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L'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire

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par Xavière Prugnard
Université d'Evry-Val-d'Essonne - Master 2 Droits de l'Homme et droit humanitaire 2015
  

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    Année académique 2014-2015

    L'INSTRUMENTALISATION

    DU DROIT D'INGERENCE

    HUMANITAIRE

    Mémoire de fin d'études réalisé dans le cadre du Master 2 Droits de l'Homme et droit humanitaire

    Mémoire réalisé sous la direction de F. Coulée

    Professeure de droit public, Docteure en droit, Directrice du Master 2 Droits de l'Homme droit humanitaire de l'Université d'Evry, Directrice du Centre de recherche Léon Duguit (CRLD) de l'Université d'Evry.

    Xavière Prugnard

    REMERCIEMENTS

    Je tiens à remercier chaleureusement chacune des différentes personnes qui ont contribué à l'élaboration de ce travail.

    En premier lieu, mes remerciements vont au Professeure Frédérique Coulée qui, en tant que directrice de mémoire, a été d'une aide précieuse tout au long de l'année par ses conseils avisés et sa disponibilité à bien des égards, et qui m'a donné l'envie de me passionner et plus encore de m'investir pour le droit international humanitaire.

    Puis, je voudrais remercier Madame Claire Brice-Delajoux, qui a accepté d'évaluer mon travail et me fait l'honneur de participer à la soutenance de ce mémoire.

    J'ai également une pensée reconnaissante envers les Professeurs, qui au cours de mon cursus universitaire, ont suscité ma vocation envers les droits de l'Homme, le droit international humanitaire et le droit international pénal.

    Enfin, je voudrais témoigner toute ma gratitude à mes parents, pour leur relecture attentive et leurs encouragements de tous les instants.

    SOMMAIRE

    (Une table des matières détaillée figure à la fin de l'ouvrage.)

    INTRODUCTION 1

    PARTIE I - LE CADRE LEGAL INCERTAIN DU DROIT D'INGERENCE

    HUMANITAIRE PROPRICE A SON INSTRUMENTALISATION 6

    Chapitre 1 - La base légale du droit d'ingérence humanitaire 7

    Section 1 - L'apport de l'Assemblée générale des Nations Unies 7

    Section 2 - L'apport du Conseil de sécurité des Nations Unies 11

    Chapitre 2 - La base légale de la responsabilité de protéger 20

    Section 1 - L'apport doctrinal de la Commission internationale de l'intervention et

    de la souveraineté des Etats 20

    Section 2 - L'apport de l'Organisation des Nations Unies 24

    PARTIE II - L'INSTRUMENTALISATION DU DROIT D'INGERENCE

    HUMANITAIRE PAR LES ETATS EN QUETE DE LEGITIMITE 30

    Chapitre 1 - Une instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire par les Etats 31

    Section 1 - Une instrumentalisation politique et militaire 32

    Section 2 - Exemple d'interventions humanitaires armées instrumentalisées 40

    Chapitre 2 - Les critères de légitimité de l'intervention militaro-humanitaire 45

    Section 1 - Les critères élaborés par la Commission internationale de l'intervention

    et de la souveraineté des Etats 46

    Section 2 - L'intervention américaine en Irak 51

    CONCLUSION 56

    BIBLIOGRAPHIE 57

    ANNEXES 66

    TABLES DES MATIERES 84

    LISTE DES ABREVIATIONS

    AGNU Assemblée générale des Nations Unies

    A/RES Résolution de l'Assemblée générale

    Art. Article

    CICR Comité international de la Croix-Rouge

    CIISE Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté

    des Etats

    CIJ Cour internationale de Justice

    CPI Cour pénale internationale

    CSNU Conseil de sécurité des Nations Unies

    DIH Droit international humanitaire

    FORPRONU Force de protection des Nations Unies

    MSF Médecins Sans Frontières

    NOHI Nouvel ordre humanitaire international

    OMP Opération de maintien de la paix

    ONG Organisation non-gouvernementale

    ONU Organisation des Nations Unies

    ONUSOM Opération des Nations Unies en Somalie

    OTAN Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

    R2P Responsabilité de protéger

    Rés. Résolution

    RGDIP Revue Générale de Droit International Public

    1

    INTRODUCTION

    L'entrée sur le territoire ukrainien de convois humanitaires russes sans autorisation préalable, durant l'été 2014, a relancé le débat sur le droit d'ingérence humanitaire et son éventuelle instrumentalisation. Face à un sujet si polémique il est nécessaire de revenir aux origines de ce droit afin de mieux cerner sa définition, sa valeur juridique et sa portée. Le flou conceptuel et sémantique de cette notion de droit d'ingérence humanitaire parfois appelée devoir d'ingérence humanitaire, responsabilité de protéger, droit à l'assistance humanitaire rendent ce droit ambigu et entraînent un flou juridique propice à son instrumentalisation. Nous tenons à préciser au lecteur, que lorsqu'il sera question du droit d'ingérence humanitaire, nous ferons référence tant au droit à l'assistance humanitaire et au principe de libre accès aux victimes (plus conventionnels), au droit d'ingérence humanitaire, au droit d'intervention humanitaire, qu'à la responsabilité de protéger. En effet, nous ne souhaitons pas rentrer dans les controverses sémantiques affectant ces principes quant à leur contenu même si toutefois nous distinguerons le droit d'ingérence humanitaire à la responsabilité de protéger sur le plan chronologique.

    Etymologiquement, le mot « ingérence » est issu du préfixe latin in (dans) et gerere (faire), soit intervenir à l'intérieur. Le Dictionnaire de droit international public (« Dictionnaire Salmon ») définit l'ingérence comme l'« Action de s'immiscer, de s'introduire indûment, sans en être requis ou en avoir le droit, dans les affaires des autres. Acte illicite synonyme d'intervention. Le mot a ici une fonction protectrice de la souveraineté des Etats. »1. L'ingérence peut prendre plusieurs formes : politique, économique, sociale et humanitaire. L'ingérence humanitaire, qui se trouvera au coeur de notre réflexion, est constituée d'un principe de libre accès aux victimes de catastrophes naturelles et politiques pour les organismes porteurs de secours (CICR, ONG) ; d'un usage de la force afin de protéger les convois humanitaires ; d'une ingérence judiciaire internationale par moyen de poursuites internationales ; d'une intervention armée afin de protéger les victimes2. Ainsi, l'ingérence humanitaire couvre un large choix d'actions

    1 Jean SALMON, Dictionnaire de droit international public, Paris, Bruylant, 2001, 1200 pages.

    2 Mario BETTATI, « Du droit d'ingérence à la responsabilité de protéger », Outre-Terre, 3/2007, n°20, p 381-389.

    2

    allant des pressions diplomatiques et économiques aux cas les plus extrêmes avec une intervention militaire. L'intervention humanitaire armée consiste en « le droit pour un Etat, ou plusieurs, d'intervenir militairement sur le territoire d'un autre Etat dans un but officiellement humanitaire »3. Cette définition de Monsieur Jean-Marie Crouzatier4 fait apparaître l'idée d'un droit, dont l'Etat serait porteur.

    Cette idée n'est pas nouvelle et a été développée pour la première fois par le célèbre juriste néerlandais Hugo Grotius, dans son ouvrage De jure belli ac pacis, au sein duquel il émettait l'idée d'un droit pour la société d'intervenir si « un traitement que nul n'est autorisé à faire » était infligé par un tyran à ses sujets5. Puis, c'est à l'occasion de la guerre du Biafra (1967-1970) que réapparaît cette idée. Des médecins du CICR, dont Monsieur Bernard Kouchner, vont dénoncer la guerre civile au Nigéria et rompre avec la traditionnelle neutralité du CICR. Ils vont aller jusqu'à aller prôner une ingérence directe pour venir au secours des populations affamées. L'aide humanitaire va s'en trouver bouleversée avec une médiatisation croissante des conflits et la création de l'ONG Médecins sans frontières. Le philosophe Jean-François Revel va reprendre cette idée à son compte et parler d'un « devoir d'ingérence » en réaction aux dictatures de Bokassa (République Centrafricaine) et d'Idi Amin Dada (Ouganda) en 1979, que le philosophe Bernard-Henri Levy va reformuler en « droit d'ingérence » lors de la guerre du Cambodge un an plus tard. Cependant, c'est véritablement lors d'un colloque international sur le thème « Droit et morale humanitaire » organisé en 1987 par Messieurs Bernard Kouchner et Mario Bettati, que la notion de droit d'ingérence humanitaire est proclamée. Une première résolution est alors adoptée par tous les participants du colloque constatant que « devraient être reconnus, dans un même document international par tous les États membres de la communauté internationale, à la fois le droit des victimes à l'assistance humanitaire et l'obligation des États d'y apporter leur contribution ». De là commence une quête de légitimité de ce droit au sein du droit international classique, que nous développerons tout au long de cette réflexion.

    3 Jean-Marie CROUZATIER, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ? », Aspects, n°2, 2008, pages 13 à 32.

    4 Jean-Marie Crouzatier est docteur en droit et professeur de droit à l'Université de Toulouse 1.

    5 Hugo GROTIUS, De jure belli ac pacis, 1625

    3

    Toutefois, cette entreprise s'avère difficile car le droit d'ingérence humanitaire contrevient à plusieurs principes du droit international public universellement reconnus et portés par les Nations Unies. Tout d'abord, il s'oppose au principe de non-ingérence, énoncé au paragraphe 7 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies. Cela se remarque au vu de la définition du Dictionnaire Salmon, qui insiste sur le principe juridique de non-ingérence dans les affaires intérieures pour définir l'ingérence en la qualifiant d' « acte illicite ». Ce principe est indissociable du principe de souveraineté des Etats, qui est la pierre angulaire des relations internationales. En effet, le droit international est construit selon une architecture où la souveraineté est un des principes les plus fondamentaux, à l'image de ses corollaires (la non-ingérence, l'indépendance politique, la compétence nationale exclusive, l'intégrité territoriale). La souveraineté suppose que l'Etat jouisse librement du monopole de la puissance intérieure (sur son territoire et sa population) et du monopole de la puissance extérieure (diplomatie et guerre)6. En 1981, les Etats membres des Nations Unies ont renouvelé cette position en adoptant la « Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats » par le biais de l'Assemblée générale7. Cependant, l'époque où la souveraineté était absolue est révolue depuis la fin de la Guerre froide et, chaque Etat considère la souveraineté des autres Etats comme limite de sa propre souveraineté. Le Président Mitterrand formulait une limite à ce respect mutuel de souveraineté, en déclarant « l'obligation de non-ingérence s'arrête à l'endroit précis où naît le risque de non-assistance »8. On observe ainsi que l'avènement de l'ingérence humanitaire va marquer la fin de la théorie de la souveraineté absolue. Plus encore, le droit d'ingérence humanitaire va à l'encontre du devoir de réserve et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (article 1§2 de la Charte des Nations Unies). Toutefois, c'est l'intervention humanitaire armée, forme la plus extrême du droit d'ingérence humanitaire qui pose le plus de problème au regard du principe de non-recours à la force (article 2§4 de la Charte des Nations Unies). La CIJ a, à plusieurs reprises, affirmé que le droit d'ingérence violait ce dernier comme l'atteste l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua

    6 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue géopolitique [En ligne], 26 février 2015, http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html (Page consultée le 3 août 2015).

    7 Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats de l'Assemblée générale des Nations Unies, résolution votée le 9 décembre 1981 à la 91ème séance (A/RES/36/103).

    8 Discours du Président François Mitterrand, inaugurant la session de Paris de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, le 30 mai 1989.

    4

    et contre celui-ci de 1986 opposant le Nicaragua aux Etats-Unis9. Cependant, plusieurs exceptions à l'interdiction du recours à la force armée existent ; la légitime défense, l'intervention militaire consentie (à l'instar de l'opération Serval au Mali par la France) et l'intervention militaire autorisée par le Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cette étude sera focalisée sur la dernière de ces exceptions lorsqu'elle se fait pour des motifs humanitaires, l'ingérence humanitaire armée.

    L'entrée de l'humanitaire dans le champ de la sécurité collective a conduit à sa militarisation et à une augmentation des risques d'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire afin de légitimer a posteriori tous les abus commis par les Etats. Face à la crainte d'un « impérialisme humanitaire », le droit d'ingérence humanitaire est depuis les années 1990, une des questions les plus controversées en droit international au regard des interventions armées menées en son nom. Toutefois, ce débat est davantage porté sur la légitimité et les modalités du recours à la force armée dans le cadre des opérations militaro-humanitaires que sur l'existence même du droit d'ingérence humanitaire. Ainsi, ce travail n'a pas pour vocation à répondre aux critiques concernant l'existence même d'un droit d'ingérence humanitaire, ni de dresser un bilan des effets positifs ou négatifs des interventions armées effectuées sous la bannière de l'ingérence humanitaire. Une approche juridique du sujet a été privilégiée et de ce fait les interventions humanitaires armées seront analysées au travers du prisme du droit international positif, et non pas au travers de considérations politiques, sociales ou économiques. Nous nous attacherons à mesurer l'évolution du cadre légal du droit d'ingérence humanitaire dans le droit international public et l'instrumentalisation qui peut en être faite à l'occasion de sa forme la plus extrême, l'instrumentalisation humanitaire armée. Cette évolution a en effet eu des répercussions sur la manière dont les Etats en faisaient usage et dans un monde où le recours à la force armée est interdit et les exceptions strictement contrôlées, certains Etats ont pu percevoir dans le droit d'ingérence humanitaire un moyen de contourner cette interdiction. En l'instrumentalisant, les Etats ont conduit à le décrédibiliser dès ses débuts.

    9 CIJ, 21 juin 1986, affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Rec. 1986, p. 14 et suivantes.

    5

    L'objet de ce travail sera donc de parvenir à savoir dans quelle mesure la fragilité du cadre légal international du droit d'ingérence humanitaire favorise-t-elle son instrumentalisation par les Etats dans le cadre des opérations militaro-humanitaires ?

    Dans cette optique, il sera étudié dans un premier temps le cadre légal incertain du droit d'ingérence humanitaire propice à son instrumentalisation (Partie I). Dans un second temps, nous verrons comment les Etats, en quête de légitimité, n'hésitent pas à instrumentaliser le droit d'ingérence humanitaire à l'occasion d'interventions militaires (Partie II).

    6

    PARTIE I - LE CADRE LEGAL INCERTAIN DU DROIT D'INGERENCE HUMANITAIRE PROPICE A SON INSTRUMENTALISATION

    Depuis son élaboration, le droit d'ingérence humanitaire est sujet à de vives controverses et fait l'objet d'un grand nombre de critiques. Certains auteurs vont jusqu'à refuser de reconnaître l'existence même de ce droit. A ce titre, Monsieur Eric Pourcel10 affirme que le principe juridique d'ingérence humanitaire n'existe pas et n'est qu'une « revendication qui se heurte à des principes juridiques fondamentaux qui constituent l'architecture même du droit international public »11. Ce refus de reconnaissance met en exergue la fragilité de la base légale du droit d'ingérence humanitaire.

    A titre liminaire, on peut relever à l'instar de Madame Marie-José Domestici-Met12, que le droit à la vie fonde la règle d'assistance humanitaire. On le retrouve à l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, à l'article 6 du Pacte sur les droits civils et politiques et à l'article 12 du Pacte sur les droits économiques et sociaux. Ainsi, l'assistance humanitaire est une « procédure de garantie du droit à la vie » et « en tant que prolongement naturel du droit à la vie, l'aide humanitaire est conçue, dans la pensée juridique occidentale, comme une valeur prioritaire »13.

    La formalisation juridique du droit d'ingérence humanitaire est passée naturellement par le système onusien. Chronologiquement, on retrouve à la fin des années 1980 la formalisation juridique du droit d'ingérence humanitaire (Chapitre 1), qui fragilisé, sera renforcé dans sa base légale par l'avènement du principe de responsabilité de protéger en 2005 (Chapitre 2).

    Dans cette partie, les notions de "droit d'ingérence humanitaire" et de "responsabilité de protéger" seront distinguées quant à leur dénomination dans l'optique de montrer leur base légale respective et l'évolution qui en découle.

    10 Eric Pourcel est docteur en droit et officier réserve marine.

    11 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue géopolitique [En ligne], 26 février 2015, http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html (Page consultée le 3 août 2015).

    12 Marie-José Domestici-Met est Professeure à l'Université Paul Cézanne d'Aix Marseille 3 et directrice de l'Institut d'études humanitaires internationales (IEHI).

    13 Marie-José DOMESTICI-MET, « Aspects juridiques récents de l'assistance humanitaire », Annuaire français de droit international, volume 35, 1989, p. 117-148.

    7

    Chapitre 1 - La base légale du droit d'ingérence humanitaire

    La formalisation juridique du droit d'ingérence humanitaire s'est effectuée au sein de l'enceinte onusienne, grâce à une impulsion de la diplomatie française. Entre 1988 et 1991, l'Assemblée générale (Section 1) puis le Conseil de sécurité des Nations Unies (Section 2) ont oeuvré à l'élaboration de la base légale du concept d'ingérence humanitaire en adoptant trois résolutions visant à secourir des populations.

    Section 1 - L'apport de l'Assemblée générale des Nations Unies

    C'est par le vote des résolutions 43/131 du 8 décembre 1988 (§ 1) et 45/100 du 10 décembre 1990 (§ 2) que l'Assemblée générale des Nations Unies a reconnu pour la première fois un droit d'assistance humanitaire. Après avoir étudié le contenu des résolutions séparément, il convient d'en étudier la valeur juridique (§ 3).

    § 1 - La résolution 43/131 du 8 décembre 1988

    La résolution 43/131 sur l'assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situation d'urgence du même ordre a été adoptée le 8 décembre 1988 par l'Assemblée générale des Nations Unies14. Coparrainé par 32 Etats, ce texte est avant tout un projet français, porté par Monsieur Bernard Kouchner. A travers cette dernière, l'AGNU consacre pour la première fois un droit d'assistance humanitaire tout en « réaffirmant la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité nationale des Etats et reconnaissant que c'est à chaque Etat qu'il incombe au premier chef de prendre soin des victimes de catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre se produisant sur son territoire »15.

