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Les territoires de mobilité pastorale: Quelle mobilité dans un contexte de pression sur le territoire rural en zone soudano-sahélienne du Nord-Cameroun?


par Natali KOSSOUMNA LIBAA
Université Paul Valéry Montpellier III France - Habilitation à Diriger des Recherches 2014
  

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Conclusion

Le concept de territoire, malgré sa récente apparition dans la littérature géographique est beaucoup évolué. S'il évoque une idée de domination, de gestion, d'appropriation d'une portion du substrat terrestre, il n'est plus du seul ressort du pouvoir public. Dans le Nord du Cameroun, les autorités traditionnelles locales exercent une appropriation et une gestion privative du territoire rural (domaine public) au détriment des acteurs de son exploitation pour assurer leurs besoins vitaux (agriculteurs et éleveurs notamment).

La composante sociale du territoire est donc étroitement liée aux rapports que les exploitants ont avec le pouvoir coutumier local. C'est ce dernier qui contrôle et gère l'accès au territoire rural ; c'est également lui qui tire des revenu pour l'accès et l'exploitation de ce territoire. Bien que vécu de manière permanente ou partielle par les exploitants, il demeure une précarité pour son appropriation et son exploitation durable. C'est pour cela que de nombreux acteurs se sont intéressé à ce concept pour

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fournir des solutions de développement socioéconomique, mais aussi pour un aménagement cohérent, équitable et viable des lieux avec plus ou moins de succès.

Le territoire a également un intérêt pour l'élevage en tant que support et source de sa survie surtout en ce qui concerne l'élevage extensif qui utilise une gamme de ressources naturelles spatialisées. Au Nord-Cameroun, cet élevage est ici une activité en compétition avec d'autres activités pour l'utilisation de l'espace (agriculture et biodiversité notamment) ; raison pour laquelle les relations entre ces acticités et l'élevage sont à la fois complémentaires et conflictuelles.

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Chapitre IV. Les territoires de mobilité pastorale au Nord-Cameroun : typologie, acteurs et fonctionnement

Les éleveurs utilisent de manière permanente l'espace de pâturage délimité proche de leur village. Cet espace s'intègre dans ce que l'on a qualifié de « territoire d'attache » et dans les territoires complémentaires des villages environnants où les animaux pâturent les résidus de récolte des cultures pluviales lors de la saison sèche ainsi que dans les parcours de taille modeste qui s'y trouvent encore (collines incultes principalement). Ces espaces sont insuffisants par rapport au nombre d'animaux détenus par les deux communautés d'éleveurs mbororo. C'est pour cela que dans les deux territoires étudiés, tous les éleveurs pratiquent la transhumance. Pour les grandes familles avec beaucoup de têtes de bétail, le cheptel est scindé en deux ou trois troupeaux ou lots. Le lot le moins important constitué des vaches laitières et des boeufs de trait est gardé à proximité des territoires de fixation (ou d'attache) pour contribuer à l'approvisionnement en lait des membres de la famille et labourer les parcelles. Le plus gros du bétail s'en va transhumer sous la garde de jeunes fils ou de bergers salariés. Les ovins accompagnent les bovins en transhumance tandis que les caprins restent dans le territoire attaché au piquet ou sous la garde des enfants en bas âge.

Les éleveurs utilisent au cours de l'année une diversité de territoires proches et éloignés de leur lieu de fixation. Cet ensemble de territoires correspond à ce que l'on a qualifié de territoire de mobilité d'un éleveur ou d'une communauté d'éleveurs. Quels sont ces territoires ? Par qui et comment sont-ils gérés ? Quelles sont les modalités d'accès et d'exploitation de ces territoires ? Avec l'obstruction des pistes de transhumance, comment les éleveurs font-ils pour y accéder ? Les pratiques de transhumances ont-elles évoluées avec la fixation de l'habitat ? Telles sont les préoccupations sur lesquelles se fonde cette analyse.

