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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le Cameroun1(*), situé au fond du Golfe de Guinée, fut d'abord visité par les Portugais au 15ème siècle, puis par les Britanniques et les Allemands qui y amenèrent les premiers missionnaires vers 1860. Devenu colonie allemande en 1884,il passa sous la coupe de la Franceaudu lendemain de la Première Guerre Mondiale en 1919. Pays de 475 650 Km² et de 25 millions d'habitants, le Cameroun s'étend des rivages de l'Océan Atlantique aux confins du Sahel. En 1911, les Français cèdent certains de leurs territoires d'Afrique Équatoriale aux Allemands, que ces derniers baptisent aussitôt « NeuKamerun ». Le territoire du « Kamerun » va donc s'agrandir d'une partie du Congo cédée par la France, appelé le « bec de canard », car il donnait accès au fleuve Congo.

Pour IbrahimMOUICHE, le Cameroun situé géographiquement à la charnière de l'Afrique occidentale, centrale comme des ensembles sahélien et occidental, culturellement à la jonction des mondes francophone et anglophone, aussi bien chrétien que musulman. En ce sens, il est le carrefour des trois importantes régions culturelles : la côte de Guinée avec ses peuplades négritiques, le Soudan occidental avec les Peul et les peuplades arabes, le Congo avec les peuples de langue bantoue. L'extrême complexité ethnique est à l'image à celle de l'Afrique2(*).

C'est essentiellement autour de l'estuaire du Wouri que se déroulera le trafic le plus important. Les lieux de traite sont restés facilement identifiables. Il y avait surtout les villages qui se situaient le long de la côte autour de Victoria, puis les villages Malimba, de l'estuairedu Wouri. Le gros du trafic se passait à Douala et Bonabéri aux lieux dits Kamerun et HickoryTown. Sur les côtesdu Cameroun comme partout en Afrique, la traite a été un véritable commerce de troc. Les échanges étaient faits au moyen de coquillages asiatiques qui servaient de monnaie, de pièces de tissu, de barres de fer, objets manufacturés et de pacotille.Les comptoirs du Cameroun étaient reliés aux autres comptoirs du Sénégal, de Sierra-Léone, du Libéria, du Ghana, de Côte-D'ivoire, du Nigéria. Au cours du 16ème siècle, le trafic est surtout aux mains des Espagnols.

Mais à partir du 17ème siècle, il devient l'affaire des Hollandais puis des Français et des Anglais. Le monopole passe aux mains des Anglais au 18ème siècle. C'est l'époque où s'organise le commerce triangulaire.

Les chefs côtiers ont joué un rôle particulièrement important. Le RévérendPasteurMVENG écrit : « Selon la coutume de l'époque, on rassemblait les esclaves au passage des navires. Là où les chefs servaient d'intermédiaires, la traite s'ouvrait par un cérémonial minutieux : annonce de l'arrivée du bateau, invitation du chef à bord, réception au village et présentation des cadeaux, enfin, proclamation de l'ouverture de la traite »3(*). Les chefs côtiers étaient très friands des cadeaux apportés par les marchands européens. Sur la côte du Cameroun,on pouvait acheter des esclaves pour 8 ou 10 bracelets de cuivre. Certains de ces bracelets, les « manilhas », ont été conservés au musée de Douala. Le vin d'Espagne et les cauris étaient très prisés...

Au 17ème siècle, on sait que les Duala étaient partis de Pitti, sur la Dibamba pour venir habiter la zone actuelle. Mais un fait caractéristique est que l'on ne voit pas ces chefs pratiquer ce commerce au grand jour. Tout laisse croire qu'au cours du 16ème siècle, les Portugais retiraient des côtes camerounaises une moyenne de 500 esclaves. On peut noter que les ressortissants camerounais étaient peu aptes à la condition servile4(*).Le cas de l'esclavage touchait au système de l'organisation sociale tout entière. Toutes les tribus du Cameroun avaient des esclaves qu'on appelait par exemple, « Mokomi » chez les Kpé de l'ex-Cameroun britannique, « Mukom » chez les Duala, « Nkol » chez les Bassa, « Olo-Etuga » chez les Fang-Béti, « Yond » et autres, chez les Banen5(*). L'ambition de cette étude, intitulée « L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et BamounBamun : analyse de l'histoire politique du Cameroun », est de comprendre que les sociétés Duala et BamounBamun ont bénéficié de l'expertise et du savoir-faire de l'administration coloniale allemande. Par ailleurs, il est également question de voir que la colonisation allemande a permis de considérer que le Cameroun était une zone à exploiter, et que les populations allaient servir de main d'oeuvre à cette opération.