    Ainsi, comme le remarque Monsieur Mario Bettati16, le caractère inédit de cette résolution réside dans l'affirmation du principe de libre accès aux victimes, qui touchent tant l'Etat concerné que les Etats voisins du fait d'une exigence d'accessibilité à leur

    14 Voir Annexe n°1.

    15 Résolution 43/131 de l'Assemblée générale des Nations Unies relative à l'assistance humanitaire des victimes de catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre, adoptée le 8 décembre 1998, A/RES/131.

    16 Mario Bettati est un juriste qui a beaucoup travaillé sur le droit d'ingérence humanitaire. Il est également Professeur à l'Université de Paris II.

    8

    encontre (dispositif §§ 4 et 6)17. Tous doivent faciliter la mise en oeuvre des opérations d'assistance par les organisations internationales et non gouvernementales, car l'absence de telles opérations « représente une menace à la vie humaine et une atteinte à la dignité humaine » (préambule § 5). Toutefois, l'Etat concerné reste prioritaire dans l'initiative de l'action humanitaire.

    De plus, la résolution 43/141 consacre le rôle des organisations non gouvernementales (ONG) dispensant une assistance humanitaire et leur impose de respecter les principes d'humanité, de neutralité et d'impartialité. Cette reconnaissance par les Nations Unies leur permet de bénéficier également du libre accès nécessaire à leur action. En soulignant le caractère prioritaire de l'action de l'Etat concerné, les rédacteurs de la résolution entendent placer l'action des ONG en seconde place.

    Monsieur Mario Bettati - ayant participé aux négociations au sein de la délégation française à New York pour l'adoption de la résolution 43/131 - rapporte que le délégué soviétique avait qualifié cette résolution de « révolutionnaire »18. Le Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali a rendu hommage à cette même résolution en 1993 lors de son discours à la conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'Homme, estimant que depuis que « l'Assemblée générale a adopté la résolution 43/131 relative à l'assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre, la notion de droit d'assistance humanitaire est devenue, en quelque sorte, l'une des dimensions opérationnelles de la garantie des droits de l'Homme »19.

    La résolution, bien que novatrice, a trouvé une application le lendemain même de son adoption suite au tremblement de terre survenu en Arménie faisant jusqu'à 30 000 victimes. L'URSS, pour la première fois, ouvrait ses frontières afin de permettre à l'assistance humanitaire (sans visa) de venir secourir les populations arméniennes.

    17 Mario BETTATI, « Le droit d'ingérence : sens et portée », Le Débat 1991/5 (n°67), p. 4 à 14.

    18 Mario BETTATI, « L'ONU et l'action humanitaire », Politiques étrangères n°3, 1993, 58ème année, p. 641-658.

    19 Discours de l'ancien Secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali à la conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'Homme (G/SM/5012/HR/3835).

    9

    § 2 - La résolution 45/100 du 10 décembre 1990

    La deuxième étape de la reconnaissance onusienne du droit d'ingérence humanitaire est marquée par l'adoption de la résolution 45/100 du 10 décembre 199020 de l'AGNU établissant des « corridors humanitaires »21. Cette dernière peut être perçue comme étant la transposition d'une règle de droit maritime international, contenue dans l'article 17 de la Convention de Montego Bay22, qui consacre le droit de passage inoffensif en faveur des navires de tous les autres Etats. A l'origine de cette résolution, on trouve un rapport du Secrétaire général de l'ONU, rédigé en octobre 1990 sur la base de la résolution 43/13123. Ainsi la résolution 45/100 a été rédigée dans la lignée de celle 43/131 et c'est ce que l'AGNU compte montrer lorsqu'elle se réfère directement à sa résolution 43/131 dans le premier paragraphe du préambule.

    Toutefois, afin de rassurer les Etats réticents à une telle ingérence humanitaire, les couloirs humanitaires doivent être limités à plusieurs égards : limités dans le temps en ce qu'ils sont un simple droit de transit le temps d'apporter une aide ; limités dans l'espace aux seuls trajets d'accès déterminés au préalable ; limités à un objet tel que l'apport de soin, de nourriture ; limités dans l'exercice à l'instar des règles de l'article 19 de la Convention de Montego Bay ; et limités par une déontologie exigeant la neutralité et l'impartialité des acteurs de l'assistance humanitaire24.

    On peut citer comme exemples de couloirs humanitaires, les « routes bleues » créées par l'ONU dans le nord de l'Irak afin de venir au secours des populations Kurdes en 1991. Le but étant de sécuriser le retour des réfugiés kurdes chez eux.

    20 Voir Annexe n°2.

    21 Résolution 45/100 de l'Assemblée générale des Nations Unies sur les couloirs humanitaires d'urgence, adoptée le 14 décembre 1990, A/RES/45/100.

    22 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée le 10 décembre 1982, article 17.

    23 Document officiel de l'Assemblée générale, 45ème session, A/45/587.

    24 Mario BETTATI, « Droit d'ingérence humanitaire », Encyclopædia Universalis [en ligne], https://www-universalis--edu-com.bibliopam-evry.univ-evry.fr/encyclopedie/droit-d-ingerence/ (Page consultée le 12 août 2015.

    10

    § 3 - La valeur juridique des résolutions de l'Assemblée générale

    L'Assemblée générale peut délibérer, proclamer ou déclarer mais ses résolutions n'ont pas de valeur contraignante pour les Etats puisqu'elles n'ont que la valeur de recommandation. La procédure de non-objection a été utilisée pour l'adoption des résolutions 43/131 et 45/100. Cette procédure consiste en l'obtention d'un consensus, n'appelant aucun vote et ne permettant pas la formation d'une opposition formelle qui serait politiquement inopportune pour un Etat25. L'apport juridique est à relativiser en raison de la procédure utilisée. L'apport est plus à considérer sous l'angle de la formation d'une « pratique onusienne » servant de socle légal pour le développement du concept de droit d'ingérence humanitaire par la doctrine et par les Etats.

    On peut remarquer que la terminologie utilisée pour les résolutions 43/131 et 45/100 est sensiblement la même et que la résolution 45/100 commence par une référence à la résolution 43/131. Cela renforce l'impression de filiation entre les deux, d'approfondissement du droit d'ingérence humanitaire. Par ailleurs, comme le souligne le Professeur René Jean Dupuy, l'AGNU est composée largement des pays en développement et « ces résolutions marquent leur adhésion au principe d'un devoir d'assistance humanitaire pesant sur la communauté des nations et des hommes »26. On peut tout de même noter que de nombreuses réserves ont été formulées par des pays en voie de développement, percevant en ce principe d'assistance humanitaire une nouvelle forme d'impérialisme, basée cette fois-ci sur le droit et la morale.

    Au regard des différentes résolutions de l'AGNU, on peut constater une certaine frilosité quant à la création d'un cadre légal solide permettant au droit d'ingérence humanitaire de se développer. En effet, seul un droit d'assistance humanitaire est proclamé par cette dernière. Des références aux droits de l'Homme et à la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 étaient initialement prévues27. Force est de constater que c'est la pratique qui a consacré le droit d'ingérence humanitaire, à travers les différentes résolutions du Conseil de sécurité.

    25 Philippe BRETTON, « Ingérence humanitaire et souveraineté », Pouvoirs, n°67, novembre 1993, p. 5970.

    26 René-Jean DUPUY, « L'ingérence internationale, jusqu'où ? Le droit d'assistance humanitaire », Etudes, Paris, 1992, tome 376 n°1 (3761), p. 15 à 23.

    27 Déclaration Universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948, Les grands textes du droit international public, 2ème édition, Dalloz, 2000, p. 65-70.

    Section 2 - L'apport du Conseil de sécurité des Nations Unies

    Le Conseil de sécurité des Nations Unies présente une particularité du fait qu'il n'est pas compétent en matière de droits de l'Homme. L'article 24 de la Charte des Nations Unies en fait l'organe responsable de la paix et de la sécurité internationales28, un organe de prévention et de gestion des crises militaires. Néanmoins, l'article 34 de la Charte29 ouvre certaines perspectives au CSNU en ce qu'il lui permet d' « enquêter sur tout différend ou toute situation qui pourrait entraîner un désaccord entre nations ou engendrer un différend, afin de déterminer si la prolongation de ce différend ou de cette situation semble devoir menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Il va ainsi estimer dans la pratique que des situations de violations massives et persistantes des droits de l'Homme menacent la paix et la sécurité internationales.

    Cet apport se fait sur la base d'une relecture par le CSNU du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ». Il résulte d'une interprétation toujours plus extensive de la notion de « paix et sécurité internationales ». Mais l'ingérence humanitaire ne fonde pas les décisions du CSNU : il agit d'abord en vertu du Chapitre VII, puis constate une situation de violation massive des droits de l'Homme menaçant la paix et la sécurité internationales. A ce titre, la résolution 688 du 5 avril 1991 marque un tournant (§ 1). Cet apport passe également par l'intégration de l'action humanitaire aux stratégies politiques et militaires par le CSNU et s'illustre à travers les opérations de maintien de la paix et les interventions militaires internationales (§ 2).

    11

    28 Voir Annexe n°4.

    29 Voir Annexe n°4.

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    § 1 - La résolution 688 du 5 avril 1991

    Afin de saisir pleinement la portée de la résolution 688 du Conseil de sécurité30, il faut s'attacher à examiner son contenu (A) ainsi que sa valeur juridique (B).

    A. Le contenu de la résolution

    La résolution 688 du CSNU relative aux réfugiés kurdes (quatre cent mille en Turquie et un million en Iran), adoptée le 5 avril 1991, est une application directe de la résolution 45/100 de l'AGNU, en ce qu'elle « insiste pour que l'Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance dans toutes les parties de l'Irak » (dispositif § 3)31. Pour la première fois, le Conseil de sécurité fonde son intervention sur l'existence d'une crise humanitaire qui constitue une menace à la paix et la sécurité internationales dans le contexte de la répression de la population kurde irakienne par Saddam Hussein. Toutefois, on peut remarquer qu'aucune référence au Chapitre VII de la Charte n'est faite, cela s'explique car c'est une collaboration qui a eu lieu entre les Nations Unies et l'Irak.

    Ainsi, le CSNU a permis la mise en place de « relais humanitaires » au bénéfice des populations kurdes en Irak et de « routes bleues » permettant le retour des réfugiés kurdes. Il affirme alors, que constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales, « un flux massif de réfugiés vers des frontières internationales et à travers celles-ci et des violations de frontière » (Préambule § 3). Par conséquent, cette situation fut considérée comme internationalisée. La mise en place de cette assistance humanitaire s'est accompagnée du déploiement sur le sol irakien de quelques centaines de « Gardes bleus » en vertu de l'accord conclu entre l'ONU et l'Irak du 23 mai 199132. Ces derniers ne sont pas à confondre avec les Casques bleus constituant les forces de maintien de la paix, ils étaient chargés de surveiller les relais humanitaires et avaient également une vocation surtout symbolique33.

    30 Voir Annexe n°3.

    31 Résolution 688 du Conseil de Sécurité, adoptée le 5 avril 1991 à la 2982ème séance par 10 voix contre 3 (Cuba, Yémen, Zimbabwe) avec 2 abstentions (Chine, Inde), S/RES/688 (1991).

    32 Mario Bettati, « L'ONU et l'action humanitaire », Politiques étrangères n°3, 1993, 58ème année, p. 641658.

    33 Les « Gardes bleus » ont un statut juridique différent des « Casques bleus », qui trouve sa source dans le Memorandum of understanding (MOU).

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    Toutefois, on peut remarquer qu'il est nulle fois fait référence au concept de droit d'ingérence humanitaire dans cette résolution et que le Conseil de sécurité fait référence dès le préambule au principe de non-intervention dans les affaires intérieures d'un Etat de l'article 2§7 de la Charte des Nations Unies. Cela pourrait nous conduire à amoindrir la portée de cette résolution, pourtant inédite mais il faut prendre en compte que depuis, toutes les résolutions de l'ONU emploient l'expression d' « assistance humanitaire ».

    B. La valeur juridique de la résolution

    Le CSNU peut, à la différence de l'AGNU, prendre des décisions obligatoires qui auront force contraignante pour les Etats. Ils se verront ainsi opposer une obligation conventionnelle d'accepter et d'appliquer ses résolutions, conformément à l'article 25 de la Charte.34. Le CSNU peut également prendre des décisions exécutoires à l'instar de la résolution 688 organisant l'assistance humanitaire internationale. Depuis les années 1990, une centaine d'Etats adoptent au sein du CSNU des résolutions exhortant de respecter les droits de l'Homme et de cesser leur violation, et proclamant le droit d'ingérence humanitaire. On peut ainsi constater que ce droit s'est enraciné dans le paysage juridique international.

    La résolution 688 a permis la mise en oeuvre, du moins implicite, de l'opération « Provide Comfort » en Irak qui s'est déroulée au cours de l'année 1991. Un mémorandum d'accord, négocié en même temps, est signé le 18 avril 1991. Il permet une action humanitaire en Irak à deux niveaux afin de faciliter le rapatriement des réfugiés kurdes : les relais humanitaires (étapes le long des couloirs humanitaires) et les centres humanitaires (installations en aval des couloirs humanitaires). On peut considérer que cette résolution mettant en place une assistance humanitaire marque l'émergence du droit d'ingérence humanitaire à deux égards. Premièrement, elle autorise de façon inédite des forces armées nationales à intervenir militairement de manière unilatérale dans le but de faire respecter les droits de l'Homme. Deuxièmement, elle est la première sur plus de 300 résolutions où le CSNU va affirmer que « la violation massive des droits de l'Homme par un gouvernement constitue une menace ou une atteinte à la paix » selon la formule type onusienne.

    34 Voir Annexe n°4.

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    § 2 - Les opérations de maintien de la paix

    C'est en étudiant les opérations de maintien de la paix que l'on peut s'apercevoir que le droit d'ingérence humanitaire a moins été créé par une production normative, que par une pratique de l'ONU et des Etats. Ainsi, seules quelques opérations de maintien de la paix (OMP) emblématiques seront étudiées afin de démontrer que malgré l'absence de base légale formelle dans la Charte des Nations Unies le droit d'ingérence humanitaire a connu depuis les années 1990 de multiples applications concrètes sur le terrain.

    Avant d'analyser différentes opérations de maintien de la paix dans le cadre du droit d'ingérence humanitaire (B), il est nécessaire de définir ce que ce sont de telles opérations (A).

    A. La définition d'une opération de maintien de la paix

    Conformément à l'article 24 de la Charte des Nations Unies., le CSNU se voit conférer par les Etats Membres « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales »35. C'est dans le cadre de cette mission qu'il peut décider de mettre en place une OMP, mais cette possibilité du Conseil de sécurité n'est pas expressément prévue par la Charte. Selon la « Doctrine Capstone »36, la base juridique d'une OMP peut se trouver dans les chapitres VI, VII et VIII de la Charte relatifs respectivement au règlement pacifique des différends, à l'action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression et, aux accords régionaux. Pour autant, le CSNU reste libre de se référer ou pas à un chapitre de la Charte de San Francisco pour justifier son action.

    Une OMP onusienne est une opération de paix, autorisée par le Conseil de sécurité mais conduite sous la direction du Secrétaire général des Nations Unies et plus précisément du Département des opérations de maintien de la paix. Cette opération de terrain vise à prévenir, gérer et/ou résoudre des conflits armés ou diminuer les risques de leur recrudescence37. Chaque opération de la paix diffère selon le mandat qui lui est

    35 Article 24§1 de la Charte des Nations Unies.

    36 Document officiel des Nations Unies intitulé « Opérations de maintien de la paix des Nations Unies, principes et orientation », Département des opérations de maintien la paix & de l'appui aux missions, janvier 2008.

    37 Document officiel des Nations Unies intitulé « Opérations de maintien de la paix des Nations Unies, principes et orientation », Ibid.

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    octroyé par le Conseil de sécurité. Les mandats indiquent les différentes tâches confiées aux opérations et leur durée ; ils résultent de la nature même du conflit, de la situation et des besoins qui en découlent. La plus ancienne - et toujours en vigueur - OMP est celle formée en mai 1948 par des observateurs militaires de l'Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve (ONUST), déployés dans le but de surveiller les cessez-le-feu dans la région du Moyen-Orient (en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés). A contrario certaines ne peuvent durer que quelques mois.

    A l'origine les OMP avaient des mandats assez similaires bien qu'adaptés aux situations spécifiques où elles agissaient. Cependant, on peut remarquer que depuis les années 1990, ces dernières connaissent une double mutation, quant à leur objet et quant à leurs moyens38. Initialement prévues pour les conflits interétatiques, les OMP ont vu leur mandat s'élargir aux conflits internes incluant ainsi les guerres civiles, religieuses, ethniques ou tribales. Ceci est à mettre en lien avec la lecture toujours plus extensive, que le Conseil de sécurité fait, des « menaces contre la paix » incluant à la même époque les violations massives et graves des droits de l'Homme. En outre, les moyens des OMP ont été renforcés puisqu'il est parfois permis aux Casques bleus de recourir à la force dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies à des conditions très précises (en cas de légitime défense)39.

    B. Les opérations de maintien de la paix dans le cadre du droit d'ingérence humanitaire

    On peut ainsi dénombrer trois générations d'opérations de maintien de la paix. La première génération couvre la période de 1948 à 1993 et vise à éviter les conflits entre les grandes puissances. Les deux autres générations débutent à partir de 1993. L'une (deuxième génération) est axée sur des missions de consolidation de paix où les opérations agissent plus souvent dans le cadre de conflits internes et sont puissamment armées et volumineuses en termes de Casques bleus. L'autre (troisième génération) est constituée par des opérations dites « mixtes », à la fois civiles et militaires, souvent ambitieuses qui visent à mettre en place des engagements à long terme.

    38 Mario BETTATI, « L'usage de la force par l'ONU », Pouvoirs 2004/2 (n°109), p. 111-123.

    39 Résolution 814 du Conseil de Sécurité, adoptée le 6 juin 1993 à la 3188ème séance, S/RES/814 (1993).

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    Le droit d'ingérence humanitaire a influencé la mise en oeuvre de ces opérations dites de "troisième génération". Plus complexes de par leur mandat (regroupant des missions de quatre types : politique, militaire et sécuritaire, humanitaire et civile), ces opérations sont également plus longues. Ces opérations se différencient avec l'apparition de trois nouveautés : l'élargissement du mandat humanitaire de l'ONU ; l'apparition d'une dimension coercitive autre que la légitime défense ; la délégation par l'ONU de l'usage de la force à des contingents nationaux au sein d'une coalition ad hoc40. L'étude de telle opération met en exergue l'ambiguïté et la complexité des interventions dites « militaro-humanitaires ».

