauts-de-France. Je me suis entretenu avec Philippe Despature pour découvrir les dessous et les raisons de sa naissance. Cet entretien m'a également permis d'analyser les activités variées de cette structure, et leur influence sur les activités de la Région.

J'ai également interrogé Simon Fache, qui est musicien au sein de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. L'entretien a porté sur l'importance du cérémonial dans un match.

Florine Sachy et Maxime Curillon font partie du bureau du Groupe d'Improvisation du Terril. Ces deux entretiens m'ont éclairé sur la question des identités des ligues amateurs, bien plus nombreuses que les ligues professionnelles. C'est pourquoi j'ai discuté également avec Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur afin de comparer les mécanismes internes de deux structures portant un héritage professionnel. Ce sont en effet les deux plus anciennes ligues d'improvisation lilloises amateurs qui ont étés crées avec la contribution de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul.

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J'ai abordé avec eux plusieurs questions, d'abord quant au besoin de se créer une identité pour pouvoir offrir un aspect différent de l'improvisation que ce que les autres ligues amateurs proposent. J'ai donc été amené à étudier certains formats inédits créés par ces compagnies. Ces créations peuvent autant répondre à ce besoin de se créer une identité que de concrétiser une vision de l'improvisation théâtrale qui leur est propre. Je me suis également penché sur la question de l'organisation interne de ces compagnies, qui, en tant que ligues amateurs, ont en charge de sélectionner les joueurs pour leurs différents spectacles. Dès lors que l'on parle d'amateurisme, l'exigence quant à la qualité artistique peut être difficilement acceptée comme un critère de sélection. Ces deux entretiens ont donc eu également pour objectif d'identifier les critères utilisés pour sélectionner les joueurs, ainsi que les mécanismes de formation proposés au sein de ces compagnies.

Enfin, j'ai demandé son témoignage à Corentin Vigou, membre de la Ligue Royale de Strandovie. Nous avons parlé ensemble du format spécifique qu'est le catch d'improvisation, qui a la particularité d'avoir été inventé par des improvisateurs amateurs, et est aujourd'hui pratiqué par les professionnels.

I : Du Canada à la France : création et acclimatation des ligues d'improvisation

« La LNI est née de deux préoccupations : l'évolution de l'improvisation théâtrale en général et le désir de créer un vrai jeu théâtral. »10

Robert Gravel

La ligue Nationale d'improvisation est la première compagnie à se consacrer à la pratique et à la diffusion du match d'improvisation, créé par Robert Gravel en 1977. Les ligues d'improvisation qui sont aujourd'hui implantées sur le territoire des Hauts-de-France ont hérité de cette pratique, qui a évolué depuis sa création.

Je me suis penché sur l'histoire du match d'improvisation et de son créateur, afin d'établir les paramètres qui ont favorisé son expansion et comment ce jeu canadien a été adapté en France. J'évoquerai le contexte social et politique dans lequel le match d'improvisation a vu le jour,au sein d'une jeune génération de Québécois en quête d'identité et de nouvelles formes. En parallèle, je comparerai ce climat de renouveau avec celui de Mai 1968 en France, qui favorise la création de troupes de théâtre expérimentales. Bénéficiant d'une transmission orale, et passant d'un continent à l'autre, la discipline a peu à peu évolué.

À sa sortie du conservatoire d'art dramatique du Canada en 1970, le jeune Gravel est influencé par les évènements qui ont façonné la Révolution Tranquille (1960-1970) au Québec. De ses premiers pas avec la troupe des Jeunes comédiens (1970-1974), à la création de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1977, son parcours est jonché d'expériences ayant cimenté son envie d'un théâtre nouveau. Durant sa vie d'enseignant, il ne cesse de défendre l'improvisation comme outil de l'acteur :

Je crois profondément que la pratique de l'impro peut développer cette spontanéité constante. La disponibilité que requièrent la phase de la mise en scène et la phase des représentations relèvent de l'art de l'improvisation. Malheur au metteur en scène qui a sa mise en scène toute

faite à l'avance ! Malheur au comédien qui croit que son personnage existe avant qu'il lui ait donné chair !11

L'expérience vécue avec les Jeunes Comédiens a eu une grande influence sur Robert Gravel. Il va développer l'improvisation comme outil de création. Sa volonté de faire prendre des

10 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, Impro : Réflexions et analyses, Ottawa, Éditions Leméac, p. 14, 1987.

11 Ibid., p. 14

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risques à l'acteur et l'échec d'une première tentative de jeu improvisé avec les Jeunes Comédiens en 1972 le poussent, avec quelques camarades, à fonder un nouveau jeu où les acteurs seront soumis au regard et au jugement d'un public venu entendre des histoires inédites. Cette nouvelle création est signée par une structure nouvelle : Le Théâtre Expérimental de Montréal, (fondé en 1974), la troupe des Jeunes Comédiens n'ayant pas survécu à la Révolution Tranquille.

La création du match d'improvisation, avec son cérémonial et ses règles, place le comédien dans un contexte permettant chaque soir un spectacle différent par son contenu, ce qui respecte le souhait d'expérimentation émanant de son créateur. Le cadre strict et codifié de ce spectacle offre un cadre solide sur lequel le comédien peut s'appuyer et effectuer ses improvisations, avec un enjeu de victoire à la clé.

Les trois années qui séparent le premier match d'improvisation de l'indépendance de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1980 ont permis de structurer une forme nouvelle, de trouver un nouveau public, de former les acteurs à un nouvel outil, et de faire évoluer l'improvisation théâtrale, selon la volonté de son créateur. Cette discipline a tôt fait d'intéresser Outre-Atlantique d'autres groupes artistiques, tels le Théâtre de l'Unité en France, qui ne manque pas de faire appel aux québecois pour équiper le Département des Yvelines d'une nouvelle identité artistique et culturelle grâce à ses « ruches » en 1981.

À la suite de ce premier contact, de multiples antennes-relais sont créées au fur et à mesure des expérimentations sur le territoire Français. L'improvisation théâtrale se développe sous de multiples formes structurantes grâce aux ligues amateurs et professionnelles, aux différents championnats organisés et à la volonté de jeunes improvisateurs de s'approprier cet art en créant à leur tour des formes originales d'improvisation théâtrale.

C'est d'abord au sein de la Troupe des Jeunes Comédiens que Robert Gravel a fait ses premières armes. Les problématiques d'identité artistique et les conflits avec les institutions auxquels cette troupe a été confrontée l'ont encouragé à créer un lieu où faire ses propres expérimentations avec le Théâtre expérimental de Montréal.

En m'appuyant sur un dossier de Françoise Simon et Hélène Beauchamp12, je propose ici un aperçu de l'histoire de cette troupe, afin de montrer l'influence qu'elle a eue sur Robert Gravel.

12 Hélène Beauchamp, Françoise Simon, Les jeunes comédiens du Théâtre du Nouveau Monde ou l'esprit nomade, L'annuaire théâtral, numéro 22, 1997, p. 94, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/annuaire/1997-n22-annuaire3668/041332ar.pdf [consulté le 13/02/2019].

13

I.1 : Des Jeunes Comédiens au Théâtre expérimental de Montréal : l'époque des expérimentations

Robert Gravel intègre la troupe des jeunes Comédiens à sa sortie du conservatoire en 1970, sur invitation du metteur en scène Jean-Pierre Ronfard.

Créée en 1963 et composée de ressortissants de l'École Nationale de Théâtre du Canada basée à Montréal, cette compagnie a pour mission de donner une visibilité au travail accompli entre les murs de l'école dans le Canada anglophone, pour oeuvrer à un rapprochement culturel avec le Canada francophone. À cette époque, Jean-Pierre Ronfard est directeur de la section française de l'établissement. C'est avec la pièce du Mariage forcé de Molière que cette troupe se met en route. Pour gagner en efficacité, le groupe se déplace pour jouer dans des universités et des lycées, emportant avec lui tréteaux, accessoires et costumes. Il devient une troupe itinérante, qui privilégie les bancs des universités pour s'adresser aux étudiants du pays au lieu des salles de spectacle traditionnelles.

Par le choix de la pièce et de la langue française, ces jeunes comédiens exportent sur le territoire anglophone une partie de la culture du Canada francophone.

Après le succès de la première tournée de 1963, qui a compté 53 dates, la gestion de la troupe est confiée à des organismes relevant à la fois des tutelles du Canada anglophone et francophone afin de concrétiser cette entente et d'assurer les tournées sur l'ensemble du pays. Dès la tournée de 1964-1965, des organismes locaux - tels le conseil des Affaires Culturels du Québec ou le Manitoba Theater Center basé à Winnipeg (Anglophone à 95%) - et nationaux, tels le Conseil des Arts du Canada (qui accueille en son sein des étudiants tant anglophones que francophones) prennent en charge la tournée.

Continuant à jouer des textes essentiellement français (L'amour médecin et L'impromptu de Versailles de Molière en 1964-1965, une anthologie des pièces du même auteur intitulée Leçons d'amour de Monsieur Molière, La première famille du poète Jules Supervielle en 1965-1966), les jeunes acteurs font preuve d'une riche inventivité pour contourner la barrière de la langue : ils usent du masque, de la danse et de l'acrobatie dans ses représentations.

La troupe se constitue petit-à-petit une identité propre, avec l'aide de Jean-Pierre Ronfard qui « met l'accent sur la jeunesse et la spontanéité de ces tout jeunes acteurs »13 En 1964, ils sont privés de cet

13 Ibid., p. 94.

homme sensible à leur spontanéité, qui quitte la direction de la Section Française de L'École Nationale de Théâtre pour parfaire ses armes de metteur en scène en Afrique et en France. Il revient à Montréal en 1969 pour prendre le poste de secrétaire général du Théâtre du Nouveau Monde, compagnie fondée en 1951.

Durant cette période, les tournées s'enchaînent, les jeunes comédiens peuvent compter sur un partenariat conclu entre l'école et l'organisme des Canadian Players, qui leur organise des tournées à Toronto et à Stratford. Après une transformation interne, le Conseil National des Arts du Canada fait appel au Centre National des arts et le Théâtre du Nouveau monde pour subventionner la compagnie.

Le Centre National n'est, à ce stade, qu'un projet en cours de concrétisation qui prendra ses quartiers à Ottawa en 1969.

De 1963 à 1969, de nouveaux comédiens sortis de L'École Nationale de Théâtre viennent renforcer les rangs de la troupe. Hélène Beauchamp et Françoise Simon racontent que ces nouvelles recrues ont été au coeur des mouvements étudiants qui ont secoué cette décennie :

En 1965-1966, les étudiants du Conservatoire d'Art Dramatique participent à la grève générale des écoles d'art et réclament un livre blanc sur l'enseignement du théâtre au Québec (Cloutier, 1977). Les neufs élèves admis dans la classe d'interprétation en 1966 quittent l'école nationale de théâtre après s'être vus refuser le droit de monter un spectacle de leur choix.14

Dans les rangs de ceux qui quittent l'école cette année-là se trouve Raymond Cloutier, qui fonde avec certains de ses camarades le Grand Cirque Ordinaire, l'une des troupes alternatives émergentes de cette période :

Le Grand Cirque ordinaire a commencé par un regroupement d'acteurs révoltés, pris dans un théâtre québecois, en 1968-1969, qu'ils considéraient comme aliénant [...] Aliénant pour l'artiste en nous, le créateur, parce qu'on avait passé trois, quatre ou cinq ans dans des écoles à se préparer pour raconter des choses qui ne nous ressemblaient jamais.15

Cette perte de repères est aussi ressentie par les Jeunes Comédiens. Il devient de moins en moins aisé de véhiculer la culture d'une école à laquelle la troupe n'est plus liée depuis son rattachement au Théâtre du Nouveau Monde, tant sur le plan administratif que sur le plan artistique :

14 Ibid., p. 95-96.

15 Raymond Cloutier, Le Grand Cirque Ordinaire: réflexions sur une expérience, Études françaises, vol 15, numéro

1-2, Avril 1979, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1979-v15-n1-2-etudfr1689/036688ar.pdf [consulté le 14/02/2019].

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officiellement, la mission de la compagnie reste de véhiculer les créations de l'école à travers tout le pays, et c'est le répertoire français qui reste privilégié. Hélène Beauchamp et Françoise Simon qualifient cependant de « schizophrénie artistique aiguë »16 la situation des jeunes comédiens à cette époque. Cette schizophrénie serait causée par les changements opérés par la Révolution Tranquille : la troupe continue d'engager des ressortissants de l'École Nationale du Théâtre, qui avaient eux-mêmes contesté l'enseignement qui leur avait été dispensé. L'arrivée de ces nouveaux comédiens encourage alors une volonté émancipatrice. La troupe reste néanmoins liée à des organismes anglophones et francophones qui continuent de financer conjointement les tournées pour le rapprochement culturel, tandis que que la Révolution Tranquille prône de plus en plus l'indépendance du Québec.

De retour à Montréal, Jean-Pierre Ronfard tente, conformément à ses idéaux, d'utiliser le manque de repère de ces jeunes acteurs à des fins artistiques. La construction progressive d'une identité propre à cette troupe l'incite à l'envisager comme « un instrument de création. Elle ne représentera pas d'oeuvres consacrées, mais proposera au public l'expression artistique d'un groupe de jeunes comédiens utilisant tous les moyens spectaculaires à sa portée ».17

L'arrivée de Robert Gravel dans la troupe en 1970 coïncide avec ce virage artistique majeur. Subventionnée par des organismes commanditaires, elle continue à jouer des pièces Francophones de commande. En outre, la vision de Jean-Pierre Ronfard se concrétise avec des créations expérimentales et collectives, à l'instar du Grand Cirque Ordinaire. La prise de risques dont ils font preuve ne rencontre cependant pas un succès immédiat, et les créations collectives de la troupe nomade font l'objet de critiques défavorables durant les années qui suivent.

Depuis 1969, les oeuvres originales divisent tantôt les Québecois, tantôt les Canadiens anglophones. En guise de compromis, ils laissent à leurs hôtes, pour la tournée 1970-1971, le choix d'une représentation soit « fermée » avec un texte d'auteur, soit « ouverte » avec une création originale. Les libertés qu'ils prennent avec les textes d'auteurs jurent avec la mission d'exportation du travail des écoles de théâtre québécoises, ce qui achève de les plonger dans une crise identitaire, artistique et culturelle selon un rapport évoqué par Hélène Beauchamp et Françoise Simon :

En 1973, les difficultés s'accumulent. Un rapport négatif sur la tournée de 1972 émane du Centre National des Arts où il est fait état des insatisfactions des commanditaires et des malentendus qui ont gangrené le partage des tâches administratives entre le TNM et le CNA. Il

16 Hélène Beauchamp, Françoise Simon, op. cit., p. 97 .

17 Idem.

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semblerait aussi qu'il soit de plus en plus difficile de produire des spectacles qui plaisent à tous publics : anglophones et francophones, étudiants des écoles et des universités, membres des différentes communautés canadiennes, grandes et petites. Le rapport conclut à la nécessaire réorientation des Jeunes Comédiens 18

Les tentatives de diversification de la troupe ne permettent pas de résoudre leurs crises internes. En effet, pour instaurer une nouvelle dynamique, la troupe décide en 1970-1971 d'engager des comédiens venus d'autres formations. Ce qui est mal perçu par les institutions desquelles elle dépend. À cause de la crise identitaire et de la multiplicité des envies artistiques, il devient difficile pour le Théâtre Du Nouveau Monde ainsi que pour les principaux subventionneurs de continuer à soutenir la troupe. Ces conflits rendent caducs les nouveaux projets mis en place, et provoquent le départ de bon nombre de comédiens de la compagnie. Fragilisée, elle éprouve des difficultés à exister dans le paysage théâtral de l'époque : « Par ailleurs, le mouvement du jeune théâtre voit alors naître nombre de compagnies, qui, hors de l'institution théâtrale, prennent le relais dans le domaine de la création et des tournées »19.

La tournée 1970-1971, durant son passage en Ontario, permet néanmoins la rencontre de Jean-Pierre Ronfard et Robert Gravel avec la Comédienne Pol Pelletier20.

Tous trois contribuent, dès lors, à renforcer l'affirmation du théâtre québecois. La disparition des Jeunes Comédiens incite Jean-Pierre Ronfard à penser au développement une structure autonome : « Il faut trouver un endroit où on pourra faire ce qu'on ne peut pas faire ailleurs !!! »21.

Ainsi témoigne Robert Gravel de la ténacité de Jean-Pierre Ronfard. De ces cris naît un nouveau théâtre au coeur de Montréal, en 1974 dans l'appartement du metteur en scène.

Grâce à un arrangement avec un restaurateur pour un loyer modeste, ils s'installent dans le dessus de l'établissement, à la maison de Beaujeu. Les trois comédiens pourtant ne s'intéressent pas encore à l'improvisation, n'y voyant pas un moyen pertinent, d'après un témoignage de Robert Gravel22. Au stade de leurs différentes carrières, les trois têtes pensantes du Théâtre Expérimental de Montréal ont une vision de l'improvisation basée sur la recherche du métier d'acteur. Ils avaient

18 Ibid., p. 106.

19 Idem.

20 Pol Pelletier est née le 6 Novembre 1947 à Ottawa (Ontario).

21 Robert Gravel, J'ai donné ma jeunesse au T.E.M, p. 7, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/publications/trac [consulté le 15/02/2019].

22 Idem.

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déjà tenté par le passé, notamment avec les Jeunes Comédiens, d'utiliser l'Improvisation comme moteur majeur dans une de leurs créations en 1972 : il s'agissait d'une pièce déambulatoire à la manière d'un jeu de monopoly grandeur nature dans laquelle les comédiens se comportaient comme des joueurs, tirant des cartes qui avaient des conséquences pour leurs personnages. Robert Gravel a reconnu en 1988 que l'idée manquait de simplicité.

Il souhaite dépasser la création d'autres troupes expérimentales émergentes, telles celles de Raymond Cloutier avec le Grand Cirque Ordinaire :« Nos spectacles étaient fabriqués - on ne faisait pas d'improvisation en public - mais à partir de nos propres sauts périlleux. Dans les cirques, on n'engage pas un acrobate pour lui dire quoi faire. »23.Le Grand Cirque Ordinaire utilise donc l'improvisation comme technique d'écriture, alors que le but de Robert Gravel est de la renouveler. Avec le Théâtre Expérimental de Montréal, il met au point deux spectacles, qui, par leur sobriété et leur durée, font de l'improvisation le sujet central de la pièce : il joue durant tout l'été 1976 les 12 heures d'improvisation à deux comédiens aux côtés de Gilles Renaud24. Il renouvelle l'expérience en novembre avec les 24 heures d'improvisation à deux comédiens, avec Lorraine Pintal25 qui remplace Gilles Renaud.

Les titres de ces deux oeuvres interrogent, quant à leur caractère minimaliste. Robert Gravel semble chercher jusqu'où un acteur peut aller uniquement en improvisant : le fait que la durée soit volontairement précisée dans le titre pousse à croire qu'avec ce spectacle, il souhaite réellement éprouver tant le comédien que la discipline. Il va ainsi à l'encontre de la volonté du Grand Cirque Ordinaire, qui mettait volontairement l'improvisation au profit de l'acteur en le magnifiant comme un créateur.

Une captation vidéo des 24 heures d'improvisation a été réalisée par le vidéaste Yvon Leduc, qui devient un grand ami de Robert Gravel. Bien que ces captations ne soient plus disponibles, des photographies et des enregistrements audios sont disponibles sur le site du Nouveau Théâtre Expérimental de Montréal.26

Robert Gravel et ses partenaires évoluent dans un espace scénique chaotique : quelques canapés, tables et chaises sont disséminés dans la pièce, les murs sont sales et fissurés, et la majorité du public, assis à même le sol, regarde au centre de la pièce.

23 Raymond Cloutier, op. cit., p. 189.

24 Gilles Renaud est né le 25 Septembre 1944 à Montréal. Il est diplômé de l'École Nationale de Théâtre en 1967.

25 Lorraine Pintal est née à Plessisville le 24Septembre 1951. Elle est depuis 1992 la directrice artistique du Théâtre du Nouveau Monde.

26 Disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/audios/improvisation [consulté le 14/03/2019].

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Robert Gravel et Gilles Renaud au centre de la maison Beaujeu lors des 12 heures d'improvisation à 2 comédiens (1976), photographie par Daniel Keffer,

disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/galeries/12-heures-dimprovisation.

La configuration géographique attire le regard du spectateur vers l'espace composé d'un cercle blanc au sol, entouré de quatre poutres, faisant penser à un ring. Sur les différentes photos, c'est en majorité dans cet espace que les comédiens évoluent. Cette configuration a peut-être contribué à faire germer dans l'esprit de Robert Gravel l'idée d'une patinoire où les improvisations auraient lieu.

Le dispositif multi-frontal du public met en danger le comédien : il est observé depuis toutes les directions, le spectateur observent pourtant un silence presque religieux : dans les captations audios, très peu de perturbations sonores émanent du public. La conversation entre les deux comédiens est interrompue ou soutenue uniquement par quelques interventions sonores du musicien et de quelques rires.27

La gestion de l'espace et du temps s'avère difficile tant pour les acteurs que pour les spectateurs. Il faut donc un cadre plus solide pour que l'improvisation ait un sens et que son impact sur le public

27 Disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/audios/improvisation [consulté le 22/02/2019].

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soit immédiat. Le rapport au temps conditionne le comédien : sur une longue durée, il se sent encore dans une certaine soupape de sécurité, ayant du temps pour développer l'intrigue. Or, le souhait de Robert Gravel est d'explorer les autres possibilités qu'offre l'improvisation théâtrale qu'un outil d'écriture et de création de personnage. Il faut donc un format qu l'incite à produire un résultat qui soit immédiatement identifiable.

I.2. La création du match d'improvisation théâtrale

Jean-Baptiste Chauvin rapporte la mise en chantier du match d'improvisation théâtrale de la façon suivante : « C'est au cours d'une soirée de l'automne 1977 (parait-il arrosée !) que Robert Gravel se mit à imaginer un jeu théâtral calqué sur les règles du hockey sur glace où s'affronteraient deux équipes d'improvisateurs »28

Le rituel d'une rencontre sportive peut répondre à plusieurs problèmes soulevées par les expériences d'improvisation précédentes :

L'espace dédié au jeu est tout d'abord plus clairement défini, ce qui aide le spectateur à se concentrer sur l'intrigue principale. Il se constitue en juge de la représentation. Durant les 12 heures et les 24 heures d'improvisation à deux comédiens, il n'avait pas eu son mot à dire quant à la qualité de ce qu'il avait vu. Robert Gravel lui donne désormais un moyen de pouvoir exprimer son avis, grâce à un système de vote.

Par ces formats plus courts, les improvisations laissent également au public le loisir d'observer la qualité de création d'un comédien lui montrant un produit qu'il aura développé sous ses yeux. C'est tout l'intérêt de ce format par rapport au temps, souligné par Jean-Baptiste Chauvin :

Dans le match d'improvisation, tout se conjugue au présent. La dimension temporelle est donc fondamentale. Tout est possible : des limites temporelles cadrent par avance ce qui se jouera dans l'instant. L'improvisation repose sur de prises de risques. Ces risques s'évaluent en minutes et en secondes.29

28 Jean-Baptiste Chauvin, Le match d'improvisation théâtrale, Paris, ImproFrance, 2015, p. 37.

29 Ibid., p. 84.

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Yvon Leduc, le lendemain de cette soirée, le convainc de concrétiser son idée. Mais il lui reste encore à persuader des comédiens de l'accepter, ce qu'il raconte lors d'une entrevue avec Jean-Claude Coulbois :

« ça a été, à mon plus grand étonnement, la plus grosse barrière à franchir »30 . De nombreux détracteurs, dans un premier temps, contestent en effet le cadre sportif du spectacle. L'improvisation n'est plus un outil, mais un produit final, dont la qualité est jugée par le public. La temporalité pousse l'improvisateur à s'impliquer d'entrée de jeu, pour produire une improvisation dans un temps réduit. Robert Gravel doit alors faire face au scepticisme de certains comédiens :

Les gens disaient "tu sais très bien que dans les cours d'improvisation, on a le temps d'improviser" . C'est vrai, c'est comme ça que moi, quand je fais une improvisation, c'est basé aussi là-dessus : le droit de développer l'action, le droit au rythme personnel. C'est un cours, c'est pédagogique. T'as le droit à ton expression, t'as le droit à l'erreur. Là je dis :"On est des bons improvisateurs, on met tout ce qu'on a appris dans un contexte sportif. Là t'as trente secondes, une minute pour développer - Mais moi ça me prend une heure pour développer - Je sais, mais il faudrait peut-être essayer, pour voir ce que ça donne" . Finalement 12 personnes ont accepté.31

Robert Gravel interroge par son nouveau procédé le processus de création, et la qualité des spectacles proposés à un public dans le cadre du théâtre à textes. En posant des contraintes strictes à l'acteur, il fournit au spectateur le loisir d'observer un comédien en plein travail. Les comédiens, habitués à montrer le résultat d'un long travail de répétition, sont confrontés à leur peur d'être jugés. Le risque encouru par ce type d'exercice est aussi de générer un certain cabotinage, à savoir le fait de gagner la faveur d'un public, que ce soit par des effets comiques ou des effets dramatiques. D'ailleurs, la question du comique en improvisation fait encore débat de nos jours. Le créateur du match d'improvisation écrit dans son livre Impro : réflexions et analyses : « En aucun moment, le théâtre n'a le droit d'être platte32 »33. Il reproche au théâtre conventionnel de ne laisser à aucun moment son public s'exprimer par rapport à la qualité de ce qu'il a pu observer.

Pour inciter l'improvisateur à se mettre au travail face à ce public, il lui faut un enjeu. Le choix de mettre deux équipes en compétition est aussi une façon de les inciter à se dépasser. Tel un spectateur

30 Jean-Claude Coulbois, Entrevue avec Robert Gravel, 1996, 25 min 08 secs, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/videos/entrevue-avec-robert-gravel [consulté le 22/02/2019].

31 Ibid., 26 min 04 secs.

32 Terme québecois pour désigner une chose ennuyeuse.

33 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, op. cit., p. 36.

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dans une arène, le public vient voir une sorte de combat. Il est à la fois public et juge. Le jugement étant immédiat, le comédien sait immédiatement si ce qu'il a produit a fonctionné ou non.

Conscient du caractère encore fragile de la forme qu'il vient d'inventer, Robert Gravel l'essaie durant quatre soirs uniquement. Le premier match a lieu le 1er octobre 1977, à la maison Beaujeu. Face à Jean-Claude Coulbois, il parle d'« une relation avec le public, fantastique, très vraie [...]c'est-à-dire que tu le sens, si le public aime ça ou pas » à l'issue de la représentation34. Enthousiasmée par cette première expérience, l'équipe entière est prête à le suivre pour trois autres spectacles, et le pousse même à pérenniser le format. C'est le début d'une expérience fédératrice : les communications souterraines d'une troupe expérimentale à l'autre provoquent l'invitation de nouvelles troupes pour grossir les effectifs de ce premier championnat, tels la Manufacture, et même le Grand Cirque Ordinaire35. Robert Gravel et ses camarades commencent à être dépassés, et il faut bientôt organiser des calendriers et organiser minutieusement les équipes pour accueillir les soixante comédiens souhaitant participer à un deuxième tournoi. Le phénomène s'ébruite et attire rapidement des jeunes comédiens pour grossir le rang de spectateurs en premier lieu, curieux de découvrir cette façon nouvelle d'improviser. La maison Beaujeu ne disposant que d'une centaine de places, les matchs affichent « complet » en un temps record. Par ailleurs, le spectacle se calquant sur le match de hockey attire également un public qui ne vient pas du théâtre, mais qui est attiré par une forme reprenant les codes d'un sport national.

Il n'est désormais plus question de théâtre expérimental : Robert Gravel a inventé un format original, qui demande une grande synergie. Le Théâtre Expérimental de Montréal fonde en 1979 la Ligue Nationale d'Improvisation, qui se consacre exclusivement au match d'improvisation théâtrale.

Cependant, une crise éclate au sein du Théâtre Expérimental de Montréal et provoque des discordes entre ses différents membres : Pol Pelletier et les autres femmes qui y officiaient sont de moins en moins satisfaites des créations, qui laissent peu la paroles aux femmes, comme le souligne Hélène Pedneault :

Autant l'éclatement des formes, la recherche sur le jeu et les corps et le concept prenaient le pas sur le texte, dans les spectacles conçus par les hommes au temps du premier Théâtre

34 Jean-Claude Coulbois, op. cit., 28 min 14 secs.

35 Joyce Cunningham, Paul Lefebvre, Dossier de presse, p. 5,disponible sur

https://archives.nte.qc.ca/medias/documents/la-ligue-nationale-dimprovisation-dossier-de-presse [consulté le 11/03/2019].

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Expérimental de Montréal à la Maison de Beaujeu {Zoo, Garden Party, Orgasme I et II), autant les mots - même peu nombreux - étaient une matière première importante, imbriqués dans la forme, dans les spectacles conçus par les femmes (Finalement, À ma mère, à ma mère, à ma mère, à ma voisine).Les femmes n'avaient pas encore beaucoup la parole dans la société, et quand elles la prenaient, chaque mot était vital. Les hommes jouaient et expérimentaient, les femmes défrichaient leurs images et défendaient leur peau.Il y avait là une différence profonde qui devait fatalement mener à une scission 36.

Dans les archives du Nouveau Théâtre Expérimental de Montréal se trouve une série d'écrits baptisés Cahiers, faisant office de journal de bord. Dans ce premier cahier rédigé par Jean-Pierre Ronfard détaillant les activités du théâtre de Juillet 1975 à Juillet 1979, le mode de fonctionnement de la structure est ainsi décrit :

[Le Théâtre Expérimental] fonctionnait selon les principes de l'autogestion ; partage égal du pouvoir, responsabilité individuelle face à l'oeuvre collective, prise de toutes les décisions à l'unanimité. En principe, cela signifiait " si je ne dis pas non à une action proposée (le veto est incontournable), j'endosse personnellement cette action " . 37

Une des premières créations du Théâtre Expérimental datant de 1975, intitulée Une femme, un homme, est interprétée par Robert Gravel et Pol Pelletier. Constitué de plusieurs tableaux, le spectacle interroge et critique différentes formes de relations entre les hommes et les femmes. C'est cette critique qui a frappe Hélène Pedneault lorsqu'elle assiste à une des représentations : « Ils sont deux sur scène. Ils se battent avec deux longs bâtons. Elle le dompte comme un cheval sauvage au bout d'une longue corde »38. Le mode de fonctionnement est satisfaisant dans un premier temps, chaque création étant le travail conjoint d'une cellule de création et d'une cellule d'interprètes. Pour ce spectacle, la cellule de création est composée de Robert Claing, Robert Gravel, Pol Pelletier, Pierre Pesant et Jean-Pierre Ronfard. De plus, l'aspect critique des relations hommes-femmes pour ce premier spectacle permet de faire l'unanimité au sein de la troupe du Théâtre Expérimental de Montréal.

En 1976, le spectacle Garden Party cristallise cette démarche collective : on compte dans la cellule de création dix personnes appartenant à la structure, qui sont également présentes sur scène, hommes et femmes confondus. Aucun projet par ailleurs ne semble remis en question, ce qui permet

36 Hélène Pedneault, Robert Gravel, esquisse d'un homme de théâtre baveux, Revue Jeu, 1997, p. 10, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/1997-n82-jeu1072752/25394ac.pdf [consulté le 11/03/2019].

37 Jean-Pierre Ronfard, Passage du Théâtre expérimental de Montréal au Nouveau Théâtre Expérimental, ou les avatars de l'autogestion, p. 9, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/publications/cahier-i-archeologie [consulté le 31/03/2019].

38 Hélène Pedneault, op. cit., p. 66.

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au théâtre une grande productivité : la même année est créé Essai en mouvement pour trois voix de femmes, joué par Lucie Guilbert, Nicole Lecavallier et Pol Pelletier. Dans la cellule de création se trouvent également Alice Ronfard et Jean-Pierre-Ronfard. Ce spectacle est la pierre angulaire d'une cellule du Théâtre Expérimental, qui prend pour intitulé « spectacles de femmes ». Il n'est pas mentionné par Hélène Pedneault, car Nicole Cavalier précise dans la revue Trac Femmes qu'il « ne correspond pas exactement à cette définition puisque l'initiateur du projet était un homme, Jean-Pierre Ronfard, qui a aussi été metteur en scène du spectacle »39

Pol Pelletier domptant Robert Gravel à la maison Beaujeu dans Une femme un homme (1975), photographie par Robert Duclos, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/galeries/une-femme-un-homme

39 Nicole Lecavalier, Alice Ronfard, Anne-Marie Provencher, Dominique Gagnon, Francine Pelletier, Louise Laprade, Louise Ladouceur, Pol Pelletier, Louise Portal, Geneviève Notebaert, Ginette Morin, Lorraine Pintal, Trac Femmes, Introduction, 1978, p. 5, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/publications/trac-femmes [consulté le 31/03/2019].

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Les spectacles de femmes se développent en parallèle des autres créations du Théâtre Expérimental. La liste établie par Hélène Pedneault comprend Finalement en 1977 et A ma mère, à ma mère, à ma mère, à ma voisine en 1978.

La cellule de création de Finalement se compose de Nicole Lecavalier, Anne-Marie Provencher et

Alice Ronfard, qui sont également les trois seules interprètes. En parallèle est joué Zoo, avec Robert Gravel, Peter Gnass, Yvon Leduc, Pierre Pesant, Benoît Ronfard et Denis Rousseau. Ils sont également tous interprètes dans le spectacle. La mixité au sein des cellules de création commence donc à diminuer : en 1978, Orgasmes est crée et interprété par Robert Claing, Robert Gravel, Anne-Marie Provencher et Jean-Pierre Ronfard, tandis que la pièce A ma mère, à ma mère, à ma mère, à ma voisine est créée et interprétée par Louise Laprade, Pol Pelletier et Anne-Marie Provencher.

Progressivement se développent les créations féministes au sein du Théâtre Expérimental de Montréal. C'est un tournant dans cette troupe qui prône la création collective. Le recul a été nécessaire pour que les femmes prennent conscience de ce tournant : l'appellation Spectacles de femmes n'est apparue qu'en 1978, soit trois ans après Une femme un homme. Pol Pelletier raconte que c'est en 1976, après un évènement survenu lors de la création de Garden Party, pendant une improvisation sur la thématique de l'agression, que s'est opérée sa prise de conscience :

Je regarde les comédiennes se faire tapoter, pincer, poussailler par les comédiens. Je sens comme une colère qui monte. A un moment donné dans l'improvisation, j'attrape la ceinture d'un comédien comme pour le tirer vers moi. Il se retourne, furieux, et pour me repousser me jette violemment par terre. Mes lunettes vont s'écraser dans le coin. Je vois rouge. Je me relève. Je suis en train de me battre [...] C'est une journée capitale dans ma vie. La décision de ne plus travailler avec des hommes a commencé à germer cette journée-là40.

Une scission larvée existe au sein du Théâtre Expérimental, depuis ses premières créations. La décision de baptiser quatre créations « spectacles de femmes » uniquement en 1978 indique, à mon sens, que les femmes appartenant au Théâtre Expérimental de Montréal ont décidé cette année-là de rendre cette démarche féministe officielle. Le match d'Improvisation, qui existe depuis un an, parachève le litige entre les deux pôles et provoque irrémédiablement la scission :

En ce qui concerne la L.N.I (Ligue Nationale d'Improvisation), qui par ailleurs repose sur une très bonne idée, je suis suprêmement énervée par l'utilisation du jeu de hockey, qui est un jeu

exclusivement masculin et superviril. Je trouve ridicule de voir des femmes sur la glace qui font comme si c'était tout-à-fait normal 41

40 Pol Pelletier, Histoire d'une féministe, extrait de Trac femmes,, 1978, p. 103-104, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/publications/trac-femmes [consulté le 31/03/2019].

41 Ibid., p. 109-110.

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La Ligue Nationale d'Improvisation occupe de plus en plus de place et de temps au sein du Théâtre Expérimental, avec un succès inattendu. Dans ce contexte, le Théâtre Expérimental de Montréal se scinde en deux parties : la maison Beaujeu demeure désormais un lieu de création pour Pol Pelletier, Louise Laprade et Nicole Lecavalier, qui fondent le Théâtre Expérimental des Femmes. Robert Gravel cherche donc avec ses complices un nouveau lieu pour y accueillir le Nouveau Théâtre Expérimental, créé en 1979. Il trouve refuge à l'Université du Québec à Montréal 42 afin d'accueillir les deux saisons suivantes de la Ligue Nationale d'Improvisation. Le caractère institutionnel du match d'improvisation étant incompatible avec les créations expérimentales du Nouveau Théâtre Expérimental de Montréal, Robert Gravel sépare les deux organismes ; la Ligue Nationale d'Improvisation devient une structure autonome en 1980. Dès 1982, les matchs se jouent à la salle du Spectrum de Montréal, pouvant accueillir jusque 1200 spectateurs.43.

Á travers le parcours de Robert Gravel, c'est la remise en cause des institutions et la volonté de se forger une identité propre pour les Québecois qui s'est affirmée par le théâtre. Cette construction d'une identité nouvelle s'étant traduite par la réinvention du théâtre au moyen d'expérimentations, un phénomène similaire est observé dans d'autres territoires faisant l'objet de contestations sociales et culturelles. Pendant que la troupe des Jeunes Comédiens se réappropriait l'idée d'un théâtre Québecois, des artistes français remettaient en cause la politique culturelle à travers plusieurs initiatives se traduisant par le renouveau de la pratique théâtrale. Le mémoire de Jean Couturier sur le Théâtre de l'Unité place la naissance de celui-ci dans le cadre des « pratiques théâtrales non conventionnelles, hors normes »44. Les problématiques similaires des compagnies se font écho, ce qui favorisera leur rencontre en 1981, à l'initiative de Jacques Livchine et Hervée Delafond, créateurs du Théâtre de l'Unité.

Les deux troupes se sont, en effet, constituées en marge des institutions :tout comme les Jeunes Comédiens au Québec, le Théâtre de l'Unité souhaite trouver un public nouveau, d'où son choix d'investir la rue.

42 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 38.

43 Le Spectrum a fermé ses portes en 2007. Depuis, et selon ses manifestations, la Ligue Nationale d'Improvisation se produit à la salle Espace Libre, dotée d'une capacité de 130 places ; ou au Club Soda, doté d'une capacité de 530 places.

44 Jean Couturier, Le théâtre de l'Unité : un parcours singulier, sous la direction de Robert Abirached, Centre d'études théâtrales, Université Paris X Nanterres, 1993, p. 4.

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Tout comme le Théâtre Expérimental de Montréal, le Théâtre de l'Unité « veut fragiliser et métamorphoser le rituel de la représentation théâtrale ».45 La solution pour y parvenir se trouve hors du théâtre institutionnel, dans les créations collectives.