D'un point de vue pragmatique, les Allemands ont créé de grandes plantations de produits d'exportation dont le cacao, le café, l'huile de palme, etc. La signature des différents traités permettait ou n'autorisait pas à occulter la dimension brutale des méthodes employées pour atteindre leurs objectifs. Et l'épisode des multiples révoltes dans les plantations allant même jusqu'à la grève de l'impôt, témoigne de ces tensions entre les Allemands et les populations camerounaises.

Toutefois, l'administration coloniale allemande a contribué au désenclavement du Cameroun à travers l'exportation des produits cultivés.Il s'agit donc de voir de quelle manière les chefs traditionnels, en particulier ceux Duala et BamounBamun, ont participé et ont subi l'expansion de la conquête allemande au Cameroun. Négliger cet aspect, c'est oublier que tous les acteurs ont eu à mettre en lumière différents angles et aspects de la colonisation aussi glorieux qu'obscurs.

Notre introduction générale porte sur la construction de l'étude (I-) et les considérations méthodologiques et opératoires (II-).

I. CONSTRUCTION DE L'OBJET D'ÉTUDE

D'après Pierre BOURDIEU, « construire un objet scientifique, c'est, d'abord et avant tout, rompre avec le sens commun, c'est-à-dire des représentations partagées par tous, qu'il s'agisse des simples lieux communs de l'existence ordinaire ou des représentations officielles, souvent inscrites dans des institutions, donc à la fois dans l'objectivité des représentations sociales et dans les cerveaux. Le préconstruit est partout »6(*).L'objet scientifique est le fait à observer, pour saisir et rendre visibles les aspects imperceptibles de sa nature à l'oeil nu.

Cela suppose aussi dans une certaine mesure, soit de rompre avec certains fondements anciens, soit encore de les revisiter pour en faire une nouvelle structure. C'est dire autrement qu'il faut appréhender son essence, situer son intérêt, définir ses limites et sa forme, identifier ses problèmes et les solutions y afférentes, pour mieux situer sa valeur. En effet, l'administration coloniale allemande a assis sa domination sur les entités locales, notamment sur les pouvoirs politiques traditionnels Duala et BamounBamunen appliquant le principe « de diviser pour mieux régner ».

Dans ce cadre, on a plusieurs fois recensé l'utilisation des antagonismes entre le Roi BELL et le Roi AKWA par les autorités allemandes pour avoir la main mise sur le commerce et les autres transactions commerciales. De plus, les chefs Duala se sont opposés à la politique d'expropriation, soit en conduisant des attaques armées, soit en adressant de nombreuses pétitions au Parlement allemand. Ce qui conduira le 08 août 1914 à la pendaison du Roi Rudolf DUALA MANGA BELL et de son secrétaire NGOSSO DIN. Au sein du royaume BamounBamun, par contre, on assiste plutôt à une politique plus conciliatrice. Le Roi NJOYA utilise la ruse, l'échange de cadeaux, la création d'un syncrétisme religieux pour ne pas perdre la main face aux Allemands.D'ailleurs, les guerriers BamounBamun participeront à la conquête de leurs frères Bansoh,et récupéreront par la même occasion, la tête duRoiNSANGU.

Toutefois, il ne faut pas considérer que ces adaptations n'ont été que le fait des pouvoirs locaux. A ce titre, le pouvoir colonial allemand, a fait lui aussi, des compromis pour asseoir sa suprématie.S'agissant de la politique foncière, les autorités coloniales allemandes vont retarder à tout prix le processus de réparation des dommages causés par l'expropriation forcée des terrains du plateau Joss entre autres. La multiplication des pétitions et des indemnisations financières en est un témoignage flagrant. Mais la situation sera de plus en plus tendue, d'autant que la bourgeoisie Duala, ayantétudié en Allemagne, connait ses droits et les réclame avec véhémence. Ace titre, Rudolf DUALA MANGA BELL mène les opérations de résistance ; il est également soutenu par les autres chefs malgré les tentatives de déstabilisation de cette union par les Allemands, s'arroge même l'approbation d'une tranche de l'opinion publique allemande notamment chez les sociaux-démocrates, réputés proches des idées socialistes et du respect des peuples dits opprimés. Cependant, il le paiera au prix de sa vie et cet état de fait consacrera le problème foncier encore en vigueur, de nos jours, sur le territoire « Duala ».

