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Exploitation aurifère et développement local dans la sous-préfecture de Hiré (Côte d'Ivoire)


par Judith YOBO-GNAHOUA
Université Felix Houphouet Boigny - Doctorat 2019
  

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Conclusion du chapitre 5

Les actions de la compagnie minière en faveur des populations de Hiré ont connu des mutations diverses depuis le démarrage de l'exploitation industrielle de l'or. En l'absence d'un cadre institutionnel formel, ces actions ont été faites au coup par coup, guidées par la RSE commune à toutes les compagnies minières. Elles ont connu plusieurs mutations au fil du temps puis avec l'initiative du plan triennal de développement local 2012-2015, ces actions ont connu un début de formalisation. Élaboré en partenariat avec le PNUD, ce plan de développement a permis la réalisation de plusieurs projets en faveur des communautés locales, puis est intervenu la formalisation des actions communautaires par le code minier de 2014.

Les actions en faveur des populations portent sur la création d'emploi, la contribution à l'amélioration des conditions de vie et la réalisation d'équipements et d'infrastructures.

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CHAPITRE 6 : LES MUTATIONS SOCIALES LIEES A
L'EXPLOITATION DE L'OR

INTRODUCTION AU CHAPITRE

L'exploitation minière, outre ses répercussions démographiques et économiques, a également des incidences sociales dans la sous-préfecture de Hiré. Ces incidences sont diverses et feront l'objet de ce chapitre. Ce sixième chapitre tente d'abord de décrire les nouveaux comportements observés au sein de la cellule familiale puis ceux observés au sein de la communauté. Il analysera les problèmes sociaux liés aux rapports entre les acteurs de l'exploitation minière et les populations.

6.1. L'AGGRAVATION DES INEGALITES SOCIALES 6.1.1. La classe paysanne dans l'indigence

L'agriculture, facteur des premières vagues de migrations vers Hiré, qui a permis aux producteurs de connaitre un prestige économique ainsi que toutes les activités qui se greffaient à elle, connaît depuis l'arrivée de la mine une période de stagnation. Le pouvoir économique avant l'ouverture de la mine industrielle était tenu par les grands producteurs de café et de cacao. Le poids de la production était un critère capital dans la classification sociale des paysans. Celui qui fait régulièrement un bon tonnage de ces cultures phares était considéré comme riche. La superficie de l'exploitation agricole, la qualité de la culture, le volume de la main d'oeuvre mobilisée et le volume de production sont autant de critères de classification sociale des paysans. Cependant, l'ouverture de la mine industrielle a bouleversé cette stratification sociale. Les paysans ayant perdus du fait de l'exploitation minière leur terre, leur production, leur pouvoir économique, le critère de classement social a changé.

6.1.2 L'émergence d'une nouvelle élite sociale à Hiré

Avec l'ouverture de l'exploitation minière, deux nouveaux facteurs de catégorisation sociale valorisante sont apparus dans la sous-préfecture. Ce sont : l'indemnisation et les revenus issus du travail de mineur.

6.1.2.1 Les indemnisés de NEWCREST

La société minière NEWCREST pour l'exercice de ses activités occupe des terres pour lesquelles elles payent des indemnités aux populations. Si les ressources minières appartiennent à l'État qui en autorise l'exploitation, les terres appartiennent aux populations. Les indemnités sont versées en dédommagement soit de l'occupation de parcelles, la destruction de cultures

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et/ou pour la destruction de l'habitat. Le montant des indemnités perçues par certaines personnes en a atteint des centaines de millions et fonde l'image très valorisante que la population se fait des personnes bénéficiaires de ces indemnités.

En effet, la perte de sa parcelle ou de sa plantation n'est plus perçue par les populations comme un malheur mais comme une chance. Toutes les populations aspirent à voir leurs parcelles touchées par les activités de l'entreprise minière à tel enseigne que lorsque NEWCREST occupe juste une portion de la parcelle qu'elle dédommage, les populations préfèrent qu'elle récupère toute la parcelle afin de bénéficier d'une meilleure indemnité.

6.1.2.2. Les mineurs de Hiré

? Les employés de NEWCREST.

L'appropriation populaire de métiers de la mine s'observe autour de la construction d'un imaginaire populaire des métiers qui découle de l'activité minière. L'embauche par NEWCREST crée un nouveau type de travailleurs plus qualifiés qui cristallise les nouvelles perceptions car ces ouvriers s'inscrivent dans des rapports sociaux en termes de « classe bourgeoise », par opposition à la « classe prolétaire ». Les investissements miniers favorisent l'apparition d'une nouvelle classe moyenne, relativement aisée, principalement composée de cadres du secteur privé et de fournisseurs, sous-traitants, consultants, etc. Diplômés de l'enseignement supérieur, ces derniers développent un style de vie marqué par la construction des villas et autres grandes concessions de prestiges. La classe prolétaire des employés de la mine est composée des employés non qualifiés qui exercent les petits métiers. Issus généralement de la localité ils résident majoritairement dans la ville. Leur niveau de vie est décrit comme étant supérieur à celui des autres habitants. En outre, le niveau de gratification des salaires de ces travailleurs est perçu comme intéressant. Dans les maquis, bistrots ou restaurants locaux et autres lieux de détente de la ville, leur niveau de consommation est des plus élevés. Ils possèdent des engins de locomotion et cela contribue à entretenir cette image de prestige et de réussite. Cependant, la compagnie minière ne pouvant employer tout le monde, une autre activité aussi financièrement intéressante et qui attire un plus grand nombre est l'orpaillage.