IV.1. La zone de sédentarisation de la famille : le territoire d'attache

Les éleveurs ont fixé leurs familles et une partie de leur bétail sur des territoires qui leur ont été affectés sur d'anciennes zones de transhumance. Après l'appropriation de

ces territoires, les premiers venus (bibbe wuro) ont accueilli de nouveaux habitants (jananbe). Ces derniers s'adressent au jawro du nouveau village mbororo avec une somme de 30 000 Fcfa. Ce dernier retient 10 000 Fcfa comme frais d'accueil et transmet le reste de la somme avec la demande d'installation au ar'do qui vient personnellement ou envoie un de ses fils indiquer une parcelle au nouvel arrivant où il peut s'installer et cultiver. Le nouvel arrivant doit s'acquitter régulièrement de la zakkat et de certaines collectes ponctuelles (umroore laamii'do) demandés par le laamii'do. Cependant, depuis longtemps, il n'y a plus d'espace à défricher ni à octroyer dans les deux territoires. Pour cette raison, les nouveaux arrivants n'obtiennent plus que des terres en prêt même pour y installer une habitation. La figure 11 présente les caractéristiques de ce territoire de fixation des éleveurs.

Pratiques agricoles

Statut du territoire - Reconnu par les autorités traditionnelles - Connu des autorités administratives - Accepté par les villages voisins

- Appropriés et exploités par les éleveurs

- Organisé sur le modèle peul avec à sa tête un chef (jawro)

- Allégeance au Laamii'do à travers le lawan et le sarkin saanou

- Parcelles appropriées et cultivées de manière individuelle par les éleveurs - Culture de maïs, de sorgho principalement et accessoire de l'arachide en association - Utilisation systématique de la fumure organique produite par le troupeau - Début d'utilisation de la fumure minérale, mais de manière anarchique

- Utilisation massive de manoeuvres pour les travaux

- Prêt et échanges de matériels de traction (charrues, corps sarcleurs, corps butteurs, charrettes)

- Autosuffisance alimentaire

- Logique d'organisation spatiale raisonnée au niveau collectif en auréole

- Au centre, le village regroupant les sièges des exploitations - Deuxième auréole constituée des parcelles strictement contigües aux habitations

- Troisième auréole constituée d'espace de pâturage et de parcage des animaux

- Des pistes à bétail pour la sortie et la rentrée des animaux pendant la saison des pluies

Organisation spatiale

TERRITOIRE D'ATTACHE

Activités et relations sociales

- Présence de services sociaux précaires (écoles, puits)

- Présence de mosquées en matériaux sommaires

- Habitat groupé par affinités claniques - Appuis divers des projets et programmes de développement (alphabétisation, sensibilisation, accompagnement, délimitation foncière...)

- Échanges et complémentarités entre les éleveurs

- Conflits latents entre les éleveurs

Pratiques pastorales

- Pâturages limitrophes pendant la saison des pluies

- Parcelles très rapidement pâturées à la récolte puis pendant la saison sèche - Parcages de nuits dans des barbelées pour la production de la fumure organique et la sécurité des animaux

- Installations pastorales (parcs de vaccination et forages

- Déficit fourragers en saison des pluies - Vaine pâture et parcours en libre accès - Tentatives infructueuses d'intensification - Petits ruminants attachés pendant la saison des pluies avec les veaux

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Figure 11. Caractéristiques du territoire d'attache

Les champs ont été strictement affectés de manière permanente aux premiers éleveurs
par l'ar'do avec l'assentiment du laamii'do. Du point de vue des droits exercés

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(pouvoirs de gestion au sens large), nous assistons à la prédominance de l'individualisation car il n'y a pas de champ commun au niveau des familles étendues ou lignages comme cela existait dans beaucoup de régions soudaniennes. L'acquisition de la terre est donc principalement le fait des droits permanents issus de la première occupation, mais aussi des modes traditionnels de transmission au sein des familles englobant les héritages et les dons. Les éleveurs reconnaissent les limites des parcelles de chaque membre des territoires. Ces limites assez visibles sont matérialisées par des pierres, des bandes enherbées ou des levées de terre faites à la charrue. Même si les limites des champs ne sont pas toujours très visibles, les éleveurs commencent à marquer les limites de leur territoire commun. Ils sont séparés par des touffes d'herbes ou des repères naturels comme un arbre, une termitière...

