WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy
2. La perception de la chefferie Akwa au sujet de l'administration coloniale allemande

En l'absence de structures traditionnelles, les Allemands étaient guidés par la conviction selon laquelle : « Les chefs et les sous-chefs sont les organes par lesquels l'administration fait transmettre et exécuter à la population ses ordonnances. Ils procurent les manoeuvres nécessaires, surveillent des exécutions des travaux publics, veillent à ce que les lois et ordonnances de police soient appliquées et perçoivent les impôts, qui leur apportent un bénéfice »1079(*).

De même, le commissaire du district allemand de Dschang, le lieutenant RAUSCH remarquait en 1910 que : « Il est d'une importance décisive pour l'administration qu'elle dispose des chefs surs, qui assurent le contact avec la nombreuse population. Sans eux, il faudrait un appareil administratif important et couteux qui ne fonctionnerait surement pas aussi bien que la féodalité héréditaire des indigènes »1080(*).

DIKA MPONDO AKWA est né en 1836 à Akwa-Douala de l'union du King MPONDOMANGANDO1081(*) et de SIKE DIKA DIBONGE. Petit-fils de NGAND'A AKWA1082(*), DIKA MPONDO grandit au sein du foyer de sa grand-mère MUSONGO EJANGUE de Bonassama, que l'on surnomme « Eleke » pour sa grâce.

Adolescent, DIKA MPONDO reçoit une éducation et une initiation en adéquation avec les croyances et les pratiques ancestrales de son peuple. Son énergie et sa créativité sont très vite remarquées par son père qui l'emmène fréquemment à bord des voiliers négriers avec les européens. Il s'intègre dans les affaires commerciales de l'époque, d'abord comme intermédiaire avec l'hinterland, puis comme négociant direct auprès des firmes européennes.

DIKA MPONDO organise également sa famille autour de sept foyers. Il a une nombreuse progéniture dont le Prince Héritier Ludwig MPONDO DIKA AKWA, un autre martyr de la résistance camerounaise. C'est en 1878, à la mort de son père qu'il accède au trône des Akwa. Il est alors âgé de 42 ans. Son ambition est de bâtir un puissant ensemble territorial ancré dans la modernité mais puisant ses racines dans les hautes valeurs traditionnelles et culturelles de son peuple.Poursuivant l'action de ses prédécesseurs, il consolide le royaume de Bonambela, ainsi que les relations ancestrales de celui-ci avec les peuples de l'hinterland. Souverain visionnaire,il souhaite renforcer les échanges commerciaux avec les partenaires européens et accélérer le développement de son pays.

Dans cette optique, il signe en 1883, un accord commercial d'une grande importance : l'Accord Akwa-Woermann. Cet accord stratégique est l'acte préparatoire majeur du traité qui allait intervenir un an plus tard. Le traité germano-camerounais du 12 juillet 1884 est considéré par différents auteurs comme l'acte de naissance, le point de départ de l'émergence du Cameroun au plan international et surtout de la constitution progressive de la Nation camerounaise. Des peuples qui, jusque-là étaient unis par des liens fraternels, amicaux et commerciaux, le seront désormais par une communauté de destin que plus rien n'ébranlera, et qui forgera l'idée nationale camerounaise au fil des générations. DIKA MPONDO AKWA est le principal signataire du traité pour la partie camerounaise. Tous les autres signataires le seront en qualité de témoins1083(*).

HarryRudolphRUDIN nous en a donné une description à la fois détaillée et vivante dont nous tirons ici un extrait :« En 1907, le peuple Akwa refusa de payer des impôts, qu'il considérait simplement comme un ajout au grand nombre de griefs qu'il avait déjà contre l'administration coloniale. Tout en protestant contre leur incapacité à payer des impôts, ils ont recueilli des fonds entre eux pour garder un représentant noir en Allemagne pour plaider leur cause ici.

Les autorités allemandes ont déclaré que les autochtones n'avaient pas le droit de s'imposer de cette manière, car la fiscalité était un droit souverain appartenant uniquement au gouvernement allemand, qui publiait les responsables de l'imposition. Lors de longues conférences avec les indigènes mécontents, le GouverneurSeitz a essayé de les persuader de renoncer à leur opposition aux impôts. Les dirigeants des grèves fiscales ont affirmé que le traité entre l'Allemagne et les chefs de Douala en 1884 ne conférait à l'Allemagne aucun droit à l'impôt. Le Gouverneur a essayé de convaincre le peuple de la folie de son attitude...

Il menaçait les dirigeants de l'opposition d'exil de la colonie s'ils continuaient à refuser de payer des impôts. La saisie effective de certains chefs pour forcer les tribus délinquantes de payer leurs impôts montre jusqu'où l'administration a montré sa détermination à percevoir les impôts. A cause de cette situation, Douala a été soumis à un régime fiscal spécial pendant plusieurs années »1084(*).

Au Cameroun, cette expérience de « l'éducation » de jeunes colonisés en métropole se limita presqu'exclusivement à l'ethnie côtière des Duala1085(*). Ainsi, dans une lettre du 18 avril 1891 adressée au chancelier, le gouverneur du Cameroun demandait l'octroi d'une aide financière, afin que l'interprète David METOM puisse faire éduquer son fils TUBE en Allemagne1086(*).

La volonté du jeune MPONDOAKWA1087(*) de collaborer avec les Allemands quel que soit le cas1088(*)1089(*), de supprimer la polygamie et l'esclavage, une fois qu'il aura succédé à King AKWA, allait dans le sens que souhaitait le pouvoir colonial.

Ce dernier insistait sur le fait que son éducation devait se faire en fonction de sa position future1090(*). MANGA BELL par exemple avait été « éduqué » en Angleterre1091(*).

Le départ d'un élève provoquait des frais considérables ; il fallait payer entre 1 000 et 5 000 Marks par an. Pour MPONDO AKWA, sa famille payait 1 000 Marks par an et on exigeait 5 000 Marks pour TUBE, le fils de DAVIDMETOM1092(*).

Ces élèves étaient le plus souvent emmenés par des colons qui rentraient en Allemagne. En dehors d'AlfredBELL1093(*), de MPONDO AKWA1094(*) et de DOUALA MANGA1095(*), il eut d'autres jeunes Camerounais en Allemagne ; MPONDOAKWA arriva en Allemagne avec trois autres garçons1096(*)1097(*). Du côté des AKWA, une action fut entreprise qui devait contribuer à consolider l'autorité coloniale. Le 18 mars 1886, une circulaire du gouverneur suspendait la peine d'exil prononcé contre MANGA AKWA, le frère de King AKWA, ceci d'autant plus qu'en janvier 1886, King AKWA, le chef MUKURI et le secrétaire des Duala avaient présenté une requête visant à obtenir le pardon du gouverneur pour MANGA AKWA1098(*)1099(*). A ce propos, signalons que MPONDOAKWA joua un rôle important dans la pétition des chefs Akwa au Reichstag en 19051100(*). DOUALA MANGA BELL quant à lui, devint le leader du peuple duala contre l'expropriation des terrains à Douala, il paya de sa vie la lutte contre la spoliation coloniale1101(*).

Il est incontestable que la formation de jeunes camerounais, lorsqu'elle atteignait un niveau relativement élevé1102(*), était génératrice d'une remise en cause du système colonial, surtout lorsque les jeunes colonisés faisaient montre d'un esprit critique1103(*).

