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"en aparté"sur Canal Plus : l'invité, le public et le média comme tiers autoritaire dans une émission de conversation

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par Marylène Khouri
Institut Français de Presse Paris II-Assas - Maà®trise d'information et communication 2005
  

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b) La mise en scène de l'absence

Je vais étudier ici tant l'absence de l'animatrice que celle du téléspectateur.

La mise en scène d' « En aparté » a donc pour originalité de se fonder sur l'absence de son animatrice vedette, choix des plus audacieux. En effet, nous sommes dans une ère télévisuelle où l'animateur est roi et personnalise son programme. Il y a une demande de la part du téléspectateur pour des émissions « relationnelles ». C'est ce qui caractérise, selon Hélène Duccini le concept parfois controversé de néo-télévision. Dominique Mehl définit ainsi ce concept :

« Le premier registre sur lequel joue la télévision relationnelle est celui de la convivialité. Réduire la distance, partager d'égal à égal, abolir les hiérarchies, créer une complicité typique d'une communauté réduite (...) La communication ne se déploie pas entre les partis et les citoyens, mais entre homme politique avec son tempérament, ses mimiques et ses manies, et l'électeur personnellement interpellé par lui »20(*).

Or, en proposant un espace privé comme lieu d'une conversation aux aspects intimistes, Pascale Clark offre une communication « émotionnelle » avec l'invité. Le décor promet une intimité, accentuée par l'absence visible de médiateur. Pourtant, cette absence aurait pu porter préjudice. En effet, chez Dominique Mehl, ce caractère relationnel se définit par rapport entre autres à l'animateur.

« La télévision relationnelle consacre l'animateur. Compagnon du public, c'est lui qui va susciter, cristalliser puis entretenir le lien avec le téléspectateur. Il ne joue pas sur le registre de la traduction mais sur celui de l'identification qui constitue la condition d'une implication affective. »21(*)

Le téléspectateur demande de la convivialité, de la communication. Il réclame un lien social avec l'animateur : « les animateurs suscitent des sentiments intenses s'ils sont encore présents à l'antenne, et les forts consommateurs de télévision ont sur eux un savoir important »22(*). A cet égard, En aparté correspond à cette demande, excepté le fait que le téléspectateur ne connaît pas grand-chose de l'animatrice. Cependant, l'absence de l'animateur s'y révèle originale. Pascale Clark n'entretient pas de mythe médiatique sur sa personne, ni de rivalités avec d'autres animateurs - comme les duels médiatiques Arthur/Cauet ou Fogiel/Ardisson. Dans les entretiens, elle reste dans le domaine professionnel. On ne lui connaît pas de relations sentimentales. A cet égard, elle se différencie des autres animatrices et mène plus sa carrière à l'image d'une Mireille Dumas. Elle concède elle-même qu'elle ne participerait pas à sa propre émission, car elle est trop pudique. Par ailleurs, grâce à cette absence, elle échappe au conflit qu'ont la plupart des animateurs de tenir une relation suffisamment distante avec le téléspectateur tout en conservant un certain lien affectif. Jérôme Bourdon23(*) décrit ainsi cette problématique :

« Le ton intime et la présence régulière des intercesseurs télévisuels créent de nouveaux types d'interaction sociale, ce que Norton et Wohl (1986), dans un article classique, baptisent 

« interaction parasociale ». Parasocial n'est pas loin de paranormal. Le retour régulier de figures familières produit au sein du public une croyance : ces figures la connaissent lui aussi, et cette familiarité est créatrice d'attachements et de droits -d'où des malentendus sans fin qui obligent les animateurs à cultiver ce lien à distance en rendant impossible l'accomplissement de l'intimité, à vivre dans un oxymoron de distance-proximité. Se sont établies ainsi, à la télévision et à la radio des formes standard de la familiarité publique, après quelques tâtonnements entre l'excès de familiarité et l'excès de formalité. »

Or, ici, Pascale Clark, par l'intervention unique de sa voix, échappe à cette problématique. Cela lui confère un mystère, une inaccessibilité, et elle garde ainsi son indépendance affective face aux téléspectateurs.