Le départ temporaire d'un éleveur propriétaire terrien ne met pas fin à son droit sur les parcelles qu'il possède. Ces dernières sont laissées en garde auprès d'amis ou entre les mains d'un membre de la famille restreinte. Ce détenteur de droits d'exploitation peut soit mettre en valeur la terre avec droit sur la récolte, soit la prêter à un ami ou la louer. Les revenus souvent modiques issus de cette location reviennent au locataire. A son retour, le propriétaire peut reprendre sa parcelle. Ces cas sont fréquents dans les deux territoires à cause notamment des voyages des jeunes chefs d'exploitation au Nigeria pour étudier le Coran ou des déplacements de certains éleveurs avec leurs animaux souvent sur une longue durée (2 à 3 ans). En effet, 2 à 3 éleveurs reprennent souvent le chemin du nomadisme (soit environ 10%). Ayant tenté une expérience de fixation avec construction d'une case et mise en culture de champs, ils estiment que leurs animaux ne se reproduisent pas normalement et qu'ils ne sont pas en bon état physique. Ils préfèrent donc quitter le village pour transhumer toute l'année avec leurs animaux. Certains éleveurs ayant perdu tous leurs animaux pour cause de maladie quittent également le village pour la ville pour faire du commerce ou pour d'autres villages pour être berger.

Le prêt est le mode privilégié d'accès à la terre pour les éleveurs qui viennent ponctuellement dans le village pour une saison des pluies afin d'y cultiver. Les autres formes de prêt se font sous la forme d'échange de travail avec les paysans des villages

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voisins mais cela concerne les parcelles qui sont situées à la limite de l'espace délimité pour le pâturage. S'ils acceptent de prêter de temps en temps quelques hectares à des connaissances, ils refusent systématiquement l'installation de personnes étrangères à leur clan dans les territoires, même s'ils ne se sentent pas encore à l'étroit.

Lorsqu'un nouveau Mbororo désire s'installer dans le territoire, certaines précautions sont prises. Tout d'abord, le jawro prend soin de vérifier s'il n'est pas mal intentionné en se renseignant sur ses antécédents dans les différents sites où il s'est installé. Ensuite, il le présente d'abord à l'ar'do puis au sarkin saanou. Cependant, il ne peut plus défricher de terre faute d'espace en friche disponible. C'est le jawro ou un autre chef d'exploitation qui lui octroie des parcelles partiellement vacantes appartenant à ceux qui sont partis en voyage ou en transhumance pour une longue durée.

Par contre, le droit individuel sur la terre ne confère pas le droit de contrôle social pouvant autoriser la vente. Dans les deux territoires en effet, le droit de vendre les terres n'est pas admis. Le chef d'exploitation peut accorder de manière provisoire à des étrangers des droits de culture, mais jamais il ne doit vendre le champ. Le don est donc rare en dehors de la famille. La transmission de la terre dans la plupart des cas se fait de plus en plus directement de père à fils. Lors du décès d'un chef de famille, les terres sont partagées entre ses enfants en âge adulte (mariés) ou exploitées par un membre de la famille avant la majorité des enfants.

Si les femmes possèdent généralement des animaux d'élevage en propriété, elles n'ont pas de champs distincts de ceux de leurs époux sauf les veuves qui continuent d'exploiter les parcelles laissées par le défunt mari si les enfants de sexe masculin sont encore en bas âge. Dès que leur premier fils se marie, il hérite des parcelles et prend en charge sa mère qui est de fait installée dans la concession. Le mode traditionnel de l'héritage et du don de terre n'empêche pas certains éleveurs, cependant minoritaires, d'acheter des parcelles ou d'en louer dans les villages voisins.