    Trois opérations de maintien de la paix historiques seront successivement étudiées à la lumière du droit d'ingérence humanitaire : les opérations ONUSOM (A) et FORPRONU (B) sous commandement de l'ONU et l'opération Turquoise (C) habilitée par l'ONU.

    1. L'opération ONUSOM

    En 1991, dans un contexte de guerre civile en Somalie, près de la moitié de la population somalienne souffre de famine ou de maladies liées à la malnutrition. S'octroyant un mandat humanitaire, le CSNU va pour la première fois à l'occasion d'un conflit interne en Somalie, mandater une opération pluridimensionnelle intégrant une équipe spécialisée en droits de l'Homme, que certains qualifient d'opération militaro-humanitaire et, fonder son action sur le chapitre VII de la Charte. Le but de cette mission était d'assurer la sécurité de l'acheminement des secours et de réintroduire un standard en matière de droits de l'Homme.

    En 1992, le Conseil de sécurité va constater qu'une menace contre la paix et la sécurité internationales est constituée par la violation massive et grave des droits de l'Homme en Somalie41, et va déployer une Opération des Nations Unies en Somalie (ONUSOM I) de première génération42. Face à l'insécurité grandissante, il est décidé

    40 Document sur le Maintien de la paix, site web de Médecins Sans Frontières, http://www.msf.fr/sites/www.msf.fr/files/maintien_de_la_paix.pdf.

    41 Résolution 733 du Conseil de Sécurité, adoptée à l'unanimité le 23 janvier 1992 à la 3039ème séance, S/RES/733 (1992).

    42 Résolution 751 du Conseil de Sécurité, adoptée à l'unanimité le 24 avril 1992 à la 3069ème séance, S/RES/751 (1992)

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    d'envoyer des Casques bleus car la présence des Gardes bleus n'est plus suffisante43. Puis, l'ONU va autoriser le déploiement d'une force multinationale coalisée sous commandement unifié afin d'instaurer des « conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaires »44. Enfin, une nouvelle force de casques bleus est envoyée (ONUSOM II), qui peut de manière inédite avoir recours à la force conformément au Chapitre VII de la Charte45. De nombreux pays d'Afrique, d'Asie, d'Europe et d'Amérique y ont participé. On assiste là à une graduation des moyens face aux échecs successifs pour imposer la paix en Somalie.

    Cette résolution présente deux innovations majeures : le Conseil de sécurité va fonder pour la première fois son action sur le Chapitre VII de la Charte pour fournir une assistance humanitaire et la menace était constituée par un conflit interne en Somalie. Ainsi, il s'agit de la première opération d' « imposition » de la paix.

    2. L'opération FORPRONU

    Cette fois-ci, c'est en Europe qu'une opération de maintien de la paix est organisée. C'est dans un contexte d'éclatement de la Yougoslavie, que la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) a été envoyée initialement en Croatie. Progressivement son mandat a été étendu à la Bosnie-Herzégovine en juin 1992 puis à la Macédoine en décembre 1992.

    Par la résolution 743 du 21 février 1992, une opération de la FORPRONU a été mandatée en vertu du Chapitre VI dans le but de protéger militairement la fourniture de l'aide humanitaire, puis plus tard dans le but d'assurer la protection des convois des détenus libérés46. La FORPRONU va jusqu'à organiser la neutralisation de l'aéroport de Sarajevo et la mise en place « entre l'aéroport et la ville, de couloirs de sécurité, sous contrôle de la FORPRONU, pour assurer l'acheminement de l'aide et les déplacements du personnel requis »47. On constate également une graduation des moyens à la lecture

    43 Mario Bettati, « L'ONU et l'action humanitaire », Politiques étrangères n°3, 1993, 58ème année, p. 641658.

    44 Résolution 794 du Conseil de Sécurité, adoptée à l'unanimité le 3 décembre 1992 à la 3145ème séance, S/RES/794 (1992).

    45 Résolution 814 du Conseil de Sécurité, adoptée le 6 juin 1993 à la 3188ème séance, S/RES/814 (1993).

    46 Mario Bettati, « L'ONU et l'action humanitaire », Politiques étrangères n°3, 1993, 58ème année, p. 641658.

    47 Résolution 764 du Conseil de Sécurité, adoptée à l'unanimité le 13 juillet 1992 à la 3093ème séance, S/RES/764 (1992).

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    de la résolution 819 du 16 avril 1993 où la mission à la possibilité d'employer « toutes les mesures nécessaires », y compris la force. Autorisée à se défendre en cas d'attaque des « zones de sécurité », la FORPRONU peut également recourir à la force aérienne et coordonner son action avec l'OTAN pour ce faire.

    3. L'opération Turquoise

    Cette opération militaire résulte d'un tragique contexte : le génocide des Tutsis par les Hutus qui s'est déroulé du 7 avril à la fin du mois de juin 1994 au Rwanda. L'ONU a fait état de la mort de 800 000 Tutsis et Hutus modérés durant cette courte période48. Une opération militaire onusienne était déjà sur place depuis quatre ans, la Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR). Elle a évacué le pays dès les premiers massacres du fait de la mort de plusieurs Casques bleus alors qu'ils protégeaient le Premier ministre.

    Cependant, face à l'absence de réactivité de la communauté internationale et aux difficultés que rencontraient la MINUAR (manque de ressources et d'effectifs), la diplomatie française propose une résolution au Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée le 22 juin 1994. Cette dernière autorise l'intervention d'une force armée humanitaire et neutre de 2 500 hommes, avec un commandement français sous l'égide de l'ONU. La France obtint ainsi l'aval de l'ONU pour mener l'opération Turquoise qui avait pour mission de « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force »49.

    Ainsi, ces trois opérations reflètent le poids grandissant du droit d'ingérence humanitaire dans les relations internationales. Face à de telles opérations militaro-humanitaires, on ne peut réduire le droit d'ingérence humanitaire à une simple revendication à l'instar de Monsieur Eric Pourcel.

    48 Document officiel de l'ONU, Rapport de la Commission indépendante d'enquête sur les actions de l'Organisation des Nations Unies lord du génocide de 1994 au Rwanda, 15 décembre 1999, S/1999/1257 (1999).

    49 Résolution 929 du Conseil de Sécurité, adoptée le 22 juin 1994 à la 3392ème séance, S/RES/929 (1994).

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    A la lecture de ce premier chapitre, force est de constater que le droit d'ingérence humanitaire souffre de la fragilité de sa base légale et des ambiguïtés qui sont propres à sa terminologie. Plusieurs résolutions, tant de l'Assemblée générale que du Conseil de sécurité des Nations Unies, viennent valider l'existence d'un droit d'intervention humanitaire mais ce dernier pâtit de ne pas être explicitement mentionné dans la Charte de San Francisco ou dans une autre convention regroupant la communauté internationale. Ainsi, il subit de vives critiques de la part de ses détracteurs et ne cesse de faire débat. Par la lettre du 5 mai 2000 adressée au Président de l'AGNU, le Représentant permanent du Nigéria auprès de l'ONU, en tant que Président du Groupe des 77, réaffirme l'opposition de ce groupe au droit d'ingérence humanitaire. Déjà formulée au cours du Sommet du Sud d'avril 2000 à la Havane, le groupe des 77 explique cette opposition par le fait qu'un tel droit serait incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies (à comprendre le principe de non-ingérence de l'article 2§7). Il le fait en ces termes : « le soi-disant droit d'intervention humanitaire qui n'a aucun fondement juridique dans la Charte des Nations Unies et dans les principes généraux du droit international public [...]. L'assistance humanitaire doit être entreprise dans le strict respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique des Etats concernés [...] et avec leur approbation50 ».

    En dépit de ces éléments, c'est la pratique des Nations Unies et des Etats eux-mêmes qui a consacré l'existence d'un droit d'ingérence humanitaire et qui l'a rendu opérationnel. Selon Monsieur Mario Bettati, l'attitude du Conseil de sécurité consacre le droit d'ingérence en ce qu'il « a légalisé l'intervention militaire en refusant de la condamner. Comme en droit, ce qui n'est pas interdit est permis ».51 S'extirpant du débat lié au droit d'ingérence humanitaire discrédité, les Nations Unies vont alors proposer une reformulation du principe, à travers l'avènement de la « responsabilité de protéger ».

    50 Déclaration du Sommet du Sud, du groupe des 77, réuni à La Havane, le 14 avril 2000.

    51 Mario BETTATI, «Ne tirez pas sur le droit d'ingérence ! », Politique internationale, n.87, Printemps 2000, p. 447 et 452 à 453.

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    Chapitre 2 - La base légale de la responsabilité de protéger

    La responsabilité de protéger, qu'on appelle également R2P (Responsability to Protect) dans le jargon onusien, est un nouveau concept qui va venir se substituer au droit d'ingérence humanitaire en 2005.

    Le Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Kofi Annan, s'est interrogé sur les « perspectives de la sécurité humaine et de l'intervention au siècle prochain » à l'occasion de la 54ème session de l'Assemblée générale. Compte-tenu des échecs majeurs de la communauté internationale (en particulier du Conseil de sécurité) à agir face aux évènements de 1994 au Rwanda et ceux en 1999 du Kossovo, le Secrétaire général a exhorté la communauté internationale à parvenir à un consensus sur la question de l'intervention humanitaire afin de « trouver un terrain d'entente dans l'adhésion aux principes de la Charte et dans la défense active de notre condition commune d'êtres humains »52.

    La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats a souhaité relever ce défi dans son rapport (section 1), lequel a permis aux Nations Unies d'élaborer un nouveau concept, la responsabilité de protéger (section 2).

    Section 1 - L'apport doctrinal de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats

    Afin de mieux saisir l'apport doctrinal de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, il est important d'examiner, dans un premier temps, la nature de cette commission (§ 1), puis dans un second temps, le rapport qu'elle a rendu.

    § 1 - La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats

    La particularité de cette Commission relève d'une part du mandat qu'il lui a été confié (A) et d'autre part de sa composition plurielle (B).

    52 Discours du Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Kofi ANNAN, 54ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies, septembre 1999.

    A. 21

    Le mandat de la Commission

    Le Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Kofi Annan, invita l'Assemblée générale à se pencher sur la question incontournable du droit d'ingérence humanitaire à l'occasion de son Rapport du Millénaire de 2000. Il le fit en ces termes : « Si l'intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l'Homme qui vont à l'encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d'êtres humains ? »53.

    En guise de réponse, le gouvernement du Canada et un groupe de grandes fondations annoncèrent la création de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE) devant l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2000. Essayant ainsi de savoir « à quel moment la communauté internationale doit-elle intervenir à des fins humanitaires ? », la CIISE façonna le concept de « responsabilité de protéger ».

    Dans cette optique, la CIISE « a été invitée à aborder l'ensemble des questions juridiques, morales, opérationnelles et politiques qui se posent dans ce domaine, à recueillir un éventail aussi vaste que possible d'avis dans le monde entier, et à déposer un rapport qui aiderait le Secrétaire général et tous les autres intervenants à trouver un nouveau terrain d'entente »54. Son travail a duré une année entière, au cours de laquelle de multiples réunions partout dans le monde ont été organisées.

    B. La composition de la Commission

    Cette commission se composait de douze commissaires de nationalités différentes : les coprésidents Gareth Evans (Australie) et Mohamed Sahnoun (Algérie), ainsi que Gisèle Côté-Harper (Canada), Lee Hamilton (USA), Michael Ignatieff (Canada), Vladimir Lukin (Fédération de Russie), Klaus Naumann (Allemagne), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Fidel Ramos (Philippines), Cornelio Sommaruga (Suisse), Eduardo Stein (Guatemala) et Ramesh Thakur (Inde). On peut noter qu'il n'y avait aucun

    53 Rapport du millénaire du Secrétaire général [A/54/2000], Nations Unies, 2000.

    54 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger, Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, Ottawa : International Development Research Centre

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    représentant de l'école française, pourtant porteuse aux premières heures du droit d'ingérence humanitaire.

    La composition de cette Commission était censée « refléter équitablement les perspectives des pays développés et des pays en développement et faire en sorte [qu'ils soient] représentatifs d'un large éventail d'origines géographiques, de points de vue et d'expériences ». Il est facile d'imaginer qu'un tel consensus entre les membres de la Commission, en dépit de leurs différences, était plus que prometteur dans l'élaboration d'un consensus global avec la communauté internationale. Par ailleurs, afficher un tel « panel » de commissaires permettait de contrer d'emblée un argument privilégié des détracteurs du droit d'ingérence humanitaire : le fait qu'il y aurait « deux poids, deux mesures » au sein de ce droit avec d'un côté les pays riches du Nord, participant à des interventions néo-impérialistes sous l'égide de l'OTAN, et de l'autre les pays en voie de développement du Sud, subissant des violations flagrantes de leur souveraineté.

    § 2 - Le rapport de la Commission

    « Des Etats ont-ils jamais le droit de prendre des mesures coercitives - et particulièrement militaires - contre un autre Etat pour protéger des populations menacées dans ce dernier, et si oui, dans quelles circonstances ? »55. C'est par cette question que commence le rapport de la CIISE où l'expression « responsabilité de protéger » est pour la première fois évoquée.

    Selon la Commission, la responsabilité de protéger s'articule autour de deux principes fondamentaux. En vertu du principe de souveraineté, il incombe à l'Etat en premier lieu la responsabilité de protéger les personnes vivant sur son territoire. Si l'Etat se montre incapable d'assumer une telle responsabilité du fait d'un manque de capacité ou de volonté, c'est à la communauté internationale que revient la charge d'assumer la responsabilité de protéger en dépit du principe de non-intervention et par conséquent d'intervenir et d'agir.

    La CIISE discerne quatre fondements sur lesquels repose la responsabilité internationale de protéger : les obligations inhérentes à la notion de souveraineté ; l'article 24 de la Charte de San Francisco conférant au Conseil de sécurité la responsabilité du

    55CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger, Ibid.

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    maintien de la paix et de la sécurité internationales ; les impératifs juridiques contenus dans les différents instruments nationaux et internationaux relatifs aux droits de l'Homme, à la protection des populations et au droit international humanitaire ; la pratique croissante des Etats, des organisations régionales ainsi que du Conseil de sécurité.

    Cette responsabilité de protéger contient trois obligations particulières que sont : la responsabilité de prévenir, la responsabilité de réagir et la responsabilité de reconstruire. Selon la Commission, la première de ces responsabilités reste la dimension la plus importante de la responsabilité de protéger.

    Il est fondamental de comprendre la nouvelle démarche proposée par la CIISE, qui est de dépasser la contradiction apparente entre la souveraineté et le droit d'ingérence humanitaire. Comme l'a rappelé Monsieur Alain Dejammet56 lors du colloque « L'ingérence », le professeur Bettati a reconnu lui-même « qu'en utilisant délibérément le mot « ingérence », plutôt que les mots « intervention » ou « interférence » qui se trouvent dans la Charte, il choisissait le parti de la provocation »57. La Commission a souhaité, quant à elle, « nier les contradictions entre la souveraineté et la préoccupation humanitaire »58. La souveraineté consisterait alors en la responsabilité de protéger sa population et dans ce raisonnement, aucun des deux principes n'est lésé. Face à l'incapacité de l'Etat à assumer sa souveraineté et ainsi sa responsabilité de protéger, la communauté internationale, attachée à la souveraineté, se devrait de prendre en charge la responsabilité de protéger. C'est ce que Monsieur Mario Bettati écrivait déjà en 1991 lorsqu'il affirmait que « l'action humanitaire ne réclame pas une réduction de la souveraineté. Elle réclame seulement qu'elle s'exerce de façon plus humaine. »59.

    Ainsi, la CIISE a permis, en répondant au défi lancé par Monsieur Kofi Annan, de faire avancer le débat relatif à la responsabilité de protéger et de dessiner les contours d'un consensus international sur ce domaine. Ce rapport - cosigné par Messieurs Gareth Evans et Mohamed Sahnoun, le 30 septembre 2001, et approuvé à l'unanimité par l'ensemble des membres de la Commission - constitue un apport doctrinal sans précédent quant au droit d'ingérence humanitaire, maintenant rebaptisé « responsabilité de

    56 Alain Dejammet est le Président du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.

    57 Allocution de Monsieur Alain Dejammet, colloque sur « L'ingérence » organisée par la fondation Res Publica, Maison de la Chimie, Paris, 19 janvier 2015.

    58 Allocution de Monsieur Alain Dejammet, ibid.

    59 Mario BETTATI, « Le droit d'ingérence : sens et portée », Le Débat 1991/5 (n°67), p. 4 à 14.

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    protéger ». Combiné aux efforts diplomatiques du Canada, ils ont joué un rôle majeur dans l'adoption à l'unanimité de la doctrine lors du Sommet des Nations Unies de 2005.

    Section 2 - L'apport de l'Organisation des Nations Unies

    Le Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Kofi Annan mandata un « Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement » afin qu'ils proposent de nouvelles idées quant aux types de politiques et d'institutions que l'ONU pourrait mettre en oeuvre pour le siècle à venir. Dans leur rapport de décembre 2004, intitulé « Un monde plus sûr, notre affaire à tous », ces derniers recommandèrent aux gouvernements d'adopter le principe de « la responsabilité de protéger »60.

    C'est ce qu'il va se passer à l'occasion du Sommet Mondial des Nations Unies de 2005 (§ 1) où les Etats vont adopter un Document final proclamant la responsabilité de protéger. La résolution 1973 du 17 mars 2011 relative à l'intervention en Libye marquera, quant à elle, la mise en oeuvre opérationnelle de la responsabilité de protéger (§ 2).

    § 1 - Le Sommet mondial des Nations Unies de 2005

    Le Sommet mondial de 2005 s'est déroulé du 14 au 16 septembre 2005 et a rassemblé plus de 170 chefs d'Etat et de gouvernement, ce qui en fait un des plus vastes sommets organisés par les Nations Unies. Le document de travail de base était le rapport du Secrétaire général, Monsieur Kofi Annan, intitulé « Dans une liberté plus grande »61. Il s'agissait de grandes orientations et de réformes à proposer à la communauté internationale afin qu'elles emportent son adhésion politique, dont la responsabilité de protéger.