Concernant la chefferie BamounBamun, le pouvoir colonial allemand se heurtera aux traditions séculaires telles que la polygamie ou les pratiques animistes qui existent encore aujourd'hui, preuve qu'aucune colonisation n'a pu totalement éliminer ces éléments dits « rétrogrades ».Les missionnaires allemands seront obligés de tolérer la polygamie tant que les futurs adeptes au christianisme, acceptaient de se faire baptiser, ou d'amener les autres profanesà accepter l'école occidentale, à détruire leurs fétiches devant témoin par exemple. De plus, ils seront surpris de l'intelligence, de l'audacedu Roi NJOYA. Un roi « nègre », qui créé une écriture, un système de cultures, une religion syncrétique, une architecture mêlant des styles différents.

En d'autres termes, le Roi NJOYA remit en doute toutes les conceptions racistes et hégémoniques des colonisateurs de quelque bord qu'ils soient.LesAllemands reconnaitront son génie, son organisation, et sa capacité à fédérer son peuple autour de lui et de ses idéaux.

Ainsi, les institutions politiques africaines à savoir les chefferies traditionnelles ont su se pérenniser et survivre face aux bouleversements de la colonisation et de l'Etat moderne africain par le biais d'un ensemble de transformations et d'adaptations. Elles font partie des institutions de l'ère coloniale et postcoloniale et sont animées aujourd'hui d'un dynamisme qui les intègre à la vie politique nationale.

A. CONTEXTE ET JUSTIFICATION DU SUJET

C'est en 1884 que BISMARCKdécide d'engager une politique d'expansion coloniale7(*). Mais déjà au début du mois d'avril 1883, à l'occasion d'une convention signée le 28 juin 1882 et publiée en mars 1883 - par laquelle l'Angleterre et la France garantissaient réciproquement des droits égaux à leurs commerçants dans leurs possessions africaines - le Chancelier avait demandé à son ministre des Affaires Étrangères, le comte HATZFELD, de faire remettre aux magistrats des villes hanséatiques une note les invitant à proposer des mesures pour favoriser l'expansion du commerce allemand sur la côte occidentale d'Afrique.

Le 9 juillet 1883, le Sénat de Brême recommande deux mesures essentielles : la conclusion de traités de commerce avec les chefs indigènes ; la formation d'une escadre chargée de visiter régulièrement les comptoirs allemands pour faire impression sur les indigènes et pour les intimider. Il n'était absolument pas question d'annexions territoriales8(*).

Quant à la Chambre de commerce de Hambourg, présidée par le célèbre négociant Adolf WOERMANN, qui avait des intérêts sur la côte occidentale d'Afrique, elle adressa à BISMARCK, le 6 juillet 1883, un long et intéressant mémoire9(*).Ce mémoire montrait la valeur des établissements coloniaux que l'Allemagne pourrait fonder à l'embouchure du Niger et dans la baie de Biafra10(*).

Par ailleurs, il s'opposait à la fondation des colonies de peuplement, mais recommandait avec insistance l'acquisition de comptoirs et de territoires d'exploitation comme très favorable aux intérêts commerciaux de l'Allemagne. Ce mémoire plut à BISMARCK que le Chancelier en accepta intégralement le programme et le 22 décembre 1883, le comte HATZFELD par le biais de M. WENTZEL, annonçait qu'un commissaire impérial allait être désigné pour se rendre en Afrique et engager des négociations avec des souverains indigènes dans différentes parties de la côte occidentale.11(*)