Les éleveurs exploitent un espace agropastoral reconnu ou autorisé par les autorités coutumières ou l'État qui constituent leur territoire d'attache. L'habitat y est construit en matériaux pérennes. Ils se sont intégrés au jeu politique local et régional et créent des organisations d'éleveurs copiées sur le modèle cotonnier, font du lobbying pour la

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reconnaissance des chefferies d'éleveurs, sollicitent des infrastructures socio-économique (écoles, routes, case de santé, etc.) et participent aux comités consultatifs (commune, terroir).

Les territoires d'attache sont généralement de surface très réduite, et composés d'un pâturage limitrophe, de parcs de nuit, d'installations pastorales (parc de vaccination, forage) et des parcelles individuellement cultivées par les familles (maïs, sorgho et rarement du coton) autour des habitations. Les parcelles sont rapidement pâturées dès la fin des récoltes pendant dabuunde. Puis, durant toute la saison sèche (dabuunde et ceedu), grâce au ratio nombre d'UBT/nombre d'ha cultivés qui varie en moyenne de 8 à 20 dans les UP des éleveurs et de 1 à 2 dans celles des agro-éleveurs, les déjections animales sont restituées sur les parcelles cultivées (Dongmo et al., 2007). Les producteurs créent des parcs de nuit ceinturés d'épineux qu'ils déplacent régulièrement pour enrichir convenablement les parcelles. L'excrétion fécale estimée à 1kg/100 kg de poids vif par 24 h (Landais et Guérin, 1992), est de 1,7kg/UBT au parc de nuit car le bétail y séjourne 14 h par jour (Dongmo, 2009). Le cheptel des éleveurs restituerait donc en moyenne 400 à 800 kg de fèces/ha/mois sur leurs parcelles cultivées, tandis que celui des agro-éleveurs restituerait seulement entre 50 et 100 kg de fèces/ha/mois sur les parcelles de ces derniers.

Le ratio nombre d'ha de cultures vivrières dont les résidus sont appétés/nombre d'UBT de l'UP varie de 0,25 à 0,75 et offre un important potentiel fourrager pour le cheptel des agro-éleveurs pendant la saison sèche (Dongmo et al., 2007). Avec des rendements de 1 t/ha de feuilles appétées de sorgho et de 3 t/ha de paille de maïs et de fanes d'arachide (Dongmo, 2009), le disponible fourrager est de 500 kg à 1 500 kg/UBT pendant la saison sèche dans ces UP des agro-éleveurs.

Par contre, au Cameroun, l'entrée précoce des troupeaux appartenant aux éleveurs sur les parcelles des agro-éleveurs, limite le stockage des résidus de culture. Le ratio nombre d'ha de cultures vivrières dont les résidus sont appétés/nombre d'UBT se situe en moyenne entre 0,04 et 0,07 dans les UP des éleveurs. Cela signifie que seulement 80 à 140 kg de résidus de cultures sont disponibles pour chaque UBT pendant la saison

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sèche. La vaine pâture dans les parcelles des agriculteurs et la transhumance de saison sèche sont donc incontournables.

Les territoires d'attache des éleveurs connaissent aussi un déficit fourrager en saison des pluies, en raison du défrichement des portions du pâturage qui conduisent dans certains cas à la disparition complète des pâturages ou tout au plus au maintien de reliques de pâturages dégradés.

L'action collective des éleveurs a surtout servi à faire reconnaître leur territoire d'attache, soit pour en faire respecter les contours, soit pour le sécuriser et acquérir une légitimité en termes de droit d'usufruit. Les éleveurs restent timides voire passifs et n'aménagent donc pas les pâturages du territoire d'attache, qu'ils utilisent comme un bien commun et le surexploitent.