    A l'issue du Sommet mondial de 2005, est finalement adopté un Document final62, marquant l'officialisation de la responsabilité de protéger aux yeux de la communauté internationale en ce qu'il contient un engagement à promouvoir cette

    60 59ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies, point 55 de l'ordre du jour, « Un monde plus sûr : notre affaire à tous », rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, remis le 2 décembre 2004, A/59/565.

    61 « Dans une liberté plus grande - Vers le développement, la sécurité et les droits de l'homme pour tous » Rapport du Secrétaire général de l'ONU, remis le 24 mars 2005 à l'Assemblée générale, A/59/2005.

    62 Document final du Sommet mondial des Nations Unies, résolution 60/1 de l'Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 16 septembre 2005 à la 8ème séance plénière, A/RES/60/1 (2005).

    25

    responsabilité. L'Assemblée générale adopta le 16 septembre 2005 ce Document final dans sa résolution 60/163.

    La partie « Responsabilité de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité » figure aux paragraphes 138, 139 et 140 du Document final64. Comme l'indique son titre, la responsabilité de protéger est circonscrite aux cas de génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l'humanité. Ces crimes, à l'exception du nettoyage ethnique, fondent également la compétence matérielle de la Cour internationale pénale en ce qu'ils sont les « crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale65 ». Toutefois des actes de purification ethnique peuvent constituer l'un des trois autres crimes.

    Conformément au rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, le Document final du Sommet mentionne au paragraphe 138 la responsabilité de protéger, qui incombe prioritairement à l'Etat souverain (A). Le paragraphe 139 vise les cas de défaillance où cette responsabilité revient alors à la communauté internationale (B). Ainsi, cela implique une répartition des responsabilités et une collaboration entre les Etats concernés et la communauté internationale. Ces dispositions définissent le cadre officiel au sein du duquel les Nations Unies, ses Etats membres et les accords régionaux peuvent mettre en oeuvre la responsabilité de protéger. Le principe de non-intervention s'efface lorsque les populations civiles sont les victimes de crimes internationaux ou de catastrophes humanitaires.

    A. Le paragraphe 138 du Document final

    Le paragraphe 138 formule ainsi une obligation pour chaque Etat de protéger sa population des crimes précités. La responsabilité de protéger fonctionne selon un principe de subsidiarité mettant l'Etat concerné au premier plan, son action restant prioritaire. Toujours en accord avec le rapport de la CIISE, la dimension préventive de cette responsabilité est fondamentale puisque il est mentionné que « cette responsabilité consiste notamment dans la prévention de ces crimes, y compris l'incitation à les

    63 Document final du Sommet mondial des Nations Unies, ibid.

    64 Voir Annexe n°5.

    65 Article 5 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, signé le 17 juillet 1998, A/CONF/183/9.

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    commettre »66. La communauté internationale doit « encourager et aider les Etats à s'acquitter de cette responsabilité et aider l'Organisation des Nations Unies à mettre en place un dispositif d'alerte rapide »67. La communauté internationale s'engage alors à fournir une assistance internationale et un renforcement des capacités. Ce dispositif d'alerte rapide permet au Secrétaire général des Nations Unies de faire appel aux conseillers spéciaux pour la prévention du génocide et pour la responsabilité de protéger (appartenant tous deux au bureau du conseiller spécial pour la prévention du génocide), qui forts de leurs partenariats avec divers acteurs (organisations régionales, société civile) peuvent collecter directement des informations sur la réalité du terrain et agir plus rapidement.

    B. Le paragraphe 139 du Document final

    Le paragraphe 139 traite quant à lui de la responsabilité de protéger qui pèse sur la communauté internationale. Une fois qu'il est avéré que l'Etat concerné ne veut ou ne peut assurer cette responsabilité, la communauté internationale se doit « de mettre en oeuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte, afin d'aider à protéger les populations »68. Il s'agit ici d'une responsabilité supplétive, la communauté internationale n'intervient que si l'action (prioritaire) de l'Etat concerné fait défaut. A cela suit une référence directe du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies fondant sans ambiguïté la compétence du Conseil de sécurité à organiser une action collective. L'Assemblée générale joue elle aussi un rôle dans cette responsabilité de protéger ; il lui revient la tâche de « poursuivre l'examen de la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité et des conséquences qu'elle emporte »69. L'engagement des Etats membres regroupera une aide aux Etats concernés à se doter des moyens permettant la mise en oeuvre de cette responsabilité de protéger et une assistance préventive afin d'éviter une crise.

    66 § 138 du Document final du Sommet mondial des Nations Unies, résolution adoptée par l'Assemblée générale le 16 septembre 2005, A/RES/60/1.

    67 § 138 du Document final du Sommet mondial des Nations Unies, ibid.

    68 § 139 du Document final du Sommet mondial des Nations Unies, résolution adoptée par l'Assemblée générale le 16 septembre 2005, A/RES/60/1.

    69 § 139 du Document final du Sommet mondial des Nations Unies, ibid..

    27

    Pour la majeure partie de la doctrine (Messieurs Bernard Koucher, Mario Bettatti ou Jean-Marie Crouzatier par exemple), le Document final résultant du Sommet mondial des Nations Unies de 2005 est dépourvu de caractère novateur. Il reprend en effet les grandes lignes du droit d'ingérence humanitaire et les approfondit pour rendre la responsabilité de protéger plus opérationnelle. La valeur ajoutée serait d'ordre terminologique puisqu'en utilisant l'expression « responsabilité de protéger » au lieu de « droit d'ingérence humanitaire », on supprime le débat propre à l'ingérence. Plus encore, ce document marque l'engagement de la communauté internationale à supporter la responsabilité de protéger et consacre l'existence officielle de ce principe juridique par la même occasion. Toutefois, ce document ne modifie en aucun cas la Charte des Nations Unies et n'a valeur que de recommandation pour les Etats.

    § 2 - La résolution 1973 du 17 mars 2011 relative à l'intervention en Libye

    Le Conseil de sécurité fait référence à la responsabilité de protéger pour la première fois dans la résolution 1674 sur la protection des civils en période de conflit armé70. Adoptée à l'unanimité en 2006, la résolution réaffirme les paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 2005 relatifs à la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, de la purification ethnique et des crimes contre l'humanité et rappelle l'obligation des Etat de mettre fin à l'impunité et traduire en justice les auteurs de ces crimes.

    Toutefois c'est véritablement avec l'adoption de la résolution 1973 sur la situation en Jamahiriya arabe libyenne que le Conseil de sécurité rend pour la première fois effective la responsabilité de protéger71. C'est dans le contexte du printemps arabe et de guerre civile en Libye qu'a été votée cette résolution. On venait tout juste d'assister à la chute des dirigeants tunisien et égyptien (Ben Ali en janvier 2011 et Hosni Moubarak en février 2011) qu'éclatait, en février 2011, une révolte populaire en Libye. Sévèrement réprimées par les armes de la part du pouvoir en place de Mouammar Kadhafi, ces manifestations se sont transformées en guerre civile. Le Conseil de sécurité adopte alors

    70 Résolution 1674 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité le 28 avril 2006 à la 5430ème séance, S/RES/1674 (2006).

    71 Résolution 1973 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité le 17 mars 2011 à la 6498ème séance, S/RES/1973 (2011).

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    une première résolution72 en février 2011 où il est fait explicitement référence à la responsabilité de protéger. Se basant sur le constat d'une violation flagrante et systématique des droits de l'Homme, le Conseil de sécurité impose toute une série de sanctions internationales à l'encontre du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Il appelle entre autres au respect des droits de l'Homme, saisit la Cour pénale internationale et exige l'arrêt des violences à l'encontre des civils.

    Le 17 mars 2011 est adoptée une seconde résolution par le Conseil de sécurité en vue de stopper la guerre civile en Libye, la résolution 1973. Par cette résolution, le Conseil de sécurité se déclare « résolu à assurer la protection des populations et zones civiles ». Tout en « réaffirmant son ferme attachement à la souveraineté [...] de la Jamahiriya arabe libyenne », le Conseil de sécurité « exige un cessez-le-feu immédiat », « autorise les Etats membres [...] à prendre toutes les mesures nationales [...] pour protéger les populations et zones civiles menacées d'attaque [...] tout en excluant le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire libyen »73. De plus par cette résolution le Conseil de sécurité va organiser une zone d'exclusion aérienne en Libye, un embargo sur les armes, une interdiction des vols en provenance de la Libye ou appartenant à des libyens, un gel des avoirs pour des personnalités libyennes expressément désignées, et, la formation d'un groupe d'experts. La résolution 1973 est ambigüe car elle n'autorise pas expressément une intervention militaire mais autorise expressément que « les Etats Membres [...] agissent à titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'arrangements régionaux [...] à prendre toutes mesures nécessaires [...] pour protéger les populations »74. Pour la majeure partie de la doctrine, cette résolution marque l'autorisation par le Conseil de sécurité du recours à la force contre les troupes gouvernementales libyennes dans le but de protéger les populations.

    Par la suite l'OTAN va intervenir militairement, et ce sous l'égide de l'ONU, afin de mettre en oeuvre la résolution 1973. Cette opération militaro-humanitaire est essentiellement franco-britannique avec un soutien logistique des Etats-Unis et de l'OTAN. L'organisation transatlantique va envoyer des avions frapper les forces de Mouammar Kadhafi et cela se terminera par la mort du dirigeant libyen.

    72 Résolution 1970 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité le 26 février 2011 à la 6491ème séance, S/RES/1970 (2011).

    73 Résolution 1973 du Conseil de sécurité, op. cit., p. 27.

    74 Résolution 1973 du Conseil de sécurité, op. cit., p. 27.

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    Monsieur Nils Andersson (analyste politique suisse), rapporte que Hubert Védrine dit de cette résolution 1973, qu'elle est « une concrétisation de cette notion de responsabilité de protéger, que nous avions élaborée avec Kofi Annan, quand il a fallu sortir du piège linguistique, conceptuel et politique du droit d'ingérence »75.

    En 2006, Madame Laurence Boisson de Chazournes et Monsieur Luigi Condorelli publiaient un article au titre plus qu'évocateur : « De la responsabilité de protéger, ou d'une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie »76. Qualifiant la responsabilité de protéger de « brillante invention diplomatique», elle serait plus facile « à `gober' que l'ancienne formule très médiatisée du « droit (ou devoir) d'ingérence » [qui] apparaissait comme contredisant de front le dogme de la souveraineté et l'un de ses principaux corollaires, le principe de non-intervention »77. Ainsi après avoir démontré l'existence d'une base légale certes fragile du droit d'ingérence humanitaire, on peut s'apercevoir que depuis une décennie une version "consolidée" est apparue avec l'avènement de la responsabilité de protéger. Reste à savoir si l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire a suivi cette "tendance", se limitant face à l'affirmation de la responsabilité de protéger.

    75 Intervention de Nils ANDERSSON lors de la conférence-débat CETIM, CUAE, Le Courrier, 30 mai 2012.

    76 Laurence BOISSON DE CHAZOURNES et Luigi CONDORELLI, "De la « responsabilité de protéger », ou d'une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie", RGDIP, 2006, n°1, p. 11-18.

    77 Laurence BOISSON DE CHAZOURNES et Luigi CONDORELLI, Ibid.

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    PARTIE II - L'INSTRUMENTALISATION DU DROIT D'INGERENCE HUMANITAIRE PAR LES ETATS EN QUETE DE LEGITIMITE

    Outre les questions concernant l'existence du droit d'ingérence humanitaire, la question de la légitimité de l'intervention humanitaire provoque également des controverses. Cependant, il serait erroné de croire que ce sont deux questions indépendantes l'une de l'autre. La fragilité du cadre légal du droit d'ingérence humanitaire profite aux Etats qui l'invoquent pour légitimer certaines interventions militaires illégales. Ainsi, ces derniers prétextent un motif humanitaire à leurs interventions armées, en recherchant ainsi une légitimité auprès de la communauté internationale.

    Face à un « humanitaire d'Etat », on a constaté que pesait le risque que l'humanitaire se politise et se militarise pour devenir un instrument aux mains des Etats et de leur politique extérieure. On abordera ainsi dans un premier temps, l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire par les Etats (Chapitre 1). Toutefois, on a pu apercevoir une limitation de cette instrumentalisation par les Etats du fait du renforcement de la base légale du droit d'ingérence humanitaire, à travers la consécration par les Nations Unies du principe de « responsabilité de protéger ». Cela est notamment dû aux critères de légitimité développés par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, qui seront étudiés dans un second temps (Chapitre 2).

    Nous tenons à préciser que l'objet de cette partie est de démontrer l'instrumentalisation. Ainsi, nous ne prendrons pas partie sur le bien-fondé de l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire ni sur le bien-fondé des interventions armées humanitaires. Il ne s'agira pas non plus de faire un bilan sur les résultats positifs et négatifs des différentes interventions humanitaires traitées et leurs dérives. Nous nous garderons de rentrer dans le débat qui cherche à savoir si ces dernières aggravent ou améliorent la situation des populations en détresse, si le chaos actuel qui règne en Libye aurait pu être évité, si l'opération Turquoise au Rwanda a permis d'arrêter le génocide, etc.

    31

    Chapitre 1 - Une instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire par les Etats

    Selon les opposants au droit d'ingérence humanitaire, ce dernier est un droit à « géométrie variable » où les intérêts politiques sont plus déterminants que les besoins humanitaires. Le professeur Antoine Rougier78 affirmait déjà en 1910 qu' « il se commet tous les jours dans quelque coin du monde mille barbaries qu'aucun Etat ne songe à faire cesser parce qu'aucun Etat n'a d'intérêt à les faire cesser79 ». Au vu du seul coût financier qu'engendre une intervention, il apparaît évident que les Etats ont besoin de motivations pour agir, et malheureusement la motivation humanitaire n'est pas toujours la première. En effet, à la lecture de l'Histoire les puissances occidentales ont souvent prétexté une ingérence humanitaire pour couvrir des fins interventionnistes impérialistes ou hégémoniques, ou pour les intérêts économiques de firmes multinationales. Une fois leurs intérêts en jeu, on peut facilement s'apercevoir de la « proactivité » des Etats.

    L'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire résulte de plusieurs facteurs, notamment du fait que l'action humanitaire est de plus en plus considérée par les Etats et par les Nations Unies comme une composante de la sécurité collective. Cela conduit à favoriser son caractère armé. En se nationalisant, l'action humanitaire devient alors un moyen politique et stratégique, et c'est cette apparition d'un humanitaire d'Etat qui conduit une instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire. On peut alors voir se dessiner une double instrumentalisation de ce droit, politique et militaire (Section 1), qu'il est facile de vérifier avec l'étude d'interventions humanitaires armées (Section 2) voire encore l'absence d'interventions humanitaires armées comme c'est le cas en Syrie (Section 3).

    78 Antoine Rougier (1877-1927) fut le doyen de la Faculté de droit de l'Université de Lausanne. Il est était également docteur en droit et professeur à l'Université de Caen et d'Aix-Marseille.

    79 Antoine ROUGIER, « La théorie de l'intervention d'humanité », RGDIP, 1910, p. 468-526.

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    Section 1 - Une instrumentalisation politique et militaire

    L'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire de la part des Etats peut résulter d'une part, d'une instrumentalisation politique avec ce qu'on appelle un « droit d'ingérence politique » (§ 1), et d'autre part, d'une instrumentalisation militaire avec l'apparition, dans les années 1990, des interventions dites militaro-humanitaires (§ 2). Il reste difficile de distinguer l'instrumentalisation politique de celle militaire, car comme le dit Monsieur Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, « la guerre est l'acte politique par excellence »80. Enfin, il sera traité des dangers de la politisation et de la militarisation de l'humanitaire par les Etats pour les ONG (§ 3).

    § 1 - Une instrumentalisation politique

    On envisagera en premier lieu l'instrumentalisation politique du droit d'ingérence humanitaire de manière globale (A), pour ensuite l'illustrer avec l'intervention humanitaire armée en Lybie (B).

    A. L'instrumentalisation politique du droit d'ingérence humanitaire

    Comme le note Madame Nathalie Herlemont-Zoritchak81, on peut s'apercevoir à la lumière des discours politiques82, que l'action humanitaire n'est pas considérée comme une fin en soi mais comme une composante du dispositif de gestion des crises et de la sécurité internationale83. Ainsi la théorie d'une citoyenneté mondiale s'est développée en se basant sur des principes juridiques internationaux universels où les droits de l'Homme figurent en première place. Cette théorie est appelée third way policy en Grande-Bretagne et « diplomatie morale » en France et « suggère que l'aide humanitaire et les stratégies politiques aient des objectifs communs »84.

    80 Rony BRAUMAN, « Lettre n° 20 - Les pièges de l'engagement humanitaire. Droit d'ingérence ou devoir d'ingérence ? », La lettre, Politique Autrement, Juin 2000.

    81 Madame NATHALIE HERLEMONT-ZORITCHAK est docteur en sciences politiques et responsable du service analyse et positionnement à la direction générale de Handicap International.

    82 Voir à ce sujet la Déclaration du Président Jacques Chirac sur le Kossovo du 24 mars 1999 ; la Déclaration du gouvernement français sur la situation du Kossovo, Assemblée nationale, 26 mars 1999.

    83 Nathalie HERLEMONT-ZORITCHAK, « « Droit d'ingérence » et droit humanitaire : les faux amis », Humanitaire, n°23, décembre 2009.

    84 Marie-Christine DELPAL, Politique extérieure et diplomatie morale : le droit d'ingérence humanitaire en question, Paris : Fondation pour les études de défense nationale, 1993, 127 p.