En utilisant le théâtre de rue, le Théâtre de l'Unité modifie l'espace dans lequel se trouve le public, ce qui modifie sa fonction et sa perception du spectacle. Robert Gravel, au temps du Théâtre Expérimental de Montréal, avait lui aussi envisagé de modifier la place du spectateur :il avait crée Zoo en 1977, qui offrait un parcours déambulatoire au public, se promenant au milieu de cages qui renfermaient tantôt des animaux, tantôt des comédiens. Dynamiter l'espace de représentation remet en cause le confort de l'acteur, qui peut se retrouver magnifié par un rituel auxquels se soumettent les spectateurs lorsqu'ils vont voir une pièce de théâtre. Le théâtre de rue propose également de remettre en cause ce rituel :le fait d'aller chercher un public là où il est, dans la rue, le libère du conditionnement dont il fait l'objet dans le cadre d'une représentation institutionnelle : lorsque nous allons au théâtre, nous nous prêtons à un rituel précis depuis notre entrée dans le théâtre jusqu'à notre sortie : notre entrée dans un lieu fermé, les affiches qui nous rappellent que nous sommes dans un lieu consacré, les ouvreurs qui nous indiquent ou nous asseoir, le noir dans la salle qui nous prévient du début du spectacle : tout nous conditionne à adopter une attitude respectueuse envers le lieu, le rite social et les comédiens.

Dans le théâtre de rue, le spectateur peut choisir de passer son chemin, ou, au contraire, avoir une part active, voir participante à l'évènement : son regard sur les comédiens pourra attirer l'attention d'autres passants, qui vont par leur choix de s'arrêter et de regarder construire l'espace théâtral. Libre également à lui de quitter la représentation ou de la perturber à tout moment. Cette action renforce l'interaction entre spectateur et comédien, qui peut se retrouver quelque peu désacralisé.

Avec la création de la Ligue Nationale d'Improvisation et du match d'improvisation théâtrale, l'équipe du Théâtre Expérimental de Montréal a élaboré une forme théâtrale dans laquelle le public se trouve doté d'un certain pouvoir : il a le droit de manifester son ressenti quant à la scène qu'il vient de voir et, si besoin est, de faire entendre sa désapprobation grâce à des chaussons lancés sur l'aire de jeu.

Cela fait partie du rituel du match d'improvisation : le spectateur, à son entrée dans la salle, se voit remettre, en plus du carton de vote pour décider quelle a été la meilleure improvisation, une pantoufle. Il peut la jeter sur la patinoire pour manifester son mécontentement, soit quant à la qualité de l'improvisation qu'il vient de voir, soit quant au jugement de l'arbitre. Il s'agit de laisser

45 Ibid., p. 11.

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le choix au spectateur : Robert Gravel s'est un jour exprimé, à travers une parole retranscrite dans le livre de Jean-Baptiste Chauvin, sur la fonction du chausson : « J'ai toujours dit en blaguant que chaque théâtre devrait offrir des caoutchoucs à ses spectateurs pour voir si son spectacle est apprécié. On n'a pas le droit d'être ennuyant au théâtre »46. Un spectacle de mauvaise qualité est donc condamné par un lancer de chausson lors d'un match d'improvisation, ou par l'indifférence du spectateur qui passe son chemin pour le théâtre de rue.

Ces deux formes théâtrales peuvent cependant être en opposition du point de vue du rituel. Le théâtre de rue invente son rituel et ses codes - qui varient d'un spectacle à l'autre, parfois d'un lieu ou d'un public à l'autre. Le spectateur du match d'improvisation se prête à un cérémonial orchestré et rôdé : il est encouragé à crier, hurler, rire, chanter, et à taper dans les mains. Dans ce rituel interviennent entre autres le musicien qui plonge la salle dans une ambiance sonore et conviviale, ainsi que le maître de cérémonie, qui assume plusieurs fonctions ; hôte, présentateur, guide et traducteur des codes du match.

Il contribue donc à insuffler entre les rangs des spectateurs une ambiance de fête. Les expérimentations parallèles des québecois avec le match d'improvisation et des français du Théâtre de l'Unité avec le théâtre de rue oeuvrent donc dans ce sens, résumé ainsi par Jean Couturier : « Un des mythes de l'histoire du théâtre, les Dionysies, fêtes grecques à l'origine du théâtre, reste un élément de référence du Théâtre de l'Unité Mais Jacques Livchine et Hervée Delafond croient à la fonction festive de cet art contre la notion de culture qui se reçoit dans le silence et l'ennui. »47

À son arrivée en 1978 à Saint-Quentin-en-Yvelines, le Théâtre de l'Unité se retrouve dans une ville nouvelle, regroupant plusieurs communes, où tout est à inventer en matière de culture et de programmes sociaux. C'est donc un terrain de choix pour la compagnie qui, grâce à ses expérimentations peut « permettre à la ville de se découvrir, s'inventer une histoire, une mémoire, lui donner une âme, faire du théâtre une parole supplémentaire, créer grâce à lui des liens entre habitants de la cité. »48

Ce lien prend forme en 1979, lorsque la troupe met en place ses premiers stages - baptisés « Ruches » en 1981 - mélangeant amateurs et professionnels et mêlant des arts divers, dont l'improvisation théâtrale.

Selon les écrits de Jean-Baptiste Chauvin, 1981 marque également la venue de la Ligue Nationale d'Improvisation pour la première fois en France avec une tournée orchestrée par le théâtre de la

46 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 96.

47 Jean Couturier, op. cit., p. 12.

48 Ibid., p. 49.

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Commune d'Aubervilliers49. Les similitudes partagées entre les deux structures, tant idéologiques qu'artistiques et culturelles, font de la Ligue Nationale d'Improvisation un choix pertinent pour animer les premières ruches.

I.3 L'importation du match d'improvisation théâtrale en France : création et extensions des ligues d'improvisation

La ville de Saint-Quentin, que Jacques Livchine avait trouvé vide en termes d'offres culturelles et de liens sociaux à son arrivée, ainsi que le Département des Yvelines, ont vu naître plusieurs structures autour de l'improvisation théâtrale qui demeurent encore aujourd'hui solides : les premières ruches ont en effet nourris les idées théâtrales d'Alain Degois, affectueusement surnommé « Papy » :

Pour tout te dire, c'est le Théâtre de l'Unité qui a fait venir le match d'impro en France, ce sont les premiers à avoir capté le truc : ils étaient en résidence à Saint-Quentin-En-Yvelines. Je ne sais pas comment la connexion s'est faite, si c'est l'un qui a invité l'autre, mais le fait est qu'en France, le Théâtre de l'Unité a été le premier à faire de l'impro dans les années 80, avec la ligue du Québec. Je n'ai pas connu cette période-là, mais Papy a commencé comme ça.50

C'est en ces termes que Jean-Baptiste Chauvin me raconte les premiers essais d'Alain Degois avec les ruches. Les années 80 voient fleurir partout sur tout le territoire des initiatives qui bénéficient à ceux qui sont aujourd'hui des acteurs majeurs de l'improvisation théâtrale en France.

Alors que les ruches sont à l'origine de la création de la Ligue d'Improvisation Française en 1981, d'autres pédagogues du théâtre proposent des stages d'improvisation théâtrale ouverts aux amateurs. En 1983, Emmanuel Leroy, fondateur de la Ligue d'Improvisation de Marcq-En-Baroeul en 1992, consolide ses armes de comédien amateur aux côtés d'Alain Knapp :

J'ai fait un stage d'improvisation théâtrale en 1983 à Alès[...].C'était un stage d'improvisation
mais pas du tout de match d'impro. C'était Alain Knapp qui a été un très grand pédagogue du

49 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 38.

50 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

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théâtre en France qui donnait ce stage d'improvisation. Et donc j'allais suivre un stage d'improvisation pour moi. 51

Emmanuel Leroy ajoute que « [Alain Knapp] a une réputation internationale »52,qui remonte à ses travaux effectués avec le Théâtre-Création, compagnie descendante de l'atelier de Recherche de Vidy ayant éclaté en 1968. Bien que Hervé Charton, spécialiste des travaux d'Alain Knapp, précise que « Mai 1968 et les évènements de mai n'auront que très peu d'importance en eux-mêmes dans l'histoire du Théâtre-Création, dont la fondation, si elle en est concomitante et participe à la même fête de l'esprit, n'en hérite rien de façon directe »53, elle s'inscrit dans un mouvement contestataire similaire à celui qui vit le Québec : que ce soit en France avec Mai 68 ou au Québec avec la Révolution Tranquille, les révoltes sociales favorisent l'émergence de l'improvisation dans le renouveau du théâtre.

Le Théâtre-Création d'Alain Knapp vit mal son rattachement à une institution : annexé au Centre Dramatique Romand, l'atelier de recherche de Vidy, se présente comme « une école qui cherche à désapprendre, à déformer plutôt qu'à former »54. Il s'agit donc de réorganiser la pédagogie du Centre Dramatique Romand dont dépend ce même atelier, conformément à « l'insatisfaction de Knapp et d'autres jeunes metteurs en scène face à la formation des comédiens romands »55.

Il est intéressant de noter les similitudes, à ce stade, entre le Théâtre-Création de Lausanne et la troupe des Jeunes Comédiens de Montréal. Les deux structures, toutes deux dépendantes d'institutions - Le Cendre Dramatique Romand pour le Théatre-Création et divers organismes culturels gouvernementaux dans un premier temps, puis le Théâtre du Nouveau Monde pour les Jeunes Comédiens - misent sur la spontanéité créatrice de leurs membres et favorisent un travail de recherche au lieu d'un travail de production.

Il naît un désaccord fondamental entre ce laboratoire et la structure institutionnelle qui emploie Alain Knapp, qui doit fatalement aboutir à une séparation, tout comme la « schizophrénie artistique aigue » qui a fini par empoisonner la relation entre la troupe des Jeunes Comédiens et les différentes structures qui l'employaient. Alain

51 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

52 Idem.

53 Hervé Charton, Alain Knapp et la liberté dans l'improvisation théâtrale, Paris, Classique Garnier, 2017, p .85.

54 Ibid, p. 130.

55 Ibid, p .129.

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Knapp supporte de moins en moins le Centre Dramatique Romand. Les deux compagnies se séparent en 1968, et l'atelier de recherche prend officiellement le nom de « Théâtre-Création ». Knapp participe au projet de grande envergure qu'est l'Atelier international du théâtre expérimental se déroulant du 17 Septembre au 2 Octobre 1971 à Dourdan. C'est l'occasion pour lui de rencontrer d'autres troupes expérimentales venant de différents pays. C'est donc, également ailleurs qu'au Québec, l'éclatement du théâtre expérimental. C'est par ce parallèle qu'Hervé Charton explique les raisons de l'arrivée d'Alain Knapp au Québec :

C'est dans ce climat qu'il faut comprendre l'invitation de Knapp au Québec, quelques temps après la publication du dossier sur Dourdan dans la revue International Theatre Informations, qui a fait connaître Outre-Atlantique Alain Knapp et ses idées sur l'improvisation ; André Pagé veut former des auteurs et des créateurs, pour raconter ce que le Québec est en train de vivre.56

André Pagé est directeur de L'École Nationale de Théâtre du Canada en 1974. A cette époque, la troupe des Jeunes Comédiens, qui est issue de cette même école, vit ses derniers instants.

Ses travaux sur l'improvisation et l'expérimentation, ainsi que ces deux histoires parallèles, désignent Alain Knapp pour animer, entre autres, des stages d'improvisation. Les échos favorables qu'il obtient grâce aux méthodes développées avec le Théâtre-Création - qui s'est arrêté en 1975 - auprès des comédiens québécois incitent ces derniers à perfectionner leurs techniques en le suivant durant les stages qu'il continue à donner sur le sol français. Robert Lepage, par exemple, « l'un de ses anciens élèves les plus connus »57. Après avoir assisté à un stage encadré par Alain Knapp à Paris en 1978, il obtient le trophée Beaujeu de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1984 ainsi que pour la saison 1986-1987. Ce trophée récompense, sur une année, les joueurs les plus étoilés. Il s'agit d'une récompenses symbolique remise aux trois joueurs ayant, aux yeux d'un invité d'honneur, effectué les trois meilleures prestations.

C'est pourquoi Emmanuel Leroy, lorsqu'il assiste à un stage similaire en 1983, fait connaissance avec plusieurs participantes venues du Québec : « La, j'ai rencontré des comédiennes québecoises qui m'ont expliqué le match d'impro, et qui m'ont expliqué le principe. J'ai trouvé ça extraordinaire et donc j'ai vu comment ça se passait ».58

56 Ibid., p. 192.

57 Ibid., p. 193.

58 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

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Le fait qu'il suivre, à cette époque, un stage d'improvisation pour perfectionner ses techniques de comédien traduit une différence fondamentale entre la vision de l'improvisation par Alain Knapp et celle par Robert Gravel et Yvon Leduc.

Hervé Charton rapporte qu'Alain Knapp considère la Ligue Nationale d'Improvisation comme « un avatar du Théâtre-Création ; le tirage au sort des thèmes proposés par le public, les règles telles que le refus de jeu ou autres sont pour lui directement inspirés des indications qu'il donnait lors de ses stages à l'École Nationale de Théâtre »59.

Il faut noter que, dans le cadre du match, les thèmes sont donnés par l'arbitre, et non par le public. Par ailleurs, il n'est guère surprenant qu'Alain Knapp « déteste tout ce que Gravel et Leduc ont pu faire »60, ces deux pratiques de l'improvisation étant difficilement comparables : Alain Knapp utilise l'improvisation comme un des outils pour « (re)donner à l'acteur une place de première importance dans le processus de création »61. Dans un match d'improvisation, le joueur est amené à assumer les fonctions de comédien, auteur et metteur en scène, mais ce cumul résulte de l'urgence de proposer une histoire dans un temps imparti. Il réside par conséquent cette différence : l'improvisation, dans le match, est un produit que le joueur doit fournir. Ce qui répond exactement à la volonté de Robert Gravel lorsqu'il a voulu déplacer l'improvisation dans un cadre sportif.

Le conflit qui oppose Alain Knapp aux créateurs reconnus par l'Histoire du match d'improvisation est donc davantage dramaturgique, voire idéologique, que résultant d'un désaccord sur l'identité des créateurs du match d'improvisation.

L'objet de ce litige est davantage affirmé par la réaction d'Alain Knapp au début des années 80 : « Aujourd'hui, la simple évocation du match d'impro, qu'il découvre à Aubervilliers lors de la première tournée en France de la LNI en 1981, et à laquelle ses élèves sont invités à se confronter, le met encore en fureur »62

Cette période voit le paysage de l'improvisation modifié en France, utilisée comme outil de création dans les écoles de théâtre et de renforcement pédagogique et culturel avec les ruches du Théâtre de l'Unité. Elle adopte progressivement la forme imaginée par Robert Gravel : la première tournée de la Ligue Nationale d'Improvisation coïncide avec la création de la Ligue d'Improvisation Française en 1981, première compagnie basée sur le modèle québecois.

C'est grâce aux nombreuses dates effectuées pendant la tournée de la Ligue Nationale d'Improvisation à l'initiative du Théâtre de la Commune d'Aubervilliers que se forment les

59 Hervé Charton, op. cit., p. 194.

60 Idem.

61 Ibid., p. 54.

62 Ibid., p. 194.

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premiers improvisateurs français, dans le sens du match. D'une rencontre à l'autre, les matchs se structurent, gagnent en précision quant au déroulement, et différents comédiens issus d'ateliers répartis sur tout le territoire tentent leur chance pour la première fois face au québecois :« Présentées d'abord en périodes spéciales, ces courtes rencontres deviendront peu à peu des matchs complets qui mettront en scène des joueurs européens maîtrisant de mieux en mieux les diverses facettes du jeu »63.

Le format, étant tout d'abord un aperçu dans le cadre de ces différents ateliers, se présente sous une forme allégée du match, et se consolide au fur et à mesure des dates. La première rencontre, datant du 24 Avril 1981 à Mérignac, présente une forme de trente minutes. Elle évolue de façon significative à la date suivante, où un match plus étoffé a lieu : « Cinq jours plus tard, à Marseille, une formule spéciale est créée, permettant à quatre équipes de participer à un mini-tournoi en un seul match »64.

Différentes expérimentations, sous la direction des comédiens québecois, essaiment alors sur tout le territoire, et les jeunes comédiens issus de différents ateliers affluent de plus en plus : « A Paris, les comédiens du Théâtre de l'Unité, d'Alain Knapp, et de Claude Confortes l'emportent sur la troupe Polygene, celle du Petit atelier et celle de Carlo Boso, ce qui leur donne l'occasion de se mesurer aux étoiles de la LNI. »65

Ces éliminatoires, permettant officieusement une sélection de joueurs prêts à affronter les Québecois, sont les premiers signes que l'improvisation dans le sens sportif du terme commence à se structurer en France. Il est à noter qu'en utilisant le terme d' « étoiles », Jan-Marc Lavergne évoque ainsi les meilleurs joueurs de la Ligue Nationale d'Improvisation. Par ailleurs, le format dans sa dimension complète commence à être adopté : le premier a été disputé la même année à Poitiers.

Les éléments nécessaires étant réunis, la Ligue d'Improvisation Française peut voir le jour grâce aux efforts combinés des québécois et des comédiens parisiens de la troupe Polygène et du Théâtre de l'Unité.

Le premier match à grande échelle, opposant la Ligue Nationale d'Improvisation à la Ligue d'Improvisation Française, a lieu au Festival d'Avignon, le 24 Juillet 1982. Ce spectacle peut être interprété comme une preuve que le match d'improvisation a maintenant sa place dans le paysage théâtral en France, étant invité par une institution de grande envergure qu'est le festival d'Avignon.

63 Jan-Marc Lavergne, La petite histoire de la coupe du monde d'improvisation, 1985, p.16, disponible sur http://match.impro.free.fr/telechargements/mondial-1985.pdf [consulté le 27/03/2019].

64 Ibid., p. 7.

65 Idem.

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Par ailleurs, il a été vu que bon nombre de ses premiers participants, à l'image d'Emmanuel Leroy, sont des comédiens cherchant à se perfectionner avant d'être des improvisateurs.

Ce jumelage établi permet d'agrandir et de varier la proposition faite par l'improvisation théâtrale : la Ligue Nationale d'Improvisation revient en 1983 sur le sol Européen pour de nouveaux matchs et ateliers, mettant en place plusieurs ligues d'Improvisation.

La médiatisation du match d'improvisation, dès 1983, lorsque Radio-Québec diffuse la première joute théâtrale entre deux équipes Québécoises, marque également un tournant dans l'évolution du match, et permet d'exaucer le voeu de Robert Gravel : une pratique artistique déplacée dans un cadre sportif, offre à des personnes extérieures au monde du théâtre, de découvrir la pratique.

Elle offre également à ceux qui n'ont pas assisté aux premiers émois des ateliers en 1981 de découvrir la discipline : Jean-Baptiste Chauvin, qui ne se destinait guère à une pratique professionnelle dans ce milieu, découvre le match d'improvisation théâtrale à la télévision :

J'ai découvert la match d'improvisation à la télé, en 1986. De mémoire, c'était une carte blanche à un animateur qui avait fait une retranscription d'un math d'impro de la LIF. Quand j'ai vu ça, j'ai eu très envie de le faire. Ça n'a pas recroisé ma route, donc je ne m'en suis pas plus préoccupé. J'ai toujours fait un peu de théâtre, mais sans avoir plus de prétention que ça sur un avenir professionnel ».66

Le milieu des années 80 offre à l'improvisation théâtrale de se développer dans des domaines autres que le domaine artistique : un premier relais étant franchi grâce à la médiatisation du match, Jean-Baptiste Chauvin et Emmanuel Leroy s'approprient le match d'improvisation, à l'aide de plusieurs organismes qui voient le jour, pour en faire un instrument de pédagogie à l'attention des plus jeunes. Deux évènements ayant lieu à deux endroits simultanés du territoire pérenniseront cette méthodologie.

Jean-Baptiste Chauvin bénéficie également d'une formation de cet ordre en officiant dans les Yvelines : « J'ai appris sur le terrain, mais avec une grande chance : comme l'impro est arrivée sur les Yvelines, je n'avais que des gens qui connaissaient [le match] par coeur et qui le connaissaient bien. En tout cas, dans les cadres d'origine. »67

66 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 6 Mars 2019.

67 Ibid.

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Dans les Yvelines, il rencontre Alain Degois, qui a suivi une des ruches avec le théâtre de l'Unité. Alain Degois était en discussion avec Jean Jourdan, professeur d'éducation physique : « [Jean Jourdan] s'est toujours beaucoup intéressé à ce qu'il appelle les « formes hybrides », c'est-à-dire le mélange d'arts et de sports »68.

L'intérêt d'enseigner le match d'improvisation théâtrale chez les plus jeunes - comédiens ou écoliers - désamorce les esprits de violence et de compétition. En cas de décrochage scolaire ou de difficulté d'insertion, le lieu représenté par la patinoire matérialise une structure dans laquelle une personne peut prendre sa place et évoluer, à l'image de son évolution dans la société : il est assimilé par le philosophe Benoît Cambillard à « l'expression du jeu politique », ses paroles étant rapportées par Jean-Baptiste Chauvin :

« En occupant les différentes fonctions à l'intérieur de la structure de jeu, les pratiquants interprètent leur rôle en fonction de la représentation qu'ils ont des positions qu'ils occupent et cela, dans la limite fixée par les règlements. Ces rôles ne sont en rien des rôles fictifs puisqu'ils relèvent de ce que Duvignaud désigne comme étant « une élaboration, une sublimation des éléments les plus profonds de la vie collective »69

Bien que ses propos évoquent la participation de tous les membres du staff dans un match d'improvisation - et non uniquement des joueurs - elles traitent de l'importance et des bénéfices de la pratique en improvisation théâtrale : participer, dès le plus jeune âge, à un jeu qui est une parabole de la vie politique, favorise la prise de confiance en soi. Par ailleurs, du point de vue individuel, la spontanéité inhérente à l'improvisation peut être révélatrice pour tout participant de la place qu'il pense occuper dans la société. Dans ce contexte interviennent les valeurs véhiculées par le match d'improvisation : construire une histoire se fait ensemble, et sur chaque improvisation, chacun se définira implicitement ou explicitement un rôle, en termes de propositions, de leader pour faire avancer l'intrigue, d'observation pour évaluer la nécessité ou non d'une intervention sur scène. Pour qu'un spectacle soit équilibré, des circonstances optimales en termes d'écoute et de circulation de la parole auront permis à chaque participant d'occuper tour à tour ces différentes fonctions.

La limite fixée par les règlements dont parle Benoît Cambillard permet la mise en place d'un filet qu'impose le vertige de l'exercice. Le cadre solide qui instaure cette sécurité favorise la prise de risque au sein de la patinoire. C'est là qu'intervient l'importance d'un espace de jeu clairement défini et d'un arbitrage juste : tout comme le comédien entrant sur scène, le joueur, dès qu'il entre

68 Ibid.

69 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p .102-103.

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sur la patinoire, entretien un rapport différent avec l'espace et le temps. Il est déjà une autre personne lors de l'entrée des équipes, car, habillé d'un maillot de joueur de hockey, il joue déjà le rôle d'un joueur.

Le rituel du match d'improvisation invite donc tout joueur à entrer avec un autre état : le joueur est selon Jean-Baptiste Chauvin le héros du spectacle : « Le spectateur vient voir un héros qui va se mettre au défi de se mettre dans pleins de personnages différents ».70

Il abandonne progressivement son comportement quotidien, ce qui lui permet de prendre sa place dans la patinoire avec un état plus neutre et donc plus disponible. Le cadre de la compétition, qui impose par définition un règlement et une attitude convenable à respecter, pose un socle qui garantit une équité des chances et, paradoxalement, déconstruit les tendances à jouer pour plaire à un public. Ce qui va à l'encontre de la tendance première que l'être humain a de vouloir séduire l'autre à tout prix. Plusieurs fautes prévues par le règlement luttent contre ce comportement, telles les fautes de cabotinage, de rudesse - lorsqu'on impose de façon violente une idée ou un personnage à son partenaire - ou encore de cliché. Je vois dans cette configuration empêchant toute initiative individualiste un autre rapport avec la vie politique : nous ne vivons jamais seuls, et nous composons toujours avec les autres. Les vertus d'acceptation sociale et de prise de confiance en soi ne peuvent donc fonctionner qu'à condition que le joueur soit au service du collectif.

Par ailleurs, un jeu individualiste pose un autre problème du point de vue dramaturgique. Simon Fâche, qui est pianiste à la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, évoquait ce sujet lorsque je me suis entretenu avec lui : « Et puis, si tu montes sur scène pour plaire au public, ça veut dire que tu n'es là que pour satisfaire ton ego. Tu n'es pas là pour faire un spectacle »71

Malgré cette déconstruction de l'individualisme, l'aspect compétitif du match d'improvisation théâtrale contribue à sa mauvaise réputation en tant que pratique artistique. Néanmoins, cela n'empêche en aucun cas d'attirer les jeunes amateurs, tout comme l'a été Jean-Baptiste Chauvin. Il fait un parallèle entre la pratique du match et le théâtre à textes, ou « théâtre conventionnel » qui a attiré mon attention : « Mais l'hypocrisie inhérente à la « grande famille du théâtre » occulte mal les rapports compétitifs qui font partie de la vie du comédien, à commencer par l'audition, qui est une forme on ne peut plus claire de compétition »72.

70 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

71 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

72 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 143.

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Le milieu artistique professionnel et la vie en société sont donc régis par des lois similaires : il faut constamment arriver à un résultat tout en composant avec l'autre. Par ailleurs, le grand nombre d'artistes professionnels exclue toute chance de réussite par l'individualisme et la rudesse.

Pratiquer l'improvisation théâtrale permettrait donc, selon moi, de préparer l'artiste aux difficultés qu'il est amené à rencontrer tout au long de sa carrière. Il y a donc un intérêt de découvrir cet apprentissage le plus tôt possible.

Après son stage auprès d'Alain Knapp, Emmanuel Leroy, qui a développé en parallèle une activité

de comédien-formateur, veut instaurer le match d'improvisation à destination des plus jeunes comédiens :

Et du coup, j'ai ramené [le match d'improvisation] dans le cadre du théâtre-école de la ville de Marcq-en-Baroeul dont je suis le directeur depuis sa fondation. Et j'ai commencé à le pratiquer avec mes élèves. Ensuite, j'ai su qu'il y avait des comédiens à Paris qui jouaient ce jeu-là. J'ai contacté des comédiens à paris et j'ai demandé à un comédien de Clichy de venir dans le Nord pour compléter notre formation.73

Avec cet enseignement, il organise dès 1984, année de création du théâtre-école, les premiers championnats de France de ligues juniors »74.

Influencée par son inspiration d'origine sportive, une ligue se définit par la composition d'une équipe, par un esprit de troupe et par conséquent d'identité. Les ateliers donnés par les québécois ayant insufflé le mouvement, les différentes initiatives mises en place sur le territoire permettent de donner à l'improvisation théâtrale en France une spécificité, que les comédiens de la Ligue d'Improvisation Française sont chargés de défendre sur le plan international, les ligues émergeant également à la même époque dans d'autres pays Européens.

En 1985, la matière est suffisante pour satisfaire une des ambitions de Robert Gravel : « "Un jour, l'improvisation couvrira la planète et les peuples seront réunis grâce à elle ! " C'est ce que je dis souvent en blaguant, mais y a-t-il quelque chose de plus sérieux qu'une blague ? » 75

Le 17 Avril a lieu à Montréal le premier match de la première coupe du monde d'improvisation, opposant la Ligue d'Improvisation Française à la Ligue Nationale d'Improvisation. Dans cette compétition s'affrontent également la Ligue d'Improvisation Belge et la Ligue d'improvisation Suisse.

73 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

74 Idem.

75 Robert Gravel, Introduction de la plaquette du premier mondial d'improvisation théâtrale, op. cit, disponible sur http://match.impro.free.fr/match-impro-index2.html [consulté le 02/04/2019].

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L'évènement peut être suivi par bon nombre de personnes, grâce à sa télédiffusion en direct. Depuis 1982, la radio et la télévision retransmettent des matchs, grâce à la pugnacité de Robert Gravel que rapporte Jan-Marc Lavergne : « Par exemple la télédiffusion des matchs en direct. Au début, on en parlait en riant. Finalement, en tenant tête aux diffuseurs qui souhaitaient une diffusion en différé, nous avons gagné notre point »76

Le match d'improvisation a cette particularité de voir le comédien en plein processus de création. Il perdrait donc de son essence si les télé-diffuseurs n'avaient diffusé que les meilleures improvisations, à la manière d'un compte-rendu sportif montrant une compilation des meilleurs moments d'une rencontre sportive.

C'est donc bel et bien pour conserver le match d'improvisation en tant qu'objet théâtral que Robert Gravel a refusé de transiger sur ce point.

La télédiffusion de ces matchs permet de toucher une population bien plus grande et provoque l'intérêt de personnes potentiellement étrangères au monde du théâtre.

La Ligue d'Improvisation Française étant composée de comédiens professionnels ou en voie de professionnalisation au moment de sa création, il faut une nouvelle forme de structure pour accueillir ces nouvelles personnes : Jean-Baptiste Chauvin rejoint la Ligue d'Improvisation Départementale des Yvelines, crée en 1989 :

Puis j'ai été travailler comme animateur à Voisins-Le-Bretonneux, à coté de Trappes. C'est là que j'ai découvert que, dans les Yvelines, il y avait une ligue amateure [...]Elle avait plusieurs équipes, dont une dans la ville où je travaillais. Le lendemain-même j'étais déjà inscrit, et mon premier cours d'impro a été avec Papy.77

Depuis son premier stage avec les québécois au sein du Théâtre de l'Unité, Papy effectue en effet un travail conséquent sur l'improvisation théâtrale. Sa profession d'éducateur lui ayant permis, avec l'appui de Jean Jourdan, d'instaurer la pratique du match d'improvisation dans les collèges, il continue l'opération de démocratisation de la discipline en créant la première Ligue d'Improvisation amateure.

Le Département des Yvelines est le pionnier de l'improvisation théâtrale en France : en tant que département de naissance de la discipline, c'est sur ces terres que se développent la majorité des structures offrant la pratique de l'improvisation théâtrale, et ce grâce à une transmission orale qui diversifie l'offre et les besoins : la Ligue d'Improvisation Départementale des Yvelines est, à ce

76 Jan-Marc Lavergne, op. cit., p. 9.

77 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

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jour, une des rares ligues officiant sur l'ensemble d'un Département. Pour répondre à la demande d'un territoire si étendu, elle se divise en sept équipes dans plusieurs villes. Alain Degois ayant reçu une formation orale par les Québecois, il est le premier maillon d'une chaîne qui sera bientôt présente sur tout le pays. Étant, par ailleurs, éducateur, il est également, avec Jean-Baptiste Chauvin et Jean Jourdan, le précurseur de l'improvisation théâtrale en milieu scolaire. Il aura donc contribué à faire connaître les bienfaits de l'improvisation théâtrale dans un contexte social, ce qui a ouvert la voie à cette pratique dans bons nombres de collèges de France ainsi que pour les team buildings d'entreprise.

Grâce aux ligues professionnelles qui se sont créées durant ce temps, les amateurs ont une nouvelle visibilité du match d'improvisation théâtrale.

En héritage des premiers ateliers de la Commune d'Aubervilliers en 1981, la plupart des plus grandes régions du pays s'équipent d'une ligue professionnelle. C'est ainsi que se forme, à l'image de ce qui s'est passé dans le Département des Yvelines, la première génération d'improvisateurs en France : des comédiens amateurs ou professionnels ayant suivi des stages d'improvisation grâce à la transmission des Québecois.

Le phénomène de transmission orale se poursuit, et les troupes amateurs qui veulent se former aux matchs se tournent donc naturellement vers les ligues professionnelles.

L'accessibilité de la discipline se heurte bientôt à une problématique : ceux qui l'enseignent par la parole et différents ateliers doivent faire preuve d'une grande prudence pour respecter le matériel de base qu'est le match d'improvisation théâtrale. Les formateurs, tels Jean-Baptiste Chauvin, ont un devoir de transmission juste pour respecter l'héritage de ce matériel. L'accessibilité augmentant doit alors composer avec les nombreuses individualités qui s'intéressent à l'improvisation :

Ce qui est difficile, c'est de transmettre l'esprit d'origine [...] J'ai bénéficié d'une transmission orale, parce que j'ai eu des formateurs qui étaient très bien dans l'esprit du match d'impro, mais pleins de gens se sont formés un peu tout seuls ; parce qu'ils étaient excentrés. Et pour certains qui pensaient savoir. Donc transmettre l'esprit du match, c'est sûr que c'est compliqué.78

La transmission évolue au moment-charnière qui voit se développer les ligues amateurs : à l'initiative de Julien Gabriel, qui était à l'époque l'arbitre en chef de la Ligue d'Improvisation Française, les ligues professionnelles prennent en charge de structurer le paysage de l'improvisation théâtrale Français. L'Association Française des Ligues d'Improvisation (AFLI) se met en place, et

78 Idem.

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publie au milieu des années 90 un document intitulé Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le match d'improvisation. L'article est composé d'une quinzaine de pages , avec un préambule expliquant brièvement les origines du match d'improvisation. Il décrit également la mission de cette association : « Regroupées dans l'AFLI, les ligues ont pour mission de développer cette forme théâtrale, en faisant respecter les règles, les signes, la mise en scène et l»esprit du jeu tels que définis par ses concepteurs ».79 Dans cet article est également répertorié tout ce qui constitue un match d'improvisation théâtrale pour que les ligues amateurs puissent suivre le protocole.

Emmanuel Leroy a été à la tête de cet organisme pendant un an et demi. Il définit son rôle de la manière suivante : « L'AFLI a joué un rôle un moment donné qui était intéressant ; discuter de ligue à ligue en se voyant à peu près une fois par mois, et essayer d'organiser des évènements en commun »80. L'association opère dans un souci de cohabitation entre ligues et de préservation de ce format d'origine. Le document publié transmettant aux amateurs le décorum, le protocole, et le rituel nécessaire au bon fonctionnement du match permet aux ligues de s'entendre sur l'organisation de ces évènements communs. Il y a un néanmoins un souci de réglementation de la pratique du match qui est à l'origine de la création de cet organisme. Jean-Baptiste Chauvin m'a fait part d'une certaine réticence de la part des ligues professionnelles de transmettre une formation aux amateurs. Il évoque l'exemple de la Ligue Ouverte et Libre d'Improvisation Théâtrale Amateure :

Je pense que la LIF a aussi vu d'un mauvais oeil l'arrivée des ligues amateurs, de peur que ça empiète sur leur territoire. Typiquement, l'exemple a été la naissance de la LOLITA : quand ils nous ont contacté, ils avaient contacté avant la LIF, ou la LIFI - je ne sais plus laquelle des deux à l'époque - qui leur a répondu " Vous savez, le match d'improvisation, c'est très compliqué. Il faut s'entraîner très longtemps avant de faire quelque chose " etc... Nous, avec Papy à Trappes, on n'était évidemment pas dans cette logique-là

La discussion avec Jean-Baptiste Chauvin a également révélé des difficultés financières, car l'Association Française des Ligues d'Improvisation était aussi chargée de collecter les droits sur le match d'improvisation81. Les ligues amateurs se sont donc confrontées à des difficultés économiques.

Du point de vue artistique, il est intéressant de détailler ce qui fait l'essence d'un match d'improvisation, et d'étudier son cadre. La dimension théâtrale étant fortement présente, elle peut

79 Association Française des Ligues d'Improvisation, Tout ce que vous avez vous avez toujours voulu savoir sur le match d'improvisation, p.1 .

80 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 février 2019.

81 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

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rendre en effet complexe la transmission par les artistes professionnels aux amateurs. Néanmoins, des alternatives ont étés trouvées par certains amateurs ayant bénéficié, entre autres, de l'appui de professionnels tel Jean-Baptiste Chauvin. Elles permettent de contourner les difficultés artistiques et financières. Le catch d'improvisation théâtrale, crée par Marko Mayerl qui a été un des principaux fondateurs de la Ligue Ouverte et Libre d'Improvisation Théâtrale Amateure, en est un exemple.

I.4 : Enjeux artistiques et financiers.

L'analyse du match d'improvisation théâtrale faite par Jean-Baptiste Chauvin dévoile le grand nombre de mécanismes qui se développent pendant ce type de spectacle. C'est là qu'intervient la problématique qu'il a évoquée en entretien à propos de l'esprit d'origine ; et donc de faire comprendre l'importance du fond. Il ne faut donc pas se contenter de respecter la forme : la simplicité et la rigueur avec laquelle elle est décrite a pour conséquence, selon moi, de montrer du match une accessibilité relative, car elle intervient dans un cadre sportif abritant un cadre théâtral.

Le premier niveau du match d'improvisation en terme de dramaturgie constitue la pièce-cadre, qui abrite en son sein le cadre des improvisations. Les comédiens qui sont chargés de poser ce cadre composent ce que le langage commun appelle désormais le staff*, en héritage du match de hockey. Voici ce que Jean-Baptiste Chauvin rapporte à ce sujet :

Il est important de comprendre que le staff est au service du spectacle, et non l'objet du spectacle. Sa sobriété ne peut que renforcer son efficacité. Malheureusement, la tentation est souvent trop forte, souvent chez les amateurs, d'outrepasser les limites des différents rôles et d'en rajouter, de cabotiner, et donc de montrer sa frustration de ne pas être à la place des joueurs.82

La sobriété du staff doit être de rigueur pendant que les improvisations se jouent. En-dehors des périodes de jeu, son rôle est de garder le spectateur dans l'esprit d'un spectacle, et doit donc s'assurer qu'aucun temps mort ne vienne interrompre le temps de la représentation.

82 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 104.

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La difficulté pour ces comédiens est de respecter le fragile équilibre entre l'incarnation de leur personnage et la fonction qu'ils ont à remplir pour consolider le cadre.

Le premier à intervenir dans ce cadre est, selon Jean-Baptiste Chauvin, le musicien :

C'est le musicien qui ouvre les festivités et qui les ferme, car il est le premier à entrer en scène et le dernier à en sortir [...] L'usage du musicien vient lui aussi du hockey. Dans les matchs de hockey, un organiste joue dès l'entrée du public et intervient dès qu'il y a un arrêt du jeu. A la Ligue Nationale d'improvisation, un organiste accueille également le public avec des airs connus et des rengaines »83

Il est celui qui va donner le ton de la soirée au public, et a un rôle similaire à celui d'un chauffeur de salle. Lorsque j'ai disputé mon premier match contre la LICOEUR de Bordeaux, en Mars 2019, les musiciens était deux, et annonçaient l'arrivée du maître de cérémonie. Le premier cadre est posé. Alors que Jean-Baptiste Chauvin insiste sur l'importance que le musicien a par rapport au rythme, certaines personnes poussent parfois la fonction a un autre degré de dramaturgie. C'est le cas de Simon Fache : « quand je travaille avec des comédiens que je ne connais pas, je leur laisse croire que je les écoute. Et si eux sont à l'écoute, ils se rendent compte que je suis un joueur de plus »84. Devenir un joueur de plus, lorsqu'on appartient au premier cadre, demande d'être attentif aux improvisations qui se déroulent sur la patinoire, et d'identifier les besoins des improvisateurs, selon la situation :

Après il y a des improvisations où je ne joue pas, et il y a aussi des improvisations où je suis vraiment décorateur : par exemple ; si on part sur une catégorie « heroic fantasy », je vais décorer avec de la musique de violons, et si je vois un joueur arriver un peu en Gollum, je vais pas jouer Maya l'Abeille !85

Simon Fache apporte ici une nuance intéressante : lorsqu'il intervient dans une improvisation pour décorer, le musique devient un élément dramaturgique, et non uniquement un élément chargé de rythmer les différentes phases du spectacle. Il peut également s'impliquer davantage : lorsqu'il écoute l'improvisation et est capable d'identifier la situation en cours, il devient ce joueur en plus :

Parfois, je provoque vraiment les changements de temps. Ça m'arrive, très souvent, quand je vois les joueurs qui installent : " tu te souviens, à l'époque, quand on avait dit ça ..." ... vous

83 Ibid, p. 112.

84 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

85 Idem.

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savez quoi ? Au lieu d'en parler, on va le faire ! Je fais une espèce de *musique de piano* , et ils se disent " Ok, on va faire un flash-back !" [...]Quand, dans une impro, tu as des bascules de temps ou de lieu, ça crée beaucoup de reliefs et c'est assez jouissif à regarder.86

La musique assure autant le rythme des improvisations que le rythme du spectacle, les deux devant être efficaces. Les joueurs et membres du staff doivent garder à l'esprit que l'improvisation théâtrale est avant tout une affaire d'actions, et donc de dosages. L'intention des improvisateurs en place dans la patinoire étant monopolisée par l'action en cours, il se peut qu'ils n'aient plus assez de recul pour amener autre chose ou ne pas avoir conscience que l'improvisation est en train de durer trop longtemps, au détriment d'une action rythmée. Ce qui n`est pas le cas des improvisateurs absents de la patinoire.