En saison des pluies, l'affouragement journalier des troupeaux sédentaires (troupeaux de case) s'étend donc au-delà du territoire d'attache et essentiellement sur les terroirs avoisinants.

L'organisation politique dans les deux territoires est calquée sur le modèle peul. Les deux territoires ont à leur tête un jawro. Ce dernier joue le rôle de collecteur d'impôt, surtout de la zakkat. Il transmet les informations venant du lamidat ou de l'administration. Il organise les séances de vaccination dans son village. C'est également lui qui sert de relais entre les populations et les résidents des villages voisins en cas de litiges. Le jawro prend donc ses consignes auprès des ar'do ou tout autre représentant du laamii'do comme celui qui est en charge de l'élevage, le sarkin saanou. L'élevage occupant une place très importante auprès de cette population, ce dernier fait de fréquentes visites dans le village pour rappeler aux éleveurs le devoir de donner la zakkat ou pour organiser les vaccinations.

L'organisation politique dans les territoires de fixation est calquée sur le modèle peul. Ces territoires ont à leur tête un jawro qui joue le rôle de collecteur d'impôt, surtout de la zakkat. Il transmet les informations venant du lamidat ou de l'administration. Il organise les séances de vaccination dans son village. C'est également lui qui sert de relais entre les populations et les résidents des villages voisins en cas de litiges. Le jawro prend donc ses consignes auprès des ar'do ou tout autre représentant du

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laamii'do comme celui qui est en charge de l'élevage, le sarkin saanou. L'élevage occupant une place très importante auprès de cette population, ce dernier fait de fréquentes visites dans le village pour rappeler aux éleveurs le devoir de donner la zakkat ou pour organiser les vaccinations.

Les jawro ne passent pas leurs journées à la maison assis sous un arbre comme les chefs peuls. Ils n'utilisent pas non plus leurs habitants pour des corvées. Ils vaquent à leurs occupations comme tous les autres habitants. C'est ainsi qu'ils font paître les moutons et les veaux. Ils sont de plus en plus confrontés à la désobéissance des jeunes éleveurs qui commencent à s'émanciper et refusent de se soumettre à certaines règles ou ordres venant de la chefferie de Tchéboa.

Les jawro dans la communauté mbororo ne passent pas leurs journées à la maison assis sous un arbre comme les chefs peuls. Ils n'utilisent pas non plus leurs habitants pour des corvées. Ils vaquent à leurs occupations comme tous les autres habitants. C'est ainsi qu'ils font paître les moutons et les veaux. Ils sont de plus en plus confrontés à la désobéissance des jeunes éleveurs qui commencent à s'émanciper et refusent de se soumettre à certaines règles ou ordres venant de la chefferie comme celle de Tchéboa dans notre zone d'étude.

Le territoire de fixation est organisé autour de l'élevage. L'habitat est groupé en quartiers entourés par des champs de culture continue, ensuite vient l'espace des parcours. Cette organisation schématique évolue au cours des saisons. Si les 3 ensembles sont bien distincts en saison agricole, durant la saison sèche les éleveurs considèrent un seul ensemble comprenant les champs permettant la vaine pâture et les parcours qui sont en libre accès.

Les logiques d'organisation spatiale observées dans les territoires d'attache des éleveurs se raisonnent au niveau collectif. Elles montrent qu'au cours des différentes saisons, l'espace est structuré en différents niveaux d'organisation. L'élevage, dont l'importance est bien sûr primordiale, est organisé au niveau du territoire selon un consensus social lié à l'utilisation et la gestion de l'espace. Nous assistons à une organisation spatiale en auréoles. Au centre, se trouve le village où se regroupent les sièges d'exploitations. La deuxième auréole est constituée des parcelles strictement

