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"en aparté"sur Canal Plus : l'invité, le public et le média comme tiers autoritaire dans une émission de conversation

( Télécharger le fichier original )
par Marylène Khouri
Institut Français de Presse Paris II-Assas - Maà®trise d'information et communication 2005
  

Disponible en mode multipage

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Université Panthéon-Assas- Institut français de Presse

Mémoire de maîtrise d'information et communication

 En aparté sur Canal plus : l'invité, le public et le média comme tiers autoritaire dans une émission de conversation. »

Présenté par Marylène KHOURI

Soutenance en septembre 2005

Sous la direction de Frédéric Lambert

« L'université Panthéon-Assas n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. »

SOMMAIRE

Introduction...............................................................................4

Première partie : Pascale Clark, une figure de l'autorité.......................................13

a) Un parcours reconnu par ses pairs.........................................................14

b) La mise en scène de l'absence............................................................21

c) Une voix venue d'ailleurs..................................................................26

d) De la mère au maître........................................................................33

Deuxième partie : La spectacularisation de l'intime.............................................40

a) Le « zoo Humain »...............................................................................41

b) Un simulacre d'intimité.........................................................................48

c) Le dévoilement de l'invité.....................................................................55

Troisième partie : Une parodie de conversation ?.............................................64

a) De l' « Olympien » au « people »............................................................65

b) Le véritable interlocuteur : le tiers- téléspectateur..........................................72

c) Le politique à l'épreuve........................................................................78

Conclusion ...........................................................................85

ANNEXES

Introduction

Dans le paysage audiovisuel français se détachent de nombreuses émissions à vocation promotionnelle pour des artistes en mal de narcissisme et pour un public en mal de confidences: Tout le monde en parle,  On ne peut pas plaire à tout le monde ,  20h10 pétantes ,  On a tout essayé , Recto verso ,  Vivement dimanche ...Tous ces programmes, sous un verni pseudo-culturel se repaissent des confessions plus ou moins intimes de personnalités du monde du cinéma, de la télévision, du sport, de la politique. La présence de ces personnalités garantit à ces programmes sinon de l'audience, du moins du contenu. Différents procédés ont été mis en place pour leur conférer un caractère original. Chez Thierry Ardisson, la provocation a du bon avec le fameux « sucer, c'est tromper » posé à un Michel Rocard sceptique ; chez Marc-Olivier Fogiel, le parfum de l'inattendu dû au direct conjugué à l'impertinence de l'animateur séduit. Chez certains, on mise sur la valorisation de l'invité à travers une scénographie avantageuse comme dans « Vivement dimanche ». Bref, autant de stratagèmes pour attirer des têtes d'affiche et trouver des concepts plaisants.

Ces émissions créent un contexte particulier, tant pour le média que pour l'invité : confronté à un simulacre de conversation naturelle et désintéressée, les participants s'adressent en fait au public, dans l'attente d'un retour d'ordre affectif. Cela crée une relation au sein de laquelle le concept d'autorité prend son sens.

Il existe même des conflits d'intérêts entre les différents animateurs quant au choix des invités. La presse rend compte parfois de cette guerre des tranchées larvée ; on se souvient par exemple de l'affrontement entre Thierry Ardisson et Marc-Olivier Fogiel, ce dernier étant soupçonné d'avoir copié le concept de « Tout le monde en parle » et de ce fait de « voler » les invités. Il demeure en effet de plus en plus difficile d'inventer de nouveaux formats d'entretien du fait de la prolifération de ce type d'émissions et de l'inaccessibilité croissante des « vrais stars » qui se défilent le plus souvent au profit de vedettes éphémères au parcours moins riche de la télé-réalité ou de la télévision. C'est donc dans un contexte de féroce concurrence qu'est apparue « En aparté » sur la chaîne cryptée Canal plus à la rentrée 2001. Présentée par Pascale Clark dont nous reviendrons sur le parcours et la personnalité, sa diffusion succède à celle, ultra-médiatisée, de  Loft Story  (sur la chaîne M6). Pourquoi cette mise en parallèle ? Les deux émissions adoptent toutes les deux le procédé de mise en isolement dans un simulacre d'appartement-plateau, et ce à l'heure où les médias s'intéressent de plus en plus aux questions de voyeurisme.

 En aparté  : programme phare de Canal plus

Depuis son apparition en 2001,  En aparté  a conquis public, annonceurs ainsi que les différents directeurs qui se sont succédés à la tête de la chaîne cryptée. Diffusée à des heures de grande écoute, en clair, elle est destinée au public de Canal plus, plutôt cultivé, branché et aisé. En premier lieu, elle était diffusée le samedi soir à 20 heures puis le samedi à 13h40. Elle est l'un des programmes dits « d'appel » de la chaîne. Canal plus en effet se doit d'entretenir sa réputation de chaîne ouverte, novatrice, exigence à laquelle  En aparté répond avec son concept de renouvellement des codes de l'interview télévisée. Le projet était intitulé, à sa genèse, « A l'intérieur ». L'idée de l'émission revient à Alexandre Drubigny, ex-directeur des programmes de Canal plus. Par ailleurs, Canal plus a une tradition de promiscuité avec les personnalités culturelles, par son rôle majeur dans le financement du cinéma au succès de feu  Nulle part ailleurs  qui séduisait la majeure partie des vedettes de l'époque. De ce fait, la chaîne se devait d'avoir son émission d'entretien à l'instar de  La Méthode Cauet  sur TF1,  Tout le monde en parle  sur France 2, ONPP1(*)  sur France 3. Enfin, malgré les nombreux problèmes identitaires et commerciaux qu'a connus Canal plus depuis quelques années, En aparté n'a jamais été menacé et a su conserver une audience stable, 500 000 téléspectateurs en moyenne, soit 3.5% de part de marché, bien que la proportion d'invités par semaine ait été réduite de trois auparavant à deux aujourd'hui. Le budget de l'émission est de 60 000 à 90 000 euros par numéro.

Le concept d'  En aparté 

Stéphane Breton dans son essai « Télévision », le décrit ainsi : « Il s'agit de l'interviouve d'un Invité isolé dans une salle d'attente qui se donne des airs d'appartement témoin, à moins que ce ne soit le contraire. Les questions sont posées par un Présentateur absent, par la voix de l'ange que délivrent des haut-parleurs tout autour. L'impression d'ubiquité d'un interlocuteur anonyme et flottant est renforcée, aux yeux du téléspectateur, par la multiplication de caméras mobiles. On saute d'un point de vue à l'autre. Celui que l'on interroge n'est vu par personne, mais par des caméras de surveillance, une fois en plongée, de près, et puis de loin. On aperçoit même les caméras télécommandées glisser sur les rails. »2(*)

Le site de Canal plus, lui, présente ainsi le procédé : « Chaque semaine, deux personnalités de tous horizons pénètrent seules, dans ce studio à huit clos, où cinq caméras commandées à distance suivent leurs faits et gestes. Ils sont en communication directe, grâce à une oreillette, avec la journaliste Pascale Clark qui peut les questionner à loisir. »3(*)

On peut ajouter que les invités sont soumis à toute une série d'exercices, comme commenter des diapositives, écouter des messages, prendre une photo, choisir un disque.

Ainsi, l'originalité du concept réside dans le fait que le plateau est ici un appartement-plateau où tout est calculé pour mettre l'invité à l'aise. Les décorateurs ont conçu un espace moderne que ne renierai pas les préceptes du Feng-shui : aéré et clair, quoique un peu froid, l'appartement de l'émission répond à l'idée que l'on se fait des logements spacieux des gens aisés. La promesse de l'émission est d'entrer dans l'intimité d'une personnalité du spectacle, de la politique, du sport, de la télévision. De plus, l'invité est seul et livré à lui-même. Les questions lui sont posées par le biais d'une oreillette. Fait rare à la télévision, l'animatrice s'efface. On ne ressent sa présence que par l'intervention de sa voix qui guide l'invité et qui va jusqu'à le pousser dans ses retranchements. Il est important de souligner ce choix de l'absence de l'animatrice, qui permet de concentrer l'attention du téléspectateur sur l'invité. Il s'agit là d'un choix atypique à l'heure où les animateurs sont de plus en plus mis en valeur. Le phénomène est ainsi décrit par Jean-Pierre Esquenazi :« Le présentateur est partout, il est maintenant le personnage principal de la télévision et les individus qui remplissent ce rôle sont les nouvelles stars. »4(*)

Par ailleurs, l'émission ne suit pas la tendance prééminente des entretiens agressifs ou provocateurs : ici, l'invité est « bichonné », on a affaire à une ambiance psychologisante plus proche du ton de Mireille Dumas par exemple.

Enfin, le choix de l'invité relève de Pascale Clark : celle-ci les sélectionne selon la légitimité de leur parcours, refusant les célébrités éphémères issues de la télé réalité. A noter la présence ponctuelle d'invités internationaux : Iggy pop, Bjork...

Pourquoi « En aparté » ?

J'ai eu envie d'étudier cette émission pour le caractère original de son format. En effet, on a l'impression d'assister à une conversation assez intime dont on serait absent, assouvissant notre travers de voyeurisme sans pour autant être inquiété, car l'émission évite l'écueil de sensationnalisme trop visible. On découvre de nouveaux aspects de la personnalité des invités, des côtés qu'on ne leur connaissait pas. Dans l'émission, le silence, l'hésitation sont signifiants. L'espace-temps est comme suspendu et il s'avère intéressant de voir de quelle façon les personnalités médiatiques se démènent avec ce nouveau mode de conversation. Lorsque l'on apprécie une personnalité, on apprécie de la voir dans  En aparté.

De plus, cette émission inspire de nombreux axes de réflexion lorsque l'on étudie les sciences de l'information et de la communication : l'absence de l'animatrice, le climat psychologisant, le rôle de la voix, le caractère futuriste dû aux couleurs métallisées,les jeux entre la parole et l'image...

Par ce procédé original, par le semblant d'intimité qui se crée se tisse une relation toute particulière, différente à chaque fois, entre l'invité, l'animatrice et le téléspectateur à qui l'échange est destiné. En effet, pour réussir à obtenir des réactions intéressantes de la part de son invité, Pascale Clark parle parfois comme une mère, une psychologue, un juge...elle dépasse largement le statut un peu anodin d'animatrice télévisée, apparaissant comme une figure éminente d'autorité dans le monde médiatique. Les personnalités défilent dans l'émission comme s'il s'agissait d'un confessionnal de ce monde médiatique, un endroit où l'on peut se dévoiler tel que l'on est. Néanmoins il est important de garder à l'esprit qu'il s'agit d'un dévoilement contrôlé, théâtralisé et il est à étudier les limites de cette authenticité apparente.

L'art de la conversation

Je vais donc m'attacher à étudier la relation triangulaire qui se tisse entre les trois participants d'  En aparté , c'est-à-dire l'invité, le média qu'incarne Pascale Clark et le public qui brille par son absence, mais dont on sent l'omniprésence du jugement. Le public, avide d'intimité et d'identification, peut, selon son histoire affective, se fier au repère autoritaire qu'est la télévision. Seul devant En aparté , on ressent si ce n'est de l'affection, du moins de la promiscuité avec la personnalité interviewé. Mais ce contrat affectif est tout entier orienté par le média incarné ici par Pascale Clark. Se pose alors la question de l'autorité, substrat de la forme sociale la plus originelle qui soit et qui pourrait hypothétiquement faire défaut au téléspectateur assidu : la famille.

Mon hypothèse est l'apparition d'une nouvelle forme d'autorité dans le rapport invité -animateur et dans le rapport téléspectateur -invité ainsi que finalement dans le rapport invité-télespectateur. Je souhaite aussi étudier l'aspect d' « émission de conversation » d' En aparté  qui renouvelle les codes classiques de la conversation pour les mettre à la « sauce » télévisuelle.

Choix et constitution du corpus

Tout au long de cette année de maîtrise, j'ai regardé tous les numéros de l' émission En aparté. Certains ont été enregistrées. Trois d'entre eux ont été retenus pour constituer le corpus. Ils ont été sélectionnées selon les personnalités qui y étaient invités. En effet, ce programme a pour particularité d'inviter des personnalités médiatiques de tous horizons et il paraissait souhaitable que le corpus reflète cette multiplicité. De ce fait ont été sélectionnées : une émission où intervenait un acteur, pour étudier la question du rapport narcissique à l'image dont on a tendance à dire que ceux-ci sont friands. Une émission dont l'invité était une animatrice de télévision afin d'observer la dualité avec Pascale Clark et pour analyser la relation qui s'instaurera ainsi que l'éventuel compétition sous-jacente entre deux personnalités connaissant les codes de l'interview télévisée ; enfin, une émission consacrée à un homme politique, qui est ici dans une situation complexe, tiraillé entre la nécessité de représentation et le souhait de paraître naturel.

Trois invités ont retenu mon attention et répondaient à ces critères :

- Charles Berling dans l'émission du 15 janvier 2005 : il y défendait le film documentaire « la marche de l'empereur » de Luc Jacquet où il prêtait sa voix à un manchot. Sa prestation, faussement débonnaire et naturelle, peu passionnante au demeurant pour le téléspectateur moyen est néanmoins intéressante du fait des efforts de Pascale Clark pour la rendre intéressante.

- Maitena Biraben dans l'émission du 8 janvier 2005. Elle y présentait sa nouvelle émission, Nous ne sommes pas des anges, diffusée sur la même chaîne. Cette animatrice atypique retient l'attention car elle dégage une énergie peu courante. D'une nature extravertie, on l'imagine préparant sa prestation car elle venait sur le plateau d' En aparté pour défendre son émission qui ne parvenait pas à décoller. Tout comme Pascale Clark, elle ne correspond pas aux critères classiques de l'animatrice de télévision et il paraissait intéressant d'assister à leur confrontation.

- François Hollande dans l'émission du 22 janvier 2005. Tout comme Maitena Biraben mais dans un autre genre, François Hollande défendait ici un programme et une personnalité qui ne recueillent pas d'audience. On a affaire ici à toutes les problématiques inhérentes au passage du politique à la télévision : citons notamment la nécessité d'adopter un langage dénominateur commun tout en conservant une certaine crédibilité politique.

Par ailleurs, au sein du corpus annexe apparaissent d'autres prestations d'invités destiné à appuyer les conclusions et hypothèses défendues. En effet, durant cette année 2005, de nombreux sportifs, chanteurs se sont pressés aux portes d ' En aparté qu'il aurait été dommage d'occulter. Sera également cité le Best of de l'année 2004.

Le corpus annexe est également composé de nombreux articles de presse issus de recherches à la Bibliothèque de l'Ina et à celle de Pompidou : il s'agit d'archives de l' « Humanité », « Libération », « Le Monde », « le Figaro », « Télérama », « Les inrockuptibles » et « Le Nouvel Observateur ».

Présentation du plan

Trois parties composent cette étude sur l'émission En aparté. La première sera entièrement consacrée à la présentation de Pascale Clark. Sa position de figure prééminente au sein de l'émission rend en effet pertinente et important le fait de se pencher sur sa personnalité . Elle constitue une figure d'autorité majeure et incarne entièrement l'émission. Je vais revenir sur son parcours, sa carrière a la radio, le succès de sa voix. Après avoir travaillé sur des radios telles que Europe 1, Europe 2, elle commence à la télévision avec des émissions de décryptage des médias telles que « Arrêts sur image », « Culture pub », ce qui sera signifiant dans ma réflexion. On fera par ailleurs apparaître l'installation de Pascale Clark dans une « généalogie des animatrices », en montrant notamment, au moyen des articles de presse de mon corpus annexe, la crédibilité dont elle bénéficie au sein de la profession. Cela donnera lieu à une réflexion sur la difficulté pour les femmes d'obtenir de la crédibilité dans des émissions dites sérieuses, réflexion qui s'appuiera sur le livre de Pierre Bourdieu « La domination masculine ».

Je vais analyser le choix de l'absence de Pascale Clark dans la mise en scène, choix qui semble étrange à l'heure où le présentateur de télévision n'a jamais autant occupé l'espace médiatique. Je vais aussi étudier sa présence uniquement vocale, qui lui confère une aura mythique. Cette présence vocale instaure en effet une relation charnelle, presque maternelle. Il est à souligner, toujours d'après le livre de Bourdieu, la nécessité pour l'animatrice d'être absente de la mise en scène pour ne pas être prisonnière de sa représentation.

Je consacrerai une partie sur les effets produits par l'utilisation unique de la voix dans l'émission et faire un état de lieux de la question du lien entre image et parole et ce, grâce au « Médiamorphoses » n°7 d'avril 2003 « Télévision et radio : état de la parole »

Enfin, je finirai sur les différents types de relation qu'instaure Pascale Clark en m'appuyant sur l'ouvrage d'Alexandre Kojève « La notion de l'autorité ». En effet, Pascale Clark adapte son type de comportement au regard de l'attitude de l'invité ; elle revêt tantôt le statut de la mère, du Juge, du Confesseur...

Dans une seconde partie intitulée « la spectacularisation de l'intime », j'aborderai en premier lieu la tendance à vouloir enfermer l'individu pour mieux l'observer, tendance de plus en plus notable à la télévision : en dehors des inévitables émissions de télé réalité émergent de nombreux cadres d'entretien dans lesquels l'individu est retenu : Citons notamment deux émissions de Paris Première : 93 faubourg Saint Honoré, faux dîner chez Thierry Ardisson, Petites confidences entes amis, où l'invité est retenu dans une chambre d'hôtel où se succèdent des interviewers surprises. L'expérience fut aussi tentée sur Tf1  avec Devine qui vient dîner ? diffusée le vendredi 4 janvier 2002. Ce fut un échec. Pourtant l'émission se situait dans la lignée des programmes du type d' En aparté. Cette tendance est expliquée par Olivier Razac dans son livre « L'écran et le zoo : spectacles et domestications, des expositions coloniales à Loft Story »5(*), sur lequel je m'appuierai pour soutenir l'analyse développée.

Puis dans une deuxième sous-partie, je traiterai du simulacre d'intimité qui constitue la promesse de l'émission, en montrant que la sphère de l'intimité n'est que prétexte au média et pour le public d'assouvir son autorité sur l'invité. Il s'agit d'une fausse intimité où on utilise efficacement les artifices mais dans une volonté paradoxalement spectacularisante. Mon ouvrage de référence sera « La télévision de l'intimité »6(*) de Dominique Mehl.

Enfin, je m'intéresserai au dévoilement de l'invité. En effet, Pascale Clark s'attaque moins aux faits qu'aux réactions : elle provoque l'invité, le « titille ». Il s'agira ici plus d'une étude sémiologique de l'image, destiné à observer la façon dont la caméra traque les réactions des invités et épouse les propos de l'animatrice. On constate alors que des réactions minimes sont spectacularisées. On pourrait même dire que, d'une certaine manière, l'animatrice trouble ses invités dans leur désir de représentation.

Ma dernière partie sera consacrée aux problématiques liées aux caractères conversationnels de l'émission et à ses limites. Dans une première sous-partie intitulée « de l'Olympien au people », je traiterai de la relation avec le « people » et de l'évolution du statut de « star ». On est certes passé de l'époque des stars lointaines et inaccessibles à l'ère de la proximité certes, mais les médias perpétuent et entretiennent les valeurs d'identification des personnalités. De ce fait, celles-ci, bien que l'on puisse plonger dans leur intimité, restent tout de même dans un univers Olympien, expression empruntée à Edgar Morin dans son ouvrage « L'esprit du temps ». Selon moi,  En aparté participe à cette tendance car l'invité est posé sur un socle que l'on observe méticuleusement comme s'il était exceptionnel. Je m'appuierai sur le « Médiamorphoses » n°8 consacré à la question du people et intitulé « Médias people : du populaire au populisme ». Je conclurai cette réflexion sur le constat de l'émergence du « people » dans nos sphères affectives.

Puis je reviendrai sur le dispositif de « mise en autorité » du programme, qui maîtrise le discours de l'invité. Ce point-ci sera plus technique. J'y étudierai le caractère artificiel de la conversation, les indices de la représentation des invités, le discours adressé le plus souvent plus au tiers public qu'au tiers animatrice. Pour ce, je m'appuierai sur l'ouvrage de Patrick Charaudeau et Rosa Montes « La voix cachée du tiers » et sur « L'ordre du discours »7(*) de Michel Foucault. Je tenterai de démonter les artifices de la conversation.

Enfin, dans une dernière partie, je parlerai spécifiquement de la question du politique à l'épreuve de l'émission de conversation, le but étant de livrer une réflexion sur sa place dans une émission populaire, son conflit entre le désir d'être près du peuple et sa quête de crédibilité, sa nécessité de tenir une relation « équidistante » avec le média. Cela permettra de mettre en exergue l'autorité du média qui maîtrise la représentation du pouvoir du politique.

Ce mémoire dissèquera une émission qui est symptomatique de l'évolution des formats d'interview, toujours plus en quête d'intimité et de « scoops », de regards différents sur des personnalités qui prennent de plus en plus d'importance au sein de notre sphère affective. Les rapports de force conversationnels se créent et font du média un indéniable acteur politique qui module notre perception et notre opinion sur les personnalités qui composent notre environnement médiatique.

Première partie :

Pascale Clark : une figure de l'autorité

Cette première partie sera consacrée au portrait de Pascale Clark. Elle fait partie de ces animateurs qui s'incarnent totalement dans leurs émissions, à l'instar de Nicolas Hulot avec Ushuaia ou Thierry Ardisson avec Tout le monde en parle. On ne peut imaginer En aparté sans Pascale Clark et je projette de démontrer la façon dont un animateur peut se confondre avec un concept. Je compte étudier la perception qu'en ont les autres journalistes dans une première partie puis la façon dont elle s'inscrit au sein d'une généalogie des animatrices et je reviendrai sur la difficulté d'acquérir de la crédibilité en tant que femme dans le monde des médias et comment Pascale Clark a réussi, notamment grâce à sa voix : son absence a contribué à conférer de l'originalité et une dimension mystique à son programme. Je terminerai par la mise en évidence des différentes figures d'autorité qu'elle revêt durant son émission.

a) Un parcours reconnu par ses pairs

Tous les articles que j'ai étudiés confirment un fait : Pascale Clark est indéniablement une femme de radio. Il suffit de relever les titres des articles la concernant pour s'en rendre compte : « Le charme des mots » ; « Pascale Clark : une voix, des visages » ; « Jean Rochefort en tête à tête avec une voix » ; « Pascale Clark, la voix sans maître » ; « Celle qui suit sa voix »...d'autant plus qu'elle n'a de cesse de se réclamer de ce monde radiophonique qu'elle affectionne « la télé raconte un autre monde qu'est le mien » titre à l'occasion d'un entretien le Monde télévision du samedi 3 août 2002.

En témoigne son parcours qui sera en bien des aspects intéressants pour notre étude.

Après une licence de journalisme au Celsa (où, affirme-t-elle, elle évitera le formatage), elle se lance comme reporter pour une radio versaillaise, CVS, en 1983. Remarquée, elle poursuit sa carrière à Europe 2, puis assure des tranches d'information sur France Info. A Europe 1, elle est reporter puis devient présentatrice, occupant d'abord des tranches vespérales puis des matinales. Cependant Europe 1 connaissant de graves problèmes de programmation, Pascale Clarke est remerciée par Jérôme Bellay, son supérieur. Elle fait un virage vers le petit écran dans Arrêt sur images sur la cinquième au côté de Daniel Schneiderman, puis réalisera des portraits pour TV+ et un an de plus sur Canal plus. Elle réalisera aussi des reportages pour Culture Pub sur M6. On devine par ses choix professionnels des affinités pour le domaine du décryptage des médias. Cependant, sa prestation au sein d' Arrêts sur image ne fut pas jugée à l'époque convaincante. Elle-même n'a pas appréciée cette incursion dans la sphère télévisuelle. Elle prend l'habitude de fustiger la lucarne qu'elle qualifie de « fille de joie » et de « pute »8(*). Selon elle, « tout le monde est tout de suite plus beau, plus intelligent, plus côté sur le marché », un système qu'elle abhorre. Elle retourne donc à son premier amour, la radio, en animant pendant un printemps les matins de Oui FM où elle succède à Nicolas Pointcaré ; elle y présente le 7-9 d'Inter puis l'interview de 8 h20. Elle s'y forge une solide réputation en matière de meneuse de revue de presse. Par la suite, elle animera pendant trois ans « Tam-tam » sur France inter, une émission quotidienne de société, en même temps qu' « En aparté ». Tam tam lui fait gagner une certaine crédibilité : cette émission qui a pour vocation de revenir à la matière première de la radio, « c'est-à-dire le son », est un joyeux mélange d'interviews, de chroniques et de reportages, mis en musique et destiné à entendre « le bruit du monde ». On y parle d'ailleurs beaucoup de télévision. Pascale Clark y est entouré de chroniqueurs comme Christine Masson, Laurent Bonelli, Nicolas Rey... Son départ, après trois ans de bons et loyaux services coïncide avec l'éviction du directeur de France Inter et le départ de Claude Villiers et les changements de programmation que tout cela suggère.

Depuis la rentrée 2004, Pascale Clark anime On refait le monde sur RTL. Le site promeut son nouvelle recrue en la décrivant ainsi « une personnalité hors norme, son ton attire ou irrite, ses jugements sont tranchés et vont toujours à l'essentiel, ses idées ne manquent pas d'originalité, elle manie humour et ironie... ». La journaliste de 38 ans est entourée de nombreux chroniqueurs comme Guy Birenbaum ou Alain- Gérard Slama ainsi que de nombreux universitaires et journaliste. Le ton y est polémique. Toujours d'après le site, On refait le monde se définit comme « le plaisir de confronter ses idées avec les autres ».

Par ailleurs, Pascale Clark a écrit deux romans relativement bien accueillis : « Tout le monde fait l'amour » publié en 2001 chez Albin Michel où, reconnaissant une part auto biographique, elle raconte l'histoire d'une jeune femme, trop sensible et fragile pour mener une relation amoureuse et embarrassée par sa virginité. Ensuite, en 2004, elle publie « Merci de votre attention », un polar sur le monde des médias dans lequel elle y dénonce au passage le règne du narcissisme et des faux semblants. Cela témoigne du fait que la journaliste garde un regard critique sur le monde dans lequel elle évolue.