De mon expérience d'improvisateur, il est plus aisé, lorsqu'on a une vision extérieure de l'improvisation en cours, d'identifier quand une improvisation nécessite une intervention supplémentaire pour la faire évoluer. Cela reste dans tous les cas une prise de risques : un improvisateur-spectateur dans cette situation a la responsabilité d'amener un élément nouveau pour désamorcer le blocage de la situation, et n'a que quelques secondes pour prendre la décision. Á ce stade, l'histoire a commencé, des éléments sont posés dont il a eu le loisir de prendre connaissance ; ce qui ne rend pas la tâche plus aisée : la charge de trouver un élément nouveau, tout en étant cohérent avec l'action qui se déroule, ferme le champ des possibles. Ce qui n'est pas le cas au commencement d'une improvisation. Il peut avoir tendance à prolonger sa période de réflexion pour trouver l'élément judicieux à apporter, mais prolonge le temps de latence ; et précipite l'agonie de l'improvisation.

Le musicien, quant à lui, observe une distance avec ce qui a lieu dans la patinoire, tant géographique que dramaturgique.

Lorsque Simon Fache parle des improvisations donnant à montrer des bascules de temps et de lieu, il évoque la possibilité de donner un second souffle à l'improvisation, ou à offrir une histoire variée. La mise en place d'un deuxième lieu ou d'une deuxième époque fournit aux joueurs une occasion supplémentaire de nourrir l'action. En plus d'une improvisation plus ouverte, elle constitue un élément narratif nouveau, dans lequel tout est à mettre en place. Cela ouvre donc un nouveau champ des possibles, comme au commencement d'une improvisation. Il est ensuite à la liberté des improvisateurs soit de relier les deux actions, soit de laisser la situation secondaire évoluer sans que

86 Idem.

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les deux improvisations n'aient de réel lien identifiable. Dans tous les cas, l'histoire aura été davantage nourrie, la deuxième improvisation illustrant la première, et renforçant ainsi ses propos. La distance géographique dans laquelle l'organisation du match place le musicien a aussi ses avantages.pour Simon Fache : « Si tu as des comédiens qui sont en train de jouer en avant-scène, tu vois le joueur sur le banc qui se prépare à entrer, tu vois le coach qui vient de lui dire un truc, donc tu sais qu'il va se passer quelque chose. Tu anticipes »87

Elle permet également au musicien d'identifier la proposition d'un comédien, et de réagir en conséquence. Il est encore une fois question d'écoute, car chaque individu interprète potentiellement une proposition d'une façon différente. La musique jouant un rôle d'illustration et d'accompagnement, le musicien fait un choix. Il va parfois à l'encontre de la proposition première du comédien, mais l'acceptation étant de mise, c'est cette idée qui sera retenue : grâce à la musique, la proposition devient concrète, et le joueur a de la matière :

Si on est sur une écoute mutuelle, ça marche. Par exemple, sur le match anniversaire équipe de France contre Marcq, en comparée ; Richard88 entre sur scène avec un personnage que moi je vois comme une espèce de Charlie Chaplin dans sa démarche. Donc je commence à jouer une musique de cinéma muet. Mais lui n'avait pas spécialement ça en tête, il rentrait juste avec une démarche. Mais il entend que je joue le cinéma muet, donc il ne parle pas. Du coup, il chope le code et installe un personnage juste dans le visuel, avec des onomatopées.89

Simon Fache a conçu ce rôle de musicien à force d'expérience, et a à son tour endossé un rôle de formation :

C'est pour ça que j'ai aussi formé un pianiste - parce que je ne suis pas toujours là - parce que, personne ne m'a dit ce que je devais faire. Je l'ai compris,j'en ai fait ma version avec le temps en faisant une paire de spectacles, en étant invité ailleurs aussi pour voir comment ça se joue. Parce que si le match est partout pareil, le staff bouge. Donc je l'ai formé en lui disant que son boulot, c'est que les gens tapent dans les mains. Jouer dans les impros, c'est que du bonus. C'est ce qu'il y a de plus compliqué, mais ce n'est pas ce qu'on demande en premier.90

Si le rôle de la musique dans les improvisations représente une véritable valeur ajoutée, l'évolution du match d'improvisation a néanmoins donné une fonction supplémentaire au musicien:les improvisations qui se déroulement désormais sous une catégorie* chantée font appel de façon

87 Idem.

88 Richard Perret, joueur de la Ligue Majeure d'improvisation, créé en 2009. Il est régulièrement sélectionné dans l'équipe de France.

89 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

90 Idem.

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directe à ce joueur. Si l'improvisation se joue de façon comparée - quand les deux équipes improvisent l'une après l'autre - , l'arbitre laisse le choix entre deux styles de musique, et c'est l'équipe qui improvise en premier qui a le loisir de choisir le style. L'équipe suivante se voit octroyer d'office le style restant.

Une autre catégorie est dénommée la catégorie musicale : les joueurs n'ont pas droit à la parole et se font guider uniquement par la musique.

La nature de ces deux catégories, ainsi que le témoignage de Simon Fache, montrent que le musicien intervient dans les deux cadres offert par le match d'improvisation. Le choix d'intervenir dans les improvisations doit néanmoins être judicieux afin de ne pas détourner le propos.

Se concentrant en premier lieu sur sa mission de poser le premier cadre, les rengaines enjouées qu'il joue au début du spectacle mettent le public dans une condition optimale pour accueillir le maître de cérémonie.

« Au même titre que l'arbitre, il est là au service du match et n'a pas pour vocation de jouer un personnage. Il est le maître d'une cérémonie, celle qui se passe devant nous.Là encore, il ne joue pas à être M.C. »91

La cérémonie qui se passe devant nous dont parle Jean-Baptiste Chauvin représente le premier cadre, celui de la rencontre sportive. N'ayant pas à intervenir dans le second cadre - celui des improvisations - il a une fonction comparable à celui d'un metteur en scène. Bénéficiant du même point de vue extérieur que celui du musicien, il est en charge de présenter les joueurs au public, et il l'encourage à les applaudir.

La fonction qu'il assume a pour objectif d'établir une passerelle entre les deux cadres pour éviter de perdre le public : il a la charge d'expliquer au public ce que signifie telle ou telle catégorie, et d'expliquer pourquoi l'arbitre a sifflé une faute si besoin est.

La dimension théâtrale de ce rôle peut se retrouver dans deux points ; tout d'abord, la fonction du metteur en scène, car il intervient dans les deux cadres de la représentation. Et, bien que ce ne soit pas un personnage à part entière - par rapport aux improvisateurs - cette fonction implique naturellement un rôle : en étant habillé de manière élégante - ce qui va de soi pour une cérémonie - et en s'adressant au public avec un micro, il est en représentation.

Lorsque Jean-Baptiste Chauvin, dans la dernière citation, englobe les fonctions de maître de cérémonie et d'arbitre dans des rôles comparables, celui de l'arbitre demande un travail plus dosé par rapport à la notion même d'acteur.

91 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 111.

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Il est responsable de la qualité des improvisations, son travail est donc également analogue à celui d'un metteur en scène. Cela implique par définition une austérité par rapport à ce qu'il va se passer dans le premier cadre. En préparation d'un match, il est chargé de doser avec justesse le temps de chaque improvisation, et être judicieux dans le choix des thèmes et des catégories. Il est de coutume que deux tiers des improvisations soient soumis à une catégorie, le dernier tiers étant consacré aux catégories libres. Ce dosage a pour but de trouver un équilibre idéal entre le fait de laisser une liberté à l'improvisateur par rapport à son imagination grâce aux catégories libres, tout en les entrecoupant de catégories imposées pour lui offrir une orientation.

L'évolution du match d'improvisation a , au fur et à mesure, fait évoluer son comportement sur la patinoire, en conséquence du service qu'il rend aux joueurs pour leur offrir un cadre confortable :

Le fait d'improviser étant spectaculaire dans le sens où il implique de prendre des risques sans filet, il faut un élément pour apporter un contre-poids qui provoquera la bienveillance chez le spectateur : c'est pourquoi la plupart des arbitres feignent un excès d'autorité lorsqu'ils sont dans l'espace de la représentation. Ce jeu doit cependant conserver une grande sobriété pour garder l'intention sur les improvisations, et l'arbitre ne doit pas se donner en spectacle. Par ailleurs, être arbitre demande une grande connaissance du règlement et une capacité d'analyser un jeu. J'ajouterais une autre dimension par rapport à sa fonction de metteur en scène : avant un match, tout le staff assiste au briefing, orchestré par l'arbitre. C'est à ce moment qu'il informe les joueurs des catégories qui seront énoncées. Si certains joueurs ne sont pas à l'aise avec une catégorie, il leur est possible de demander de ne pas la jouer. Cela garantit non seulement que les joueurs évolueront dans une atmosphère sécurisée, mais également pour obtenir une qualité optimale dans les improvisations. Une catégorie avec laquelle personne n'est familier mène à une faute de non-respect de la catégorie. Et plus un joueur connaît le cadre de l'improvisation, plus il sera enclin à fournir des éléments pertinents. Conforté par rapport à ses connaissances, il est bien plus aisé d'oser prendre des risques pour mieux s'emparer du cadre et proposer une histoire de qualité.

Les assistants-arbitres incarnent des figures conformes à l'image d'autorité que renvoie l'arbitre. Durant les improvisations, ils sont assis de part et d'autre du maître de cérémonie, sur une table en face de la patinoire. A l'instar de la situation géographique du musicien, cette position légèrement en retrait permet d'avoir une vue extérieure - et donc objective - non seulement sur les improvisations, mais sur le déroulé du match dans son ensemble. Leur travail est complémentaire de celui de l'arbitre : ce dernier est constamment sur la patinoire, y compris pendant les

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improvisations. Il prend soin, durant une action, de se dissimuler aux yeux du public pour ne pas détourner leur attention.

La fonction de ces deux personnages se retrouve également dans le travail d'incarnation d'un comédien et dans celui d'une mise en scène par rapport au rythme du spectacle.

L'arbitre et ses deux assistants font leur entrée une fois que les joueurs sont en place, à l'appel du maître du cérémonie. Leurs faciès, pour des raisons expliquées par rapport au personnage incarné par l'arbitre, feignent à leur tour l'autorité. Une fois appelés, ils entrent à trois sur la patinoire et feignent un conciliabule . Ils vérifient ensuite le bon état de la patinoire, et regagnent leur place. Pour le déroulé du spectacle, ces interventions ne sont pas nécessaires : il va de soi que, durant la préparation du spectacle, le bon état de la patinoire a déjà été vérifié. Elles renforcent néanmoins le caractère de ces personnages : le fait qu'ils entrent sur la patinoire leur donnent l'occasion d'être présentés au public comme des protagonistes à part entière du spectacle ; ils sont par conséquent en état de représentation. Ce rituel renforce également le premier cadre du spectacle : celui du terrain d'une rencontre sportive où on vérifie le matériel pour le bon déroulé de la rencontre.

Une fois le spectacle d'improvisation proprement démarré, leur travail de mise en scène commence. Analogiquement, ils peuvent même être comparés à des assistants à la mise en scène : en soutien du maître de cérémonie qui est en charge de gérer le temps des improvisations et signaler à l'arbitre le délai restant, ils peuvent observer le comportement des joueurs dans la patinoire et sur le banc avec une plus grande distance.

Les fautes qui régissent le match d'improvisation se divisent en trois catégories : les fautes de procédure, les fautes de jeu, et les fautes de comportement.

Les fautes de procédures condamnent un non-respect du rituel du match, qui déstabilise le premier cadre de représentation. Les fautes de jeu condamnent les raccourcis que seraient tentés de prendre les joueurs pendant les improvisations, et soulignent de manière générale un jeu trop personnel au détriment de la construction collective d'une improvisation. La troisième catégorie condamne une mauvaise conduite de la part d'un joueur, qui enfreint la première règle de bienveillance et de bonne conduite en improvisation théâtrale.

L'arbitre ayant son attention orientée sur les improvisations en cours, il revient donc à la charge du maître de cérémonie et des assistants-arbitres d'exercer leur oeil extérieur pour veiller au respect des différents cadre s'imbriquant durant le match.

Par ailleurs, ces trois protagonistes font le relais avec le public, notant le thème de la prochaine improvisation et sur la catégorie sur le tableau des scores. Ils sont également chargés de rappeler à

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l'arbitre quelles sont les fautes qu'il a signalées, et d'observer le comportement des joueurs qui n'interviennent pas pendant l'improvisation.

Les assistants-arbitres sont donc, en tant que personnages, très peu visibles aux yeux du public. Leur intervention orale servant à désigner l'équipe qui remporte le point : soit en criant « majorité ! » pour la couleur dominante du carton de vote*, soit en comptant le nombre de cartons majoritaires en cas d'incertitude.

Je soulignerai à nouveau la sobriété que Jean-Baptiste Chauvin conseille pour incarner ces différentes fonctions : étant responsables de la stabilité du cadre, il leur reste peu de temps et de loisir pour pouvoir « jouer à être » : ils sont.

La dimension théâtrale qui occupe en majorité le match d'improvisation demande donc des connaissances dramaturgiques, que ce soit en terme de mise en scène, d'interventions, de placement de la voix ou de placement dans l'espace. C'est pourquoi, en terme d'espace, la patinoire est un instrument théâtral de grande utilité : Au début du match, le rituel exige que tous les joueurs - y compris ceux du staff - soient présentés au public. À l'exception du musicien de manière générale, toutes ces présentations ont lieu à l'intérieur de la patinoire, qui représente l'espace de jeu. Lors de leur passage dans ce lieu, tous les comédiens sont donc dans un état d'incarnation d'un personnage. La patinoire est également le seul endroit dans lequel les joueurs ont le droit d'improviser. De base utilisée en référence du match de hockey, elle sert désormais à délimiter et définir les différents cadres de représentation du match.

Les joueurs ont également deux niveaux d'incarnation différents : le rôle du joueur dans le sens de la compétition représente le premier degré, et les personnages qu'ils vont jouer dans les improvisations le deuxième. Ils sont donc constamment en représentation, même lorsqu'ils sont sur le banc. Ils sont attentifs à l'improvisation en cours en tant que comédiens, et dès que l'improvisation est terminée, reprennent leur rôle de joueur sportif. C'est pourquoi l'usage a au fur et à mesure instauré, par exemple, la pratique du « tapé de patinoire » : lors des votes et de l'annonce du score, les joueurs se font tous face et tapent en rythme sur la patinoire, pour contribuer à l'esprit de dynamique et garder un rythme soutenu en-dehors des improvisations. Le cadre sportif implique en effet qu'une certaine frénésie soit toujours présente.

Le rituel du début du match présente tout d'abord les joueurs en tant que « héros » dont parle Jean-Baptiste Chauvin. Il s'agit de rendre le cadre clair pour le public et d'aider les joueurs à

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appréhender le cadre de la représentation. Ce rituel a lieu dans un premier temps,avant que les improvisations ne commencent. Il s'agit de l'échauffement public. C'est durant cet échauffement que les joueurs entrent pour la première fois dans la patinoire.

Le terme d'échauffement en lui-même sous-entendant une préparation, il pose une problématique par rapport au rythme du spectacle. Dans sa carrière d'improvisateur, Jean-Baptiste Chauvin a tenté d'ajuster ce rituel afin qu'il n'ai pas de conséquence néfaste sur ce rythme :

On fait l'échauffement à l'entrée des spectateurs. Ou à la Ligue Majeure, on fait juste un échauffement de même pas 3 minutes, mais c'est carrément une ouverture de scène : la scène s'allume et et on est en train de s'échauffer. La première image c'est nous, puis on ressort. C'est carrément une mise en scène. La Ligue Paris Impro ne fait même plus d'échauffement : directement, on annonce les joueurs. Après, on bénéficie ou on pâtit d'une culture du zapping, donc il faut que ce soit rapide. J'ai déjà vu des matchs ou c'était d'une lenteur absolue.92

La préparation et l'échauffement des improvisateurs se font en amont, mais l'échauffement public renforce le cadre de la rencontre sportive, et est d'une grande aide pour les joueurs : comme le souligne Jean-Baptiste Chauvin, il est avant tout question de présenter les joueurs aux spectateurs. Ce rituel les aide à se faire identifier comme tels, et consolident donc le premier cadre. C'est également un rite de passage que Robert Gravel a relevé :

Symboliquement, il est très intéressant de devoir enjamber la bande pour arriver sur l'aire de jeu, il y a un net passage psychologique qui s'effectue entre l'état d'être dehors (en sécurité) et d'être dedans (en danger). Si, à mon avis, la patinoire n'est pas vraiment une fosse aux lions, elle demeure néanmoins une arène.93

Robert Gravel évoque ici le moment où le joueur va se lancer dans une improvisation, et donc quitter le banc qui est sa zone de confort. Le rituel de l'échauffement public a cette particularité de placer le joueur dans l'espace du danger tout en le conservant dans une zone de sécurité, puisqu'il n'est pas encore en jeu. C'est un rituel qui leur permet d'appréhender l'aire de jeux dans laquelle ils vont bientôt se lancer sans filet, tout en bénéficiant de l'atmosphère sécurisante du premier cadre. Ils sont montrés à ce moment en tant que joueurs au public, mais Jean-Baptiste Chauvin insiste sur le fait que ce rituel n'est pas un spectacle :

Il s'agit bien d'un moment d'échauffement, et non d'un spectacle dans le spectacle. C'est le moment où les joueurs vont se retrouver sur la patinoire, face au public. Ils vont pouvoir

92 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

93 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, op. cit., p. 41.

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s'imprégner de l'ambiance de la salle et se mettre en condition au travers d'exercices que leur propose leur coach 94.

Le fait que ce ne soit pas un spectacle signifie que les comédiens, à ce stade, n'ont pas comme devoir d'incarner des personnages ou de produire quelconque action, mais bel et bien de se familiariser avec l'aire de jeu. C'est le moment qui leur permet d'appréhender l'entièreté du spectacle, de faire connaissance pour la première fois avec le décorum, et également de se mettre en situation de jeu par rapport à l'autre équipe. C'est pourquoi, en quelques minutes, les exercices d'échauffement alternent entre les échauffements par équipe et les échauffement de groupe : ils se préparent à mettre en place un esprit d'équipe tout en se préparant à construire des improvisations avec l'équipe adverse.

Le déroulement du match sépare également ce rituel du reste du spectacle de façon nette:les équipes sont appelées à tour de rôle par le maître de cérémonie, et entrent directement dans la patinoire pour s'échauffer en musique. Une fois l'échauffement terminé, les joueurs quittent la patinoire. Lorsqu'ils sont rappelés pour commencer le match, ils sont appelés une équipe après l'autre, un joueur après l'autre.

Cette séparation a pou but de distinguer les deux cadres de représentation. Comme ces deux cadres diffèrent, la tenue diffère également : l'usage veut que, durant l'échauffement, les joueurs soient habillés en noir, la plupart du temps avec un t-shirt qui arbore le logo de la ligue à laquelle ils appartiennent, leur prénom imprimé au dos. Ils existent à ce moment en tant qu'individus, anonymes en tant que comédiens aux yeux du public. Une fois qu'ils sont appelés à leur tour, ils ont revêtu une tenue supplémentaire par dessus le t-shirt ; comme si ils allaient atteindre un second degré de représentation. C'est là que peut commencer le vertige pour l'improvisateur : son maillot lui désigne un numéro, ainsi que son nom de famille. Le maillot pouvant s'apparenter au costume d'un comédien, il l'aide à se mettre « dans la situation de ». Le numéro est là pour rappeler qu'il a une présence significative au sein de l'équipe. Chaque improvisateur est annoncé individuellement par les soins du maître de cérémonie, qui annonce au micro son nom et son numéro. Il est à ce moment prêt à entrer dans le deuxième cadre de la représentation pour improviser.

Le cadre sportif incluant donc une forte dimension théâtrale, il est logique que les premiers français à s'y être intéressés soient des comédiens, soit amateurs soit professionnels. En tant que comédiens avec une responsabilité supplémentaire, ceux qui composent le staff ont également une responsabilité en terme de dramaturgie. Lorsque Jean-Baptiste Chauvin évoque la tendance qu'ont

94 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit, p. 92.

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les amateurs à cabotiner est évocatrice de leur rôle : plusieurs fois j'ai mentionné leur responsabilité comparable à celle d'un metteur en scène, ce qui sous-entend qu'ils opèrent en majorité dans l'ombre du public. Ce qui peut en effet refléter des fonctions ingrates, surtout lorsqu'ils sont sans arrêt à vue du public. C'est pourquoi la mise en place du cadre requiert des connaissances en terme de dramaturgie.

Bien que cette mise en place inspirée du match de hockey permette d'établir le cadre nécessaire à la sécurité de l'improvisateur, Robert Gravel annonce ceci, en 1988 : « D'abord, disons tout de suite que le match de hockey n'est qu'un prétexte. Il n'est que l'emballage du spectacle ».95 Cette phrase sous-entend qu'un spectacle d'improvisation est possible en dehors du cadre du match.

Il résulte néanmoins la mise en place d'un rituel nécessaire au bon fonctionnement d'un spectacle d'improvisation. Les nouveaux formats doivent donc présenter des spectacles avec un cérémonial et un rituel semblables. Je me pencherai à titre d'exemple sur l'invention du catch d'improvisation théâtrale, qui a ouvert la voie à la création de formats multiples.

Le catch fait de nos jours partie intégrante de la pratique de l'improvisation théâtrale, répertorié par Christophe Tournier :« Il existe naturellement beaucoup d'analogie entre le match d'improvisation et le catch [...]deux équipes de deux joueurs s'affrontent sur un ring en plusieurs reprises improvisées. D'ores et déjà, le format obtient, malgré sa jeunesse, un joli succès en France. »96

Le succès de ce format témoigne de la montée en puissance des ligues amateurs : l'analogie dont parle Christophe Tournier traduit chez les amateurs une volonté de ne pas trahir le match en tant que matériel d'origine tout en concevant un format accessible aux ligues plus modestes, tant sur le plan dramaturgique que pratique et financier : la réglementation en catch est moins stricte qu'en match, et la qualité des improvisations est laissée à l'interprétation de l'arbitre. Deux joueurs suffisent pour constituer une équipe, ce qui représente un engagement moins conséquent pour les joueurs que pour le nombre requis pour un match : il requiert au total la présence de deux coachs, douze joueurs - selon le règlement - un arbitre et ses deux assistants, ainsi que d'un maître de cérémonie.

Le succès de ce format est tel qu'il a été depuis repris par la plupart des ligues professionnelles. il y a une notion de transition qui s'installe : le catch essayant d'être le plus conforme possible au format d'origine, il a ouvert la voie à de nombreux autres formats d'improvisation théâtrale. La plus visible est la « performance », appelée également « cabaret ». Cette forme se rapproche de la

95 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, op. cit, p.38.

96 Christophe Tournier, op. cit., p. 98.

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définition que Christophe Tournier nomme « impro sur le vif : « Cette formule est la plus usitée et la plus directe. Les acteurs demandent au public un lieu, un mot ou thème d'improvisation »97

Le point commun de tous ces formats d'improvisation est le cadre dans lequel évoluent les improvisateurs. Et, dans chaque format, un staff est là pour les accompagner « Le staff doit être très solide, parce qu'on est vraiment là pour mettre un plateau d'argent sous les improvisateurs »98. Simon fache résume ainsi la fonction du cadre, qui doit également être parfaitement clair pour que le public puisse identifier la nature du spectacle.

Le cadre du format cabaret diffère bien entendu du format du match - et même du format du catch - mais se doit de garder une forme solide pour respecter un cadre bien établi. Les éléments indispensables de ce cadre sont le maître de cérémonie pour faire relai entre public et improvisateur ainsi qu'une source sonore pour garantir le rythme du spectacle. Pour des raisons économiques, on voit la plupart du temps une chaîne stéréo pour économiser l'intervention d'un comédien supplémentaire, avec des musiques joyeuses et connues par le plus grand nombre pour garantir une ambiance festive. Étant donné que c'est un spectateur qui est à l'origine du thème, il y a également participation du public.

La dimension de compétition étant absente, le personnage de l'arbitre n'est plus nécessaire. Il faut néanmoins un membre du staff pour assurer le bon rythme du spectacle et la qualité des improvisations. Cette fonction est assumée cette fois-ci par le maître de cérémonie : c'est lui

qui déambule dans le public pour le choix des thèmes ou des indications qui vont donner un thème par la suite. Il doit s'assurer de la qualité de ce thème. La forme plus libre implique également que les improvisations n'ont aucune limite du temps. Le maître de cérémonie est donc chargé de varier les durées des improvisations pour garder un rythme dynamique. Il lui faut également être capable de juger quand une improvisation doit ou peut prendre fin.

Pour assurer un cadre minimum, la plupart des spectacles au format cabaret ont un thème annoncé pour la soirée. Il peut s'agir d'un genre de cinématographique, de cinéma tout court, voire de littérature. C'est à l'ensemble de la troupe de définir la thématique du spectacle, au regard de l'absence de l'arbitre. Le terme « performance » se justifie dans ce format dans le sens où les catégories propres à ce style vont apporter par leur nature un cadre au comédien. Il y a également un aspect de l'arène que l'on peut retrouver, ces catégories apportant la plupart du temps une contrainte formelle dont les improvisateurs doivent tenir compte.

Elles permettent malgré tout aux improvisateurs de montrer leur virtuosité au public sans avoir à se soucier de construire l'improvisation. Le maître de cérémonie est quant à lui plus indulgent par

97 Ibid., p. 97.

98 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

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rapport à sa fonction d'arbitre, et laissera finir une improvisation s'il sent que la conclusion n'est pas encore amorcée, ou peut siffler précipitamment la fin d'une improvisation si celle-ci n'arrive pas à se développer. Les catégories d'échauffement que j'évoquerais dans le lexique permettent de redynamiser l'entièreté du spectacle. Le maître de cérémonie peut également infliger une punition à un comédien qui aurait de façon clairement identifiable fait une improvisation de mauvaise qualité, pour différentes raisons.

Il m'est arrivé de vivre ce genre de situations plusieurs fois, lorsque j'ai débuté l'improvisation avec le Collectif Lyonnais d'Artistes Polyvalents, à Lyon : la punition est généralement une improvisation très courte, avec une contrainte formelle simple. La punition la plus usuelle que j'ai vue consistait à raconter la vie d'un objet en trente secondes. La nature de l'improvisation sort suffisamment d'un cadre usuel pour provoquer l'intérêt du public et est suffisamment courte pour permettre à l'improvisateur de produire une histoire seul. L'effort de ce comédien est néanmoins toujours salué, car se lancer dans une improvisation seul est moins aisé dès lors que les camarades n'interviennent pas pour l'aider. Le public a conscience de ça, et c'est pourquoi cet exercice provoquera immédiatement son indulgence pour le comédien puni. C'est aussi une bonne façon d'appréhender la peur de l'échec, qui est une valeur fondamentale dans l'improvisation théâtrale.

Ces nouveaux formats facilitent l'accès à l'improvisation en contournant le format du match d'improvisation, ce qui engendre l'apparition de nouvelles ligues sur le territoire français. Les formats exercés n'étant plus exclusivement des matchs, les professionnels n'ont plus à exercer un contrôle financier sur l'utilisation de ce format. Et ces ligues se multipliant, le projet de créer des ponts de communication entre elles devient de plus en plus difficile. Les nouveaux formats devenant de plus en plus des spectacles à part entière avec leurs propres codes, il y a un fossé qui commence à se créer entre les ligues professionnelles de match et les ligues amateurs.L'Association Française des Ligues d'Improvisation finit par se dissoudre. Emmanuel Leroy m'en a expliqué les raisons :

Au niveau de l'AFLI, ça s'est arrêté parce qu'il y a eu de plus en plus de ligues amateurs, et en terme de ligues professionnelles on était en nombre réduit[...] Et on s'est rendus compte qu'on avait pas les mêmes préoccupations. Donc les ligues professionnelles se sont retirées de l'AFLI et les ligues amateurs n'ont pas réussi à se structurer99

La démocratisation de l'improvisation théâtrale, en plus de sa réinvention par différents formats, tient dans la nature-même du concept. Robert Gravel déclarait, en 1988 : « En fait le spectateur se

99 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

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dit qu'il pourrait à la limite jouer lui aussi ... sinon avec les " pros" , du moins chez lui ou des amis. Le jeu de la LNI est limpide, et le public comprend parfaitement quel en est l'enjeu et la convention » .100

De simple spectateur peut alors naître rapidement l'envie de devenir improvisateur. Et les ligues amateurs répondent à cette envie, dans les années 90. La formation, depuis la séparation entre les amateurs et les professionnels, a néanmoins évolué : C'est désormais aux premières ligues amateurs - avec l'héritage professionnel - de former les improvisateurs en herbe. C'est ce que me confie Emmanuel Leroy : « On a aussi laissé aux ligues amateurs le soin de donner des formations de manière régulière aux amateurs ».101

Les professionnels se concentrant davantage sur le match d'improvisation, ils comptent désormais avec la présence de ces amateurs pour continuer à enrichir le paysage de l'improvisation théâtrale et les offres qu'il propose. La problématique que doivent maintenant respecter ces improvisateurs de la deuxième génération est de transmettre à nouveau le cadre d'origine dans les nouveaux formats. Il faut donc comprendre l'enjeu d'un cadre solide posé pour un spectacle d'improvisation. Je reviens sur les paroles de Robert Gravel : elles impliquent que les curieux qui ont eu envie de se prêter à ce jeu après une expérience de spectateur n'ont pas pour ambition de s'adonner à cette pratique de façon professionnelle, mais souhaitent pratiquer un loisirs. C'est ce qui définit également l'universalité et l'accessibilité de l'improvisation théâtrale. Cette même accessibilité justifie également, à mon sens, la scission entre les amateurs et les professionnels. Les préoccupations n'étant plus communes, il devient difficile d'évoluer ensemble sur le terrain de la pratique artistique.

A force d'expérimentations, les amateurs légitiment et revendiquent leur droit à la pratique théâtrale. Certains professionnels ont bien compris le double-terrain qu'occupe désormais la pratique, et répondent aux demandes de formations diverses pour ensuite laisser ces jeunes ligues évoluer : « A un moment donné, on s'est posés la question : "Comment se situer T". On s'est dit qu'on avait formé ces ligues. Si elles souhaitent qu'on vienne faire des formations, elles nous le demandent, mais on va les laisser vivre »102.

Évoluant en-dehors du paysage artistique, les spectacles que donnent ces ligues amateurs offrent en effet une vision accessible de l'improvisation, et crée rapidement un autre engouement : lors d'un spectacle d'improvisation - même le plus simple qui soit - les spectateurs vont être impressionnés

100 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, op. cit., p. 46.

101 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

102 Idem.

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par la capacité de comédiens à créer des improvisations à partir d'un matériel invisible du point de vue des spectateurs. Le décorum est simple, les histoires naissent à partir d'un matériel visiblement inexistant, et c'est cette simplicité et cette accessibilité qui provoque un deuxième engouement. Philippe Despature, directeur de la Scénosphère dans les Hauts-de-France, m'a explique ce phénomène :

Ce qui se passe, c'est que l'improvisation n'est finalement pas encore très répandue, encore plein de spectateurs la découvrent, et ils trouvent ça marrant. Donc les spectateurs ne sont pas encore très exigeants. Très vite, tu as fait une année d'impro, tu invites ta tante, elle vient te voir. Ce que tu fais au niveau de la construction n'est pas terrible, mais ta tante va dire que c'est génial, que t'as du talent... « mais non, arrêtez, vous n'improvisez pas, c'est écrit... »... les gens ont du mal à croire qu'il y a vraiment de l'impro. Du coup, le seuil d'exigence du public n'est pas très élevé.103

Philippe Despature insiste sur l'aspect récréatif des spectacles d'improvisation et de la pratique en elle-même. C'est également en cela qu'elle séduit ; un comédien qui se lance sans filet apparent dans une histoire où tout reste à construire va automatiquement gagner l'admiration et la faveur du public. Il y a cependant une contradiction entre l'engouement rapide que la discipline a connu dans les années 90 et ce que Philippe Despature me rapporte quant au fait qu'elle ne soit pas encore répandue. Très peu de villes en France, de nos jours, ne possèdent pas de ligue d'improvisation. Je suis tenté d'expliquer ces paroles par la différence entre le nombre de ligues amateurs et le nombre de ligues professionnelles présentes de nos jours sur le territoire : les ligues professionnelles étant désormais minoritaires, et ne couvrant pas tous les départements du pays, le nombre de spectateurs pouvant accéder à des spectacles professionnels est réduit. Ils sont, en revanche, abreuvés de spectacles d'improvisations amateurs, qui ne bénéficient pas d'une aura similaire à celle d'une ligue professionnelle. L'activité est donc encore sous-terraine, et les spectacles amateurs bénéficient rarement de la promotion et de la communication nécessaire à son véritable éclatement.

L'aspect récréatif de l'improvisation théâtrale ayant été approprié par la majorité des ligues amateurs, les ligues professionnelles continuent à officier sur un terrain similaire, et moins varié que celui du divertissement. A la fin des années 90, et suite à la dissolution de l'Association Française des Ligues d'Improvisation, elles se regroupent sous le label « LIFPRO » , au nombre de huit : La Ligue du Théâtre de l'Antre, crée en 1980, la Ligue d'Île-de-France d'Improvisation, crée en 1987, la LISA21, crée à Dijon en 1988, La Ligue d'Improvisation Lyonnaise crée en 1991, la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, crée en 1992, La Ligue d'Improvisation Théâtrale de l'Isère,

103 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019.

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crée en 1992, puis professionnalisée en 2005, la Ligue d'Improvisation Nantes-Atlantique, crée en 1998,et la Ligue de Niort, crée en 1998 avec la compagnie « Aline et Cie ».

Il apparaît nécessaire de fédérer les ligues professionnelles, car leurs actions sont communes, contrairement aux ligues amateurs. Le but de la LIFPRO, d'après Emmanuel Leroy qui en a été le créateur, était de créer une entente pour que ces ligues se partagent un terrain équitable sans que les activités de l'une viennent interférer dans celle d'une autre.

Ces activités vont également au-delà du domaine purement artistique, et la LIFPRO joue très vite un rôle d'arbitrage pour régler les questions de territoire et de finance : « contrairement aux ligues amateurs, il y a un enjeu financier, et il fallait déterminer les territoires des uns et des autres »104.

Les ligues professionnelles trouvent en effet une source de revenus grâce aux formations, dont l'apport est souligné par Valentine Nogalo dans son mémoire universitaire traitant de l'enseignement de l'improvisation théâtrale en milieu scolaire :

Depuis une quinzaine d'années, on observe le développement de l'enseignement de l'improvisation théâtrale et de manière particulièrement prononcée dans le milieu de l'entreprise. Petites comme grandes entreprises prennent conscience de l'apport de la discipline spontanée et font appel à des comédiens improvisateurs et formateurs :

prise de parole en public, gestion des imprévus et des conflits, teambuilding, mises en situation professionnelle... les vertus de la pratique de l'improvisation théâtrale sont nombreuses.105

Il est nécessaire de réglementer ces activités afin que les lois de l'entreprise ne court-circuitent pas les activités de ces ligues : une logique économique imposerait que ce soit la meilleure entreprise qui emporte le contrat, la LIFPRO décide d'associer un territoire à chaque ligue afin que celles-ci puissent toutes faire valoir leurs contributions dans le domaine des formations :

On ne s'empiétait pas trop dessus pour l'organisation des matchs d'improvisation, mais chacun de ces ligues avait des opportunités de travail avec des entreprises. On s'était mis comme code de bonne conduite que si la ligue de Paris recevait un appel d'une entreprise de Lille par exemple, elle faisait travailler principalement des acteurs de Lille. 106

104 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

105 Valentine Nogalo, L'improvisation théâtrale et son enseignement dans le milieu scolaire:De la France au

Québec, les enjeux d'une pratique artistique à part entière, sous la direction de Yves Morvan, UFR Arts et médias, Département de médiation culturelle, Université Paris 3 Sorbonne nouvelle, 2017, p. 93.

106 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 6 Mars 2019.