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contigües aux habitations. Elle assure une fonction de production alimentaire pour les éleveurs pendant la saison des pluies. Pendant la saison sèche, elle est utilisée pour la vaine pâture pour l'alimentation et le parcage des animaux. L'espace de pâturage qui occupe la plus grande partie du territoire permet aux éleveurs de parquer leurs animaux la nuit après la généralisation des cultures dans le territoire. Les animaux y pâturent une partie de la journée avant de sortir du territoire à la recherche d'herbes plus abondantes aux abords des champs des villages voisins et des routes. Les territoires sont quadrillés par des routes pour la circulation des personnes et par des pistes à bétail pour la sortie des animaux. On note la présence dans l'espace de pâturage de parcelles appartenant aux agriculteurs des villages voisins. Ce qui constitue une violation des processus de concertation menée pour délimiter cet espace et la volonté de concertation autour de la gestion collective des parcours entre les différents acteurs (éleveurs, agriculteurs et autorités traditionnelles).

L'organisation groupée de l'habitat dans les territoires permet aux éleveurs de minimiser le gaspillage et la dispersion des terres notamment lorsqu'arrive la saison des pluies. Les cultures peuvent ainsi être mises en place de manière homogène et en auréoles concentriques autour de l'habitat, permettant d'éviter les dégâts. Entre les concessions, sont laissés pendant la saison des pluies, des petits espaces qui servent principalement de pâturage aux caprins et aux veaux qui sont attachés au piquet pendant la nuit. Dans la journée, ils sont déplacés aux abords des champs, toujours attachés.

Selon la durée du séjour, leur désir de se fixer et les moyens des éleveurs, l'habitat évolue de la case sommaire en branchage et pailles vers la case en terre avec un toit de chaumes à la maison en dur avec un toit de tôle. À la sortie ou à la périphérie des deux territoires sont construites des cases sommaires circulaires faites d'arceaux de branchage couverts de nattes ou de la paille. Ces huttes appartiennent aux derniers arrivants ou à ceux de passage dans le territoire.

En effet, à l'installation de chaque nouvel éleveur, l'espace qui lui est alloué est d'abord un champ sur lequel il pourra cultiver. Il y installe une case sommaire au milieu de la parcelle et ses animaux sont parqués autour de cette concession sommaire.

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En fait, l'éleveur cherche d'abord à se convaincre qu'il peut définitivement s'installer. Dans la plupart du temps, cette période d'observation dure deux à trois ans. Lors de ses déplacements avec ses animaux dans les différentes zones de transhumance au cours de l'année, il observe le pâturage et l'eau, il prend également le temps pour observer ses relations avec les autres éleveurs ou les agro-éleveurs de la zone. Il va dans les différents marchés pour voir les prix des animaux, des céréales, des produits vétérinaires... Il y rencontre également d'autres éleveurs qui sont installés ailleurs et qui lui parlent de leurs conditions de vie et d'exercice de leurs activités. Toutes ces données lui permettent donc de décider s'il va rester ou continuer son chemin. Ce n'est qu'à partir de ce moment qu'il décide de faire évoluer son habitat notamment en construisant une case en briques ou en terre.

La construction de cases rondes ou carrées avec des toits coniques faits de pailles constitue une étape importante dans le choix et de désir de l'éleveur de se fixer. Les modèles de cases construites sont largement empruntés aux agriculteurs guidar, massa ou toupouri des villages voisins. Ce sont d'ailleurs ces derniers qui servent de manoeuvre pour la construction de toutes les cases dans les deux villages. Cet emprunt n'est pas un choix délibéré mais s'explique simplement pas le savoir-faire habituel des manoeuvres sollicités pour la construction des cases.

De plus, les femmes des éleveurs ne jouent plus aucun rôle dans la construction des cases comme lors des transhumances, ni les éleveurs eux-mêmes d'ailleurs. Depuis leur fixation, les éleveurs utilisent en effet systématiquement des manoeuvres issus de la population d'agriculteurs migrants. En effet, en se sédentarisant, les éleveurs et leurs femmes échappent à de nombreux travaux qu'ils font faire par des paysans pauvres en quête d'argent au cours de l'année. Ce transfert d'argent est un élément très important du processus de sédentarisation.

