B - Une abstention judiciaire fondée sur la
neutralité religieuse
143. Cette démission judiciaire serait fondée
sur le principe de neutralité religieuse. Ne voulant pas trancher entre
deux parents aux désirs contradictoires et préférant
s'abstenir de se prononcer sur des questions douloureuses, les juges du fond se
replient sur une laïcité intransigeante : en cas de
désaccord, pas de circoncision.
144. Cette réticence face aux litiges à
coloration religieuse n'est pas nouvelle. Il est habituel pour les juges de
refuser explicitement de trancher la question soumise. C'est d'ailleurs ce que
dénonce un auteur , illustrant son propos par un arrêt rendu par
la Cour d'appel de Paris en 1967. Dans cette affaire, la Cour refuse d'arbitrer
un conflit d'après divorce entre un père orthodoxe et une
mère catholique en précisant que le juge « n'a aucune
qualité pour statuer dans un domaine qui relève purement et
simplement de la liberté de chacun des parents »99.
145. Pourtant, les juges se sont déjà
substitués à l'un des parents, en autorisant l'autre à
accomplir un acte religieux. Par exemple, la même Cour d'appel de Paris,
autorise en 1978 une mère à faire baptiser ses enfants et
à les éduquer dans la religion catholique, malgré la
réticence du père100.
146. Il convient par conséquent de s'interroger sur
les vraies raisons de cette absten-
tion judiciaire en matière de circoncision.
Existerait-il une mouvance hostile (et dis-
cutable) à cette coutume ? Cette hostilité
apparaît clairement dans certaines déci -
sions. Par exemple, en rejetant la demande d'un père
tendant à obtenir l'autorisation
96 CA Paris 13 septembre 2000* : Il est demandé
à la Cour de donner acte de l'accord ou du refus de la mère pour
la circoncision de l'enfant . La demande est rejetée : « La
décision de circoncire l'enfant naturel relève de l'exercice de
l'autorité parentale et nécessite l'accord des deux parents.
Faute d'accord sur ce point, il leur appartiendra de saisir à nouveau le
juge lorsque l'enfant aura atteint l'âge requis. Un donné acte de
l'accord ou du refus de la mère est dans ce cas dépourvu de
valeur juridique. »
97 CA Riom 17 avril 2007* : le père Demande à la
Cour d'imposer à la mère de donner son accord pour la
circoncision de l'enfant. Le juge rejette sa demande : « La demande
formulée par un père tendant à obtenir une décision
judiciaire imposant à la mère de soumettre à son
autorisation l'intervention chirurgicale pour la circoncision de l'enfant
commun est sans objet, une telle intervention ne pouvant être
pratiquée qu'avec l'accord des deux parents exerçant
conjointement l'autorité parentale. »
98Dessin du serpent qui se mord la queue.
99CA Paris 6 avril 1968, JCP 1967, II, n° 15100,
concl. Nepveu. 100 CA Paris 14 décembre 1978, cité par Ch. ATIAS,
note 55.
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de faire circoncire l'enfant, la Cour d'appel de Lyon qualifie
le rite d' « atteinte à l'intégrité physique de
l'enfant » et de « décision grave » (CA Lyon 25 juillet
2007*).
147. En cas de désaccord, pas de circoncision. Cette
abstention judiciaire confortée dans une apparente neutralité
religieuse, semble bien au contraire fondée sur une absence de
neutralité (une hostilité à la circoncision). Or, la
justice ne peut condamner une pratique religieuse qu'en se fondant sur des
critères objectifs.
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