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De nos jours, il est effectivement observable sur chacune des plaquettes de présentations des ligues professionnelles quel que soit le support, un service de formations aux entreprises. Emmanuel Leroy me rappelle qu'une ligue professionnelle coûte cher : dans un cadre professionnel, le match d'improvisation inclut en effet le transport de l'équipe invitée - qui vient parfois vient de loin : en Janvier 2019, l'équipe de Marcq-en-Baroeul avait invité les légendes du Québec - et également la rémunération des comédiens : l'ensemble des comédiens participants à un spectacle d`improvisation, avec le staff et les joueurs confondus, s'élève au nombre de dix-sept : douze joueurs, deux coach, un maître de cérémonie, un arbitre, ses deux assistants et le musicien. Il faut également rémunérer les techniciens. Il est très difficile pour une ligue professionnelle de se rentabiliser uniquement sur les spectacles qu'elle propose. En tant que membre d'une ligue professionnelle, Simon Fache a pu m'expliquer ce phénomène :

C'est aussi ce qui a entretenu le problème à l'époque : la ligue d'impro, c'est des matchs, des spectacles tout public, mais ce n'est pas ce qui nourrit les comédiens : derrière il y a des spectacles en entreprises, interventions, formations à la prise de parole. Tout ce qui apporte de l'argent aux ligues professionnelles, c'est ce que le public ne voit pas.107

La LIFPRO opère dans ce sens durant une décennie approximative, de la fin des années 90 jusqu'à la fin des années 2010. Durant cette période, les ligues professionnelles se sont forgées des identités et se sont vues attribuées un territoire à l'échelle régionale, mais l'ambition de la LIFPRO reste, à l'image de l'AFLI, d'organiser des projets communs et de structurer la pratique sur le plan national : depuis la première coupe du monde 1985, ainsi que la création d'autres ligues en Europe, l'engouement pour le match d'improvisation théâtrale devient international. A plusieurs reprises, un championnat du monde est réorganisé, il faut donc une équipe pour représenter la France : « [La LIFPRO] a aussi deux grands projets : d'abord de créer une équipe de France professionnelle, ce qui a donné lieu après à un mondial. Et aussi de créer un championnat de France ».108

Le point que soulève Jean-Baptiste Chauvin pose une nouvelle problématique par rapport à la logique du partage territorial : les ligues, avant d'être des compagnies, sont des rassemblements d'individualités, ce qui peut par nature créer des mésententes au sein même de ces structures. Les divergences au sein de ces professionnels posent la question d'une légitimité qui est plus complexe que celle des amateurs à pratiquer l'improvisation théâtrale lorsque ce n'est pas dans un but récréatif : au terme de certains conflits internes, des professionnels s'éloignent de l'identité d'une troupe pour créer à leur tour d'autres ligues, avec la même problématique de sources de

107 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

108 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

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financements et de territoires : « Mais ça a été un peu plus compliqué que ça parce qu'il y a eu des scissions dans différentes villes, et on a retrouvé deux ligues dites professionnelles qui se sont retrouvées sur le même territoire ; donc c'est devenu un moment donné ingérable ».109

La région parisienne est aujourd'hui jonchée de plusieurs ligues professionnelles qui résultent de cet éclatement : en 1996, à la suite d'un pari économique ayant échoué, la Ligue d'Improvisation Française est dissoute, et la Ligue d'Île-de-France d'improvisation récupère le territoire Parisien. En 2009, une crise au sein de cette ligue provoque un éclatement du territoire : Laurent Dubois, son ancien directeur artistique - qui joue régulièrement avec la ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul - est exclu de cette ligue. L'exclusion entraîne une scission, et la Ligue d'Île-de-France d'Improvisation perd plusieurs de ses membres, dont Jean-Baptiste Chauvin :

En 2009, la LIFI s'est scindée en deux : il y a eu pas mal de conflits, ce qui fait qu'on est six à en être partis pour créer la Ligue Majeure. La majorité de ceux qui sont partis - il y avait Laurent Dubois, Richard Perret, Olivier Descargues - qui étaient actifs sur le réseau national. Du coup, ça a créé une espèce d'onde de choc dans les ligues professionnelles, entre ceux qui nous ont suivis ou pas. La LIFPRO n'a plus vraiment existé après ça. Maintenant, chaque ligue refait un peu ses trucs dans son coin.110

La Ligue Majeure d'Improvisation rompt avec cette tradition de partage du territoire : elle compte parmi ses rangs des improvisateurs venant de différentes ligues. Je citerai comme exemple Emmanuel Leroy, directeur artistique de la Ligue de Marcq-en-Baroeul, Richard Perret et Cécile Giroud, qui viennent de la Ligue d'Improvisation Lyonnaise, ou encore Jean-Baptiste Chauvin, qui vient des Yvelines. Il me dit, à propos de certains de ces comédiens, qu'ils étaient « très actifs sur le plan national »111. Il y a donc un refus de partage des régions. Le nombre de ligues augmentant, la solution la plus fiable pour continuer à traverser les conflits et garder une visibilité reste la mobilité. Le projet par la LIFPRO de créer une équipe de France reste aujourd'hui d'actualité, mais cette équipe se forme ponctuellement en choisissant des comédiens qui ne viennent pas de le même ligue, mais qui officient au sein de différentes ligues du pays. Il s'agit d'une ligue éphémère, bien que le terme en lui-même pourrait aujourd'hui être questionné : « Le fait d'appeler ça "match " et " ligue " donne l'impression que c'est un organigramme national, mais ça ne reste que des compagnies de théâtre. »112.

109 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

110 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

111 Idem.

112 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

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Le terme est devenu ambigu en même temps que la pratique de l'improvisation théâtrale s'est transformée : il implique une structure sportive, en hommage au match de hockey, mais les structures qui proposent aujourd'hui des matchs d'improvisation pratiquent aujourd'hui d'autres formats, et ne se contentent désormais plus du match d'improvisation. Le terme est utilisé aujourd'hui pour désigner une compagnie de théâtre qui oriente ses activités vers l'improvisation théâtrale, qu'elle soit amateure ou professionnelle.

Il a été vu que l'improvisation théâtrale se pratiquait au-delà du domaine artistique. Le match d'improvisation obéissant à des règles aisément applicables, la multiplication et la démocratisation de la discipline a provoqué la multiplication des ligues. C'est ce qui a rendu problématique le partage du territoire entre les ligues professionnelles. La solution d'utiliser les outils de l'improvisation théâtrale, grâce à la fondation du trophée d'improvisation Culture et Diversité, a permis aux compagnies de varier leurs activités, tout comme l'invention du catch et de nouveaux formats qui ont suivi. Toutes ces initiatives ont transformé le paysage des ligues d'improvisation théâtrale, et ont ouvert la pratique à de nouveaux destinataires et pratiquants. Ces innovations ont eu pour effet de modifier les organisations internes et générales des compagnies et structures qui proposent l'improvisation théâtrale comme activité principale, en ayant toute comme origine commune le match d'improvisation crée par Robert Gravel en 1977.

La diversification des publics a eu comme effet de transformer la pratique du match, selon qu'il est joué par des artistes professionnels, des amateurs ou des formateurs scolaires et sociaux. Tout l'enjeu de cette diversification est d'en adapter les formes, tout en en conservant les règles essentielles. J'étudierai, à travers mon expérience de spectateur et d'improvisateur, quels ont étés les changements qui ont impacté le règlement pour le rendre davantage accessible, tout en conservant l'esprit d'origine qui a permis sa démocratisation. Les nouveaux formats qui se sont développés au fur et à mesure du temps enrichissent le vocabulaire spécifique à la pratique de l'improvisation théâtrale. Le lexique ci-après explicite et commente les termes relatifs aux différents spectacles ainsi qu'aux codes de l'improvisateur.

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II : codes et vocabulaire de l'improvisation théâtrale

L'aspect compétitif alimente de nos jours, et depuis la création du match d'improvisation théâtrale, les discussions qui mettent en question le statut artistique de ce format. Parce qu'il lie théâtre et compétition, une nouvelle forme de jeu a été crée, avec une mécanique spécifique qui a développé son propre vocabulaire. L'analyse du règlement explique quels sont les codes et les pratiques mis en place pour faire coexister théâtre et sport.

II.1 :Le règlement du match d'improvisation théâtrale

Le règlement du match d'improvisation demeure aujourd'hui un des codes communs à toutes les ligues et compagnies qui se prêtent à cet exercice. Écrit en 1977 pour structurer le premier match qui a eu lieu le 21 Octobre de la même année à Montréal, il continue donc d'influencer le déroulement de ces manifestations de nos jours. Les différentes versions qui en ont étés écrites témoignent d'une volonté d'assurer une cohérence entre la version conçue par Robert Gravel au départ et l'actualisation nécessaire des règles à mesure que le jeu s'est développé. Les divergences culturelles, les moyens pratiques inégaux à la disposition des troupes, les différentes individualités ont eu une influence sur l'adaptation de ce règlement pour permettre à toute structure de l'appliquer. L'engouement rapide oblige également Robert Gravel à le compléter de trois articles pour mieux structurer les classements en championnats. Le règlement est donc réécrit en 1987 dans l' ouvrage co-écrit avec Jan-Marc Lavergne. Cette version peut se retrouver aujourd'hui sur le site internet de la Ligue Nationale d'Improvisation113.

Le document que l'Association Française des Ligues d'Improvisation a édité dans les années 1990 englobe le déroulé du cérémonial, les articles du règlement, les fautes, et les différentes fonctions du staff. Il permet ainsi de transmettre à un public européen un code venu d'ailleurs, tout en permettant aux différentes ligues ayant émergé dans les années 80 de pouvoir structurer de façon cohérente leur pratique du match. Je me suis basé sur le règlement officiel que l'on peut trouver sur le site de la Ligue Nationale d'Improvisation, tout en reprenant des réflexions personnelles que Jean-Baptiste Chauvin a ajouté dans Le match d'Improvisation théâtrale, publié en 2015. Ces réflexions, confrontées à mes observations en tant que spectateur, témoigneront des différentes adaptations ou

113 Ligue Nationale d'improvisation, Les règlements officiels, disponible sur https://www.lni.ca/matchdimpro/regles-officielles [consulté le 14/05/2019].

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conservations des articles en fonction des situations variées. Il faut néanmoins insister sur le but de ces différentes adaptations : rendre le match accessible à toute ligue tout en conservant la forme originelle telle qu'elle fût élaborée en 1977.

[Robert Gravel] s'opposa notamment à tous ceux qui voulaient laisser plus de place à l'expérimentation théâtrale, au détriment de l'enjeu compétitif. Il tenait énormément à la forme

sportive qui constituait à ses yeux la raison d'être du match. Nous verrons qu'il avait résolument raison 114..

Article1 : Composition des équipes

« Le jeu consiste en l'affrontement de deux équipes composées de six joueurs-improvisateurs (trois femmes/trois hommes) et d'un entraîneur. Un arbitre et ses deux assistants voient 115à ce que le jeu se déroule selon les règlements »116.

Cette règle met en place deux points fondamentaux : la parité hommes-femmes et le nombre de joueurs de chaque équipe.

Selon Jean-Baptiste Chauvin, le nombre six est significatif quant au rythme de passage de chacun et pour économiser l'énergie de chaque joueur : « Cette formule permet à chaque joueur de jouer suffisamment sans que l'un de ces joueurs ne soit en mesure de lasser le public par un trop grand nombre d'apparitions et elle propose une parité hommes-femmes fondamentale »117.

Dans le cas des ligues amateurs, cet article pourrait poser problème dans la mesure où la parité n'est pas toujours assurée dans les équipes de joueurs. Cela peut expliquer pourquoi certaines ligues, comme l'a mentionné Jean-Baptiste Chauvin, prennent des libertés avec cette règle, comme lors du tournoi amateur de Saint-Quentin en 1997 et à Genève en 1998.Pour ces matchs, les équipes étaient composées de quatre joueurs et deux joueuses.118.

En avril 2017, j'ai assisté, pour ma part, à un match amateur entre la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur (LILA) et la Balise de Limoges, où cette règle n'avait pas été respectée par une des équipes : la Balise avait un joueur en moins, et s'est vue recevoir, dès le début du match, une pénalité prévue par un des points du règlement. Ce fut également le cas lorsque j'ai disputé mon

114 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 42 .

115 Québécisme signifiant « veiller à »

116 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

117 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 60.

118 Ibid., p. 61.

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premier match le 09 Mars 2019 face à la Licoeur de Bordeaux. L'arbitrage était assuré par Thierry Bilisko, qui officie de nos jours en tant qu'improvisateur professionnel au sein de la Ligue Paris Impro. Notre équipe était composée de quatre hommes et de deux femmes. La faute a été sifflée après la première improvisation.

La difficulté de respecter cette règle durant un match s'explique également par le manque de parité au sein d'une ligue. Jean-Baptiste Chauvin, dans Le match d'improvisation théâtrale, a relevé des chiffres qui font état du déséquilibre entre le nombre d'hommes et le nombre de femmes au sein d'une ligue amateur et d'une ligue professionnelle119 :

Ligue professionnelle

-Dans cette ligue il y a 38 % de femmes pour 62 % d'hommes

-Les femmes ont joué en moyenne 33,73 matchs, et les hommes 36,11 matchs, (sachant que la femme qui a joué le plus de matchs en a joué 133, et que l'homme qui en a joué le plus en a joué 242)

-les femmes jouent en moyenne 5,27 improvisations par match, les hommes 6,28 improvisations par match

-Durant toute leur carrière, les femmes ont eu en moyenne 9,23 étoiles, et les hommes ont eu en moyenne 14,22 étoiles

-Dans ce classement à vie, pour les dix premiers, il y a trois femmes pour sept hommes. Ligue amateur

-Dans cette ligue il y a 43 % de femmes pour 57 % d'hommes

-Les femmes ont joué en moyenne 18,57 matchs, et le hommes 20,07 matchs, (sachant que la femme qui a joué le plus de matchs en a joué 48, et que l'homme qui en a joué le plus en a joué 67).

-Les femmes jouent en moyenne 6,6 improvisations par match, les hommes jouent 13,5 improvisations par match.

-Durant toute leur carrière, les femmes ont eu en moyenne 4,09 étoiles, et les hommes ont eu en moyenne 8,14 étoiles.

-Dans ce classement à vie, dans les dix premiers, il y a trois femmes pour sept hommes.

Le nombre de femmes présentes dans les ligues étant inférieur à celui de hommes, il est difficile de faire respecter la parité de trois femmes et trois hommes. Néanmoins, un autre problème survient dans la place à prendre non pas uniquement sur le banc ou dans une association, mais bel et bien au centre de la scène ou de la patinoire. Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise

119 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 186.

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Amateur, me disait qu'il y avait dans l'association « autant de joueuses que de joueurs, mais on a plus de mal à faire jouer les filles, et en particulier en match »120 . Ce serait donc les mécanismes spécifiques au match d'improvisation théâtrale qui entraîneraient ce déséquilibre.

Jean-Baptiste Chauvin a évoqué la notion de prise de pouvoir dans le match d'improvisation, dans la répartition des rôles. Chaque improvisation a en effet, son premier et second rôle, (voire plusieurs), ou des personnages figurants qui agiront pour clarifier la situation et le lieu par exemple. L'improvisateur qui fait une proposition forte qui donnera le ton à la situation de départ prend le lead*. Je pourrais également citer les fonctions de coach* et de capitaine*, qui sont des figures d'autorité quant au reste des joueurs, dans le sens où ils ont des décisions à prendre qui impactent l'équipe entière. Les mécanismes d'interaction entre joueurs durant le match, non seulement en ce qui concerne les différentes fonctions prises au sein d'une équipe, mais également dans l'incarnation des personnages, sont reliés au problème de domination masculine soulevés par le philosophe Pierre Bourdieu que Jean-Baptiste Chauvin assimile au match d'improvisation théâtrale : « Par la mise en valeur de forces symboliques, la distinction sociale des sexes se perpétue, chacun étant cantonné dans un rôle »121. Nous aurions alors tendance, dans un match d'improvisation, à donner aux hommes des fonctions de responsabilité et d'autorité. Ce qui nous est inculqué très tôt, comme le relève Jean-Baptiste Chauvin :

Ainsi, dès notre enfance, nous sommes soumis à ces forces qui tendent à attribuer à chacun sa place. Le petit garçon ne joue pas à la poupée et la petite fille ne joue pas au foot. Le petit garçon ne doit pas pleurer et la petite fille ne doit pas salir sa robe. La jeune fille se soumet volontiers à la séduction de con chanteur préféré quand le jeune garçon s'identifie aux icônes violentes du cinéma ou de la télévision. Sortir de ce carcan, c'est risquer de s'exposer aux jugements qualificatifs péjoratifs122.

Même si la règle de la parité garantit un équilibre dans la composition des équipes elle est insuffisante pour garantir un équilibre dans le match :les mécanismes qui régissent cette forme de spectacle cantonnent d'eux-mêmes les femmes dans des positions pré-établies.

120 Entretien avec Arthur Pinta, 25 Février 2019.

121 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit, p. 183.

122 Ibid., p. 183-184.

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Article 2 : Aire de jeu

« Pendant toute la durée de l'improvisation, le joueur ne peut quitter l'aire de jeu (la patinoire) »123

Le joueur est seul une fois qu'il est entré dans la patinoire, il ne peut plus communiquer avec son coach ou ses partenaires restés en réserve. Du point de vue dramaturgique, cela oblige le comédien à assumer son entrée quoi qu'il arrive. Cela peut profondément modifier l'improvisation en cours si son intervention était malvenue, contradictoire ou non nécessaire. La patinoire peut également servir de décor ou d'élément scénique pour matérialiser un comptoir ou un banc.

Article 3 : Durée de la partie

« Chaque partie a une durée de 90 minutes, c'est-à-dire trois périodes de 30 minutes. Un arrêt de 10 minutes est prévu entre chaque période. »124

Jean-Baptiste Chauvin est formel :

La règle de trois fois 30 minutes est la plus couramment respectée (...) Toutefois, il est apparu, surtout dans les ligues amateurs, que ce découpage en trois parties était parfois pesant pour le cérémonial. (...) Cela a amené certaines ligues à jouer leurs matchs en deux fois 45 minutes (...) Les ligues qui ont pris l'habitude des deux fois 45 minutes ne souhaitent pas revenir en arrière.125

Ce point du règlement a semble-t-il évolué avec le temps, et le match en deux fois quarante-cinq minutes est devenu plus courant que le match en trois fois trente, car il est plus propice à la qualité de jeu et au bien-être des joueurs. Trois périodes de jeu avec deux interruptions engendrent le risque de décrochage de la part du spectateur, mais également une difficile gestion d'énergie pour le joueur. De mon expérience de spectateur, les ligues aussi bien amateurs que professionnelles ont fait des deux fois quarante-cinq minutes une règle implicitement officielle : Le match de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur contre La Balise de Limoges, évoqué précédemment, suivait ce format, ainsi qu'un match opposant la Ligue d'Improvisation Professionnelle Lyonnaise (Lily) à la

123 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

124 Idem.

125 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit, p. 62-63.

Ligue Nationale d'Improvisation en novembre 2014 à Lyon. Sur le règlement qui était distribué à chaque spectateur ayant assisté au match du 24 Janvier 2019 à Comines opposant la Ligue de Marcq-en-Baroeul aux légendes du Québec (l'équipe était constituée de quatre des plus anciens membres de la Ligue Nationale d'Improvisation), l'article mentionne deux périodes de 45 minutes.

Le match contre la Licoeur s'est pourtant déroulé selon le découpage des trois fois trente minutes. Dans le cadre d'une ligue amateure, cela peut permettre de financer le match grâce aux recettes de la buvette. Jean-Baptiste Chauvin explique l'historique de cette pratique et la façon dont elle a évolué :

C'est d'origine, mais Gravel a vraiment fait un copié-collé du match de hockey, et les 3 périodes de 30 minutes c'était pour le hockey sur glace. Ce qui se comprend ; quand tu as patiné 30 minutes, t'es bien fatigué. Mais faire de l'impro et faire deux pauses, c'est trop long. Trop long pour le spectateur. Quand on argumentait qu'il fallait faire qu'une seule pause, on nous rétorquait que ça faisait tourner le bar. À ce moment-là, autant faire 4 ou 5 pauses ! Mais j'en vois très rarement maintenant.126

Quant à l'influence que deux pauses puissent avoir sur l'énergie du comédien, j'ai pu m'apercevoir que l'improvisateur ne se reposait jamais en match : elles étaient utilisées pour faire le point, soit avec son équipe, soit en commun avec l'autre équipe. Thierry Bilisko, respectant son rôle de garant de la qualité de jeu, nous donnait des conseils et nous mettait en garde si besoin par rapport à des maladresses de jeu. On quitte effectivement le décorum du match, mais le joueur reste actif et retrouve très vite son énergie une fois de retour sur la patinoire, grâce à un échauffement rapide si besoin avant de reprendre le match.

64

126 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06Mars 2019.

65

Article 4 : Chronométrage

« À l'intérieur de la période de 30 minutes, il n'y a aucun arrêt du temps (chrono), bien qu'il y ait arrêt du jeu. »127

« Cela implique que tout le cérémonial (en dehors du début et de la fin de match) fait partie intégrante du temps de spectacle (...). Le temps qui peut être perdu pendant le cérémonial diminue d'autant le temps de jeu »128

Ici se trouve un parfait exemple de la façon dont le match d'improvisation conjugue jeu sportif et jeu théâtral. Non seulement cet article garantit que la majorité du temps est accordée au spectacle, mais il rejoint également l'idée de ne faire décrocher ni le joueur, ni le spectateur. C'est en cela que le match d'improvisation s'émancipe du rituel de la rencontre sportive lorsqu'une faute est sifflée : il n'y a pas d'arrêt de jeu qui sera ajouté au temps de la rencontre. Les fautes ne sont pas signalées par un coup de sifflet, mais par un kazoo (ou « gazou ») ; pour obtenir un son moins violent et éviter un décrochage. J'ai longtemps pensé que le kazoo était utilisé pour atténuer, voire railler la figure d'autorité de l'arbitre, mais l'article 11 témoigne que le rôle de l'arbitre est appréhendé avec un grand sérieux.

Le rythme du spectacle est également assuré par une partie du staff : « Comme nous le verrons, cela nécessite d'avoir un staff efficace dans l'énoncé et l'explication des fautes ainsi que durant toutes les transitions... »129.

J'illustrerai ces propos avec une expérience d'assistant-arbitre en mai 2018, lors d'un match où les deux équipes étaient composés d'élèves de l'école Impro Academy. Lorsque j'étais uniquement spectateur, je pensais que le rôle de l'assistant-arbitre était uniquement de compter les votes si l'arbitre n'était pas sûr de son compte et d'être, en somme, un vérificateur. Or, il est aussi chargé de noter chaque faute signalée, de taper sur ordinateur (ou de le stipuler sur la feuille de match selon l'époque) le thème de l'improvisation annoncée pour l'afficher aux yeux du public, et de noter le score. Il est donc aussi un clarificateur et un garant du cadre du spectacle, tant du point de vue cérémonial que théâtral. Plusieurs fois, à la fin d'une improvisation, l'arbitre est venu nous consulter - nous étions deux assistants-arbitres - pour que nous lui rappelions les fautes qui avaient étés signalées. Ce qui lui permet ensuite de les expliquer lors de la confrontation des capitaines : à la fin de chaque improvisation, lorsque celle-ci contient une ou plusieurs fautes, les deux capitaines

127 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

128 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 63.

129 Ibid. .

66

sortent sur la patinoire pour entendre les raisons qui ont poussé l'arbitre à siffler. Il est donc primordial d'être réactif pour assumer cette fonction.

Article 5:Sirène

« Une sirène annonce la fin de chaque période et la fin de la partie. »130

Cette règle, me semble-t-il, a pratiquement disparu avec le remplacement des trois périodes de trente minutes par les deux périodes de quarante-cinq minutes. Le match d'improvisation abandonne probablement ici une grande partie de son héritage, qui, souligne Jean-Baptiste Chauvin, « vient directement du hockey sur glace, [la sirène] sert dans la pratique à annoncer les début et fin de période. Elle sert également à rappeler les spectateurs après une pause et à signaler le retour des joueurs »131

Cette règle, de nos jours, n'a plus lieu d'être, suite aux effets de lumière et à la musique qui se chargent désormais de signaler aux spectateurs la reprise du spectacle. Le rappel de ceux qui s'étaient absentés durant la pause est confié à l'équipe d'accueil de la salle.

Article 6 : Nature des improvisations

« Les improvisations sont de deux ordres : Comparée :

Chaque équipe, à tour de rôle, doit improviser sur le même thème. L'équipe désignée au hasard, par la couleur de la rondelle, a le choix de commencer ou non. Aucune communication ne sera permise sur le banc pendant l'improvisation de l'autre équipe. En cas d'infraction, une pénalité sera décernée à l'équipe fautive au moyen d'un mouchoir exhibé par les assistants de l'arbitre.

130 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

131 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 64.

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Mixte :

Un ou des joueurs des deux équipes doivent improviser ensemble sur le même thème. »132

Pour préciser les propos de Jean-Baptiste Chauvin, qui stipulent avec justesse que « la nature de l'improvisation détermine obligatoirement toute la stratégie de l'équipe dans la conception de l'histoire »133, il faut évoquer le caucus* : le terme désigne le délai variant de vingt à trente secondes dont disposent les joueurs pour préparer l'improvisation, une fois le thème annoncé. Certains improvisateurs critiquent son utilité, voire sa légitimité. Ils considèrent qu'il nuit à la spontanéité du joueur, et entre donc en contradiction avec le concept même de l'improvisation. Il fait cependant partie du match.

J'ai néanmoins eu un jour l'occasion, lors d'un entretien enregistré avec Corentin Vigou - un des professeurs d'Impro Academy et membre de la ligue amateur Ligue Royale de Strandovie - de débattre sur la différence entre un caucus pour une improvisation mixte et une comparée : le conseil que j'ai reçu lorsque j'étais son élève était de ne pas définir de lieu durant un caucus pour une improvisation mixte. Le lieu est en effet une manière de poser le cadre de sa prochaine improvisation, et donc de donner au joueur des pistes pour développer la situation de son personnage. Dans le cadre d'une improvisation comparée, deux joueurs appartenant à la même équipe peuvent donc se mettre d'accord sur le lieu durant le caucus. Mais dans le cadre d'une improvisation mixte, l'intérêt pour le public est d'observer comment les joueurs appartenant à une équipe adverse vont construire ensemble une histoire. Pour que cela fonctionne et que tous les joueurs aient le loisir de participer à la construction, il convient donc d'entrer sur la patinoire avec un nombre minimum d'informations pour encourager la construction commune. Cela peut également éviter les obstructions ou les frustrations de certains joueurs : la situation se développant au fur et à mesure, il n'est pas forcément possible d'utiliser toutes les pistes qui auront étés pensées pendant le caucus si elles ne conviennent pas à l'improvisation en cours. Dans le cas inverse, si un des joueurs tient absolument à utiliser toutes les pistes et à poser la situation qu'il aura pensé pendant le caucus, cela pourrait mener à un refus de jeu, ignorant les propositions de l'adversaire pour imposer ses idées.

132 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

133 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 64.

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Il faut également noter que les comédiens, durant une improvisation de nature mixte, ont le droit de communiquer entre eux - que ce soit entre membres d'une même équipe ou les deux équipes mélangées - pour poser ensemble la suite de l'improvisation si besoin ; à condition de ne pas enfreindre l'article 2.

L'arbitre désigne l'équipe qui aura le choix d'improviser en premier ou non dans le cadre d'une improvisation comparée par tirage au sort en lançant un palet de hockey. Cela se fait la plupart du temps à vue du public, mais j'ai pu voir dans des formats de duel (une variation du match durant 45 minutes opposant deux comédiens) que ce tirage au sort était effectué avant le match. Je suppose que ce tirage est effectué avant la compétition pour éviter de nuire au rythme du spectacle, beaucoup plus court que le match, conformément à l'article 4.

Mon expérience de spectateur m'a donné à voir une vive réaction qui, maintenant, fait pratiquement partie du rituel du match de la part du public : l'équipe qui choisit de laisser la main à l'équipe adverse sera moquée, mais sera encouragée si elle prend la main. Cette réaction peut s'expliquer par le goût du spectateur à voir un improvisateur prendre des risques.

Mes conversations informelles avec certains membres du Groupe d'Improvisation du Terril concluent de façon quasiment unanime qu'il est préférable de laisser la main. Cependant, ce n'est pas, selon moi, gage de qualité pour l'improvisation qui va suivre : du temps aura passé pendant que l'équipe adverse aura présenté son improvisation, et par conséquence depuis le caucus effectué par l'équipe dont c'est désormais le tour. Les joueurs regardent alors leurs adversaires improviser, et prennent donc le risque d'oublier ou de transformer ce qui aura été dit durant leur caucus. Ils risquent également de se faire influencer par l'improvisation en cours. Or, le plaisir de spectateur, lorsqu'il doit départager les équipes après une improvisation comparée, réside beaucoup dans le fait de découvrir comment chaque équipe a agi pour traiter le thème. Il est à ce stade trop tard pour faire marche arrière : contrairement à ce qui se fait pendant une improvisation mixte, la concertation entre joueurs est interdite pendant que les adversaires jouent.

Article 7 : Déroulement de chaque improvisation « a) annonce du thème:

L'arbitre tire au hasard une carte et lit à haute voix :

1. Nature de l'improvisation (comparée ou mixte)

2. Titre de l'improvisation

3. Nombre de joueurs

4. Catégorie de l'improvisation.

5. Durée de l'improvisation

b) concertation

Les joueurs et l'entraîneur ont vingt (20) secondes pour se concerter et prendre place sur la patinoire. L'arbitre signale le début de l'improvisation par un coup de sifflet.

Dans le cas d'une improvisation comparée, la rondelle est lancée après la concertation de vingt secondes.

c) marque d'un point

L'improvisation terminée, chaque spectateur est appelé à choisir l'équipe gagnante de l'improvisation en montrant la couleur de son panneau de vote correspondant à l'équipe de son choix.

Advenant un verdict nul (égalité dans le compte des votes), aucun point n'est inscrit. »134

69

134 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

70

Article 8 : Improvisation inachevée en fin de période

Si, à la fin de la première et de la deuxième période, l'improvisation n'est pas terminée, elle reprend au début de la période suivante, au point où elle s'était arrêtée (même(s) position(s) et reprise de la dernière réplique). En première ou deuxième période, si la sirène se fait entendre durant le caucus, l'improvisation sera jouée au début de période suivante. Si la même situation se produit en fin de troisième période, l'improvisation est annulée.

S'il reste moins de quatre (4) minutes à jouer dans une improvisation, le maître de cérémonie signale, à l'aide d'un carton blanc, que l'improvisation doit être terminée, même si le temps de la période est écoulé.

En fin de troisième période, le temps minimum accordée à la dernière improvisation, si elle ne peut être jouée complètement à l'intérieur du temps restant, est de 30 secondes. Le maître de cérémonie signale, à l'aide d'un carton blanc que le temps de la période est écoulé jusqu'à écoulement du temps de grâce. Après les 30 secondes réglementaires, la sirène met fin à l'improvisation et le vote est demandé »135.

Édité en 2015, le livre de Jean-Baptiste Chauvin présente une version raccourcie de cet article : il ne mentionne pas la partie concernant la sirène résonnant pendant un caucus. Le délai des quatre minutes restantes signalé par le maître de cérémonie est quant à lui réduit à une minute. Le commentaire qu'il en fait est très critique :

L'issue de l'improvisation reste le vote. Quelle valeur peut-on donner à une improvisation qui a été interrompue par une pause de 10 minutes ? Comment choisir entre les deux improvisations de deux équipes (dans le cas d'une comparée dont une a été jouée avant et l'autre après la pause ? Même si les joueurs sont honnêtes et qu'ils ne se concertent pas en coulisse, toute la

spontanéité du jeu, crée par l'urgence, disparaît 136.

La règle stipulant qu'une improvisation interrompue par la fin d'une période doive reprendre au début de la période suivante est en effet néfaste pour tout le rythme du match, et impacte autant le spectateur que le joueur. En effet, elle intervient au moment où il est primordial de garder le public énergique et actif. On ne peut qu'imaginer sa frustration si une improvisation était interrompue en pleine action. Le rythme rapide du match garantit que les votes seront faits en fonction des réactions premières des spectateurs, et donc de leur spontanéité. Voter pour une improvisation qui reprend après une longue pause risque donc de donner des résultats en contradiction avec l'esprit du match. Par ailleurs, le danger de concertation entre joueurs durant cette pause s'oppose à la règle stipulant

135 Ibid.

136 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 73.

71

que les discussions entre joueurs sont interdites durant une improvisation comparée, même si elle a lieu en dehors du temps de jeu.

La partie de l'article concernant la sirène retentissant pendant un caucus pose le même problème : les joueurs auraient tout le loisir de préparer leur improvisation pour la période suivante, étant déjà au courant du thème.

Ceci dit, l'obstacle que présente cet article est atténué par la pratique courante des deux fois quarante-cinq minutes au lieu des trois fois trente minutes : diminuer le nombre de pauses durant le match limite le risque que ces situations ne se produisent.

De mémoire de spectateur je n'ai pas eu l'occasion d'assister à une improvisation se terminant par convention après trente secondes si le temps était dépassé. Ma réflexion me pousse à conclure que ce délai peut être dépassé dans une limite raisonnable : il incombe à l'arbitre, dans ces circonstances, de mettre fin à l'improvisation le plus tôt possible. Mais il aura en charge de l'interrompre à un moment propice ; lorsqu'il estimera qu'une fin satisfaisante est trouvée. L'article 9 procure des outils aux joueurs et à l'arbitre en ce qui concerne la gestion du temps.

Article 9 : Mi-temps de troisième période

« Dans les quinze dernières minutes de la troisième période, les thèmes sont choisis dans un bocal spécial ne contenant que des improvisations mixtes n'excédant pas huit minutes. En troisième période, advenant la fin du temps réglementaire de trente minutes pendant une improvisation comparée, celle-ci se déroulera jusqu'à écoulement de son temps »137.

L'usage veut que cette règle intervienne de nos jours lorsque le match entre dans ses vingt dernières minutes de la deuxième période. Elle permet à la partie de se conclure selon plusieurs alternatives : un raisonnement élémentaire de mathématiques permet à Jean-Baptiste Chauvin de dire que « Lorsque que le score est équilibré de 1 ou 2 points près, cela veut dire que tout reste possible dans

137 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

72

le dernier quart d'heure et que l'enjeu du match va se jouer sur les dernières improvisations. Car, en 15 minutes, il y aura au moins deux improvisations »138.

Sur une période de quinze minutes, dans le cas supposé où deux improvisations de huit minutes chacune se suivraient, la dernière improvisation serait donc terminée après un délai approximatif de trente secondes après la fin du temps réglementaire.

Comme tout dispositif spectaculaire, le match d'improvisation doit s'achever sur une apothéose : le délai des huit minutes à ne pas dépasser permet de garantir l'aspect vif et rapide de la compétition, tandis que la catégorie mixte permet de finir sur une note où les adversaires construisent ensemble une improvisation. Le fait de terminer sur une improvisation mixte privilégie donc la construction collective au détriment de l'enjeu du score. Selon le rythme qui aura dominé le match dans la globalité, il peut cependant être judicieux de terminer sur des improvisations courtes si cela peut empêcher une baisse d'énergie pour conclure le spectacle.

Il incombe alors à l'arbitre de maîtriser le rythme en équilibrant le temps et le style des improvisations pour éviter une lassitude de la part du spectateur qu'a pu relever Jean-Baptiste Chauvin à plusieurs reprises : « Nous avons souvent vu les spectateurs râler après une succession d'improvisations longues ou mixtes. Certains arbitres ont tendance maintenant à moduler leurs thèmes en limitant le choix, en alternant les mixtes et les comparées, et en variant les durées »139.

Article 10 : Égalité

« Advenant140 une égalité à la fin du temps réglementaire de 90 minutes, une improvisation supplémentaire sera jouée, après une pause de soixante secondes. Pour cette période de temps supplémentaire, la durée des improvisations n'excédera pas cinq minutes (en mixte) et trois minutes (en comparée). Un (1) point au classement général sera attribué à l'équipe qui perd en prolongation. L'équipe gagnante en obtiendra deux (2).

S'il y a égalité dans le compte des votes, une autre improvisation suivra.

En série éliminatoire, advenant une égalité après les trois périodes réglementaires, le jeu se poursuivra en période(s) supplémentaire(s) jusqu'à ce qu'un point soit marqué »141.

138 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 74.

139 Ibid., p. 76.

140 Québécisme à valeur d'hypothèse « S'il advient que »

141 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

73

Les notions de classement général et de série éliminatoire sont quelque peu obscures pour les européens, le vieux continent accueillant moins de compétitions officielles que sur le terrain Nord-Américain.

Lors de différentes finales en mondial d'improvisation que j'ai pu visionner, l'arbitre n'est pas épaulé par des assistants, le cas d'une égalité peut donc se produire pour le compte des votes. La majorité des matchs auxquels j'ai assisté empêchait cependant ce cas de figure, les assistants-arbitres étant sollicités pour compter le nombre de cartons en faveur de chaque équipe, et évite donc une égalité dans le comptage des votes.

Le cas d'un score égal à l'issue d'un match est néanmoins une situation à laquelle j'ai assisté à plusieurs reprises. Les notions de compétition et de dramaturgie se mêlent alors pour prolonger le spectacle, et c'est ici que le spectateur peut exercer un pouvoir expliqué par Jean-Baptiste Chauvin :

La situation de l'improvisation supplémentaire se rencontre souvent, car le public a une tendance naturelle à équilibrer le score. Si, à la fin du match et du dernier vote, il manque un point à une équipe pour aboutir à une égalité, le public votera pour cette équipe afin de profiter d'une improvisation supplémentaire.142

Article 11: Pénalités

« L'arbitre est le maître absolu du jeu. En tout temps, il peut imposer une pénalité à un joueur ou à

une équipe pour toute infraction nuisant à la qualité du jeu ou au déroulement de la partie. Au cours d'une improvisation, l'arbitre signale une pénalité au moyen d'un "gazou". La pénalité est annoncée avant le vote sur l'improvisation »143 .

Jean-Baptiste Chauvin, dans son livre, fait de la partie concernant l'arbitre en tant que maître absolu du jeu un article à part entière. J'entamerai ici une réflexion sur cette fonction :

Il me semble que le fait qu'un article entier du règlement lui soit consacré a pour but de revaloriser la fonction de l'arbitre. Au fur et à mesure du temps, des expérimentations et de l'appropriation du match d'improvisation par des joueurs extérieurs à la Ligue Nationale d'Improvisation, le rôle de l'arbitre a eu tendance à être transformé, voire parodié : dans bon nombre de matchs, le maître de

142 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 75.

143 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

74

cérémonie conditionne le public à le huer en le percevant comme une figure d'autorité abusive et donc par définition nocive pour l'improvisateur qui verra sa liberté de création et sa spontanéité mises en danger.

La responsabilité de l'arbitre est pourtant tout autre que celle de trouble-fête : il est garant, tant sur le point de vue sportif que dramaturgique, du bon déroulement du match et de la qualité des improvisations qui s'y jouent. Lui incombent la préparation en amont des thèmes (soit par lui seul, soit avec le concours des assistants-arbitres), la variété des catégories et des improvisations mixtes et comparées, et le choix du temps accordé à chaque improvisation.

Dans un match amateur, le fait que l'arbitre soit lui-même amateur et membre d'une équipe peut influencer le contenu du match. Par conséquent, l'usage veut qu'avant le match les joueurs assistent à un briefing orchestré par l'arbitre dans lequel il donne la liste des catégories. Pour que l'entente soit commune et que les joueurs partent sur un pied d'égalité, il leur est possible de demander de retirer la catégorie du barillet* ou de décider si elle peut être utilisée. J'ai illustré un exemple de ce procédé avec le match du Groupe d'Improvisation du Terril contre la LICOEUR de Bordeaux en fin du règlement. Par ailleurs, chaque troupe amateure ayant, au fil des ans, construit sa propre identité et son propre style de jeu, des affinités entres ligues peuvent se créer, et c'est l'occasion pour une ligue de découvrir une nouvelle catégorie. Je prendrais l'exemple de Maxime Curillon, qui arbitre la majorité des matchs organisés par le Groupe d'Improvisation du Terril : « je ne suis pas à l'aise sur la Shakespeare par exemple, je ne les mettrais jamais en arbitrage, c'est logique. Les catégories que je vais faire, ce seront des catégories qu'on aura bossé au GIT »144. L'arbitre, selon son expérience d'improvisateur, influence donc le match. Il est en effet logique de ne pas mettre dans le barillet une catégorie qui n'est pas maîtrisée par l'arbitre, qui n'est alors pas en mesure de jauger du respect de cette catégorie lors du match. Le briefing peut alors devenir un moyen entre les improvisateurs d'échanger sur leurs différentes façons de jouer telle ou telle catégorie ou d'en apprendre des nouvelles : en cas de méconnaissance, l'arbitre explique quelle est selon lui les codes et la construction qui correspondent à cette catégorie.

144 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019.

75

Points de pénalité

« L'équipe pénalisée se voit accorder un ou deux points de pénalité selon la nature de l'offense (mineure ou majeure). Une pénalité majeure est une infraction qui détruit sciemment le jeu, tandis qu'une infraction mineure peut être un oubli, une maladresse, un retard, etc.

L'accumulation de trois points de pénalité (total accumulé chronologiquement par les joueurs ou leur équipe) donne automatiquement un point à l'équipe adverse »145.

Le match d'improvisation théâtrale de Jean-Baptiste Chauvin explicite la nuance que cette règle implique pour le score :« Une équipe peut donc marquer des points par le vote du public, mais également par les fautes commises par l'autre équipe. Cela impose donc aux joueurs de jouer dans le respect des règles, toute faute commise permettant de gonfler le score de l'adversaire »146.