Alors que l'habitat n'avait que peu de place dans le mode de vie traditionnel des éleveurs transhumants, la salubrité, le confort, la construction en dur, tendent à s'imposer parmi les normes de construction lorsqu'ils se sédentarisent. Aujourd'hui, en l'absence de déplacement de toute sa famille, l'éleveur construit un habitat qui n'est plus marqué par sa précarité, son souci exclusif de l'immédiat. De nombreux éleveurs

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commencent à construire des maisons définitives, résistantes et confortables. Cette évolution amène une sorte de remodelage des formes et de la « substance » qui constitue la nature de l'habitat. C'est ainsi que les cases sont faites soit en terre pétrie, soit en briques. Aux formes rondes ont également succédé les formes rectangulaires avec des toits en tôle ondulée.

La concession est organisée selon la taille de la famille. Les familles monogames se contentent le plus souvent de deux constructions, une pour l'homme l'autre pour sa femme, jouant tous les rôles : protection des effets personnels et des personnes, mais aussi des réserves comme les récoltes, les semences, les provisions... Si les matériaux de construction des cases évoluent avec l'ancienneté de la fixation, la logique de disposition n'a pas évolué. Pour les familles monogames, la case du chef de famille se situe à gauche tandis que celle de la femme se trouve à droite. L'enclos est construit à l'est, et à proximité la case des jeunes.

La mobilité des troupeaux sur le territoire est facilitée par le regroupement des parcelles de culture en blocs aux abords des habitations (moins de 20% de la surface des deux territoires sont cultivés) et par le maintien de pistes à bétail pour sortir du territoire d'attache (départ en transhumance ou pâturage sur les parcours proches). La coordination pour le moment harmonieuse des deux activités de production - agriculture et élevage - au sein du territoire d'attache est favorisée par la forte cohésion sociale entre les éleveurs.

À la périphérie immédiate des concessions, les femmes cultivent des légumes et condiments (oseille, gombo, piment...) dans une première auréole de quelques mètres de large. Mais dans la plupart des cas, les environs immédiats des concessions sont constitués de champs de maïs. Malgré la grande tendance à la monoculture du maïs, quelques éleveurs pratiquent la culture de sorgho mbayeeri à la périphérie du territoire en association ou non avec de l'arachide.

Pendant toute la saison des pluies, l'espace agricole est dévolu aux cultures. Du fait de la présence des animaux dans le territoire et à proximité des habitations la nuit en début de saison des pluies jusqu'en mi-juillet, la mise en culture des champs se fait de façon ordonnée. En effet, les parcelles autour des concessions sont les premières à être

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semées. Pendant ce temps, les parcelles périphériques continuent à être fumées car les animaux ne sont pas encore partis en transhumance. A la fin de la fumure, les semis sont mis en place toujours après un labour à la charrue. Les animaux partent en transhumance et pour ceux qui restent dans le territoire, le parc de nuit est déplacé dans l'espace de pâturage.

Pendant toute la saison sèche, le territoire appartient aux animaux, c'est la période de la vaine pâture (nyayle). Les bovins et les ovins sont gardés par les bergers qui les font paître dans toute l'étendue du territoire. Pendant cette période de l'année, il n'y a aucune restriction sur la gestion du territoire du village. Aucune culture de contre saison n'est en effet pratiquée. Les caprins quant à eux sont attachés au piquet dans des grillages à cause des chiens des villages voisins. Ils sont nourris avec des résidus de récolte pendant la saison sèche, à l'herbe verte et aux fourrages arborés pendant la saison des pluies.

Les parcelles des éleveurs sont de forme quelconque contrairement aux champs des agriculteurs des villages voisins où la SODECOTON a imposé des formes quadrangulaires ou rectangulaires.

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