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? Les orpailleurs

Les orpailleurs sont aussi présents dans la ville de Hiré. L'orpaillage est une activité très ancienne à Hiré dont la pratique avait cessé depuis un siècle pour refaire surface en 2007 à l'occasion de l'installation de l'usine minière de Bonikro. L'orpaillage est aujourd'hui de loin l'activité économique phare dans la sous-préfecture de Hiré. Perçue comme une activité lucrative, l'orpaillage draine du monde. Selon le recensement des orpailleurs effectué en 2010 par NEWCREST, ce sont environ 3 000 personnes qui exercent cette activité sur les sites dispersés à travers la sous-préfecture. Les sites les plus prisés sont ceux de la compagnie minière, notamment le périmètre de la fosse satellite de Hiré avant son exploitation par la compagnie minière.

6.2 LES PERTURBATIONS AU SEIN DE LA CELLULE FAMILIALE 6.2.1 Les conflits entre parents et enfants

Des conflits éclatent entre parents et enfants dans la sous-préfecture de Hiré au sujet de l'exploitation minière. Ces conflits sont essentiellement dus au refus des parents de laisser leur progéniture s'adonner à l'exploitation artisanale de l'or. Ce refus est motivé selon Kouadio (2008) par plusieurs raisons qui nous ont servi de base pour l'enquête auprès des populations (voir tableau 29).

Tableau 29 : les causes des conflits entre parents et enfants liés à l'activité minière

Causes de conflits

Proportion (en %)

Insoumission

19

Déscolarisation

26

Les dangers de l'orpaillage

40

Raisons religieuses

12

Autres

3

Source : Nos enquêtes, 2016

Selon les données collectées, 40% des enquêtés pensent que le refus des parents de laisser leurs enfants s'adonner à l'orpaillage est motivé par les dangers que présentent cette activité. Le second motif avancé est celui de la déscolarisation. La plupart des enfants qui exercent l'orpaillage comme activité de vacances manquent les cours pour aller pratiquer l'orpaillage ou abandonnent totalement l'école. Cela s'explique par l'habitude qu'ils prennent d'avoir de

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l'argent. L'insoumission des enfants avec 19% représente la troisième raison des conflits entre parents et enfants. L'insoumission est une situation à la laquelle tout parent est confronté vis à vis de ses enfants surtout lorsque ceux-ci atteignent l'âge de l'adolescence. Cependant, la situation dans la sous-préfecture de Hiré est exacerbée par l'exploitation minière. Les enfants généralement utilisés dans le groupe domestique pour exercer des activités agricoles du fait du manque de main d'oeuvre extérieure refusent désormais de le faire. Ils s'adonnent plutôt à l'orpaillage soit à titre personnel soit en tant qu'ouvrier journalier pour le compte d'un particulier ce qui provoque des conflits entre eux et leurs parents. Ils sont ainsi détournés, du fait de l'activité d'exploitation artisanale, du contrôle parental. Ces derniers ne vont plus aider les parents dans les champs et ne participent plus aux activités économiques de la famille. Ils préfèrent exercer l'orpaillage où les travaux bien que plus difficiles, sont rémunérés. L'opinion cultuelle de l'or lui confère un caractère sacré qui est perçu par certains comme une malédiction rattachée à ce métal. Sur la base de cette perception, certains parents interdisent à leurs enfants de s'adonner à l'exploitation artisanale de l'or. D'autres raisons non explicites sont également avancées. Ces conflits se manifestent par des querelles. Les enfants sont parfois victimes de sévices et certains vont jusqu'à quitter le domicile familial.

6.2.2 Les conflits d'autorité entre mari et femme

Les conflits entre mari et femme au sujet de l'activité minière surviennent lorsque la femme s'intéresse au travail de l'or. Les femmes constituent 18% des orpailleurs enquêtés. Initialement la femme s'occupe des travaux domestiques (repas, ménage...) mais dans le milieu rural, elle est devenue une main d'oeuvre nécessaire pour le chef de ménage du fait de la raréfaction de la main d'oeuvre extérieure. Dans ce contexte, son nouveau statut lui confère en plus des activités domestiques, l'entretien des cultures vivrières et pérennes. Elle aide ainsi son mari à l'entretien des plantations et à l'entretien de la famille à travers les cultures vivrières utilisées pour la consommation et pour la commercialisation. Avec la crise dans l'agriculture qui s'accentue de plus en plus, les chefs de familles n'arrivent plus à pourvoir aux besoins de leurs femmes. Celles-ci se tournent donc vers l'orpaillage qui se présente comme une opportunité économique et un palliatif dans la sous-préfecture. Les femmes dans l'orpaillage s'adonnent au lavage et sont rémunérées de façon journalière. Elles se détournent ainsi de l'autorité de leurs époux en allant plus les aider dans les champs et exercent l'orpaillage à leur propre compte. Leurs tâches domestiques ne sont plus bien assurées. Cette attitude des femmes est perçue par les maris comme une défiance de leur autorité de chef de famille. Cela génère des conflits de natures diverses (voir tableau ci-dessous).