Le match repose sur ce qu'il a défini par « une relation tripartite »147 entre les joueurs, leurs adversaires et le public. Le pouvoir que ce dernier détient sur l'attribution du point peut lui permettre de contrebalancer la décision de l'arbitre. Cela peut être une manière de défier son autorité - surtout pour un public qui ne serait pas familiarisé avec le règlement et ne tiendrait donc pas compte de la qualité bafouée d'une improvisation - et de prolonger le match : en votant pour une équipe qui a commis une faute, on peut retarder le moment supposé d'une accumulation de trois fautes entraînant le gain du point à l'équipe adverse et réduire le potentiel écart des scores. Rendre ainsi la décision de l'arbitre caduque permet donc de s'assurer que le match pourra être prolongé si les scores amènent à une égalité, voire amener les joueurs à se dépasser dans le futur en améliorant la qualité de leurs improvisations pour remporter le point. Implicitement, le vote du public se met donc également au service du match, refusant une victoire facile.

Lorsque le public prive l'influence l'arbitre de son influence sur le score du match, la relation tripartite se transforme alors en une évidente complicité réunissant les joueurs et les spectateurs contre l'arbitre.

Lors d'un match auquel j'ai assisté en novembre 2016, et qui opposait deux équipes appartenant à la Ligue d'Improvisation professionnelle de Marcq-en-Baroeul, un des joueurs s'est vu siffler une faute de décrochage, dont Jean-Baptiste Chauvin donne la définition : « Le décrochage se caractérise le plus souvent par le fou rire. Situation bien humaine mais condamnable dans la mesure

145 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

146 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 76.

147 Ibid., p. 72.

76

où elle casse l'imaginaire »148. Il s'agissait d'une improvisation où les joueurs avaient la contrainte de jouer en vers. Une catégorie aussi spécifique que celle-ci peut permettre au spectateur de s'identifier à un joueur, qui aura tendance à anticiper ses paroles, où à se prêter intérieurement au même exercice. Le fou rire du joueur avait été provoqué par un mot grivois qu'il s'apprêtait à employer pour conclure l'improvisation, et le public l'avait bien perçu. L'impact du décrochage sur la qualité de l'improvisation avait été ici moindre, puisqu'il était survenu à sa conclusion. Sans pour autant contester la faute, le public avait été clément avec lui, parce que ce joueur était sur le point de répondre à une attente précise. Malgré la faute, son équipe avait remporté ce point.

« En temps supplémentaire, l'accumulation de trois points de pénalité par une équipe met immédiatement (dès le signalement de l'infraction) un terme à l'improvisation en cours et donne la victoire à l'équipe adverse.

Expulsion

Tout joueur ayant récolté deux (2) pénalités pendant la même partie est expulsé du jeu pour la fin de cette joute et il doit se retirer dans le vestiaire. Son expulsion efface les points de pénalité résultant de ses deux fautes, s'ils n'ont pas déjà été totalisés. Les points de pénalité de toutes fautes subséquentes, par ce joueur, sont versés au dossier de l'équipe.

Si, à cause de l'absence d'un joueur, son équipe ne peut remplir les exigences de la carte d'improvisation, l'autre équipe gagne l'improvisation par défaut »149.

Cette règle a plus de conséquences si le match est en format des « deux fois quarante-cinq minutes » que s'il est en « trois fois trente minutes ». Elle engage la responsabilité du joueur envers son équipe, et même envers le match : l'article 1 met l'accent sur l'équilibre mis en place par le nombre des six joueurs avec trois hommes et trois femmes. Amputer une équipe d'un de ses membres aura donc un impact sur cet équilibre par rapport au temps de passage de chacun, et par conséquent sur l'énergie des joueurs et la variété des improvisations proposées.

148 Ibid., p. 129.

149 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

77

Des alternatives ont étés posées pour respecter cette règle de punition, et éviter de nuire à la qualité et à l'ambiance festive du match : « Le joueur sanctionné se voit exclu de la partie pour un nombre d'improvisations défini par l'arbitre en fonction de de la gravité des fautes commises »150

Jean-Baptiste Chauvin insiste sur le fait que cette pratique est plus courante lors de rencontres amateurs ou de joueurs inexpérimentés151, et semble s'inspirer directement du règlement du Theatresports, inventé en 1977 par le Britannique Keith Johnstone, dont le théoricien Christophe Tournier a explicité le système de la punition dans le Manuel d'improvisation théâtrale : « Suivant les pays, le joueur puni reste plusieurs minutes sur le bord de la scène, avec sur la tête un sac troué dissimulant son visage »152.

Lors de la finale du mondial d'improvisation en 2007, l'arbitre Yvan Ponton avait néanmoins exclu définitivement la joueuse québecoise Edith Cohcrane à la deuxième période, car elle avait commise deux fautes personnelles.

Demande d'explication

« Seul le capitaine de chaque équipe a le droit de demander des explications à l'arbitre. Toute discussion avec ce dernier doit se dérouler dans le cercle LNI au centre de l'aire de jeu.

Advenant l'expulsion du capitaine, celui-ci sera remplacé par l'assistant-capitaine »153.

L'article 11 conclut le règlement du match d'improvisation tel qu'il était en vigueur jusqu'en 1987. Il se voit complété en 1988 de deux articles supplémentaires.

150 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 77.

151 Idem.

152 Christophe Tournier, op. cit., p. 93.

153 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

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Article 12: Classement

« Chaque victoire vaut deux (2) points au classement général. À la fin du calendrier régulier, advenant une égalité dans les points au classement, le gagnant des matchs disputés en saison entre les équipes concernées obtient la primauté. Si l'égalité ne peut être brisée par ce principe, la différence entre les points pour et les points contre, au total de la saison, détermine un meneur. Si l'égalité persiste à ce stade, la différence entre les points pour et les points contre au total des matchs mettant aux prises les équipes en litige devient la référence. Le dossier de l'équipe au chapitre des pénalités tranchera en dernier recours.

Joutes éliminatoires :

À la fin du calendrier régulier, il y a une ronde de deux demi-finales. L'équipe qui termine en tête du classement général rencontre dans une première partie de demi-finale l'équipe occupant la 4e et dernière place. L'équipe terminant au 5e rang est éliminée. Les équipes occupant la 2e et le 3e place se rencontrent dans une deuxième joute de demi-finale. Les gagnants des deux demi-finales se rencontrent en finale »154.

Le match d'improvisation théâtrale définit cette pratique :« Il s'agit là de la procédure à suivre dans un championnat ou un tournoi pour déterminer les équipes finalistes »155

Cet article peut paraître obscur pour les Européens, n'ayant pas une culture du match aussi poussée et aboutie que les Québécois. Peu de championnats à grande échelle ont eu lieu sur notre sol. La dernière coupe du monde en date ayant été jouée en France a été organisée en 1998 par la Ligue d'Improvisation Professionnelle de Marcq-en-Baroeul. Ces championnats se sont, quant à eux, multipliés sur le territoire québécois : au fur et à mesure du temps se sont créés des tournois multiples tels que la Coupe Charade, les grands duels de la LNI et des tournois régionaux. Il a bien fallu, avec cette évolution, structurer davantage le règlement pour organiser les classements. Cette évolution n'avait pas été prévue par Robert Gravel qui soutenait dans l'ouvrage Impro ; réflexions et analyses, que « Le hockey n'est qu'un prétexte. Il n'est que l'emballage du spectacle. Le jeu LNI pourrait exister sans cet environnement sportif et coloré »156

154 Idem.

155 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 78.

156 Robert Gravel, Jan-Marc, Lavergne, op. cit., p. 38.

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Article 13 : Protêt.

Pour qu'un protêt soit valide, il doit être signalé aux officiels, lors du match contesté, avant la dernière sirène annonçant la fin des cérémonies de clôture. Un membre dûment mandaté de la direction de la Ligue Nationale d'Improvisation jugera alors de la recevabilité du protêt. Dans la mesure du possible, la décision sera rendue le soir même ou dans un délai raisonnable par le membre mandaté.Une équipe qui abusera de cette procédure pourrait être sanctionnée. La sanction imposée correspond au retrait de un ou deux points au classement général 157.

Le cadre strict et clairement défini permet à chaque joueur de se confronter à ses règles et d'enrichir son jeu. Le caractère restrictif de cette pratique que certains opposent à la liberté de l'artiste est donc discutable. Depuis 1977, le règlement et la pratique du match s'étant transmis de joueur en joueur et d'ateliers en ateliers, Jean-Baptiste Chauvin appelle à la prudence : « Cependant, il faut se montrer prudent, car le développement croissant des équipes et de ligues, tout bénéfique qu'il soit, met en danger l'esprit et l'éthique du jeu. Il convient donc de créer une base de réflexion pour que le jeu évolue sur des fondations solides »158.

En plus de quarante ans d'existence, les modifications peu nombreuses dont le règlement a fait l'objet ont pour but d'oeuvrer dans ce sens. Le cas des deux fois quarante-cinq minutes qui avaient commencé à supplanter officieusement les trois fois trente minutes en est un bon exemple. Le match d'improvisation était soumis à l'origine au découpage similaire aux matchs de hockey, probablement pour des raisons culturelles. Avec son développement vers d'autres pays, le règlement a dû s'adapter à d'autres cultures ainsi qu'aux usages. Le découpage du temps en deux-fois quarante-cinq minutes, par exemple, est aujourd'hui majoritaire, mais le match que j'ai joué contre la LICOEUR de Bordeaux avec le Groupe d'Improvisation du Terril était découpé en trois parties de trente minutes

En tant qu'institution, le match d'improvisation continue donc de faire évoluer ses règles avec son temps. Il convient cependant à chaque improvisateur, amateur ou professionnel, de faire preuve de responsabilité individuelle pour conserver les fondations solides et l'éthique du jeu chères à Jean-Baptiste Chauvin. Par ailleurs, un règlement trop éloigné de sa forme originelle n'aurait guère de sens et empêcherait les différentes ligues de partager un langage commun.

Par conséquent, la fonction de l'arbitre devient vitale, et ne se cantonne donc pas à une parodie d'autorité. Une certaine maîtrise de ce rôle pourra néanmoins permettre à l'arbitre-improvisateur de

157 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit.

158 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 80.

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jouer de cette image tout en faisant respecter le match ; ce qui peut divertir le public tout en garantissant le respect des règles. Certaines initiatives individuelles qui oeuvrent à préserver l'intégrité de la fonction, dans la plus pure tradition de la transmission orale, sont à saluer. Je citerai en exemple un groupe créé sur un réseau social intitulé « Arbitre, c'est un métier ! » qui est une véritable source d'enseignement et de partage pour appréhender et questionner le rôle de l'arbitre. Des improvisateurs professionnels ou non rompus à la fonction y partagent régulièrement leurs expériences, conseils et y publient des offres de stage. C'est également sur ce groupe que j'ai pu me procurer le document du règlement édité par l'Association Française des Ligues d'Improvisation.

Les initiatives individuelles, dès lors qu'elles conservent une intégrité par rapport au support d'origine, permettent donc au règlement du match d'improvisation de se pérenniser grâce au bon sens et à la volonté individuelle d'améliorer une pratique collective.

C'est pourquoi je souhaite saluer le respect du règlement dont avaient fait preuve la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur et la Balise de Limoges en Novembre 2017, en sanctionnant dès leur entrée l'équipe limousine pour un non-respect du nombre de joueurs, qui étaient au nombre de cinq. Le problème de trouver le nombre de joueurs conforme à l'article 1 est souvent rencontré chez les ligues amateurs. Celles-ci sont maintenant très nombreuses, il est primordial qu'elles s'évertuent à respecter ce règlement, étant maintenant les ambassadrices officieuses du match par le nombre de rencontres proposées. Le caractère amateur ne peut en aucun cas dispenser de l'obligation d'offrir un spectacle de qualité.

Ce cas de figure se présentant souvent, une faute n'est pourtant pas sifflée systématiquement à chaque match amateur. Il incombe alors aux deux ligues en jeu de se mettre d'accord en interne pour discuter des modalités de jeu si, par la force des choses, il n'est pas possible de remédier à cet écart. L'entretien a pour but de garantir un équilibre et une parité entre les joueurs de chaque équipe, mais également entre les deux équipes. C'est ce que j'ai pu vérifier lors de mon premier match : l'arbitre a tout d'abord défini son style d'arbitrage, en précisant qu'il allait être « un peu désagréable », pour renforcer sa position d'autorité, mais il a avant tout été pédagogue, pour éviter que les joueurs ne soient brusqués par son attitude. Il a ensuite énuméré les catégories qu'il avait préparées pour le match. Nous pouvions dire si nous nous sentions à l'aise avec ces catégories. Par exemple, une catégorie de style en mixte avait été choisie « à la manière de Myasaki », un réalisateur japonais, ce qui supposait des références culturelles spécifiques. Le danger d'une telle catégorie est de commettre une faute de non-respect de la catégorie si les codes sont peu connus des joueurs, ou d'appuyer sur un cliché par peur d'explorer d'autres pistes. Des douze joueurs qui ont disputé ce match, nous étions une très forte minorité à connaître les dessins animés Myasaki : deux

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joueurs au GIT, aucun à la Licoeur de Bordeaux. Nous avons questionné l'arbitre qui nous a expliqué brièvement ce qu'il attendait que nous produisions pour cette catégorie. Une grande responsabilité attendait ceux qui connaissaient l'univers de Myasaki : étaient-ils assez familiers pour respecter l'oeuvre et seraient-ils capables de transmettre des codes clairs à leurs partenaires pendant l'improvisation ? Avec les quelques personnes qui avaient une mince connaissance des codes, nous avons décidé de prendre cette responsabilité et d'accepter la catégorie. J'ai profité d'une pause pour faire part à mes partenaires de mon appréhension quant à cette improvisation. Mais il faut rappeler que le public est là pour admirer la capacité de l'improvisateur à prendre des risques. La catégorie a été tirée par l'arbitre lors de la troisième période, et l'improvisation a été appréciée du public.

L'expérience de ce premier match m'a fait comprendre que le cadre doit être solide, sans pour autant être rigide. Sous l'égide d'un arbitre professionnel, l'improvisateur a son mot à dire s'il ressent une certaine appréhension par rapport au terrain où l'emmènera telle ou telle catégorie. La qualité de l'improvisation et la sécurité du joueur étant prioritaires, c'est à l'ensemble du staff* qu'il incombe de définir un cadre idéal pour tous. Pour que ce cadre et les rituels relatifs aux spectacles d'improvisation soient connus de tous, il a au fur et à mesure du temps été développé un langage spécifique à la pratique.

II.2 :Lexique de l'improvisation théâtrale

Il est difficile de figer dans le marbre des définitions à des notions-clés qui sont en perpétuelle évolution. Jean-Baptiste Chauvin a publié en 2015 un glossaire des termes relatifs au match d'improvisation dans son ouvrage Le match d'improvisation théâtrale. Au cours de mon parcours d'improvisateur, j'ai pu m'apercevoir que certaines notions étaient perçues de manière différente selon les contextes ; c'est pourquoi j'apporterai à certaines de ces définitions ma propre réflexion due à une expérience personnelle, afin d'être le plus exhaustif possible et de fournir une version de ce lexique actualisée et située dans ma pratique en France. J'y joins également la définition de termes utilisés tout au long de ce mémoire identifiés par le signe « * ».

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Certains termes, parce qu'ils sont assez explicites, ou parce que leur définition coule de source, seront absents de ce lexique. Le but de cette liste n'étant pas d'imiter le travail que d'autres avant moi n'ont que trop bien accompli, mais bel et bien de nourrir une réflexion sur certains mots et définitions, dont l'explicitation me paraît pertinente ou nécessaire.

Action (nf) :

« Centre de ce qui se passe dans l'histoire improvisée OU cri d'alarme lancé par le coach quand ses joueurs végètent dans un verbiage stérile »159 .

Le seul moment où le coach aurait le droit d'intervenir ainsi serait pendant le caucus, sans quoi il se mettrait en faute vis-à-vis du règlement qui interdit la communication entre joueurs en action et staff sur le banc durant une improvisation en cours.

Arbitre (nm) :

« Personnage central du jeu qui donne les fautes et fait voter le public. »160

Il faut rappeler que, selon l'article 11 du règlement : « l'arbitre est le maître absolu du jeu ». Il doit donc se contenter non de réprimer toute contestation à ses décisions, mais de faire en sorte que celles-ci soient justes. Il est au match d'improvisation ce que le dramaturge est au théâtre, et sa charge est lourde : gérant la variation des thèmes, des catégories, et des durées des improvisations, il est garant de leur qualité mais également du rythme du spectacle. En accord avec l'article 3 qui stipule qu'il n'y a aucun arrêt du temps, bien qu'il y ait arrêt du jeu », c'est à lui de faire en sorte que le spectacle continue et ne s'essouffle guère, gérant les périodes de jeu et de non-jeu - où il devra alors faire valoir le cérémonial codifié du match - c'est pourquoi la présence d'un staff compétent pour endosser les rôles de maître de cérémonie et d'assistants-arbitres est primordiale. Il y a également une ambivalence entre la fonction et le personnage, et certains arbitres expérimentés la maîtrisent suffisamment pour offrir un divertissement supplémentaire au public.

159 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 253.

160 Idem.

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Balance (nf)(aussi appelée " bascule " ou "trappeur " ) :

« Détermine une double action. Dans une improvisation, il peut y avoir deux actions en parallèle. Elles doivent se jouer en alternance sans brouiller l'attention du public ».161

Elle peut être utilisée pour apporter une deuxième action dans un même lieu, ou signifier une ellipse temporelle ou un changement de lieu. Elle peut être très utile pour faire avancer une intrigue de façon conventionnelle si l'action n'évolue pas. Chaque compagnie, et parfois même chaque improvisateur a ses propres codes pour amorcer une balance : il s'agit de la signifier tant au spectateur qu'à ses camarades de jeu. J'ai appris chez Impro Academy à amorcer une bascule en établissant un contact visuel avec le partenaire que je sollicite. Si le partenaire évite le contact, il jouera seul ou avec d'autres partenaires. Dans ces circonstances il incombe aux partenaires déjà en place d'être attentifs à ce détail, soit pour quitter l'aire de jeu et faire place à une nouvelle intrigue parallèle, soit pour jouer avec ce nouveau partenaire.

Dans mes débuts à Lyon, on se contentait simplement de signaler notre présence de façon significative par un grand saut sur le devant de la scène en jaillissant de la réserve*.

Un code plus sommaire permet à un joueur d'établir la bascule de façon orale en amorçant la nouvelle action par la phrase « Pendant ce temps-là », ou « le lendemain... » ou autre.

Balayage (nm)

«Action par laquelle les assistants-arbitres ramassent les chaussons tombés dans la patinoire. Cette action est commandée par ce meuglement de l'arbitre " balayage ! " ou " nettoyage !" »162

Il est en effet très rare qu'un lancer de chaussons soit isolé. Lors des matchs, un premier lancer de chaussons sera, dans la majorité des cas, imité par d'autres comparses dans l'assistance. Comme si le public, en ayant vu un premier exemple, venait de prendre conscience du pouvoir qu'il détenait. Cela m'étonne pourtant que l'évaluation mauvaise d'une improvisation ou d'une décision arbitrale puisse remporter une unanimité; ce qui m'amène à penser que le lancer de chaussons relève en grande partie du mimétisme.

Ce code du match est aujourd'hui de moins en moins utilisé, et sa contestation tire ses origines dans la création même du match d'improvisation : Robert Gravel avait fait face à plusieurs détracteurs (des joueurs en majorité) qui avaient trouvé cette pratique trop humiliante.

161 Idem.

162 Idem.

Bande(nf) :

« Rebord de la patinoire qui délimite l'espace et sur lequel les joueurs peuvent monter pour élever leur jeu. »163

J'en reviens à ce que j'avais évoqué dans l'article 2 du règlement : bien utilisé, le rebord de la patinoire peut être un très bon élément scénographique pour délimiter un lieu ou un accessoire. Lors du match du 20 Mai 2018 au théâtre Sébastopol à Lille opposant l'équipe de HERO CORP contre Montréal, un des joueurs français avait profité d'un morceau de patinoire manquant pour matérialiser un écran de télévision en y incarnant un présentateur.

La bande offre également aux joueurs qui ne sont pas en action ou à l'arbitre une coulisse où se dissimuler du public pour ne pas perturber l'action en cours. Elle devient un espace dans lequel les improvisateurs qui sont actifs sans être en jeu peuvent continuer à observer l'improvisation en cours, prêts à intervenir une nouvelle fois si nécessaire. Ils peuvent notamment communiquer ensemble pour préparer une intervention commune, sans perturber le cadre et l'attention du public.

163 Idem.

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La Patinoire, aire de jeu du match d'improvisation. Photographie prise en 2000 appartenant à la compagnie Déclic Théâtre, disponible sur http://match.impro.free.fr/images/photosXL/ensemble4XL.jpg [consulté le 15/05/2019].

Barillet (nm) :

« Petit Cylindre monté sur un axe avec une ouverture pour passer la main à l'intérieur. Cet objet sert à l'arbitre pour mélanger ses thèmes. Ce dernier fait tourner le barillet pour mélanger, puis pioche ensuite un thème à l'intérieur »164.

164 Ibid., p. 254.

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Le hasard, dans le match est une notion à manipuler avec prudence. L'arbitre, préparant les thèmes, les durées, et les catégories de chaque improvisation pour offrir un spectacle équilibré, se doit d'avoir une certaine maîtrise, même si « c'est aux joueurs de s'adapter au hasard et non au hasard de s'adapter aux joueurs »165. Il est néanmoins fréquent qu'un arbitre, durant le match, choisit délibérément un thème sans se remettre au hasard. Cette action est en effet nécessaire pour assurer l'équilibre du spectacle, et varier les improvisations. Si, par exemple, deux improvisations deux cinq minutes ont étés effectuées à la suite, il peut choisi de sélectionner un thème avec une durée plus courte pour la prochaine improvisation. Cette variation ne concerne pas uniquement le temps, mais également les catégories, libres ou imposées, ainsi que les improvisations comparées ou mixtes.

Dans une forme de cabaret*, c'est au maître de cérémonie que revient la responsabilité de construire la charpente du spectacle. Dans chacun des deux spectacles ; deux notions primordiales interviendront : l'équilibre du spectacle et la complicité avec les joueurs. Les deux personnes qui établiront les thèmes devront tant veiller à la qualité globale du spectacle que la complicité et la connaissance qu'ils ont des joueurs. C'est pourquoi le choix des catégories devrait être guidé par la volonté de faire prendre des risques aux joueurs, mais également de leur offrir une opportunité de briller en fonction de leurs qualités, leurs atouts, leurs préférences selon l'enjeu du spectacle.

Cabaret (nm) :

Désigne un spectacle d'improvisation qui adopte une forme non compétitive. Les improvisateurs effectuent des improvisations courtes sur des thèmes que le maître de cérémonie demande au public.

Caoutchouc (nm)

« version québecoise du chausson »166.

« J'ai toujours dit en blaguant que chaque théâtre devrait offrir des caoutchoucs à ses spectateurs pour savoir si son spectacle est apprécié. On n'a pas le droit d'être ennuyant au théâtre. Si on l'est, on reçoit des caoutchoucs. Il ne faut pas trop s'en faire et essayer d'être meilleur »167

165 Ibid., p. 64.

166 Ibid., p. 254.

167 Ibid., p. 96.

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Les propos de Robert Gravel à l'assistant-arbitre de la première heure Pierre Lavoie (en fonction de 1977 à 1984) montrent son souhait de bousculer le joueur et de tenter de le sortir de sa zone de confort. Cette pratique, critiquée dès sa mise en place, reflète bien le combat qu'il livrait pour tenter de démystifier le comédien.

De nos jours, le chausson (ou caoutchouc) a dérivé de sa fonction première, et il n'est pas rare que les spectateurs l'utilisent pour causer du tort à l'arbitre. Jean-Baptiste Chauvin, en tant qu'arbitre, en a fait les frais à de multiples reprises : « À l'expérience, [la semelle] adhère bien aussi à la figure de l'arbitre »168

Si je remonte à mes souvenirs d'enfance et au premier match d'improvisation auquel j'avais assisté du haut de mes 11 ans, j'y voyais une pratique somme toute anecdotique, mais dans mon esprit il est clair qu'elle était destinée à punir l'arbitre. Une trop longue distance et un manque de précision de ma part en ont décidé autrement, et c'est un obscur membre du public assis plus bas qui a écopé de ma punition.

Il m'a été donné de voir une seule fois un lancer de chaussons utilisé de façon conforme à la vision de Robert Gravel : Lors du match de la LILA contre Limoges qui s'est déroulé le 22 Avril 2017 à la salle Alain Colas à Lille, les chaussons ont fusé sur la patinoire en pleine improvisation, dont le manque de qualité était évident. Un chausson, puis deux, puis une pluie. L'arbitre avait eu la sagesse, conformément au règlement, d'interrompre l'improvisation en cours. Les compteurs avaient étés remis à zéro, et les joueurs ont étés invités à regagner leurs bancs pour un nouveau caucus afin de démarrer une nouvelle improvisation de meilleure qualité.

Je comprends que le lancer de chaussons fasse débat, car il confère au public un terrifiant pouvoir, et, s'il est utilisé à mauvais escient, peut devenir une distraction ou un défouloir. Par ailleurs, le chausson est à usage unique, et, lors du balayage, j'ai rarement vu les assistants-arbitres redistribuer les chaussons lancés aux spectateurs. À l'image du carton de vote, le chausson est un instrument qui permet à l'assistance de faire entendre son opinion. Et bien que l'arbitre soit le maître incontestable du jeu, il peut paraître légitime qu'il reçoive des chaussons à la place des joueurs lorsque ses décisions sont remises en cause. C'est dans ces circonstances qu'il fera également valoir ses fonctions de pédagogue et de catalyseur : recevoir un chausson, même si la nature du projectile est par définition anecdotique, la signification du geste est malgré tout violente et peut atteindre la sensibilité des joueurs ; et ce en majorité dans le cas d'un premier match ou de joueurs officiant en amateur.

168 Ibid., p. 254.

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Le lancer de chaussons fait débat, parce qu'il est la seule variable sur laquelle le cérémonial du match n'a aucune influence. Jean-Baptiste Chauvin parle « d'éducation du public »169, afin qu'il utilise ce lancer à un moment et dans des circonstances précises. Il faudra bien du courage pour éduquer tout une salle. C'est, à mon sens, à la responsabilité individuelle qu'il faut faire appel, bien que ce soit utopique : on donne à un spectateur la possibilité de faire entendre sa frustration et, dans une certaine mesure, exprimer sa violence. Pour protéger le joueur de cette violence, il est donc courageux de la part de l'arbitre de faire preuve d'une austérité volontairement exacerbée afin qu'il soit désigné comme cible pour les projectiles.

Cela peut également dénaturer l'objectif premier du match, et la peur des chaussons incite certains joueurs à jouer pour mettre ses improvisations davantage au service du public que de la qualité globale du spectacle.

Le lancer de chaussons cultive encore cette ambiguïté par son utilité et les débordements qu'il peut causer. Bien que bon nombre de ligues aient abandonné cette pratique, je crois qu'elle perdurera ; car elle fait désormais partie intégrante du rituel du match. Aujourd'hui, lorsque je me présente à l'entrée d'un match d'improvisation, le fait de savoir si on va me donner un chausson reste une surprise jusqu'au bout.

Capitaine (nm) :

« C'est le référent de l'équipe auprès de l'arbitre »170

J'ajouterai à la définition de Jean-Baptiste Chauvin que c'est le référent de l'équipe auprès du public, car il a un rôle d'ambassadeur de son équipe : lorsqu'une faute est sifflée, les capitaines des deux équipes se présentent sur la patinoire à la fin de l'improvisation pour obtenir des explications de l'arbitre, car c'est le seul membre de l'équipe à avoir le droit de s'adresser directement à lui. Puisqu'il n'y a aucun arrêt de jeu durant une partie, une seule parole doit se faire entendre pour gagner en efficacité. C'est pourquoi le protocole au fur et à mesure a installé cette pratique : les deux capitaines vont se saluer, puis saluer l'arbitre. Le capitaine membre de l'équipe responsable de la faute va demander : « Monsieur l'arbitre, pour la bonne compréhension du public et des deux équipes, pourriez-vous nous donner une explication des fautes que vous avez sifflées ? »171

Ce rituel du match est effectivement important pour la compréhension du public, et ajoute un élément qui va donner corps au match et donc au spectacle dans sa globalité :il peut accorder un peu

169 Ibid., p. 97.

170 Ibid., p. 254.

171 Ibid., p. 54.

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de répit aux joueurs entre chaque improvisation, et la compréhension du public est effectivement primordiale pour un vote en toute connaissance de cause. Cela peut aussi être un moment plaisant où les capitaines des deux équipes peuvent faire valoir une certaine complicité contre l'arbitre. L'issue de cette explication est souvent suivie des protestations du public, voire d'un lancer de chaussons.

Jean-Baptiste Chauvin ajoute également qu'il est le second du coach, et peut effectivement avoir un rôle de soutien dans la gestion des caucus, du nombre de passages sur scène, ou va faciliter la communication entre les joueurs et le coach.172

Lors d'un match interne (Impro Academy et la Ligue de Marcq-en-Baroeul organisent régulièrement des matchs où les joueurs de chaque équipe appartiennent à la même structure), le rôle du capitaine va donc se centraliser sur une fonction protocolaire, pour garantir un rythme respecté lors de la confrontation des capitaines avec l'arbitre. Comme dans ces circonstances, tous les membres du staff se connaissent, la complicité qui règne entre eux tous fait passer l'importance du score au second plan, et cette confrontation pourrait basculer dans un léger cabotinage. Cela peut ajouter un élément de spectacle nouveau ,tant que ça ne nuit pas au rythme et au respect du règlement. Bien que cette complicité puisse se révéler également lors d'un match où les deux équipes ne se connaissent pas, cela me semble bien plus susceptible d'arriver lors d'une rencontre où les membres du staff ont passé leur temps à se croiser durant les spectacles ou les entraînements durant toute une saison.

Dans les deux cas, les équipes ont tout intérêt à choisir un joueur expérimenté pour endosser ce rôle, qui sera habitué à la gestion d'un rythme particulier et qui aura appris à apprivoiser tout le décorum et le protocole du match.

Carton de vote : (nm)

« Feuille cartonnée et carrée avec laquelle le public vote. Cette feuille est bicolore et permet ainsi de ne pas voter toujours pour la même équipe. »173

Comme le chausson, le carton est l'incarnation du pouvoir du public, et sera de nature différente selon les moyens financiers de la ligue ; mais sa qualité peut en dire beaucoup sur l'importance qu'elle accorde au rituel du match, et donc au spectacle. Le point peut en effet être accordé à l'applaudimètre, par un simple papier bicolore, ou un carton. Le carton est si précieux que les

172 Ibid., p. 118.

173 Ibid., p. 254.

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ouvreurs le reprennent à la fin du spectacle. C'est pourquoi, à mon sens, plus le carton proposé sera de qualité, plus le spectateur aura l'impression d'être réellement pris en considération. Ne pas voter n'empêche pas d'assister au spectacle ; et cela peut même être un choix. Il m'est arrivé plusieurs fois de m'abstenir de voter tant j'étais indécis par rapport au choix de l'improvisation que j'avais le plus appréciée. Mais le fait de l'avoir à disposition permet de profiter réellement du match : après un entracte, j'ai découvert une fois que mon carton avait été dérobé ou que je l'avais égaré. Et c'est une sensation désagréable de ne pas pouvoir voter pour les improvisations.

Par ailleurs, il est d'une importance capitale d'avoir des cartons de bonne qualité afin que la voix du spectateur soit clairement et visible, et cela facilite grandement la tâche de l'arbitre et de ses assistants, soit pour déterminer la couleur majoritaire, soit pour compter le nombre de cartons lorsqu'une couleur majoritaire n'apparaît pas au premier regard.

Catch (nm)

Christophe Tournier effectue une comparaison entre la match d'improvisation et le catch d'improvisation dans le Manuel d'improvisation théâtrale :

Il existe naturellement beaucoup d'analogies entre le match d'improvisation et le catch. Cette fois, elle est poussée au maximum pour créer ce format de jeu compétitif [...], deux équipes de deux joueurs s'affrontent sur un ring en plusieurs parties improvisées. Le spectacle est rythmé par de courtes improvisations 174

Cette analogie me semble à nuancer par rapport à l'enjeu du spectacle : Corentin Vigou, lors d'un entretien réalisé le 09 Avril 2018, me disait que « le match d'impro, c'est très cadré et très codifié [...] tout est fait dans le match d'impro en fait pour tirer le meilleur parti des comédiens [...] l'exercice du catch ne tire pas les comédiens vers la construction d'improvisation »175 car il n'y a aucun règlement qui régit le catch. Le catch repose sur un autre cérémonial que le match : la patinoire devient un ring, et l'arbitre n'a pas de faute à siffler. Il est donc privé des conventions qui lui permettent d'argumenter son évaluation des improvisations. Ses décisions peuvent paraître plus subjectives et sa légitimité peut être plus facilement remise en cause.

Le cadre et le rituel plus minimalistes suppriment certains garde-fous qui facilitent le travail de l'improvisateur en match : avant un catch, les joueurs auront préparé en amont des duos de personnages. Bien qu'il existe également une bande symbolisée par les cordes qui délimitent l'aire

174 Christophe Tournier, op.cit., p. 98.

175 Entretien avec Corentin Vigou, 09 Avril 2018.

de jeu, les joueurs continuent à jouer la comédie en dehors du ring. Cela, à mon sens, incitera les joueurs à cabotiner en dehors de l'aire de jeu, et donnera moins de valeur à ce qu'ils pourront produire ; ils ne consacrent pas uniquement leur énergie à l'improvisation qu'ils offriront au public. Un catch peut donc devenir rapidement éprouvant.

Le costume et l'identité du personnage étant soumis à la libre fantaisie des joueurs, cela brouille également la réception du spectateur : le maillot de hockey étant abandonné, la frontière est mince entre le personnage incarné par l'improvisateur et le personnage en jeu. Il peut être aisé de comprendre que ce personnage incarné soit galvanisant pour le public au début du spectacle, mais le fait qu'il l'abandonne pour en jouer un autre dans une improvisation me semble incohérent. Il est également à souligner que, dans ce cadre, les joueurs ont droit aux accessoires pour habiller leurs personnages, qu'ils peuvent utiliser lors des improvisations.

Corentin Vigou estime que le catch est très utile pour le joueur, dans le sens où il l'aide à développer sa spontanéité176 ; c'est pour cela que le caucus est absent de ce format. On parlera alors bien plus de joutes et, pour éviter de lasser un public qui vient voir davantage des improvisations à base de phrases-choc faites pour marquer et de répliques courtes, le rythme est intense à gérer pour l'arbitre. Le décorum et le cérémonial étant plus légers, cela fait moins d'éléments qui permettent au match de s'articuler, avec des moments définis pour une improvisation ou pour une explication. Je comprends que le catch soit un outil pour aider l'improvisateur à développer sa spontanéité - à condition qu'il résiste aux tentations de cabotinage- mais j'ai toujours eu des difficultés à y éprouver une satisfaction en tant que spectateur.

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176 Idem.

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Un ring de catch d'improvisation. Photographie par le Groupe d'Improvisation du Terril, prise lors d'un catch opposant le Groupe d'Improvisation du Terril à la Compagnie Amandoise d'Improvisation, disponible sur https://www.facebook.com/improGIT/photos/a.319582521423495/1994996480548749/?type=3&theater [consulté le 16/05/2019].

Je saluerai néanmoins l'accessibilité que ce format offre aux ligues amateurs : il est bien plus aisé de construire un ring que de se procurer une patinoire.

Par ailleurs, l'effectif étant réduit, la disponibilité des joueurs et moins problématique : il suffit de quatre joueurs, d'un arbitre et d'un maître de cérémonie. L'absence de règlement peut également permettre à de jeunes joueurs de faire rapidement leurs armes. Faire du catch une première expérience d'improvisateur me semble cependant inciter au cabotinage et à la facilité. Il sera plus difficile par la suite de comprendre tout l'enjeu du cérémonial d'un match, et de comprendre la légitimité d'un règlement.

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Catégorie:(nf) :

« Contrainte imposée à une improvisation. »177

Je nuancerai ici l'utilisation du mot « contrainte », bien qu'une catégorie n'imposant aucune particularité soi appelée « catégorie libre » : il s'agit, à mon sens, davantage d'offrir un cadre à un joueur qui pourra l'aider à structurer son improvisation et à nourrir son imaginaire durant le caucus. Bien que plusieurs classifications de ces catégories existent, je crois que, selon la pensée du maître de cérémonie (dans un format cabaret) ou de l'arbitre, de nouvelles catégories se créent chaque jour. A ma dernière restitution d'atelier avec Impro Academy en Décembre 2018, où je jouais un format cabaret, notre professeur nous avait prévenu qu'aucune catégorie ne serait imposée. Cette information avait divisé : un de mes camarades défend l'idée, et il me semble, à juste titre, qu'une catégorie permet au public de connaître le cadre de la prochaine improvisation et de créer une attente. Elle peut donc être motrice de sa curiosité, et, selon sa difficulté, pourra créer une réelle complicité avec le joueur. Une improvisation réussie est également une improvisation pendant laquelle les joueurs ont su prendre des risques.

Il incombe soit au maître de cérémonie soit à l'arbitre de doser judicieusement la nature des catégories pour qu'un spectacle soit équilibré. Un procédé a alors été mis en place quant au dosage des différentes catégories d'un match, que Jean-Baptiste Chauvin rapporte dans Le match d'improvisation théâtrale : « la pratique veut qu'il y ait une proportion de deux tiers de thèmes à catégorie libre et un tiers de thèmes à catégorie imposée »178.

Au regard de mes lectures, il apparaît que les catégories puissent être classées en trois groupes :

1) Les catégories avec une contrainte formelle. Elles imposent de façon arbitraire un élément de jeu aux improvisateurs. Jean-Baptiste Chauvin et Christophe Tournier en établissent six :

-sans parole

-silencieuse

-chantée

-avec accessoire

-poursuite (ou double poursuite)

-musicale

177 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 254.

178 Ibid., p. 68.

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Certaines de ces catégories mériteraient une définition plus approfondie, mais l'essentiel à retenir est que ces contraintes formelles permettent au joueur de démontrer sa virtuosité et d'offrir au public un spectacle varié. En match, le non respect de la catégorie est une faute sanctionnée ; car elle apparaît comme un refus de jeu de la part de l'improvisateur, ou au moins un refus de prendre des risques. Elles facilitent également l'écoute entre improvisateurs, leur permettant de partager des codes formels communs.

2) Les catégories d'échauffement, qui sont majoritairement utilisés en cabaret. Elles sont moins au service d'une narration que de l'improvisateur lui-même, lui permettant d'exécuter une improvisation avec une contrainte légère. Les improvisations exécutées avec ces catégories sont généralement assez courtes pour permettre de lancer ou de relancer une dynamique de spectacle. Il est difficile, voire impossible de les énumérer de façon exhaustive, car elles évoluent de concert avec la pédagogie de l'improvisation théâtrale enseignée. Je me permettrais donc de donner ici quelques exemples de catégories qui me semblent être le plus illustratives. La définition donnée sera également très personnelle :

carré hollandais : quatre improvisateurs forment un carré ou une autre figure géométrique selon leur nombre. L'essentiel est que deux improvisateurs soient présents en avant-scène en permanence. Au coup de sifflet, ils vont se mettre à improviser ensemble sur un thème donné. Au second coup de sifflet, les improvisateurs changent de place dans le sens horaire, ce qui donner lieu à une nouvelle improvisation (sur le même thème). L'improvisation continue pendant plusieurs tours, permettant aux improvisateurs de retrouver plusieurs fois le même partenaire et de faire évoluer une intrigue. Chaque passage est rapide pour permettre à tous les improvisateurs d'avoir une certaine visibilité. Le maître de cérémonie imposera un rythme de plus en plus rapide à chaque improvisation jusqu'au coup de sifflet final.