1- Des critiques

Le parcours de Pascal Clark est loin d'être exempts de critique. On lui reproche fréquemment son manque de culture, « ses approximations, ses manques en matière de géopolitique, d'histoire de la littérature ou de musique »9(*), sûrement dû à la brièveté de ses études universitaires. Pascale Clark avait ses ennemis au sein de la maison du service public. Lorsqu'elle intervenait au sein d' « Arrêts sur image », on la décriait pour son manque de charisme et sa confusion, ce qui peut aussi expliquer son aversion pour la lucarne.

Par ailleurs, en parcourant le net, nombreux sont les internautes à moquer son inconsistance et la vacuité de ses émissions. Concernant « En aparté », il est vrai que lorsque l'invité ne présente pas d'intérêts particuliers, l'émission perd en contenu (par exemple, Estelle Hallyday). Par ailleurs, dans certaines émissions satiriques comme « les guignols de l'info » ou « la téloose » sur Comédie, Pascale Clark est représentée sous forme d'enceinte et est moquée sur son physique, absent donc hypothétiquement laid.

Cependant, force est il de constater que Pascale Clark s'est bâti une solide réputation et occupe une place institutionnelle dans la sphère médiatique.

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2 - La place de Pascale Clark dans une généalogie des animatrices

Pour mieux comprendre la place qu'occupe Pascale Clark au sein de l'espace médiatique, il convient d'esquisser une généalogie des animatrices. Précisons tout d'abord ce que l'on entend par « animateur »10(*) : on en recense près de 200 en 1985. Avec le développement des chaînes câblées et la télévision numérique terrestre, on peut aujourd'hui doubler cette donne. Pasquier et Chalvon- Demersay définissent l'animateur comme étant « toute personne qui assure la présentation d'une émission ne relevant pas du secteur de l'information, reprenant ainsi une coupure entre information et programmes (...) qui oeuvrent dans des genres télévisuels variés, qui possèdent des compétences diverses et qui jouissent d'une renommée variable » En fait, Pascale Clark se situe à la croisée de l'animatrice et de la journaliste, si l'on considère qu'elle anime une émission de divertissement mais en ayant une formation de journaliste. Cependant, il serait réducteur de définir En aparté comme une simple émission de divertissement ; il s'agirai plus ici d'une émission d'entretien, que nous préciserons plus tard par la qualification d' « émission de conversation ». Dans cette lignée, on retrouve des femmes comme Ménie Grégoire et Mireille Dumas, qui se sont spécialisées dans le recueil de confidences. La différence majeure avec ces femmes est que Pascale Clark recueille la parole de la personnalité, à laquelle on s'identifie. Cependant, elle utilise les ressorts habituels de l'entretien télévisé :

« Ses questions sont guidées par ce qu'il suppose être le point de vue du téléspectateur et son degré de connaissance du sujet ou de la personne (...) le présentateur est un accoucheur d'idées ou d'histoires instructives, un interprète requis pour nous éclairer et nous familiariser avec le sujet. »11(*)

Pascale Clark reçoit les hommes politiques ce qui peut apparenter son émission à une émission d'information. Tout comme les émissions de Mireille Dumas ou de Ménie Grégoire, l'émission de Pascale Clark s'inscrit dans une perspective relationnelle, genre pour lequel l'univers machiste de la télévision aime faire appel à des figures féminines. En effet, selon Pierre Bourdieu, « les femmes savent mieux identifier une émotion représentée non verbalement et déchiffrer l'implicite d'un dialogue »12(*).

Il est intéressant d'établir un parallèle entre le parcours de Ménie Grégoire et celui de Pascale Clark ; toutes deux se sont arrêtées au niveau licence, ont écrit des romans en parallèle de leur carrière médiatique. Ménie Grégoire a inventé la radio moderne, donnant la parole au public. Par ailleurs, elle était réputée pour la qualité de sa voix, qui mettait ses invités, eux anonymes, en confiance. Cependant, et surtout pour son époque, Ménie Grégoire a complètement révolutionné la notion d'intimité à la radio.

Quant à Mireille Dumas, elle possède le même ton psychologisant et la même capacité à mettre à l'aise l'invité. Elle apparaît souvent comme une référence dans les ouvrages étudiés pour la rédaction de ce mémoire.

Par ailleurs, la qualité des invités rehausse la crédibilité de Pascale Clark au sein d'une généalogie des animatrices/journalistes. Car comme le signifient D. Pasquier et S. Chalvon-Demersay, l'animateur doit souvent choisir entre « la consécration populaire et la reconnaissance professionnelle ». Or Pascale Clark a réussit à combiner respect du public et de la profession. Son émission reste assez populaire en recevant des invités appréciés du grand public (Mickael Youn, Jamel Debbouzze) tout en recevant des personnalités culturelles plus « haut de gamme » comme Amélie Nothomb ou Bjork.

3- La difficulté d'être une femme dans le monde de la télévision

La télévision est un univers particulier ; le règne de l'apparence, le culte de l'image imposent aux femmes d'adopter un certain langage, celui de la séduction. Pierre Bourdieu, réputé réfractaire à la télévision, dénonce cette contrainte dans son ouvrage « la domination masculine »13(*) :

« Tout, dans la genèse de l'habitus féminin et dans les conditions sociales de son actualisation, concourt à faire de l'expérience féminine du corps la limite de l'expérience féminine de l'expérience télévisuelle du corps -pour- autrui, sans cesse exposé à l'objectivation opérée par le regard et le discours des autres. Le rapport au corps propre ne se réduit pas à une « image du corps », c'est-à-dire de la représentation subjective (self-image ou looking -glass self), associée à un degré déterminé de self-esteem, qu'un agent a de ses effets sociaux (de sa séduction, de son charme, etc..) et qui se constitue pour l'essentiel à partir de la représentation objective du corps, feed-back descriptif et normatif renvoyé par les autres (parents, pairs, etc.). »

Ce que décrit Bourdieu est en fait l'éducation des femmes qui les incite à se considérer comme un « être perçu » et à s'investir dans leur potentiel de séduction, aux dépens d'un investissement plus intellectuel. En fait, la confiance qu'elles accordent à leur propre corps détermine leur degré d'investissement dans les sphères sociales. De plus, cette confiance se détermine aussi par rapport aux retours perçus par le regard d'autrui. Le mode de langage de la télévision épouse cette manière de pensée. Pour Bourdieu, deux solutions s'offrent alors à elle :

« Plus généralement, l'accès au pouvoir, quel qu'il soit, place les femmes en situation de double -bind : si elles agissent comme des hommes, elles s'exposent à perdre les attributs obligés de la « féminité » et elles mettent en question le droit naturel des hommes aux positions de pouvoir ; si elles agissent comme des femmes, elles paraissent incapables et inadaptées à la situation. »14(*)

Dans notre sphère médiatique actuelle, on peut citer par exemple l'animatrice Christine Bravo, qui emprunte le langage et la gestuelle des hommes pour se faire entendre et respecter. Ainsi, elle acquiert une respectabilité certes relative mais perd en séduction. Souvent, on remarque aussi que les femmes à la télévision sont souvent réduites à leur caractère décoratif (Sophie Favier, les femmes météos sur Canal plus...) et dans ce cas, n'ont aucune possibilité d'accéder au pouvoir.

« Ces attentes contradictoires ne font que prendre le relais de celles auxquelles elles sont structuralement exposées en tant qu'objets offerts sur le marché des biens symboliques, invitées à la fois à tout mettre en oeuvre pour plaire et séduire et sommées de repousser les manoeuvres de séduction que cette sorte de soumission préjudicielle au verdict du regard masculin peut sembler avoir suscitées. Cette combinaison contradictoire de fermeture et d'ouverture, de retenue et de séduction, est d'autant plus difficile à réaliser qu'elle est soumise à l'appréciation des hommes qui peuvent commettre des erreurs d'interprétation inconscientes ou intéressées. »15(*)

Ici, Pierre Bourdieu prend pour exemple la réception de blagues sexuelles par une femme ; soit elle n'y participe pas et ainsi, elle s'exclut, soit elle y participe dans une volonté d'intégration et s'expose par la suite à des allusions sexistes voire même à du harcèlement. La femme, que ce soit en général ou à la télévision est obligée de réfléchir le rapport qu'elle a avec son propre corps. Il s'agit donc d'une véritable contrainte, qui limite ses capacités à accéder au pouvoir.

Sandra Lee Bartky, citée par Bourdieu, nomme ce phénomène le « complexe mode-beauté » (Fashion beauty complex), soit l'inculcation aux femmes de profondes anxiétés à propos de leur corps et d'un « sentiment aigu de leur indignité corporelle ». De ce fait, la femme est en attente de l'homme, qui représente le puissant, d'une « réassurance » de sa part. Le désir féminin revêtirait ainsi une dimension masochiste et les relations sociales de domination sont érotisées. La femme aurait constamment besoin d'être rassurée sur son potentiel « corporel ». Elle se met donc immanquablement en position d'infériorité car d'attente vis-à-vis de l'homme. Plus prosaïquement, on le remarque dans de nombreuses émissions télévisées : l'intervention de l'animatrice est souvent accompagnée d'un silence dubitatif où l'erreur est attendue et où règne une suspicion d'incompétence. De ce fait, elles développent une anxiété plus visible que chez les animateurs où l'erreur sera toujours accueillie par un rire complice.

En effet, lorsque l'on considère les journalistes ou animatrices actuelles, force est de constater qu'elles peuvent être classées en deux catégories : celles qui animent ou co-animent des émissions de divertissement et qui sont physiquement agréables et celles, bien moins médiatisées, qui présentent des émissions plus sérieuses. Dans une première catégorie, la plus symbolique serait Flavie Flament : belle, certes, mais elle est la quintessence de l'objet décoratif qui illustre des émissions divertissantes et légères. Mission qu'elle remplit à merveille. Dans les « écoles d'animatrice » (malheureux et nouveau concept de nos sociétés médiatiques), Flavie Flament représente l'idéal à atteindre pour percer professionnellement. Dans la seconde catégorie, on retrouve des femmes comme Christine Ockrent et Arlette Chabot, qui s'illustrent plus sur le plan intellectuel et qui doivent d'autant redoubler de compétences pour obtenir le respect de l'homme. Arlette Chabot est directrice de l'information sur France 2 et ainsi peut asseoir son pouvoir face à des interlocuteurs masculins. Par contre, elle abandonne tout registre de séduction. Il est à noter que certaines femmes journalistes considérées comme des femmes de pouvoir sont associées à leur mari ce qui tronque quelque peu leur crédibilité : Anne Sinclair a dû démissionner de 7 sur 7 par sa liaison avec Dominique Strauss-Kahn, Christine Ockrent se voit assimilée à son mari Bernard Kouchner.

Toujours selon Pierre Bourdieu, la femme est originellement destinée à supporter la domination masculine, titre de son ouvrage.

« La domination masculine, qui constitue les femmes en objets symboliques, dont l'être (esse) est un être perçu (percipi), a pour effet de les placer dans un état permanent d'insécurité corporelle ou, mieux, de dépendance symbolique ; elles existent d'abord par et pour le regard des autres, c'est-à-dire en tant qu'objets accueillants, attrayants, disponibles. On attend d'elles qu'elles soient « féminines », c'est-à-dire souriantes, sympathiques, attentionnées, discrètes, retenues voire effacées. (...). En conséquence, le rapport de dépendance à l'égard des autres (et pas seulement des hommes) tend à devenir constitutif de leur être. »16(*)

De ce fait, il s'avère compliqué pour une femme d'asseoir une quelconque forme d'autorité. Pour Pascale Clark, on l'a vu, son passage aux côtés de Daniel Schneidermann s'est révélé infructueux. Elle l'évoque en ces termes « Daniel Schneidermann, venant de la presse écrite, n'avait besoin que d'une coprésentatrice, pour trouver ses marques. Quand il y est parvenu, je suis partie »17(*). Difficile de s'imposer face à un homme et difficile aussi d'imposer une présence...en effet, les « duos » mixtes d'animateurs souffrent de ne pas équilibrer leurs rapports de l'un par rapport à l'autre. Autre exemple, celui de Linda Hardy, engagée en 2000 par Thierry Ardisson pour Tout le monde en parle. La jeune femme fut instantanément reléguée au statut de faire - valoir et de réceptacle de plaisanteries douteuses.

« Lorsqu'elles participent à un débat public, elles doivent lutter en permanence, pour accéder à la parole et retenir l'attention ; et la minoration qu'elles subissent est d'autant plus implacable qu'elle ne s'inspire d'aucune malveillance explicite, et qu'elle s'exerce avec l'innocence parfaite de l'inconscience ; on leur coupe la parole, on adresse en toute bonne foi à un homme la réponse.. »18(*)

En 1985, Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay19(*) livraient une morphologie des animateurs français et évoquaient la minorité et le handicap des femmes animatrices.

« L'animation télévisuelle est clairement un métier masculin, (...) l'âge est un handicap évident pour les femmes animatrices, alors qu'il semble être un des éléments de la réussite masculine ; il est difficile de faire une carrière dans l'animation télévisuelle quand on est une femme, il est encore plus difficile de poursuivre cette carrière après quarante ans »

Sûrement influencée par ce mode de pensée, Pascale Clark, dans ses interviews, n'a de cesse de critiquer la télévision et son caractère réducteur : « la radio, c'est tout sauf les faux-semblants. Pour cela, il y a la télévision. ». Le choix de l'absence de Pascale Clark au sein de l'émission se justifie donc pleinement.

b) La mise en scène de l'absence

Je vais étudier ici tant l'absence de l'animatrice que celle du téléspectateur.

La mise en scène d' « En aparté » a donc pour originalité de se fonder sur l'absence de son animatrice vedette, choix des plus audacieux. En effet, nous sommes dans une ère télévisuelle où l'animateur est roi et personnalise son programme. Il y a une demande de la part du téléspectateur pour des émissions « relationnelles ». C'est ce qui caractérise, selon Hélène Duccini le concept parfois controversé de néo-télévision. Dominique Mehl définit ainsi ce concept :

« Le premier registre sur lequel joue la télévision relationnelle est celui de la convivialité. Réduire la distance, partager d'égal à égal, abolir les hiérarchies, créer une complicité typique d'une communauté réduite (...) La communication ne se déploie pas entre les partis et les citoyens, mais entre homme politique avec son tempérament, ses mimiques et ses manies, et l'électeur personnellement interpellé par lui »20(*).

Or, en proposant un espace privé comme lieu d'une conversation aux aspects intimistes, Pascale Clark offre une communication « émotionnelle » avec l'invité. Le décor promet une intimité, accentuée par l'absence visible de médiateur. Pourtant, cette absence aurait pu porter préjudice. En effet, chez Dominique Mehl, ce caractère relationnel se définit par rapport entre autres à l'animateur.

« La télévision relationnelle consacre l'animateur. Compagnon du public, c'est lui qui va susciter, cristalliser puis entretenir le lien avec le téléspectateur. Il ne joue pas sur le registre de la traduction mais sur celui de l'identification qui constitue la condition d'une implication affective. »21(*)

Le téléspectateur demande de la convivialité, de la communication. Il réclame un lien social avec l'animateur : « les animateurs suscitent des sentiments intenses s'ils sont encore présents à l'antenne, et les forts consommateurs de télévision ont sur eux un savoir important »22(*). A cet égard, En aparté correspond à cette demande, excepté le fait que le téléspectateur ne connaît pas grand-chose de l'animatrice. Cependant, l'absence de l'animateur s'y révèle originale. Pascale Clark n'entretient pas de mythe médiatique sur sa personne, ni de rivalités avec d'autres animateurs - comme les duels médiatiques Arthur/Cauet ou Fogiel/Ardisson. Dans les entretiens, elle reste dans le domaine professionnel. On ne lui connaît pas de relations sentimentales. A cet égard, elle se différencie des autres animatrices et mène plus sa carrière à l'image d'une Mireille Dumas. Elle concède elle-même qu'elle ne participerait pas à sa propre émission, car elle est trop pudique. Par ailleurs, grâce à cette absence, elle échappe au conflit qu'ont la plupart des animateurs de tenir une relation suffisamment distante avec le téléspectateur tout en conservant un certain lien affectif. Jérôme Bourdon23(*) décrit ainsi cette problématique :

« Le ton intime et la présence régulière des intercesseurs télévisuels créent de nouveaux types d'interaction sociale, ce que Norton et Wohl (1986), dans un article classique, baptisent 

« interaction parasociale ». Parasocial n'est pas loin de paranormal. Le retour régulier de figures familières produit au sein du public une croyance : ces figures la connaissent lui aussi, et cette familiarité est créatrice d'attachements et de droits -d'où des malentendus sans fin qui obligent les animateurs à cultiver ce lien à distance en rendant impossible l'accomplissement de l'intimité, à vivre dans un oxymoron de distance-proximité. Se sont établies ainsi, à la télévision et à la radio des formes standard de la familiarité publique, après quelques tâtonnements entre l'excès de familiarité et l'excès de formalité. »

Or, ici, Pascale Clark, par l'intervention unique de sa voix, échappe à cette problématique. Cela lui confère un mystère, une inaccessibilité, et elle garde ainsi son indépendance affective face aux téléspectateurs.

A aucun moment, l'animatrice n'apparaît physiquement. On est loin ici du regard « yy » d'Eliséo Veron « il est là, je le vois, il me parle »24(*). Comme on l'a vu ce procédé a pour effet de libérer l'animatrice de toutes les contraintes liées au corps. Elle peut donc affirmer son autorité sans jouer sur le registre de la séduction. De plus, cela a pour effet de mettre en valeur la parole de l'invité ; ainsi, on peut se concentrer sur ce qu'il dit mais surtout sur sa gestuelle. En effet, l'une des promesses de l'émission est de révéler ce que normalement l'invité tente de masquer dans d'autres émissions : l'état de stress, la sensibilité, le regard... D'autant que l'émission est enregistrée dans les conditions du direct ; il n'y a aucune coupure, on assiste aux hésitations face à la chaîne hi-fi lorsque l'invité doit choisir une chanson (il ne sait presque jamais sur quel bouton appuyer ), à ses tâtonnements lorsqu'il doit s'asseoir...

Par ailleurs, la présence de Pascale Clark en coulisses auprès des techniciens lui confère une indéniable légitimité ; en effet, Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay25(*) évoquent le conflit originel entre animateurs, qui brassent une attention considérée comme illégitime, et les techniciens ; « les animateurs sont visibles et dépendants, les techniciens sont invisibles et puissants »26(*). Or, ici, Pascale Clark quitte le piédestal du plateau pour rejoindre le lieu du montage, du mixage... De même, Pasquier et Chalvon-Demersay disent que l'animateur est un pion qui n'a le choix de rien dans les conditions de tournage et de montage. Or, les techniciens et l'animatrice d' « En aparté » travaillent en étroite collaboration, par leur proximité spatiale.

Deux procédés indiquent la présence de Pascale Clark : sa voix, ce qui occupera la partie suivante, et la mise en scène : en effet, les cinq caméras téléguidées suggèrent le regard de l'animatrice. Ces cinq caméras signifient une énonciation dite zéro où la narratrice est partout ; cela lui confère une indéniable autorité. Ces cinq caméras ne rechignent pas aux gros plans, elles n'hésitent pas à se focaliser sur des mains qui tremblent, sur un geste gêné. Ces caméras télécommandées naviguent sur des rails et ont chacune un angle très précis du salon ; ce sont des cadreurs qui s'occupent de les commander ; dans une régie au fond du couloir, ils sont concentrés sur des joysticks qui permettent de diriger les caméras à distance. La navigation des rails suit le fil conducteur de l'entretien.

Par ailleurs, il est à relever que l'invité aussi doit gérer cette absence. Il n'y pas ici de « regard-caméra ». L'invité ne peut s'adresser comme il peut avoir l'habitude de faire face à la caméra, dans un souci d'interpellation ou de connivence avec le téléspectateur27(*). Il est privé des ressorts traditionnels qui l'aident habituellement à assurer l'entretien. Néanmoins, il connaît le type de questions qui lui est posé et le dispositif scénique désormais familier pour d'aucuns qui auraient déjà vu l'émission.

Ils peuvent avoir différentes manières de gérer cet « inconnu » : Charles Berling, par exemple, agit comme s'il était chez lui, paraît extrêmement détendu, ce que remarque l'animatrice. François Hollande, lui, paraît plus crispé tandis que Maitena Biraben semble contrôler le dispositif.

L'avantage de cette mise en scène, pour Pascale Clark, est qu'elle peut simuler l'aisance ; inutile ici de cacher son prompteur ou ses textes. Elle maîtrise sa narration à l'abri des caméras.

Par ailleurs, cette absence crée un nouveau contrat d'entretien entre l'interviewer et l'interviewé. Le contrat traditionnel est ainsi définit par Hélène Duccini :

« L'interviewer fait modèle, la qualité de son attention peut et doit guider celle du spectateur. Il capte le regard de l'invité et recrée la situation normale de la communication, qui passe par la parole et les gestes : les silences parlent, les mimiques, le sourire, le froncement du sourcil, une moue, quelquefois imperceptibles, en disent plus que de longs discours »28(*).

Or, ici, le téléspectateur, comme l'invité est privé de ce guide d'entretien qu'est l'animatrice. L'effet de loupe est garanti sur l'invité. Les conditions de tournage d' En aparté exagèrent cette tendance qu'à la télévision d'amplifier les gestes et attitudes, ce que Hélène Duccini décrit ainsi :

« Dotée d'un petit écran, la télévision est obligée de s'approcher de son sujet, elle produit un effet de loupe. Cette exagération impose donc aux interlocuteurs une modération du geste et de l'expression. Les mains surtout accompagnent normalement le discours pour qui « joint le geste et la parole », mais il faut réprimer les mouvements brusques ou trop amples qui distraient le regard. (...). Comme le dit Rossellini, l'interview donne à la télé le sens du gros plan »29(*)

Du fait qu'il n'y ait pas d'interactions avec le public, l'invité ne peut que deviner ses réactions. Le silence et le calme régnant sur le plateau créent de la confiance. En effet, la tendance actuelle est à l'interactivité avec le public : sms 30(*)ONPP ), questions de téléspectateurs ( Nous ne sommes pas des anges sur Canal plus entre autres), participation du public ( Ca se discute sur France 2, vingt heures dix pétantes sur Canal plus).

L'intérêt d' En aparté est donc de proposer un entretien sans filet où l'invité ne sait pas sur quoi la caméra se focalise, ni où l'animatrice pose son regard. Devant ce nouveau contrat d'entretien, l'invité a le choix de se détendre ou celui de contrôler ses faits et gestes. Pascale Clark confiait lors d'un entretien à Télé Loisirs que les plus déroutés par ce processus étaient les vedettes de la télévision qui, habituées à leur prompteurs et au voyant rouge de la caméra, ne savaient plus où regarder.

Concernant l'absence du téléspectateur, elle est aussi fort signifiante. Noël Nel31(*) remarque qu' « il n'est plus un seul plateau d'émission qui ne soit peuplé d'un public parfois muet, souvent bruyant, joyeux, prompt à applaudir, siffler, réagir. C'est le règne du téléspectateur passé de l'autre coté du miroir, du téléspectateur in. ». Chez Pascale Clark, on revient à une scène épurée comme dans 93, faubourg saint honoré sur Paris Première ou Recto verso sur la même chaîne. Ce procédé, récurrent au sein des nouvelles émissions télévisées, a pour effet certes de dépouiller le décor et le rendre moins bruyant, moins intimidant pour l'invité, mais a pour effet de laisser deviner l'omniprésence de ce même téléspectateur. En effet, certes l'invité est seule et s'abandonne à une certaine intimité mais est il conscient d'être face aux 500 000 téléspectateurs de l'émission ? Le choix même du décor, un appartement, nie toute possibilité de présence de téléspectateur. De ce fait, « En aparté » possède un original mode d'intégration du téléspectateur. Ainsi, la scénographie s'en trouve plus fluide, plus inattendue. Sont mêlées ici les codes de la télévision intimiste du gros plan à ceux de la mise en spectacle de l'invité, ce qui fera l'objet de la seconde partie.

Par ailleurs, en excluant le « profane », soit le téléspectateur, le dispositif renforce l'inaccessibilité de l'individu alors que l'on était censé le rendre plus « humain ». A cet égard, la promesse d' « En aparté » conserve quelques contradictions.

Autre remarque, le caractère futuriste du dispositif. « L'acteur (Jean Rochefort, ici) trouve l'accès au plateau-salon « impressionnant ». Sorte de « Metropolis » : « on passe par un dédale de couloirs, tout est noir ». Avant, il était détendu. A présent, il sent la claustrophobie le gagner. »32(*).Ce dispositif intimide, d'autant plus qu'une fois arrivé sur le plateau, l'intervention unique de la voix déroute.

c) Une voix venue d'ailleurs

1- La dimension affective de la voix

« Pascale Clark  est une voix »33(*) ; La thématique de la voix dans « En aparté » est prééminente. En effet, cette voix est l'incarnation de Pascale Clark qui est elle-même l'incarnation du média. Elle a réussi à construire sa réputation sur la qualité de sa voix et de son écoute, ce qui est la base de sa relation avec son public :

« Le lien entre l'animateur et le public n'est toutefois pas acquis d'emblée. C'est une relation délicate, qui se construit peu à peu, et qui suppose que l'animateur parvienne à avoir une image parfaitement stable. (...) Il peut construire sa personnalité à l'écran comme autant de particularités multiples, un trait de caractère, une tournure d'esprit, un genre physique. L'important est qu'il se caractérise d'une certaine manière et qu'il n'en change pas »34(*)

Il est à noter que depuis quelques années, la voix est devenue un acteur de premier ordre dans nos sociétés médiatiques ; certaines affiches de dessins animés mettent en valeur les artistes qui y ont prêté leur voix : Alain Chabat pour « Shrek », Lorie pour « Les Indestructibles »...Ceux-ci remportent par ce biais d'énormes cachets, parfois relancent leur carrière (Eddy Murphy aux USA, Vanessa Paradis en France). Ce phénomène témoigne d'une valorisation de la voix.