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    On peut citer à titre d'exemple le discours du Président de la République française, François Mitterrand, prononcé la veille de la Conférence de Cancún. Dans son discours de Mexico du 20 octobre 1981, le Président déclarait « Il existe dans notre droit pénal un délit grave, celui de non-assistance à personne en danger. En droit international, la non-assistance aux peuples en danger n'est pas encore un délit. Mais c'est une faute morale et politique qui a déjà coûté trop de morts et trop de douleurs à trop de peuples abandonnés pour que nous acceptions à notre tour de la commettre. »85. Ce que le Président entend être une faute morale et politique, les pays en développement opposés au droit d'ingérence humanitaire le perçoivent comme étant source d'une nouvelle forme d'impérialisme. Ainsi comme le relève le Doyen Antoine Rougier, « toutes les fois qu'une puissance interviendrait dans la sphère de compétence d'une puissance, elle ne fera jamais qu'opposer sa conception du juste et du bien social à la conception de cette dernière, en la sanctionnant au besoin par la force »86. Les termes « politique », « bien » et « morale » sont enclins à la subjectivité et à l'ambiguïté, ils favorisent ainsi une possible instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire.

    Dans un article intitulé « Ethique et politique de l'intervention humanitaire armée », Monsieur Jean-Baptiste Jeangène Vilmer87 s'interroge sur le poids de la politique dans l'éthique de l'intervention humanitaire88. Il faut être réaliste et reconnaître qu'un Etat intervenant ne peut prétendre être totalement désintéressé, sinon comment expliquer la réaction « deux poids, deux mesures » de la communauté internationale entre la Tchétchénie et le Kossovo89 ? Il affirme qu'un Etat n'est jamais désintéressé du fait que « la Realpolitik est avant tout une Interessenpolitik ». Monsieur Rony Brauman, qualifiait l'ingérence humanitaire de « pur slogan d'opportunité politique »90. Ce qui pose

    85 Discours de M. François MITTERRAND, Président de la République, devant le monument de la Révolution à Mexico, mardi 20 octobre 1981 (Discours dit de Cancun). http://discours.vie-publique.fr/notices/817144500.html

    86 Antoine ROUGIER, « La théorie de l'intervention d'humanité », op.cit p. 31.

    87 Jean-Baptiste Jeangène Vilmer est chargé de mission « Affaires transversales et sécurité » au Centre d'Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS) du Ministère des Affaires étrangères. Il enseigne également en tant que Maître de conférences à Sciences Po Paris.

    88 Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, « Éthique et politique de l'intervention humanitaire armée », Critique internationale, 2/2008 (n° 39), 2008, p. 161-182.

    89 Article du journal le Monde diplomatique, Dominique Vidal, « Kossovo, Tchétchénie : deux poids, deux mesures », Le Monde diplomatique, 5 novembre 1999.

    90 Rony BRAUMAN, « Lettre n° 20 - Les pièges de l'engagement humanitaire. Droit d'ingérence ou devoir d'ingérence ? », op. cit., p. 32.

    34

    problème, comme le relève Monsieur Will D. Verwey91, c'est que les considérations politiques priment toujours sur celles humanitaires au vu des interventions passées92.

    Prenons l'exemple de la Guerre froide, période au cours de laquelle le bloc Ouest (mené par les Etats-Unis) et le bloc Est (mené par l'URSS) s'affrontaient indirectement. Monsieur Schwatzen Berreget93 qualifiait le droit d'ingérence humanitaire, à cette période, de droit d'ingérence hégémonique « c'est-à-dire de droit d'intervention pour protéger les intérêts de chaque superpuissance dans son propre bloc94 ». A cette époque, les Etats percevaient « dans l'action humanitaire au mieux une arme de propagande dans le conflit idéologique [...] au pire un élément propre à déstabiliser la conduite de politiques étrangères réalistes95 ».

    Dans un article intitulé « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ? », Jean-Marie Crouzatier expose les deux dangers de l'instrumentalisation politique que seraient le relativisme et le subjectivisme96. Le relativisme, du fait que les Etats en viendraient à ne plus considérer de manière identique tous les pays du point de vue du principe de l'égalité souveraine des Etats. Ainsi l'ingérence humanitaire mettrait en exergue l'illusion que représente le principe de l'égalité des souverainetés. En l'état actuel des choses, il paraît impossible qu'une intervention humanitaire armée soit mandatée pour agir sur le territoire de l'un des membres permanents du Conseil de sécurité (la Chine avec le Tibet par exemple). Le subjectivisme, du fait que l'Etat intervenant va fonder sa décision selon sa propre morale et ses preuves, et que cela va conditionner le choix de qui est la victime, qui est le bourreau, qui mérite d'être secouru (les Kurdes mais pas les Tchétchènes) etc. Jean-Marie Crouzatier poursuit en disant que la subjectivité peut être, à travers le Conseil de sécurité, « multilatéralisée et centralisée entre les mains de certains Etats qui peuvent décider quelle sera la guerre juste ».

    91 Monsieur Will Verwey est un professeur de droit international public d'origine néerlandaise.

    92 Will D. VERWEY, « Humanitarian Intervention under International Law », Netherland International Law Review, 32 (3), 1985, p. 405.

    93 Monsieur Schwatzen Berreget est un juriste d'origine britannique.

    94 Edward MCWHINNEY, « Le droit d'ingérence humanitaire et la Charte de l'O.N.U. », Revue québécoise de droit international, 1991-1992, p. 233-234.

    95 Pierre GARRIGUE, Universalis, « Action humanitaire internationale », Encyclopædia Universalis [en ligne], https://www-universalis--edu-com.bibliopam-evry.univ-evry.fr/encyclopedie/action-humanitaire-internationale/ (page consultée le 12 août 2015).

    96 Jean-Marie CROUZATIER, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ? », Aspects, n°2, 2008, pages 13 à 32.

    B. L'intervention humanitaire armée en Libye

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    L'intervention en Libye est un exemple récent d'instrumentalisation politique au sens premier du terme. L'intervention militaire commença seulement deux jours après l'adoption de la résolution 1973, ce qui paraît être un délai relativement court pour mener des négociations en vue de résoudre le conflit. Il faut rappeler que cette résolution a été adoptée à l'unanimité, c'est-à-dire qu'aucun Etat ne s'y était opposé. En revanche, cinq membres se sont abstenus : le Brésil, la Chine, l'Inde, la Russie et l'Allemagne (pourtant l'allié traditionnel de la France). De plus, au cours de l'intervention militaire on a pu voir un changement d'objectif s'opérer. A l'objectif humanitaire est venu s'imposer un objectif politique, qui était de faire tomber le dirigeant Mouammar Kadhafi en visant tous les hauts responsables libyens et les infrastructures socio-économiques et, soutenir l'opposition armée. Selon les américains, les anglais et les français, les violences ne pourraient cesser tant que le dictateur Kadhafi serait au pouvoir. On peut constater qu'une lecture extensive de la résolution 1973 a été effectuée par ces derniers. L'aide est désormais conditionnée à la mise en place de régimes démocratiques97 alors que l'indépendance politique est un principe fondamental, corollaire de la non-ingérence dans les affaires intérieures. Ainsi l'affaire libyenne permet de mettre en lumière un exemple d'instrumentalisation politique du droit d'ingérence humanitaire, à travers son pendant, l'indépendance politique.

    97 Sylvie BRUNEL, « Les Nations Unies et l'humanitaire : un bilan mitigé », Politique étrangère, 2/2005, p. 313 à 325.

    36

    § 2 - Une instrumentalisation militaire

    Tout d'abord, l'instrumentalisation militaire du droit d'ingérence humanitaire sera analysée (A) pour ensuite l'illustrer avec l'intervention humanitaire armée au Kossovo, qui a soulevé beaucoup de questions lors de son déroulement (B).

    A. L'instrumentalisation militaire du droit d'ingérence humanitaire

    Au fil des siècles, la guerre est devenue proscrite dans les relations internationales et cette interdiction du recours à la force armée est codifiée à l'article 2§4 de la Charte des Nations Unies. Aujourd'hui, il n'existe aucune possibilité d'avoir recours à la force armée en dehors des situations prévues par la Charte, comme l'a déjà affirmé la Cour internationale de Justice dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (1986)98. Ces exceptions onusiennes sont la légitime défense de l'article 51 de la Charte et l'intervention militaire consentie, et celle autorisée par le Conseil de sécurité en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression de l'article 42 de la Charte99. Pour commencer il faut donc différencier deux types de situations, lorsque l'intervention militaire est autorisée par le Conseil de sécurité des Nations Unies (Somalie en 1992, Rwanda en 1994, Libye en 2011) et lorsqu'elle ne l'est pas (Kosovo en 1999, Irak en 2003).

    Monsieur Jean-Baptiste Jeangène Vilmer définit l'intervention humanitaire armée comme une « intervention militaire en territoire étranger d'un État ou d'un groupe d'États dans le but de prévenir ou de faire cesser des violations graves et massives des droits fondamentaux touchant des individus qui ne sont pas des nationaux de l'État (ou des États) intervenant(s), et ce sans l'autorisation de l'État cible dans lequel ont lieu ces violations 100» . Avec l'apparition des opérations militaro-humanitaires des Nations Unies dans les années 1990, on a commencé à parler d'une éventuelle instrumentalisation militaire du droit d'ingérence humanitaire. En effet, on a pu observer que d'une ingérence humanitaire, on est très vite arrivé à une ingérence militaire, avec des objectifs humanitaires.

    98 Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, C.I.J. Recueil, 196, p. 14.

    99 Voir Annexe n°4.

    100 Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, « Éthique et politique de l'intervention humanitaire armée », op. cit., p. 33.

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    Ainsi, l'intervention humanitaire armée serait d'abord au service de l'Etat et de sa politique de puissance, plutôt que au service des populations. La campagne américaine au Pakistan à la suite des attentats du 11 septembre 2001 est révélatrice à ce titre. Les Etats-Unis, prévoyant leur campagne de bombardement aérien, ont arrêté tous les convois humanitaires en provenance du Pakistan et ont mis fin aux actions de certaines ONG et agences de l'ONU sur le terrain. On perd très vite de vue l'objectif humanitaire au profit de celui militaire.

    B. L'intervention humanitaire armée au Kossovo

    A la suite des évènements du Kossovo de 1999, une opération militaire aérienne fut conduite par l'OTAN entre le 24 mars 1999 et le 10 juin 1999. Cette dernière est intervenue sans l'autorisation, normalement requise, du Conseil de sécurité. Pour beaucoup de juristes, cette opération violait les principes juridiques du droit international. Ce à quoi, Madame Madeleine K. Albright (Secrétaire d'Etat américaine) rétorquait que c'était une intervention certes « illégale mais légitime101 ». Toutefois, nous n'allons pas aborder dans cette partie la légitimité d'une intervention humanitaire armée menée sans l'aval du Conseil de sécurité, mais de l'instrumentalisation militaire.

    Vaclav Havel qualifiait l'intervention militaire de l'OTAN au Kossovo de « bombardements humanitaires »102 et Rony Brauman de « guerre humanitaire »103, de quoi nous interroger sur cette opération. Nous avons le recul nécessaire pour constater que les pertes civiles et destructions d'infrastructures étaient bien plus importantes que les pertes et les destructions militaires, et par définition que les objectifs militaires ont supplanté ceux humanitaires. En effet, plus de 8 000 musulmans ont été tués par les forces serbes de Srebrenica. Les Casques bleus sur place n'ont rien fait pour arrêter ce « massacre de Srebrenica ». Selon les Bosniaques, l'ONU préférait protéger son personnel plutôt que venir au secours des populations104.

    101 Conférence de presse de la Secrétaire d'Etat Madeleine K. Albright, à Singapour, le 26 juillet 1999.

    102 Rony BRAUMAN, « Lettre n° 20 - Les pièges de l'engagement humanitaire. Droit d'ingérence ou devoir d'ingérence ? », op. cit., p. 32.

    103 Ibid.

    104 Sylvie BRUNEL, « Les Nations Unies et l'humanitaire : un bilan mitigé », op. cit., p. 35.

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    Plus encore, Monsieur Loïc Hennekine105, à l'occasion du colloque « L'ingérence » de la fondation Res Publica a fait état que qu'il n'avait pas « trouvé dans les comptes rendus de ces conseils restreints une seule remarque concernant la situation humanitaire [du Kossovo]. Le seul problème était d'arriver à détruire une partie de la force de combat de la Serbie et, en dépit de la pression américaine et britannique terrible, d'essayer d'éviter d'aller plus loin avec le bombardements d'objectifs civils106 ».

    § 3 - La politisation et la militarisation de l'humanitaire, un danger pour les ONG ?

    Il sera successivement étudié la politisation (A) puis la militarisation (B) de l'humanitaire, afin de percevoir les dangers pour la société civile.

    A. La politisation de l'humanitaire

    A d'autres égards, l'humanitaire d'Etat est dangereux du fait que cette politisation de l'humanitaire influence l'action des ONG. Le monde « humanitaire » s'en trouve chamboulé avec l'émergence de deux tendances distinctes. D'une part, certaines ONG (avec en tête de file le Comité international de la Croix-Rouge)107, se veulent être des organisations impartiales, neutres et indépendantes, et interviennent partout, quelque soit le régime politique en place et les conditions qu'on leurs impose. D'autre part, suite à la polémique quant à l'action du CICR durant la Seconde Guerre Mondiale et son silence affiché face aux chambres à gaz, une nouvelle tendance humanitaire a vu le jour, à l'instar de Médecins Sans Frontières. Selon ces derniers, l'aide humanitaire dispensée doit aspirer à une amélioration des droits de l'Homme, de la situation économique et politique, à instaurer une démocratie etc. On assiste donc à une politisation de l'aide humanitaire.

    105 Loïc Hennekine est membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica et ancien secrétaire général du ministre des Affaires étrangères.

    106 Allocution de Monsieur Loïc Hennekine, colloque sur « L'ingérence » organisée par la fondation Res Publica, Maison de la Chimie, Paris, 19 janvier 2015.

    107 Nous tenons à préciser que le CICR n'est pas une ONG mais une entité sui generis, de nature hybride, en étant une association de droit suisse mais poursuivant un mandat prescrit par la communauté internationale.

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    B. La militarisation de l'humanitaire

    S'exprimant devant le Conseil de sécurité, Jakob Kellenberg, ancien Président du Comité International de la Croix-Rouge, déclarait « A chacun son rôle : l'utilisation de la force relève du domaine militaire et les activités de secours relèvent des agences humanitaires »108.

    Selon Rony Brauman, les forces de maintien de la paix en sont venues à considérer « que les ONG sont un des bras exécutifs de leur action ; elles veulent confier des missions, se coordonner avec elles »109. On a observé que pendant l'intervention américaine en Afghanistan, des centres d'opérations humanitaires étaient installés, dans lesquels les troupes effectuaient la distribution de nourriture. Puis, cette distribution était prise en charge par quelques ONG sur le terrain autorisées par le commandement militaire américaine. Très vite dans cette confusion des genres « militaire » et « humanitaire », les agents humanitaires furent considérés comme partiaux et devinrent la cible de violences. Monsieur Jean-Marie Crouzatier relate, que lors de la guerre du Kossovo, la branche canadienne de l'ONG CARE recrutait des individus, pour le gouvernement canadien, « chargés de collecter des renseignements sur le terrain, sous couvert d'humanitaire ; il s'agissait bien-sûr d'anciens militaires devant remplir une mission d'espionnage 110».

    Cette tendance de faire converger l'humanitaire et le militaire se retrouve également au sein des Nations Unies et de son département des opérations de maintien de la paix, où le chef de mission d'une opération dirige d'une même main les militaires d'un côté et les agences spécialisées de l'autre.

    Cette convergence entre le militaire et l'humanitaire favorise la politisation et la militarisation des ONG et n'est pas sans conséquences du point de vue des acteurs humanitaires sur le terrain. La distinction traditionnelle entre ces deux types d'acteurs s'est floutée, notamment pour les forces rebelles sur le terrain et on observe depuis, une recrudescence des attaques à l'encontre du personnel humanitaire.

    108 Discours de Jakob KELLENBERG, lors de la 4130e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, le 19 avril 2000.

    109 Rony Brauman, « Emotion et action humanitaire », Etudes, 2009/1, tome 410, 2009, p. 9 à 19.

    110 Jean-Marie CROUZATIER, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ? », op. cit., p. 34.

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    Section 2 - Exemple d'interventions humanitaires armées instrumentalisées

    Dans l'optique de mettre en exergue l'instrumentalisation de certaines interventions humanitaires, et ce, sans rentrer dans le débat qui les accompagne, nous avons choisi de nous référer aux questions parlementaires de l'Assemblée nationale française quant à sa politique étrangère. Le contenu et les auteurs des questions sélectionnées ne reflètent en aucun cas nos propres opinions. De manière chronologique, nous analyserons successivement les interventions en Lybie (§ 1), en Côte d'Ivoire (§ 2) et en Centrafrique (§ 3).

    § 1 - L'intervention en Lybie de 2011

    Le contexte de la crise libyenne a déjà été développé précédemment111. Lors de l'intervention humanitaire armée, on a pu s'apercevoir que les forces armées de l'OTAN ont largement soutenu militairement les opposants au dictateur Mouammar Kadhafi. La question est de savoir si la protection des populations était prioritaire dans les objectifs de l'OTAN.

    Monsieur Jacques Bompard (député du Vaucluse et maire d'Orange) interroge le ministre des Affaires étrangères et du développement international sur la situation catastrophique en Libye. Il déclare alors : « Alors que les réserves énergétiques immenses de la Libye sont assurément l'une des raisons majeures de l'intervention de l'OTAN dans ce pays (France en tête), intervention hypocritement présentée par les gouvernements de la coalition comme une ingérence humanitaire112 ». Sous ces accusations, le ministre des affaires étrangères, Monsieur Laurent Fabius, répond que la France est intervenue en 2011 dans le but de « protéger les civils libyens, en vertu de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, alors que Mouammar Kadhafi avait annoncé sa volonté de réprimer le mouvement révolutionnaire dans le sang et que le pays avait déjà sombré dans

    111 Voir p. 27.

    112 Question parlementaire (14ème législature) de M. Jacques Bompard, adressée au ministre des Affaires étrangères, question publiée au JO le 03/06/2014 et réponse publiée au JO le 15/07/2014.

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    la violence.113 ». Il élude ainsi les accusations d'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire dans cette intervention humanitaire armée.