Le gouvernement allemand envoya ainsi GustaveNACHTIGAL12(*) négocier la mise sous protectorat avec les chefs Duala. Deux traités en ce sens furent signés avec des chefs de l'estuairedu Wouri appelée« CameroonRiver » par les Britanniques. Ces traités furent appelés traités Germano-Duala.Le premier de ces traités qui date du 12 juillet 1884 marque la naissance internationale du Cameroun moderne. Douala fut tout d'abord choisie pour abriter la résidence des gouverneurs et le siège du gouvernorat, de 1885 à 1901, puis ce fut le tour de Buéa, de 1901 à 1909, au climat plus frais et choisie par le Gouverneur VON PUTTKAMER. L'éruption du Mont Cameroun qui eut lieu en 1908 mit prématurément fin à ce choix. Ce fut de nouveau le retour à Douala où les Allemands se heurtèrent cette fois-ci à la révolte des Duala qui refusaient de se laisser expulser de leurs terres. Des révoltes éclatèrent dans les plantations et dans la région de Douala, allant même jusqu'à la grève de l'impôt. Néanmoins, la maîtrise allemande ne fut pas remise en cause par ces évènements.

En dehors de la période de la signature du traité Germano-Duala, les Allemands rencontrèrent de la résistance et des révoltes dans leur tentative de conquête de l'arrière-pays du Cameroun. Les Allemands se firent aider dans cette entreprise par certains chefs traditionnels dont les plus célèbres furent le Fon GALEGA 1erde Bali, le Sultan BamounBamunIbrahim NJOYA,et Charles ATANGANA qui fut plus tard nommé « Oberhauptling » c'est-à-dire « chef supérieur »des Yaoundé et Bane.Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer la relation entre ces deux phénomènes. D'une part, on a assisté, à une politique de résistance à l'égard de l'administration coloniale allemande de la part des peuples Duala et Nsoh13(*), entre autres. Cette théorie mise en exergue par les perspectives marxiste ou nationaliste évoquait à juste titre de la résistance des chefs contre le système d'oppression coloniale. Ici, la stratification sociale qui renvoie à plusieurs processus sociaux de distinction, de discrimination, d'affiliation, de « pecking order »14(*), tend à positionner les individus de façon hiérarchique, dans une société ou une organisation sociale donnée, et donne lieu à des inégalités sociales, en termes d'accès et de répartition des ressources.

Le marxisme associe à cette vision de la stratification de la société la notion historique de « lutte des classes ». Pour KarlMARX et Friedrich ENGELS, l'histoire n'est qu'une succession de lutte entre classe dominante et classe dominée. Ils associent à la classe dominée le prolétariat et à la classe dominante la bourgeoisie.Ils écrivent que les prolétaires ne peuvent pas être assujettis à une patrie en particulier et que les divisions étatiques, nationales et/ou culturelles qui les opposent, sont de simples diversions en regard du conflit central : la lutte des classes qui oppose le travail au capital dans le cadre mondialisé du capitalisme15(*). Pour ces deux auteurs, la lutte des classes est un moteur des transformations des sociétés et de l'histoire moderne16(*). En effet, bien que les Allemands, soutenus par les Bali, aient imposé leur autorité sur la plupart des tribus des Grassfields de Bamenda par des expéditions punitives et des campagnes militaires comme à Bafut, les Nsoh s'opposèrent toujours à la domination coloniale allemande.

LesAllemands reçurent l'aide des BamounBamun pour vaincre les Nsoh et ils les écrasèrent en 1906 et leur imposèrent des termes de la paix. Suivant cet accord pacifique, les Nsoh se soumirent à l'autorité allemande, et, ensuite, renvoyèrent le crâne du RoiNSANGUaux BamounBamun.Quant aux Duala, la première opposition majeure survint en décembre 1884 avec d'un côté le Roi BELL, qui avait soutenu l'annexion allemande et de l'autre, les autres chefs et princes de Josstown et d'Hickorytown. Cette hostilité provenait principalement du fait que les Allemands voulaient procéder à l'expropriation des terrains, ce qui n'avait pas été convenu entre les deux parties lors de la signature du traité Germano-Duala du 12 juillet 1884.D'autre part, on a également assisté à une politique de collaboration avec l'administration allemande au Cameroun. Cette théorie de la collaboration a été élaborée par RonaldROBINSON, théorie selon laquelle les facteurs collaborationnistes17(*) ont largement contribué à la domination des peuples colonisés.

ROBINSON pose le problème ainsi qu'il suit : « Les notions anciennes se limitaient pour la plupart à expliquer la genèse des nouveaux empires coloniaux en termes de circonstances en Europe. La théorie du futur devra expliquer comment une poignée de proconsuls européens ont réussi à manipuler les sociétés polymorphes d'Afrique et d'Asie et comment des élites nationalistes, finalement relativement petites, les ont persuadés de partir »18(*).