Radio : le public va donner un nom de radio à chaque improvisateur (avec une thématique différente). Il vaut mieux pour les comédiens que le public invente un nom de radio pour lui permettre d'explorer un certain imaginaire. Il n'y a pas de faute en cabaret, mais un cliché plombe très facilement une improvisation.

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Il est encore une fois question de rythme : c'est le maître de cérémonie qui devra être assez habile pour distribuer équitablement le temps de parole aux improvisateurs en variant les sujets (débat, programme d'information, chansons...), la catégorie « zapping » peut en être une variante.

Quatre (à ajuster selon le nombre d'improvisateurs) manières de : le public donne une action simple à accomplir, et chaque improvisateur l'exécutera de façon différente. Un cérémonial tacite me semble ici être mis en place : il est de coutume que les improvisateurs commencent tous de dos, pour ne pas voir le passage des partenaires. Ils peuvent se mettre face public une fois leur passage effectué. La compétition ne se fait pas sur le mode du « renchérissement » comme dans d'autres formes (ex : danses urbaines).

Peau de chagrin : La même improvisation sera jouée plusieurs fois, sur un délai de plus en plus réduit. Le rythme qui s'accélère permet de redynamiser le spectacle, mais il arrive également qu'il soit utilisé en match ; cette catégorie faisant appel à plusieurs des ressources du comédien : il lui faut naturellement une bonne gestion du temps, et devra déterminer, lors du premier passage, quels ont étés les éléments-clés ayant permis de faire avancer l'intrigue pour les reproduire dans la version plus courte.

Cette catégorie a l'avantage d'offrir une première improvisation de qualité, puis de permettre à l'improvisateur un jeu de plus en plus débridé ou singulier. Au fur et à mesure des passages, la construction narrative ne sera plus l'enjeu principal, mais la capacité du comédien à se renouveler ou à varier dans un temps court ; c'est pourquoi cette catégorie arrive souvent en fin de spectacle.

3) Les catégories de style (aussi appelées « à la manière de »), dont Christophe Tournier établit une liste qu'il dit « exhaustive »179, et qui sont selon Jean-Baptiste Chauvin « déclinables à l'infini »180, font appel aux références culturelles communes aux acteurs et à la salle : on convoque un auteur, une personnalité, un cinéaste ou un genre cinématographique existant. Certains codes connus de tous permettent d'accroître la complicité des joueurs et de la salle. Mais cette catégorie peut permettre également à un joueur de briller de façon individuelle, la culture générale étant indissociable de la culture personnelle. Il montre sa capacité à prendre le lead* s'il maîtrise la catégorie, et doit donc soigner ses propositions si son partenaire d'en

179 Christophe Tournier, op. cit., p. 88-89.

180 Ibid., p. 69.

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face n'a pas la même perception du « style » convoqué, ou s'il lui est totalement inconnu. Il devra, dans ce cas, être très habile dans son écoute.

Caucus:(nm)

« Terme venant de l'anglais et désignant le temps de concertation donné aux équipes avant l'entrée en jeu. »181 En anglais, « caucus » désigne à l'origine une réunion à huis clos.

Telle est la définition donnée par Jean-Baptiste Chauvin. Voici celle que Christophe Tournier donne dans Le Manuel d'improvisation théâtrale :

Ce conciliabule est une séance de « brainstorming » d'une vingtaine de secondes. Le joueur qui a la plus forte conviction propose son idée. Les joueurs valident cette idée, sous l'égide du coach. Les joueurs effectuent un inventaire de tout ce que leur évoque le thème. Ils mettent en place les associations qui pourront par la suite les aider à dynamiser ce thème.182

J'ai rencontré et joué avec certains improvisateurs qui boudaient la pratique du caucus. Je leur donnerai volontiers raison s'ils se focalisaient sur cette dernière définition. Elle donne en effet peu de place à la spontanéité et n'encourage pas la prise de risques. Décréter une idée meilleure qu'une autre peut frustrer un joueur si son idée est refusée et est donc nuisible pour l'esprit d'équipe.

Cependant, le manque d'inspiration peut priver un joueur d'avoir une idée, pertinente ou pas. La « plus forte conviction » appartiendra donc au joueur qui lancera son idée en premier. Il n'y a pas de temps propice à en débattre de la pertinence de cette idée. Une fois que l'idée est sélectionnée, tout le principe du caucus consistera à s'entendre sur la façon de lui donner forme sur scène. Corentin Vigou parle de P.A.L (pour (personnage, Action, Lieu) ou, de façon plus humoristique - et donc pédagogique - le S.L.I.P (pour Situation, Lieu, Intention, Personnage).183

S'obliger à fournir ces informations permet d'avoir un caucus organisé, et les joueurs n'ayant pas fourni l'idée peuvent alors y participer, ce qui garantit un équilibre quant à la prise de parole.

La difficulté de définir précisément cette pratique est soulignée par Jean-Baptiste Chauvin :

« Il n'y a donc pas de recette pour que le caucus soit profitable, il faut juste prendre conscience de l'objectif commun qui consiste à donner au joueur qui va se lancer dans la patinoire, la confiance, l'énergie et les quelques éléments qui lui permettront de construire le match avec l'autre joueur »184

181 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 254.

182 Christophe Tournier, op. cit., p.56.

183 Entretien avec Corentin Vigou, 09 Avril 2018.

184 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 167-168.

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Corentin Vigou dit souvent qu'un bon caucus commence par cette phrase : « Ok, qui y va ? ». La première énergie est en effet l'inspiration et l'envie. Ainsi, un joueur qui se sent inspiré par le thème et la catégorie, et qui manifeste son envie d'entrer sur la patinoire commencera avec une énergie positive. C'est ainsi que nos caucus se sont déroulés le 09 Mars 2019, lors d'un match contre la Licoeur de Bordeaux : Une fois le thème énoncé, celui ou celle qui se sentait inspiré nous disait « J'ai envie d'y aller ». C'est ensuite à ses partenaires de lui fournir des éléments pour constituer son SLIP. De cette façon, la construction de l'improvisation reste équilibrée et demeure un travail d'équipe : cela incite le joueur à prendre de la distance grâce à une idée qui ne sera pas la sienne, sans pour autant lui retirer son énergie.

Les joueurs se mettent également au service d'une bonne improvisation lorsqu'ils laissent la place à ce joueur, même si certains peuvent se sentir frustrés de ne pas jouer, soit parce que la catégorie leur tenait à coeur, soit parce qu'ils ne sont pas entrés depuis longtemps sur la patinoire ou autre. Mais un joueur qui n'est pas sur la patinoire reste actif et attentif pour intervenir si besoin. Par ailleurs, le coach notifiant les passages de chacun de ses joueurs, un équilibre au niveau du rythme et du temps de passage de chacun peut être trouvé. Un coach attentif dira à un joueur qui n'est pas entré depuis plusieurs improvisations « à la prochaine, tu y vas ».

Coach :

« Personnage censé donner des idées pendant le caucus »185

Corentin Vigou m'a dit une fois que le coach était un sixième joueur. Que ce soit en match ou en cabaret, il exerce son rôle bien au-delà du temps de caucus : il a une fonction de médiation au sein de l'équipe durant tout le spectacle. Son équipement parfait est un chronomètre ainsi qu'un bloc-notes un stylo pour faire sa propre feuille de match et faire un état des lieux du match selon l'évolution de celui-ci. Bien qu'il soit possible, en cabaret, qu'une équipe puisse s'auto-gérer et se passer du coach, il me semble bénéfique de pouvoir s'appuyer sur un regard extérieur et donc plus objectif. J'en appelle, pour illustrer mes propos, à une expérience de joueur qui fut regrettable en Juin 2018 avec mes camarades de chez Impro Academy : la même équipe que le précédent cabaret en Décembre 2018 avait été réunis, et nous avions étés confortés par la qualité de notre prestation précédente. Cela nous avait mis dans un certain état de confiance, et même procuré une envie de prendre davantage de risques pour ce nouveau spectacle. Le résultat n'a pas été à la hauteur de nos espérances, et la majorité de nos improvisations étaient de piètre qualité. Ce sentiment de déception

185 Ibid., p. 255.

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est apparu environ après les trois premières improvisations, et a donné le ton à la globalité du spectacle.

Sans regard objectif, nous avons étés incapables de nous concentrer sur l'improvisation suivante pour tenter d'en améliorer la qualité, et nous perdions de précieuses secondes durant le caucus à débriefer de manière péjorative sur l'improvisation qui venait de s'achever. Comme nous sommes encore élèves, le maître de cérémonie tentait d'occuper le public afin de nous accorder du temps de préparation supplémentaire ; que nous avions davantage utilisé à débriefer sur l'improvisation précédente qu'à en préparer une nouvelle. Le caucus, dans ces moments-là, devient une épreuve difficile. Au bout d'un certain temps, à court d'idées pour repousser l'échéance, le maître de cérémonie nous avait demandé si les comédiens étaient prêts. Parce qu'arrive où un moment il faut véritablement se lancer, et parce que la discussion en cours ne menait à rien de productif, j'avais fait preuve de maladresse, voire de rudesse, en lui répondant « oui » J'interrompais alors un de mes camarades qui était en train d'énoncer une idée ou de débattre de la qualité de celle qui venait d'être exposée. Ce comportement, en débriefing d'après-match, m'avait été reproché par mon équipe à juste titre. Je suis persuadé qu'un oeil plus distant, et peut-être moins impliqué affectivement, aurait pu être bénéfique pour utiliser judicieusement le caucus et faire des improvisations davantage étoffées.

Le fait d'être distant affectivement des joueurs ne veut pour autant pas dire refuser tout implication dans le groupe. Être coach demande en effet de savoir jongler entre les qualités de chaque joueur, et de répartir équitablement leur temps de passage. Une complicité entre joueurs et coach me semble donc primordiale.

Cette conviction m'a récemment posé un problème de conscience ; officiant dans le cadre du trophée inter-collèges Culture et diversité, Impro Academy organise régulièrement entre collégiens de la métropole Lilloise des matchs. Pour l'un d'entre eux, un coach manquait à l'appel, et j'ai donc répondu présent.

Je ne connaissais aucun des joueurs ; mais toute la préparation du match, depuis la mise en place des chaises et de la patinoire jusqu'à l'échauffement, m'a permis de me faire connaître auprès de l'équipe dont j'avais la charge et donc d'instaurer une relation de confiance. Les intervenants étant tous membres d'Impro Academy, il a été aisé de m'entretenir avec eux pour discuter des modalités du spectacle. Avec cette première expérience, je rejoins Corentin par rapport à sa définition du coach, car je me suis senti responsable de la prestation offerte par l'équipe à laquelle j'appartenais.

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Lead :

Terme qui vient de l'anglais qui désigne le fait de conduire, de guider. Dans un spectacle d'improvisation, on dit d'un joueur qu'il prend le lead lorsqu'il prend une initiative qui va donner une piste aux partenaires à propos du lieu de l'action, des personnages proposés, ou qui apporte un nouvel élément permettant le développement d'une histoire. Dans une improvisation construite avec une grande écoute, plusieurs joueurs prennent le lead à tour de rôle.

Réserve (nf) :

Désigne un espace de l'aire de jeu dans lequel aucune improvisation ne se déroule. Dans un match, les joueurs ne peuvent plus quitter la patinoire, et se mettent donc en réserve, à l'abri de regards du public, lorsque leur personnage a fait une sortie ou qu'il y a eu une bascule. Dans un format cabaret, la réserve est également ce qui fait office de coulisses pour les improvisateurs. Ils se mettent sur un côté de la scène lorsqu'ils ne sont pas en jeu, et c'est également l'endroit dans lequel ils se concertent pour leur caucus.

Staff :

Inspiré du mot anglais qui signifie « personnel ». Dans un spectacle d'improvisation, le terme désigne l'ensemble des joueurs faisant partie du spectacle mais qui ne jouent pas les improvisations. Sont membres du « staff » les comédiens qui construisent le cadre du spectacle, tels le maître de cérémonie, le musicien, ainsi que l'arbitre et les assistants-arbitres qui sont présents durant un match.

L'histoire de l'improvisation théâtrale en France, ainsi que les transformations internes dans son fonctionnement, démontrent une évolution de la discipline : au fur et à mesure des usages et des cultures, le règlement a été modifié, et le langage s'est enrichi avec la création de nouveaux formats. Analyser le paysage de l'improvisation théâtrale dans les Hauts-de-France permettra d'analyser l'influence de ces évènements sur la pratique actuelle. Une étude de cas des structures les plus représentatives permettra de relever et de tenir compte des spécificités de ces compagnies, selon leurs organisations internes et leurs origines.

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III) Paysage et évolution de l'improvisation théâtrale dans les Hauts-de-France

« Des ligues amateurs qui sont liées à une ligue professionnelle, il y en a eu partout »186.

Jean-Baptiste Chauvin

Depuis que les ligues amateurs ont conquis une forme d'autonomie dans les années 90, les relations entre ligues amateurs et professionnelles sont faites de liens dont il est difficile de déterminer la nature précise. J'ai pu observer, par mon expérience et mes recherches, ce phénomène dans la région Hauts-de-France. La concentration des structures sur un seul et même territoire provoque, au fur et à mesure du temps, des rapprochements - parfois ponctuels, parfois durables - davantage entre les improvisateurs qu'entre les différentes ligues et compagnies. La multiplication des ligues est due, depuis la disparition de l'AFLI et de la LIFPRO, à une prise d'autonomie de certains artistes. Le même phénomène s'est produit dans la Région-Hauts-de-France, où l'on trouve la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, dirigée par Emmanuel Leroy, et la fédération Lille Impro, avec Philippe Despature a sa tête.

Avec l'école Impro Academy en son sein, Lille Impro a fait un pas de plus vers la démocratisation de l'improvisation théâtrale, en ouvrant une série d'ateliers dans les deux départements de la Région. Je suis entré dans cette structure en septembre 2017, en y suivant deux heure d'atelier hebdomadaires. C'est la curiosité, et l'envie d'approfondir ma pratique, qui m'ont amené à intégrer le Groupe d'Improvisation du Terril en septembre 2018.

Les cours qui sont donnés à l'école Impro Academy forment les élèves à la scène, aux différents codes des improvisateurs, et aux différents rituels des spectacles d'improvisation. L'école n'étant pas une ligue, certains des élèves, au bout de quelques années, qui souhaitent consolider leur expérience d'improvisateurs, tentent de rejoindre une ligue déjà existante ou créent une ligue à leur tour. En conséquence, il n'est pas rare de croiser des improvisateurs venus de différentes ligues ou compagnies, mais ayant reçu une formation chez Impro Academy. C'est, à mon sens, une bonne illustration de la nature du lien qui unit et réglemente la pratique de l'improvisation théâtrale de nos jours. C'est ce qui a rendu complexe le travail de filiation entre les structures.Ce lien s'étant complexifié avec le temps, il m'a fallu en étudier l'origine. J'ai donc rencontré différents protagonistes qui ont créé les ligues d'improvisations les plus influentes dans la Région : Emmanuel Leroy (ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul), et Philippe Despature (Scénosphère).

186 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

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Comédiens de métier, ils exercent aujourd'hui l'improvisation théâtrale aux côté de nombreuses ligues amateurs. J'ai pu m'entretenir avec des membres des deux plus anciennes ; Maxime Curillon et Florine Sachy, qui sont membres du bureau du Groupe d'Improvisation du Terril, et Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur.

Ces ligues amateurs sont, conformément aux propos de Jean-Baptiste Chauvin, issues des formations données par les professionnels de la ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul.

La Ligue d'improvisation de Marcq-en-Baroeul- 1992 Emmanuel Leroy

La Compagnie trompe- l'oeil- 1994 Philippe Despature

La Décade-1995

Groupe d'Improvisation du Terril depuis 2010 Maxime Curillon et Florine Sachy

La Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur - 1998
Arthur Pinta

Les improvocateurs

Les improlocos

Les George Clownettes

La Scénosphère
Philippe Despature

Impro Academy Philippe Despature

La Ligue Royale de Strandovie Corentin Vigou

Les imprononçables

ALICIA LANDSCHOOT

Ingénieure de formations

JULES GUILLEMETTE

Ingénieur d'affaires

FRANÇOIS SAMIER

Gérant - Commercial

PHILIPPE DESPATURE

Réf. pédagogique & artistique

JULIEN DESROUSSEAUX

Référent Scolaires

MAXIME GALLOT

Référent Particuliers

L'INSTANT T

LAURA PAVARD

Chargée de communication

FLORENCE DOMEDE

Chargée de diffusion

102

Organigramme de la Scénosphère, dans les Hauts-de-France. Image appartenant à la Scénosphère.

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III.1 : le paysage actuel de l'improvisation théâtrale dans les Hauts-de-France

La Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul est actuellement composée de plusieurs comédiens qui ont étés formés avec le théâtre-école, puis de comédiens professionnels qui sont venus renforcer ses rangs avec le temps.

Lorsqu'il était à la tête de l'Association Française des Ligues d'Improvisation, Emmanuel Leroy a pu prendre conscience des problématiques qu'impliquait la cohabitation entre amateurs et professionnels, et des différents conflits qui opposaient les improvisateurs. Cette expérience l'a conduit à construire sa méthode de recrutement : plusieurs membres actuels de la ligue ont étés membres pendant un temps du Groupe d'Improvisation du Terril. Il arbitrait et assistait à certains de ces matchs, ce qui l'a amené à contacter certains membres de la troupe pour intégrer la ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul :

Et c'est comme ça qu'il a approché Greg, Gérémy, Nicolas Tavernier, Audrey Boudon187... il a approché beaucoup de joueurs du GIT - qui étaient déjà des comédiens professionnels - à qui il a proposé de rejoindre la ligue de Marcq ; ou des non professionnels à qui il a proposé de devenir pros. Donc on s'est retrouvés pendant plusieurs années avec des comédiens de la Décade qui étaient dans la ligue de Marcq. Donc oui, il y avait des liens très forts. 188

Il entretient depuis des relations sporadiques avec les compagnies amateurs, pour des stages de formations afin de les laisser « partir dans d'autres directions »189, et recrute désormais uniquement des artistes professionnels. Les journées de recrutement auxquels sont convoqués des professionnels souhaitant intégrer la compagnie sont qualifiées de « stages-auditions »190 . Philippe Despature, resté pendant dix ans dans la ligue, avant de créer la Scénosphère, a été recruté pendant qu'il était en phase de professionnalisation, dans les années 90. Le point commun entre ces deux hommes se trouve dans leur rencontre avec l'improvisation théâtrale : Philippe Despature a également un parcours de comédien amateur avant de se spécialiser dans l'improvisation. Il connaît ses premières expériences de spectateur d'improvisation grâce aux matchs juniors qu'Emmanuel Leroy a mis en place depuis 1984 au Théâtre-Ecole de Marcq-en-Baroeul. C'est lors d'un stage d'improvisation en 1990 qu'il effectue son premier match. En parallèle de ses activités amateurs, il se professionnalise

187 Gregory Allays, Gérémy Credeville, Nicolas Tavernier et Audrey Boudon sont des anciens membres du Groupe d'Improvisation du Terril, qui ont étés par la suite joueurs à la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul.

188 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019.

189 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

190 Idem.

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en devenant lui-même formateur pour l'Union Française des Cadres des Vacances, et crée en 1994 l'Association Trompe-l'oeil pour donner ses propres ateliers d'improvisation théâtrale. La structure existe encore de nos jours. C'est devenu une ligue amateur. Elle était à l'époque de sa création une des seules structures à proposer l'improvisation théâtrale à l'extérieur de la ligue professionnelle : « À l'époque il y avait Trompe-l'oeil en ligue amateur, Marcq-en-Baroeul et la Décade, qui est devenue le GIT. C'était à peu près tout, ça a bien changé ! »191

En 1998, le territoire des Hauts-de-France s'équipe d'une nouvelle troupe avec la fondation de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur. Tout comme la Décade, crée en 1995 puis devenu le Groupe d'Improvisation du Terril en 1998, cette association d'origine étudiante se forme aux côtés de professionnels. A l'occasion d'une rencontre informelle avec un de ses membres, Marc Cavignaux, j'ai appris que c'était Laurent Dubois, un membre de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, qui a oeuvré à la construction de cette ligue. Le Groupe d'Improvisation du Terril, parce qu'il mêle comédiens amateurs et professionnels, a une réputation de troupe semi-professionnelle. Pourtant, Arthur Pinta, qui a découvert l'improvisation théâtrale dans des ateliers au collège, désirait au départ en faire une formation qui cadre davantage avec la pratique d'un loisir. Il s'est donc dirigé vers la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur. Il en est le président depuis 2017.

Les amateurs dans les années 90 ont inventé des formats qui les affranchissaient de la pratique originelle prônée par les professionnels. J'ai voulu en savoir plus auprès de ces protagonistes pour savoir quelle était leur vision de l'improvisation, et quel était leur ambition par rapport aux spectacles qu'ils produisaient. Mon point de départ était cette phrase d'Emmanuel Leroy :

Je pense qu'il y a des comédiens amateurs qui ont laissé tomber un peu la rigueur et l'esprit du match. Au niveau de la ligue, on a contribué à la formation d'un certain nombre de comédiens amateurs. Pendant des années - ce qui n'est plus le cas - on a été les garants de la qualité de la mise en scène du match. Il y a des ligues amateurs qui ont une vraie envie de faire de la qualité, qui s'entraînent, qui se forment, qui demandent des conseils, qui viennent voir les spectacles professionnels... donc il n'y a pas d'opposition entre les amateurs et les professionnels, il y a simplement des amateurs qui partent dans d'autres directions.192

191 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019.

192 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

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Les spectacles qui utilisent l'improvisation comme moteur ont tous comme origine le match. C'est pourquoi Jean-Baptiste Chauvin insiste sur la nécessité de garder l'esprit d'origine. Il a néanmoins été démontré, notamment grâce au catch, que le cadre qui entour le match d'improvisation théâtrale peut être transposé à une nouvelle forme de spectacle. Cependant, les comédiens qui composent le staff de chaque spectacle doivent une conscience solide quant au déroulé et doivent être capables d'assumer les fonctions de chauffeur de salle, d'arbitre, ou de relais entre joueurs et public pour qu'un spectacle reste de qualité.

C'est pourquoi j'ai choisi d'analyser l'organisation interne des troupes que j'ai pu approcher, soit par une participation active pour le Groupe d'Improvisation du Terril et la Scènosphère, soit en m'entretenant avec certains de leurs membres pour la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur.

Pendant une certaine période, les troupes fonctionnaient de manière similaire pour sélectionner les joueurs. En plus d'un bureau, dont la présence est obligatoire dans une association de loi de 1901, elles avaient dans leur structure un comité de Sélection baptisé « Comité Artistique » chargé de sélectionner les joueurs pour leurs différents spectacles. L'improvisation théâtrale attirant un public de plus en plus important, il est difficile pour des amateurs de les sélectionner uniquement sur un critère de qualité de jeu. En revanche, l'organisation d'un match d'improvisation demande un grand staff ainsi qu'une grande synergie. Peu d'amateurs, qui ont eu l'envie de pratiquer l'improvisation théâtrale en assistant pour la première fois à des spectacles, sont conscients de cette problématique et veulent obtenir rapidement une place au centre de la scène ou de la patinoire. Cette problématique de garantir un équilibre entre la vie artistique et la vie associative conditionne les différentes façons de procéder en termes de recrutement des membres.

La pratique de l'improvisation théâtrale s'étant démocratisée, les troupes ont un fonctionnement parfois similaire, parfois différent. J'ai choisi d'analyser cette organisation par rapport aux différentes méthodes de recrutement, à la sélection des joueurs et la pratique de l'improvisation au sein de chaque troupe, puis à l'organisation des spectacles et l'invention de nouveaux formats. Au terme de cette étude, les points communs et les différences relevées permettront de déterminer quels sont les aspects de l'improvisation théâtrale qui ont évolué en quarante ans, et pourquoi d'autres aspect ont conservé leur origine.

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III.2 : les méthodes de recrutement des troupes : des différences selon les origines

Chaque troupe a une méthode de recrutement spécifique qui s'est construite par rapport à l'histoire de sa création et de son évolution. Je me permettrai de détailler, avec l'accord des personnes concernées, la méthode du recrutement du Groupe d'Improvisation du Terril, à laquelle je me suis moi-même prêté. En discutant de ce sujet avec les protagonistes, je découvre qu'elle a évolué en fonction des transformations internes de la troupe. Je détaillerai ensuite la méthode de recrutement de La Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, qui, en raison du nombre élevé de ses membres, doit procéder d'une autre manière. Un troisième cas étudié sera celui de la Scénosphère, qui offre à ses membres l'occasion de pratiquer l'improvisation sous plusieurs formes, y compris en-dehors du domaine artistique.

Le processus de recrutement au sein du Groupe d'Improvisation du Terril s'est déroulé sur une journée entière, en Septembre 2018. Chaque personne qui souhaitait y participer manifestait son souhait par mail au bureau, qui, par retour, validait ou non cette participation. Cette journée était consacrée à un premier contact avec les membres du bureau et les formateurs, et également à pratiquer un ensemble d'exercices qui permettaient de découvrir les différents aspects de l'improvisation théâtrale. Le point de départ a été une série d'échauffement ludiques pour évoluer progressivement vers des exercices de construction d'une histoire, ainsi que de construction et d'incarnation de personnages. La troupe accueillant des personnes qui peuvent être extérieures au domaine de l'improvisation théâtrale, la méthode leur permet d'avoir un aperçu de ce qu'est la discipline.

Cette méthode de recrutement a été utilisée pour la première fois en 2013. Auparavant, la troupe fonctionnait comme une bande d'amis - ce qu'elle est à l'origine. Les relations que la troupe entretenait avec Emmanuel Leroy ont cependant fait évoluer la méthode de recrutement. Cette évolution, dans les circonstances, est directement liée à l'évolution de l'improvisation en elle-même, et à la séparation entre amateurs et professionnels qui a été opérée. Florine Sachy, actuelle secrétaire, et Maxime Curillon, actuel président, me racontent que jusqu'à cette date, le recrutement se faisait via un système de cooptation. C'était des connaissances des membres qui étaient acceptés au sein de la troupe. Cette méthode a fini par se heurter à un obstacle :

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Mais du coup, l'association ne se renouvelait pas beaucoup : on n'était qu'entre nous, et on se sentait du coup plus ou moins obligés de dire « oui » quand quelqu'un ramenait une personne, parce qu'ils étaient amis. Même si on sentait que ça n'allait pas forcément fonctionner, on ne se sentait pas de dire « non ».193

Le fait que ce soient des connaissances des membres du Comité Artistique, qui ont un lien fort avec la ligue professionnelle, peut fermer ses portes à d'autres personnes souhaitant découvrir l'improvisation théâtrale.

Le jour du recrutement, le fait de prendre la journée entière permettait à chaque candidat d'évoluer dans une atmosphère durable, reflétant la vie au sein de l'association. Le groupe d'Improvisation du Terril privilégie avant tout cet état d'esprit pour que la troupe puisse perdurer :« En-dehors du jeu, ce qu'on va évaluer, c'est l'esprit de troupe dont la personne fait preuve. »194 L'accent mis sur la vie associative permet à la troupe de se construire une identité propre, ce qui ne pouvait être possible quand ceux qui y entraient étaient uniquement des connaissances des fondateurs ou des membres. Cela participe également à renouveler les activités de la troupe : lorsque ceux qui y entrent n'ont pas de parcours professionnel, ils peuvent apporter une idée plus neuve de l'improvisation théâtrale. Cette méthode de recrutement est également révélatrice des valeurs de la pratique de l'improvisation théâtrale : tout comme le match d'improvisation a démontré l'intérêt d'être enseigné dans le domaine social, les exercices d'improvisation auxquels nous nous sommes prêtés permettaient de déterminer comment ils pouvaient se comporter lorsqu'ils devaient composer une scène avec un partenaire inconnu, ou de déterminer ce qu'ils choisissent de démontrer en construisant des personnages.

Á la différence du Groupe d'Improvisation du Terril, La Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur a conçu en son sein une série d'ateliers permettant aux adhérents de s'entraîner à l'improvisation théâtrale. Ils sont dispensés par les adhérents les plus anciens et les plus expérimentés, ou par des improvisateurs professionnels de façon sporadique. Á l'issue de ces ateliers, selon les niveaux auxquels les adhérents se sont inscrits, ils jouent un spectacle de fin d'année en guise de restitution d'ateliers. C'est également ainsi qu'Impro Academy fonctionne : les cours sont ouverts à tous, avec un spectacle format cabaret en fin d'année.

La raison pour laquelle ces structures utilisent des méthodes de recrutement peut s'expliquer selon la vision de l'improvisation théâtrale propre à chacune d'entre elles, et également des individus qui les ont fondées. Ainsi, Emmanuel Leroy a fixé comme condition obligatoire que ceux qui postulent

193 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019.

194 Idem.

108

à la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul soient en cours de professionnalisation ou évoluent dans un parcours professionnel au moment où ils postulent. Par rapport à la scission vécue entre amateurs et professionnels, c'est l'enseignement qu'Emmanuel Leroy a reçu de l'improvisation qui peut expliquer ce choix : au moment où il était l'un des premiers français à s'essayer au match d'improvisation théâtrale, il évoluait au milieu de comédiens professionnels. Il tient donc, comme les autres ligues professionnelles, à perpétuer cette vision de l'improvisation théâtrale qu'il a reçue. Il a été également été rappelé que les membres du staff et les joueurs avaient une grande responsabilité quant à la mise en scène et à la qualité de jeu. Il s'agit de comédiens étant habitués aux enjeux d'une scène. Simon Fache rappelle également que « comédien, c'est un métier, une formation. Et tout le monde ne peut pas jouer dans un Molière195. Enfin si, tout le monde peut : il faut une formation »196. Philippe Despature , de la Scénosphère, défend cette approche :

J'en vois beaucoup qui disent « on va faire de l'impro style Shakespeare, mais ce ne sera pas forcément Shakespeare », il y en a plein qui n'ont jamais lu Shakespeare, et qui vont ensuite t'expliquer comment faire une bonne [improvisation à la manière de] Shakespeare. Non : ils vont t'expliquer comment faire une Shakespeare qui va faire rigoler les gens, ça d'accord. Il y a une différence entre faire une impro à la manière de Shakespeare et faire un Shakespeare.197

Comédien de métier, Philippe Despature fait donc une distinction précise entre le théâtre et l'improvisation théâtrale. Á ses yeux, l'improvisation théâtrale reste néanmoins accessible à tous, parce qu'elle est avant tout récréative.198 Il a donc a choisi de développer ses propres ateliers dans la structure Trompe l'oeil, qui sont eux ouverts à des amateurs pour apprendre l'improvisation.

Il a quitté la ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul en 2006. La plupart des protagonistes que j'ai pu écouter à ce sujet font état d'un différend personnel entre lui et Emmanuel Leroy. En recontextualisant la querelle, il me semble que cette séparation est liée à l'histoire de l'Improvisation théâtrale en elle-même : Emmanuel Leroy, qui était membre de l'une des rares ligues professionnelles qui occupaient le territoire à l'époque, a toujours inscrit le match d'improvisation théâtrale dans un cadre professionnel. Philippe Despature, quant à lui, a commencé à enseigner l'improvisation en amateur, avec l'Union Française des Cadres des Vacances.

.

195 Une catégorie « à la manière de Molière », qui est une catégorie de style

196 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

197 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019.

198 Idem.

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Alors que les premières structures qui peuplent de nos jours la Région sont nées de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, Impro Academy, en formant des élèves à la scène et aux codes de l'improvisation théâtrale, a ouvert la voie à une nouvelle génération d'improvisateurs, dont l'intérêt pour la pratique s'est consolidé. Cette génération d'improvisateurs n'a pas connu l'improvisation théâtrale par l'intermédiaire de professionnels, la plupart des ateliers étant animés par les élèves les plus anciens. Ils souhaitent jouer et goûter à la scène, en supplément des cours qu'ils suivent. La création de ces ligues s'ajoute à la liste, déjà conséquente, des ligues amateurs situées dans les Hauts-de-France.

L'improvisation en amateur se pratique dans différents objectifs ; elle peut s'inscrire dans le cadre d'un loisir - soit avec des ateliers soit au sein d'une troupe - ou dans une volonté de perfectionnement. Cette nuance peut être interprétée comme significative par rapport aux relations entre les amateurs et les professionnels de nos jours. Emmanuel Leroy résume ainsi cette relation :

Par contre, comme on a beaucoup de demandes, on organise deux ou trois journées de stage pour des amateurs par an. Mais on a décidé de ne pas aller dans cette direction-là de manière régulière. Aujourd'hui du coup, les relations avec les amateurs sont plutôt lointaines : on en connaît certains, on sait que des ligues amateurs viennent nous voir en fonction des spectacles, mais on n'a pas de relation régulière. C'est à leur demande : quand ils ont besoin de quelque chose, on répond199.

Alors qu'Emmanuel Leroy me confiait que les ligues amateurs formaient leur nouveaux arrivants dans leur giron, les ligues qui ont étés formées par les professionnels prennent sur elles d'organiser des ateliers et des formations. C'est pourquoi la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur a mis en place ses ateliers internes, qui répondent à un double objectif : ils contribuent à ouvrir davantage la pratique de l'improvisation, mais constituent aussi un moyen de sélectionner les improvisateurs qui veulent participer aux spectacles.

À la différence de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, le Groupe d'Improvisation du Terril, insiste sur son souci d'organisation et de compatibilité entre membres, et privilégie un état d'esprit commun. C'est un des aspects auxquels Florine Sachy et Maxime Curillon sont très attentifs pendant le processus de recrutement :

En regardant leur jeu, on essaie de voir s'ils font beaucoup de clichés, s'ils sont capables de sortir des personnages un peu originaux et justes, mais on ne va pas regarder un niveau de jeu : quelqu'un qui s'est planté, qui peut paraître nul ou faire un gros bide devant un public, ça ne

199 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

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nous dérange pas. On préfère ça à quelqu'un qui improvise depuis longtemps mais qui serait bourré de mauvais réflexes, ce qui sera beaucoup plus dur à déconstruire.200

Ces deux troupes amateurs des Hauts-De-France se retrouvent donc dans un processus de recrutement, où l'expérience en improvisation théâtrale n'est pas considérée comme une valeur. C'est grâce à des entraînements internes que les joueurs peuvent ensuite se perfectionner.

La compagnie Trompe-l'oeil a été fondée par Philippe Despature avant qu'il n'intègre la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. Ce sont les premiers ateliers qui sont donnés au sein de cette troupe qui favorisent la création de l'école Impro Academy, pour répondre à une demande de plus en plus importante :

Á un moment, on crée Impro Academy chez Trompe-l'oeil, j'en étais encore un peu membre. C'est moi qui ai mis en place les ateliers dans l'association : par rapport au statut, c'était plus simple au niveau du bénévolat, etc. et à un moment il a fallu se séparer : les gens qui faisaient partie d'Impro Academy pensaient que, comme ils étaient au nom de Trompe-l'oeil, ils feraient les Improvisators un jour ; ça crée des frustrations parce que ce n'est pas forcément le cas. On

essaie de mettre un cadre, mais ce n'est pas clair, donc on se dit que ça ne marche pas et qu'il faut se séparer201.

Les deux structures se séparent en 2010. Á ce jour, les compagnies majeures de la Région ont donc une structure de formation et une structure de création de spectacles bien distinctes, à l'exception du Groupe d'Improvisation du Terril. Néanmoins, un entraînement hebdomadaire est dispensé à ses membres. Cette organisation permet d'offrir une pratique de l'improvisation théâtrale tant pour ceux qui y voient un loisir que pour ceux qui y cherchent un perfectionnement de leur pratique théâtrale. Elles permettent ainsi aux débutants qui veulent jouer d'avoir une formation. Le cas de la compagnie Trompe-l'oeil est également révélateur de ce fonctionnement, et c'est pourquoi la séparation entre les cours et la troupe a été nécessaire, afin que la troupe soit composée d'improvisateurs bénéficiant d'une certaine expérience. C'est également ce qui encourage la multiplication des troupes sur notre territoire : les improvisateurs ayant reçu une base par rapport aux cours peuvent entrer dans des ligues afin de jouer des spectacles ou créer eux-mêmes une ligue.

La façon dont l'improvisation théâtrale est envisagée, soit en tant que loisir, soit en tant que possibilité de perfectionnement, a une influence sur l'organisation interne de ces ligues. Dans les Hauts-De-France, je distinguerais trois types de ligues différents :

-une ligue professionnelle (la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul)

200 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019.

201 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019.

111

-les premières ligues amateurs : la compagnie Trompe-l'oeil, le Groupe d'Improvisation du Terril et la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur

-et les ligues qui se sont formées à l'initiative d'amateurs expérimentés, comme les Imprononçables - formés par des personnes issues d'Impro Academy - ou les Improvocateurs - groupe créé par des personnes ayant fait leur formation à la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur.

Je m'attacherai, pour la suite de ce mémoire, à analyser les organisations internes de ces compagnies, afin d'étudier les changements et nuances qui opèrent selon la vision de l'improvisation théâtrale de chacune de ces compagnies. Je me focaliserai ensuite sur la structure de la Scénosphère et ses différentes antennes: l'enseignement avec Impro Academy, les formations scolaires, sociales et en entreprise avec Les pieds sur scène, ainsi que la fédération professionnelle Lille Impro. J'illustrerai cette étude par des récits et analyses de mes propres expériences au sein de cette structure, tant comme élève qu'intervenant en atelier.

III.3) Les organisations internes des compagnies

La ligue d'improvisation de Marcq-en-Baroeul est née, à l'image de la majorité des ligues professionnelles sur notre territoire, du rassemblement d'un noyau d'individus qui ont évolué chacun dans un milieu professionnel avant de se réunir. C'est pourquoi la plupart des comédiens qui en sont aujourd'hui membres ont d'abord rencontré Emmanuel Leroy dans un cadre personnel. Je citerais à titre d'exemple Simon Fache, qui est entré dans la ligue en exerçant sa profession de musicien : il connaissait un des pianistes membre de la ligue, qui lui a demandé un jour de venir pour effectuer un remplacement. C'est ce qui a provoqué sa rencontre avec le directeur artistique.202 Au même titre, Philippe Despature l'a rencontré dans le cadre professionnel :

Un jour, Emmanuel Leroy a accepté que j'entre dans la Ligue parce que j'avais bossé avec une
troupe professionnelle où j'étais assistant. Et eux faisaient partie de la ligue. J'avais croisé

Emmanuel plusieurs fois, puis il m'a dit un jour que je pouvais entrer dans la ligue. Là, ça se passe très bien. Emmanuel avait besoin de bien connaître les gens.203

202 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019

203 Entretien avec Philipppe Despature, 25 Mars 2019.

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Au même titre, les comédiens qui ont étés approchés venant de la compagnie La Décade étaient déjà issus du milieu professionnel. Mon hypothèse est que, en rapport avec la séparation entre amateurs et professionnels - qui engendre une grande différence par rapport à la formation et à la pratique - Emmanuel Leroy tenait à garder l'identité des premières ligues professionnelles françaises.