    § 2 - L'intervention en Côte d'Ivoire de 2011

    La résolution 1975 du Conseil de sécurité a été adoptée dans un contexte de crise postélectorale en Côte d' Ivoire en 2011114. Cette résolution, à l'initiative de la France et du Nigéria, fait référence à la responsabilité de protéger. Elle « exhorte toutes les parties et tous acteurs ivoiriens à respecter la volonté du peuple et l'élection d'Alassane Dramane Ouattara à la présidence de la Côte d'Ivoire », autorise l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) à utiliser « tous les moyens nécessaires pour [...] protéger les civils menacés d'actes de violence physique imminente [...] y compris pour empêcher l'utilisation d'armes lourdes contre la population civile » et reconnaît la compétence de la Cour pénale internationale pour juger les auteurs d'éventuels crimes contre l'humanité115. Les partisans de l'ancien Président Laurent Gbagbo et le Président russe Dmitri Medvedev ont mis en cause l'impartialité des forces de l'ONUCI du fait du soutien apporté aux Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) pour l'arrestation de l'ancien président. L'ONU et la France particulièrement ont été accusées d'avoir instrumentalisé politiquement le droit d'ingérence humanitaire, au profit de l'actuel Président ivoirien Alassane Ouattara.

    Dans une première question parlementaire, Monsieur Jean-Claude Pérez (député de l'Aude) évoque le risque que fait peser Monsieur Gbagbo sur les intérêts français « comme en témoigne la prise de contrôle des banques SGBCI et BiCiCi, filiale de la Société générale et de la BNP-Paribas par l'ex-président de la Côte-d'Ivoire » et son annonce concernant « la nationalisation des filières de cacao dans lesquelles les entreprises françaises ont de nombreux intérêts »116.

    Monsieur Jean-Jacques Candelier (député du Nord) qualifie l'arrestation controversée du Président Laurent Gbagbo « d'enlèvement ». Il affirme que : « Celui-ci

    113 Question parlementaire (14ème législature) de M. Jacques Bompard, adressée au ministre des affaires étrangères, question publiée au JO le 03/06/2014 et réponse publiée au JO le 15/07/2014.

    114 Résolution 1975 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité le 30 mars 2011 à la 6508ème séance, S/RES/1975 (2011).

    115 Ibid.

    116 Question parlementaire (13ème législature) de M. Jean-Claude Perez, adressée au ministre des Affaires étrangères et européennes, question publiée au JO le 19/04/2011 et réponse publiée au JO le 21/06/2011.

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    a été livré, le 11 avril 2011, par la force militaire française Licorne à Alassane Ouattara, président imposé par la force sur la base de résultats frauduleux, proclamé illégalement par les puissances étrangères. Rappelant les pires heures de sa politique coloniale, l'intervention militaire de la France a largement outrepassé le mandat de l'ONU.117 ».

    § 3 - L'intervention en Centrafrique de 2013

    La France a lancé une opération militaire du nom de Sangaris conduite par l'armée française en République centrafricaine le 5 décembre 2013. Cette intervention avait pour objectif d'aider la population en danger, d'éviter un génocide et la contagion de l'instabilité dans la région. Or, la Centrafrique est un pays riche en ressources naturelles (pétrole, diamants, or, bois, sucre, tabac) où la France conserve toujours beaucoup d'intérêts notamment une partie de grands groupes français.

    C'est à ce titre, que Monsieur Elie Aboud (député de l'Hérault) a questionné le ministre de la Défense, Monsieur Jean-Yves Le Drian, sur l'engagement des forces armées françaises en Centrafrique, souhaitant « connaître les raisons pour lesquelles notre pays est quasiment le seul pays occidental engagé dans cette mission118 ». Ce à quoi le ministre répond, en éludant la question des raisons de l'engagement français, par le fait que « La France n'est pas la seule nation engagée dans cette mission et, indépendamment des 6 000 militaires de la MISCA déployés aux côtés de ses troupes, de nombreux pays contribuent aux opérations en cours, par un soutien logistique et financier. 119»

    A la lumière des questions parlementaires au sujet de la politique extérieure française, nous pouvons constater que les critiques d'instrumentalisation sont récurrentes. Or, l'instrumentalisation ne peut être que présumée car il paraît peu probable que l'intervenant en fasse l'aveu. Toutefois, une telle instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire peut également s'observer par l'absence d'intervention.

    117 Question parlementaire (13ème législature) de M. Jean-Jacques Candelier, adressée au ministre des Affaires étrangères et européennes, question publiée au JO le 07/06/2011 et réponse publiée au JO le 11/10/2011.

    118 Question parlementaire (14ème législature) de M. Elie Aboud, adressée au ministre de la Défense, question publiée au JO le 17/12/2013 et réponse publiée au JO le 01/04/2014.

    119 Ibid.

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    Section 3 - L'absence d'intervention humanitaire armée, une autre marque de l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire : le cas de la Syrie

    Monsieur Éric Pourcel, dans un article intitulé « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas » déclare que « L'ingérence humanitaire ou son refus peuvent aussi être le prétexte à des menées géopolitiques non déclarées mais bien réelles. »120. Le cas de la Syrie est particulièrement révélateur de cette autre forme de l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire, qui aboutit à la « passivité de la communauté internationale121 ». La Syrie est en proie à une guerre civile complexe depuis 2011 opposant le Président Bachar el-Assad et son régime aux rebelles, Kurdes et djihadistes. Une crise humanitaire s'est rapidement installée, faisant déjà plus de 250 000 morts, 5 millions de réfugiés et 10 millions de déplacés122. Après avoir eu des preuves que le Président Bachar el-Assad utilisait des armes chimiques à l'encontre de sa propre population, la France a souhaité mobiliser la communauté internationale. Mais le Conseil de sécurité fut bloqué du fait du véto le 28 août 2013 de deux de ses membres permanents, la Chine et la Russie. En effet, un projet de résolution britannique avait été déposé devant le Conseil de sécurité afin d'autoriser « toutes les mesures nécessaires en vertu du Chapitre VII de la Charte de l'ONU pour protéger les civils contre les armes chimiques »123, en d'autres termes afin d'autoriser une intervention humanitaire armée.

    Dans la crise syrienne, on peut présumer que les intérêts des différentes parties divergent comme l'expose Monsieur Éric Pourcel (toujours dans le même article)124. D'une part, la Russie possède une base navale stratégique à Tortous (Syrie) lui permettant un accès à la Mer Méditerranée sans passer par la Turquie. Elle a tout intérêt à ce que le dirigeant Bachar el-Assad reste au pouvoir car la Syrie fait partie des rares régimes de cette zone à soutenir la Russie en dépit de la guerre en Tchétchénie dans laquelle elle est

    120 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue géopolitique [En ligne], 26 février 2015, http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html (Page consultée le 3 août 2015).

    121 Mario BETTATI, « Du droit d'ingérence à la responsabilité de protéger », Outre-Terre, 3/2007, n°20, p 381-389.

    122 Article du journal Le Monde, Stéphane FOUCART et Christophe AYAD « La Syrie, le crève-coeur de Ban Ki-moon », Le Monde, 26 août 2015. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/06/23/l-onu-denonce-les-sieges-et-les-bombardements-de-plusieurs-villes-de-syrie_4659904_3218.html

    123 Article du journal Le Monde.fr avec l'AFP, « Impasse à l'ONU sur une intervention en Syrie », Le Monde, 28 août 2013. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/28/syrie-londres-presentera-un-projet-de-resolution-aujourd-hui-a-l-onu_3467568_3218.html#7R4Q18vSsjerSwcs.99

    124 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », op. cit. p. 43.

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    engagée (où sunnisme wahhabite est en cause). En outre, la Syrie est un des clients de la Russie en matière d'armes. D'autre part, on peut penser que la Chine craint elle-même le droit d'ingérence humanitaire du fait de la situation particulière au Tibet. Enfin, les Etats-Unis pourraient être partisans d'une intervention humanitaire armée en Syrie, car elle conduirait à la chute du dirigeant syrien et permettrait « l'application d'une logique stratégique précise de reconfiguration d'ensemble du Moyen-Orient, le fameux « Grand Moyen-Orient » »125 appelé aussi la « Doctrine Bush ».

    Le cas syrien renvoie le concept de « responsabilité de protéger » à un pur discours rhétorique. L'ancien Secrétaire général des Nations unies, Monsieur Kofi Annan, déclarait dans un entretien accordé au journal « Le Monde » que « la manière dont la "responsabilité de protéger" a été utilisée sur la Libye a créé un problème pour ce concept. Les Russes et les Chinois considèrent qu'ils ont été dupés : ils avaient adopté une résolution à l'ONU, qui a été transformée en processus de changement de régime. Ce qui, du point de vue de ces pays, n'était pas l'intention initiale. Dès que l'on discute de la Syrie, c'est "l'éléphant dans la pièce"126.

    Le droit de véto apparaît là comme un outil de blocage au Conseil de sécurité, et notamment pour le droit d'ingérence humanitaire. Cependant, il ne faut pas s'y méprendre, c'est également un outil au service de la paix et de la sécurité internationales qui a pu éviter, pendant la Guerre froide par exemple, une escalade des violences. Tout l'enjeu de cette instrumentalisation est de bénéficier d'une légitimation auprès de la communauté internationale. C'est dans le but de limiter toute instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire que la CIISE, s'inspirant de critères déjà développés par la doctrine, a défini des critères de légitimité de l'intervention humanitaire armée.

    125 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », op. cit. p. 43.

    126 Article du journal Le Monde, Natalie NOUGAYREDE « Kofi Annan : Sur la Syrie, à l'évidence, nous n'avons pas réussi », Le Monde, 7 juillet 2012. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/07/07/kofi-annan-sur-la-syrie-a-l-evidence-nous-n-avons-pas-

    reussi 1730658 3218.html#LbXAk6B6mSsVxze9.99

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    Chapitre 2 - Les critères de légitimité de l'intervention militaro-humanitaire

    Dans le but de justifier leurs interventions militaires, les Etats instrumentalisent le droit d'ingérence humanitaire. Ainsi, sous couvert d'humanitaire, certains mènent des interventions dites « impérialistes » ou même « hégémoniques ». Dans certains cas, des Etats poursuivent réellement des intérêts humanitaires, mais qui sont placés derrière les intérêts politiques, militaires ou même économiques. Face à ce constat de l'impossible exigence du désintéressement absolu de l'Etat, il a fallu admettre que le désintéressement ne peut être que relatif. Ainsi, l'intérêt humanitaire (ou le désintérêt à agir) cohabite avec d'autres intérêts du pays à intervenir. Pour être convenable et acceptée par tous, cette théorie du désintéressement relatif ne peut valoir que si on opère une hiérarchisation des intérêts et que celui humanitaire soit toujours en tête de liste. C'est précisément à ce travail que la CIISE s'est livrée : trouver des critères de légitimité qui feront que l'intervention humanitaire armée sera acceptée par la communauté internationale.

    Le débat quant à l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire s'est rouvert à la suite de la campagne américaine de 2003 en Irak. C'est pourquoi il nous paraît important d'étudier le cas irakien de manière isolée. Ainsi, nous nous concentrerons sur les critères de légitimité développés par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats dans son rapport (section 1), pour pouvoir par la suite analyser l'intervention américaine à la lumière de ces critères (section 2).

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    Section 1 - Les critères élaborés par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats

    Présupposant que le désintéressement absolu de l'Etat intervenant était impossible, la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats s'est lancée dans une quête de légitimation des interventions humanitaires armées et cela pour éviter les futurs abus. Ainsi, la Commission a élaboré plusieurs critères de légitimité de l'intervention humanitaire armée. Ces conditions ont pour vocation à être rigoureuses et difficiles à réunir afin que l'intervention militaire soit toujours envisagée de manière exceptionnelle.

    Dans la deuxième et dernière partie du rapport de la CIISE, les principes pour l'intervention militaire sont développés. La Commission distingue six critères à satisfaire pour que l'intervention soit légitime : l'autorité appropriée (§ 1), la juste cause (§ 2), la bonne intention (§ 3), le dernier recours (§ 4), la proportionnalité des moyens (§ 5) et les perspectives raisonnables (§ 6). Tous seront étudiés successivement à la lumière du rapport de la CIISE sur la « Responsabilité de protéger » de 2001.

    § 1 - L'autorité appropriée

    La Commission désigne le Conseil de sécurité des Nations Unies comme autorité compétente à délivrer une autorisation pour une éventuelle intervention humanitaire armée. Pourtant, le principe de non-intervention est explicitement mentionné dans la Charte des Nations Unies aux paragraphes 4 et 7 de l'article 2. Le paragraphe 7 interdit explicitement aux Nations Unies d' « intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat 127». Toutefois l'article 24 de la Charte128 donne compétence au Conseil de sécurité à veiller au maintien de la paix et de la sécurité internationales. C'est ainsi que selon l'article 42 de la Charte129, le Conseil de sécurité peut avoir recours à la force armée et donc donner son autorisation pour une éventuelle intervention humanitaire armée.

    127 Article 2§7 de la Charte des Nations Unies.

    128 Voir Annexe n°4.

    129 Voir Annexe n°4.

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    En l'état actuel du droit international et des relations internationales, l'Organisation des Nations Unies paraît incontestablement être l'autorité compétente pour légitimer une intervention. Les décisions de son « bras armé », le Conseil de sécurité, sont revêtus d'un caractère représentatif au vu des différents Etats qui le composent. Nous ne pouvons rentrer dans le débat d'une éventuelle réforme du Conseil de sécurité quant à ses membres permanents et leur droit de véto, cela nous éloignerait trop du sujet initialement traité.

    En d'autres termes, en exigeant que la décision d'intervention humanitaire armée soit légitimée par le Conseil de sécurité (par la communauté internationale lato sensu), cela revient à nier l'existence d'un droit d'intervention au seul profit des Etats130.

    § 2 - La juste cause

    Le critère de « la juste cause » paraît par essence subjectif et ambigu. Tout le monde n'a pas la même conception de ce qui est juste voire bien ou mal. La CIISE s'est donc concentrée sur un nombre très limité de « juste cause », toujours dans l'optique de rendre cette intervention la plus exceptionnelle possible. Elle distingue deux catégories.

    « ? des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l'action délibérée de l'État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable; ou

    ? un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol. 131»

    Dans son rapport, la CIISE précise que les crimes retenus sont le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité à l'instar (plus tard) de ceux retenus dans le Document final des Nations Unies de 2005, à l'exception des situations de catastrophes naturelles ou écologiques passées sous silence dans le Document final.

    130 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue géopolitique [En ligne], 26 février 2015, http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html (Page consultée le 3 août 2015).

    131 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger, Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, Ottawa : International Development Research Centre

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    Reste la question de la preuve de ces crimes. Il est facile, pour les Etats, d'avancer que de tels crimes sont en train de se commettre et qu'il faut agir rapidement bien qu'aucune preuve n'ait été fournie. Sans preuve, ce critère peut être facilement instrumentalisé. C'est pourquoi la CIIISE souhaiterait une « source non gouvernementale, impartiale et universellement respectée 132» présente sur le terrain pour transmettre des informations quant à la gravité de la situation et sur le comportement de l'Etat pour gérer cette situation. Le Comité International de la Croix-Rouge, bien qu'idéal pour cette tâche, a refusé en vertu des principes qui l'animent depuis ses débuts : la neutralité et l'indépendance. Il a été décidé de s'appuyer sur tous les rapports fournis par les différents organismes des Nations Unies et particulièrement le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme et celui aux réfugiés. Les rapports d'autres organisations internationales voire régionales seront également étudiés, ainsi que ceux de certaines grandes ONG, plus proches du terrain.

    § 3 -La bonne intention

    Considérant, comme il a été dit en propos liminaires, que la théorie du désintéressement relatif ne peut valoir que si on opère une hiérarchisation des motifs, le motif humanitaire doit invariablement rester premier. Malheureusement, dans les faits il est plus compliqué de vérifier si ce que l'Etat avance est vrai. Selon la CIISE, «le but primordial de l'intervention doit être de faire cesser ou d'éviter des souffrances humaines 133». Tout repose donc sur la bonne foi de l'Etat. Pour éviter qu'un Etat agisse pour son propre intérêt, il est requis que l'intervention soit collective ou multilatérale, que la population en bénéficiant y soit favorable tout comme les pays voisins.

    Toutefois, les objectifs de l'intervention peuvent changer en cours de route. La CIISE envisage ainsi qu'une modification des frontières, un renversement de régime, une occupation de territoire ou la promotion d'une revendication d'autodétermination ne sont pas, à proprement parler, des objectifs légitimes. Mais ils peuvent le devenir, si au cours de l'opération militaro-humanitaire, ils se révèlent indispensables.

    132 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger, Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, Ottawa : International Development Research Centre

    133 Ibid.

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    § 4 - Le dernier recours

    Le critère du derniers recours fait référence à tous les autres moyens d'ingérence humanitaire qu'il est possible de déployer avant d'en venir au plus extrême de tous, l'intervention militaire. Avant de recourir à la force armée, il faut que des mesures coercitives interventionnistes aient été tentées comme des mesures politiques, économiques ou judiciaires.

    En tout premier lieu, des actions diplomatiques doivent être initiées afin d'essayer de régler de manière pacifique la crise humanitaire. Cette dimension préventive est primordiale pour la CIISE. Par le jeu des négociations, des solutions temporaires ou pérennes doivent être trouvées comme des cessez-le-feu, des modifications constitutionnelles etc. Ce n'est qu'en cas d'échec de cette responsabilité de prévenir qu'on pourra passer à la responsabilité de réagir.

    § 5 - La proportionnalité des moyens

    L'intervention humanitaire armée se doit de respecter le droit international humanitaire et les principes fondamentaux qui le composent. On pense en effet à la soumission aux principes de nécessité, d'humanité, de proportionnalité et de précaution.

    Comme indique la Commission, le principe de nécessité touche tant l'ampleur, la durée et l'intensité de l'intervention humanitaire armée. Tout doit être limité à ce qui est « strictement nécessaire ». Cela vaut également pour les destructions de biens civils, le régime politique, les armes employées etc.

    Il apparaît en effet impensable que des Etats justifiant le respect du droit international humanitaire entre autres pour intervenir militairement, se rendent coupable de violations massives des droits de l'Homme et du droit international humanitaire. Bien au contraire, les intervenants se devraient de respecter les principes du droit international humanitaire encore plus rigoureusement.

