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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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2. Le RoiNjoya ou l'existence de Dieu dans la culture BamounBamun

Cette nouvelle vision du monde allait connaître son apogée avec la rencontre d'autres conceptions, celle chrétienne et musulmane.NJOYA sut gérer cette rencontre des religions dans son royaume par la création d'une troisième voie, celle syncrétique du « Nwet-Nkwète », en fait véritable fondement métaphysique ayant pour corollaire l'adoption d'attitude critique sans émerveillement autre que la curiosité épistémologique pour un choix dicté par le souci de sauvegarde de sa liberté et de l'autonomie de son peuple1343(*).

Sous son magistère, il dut gérer 6 moments-mutations survenus dans son royaume que sont :

1) l'entrée de l'islam (1894-1896),

2) l'entrée des premiers Européens (6/7/1902),

3) l'entrée du christianisme réformé (avant 1906),

4) l'administration coloniale allemande (1903-1915),

5) l'administration britannique (1915-1916), et

6) l'administration française (à partir de 1916).

Et on notera même la croyance en Dieu en pays BamounBamun qui va aboutir à la création d'une religion syncrétique par le RoiNJOYA.1344(*)A ce sujet, NJOYA constatera que chez les chrétiens et les Haoussas, il existe une telle dualité des mondes. Le Dieu créateur des chrétiens et des musulmans existe aussi chez les BamounBamun.C'est le Nyinyi ou celui qui est partout, l'omniprésent. Mais ce Nyinyi n'empêche pas la croyance aux esprits et autres forces de la nature :« Dans le monde des BamounBamun, il existe un être suprême, créateur de tout ce qui existe : Nyinyi ou celui qui est partout. C'est à ce Dieu que toute personne en difficulté avec autrui remet le soin de sa vengeance. La grenouille et le lézard, par exemple, sont des messagers de bon augure qui annoncent la naissance dans la concession. Certains serpents ou insectes présage des jours tristes. Plus forte est la croyance des esprits. La persistance du mal à pour serviteurs les éléments tels que la foudre qui détruit les cases et terrasse les hommes, la tornade violente, le feu qui enveloppe parfois le village dans la mort, la panthère qui emporté le bétail et les hommes, la rivière rapide ou le lac aux eaux calmes, mais traîtresses »1345(*).

Cette vision du monde tranche assurément avec le monde des Pa-rwm, dont le singulier-neutre est nzwm, et la substantivation est le rwm : ensemble d'éléments et êtres généralement au service du mal. A cet effet, « Certains hommes, inconsciemment, détiennent cette puissance du mal et nuisent alors aux autres membres de la tribu. Un terme générique désigne tous ces éléments et ces êtres au service du mal : Pa-rwm dont le singulier-neutre est nzwm. Le rwm, esprit du mal qui les habite, réside dans le ventre de la femme qui le transmet héréditairement à sa descendance. Un homme peut être nzwm sans le transmettre. LesPa-rwm sont les causes de presque toutes les maladies et de tous les malheurs. On distingue, néanmoins, deux sortes de Pa-rwm. Les premiers ne font souffrir que lorsqu'on enfreint les règlements, la coutume ou lorsqu'on est en discorde avec quelqu'un »1346(*)1347(*).

Avant son exil à Yaoundé, le Roi NJOYA avait essayé de mettre en pratique une nouvelle religion qu'il dénommé Nwot-Kwete qui signifie « Poursuis pour atteindre ». NJOYA, en roi éclairé, entreprend en 1916 la rédaction avec son écriture les préceptes et les fondements d'une doctrine religieuse appelée « Poursuis pour atteindre ».

Il s'agit, comme le relève ClaudeTARDITS, « d'une religion de salut, principalement inspirée par les prédications des marabouts, que l'on a parfois qualifiée d'« Islam BamounBamun ». Poursuis pour atteindre était lu dans la mosquée que le roi avait fait bâtir dès 1916 et, évènement important, sa diffusion était faite dans la langue du pays »1348(*).