La pratique ayant évolué, les professionnels ont comme devoir de la réinventer, de la requestionner en tant que pratique artistique. Ils perpétuent en cela l'héritage de Robert Gravel. Emmanuel Leroy insiste sur son exigence de travailler avec des comédiens ayant déjà une expérience de la scène.

Il m'a détaillé les activités internes de la compagnie de la manière suivante :

On a trois axes de travail : le premier axe, c'est d'inventer des concepts de spectacles théâtraux improvisés[...]Le deuxième axe de travail, c'est d'inventer des spectacles improvisés avec des disciplines différentes du théâtre, ou en mélangeant des disciplines. [...] Le troisième axe de travail, c'est quand on met l'improvisation au service d'autre chose. C'est-à-dire que ce soit au service des entreprises, des associations, des collectivités, des mairies, des hôpitaux, des prisons, etc.204

La recherche de « concepts » de spectacles improvisés est confiée aux improvisateurs de la ligue qui ont une carte blanche pour créer ces formats et montrer leurs propositions. J'ai pu m'entretenir, pour évoquer un exemple, avec Simon Fache pour la création d'un spectacle intitulé C'est arrivé près de chez nous. :

La charpente de ce spectacle est née de la volonté de trois individus : Simon Fache, Pierre Lamotte et Jacky Matte, qui ont utilisé le cadre du spectacle d'improvisation en modifiant l'ambiance générale. On y retrouve en effet la mécanique de la participation du public - qui amène les thèmes grâce à des coupures de journaux - , un accompagnement musical avec Simon Fache pour rythmer les improvisations et leur donner une ambiance sonore, ainsi que des comédiens jouant des clients de bistrot au premier degré d'incarnation, puis en jouant d'autres personnages pendant leurs improvisations. L'ambiance de ce spectacle, en raison du décors et de la source des thèmes - qui sont des faits divers - est légère et conviviale. Le seul en scène de l'improvisateur Jérémy Zylberberg est un exemple où l'ambiance est différente. Ce spectacle ayant été joué uniquement dans le cadre du festival, il n'a pas été repris. Simon Fache l'a néanmoins évoqué : l'improvisateur incarnait différents personnages qui, au fur et à mesure de l'avancée de l'intrigue, étaient liés soit par une histoire commune soit par un secret. C'était un spectacle Long form, ce qui implique que le rythme est plus complexe à maîtriser que dans une improvisation courte. C'était l'histoire de quatre

204 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

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membres d'une même famille, dont les secrets qu'ils ne souhaitaient pas dévoiler étaient au fur et à mesure révélés. La long form modifie la participation du public, qui a malgré tout eu une influence sur le déroulé du spectacle, en proposant au comédien les caractéristiques de chaque personnage.

Ces deux exemples illustrent le fait que le cadre et la mécanique d'un spectacle d'improvisation peuvent être utilisés pour monter des spectacles aux propos différents. Le deuxième axe de recherche de la ligue nordiste consiste à tester cette mécanique sur d'autres disciplines que le théâtre.

Il a donc été créé un spectacle intitulé Piano Battle, à l'initiative de Simon Fache : « C'est un spectacle qui ne peut exister que parce qu'on a un certain nombre d'années d'histoire au sein de la ligue avec Jacques205, l'autre pianiste ».206 Cette phase de recherche s'inscrit également dans les phases de création qui ont été pensées par et pour des personnes, car le format fait appel à une discipline spécifique, et ne peut donc être joué par des personnes étrangères à la pratique du piano. Le spectacle était conçu à l'origine pour le Lille Piano Festival avec l'Orchestre de Lille. Simon Fache jouait ce spectacle avec Auxane Cartigny, un jeune pianiste. À l'origine, le cadre dans lequel les musiciens évoluaient et les thèmes donnés étaient inspirés d'images ou de personnages provenant du jeu vidéo Dofus. Il s'agit d'un jeu vidéo type multi-joueurs en ligne. Simon a l'idée de croiser le concept avec les formats de battle d'improvisation qui sont déjà joués au sein de la ligue, qu'il s'agisse du match ou du catch. Auxane Catigny ayant quitté la Région, il a été est remplacé par Jacques Shab.

En discutant avec Simon Fache, j'ai avancé l'hypothèse que, si ce spectacle ne pouvait exister que grâce à un certain passé qu'ont vécu les deux pianistes au sein de la ligue de Marcq-en-Baroeul, c'était parce que les deux pianistes avaient besoin de bien connaître le partenaire et son style de jeu, afin qu'ils puissent réussir à s'entendre pendant les improvisations. Il m'a répondu que cette connaissance n'était pas forcément nécessaire, pour peu que les deux pianistes aient eu l'occasion de se mettre d'accord207. Si ce genre d'initiative naît au sein de la ligue, c'est parce que les deux pianistes partagent les mêmes codes d'improvisation et ont un entraînement derrière eux à ce genre de pratiques. Simon Fache m'a détaillé le déroulé de ce spectacle, et il contient en effet bon nombres de similarités avec le match d'improvisation théâtrale : les improvisations musicales sont soit de nature comparée ou mixte, autrement dit à quatre mains. Chaque pianiste a également le même thème en « comparée », ou parfois une variation. Simon Fache illustre cette idée par un exemple : « Il y a des catégories séparées : chacun deux ou trois minutes, soit sur le même thème,

205 Jacques Shab est pianiste à la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul.

206 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

207 Idem.

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soit parfois sur des thèmes proches ou opposés. Par exemple : le thème sera « La valse des vampires » pour Jacques Shab et « Le tango des vampires » pour moi.208. Le thème peut également être exécuté de différentes façons, chaque pianiste se voyant imposer un style musical à respecter. J'en ai conclu que c'était un spectacle durant lequel il fallait suivre le partenaire et écouter la proposition qu'il est en train de faire. Simon Fache a remarqué que ces mots pouvaient être appliqués à la description d'un spectacle d'improvisation théâtrale. On retrouve en effet un cadre similaire au match : les fonctions de maître de cérémonie et d'arbitre sont assumées par le chef d'orchestre, qui est chargé de gérer le temps du spectacle et des improvisations, ainsi que de donner les thèmes et les catégories. Les deux pianistes doivent également effectuer le travail d'écoute et de création similaire à un improvisateur lors d'un match d'improvisation : il donne tantôt une proposition à destination de l'adversaire pour que les deux pianistes improvisent ensemble, ou chacun improvise l'un après l'autre sur le même thème. Les styles musicaux peuvent quant à eux être comparés aux différentes catégories imposées aux comédiens pendant un match d'improvisation. Cependant, les catégories du match sont des contraintes formelles que chacun peut suivre, ou les catégories de style vont permettre à un improvisateur d'utiliser sa culture générale pour improviser.

L'intérêt de croiser l'improvisation théâtrale avec d'autres disciplines peut donc permettre à ceux qui pratiquent la discipline en question de l'explorer davantage ou sous des angles différents. Cependant, c'est le cadre qu'a offert le match d'improvisation théâtrale qui permet, grâce à l'urgence et les contraintes qui en découlent, d'effectuer une recherche plus approfondie quant à cette discipline. Emmanuel Leroy a essayé également de croiser l'improvisation théâtrale avec les disciplines du cirque dans un spectacle intitulé battle de cirque. Il m'a confié, pendant notre entretien, une difficulté à trouver des acheteurs pour le promouvoir. Rien de plus n'a été dit au sujet de ce spectacle, il me paraît cependant intéressant d'émettre une hypothèse concernant cette difficulté qui expliquerait quelle est la limite de l'improvisation théâtrale.

Une analogie courante existe entre l'artiste de cirque et l'improvisateur. Beaucoup d'improvisateurs utilisent le champ lexical du cirque, ou la métaphore du cirque, pour évoquer le risque pris par l'improvisateur. Simon Fache m'a dit, par exemple :

En ce moment, je suis musicien de cirque. Et le spectateur qui vient voir de l'improvisation est le même qui vient voir un numéro de cirque : tu prends un funambule : que le fil soit à 8 mètres de haut ou à 20 cm du sol, techniquement, c'est pareil. Sauf qu'à 20 cm du sol, ce n'est pas

208 Idem.

115

impressionnant. Ou il faut que le numéro soit fou. Tu mets le fil à 8 mètres, il ne fait que marcher, et là ça fonctionne.209

Il me paraît également intéressant d'évoquer à nouveau le Grand Cirque Ordinaire, qui évoluait comme troupe de théâtre expérimental en même temps que les Jeunes Comédiens à Montréal. Les comédiens se présentaient comme des acrobates par rapport à l'aspect impressionnant de ce qui était présenté au public, mais Raymond Cloutier, un des membres de la troupe, insistait sur le fait qu'ils n'improvisaient pas en public.

Lorsqu'il est musicien de cirque, la fonction de Simon Fache est similaire à celle du musicien de match : il a pour tâche de mettre le public dans une énergie positive ou conforme à la nature du numéro, et rythme également les temps entre chaque improvisation. À mon avis, la raison des difficultés rencontrées à croiser l'improvisation théâtrale et le cirque est donc due au fait que les deux cadres sont trop similaires pour pouvoir interroger et explorer les deux disciplines, ou proposer un spectacle d'un genre nouveau. Le cadre du cirque obéit en effet un rituel et un cérémonial très solides, qui se suffit à lui-même, et qui convoque la prouesse et le dépassement de soi sans recourir au dispositif de la compétition.

Il résulte donc des différents axes de travail de cette ligue par rapport au cadre de l'improvisation théâtrale. Alors que j'avais évoqué précédemment les nouveaux formats crées par les amateurs pour pratiquer l'improvisation théâtrale en autonomie, les professionnels ont vu pendant ce temps émerger des formes plus libres, mais dont le cadre reste comparable dans la forme. Cependant, les cadres inventés par des amateurs se heurtent, pour certains professionnels, à la problématique de se contenter uniquement de la forme au détriment du fond. Dans un article, Jean-Baptiste Chauvin a réagi face à ce phénomène :

L'argument premier, c'est d'inviter le spectateur à venir voir des improvisateurs se mettre au défi de créer des histoires en direct. Mais quelles histoires vont-ils voir, à quels personnages peuvent-ils s'accrocher pour se motiver à venir ? A de rares exceptions près, aucune. Alors on se raccroche aux comédiens, ou à la forme. [...] Mais le plus souvent, nous avons une promesse de forme, mais pas de promesse de fond.210

La forme offre au comédien d'accomplir une performance, mais c'est le manque de contenu que Jean-Baptiste Chauvin déplore lors de certains spectacles. Ces spectacles utilisant le même matériau, ils peuvent donner une identité tronquée de l'improvisation théâtrale entre les

209 Idem.

210 Jean-Baptiste Chauvin, Impro:à fond la forme !, disponible sur

https://www.improforma.fr/single-post/2019/01/21/Impro-%C3%A0-fond-la-forme [consulté le 06/05/2019].

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improvisateurs amateurs qui se donnent à un loisir - qui sont actuellement en majorité - les improvisateurs perfectionnistes et les professionnels. Un public non initié pourrait alors se retrouver déçu. Simon Fache m'a raconté un témoignage à ce sujet :

Une fois, quelqu'un m'a dit qu'il a été voir un match dans un café. Ce n'était pas Marcq-en-Baroeul . Il me dit que c'était sympa, mais sans plus. Je lui conseille alors d'aller voir Eric Leblanc211 improviser en alexandrins sur un match[...]Après c'est l'impro telle qu'elle est aujourd'hui, et on ne peut absolument pas empêcher les gens de faire ce qu'ils veulent, au contraire c'est tant mieux. [....] il y a des gens qui font la différence mais qui n'aiment pas les matchs professionnels parce que c'est trop intellectuel. Mais au moins, ils ont vu les deux. 212

Il y a donc une distinction faite entre deux façons de pratiquer l'improvisation théâtrale, ce qui m'amène à nuancer les propos de Philippe Despature : « Il n'y a pas beaucoup de disciplines où finalement, même si le terme n'est pas défini, on dit juste qu'on fait de l'impro, on fait un peu comme on veut. Eh ben ça marche. Après c'est à chacun de voir jusqu'où il pousse son exigence ».

Cette différence quant aux exigences et motivations des différents improvisateurs hiérarchise les différents niveaux de formation qui sont offerts par les structures des Hauts-De-France.

Parmi les pôles de formation à destination des amateur dans la région Hauts-de-France se trouvent les ateliers dispensés par la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, et les ateliers mis en place au sein d'Impro Academy. J'ai pu recueillir ces informations grâce à des entrevues avec Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, et Philippe Despature, directeur de la Scénosphère qui s'occupe de la gestion d'Impro Academy.

Il a fallu séparer les ateliers dispensés au sein de la compagnie Trompe-l'oeil pour distinguer les joueurs des élèves, mais également organiser les différents ateliers en fonction des demandes. Actuellement les ateliers d'Impro Academy sont divisés en plusieurs niveaux : le niveau jeunes, le niveau débutant, le niveau loisirs et le niveau compétence. Ce dernier niveau est lui-même divisé en trois groupes. Pendant une certaine période, ces trois groupes étaient organisés en fonction des niveaux de jeu de chacun et étaient appelés groupes un, deux et trois. Ils sont désormais rebaptisés groupes « auteurs », « comédiens » et « metteurs en scène ». Philippe Despature m'a expliqué les raisons de ce remaniement. Elles sont révélatrices de la difficulté à évaluer le niveau d'une pratique artistique répandue :

211 Eric Leblanc est joueur à la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul.

212 Entretien avec Simon Fache, 25 Février 2019.

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On s'est rendu compte que les niveaux 1,2,3, ça ne marchait pas ; ça donne une certaine impression aux « niveau 3 », ça frustre les « niveau 1 »... du coup on s'est dit que finalement, ce serait mieux de penser en terme de besoins. Tu as des gens qui sont de très bons auteurs, mais

très mauvais comédiens : ils ont plein d'idées sur le côté, mais ils ne savent pas les exprimer, les jouer....213

Progressivement, en passant du niveau débutant au niveau loisirs, les élèves abordent les notions de bases de l'improvisation théâtrale, qui sont à mon sens l'écoute et la construction du personnage. Lors des restitutions d'atelier appelées academyades, les élèves abordent les catégories que j'ai appelées « catégories d'échauffement » dans le lexique. Philippe Despature insiste cependant sur la notion de subjectivité dans l'improvisation théâtrale. Cette subjectivité intervient donc dans la construction des ateliers que les professeurs donnent.

Lorsque je suis entré chez Impro Academy, j'avais deux ans d'expérience en improvisation. Je suis donc entré dans le parcours Loisirs. Durant cette première année, la notion de « besoins » dont parle Philippe Despature a été prise en compte par Corentin Vigou, qui était mon professeur durant l'année 2017-2018. Je pourrais également parler d'exigences et d'envies.

Á mon sens, le « parcours loisirs » convient à des gens ayant une expérience théâtrale d'ateliers. Il les prépare cependant aux spectacles de fins d'années, qui n'ont pas cours dans les ateliers débutants. Le parcours compétences, avec les trois aspects qui sont travaillés que j'ai évoqué, préparer les élèves à des improvisations plus construites en termes de narration et de scénario, ce qui nous pousse à travailler autant le fond des histoires improvisées que la forme. En fonction des envies de chacun en parcours loisirs, Corentin Vigou a néanmoins travaillé avec nous des catégories de style*. Elles posent un cadre plus solide, mais également des contraintes plus formelles.

C'est l'identification des capacités, des besoins et des exigences des élèves qui ont amené Corentin Vigou à nous faire travailler ces catégories, les ateliers étant accessibles à tous. Selon Philippe Despature :

Ce qui est intéressant dans l'impro et notamment chez Impro Academy, c'est que le niveau d'exigence des élèves augmente : avant, une soirée cabaret allait à tout le monde. Mais plus il y a du monde, plus les gens changent, ils ont envie d'avancer, d'aller plus loin, et la recherche et l'exigence augmentent214

213 Entretien avec Philipppe Despature, 25 Mars 2019.

214 Idem.

118

C'est ce qui rend le travail pédagogique important pour un professeur officiant chez Impro Academy : la constitution du groupe est la première problématique à laquelle tentent de répondre les premières séances. Lorsque j'étais en groupe loisirs, deux critères ont été déterminants à mon sens : le premier critère était que la plupart des élèves se connaissaient, car ils étaient issus d'ateliers antérieurs. Le deuxième critère, que j'ai déjà évoqué, est que les élèves avaient déjà une expérience d'ateliers en improvisation théâtrale, et souhaitent donc s'aventurer dans des catégories qui permettent la construction d'histoire. C'est ainsi qu'avec mon groupe, j'ai été amené à suivre des enseignements sur les catégories de style « Soap Opera » ou « Contée ».

J'évoquerais ici une nuance qui me parait fondamentale lorsqu'on apprend l'improvisation théâtrale, entre les « codes » et les « clichés ». Selon la culture de chacun, la catégorie de style n'est pas abordée de la même manière. D'un point de vue pédagogique, les élèves doivent s'accorder sur les codes récurrents de telle ou telle catégorie. Il faut également qu'ils soient clairement identifiables pour le public. Á la différence des clichés, les codes peuvent être assimilés à des ressorts narratifs qui permettent à l'improvisateur de construire une improvisation grâce à des motifs récurrents, et qui lui servent d'outils pour construire un personnage, définir un lieu et une situation. Ces trois éléments sont également définis durant le caucus. Le professeur d'improvisation qui fait travailler ses élèves sur une catégorie de style a un regard similaire à celui de l'arbitre de match lorsqu'il énonce ces catégories : si elles sont obscures pour des improvisateurs, il a la responsabilité de faire savoir ce qu'il entend par ces catégories, quels enjeux doivent apparaître, quels types de personnages sont mis en scène, ou quelle ambiance l'improvisation instaure.

Au fur et à mesure des académyades auxquelles j'ai participé avec le groupe loisirs, le professeur nous a laissé davantage de libertés, et par conséquent des responsabilités : il y a eu trois spectacles sur l'année.

Le premier spectacle était jalonné avec des catégories d'échauffement, qui nous incitaient davantage à la performance qu'à la construction narrative. Le deuxième spectacle mélangeait les catégories d'échauffement et les catégories de style. Durant le troisième spectacle, nous avions à notre disposition une liste de toutes les catégories qui avaient étés étudiées au long de l'année. Il était de notre responsabilité d'improvisateurs de les utiliser pour construire notre improvisation ou faire des improvisations en catégorie libre.

Le dernier spectacle s'est déroulé en Juin 2018, et n'était guère satisfaisant. Á mon sens, nous avions trop utilisé les catégories que nous maîtrisions, et nous en avions oublié la construction d'une histoire. Le caucus avait été très peu utilisé, parce que nous connaissions les codes de ces catégories, et nous nous étions moins préoccupés de faire progresser une intrigue que de reproduire

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des actions que nous savions déjà faire. Ces travers interviennent lorsque l'improvisateur oublie les trois notions qui composent les différents axes de travail du groupe Compétence.

Le travail d'improvisateur regroupe en effet les fonctions exercées simultanément d'auteur et d'acteur. Gil Galliot, un de fondateurs de la Ligue d'Improvisation Française, en a témoigné dans sa préface de l'ouvrage Impro, Improvisation et théâtre de Keith Johnstone :« Par essence, l'improvisateur est un acteur-auteur puisqu'il produit, en même temps que sa prestation scénique, un texte nécessaire à l'incarnation d'un personnage ainsi qu'au développement d'une situation pour aboutir - enfin si possible - à la construction d'une histoire.»215 .Le groupe des élèves en Compétence et donc divisé en trois catégories qui font travailler aux élèves ces deux notions, puis un troisième groupe dans lequel ils apprennent à utiliser les deux outils avec l'enseignement de Philippe Despature: « Donc c'est pour ça qu'on a fait compétence 1 plutôt auteurs, compétence 2 plutôt comédiens, et compétence 3 plutôt des gens qui ont réussi à matcher un peu tout ça et qui veulent chercher autre chose. »216

Philippe Despature, comme Corentin Vigou et la majorité des intervenants d'Impro Academy, ont pris le temps durant les premières séances d'identifier les capacités et les besoins des élèves pour construire leur programme en conséquence.

J'ai émis l'hypothèse que, jusqu'à présent, les catégories d'échauffement et les catégories de style avaient étés travaillées dans les autres ateliers. Les catégories d'échauffement mettent davantage en avant les outils d'un comédien par l'utilisation gestuelle, et les catégories de style font travailler la dimension auteur, afin de construire des situations plus précises et plus identifiables qui peuvent évoluer.

Les élèves du parcours Compétence Metteurs en Scène apprennent à utiliser les outils acquis, mais désormais sans l'aide des catégories. Lors des académyades de cette année, aucune catégorie ne nous était imposée par le maître de cérémonie, et aucune liste n'était à notre disposition. Il reste cependant à notre liberté d'utiliser une catégorie qui nous semble adaptée au thème donné pour nous aider à construire notre charpente ou de donner de façon formelle une dynamique à notre improvisation. Mais la catégorie devient à ce moment pour l'improvisateur un outil de construction et non une contrainte. Nous sommes donc encouragés à faire davantage de catégories libres, en utilisant les outils de l'improvisation qui nous ont étés enseignés.Divers codes nous permettent également d'évoluer et de construire nos personnages. En plus de la bascule, Philippe Despature nous a fait travailler la caricature et les changements de status217, qui définissent l'influence ou le

215 Keith Johnstone, Impro, improvisation et théâtre, Paris, Ipanéma, 2013, p. 9.

216 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019

217 Terme anglais qui définit la position d'une personne par rapport à une autre personne ou un autre groupe.

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pouvoir qu'un personnage a sur un autre.. Ce sont principalement deux outils qui permettent de travailler un personnage, qui est donc davantage du ressort du travail de comédien que de celui de l'auteur.

Le travail de caricature consiste à exagérer volontairement le ton, l'émotion, ou la posture physique d'un personnage afin de le rendre identifiable. C'est, à mon sens, la base du travail d'improvisateur : si le personnage ressent une émotion facilement identifiable, il est plus aisé de construire une situation qui aurait provoqué cette émotion. Le travail de caricature a consisté également à varier le niveau d'exagération afin de pouvoir évoluer et d'être davantage disponible pour réagir à des accidents qui surviennent durant une intrigue.

Le basculement des status a été théorisé par le Britannique Keith Johnstone, qui a inventé le theatersports dans les années 70. Il pourrait être aisé de traduire cette notion par une relation de dominant à dominé, mais Keith Johnstone étant professeur, il a préféré utiliser ce terme, qui était moins violent du point de vue pédagogique. Le status haut et le status bas aident les personnages à définir leurs identités et la relation qui les unit. Nous avons appris pendant cette année à basculer les status de nos personnages durant une improvisation en cours. Cela a pour conséquence de faire évoluer la relation entre ces personnages, ce qui peut provoquer une péripétie dans la narration et donc faire évoluer l'intrigue.

Avec ces exemples d'outils qui nous sont transmis, Philippe Despature nous incite à travailler nos personnages et à les faire évoluer sur scène. C'est là qu'est l'intêret des académyades, nous permettant d'expérimenter ces outils et de vérifier si nous sommes désormais à même de nous en servir. Le statut d'école d'Impro Academy permet cette dimension d'expérience dans le sens où le public sait que c'est une restitution d'atelier. Il s'instaure donc une dimension de travail en cours qui nous incite à tenter des expériences sans craindre un échec.

Le travail d'école exercé par Impro Academy diffère de celui des troupes amateurs, car il n'est pas destiné à produire et à mettre au point des spectacles. Il existe cependant au sein de la structure une troupe nommée Team Impro Academy, qui accueille les élèves ayant quatre années au moins d'expérience en improvisation théâtrale et qui sont issus de ces ateliers. Aux dires de Philippe Despature, elle représente une vitrine d'Impro Academy. La forme d'une troupe lui permet d'occuper une place dans le paysage de l'improvisation théâtrale dans les Hauts-de-France.218, en rencontrant d'autres troupes ou en faisant d'autres spectacles sous forme de catch ou de cabarets.

218 Idem.

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Une certaine expérience de la part des improvisateurs qui en sont membres est exigée, et on entre donc dans cette troupe à l'issue d'un casting. Le casting se présente sous la forme d'une académyade sans catégorie. Cependant, les participants sont observés par un jury composé de trois membres et ont chacun un passage seul en scène imposé durant trois minutes. J'ai interrogé Philippe Despature quant à la composition du jury, qui est similaire depuis quelques années. Lorsque que j'ai passé le casting, il était composé de Rémy Vertain, qui a commencé en prenant des cours au sein des ateliers d'Impro Academy . Il est depuis professeur au sein d'un de ces ateliers et intervenant pour des prestations en milieu social, scolaire et dans les entreprises. Les deux autres membres du jury étaient Michael Wiame et François Marzynski, tous deux comédiens et metteurs en scène mais non improvisateurs. Ces deux connaissances de longue date de Philippe Despature apportent une nuance intéressante par rapport au travail d'improvisateur, en tant que comédiens. Ainsi, Philippe me disait que François Marzynski a un point de vue mitigé sur a pratique de l'improvisation théâtrale, en tant que comédien professionnel : il est davantage sensible à la position d'artiste qui monte sur scène parce qu'il a des choses à dire219. Ce point de vue met également en lumière la problématique de l'absence de fond que l'on peut retrouver dans certains spectacles d'improvisation.

On peut rapprocher le système de formation des improvisateurs chez Impro Academy à celui qui est dispensé au sein de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur . Cette dernière dispose de trois niveaux d'ateliers : le groupe débutants s'adresse à ceux qui font leurs premières expériences en improvisation théâtrale, le groupe « espoirs » s'adresse à ceux qui veulent compléter leurs expérience, et le groupe « perf » s'attelle à des ateliers davantage ciblés, en vue de se préparer à des rencontres de plus grande importance, comme des matchs. Tout comme chez Impro Academy, les improvisateurs du groupe « débutants » apprennent les rudiments, et n'ont donc pas de restitution d'atelier. Le groupe « espoir », à la fin de chaque année, se produit dans un concept intitulé « La librairie de l'impro », qui se déroule au coeur de la Librairie Les quatre chemins, à Lille. Contrairement aux académyades, qui ont lieu dans un endroit neutre, où aucun cadre n'est posé à part une scène, le fait de jouer dans une librairie offre un public et un cadre. J'ai pu recueillir les propos d'Arthur Pinta à ce sujet :

ça permet de leur faire faire un peu de scène dans un cadre à la fois compliqué - parce qu'on est pas dans une vraie salle de spectacle - mais par contre dans un endroit très chaleureux. Et en essayant de créer des concepts où ils vont pouvoir aller sur des choses nouvelles : on leur fait travailler des catégories autour du livre en variant un peu.220

219 Idem.

220 Entretien avec Arthur Pinta, 27 Février 2019.

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Pour un premier spectacle, ce format a donc l'avantage de plonger le spectateur dans une ambiance particulière, ce qui constitue une base du cadre qui vient soutenir les improvisateurs pour lesquels c'est la première expérience de spectacle . Pour que la mécanique du spectacle d'improvisation soit respectée, et pour compenser la difficulté de construire le cadre en raison du lieu, Ils sont accompagnés par le maître de cérémonie. Il a la charge de présenter le concept du spectacle au public, de gérer les temps de chaque improvisation et de gérer également les catégories pour chaque improvisation. Les premières du spectacle sont, dans la majorité des cas, exécutées en catégorie libre.

L'avantage de la catégorie libre est de permettre à l'improvisateur d'explorer et d'exploiter essentiellement son imaginaire pour s'en servir comme base pour l'improvisation, mais cette absence de repère peut aussi être un piège. Cependant, lorsqu'il doit répondre aux exigences d'une catégorie, un improvisateur débutant doit faire face à une situation d'urgence avec la contrainte de fournir une improvisation répondant aux codes de cette catégorie, ce qui peut être angoissant. Pour supprimer cette urgence, l'improvisation tend à supprimer la peur de l'échec, et donc la notion d'objectif. Il peut donc être intéressant pédagogiquement d'utiliser les catégories libres lorsqu'on débute pour apprendre à placer et construire ses idées, sans avoir à répondre à une commande ou à répondre à une idée que le spectateur se serait mis en tête en anticipant ce que l'improvisateur pourrait faire.

Les improvisations de catégorie libre permettent ainsi à ceux qui débutent d'expérimenter les codes en improvisation appris dans les ateliers. Certains codes sont universels, telles la bascule* permettant d'effectuer un changement de lieu ou de temps pendant l'improvisation ou le caucus*, permettant de préparer la situation de départ de l'improvisation. Ces codes partagés par tous peuvent être appris dès lors que l'improvisateur en herbe développe une certaine curiosité, ou se documente. Avec l'évolution de l'improvisation théâtrale, de plus en plus de bouquins ont en effet été édités à ce sujet et permettent un accès plus libre à ces connaissances. Une fois une base commune établie en termes d'exercices et d'échauffement, il me semble possible pour un amateur maîtrisant ces codes de pouvoir enseigner des catégories de style, adaptant un genre pour lequel il éprouve de l'intérêt aux codes de construction d'une improvisation. J'ai appris cela en m'entraînant avec les improvisateurs du Groupe d'Improvisation du Terril. Maxime Curillon et Florine Sachy estiment en effet que « tout le monde est capable d'animer un training, pour peu qu'on apprenne des

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codes sur un sujet, qu'on s'exerce »221. Lorsque dans la troupe se trouvaient des comédiens professionnels, ils étaient rémunérés. Depuis, c'est à chacun qui le souhaite de proposer un entraînement sur une catégorie de style selon ses goûts ou sa culture générale. Les catégories de style se basant en majorité sur un genre cinématographique, littéraire, ou même musical, il appartient néanmoins à celui qui souhaite explorer sa catégorie de prédilection d'en connaître les codes, ou d'être capable de les identifier ou de les transmettre. Maxime Curillon et Florine Sachy m'ont présenté les raisons pour lesquelles ils avaient opté pour telle ou telle catégories de style :

Vincent222, par exemple, fera un training sur Tolkien le jour où il se sentira de le faire, ou quand il se sentira la légitimité de le faire. Et la légitimité il l'a. Parce qu'il est calé sur Tolkien, et c'est super intéressant. La Science-Fiction, avec Louis223, ça vient de deux choses : c'est d'abord un sujet qu'on aime, qu'on connaît bien, même si on s'est beaucoup documentés pour le préparer. Et on voulait aussi apporter autre chose, parce qu'on voyait souvent des gens faire des robots, ou des vaisseaux spatiaux.224

Alors que la catégorie « à la manière de Tolkien » correspond à la volonté de Vincent Lelong de partager un univers qu'il connaît et dont il maîtrise les codes, la catégorie « Science-Fiction », et la manière dont elle est travaillée par Louis Lalleau, correspond davantage à une volonté de renouveler une catégorie de style dont les codes sont communs et connus. Les formateurs du Groupe d'Improvisation du Terril déplorent le nombre de clichés qui arrivent souvent dans cette catégorie. Les soucoupes Volantes et les vaisseaux spatiaux sont en effet des clichés dans le sens où, ils sont utilisés pour que le public identifie la catégorie et l'univers dans lequel l'improvisation a lieu, mais ne peuvent pas faire avancer l'intrigue.

Louis Lalleau, pour préparer cette série d'entraînements, a fait un travail de recherche sur le genre de la science-fiction, qui regroupe bon nombres d'oeuvres cinématographiques et littéraires. Peuvent être cités en exemple, le monde post-apocalyptique, les body snatchers, ou les dystopies. Chacun de ces genres, nous l'avons découvert, permet non seulement de varier les jeux et les enjeux d'une improvisation à la manière d'une science-fiction, mais a pu également être travaillé par différents exercices d'improvisation théâtrale. Je prendrais en exemple le sous-genre du body snatcher :

Louis Lalleau nous l'a défini comme un sous-genre de la science-fiction dans lequel une population se fait progressivement envahir et remplacer par des identités inconnues. Un accident vient perturber les habitudes des protagonistes et fait comprendre que quelque chose d'étrange est en train de passer. Les habitudes permettent aux improvisateurs de mettre en place une situation de départ

221 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019.

222 Vincent Lelong, membre du Groupe d'Improvisation du Terril.

223 Louis Lalleau, membre du Groupe d'Improvisation du Terril.

224 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019.

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identifiable afin que chacun s'y retrouve, pendant laquelle chaque comédien aura le loisir de construire son personnage en fonction de son caractère et de la situation.

Travailler la première partie de ce sous-genre nous amène à travailler une étape importante dans la construction de l'improvisation qu'est le cadre de départ, dans lequel nous identifions la situation, les traits de caractère des personnages ainsi que leurs relations.

Dans une narration arrive ensuite la péripétie, qui est l'accident qui va inciter les héros à accepter l'aventure. Dans le sous-genre des body snatchers, nous pouvons nous amuser à briser le cadre de départ bien construit. L'accident doit apparaître de façon nette afin que tous les improvisateurs le comprennent. Cet aspect nous fait travailler la proposition et l'écoute. Il faut en effet qu'un des improvisateurs prenne la décision de briser le cadre par un accident inhabituel : il peut s'agir d'un changement brusque de son comportement, ou de faire remarquer qu'un élément visuel ou de décors a été modifié. Si un changement de décors a été opéré, il est de la responsabilité de chacun de se souvenir que ce décor a été installé auparavant et d'accepter la proposition.

Cela nous fait travailler les notions d'acceptation et d'obstruction : si un improvisateur a opéré un changement, ses partenaires doivent l'accepter et jouer en fonction de ce changement pour la suite de l'improvisation. On qualifie d'obstruction une attitude contraire à celle de l'acceptation : soit le joueur empêche une idée de se développer, soit il ne prend pas en compte la proposition du partenaire.

Lorsque l'accident est repéré, chaque improvisateur va mettre en scène son personnage en train de subir le changement de comportement ou de situation. Afin qu'il soit clair pour le public, la notion d'écoute consiste à trouve le moment où l'improvisateur pourra le faire sans le faire en même temps que ses collègues, pour éviter une scène confuse.

La construction dramaturgique veut que le héros se rende compte de cette situation, et qu'il soit seul contre tous pour lutter. Afin de renforcer la menace et l'inquiétante étrangeté, ceux qui ont subi le changement de situation deviennent un choeur et forment une seule et même entité. Ce choeur, en improvisation, implique d'accepter la lenteur et le silence, ce qui va à l'encontre d'une urgence et d'un rythme rapide que l'on serait tenté d'installer pour faire face à la peur du vide sur scène et dans l'histoire. Il marque de façon très efficace l'inquiétante étrangeté, car les improvisateurs qui le forment seront forcés d'avoir un débit lent et fortement prononcé pour que tous aient l'occasion de prononcer des paroles de façon plus ou moins simultanée. L'effet est donc justifié.

Il a été vu, à travers cette étude de cas, que la liste des catégories de style pouvait être sans cesse enrichie selon la personnalité et les goûts des improvisateurs. Alors que les improvisations et les

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catégories peuvent évoluer selon les connaissances de chacun, les personnes composant le staff - quel que soit le format du spectacle - ont une formule commune à appliquer. Les formations au staff sont moins présentes, car elles répondent à une demande plus faible. La multiplication des concepts se focalise sur l'improvisateur et l'ambiance générale d'un spectacle, on en oublie par conséquent le staff dont les fonctions sont similaires dans toute représentation. Certains professionnels, tels Thierry Bilisko ou Jean-Baptiste Chauvin proposent néanmoins des formations ponctuelles au staff et à l'arbitrage. C'est également par le billet de la vie associative que l'on peut s'essayer à ces fonctions :dans la majorité des troupes amateurs, les improvisateurs souhaitent être au centre de la scène. Il y a donc un besoin plus conséquent pour les fonctions de staff que de joueur. J'évoquerais les différentes formations et expérimentations sur les rôles du staff qui sont possibles dans le territoire des Hauts-de-France, tout en évoquant mes expériences personnelles lorsque j'ai eu l'occasion d'assumer certaines de ces fonctions.

III .4) Le staff : mettre en valeur les partenaires.

J'ai pu faire l'expérience d'être maître de cérémonie sur une académyade, en Mars 2019. Étant le relais entre le public et les improvisateurs, j'avais en charge de les présenter et de mettre le spectateur en condition pour les accueillir. J'avais donc à ma charge de poser le cadre qui allait orienter l'énergie et l'ambiance du spectacle. C'est ici que se joue la difficulté du maître de cérémonie et des membres du staff en général, qui doivent « chauffer la salle » pour mettre le spectateur de bonne humeur tout en étant capables de s'effacer immédiatement lorsque les improvisations commencent. Jusqu'ici, toutes les académyades auxquelles j'avais participé avant d'arriver dans le parcours Compétences d'Impro Academy avaient comme maître de cérémonie notre professeur. Puisqu'il s'agissait de restitutions d'ateliers, il insistait pour nous faire travailler les codes que nous avions appris ainsi que les catégories. Au parcours compétences, nous étions encouragés à faire davantage d'expérimentations à partir de techniques d'improvisateurs assimilées. Je n'avais, en tant que maître de cérémonie, pas de catégorie à imposer à mes camarades improvisateurs. Je portais en revanche la responsabilité du temps des improvisations et du rythme du spectacle.

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Dans cette position, j'avais une réelle possibilité d'observer les improvisations. Je prenais la décision de mettre fin à l'improvisation en cours lorsque je jugeais qu'elle en était arrivée à sa conclusion. Il faut néanmoins avoir une capacité de gestion du temps des improvisations et du temps global du spectacle pour que celui-ci soit équilibré ; mettre fin à une improvisation parce qu'on l'estime terminée ne suffit pas : à la fin du spectacle Philippe Despature est venu me voir en me disant qu'il y avait une part d'impolitesse lorsqu'on était arbitre ou maître de cérémonie. Il faut user de cette « impolitesse » pour donner à des improvisations un temps varié, et alterner les durées pour éviter de faire tomber le rythme du spectacle dans une routine.

Le plus difficile a été pour moi de sélectionner des thèmes parmi les propositions du public. Cela implique d'être capable de déterminer ce qui pourrait donner un bon thème pour une improvisation, en un temps bref pour éviter de laisser retomber le rythme entre chaque improvisation. Le maître de cérémonie doit être efficace lorsqu'il pose des questions pour déterminer le thème. J'ai donc alterné les questions ouvertes, où je demandais purement et simplement si le spectateur avait un thème en tête. Pour varier les genres et éviter d'inciter le spectateur à être original, j'interrogeais parfois directement son imagination. Je demandais à la personne si elle avait en tête un titre de film ou de livre qu'elle aurait aimé écrire ou réaliser. Je ne saurais définir ce qui est un bon thème en improvisation, mais il doit, à mon sens, être assez large pour laisser l'imagination de l'improvisateur faire son chemin, et donner des pistes identifiables pour définir un lieu ou une situation. Parfois, lorsque des thèmes n'étaient pas satisfaisants, je demandais leur proposition à deux personnes du public afin d'en faire un seul thème. Je pouvais ainsi fournir aux improvisateurs un thème qui pouvait leur donner des pistes solides, dès lors que ce thème contenait des renseignements quant à une piste ou situation de départ. Il est arrivé néanmoins que cela ne suffise pas. Et, lorsque j'essaie de demander de façon habile au spectateur de préciser et que cela prend trop de temps, cela nuit au rythme du spectacle, ainsi qu'aux énergies des autres spectateurs et des autres improvisateurs qui sont en attente. Il m'est arrivé une fois de déroger à la règle que Philippe Despature avait implicitement mis en place pour nos académyades ; faire des improvisations sans catégorie. Je n'ai pas imposé de catégorie à mes camarades, mais je leur ai donné une contrainte formelle. Bien que cela ne les ait pas réellement aidé à traiter le thème, mon but était de faire en sorte que la contrainte provoque l'admiration du spectateur, en regardant comment l'acteur parvenait à respecter cette contrainte. Une catégorie les aurait aidés à construire une improvisation, mais, devant réagir de façon vive, je n'avais pas eu le temps de penser à quelle catégorie j'allais leur proposer. J'ai donc privilégié l'aspect de la performance au détriment de la narration pour cette improvisation.