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Tableau 30 : répartition des conflits selon leur nature au sein de la population enquêtée

Nature des conflits

Proportion (en %)

Privations

12,82

Interdiction à la pratique

38,46

Répudiation ou séparation de la famille

12,82

Reproches

32,05

Autres

3,84

Source : Donnée d'enquête, 2008

La chute du pouvoir d'achat des paysans et l'augmentation de celui des mineurs perturbe également les relations entre mari et femme. En effet, avec le prestige économique dont ils bénéficient, certains mineurs courtisent les femmes des paysans en les couvrant de présents et de gestes auxquels leurs maris ne peuvent prétendent. Ces derniers ne peuvent pas rester indifférents et cela crée des conflits qui débouchent parfois sur des séparations.

6.3. L'EMERGENCE DE NOUVEAUX COMPORTEMENTS SOCIAUX

A la faveur de l'expansion de l'activité minière dans la sous-préfecture de Hiré, de nouveaux comportements sociaux ont fait surface tels que la consommation abusive d'alcool et la propagation du VIH/SIDA.

6.3.1. La consommation abusive de l'alcool

Les acteurs de l'activité minière ou du moins les mineurs résidents dans la ville de Hiré sont pour la plupart des jeunes vivants seuls ou loin de leurs ménages. Dans une ville comme Hiré, longtemps ville agricole, les seuls espaces de loisirs de la population sont les bars, buvettes et bistrots de la place. Des espaces de loisirs plus prestigieux se trouvent dans les chefs-lieux de départements voisins que sont Divo et Oumé. Les niveaux de revenus tirés de l'activité aurifère procurent à ses acteurs un pouvoir d'achat qu'ils expriment souvent à travers de fortes consommations d'alcool qui crée en eux une addiction. La consommation abusive d'alcool est perçue par ces personnes comme signe de jeunesse, de modernisme et d'aisance financière. Cette tendance donne souvent lieu à des dérives. Il est fréquent de voir des jeunes orpailleurs dont l'activité n'est régie par aucun code d'éthique, déambuler ivres dans les rues. Ils s'adonnent à des compétitions dans la consommation de l'alcool qui se terminent parfois par des bagarres. Ce sont des comportements nouveaux dans cet espace habituellement paisible ou les populations sont habituées à vivre en convivialité.

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6.3.2 La dépravation des moeurs

Une autre menace et non des moindres se signale à Hiré. A l'exemple des villes minières, la ville de Hiré a attiré de nombreuses professionnelles du sexe. En effet, la présence d'une activité minière dans une localité est généralement interprétée comme la présence et la circulation d'une manne financière à gagner. Ce qui augmente les risques liés aux infections sexuellement transmissibles (IST) et au sida. A Hiré, nous n'avons pas réalisé un recensement de celles-ci mais selon les populations, il y en a dans tous les quartiers. A ces professionnelles du sexe (PS) s'ajoute la vulnérabilité des jeunes filles de la localité. Issues généralement de familles démunies, les jeunes filles de la ville de Hiré sont vulnérables face à l'argent et au pouvoir de certains mineurs. Par ailleurs, les filles commerçantes le jour se transforment en prostituées de luxe la nuit. Lorsque la production est bonne, les orpailleurs peuvent donner facilement de grosses sommes et avec l'alcool et la drogue, celles-ci peuvent avoir des rapports sexuels non protégés avec ces derniers. Aussi, ces rapports sexuels se déroulent parfois dans les champs et sur les sites d'orpaillage, ce qui est formellement interdit dans la culture locale et signifié aux orpailleurs par les propriétaires des terres qu'ils occupent.

6.3.3 L'apport de croyances nouvelles

Depuis le début de l'exploitation minière à Hiré, sur les sites d'orpaillage ou à proximité, les populations disent constater l'apparition et la multiplication de nouveaux fétiches venus d'ailleurs. Ces nouvelles croyances sont singulièrement le fait des orpailleurs et se traduisent par l'exécution de certains rites et sacrifices. En effet, ces nouvelles pratiques constatées dans la sous-préfecture de Hiré sont le fait d'orpailleurs allogènes d'origine malienne, guinéenne et burkinabé. Ces pratiques nouvelles dans la sous-préfecture de Hiré, vont jusqu'au sacrifice humain qui, aux dires des populations, rendraient les sites d'orpaillage plus productifs. Ainsi, les décès tragiques constatés dans la localité depuis le début de l'orpaillage leur est-il imputé.

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