On peut revenir sur la qualité de la voix de l'animatrice. Celle-ci, interviewée par Psychologies magazine à l'occasion d'un dossier, « Ce que la voix dit de nous » n'est pas très loquace à ce propos : « Ce que je pense de ma voix ? Je ne sais pas...À force de dire qu'elle est particulière, j'ai fini par l'admettre. Mais dire en quoi elle est singulière, j'en serais incapable ! C'est comme si on me parlait de quelque chose que je ne connais pas, puisque je suis la seule personne au monde à l'entendre comme je l'entends. C'est d'ailleurs troublant, quand on y réfléchit. La changer ? Quelle horreur ! »35(*). Cette voix est son instrument de travail ; le choix de l'utiliser exclusivement répond à un refus des codes traditionnels dans l'audiovisuel ; en effet, elle nie ainsi la domination de l'image et de l'apparence. La problématique du règne de l'apparence dans l'audiovisuel est explicitée dans le livre de Richard Sennett « La chute de l'homme public » :

« Au moment où s'invente l'audiovisuel, à l'orée du vingtième siècle, alors que les voix vont s'échapper du corps, la question de la représentation en public devient centrale. A un régime qu'on peut dire tranquille, où chacun est dans sa catégorie (ce que dit notamment le vêtement) et tient un rôle public, succède un régime incertain, où l'apparence en public est l'occasion d'un perpétuel et interminable déchiffrement, où nous sommes tous des détectives lisant les visages, écoutant les vacillements de voix, traquant les jeux des corps, et très soucieux de ce que nous projetons (...). L'audiovisuel est intervenu dans cette histoire en séparant (...) spectateurs-auditeurs (soit « nous ») et « eux » soit les autres, les olympiens »36(*).

En intervenant uniquement par sa voix, Pascale Clark se distingue d' « eux » pour rejoindre les « spectateurs-auditeurs », c'est-à-dire « nous ». Elle est invisible comme l'est le téléspectateur et nous rejoint ainsi dans notre mode de perception. A contrario, cette présence uniquement vocale a aussi pour effet de la mystifier, de la rendre inaccessible, que ce soit pour nous ou pour l'invité.

Selon Jean Abitbol37(*), oto-rhino-laryngologiste, une voix révèle notre personnalité : faible, elle signifie une peur de communiquer, forcée, elle révèle une fragilité, monotone, un malaise avec son corps, criarde, un besoin de s'imposer et aigue, un manque d'assurance. Or, la voix de Pascale Clark est douce, rassurante, pousse à la confession. Elle a des accents maternels. De plus, à l'écoute de l'émission, on remarque que le son de sa voix imprègne tout l'espace, ce qui confirme cette impression de « foetus » médiatique qu'est cet appartement. Cependant, l'invité reçoit la parole de l'animatrice par le biais d'oreillettes et on devine le trouble qu'il peut ressentir à l'écoute de cette voix. Enfin, le téléspectateur n'a pas la même perception de la voix que l'invité.

Certaines mythologies accordent à la voix un pouvoir particulier, comme par exemple dans les textes d'Homère et sont repris par la suite dans des études psychanalytiques :

« Dans le texte d'Homère, les sirènes charment les marins par la douceur de leur chant (...) En quoi la voix pure d'une femme, celle d'une séduction totale est-elle mortelle ? Est-ce qu'elle empêtre l'homme dans son désir ? Le rend-elle captif, lié ? Une des étymologies de Sirène est « celles qui attachent avec une corde. »38(*)

On en revient ici au lien entre pouvoir et voix. La voix, par ses caractères de séduction, peut donc hypothétiquement exercer une forme de domination (en « liant » donc) sur autrui.

« En effet, le chant séducteur des sirènes se décline en trois expressions qui désignent leur voix : « phtoggos » (le cri, l'inarticulé, la mort), « op's » et « aoïde » (qui n'est pas un contenant, mais un contenu, ce n'est pas la voix mais l'hymne lui-même) ».39(*)

Dans cette classification, le « op's » va retenir notre attention.

« Op's » fait toujours peu ou prou référence à la parole, il tire vers la séduction ; dans ce terme prédomine le sens physique avec une forte connotation d'harmonie et une fréquente récurrence pour désigner une voix de femme.

« Op's »serait la voix douce, maternelle, cette voix ancestrale, du début, d'avant le sevrage, en un temps où rien n'étai encore perdu ».40(*)

Il est à noter que le parallèle de la voix de Pascale Clark avec le chant des sirènes est présent sur le site de Canal plus réunion, à l'occasion d'une article sur « les coulisses de l'émission »41(*) : « Pendant l'enregistrement, on peut entendre la voix suave de Pascale, qui s'échappe des régies, et comme le chant des sirènes, envoûte l'invité qui se laisse guider ».

Le « op's » serait le « Grand Autre maternel ». Pascale Clark, par l'exercice de sa voix, concentrerait donc tout une palette de séduction, qui serait ainsi son instrument de pouvoir. Un pouvoir qui serai du registre maternel. Dans le même ouvrage, Colette Bigio observe un changement de registre du point de vue de la séduction : « Pourrait-on déduire que la séduction passerait du registre pulsionnel lié à la voix, à celui du regard, que la voix s'est tue au profit d'une capture du regard par la beauté ? » Dans cette optique, Pascale Clark s'inscrirait dans un registre antérieur du point de vue de la séduction, ne souhaitant pas céder au diktat de l'apparence. « La voix est une sorte de support au désir de l'autre que le sujet trouve au même rang que le regard ».42(*)

Didier Lauru va plus loin en faisant un petit rappel étymologique :

« La voix serait une sorte de troisième terme qui noue le signifiant et le signifié et qui tisse le lien entre le sujet et l'autre. Il se trouve que tessiture a la même origine que « tisser ». Ainsi, le sujet tisse sa voix au miroir de l'autre ».43(*)

Le choix de la voix comme unique mode de communication confère à la conversation une intimité, un lien. On tisse, on lie. On revient aussi a un mode de conversation originel où la confiance repose sur la douceur de la voix : le mode maternel. Ici, lorsque l'invité accepte de participer à « En aparté », il sait qu'il devra confier ses gestes et sa parole (qui est censée être dirigée par les questions de l'interviewer) à l'animatrice. Un contrat tacite se crée. Une certaine confiance doit être de mise, une certaine relation affective se crée. Lorsque cette confiance est rompue, des conflits similaires à des crises familiales peuvent avoir lieu. On peut penser par exemple à la prestation de Mickaël Youn chez Marc-Olivier Fogiel du mardi 24 octobre 2004 ; l'humoriste, blessé que l'animateur ne le supporte pas après une plaisanterie douteuse, s'était mis à geindre et à l'insulter comme un adolescent aurait réagit avec son père. Il sortit du plateau immédiatement et créa un mini séisme médiatique.

Pascale Clark choisit ses invités : par exemple, elle a pour mot d'ordre de ne pas recevoir les vedettes de la télé-réalité. Pourtant, elle a bien voulu accueillir Nolwenn, une transfuge de  Star Academy : appréciant son parcours, elle voulut le faire partager. Une certaine part d'affectif intervient donc ici. Par ailleurs, ses invités le lui rendent bien, car leur prestige rejaillit sur l'animatrice et conforte son autorité ; « la vedette est l'indicateur de la position de l'animateur (...). Chaque vedette cherchera à être reçue par l'animateur le plus haut placé. Chaque animateur cherchera a recevoir les plus grandes vedettes »44(*). Or, l'émission de Pascale Clark attire nombre de personnalités courues, et même des hommes politiques majeurs, tel François Hollande ; l'animatrice entraîne tout ce beau monde sur le terrain affectif. De plus, elle donne à ses invités l'occasion de se mettre en valeur. Elle les met rarement en difficulté ; « Selon qu'il (l'animateur) leur posera des questions idiotes ou adéquates, il leur offrira ou non l'occasion de briller »45(*).

Pour aller plus loin, comparons le statut de Pascale Clark au statut de l'analyste et celui de l'interviewé à celui du patient, en se fondant sur l'étude de Françoise Meyer :

« (...) Il y a malgré tout un espace temps entre le dire et l'entendu. Cet espace temps est un parcours incalculable du son qui va du locuteur à l'auditeur. On peut repérer ce décalage. Par exemple, au moment où l'analyste se fait écho d'un mot du patient, une temporalité s'inscrit. La répétition du dit par l'analyste marque l'antériorité du dire de l'analysant par rapport au dire de l'analyste. Le temps du dit de l'analyste fait retour sur le déjà dit du patient, qui apparaît ainsi dans un temps disjoint du second dit. Il y a une coupure du temps et une coupure de l'espace. L'analyste apparaît dans sa présence, du fait de l'effet de sa parole, comme un autre disjoint de sa parole. La parole de l'analyste marque :

- le temps du dire de l'analysant

- le temps où sa parole d'analysant est entendue de l'analyste comme autre

- le temps où la parole de l'analyste fait retour à l'analysant, il s'agit de sa propre parole, mais dite par l'autre.

Ainsi s'opère un circuit. Il y a homothétie d'un dire et d'un autre dire, au regard de l'analysant. L'analyste apparaît comme semblable au sujet. Comme Echo, la nymphe éconduite par Narcisse, l'analyste renvoie l'écho, signe de l'amour  »46(*).

L'isolement de la voix comme mode d'expression accentue ce processus où le temps dissèque les paroles de l'animatrice et de l'invité. Il se passe des micros plages de temps entre le moment où l'animatrice pose sa question et où l'invité la capte. Ce rapport au temps crée une promiscuité entre l'interlocuteur et son destinataire. En fait, l'interlocuteur flatte le narcissisme de l'invité en se posant symétriquement face à lui, par son dire.

On devine que le type de relation instaurée peut soit mettre l'invité à l'aise, qui enveloppé dans ce carcan maternel peut s'y détendre, soit le être mal à l'aise selon le rapport qu'il a pu avoir avec l'autorité maternelle.

Ce rapport à la voix est quelque peu novateur par rapport à sa vision traditionnelle qui prend normalement effet dans les médias : selon Michel Chion47(*), l'utilisation de la voix en audiovisuel est trompeuse :

« L'audiovisuel est moins vococentrique qu'il n'est verbocentrique. Enfin, les voix de l'audiovisuel sont aussi, potentiellement, menteuses : entendez que, même au plus près du corps, disons dans la transmission télévisuelle en direct, nous ne sommes jamais sûrs de ne pas avoir affaire à un faux raccord du corps et de la voix, à une demi-présence, à un ectoplasme qui se fait passer pour un ami quotidien (...). L'audiovisuel est aussi une technique qui permet la tricherie : voix en direct qui ne l'est pas (cas classique), voix qui parait dans ce corps et qui ne l'est pas (c'est la play back mais aussi le doublage) (...) Il y a, dans tout régime de la voix de l'audiovisuel, un travail de réparation, une technique de la croyance, pour ainsi dire, qui permet d'en rétablir le scandale de la désincorporation. »

Or, ici, la voix apparaît pure, incarnée, ne subit aucune modification, ce qui est inhabituel. Ainsi s'instaure un régime de confiance. De plus, par le fait que l'émission soit réalisée en direct, l'invité sait que questions et réponses ne seront pas modifiées ou sorties de leur contexte. On est loin ici des émissions comme Tout le monde en parle où interviennent après le tournage de nombreuses modifications, des mixages parfois improbables, qui dénaturent les propos des invités, qui s'en plaignent par la suite. Le ton est de même extrêmement différent car courtois en toutes circonstances. Or, comme le dit Jacques Chancel, journaliste réputé, « rechercher la polémique n'incite pas les invités à s'ouvrir. C'est au contraire par la courtoisie que l'on recueille des choses intéressantes. »48(*)

2- La dimension autoritaire de la voix de Pascale Clark

Selon Jérôme Bourdon49(*), il existerai trois régimes de la voix: la familiarité des animateurs (qu'il appose aux radios et télévisions privées), l'autorité des commentateurs (concernant plus les stations publiques), et désormais la voix de l'intimité, importée des Etats-Unis et des émissions d'Oprah Winfrey. Il cite le Psy-show de Pascale Breugnot, entre autres. En fait, la voix de Pascale Clark s'inscrirait plus dans la dernière catégorie. Apparemment douce, cette voix n'en garde pas moins un caractère autoritaire.

Selon le même auteur, « l'autorité, c'est de pouvoir parler sans être touché, et parfois sans être vu, ou de loin. (De ce fait, tout l'audiovisuel est d'emblée autoritaire). Par contre, il dit que la voix d'autorité, distante, intouchable, est une voix d'homme (...) tandis que les demoiselles du téléphone, inférieures dans la hiérarchie, mais aussi connectant des communications interpersonnelles, donc plus incorporées, plus émotionnelles, ont été des voix de femmes, tout de suite. »50(*).

Cette vision est intéressante car témoigne des clichés de notre société qui permet peu aux femmes de s'exprimer sur un mode autoritaire. Elles restent cantonnées à des fonctions d'écoute et de conseil tandis que l'homme s'occupe plus des caractères décisionnels. Quelques animateurs dérogent à la règle : Jean-Luc Delarue dont l'émission Ca se discute constitue une référence en matière d'émissions confessionnelles, Pascale Bataille et Laurent Fontaine qui eux, misent plus sur le côté « réconciliation ». Mais il est vrai qu'en général la femme occupe ce registre. En aparté détourne ce code traditionnel pour ériger la femme en meneuse. Elle mêle distance et rapport émotionnel, deux ingrédients qu'elle dose selon le type d'invité qu'elle reçoit. En effet, la relation qui s'instaure change à chaque fois ; Pascale Clark, d'ailleurs, préfère ne pas voir ses invités avant l'émission pour préserver la fraîcheur de la rencontre « je (Pascale Clark) ne le vois jamais avant, je veux juger sur la première impression, un peu comme dans la vie »51(*).

Cependant, on note que Pascale Clark combine cette capacité relationnelle inhérente aux animatrices « confessionnelles » et cette part d'autorité presque masculine qui lui vaut une crédibilité qui lui permet d'être face à des politiques. Son ton se doit d'osciller sans cesse entre la familiarité et l'autorité. Cela dépend en fait de son interlocuteur. Face à Charles Berling, elle se permet une familiarité moins contrôlée qu'avec François Hollande par exemple. Face à Maitena Biraben, elle recadre vers l'autorité car une relation de compétition sous-jacente s'instaure entre les deux animatrices. Il s'agit donc d'une personnalité protéiforme.

d) De la mère au maître

Une animatrice de télévision peut être aisément être perçue comme une figure d'autorité. Les animateurs constituent au sein de l'espace médiatique des figures de référence du moins auprès du public. En effet, par rapport aux autres professionnels de la télévision, ils souffrent d'un défaut de légitimité. Comme l'évoquent Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay dans leur étude « Drôles de stars, la télévision des animateurs » :

« Le moment du tournage se traduit par une spectaculaire inversion des relations hiérarchiques : on assiste à la prise de pouvoir de l'animateur sur toutes les catégories qui le dominent : le producteur, le responsable de programmes et même l'invité. C'est lui qui, en libre improvisation, distribue la parole, module les questions, crée les enchaînements, rattrape les incidents. »

Dans un lieu et pendant un temps, l'animateur a un réel pouvoir sur toutes les entités qui l'entourent. Or, comme le dit Michel Foucault, le pouvoir est l'exercice institutionnel de l'autorité. Et, comme le constate Hannah Arendt, dans son étude 52(*)« Qu'est ce que l'autorité ? », les autorités traditionnelles s'effondrent de manière dramatique. Et l'on imagine l'émergence d'autres types d'autorité, dont l'autorité télévisuelle. La modernité, effectivement ne fait pas toujours bon ménage avec cette notion d'autorité. Les médias d'ailleurs s'intéressent régulièrement à cette problématique de l'autorité, à travers notamment des émissions de télé-réalité comme « Super Nanny » ou « Le pensionnat de Chavagnes ». Les chercheurs en sciences sociales s'accordent à constater que les institutions traditionnelles comme l'Etat, la famille, l'école, tendraient à s'effondrer. Par ailleurs, la télévision se révèle être comme un substitut familial dans nos sociétés contemporaines aux cellules familiales éclatées. Les animateurs et autres figures médiatiques tendent à devenir des figures d'autorité, avec qui nous develloperions des liens affectifs.

Au sein de l'espace médiatique, acquérir une autorité, surtout lorsque l'on est une femme, n'est pas chose aisée. Il faut instaurer un certain type de rapport.

Dans cette partie je vais revenir sur les différentes statures d'autorité que revêt Pascale Clark dans cette émission. En effet, comme on l'a vu précédemment, Pascale Clark se détache de la conception classique que l'on peut avoir d'une animatrice télévisée. Hormis les journalistes « pures » comme Christine Ockrent, Anne Sinclair, rares sont celles qui réussissent à capter l'auditoire masculin. On pense notamment à Ariane Massenet qui avait du mal à s'imposer face à Marc-Olivier Fogiel dans ONPP. L'émission d'entretien, surtout quand il est seul à seul requiert un certain charisme pour que l'on arrive à extirper un discours non convenu de la part de son interlocuteur. L'animateur, et surtout l'animatrice, se doit de se tailler un personnage à sa mesure, et ce afin d'acquérir une crédibilité, une autorité : une légitimité suffisante pour questionner les puissants, soit les hommes politiques.

 En aparté peut être considérée comme une institution télévisuelle. En quatre ans, peu d'éléments du dispositif scénique ou du décor ont changé. La voix, l'ambiance, restent les mêmes. Cela confère à l'émission un côté figé, contrôlé où la notion de pouvoir peut prendre effet. Michel Foucault53(*) définit le pouvoir par le « contrôle de la production du discours ». Or ici, tout dans le dispositif et dans la stratégie de « meneuse » de discours qu'est Pascale Clark tend à nous démontrer que le discours de l'invité est cadré par ce que le dispositif permet. De ce fait, on peut s'interroger sur le statut de Pascale Clark. Celle-ci a acquis au long de ces années un côté institutionnel, au même titre que son émission, une autorité. Cette autorité prend différentes formes et fonctions, ce que nous allons étudier.

Selon Alexandre Kojève54(*), « l'autorité est la possibilité qu'a un agent d'agir sur les autres (ou sur un autre) sans que ces autres réagissent sur lui tout en étant capables de le faire ». Or, l'animateur en général a ce pouvoir ; le temps d'une émission, il dispose d'un invité. Alors que dans la plupart des émissions, ce contrôle de l'invité est relatif, dans En aparté, il est bien plus remarquable. En effet, la relation est ici limitée à deux personnes (et une troisième entité, le public, ce que nous verrons plus tard). Cependant, l'invité a moins la possibilité d'agir sur Pascale Clark comme l'indique la définition. Quoi qu'il puisse toujours avoir la possibilité de rejeter le dispositif, et aller dans les coulisses pour aller la voir... Dans ce cas-ci, toute l'autorité de l'animatrice serait remise en question.

On peut dire que l'autorité de l'animateur est en quelque sorte originelle. Alexandre Kojève rajoute que l'autorité doit être reconnue par ses sujets : « toute autorité humaine qui existe doit avoir une cause, une raison, ou une justification de son existence : une raison d'être ». En pénétrant dans les locaux d' « En aparté », l'invité sait à quoi s'en tenir. Par le fait même d'avoir accepté de participer à l'émission, il cautionne le dispositif et de ce fait l'autorité de l'animatrice. Il accepte, le temps de l'émission d'être « soumis » à ses questions. Il la reconnaît comme légitime. Ces questions posées par l'animatrice caractérisent cette autorité. En effet, la manifestation de l'autorité selon Kojève est ce qui impose une action, un changement :

« Il n'y a autorité que lorsqu'il y a mouvement, changement, action (réelle ou du moins possible) : on n'a d'autorité que sur ce qui peut « réagir », c'est-à-dire changer en fonction de ce ou de celui qui représente l'Autorité (l' « incarne », la réalise, l'exerce). Et de toute évidence, l'autorité appartient à celui qui fait changer, et non à celui qui subit le changement : l'autorité est essentiellement active et non passive. »

Les questions posées par l'animatrice ont pour objectif d'apporter des données nouvelles sur l'invité. Ainsi, elles ont pour but de le faire réagir. Ici, l'animatrice agit et l'invité subit. Cependant, ce dernier peut avoir différentes postures. Soit il respecte ce schéma, à l'image de Louis Bertignac55(*) par exemple qui se laisse entièrement guider par l'animatrice, ou il contourne les questions et prend les devants à l'image de François Hollande : Lorsque Pascale Clark voulut ériger un parallèle entre le parcours de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande, ce dernier a nettement évité le sujet pour en revenir à lui. L'invité a toujours la possibilité de contrarier l'autorité de Pascale Clark. Seulement, celle-ci risque de perdre son autorité s'il y a trop fréquemment ce type de feinte. En effet, nier la légitimité de l'autorité signifierait la détruire.

Par la variété même des personnalités qui se pressent aux portes d' « En aparté », on a affaire successivement à plusieurs types de rapports.

Kojève distingue quatre types d'autorité : l'autorité du père (sur l'enfant), celle du maître (sur l'esclave), celle du chef (sur la bande), et celle du juge (sur celui qu'il juge). Nous allons observer comment Pascale Clark s'inscrit dans cette classification.

1 - La mère

« L'autorité de l'être, c'est l'autorité du type « père » :l'autorité de la cause, de l'auteur, de l'origine et de la source de ce qui est : l'autorité du passé qui se maintient dans le présent par le seul fait de l' « inertie » ontologique de l'être »56(*).

Pascale Clark s'inscrit sans problème dans cette définition car elle demeure aux yeux du téléspectateur et pour l'ensemble de l'espace médiatique, une institution, une autorité qui prend effet dans le temps. Par la pérennité même de l'émission (quatre saisons à ce jour), elle prend autorité. Ce serait donc la durée et le rapport au temps d'une émission qui participerait à son autorité. Ainsi, des émissions mythiques font autorité dans chaque domaine : « Taratata » a fait date dans l'histoire des émissions musicales, donnant une légitimité pendant un certain temps à son animateur Nagui. Le mythique « Bouillon de culture », par sa durée a fait de Bernard Pivot une référence, une autorité dans le domaine des présentateurs d'émissions littéraires.

C'est donc l'inscription dans un certain passé qui définirait l'autorité. L'autorité du type « père » se remarque aussi parfois chez l'invité. En effet, cette autorité signifie aussi l'autorité de la cause, soit l'autorité de l'auteur sur son oeuvre ; or, la présence de l'invité dans cette émission se justifie par l'existence de son oeuvre. L'émission peut elle aussi être considérée comme l'oeuvre de Pascale Clark. De ce fait se confronteraient deux types d'autorité de type « père ». On en revient au fait que Pascale Clark peut refuser d'accueillir un invité si celui-ci n'a pas un parcours valable à ses yeux ; elle exige en fait l'existence d'une oeuvre pour permettre la relation. Ce qui explique son refus d'accueillir des vedettes de la télévision réalité. L'autorité du type « père », comme son nom l'indique, est donc une autorité de type familiale ; en fait, Pascale Clark veut se reconnaître dans la figure en face d'elle. Ainsi, elle se permet une relation de type maternel ; elle met à l'aise l'invité par le biais de sa voix, le rassure dans son narcissisme par des compliments...Elle apparaît comme une mère, effet accentué par les indices d'hospitalité de l'émission. On prend soin de l'invité, on le « materne » au sens prosaïque du terme. Comme le dit Dominique Mehl57(*), « le pacte de l'hospitalité est venu remplacer le pacte du spectacle et de l'apprentissage ».

Par ailleurs, les questions posées par Pascale Clark ont trait au passé, au vécu. Or, le Temps fait autorité.

« Ce n'est pas la passé en tant que tel qui a de l'autorité ; la nature est plus ancienne que l'homme, l'âge d'une pierre peut être fort « vénérable ». Il n'y a néanmoins aucune autorité dans ces cas-là. Le passé qui exerce une autorité sur moi est un passé historique ; c'est mon passé, c'est-à-dire le passé qui est censé déterminer le présent en vue de l'avenir (...) on peut donc dire que le temps -dans le mode du passé - se manifeste sous forme « autoritaire » en tant qu'autorité du père, et que cette dernière a son fondement métaphysique dans la présence du passé dans le présent, c'est-à-dire dans toute réalité faisant partie d'un monde temporel »58(*).

Par ailleurs, il est à noter que l'espace temps de l'émission lui confère de même une autorité. En effet, l'entretien se déroule dans un contexte spatio-temporel indéfini : aucun indice dans l'appartement n'atteste d'une inscription particulière dans le temps, hormis le fait que l'ensemble du décor est assez futuriste. Or, Kojève érige « l'autorité de l'éternité » comme autorité supérieure ; lorsqu'il y aurait « négation des modes particuliers du Temps59(*) ». En fait, ici, la figure d'autorité de type « père » n'est pas Pascale Clark mais tout le dispositif, incluant Pascale Clark. La pression du décor, ajoutée à la pression de la voix, formerait une entité qui ferait autorité auprès de l'invité. Ce dernier, pris dans ce dispositif autoritaire se trouve alors dans la position de celui qui se justifie, qui explique son passé. Pascale Clark revêt alors une figure de « juge », autre type d'autorité défini par Kojève.

2 - La juge

Chez Platon, l'autorité « juste » ou « légitime » repose sur et émane de la « justice », ou « équité ». En appliquant ce précepte à « En aparté », on constate que Pascale Clark se doit d'être juste et équitable envers tous ses invités. En effet, elle valide en quelque sorte le parcours artistique, politique, sportif de son invité. La promesse d'En aparté est de révéler le recul qu'ont les personnalités face à leurs oeuvres. En effet, il est fréquent que l'animatrice demande leurs avis sur des éléments de leur biographie. Ceux-ci ont donc l'occasion ici de justifier de leurs choix parfois hasardeux. En fait, Pascale Clark revêt plus le rôle de confesseur que de juge. Kojève englobe dans cette « autorité du juge » : l'autorité de l'arbitre, du contrôleur, du censeur, du confesseur, de l'homme juste ou honnête. Pascale Clark a donc pour rôle d'être équitable dans ses jugements pour maintenir son autorité ; de ce fait, l'émission « En aparté » a revêtu au cours des années un caractère de « confessionnal » du monde médiatique. On y vient se confier, confesser ses erreurs et se voir rassurer dans son statut de « personnalité ». On y vient conforter son importance.

3- Le maître

La posture de Pascale Clark face à son invité fait par ailleurs penser à la vision d'Aristote du Maître face à l'esclave60(*).

« Le Maître a le droit d'exercer une Autorité sur l'Esclave parce qu'il peut prévoir, tandis que ce dernier ne fait qu'enregistrer les besoins immédiats et se fait guider par eux. C'est donc, si l'on veut, l'Autorité de l' « intelligent » sur la « bête », du « civilisé » sur le « barbare » (...) C'est aussi l'autorité de qui passe une commande sur celui qui exécute. Celui qui se rend compte du fait qu'il voit moins bien et moins loin que l'autre se laisse facilement mener ou guider par lui ».