Donald AnthonyLOW donne la même orientation à l'interprétation de l'impérialisme colonial lorsqu'il pose la question de savoir comment l'ordre colonial a pu être accepté pendant si longtemps19(*).La recherche historique sur la colonisation allemande au Cameroun connait indiscutablement un grand intérêt avec les travaux de Karin HAUSEN20(*), AlbertWIRZet GotthilfWALZ21(*) mais elle semble généralement effectuée dans une perspective plus ou moins euro-centrique22(*).Les travaux du professeur STOECKER23(*) et de ses collaborateurs donnent une autre orientation à cette recherche, à savoir qu'il est indispensable, non pas d'analyser le phénomène colonial en se référant en majeure partie au colonisateur, mais plutôt d'accorder une place importante au colonisé. La thèse de Patrice MANDENG se situe dans le même cadre.

Nous orientons notre travail vers cette voie où le colonisé, dans ce cas le chef, n'est plus seulement objet mais aussi sujet dans le processus colonial. D'où une convergence entre la théorie de ROBINSON et les études de STOECKER et de MANDENG24(*). Il convient donc de mettre un accent particulier sur les éléments locaux de la domination coloniale. Il s'agit ici pour nous d'analyser les éléments collaborationnistes locaux, indispensables au maintien de l'ordre colonial et de faire ressortir la part de responsabilité incombant à une certaine couche de la population colonisée25(*). Bien que les cas de coopération avec les chefs amis ne fussent pas très nombreux, le Fon GALEGA 1erde Bali, CharlesATANGANAet le Sultan NJOYA en font partie.Le RoiIbrahimNJOYA, qui avait entendu parler des expéditions punitives et des campagnes de destruction contre les tribus rebelles des Grassfields, accueillit les Allemands en 1902.

Il évita la guerre en négociant avec les Allemands. Il ouvrit son pays aux innovations politiques et économiques qu'ils proposaient pour ne pas être démis de son pouvoir.En 1906, NJOYA apporta son soutien aux Allemands dans le conflit contre les Nsoh qui refusaient de se soumettre à l'autorité de la station militaire de Bamenda. L'expédition fut un succès et l'autorité allemande s'imposa chez les Nsoh. En retour, NJOYA utilisa les Allemands pour renforcer sa position, éliminer ses rivaux du lignage royal et de la Cour.

L'objectif du pouvoir colonial était, entre autres, de collaborer avec ces chefs pour mieux contrôler les populations, de s'imposer comme unique autorité politique dans la colonie, et selon René PHILOMBE, poète et écrivain camerounais26(*), les chefs furent utilisés par ce qui a été appelé la « sombre trinité », c'est-à-dire par l'administrateur, le missionnaire et le commerçant ou planteur. En même temps, l'on ne devrait pas occulter l'influence certaine, certes relative de ces chefs sur l'administration coloniale allemande.

Tel est le bloc d'idées à partir duquel s'est construit l'objet de cette étude. Ce qui impose le préalable de la définition des concepts.

* 1Les Portugais découvrent le fleuve Wouri. L'abondance des crevettes (surtout l'existence d'une variété rare de grosses crevettes « béatoe » en langue locale) les amène à baptiser ce fleuve « Rio Dos Camaroes » (rivière des crevettes). Ce nom désigne ensuite le Littoral et devient « Cameroun » en passant par « Rio Dos Camaerones », « Cameroon River » et « kamerun » .

* 2 I. MOUICHE, « Le pouvoir traditionnel dans la vie politique moderne », Mémoire de Maîtrise en Science Politique, Yaoundé, FDSE, 1988.

* 3 E. MVENG, Histoire du Cameroun, Présence Africaine, 1963, p. 138. In A. AHIDJO & G. BWELE, L'encyclopédie de la République Unie du Cameroun, Tome Deuxième : L'histoire et l'Etat, Douala, Les Nouvelles Éditions Africaines, 1981, pp. 32-33.

* 4Ibid., pp. 32-33.

* 5Ibid., p. 35.

* 6 P. BOURDIEU, Paris, Réponses, Seuil, 1992, p. 207.

* 7 Les raisons de cette conversion de BISMARCK sont résumées dans H. BRUNSCHWIG, Le partage de l'Afrique noire, Paris, Flammarion, 1971, pp. 151 - 153, qui donne la bibliographie. Le fait décisif qui a motivé « le revirement de 1884 » fut incontestablement le mémoire que le conseiller intime de légation aux AffairesÉtrangères, Henri DE KUSSEROW, adressa à BISMARCK le 8 avril 1884. Le fonctionnaire allemand y développait l'idée que, par le ballet des compagnies à charte, très en vogue dans les possessions anglaises, l'Allemagne pouvait acquérir des colonies sans que l'État ne se charge ni de leur administration ni de leur mise en valeur. Cette idée plut tellement à BISMARCK que le Chancelier décida de la mettre aussitôt en pratique. H. BRUNSCHWIG, L'expansion allemande outre-mer du XVème siècle à nos jours, Paris, PUF, 1957 ; « De la résistance africaine à l'impérialisme européen », in Peuples Noirs, Peuples Africains, N° 9, 1979, pp. 69-80.

* 8 Cette note est datée du 14 avril 1883. Elle fut remise aux autorités des villes hanséatiques par M. DE ENTZEL, ambassadeur de presse à Hambourg.AUSWARTIGES AMT. INSTITUT FUR AUSWARTIGE POLITIK (GERMANY). INSTITUT FUR AUSLANDISCHES OFFENTLICHES RECHT UND VOLKERRECHT. Cf. Das Staatsarchiv: Sammlung der offiellen Adenstucke zur Geschichte der Gegenwart, Volumes 42- 43, Leizpig, 1884, pp. 224-226.

* 9Ibid., pp. 226 - 243.

* 10 Cameroun.

* 11 AUSWARTIGES AMT. INSTITUT FUR AUSWARTIGE POLITIK (GERMANY). INSTITUT FUR AUSLANDISCHES OFFENTLICHES RECHT UND VOLKERRECHT, Das Staatsarchiv: Sammlung Der Offiziellen Aktenstucke Zur Aussenpolitik Der Gegenwart, Volume 63, Leizpig, 1884, p. 244.

* 12 Gustave NACHTIGAL connaissait parfaitement l'Afrique. Il avait parcouru les régions du Bornu, de l'Adamawa et du Tchad entre 1869 et 1874. Il avait présidé le comité allemand de l'Association Internationale Africaine et la Société de Géographie de Berlin. Il avait été nommé Consul Général d'Allemagne à Tunis en 1882, commissaire impérial pour l'Afrique occidentale le 17 avril 1884. Il mourut en mer, le 20 avril 1885, au cours de son voyage de retour. Cf. H. HEUER, Nachtigal: eine Biographie, Berlin, 1937; T. HEUSS & al., G. NACHTIGAL, 1869 - 1969, Bad Godesberg, 1969.

* 13 Ou Bansoh.

* 14 Qui est l'expression anglophone usuelle abordant la structure du pouvoir et la hiérarchisation des organisations sociales.

* 15 K. MARX & F. ENGELS, Manifeste du Parti communiste, 1848, Les classiques des sciences sociales, Université du Québec, p. 35. Voir « La lutte des classes - tensions dans une société hiérarchisée et divisée en classes sociales (n.d.) ». Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 22 mars 2022.

* 16 ENGELS précise que cette formule se limite à « l'histoire écrite ». Il ajoute : « En 1847, l'histoire de l'organisation sociale qui a précédé toute l'histoire écrite, la préhistoire, était à peu près inconnue ». (Note d'ENGELS de 1888 au Manifeste du Parti communiste). Voir « La lutte des classes - tensions dans une société hiérarchisée et divisée en classes sociales (n.d.) ». Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 22 mars 2022.

* 17 R. ROBINSON & J. GALLAGHER, « L'impérialisme du libre-échange » in The Economic History Review, vol. VI, n°1, 1953. Cet article constitue un essai révolutionnaire parmi les théoriciens de l'expansion impériale et « est réputé être l'article historique le plus cité jamais publié ».