A aucun moment, l'animatrice n'apparaît physiquement. On est loin ici du regard « yy » d'Eliséo Veron « il est là, je le vois, il me parle »24(*). Comme on l'a vu ce procédé a pour effet de libérer l'animatrice de toutes les contraintes liées au corps. Elle peut donc affirmer son autorité sans jouer sur le registre de la séduction. De plus, cela a pour effet de mettre en valeur la parole de l'invité ; ainsi, on peut se concentrer sur ce qu'il dit mais surtout sur sa gestuelle. En effet, l'une des promesses de l'émission est de révéler ce que normalement l'invité tente de masquer dans d'autres émissions : l'état de stress, la sensibilité, le regard... D'autant que l'émission est enregistrée dans les conditions du direct ; il n'y a aucune coupure, on assiste aux hésitations face à la chaîne hi-fi lorsque l'invité doit choisir une chanson (il ne sait presque jamais sur quel bouton appuyer ), à ses tâtonnements lorsqu'il doit s'asseoir...

Par ailleurs, la présence de Pascale Clark en coulisses auprès des techniciens lui confère une indéniable légitimité ; en effet, Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay25(*) évoquent le conflit originel entre animateurs, qui brassent une attention considérée comme illégitime, et les techniciens ; « les animateurs sont visibles et dépendants, les techniciens sont invisibles et puissants »26(*). Or, ici, Pascale Clark quitte le piédestal du plateau pour rejoindre le lieu du montage, du mixage... De même, Pasquier et Chalvon-Demersay disent que l'animateur est un pion qui n'a le choix de rien dans les conditions de tournage et de montage. Or, les techniciens et l'animatrice d' « En aparté » travaillent en étroite collaboration, par leur proximité spatiale.

Deux procédés indiquent la présence de Pascale Clark : sa voix, ce qui occupera la partie suivante, et la mise en scène : en effet, les cinq caméras téléguidées suggèrent le regard de l'animatrice. Ces cinq caméras signifient une énonciation dite zéro où la narratrice est partout ; cela lui confère une indéniable autorité. Ces cinq caméras ne rechignent pas aux gros plans, elles n'hésitent pas à se focaliser sur des mains qui tremblent, sur un geste gêné. Ces caméras télécommandées naviguent sur des rails et ont chacune un angle très précis du salon ; ce sont des cadreurs qui s'occupent de les commander ; dans une régie au fond du couloir, ils sont concentrés sur des joysticks qui permettent de diriger les caméras à distance. La navigation des rails suit le fil conducteur de l'entretien.

Par ailleurs, il est à relever que l'invité aussi doit gérer cette absence. Il n'y pas ici de « regard-caméra ». L'invité ne peut s'adresser comme il peut avoir l'habitude de faire face à la caméra, dans un souci d'interpellation ou de connivence avec le téléspectateur27(*). Il est privé des ressorts traditionnels qui l'aident habituellement à assurer l'entretien. Néanmoins, il connaît le type de questions qui lui est posé et le dispositif scénique désormais familier pour d'aucuns qui auraient déjà vu l'émission.

Ils peuvent avoir différentes manières de gérer cet « inconnu » : Charles Berling, par exemple, agit comme s'il était chez lui, paraît extrêmement détendu, ce que remarque l'animatrice. François Hollande, lui, paraît plus crispé tandis que Maitena Biraben semble contrôler le dispositif.

L'avantage de cette mise en scène, pour Pascale Clark, est qu'elle peut simuler l'aisance ; inutile ici de cacher son prompteur ou ses textes. Elle maîtrise sa narration à l'abri des caméras.

Par ailleurs, cette absence crée un nouveau contrat d'entretien entre l'interviewer et l'interviewé. Le contrat traditionnel est ainsi définit par Hélène Duccini :

« L'interviewer fait modèle, la qualité de son attention peut et doit guider celle du spectateur. Il capte le regard de l'invité et recrée la situation normale de la communication, qui passe par la parole et les gestes : les silences parlent, les mimiques, le sourire, le froncement du sourcil, une moue, quelquefois imperceptibles, en disent plus que de longs discours »28(*).

Or, ici, le téléspectateur, comme l'invité est privé de ce guide d'entretien qu'est l'animatrice. L'effet de loupe est garanti sur l'invité. Les conditions de tournage d' En aparté exagèrent cette tendance qu'à la télévision d'amplifier les gestes et attitudes, ce que Hélène Duccini décrit ainsi :

« Dotée d'un petit écran, la télévision est obligée de s'approcher de son sujet, elle produit un effet de loupe. Cette exagération impose donc aux interlocuteurs une modération du geste et de l'expression. Les mains surtout accompagnent normalement le discours pour qui « joint le geste et la parole », mais il faut réprimer les mouvements brusques ou trop amples qui distraient le regard. (...). Comme le dit Rossellini, l'interview donne à la télé le sens du gros plan »29(*)

Du fait qu'il n'y ait pas d'interactions avec le public, l'invité ne peut que deviner ses réactions. Le silence et le calme régnant sur le plateau créent de la confiance. En effet, la tendance actuelle est à l'interactivité avec le public : sms 30(*)ONPP ), questions de téléspectateurs ( Nous ne sommes pas des anges sur Canal plus entre autres), participation du public ( Ca se discute sur France 2, vingt heures dix pétantes sur Canal plus).