En fait, le dispositif d' « En aparté » crée artificiellement un rapport, certes limité dans le temps, de maître sur l'esclave. Le temps d'un entretien, l'animateur contrôle l'invité et de même pose les conditions au sein desquelles son discours va se produire. Pour ce, le discours produit serait considéré pour certains comme dénaturé car « contraint » ; Pierre Bourdieu61(*) par exemple, estime que les « conditions de communication » et le fait que le « sujet soit imposé » conjugué à « la limitation du temps (...) impose au discours des contraintes telles qu'il est peu probable que quelque chose puisse se dire ». En fait, ce dispositif, selon lui ne faciliterait pas l'échange. Pourtant, il ne faut pas oublier que Pierre Bourdieu reste extrêmement sceptique vis-à-vis de la télévision en général et que les contraintes, si elles posent les limites d'un certain discours, n'entravent que peu la liberté de l'invité au final. Celui-ci, en choisissant pour sa promotion d'apparaître au sein de telle ou telle émission sait à quoi s'en tenir. Lui même a choisi plus ou moins sciemment le type de contrainte au sein duquel il souhaitait apparaître. En choisissant une émission dans lesquelles il sait que son corps et ses réponses seront fortement guidés par l'animatrice, il a la possibilité de prévoir ce qu'il va dire et comment il va réagir. Dans ce cadre ci, il reprend de l'autorité sur la Maître originel qu'est Pascale Clark. Il peut aussi renverser la donne et imposer à l'animatrice son rythme, sa volonté. On le voit lors de l'intervention de Charles Berling : Pascale Clark avait prévu un certain emplacement pour le premier entretien qui a lieu normalement d'un certain côté du bar. Or, l'acteur s'est mis de l'autre côté ce qui a surpris l'animatrice - et qui le lui a fait remarquer- Lui, notant sa surprise l'a déstabilisé en y restant. Or, avant chaque enregistrement, des acteurs testent les caméras téléguidées et prévoient les plans ; le parcours de l'invité est planifié. Celui-ci peut aussi s'amuser avec le dispositif, détourner certains codes : Béatrice Dalle, lors de son passage, avait photographié son nombril au lieu du traditionnel portrait.

Michel Foucault dans « L'ordre du discours » parle de lieu du discours qui nous impose des comportements et nous installe dans un ordre. Cette définition prend sens ici : un style de discours est imposé, certes, mais on peut toujours avoir la volonté d'en tester les limites. Le dispositif d'En aparté est juste, ou du moins semble juste ; de ce fait, les invités respectent le lieu du discours. De même, deux types d'autorité se confrontent ici, la personnalité médiatique et une personnalité « réfèrent ». L'une porte le sceau de la création, l'autre du jugement.

Deuxième partie :

La spectacularisation de l'intime

En Aparté s'inscrit dans un mouvement des médias en général et de la télévision en particulier qui privilégie les instincts voyeuristes chez le téléspectateur. L'arrivée de l'émission est simultanée à celle de Loft Story. Je vais étudier dans une première partie en quoi cette tendance au « zoo humain » devient un genre de spectacle caractéristique de notre époque.

A) Le « zoo humain »

A titre de rappel, l'arrivée de Loft story avait déclenché une vive polémique qui nous paraît désormais fort obsolète, au regard de toutes les nouvelles émissions de télé-réalité qui inondent nos écrans. Le dispositif était fortement critiqué, on parlait de violation d'intimité, on comparait avec le 1984 d'Orwell ou avec les camps de concentration nazis. Le débat fut violent. Or, En aparté s'est glissé discrètement, en septembre 2001, soit un été après Loft Story, dans nos programmations en empruntant le dispositif cher aux émissions de télé réalité mais en l'utilisant pour interviewer des célébrités plus « nobles ».

Pourtant, une même volonté guide les émissions de télé-réalité et En aparté: chacune joue le jeu de l'exhibitionnisme des candidats/invités répondant au voyeurisme du téléspectateur. Cependant, l'émission de Canal plus détourne la promesse de la télé réalité en mettant en spectacle des habitués justement de la mise en spectacle. De ce fait, elle en tire une légitimité que les autres émissions n'ont pas. On ne blâme pas son exploitation des anonymes, critique récurrente des émissions de télé-réalité. De plus le cadre temporel restreint de cette mise en spectacle -l'émission ne dure que vingt deux minutes- ne prête pas à une dénonciation de l'enfermement de l'invité.

1- Les mêmes fonctions qu'un zoo

On retrouve cependant les mêmes ressorts que dans le spectacle zoologique ; en premier lieu, la quête de l'authenticité. Olivier Razac62(*) énonce la maladresse comme première forme d'authenticité : «  Cette spontanéité dans l'expression garantit l'intensité émotionnelle de l'émission ». Or le dispositif d'En aparté propose moult stratagèmes pour tester la maladresse de l'invité : manipuler un appareil photo, faire fonctionner des diapositives, une chaîne hi-fi ultra moderne... La plupart d'ailleurs fait une petite remarque là dessus. Par ailleurs, les émissions de télé-réalité ont pour but d'attester de la « normalité » de l'invité/candidat :

« L'invité espère que la discussion l'éclairera sur lui même et confirmera sa normalité. L'émotion et la vérité exprimées avec spontanéité assurent l'authenticité de l'anonyme (ici, la personnalité). « Il est comme vous et moi, ce qu'il dit est vrai et réel ».

En fait, tout comme l'anonyme a envie de se sentir accepté dans la société, la personnalité a elle aussi besoin de prouver à son public qu'elle est comme lui, qu'elle aussi peut être mal à l'aise. Pour ce, nous allons établir un parallèle avec l'étude qu'en a fait Olivier Razac dans de son ouvrage « L'écran et le zoo : spectacles et domestications, des expositions coloniales à Loft Story ». Celui-ci a pris pour exemple « Loft Story » et nous allons appliquer sa réflexion à  En aparté. Son hypothèse est que les émissions de télé-réalité reprennent le principe de « zoo » humain :

« Dans ce spectacle, celui qui est exposé est placé dans un décor qui imite son milieu naturel. Il est dressé par des indications de mise en scène. Il s'expose selon ce qu'il attend d'un public (...). Il se compare à des individus sincères qui ne sont que les spécimens d'une typologie spectaculaire. Il adhère à une réalité domestiquée par le spectacle »

Cette comparaison est judicieuse sur de nombreux points. En effet, dès le dix neuvième siècle, des expositions ethnographiques sont apparues, avec succès, témoignant de l'intérêt originel de l'homme pour ce type de spectacle. Carl Hagenbeck, un citoyen allemand, avait exposé des lapons avec des rennes dans son jardin et avait fait payer cette exposition. Devant le succès rencontré, il en avait fait de même avec des nubiens du désert. Puis il fut l'un des précurseurs des expositions ethnographique reproduisant ce type de spectacles à travers le monde pendant une quarantaine d'années. Hagenbeck, pour justifier ce succès, invoquait la naïveté de la mise en scène : « Le principe est là. Le succès tient au caractère ambigu de ce spectacle. Ce n'est pas l'artifice, l'illusion qui attirent, mais l'authenticité et la vérité de ce qui est vu »63(*). Cependant, au fur et à mesure que ces spectacles réussissaient, certaines tribus identifiaient ce qui plaisait aux spectateurs et le reproduisaient dans le but de leur plaire : il cite les indiens qui faisaient payer pour leurs danses et acrobaties. Ce que l'on peut aisément appliquer à l'émission qui nous intéresse ; l'invité y a tout à fait le choix d'y feindre l'authenticité en livrant un numéro cher à son public. Cependant, le dispositif d'En aparté limite cette tendance. Par exemple, un animateur télévisé, citons Arthur, ne peut se permettre une prestation comme dans Les enfants de la télé ou Arthur et les pirates, émissions au ton régressif. Le cadre d'En aparté l'invite à la réflexion, à la maturité. Cependant, pour d'autres personnalités naturellement enclines à cette réflexion, notamment les acteurs, rompus aux entretiens sur leur vie privée, ce cadre peut les inciter à livrer une prestation dont ils savent qu'elle sera appréciée par leur public : ils peuvent feindre une personnalité torturée par exemple.

Autre point commun entre les spectacles zoologiques et les émissions que l'on qualifierait d' « enfermement » : la réaction du public. Dans les deux cas, certains sont réticents, voire gênés face à ce type de spectacle tandis que d'autres crient au scandale. Mais la plupart ne cesse de se moquer. Une certaine condescendance se crée chez les spectateurs ; condescendance que l'on peut aussi ressentir devant En aparté. En effet, libre à nous de rire de certaines réactions. Nous sommes dans un type de relation où l'on est invisible et où l'on n'est pas jugé tandis que l'invité est livré à des milliers d'avis et de jugements de téléspectateurs. Ainsi, on peut inverser le rapport de supériorité que l'invité/personnalité a sur nous. L'invité quant à lui est réellement enfermé le temps de l'émission. Or, selon Olivier Razac, « la première fonction d'un zoo est d'exercer un pouvoir sur les corps des hommes ou des animaux voués à être exposé ». Le média s'octroie donc un pouvoir de ce type le temps d'un entretien. Au final, l'invité est confronter à la domination tant du média que du téléspectateur tout comme l'animal est dominé par ceux qui l'exposent et ceux qui le regardent. Il ajoute64(*) que « le zoo est un lieu d'étude et de restitution pédagogique de ce savoir (...). On peut aussi utiliser le zoo comme un lieu privilégié d'observation des comportements ». Ainsi, comme seconde fonction, « le zoo produirait un savoir sur les individus et les populations qu'il enferme et qu'il exhibe ». Or, En aparté a pour promesse de nous faire découvrir les états d'âme, l'intimité des « people ». On est ici dans la découverte d'une altérité qui échappe à l'anonyme-téléspectateur, celle des gens célèbres. Enfin, troisième fonction énoncée par Oliver Razac et applicable à « En aparté », le zoo fournit un spectacle aux visiteurs. « Pour ça, il faut que les spécimens soient bien visibles, que l'oeil du spectateur accède le plus directement possible à l'image du comportement spectaculaire »65(*). Or ici, place est faite aux gros plans et à une mise en scène omnisciente. Dans l'émission de Pascale Clark, chaque attitude, geste est traqué. Cette traque de l'intimité fournit un spectacle aux téléspectateurs. Ces deux notions antinomiques cohabitent dans cette émission, tout comme elles cohabitent dans l'espace zoologique. De même, autre point commun, la volonté de recréer un espace « naturel ». Ici, on rejoint l'esthétique de Loft Story sauf que chez Pascale Clark, le « standing » est supérieur. Malgré des objets et meubles à peu près ordinaires, la lumière artificielle, de plateau, et les indices de caméra viennent tronquer cette prétention d'authenticité, cette illusion du réel.

Olivier Razac définit de même l'intérêt d'un zoo par le fait que ceux qui sont exhibés doivent attirer l'attention des spectateurs d'une manière « positive ». « Si l'animal ou le sauvage parait paresseux, il faut le stimuler. On impose des exercices typiques ». Il en est de même pour l'invité. Si il est inactif, le rôle de Pascale Clark est de le simuler par des exercices ; Charles Berling, s'il n'était pas dirigé par l'animatrice n'aurait pas grand intérêt. Il n'est pas bavard, n'a pas a priori quelque chose à dire.

2- « Voir sans être vu »

Selon Michel Foucault cité par Olivier Razac, « notre société n'est pas celle du spectacle, mais de la surveillance »66(*). Il définit le principe de surveillance par le fait de voir sans être vu. Ce principe de « voir sans être vu » contamine les formes de spectacle actuelles67(*). Dans En aparté, l'invité ne sait où les caméras se focalisent, où le téléspectateur regarde ; l'invité vit une vraie situation de surveillance totale ; en effet, un candidat de télé réalité ou un prisonnier sait quels sont les moments forts de sa surveillance et quand il peut réaliser les choses interdites ; il sait quand la surveillance faiblit. Or, ici, pas de répit. La « dissymétrie optique » est encore plus flagrante que dans un spectacle classique. La dissymétrie optique définit le fait que la scène et le public soient deux espaces séparés où les spectateurs sont invisibles et les acteurs éclairés. « Le spectateur est d'autant plus réceptif que sa personnalité n'est plus en jeu pendant le spectacle »68(*).Ainsi, le téléspectateur concentre son attention sur l'invité. L'une des prétentions du décor d' En aparté est de recréer un espace scénique censé être semblables aux espaces de vie du téléspectateur. L'appartement pourrait ressembler à celui d'un téléspectateur de Canal plus : branché, confortable, un brin « high tech ». Ainsi, lors de la diffusion de l'émission, invité comme téléspectateur se retrouvent dans un salon, un effet de symétrie s'opère autour de l'écran. La dissymétrie optique chère au spectacle classique s'atténue. Comme dans un zoo, les invités et les téléspectateurs se retrouvent dans des espaces distincts mais semblables sauf que l'individu/animal observé se situe dans un faux espace recréant le réel. Pour définir l'intérêt d'un zoo, Olivier Razac énonce qu' « il n'est pas le dépassement du quotidien vers le rêve de la fiction, c'est une descente du rêve exotique dans la banalité d'une sortie familiale du week-end ». Pour le téléspectateur face à En aparté, il s'agit d'une sorte de « tourisme » dans l'altérité du « people », cette entité jugé potentiellement supérieure car célèbre. Les deux univers par leur similitude de décor, s'entrechoquent. « Ce n'est pas la rue ou la forêt, il s'agit bien d'un spectacle, d'une réalité travaillée en vue d'une jouissance esthétique ». Cependant, contrairement au précepte de Michel Foucault « voir et être vu », l'invité ne peut percevoir ceux qui le regardent alors que dans un zoo, visiteurs et animaux sont sur le même plan. Ici, l'invité est véritablement isolé. Et tout comme dans un zoo, même si l'individu exhibé et le spectateur partagent le même réel, ils n'ont ni le même rang, ni la même fonction. «Il y en a un qui est là pour être montré et un pour regarder. Le spécimen est infériorisé par le simple fait d'être mis dans une situation contraignante pour le plaisir d'un autre»69(*). En fait, le spécimen/invité est une personnalité qui justifie sa célébrité par le fait d'avoir accompli quelque chose de relativement louable ; on le considère donc. Cependant, le dispositif d' En aparté l'infériorise en le mettant à la merci des regards et des jugements des téléspectateurs.

Pour résumer, Olivier Razac énonce que le zoo est «un dispositif multiple, un mélange complexe de prison, de laboratoire et de théâtre »70(*) ; or, nous pouvons appliquer cette définition à En aparté :

« En tant que prison, il façonne les dispositions des corps exposés en contrôlant leur vie et leur milieu, leur espace et leur temps. Mais c'est une prison étrange qui voile l'enfermement derrière une simulation de liberté. (...)En tant que laboratoire, le zoo produit un savoir sur la biologie, la psychologie et les relations des spécimens. (C'est un savoir disciplinaire de gardiennage)(...)En tant que théâtre, le zoo (...) suscite un plaisir ou un déplaisir selon les comportements montrés. (...). Mais c'est un théâtre sans scène ni salle, un spectacle du réel ou une réalité spectaculaire (...).La prison assure une sincérité factice mais convaincante, le laboratoire propose une vérité pédagogique et rassurante, le théâtre produit l'intensité excitante du comportement sauvage. »

A partir de cette définition, Olivier Razac rapproche les dispositifs zoologiques de ceux de la télé-réalité qu'il définit ainsi « une mise en scène du réel que l'on regarde à distance comme un spectacle divertissant ».

3- L'importance du décor

Le décor, chez Olivier Razac est un élément extrêmement important : « l'environnement d'un corps l'influence ». Ainsi, on peut dire que le décor d'« En aparté », ses volumes, ses formes ont été conçus pour produire certains effets. Or, il s'y côtoie indices d'intimité et indices de spectacularisation. L'appartement est spacieux et confortable, clair, ce qui évoque le confort soit l'intimité ; cependant, les couleurs employées et l'absence de détails trop personnels confèrent à l'ensemble une certaine froideur. Par ailleurs, la fonction du décor, avec l'émergence de la télé réalité, a changé ; désormais, il se constitue comme habitat pour les candidats. Cependant, dans « En aparté », il n'est ni habitation, ni simple décor illustratif, il est entre les deux. Cette neutralité lui confère un effet institutionnel ; il a été conçu pour accueillir les « Olympiens » médiatiques, il se devait donc, d'être haut de gamme, sans être prétentieux, prêtant tant à l'intimité qu'à la mise en spectacle. De même, il se doit de faire rêver le téléspectateur par sa modernité sans le complexer. Par ailleurs, « le choix des éléments et leur agencement sont influencés par les goûts supposés d'un public inconnu ». En effet, on ne peut que supposer les goûts du public de Canal plus. D'où cette neutralité et cette simplicité du décor d' En aparté : « Un décor trop complexe n'est pas lisible. (...)Un décor typé est d'emblée signifiant »71(*).Ce qui est sûr est que le décor d' En aparté a voulu clairement se détacher du décor de Loft Story.

4- La mise en scène/ dressage

L'invité est certes plongé dans un décor-habitat qui n'est pas le sien et certes dressé par une mise en scène contraignante mais ils sont volontaires.

« Ils sont venus de leur propre chef et attendent quelques profits de la représentation dont la seule exigence est d'être soi même »72(*). L'invité attend « une image valorisante de soi ». ; « cette valorisation de soi passe par la mise en scène d'un rôle qui confirme publiquement le statut que veut se donner celui qui s'expose ». Ainsi, on peut trouver des similitudes à la démarche de l'anonyme qui se présente à une émission de télé réalité et celle de la personnalité qui se fait interviewer chez Pascale Clark. Dans les deux cas est attendu l'aval du public pour confirmer sa normalité, pour justifier sa célébrité. Il veut plaire dans les deux cas. Le dispositif des émissions accentue cette pression :

« Par le décor, le dressage et la mise en scène de soi, il se produit une résonance entre ce qui est demandé et prescrit à l'anonyme (l'invité pour « en Aparté »), c'est-à-dire représenter un statut comme un soi, et les contraintes conscientes et inconscientes qu'il s'impose pour ressembler à cette image qu'il désire. (...)L'anonyme imite une déclinaison de lui-même dans le rêve d'être davantage lui-même. »

Au final, les mises en scène proposées par les émissions de télé réalité et « En aparté » nous livrent une certaine réalité conditionnée tant par le média que par le rapport au téléspectateur et le rapport à soi même. En aparté livre en pâture tel un spectacle zoologique, un invité. Cependant cela paraît moins indécent que dans les émissions de télé réalité car en premier lieu l'invité n'est pas un anonyme, ensuite le temps de l'enfermement est réduit, l'invité connaît les conditions de sa détention ...Mais finalement, le même objectif : conforter l'image que l'on a de soi même et par rapport aux autres.

De ce fait, l'émission s'inscrit comme une sorte de dérivé des émissions de confession, des émissions de l'intime comme celles de Mireille Dumas. La sphère de l'intimité, en effet n'est qu'un prétexte pour obtenir des réactions qui feront « spectacle ». De même, une promesse sous-jacente de l'émission de Pascale Clark est de tester la maîtrise de la représentation de ses invités, le contrôle qu'ils en ont. On peut distinguer les invités qui sont anxieux, ceux qui sont plus à l'aise, ceux qui répondent spontanément, ceux qui éludent les questions... De même, on peut distinguer ceux qui préparent leur prestation. Pour ce, Pascale Clark préparent des questions inattendues, afin d'obtenir le maximum de spontanéité.

b) Un simulacre d'intimité

Revenons sur l'étymologie du titre de l'émission, En aparté : selon le dictionnaire de l'Académie Française, le nom masculin « aparté », issu de la locution adverbiale italienne a parte signifie « à part, à l'écart ». Il s'agit d'une expression du monde du théâtre qui définit « ce qu'un acteur dit à part soi et que les personnages en scène sont censés ne pas entendre, mais que le public comprend parfaitement ». En second sens, cela signifie aussi « un petit groupe séparé ou conversation particulière en marge d'une réunion, d'une assemblée. »Et enfin, l'expression « en aparté » signifie « de façon à ne pas être entendu »73(*). Le titre de l'émission sous-entend en fait que cette conversation est en marge du circuit promotionnel classique, qu'elle convoque une intimité particulière. Ce titre suggère un statut particulier « à part ». Pourtant, et c'est ce que nous allons voir, cette intimité est bien factice et sert juste de prétexte au média et au public d'assouvir son autorité sur l'invité. Ici, il s'agit d'une fausse intimité où on y utilise les artifices mais dans une volonté paradoxalement spectacularisante. Par ailleurs, le ton psychologisant de l'émission est symptomatique d'une certaine « télévision de l'intimité » qui s'est développé ces dernières décennies. En effet, « la psychologisation des écrans accompagne la psychologisation des sociétés.74(*) »

Cette « télévision de l'intimité », sujet de l'ouvrage éponyme de Dominique Mehl, concerne traditionnellement des émissions traitant des problèmes de l'anonyme. Les figures de proue de notre époque sont Mireille Dumas et Jean-Luc Delarue mais de nombreux dérivés sont apparus au fur et à mesure ( Confessions intimes entre autres). Ces émissions ont pour but de recueillir la parole de l'anonyme témoignant de problèmes sociaux. Celui-ci acquiert ainsi son heure de gloire mais une heure de gloire étrange appelant à la prise de pitié du téléspectateur ; Le média occupe dans ses émissions une place particulière : « Face à la télévision de l'exclu, télévision du pauvre, le média se donne à voir comme un candidat au traitement des défections du lien social »75(*). Face à cette intimité du pathétique, on peut ériger « En aparté » comme une télévision de l'intimité valorisatrice, d'autant plus qu'elle ne concerne pas les anonymes mais les personnalités. Celles-ci, grâce à l'émission, traitent une défection originelle du lien social qu'ils ont avec le public. Elles recherchent, par cette intimité proposée par l'émission un lien affectif avec leur public ;

« La confession médiatique induit un rapport de soi à soi et aussi un rapport de soi au monde social. Porter sur scène son histoire ou ses sentiments personnels contribue à les assurer d'une certaine validité ; l'exhibition devient dès lors un moyen de parfaire une identité sociale. Celle-ci ne peut se dessiner dans des rapports interindividuels, dans des espaces purement privatifs, familiaux oui domestiques, car elle recqiert un regard, une sanction par la société. »76(*)

La personnalité recherche en fait deux messages à travers son intervention dans l'émission : l'affirmation de sa reconnaissance professionnelle « oui, je suis une célébrité, je le mérite », et l'affirmation de sa normalité « oui, je suis comme vous, j'ai des états d'âme ». L'invité recherche une validation de son parcours individuel par la collectivité ce qu'explique Arnaud Marty-Lavazelle77(*) :

« La confession n'a pas, à l'image du message personnel ou du verbe thérapeutique, une fonction seulement personnelle. Elle entretient un rapport particulier avec le collectif. Elle s'y plonge et s'y alimente. Elle est à la fois révélation personnelle et message. Elle confronte l'expérience individuelle au regard et à l'écoute du monde social, sans pour autant tenir des propos sur ce monde lui-même. Elle n'est pas prophétique mais factuelle. Elle n'est ni propagandiste, ni prosélyte mais égocentrée ; Elle est en même temps affirmation individuelle et quête de reconnaissance par la collectivité. Elle est définition d'une identité sociale par la déclamation d'une identité privée »

La confession cathodique ressemble à plusieurs égards, en premier lieu étymologique, à la confession catholique. L'invité justifie son parcours, reconnaît ses fautes, cherche le pardon en quelque sorte. L'espace public et l'espace privé se mêlent, les personnages publics se sentent obligés à l'heure de la médiatisation à tout va, d'exposer leur intimité. Dominique Mehl impute cette tendance à l'époque moderne :

« Etalage de l'intimité sur la place publique, visibilité du relationnel, exhibition de l'interrelationnel, exposition publique du savoir et de la démarche psy : l'époque moderne approfondit le double-mouvement de publicisation de l'espace privé et de privatisation de l'espace public »78(*)

Cette « intimisation » de l'espace public est contestée. Pour Richard Sennett, « la société intimiste est une société incivile » qui a perdu le sens des intérêts du groupe. L'idéologie intimiste a selon lui pour premier effet de vider la vie sociale de sa dimension politique. En effet, intimité et narcissisme sont intrinsèquement liés, et selon Christophe Lasch, le narcissisme est symptomatique de ces sociétés vidées de leur âme :

« La popularité du mode de pensée psychiatrique, (...) le rêve de célébrité, et le sentiment angoissé de l'échec (...) ont en commun un caractère d'intense préoccupation narcissique. Cette concentration sur soi définit le climat social de la société contemporaine (...) La concentration de la personne aboutit à la négation de la personne »

L'émission « En aparté » par son importance au sein de l'espace médiatique participerait donc à la déliquescence du sens politique des citoyens. Au-delà de cette émission, l'émergence de la sphère de l'intimité dans nos médias est un phénomène global, qui concerne de nombreux domaines et qui modifierai notre regard politique. Citons entre autres l'érosion de livres intimes (« La vie sexuelle de Catherine Millet »), d'expériences cinématographiques (les films de Catherine Breillat) qui tendent à toujours plus vouloir élargir notre seuil de tolérance face au thème de l'intimité. La sociologue Numa Murard s'est intéressée à cette question sur le site « Loft Scary »79(*) : Elle pose comme hypothèse la domination du regard en tant que sens. En effet, face à un phénomène de voyeurisme comme Loft Story, et donc par extension comme En aparté, le sens du regard prédomine, certes mais n'intervient pas à priori dans ce qui concerne notre intériorité, soit notre intimité. Pourtant les émissions de télévision percent de plus en plus cette barrière qu'a le regard face à l'intimité. Le téléspectateur assiste de plus en plus à des scènes auxquelles il n'a pas été convié : familles à l'autorité défaillante, situations de vie quotidiennes atypiques...Or en érigeant le regard comme sens dominant face à l'intimité, la sociologue craint une déperdition de la culture :

« (...) On n'est pas obligé d'accepter sans broncher la domination du regard. Le regard est le sens dominant, qui ordonne, classifie, hiérarchise, il est le sens du pouvoir. On n'est pas obligé d'accepter qu'il domine aussi l'intériorité. Au lieu d'un big brother totalitaire, nous dit Jean-Claude Kaufmann, Loft Story manifesterait la démocratisation du regard, le fait que chacun, et non plus seulement une élite, peut être soi et tenter d'exister davantage en étant regardé et en regardant. Mais je crois que la domination du regard sur les autres sens est une négation de la culture, ou plutôt une soumission à ce qu'elle a de plus hypocrite, ce qu'elle dissimule sous la politesse ou la courtoisie, ce que traduit l'expression "pas vu, pas pris".

Numa Murard s'inquiète de la généralisation d'une intimité qui ne renforce que peu l' « intériorité » du téléspectateur. En effet, les émissions de l'intimité contribueraient à brouiller les pistes entre ce qui relève de l'intimité et ce qui relève de l'intériorité.

« C'est le regard des autres qui conduit les hommes à plonger en eux-mêmes. C'est pourquoi l'intimité a changé de sens après l'âge classique. Elle désignait le cercle des proches (les intimes), elle a ensuite désigné le rapport de soi-même à soi-même, l'intériorité. Mais il ne faut pas confondre l'effet avec la cause. Si les agencements des regards dans les groupes dominants sont à l'origine du développement de l'intériorité, il ne s'ensuit pas que cette intériorité soit et doive être dominée par le regard. »

Jacques Hassoun80(*) a une vision quelque peu plus nuancée de ces émissions de télévision. Celles-ci, par leur nature ne peuvent convoquer la « vraie » intimité :

« Ce qui se donne à voire dans nos étranges lucarnes n'a rien à voir avec l'intimité. L'intime, c'est plus que la chambre à coucher. C'est quelque chose qui est à l'intérieur de soi, le lieu des pulsions où il n'y a pas de négation, où la pulsion de mort n'a pas de représentation, où le temps n'est pas inscrit »81(*)

Jean-Pierre Winter ose le terme d' « extime » pour décrire l'intimité supposée des émissions de télévision. Le for intérieur resterait épargné par les opérations de publicisation. Pourtant, là encore le propos est modéré par la constatation d'un déplacement des frontières du secret, d'une « évolution des conventions sociales concernant le domaine privatif ». La télévision tend à repousser toujours plus les limites entre espace public et espace privé. Les personnalités médiatiques ont souvent des difficultés a définir les frontières entre leurs intimités et ce qu'elles doivent à leur public. Elles livrent parfois des mises en scène de leur intimité (Johnny Hallyday présentant son fils dans  Paris Match  dans un décor de rêve, Nicolas Sarkozy jouant au football avec son fils toujours dans le même magazine) pour éviter que les paparazzi leur volent des morceaux de leur « vraie » intimité, bien moins idyllique. En cela, le concept d' En aparté leur offre une manière institutionnelle de présenter une de leurs facettes intimes dans un décor codifié qu'ils peuvent tenter de maîtriser. Une prestation chez Pascale Clark leur permet de définir et différencier ce qui relève du public et ce qui relève du privé. Ils donnent ainsi ce qu'ils ont envie de donner. Tout le travail (et le talent) de Pascale Clark est de les pousser dans des retranchements inédits, ce qui arrive parfois. Lors du passage de l'actrice Elsa Zylberstein en mars 2003, celle-ci avait fondu en larme à l'évocation d'une des frustrations majeures de sa vie, l'abandon de la danse. De même, Martine Aubry avait elle aussi pleuré en visionnant des images de l'élection présidentielle 2003. Lors de ces deux émissions, Pascale Clark a réussit à faire partager au public des réactions d'un ordre pulsionnel, soit de l'ordre de l'intimité. Par ailleurs, l'animatrice essaie à tout moment de créer des « ponts » conversationnels entre vie privée et publique. Par exemple, lorsqu'elle retrace le parcours de Maitena Biraben, elle évoque la difficulté de faire garder ses enfants ; s'ensuit une longue réponse de Maitena Biraben concernant son expérience sur la garde alternée. On pénètre ainsi dans la vie privée de la personnalité, sous ses aspects les plus prosaïques.

Dominique Mehl rappelle82(*)que « les émissions de l'intimité qui affluent sur nos écrans cathodiques français contribuent à remodeler les rapports entre espace public et espace privé dans les sociétés contemporaines. La psychologisation du jeu social et la mise en scène du relationnel nourrissent un processus de subjectivisation où le regard supplante le verbe, la monstration l'emporte sur la démonstration. L'exhibition des affects et la valorisation de l'expérience individuelle deviennent des prismes de lecture du monde social »

Norbert Elias83(*) rappelle que la différenciation des sphères publiques et privées date du dix neuvième siècle :

« Il est certain que le partage entre vie professionnelle et vie privée s'est manifesté déjà au dix neuvième siècle, et même plus tôt dans des couches sans grande influence, mais il ne pouvait produire tous ses effets que dans une société de masse urbaine. C'est là seulement que l'individu pouvait- tout en restant soumis au contrôle de la loi- échapper jusqu'à un certain point au contrôle de la société. Pour l'homme de la société de cour- au sens le plus large du terme- du dix septième et du dix huitième siècle- ce partage n'existait pas encore. Les effets heureux ou malheureux de son comportement ne se manifestaient pas dans la sphère professionnelle, pour ensuite déborder sur la sphère privée. A toute heure de la journée, son attitude pouvait décider de son succès ou de son insuccès social. C'est pourquoi le contrôle social s'exerçait aussi directement sur toutes les sphères de l'activité et sur tous les comportements. »84(*)

La société exerce donc depuis bien longtemps un contrôle insidieux de l'individu et cette constatation prend tous son sens aujourd'hui chez nos personnalités médiatiques. Celles-ci, en devenant célèbres concluent un pacte tacite avec le public ; elles doivent rendre compte d'un bon comportement et de ce comportement dépend un éventuel succès en salle ou ailleurs. Le dispositif d' En aparté permet un contrôle « physique » de la personnalité. Elle propose une visite dans l'intimité de ses postures sociales.

« Bien sûr, le discours émeut, la parole trouble, le secret dévoilé déconcerte et dérange. Cependant, au-delà des mots, les postures corporelles, les réactions physiques frappent plus encore l'imagination du téléspectateur »85(*)

Ce n'est pas tant ce qui est dit qui intéresse le téléspectateur mais comment il est dit. Après un passage dans l'émission, le téléspectateur se rend compte alors du degré de sympathie ou d'antipathie que provoque chez lui tel invité. Par exemple, alors que j'avais imaginé Maitena Biraben comme une personne assez douce et sympathique, j'ai découvert une personnalité brute, un peu prétentieuse et égocentrée. Concernant la prestation de François Hollande, cela m'a conforté dans l'idée que j'en avais. On le découvre mal à l'aise avec les médias avec un côté attendrissant : un côté que l'on aurait du mal à trouver dans les émissions politiques classiques. Quant à Charles Berling, abonné aux rôles de timide dans sa filmographie, on le découvre naturel, simple et très à l'aise. Cette émission, loin des mises en scène de Tout le monde en parle prétend à une vraie découverte de l'invité.

En aparté serait donc une émission de l' « extime », pour reprendre l'expression de Jean-Pierre Winter, où finalement rien de réellement intime ne nous serait dévoilée. Par contre, l'émission nous fait partager tout ce que le regard peut nous permettre de percevoir de l'intimité des invités. Ainsi, en lieu et place de la fausse proposition d'intimité volée proposée par les tabloïds, En aparté a pour promesse un dévoilement « externe » des manifestations de l'intimité, validé par l'approbation de l'invité. Ainsi, le téléspectateur perçoit de nombreux indices qui pourraient laisser croire à son réel dévoilement. Contrairement au phénomène du voyeurisme qui imprègne nos médias à travers des émissions comme Ca se discute ou Confessions intimes ou encore les nombreuses émissions de télé réalité, « En aparté » propose de renouveler la notion même d'intimité télévisuelle. Cette intimité qui est ainsi définie sur le site www.fabula.org où un chapitre est intitulé « Pour une définition de l'intimité » :

« Souvent caractérisée par un mouvement de retrait vers un quotidien-refuge retranché de la sphère publique et sociale encline à l'exhibitionnisme et au voyeurisme (Internet, phénomène Loft Story, presse people...), l'intimité n'admettrait-elle pas une double définition à la fois constituée d'une intimité intérieure et solitaire propice à l'introspection, à la méditation et aux secrets de l'âme et d'une intimité extérieure de "coprésence" insérée dans une dialectique de la communion (amicale, familiale, conjugale), de la confidence, de la complicité et de la sociabilité communautaire ? Faut-il, comme Tournier, recourir à l'opposition de l' " intime " et de l' " ex time" pour qualifier avec justesse certaines formes d'art et d'attitudes propres au siècle présent ? De même, les concepts d' " imploration " et d' " exploration " proposés par Butor ouvrent-ils des perspectives pour décrire les abîmes de la vie intérieure »86(*)

Ainsi, En aparté possède de nombreux indices de l'intimité : solitude, volonté d'introspection, confidences...Mais en même temps, l'émission par sa nature s'adresse à une masse de téléspectateurs, ce qui contredit la notion même d'intimité. Il s'agit en fait d'une intimité mise en spectacle : les codes de l'intimité sont singés et les participants le savent bien, mais parfois se laissent aller. On note d'ailleurs une évolution du comportement des invités : ceux-ci étaient bien plus naturels au début. Désormais, il n'est pas rare de voir des personnalités revenir plusieurs fois. Nous allons maintenant analyser les conditions du dévoilement de l'invité.

c) Le dévoilement de l'invité

La qualité de l `émission dépend de la prestation de l'invité. Le dispositif de l'émission est désormais instauré, avec parfois quelques changements. Nous allons voir en premier lieu les coulisses de l'émission et le dispositif.

1- Les coulisses de l'émission

Le site Internet de Canal réunion87(*) nous fait entrer dans les coulisses d' En aparté. La rédaction a environ une semaine pour préparer une émission. Une personne, Pierre, s'occupe de la programmation des invités, Nathalie et ses assistantes rédigent les revues de presse détaillées sur chaque invité et Priya visionne et classe les documents vidéo. Le tournage se fait en une journée. Quelques heures avant le début de l'enregistrement, Pascale modifie une dernière fois ses questions en fonction du conducteur d'émission que lui a préparé Agathe, rédactrice en chef de l'émission. A 10h30, la loge est prête pour recevoir les invités. Habiba et Samia s'occupent d'eux pendant leur attente. A 11h15, la première répétition commence avec l'assistant réalisateur qui reproduit les déplacements du futur invité dans le salon. Bruno Piney, concepteur et réalisateur, formule ses dernières critiques. A 13 heures, l'invité entre dans le couloir qui le mène au studio-appartement. Vers 14 heures, l'invité quitte le studio en emportant son cadeau. Ce n'est qu'après l'enregistrement qu'il rencontre l'animatrice.

2- Le déroulement d'une émission

Le générique est sobre : on y voit le logo de l'émission apparaître, pendant trois secondes. Puis par l'effet d'un fondu s'ensuit directement la présentation de l'invité. On le voit empruntant le couloir qui le mène au studio-appartement. Sur ces images, Pascale Clark introduit la personnalité et conclut son petit texte par « voici Monsieur X (l'invité) dans En aparté. Sur ces images, on voit encore le logo de l'émission apparaître par dessus l'image, toujours par l'effet d'un fondu. L'animatrice parle sur une bande-son à chaque fois identique, bande son qui a pour effet de dramatiser l'entrée de l'invité dans le studio. Lors de cette présentation orale, l'animatrice rappelle l'actualité de la personnalité et donne parfois quelques indices du fil conducteur de l'émission (« Mais qu'est ce qui fait courir Monsieur X ?»). Puis l'invité entre dans l'appartement : après avoir été accueilli vocalement par l'animatrice, cette dernière lui propose un verre. Ce verre peut être du champagne, du vin, du jus d'orange...Tout est signifiant : selon la réaction de l'invité face à ce verre, Pascale Clark introduit la conversation : « Vous avez une vieille histoire avec le sancerre ? » questionne-elle après avoir constaté l'enthousiasme de Maïtena Biraben face à ce verre. Le lieu de ce verre peut être sur le bar, ou sur la table. Le temps de ce verre est un temps de réflexion sur le moment «  comment ça va ? », « comment vous abordez l'année ? », « comment vous sentez-vous ? ». Cela reste assez superficiel, l'animatrice pose quelques questions sur le mode de vie, selon le comportement de l'invité. Lorsqu'elle voit Charles Berling déambuler sans gêne dans le studio dés son entrée, elle se permet un « je vous vois comme quelqu'un de sociable » : l'acteur nous fait alors partager sa vision des rapports sociaux. Le temps de ce verre dure selon la participation de l'invité.

Le décor d' En aparté est typique des émissions de conversations » :

« Souvent, le plateau est organisé en coins, ce qui permet en changeant de lieu de varier le ton et les sujets de conversation : coin-salon pour les sujets sérieux, coin-repas ou coin-cuisine...Les salons dominent dans les émissions de conversation. »88(*)

Hélène Duccini appelle le présentateur un « meneur de jeu ». Celui-ci doit sans cesse penser au téléspectateur et par conséquent « entrer dans la peau d'un naïf ou d'un ignorant : « Pourriez-vous m'expliquer ? » ou encore du pédagogue « vouliez vous préciser le sens ? ». Il est là pour accomplir une maïeutique, pour amener son interlocuteur à accoucher de son savoir ou de son expérience. ».89(*) Les interviewers redoutent le « tunnel » : « un discours prolongé qui est vécu ou prévu comme soporifique ». Pour ce, le recours au document (vidéo ici) permet d'aérer la conversation. Si les invités connaissent le dispositif, ils savant qu'ils ne doivent pas trop parler pendant le verre et se réserver pour la séquence suivante, qui est le commentaire d'une séquence vidéo les concernant. Cette séquence peut donner lieu à une conversation d'ordre rétrospective ou introspective. La conversation prend alors un tout bien plus personnel. Ensuite vient la séquence du commentaire d'images. L'invité s'installe devant un rétroprojecteur et fait défiler des images. L'animatrice lui donne le choix de les commenter ou non. Ces images ou photos ont pour but de faire réagir l'invité sur ses idées politiques, son opinion sur l'actualité : par exemple, l'image d'un livre qui fait scandale pour recueillir l'avis de la personnalité sur le livre ou le scandale...Cette séquence donne parfois l'occasion de vérifier les connaissances politiques ou culturelles de l'invité, ou parfois même son indifférence par rapport à certains sujets.

Après ces deux séquences de conversation vient le moment où l'invité choisit une musique pour illustrer son départ. Parfois vient s'interposer une séquence où la personnalité est invitée à s'installer devant un miroir et à commenter son aspect physique. Pour la séquence musicale, la présentatrice a sélectionné trois à cinq morceaux, qui ont toujours un lien avec l'invité. Le titre de la chanson peut renvoyer à sa personnalité ou à son parcours par exemple. Souvent l'animatrice a mis d'office un album dans la chaîne en imaginant que ce sera ce morceau qui sera choisi. Si elle a raison ou si elle s'est trompée, cela donne l'occasion d'une discussion sur ce sujet. L'invite tâtonne souvent sur le fonctionnement de la chaîne hi-fi : cela confère un caractère authentique à l'émission. Sur ce fond musical, Pascale Clark demande à l'invité de se prendre en photo. Ce moment témoigne quelque peu du degré de narcissisme de l'invité. Celui-ci apparaît parfois comme coquet, ou parfois original, certains se mettent en scène, d'autres détournent le procédé (Béatrice Dalle se photographiant le nombril). La photographie est ensuite conservée par l'équipe de rédaction. Le public peut les consulter sur le site Internet de Canal plus. Après la photo, l'animatrice propose un ou plusieurs cadeaux à la personnalité. Souvent ce sont des fleurs accompagnées d'un présent qui peut avoir un lien ou non avec l'invité. Ce dernier commente alors ces cadeaux.

L'émission se conclut alors sur le départ de l'invité, chargé de cadeaux, le tout sur un fond musical. La dernière image est celle de la photographie de la personnalité accompagnée d'un commentaire de celle-ci. Enfin, sous fond du logo d' En aparté, Pascale Clark salue les téléspectateurs. Lors de la présentation comme lors de la conclusion, l'animatrice a toujours un ton monocorde dans sa voix : ce choix de la sobriété s'explique par une volonté de mettre en valeur son invité.

Je vais étudier maintenant les prestations des personnalités choisies pour mon corpus : l'animatrice Maïtena Biraben et l'acteur Charles Berling. Ceux-ci ont des parcours, des métiers et des personnalités très différents et nous allons voir comment les mécanismes de l'entretien varient en fonction de ces données.

3 - Maïtena Biraben 

Maïtena Biraben est une animatrice considérée comme une valeur montante dans le paysage audiovisuel français. Réputée pour son sens de la répartie et son humour, elle possède aussi une large connaissance des médias, du fait de son expérience - elle a longtemps travaillé pour la télévision suisse romande. Elle venait d'arriver sur Canal plus pour présenter Nous ne sommes pas des anges  une émission diffusée sur la tranche de midi. Cette émission, qui mêle information sur la vie pratique et divertissement peinait à décoller. Le passage dans En aparté est donc l'occasion pour elle de se présenter. Cette prestation a donc évidemment des visées promotionnelles : en souhaitant mettre en valeur la gouaille et la sympathie de son animatrice-vedette, la chaîne veut remonter l'audience de l'émission.

Pour Pascale Clark, l'enjeu est donc double : pour mener un entretien qui a de l'intérêt, elle doit à la fois mettre en valeur ce qui fait la réputation de l'animatrice mais aussi révéler des aspects inédits. En effet, le téléspectateur d' En aparté souhaite découvrir des côtés inattendus de l'invité. En parallèle, elle doit aussi s'imposer : l'entretien se donne parfois des allures de confrontation car les deux femmes sont animatrices et un certain parfum de compétition se fait parfois ressentir.

A l'arrivée de Maïtena dans le studio, Pascale Clark tente une plaisanterie qui tombe à plat « Maïtena Biraben, vous allez ben ? » qu'elle rattrape rapidement, professionnalisme oblige : « C'est le début de l'année, il faut être indulgent ». L'invité émet un alors un petit rire moqueur : elle prend tout de suite une ascendance sur son interviewer. On note que lors de son entrée s'enchaîne une multitude de type de plans et d'angles de prise de vue qui ont pour effet de cerner sa stature et sa prestance et de donner au téléspectateur une vue d'ensemble : plan américain, plan général, plan rapproché, angle en plongée, en contre-plongée. Cependant, pendant les premiers instants, les gros et très gros plans sont exclus. Ce n'est que lors de l'installation sur la chaise du bar que la mise en scène privilégie les plans plus rapprochés. Pendant que l'invité prend le temps de s'installer et de faire quelques remarques sur la collation offerte, l'animatrice en profite pour introduire l'angle de son entretien : « Si vous attaquez l'année pleine de résolutions diététiques, c'est râpé » et de Maïtena Biraben de répondre : « Ce n'est pas mon genre » pour qu'ensuite l'animatrice réplique par un « D'ailleurs, vous l'abordez comment cette année ? ». Les jeunes femmes sont réceptives l'une à l'autre : l'invité sait parfaitement qu'elle est là pour parler d'elle et aide son interlocutrice. Cette dernière recentre la conversation sur le bilan de l'année pour que son invité évoque les difficultés de son émission et non tout de suite « son genre ». Elle aurait pu bien aussi poser comme question « Ah bon, et c'est quoi votre genre ? ». Maïtena Biraben souhaite soutenir sa réputation : « Je suis quelqu'un qui provoque la surprise ». Pascale Clark n'a pas besoin de poser beaucoup de questions : l'invité se dévoile toute seule, se met en valeur, « J'adore quand les gens prennent des risques » (en parlant d'elle), « c'est pas grave, non ? ». Pascale Clark essaie de modérer son enthousiasme : « Non, il y a des choses graves et des choses plus graves, là non ». Elle recentre la conversation sur le parcours en dents de scie de son invité et sur ces moments de creux afin de l'inciter à plus de modestie « Vous êtes du genre « forte exposition » et puis plus rien » « vous n'avez pas travaillé pendant quatre ans ? Rien ? ». A ce moment, on sent l'invité plus fragilisée : elle commence à rechercher la caméra et cette dernière traque cette nervosité par un travelling. Mais elle reprend vite le dessus de l'entretien en cumulant les petites anecdotes qui contribuent à la rendre sympathique 

Maïtena : « J'ai appelé Alain de Greef et vous savez ce que je lui ai dit ?

Pascale : « Non »

Maïtena : « Il m'a dit « pourquoi vous m'appelez ? «  Et je lui ai répondu « parce que vous m'appelez pas ! » (Rires) « (...) Je crois qu'à cette époque, j'étais vraiment inconsciente ! »

Pascale : « Je ne vous crois pas inconsciente »

Maïtena : « À un moment, je l'ai été »

Le retour au document vidéo est l'occasion d'imposer vraiment ce que Pascale Clark veut entendre de son invité : son opinion par rapport au mauvais démarrage de son émission, ses angoisses face à l'échec...ses fragilités en somme. Pour ce, le reportage est orienté : on y voit l'équipe de Nous ne sommes pas des anges confronté aux difficultés d'une émission bancale, qui n'a pas encore pris ses repères. Maïtena Biraben rit nerveusement devant les nombreuses bévues de son émission. Le document se conclut par la jeune femme qui demande sous forme de plaisanterie à Antoine de Caunes : « Mais dites nous comment on fait pour faire une émission-culte parce qu'ici, on rame un peu ! ». Le document s'arrête à ce moment, laissant l'invité face à cet aveu et face à la sentence de Pascale Clark : « Ca se voit lorsque l'on se cherche à la télé... ». L'invité se voit alors dans l'obligation de se justifier : « Vous savez, c'est pas scientifique...C'est une histoire d'alchimie... ». Elle semble oublier un temps qu'elle est face à une animatrice dont l'émission marche. Elle parle du média qui l'embauche, Canal plus, qui est aussi celui de Pascale Clark : on a affaire plus ici à une confrontation et l'invité se voit fragilisé par la position dominante de son interlocutrice. Le débat est houleux : Maïtena Biraben se cherche des excuses et Pascale Clark ne rebondit pas : elle semble un peu se justifier dans le vide : il s'agit sans doute d'une invitation à la modestie de la part de Pascale Clark.

La séquence des diapositives va pacifier un peu la conversation : l'entretien s'oriente vers le parcours et les rencontres de l'invité et cette dernière peut s'exprimer sans avoir peur de se justifier comme ce fut le cas précédemment. La conversation prend un tour un peu plus superficielle : on parle de la blondeur de l'animatrice...mais ce tour superficiel n'est qu'apparent : Pascale Clark veut faire connaître le rapport de son invité sur son narcissisme. Celle-ci veut clairement clamer son indépendance face aux modes. Mais elle le clame un peu trop fort : on a un peu l'impression qu'elle s'en persuade, ou du moins qu'elle veut convaincre le téléspectateur.

Le final me conforte dans l'idée que Maïtena Biraben connaît parfaitement les codes de l'émission (elle dit : « Comme on dit toujours dans cette émission ») et qu'elle les utilise pour se mettre en valeur et promouvoir une certaine image d'elle-même. Alors qu'elle sait qu'est arrivé le moment où elle doit se prendre en photo, elle feint de visiter le studio et d'examiner les livres qui y sont exposés. L'invité sort du studio sous une bande-son d'applaudissements : serait ce un clin d'oeil complice ou moqueur ? C'est au téléspectateur d'interpréter.

La prestation de Maïtena Biraben chez En aparté laisse donc un arrière goût de confrontation, de duel : on découvre une personnalité forte qui correspond à l'idée que l'on peut avoir en visionnant ces émissions mais aussi un côté narcissique et auto-satisfait. On peut aussi imaginer que Pascale Clark ait souhaité mettre en valeur cet aspect en lui bridant la parole lorsqu'elle se mettait un peu trop en avant. Malgré la forte personnalité de son interlocutrice, elle a su conserver son autorité.

4 - Charles Berling

 

Du fait qu'il s'agit d'un acteur et de surcroît d'un homme, le rapport ne peut être ici que différent du précédent. D'abord parce qu'il introduit la notion de séduction inhérent au rapport entre les hommes et les femmes. Et ensuite parce que l'invité n'exerce pas la même profession que Pascale Clark : on a peu de chance d'avoir affaire à une confrontation.

Charles Berling a été révélé en 1996 par le film de Patrice Leconte « Ridicule » : acteur français majeur, il n'intéresse pas vraiment les médias : il est assez discret. Il ne s'agit donc pas d'une personnalité à priori « spectaculaire » comme pourrait l'être Maïtena Biraben. Son passage chez En aparté est dû à la promotion d'un film dont il assure le doublage « La marche de l'empereur ». La pression promotionnelle n'est donc pas très élevée. Cette décontraction va mener l'entretien.

Dès le début, Charles Berling donne le ton. Joueur, il imite le ton solennel de l'animatrice mais pénètre timidement dans l'antre du studio. Pascale Clark l'invite à « prendre possession » du bar. Au lieu de s'installer sur le tabouret prévu à cet effet, il prend littéralement possession du bar et se place derrière. L'animatrice d'abord surprise l'invite à rester là où il le désire. Il déguste la collation, ne montre aucun signe visible de gêne, ce que constate l'animatrice : « Mais pourquoi voulez-vous que je soit mal à l'aise ? ». On sent qu'il est habitué aux caméras, mais il ne s'agit pas de la même aisance que Maïtena Biraben. Lui montre bien moins de calcul, ne semble pas vouloir prouver quelque chose. Il répond tranquillement aux questions de l'animatrice, qui concerne surtout la promotion du film. Des images du film sont projetées. L'acteur a choisi de rester debout, soutenant le bar, comme pour dominer le dispositif. L'entretien reste assez en surface : l'animatrice semble respecter la vie privée de Charles Berling et s'en tient au commentaire des images du film. Elle essaie néanmoins d'établir des ponts entre le film et la vie : « Mais ce qui les (les manchots dans « La marche de l'empereur ») fait courir, c'est l'amour, comme dans la vie, non ? ». Elle aborde aussi le rapport de l'homme par rapport à son métier d'acteur. D'ailleurs, la mise en scène a choisi de privilégier des plans où apparaissent à la fois l'acteur et l'image du film. Ensuite, un autre petit film retraçant sa carrière est projeté. Le téléspectateur le regarde en même temps que le regarde Charles Berling. Ce dernier paraît indifférent et s'applique à manger la galette des rois préparée à son intention. Les plans d'ensemble mettent en valeur cette indifférence. Se succèdent des plans où on voit le film et des plans d'ensemble où on voit l'acteur regarder le film en mangeant. A la fin de la projection, l'animatrice conclut par : « Vous ne vous intéressez pas à vous-même... » Mais voyant Charles Berling cherchant à boire, la conversation s'oriente vers des aspects plus prosaïques : où est le frigo, pourquoi les bouteilles n'ont pas de marque...L'animatrice a quelque difficulté à faire parler son hôte, mais réussit finalement, après moult efforts. Ce n'est qu'à la dixième minute qu'elle arrive à lui extirper une réflexion sur le métier d'acteur. Celui-ci avoue finalement : « Bien sûr que je m'intéresse à moi-même, comme tous mes collègues ».

S'ensuit une séquence assez originale, qui fait partie des surprises d' En aparté : l'acteur s'installe devant le rétroprojecteur. Il y apparaît la photographie d'un ami, Marc Thiercelin, qui venait d'abandonner à cette époque le Vendée Globe. Il confie qu'il ne l'a pas appelé depuis son abandon. Pascale Clark lui demande alors de se justifier : on entre alors dans la sphère vraiment intime de la personnalité. Ce n'est plus le ton désinvolte du début. L'animatrice a réservé une surprise à son invité : son ami lui a enregistré un message qu'elle lui fait écouter. Dans ce message, son ami lui avoue qu'il l'a inscrit à une course et qu'il lui écrit un film. Charles Berling est visiblement ému.

L'émission se révèle assez rapide et superficielle mais l'équipe a réussi à extirper de l'émotion. Lors de la séquence musicale, l'acteur se dévoile un peu, parle avec enthousiasme des musiques qu'il affectionne. L'animatrice perd un peu de son contrôle physique car l'acteur se ressert à boire, tarde à choisir sa musique, critique le dispositif...on sent qu'il veut donner l'image d'un électron libre. Devant son cadeau, un coffret « Star Wars », il ne force pas son enthousiasme : « Je ne suis pas fan. »

De la prestation de Charles Berling, nous en retiendrons que celui-ci a dévoilé quelques bribes de sa personnalité : discret et désinvolte, il n'ignore cependant pas le pouvoir de l'image et en joue. Pascale Clark aura eu un peu de mal à conférer de l'intimité à l'entretien : l'acteur s'est tout de même donné en spectacle pour affirmer son indépendance. Il a donné ce qu'il a eu envie de donner. Seul le message de Marc Thiercelin a donné un tout un peu personnel au passage de Charles Berling. Grâce à pouvoir du média, l'émission a livré une émotion à son invité, et donc à son téléspectateur.

L'émission En aparté repose sur les mêmes ressorts que les « émissions de l'intime » de ces deux dernières décennies : elle exploite le désir de voyeurisme du téléspectateur qui répond à la volonté d'exhibitionnisme de l'invité. Dans le cadre de cette émission, le média s'efface -absence de l'animatrice- pour mieux mettre en valeur cette relation dans un souci de « spectacularisation » de l'intime. Cet intimité reste par contre relativement superficielle, l'invité connaissant le principe de l'émission. Pourtant, le média parvient parfois par des stratagèmes originaux à obtenir des parcelles d'intimité qui échappent au contrôle de la représentation de l'invité. L'originalité majeure d'  En aparté par rapport aux autres « émissions de l'intime » est qu'elle concerne les célébrités, plus communément appelés les « people ». Ceux qu'Edgar Morin appelait les « Olympiens » ont acquis une importance dans notre sphère affective et médiatique majeure, qui sera le sujet de notre prochaine partie. Les médias redoublent d'imagination pour établir des liens et des connexions affectives entre le peuple/téléspectateur et l'Olympien/people.

Troisième partie :

Une parodie de conversation ?

En aparté peut donc se définir comme une « émission de l'intime » mais aussi comme une « émission de conversation ». Cette tendance témoigne de l'esprit de notre époque : on ne s'intéresse plus aux enjeux sociaux, mais aux enjeux de l'intimité. On ne s'intéresse plus à la politique ou au cinéma mais aux hommes politiques et aux acteurs. Ces derniers, contrairement aux « Olympiens » d'Edgar Morin se doivent d'être plus accessibles et les médias travaillent pour correspondre à cette demande du public. L' « émission de conversation » a l'avantage d'humaniser, de normaliser le « people » : la caméra agit comme un miroir et le téléspectateur peut se reconnaître, s'identifier. Le plateau d' En aparté, en singeant la réalité d'un appartement veut créer une correspondance avec la réalité de ce téléspectateur.

« Avant d'être un spectacle, disait Orson Welles, la télévision est une conversation. » (...) Assigner à la télévision d'être de la radio illustrée, ce n'est pas la stigmatiser, c'est au contraire, lui faire compliment de donner la parole aux gens et de montrer, grâce à l'image, que ce sont bien eux qui parlent puisqu'ils sont réellement présents devant nos yeux »90(*)

En aparté répond donc bien à cette demande de relationnel de la part du public. Il s'agit presqu' ici de radio illustrée. Cependant ce plateau agit aussi comme un piédestal : cerné par les caméras, nouvel opium du peuple, seul le « people » y a accès.

La personnalité, en acceptant un passage chez Pascale Clark, souhaite se rendre sympathique auprès du public, et auprès de la profession. La « réputation » est un souci majeur pour celui qui souhaite entretenir sa célébrité. Pascale Clark agit comme une médiatrice : en fait, en lui parlant, l'invité parle au public. Le tiers média (Pascale Clark) n'est qu'un intermédiaire entre le tiers public et le tiers invité. De ce fait, une parodie de conversation s'instaure car le réel interlocuteur (le public) est en quelque sort fantôme, masqué sous le tiers média (Pascale Clark).

Nous allons étudier en premier lieu l'enjeu du tiers-invité lors de son passage au sein de l'émission. La diffusion de la première d' En aparté (septembre 2001) succède en effet à l'ébranlement médiatique de « Loft story » (printemps 2001). Suite à l'apparition de cette première expérience de télé réalité, une réflexion sur la définition du « people » a émergé.

A) De l' « Olympien » au « people »

1 - De l'ère du mystère à l'avènement de la proximité

En premier lieu, rappelons la définition d'Edgar Morin (le mot est originellement d'Henri Raymond) :

« L'Olympisme naît de l'imaginaire, c'est à dire des rôles incarnés dans les films (stars) ; l'olympisme des autres naît de leurs fonctions sacrées (royauté, présidence), de leurs travaux héroïques (champion, explorateurs), ou érotiques (play-boy, distels). Margaret,B.B., Soraya et Liz Taylor, la princesse et la Star, se rencontrent dans l'Olympe de la « une », des quotidiens, réceptions, Capri, Canaries et autres séjours enchantés »(...) « Le nouvel Olympe est effectivement le produit le plus original du cours nouveau de la culture de masse. Les stars avaient déjà été antérieurement promues à la divinité. Le cours nouveau les a humanisées. Il a multiplié les relations humaines avec le public. Il a starifié par la suite le cours royales, les play-boy et même certains hommes politiques »91(*)

« La vie des Olympiens participe à la vie quotidienne des mortels, ils incarnent les mythes d'auto-réalisation de la vie privée (...) et sans doute, ils tendent à détrôner les anciens modèles (parents, éducateurs, héros nationaux) »92(*)

L' « Olympien » d'Edgar Morin correspond à son époque : inaccessible, la star vivait « au-dessus du commun des mortels ».Elle se devait de justifier de son importance par des actes majeurs ou une ascendance particulière Déjà, elle agissait comme un modèle pour les grandes masses. Elle a néanmoins les moyens de communiquer avec son public par le biais de la télévision :

« La télévision a multiplié la familiarité, la grande familiarité de la culture de masse (...). Cette multiplication des médiations, des communications et des contacts crée et entretient un climat sympathique entre la culture et son public. La culture de masse tend à constituer un gigantesque club d'amis, une grande famille non hiérarchisée. »93(*)

La « Star » d'Edgar Morin entretient avec son public une relation d'identification. On souhaite l'imiter, sans toutefois prétendre lui ressembler. Edgar Morin appelle ce phénomène le « courant mimétique »

« Les stars guident nos manières, gestes, poses, attitudes, soupirs d'extase, (« c'est merveilleux »), regrets sincères (« désolé Fred, mais j'ai une très grande amitié pour vous, mais je ne vous aime pas d'amour »), façon d'allumer une cigarette, d'en expirer la fumée, de boire avec désinvolture ou sex-appeal, de saluer avec ou sans chapeau, de prendre des mines mutines, profondes, tragiques, de décliner une invitation, d'accepter un présent, de refuser ou permettre un baiser »94(*)

Observer la « Star », la dévisager pour mieux l'envisager... « En aparté » répond à cette demande sous-jacente du téléspectateur. L'invité est observé, regardé, mais, contrairement à la vision d'Edgar Morin, c'est pour mieux établir une correspondance avec le téléspectateur. La « Star » est ici isolé de toute mise en scène cinématographique qui pourrait l'embellir. Elle apparaît telle qu'elle est. Même si elle est tentée de se mettre en valeur, la valse des plans rapprochés, plans d'ensemble et gros plan l'en dissuade. Pourtant, on retrouve chez « En aparté » des phénomènes décrits par Edgar Morin. Les personnalités invitées voient leurs parcours retracés -la carrière de Charles Berling, l'émission de Maïtena Biraben- comme autant d'histoires mythifiées. Elles apparaissent comme des personnages enviables. Le document vidéo retraçant la carrière de Charles Berling fait état d'une vie remplie, plein de succès artistiques. Sont occultés ses moments de doutes et de vide.

« Les mass media ont répandu la conscience populaire de ce qui constitue une « bonne vie ». En rendant cette bonne vie familière, elles l'ont fait paraître possible autant que désirable pour les grandes masses. »95(*)

Le discours d' En aparté fait état, par la diffusion de documents vidéo, d' «une information olympienne ».

« Dans l'information olympienne, le personnage vedette est privilégié et il privilégie des situations qui, pour le commun des mortels, seraient noyés dans l'anonymat. (...). L'information romancée et vedettisée, d'une part, le fait divers de l'autre font appel finalement aux mêmes processus de projection-identification que les films, romans, nouvelles. »96(*)

En aparté a donc une double-promesse : elle conserve un certain degré de rêve quant à ces personnalités, elle les met en valeur. Le passage au sein d'une émission, comme on l'a déjà vu, valide la réussite de la personnalité. Mais d'un autre côté, elle intègre les nouveaux codes issus de la télé réalité et de l'ère du voyeurisme. L'émission donne accès à tous ces gestes et postures intimes autrefois cachées. L'espace d'une demie-heure on peut observer se mouvoir des célébrités telles que Vanessa Paradis ou Iggy Pop comme on a put observer Loana ou Jean-Edouard. Les deux types de personnalités se retrouvent sur le même type de socle médiatique. En aparté s'inscrit totalement dans l'ère de la proximité. Le ton, quant à lui, se fait tantôt hagiographique, tantôt critique, ce qui peut déstabiliser l'invité.

Les années 80 et 90 ont accentué cette tendance au sein de la sphère médiatique. Désormais règne ce culte du relationnel et de la proximité. Les réseaux médiatiques se sont multipliés, la télévision et Internet ont offerts des nouvelles formes de célébrités qui concurrencent la « star inaccessible ». Cette dernière ne fait plus (ou peu) recette. La mort de Lady Di, en 1997, a sonné le glas des stars mythiques dont on épie la moindre sortie publique. Avec l'avènement de la télé-réalité en 2001 en Europe, le phénomène du « people » s'est généralisé et a atteint l'ensemble de la sphère médiatique. Par ailleurs, l'exploitation de l'intimité s'est mise au service de l'anonyme. « L'intimité à la télévision, c'est de moins en moins la vie des stars, c'est de plus en plus la vie des inconnus, des quidams, des gens de la rue. »97(*). Ainsi, la « star » s'est muée en « people » une entité passe-partout, dont la profession peut être bien éloignée des « exploits » ou de l' « ascendance » de l'antique Olympien. Désormais, les chanteurs et acteurs côtoient les hommes politiques dans les mêmes émissions. Un plateau de Thierry Ardisson peut se composer d'une vedette de films pornographique, d'un homme politique, un écrivain, un participant d'une émission de télé réalité...tout un chacun peut prétendre à son quart d'heure de gloire « warholien ». Les journaux, les rubriques « people » se multiplient : Closer (titre faisant référence encore à l'intimité), Public (parler des éléments privés d'un personnage public). Ces magazines ne sont plus l'apanage des ménagères et des salles d'attente. Désormais, il s'agit d'un produit d'appel pour de nombreux médias. Des émissions comme Capital ou Zone interdite prennent le prétexte du people comme sujet de reportage pour attirer l'audience. Tout comme le sexe, le « people » fait vendre.

Deux tendances sont à observer concernant les émissions où intervient ce type de personnalités :

« (...) Il y a deux écoles : celle de Thierry Ardisson et celle de Michel Drucker. Et ce n'est pas inintéressant de noter, c'est que les deux travaillent sur les chaînes nationales. Ils ne sont ni sur TF1, ni sur M6. A priori, on peut se poser la question de savoir si c'est de l'ordre de la mission du service public que de donner au peuple du people en pâture aux téléspectateurs »98(*).

D'un côté, on note une tendance provocatrice ou à visée humoristique - Tout le monde en parle sur France 2, On ne peut pas plaire à tout le monde sur France 3, les émissions d'Arthur, La Grosse émission - et de l'autre les émissions qui souhaitent mettre à l'aise l'invité pour recueillir des confidences - Petites confessions entre amis et Recto Verso sur Paris Première, Vivement dimanche sur France 2. Si la première recueille pour l'instant le plus de suffrages - les émissions de confession étant le plus souvent sur les chaînes câblées-, la seconde semble être fortement apprécié par les personnalités, attiré par le côté convivial et la présence d'un animateur unique. Celles-ci apprécient en effet maintenir un certain mythe de bonheur autour d'elles tout en laissant croire à une certaine proximité. Or ces émissions prêtent bien à ce type de confession contrôlée.

Ces émissions de « confession », dont fait partie En aparté remplissent sur certains aspects le même cahier des charges que la presse à sensation dite « people ». Les médias répondent aux désirs de voyeurisme et d'identification du public. Ils font partie d'un système à vocation commerciale où la personnalité fait vendre des produits. En effet, ce culte de la personnalité du « people » n'a jamais été aussi présent dans nos modes de vie :

« Ce que peut révéler le succès d'un magazine comme « Voici », c'est d'abord la prégnance dans notre société du star system. Dans une société bloquée, où l' « ascenseur social » n'a sans doute jamais aussi mal fonctionné depuis la dernière guerre, le star system et ses mythes paraît être le seul recours pour des ambitions populaires »99(*)

Certes, En aparté n'est pas Voici, mais force est il de constater que tous deux s'inscrivent dans un désir de dévoilement des célébrités, chacun à sa manière. Tous deux sont impudiques : en souhaitant extirper des larmes à Charles Berling, en exploitant une amitié pour obtenir une belle image d'émotion, En aparté se révèle impudique. Mais contrairement aux journaux à scandales, En aparté se présente comme un porte-voix officiel des personnalités. Si Pascale Clark « vole » des moments d'émotion et d'authenticité à ses invités, c'est dans un cadre institutionnel. Ainsi, les invités peuvent venir entretenir leur propre mythe en passant dans l'émission. Le « people » à la télévision conserve tout de même des visées promotionnelles alors que celui de la presse à sensation possède d'autres visées. Nombreuses sont les personnalités sans aucune actualité depuis des années qui conservent leur célébrité par le biais de la presse « people ». Là se situe la différence essentielle entre la presse « people » et l'émission télévisée sur un « people ». Ce dernier doit entretenir son image par ses deux biais, la voix officielle et la voix non-officielle. Loin des rumeurs, racontar et bavardages de la voix non officielle, les émissions « officielles » comme l'est En aparté permettent à la personnalité de rétablir son image, parfois écornée par la presse. C'est le cas d'Arthur, par exemple, souvent qualifié de mégalomane. Lors de sa prestation chez Pascale Clark en 2002 , peu après la déferlante de la télé réalité, il eût l'occasion d'offrir une image, peut être étudiée, très éloignée de sa réputation.

2 - Le discours du tiers invité au sein d' En aparté 

Le discours de l'invité au sein de cette émission se situe donc à la croisée de celui de l' « Olympien » et de celui du « people » : d'un côté, il veut entretenir un certain mythe et il est en cela aidé par le dispositif. Pendant près d'une demi-heure, l'invité occupe entièrement un créneau dans la grille des programmes de Canal plus. En aparté sert en quelque sorte d'écrin à la personnalité et de ce point de vue, il entretient son caractère « Olympien ».De l'autre côté, l'émission donne l'occasion à son invité d'apparaître comme normal.

« La télévision transforme les choses : quelqu'un d'extraordinaire, comme un acteur, va essayer de passer pour quelqu'un d'ordinaire à la télévision, alors qu'on fera l'inverse avec les anonymes. On va demander à quelqu'un d'ordinaire soit de devenir extraordinaire, soit de jouer son propre rôle de personnage banal ».100(*)

L'émission suit donc le courant inverse de l'époque. Au lieu de rendre célèbre un anonyme, une célébrité se rend « normal » pour mieux appuyer sa promotion. Il doit donc se mettre au même niveau que son public. Le temps où les « stars » telles que Greta Garbo ou Marlene Dietrich entretenait le mystère sur leur vie privée est révolu. Le discours d' «En aparté » plaît aux personnalités car il prend le prétexte du professionnel pur aborder des questions privées. Chez Pascale Clark, les questions d'ordre sentimental ne sont jamais abordées crûment. On passe par divers stratagèmes pour les aborder. Par exemple, pour poser la question du couple Ségolène Royal/François Hollande à ce dernier, l'animatrice projette un document vidéo établissant un parallèle avec le couple Sarkozy. Ainsi, les questions d'inimitié sont abordées sans dépasser outrageusement le cadre professionnel. Car ce qui intéresse le téléspectateur sont souvent ces questions. De ce point de vue, la pensée d'Edgar Morin se confirme :

« Certes, la projection-identification intervient dans tous les rapports humains, dés que ceux-ci sont colorés d'affectivité : nous nous projetons et nous nous identifions dans nos amitiés, nos amours, nos admirations, nos haines, nos colères etc...Et par là l'imaginaire se trouve engagé dans le tissu quotidien de nos vies. Mais l'important est de relever que l'irruption de la culture de masse dans l'information développe un certain type de rapports de projection et d'identification qui vont dans le sens du romanesque, de la tragédie, et de la mythologie ».101(*)

Le téléspectateur continue d'entretenir avec la personnalité un rapport affectif. « J'adore Gad Elmaleh », « Amanda Lear ? Je la déteste ! ». Une popularité s'entretient sur des valeurs d'identification au public. Plus on est proche de lui, plus la célébrité a des chances de croître. Jamel Debbouzze par exemple, a bâti sa popularité sur son public, qui à l'origine lui ressemblait. Au contraire, Isabelle Adjani, autrefois symbole de la star inaccessible à la française n'a pas su correctement s'adapter à la nouvelle donne.

En aparté donne une chance aux célébrités de se rapprocher du téléspectateur. Cependant, bien que l'on puisse aborder grâce à l'émission leur intimité, elles continuent de rester tout de même dans un univers « Olympien » qui nous paraît inaccessible. Chez Pascale Clark, l'invité est posé sur un socle que l'on observe méticuleusement comme si il était exceptionnel. Cette émission, à bien des égards, m'a fait penser à l' « Actor's studio » présentée par James Lipton et diffusée en version sous-titrée sur Paris Première. Même ambiance intimiste, même mise en valeur de l'invité dont la parole (souvent banale) est mythifiée, même ton psychologisant de l'animateur, même « spectacularisation » de l'intime. Différence majeure, l'invité fait face au public comme à l'animateur. Le tiers-public y revêt un rôle majeur. Nous allons voir maintenant l'importance de ce tiers-public au sein d' En aparté.

a) Le véritable interlocuteur : le tiers-téléspectateur

En aparté, comme tout lieu de parole et de dialogue, constitue le lieu d'un discours. Nous allons voir les conditions de ce discours ainsi que sa principale particularité, à savoir sa « situation trilogique de conversation ».

1 - Un discours « ordonné »

Le dispositif, le ton de l'animatrice incite en effet à un certain type de discours dont nous allons voir les spécificités. En premier lieu, rappelons que l'invité s'adresse à deux interlocuteurs : l'animatrice et le téléspectateur. De ce fait, la conversation est déjà conditionnée par cette contrainte. Les codes de l'intime mêlés aux codes de la « spectacularisation », comme nous l'avons précédemment vu, constituent aussi une contrainte. Cependant, les invités sont attirés par le lieu de discours qu'est En aparté. L'émission représente un « rituel » pour eux, une institution pour valider sa célébrité. Sans n'avoir rien préparé, ils se trouvent portés par les rites du discours de l'émission.

« Le désir dit : « Je ne voudrais pas avoir à entrer moi-même dans cet ordre du discours (...). Je voudrais qu'il soit tout autour de moi comme une transparence calme, profonde, indéfiniment ouverte, où les autres répondraient à mon attente et d'où les vérités, une à une, se lèveraient ; je n'aurais qu'à me laisser porter, en lui et par lui, comme une épave heureuse. »102(*)

Il est à constater deux particularités contradictoires dans le discours de cette émission. En premier lieu, et ceci est le cas de toutes les productions audiovisuelles , le discours est enregistré : si la conversation instaurée par Pascale Clark tente de singer une conversation naturelle et désintéressée, elle n'en reste pas moins destiné à être conservé, rediffusé. Les propos de l'invité peuvent être repris, réinterprétés. Michel Foucault parle d' « existence transitoire du discours »103(*). Or, ici, le discours est voué à la pérennité. De ce fait, l'invité doit à la fois être naturel tout en se rappelant la vocation de l'émission (être vu par le maximum de téléspectateur). Le rôle de l'animatrice et du dispositif est de créer un discours à la fois satisfaisant pour l'invité ainsi que pour le téléspectateur, tout en masquant les velléités commerciales de la conversation :

« Dans toute société, la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d'en conjurer les pouvoirs et les dangers, d'en maîtriser l'événement aléatoire, d'en esquiver la lourde, la redoutable matérialité ».104(*)

L'animatrice doit donc réguler, contrôler le discours de l'invité. Par ce contrôle, elle se trouve dans une position de pouvoir : « Le discours n'est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s'emparer »105(*). On retrouve cette particularité dans la confrontation entre Pascale Clark et Maïtena Biraben : les deux, rompues à l'exercice, cherchent la parole, la domination dans le discours. Pourtant, Pascale Clark, par sa position, et par le contrôle du dispositif a clairement l'avantage alors que son invité se laisse dépasser. Cependant, le dispositif de l'émission donne aussi à l'invité une part de pouvoir : celui-ci investit l'espace et le temps, peut longuement réfléchir pour répondre à une question. On lui confère une importance : « Ecoute d'un désir qui est investi par le désir et qui se croit - pour sa plus grande exaltation ou sa plus grande angoisse- chargé de terribles pouvoirs »106(*). La présentatrice ordonne son discours : elle donne des occasions à son invité de parler sans contraintes, lorsqu'il pénètre dans le studio par exemple. Puis elle l'incite à commenter le document vidéo, puis les diapositives. Elle lui donne une impression de contrôle puisque c'est l'invité qui actionne les diapositives. Cette invitation au commentaire instaure un second niveau de discours :

« Le commentaire n'a pour rôle, quelles que soient les techniques mises en oeuvre, que de dire enfin ce qui était articulé silencieusement là-bas (...). Le commentaire conjure le hasard du discours en lui faisant la part ; il permet bien de dire autre chose que le texte lui-même, mais à condition que ce soit le texte même qui soit dit et en quelque sorte accompli. »107(*)

Le commentaire a pour rôle d'orienter le discours de l'invité. Celui-ci, qui n'avait donc rien préparé, se voit alors dans l'obligation d'aborder certains thèmes. La manière dont il va accepter ou rejeter les propositions influent sur la perception que va en avoir le téléspectateur. Il a donc une certaine pression. Cette pression est visible : l'invité a toujours un temps de surprise puis un temps de réflexion lorsque l'image apparaît sur le rétroprojecteur. Ensuite, il peut soit s'exprimer, soit n'avoir rien à dire : c'est le cas de Charles Berling qui restait silencieux à la fin de la projection du document vidéo le concernant : manière de dire « je n'ai rien à dire, à toi, l'animatrice de me poser une question ». Il revendique ainsi sa liberté, et d'une certaine façon son autorité. Il met aussi en difficulté l'animatrice qui se voit alors obligé d'improviser un enchaînement, et donc de réinvestir aussi l'autorité de sa parole.

S'inscrivant dans ce qu'appelle Foucault « une société de discours », En aparté joue donc sur les processus de limitation, d'exclusion, d'appropriation du discours : invité et animatrice se renvoient la parole, se transmettent l'autorité, jouent de leurs pouvoirs respectifs. L'animatrice recherche un « jaillissement spontané du discours »108(*)à contrôler tandis que l'invité cherche à dissimuler son intimité -ou du moins l'intimité qui ne servirait pas sa promotion. En effet, celui-ci souhaite avant tout s'adresser aux téléspectateurs. Tour à tour, chacun peut prendre le « pouvoir » dans la conversation :

« Les acteurs (de l'énonciation) peuvent assumer, au fur et à mesure que se déroule l'évènement, différents rôles dans l'interaction, en échangeant l'usage de la parole. Les rôles qui sont échangés, selon le degré de participation autorisé par chaque évènement en particulier, seraient ceux de locuteur, d'auditeur ou auditoire ».109(*)

Il y a donc deux niveaux d'audition : l'auditeur premier qui peut être l'animatrice ou l'invité, et de l'autre côté, un auditeur principal, qui est le téléspectateur.

2- La question du « tiers »

L'émission En aparté témoigne d'une « situation trilogique de conversation ». Par le biais de l'Autorité du média (l'animatrice, l'équipe de rédaction, la chaîne), le tiers invité s'adresse à un public qui est le véritable destinataire du discours. L'existence d'un tiers « caché » a fait l'objet de recherches dans un livre conçu sous la direction de Patrick Charaudeau « La voix cachée du tiers : des non-dits du discours ». Comme il le dit dans sa présentation :

« Pourquoi consacrer une étude à la question du « tiers » dans le discours ? Peut être parce que cette question, bien au-delà de la simple situation trilogique d'échange verbal, est au fondement de la vie sociale, et en tout cas du phénomène de communication. »110(*)

Patrick Charaudeau se pose la question du « Tiers, où es tu ? » : au nom de quoi parle le sujet ? Comment le droit à la parole vient au sujet ? Pour appuyer son propos, il s'appuie sur un exemple significatif, qui met en évidence l'émergence des trois types de tiers et qui montre leur interrelation. Il cite l'extrait d'une émission littéraire de télévision « Apostrophes », dans laquelle l'animateur, Bernard Pivot, après avoir interrogé l'un de ses invités, Jean-François Revel, à propos d'une interview que celui-ci avait donné à la revue Playboy, se tourne vers les deux invités et leur demande :

-Bernard Pivot : « Et vous est ce que vous lisez Playboy ? »

-Jean Cau (sec) : « Non ! »

-Jean Dutourd (bonhomme) : « Oui, ça m'arrive, parfois chez le coiffeur »

« Le dispositif de cette émission est triangulaire : émission dite de débat qui met en relation entre eux les participants à l'échange, mais également met ceux-ci en relation avec un tiers présent-absent : le public. On peut donc faire l'hypothèse que tout locuteur de cette situation sait qu'il est vu et écouté par ce tiers, et que même l'enjeu de l'échange est davantage tourné vers celui-ci que vers son interlocuteur, ou celui-ci via son interlocuteur. De plus, chacun des participants peut se trouver à tour de rôle, en position de tiers par rapport à ceux qui dialoguent »

Patrick Charaudeau parle de niveaux de problématisation dans ce discours :

« Dans le processus de sémantisation, la réplique de Jean Dutourd peut être interprétée, pour faire vite, de la façon suivante : « je lis cette revue quand l'occasion se présente (...) sans que j'ai besoin d'aller l'acheter chez le marchand de journaux. Tout se passe comme si Dutourd faisait appel au discours d'un méta-énonciateur qui dirait : « un intellectuel institutionnellement reconnu doit aussi être curieux de tout » et, corrélativement, laisserait entendre : « dans al vie, il faut savoir faire preuve de tolérance ».

« Enonciativement, cette réplique est susceptible d'avoir des effets divers :

Elle répond en apparence à Bernard Pivot, qui, en l'occurrence devient le tu-destinataire auquel J. Dutourd signifie qu'il n'est pas tombé dans le piège de la question : répondre « non » serait se montrer sectaire, répondre « oui » serait frivole. Mais en même temps, cette réplique institue Jean Cau en tiers. Elle construit de celui-ci une image de « sectaire » et, par opposition de Dutourd une image de personne « tolérante. (...) Et enfin, et cela simultanément, cette réplique est comme un clin d'oeil adressé au téléspectateur, tiers prévu dans le dispositif, clin d'oeil qui signifie : « Vous voyez comment on sort de cette question piège ? En faisant de l'humour ». Il appelle ce tiers à rentrer en complicité avec lui ».111(*)

Patrick Charaudeau se permet alors de dire que « comme tout acte de communication, les discours s'entremêlent ». Cet exemple peut donc être appliqué à En aparté. Notre émission est définie par Patrick Charaudeau comme une émission dite « de scène » : « Dans ce dispositif, il y a trois partenaires dont deux sont physiquement présents dans une co-énonciation dyadique d'alternance de parole, et un troisième (...) ; lequel est en position d'écoute, de témoin, mais n'a pas le droit à prendre la parole ». L'invité d' En aparté se sert donc du dispositif et donc de Pascale Clark pour s'adresser à son public. Le média sert de filtre à cette parole. Par la mise en scène, par l'orientation des questions, il peut conférer un sens tout autre à un certain discours. Lorsque Maïtena Biraben pénètre dans le plateau d' En aparté, c'est dans le but d'offrir une image sympathique d'elle et de relancer sa propre émission. Elle se promeut elle-même en des termes flatteurs : « Je suis gâtée par la vie », «Je suis inconsciente » : elle veut donner l'image d'un électron libre, qui a du caractère. Or, le dispositif d' En aparté met en valeur cette promotion d'elle-même au lieu de la soutenir « Je ne vous crois pas inconsciente » répond Pascale Clark. Les deux animatrices sont toutes deux conscientes de s'adresser au tiers invité. De la même manière, Charles Berling, sous des couverts d'insouciance, sait très bien qu'il est face à son public. En feignant d'être à l'aise et de ne pas respecter les codes de l'émission, il veut communiquer à son public le message suivant : « Regardez comme je n'ai que faire de toute cette promotion, comment je le prend à la légère ».

L'animatrice peut aussi recourir à la convocation d'un autre tiers à l'intérieur même de son discours, afin d'aborder des thèmes plus difficiles. Par exemple, la participation de l'ami navigateur de Charles Berling a servi à rendre l'échange plus intime. De même, lors de la prestation de François Hollande, l'animatrice a préparé un document vidéo traçant les ressemblances et les différences entre lui et Nicolas Sarkozy. Ce document a servi à aborder d'une manière un peu originale le sujet, épineux pour le premier secrétaire du parti socialiste.

« Dans l'espace de l'énoncé, la référence à des tiers permet de reconstruire un évènement depuis la perspective du locuteur et d'extrapoler l'attitude de ce locuteur par rapport aux faits narrés ainsi qu'aux autres acteurs qui sont intervenus dans l'évènement, à partir des jugements positifs ou négatifs qu'il exprime et la façon dont il se situe en même temps, soit comme interprète face à autrui, soit en situation d'opposition déclarée ou d'affrontements, mais toujours à l'intérieur du cadre idéologique partagé d'une même communauté de discours. »112(*)

Néanmoins l'émission ne se perd pas en de multiples convocations de tiers différents. L'animatrice choisit soigneusement les tiers afin qu'ils aient une résonance précise sur l'invité. Un « tiers » est défini comme un « énonciateur abstrait convoquant des valeurs ou croyances supposées partagées »113(*), ce qui définit donc en premier abord le téléspectateur.

3- Une situation symbolique

Le dispositif d' En aparté a pour effet d'isoler les acteurs de l'énonciation : le téléspectateur a vraiment l'impression que les participants de l'échange sont seuls. L'importance du tiers-public en est souligné. En guise de comparaison, on peut comparer le lieu de l'échange de l'émission à un lieu où deux personnes discuteraient en ayant l'impression d'être seuls, et ce en face de l'équivalent d'une centaine de stade de France remplis de spectateurs.

La situation tripartite d' En aparté rappelle aussi à plusieurs égards la relation entre les médias, la politique et les citoyens. Pascale Clark se positionne comme le relais du citoyen : « Les gens se demandent... », « On dit que... ». Comme l'énonce Charaudeau, « l'instance citoyenne est érigée en tiers opinion de référence »114(*). L'animatrice est une médiatrice. L'importance de l'invité est souligné : son discours est attendu, mais ce qu'entend le téléspectateur est en fait le produit à la fois de l'invité et de l'animatrice.

Chaque tiers participant de l'émission revêt une autorité. L'invité détient l'autorité de l'auteur. Il reste l'acteur principal et donne le ton de l'émission : intimiste, drôle, décalé...L'attractivité d' En aparté dépend de la qualité des invités. En second lieu, l'animatrice qui incarne le média possède l'autorité la plus remarquable, ce que nous avons démontré avec notre première partie. Et enfin, le téléspectateur qui est le destinataire du discours. Celui-ci, s'il n'est pas une figure d'autorité visible, possède néanmoins un pouvoir non négligeable. Le public impose les principales conditions du discours, mais d'une manière indirecte.

B) Le politique à l'épreuve

La prestation de François Hollande au sein d' En aparté pose toutes les problématiques relatives au passage d'un homme politique dans une émission populaire. Ceux-ci ont investi ce créneau d'émission au cours de ces dernières années : citons entre autres les prestations de Nicolas Sarkozy ou de Claude Allègre chez Marc-Olivier Fogiel, celle de Michel Rocard chez Thierry Ardisson...Lorsqu'ils sont ministres, ils évitent soigneusement les émissions populaires à l'exception notable de celle de Michel Drucker Vivement dimanche où ils savent qu'ils ne prennent aucun risque. Ils limitent leurs prestations aux émissions politiques ( Cent minutes pour convaincre ) et aux journaux télévisés. La télévision y joue son rôle d' «  agent médiateur entre les gouvernants et la société civile »115(*). Le politique, dans les émissions populaires, doit adopter un discours complexe, orienté par deux impératifs : être prêt du peuple, tout en revêtant une stature de Chef au sens de Kojève : « Le chef, plus apte que d'autres à prévoir, plus intelligent et clairvoyant, qui conçoit un projet, dirige et commande »116(*). Pour réussir son discours, il doit s'éloigner du style « glacé », qui primait auparavant dans les émissions politiques :

« L'organisation temporelle est un miroir de la relation au pouvoir dans la parole politique : elle symbolise la distance sociale qui existe entre l'homme politique et son audience. La distance entre les individus peut être divisée en quatre catégories majeures : intime, informelle, sociale et publique. A chacune de ces distances correspond une distance physique entre les individus et un type de voix et de parole. Par exemple, la distance publique (qui est celle du discours politique) est caractérisé par le « style glacé » typique des individus qui sont (et souvent doivent) rester étrangers l'un à l'autre. Une prononciation soignée (dite hyperarticulée), une voix forte et une vitesse de parole lente sont des traits de ce style. Utilisée consciemment par l'homme politique, l'organisation temporelle de la parole symbolise la distance publique qui le sépare de ces concitoyens »117(*).

Or, le politique, lors d'une prestation dans une émission populaire doit se détacher de ce style là. Plus encore chez En aparté, il doit établir une réelle correspondance avec les citoyens-télespectateurs. Mais il doit, plus que tout autre invité, maîtriser son discours. Il ne peut en aucun cas adopter la même nonchalance que Charles Berling : « L'homme politique doit donc être un professionnel du savoir dire (...). Il doit répondre aux exigences de l'intelligibilité dictées par la situation, le niveau intellectuel de l'auditeur et par l'adversité de l'environnement (salle, rue bruyante, contact indirect) ». Sur ce point de vue En aparté offre des conditions extrêmement confortables pour s'exprimer. « Mais il doit aussi paraître spontané quand il est interrogé sur sa vie, ses goûts. A ces exigences vient s'ajouter la contrainte du temps (souvent bref) qui lui est imparti. (...). Il doit gérer l'organisation temporelle de sa parole, entre temps d'activité et temps de repos,  s'il veut donner sens à son message et atteindre son objectif »118(*). On imagine alors la somme de préparations dont a dû faire l'objet François Hollande avant sa prestation chez Pascale Clark. Car il doit avoir la prestance d'un homme présidentiable et au-delà adopter une attitude qui le détache de ses concurrents :

« L'homme politique n'est plus seulement l'avocat de son parti. Il est requis de produire une mise en scène plus élaborée de son personnage, d'afficher les signes d'un équilibre, d'une aisance personnelle »119(*).

Dominique Mehl précise que l'homme politique doit aussi se détacher de l'homme ordinaire : face à l' « émotif », le « profane », il doit apparaître comme un homme fort : « L'homme politique, comme homme public, se caractérise depuis plusieurs siècles par une presque parfaite maîtrise de soi »120(*). Cette maîtrise de soi est particulièrement requise lors d'une prestation chez Pascale Clark. Par ailleurs, l'enjeu est d'autant plus important que « les citoyens sont très désireux de connaître leurs gouvernants, d'approcher leur personnalité et de les mettre à nu, plus de connaître leurs programmes ».121(*)L'entretien télévisé est donc un excellent moyen d'approcher les citoyens-télespectateurs. « L'entretien, par opposition à l'interview, est une situation dans laquelle l'interviewer interroge son invité non pour apprendre quelque chose mais pour révéler sa personne, sa pensée, son histoire. L'entretien ressemble davantage à al psychologie qu'à l'information. »122(*)

Analysons maintenant la prestation de François Hollande chez Pascale Clark. Rappelons que celui-ci en début d'année était l'homme fort du parti socialiste face à une division au sein même de ce parti. L'ébranlement du « Non » à la constitution européenne ne l'a pas encore fragilisé et François Hollande essaie de s'imposer face à un Nicolas Sarkozy agressif sur le plan médiatique. Le premier secrétaire du parti socialiste jouit encore de sa victoire aux régionales, d'où l'introduction de l'animatrice « François Hollande, victorieux jusqu'où ? ». « En 2004, il a tout gagné, régionales, européennes, référendum interne sur la constitution européenne (...) que lui manque t-il pour encore s'imposer ? ». Dès le début, l'animatrice présente l'angle de l'émission : mettre le politique face à ses failles pour expliquer sa relative inconsistance. Elle dit ce texte sur les images de François Hollande pénétrant dans le studio : celui-ci ignore à ce moment-là ce qui va être dit. Il ne maîtrise donc pas le dispositif et est déjà mis en difficulté au cas où il voulait imposer une stature de présidentiable. De plus, au moment où il est dans le studio, Pascale Clark remarque son pas décidé comme pour en souligné le caractère superficiel : « François Hollande, pas décidé hum... Bienvenue ! ». L'équipe a préparé comme collation un verre d'eau gazeuse, boisson banale s'il en est, et un biscuit en chocolat : « Et ça, je sais que ce n'est pas très sympa » se permet l'animatrice. Celle-ci, on le devine, souhaite peut être aborder la question de l'embonpoint de son invité. Celui-ci rejette cette proposition par un « mais si, c'est très sympa ». On imagine qu'il ne souhaite introduire sa prestation par une question aussi peu fondamentale. Il souhaite se mettre en valeur. Par contre, en acceptant cette proposition, il aurait sûrement pu la retourner élégamment à son avantage, en jouant avec les mots ou en soumettant une réflexion pertinente. Dès le début, on le sent en fait sur la défensive, et peu décidé à prendre des risques.

L'animatrice se permet peu de digressions avec l'homme politique. Les traditionnelles remarques sur le studio sont rapidement évacuées, Hollande donne l'occasion de rappeler qu'il est déjà passé « Ca a changé depuis... », et se dirige naturellement vers le canapé. Là, il adoptera une posture rigide, et un regard fixe. Les hommes politiques, comme les animateurs d'ailleurs, habitués à jouer du regard face à la caméra, sont souvent déstabilisés par le dispositif d' En aparté. D'où parfois cette rigidité qui traduit une certaine gêne. L'animatrice est assez efficace : elle pose une question qui sera le fil conducteur de tout l'entretien : « C'est une question que je me suis souvent posé...Comment les hommes politiques font pour tenir le coup ? ». Ici, l'animatrice se met dans la position du citoyen. Elle ne souhaite pas aborder certains points du programme mais la force de l'homme politique. Se pose ici la question de l'autorité : l'autorité du média, incarné par Pascale Clark, agit comme un médiateur pour les citoyens et souhaite vérifier la crédibilité de « chef » d'un politique. Deux types d'autorité sont donc ici face à face. En parlant à l'animatrice, François Hollande s'adresse à toute une frange de citoyens qu'il souhaite atteindre : le public de Canal plus. Face à ce type de questions, le politique doit donc soigner son discours, tout en paraissant spontané. L'invité essaie de se détendre, s'installe confortablement sur le canapé : « C'est une vie que l'on a choisi (...) on l'organise, parfois mal (...), on n'est pas là pour faire pitié, d'ailleurs, je ne crois pas que l'on fasse pitié ». L'invité saisit l'occasion que lui donne l'animatrice pour faire partager quelques bribes de sa vie privée : il sait très bien que ce sont ces bribes qui intéressent le téléspectateur. « Le dimanche, quoi qu'il arrive, je reste avec ma famille ». Il s'offre une image sympathique aidée en cela par Pascale Clark qui évoque sa « normalité » en citant le moment où on l'a surpris faisant les magasins.

Par la suite, l'animatrice revient à son fil conducteur : « Pour commencer, je vais vous parler de vos victoires ». Elle sous-entend que l'entretien s'orientera par la suite vers les échecs. On imagine qu'elle souhaite mettre à l'aise l'invité et paraître « juste ». Elle revêt à ce moment-là l'autorité du juge au sens de Kojève. Pour appuyer son propos, elle projette sur deux écrans, l'un situé derrière Hollande, l'autre devant, une couverture de magazine où figure le même Hollande titré « L'homme de l'année ». Le téléspectateur, par l'effet d'une mise en abyme, voit donc deux Hollande dont l'un se regardant tout en se commentant (voir I). Celui-ci est donc invité à commenter sa représentation, et ce sous un angle flatteur voulu par l'animatrice. Celle-ci lui demande « avez-vous senti que l'on vous regardez différemment ? ». Celui-ci acquiesce : il se sent à ce moment-là à son avantage. Il évoque alors son idée de la politique tout en regardant la couverture : la mise en scène de l'émission confère un effet narcissique à cette évocation : Hollande contrecarre toutes les présomptions de Pascale Clark concernant sa présupposée « faiblesse » : « Et cela vous mets la pression, non ? » « Mais il s'agit d'une bonne pression, une pression démocratique... ». L'invité évacue toutes possibilités de montrer ses failles. Et il a tout intérêt : il n'est pas ici pour susciter une quelconque pitié mais pour s'affirmer tout en se montrant accessible. L'échange relève alors plus de la lutte entre les deux autorités. Hollande répète alors ce que les électeurs lui disent : « Mais on en peut plus de cette droite, parlez plus fort ! ». Pascale Clark en profite pour le faire parler du dialogue avec ses électeurs : « et vous y arrivez ? » « C'est que l'on essaie de faire, là » répond il en se désignant. L'animatrice introduit doucement sa transition vers les échecs de son invité : « Mais vous n'y êtes pas arrivé », « mais vous n'êtes pas très audibles ». L'invité se permet alors une pique vers Jacques Chirac, en évoquant son audition et en désignant ses oreillettes : « Faut peut être l'équiper ! ». Ce type d'éloquence le sert : l'humour peut s'avérer utile pour retenir l'attention du télespectateur-électeur. Il évoque alors Nicolas Sarkozy « ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui représente le changement ! ». Cette remarque va aussi servir le fil conducteur de Pascale Clark : il est évident qu'un parallèle avec l'homme fort de la droite allait s'imposer, celui-ci étant le principal adversaire, tant politique que médiatique de l'invité. « C'est curieux que vous évoquiez spontanément ce nom... ». Pourtant, on imagine Hollande parfaitement conscient qu'en intervenant dans un média, on allait parler de Sarkozy. Il se montre donc prompt à expliquer son point de vue concernant son adversaire. L'échange s'en trouve fluidifié. Il se trouve que l'équipe d' En aparté avait préparé un document vidéo intitulé « Hollande-Sarkozy, destins à part », retraçant les parcours des deux hommes ; le but est d'établir entre eux un parallèle. L'invité esquisse un léger sourire : peut être se sent il piégé ou sûrement il s'attendait à ce type de parallèle.

Le document, réalisé par David Dufresne, ex-chroniqueur télé à Libération et spécialiste des questions médiatiques, compare les deux hommes : sur leurs âges « Lui et lui, tous les deux de la même génération, 52 ans en 2007 », leurs gestuelles : « Tous les deux les bras qui moulinent », leur profession d'origine « avocats à l'occasion », leur ami commun « entre eux, Christian Clavier, ami de l'un pendant les années lycée, passé depuis dans le clan Sarkozy », leurs épouses « leurs épouses en porte-voix, en porte-chance », leurs carrières « premier siège de député la même année, 1988 » et enfin, pour conclure sur leurs points communs , leur « ennemi intime » :Jacques Chirac et leurs ambitions présidentielles. Le second mouvement du document vidéo s'oriente vers leurs différences : « l'homme pressé et les petits pas, la bonne blague et la férocité, Sarko qu'on sur estime, Hollande qu'on sous estime dit-on, et les deux qu'on guette ». Le document se conclue, d'une manière un peu brusque sur une image de Nicolas Sarkozy qui s'adresse à Hollande d'un air supérieur : « Mais monsieur Hollande, ne vous fâchez pas ! ». On sent dans cette conclusion une manière de provoquer l'invité. Par ce procédé, un autre tiers entre en jeu dans la conversation à deux : l'accepter aurait été d'en souligner son importance. Or, Hollande veut s'imposer en homme fort et rejeter l'omniprésence médiatique de son adversaire. Malgré les ressemblances évidentes établies par le document, Hollande se refuse à les commenter : « Je ne suis pas là pour faire la psychologie de Sarkozy, je vais vous parler de la mienne ». Pour le téléspectateur, ce refus fait sens : Hollande minimise son autorité. Pourtant, il va continuer à parler de lui tout en évoquant Sarkozy : « Je ne suis pas un obsessionnel, je ne suis pas quelqu'un qui pense tous les jours à ce qu'il sera demain ». Dans cette dernière phrase se fait ressentir une certaine perte de spontanéité et d'honnêteté : l'invité hésite, peine à trouver ses mots et dit finalement une banalité : évidemment que l'homme politique, comme tout homme d'ailleurs, pense toujours au lendemain. En voulant absolument s'éloigner de la description de son adversaire, Hollande fait des erreurs de communication. Ces erreurs, dans le dispositif d' « En aparté », sont extrêmement visibles. Pascale Clark profite de cette faille pour aborder le thème qui fâche : « sous estimé...on sent qu'il vous manque quelque chose pour complètement vous imposer ». L'invité, déstabilisé a du mal à répondre. A ce moment là, les caméras perçoivent cette gêne et la mettent en valeur en cumulant les gros plans et les plans sur des jambes qui se décroisent nerveusement. L'invité répond alors par ce que définirai par une erreur de communication : « mais je ne suis pas dans un rapport de séduction, je ne suis pas dans la communication ». Or, Hollande se trouve dans une émission plutôt populaire. Nier la communication de sa démarche ne le sert pas, ce que Pascale Clark remarque justement. Il se reprend alors en précisant qu'il n'est pas dans un rapport narcissique à l'image : l'ombre de Nicolas Sarkozy plane encore sur le plateau d' En aparté.... L'animatrice le met alors en difficulté : « Mais pourquoi pas, ce ne serait pas honteux ! ». François Hollande, agacé, évoque alors Nicolas Sarkozy : « Puisque vous me parlez de lui... ». Il se refuse à parler « comme lui...ou d'autres » à la première personne : « Je ne suis pas dans un rapport égocentrique ». En définitive, Hollande explique son manque de charisme par sa propension à refuser la promotion de soi-même. Lorsqu'il dit « je ne suis pas dans la communication », cette affirmation peut paraître effectivement juste. L'animatrice tente de le suivre dans son sens : « Est ce que votre humour, votre côté enjoué, ne finit il pas nuire à votre crédibilité ? ». « Il faut regarder les choses avec humour. Il y a une part de spectacle que j'assume ». Rappelons que l'invité niait être dans la communication quelques instants auparavant. Hollande est alors filmé en contre-plongée, comme pour accentuer le côté spectaculaire et appuyer son propos.

Vient la séquence « diapositives ». Pascale Clark précise « que l'on va continuer à parler politique ». L'animatrice lui fait projeter une image où apparaît un livre polémique « Au secours Lionel revient ! ». L'invité s'esclaffe « Ah celle-là, je l'attendais ! ». Effectivement, le choix des diapositives tient compte des attentes du téléspectateur, qui aimerait connaître l'avis de ses dirigeants sur ce genre d'actualités. Hollande en profite pour glisser : « Je vais vous faire une confidence...puisqu'il en faut ». Ce type de phrase ne peut être qu'attendu dans ce type d'émissions. L'invité sait qu'il doit impliquer le téléspectateur : le « vous » est ici adressé tant à ce téléspectateur qu'à Pascale Clark. Pascale Clark évoque ce livre pour faire parler Hollande du départ de Jospin, sujet qui est assez épineux. On note que la stratégie de l'animatrice est de toujours passer par un autre tiers absent pour faire parler son interlocuteur. Ainsi, l'émission paraît plus attractive qu'une émission politique. Pour parler de la constitution européenne, elle passe par la projection d'une publicité espagnole qui fait appel à des célébrités. On peut dire que le média souhaite retenir l'attention du téléspectateur, et pour ce, il utilise ce type de stratagème. Il donne l'occasion au politique de parler de ses idées sous un angle moins rébarbatif. Pascale Clark en profite pour parler de Laurent Fabius -toujours ce recours à un autre tiers- pour aborder les questions d'inimitié au sein du parti. L'invité se montre alors gêné : on voit qu'il cherche la caméra des yeux. Pour se rattraper, il adopte une gestuelle dynamique, tente de parler avec conviction, expose ses idées...

Pascale Clark (après un temps): « J'ai failli m'endormir ».

La présentatrice provoque son invité par cette remarque, comme pour lui rappeler d'être plus concis. Cette remarque nuit à la crédibilité de l'argumentation qu'il a déjà eue du mal à développer. La caméra insiste sur la posture qu'il prend sur sa chaise, par le biais d'un plan d'ensemble : on voit que ses pieds ne touchent pas terre.

Enfin, Pascale Clark projette un encart du magazine Elle où est écrit « Astro 2005 ». Par ce biais, l'animatrice aborde la question du couple Hollande-Royal : « 2005, c'est l'année du mariage, non ? ». Elle passe un peu abruptement de la politique à des questions plus intimes : le dispositif des diapositives permet ce type d'enchaînements. François Hollande limite sa réponse aux questions politiques de son couple. L'animatrice insiste sur les problèmes que poseraient une éventuelle concurrence entre les deux partenaires « Ne faites pas semblant de ne pas comprendre ! ». On sent que le caractère consensuel de la réponse de son invité l'énerve. Elle se permet donc d'être plus brutale dans ses questionnements. François Hollande finit cette séquence avec une pointe d'humour qui rattrape son malaise : « Mais cela va être même plus facile avec Ségolène, je vis avec elle et non avec les autres prétendants ! ».

Vient ensuite la séquence du disque : l'invité paraît plus à l'aise ; j'ai néanmoins remarqué à ce moment là qu'il était en costume, ce qui lui donne un aspect assez rigide, surtout lors de cette séquence. Il se permet là encore quelques piques d'humour, appuyé par l'animatrice. L'échange est bien plus détendu, Hollande choisit la bande originale de « L'un reste, l'autre part », comme un ultime pied de nez à ses adversaires. En prenant sa photographie, il offre encore une plaisanterie : « Je vais chercher le petit quelque chose ».

L'échange entre l'invité et l'animatrice s'est donc révélé houleux : on a senti Hollande mal à l'aise, parfois maladroit. Il avait parfois du mal à rendre attractif ses propos. L'animatrice l'a souvent mis en difficulté. L'exercice est ardu : il faut rendre naturel une prestation qui ne l'est pas, tout en lâchant un peu de spontanéité. Pourtant, il y a une réelle différence entre le début et la fin : l'invité paraît bien plus sympathique au fur et à mesure. L'animatrice a donc livré une émission où on a pu observer le type de tempérament, plutôt bonhomme, de François Hollande. La mise en scène a accentué son manque de charisme mais Pascale Clark lui a donné l'occasion de se justifier et de montrer son humour. L'entretien était donc fortement orienté, mais orienté vers ce que le média suppose des attentes du public. L'homme politique, plus que tout autre invité, s'adresse plus particulièrement au tiers téléspectateur. Le média, incarné ici par Pascale Clark, jouit d'un réel pouvoir : il peut faire et défaire la réputation d'un politique par l'orientation des questions. Cependant, l'émission n'est pas considérée comme un guet-apens par les personnalités, grâce au talent de l'animatrice qui revêt l'Autorité du Juge : juste et équitable, elle est le porte-parole du public, et parfois du citoyen. Son importance est donc réelle. Un rapport de force se crée mais un rapport nécessaire pour accoucher non pas de ce que dit Hollande (qui reste finalement assez banal), mais de la manière dont il le dit. Le public juge alors de sa prestance ; cela peut donc entretenir aussi le climat de « communication à tout va » qui a tendance à régir notre politique contemporaine. Il ne faut donc rester lucide sur les qualités de cette émission, qui entretient l'excès de personnification dans la politique.

Conclusion

Le choix d' En aparté comme sujet de mémoire dans un séminaire traitant des figures d'autorité et de pouvoir me parait désormais largement justifié à la lumière de l'étude que je viens d'effectuer. En effet, le triangle formé par l'invité, le téléspectateur et le public est lourd de sens.

En premier lieu, nous avons vu en première partie en quoi Pascale Clark constitue une figure d'autorité. En faisant le choix de ne pas se montrer à l'écran et de s'appuyer sur son talent vocal, elle s'est imposé comme une institution de la confession médiatique : alors que la tendance est plutôt aux animateurs provocateurs, elle renverse ce phénomène en épousant et en s'adaptant à une autre tendance, celle de la télévision relationnelle et intimiste ; ainsi, elle rejoint la famille des Mireille Dumas et autres Ménie Grégoire. Le personnage de Pascale Clark est une figure d'autorité aux multiples facettes : elle se fait tantôt mère, tantôt maître, tantôt juge...Incarnant son émission, l'animatrice fait corps avec son studio-appartement : elle est une entité médiatique dont les visées dominatrices sont masquées par la douceur envoûtante de sa voix. Par ailleurs, du fait qu'elle soit une femme et qu'elle ne mise pas sur sa présence physique, la constatation de son autorité est d'autant plus remarquable. Elle acquiert une stature quasiment mythique car inaccessible. Aussi inaccessible que les célébrités avec qui elle s'entretient. Celles-ci reconnaissent cette autorité. Rajoutons que les figures d'autorité féminines sont rares dans le paysage audiovisuel français.

Ensuite nous avons analysé la rencontre contradictoire de deux langages au sein de cette émission : en effet, En aparté est apparu simultanément à Loft Story et emprunte de nombreux codes à la télé réalité.  Pourtant, le voyeurisme du téléspectateur répondant à l'exhibitionnisme de l'invité ici ne choque pas : le média a réussi à conférer un vernis respectable à l'émission. Nous avons vu qu' En aparté au-delà de s'inscrire parfaitement dans une ère de l'intimité, répond aussi à des désirs primitifs de l'homme. « En aparté » est en quelque sorte un zoo télévisuel où le téléspectateur se délecte à regarder l'inaccessible, la célébrité. Le studio, conçu comme le reflet d'un appartement-type d'un téléspectateur de Canal plus crée une correspondance entre l'invité et ce téléspectateur. Cette correspondance est ambivalente car elle repose sur des valeurs d'identification, de reconnaissance, mais aussi de domination : l'invité est valorisé, mythifié, mais dans un second mouvement il est aussi soumis aux jugements des milliers de téléspectateurs qui l'observent. Tout le monde l'écoute, il est sur un socle, comme un animal prestigieux. Le téléspectateur assiste à une conversation-spectacle. Grâce à ces effets de correspondance, le téléspectateur peut s'imaginer dans la peau de l'invité : « Il y a quinze ans, deux mondes cohabitaient : le monde des gens dans le poste et celui des gens devant le poste. Aujourd'hui, chacun se voit sur un écran de télévision via le caméscope et peut s'imaginer sur un plateau ».123(*)

L'originalité de l'émission de Pascale Clark réside aussi dans le fait qu'elle emprunte les codes des émissions de l'intimité mais, au lieu de confesser les anonymes elle s'appuie sur les figures médiatiques. La télévision de l'intimité qui auparavant apparaissait comme une réponse aux « défections du lien social » se voit exploité pour confesser les célébrités. En fait, En aparté stigmatise deux tendances de la télévision des années 2000 : d'un côté, l'avènement du voyeurisme institutionnalisé et de l'autre côté l'émergence de nouvelles formes de célébrités « warholienne », éphémères. L'émission répond à cette seconde tendance en se positionnant comme une institution qui valide les parcours des gens célèbres et de ce fait les reconnais. En effet, l'émission répond à la demande du public d'une relation avec les gens médiatiques. Ceux-ci, désormais baptisés « people », sont devenues des références affectives : la télévision les a rendu accessible. Les médias cherchent incessamment de nouvelles possibilités d'interactivité avec eux. D'ailleurs, quelques émissions ont imité certain des éléments du dispositif d' En aparté : citons entre autres « La boîte à questions » dans Le grand journal, présenté par Michel Denisot sur Canal plus ou Petites confessions entre amis sur Paris Première. Plus généralement, la, tendance au confessionnal se généralise sur de nombreuses chaînes.

Mon corpus a permis d'étudier les différents types de prestation possibles dans En aparté. Le passage de Maïtena Biraben a donné une confrontation entre deux figures d'autorité. Pascale Clark a mis à l'épreuve sa collègue et a « filtré » son narcissisme. Avec Charles Berling, l'animatrice s'est trouvé confronté à un électron libre, peut être moins naturel qu'il semblait : le dispositif de l'émission rend visible les faux-semblants. La prestation de François Hollande m'a parut la plus intéressante à étudier : le politique se trouve confronté l'espace d'une émission télévisée à une autorité supérieure qui est le médiateur entre lui et le citoyen. Entre confession et promotion, le choix du ton paraît difficile.

On l'a vu, En aparté donne à voir une « situation trilogique de conversation », qui est le reflet du rapport entre média, citoyen et politique. Cette situation de conversation met en exergue un tiers autoritaire : le média. Celui-ci contrôle, régule le discours, en fonction de la demande du public auquel il s'adresse. La situation dans laquelle l'invité se trouve est de nature autoritaire : il reste quand même enfermé, telle une souris de laboratoire, et soumis à de multiples questions. La figure auquel il est confronté est une figure autoritaire : Pascale Clark. Celle-ci, sous des couverts psychologisants, revêt en fait l'autorité du Juge, au sens de Kojève. Son autorité est effectivement reconnue de part et d'autre de l'écran car elle est juste. L'autre figure autoritaire, indirecte, est le téléspectateur. En effet, le média reste un agent médiateur entre les deux instances de conversation. Ce téléspectateur est le tiers caché de la conversation. Cette dernière s'adresse à lui. Les deux participants de l'échange singent une conversation naturelle alors que le véritable interlocuteur est invisible.

L'espace d' En aparté peut donc être défini comme un confessionnal du monde médiatique. On y vient pour s'adresser aux téléspectateurs. Chacun y trouve son compte et a ses intérêts dans l'émission, ce qui crée des rapports de force, des relations d'ordre affectifs. Cette émission reste appréciée, que ce soit par les téléspectateurs, les autres médias et les invités. Des rumeurs évoqueraient un éventuel arrêt de l'émission : le concept s'effriterait car la plupart des personnalités sont passés, parfois plusieurs fois...

Mon principal regret est de ne pas avoir pu pénétrer les coulisses de l'émission, et ce malgré mes efforts. Je n'ai pu recueillir que quelques témoignages d'anciens stagiaires qui avaient rencontré Pascale Clark : celle-ci apparemment, si elle apparaît dans mon mémoire comme une indéniable figure d'autorité, reste une personnalité effacée dans la vie.

En définitive, En aparté est donc une conversation-spectacle où les deux participants vise le même interlocuteur. Le vernis d'intimité reste superficiel et donne l'occasion de renouveler les codes traditionnelles de mise en scène. On ne peut que parier sur l'accentuation de cette tendance. En aparté, à l'inverse des émissions de télé réalité traitant avec les célébrités ( la Ferme sur TF1 entre autres) respecte ses invités et ne participe pas au climat ambiant de déliquescence des autorités.

Au regard des recherches menées pour la conception de ce mémoire, je ne peux que conclure qu' En aparté représente une synthèse des deux tendances de programmation de notre télévision actuelles : voyeurisme et culte de la personnalité se rencontrent au sein d'une émission devenue institution.

ANNEXES

Sources audiovisuelles

- Emission « En aparté » du 8 janvier 2 005, enregistré sur cassette VHS, chaîne Canal plus, consultable à l'INA.

- Emission « En aparté » du 15 janvier 2005, enregistré sur cassette VHS, chaîne Canal plus, consultable à l'INA.

- Emission « En aparté » du 22 janvier 2005, enregistré sur cassette VHS, chaîne Canal plus, consultable à l'INA.

- Emission « Best of En aparté », du 31 décembre 2004, enregistré sur casette VHS, chaîne Canal plus, consultable à l'INA.

Sources presse

« La pro du réveil mutin », Stéphane Jarno, Télérama n°2482, 6 août 1997

« Les petits matins de Pascale Clark », Daniel Psenny, Le Monde télévision,

Dimanche 2/Lundi 3 août 1998

« Pascale Clark, une voix, des visages », Nicolas Rey, Le Figaro, le 11 août 1998

« Pascale Clark, la voix sans maître », Aude Dassonville, Libération, le 25 août 1998

« Meneuse de revue », Natahlie Dray, Les Inrockuptibles, le 14 octobre 1998

« Revue de presse sous pression », Annick Peigne-Giuly, Libération, le 23 décembre 1998

« Le charme des mots », Sylvie Kerviel, Le Monde Télévision,

Dimanche/ Lundi 18 juin 2005

« La femme invisible », Cecile Deffontaines, Le Nouvel Observateur, le 6 septembre 2001

« Derrière le masque », Sylvie Kerviel, Le Monde, le 16 septembre 2001

« Mickael Youn sous le regard de Pascale Clark », Sylvie Kerviel, Le Monde télévision, le 13 avril 2002

« Tam Tam électoral », Annick Peigné-Giuly, Libération, le 20 avril 2002

« La télé raconte un autre monde que le mien », Sylvie Kerviel, Le Monde, le 3 août 2002

« Jean Rochefort en tête à tête avec une voix », le Figaro, le 14 septembre 2002

« Pascale Clark : dans les coulisses de la télé », Bruno Corty, le Figaro, le 20 mai 2003

« La femme sans visage », Emanuelle Dasque, Télérama, le 18 juin 2003

« Celle qui suit sa voix », Sébastien Homer, L'Humanité, le 15 novembre 2005

« La force de l'absence », Marco Mosca, le Nouvel Observateur, le 6 décembre 2003

« L'effrontée des maternelles », Emmanuelle Anizon, Télérama n°2837, 26 mai 2004

« Cas d'école », Pierre Siankowski, Les Inrockuptibles, le 2 juin 2004

« Pascale Clark, tout dans le ton », Véronique Mortaigne, Le Monde, le 14 juillet 2004

« Pascale Clark en aparté », Marie-Laure Germon, Le Figaro, le 8 septembre 2001

Sources électroniques

www.canalplus.fr

www.canalreunion.fr

www.loftscary.free.fr

Centres de documentation consultés

- Bibliothèque Sainte Geneviève, 10 place Panthéon, 75005 PARIS

- Bibliothèque nationale de France, quai François Mauriac, 75013 PARIS

- Inathèque, quai François Mauriac, 75013 PARIS

- Bibliothèque de l'Institut Français de Presse, 92, rue d'Assas, 75006 PARIS

Bibliographie

BOURDIEU Pierre, « La domination masculine », Paris, éditions Seuil, 2002, 192 pages

« Sur la télévision », Paris, éditions Raisons d'agir, 1996, 95 pages

BRETON Stéphane, « La télévision », Paris, éditions Grasset, 2005, 260 pages

DUCCINI Hélène, « La télévision et ses mises en scène », éditions Armand Colin, Paris,

1999, 127 pages

CHARAUDEAU Patrick et al. « La voix cachée du tiers, des non-dits du discours », éditions l'Harmattan, Paris, 2005, 235 pages

ESQUENAZI Jean-Pierre, « La télévision et ses téléspectateurs », éditions l'Harmattan, collection Champs visuels, Paris, 1995, 220 pages

FOUCAULT Michel, « L'ordre du discours », éditions Gallimard, Paris, 1989, 84 pages

JOST François, « La promesse des genres », revue Réseaux n°81, Paris 1997

« Introduction à l'analyse de la télévision », collection Ellipses infocom, Paris, 1999, 192 pages.

KOJEVE Alexandre, « La notion de l'autorité », éditions Gallimard, Paris, 2004, 204 pages

MEHL Dominique, « La télévision de l'intimité », éditions Nathan, Paris, 123 pages

« La fenêtre et le miroir », éditions Payot, collection documents Payot

MEYER Françoise et al. « Quand la voix prend corps : entre la scène et le divan », journées d'étude des 20 et 21 mars 1999, éditions l'Harmattan, Paris, 151 pages

MORIN Edgar « L'esprit du temps : essai sur la culture de masse », éditions Grasset, Paris, 1962, 280 pages

« Les stars », éditions Points Seuil, Paris, 1972, 188 pages

RAZAC Olivier « L'écran et le zoo, spectacle et domestication, des expositions coloniales à Loft Story », éditions Denoël, Paris, 2002, 211 pages

Revues consultées

« Médiamorphoses n°7 », « Télévision et radio, états de la parole », février 2003, revue de l'INA, PUF, Paris, 120 pages

« Médiamorphoses n°8 », « Médias people : du populaire au populisme », revue de l'INA, PUF, 2003, Paris, 116 pages

« Drôles de stars, la télévision des animateurs », CHALVON-DEMERSAY Sabine et PASQUIER Dominique, Paris, 1990, 344 pages.

Travaux universitaires consultés

- « La télévision-miroir : le nouveau divan médiatique. De la thérapie interpersonnelle à la consécration publique. », MARGUERITE Stéphanie, Sous la direction de Frédéric Lambert, 2003.

- « Analyse des phénomènes réflexifs de l'émission Tout le monde en parle, Ngo Hai Hong Sous la direction de Virginie Spies, 2001

Table des matières

Introduction..................................................................................4

- En aparté, programme phare de Canal plus.............................................5

- Le concept d' En aparté.......................................................................5

- Pourquoi En aparté ?.........................................................................7

- Ma problématique : l'art de la conversation..................................................7

- Mon corpus........................................................................................ 8

Première partie : Pascale Clark : une figure de l'autorité....13

a) Un parcours reconnu par ses pairs...........................................14

- Des critiques.....................................................................................16

- La place de Pascale Clark dans une généalogie des animatrices.......................15

- La difficulté d'être une femme dans le monde de la télévision...........................18

b) La mise en scène de l'absence.................................................21

c) Une voix venue d'ailleurs......................................................26

1- Une dimension affective de la voix...........................................................26

2- La dimension autoritaire de la voix de Pascale Clark....................................23

d) De la mère au maître............................................................33

1- La mère..........................................................................................36

2- Le maître.........................................................................................38

3- La juge..........................................................................................38

Deuxième partie : la spectacularisation de l'intime............40

a) Le « zoo humain »................................................................41

1- Les mêmes fonctions qu'un zoo...............................................................41

2- « Voir sans être vu »............................................................................44

3- L'importance du décor........................................................................46

3-La mise en scène/dressage......................................................................46

b) Un simulacre d'intimité........................................................48

c) Le dévoilement de l'invité...................................................55

1- Les coulisses de l'émission....................................................................55

2- Le déroulement d'une émission............................................................55

3- Maïtena Biraben...............................................................................58

4- Charles Berling..................................................................................60

Troisième partie : une parodie de conversation ?......................64

a) De l' « Olympien » au « people ».............................................66

1-De l'ère du mystère à l'avènement de la proximité......................................66

2- Le discours du tiers invité au sein d' En aparté......................................70

b) Le véritable interlocuteur : le tiers téléspectateur........................70

1-Un discours ordonné..............................................................................72

2-La question du tiers...............................................................................74

3- Une situation symbolique........................................................................77

c) Le politique à l'épreuve........................................................78

Conclusion....................................................................86

ANNEXES....................................................................89

* 1  ONPP étant l'abréviation d' On ne peut pas plaire à tout le monde « , je l'utiliserai souvent au cours de ce mémoire.

* 2 « Télévision », Stéphane Breton, essai, 2004, page 29

* 3 http://canalreunion.com/programmes/coulissses/enaparte/accueil.html, vu le 13 mai 2005

* 4 « la télévision et ses téléspectateurs », Jean-Pierre Esquenazi, ed. L'Harmattan, 1995, page 29

* 5 « L'écran et le zoo », Olivier Razac, ed.Denoël, 2001

* 6 « La télévision de l'intimité », Dominique Mehl, ed.Seuil, 1996

* 7 « La voix cachée du tiers », sous la direction de Patrick Charaudeau, éd.L'Harmattan, 2004

* 8 « Pascale Clark, la voix sans maître », Libération, 25 août 1998

* 9 « Pascale Clark, «  tout dans le ton » Le Monde, mercredi 14 juillet

* 10 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay, ed.aubier page 18

* 11 « La fenêtre et le miroir », Dominique Mehl, ed. Payot, page 22

* 12 « La domination masculine », Pierre Bourdieu, ed.Le seuil, page 37

* 13  Ibid, page 70

* 14 Ibid page 71

* 15 Ibid.page 75

* 16 Ibid.p.73

* 17 « L'humanité », la semaine télé, « celle qui suit sa voix », samedi 15 novembre 2003, page 41

* 18 « La domination masculine », Pierre Bourdieu, ed.Le seuil, page 75

* 19 « Drôles de stars,la télévision des animateurs », éd. Aubier, page 273

* 20 « La télévision et ses programmes », Dominique Mehl, page 35

* 21 Ibid page 36

* 22 « La télévision et ses téléspectateurs », sous la direction de Jean-Pierre Esquenazi, éd.L'harmattan, coll.Champs visuels, page 22

* 23 « Médiamorphoses n°7 », avril 2003, « télévision et radio : états de la parole », page 41

* 24 Eliséo Véron, « il est là, je le vois, il me parle », in Communications n°38,1983

* 25 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay, page 130

* 26 « La télévision et ses mises en scène », Hélène Duccini, éd ? Nathan université, page 75

* 27 Ibid page 76

* 28 Ibid page 81

* 29 Ibid, chapitre « les dispositifs scéniques ; seul ou à deux », page 80

* 30 Abréviation passé dans le langage courant signifiant les petits textes envoyés d'un portable à un autre portable, utilisés notamment dans les émissions de télévision réalité

* 31 « La télévision et ses téléspectateurs », sous la direction de Jean-Pierre Esquenazi, chapitre « le téléspectateur mis en s cène », page 65

* 32 « Jean Rochefort en tête à tête avec une voix », le Figaro, samedi 14 septembre 2002

* 33 « La porte », Libération n°7379, lundi 31 janvier 2005, page 30

* 34 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay, page 18

* 35 « Psychologies magazine », février 2005

* 36 Richard Sennett, titre français, « les tyrannies de l'intimité », 1976

* 37 « L'odyssée de la voix », Jean Abitbol, ed.Robert Laffont, 2005.

* 38 « Quand la voix prend corps : entre le scène et le divan ». Textes réunis par Françoise Meyer, éd. L'Harmattan, chapitre « Sirènes et chofar : incarnation mythique et rituelle de la voix », page 89

* 39 Ibid p.92

* 40 Ibid p.94

* 41 http://www.canalreunion.com/programmes/coulissses/enaparte/accueil.html, vu le 6 avril 2005

* 42 « Quand la voix prend corps, entre la scène et le divan », textes réunis par Françoise Meyer, éd. L'Harmattan, page 94

* 43 Ibid, chapitre « la voix au miroir » de Didier Lauru, page 87

* 44 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Sabine Chalvon-Demersay, page144

* 45 Ibid, page 139

* 46 « Quand la voix prend corps : entre la scène et le divan », textes réunis par Françoise Meyer, ed.L'Harmattan, page 19,20

* 47 « Médiamorphoses n°7, avril 2003, « télévision et radio : états de la parole », page 38

* 48 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Sabine Chalvon-Demersay et Dominique Pasquier, page 148

* 49 Ibid, page 44

* 50 Ibid, page 40

* 51 « Jean Rochefort entête à tête avec une voix », Le Figaro, samedi 14 septembre

* 52 « La crise de la culture », Hannah Arendt, Paris, Gallimard, « folio essais », 1989, page 121

* 53 Michel Foucault, « l'ordre du discours », ed.Gallimard, page 11

* 54 Alexandre Kojève, La notion de l'autorité », ed.Gallimard, page 25

* 55 Émission du samedi 12 février 2005

* 56 Alexandre Kojève, « la notion de l'autorité », ed. Gallimard, page14

* 57 « La fenêtre et le miroir », Dominique Mehl, documents Payot, page30

* 58 Ibid, page 125

* 59 Ibid, page 34

* 60 « La notion de l'autorité », Alexandre Kojève, ed.Gallimard, page73

* 61 « Sur la télévision », Pierre Bourdieu, ed. Raisons d'agir, page 13

* 62 « L'écran et le zoo », Olivier Razac, essais, ed. Denoel, page

* 63 Ibid, page 32

* 64 Ibid, page 76

* 65 Ibid, page 78

* 66 « Surveiller et punir », Michel Foucault, Paris, Gallimard, 1975, page 252

* 67 « L'écran et le zoo », Olivier Razac, page 90

* 68 Ibid, page 92

* 69 Ibid, page 96

* 70 Ibid, page 97

* 71 Ibid page 113

* 72 Ibid page 127

* 73 http://atilf.atilf.fr/academie9.htm,, version électronique du dictionnaire de l'académie française, vu le 16 juin 2005

* 74 « La télévision de l'intimité », Dominique Mehl, ed. Seuil, page 101

* 75 Ibid page 63

* 76 Ibid, page 108

* 77 Ibid, page 114-5

* 78 Ibid page 156

* 79 « L'intimité au risque du regard », Numa Marard, sur le site « Loft Scary », http://loftscary.free.fr/za05.htm, vu le 31 juillet 2005

* 80 La télévision de l'intimité », Dominique Mehl, éd. Seuil, page 148

* 81 Ibid page 163

* 82 « La vie publique privée », Dominqiue Mehl, revue Hermès n°13, septembre 1994, cité sur le site http://www.wolton.cnrs.fr/hermes/b_13_14fr_resume.htm , vu le 21 juillet 2 005

* 83 Norbert Elias « La société de cour », Paris Flammarion, 1985

* 84 Ibid page148-9

* 85 Ibid page 162

* 86 http://www.fabula.org/actualites/article3477.php, vue le 3 août 2005

* 87 «www.canalreunion.com/programmes/coulisses/enaparte », vu le 3 juillet 2005

* 88 « La télévision et ses mises en scène », Hélène Duccini, éd Armand Colin, page 72

* 89 Ibid page 75

* 90 Jean Ungaro « De la radio à la télévision : un art de la conversation » in « Médiamorphoses n°7 » page 24

* 91« L'esprit du temps », Edgar Morin, ed. Grasset, page 143

* 92 Ibid. page 146

* 93 Ibid page 140

* 94 « Les stars », MORIN Edgar, Editions essais, page 122

* 95 Léo Bogart dans « The Age of television» in «L'esprit du temps», Edgar Morin, éditions Grasset, page 121

* 96 Ibid, page 120

* 97 Entretien avec David Dufresne in « Médiamorphoses n°8 », « Médias people : du populaire au populisme », page 33

* 98 ibid page 35

* 99 Jean-Pierre Esquenazi « Voici et le star system » cité dans « Médiamorphoses n°8 », septembre 2003, page 69

* 100 Entretien avec David Dufresne, cité dans « médiamorphoses n°8 », septembre 2003, page 33

* 101 « L'esprit du temps », Edgar Morin, éditions Grasset, Paris, 1962, page 137

* 102 « L'ordre du discours », Michel Foucault, éditions Gallimard, page 9

* 103 Ibid page 9

* 104 Ibid page 11

* 105 Ibid page 12

* 106 Ibid page 13

* 107 Ibid page 27

* 108 Ibid page 68

* 109 « La voix cachée du tiers », sous la direction de Patrick Charaudeau et Rosa Montès, éd. L'Harmattan, page 55

* 110Ibid page 11

* 111 Ibid page 20, 21

* 112 Ibid page 76

* 113 Ibid page 171

* 114 Ibid page 29

* 115 « La fenêtre et le miroir », Dominique Mehl, Documents Payot, page 31

* 116 « La notion de l'autorité », Alexandre Kojève, éditions Gallimard, page 15

* 117 « Le pouvoir du silence et le silence du pouvoir » in « médiamorphoses n°8 », Danielle Duez, page 82

* 118 Ibid page 78

* 119 « La télévision de l'intimité », Dominique Mehl, page 167

* 120 Ibid page 167

* 121 « La télévision et ses mises en scène », Hélène Duccini, éditions Armand Colin, 1999, page 58

* 122 Ibid page 47

* 123 « L'intimité surexposée », Serge Tisseron, éditions Ramsay, cité par le Nouvel Observateur, « Les visiteurs du soir », semaine du samedi 2 juillet au vendredi 8 juillet.






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