Sa décision de propager cette religion dans la langue BamounBamun participait du souci de NJOYA de ramener le discours divin à la portée du croyant BamounBamun ordinaire. C'était, dira-t-on, une forme d'inculturation. Voici ce que dit NJOYA à propos : « Toutes les races humaines prient Dieu dans la langue de leur pays et non dans la langue des temps anciens. Dieu entend parce que c'est lui qui a créé tous les hommes, il leur a donné cette langue. Tous ceux à qui Dieu a donné une bouche et Dieu les comprend parce que Dieu leur a donné cette langue »1349(*).

Ici, on pouvait avoir plusieurs épouses, faire des sacrifices aux crânes des ancêtres et consommer les produits des offrandes. Ce qui permettait de continuer à vivre comme par le passé mais avec de nouveaux vêtements... on voit souvent des spectacles où les chrétiens au sortir des temples se dirigent vers les domiciles des marabouts pour des consultations cabalistiques aux fins de connaître ce que l'avenir leur réserve. La polygamie est aussi hypocritement pratiquée par certains qui ont des domiciles où ils logent leurs maîtresses - épouses.

L'alcool est consommé sous le boisseau par certains mahométans et on se retrouve encore aujourd'hui en train de donner raison à NJOYA qui très tôt avait compris qu'il faut un Islam africain tout comme un christianisme africain1350(*).Autres détails non superflus : aucune plante européenne ne fut introduite et adoptée par les BamounBamun dans leur régime alimentaire ; n'est-ce-pas une « dérivation » au sens de Pareto WILFREDO, c'est-à-dire une irrationalité qui renforce l'identité et l'authenticité du groupe !

Enfin, par rapport à ses retraites à Mantoum et à son exil définitif à Yaoundé qui ont inspiré la thèse de la capitulation, nous opposons un « éloge à la fuite » : se révolter dans les conditions dérivées ci-dessus c'est courir à sa perte.Cela conduira le RoiNJOYA à mettre sur pied une religion propre aux BamounBamun qui réunissait les coutumes animistes, l'islam et le christianisme. Et cette situation traduira l'impuissance de l'envoyé de la Mission Protestante de Bâle à imposer totalement l'Évangile en pays BamounBamun.

Toutefois, les missionnaires ne purent convertir NJOYA, qui possédait plusieurs centaines d'épouses qu'il n'était pas question de renvoyer. Par ailleurs, il va de soi que les pratiques traditionnelles ne furent pas plus abandonnées pendant les dix (10) ans de présence de la Mission qu'elles ne l'avaient été à la fin du 19ème siècle, après la première diffusion de l'islam. On peut donc déduire que malgré tous les efforts du pasteurMartinGÖRING, le christianisme ne put prendre le pas sur la culture animiste et l'islam implantés en territoire BamounBamun.Il faut d'ailleurs rappeler que la religion syncrétique du RoiNJOYA a été un puissant catalyseur de cette situation. En décembre 1915, les Allemands et la Mission protestante de Bâle, présents dans le pays depuis le début du siècle, quittaient le royaume. Les troupes anglaises s'installaient à Foumban. Le départ de la Mission modifia alors la situation religieuse compliquée, qui se développait dans le royaume depuis près de vingt ans.

En effet, entre 1896 et 1898, était intervenue une manière de conversion à l'islam. Celle-ci se produisit à la suite d'une intervention des Peulsde Banyo sollicités par le jeune NJOYA, qui venait de monter sur le trône, et se trouvait aux prises avec une guerre civile. La « victoire du cheval » conduisit le roi à demander aux Peuls islamisés l'envoi de marabouts.

Elle l'incita encore à élaborer une écriture, ce qui fut fait quelque temps plus tard. Les marabouts Haoussa introduisirent à la cour royale la pratique des prières musulmaneset même celle du jeune. LesBamounBamun n'abandonnèrent pas pour autant leurs propres rites.

En 1916, les marabouts n'avaient pas encore retrouvé leur influence et les chrétiens étaient partis. Le roi NJOYA profita de cette circonstance pour élaborer les préceptes d'une religion en rédigeant un petit ouvrage dont le titre est en français « Poursuis pour atteindre ». Il y avait là, ramassés dans une trentaine de chapitres, les éléments de ce que l'on pourrait appeler une religion nationale inspirée par l'islam. Plusieurs passages reprennent, sans modifications d'ailleurs, le texte de la Risala.

Les principes théologiques de la doctrine royale sont les suivants :

1) L'unicité de Dieu est affirmée : Dieu est inengendré, omniscient, ubiquiste et il a créé le monde auquel il a donné ses lois.

2) La condition de l'homme est sanctionnée pendant son existence terrestre, et il peut être puni par les malheurs et les fléaux envoyés par Dieu ; elle est encore sanctionnée après sa mort : le monde connait une fin, puis une résurrection intervient, à la suite de quoi l'homme est voué, toujours en fonction de sa conduite, à une éternité de souffrances dans le feu ou une félicité sans fin.

3) Les préceptes à respecter pour éviter les malheurs sur cette terre et pour jouir du bonheur éternel sont les lois de la société, voulues, nous l'avons dit, par Dieu (Les règles énumérées par NJOYA sont tout simplement celles de la morale traditionnelle BamounBamun). L'homme doit encore pratiquer ce que le monarque appelle les « actes aimés de Dieu », c'est-à-dire les rites dont la description remplit les deux tiers de son ouvrage.

Les « actes aimés de Dieu » concernent ici les prières que l'on doit accomplir cinq fois par jour, celle du vendredi se faisant collectivement à la mosquée ; les jeunes qui correspondent à ceux requis dans l'islam, le sacrifice du mouton que l'on fait le 10ème jour du dernier mois de l'année et enfin l'aumône. NJOYA fit à l'époque reconstruire une mosquée où l'on enseignait la doctrine royale. L'entreprise dura peu : elle s'étendit certainement sur une partie ou sur la totalité de l'année 1916.1351(*)

L'impact de cet anathème fut si grand que lorsqu'Elie ALLEGRET, aumônier militaire envoyé avec trois autres coéquipiers par la Société des Missions Évangéliques de Paris en 1917 pour étudier les conditions de la reprise du champ de mission du Cameroun, arriva au pays BamounBamun, la florissante communauté chrétienne qu'avaient édifiée les Bâlois se réduisait à une poignée de fidèles sur un ensemble de plus de 200 membres en 1914. Parmi ces rares fidèles se trouvaient Mosé YÉYAP, cousin et premier contradicteur du RoiNJOYA, et JosuéMOUICHE, premier Pasteur de l'Église BamounBamun1352(*).

Dans la seconde section, nous parlerons de l'opinion que le RoiNJOYA avait vis-à-vis de l'administration coloniale allemande.

* 1343Ibid., pp. 5-8.

* 1344 Les GÖRING s'installent à Foumban le 10 avril 1906.

* 1345H. KOMIDOR NJIMOLUH, Les fonctions politiques de l'école au Cameroun (1916 - 1976), L'Harmattan, 2010, p. 35.

* 1346Ibid., pp. 35-36.

* 1347 Colloque international Roi Njoya, LE ROI NJOYA. Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, L'Harmattan, 2014, pp. 170-171.

* 1348Ibid., p. 241.

* 1349 A. LOUMPET-GALITZINE, Njoya et le Royaume BamounBamun : les archives de la Société des missions évangéliques de Paris, 1917-1937, Paris, Karthala Éditions, 2006, p. 124.

* 1350 Colloque international Roi Njoya, LE ROI NJOYA. Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, L'Harmattan, 2014, pp. 174-175.

* 1351 C. TARDITS, « Réflexions sur le sacrifice dans la religion traditionnelle des BamounBamun (Cameroun) », Systèmes de pensée en Afrique noire (En Línea), 4/1979. Article publié le 04 juin 2013 sur le site http://journals.openÉdition.org/span/435 et consulté le 07 septembre 2021.