L'intérêt d' En aparté est donc de proposer un entretien sans filet où l'invité ne sait pas sur quoi la caméra se focalise, ni où l'animatrice pose son regard. Devant ce nouveau contrat d'entretien, l'invité a le choix de se détendre ou celui de contrôler ses faits et gestes. Pascale Clark confiait lors d'un entretien à Télé Loisirs que les plus déroutés par ce processus étaient les vedettes de la télévision qui, habituées à leur prompteurs et au voyant rouge de la caméra, ne savaient plus où regarder.

Concernant l'absence du téléspectateur, elle est aussi fort signifiante. Noël Nel31(*) remarque qu' « il n'est plus un seul plateau d'émission qui ne soit peuplé d'un public parfois muet, souvent bruyant, joyeux, prompt à applaudir, siffler, réagir. C'est le règne du téléspectateur passé de l'autre coté du miroir, du téléspectateur in. ». Chez Pascale Clark, on revient à une scène épurée comme dans 93, faubourg saint honoré sur Paris Première ou Recto verso sur la même chaîne. Ce procédé, récurrent au sein des nouvelles émissions télévisées, a pour effet certes de dépouiller le décor et le rendre moins bruyant, moins intimidant pour l'invité, mais a pour effet de laisser deviner l'omniprésence de ce même téléspectateur. En effet, certes l'invité est seule et s'abandonne à une certaine intimité mais est il conscient d'être face aux 500 000 téléspectateurs de l'émission ? Le choix même du décor, un appartement, nie toute possibilité de présence de téléspectateur. De ce fait, « En aparté » possède un original mode d'intégration du téléspectateur. Ainsi, la scénographie s'en trouve plus fluide, plus inattendue. Sont mêlées ici les codes de la télévision intimiste du gros plan à ceux de la mise en spectacle de l'invité, ce qui fera l'objet de la seconde partie.

Par ailleurs, en excluant le « profane », soit le téléspectateur, le dispositif renforce l'inaccessibilité de l'individu alors que l'on était censé le rendre plus « humain ». A cet égard, la promesse d' « En aparté » conserve quelques contradictions.

Autre remarque, le caractère futuriste du dispositif. « L'acteur (Jean Rochefort, ici) trouve l'accès au plateau-salon « impressionnant ». Sorte de « Metropolis » : « on passe par un dédale de couloirs, tout est noir ». Avant, il était détendu. A présent, il sent la claustrophobie le gagner. »32(*).Ce dispositif intimide, d'autant plus qu'une fois arrivé sur le plateau, l'intervention unique de la voix déroute.

* 20 « La télévision et ses programmes », Dominique Mehl, page 35

* 21 Ibid page 36

* 22 « La télévision et ses téléspectateurs », sous la direction de Jean-Pierre Esquenazi, éd.L'harmattan, coll.Champs visuels, page 22

* 23 « Médiamorphoses n°7 », avril 2003, « télévision et radio : états de la parole », page 41

* 24 Eliséo Véron, « il est là, je le vois, il me parle », in Communications n°38,1983

* 25 « Drôles de stars, la télévision des animateurs », Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay, page 130

* 26 « La télévision et ses mises en scène », Hélène Duccini, éd ? Nathan université, page 75

* 27 Ibid page 76

* 28 Ibid page 81

* 29 Ibid, chapitre « les dispositifs scéniques ; seul ou à deux », page 80

* 30 Abréviation passé dans le langage courant signifiant les petits textes envoyés d'un portable à un autre portable, utilisés notamment dans les émissions de télévision réalité

* 31 « La télévision et ses téléspectateurs », sous la direction de Jean-Pierre Esquenazi, chapitre « le téléspectateur mis en s cène », page 65

* 32 « Jean Rochefort en tête à tête avec une voix », le Figaro, samedi 14 septembre 2002

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera