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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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II.1.2. Comment les éleveurs ont-ils acquis les espaces de fixation ?

Le Nord-Cameroun se caractérise par un peuplement complexe d'agriculteurs et d'éleveurs sous l'autorité des Peuls. Elle est caractérisée par une histoire ancienne sous l'influence des chefferies peules, une histoire récente avec l'introduction du coton et les migrations et entre ces deux phases, l'arrivée et la fixation des éleveurs mbororo. D'où les difficultés aujourd'hui de faire cohabiter des populations rurales aux systèmes de production, pratiques et références socioculturelles très différentes.

Pour comprendre l'origine les insécurités foncières et sociales touchant les Mbororo, il est nécessaire de revenir sur leur histoire et les raisons qui les ont amenés à se sédentariser et le contexte spatial et social dans lequel ils vivent et mènent leurs activités. En effet, les communautés mbororo se sont installées au Nord-Cameroun au cours du 20è siècle en provenance du Niger et du Nigeria à la recherche de régions peu peuplées et riches en pâturage. Ils ont obtenu des droits de pâture26 de la part des autorités coutumières, les lamibe peuls. Afin d'acquérir des droits fonciers et politiques, les Mbororo initialement nomades ont opté, depuis une quarantaine d'années, pour la sédentarisation de leur habitat. Leurs campements ont été reconnus par l'État comme des villages, et ils ont obtenu des cartes d'identité et le droit de vote. Cette fixation s'explique par leur souci d'améliorer leurs conditions de vie : accès à l'eau par des forages et puits, écoles et centres de santé au village ou à proximité. La fixation de l'habitat de ces éleveurs et la sédentarisation de certaines de leurs activités (production de céréales) les ont pourtant rapprochés des autorités administratives. Mais cela n'a pas été suffisant pour les insérer dans le jeu politique, économique et social local et pour garantir leur sécurité. Lorsqu'ils ont obtenu la nationalité

26 On utilise pour cela le terme de « vaine pâture » qui renvoie au fait qu'une communauté villageoise envoie ses troupeaux pâturer sur les champs en cultures après enlèvement des récoltes. Elle est souvent liée à des servitudes de passage (Seignobos, 2010).

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camerounaise, les Mbororo peuvent se faire représenter dans les instances locales de décision comme les communes rurales, les partis politiques, voire l'Assemblée Nationale. Mais leur poids dans ces instances est quasiment nul du fait, entre autres, de leur analphabétisme. Toutefois, leur sédentarisation les amène à être considérés comme des partenaires potentiels par les projets de développement rural surtout s'ils acceptent de créer des organisations d'éleveurs. Malgré leur antériorité dans la zone par rapport à d'autres acteurs comme les agriculteurs issus des migrations, les Mbororo connaissent une précarité foncière croissante sur les parcours et les pistes à bétail. Ils subissent également une pression fiscale souvent arbitraire de la part des autorités traditionnelles et administratives.

L'installation des éleveurs sur les différents sites se fait à travers les Sarkin Saanou. Ce sont ces derniers qui accueillent les éleveurs et connaissent leur emplacement au cours de la saison. Les éleveurs leur remettent pour le laamii'do une redevance à chaque installation. Selon l'ancienneté des éleveurs dans les zones de transhumance, les redevances diminuent jusqu'à devenir symboliques dans bien des cas. Lorsqu'ils ne font que passer sur le territoire, les éleveurs ne paient rien pour le pâturage. Et ce, d'autant plus que les éleveurs empruntent de plus en plus les routes nationales pour atteindre les zones de transhumance. Par contre, pour l'installation sur le site de transhumance ils s'acquittent d'une redevance auprès des autorités du lieu, le plus souvent négociée, même s'il existe un taux officiel27. Les éleveurs négocient des taux forfaitaires à 20 000 Fcfa par troupeau. Soit une somme moindre que le taux officiel lorsque le troupeau atteint 30 bovins.

La fixation des éleveurs leur a permis de sécuriser leur espace de vie et certaines de leurs activités : les productions animales et végétales, l'embouche. En effet, les éleveurs ont « subi » à plusieurs reprises sur des espaces qui ne leur étaient pas alloués l'installation des agriculteurs migrants. Ils ont compris qu'il fallait « s'approprier » un territoire. Aujourd'hui, comme l'affirme un éleveur, « le Mbororo n'est plus comme

27 200 à 500 Fcfa par tête de bétail pour la taxe d'inspection sanitaire vétérinaire et 500 Fcfa par tête de bétail pour la taxe de transhumance.

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un oiseau toujours prêt à s'envoler car il a pris conscience qu'il risquait de continuer à s'envoler sans jamais savoir où atterrir » (Kossoumna Liba'a, 2008).

Lors de l'installation des premiers éleveurs, il y avait assez d'espace ; ce qui a permis aux à d'autres membres de leur clan de les rejoindre. Ce n'est que quelques années plus tard que ces éleveurs ont vu les espaces de pâturage autour de leur territoire se resserrer à cause de l'arrivée de plus en plus importante des agriculteurs migrants dans les villages voisins.

D'autres éleveurs affirment que la raison de la fixation est bien celle de la pression qu'ils ont subie sur l'espace dans les sites successifs qu'ils ont occupés avant leur sédentarisation : « chaque fois qu'on s'installait quelque part, témoigne un éleveur, les agriculteurs mettaient leurs champs autour de nous dans les endroits où nos animaux passaient la nuit pour valoriser leurs déjections. A cette époque, nous ne cultivions pas et au début on ne voyait pas tellement d'inconvénient. Mais au fil des années, nous ne pouvions plus parquer ni faire pâturer nos animaux aux mêmes endroits et nous avons compris qu'il fallait s'approprier un territoire ». Les éleveurs nomment cette appropriation « nanngugo babal » (Kossoumna Liba'a, 2008), ce qui signifie « accaparer un territoire ».

Comme les agriculteurs migrants installés dans les villages voisins, les éleveurs mbororo ont défriché le territoire qu'ils ont finalement obtenus des autorités coutumières. Ils décrivent comment ils ont trouvé cet espace comme : « une étendue de brousse où on ne voyait pas à plus de cent mètres à cause des hautes herbes et de grands arbustes, où il y avait beaucoup d'animaux sauvages comme les singes, les serpents... » (Kossoumna Liba'a, 2008). Ils retracent les différentes étapes qu'ils ont traversées avant de se retrouver là. Une grande partie des agriculteurs migrants sont arrivés après eux. Ils étaient d'abord installés le long de l'axe routier Garoua-Ngaoundéré. Cet axe était également très prisé par les migrants. Ces derniers, du fait de la fréquence plus accélérée de leur arrivée dans la zone se sont retrouvés majoritaires et ont évincé les éleveurs vers l'hinterland. Les années passant, les éleveurs ont pris conscience que finalement il fallait s'approprier un territoire.

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Les sites sur lesquels ils sont installés actuellement n'ont pas été choisis par hasard. Ils sont entourés de montagnes ou des zones rocheuses incultes. Ce qui ne permet pas la pratique de l'agriculture et empêche la progression des agriculteurs. Entourés de ces terres ingrates et incultes, les éleveurs se sentent en sécurité car ces zones incultes constituent des zones de parcours ou de refuge en saison des pluies. La deuxième raison évoquée par les éleveurs est l'absence de mouches et de moustiques.

Les éleveurs mbororo estiment que lorsqu'ils séjournent sur un territoire, ce dernier leur appartient. Aujourd'hui, avec la délimitation des hurum dans lesquels ils vivent, les éleveurs mbororo ont le sentiment que ce territoire leur appartient légalement, même si les agro-éleveurs estiment que la charte qu'ils ont signée ne constitue un titre foncier accordé aux éleveurs. C'est le même sentiment pour le Délégué de l'Élevage, des Pêches et des Industries Animales de l'arrondissement de Tchéboa qui estime que les différents projets qui ont travaillé sur la délimitation des hurum n'ont pas mené le processus au bout, puisque selon lui rien ne prouve que la zone appartient aux éleveurs. Cependant, force est de constater que depuis la délimitation de ces hurum, les populations des villages voisins reconnaissent la légitimité de cette zone destinée à l'élevage et ont fini par accepter la présence permanente des éleveurs. Ces derniers se sentent en sécurité même s'ils n'ont pas les moyens d'empêcher les agriculteurs de continuer à cultiver sur les espaces destinés aux pâturages et aux passages des animaux. Cette sécurisation a permis aux éleveurs de s'installer pour la plupart définitivement.

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