    § 6 - Les perspectives raisonnables

    Le critère des « perspectives raisonnables » est sans aucun doute le critère le plus politique et le plus délicat à mettre en oeuvre. Selon la CIISE, « Une action militaire ne peut être justifiée que si elle a des chances raisonnables de réussir c'est-à-dire de faire cesser ou d'éviter les atrocités ou souffrances ayant motivé l'intervention.134 ». Il s'agit de savoir si une inaction de la communauté internationale est préférable à une intervention militaro-humanitaire. Il s'agit en d'autres termes de faire un pari sur l'avenir, ce qui est pour le moins compliqué sans parler de la subjectivité du sujet. Il faut envisager le contexte global dans lequel l'intervention va se dérouler, et pas seulement national. Le but étant d'éviter une potentielle aggravation de la crise humanitaire ou toute escalade de violences dans la région limitrophe.

    Enfin, la CIISE fait remarquer que ce critère des « chances de succès » a sûrement pour conséquence d'empêcher toute intervention humanitaire armée sur le territoire d'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, afin d'éloigner tout risque de propagation mondiale du conflit.

    Après avoir précisé chaque critère élaboré par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, il paraît pertinent d'examiner le cas irakien à l'aune de ces critères.

    50

    134 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger, op. cit., p. 48.

    51

    Section 2 - L'intervention américaine en Irak

    La question de savoir si l'intervention américaine en Irak lancée en mars 2003 est une intervention humanitaire peut paraître surprenante d'un point de vue francophone. Or, aux Etats-Unis cette question a nourri un vif débat. Pour des personnalités comme Messieurs Kouchner, Glucksman ou Tesòn, l'intervention américaine était bel et bien une intervention humanitaire. Avant d'examiner à proprement parler l'intervention américaine en Irak (§ 2), il convient de rappeler le contexte dans lequel cette dernière s'est déroulée (§ 1).

    § 1 - Le contexte de l'intervention américaine en Irak

    L'intervention américaine en Irak a commencé le 20 mars 2003 à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Appelée également « guerre d'Irak » ou « seconde guerre du Golfe », cette intervention résulte d'une coalition conduite par les Etats-Unis. Elle fait suite à une première intervention en Afghanistan, dans le but d'arrêter Ben Laden qui avait revendiqué sa responsabilité dans les attentats des tours jumelles. Les Etats-Unis, entrant « en guerre contre le terrorisme », présumaient des liens entre le Président irakien Saddam Hussein et le réseau terroriste Al-Qaïda. La coalition militaire en Irak était composée d'une cinquantaine de pays. Cette campagne militaire a été très importante, faisant appel à plus de 150 000 soldats au sol (surtout des américains et des britanniques) et à une force aérienne conséquente. Les forces américaines n'ont commencé à se retirer du pays qu'en décembre 2011, soit plus de huit ans après le commencement.

    § 2 - L'examen du cas irakien

    Monsieur Ken Roth, le directeur exécutif de Human Rights Watch, a mené un examen de l'intervention américaine135 que nous allons développer tout au long de ce paragraphe. Il l'effectue à la lumière des critères de l'intervention humanitaire armée développés par la CIISE que sont le niveau des tueries (A), le dernier recours (B), l'objectif humanitaire (C), le respect du droit humanitaire (D), l'effet positif (E) et l'approbation du Conseil de sécurité (F). Sa réponse est sans appel, l'intervention

    135 Ken ROTH, « War in Iraq: Not a Humanitarian Intervention », Human Rights Watch World Report, 2004.

    52

    américaine en Irak, sous couvert d'un motif humanitaire prétexté que trop tardivement, n'est pas une intervention humanitaire.

    A. Le niveau des tueries

    Comme nous l'avons vu précédemment, une intervention humanitaire armée ne peut s'engager que lorsque certains crimes, les plus graves en droit international, sont constatés. En l'occurrence, il s'agit du crime de génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et du nettoyage ethnique.

    Il est indéniable que l'ancien Président Saddam Hussein était un tyran ayant commis des horreurs par le passé. Au pouvoir depuis 23 ans, le dirigeant s'était livré à un réel massacre des kurdes irakiens et une répression des islamistes chiites du Sud. Monsieur Ken Roth rapporte que « le gouvernement irakien a tué ou « fait disparaitre » environ 250 000 Irakiens136 », toutefois l'ampleur des massacres avait nettement diminué à la veille de l'invasion américaine. A l'époque, personne ne pouvait avancer des preuves qui justifieraient qu'un futur massacre allait être commis.

    L'étendue des massacres qui se sont déroulés au cours du règne de Saddam Hussein ne justifie pourtant en rien l'intervention américaine, car elle n'était pas concomitante à ces derniers. Le caractère exceptionnel d'une intervention humanitaire armée doit s'accompagner de critères stricts comme le caractère imminent des massacres. L'absence de « cause juste » à l'intervention permettrait directement d'affirmer qu'elle n'est pas une intervention humanitaire armée. Afin de renforcer ce propos, il convient d'examiner les autres critères.

    B. Le dernier recours

    Avant l'intervention militaire, une ingérence judiciaire aurait pu être envisagée comme c'est le cas de nos jours avec le Président kenyan Uhuru Kenyatta. Certes, la CPI n'aurait pu être compétente que pour les crimes commis après l'entrée en vigueur de son statut, soit le 1er juillet 2002. Puisqu'aucune rétroactivité n'aurait pu être envisagée, la CPI ne semble pas être une solution adéquate. En revanche, la création d'une juridiction

    136 Ken ROTH, « War in Iraq : Not a Humanitarian Intervention », op. cit., p. 51.

    53

    pénale internationalisée aurait pu tout à fait être créée par le Conseil de sécurité, comme ce fut le cas avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou le Tribunal spécial pour la Sierra-Leone.

    Toutefois, on peut remarquer que le Conseil de sécurité s'est intéressé de près à l'Irak dès 1992 avec sa résolution 688 précédemment étudiée et qu'aucune initiative de création de juridiction n'a vu le jour.

    C. L'objectif humanitaire

    Arguant en premier lieu la présence d'armes de destruction massive, chimiques, biologiques et nucléaires, les Etats-Unis ont tenté de justifier l'intervention en Irak tant bien que mal. Ils ont fait valoir d'un côté des justifications sécuritaires, et de l'autre, des justifications humanitaire et démocratique du fait de la dictature que constituait le régime de Saddam Hussein. La CIISE requiert que la motivation humanitaire ne soit certes pas la seule, mais qu'elle soit en tout temps première. Or, on peut observer que les justifications humanitaires ne sont apparues qu'une fois la campagne militaire lancée, face à l'absence évidente d'armes de destruction massive.

    Ainsi, l'intervention américaine en Irak illustre parfaitement l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire. Il s'agissait moins de venir au secours des populations dans un objectif humanitaire, que d'intervenir en vue d'imposer une démocratie et de s'assurer de l'absence d'armes de destruction massive.

    D. Le respect du droit humanitaire

    La campagne irakienne a totalement desservi le droit international humanitaire. Les forces de la coalition se sont rendues coupables de violation des droits de l'Homme. Le scandale d'Abou Ghraib est un terrible exemple. Il s'agit d'une prison irakienne dans laquelle des soldats américains ont commis des crimes tels que des tortures, des viols et des exécutions. Par ailleurs, le Patriot Act voté par le Congrès états-uniens peu de temps après les attentats du 11 septembre 2001, avait introduit les statuts de « combattant ennemi » et de « combattant illégal ». Cela va totalement à l'encontre du droit international humanitaire et de sa protection des prisonniers de guerre. En effet, cela

    54

    permet au gouvernement américain de détenir toute personne soupçonnée de terrorisme, pour une durée illimitée et ce, sans inculpation (pas de droit à un procès équitable).

    Par ailleurs, avec le recul, on peut s'apercevoir qu'il y a eu d'importantes pertes civiles parmi la population irakienne du fait des forces aériennes. Des munitions à fragmentation étaient également utilisées à proximité de zones peuplées de civils comme le précise Monsieur Ken Roth. Cela va à l'encontre des principes classiques du droit international humanitaire que sont les principes de distinction et de précaution.

    E. L'effet positif

    Cet effet positif se calcule avant de lancer l'intervention humanitaire armée, afin de savoir si une amélioration des conditions de vie de la population peut être obtenue. Monsieur Ken Roth a procédé à cet examen dans le « Rapport mondial 2004 » d'Human Rights Watch, il n'a ainsi que très peu de recul. Il rapporte cependant que « les gouvernements américain et britannique espéraient clairement que le gouvernement irakien tomberait rapidement et que la nation irakienne emprunterait rapidement le chemin de la démocratie »137.

    Au vu de la situation actuelle en Irak, et de la décennie passée, on peut se rendre compte à quel point ce critère peut-être politique, malléable et peu significatif. Il est toujours difficile de faire des prévisions hypothétiques, car une situation donnée peut toujours empirer.

    F. L'approbation du Conseil de sécurité

    L'approbation du Conseil de sécurité permet à l'intervention d'être considérée comme légitime aux yeux de la communauté internationale et de contrer bon nombre de critiques. De plus, un soutien international permet à une intervention d'avoir plus de ressources financières et humaines. Pour reprendre les termes de Monsieur Ken Roth, elle « clôt le débat sur la légalité138 ».

    137 Ken ROTH, « War in Iraq : Not a Humanitarian Intervention », op. cit., p. 51.

    138 Ibid.

    55

    L'intervention américaine s'est déroulée sans avoir été au préalable autorisée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Face au spectre du véto français et russe, aucun projet de résolution allant dans le sens d'une autorisation n'a été déposé par les américains. Les Etats-Unis ont argué que la résolution 1441, votée le 8 novembre 2002, constituait une base suffisante à leur intervention. Cela paraît à plusieurs égards douteux, notamment à la vue des propos du Conseil de sécurité qui déclarait « rester saisi de l'affaire. »

    On peut en conclure que l'intervention américaine en Irak de 2003 est illégale par le simple fait qu'elle n'avait pas reçu l'approbation du Conseil de sécurité. Aucun des cinq autres critères de légitimité de l'intervention humanitaire armée n'était rempli. Cette intervention ne peut se prévaloir du « label » d'intervention humanitaire auquel elle fait tant mauvaise presse. L'argument humanitaire n'est apparu qu'une fois après avoir constaté sur le terrain que la présence d'armes de destruction massive en Irak n'était qu'un mensonge d'Etat de la part des Etats-Unis. Qui plus est, le lien présumé entre le Président Saddam Hussein et le terrorisme international n'a jamais été prouvé. Juridiquement, cette intervention relevait d'une guerre d'agression conformément à la résolution 3314 de l'Assemblée générale du 14 décembre 1974. Il ne s'agissait pas d'une guerre préemptive comme le soutenait l'administration du Président américain Georges W. Bush, mais d'une guerre préventine.

    56

    CONCLUSION

    Au vu de la situation actuelle en Irak et de l'ampleur de la crise humanitaire qui s'y est installée, la polémique propre au droit d'ingérence humanitaire et à l'instrumentalisation qui peut en être faite prend tout son sens.

    Comme chaque grand principe juridique de droit international (le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes par exemple), le droit d'ingérence humanitaire, devenu la responsabilité de protéger, est une avancée normative considérable qui rencontre des problèmes dans sa mise en oeuvre. Il faut légiférer plus encore ce droit et ses conditions d'application. Ainsi, le renforcement de son cadre juridique, comme ce fut le cas avec l'émergence de la « Responsabilité de protéger » permettra de limiter son instrumentalisation. Il faut continuer de préciser et d'affiner les critères de légitimité de l'intervention humanitaire armée afin d'empêcher tout abus. D'autres réformes sont également à envisager au vu de la crise syrienne et du blocage du Conseil de sécurité.

    La première résolution 43-131 de l'Assemblée générale des Nations Unies a marqué l'émergence d'un « nouvel ordre humanitaire international »139, que Monsieur Mario Bettati a développé dans son ouvrage Le droit d'ingérence. Mutation de l'ordre international. Selon lui, cela consiste « à aménager un nouvel espace juridique où se trouveraient indissolublement liés la légitimation de l'intervention humanitaire et le principe fondamental de l'indépendance et de la non-soumission de l'Etat à l'égard extérieur »140. Il est nécessaire de faire disparaître la contradiction apparente entre le droit d'ingérence humanitaire et la souveraineté, et faire place à ce que le Professeur Bettati appelle une « souveraineté plus humaine ».

    Toutefois, à l'image de la phrase du philosophe Emmanuel Kant « Le mensonge rend vaine la source du droit141 », l'instrumentalisation doit en premier lieu être limitée par ses auteurs, les Etats eux-mêmes. Un effort de « moralisation » des relations internationales doit accompagner, si ce n'est soutenir, le développement de la responsabilité de protéger.

    139 Annexe n°1.

    140 Mario BETTATI, Le droit d'ingérence. Mutation de l'ordre international, Odile Jacob, 1996, p. 9.

    141 Emmanuel KANT, Opuscules relatifs à la morale, Auguste Durand, 1855, p. 253.

    57

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    Colloque sur « Droit et morale humanitaire », organisé par Mario BETTATI et Bernard KOUCHNER, Paris, 26-28 janvier 1987.

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    Discours de Nils ANDERSSON lors de la conférence-débat CETIM, CUAE, Le Courrier, 30 mai 2012.

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    Discours de Jakob KELLENBERG, lors de la 4130e séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, le 19 avril 2000.

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    Déclaration du Sommet du Sud, du groupe des 77, réuni à La Havane, le 14 avril 2000.

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    PUBLICATIONS OFFICIELLES :

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    Secrétaire général des Nations Unies

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    Résolution 764 du Conseil de Sécurité, adoptée à l'unanimité le 13 juillet 1992 à la 3093ème séance, S/RES/764 (1992).

    Résolution 794 du Conseil de Sécurité, adoptée à l'unanimité le 3 décembre 1992 à la 3145ème séance, S/RES/794 (1992).

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    Cour international de Justice : http://www.icj-cij.org/homepage/index.php?&lang=fr

    65

    Comité international de la Croix-Rouge : https://www.icrc.org/fr/page-accueil

    Haut-Commissariat aux droits de l'Homme des Nations Unies : http://www.ohchr.org/FR/Pages/WelcomePage.aspx

    Human Rights Watch : https://www.hrw.org/fr

    Organisation des Nations Unies : http://www.un.org/fr/index.html

    Organisation du Traité de l'Atlantique Nord : http://www.nato.int/nato-welcome/index_fr.html#top

    Cour pénale internationale : http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx

    ANNEXES

    66

    Annexe n°1 : Résolution 43/131 de l'Assemblée générale des Nations Unies (1988)

    67

    68

    Annexe n°2 : Résolution 45/100 de l'Assemblée générale des Nations Unies (1990)

    69

    Annexe n°3 : Résolution 688 du Conseil de sécurité des Nations Unies (1991)

    70

    Annexe n°4 : Charte des Nations Unies (articles 1, 2, 24, 25 et 34) et Chapitre VII (articles 39 à 51)

    CHAPITRE I : BUTS ET PRINCIPES

    Article 1

    Les buts des Nations Unies sont les suivants :

    1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;

    2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde;

    3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion;

    4. Etre un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes.

    Article 2

    L'Organisation des Nations Unies et ses Membres, dans la poursuite des buts énoncés à l'Article 1, doivent agir conformément aux principes suivants :

    1. L'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses Membres.

    2. Les Membres de l'Organisation, afin d'assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu'ils ont assumées aux termes de la présente Charte.

    3.

    71

    Les Membres de l'Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger.

    4. Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.

    5. Les Membres de l'Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s'abstiennent de prêter assistance à un Etat contre lequel l'Organisation entreprend une action préventive ou coercitive.

    6. L'Organisation fait en sorte que les Etats qui ne sont pas Membres des Nations Unies agissent conformément à ces principes dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales.

    7. Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII.

    CHAPITRE V : CONSEIL DE SÉCURITÉ

    FONCTIONS ET POUVOIRS

    Article 24

    1. Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom.

    2. Dans l'accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations Unies. Les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de

    72

    sécurité pour lui permettre d'accomplir lesdits devoirs sont définis aux Chapitres VI, VII, VIII et XII.

    3. Le Conseil de sécurité soumet pour examen des rapports annuels et, le cas échéant, des rapports spéciaux à l'Assemblée générale.

    Article 25

    Les Membres de l'Organisation conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte.

    CHAPITRE VI : REGLEMENT PACIFIQUE DES DIFFERENDS

    Article 34

    Le Conseil de sécurité peut enquêter sur tout différend ou toute situation qui pourrait entraîner un désaccord entre nations ou engendrer un différend, afin de déterminer si la prolongation de ce différend ou de cette situation semble devoir menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales.

    CHAPITRE VII : ACTION EN CAS DE MENACE CONTRE LA PAIX, DE RUPTURE DE LA PAIX ET D'ACTE D'AGRESSION

    Article 39

    Le Conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

    Article 40

    Afin d'empêcher la situation de s'aggraver, le Conseil de sécurité, avant de faire les recommandations ou de décider des mesures à prendre conformément à l'Article 39, peut inviter les parties intéressées à se conformer aux mesures provisoires qu'il juge nécessaires ou souhaitables. Ces mesures provisoires ne préjugent en rien les droits, les

    73

    prétentions ou la position des parties intéressées. En cas de non-exécution de ces mesures provisoires, le Conseil de sécurité tient dûment compte de cette défaillance.

    Article 41

    Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques.

    Article 42

    Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l'Article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies.

    Article 43

    1. Tous les Membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, s'engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l'assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales.

    2. L'accord ou les accords susvisés fixeront les effectifs et la nature de ces forces, leur degré de préparation et leur emplacement général, ainsi que la nature des facilités et de l'assistance à fournir.

    3. L'accord ou les accords seront négociés aussitôt que possible, sur l'initiative du Conseil de sécurité. Ils seront conclus entre le Conseil de sécurité et des Membres de l'Organisation, ou entre le Conseil de sécurité et des groupes de Membres de

    74

    l'Organisation, et devront être ratifiés par les Etats signataires selon leurs règles constitutionnelles respectives.

    Article 44

    Lorsque le Conseil de sécurité a décidé de recourir à la force, il doit, avant d'inviter un Membre non représenté au Conseil à fournir des forces armées en exécution des obligations contractées en vertu de l'Article 43, convier ledit Membre, si celui-ci le désire, à participer aux décisions du Conseil de sécurité touchant l'emploi de contingents des forces armées de ce Membre.