Parlant des facteurs collaborationnistes, nous pouvons citer les chefs traditionnels.En effet,le colonisateur a consacré le statut des chefs traditionnels par l'arrêté N°244 du 04 février 1933 qui classait les chefs en trois catégories hiérarchisées : les chefs supérieurs, les chefs de groupements, et les chefs de village (Voir B. BALLA ONDOULA, « La chefferie traditionnelle face à l'émancipation politique du Cameroun », Mémoire, CHEOM, 1958-1959). A la fois auxiliaires de l'administration coloniale et représentants des populations, la position des chefs demeure ambiguë. Par réalisme et par nécessité bien comprise, le Cameroun indépendant fut amené à conserver les chefferies, relais de l'administration. C'était le meilleur palliatif à la sous-administration et le président AHIDJO affirmait à cet effet : « qu'indépendamment de leur aspect, de leurs caractères sentimentaux, les chefferies constituaient encore aujourd'hui et sans doute aussi pour demain, par l'encadrement des populations qu'elles assurent, des moyens d'action de l'Etat pour l'instant irremplaçables. Nos chefferies sont dans certains domaines des unités administratives indispensables ». C'est ainsi que dans la loi N°7/5C du 10 décembre 1960, les pouvoirs publics les reconnurent de nouvelles règles dans la nomination et dans l'exercice des pouvoirs des chefs traditionnels. Les chefferies seront alors des institutions à part entière de l'administration camerounaise, collectant les impôts, officiant en matière d'état-civil, rendant justice, représentant les populations auprès des autorités et prêtant main forte à l'administration nationale nouvelle (Voir R. N'KAMGANG, « Les chefferies traditionnelles dans l'organisation administrative du Cameroun », Mémoire, CHEOM, 1960). In A. AHIDJO & G. BWELE, L'Encyclopédie de la République Unie du Cameroun, Tome 2 : L'Histoire et l'Etat, Douala, Les Nouvelles Éditions Africaines, 1981, pp. 197-198.

* 18 R. ROBINSON, « Non-European foundations of European imperialism. Sketch for a theory of collaboration », in Studies in the theory of imperialism, Ed. Roger Owen/ Bob Sutcliffe, 1972, p. 118. Extrait en anglais traduit par nous en français: « The old notions for the most part were restricted to explaining the genesis of new colonial empires in terms of circumstances in Europ. The theory of future will have to explain how a handful of European Proconsuls managed to manipulate the polymorphic societies of Africa and Asia, and how, eventually, comparatively small, nationalist elites persuaded them to leave ».

* 19 D. A. LOW, Essays in the study of British imperialism, London, 1973, p. 8.

* 20 K. HAUSEN, Deutsche Kolonialherrschaft in Afrika. Wirtschaftsinteressen und Kolonialverwaltung in Kamerun wahrend der deutschen Kolonialverrschaft, (1884-1914), Berlin, 1965.

* 21 Le Dr. G. WALZ de Freiburg / i. Br., « Die Entwicklung der Strafechtsprechung in Kamerun 1884 - 1914 », 1980. Nous nous penchons sur sa connaissance juridique de la question coloniale au Cameroun.

* 22 K. HAUSEN, Deutsche Kolonialherrschaft in Afrika, Atlantis 1970 ; A. WIRZ, Vom Sklavenhandel zum kolonialen Handel, Atlantis, 1972 ; G. WALZ, Die Entwicklung der Strafrechtsprechung in Kamerun 1884 - 1914, Diss. Freiburg /Br. 1980.

* 23 Le Professeur Helmut STOECKER de l'Université Humboldt (Berlin-Est), éminent spécialiste de la période allemande au Cameroun. H. STOECKER, « Drang nach Afrika », Berlin, Akademie Verlag, 1977. H. STOECKER, « Kamerun unter deutscher Kolonialherrschaft », Berlin, Rutten & Loening, 1960, p. 68.

H. STOECKER & H. MEHLS & E. MEHLS, « Die Froberung des Nordorstens ». In STOECKER (éd.), Kamerun unter deutscher Kolonialherrschaft II, 1968, pp. 55-98.

* 24 P. MANDENG, Auswirkungen der deutschen Kolonialherrschaft in Kamerun, Hamburg, 1973.

* 25 J. GOMSU, Colonisation et organisation sociale. Les chefs traditionnels du Sud-Cameroun pendant la période coloniale allemande (1884-1914), Thèse de Doctorat De 3ème cycle, Université de Metz, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Saarbrücken, 1982, pp. 11 - 12 : (Nous ne livrons en aucun cas des arguments aux apologistes du colonialisme, bien au contraire, ce que nous disons ne disculpe en rien les colonisateurs).

* 26 Idem.

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