Un an après le départ de DUALA MANGA pour l'Allemagne1104(*), l'administration prit un décret faisant dépendre tout départ de jeunes camerounais pour l'Europe de l'autorisation du gouverneur1105(*) ; le 15 octobre 1910, un nouveau décret venait renforcer les dispositions déjà existantes.1106(*)

Il est alors naïf et aberrant de faire abstraction d'une telle conception dans la politique de scolarisation des Allemands au Cameroun et de se mettre à louer le travail scolaire comme le fait ENGELBERT MVENG1107(*)1108(*)... C'est ainsi qu'en janvier 1885, une tragédie fut évitée d'extrême justesse, à la suite d'une rixe ayant opposé un agent de la firme Horsfall du nom de WALKER, à un certain NED AKWA ; l'intervention du navire de guerre anglais « Antelope » fit éviter le pire. Déjà en 1853, le Consul anglais John BEECROFT est obligé de se rendre à Douala pour enquêter sur les voies de fait qu'un habitant de Nigeery-Town1109(*) avait exercées sur la personne du subrécargue Ellis. Il peut paraître surprenant qu'un incident d'apparence aussi anodine ait pu nécessiter l'intervention d'une aussi haute personnalité ; c'est que le climat des relations entre Douala et Européens était plutôt explosif ; la moindre inattention aurait pu entraîner les conséquences les plus graves.

Une telle issue était d'autant plus à redouter que les chefs Duala se montraient d'une extrême partialité, quand un membre de leur famille était mis en cause, pour n'avoir pas respecté ses engagements vis-à-vis d'un commerçant européen, on les a souvent vus, dans ces cas, livrer des individus d'une autre tribu, voire des esclaves domestiques, à la place de vrais coupables. Il s'instaurait donc de jour en jour une atmosphère d'anarchie dans laquelle personne ne pouvait trouver son compte. Le moment était venu de recourir à d'autres solutions ; ce fut l'oeuvre du premier traité commercial camerounais signé le 14 janvier 1856, entre le Consul anglaisHUTCHINSON et les représentants autorisés de la tribu Duala.

Dans le 3ème volet de notre travail, nous nous attèlerons sur la perception de la chefferie Deïdo au sujet de l'administration coloniale allemande.

* 1079 ANY, TA 23, « L'organisation politique des indigènes et leur emploi dans l'administration et la juridiction du protectorat du Cameroun ».

* 1080 Lieutenant RAUSCH, cité par J.A. NGUIMZANG, « Foreke- Dschang : impact des interventions allemandes et britanniques sur les institutions traditionnelles, 1900-1920 », Mémoire de DES en Histoire, Université de Yaoundé, 1978, p. 42. Cité par J. TCHINDA KENFO, Colonisation, quêtes identitaires, pratiques élitistes et dynamiques socio-politiques dans les Bamboutos (Ouest-Cameroun), XIX - XX siècle. Thèse pour le Doctorat Ph/D en Histoire. DEA en Histoire. Option : Histoire des relations internationales, 2016, pp. 84-85.

* 1081 Souverain des Akwa de 1852 à 1878.

* 1082 Fondateur de la dynastie des Akwa, qui régna de 1805 à 1846.

* 1083 E. BATAMAG, « Cameroun : Qui était Dika Mpondo Akwa ? » Article publié 29 mai 2018 sur le site « Le NouvelAfrik.com » et consulté le 9 février 2012.

* 1084 Version originale: « In 1907 the Akwa people refused to pay any taxes, which they considered merely an addition to the large number of grievances they already had against the colonial administration in the colony. While protesting their inability to pay taxes, they raised funds among themselves to keep a Negro representative in Germany to plead their cause here. German authorities said that the natives had no right to tax themselves in this fashion, for taxation was a sovereign right belonging only to the German right belonging only to the German government, which published those responsible for levying the assesment. In long conferences with discontented natives governor Seitz tried to persuade them to give up their opposition to taxes. Leaders in the tax strikes asserted that the treaty between Germany and the Duala chieftains in 1884 conferred on Germany no right to tax. The Governor tried his best to convince the people of the folly of their attitude... He threatened leaders of the opposition with exile from the colony if they continued their refusal to pay taxes. The actual seizure of some chieftains to force deliquent tribesmen to pay their taxes shows how far the administration went in its determination to collect. Because of this opposition, Duala was under a special tax regime for a number of years ». Traduction faite par nous. In H. R. RUDIN, Germans in the Cameroons (1884-1916): A Case Study in Modern Imperialism, New Haven: Yale University Press, 1938, 456 pages.

* 1085 W. MEHNERT, Schulpolitik im Dienste der Kolonialherrschaft des deutschen Imperialismus in Afrika 1884-1914, Leipzig, 1965, p. 154.

* 1086 ANC, FA 1/ 37, F. 180-182.

* 1087 14 ans.

* 1088 « Unter alles Umtanden ».

* 1089 ANC, FA 1/ 37, F. 144.

* 1090 « Mit Rucksicht auf seine dereinstige Stellung ».

* 1091 Amtsblatt fur das Schutzgebiet Kamerun 1908, p. 70; In M. BUCHNER, Kamerun. Skizzen and Betrachtungen, Leipzig: Duncker & Humboldt, 1887, p. 49.

* 1092 ANC, FA 1/ 37, F. 141-144; FA 1/37, 180-182.

* 1093 Neveu de King BELL.

* 1094 Fils d'AKWA.

* 1095 Fils de MANGA BELL.

* 1096 ANC, FA 1/ 37, F. 142.

* 1097 J. GOMSU, Colonisation Et Organisation Sociale. Les Chefs Traditionnels Du Sud-Cameroun Pendant La Période Coloniale Allemande (1884-1916). Thèse De Doctorat De 3ème Cycle, Université De Metz, Faculté Des Lettres Et Sciences Humaines, Saarbrücken, 1982, p. 250.

* 1098 ANC, FA 1/ 37, F. 25.

* 1099 J. GOMSU, Colonisation Et Organisation Sociale. Les Chefs Traditionnels Du Sud-Cameroun Pendant La Période Coloniale Allemande (1884-1916). Thèse De Doctorat De 3ème Cycle, Université De Metz, Faculté Des Lettres Et Sciences Humaines, Saarbrücken, 1982, pp. 104-105.

* 1100 ANC, FA 1/93.

* 1101 BMA, E.2.41, 1914, N. 19, E.2.42, 1914, N. 13.

* 1102 Nous ne parlons pas d'un niveau universitaire comme Engelbert Mveng qui croit, à tort, que Duala Manga fit des études de droit à l'université de Bonn, Mveng : op. cit. p. 333 ; Les Allemands ne donnèrent la possibilité à aucun africain de poursuivre des études supérieures, cf. lettre du Prof. Dr. Stoecker du 21.1.1981.

* 1103 J. GOMSU, Colonisation Et Organisation Sociale. Les Chefs Traditionnels Du Sud-Cameroun Pendant La Période Coloniale Allemande (1884-1916). Thèse De Doctorat De 3ème Cycle, Université De Metz, Faculté Des Lettres Et Sciences Humaines, Saarbrücken, 1982, p. 261.

* 1104 1893.

* 1105 Verhandlungen des Reichstags, Anlagen, 1914, 305, document 1576, p. 3292.

* 1106Ibid., p. 3279.

* 1107 E. MVENG, op. cit., p. 333 : « Cette rapide esquisse de l'oeuvre scolaire serait incomplète si l'on oubliait les étudiants d'Allemagne. Cette initiative fut certainement de celles qui font le plus honneur à l'oeuvre de l'Allemagne au Cameroun, car elle montre que le colonisateur, foncièrement n'était pas raciste et qu'il voulait donner à la population le plus de chances possibles pour bâtir elle-même son avenir ». L'impérialisme colonial ne trouverait pas meilleur apologiste !

* 1108 J. GOMSU, Colonisation Et Organisation Sociale. Les Chefs Traditionnels Du Sud-Cameroun Pendant La Période Coloniale Allemande (1884-1916). Thèse De Doctorat De 3ème Cycle, Université De Metz, Faculté Des Lettres Et Sciences Humaines, Saarbrücken, 1982, pp. 262-263.

* 1109 Bonabéri.

précédent sommaire suivant






La Quadrature du Net

Ligue des droits de l'homme