* 1352N. NGO NLEND, « Le christianisme dans les enjeux de pouvoir en pays bamounBamun, Ouest du Cameroun, hier et aujourd'hui », in Études Théologiques et Religieuses, 2013/1, Tome 88, pp. 73- 87. En effet, converti au christianisme au cours de la première vague d'évangélisation, Mosé Yéyap fut scolarisé à l'école de la mission dont il devint par la suite le moniteur. Élève brillant, Mosé fut remarqué par l'administration française, qui, en 1916, en fit son interprète auprès de la circonscription de Foumban. Grace à cette fonction prestigieuse, Mosé Yéyap put côtoyer l'administrateur colonial de façon quasi intime, ce qui fit de lui un leader charismatique au sein de la communauté chrétienne bamounBamun...

La réalité et la conscience de son émancipation vis-à-vis du pouvoir traditionnel ressortent notamment de la détermination avec laquelle il résista aux tentatives du roi Njoya visant à circonvenir par des menaces, les chrétiens demeurés fidèles à la mission malgré le départ des Bâlois. En effet, sommé de renoncer à la foi chrétienne, Yéyap répondit sans détour au souverain : « Nous pouvons accepter tout ce que notre roi nous dit, mais abandonner Jésus-Christ pour devenir musulman, cela nous ne pourrions pas, et que dirions-nous à ceux qui à qui nous avons annoncé l'Évangile lorsqu'ils apprendraient que nous les premiers, avons rejeté l'Évangile? Nous ne pouvons pas abandonner Jésus-Christ » - (Ibrahim MOUICHE, « Islam, mondialisation et crise identitaire dans le royaume bamounBamun, Cameroun », Africa, 75 (3), 2005, consulté le 1er décembre 2011 sur : telematica.politicas.unam.mx/biblioteca/archives/040105085, p. 388). Mais en plus d'être le contradicteur des exigences spirituelles formulées par le roi des BamounBamun, Mosé Yéyap se distingue en tant que chef de file d'une champagne d'hostilité menée par les chrétiens contre le pouvoir du roi Njoya. Une hostilité alimentée par un sentiment d'humiliation ressenti suite à des sévices corporels qui lui auraient été infligés sur ordre du roi au motif d'adultère (Ibid., p. 395).

La défiance de Yéyap se traduisit notamment par la caution qu'il apporta à la création de chefferies administratives en vue de réduire l'hégémonie politique de la dynastie bamounBamun dans la région de l'Ouest Cameroun. Face à cette attitude, vue comme une compromission de mauvais aloi avec l'autorité coloniale, nombre de ses coreligionnaires chrétiens le soupçonnèrent de nourrir des ambitions politiques inavouées derrière son opposition à Njoya. En réaction, ils choisirent de soutenir le pouvoir du légitime successeur de Njoya, le sultan NJImoluh Seidou, contre les menées des chefs administratifs ayant la faveur de Yéyap... Le caractère politique de l'opposition menée par Mosé Yéyap envers la dynastie bamounBamun se trouve d'ailleurs confirmé par le retournement spectaculaire observé dans l'attitude qu'il afficha, au lendemain de la déposition de Njoya, envers les chefferies créées par la colonisation. Alors qu'il avait ouvertement marqué son assentiment à l'institution de ces chefferies administrative, Mosé Yéyap se mua rapidement en contestataire de leurs pratiques au motif que, « n'étant limités par aucune puissance supérieure traditionnelle et manipulés par l'administration pour faire rentrer l'impôt et pour lui fournir des travailleurs, (les chefs) introduisirent un régime tout autant totalitaire » (Ibid). Slageren précise par ailleurs que « ce fut Yéyap alors, avec d'autres chrétiens évolués qui soutint le pouvoir du nouveau sultan, Seidou, fils de Njoya » (Jaap Van SLAGEREN, op. cit., p. 162). C'est dans ce même esprit que le Pasteur Josué Muishe devait s'illustrer par son engagement aux côtés de l'autorité traditionnelle en soutenant ouvertement la candidature de ce même sultan aux élections de l'assemblée constituante du Cameroun en mars 1946.

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