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J'ai également été maître de cérémonie durant un spectacle intitule Impro à la carte pour le Groupe d'Improvisation du Terril. Cette fonction, sous ce format, est désignée par le terme de « serveur » car les codes font référence à un menu de restaurant : les différentes catégories sont renommées pour évoquer des cocktails, et les spectateurs ont à leur disposition une carte de bar qui liste toutes les catégories disponibles. Par exemple, le « Bloody Mary » correspond à la catégorie « film d'horreur », le « black velvet » exige que toute l'improvisation se déroule dans l'obscurité, ou encore l'« hydromel » correspond à la catégorie « conte ». J'ai interrogé les membres du Groupe d'Improvisation du Terril au sujet de cette forme, car je n'étais habitué jusqu'à présent qu'à des formats où les thèmes choisis sur l'instant. Cette forme modifie de façon significative tout le rythme du spectacle, car les thèmes sont choisis avant qu'il ne commence. Deux serveurs sont chargés d'aller à la rencontre des spectateurs une quarantaine de minutes avant que le spectacle ne commence, pour recueillir les choix des thèmes et des catégories. Les thèmes sont choisis par les spectateurs, mais ils doivent choisir la catégorie qui leur correspondra dans la carte.

Durant cette période, les serveurs sont chargés de fournir des explications quant à la signification des catégories, et de faire en sorte que les choix soient équilibrés, afin d'éviter d'utiliser une catégorie plus qu'une autre, et qu'un maximum d'entre elles soient utilisées. Á la fin de cette sélection, les deux serveurs bénéficient d'un temps de concertation où ils décident qui a recueilli le meilleur thème pour telle ou telle catégorie. C'est cette raison qui justifie, d'après les informations qui m'ont été données, le format du spectacle. La gestion du rythme pour le maître de cérémonie est très différente de celle d'un cabaret dans le sens plus classique du terme, puisque les serveurs n'ont pas à réagir sur le vif en plein spectacle. Leur fonction reste, une fois que le spectacle a commencé, de faire le pont entre les spectateurs et les improvisateurs. La personne qui a la charge d'arrêter les improvisations est appelée « patron » ou « patronne », et, lorsqu'elle estime que l'improvisation a trouvé une conclusion satisfaisante, actionne une clochette pour mettre fin à l'histoire. La difficulté de ce format, lorsqu'on est maître de cérémonie, est dans le rôle du serveur : lorsque nous recueillons les thèmes et les catégories parmi le public, nous jouons des personnages de serveur classiques, soit avec un comportement particulier si la soirée un thème.

J'ai été serveur en Janvier 2018 alors que le spectacle se jouait au Biplan, une salle de spectacle à Lille qui a fermé ses portes en Mars 2019. Á l'occasion de cette dernière représentation, nous avions décidé de placer le spectacle sous le signe des années 90, qui a été la période d'ouverture du Biplan. Ce qui nous a amené à jouer des personnages tout en étant maîtres de cérémonie, en adaptant notre tenue vestimentaire et notre langage de façon conforme aux usages de cette décennie. Entre chaque improvisation, il y avait danger de développer nos personnages de façon excessive. Et

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comme nous étions deux, il fallait également équilibrer les interventions de chaque serveur. Nous avions néanmoins le loisir de préparer un minimum ces interventions durant les improvisations en cours, étant donné que nous n'avions pas la charge d'imposer une catégorie ou de gérer le temps de l'improvisation. Nous en profitions également pour nous mettre d'accord sur le prochain thème et la prochaine catégorie qui serait donnée.

Á travers ces deux expériences, ma conviction est renforcée quant au travail méticuleux du maître de cérémonie qui doit prendre des décisions et les assumer quant au choix du thème, et être capable de s'effacer aux profits des improvisateurs dès que l'improvisation a commencé.

Le maître de cérémonie est un des premiers protagonistes qui apparaît aux yeux du public, et il contribue, comme les autres membres du staff, à consolider le cadre dans lequel évoluent les improvisateurs. Dans un match d'improvisation, la solidité du cadre par le maître de cérémonie se traduit par le maintien et le respect du décorum et du rituel : il présente les joueurs un par un au public, dans le but de les valoriser, et continue de faire le relais avec le public. Dans le match, il doit donc noter le thème de l'improvisation pour qu'il soit visible du public, et doit expliquer les fautes qui ont étés sifflées pendant une improvisation. Il est donc nécessaire, pour remplir cette fonction, d'être pédagogue dans le cadre d'un spectacle de restitution d'atelier, ou de bénéficier d'une expérience, soit en tant que spectateur, soit en tant qu'improvisateur, pour comprendre les tenants et aboutissants de la fonction de maître de cérémonie. Avoir joué plusieurs spectacles peut en effet aider, selon moi, à cibler les obstacles auxquels les joueurs sont confrontés lorsqu'ils jouent pour développer sa propre méthode qui permet de poser le cadre. Une expérience de spectateur peut également donner des pistes quant à la façon de procéder : en tant que spectateur, je me suis fait une idée de l'effet que me provoquait le fait d'être pris à parti par un maître de cérémonie pendant un spectacle, ou si j'ai apprécié ou non la façon dont il s'est adressé à moi. J'ai été particulièrement attentif sur ce point lorsque j'étais maître de cérémonie pour la première fois, dans le cadre de l'académyade où, contrairement au match, le maître de cérémonie se déplace parmi les gens du public, et s'adresse directement à l'un d'entre eux. Cette façon de procéder demande une certaine prudence quant au respect de la personne : en agissant de cette façon, je déplace l'individu de l'entité du public, et cette personne est observée pendant un court instant par les autres spectateurs. Il y a une notion d'écoute qui s'installe pendant ce moment, où je le mets également en état de représentation. Il s'agit d'éviter de le mettre mal à l'aise en le mettant en état d'observé pendant trop longtemps.

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Je n'ai pas eu l'occasion d'être maître de cérémonie pendant un match d'improvisation, mais les matchs du trophée Culture et Diversité m'ont offert d'être assistant-arbitre et coach à deux reprises. La fonction de coach a été détaillée davantage dans le lexique, car il est parfois un sixième joueur pour les équipes, et n'intervient donc pas dans le cadre. Les matchs qui se jouent dans le cadre de ce trophée sont joués par des collégiens, le cadre et le rituel sont par conséquent plus allégés : les improvisations sont moins longues, et l'arbitre siffle moins de fautes.

Le trophée Culture et Diversité est né au sein de la fondation Culture et Diversité, crée en 2006 par Marc Andreit de La Charrière . Cette organisation travaille sur l'accès à la Culture et aux arts pour des personnes issues de milieux modestes. En 2009, il a reçu la visite de l'humoriste Jamel Debouze, qui avait découvert l'improvisation dans les ateliers scolaires de Trappes dans les années 90. Le résultat de cette rencontre est la mise en place des ateliers d'improvisation dans bon nombre de collège du pays, pour aboutir à la fin de l'année scolaire à un tournoi. Dans les Hauts-de-France, les ateliers et des matchs oeuvrant dans le cadre de ce trophée sont pris en charge par Impro Academy. Pour les matchs, des membres de l'école sont régulièrement appelés pour faire partie du staff, c'est ce cadre qui peut permettre à ceux qui le souhaitent de s'exercer aux différentes fonctions du staff, soit en coach soit en assistant-arbitre. Les fonctions d'arbitre et de maître de cérémonie étant présentes pour construire réellement un cadre solide, elles sont confiées à des improvisateurs plus expérimentés.

Certaines ligues amateurs ont l'opportunité, à leur demande, de bénéficier de formations quant au staff ou à l'improvisation théâtrale de façon plus générale, dispensées par des professionnels. Il arrive également que des matchs amateurs soient arbitrés par ces mêmes professionnels. Thierry Bilisko, qui joue avec la ligue Paris Impro et la Ligue Majeure d'Improvisation, avait arbitré le match entre le Groupe d'Improvisation du Terril et la Licoeur de Bordeaux, le 09 Mars 2019.

La troupe ayant bénéficié de l'appui d'improvisateurs professionnels pour sa création, la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur est en contact étroit avec certains arbitres professionnels, qui ont au moins vingt ans de métier. J'ai pu me rendre compte, en discutant avec Arthur Pinta, que la troupe nourrissait des exigences plus élevées quant à ceux qui forment le staff par rapport aux joueurs sélectionnés. Je prendrais l'exemple du coach, qui, en tant que sixième joueur et regard extérieur durant un match, doit avoir une solide expérience du match. Arthur Pinta m'a détaillé le processus de sélection : la candidature de coach est soumise au comité Artistique, qui écoute l'avis des joueurs. Un coach qui souhaite se former aura le loisir de le faire durant un math avec un format allégé, ou de décorum et le rituel sont moins contraignants. Ce sont ensuite les joueurs qui font un

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débriefing avec les membres du Comité Artistique à propos de la prestation de celui qui veut être coach.225

Le Comité Artistique, avant que le Groupe d'improvisation du Terril ne modifie sa structure, était en charge de définir les équipes et les membres du staff pour les prestations. Lorsque j'évoquais un entraînement sur la Science-Fiction au sein de cette troupe, le fait qu'ils aient choisi de procéder autrement est directement lié à leur vision de l'improvisation théâtrale, partant du postulat qu'une expérience de la scène n'est pas forcément nécessaire pour pratiquer l'improvisation théâtrale ou animer un entraînement. Je reprendrais pour illustrer mes propos une phrase d'Arthur Pinta « J'ai peut-être une vision tronquée, mais je me dis que si on est pro, on se dit qu'on est payés pour faire une prestation, les gens on les voit pas avant ou après, mais on fait notre prestation. Pour moi, quand tu fais ça en amateur, c'est que tu recherches tout le côté humain qu'il y a autour »226

Le côté humain dans une association amateur peut poser problème pour un spectacle d'improvisation : les membres du staff étant dans l'ombre par rapport aux joueurs, les associations amateurs sont souvent confrontées au manque de volontaires pour remplir ces fonctions. J'ai néanmoins souhaité terminer par une analyse des différentes manières possibles de s'essayer à ces fonctions dans la région Hauts-de-France pour tenter d'approfondir mon expérience en improvisation théâtrale. Philippe Despature soulignait que c'est en faisant qu'on apprend... c'est l'école de « Je me casse les dents » »227. C'est, à mon sens, ce que le Groupe d'Improvisation du Terril a mis en place par rapport à son fonctionnement, non seulement à propos des entraînements, mais également à propos de la constitution des équipes pour les spectacles : la troupe ne souhaitant pas dispenser de véritables cours, Maxime Curillon et Florine Sachy, lorsqu'ils composent ces deux équipes, se basent sur plusieurs critères, dont la présence des improvisateurs aux entraînements, et la place que chacun tente à prendre au sein d'un groupe, ce qu'ils ont observé durant la journée de recrutements. Le critère de la présence aux entraînements est de moins en moins pris en compte, mais il avait été mis en place pendant un certain temps pour éviter que des improvisateurs qui avaient une faible expérience en entraînement se retrouvent sur scène.

Au fur et à mesure que chacun évolue durant les entraînements, ceux qui sont chargés de sélectionner les équipes essaient de mettre en place un équilibre avec ce qu'ils ont perçu de la prestation de chacun. Maxime Curillon et Florine Sachy ont matérialisé les différentes prestations selon trois catégories :

225 Entretien avec Arthur Pinta, 25 février 2019.

226 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019.

227 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019.

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-Des gens qui se tiennent sur scène, dans le sens où ils sont capables de gérer quoi qu'il se passe. Ils vont s'en sortir. Des gens qui vont réussir à se gérer seuls, mais qui n'arriveront pas forcément à gérer les autres. Ils vont penser à se sauver eux, mais pas forcément les copains.

-Ceux qui sont des piliers pour eux et pour les autres.

-Ceux qu'il faut se sécuriser, qui demandent l'attention des autres.228

Ils s'essaient, pour chaque spectacle, de former une équipe réunissant ces trois critères. Les fonctions du cadre sont, la plupart du temps, assurés en binôme, particulièrement pour « Impro à la carte ». Les autres fonctions, telles que maître de cérémonie ou coach, sont la plupart du temps assurées par les improvisateurs les plus anciens au sein de la troupe.

Le Groupe d'Improvisation du Terril a donc privilégié une certaine autogestion quant à la formation de ses improvisateurs. Ils donnent des cours qui sont des techniques d'improvisation communes à tout improvisateur, mais c'est ensuite libre à chacun de s'essayer et de se renseigner sur les différentes pratiques.

Depuis la prise d'autonomie par les amateurs, le nombre de ligues a augmenté, comme sur tout le territoire. Au-delà des troupes professionnelles comme la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, les troupes amateurs de première génération tomme le Groupe d'Improvisation du Terril et la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, des ligues à structure plus modeste ont vu le jour. La plupart d'entre elles sont nées à l'initiative d'improvisateurs qui ont fait leurs armes dans les premières ligues amateurs, et qui ont souhaité se réapproprier la discipline. C'est ainsi que des anciens élèves d'Impro Academy ont créé la ligue des Imprononçables à Arras, et des anciens de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur ont fondé les Impro locos ou les Georges Clownettes. Ces initiatives indépendantes ont modifié la façon de transmettre, d'apprendre, et de jouer. Elles ont pu contribuer à susciter davantage de visibilité et de curiosité pour une discipline issue du théâtre. Jean-Baptiste Chauvin, pour ces raisons, a déclaré se sentir poche des amateurs. Il était l'un des premiers improvisateurs formés par des professionnels, et il a vécu la prise d'autonomie de ces mêmes amateurs, et les conflits qui en sont découles chez les professionnels : « Oui, les amateurs peuvent être un danger mais ce sont aussi eux qui créent l'engouement »229. L'engouement, pour ceux qui sont curieux, peut à mon sens offrir une riche variété de spectacles, qui vont questionner plusieurs aspects de l'improvisation théâtrale. Ayant en majorité pratiqué le théâtre à textes avant de mettre essayé à l'improvisation théâtrale, j'ai partagé un questionnement qui existe depuis plusieurs années désormais, qui est la question de la part artistique dans l'improvisation théâtrale. Je me suis

228 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019.

229 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

demandé si il était possible de fournir des improvisations qui vont au-delà d'un divertissement. Jean-Baptiste Chauvin a posé la question suivante : « Comment le joueur pourrait-il avoir la possibilité de créer des improvisations dramatiques dans cet univers ludique et peu enclin aux émotions tristes ? »230 . Au-delà du cadre qui peut donner une énergie et une ambiance identifiables qui vont orienter les émotions suscitées par les improvisations, il est néanmoins étrange de remarquer que l'improvisation tendrait soit à faire rire, soit à rendre triste le public. J'ai toujours soutenu que, selon moi, la réaction du public n'appartenait pas à l'improvisateur, dès lors qu'il est en train d'expérimenter face au spectateur. Par ailleurs, identifier un sentiment que l'on voudrait transmettre au public impliquerait une notion d'objectif où l'improvisateur souhaiterait transmettre une parole précise. Vouloir s'interroger sur ce que l'on veut dire, en tant qu'improvisateur, est pour moi la meilleure façon d'user de clichés ou de cabotinage, voire un de surjouer pour être certain que l'émotion du personnage soit comprise par le public. Si l'improvisateur se met en tête de vouloir transmettre une émotion au public, il se met dès le début de son improvisation un objectif qui aura, à mon avis, pour conséquence de l'aveugler par rapport aux autres possibilités et propositions de ses partenaires. Un autre aspect qui me semble problématique, lorsqu'on utilise le terme « d'improvisation dramatique », est que l'on a tendance à évoquer une émotion extrême. Cela sous-entendrait que l'improvisation théâtrale n'aurait qu'à offrir des émotions fortes pour être identifiables, sans réelle nuance et de variation dans le jeu ou dans les propos. Selon Jean-Baptiste Chauvin, le travail de l'improvisateur n'est guère de provoquer des émotions chez le spectateur :

en tant qu'auteurs, nous parlons du monde dans lequel nous vivons, et nous pouvons faire de grandes choses de ce pouvoir pour être bien plus que des rigolos de service. Pas forcément en revêtant nos impros de messages fondamentaux ou de diatribes militantes, mais juste en cherchant à parsemer nos histoires de petits points d'interrogations qui permettront au spectateur de prolonger son expérience théâtrale en sortant. 231

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230 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit ; p.143.

231 Jean-Baptiste Chauvin, Impro : à fond la forme !, op. cit., disponible sur

https://www.improforma.fr/single-post/2019/01/21/Impro-%C3%A0-fond-la-forme [consulté le 14/05/2019].

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Conclusion

Ce mémoire avait pour ambition d'observer et d'étudier le phénomène de la démocratisation de l'improvisation théâtrale en tant que discipline artistique, et l'apparition de nouvelles formes ou de nouveaux formats d'improvisation, en particulier le match. Il m'a fallu, pour respecter la longue tradition de la transmission orale spécifique à cette discipline, partir à la rencontre de certaines personnalités qui étaient de mes connaissances et qui évoluaient dans un domaine similaire au mien. Comme la documentation sur l'improvisation est assez lacunaire, les témoignages de ces personnes et mes expériences personnelles ont étés mes principales sources de recherche.

Le territoire des Hauts-De-France s'est imposé naturellement comme objet d'une étude de cas, car les différentes expériences en improvisation que j'y ai connues ainsi que les contacts que j'y ai noués constituaient un point de départ concret et accessible. Les difficultés que j'ai rencontrées ont résidé dans le fait d'accepter de remettre en cause mes propres certitudes (acquises dans la pratique), lorsque je les confrontais à des faits historiques ou à des témoignages. Après avoir retracé l'histoire de l'implantation du match d'improvisation théâtrale en France, j'ai choisi d'examiner de près différentes structures dans la Région des Hauts-De-France.

En étudiant l'origine du match d'improvisation théâtrale, je me suis intéressé au contexte social et politique qui englobait la période de sa création, car son créateur, Robert Gravel, avait été au centre de ses émeutes lorsqu'il étudiait le théâtre au conservatoire d'art dramatique du Canada dans les années 70. La Révolution Tranquille touchait autant les étudiants en art (qui refusaient les méthodes d'enseignement et les oeuvres étudiées) que les Québecois qui réclamaient leur indépendance face au Canada.

Le renouveau du théâtre au Québec ainsi que la recherche d'une nouvelle identité se sont traduits par l'émergence des troupes expérimentales, qui utilisaient l'improvisation comme outil principal de création et d'écriture. Robert Gravel, ayant vécu l'échec de la troupe expérimentale des Jeunes Comédiens, avait crée un spectacle qui réinterrogeait la place de l'acteur et de l'improvisation. Avec le match d'improvisation, l'improvisation a quitté son statut de source de création pour devenir l'objet principal du spectacle. Le caractère sportif, qui impliquait alors une mise en scène pour

accueillir et les joueurs et la mise en place d'un règlement, a favorisé la mise en place d'un cadre commun pour tous qui allait favoriser son exportation.

J'ai pu recueillir les propos de certains improvisateurs français qui ont étés témoins de l'installation du match d'improvisation en France. Ces recherches m'ont amené à étudier les travaux d'Alain Knapp et de Jean-Baptiste Chauvin. Le nom d'Alain Knapp est apparu lorsque j'ai demandé à Emmanuel Leroy, fondateur de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, de me parler de sa rencontre avec le match d'improvisation théâtrale. Par les différents ateliers qu'il donnait, Alain Knapp a été amener à côtoyer les premiers improvisateurs au Québec qui suivaient ses stages à Paris et en France. Ses expériences sur l'improvisation, au même titre que celles de Robert Gravel, s'inscrivent toutes deux dans des contextes de remise en cause des institutions : la Révolution Tranquille au Québec et les évènements de mai 1968 en France. Ces travaux de recherche sur l'improvisation théâtrale ont nourri les différentes expérimentations inscrites dans la remise en cause des institutions et du paysage socio-culturel. Il n'y avait donc pas d'ambition exclusivement artistique, ce qui a poussé certains improvisateurs à inscrire la pratique dans d'autres domaines, tels les domaines sociaux et scolaires.

En effet, les premières expérimentations du match d'improvisation théâtrale en France ont favorisé l'émergence de structures culturelles à Trappes. C'est dans cette même ville que la compagnie Déclic théâtre et les ateliers mis en place dans les collèges ont permis une expansion de la discipline en-dehors du domaine artistique.

Ce passé a son importance. Il explique l'identité complexe de l'improvisation théâtrale (à la jonction entre discipline artistique, temps récréatif et outil d'aide à l'insertion sociale et scolaire) ainsi que le grand nombre de structures mises en place pour la pratiquer.

La grande accessibilité et la multiplication des ateliers d'improvisation théâtrale ont favorisé la création de structures à vocations multiples : les Québecois, lors d'une tournée d'ateliers en 1981, auxquels ont assisté des jeunes comédiens qui étaient à l'époque en cours de professionnalisation, ont accompagné l'ascension des ligues professionnelles, dont ces mêmes comédiens sont aujourd'hui à l'origine. Dans les années 90, l'engouement pour la discipline a suscité le développement d'ateliers et de ligues amateurs. La grande accessibilité et l'efficacité du cadre sportif qui rend les enjeux d'un match d'improvisation théâtral, grâce aux votes et du format de compétition, explique l'intérêt qu'a cette pratique auprès de personnes qui ne sont pas issues d'une pratique artistique. Ce développement aboutit à la création de nouveaux formats basés sur le match d'improvisation théâtrale, avec le catch d'improvisation232. Marko Mayerl, son créateur, a en effet

232 p. 48.

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été confronté aux refus des ligues professionnelles de lui apprendre la pratique du match d'improvisation. Ce sont Jean-Baptiste Chauvin et Alain Degois, qui ne faisaient pas partie d'une ligue professionnelle, qui ont aidé Marko Mayerl et ses partenaires à se former, et à créer Ligue Ouverte et Libre d'Improvisation Théâtrale Amateur. L'invention du catch a répondu a permis de dépasser deux problèmes, d'une part, celui de la dépendance face aux professionnels, peu enclins à partager une discipline qui leur permettait d'explorer une nouvelle facette du théâtre et qui leur assurait un nouveau moyen de remplir les salles ; d'autre part, celui de l'obstacle financier, au moment où Robert Gravel et son ami Yvon Leduc ont commencé à réclamer des droits d'auteurs.

Ce nouveau format, qui était le premier à exister après le match d'improvisation théâtrale, a ouvert la voie à la création de format multiples, les amateurs s'affranchissant ainsi du modèle que les professionnels se réservaient.

L'histoire de l'improvisation théâtrale est marquée par plusieurs conflits. Tout d'abord, les amateurs et les professionnels se disputent la légitimité de pratiquer cette discipline de plus en plus distincte de la pratique artistique. De plus, un conflit financier et territorial est aussi perceptible : les ligues professionnelles proposent désormais des services d'aide à l'insertion sociale, qui sont également applicables à la vie en entreprise et aux team buildings par des ateliers de prise de parole en public, ou encore de confiance en soi. Le Label LIFPRO a mis en place un système de partage du territoire national pour que chaque ligue professionnelle puisse proposer ses services aux entreprises locales. Plusieurs organismes ont également été créés, à l'instar du trophée d'improvisation Culture et Diversité, pour utiliser les outils de l'improvisation théâtrale en milieu scolaire. À ces exceptions près,

l'évolution de l'improvisation théâtrale est marquée par des initiatives individuelles : Robert Gravel a eu l'idée du match d'improvisation ; de la rencontre entre Papy et le professeur d'éducation physique Jean Jourdan sont nés les ateliers d'improvisation dans les collèges de Trappes ; Marko Mayerl est à l'initiative du catch d'improvisation. Les initiatives individuelles sous-entendent également que ce sont les relations humaines qui provoquent changements et évolutions, et sont également soumises à des conflits. Certains conflits entre professionnels ont également donné naissance à des ligues qui sont nées en dehors du label LIFPRO.

Apprendre l'histoire de la discipline en France m'a fait prendre du recul sur les structures qui existent dans la région Hauts-De-France, et qui sont soumises à des problématiques similaires. La

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démocratisation de cette discipline, en effet, se traduit par son utilisation dans les structures artistiques professionnelles, non professionnelles, sociales et scolaires.

Mes recherches, qui avaient pour ambition première d'étudier les origines des structures dans laquelle je pratique l'improvisation théâtrale ou proposant des spectacles dans la région Hauts-De-France, m'ont amené à identifier ces structures comme les héritières des questionnements et des évolutions qui ont amené l'improvisation théâtrale à se démocratiser et à évoluer dans différents domaines.

Elle est aujourd'hui présente en tant qu'activité artistique professionnelle, autrement dit avec une exigence quant à la qualité des spectacles par la présence de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. Certaines inimitiés et conflits ont donné naissance à la fédération professionnelle Lille Impro, regroupée avec L'école Impro Academy et l'organisme de formation Les pieds sur scène sous l'égide de La Scénosphère. J'ai privilégié l'étude de deux ligues amateurs que sont le Groupe d'Improvisation du Terril et la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur en raison de leur longévité et de leur histoire. Elles sont représentatives de la relation qui a eu lieu autrefois entre les amateurs et les professionnels. La démocratisation de la discipline a ensuite creusé une distance entre ces deux types de ligues, dont la vision de l'improvisation théâtrale était différente. Elles continuent, néanmoins, par leur origine professionnelle, à chercher une exigence dans leur spectacle, tout en restant dans le format amateur. Les membres de ces troupes amateurs cherchent à offrir des spectacles de qualité autres que le match. C'est en effet aux amateurs que l'on doit la majorité des nouveaux formats qui sont apparus depuis le match d'improvisation théâtrale, et qui, grâce à un statut d'artiste bénévole, peuvent avoir une plus grande liberté dans la recherche et l'expérimentation. Ce phénomène explique la multiplication des ligues d'improvisation sur le territoire.

Suite à ma formation chez Impro Academy, j'ai à mon tour transmis les outils de l'improvisation dans le cadre d'ateliers scolaires ou de préparation à des concours, et compris combien elle facilitait la confiance en soi et la prise de parole en public.

Je continue aujourd'hui à multiplier mes expériences dans les différentes domaines dans laquelle l'improvisation théâtrale est utilisée. Mon activité récente de formateur m'a fait comprendre certaines limites de la démocratisation de la pratique de l'improvisation : la recherche artistique y importe moins que les compétences acquises grâce à l'improvisation. Elle devient un moyen et un instrument au service du développement personnel. Un intervenant-improvisateur doit être capable d'appréhender des problématiques qui ne sont plus artistiques ou du domaine du loisir, mais du

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domaine social. Par essence, un improvisateur a du courage de se jeter sur une scène sans avoir préparée sa prestation, c'est pourquoi la principale valeur qui est enseignée dans les ateliers est la bienveillance. Avec l'usage, il me semble que c'est devenu moins une valeur qu'un automatisme, et les improvisateurs s'encouragent et se congratulent généreusement au début de chaque spectacle, et sont félicités pour leur effort et leur audace. Ce rituel fait désormais partie intégrante du spectacle, comme si la bonne humeur devait être présente à tout prix.

Ce conditionnement auquel se livrent les improvisateurs et le public à chaque spectacle d'improvisation, peut être une explication de la mauvaise réputation dont souffre l'improvisation théâtrale de nos jours, et qui remet en cause sa légitimité en pratique artistique. L'indulgence dont les improvisateurs bénéficient en effet peut les pousser au cabotinage, aux dépens parfois de certaines choses qui pourraient être dites sur scène et qui ne sont pas du ressort comique. Par ailleurs, ce même conditionnement tend parfois à faire passer sous silence des dérives, qui tiennent cependant autant de la responsabilité du spectateur que de celle de l'improvisateur. Le spectacle d'improvisation obéissant à une création instantanée, il est fréquent de voir des improvisateurs obéir à l'urgence de fournir un personnage ou une histoire en utilisant des outils grossiers, tel des accents ou des attitudes corporelles exagérément stéréotypées. L'improvisateur se met alors dans une position de sécurité, où le spectateur et ses partenaires reconnaissent de manière aisée le personnage. L'utilisation de ces outils peut aussi mener à des propos ou des attitudes déplacées.

Chaque spectacle d'improvisation théâtrale étant un terrain d'expérimentation, et par conséquent de libre expression, la bonne tenue d'un spectacle tient de la responsabilité individuelle. En tant que juge, le spectateur a également une responsabilité lorsqu'il est sollicité pour donner un thème aux improvisateurs. Les deux entités sont donc liées et participent de concert à l'élaboration et à ce qui est dit dans un spectacle d'improvisation. Il y a donc une responsabilité partagée pour que chacun oeuvre à la bonne construction d'un spectacle et que les conditions soient favorables pour que la discipline reste à la fois exigeante et accessible à tous.

Au fil de mes recherches, j'ai tenté de rencontrer des improvisateurs aux profils variés : amateurs, professionnels, formateurs. J'ai pris conscience, à l'issue de tous les entretiens effectués, que tous étaient des hommes, à l'exception de Florine Sachy. Il m'est apparu, lorsque je me suis interrogé sur la parité dans le paysage actuel en France, que la discipline reste en grande majorité masculine, y compris dans le domaine professionnel où je pourrais néanmoins citer Cécile Giroud, appartenant à la Ligue d'Improvisation Lyonnaise ainsi qu'à la Ligue Majeure d'Improvisation. J'ai mis ce constat en relation avec les critiques de la comédienne Pol Pelletier lorsqu'elle était au Théâtre Expérimental de Montréal. Elle avait en effet fortement désapprouvé le match d'improvisation,

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transposition théâtrale des codes et des rituels du hockey, qui excluait selon elle les femmes par rapport à la démonstration de virilité qu'il implique. Tout au long de cet ouvrage, il a été vu que les formats qui se jouent actuellement dans le cadre d'un spectacle d'improvisation théâtrale sont hérités du match d'improvisation, qui mêle théâtre et sport. La règle de la parité dans ce format, bien qu'elle oeuvre vers une égalité sur le plan quantitatif, laisse place à une interrogation sur les rapports de mixité et d'égalité dans ces deux domaines. Elle laisse en effet en suspens la question des fonctions significatives, qui peuvent être apparentées à celles de coach ou de capitaine pour le match d'improvisation, qui impliquent une hiérarchisation dans une équipe sportive, mais qui véhiculent également une figure de virilité. Ces interrogations sur ces fonctions dirigeantes peuvent également se retrouver dans le domaine théâtral, à travers les professions relatives à la mise en scène, l'enseignement ou la direction de centres dramatiques nationaux. Le sujet a été évoqué par la maîtresse de conférence Raphaëlle Doyon dans une étude réalisée en Janvier 2019 intitulée Les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique. L'étude est construite selon cinq domaines d'observation établis par l'actrice Reine Prat : « -les enseignements artistiques, les formations aux métiers de la culture, l'insertion professionnelle, / -les relations de travail au sein des entreprises, / -l'exercice des responsabilités et la prise de décision, / -l'accès aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique, / -les représentations artistiques»233.

233 Raphaëlle Doyon, Les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique, p. 78, disponible sur http://hf-idf.org/wp-content/uploads/2019/02/Doyon_HF_trajectoires_femmes_theatre.pdf [consulté le 10/06/2019]

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Bibliographie

Ouvrages

- Roger Caillois, Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1958

-Hervé Charton, Alain Knapp et la liberté de création dans l'improvisation théâtrale, Paris, Classique Garnier, 2017

-Jean-Baptiste Chauvin, Le match d'improvisation théâtrale, Paris, Improfrance, 2015

- Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne , Impro :réflexions et analyses, Ottawa, Éditions Leméac, 1987

-Keith Johnstone, Impro,improvisation et théâtre, Paris, Éditions Ipanéma, 2013

-Jean Peneff, Le Goût de l'observation. Comprendre et pratiquer l'observation participante en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2009

-Christophe Tournier, Manuel d'improvisation théâtrale, Genève, Éditions de l'Eau-vive, 2006

-Paul Zumthor, La Lettre et la voix. De la «littérature médiévale», Paris, Éditions du Seuil, 1987

articles en ligne

Jean-Baptiste Chauvin, Impro: à fond la forme!, disponible sur https://www.improforma.fr/single-post/2019/01/21/Impro-à-fond-la-forme [consulté le 14/05/2019]

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revues en ligne

-Hélène Beauchamp, Françoise Simon, Les jeunes comédiens du Théâtre du Nouveau Monde ou l'esprit nomade, L'annuaire théâtral, numéro 22, 1997, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/annuaire/1997-n22-annuaire3668/041332ar.pdf [consulté le 13/02/2019].

-Raymond Cloutier, Le Grand Cirque Ordinaire: réflexions sur une expérience, Études françaises, vol 15, numéro 1-2, Avril 1979, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1979-v15-n1-2-etudfr1689/036688ar.pdf [consulté le 14/02/2019]

- Hélène Pedneault, Robert Gravel, esquisse d'un homme de théâtre baveux, Revue Jeu, 1997, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/1997-n82-jeu1072752/25394ac.pdf [consulté le 11/03/2019]

mémoires et thèses

- Jean Couturier, Le théâtre de l'Unité : un parcours singulier, sous la direction de Robert Abirached, Centre d'études théâtrales, Université Paris X Nanterres, 1993

-Raphaëlle Doyon, Les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique, disponible sur http://hf-idf.org/wp-content/uploads/2019/02/Doyon_HF_trajectoires_femmes_theatre.pdf [consulté le 10/06/2019]

-Valentine Nogalo, L'improvisation théâtrale et son enseignement dans le milieu scolaire:de la France au Québec, les enjeux d'une pratique artistique à part entière, sous la direction de Yves Morvan, UFR Arts et médias, Département de médiation culturelle, Université Paris 3 Sorbonne nouvelle, 2017

141

dossiers de presse

-Joyce Cunningham, Paul Lefebvre, Dossier de presse de la Ligue Nationale d'Improvisation, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/documents/la-ligue-nationale-dimprovisation-dossier-de-presse [consulté le 11/03/2019]

- Ligue Nationale d'Improvisation, La petite histoire de la coupe du monde d'improvisation, 1985, disponible sur http://match.impro.free.fr/telechargements/mondial-1985.pdf [consulté le 27/03/2019]

manifestes

-Robert Gravel, J'ai donné ma jeunesse au T.E.M, disponible sur http://www.nte.qc.ca/historique/ [consulté le 15/02/2019]

Nicole Lecavalier, Alice Ronfard, Anne-Marie Provencher, Dominique Gagnon, Francine Pelletier, Louise Laprade, Louise Ladouceur, Pol Pelletier, Louise Portal, Geneviève Notebaert, Ginette Morin, Lorraine Pintal, Trac femmes, 1978, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/publications/trac-femmes consulté le 27/03/2019]

-Jean-Pierre Ronfard, Passage du Théâtre expérimental de Montréal au Nouveau Théâtre Expérimental, ou les avatars de l'autogestion, extrait du cahier Archéologie, 1974, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/publications/cahier-i-archeologie [consulté le 31/03/2019]

-Ligue Nationale d'improvisation, .Les règlements officiels, 2018, disponible sur https://www.lni.ca/ matchdimpro/regles-officielles [consulté le 14/05/2019]

vidéos en ligne

Jean-Claude Coulbois, Entrevue avec Robert Gravel, 1996, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/ medias/videos/entrevue-avec-robert-gravel [consulté le 22/02/2019]

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Annexes

Entretiens réalisés

-Jean-Baptiste Chauvin, co-fondateur de la compagnie Déclic-Théâtre, membre de la Ligue Majeure d'Improvisation. Entretien téléphonique réalisé le 06 Mars 2019.

-Maxime Curillon et Florine Sachy, président et secrétaire du Groupe d'Improvisation du Terril. Entretien réalisé à Lille le 28 Février 2019.

-Philippe Despature, directeur artistique de l'école Impro Academy. Entretien réalisé à Mons-en-Baroeul le 25 Mars 2019.

-Simon Fache, pianiste à la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. Entretien réalisé à Tourcoing le 27 Février 2019.

-Emmanuel Leroy, directeur artistique de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. Entretien téléphonique réalisé le 22 Février 2019.

-Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur. Entretien réalisé à Lille le 26 Février 2019.

-Corentin Vigou, professeur chez Impro Academy. Entretien réalisé à Lille le 09 Avril 2018.

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Les signaux d'arbitre, pour le match d'improvisation théâtrale

et

MANQUE D'ÉCOUTE

La main tenant le poignet

Ii y a manque d'écoute lorsque le joueur fautif, de façon consciente ou non, ne tient pas compte de ce qui a été dit, fait ou installé.

R.ETUS DE PERSONNAGE

La main masque la figure

RUDESSE

Coup de poing dans la main ouverte

OBSTRUCTION (Majeure)

Les bras font un X vers les épaules, poings fermés

Lorsque l'improvisateur refuse, détruit et/ou nuit à L'improvisation de façon intentionelLe etlau qu'il empêche le bon déroulement de l'histoire.

n MAUVAISE

IIP CONDUITE (Majeure) Les mains sur les hanches

Lorsque le joueur (voir même l' i nd ividu)

nuit de façon majeure au spectacle.

· s PUNITION DE MATCH gllr Double mouvement des mains sur les hanches

Entraîne automatiquement l'expulsion et

n'ajoute pas de points de pénalité.

n .

llr

144

CABOTINAGE

Pied de nez

b utiliser avec discernement. Lorsqu'un joueur ou une équipe tente de s'attirer la faveur du public par le biais d'une blague bite au détriment de l'improvisation en cours_

THÈME NON RESPECTÉ

Rectangle dessiné dans le vide avec les deux index

Lorsque des éléments du carton-thème (titre ou catégorie) ne sont pas respectés.

Peut être annoncée comme "Non respect du thème" ou "Non respect de La catégorie"

CLICK

Tape sur le talon

LI utiliser avec discernement. Idée banale reproduite à plusieurs reprises lors d'un même Match ou utilisation peu subtile d'un référant (pièce de théâtre, film, roman, etc_).

(En Europe, ta punition appelée "dé}à vu", signalée par La main devant L'oeitformant un zéro, apporte une distinction supplémentaire).

· .1:

DÉCROCHAGE

Mouvement du bras de haut en bas avec le poing ferme"

Les fous rires non contenus en sont, tes personnages ou les accents non soutenus également. A utiliser avec discernement.

zso

CONFUSION

Rotation complète des bras devant le tronc

Lorsque Le jeu devient confus parce que personne ne joue la même improvisation, lorsque des erreurs de noms, de dates, de lieux ou autres éléments perturbent manifestement Ee déroulement normal de L'histoire, lorsque l'histoire devient manifestement impossible à suivre ou que ce qui est clairement installé n'est manifestement pas respecté, il y a peut-être confusion...

145

Table des illustrations

Photographies

-Robert Gravel et Gilles Renaud durant une représentation des 12 heures d'improvisation à deux

comédiens (1976) 18

-Pol Pelletier et Robert Gravel durant une représentation de Une femme, un homme (1975) 23

-La patinoire, aire de jeu du match d'improvisation théâtrale 85

-Le ring, aire de jeu du catch d'improvisation théâtrale 92

Schémas

-Organisation des ligues d'improvisation des Hauts-de-France étudiées 101

-Organigramme de la Scénosphère .102

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"