    Article 45

    Afin de permettre à l'Organisation de prendre d'urgence des mesures d'ordre militaire, des Membres des Nations Unies maintiendront des contingents nationaux de forces aériennes immédiatement utilisables en vue de l'exécution combinée d'une action coercitive internationale. Dans les limites prévues par l'accord spécial ou les accords spéciaux mentionnés à l'Article 43, le Conseil de sécurité, avec l'aide du Comité d'état-major, fixe l'importance et le degré de préparation de ces contingents et établit des plans prévoyant leur action combinée.

    Article 46

    Les plans pour l'emploi de la force armée sont établis par le Conseil de sécurité avec l'aide du Comité d'état-major.

    Article 47

    1. Il est établi un Comité d'état-major chargé de conseiller et d'assister le Conseil de sécurité pour tout ce qui concerne les moyens d'ordre militaire nécessaires au Conseil pour maintenir la paix et la sécurité internationales, l'emploi et le commandement des forces mises à sa disposition, la réglementation des armements et le désarmement éventuel.

    2. Le Comité d'état-major se compose des chefs d'état-major des membres permanents du Conseil de sécurité ou de leurs représentants. Il convie tout Membre des Nations Unies qui n'est pas représenté au Comité d'une façon permanente à s'associer à lui, lorsque la participation de ce Membre à ses travaux lui est nécessaire pour la bonne exécution de sa tâche.

    75

    3. Le Comité d'état-major est responsable, sous l'autorité du Conseil de sécurité, de la direction stratégique de toutes forces armées mises à la disposition du Conseil. Les questions relatives au commandement de ces forces seront réglées ultérieurement. 4. Des sous-comités régionaux du Comité d'état-major peuvent être établis par lui avec l'autorisation du Conseil de sécurité et après consultation des organismes régionaux appropriés.

    Article 48

    1. Les mesures nécessaires à l'exécution des décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales sont prises par tous les Membres des Nations Unies ou certains d'entre eux, selon l'appréciation du Conseil.

    2. Ces décisions sont exécutées par les Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie.

    Article 49

    Les Membres des Nations Unies s'associent pour se prêter mutuellement assistance dans l'exécution des mesures arrêtées par le Conseil de sécurité.

    Article 50

    Si un Etat est l'objet de mesures préventives ou coercitives prises par le Conseil de sécurité, tout autre Etat, qu'il soit ou non Membre des Nations Unies, s'il se trouve en présence de difficultés économiques particulières dues à l'exécution desdites mesures, a le droit de consulter le Conseil de sécurité au sujet de la solution de ces difficultés.

    Article 51

    Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

    76

    Annexe n°5 : Document final du Sommet mondial des Nations Unies, résolution adoptée par l'Assemblée générale le 16 septembre 2005, A/RES/60/1, paragraphe 138 à 140

    Devoir de protéger des populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité :

    §138. C'est à chaque État qu'il incombe de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité. Ce devoir comporte la prévention de ces crimes, notamment l'incitation à les commettre, par les moyens nécessaires et appropriés. Nous acceptons cette responsabilité et agirons de manière à nous y conformer. La communauté internationale devrait, si nécessaire, encourager et aider les États à s'acquitter de cette responsabilité et aider l'Organisation des Nations Unies à mettre en place un dispositif d'alerte rapide.

    §139. Il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies, de mettre en oeuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte, afin d'aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité. Dans ce contexte, nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l'entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n'assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité. Nous soulignons que l'Assemblée générale doit poursuivre l'examen du devoir de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité et des conséquences qu'il implique, en ayant à l'esprit les principes de la Charte des Nations Unies et du droit international. Nous entendons aussi nous engager, selon qu'il conviendra, à aider les États à se doter des moyens de protéger leurs populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité et à apporter une assistance aux pays dans lesquels existent des tensions avant qu'une crise ou qu'un conflit n'éclate.

    140. Nous appuyons pleinement la mission du Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide.

    Annexe n°6 : Résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies (2011)

    77

    Nations lini: S /RESl1973 (2011)'

     

    Conseil de sécurité

    Distr. générale 17 mars 2011

    Résolution 1973 (2011)

    Adoptëe par k Conseil de sécnritë à 58 6i98r séance, le 17 mars 2011

    Le Conseil de sécurité,

    Rappelant sa résolution 1970 (2011 ) du 26 février 2011,

    Déplorant que les autorités libyennes ne respectera pas la résolution 1970 (2011),

    Se déclarant vivement' préoccupé par la détérioration de la situation, l'escalade de la violence et les lourdes pertes civiles,

    Rappehant la responsabilité qui incombe aux autorités libyennes de protéger la population libyenne et rëarmant qu'il incombe au premier chef aux parties A tout conflit armé de prendre toutes les mesures voulues pour assurer la protection des civ ils,

    Condamnant la violation flagrante et systématique des droits de l'homme, y

    compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires,

    Condamnant également les actes de violence et d'intimidation que les autorités libyennes commettent contre les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé et engageant vivement' celles-ci a respecter les obligations mises s leur charge par le droit international humanitaire, comme indiqué dans la résolution 1738 (2006),

    Considërani que les attaques généralisées et systématiques actuellement

    commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l'humanité,

    Rappelant le paragraphe 26 de la résolution 1970 (2011) dans lequel il s'est déclaré prêt envisager de prendre d'autres mesures pertinentes, si nécessaire, pour faciliter et appuyer le retour des organismes d'aide humanitaire et rendre accessible enJamahiriya arabe libyenne une aide humanitaire et une aide connexe,

    78

    S/RES11973 13U t 1 }

    Se déclarant résolu â assurer la protection des populations et zones civiles, et a

    assurer l'acheminement sans obstacle ni contretemps de l'aide humanitaire et la sécurité du personnel humanitaire,

    Rappelant que la Ligue des États arabes, l'Union africaine et le Secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique ont condamné les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire qui ont été et continuent d'eue commises en Jamahiriya arabe libyenne,

    Prenant note du communiqué final de l'Organisation de la Conférence islamique en date du S mars 2011 et du communiqué du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine en date du ID mars 2011 portant création d'un comité ad hoc de haut niveau sur la Libye,

    Prenant note égaiement de la décision du Conseil de la Ligue des Etats arabes, en date du 12 mars 2011, de demander l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne contre l'armée de l'air libyenne et de créer des zones protégées dans les secteurs exposés aux bombardements A titre de précaution pour assurer la protection du peuple libyen et des étrangers résidant en Jamahiriya arabe libyenne,

    Prenant note en outre de l'appel â un cessez-le-feu immédiat lancé par le Secrétaire général le IF. mars 2011,

    Rappelant sa décision de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation en Jamahiriya arabe libyenne depuis le 15 février 2011 et soulignant que les auteurs d'attaques, y compris aériennes et navales, dirigées contre la population civile, ou leurs complices doivent répondre de leurs actes,

    Se déclarant h nouveau prëoc-cive' par le sort tragique des réfugiés et des travailleurs étrangers forcés de fuir la violence en Jamahiriya arabe libyenne, se félicitant que les États voisins, en particulier la Tunisie et l'Égypte, aient répondu aux besoins de ces réfugiés et travailleurs étrangers, et demandant a la communauté internationale d'appuyer ces efforts,

    Déplorant que les autorités libyennes continuent d'employer des mercenaires,

    Considérant que l'interdiction de tous vols dans l'espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne est importante pour assurer la protection des civils et la sécurité des opérations d'assistance humanitaire et décisive pour faire cesser les hostilités en Jamahiriya arabe libyenne,

    Inquiet égaiement pour la sécurité des étrangers en Jamahiriya arabe libyenne et pour leurs droits,

    Se félicitant que le Secrétaire général ait nommé M. Abdel-Elah Mohamed Al-

    Khatib Envoyé spécial en Libye et soutenant ses efforts pour apporter une solution durable et pacifique a la crise en Jamahiriya arabe libyenne,

    Réaffirmant son ferme attachement A la souveraineté, d l'indépendance, l'intégrité territoriale et à l'unité nationale de la Jamahiriya arabe libyenne,

    Constatant que la situation en Jamahiriya arabe libyenne reste une menace pour la paix et la sécurité internationales,

    Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

    79

    SIR}f f1973 (2011)

    1. Exige un cessez-le-feu immédiat et la cessation totale des violences et de toutes les attaques et exactions contre la population civile;

    2. Sotrfigne qu'il faut redoubler d'efforts pour apporter une solution à la crise, qui satisfasse les revendications légitimes du peuple libyen, et noie que ]e Secrétaire général a demandé a son Envoyé spécial de se rendre en Jamahiriya arabe libyenne et que le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a décidé d'envoyer son Comité ad hoc de haut niveau sur la Libye sur place pour faciliter un dialogue qui débouche sur les réformes politiques nécessaires A un règlement pacifique et durable;

    3. Exige des autorités libyennes qu'elles respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, y compris le droit international humanitaire, du droit des droits de l'homme et du droit des réfugiés, et prennent toutes les mesures pour protéger les civils et satisfaire leurs besoins élémentaires, et pour garantir l'acheminement sans obstacle ni contretemps de l'aide humanitaire;

    Protection des civils

    4. Autorise les Etats Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification a cet effet et agissent â titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2IJ11), pour protéger les populations et zones civiles menacées d'attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire libyen, et prie les Etats Membres concernés d'informer immédiatement le Secrétaire général des mesures qu'ils auront prises en vertu des pouvoirs qu'ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement portées A l'attention du Conseil de sécurité;

    5. Afesare l'importance du rôle que joue la Ligue des États arabes dans le maintien de la paix et de la sécurité régionales et, gardant A l'esprit le Chapitre VIII. de la Charte des Nations Unies, prie les États Membres qui appartiennent â la Ligue de coopérer avec les autres Etats Membres a l'application du paragraphe 4;

    Zone d'exclusion aérienne

    b. Décide d'interdire tous vols dans l'espace aérien de la Jamahiriya arabe

    libyenne afin d'aider à protéger les civils;

    7. Décide également que l'interdiction imposée au paragraphe 6 ne s'appliquera pas aux vols dont le seul objectif est d'ordre humanitaire, comme l'acheminement d'une assistance, notamment de fournitures médicales, de denrées alimentaires, de travailleurs humanitaires et d'aide connexe, ou la facilitation de cet acheminement, ou encore l'évacuation d'étrangers de la Jamahiriya arabe libyenne, qu'elle ne s'appliquera pas non plus aux vols autorises par les paragraphes 4 ci-dessus ou 8 ci-dessous ni h d'autres vols que les Etats agissant en vertu de l'autorisation accordée au paragraphe 8 estiment nécessaires dans l'intérèt du peuple libyen et que ces vols seront assurés en coordination avec tout mécanisme établi en application du paragraphe 8;

    8. Autorise les États Membres qui ont adressé aux Secrétaires généraux de l'Organisation des Nations Unies et de la Ligue des Etats arabes une notification â

    80

    SALES/1973 gel])

    cet effet, agissant a titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords régionaux, h prendre au besoin toutes mesures nécessaires pour faire respecter l'interdiction de vol imposée au paragraphe 6 ci-dessus et demande aux États concernés, en coopération avec la Ligue des Etats arabes, de procéder en étroite coordination avec le Secrétaire général s'agissant des mesures qu'ils prennent pour appliquer cette interdiction, notamment en cream un mécanisme approprié de mise en oeuvre des dispositions des paragraphes 6 et 7 ci-dessus;

    9. Appelle tous les Etats Membres agissant h titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords régionaux â fournir une assistance, notamment pour toute autorisation de survol nécessaire, en vue de l'application des paragraphes 4, 6, 7 et S ci-dessus;

    10. Prie les Etats Membres concernés de coordonner étroitement leur action entre eux et avec le Secrétaire général s'agissant des mesures qu'ils prennent pour meure en oeuvre les paragraphes 4, 6, 7 et 8 ci-dessus, notamment les mesures pratiques de suivi et d'approbation de vols humanitaires ou d'évacuation autorisés;

    11. Décide que les Etats Membres concernés devront informer immédiatement le Secrétaire général et le Secrétaire général de la Ligue des Etats arabes des mesures prises en vertu des pouvoirs qu'ils tirent du paragraphe 8 ci-dessus et notamment soumettre un concept d'opérations;

    12_ Prie le Secrétaire général de l'informer immédiatement de toute mesure prise par les États Membres concernés en vertu des pouvoirs qu'ils tirent du paragraphe S ci-dessus et de lui faire rapport dans les sept jours et puis tous ]es mois sur la mise en oeuvre de la présente résolution, notamment pour ce qui est de toute violation de l'interdiction de vol imposée au paragraphe 6 ci-dessus;

    Application de l'embargo sur les ormes

    13. Décide que le paragraphe 11 de la résolution 1970 (2011) sera remplacé par le paragraphe suivant

    Demande h tous les Etats Membres, en particulier aux États de la région, agissant â titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords régionaux, afin de garantir la stricte application de l'embargo sur les armes établi par les paragraphes 9 et 10 de la résolution 1970 (2011), de faire inspecter sur leur territoire, y compris dams leurs ports maritimes et aéroports et en haute mer, les navires et aéronefs en provenance ou a destination de la Jamahiriya arabe libyenne, si l'État concerné dispose d'informations autorisant raisonnablement a penser qu'il y a a bord des articles dont la fourniture, la vente, le transfert ou l'exportation sont interdits par les paragraphes 9 ou 10 de la résolution 1970 (2011), telle que modifiée par la présente résolution, y compris des mercenaires armés, prie tous les Etats de pavillon ou d'immatriculation de ces navires et aéronefs de coopérer a toutes inspections et aworise les États Membres a prendre toutes mesures dictées par la situation existante pour procéder 3 ces Inspections 'ç

    14. Prie les États Membres qui prennent des mesures en haute mer par application du paragraphe 13 ci-dessus de coordonner étroitement leur action entre eux et avec le Secrétaire général et prie également les Etats concernés d'informer immédiatement le Secrétaire général et le Comité créé conformément au paragraphe

    81

    82

    83

    84

    TABLE DES MATIERES

    INTRODUCTION 1

    PARTIE I - LE CADRE LEGAL INCERTAIN DU DROIT D'INGERENCE

    HUMANITAIRE PROPRICE A SON INSTRUMENTALISATION 6

    Chapitre 1 - La base légale du droit d'ingérence humanitaire 7

    Section 1 - L'apport de l'Assemblée générale des Nations Unies 7

    § 1 - La résolution 43/131 du 8 décembre 1988 7

    § 2 - La résolution 45/100 du 10 décembre 1990 9

    § 3 - La valeur juridique des résolutions de l'Assemblée générale 10

    Section 2 - L'apport du Conseil de sécurité des Nations Unies 11

    § 1 - La résolution 688 du 5 avril 1991 12

    A. Le contenu de la résolution. 12

    B. La valeur juridique de la résolution. 13

    § 2 - Les opérations de maintien de la paix 14

    A. La définition d'une opération de maintien de la paix. 14

    B. Les opérations de maintien de la paix dans le cadre du droit d'ingérence

    humanitaire. 15

    1. L'opération ONUSOM. 16

    2. L'opération FORPRONU. 17

    3. L'opération Turquoise. 18

    85

    Chapitre 2 - La base légale de la responsabilité de protéger 20

    Section 1 - L'apport doctrinal de la Commission internationale de

    l'intervention et de la souveraineté des Etats 20

    § 1 - La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des

    Etats 20

    A. Le mandat de la Commission. 21

    B. La composition de la Commission. 21

    § 2 - Le rapport de la Commission 22

    Section 2 - L'apport de l'Organisation des Nations Unies 24

    § 1 - Le Sommet mondial des Nations Unies de 2005 24

    A. Le paragraphe 138 du Document final. 25

    B. Le paragraphe 139 du Document final. 26

    § 2 - La résolution 1973 du 17 mars 2011 relative à l'intervention en Libye 27

    PARTIE II - L'INSTRUMENTALISATION DU DROIT D'INGERENCE

    HUMANITAIRE PAR LES ETATS EN QUETE DE LEGITIMITE 30

    Chapitre 1 - Une instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire par les

    Etats 31

    Section 1 - Une instrumentalisation politique et militaire 32

    § 1 - Une instrumentalisation politique 32

    A. L'instrumentalisation politique du droit d'ingérence humanitaire 32

    B. L'intervention humanitaire armée en Libye. 35

    § 2 - Une instrumentalisation militaire 36

    A. L'instrumentalisation militaire du droit d'ingérence humanitaire 36

    B. L'intervention humanitaire armée au Kossovo. 37

    § 3 - La politisation et la militarisation de l'humanitaire, un danger pour les

    ONG ? 38

    A.

    86

    La politisation de l'humanitaire 38

    B. La militarisation de l'humanitaire. 39

    Section 2 - Exemple d'interventions humanitaires armées instrumentalisées 40

    § 1 - L'intervention en Lybie de 2011 40

    § 2 - L'intervention en Côte d'Ivoire de 2011 41

    § 3 - L'intervention en Centrafrique de 2013 42

    Section 3 - L'absence d'intervention humanitaire armée, une autre marque de

    l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire : le cas de la Syrie 43

    Chapitre 2 - Les critères de légitimité de l'intervention militaro-humanitaire 45

    Section 1 - Les critères élaborés par la Commission internationale de

    l'intervention et de la souveraineté des Etats 46

    § 1 - L'autorité appropriée 46

    § 2 - La juste cause 47

    § 3 - La bonne intention 48

    § 4 - Le dernier recours 49

    § 5 - La proportionnalité des moyens 49

    § 6 - Les perspectives raisonnables 50

    Section 2 - L'intervention américaine en Irak 51

    § 1 - Le contexte de l'intervention américaine en Irak 51

    § 2 - L'examen du cas irakien 51

    A. Le niveau des tueries 52

    B. Le dernier recours. 52

    C. L'objectif humanitaire 53

    D. Le respect du droit humanitaire. 53

    E. L'effet positif 54

    F. L'approbation du Conseil de sécurité. 54

    87

    CONCLUSION 56

    BIBLIOGRAPHIE 57

    ANNEXES 66

    TABLES DES MATIERES 84






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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote