Université Louis Pasteur Strasbourg I UFR de
Géographie et d'aménagement
Mémoire de Master I en Géographie
Humaine
L'agriculture périurbaine au risque de la ville
?
Le cas de Diamniadio (Dakar,
Sénégal)

Soutenu devant la commission d'examen composée de
:
Jean-Luc Piermay
François Pesneaud
Présenté par  Virgile Mendret
Mai  2006
Avant propos
Je tiens particulièrement à remercier mon Directeur
de mémoire, M. Jean  Luc Piermay, pour ses précieux conseils, sa
patience, et sa disponibilité lors de la rédaction de ce
mémoire.
Mes remerciements vont :
A  Cheikh  Guèye,  d'Enda  Tiers  monde,  qui  m'a 
encadré  durant  mon  séjour,  et  au personnel d'Enda Syspro,
qui a bien voulu m'accueillir dans leur structure.
Je suis également reconnaissant à la famille
Gaye d'Hamo Grand Yoff pour son accueil durant près de quatre mois, la
famille Boissy du Sébikhotane qui m'a accueilli lors de mon
séjour sur le terrain, la famille Bâ de Kébémer pour
sa chaleur. Je remercie également mes amis Stanislas Natac, Biraan  Bah,
 Ibrahima Dramé, Abdoulaye  Camara,  et Pierre  Leh pour leur
encouragements durant mon séjour.
Je  pense  aussi  à  mes  interlocuteurs,  agriculteurs 
ou  responsables,  qui  subirent  mes questions avec patience, et qui
constituent la toile de fond de cette recherche.
Enfin, je remercie ma famille pour son soutien moral et
matériel, me permettant de mener
à bien ce projet qui me tenait à coeur.
Sommaire
Liste des tableaux 8
Liste des photos 8
Liste des cartes 9
Introduction 10
Première partie
L'espace péri-dakarois à l'assaut
15
des espaces ruraux
1 L'espace obligé de croissance d'une grande
ville 16
A) Une ville façonnée sur un site
contraignant... 17
B)...Branchée  sur  la  mondialisation  et 
polarisant  l'ensemble
du territoire national. 19
Conclusion :  Une  pression  urbaine 
nécessairement  orientée
vers Diamniadio 22
2 Diamniadio, "territoire de projet" : un "territoire"
pour qui ? 23
A) Le projet de ville de Diamniadio, un projet à
la Wade ? 24
B) Le projet des villes secondaires : quel
intérêt de commencer
par Diamniadio ? 25
C)  Le  face  à  face  entre  acteurs  locaux  et 
aménageurs :  entre conflits et jeux d'alliances, des
légitimités très relatives face à
la montée des enjeux. 27
D) Le Plan d'Urbanisme de Détail d'une ville
exutoire ? 29
Conclusion :  le  pouvoir  local  dépassé 
par  un  Etat  au  service des  investisseurs  privés,  mais  le 
problème  d'appropriation
précoce de l'espace par les acteurs locaux
reste entier. 31
3 Le cadre législatif et réglementaire de
la croissance urbaine 33
A)  Des  instruments  législatifs 
empruntés  à  la  France  mais
inadaptés à une pression urbaine aigue.
33
B) Le droit domanial sénégalais, une
inspiration africaine 37
Le  domaine  national  urbain,  au  risque  de  l'Etat 
et  des  acteurs
privés. 39
Un  futur  possible :  une  ville  à  la 
situation  foncière  et  sociale
duale. 40
Conclusion : un espace rural à la porte de la
ville. 41
Deuxième partie
Plusieurs logiques de fonctionnement
des exploitations agricoles 42
1  Une démarche d'enquête
43
A) Méthodologie de l'enquête 43
B) Le territoire d'étude 46
C) Des villages marqués par une logique de
réseau... 46
...et un environnement difficile pour l'agriculture
47
2  L'agriculture traditionnelle, une activité
à la marge ? 49
A) Une prépondérance du domaine national et
un accès à la
terre par l'héritage et le don. 49
B) Un fonctionnement familial fortement lié
à l'auto- consommation et aux marchés urbains    52
C)  Un  financement  difficile  causé  par  le 
désengagement  de
l'Etat et un manque de garanties monétaires et
matérielles. 54
Le   micro   crédit,   une   réponse  
pertinente   au   manque   de
financement ? 55
Conclusion : une agriculture en sursis ? 55
3  Une logique d'entreprise tournée principalement
vers le
marché extérieur 57
A)   Accès à la terre et transactions
foncières des exploitations
d'entreprise 58
B) Un fonctionnement déterminé par le
marché international,
et nécessitant des investissements lourds
60
C) Des agriculteurs citadins 63
Une concurrence de débouchés entre
agriculture
d'entreprise et agriculture familiale ? 64
Conclusion :  une  agriculture  « branchée
»  sur  la  ville  et  son
interface avec le monde. 64
Conclusion : cependant, au delà des
différences entre exploitations, on observe des processus urbains
comparables. 65
Troisième partie
Conflits et mutations d'une agriculture
sous tutelle urbaine
66
1 Accès à l'eau : une compétition
exacerbée face à un
épuisement de la ressource
67
A) Des problèmes de compétition pour une
ressource de plus
en plus rare 68
B) L'arbitrage des demandes : une
généralisation du système
marchand 69
Conclusion : vers une destruction de la ressource ?
71
2 Une agriculture en proie à des pressions
foncières de multiples
acteurs 71
A) Impact de l'émergence de «l'agriculture
d'entreprise» sur
le   foncier :   une   flambée   des   prix   et  
des   pratiques   qui
favorisent une reconversion des petits paysans.
72
Une disparition des prêts de terres 73
Des   transactions   qui   peuvent   contourner   la  
loi   sur   le
Domaine national 74
B) Impact des projets de l'Etat sur l'agriculture
75
Une  expulsion  progressive  des  éleveurs  de 
l'espace  agro-
pastoral 76
C)  L'appétit  foncier  des  Dakarois  sur  les 
espaces  ruraux :
une appropriation de l'espace en marge des lotissements
qui
reste difficile à appréhender
77
Conclusion :  une  réforme  de  la  loi  sur  le 
domaine  national
nécessaire
78
3 Des mutations professionnelles obligatoires pour les
petits
exploitants 79
A) La montée du salariat agricole : vers une prise
de
conscience de classe ? 79
B)...Mais  des  emplois  industriels  sans  doute 
illusoires pour
les autochtones 81
Conclusion : l'affirmation d'un phénomène
nouveau de pluri
activités 81
Conclusion générale 82
Bibliographie 84
Annexes 86
Liste des tableaux
| 
 Numéro 
 | 
 Intitulé 
 | 
 Page 
 | 
| 
 1 
 | 
 Evolution démographique de la population dakaroise. 
 | 
 17 
 | 
| 
 2 
 | 
 Des financements obéissant à une logique
internationale. 
 | 
 27 
 | 
| 
 3 
 | 
 Des grands chantiers en gestation : Etat des lieux en juin
2005. 
 | 
 32 
 | 
| 
 4 
 | 
 Répartition des exploitations familiales selon la
superficie. 
 | 
 49 
 | 
| 
 5 
 | 
 Mode d'accès à la terre des exploitations
familiales et types de 
droits fonciers. 
 | 
 50 
 | 
| 
 6 
 | 
 Répartition des exploitations d'entreprise selon la
superficie. 
 | 
 59 
 | 
| 
 7 
 | 
 Mode d'accès à la terre des entreprises
agricoles. 
 | 
 59 
 | 
 
Liste des cartes
| 
 Numéro 
 | 
 Intitulé 
 | 
 Page 
 | 
| 
 1 
 | 
 La presqu'île du Cap Vert. 
 | 
 18 
 | 
| 
 2 
 | 
 Hiérarchie des villes sénégalaise et
macrocéphalie de Dakar en 1988. 
 | 
 20 
 | 
| 
 3 
 | 
 Flux migratoires au Sénégal: la région
dakaroise, 
destination principale des migrants. 
 | 
 21 
 | 
| 
 4 
 | 
 Schéma de la situation de Diamniadio : un croisement
stratégique. 
 | 
 23 
 | 
| 
 5 
 | 
 L'agriculture dans le département de Rufisque. 
 | 
 46 
 | 
 
Liste des photos
| 
 Numéro 
 | 
 Intitulé 
 | 
 Page 
 | 
| 
 1 
 | 
 Absence de mise en valeur des terres : les enquêtes de
terrain se 
sont déroulées avant l'hivernage, (saison des
pluies), Mai 2005. 
 | 
 53 
 | 
| 
 2 
 | 
 Un  élevage  manquant  cruellement  de  moyens :  il  n'y 
a  ni 
enclos ni parcours  de bétail... 
 | 
 53 
 | 
| 
 3 
 | 
 Une parcelle de choux cultivée par un groupement
féminin avec 
l'aide de l'ONG Acapes. 
 | 
 56 
 | 
| 
 4 
 | 
 La   responsable   du   groupement   féminin   Yakkar  
lors   d'un 
entretien. 
 | 
 56 
 | 
| 
 5 
 | 
 Conditionnement  de  tomates  cerise  dans  une 
coopérative  de 
Sébikhotane. 
 | 
 61 
 | 
| 
 6 
 | 
 Champs  de  mangues  Kent  destinées  au  marché 
européen.  Un 
système d'irrigation par goutte à goutte est
utilisé. 
 | 
 61 
 | 
| 
 7 
 | 
 Champs de haricots à Sébikhotane. 
 | 
 62 
 | 
| 
 8 
 | 
 Triage des haricots avant conditionnement. 
 | 
 62 
 | 
| 
 9 
 | 
 Bâtiment avec chambre froide d'une coopérative 
maraîchère.(Sébikhotane). 
 | 
 62 
 | 
| 
 10 
 | 
 Tomates cerise prêtes à être envoyées
sur le marché européen. 
 | 
 62 
 | 
| 
 11 
 | 
 Forage privé d'une entreprise agricole. 
 | 
 68 
 | 
| 
 12 
 | 
 Un   puit   traditionnel   rendu   inutilisable   par   la  
course   à   la 
profondeur . 
 | 
 68 
 | 
| 
 13 
 | 
 Départ pour la borne fontaine payante le long de la N1. 
 | 
 69 
 | 
| 
 14 
 | 
 Une retenue colinéaire peu mise en valeur. 
 | 
 69 
 | 
| 
 15 
 | 
 Un village Peul reconstruit après
déguerpissement. 
 | 
 75 
 | 
| 
 16 
 | 
 Les bâtiments de la Sodida/Parc
Sénégalo-chinois en Juin 2005. 
 | 
 75 
 | 
 
Source des photos : V. Mendret
Introduction
Les fondements de la recherche
C'est par l'intermédiaire de Cheick Guèye,
Docteur Géographe à Enda Tiers monde (Dakar) que j'ai eu une
première approche de ce que pouvait être mon territoire
d'étude pour mon mémoire de Maîtrise. Celui-ci était
prêt à m'accueillir comme stagiaire pendant la durée
de mon séjour au Sénégal, sur un sujet en
rapport avec l'agriculture urbaine.
Enda Tiers monde a été créée en
1972 à l'issue de la conférence des Nations Unies sur
l'Environnement tenue à Stockholm (Suède). Rattachée
à l'IDEP (Institut de Développement Economique  et  de 
Planification),  elle  fut  un  programme  de  cours  post-universitaires en
aménagement  de  l'environnement.  En  1979,  elle  est  devenue  une 
ONG  internationale.  Son siège social est installé à
Dakar conformément au statut diplomatique que lui confère
l'accord
de siège signé avec le Gouvernement de la
République du Sénégal le 27/ 06/ 1978.
Mon intérêt portait tout d'abord sur
région des Niayes. Celle-ci s'inscrit administrativement  dans  les 
quatre  régions  bordant  la  frange  maritime  du  nord  du  pays :
Dakar, Thiès, Louga et Saint-Louis. Elle est généralement
limitée dans sa partie intérieure par
la  route  nationale  Dakar-Saint-Louis.  C'est  une  zone  de 
production  maraîchère  qui  subit principalement deux types de
contraintes :
- La pression foncière, qui se fait au détriment
des espaces ruraux
-  Les  risques  écologiques  liés  à 
l'épuisement  de  la  nappe  aquifère  et  à  la pollution
de l'eau.
Mais c'est la rencontre avec Thierno Seck d'Enda Syspro qui a
permis de déterminer
ce qui allait être mon futur terrain de recherche.
L'entité Syspro était présente sur la commune
de  Sébikhotane  et  avait  participé  à 
l'organisation  d'un  forum  pour  le  développement  de  la commune  
voisine   de   Diamniadio.   Cette   commune   d'environ   10 000   habitants  
devrait connaître un montant d'investissements supérieur à
un milliard de USD correspondant à une création de plus de 45.000
emplois directs d'ici 2025, selon le ministère de l'urbanisme et de
l'aménagement du territoire (MUAT). Les investisseurs nationaux et
internationaux sont très intéressés par la position de
Diamniadio, carrefour le plus important du pays. Le secteur de
l'agriculture est donc sérieusement en danger sur cette
bordure Sud de la Région des Niayes.
Problématique de travail
L'analyse  et  la  réflexion  actuelles 
considèrent  l'agriculture  urbaine  comme  l'une  des solutions viables
et durables pour contrer l'insécurité alimentaire, le
chômage, le sous-emploi
et la dégradation de l'environnement dans les villes des
pays en développement, ainsi que la lutte contre la pauvreté et
l'exclusion (CAMARA, 1986).
On   évalue   aujourd'hui   à   800   millions   le
  nombre   de   personnes   engagées   dans l'agriculture urbaine dans
le monde entier, dont 200 millions de producteurs de marché. Elle
fait l'objet de nombreuses recherches sous différents
angles, s'intéressant à des thèmes comme
la  sécurité  alimentaire  en  zone  urbaine, 
l'éradication  de  la  pauvreté,  la  santé  urbaine,  la
planification  urbaine  et  le  développement  intégré  de
 la  ville.  Ce  qui  la  différencie  de l'agriculture rurale, ce n'est
pas son emplacement, mais le fait qu'elle est incorporée dans et agit en
interaction avec l'écosystème urbain. C'est « une industrie
placée dans (intra urbain) ou
sur le bord (péri-urbain) d'une ville ou d'une
métropole, qui produit, transforme et distribue une  gamme 
diversifiée  de  produits  alimentaires  et  de  produits  non 
alimentaires,  employant
des ressources humaines et matérielles, des produits et
des services existant dans et autour de cette zone urbaine et qui fournit en
retour des ressources humaines et matérielles, des produits
et des services à cette zone »1
Sur le plan économique, l'agriculture continue
d'occuper une place importante dans les secteurs d'activités au
Sénégal. Les systèmes de production sont divers, allant de
l'agriculture pluviale pendant l'hivernage à  l'agriculture utilisant un
réseau d'irrigation.  Les productions maraîchères et
fruitières sont dans leur majeure partie écoulées sur le
marché urbain de Dakar. Mais la situation alimentaire s'est
dégradée à Dakar depuis dix ans. L'urbanisation
importante
de la région dakaroise, la forte concentration de
population (4280 habitants au km2), ainsi que
l'intensification  relative  des  systèmes  de  production
 entraînent  des  problématiques  aux tendances
irréversibles:
- une forte pression anthropique sur les ressources naturelles
qui se raréfient et/ou se dégradent;
1  
http://www.interdev-net.org/theme/agriurb/pres1.htm
- une diminution importante et continue des surfaces agricoles du
fait de l'extension
du  foncier  bâti  et  souvent  du  non  respect  des 
zones  non  constructibles.  Actuellement, l'urbanisation empiète de
plus en plus sur le domaine agricole, le principal problème étant
que
les producteurs ne disposent d'aucun titre de
propriété.
Dans ce cadre, le projet de ville de Diamniadio inquiète
certains acteurs du territoire d'étude. Ceux-ci craignent de voir les
activités agricoles « oubliées » par le projet de
l'Etat.
En  effet,  la  position  de  l'Etat  est  celle  d'un  acteur
 nouveau  venu,  qui  souhaiterait  voire  en Diamniadio un espace vacant.
Cependant, la société locale a bien intégré un
changement des enjeux,   dont   elle   peut   tirer   profit.   Ainsi,   par  
sa   situation   de   bourgade   périphérique, Diamniadio, 
connaît  des  mutations  quant  à  l'affectation  du  sol,  et 
les  règles  fondées  sur l'utilisation du sol par des
communautés villageoises évoluent vers une marchandisation des
terres, dans un contexte où la spéculation foncière
rapporte bien plus que l'agriculture. Plus encore, c'est la
société rurale dans son ensemble qui est atteinte par cette
rupture: au contact
de  la  ville,  sa  composition  ethniques  et  sociale  se 
diversifie  (Piermay,  1993).  Alors  que  le foncier est doté d'un
intérêt très fort, à la croisée des
représentations spatiales de l'Etat et des groupes multinationaux pour
le niveau global, des Dakarois au niveau régional, et du pouvoir
Lébou pour l'échelon local, quelle(s) logique(s) sous-tendent
l'agriculture péri urbaine ?  Le milieu retenu nécessite de faire
dialoguer différentes échelles entre elles afin d'espérer
trouver
un  ou  plusieurs  fils  conducteurs,  ou  encore  des  lignes 
de  force,  qui  structureraient  les mutations touchant l'agriculture
périurbaine de manière singulière.
Démarche de recherche
Pour mener à bien cette recherche, toute une
littérature des projets de développement urbain,  de 
l'agriculture  urbaine  et,  dans  une  plus  faible  mesure  des  Ong,  est 
explorée.  Les statuts   fonciers   ayant   cours   au  
Sénégal   doivent   être   assimilés   en   premier 
 lieu   pour comprendre les processus d'appropriation que chaque acteur peut
mettre en jeu. Le travail de recherche  documentaire  se  poursuit  durant  le 
séjour,  dans  les  centres  de  documentation d'ENDA ou de l'IAGU
(Institut Africain de Gestion Urbaine) par exemple, par une collecte
de rapports, séminaires,  sur des programmes mis en place
dans ou à proximité du territoire
d'étude.
Tout d'abord, la première rencontre d'un responsable
d'ENDA a permis de choisir le terrain d'étude. La délimitation du
projet de ville de Diamniadio a dû être éclaircie, bien
qu'il soit apparu que la majeure partie des acteurs locaux ait une vision
encore très floue du projet. L'observation  des  systèmes  de 
production,  des  constructions  récentes  ou  en  cours,  des
investissements visibles des producteurs (systèmes d'arrosage,
véhicules...) est établie dès la première  visite. 
Il  faut  être  attentif  à  l'influence  de  la  ville  sur  le 
milieu périurbain  lors  de l'observation.
Il s'agit ensuite de se poser une série de questions
à un niveau local et très matériel :
Comment  fonctionnent  les  agriculteurs  et  éleveurs:
 c'est  à  dire  quelle  relation  à  la terre,  quel  statut 
foncier,  quels  investissements  productifs  observe  t-on ?  Qui  sont  les
propriétaires  des terrains ?   Par rapport  aux  propriétaires, 
qui sont les  gens qui travaillent? Quels  sont  les  outils  et  les 
équipements  des  agriculteurs ?  Quels  sont  les  roulements  de
cultures,  les  cultures  associées  sur  les  parcelles ?  Les 
transports  sont-ils  une  contrainte importante   pour   l'écoulement  
de   la   production ?   Comment   s'organise   l'irrigation   des parcelles ?
D'où viennent les eaux d'arrosage ? Qui sont les consommateurs des
produits ?
Quels  sont  les  revenus  autres  que  l'agriculture? 
S'agit-il  d'emplois  à  temps  plein, saisonniers, ou ponctuels ?
Quelles sont les origines, les perspectives d'avenir des travailleurs agricoles
?  Les agriculteurs périurbains se perçoivent-ils comme des
citadins dont le métier
est l'agriculture ? Est-ce qu'ils connaissent des gens qui ont
perdu leur parcelle? Que sont-ils devenus ? Les travailleurs, les
propriétaires ont-ils le sentiment, et/ou la volonté de vivre en
citadins?
Quel  est  le  rôle  des  coopératives  agricoles
 et  des  GIE  dans  l'organisation  des producteurs ? Qui sont les acteurs des
transactions de terrains? La ville est-elle perçue comme une contrainte
ou une aubaine par les producteurs ?   Comment sont localisés les
projets pour
la ville sur le secteur? Les agriculteurs les connaissent-ils ?
Qu'en pensent-ils ?
Comment s'est fait le choix du secteur par l'Etat ? Quelle est
sa situation par rapport à Dakar ?  Nous essayerons ensuite d'estimer si
l'Etat est réellement proche des populations en première ligne de
ces projets, si ces populations sont incluses dans leur mise en oeuvre et leur
réalisation. La vision de l'agriculture que l'Etat revendique depuis ces
dernières années va-t- elle  interférer  dans  la  mise 
en  oeuvre  de  la  plate  forme  multimodale ?  Comment  vont  se
dérouler les expropriations des agriculteurs et agro-éleveurs ?
Quelle sera l'attitude de l'Etat
et des collectivités locales envers les
propriétaires coutumiers ?
La  distribution,  puis  le  dépouillement  d'une 
enquête  auprès  des  producteurs  et travailleurs a permis
d'affiner la recherche, et de préparer les entretiens auprès du
personnel d'ENDA,  de  la  Fédération  des  Producteurs 
Maraîchers,  du  Ministère  de  l'urbanisme  et  de
l'aménagement  du  territoire,  des  mairies  de  Diamniadio  et  de 
Sébikhotane,  des  chefs  de quartiers, de propriétaires de
terrains, de chefs coutumiers, d'acheteurs de parcelles. D'autres ONG 
s'occupant  d'agriculture  périurbaine  ont  été 
contactées.  Ces  discussions  approfondies étaient  susceptibles
 d'élargir  la  vision  et  d'apporter  des  éléments  de 
réponse.  Toutes  les personnes interrogées ne  devaient pas
être incluses dans le territoire d'étude, car un point de vue
extérieur est nécessaire, afin de savoir quelles connaissances
elles avaient du projet et ce qu'elles en pensaient.
Les renseignements issus des différentes sources ont
été comparés, pour que peu à peu apparaissent  des 
ébauches  d'explications.  Mais  en  aucun  cas,  les  enquêtes 
ne  peuvent apparaître comme des échantillons, les moyens mis en
oeuvre étant bien trop faibles pour en récolter un nombre
significatif. Cependant, elles gardent toute leur pertinence pour
repérer des
processus au sein du territoire d'étude.
Première partie
L'agriculture périurbaine au risque de la ville ? Le cas
de Diamniadio (Dakar, Sénégal)

L'espace péri-dakarois à l'assaut des
espaces ruraux
Avec un rythme d'accroissement démographique
extrêmement rapide de 5,6% par an,
la région capitale est confrontée à de
nombreux dysfonctionnements révélés par de multiples
symptômes   :   aggravation   de   la   pauvreté,   multiplication
  des   zones   d'habitat   précaire, monstrueux  embouteillages, 
pollution  industrielle,  gestion  urbaine  inefficace.  Au  niveau national,
la capitale dévore plus l'espace qu'elle ne le structure, créant
un malaise urbain et une  impression  de  mal-développement. 
Paradoxalement  signe  du  succès  de  la  ville,  cette tendance 
menace  de  se  transformer  en  « implosion  urbaine »  en  raison 
de  la  précarité  des conditions de vie d'une grande
majorité de citadins dakarois qui s'installent dans des quartiers
dortoirs   de   plus   en   plus   éloignés   du   centre  
ville.   Parallèlement,   les   Dakarois   aisés
matérialisent leurs rêves de propriétaires sur l'espace
périurbain, où se transposent les enjeux inhérents
à une demande massive de ville.
En  amorçant  une  politique  de  grands  projets,  le 
Président  Abdoulaye  Wade  cherche donc à contrebalancer la
macrocéphalie dakaroise, source de trop nombreuses nuisances. Mais
il souhaite aussi, en posant son empreinte sur le territoire
sénégalais, asseoir enfin son autorité politique. Le
retour de l'Etat, en s'exprimant sur les territoires locaux, permet
également aux réseaux   ethniques,   politiques,   associatifs,  
voire   confrériques   de   trouver   une   nouvelle expression autour
d'enjeux très matériels. En créant des alliances avec ces
réseaux, le jeune Etat  sénégalais  cherche  à 
parfaire  sa  légitimité,  qu'un  cadre  législatif  et 
réglementaire fortement  influencé  par  l'ancien  colonisateur 
ne  pouvait  apporter  à  lui  seul.  Mais  ces instruments  juridiques 
pourront  être  dépassés  par  des  acteurs  locaux  bien 
positionnés  sur l'échiquier local, et à même
d'anticiper le processus urbain.
1 L'espace obligé de croissance d'une grande
ville
Du  fait  de  la  configuration  du  site  et  de  la 
saturation  foncière  dans  les  quartiers centraux et dans la proche
banlieue, Dakar se développe vers le nord-est, sans d'autre choix que 
de  suivre  la  configuration  de  la  presqu'île.  Celle-ci  exerce  une
 influence  évidente  sur l'organisation spatiale de la ville.
L'étalement de la croissance spatiale ne peut se faire que dans  une 
seule  direction,  dans  les  actuels  départements  de  Pikine  et  de 
Rufisque  qui concentrent les réserves foncières de la
Région dakaroise, et ce dans un contexte social où la
construction d'une maison est l'objectif d'une vie.
L'insertion de la ville dans plusieurs échelles
(nationale, sous régionale et mondiale)
nécessite des équipements industriels qui, faute de
place, ne peuvent plus s'implanter à Dakar.
Dans  la  mondialisation,  Dakar  est  pour  le 
Sénégal  la  tête  locale  de  la  plupart  des
réseaux internationaux qui irriguent le pays : réseaux
économiques, d'affaires, de télécommunications,
diplomatiques, migratoires... Diamniadio, par sa situation de carrefour
principal du pays, à l'intersection des routes de Mbour et Thiès,
à 37 Km de Dakar, apparaît ainsi comme une réponse locale
à des questions insérées dans un contexte bien plus
large.
A)   Une ville façonnée sur un site
contraignant...
C'est   l'administration   coloniale   française   qui 
 fonde   Dakar   en   1857,   après   être longtemps 
restée  cantonnée  sur  l'île  de  Gorée.  Les 
lieux  sont  déjà  occupés  par  plusieurs villages
Lébous, l'ethnie locale probablement implantée depuis le XVIIe
siècle. Lors de leur implantation  sur  la  presqu'île,  les 
autorités  françaises  ont  tenté  d'imposer  leur  droit 
en ignorant les occupants et en décrétant que le sol était
propriété de l'Etat français. Cependant,
les Lébous ont su traiter avec les Français la
reconnaissance de leur  droit foncier coutumier,
et conserver une réelle force communautaire.
Les autorités françaises se sont établies
à la pointe de cet îlot volcanique faisant face à
Gorée et rattachée au continent par une
étroite bande sableuse qui mesure à peine plus de 4km
en son point le plus exigu. La capitale (de l'AOF, puis du
Sénégal) s'accroît de 4,9% par an
en moyenne, soit un doublement des effectifs tous les dix ans
environ.
Tableau 1 : Evolution démographique de
l'agglomération dakaroise.
| 
 Année 
 | 
 Nombre d'habitants 
 | 
| 
 1904 
 | 
 5 000 
 | 
| 
 1926 
 | 
 40 000 
 | 
| 
 1945 
 | 
 190 000 
 | 
| 
 1966 
 | 
 470 000 
 | 
| 
 1990 
 | 
 1550 000 
 | 
| 
 1995 
 | 
 1 870 000 
 | 
| 
 2000 
 | 
 2 250 000 (estimation) 
 | 
 
Source : rapport du comité Habitat II, 1996
L'afflux  de population s'est accentuée dans les
années 70 en raison de deux  faits majeurs :
d'une  part,  un  contexte  économique  difficile  et  des
 conditions  climatiques  désastreuses  qui
ont  favorisés  l'exode  rural  dans  l'espoir  de 
revenus  meilleurs ;  d'autre  part  l'attrait  d'une modernité 
occidentale  qui  se  cristallisant  autour  de  la  capitale,  au 
détriment  des  villes secondaires.
Pourtant, la région de Dakar est une
presqu'île. Sa forme, son paysage, son relief, contribue  à 
façonner  la  ville  autant  que  celle-ci façonne  son  site : 
un  seul  axe  de
circulation permet de communiquer avec le reste du
pays.


Carte 1 : la presqu'île du Cap Vert
Source : Carte IGN édition 2000
Administrativement, la région de Dakar est la plus petite
du Sénégal avec seulement
0,28 % de la superficie totale. Mais, avec 2 350 000 habitants en
2001, elle représente plus de
25% de la population nationale. Elle est
constituée de trois centres urbains que sont Dakar, Pikine  et  Rufisque
 et  de  petites  villes  satellites  comme  Bargny  et  Guédiawaye. 
Deux communautés rurales, Sangalkalm et Yène, se situent à
la limite administrative de la région.
Avec 63,3 % du total de la surface de la région, le
département de Rufisque, à l'Est de
la  presqu'île,  concentre  les  enjeux  fonciers  les 
plus  massifs :  les  fronts  urbains  progressent peu à peu sur les
espaces agricoles, on observe un mitage des espaces ruraux.  Le
département
de Pikine, plus saturé, constitue une réserve
foncière bien plus faible avec 21,8% de la surface régionale,
alors que Dakar frise l'asphyxie avec seulement 19,4% des terres, et des voies
de communication saturées.
Cependant,   la   forme   de   presqu'île   n'est   pas 
 la   seule   contrainte   physique   au développement de la ville. La
péninsule, se terminant à l'ouest par des reliefs volcaniques,
les Mamelles, qui culminent à 105 m, comprend une zone
élevée au sud-est, de petites collines et
de plateaux cuirassés (massif de Ndiass). Une zone de
bas plateau constitué de calcaires et de marnes   gonflantes   pose  
des   problèmes   de   fondation   (Rufisque,   Bargny,   Diamniadio,
Sébikhotane).  Une  zone  de  dépression  intermédiaire 
ou  Niayes  aux  sols  hydromorphes, domaine  des  cultures 
maraîchères  et  fruitières, connaît  un 
affleurement  de  la  nappe phréatique qui rend les bas fonds
inconstructibles.
La  mer  est  très  présente  et  attaque  la 
petite  côte,  affaissant  les  digues.  Il  existe également
quelques lacs fortement influencés par les dunes, et la langue
salée progresse en rendant les terres impropres à la culture.
Le  site  impose  donc   des  contraintes  techniques 
évidentes,  et  rend  difficile  les communications   entre   le  
Plateau,   où   est   concentrée   la   majeure   partie   des  
activités commerciales  et  administratives,  et  les  communes 
périphériques  (Pikine,  Guédiawaye),  qui regroupent  une
 population  plus  nombreuse  qu'à  Dakar.  Les  voies  de 
communications convergent  vers  le  Plateau,  en  créant  un 
système  d'entonnoir  qui  se  transforme  en  goulot
d'étranglement aux heures de pointe.
B)...branchée sur la mondialisation et polarisant
l'ensemble du territoire national.
La  position  internationale  de  Dakar  est  très 
intéressante.  Située  sur  les  routes  de l'Atlantique
méridionale et centrale, cette ville forme la terre occidentale la plus
rapprochée de l'Amérique, et elle est à la tête d'un
réseau de communication important, avec l'aéroport, le port, les
télécommunications qui la mettent en relation avec
l'extérieur.
Le port et le rail constituent un exutoire de premier plan pour
la République du Mali. Actuellement la principale voie ferrée est
celle reliant Dakar à Bamako (645 km au Sénégal)
par où transitent l'essentiel des échanges entre le
Sénégal d'une part, le Mali et le Niger d'autre
part.
Carte 2 : hiérarchie des villes
sénégalaises et macrocéphalie de Dakar en 1988



Source : Atlas du Sénégal, les éditions
Jeune A, Paris, 2000
Cependant,  c'est  avec  l'Europe  que  le  trafic  de 
marchandises  est  le  plus  important (54  %),  viennent  ensuite 
l'Amérique  et  l'Afrique  avec  respectivement  17  %  et  12  %.   Ces
relations avec les pays de la sous-région seraient plus intenses si les
couloirs internationaux de transport  étaient  aménagés 
(routes  internationales  Tambacounda  /  Labé,  frontière 
Sénégal  /
Mali, pont sur la Gambie, ...).
On  peut  aussi  souligner  l'importance  des 
émigrés  qui  investissent  en  masse  dans  le secteur du
logement à Dakar et jouent un rôle pivot dans le marché
foncier. Acteurs riches, ils sont  avec  les  commerçants,  très 
intéressés  par  l'achat  d'un  terrain  dans  les  quartiers
périphériques denses, et contribuent pour beaucoup à la
montée de la pression foncière.
En tant que métropole nationale, Dakar et son double
Pikine, jouent un rôle primordial dans  le  développement  du 
Sénégal.  La  capitale  dispose  d'une  suprématie 
absolue  dans  la hiérarchie urbaine, aucune ville de l'intérieur
n'est en mesure de la concurrencer, ni au niveau
de la population, ni pour les services publics, ni pour les
équipements et l'emploi.
Organisé en étoile, le réseau national
routier favorise les liaisons verticales nécessaires
à l'économie d'exportation (port de Dakar). Il
s'étend de Dakar vers les autres régions du pays,
et s'articule sur quatre axes principaux.
- Dakar / Thiès / Louga / St-Louis / Matam ;
- Dakar / Thiès / Diourbel / Mbacké ;
- Dakar / Mbour / Kaolack / Tambacounda ;
- Dakar / Mbour / Kaolack / Nioro / Ziguinchor.
Ce  réseau,  héritage  de  la  colonisation, 
structure  la  suprématie  de  Dakar  sur  le territoire. 
Les  études  effectuées  par  le  Plan  National 
d'Aménagement  du  Territoire  (PNAT) indiquent que 75 % des trajets
intérieurs de marchandises ont pour origine ou pour destination Dakar.  
Ce  déséquilibre  résulte  du  poids  économique 
de  la  ville,  que  le  tracé  des  réseaux routiers et des
voies ferrées a fortement accentué.
La  ville  constitue  un  important  point  d'accueil  de 
l'immigration  en  provenance  des autres  régions,  (région  de 
Saint  Louis,  Kolda,  Ziguinchor...)  et  d'autres  pays  d'Afrique  de
l'Ouest  (Guinée,  Mali,  Gambie,  Sierra  Leone,  Nigeria...)  Cette 
situation  à  la  base  de  la concentration excessive  dans cet  espace
réduit de la population est source de nuisances, de
tensions diverses, et surtout d'une inflation galopante des prix
du foncier.
Carte 3 : Flux migratoires au Sénégal: la
région dakaroise,


destination principale des migrants
Source : Atlas du Sénégal, les éditions JA,
Paris, 2000.
En plus de l'apport de populations et des
échanges économiques les autres régions
entretiennent  de  fortes  relations  avec  Dakar,  relatives  à  la 
présence  de  l'administration centrale  (siège  de  tous  les 
Ministères  et  de  la  quasi  totalité  des  Directions  des 
Services déconcentrés de l'Etat, des Ambassades et des ONG, ...)
à la fréquentation des équipements sociaux, sanitaires,
scolaires et culturels. En effet, la ville de Dakar renferme les principaux
hôpitaux, les  Instituts de  formation supérieure et  les
équipements culturels et de loisirs. En jouant le rôle de capitale
régionale, Dakar polarise également sur le plan administratif les
trois villes, deux  Communes et deux Communautés Rurales de la
région.
Les enjeux globaux, sous régionaux et nationaux se
répercutent forcément sur le local. Mais  la  presqu'île 
du  Cap  Vert,  par  sa  configuration  physique,  hypothèque  gravement
 le potentiel de croissance de la ville. La rareté des espaces
habitables et de travail ont poussé la population  à  occuper 
les  emprises  de  l'Aéroport,  de  la  voirie  et  les  réserves
 foncières d'équipements prévus par les divers documents
d'urbanisme. Les industries étouffent dans la baie de Hann, et faute de
place, le potentiel des investissements ne peut être
réalisé. Enfin, pour  les  Sénégalais,  l'achat 
d'une  parcelle  et  la  construction  d'une  maison  constituent l'objectif
d'une vie. Pour beaucoup, posséder une maison individuelle est un
rêve qui ne peut prendre   forme   qu'à   la  
périphérie   de   la   ville.   Des   interactions   entre  
échelles   et   des représentations mentales font donc peser des
enjeux puissants sur l'espace péri-urbain.
Conclusion : Une pression urbaine nécessairement
orientée vers Diamniadio
La   résolution   de   l'équation   posée
  par   les   contraintes   énoncées   aboutit   à   un
déplacement du front urbain vers l'Est ; et par sa situation, Diamniadio
est particulièrement intéressante. Située à
l'extrémité orientale de la région de Dakar, elle est
à la croisée des deux routes  nationales.  C'est  aussi  le 
point  de  passage  obligé  pour  accéder  à  l'ensemble 
du territoire.  Cette  commune  est  également  située  entre 
les  villes  de  Dakar  et  Thiès,  qui
focalisent 75% de l'activité économique du pays.
Carte 4. Schéma de la situation de Diamniadio : un
croisement stratégique.

Presqu'île du Cap Vert
Réalisation : V. Mendret
Source : fond de carte du Departement of peacekeeping operation,
United Nations
Sur la presqu'île du Cap Vert, l'espace devient donc le
signe  d'une crise de croissance
de la ville. En imposant des contraintes de plus en plus
aigues à une société mal préparée à
la forte  concentration  humaine,  il  révèle  des  tensions 
multiples.  Dans  cette  perspective,  la commune de Diamniadio n'est pas
considérée autrement que comme un exutoire commode pour
résorber les tensions qui agitent la capitale.
2 Diamniadio, "territoire de projet" : un "territoire"
pour qui ?
Par  sa  situation  stratégique,  Diamniadio,  commune 
récente  de  30  000  hectares  pour
11 500 habitants, fait l'objet de convoitises d'acteurs
multiples. Depuis 1997, les demandes de parcelles  par  des  particuliers 
auprès  de  la  mairie  ont  été  supérieures 
à  20 000  mais  seules
12 000 ont pu être enregistrées. Leurs frais de
bornage ont déjà été encaissés par la
Mairie. Mais l'Etat, en immatriculant à son nom les terres du Domaine
National de la commune, met dans une situation critique ces lotissements
octroyés avant 2001 : les investisseurs américains, chinois, et
sénégalais ont besoin d'une emprise foncière
sécurisée, qui pourrait se surimposer
aux lotissements octroyés par la commune.
Ces investissements, tout en   accroissant
considérément les convoitises sur les terres
de  Diamniadio,  risquent  eux-mêmes  d'être 
compromis  par  des  appropriations  précoces  de l'espace par d'autres
acteurs urbains. Afin de faire respecter ses plans d'aménagement,
l'Etat
n'a d'autres solutions que d'opérer des alliances avec les
réseaux politiques locaux
Mais tout d'abord, le choix de commencer par  Diamniadio
à 37 km de Dakar, pour commencer  un  programme  de  villes  nouvelles, 
est  à  discuter.  L'influence  de  Dakar,  loin d'être
contrebalancée, risque de   déséquilibrer encore plus la
hiérarchie urbaine sénégalaise.
Le Président Wade ne cherche-t il pas à poser
son empreinte sur le territoire à l'aide d'une politique de grands
projets, dont Diamniadio est l'une des facettes ? La difficulté de
l'analyse sera de penser l'occupation de l'espace autrement qu'à travers
une matrice spatio-temporelle produite  et  imposée  par  l'Etat :  il 
s'agira  de  ne  pas  sous-estimer  l'importance  des  acteurs privés en
eux-mêmes, dans leurs logiques propres, et d'analyser la part
d'interpénétration des secteurs étatiques,  populaires, et
industriels.
A)  Le projet de ville de Diamniadio, un projet à la
Wade ?
Après l'indépendance, enracinée dans la
tradition politique française, l'élite politique
sénégalaise a estimé que le modèle
démocratique jacobin était le plus adapté à la
construction d'une nouvelle nation. Rupture, en 2000 qui met fin à 40
ans de pouvoir du Parti Socialiste.
En  effet,  le  21  mars  2000,  les  électeurs 
sénégalais  ont  votés  à  plus  de  58%  en 
faveur d'Abdoulaye  Wade,  assurant  une  victoire  décisive  à 
l'alternance  politique.  Mais  aussi continuité, car M. Wade et ses
collègues de plus de 50 ans ont tous été formés en
France dans
le culte de l'Etat jacobin fort et centralisateur. Après 
25 années d'attente pour cette prise de pouvoir, le chef de l'Etat
semble être pris d'une fièvre bâtisseuse sans
précédent, pour mettre
sur pied  d'ambitieux projets :
Une nouvelle capitale doit être
implantée à Mékhé-Pékesse, dans le
département de
Kébémer. Elle couvrirait une superficie de 5000 ha
et accueillerait une population d'environ
200.000 habitants. Cette population pourrait augmenter d'un
million avec l'aménagement de
20.000ha. Un nouvel aéroport international
devrait être construite à Ndiass (à 45
kilomètres
de  Dakar,  ans  la  région  de  Thiès) :  il 
serait  édifié  dans  une  emprise  de  1800  ha  à  2000 
ha contre  800  actuellement.  Avec  une  capacité  initiale  d'accueil 
de  3  millions  de  passagers extensible  à  5  millions, il  pourrait 
traiter  80.000  mouvements  d'avion  par  an  contre  33.000
actuellement. Un nouveau port doit être
mis en place à Bargny.
La construction de ce port minéralier se fera à
travers une jetée "off shore" de 4400
mètres et disposant, entre autres installations, de
desserte terrestre et ferroviaire, de stockage
et de traitement de marchandises, qui permettrait le
chargement de navires de 170.000 tonnes avec un tirant d'eau de 21
mètres. Une autoroute à péage entre Dakar et
Thiès devrait être construite.  Enfin,  un 
projet  de  villes  nouvelles  secondaires,  qui  pourrait  enfin 
contre balancer  la  macrocéphalie  dakaroise  et  favoriser  une 
meilleure  répartition  des  villes,  a  été
proposé par M. Abdoulaye Wade.
Cette boulimie de projets ne semble pas s'accompagner de
financements à la hauteur
des ambitions du Président : le gouvernement compte sur
les bailleurs de fonds internationaux pour boucler les budgets mais ces
derniers n'ont pas une confiance suffisante dans l'économie
sénégalaise. L'objectif d'une croissance durable de 8% par an
affiché par Wade leur semble trop  ambitieux.  De  plus,  les  projets 
de  l'Etat  souffrent  d'un  déficit  d'image  auprès  des
bailleurs  vis-à-vis  des  déguerpissements  qui  seraient 
provoqués.  A  bien  des  égards  la politique  de  grands 
projets  semble  plus  proche  d'une  logique  électorale,  que  d'une 
réalité fondée  sur  des  financements,  et  un 
calendrier  concret.  Cependant,  le  projet  de  ville  de Diamniadio semble
plus enclin que les autres à attirer la convoitise d'investisseurs
nationaux
et internationaux...
B) Le projet des villes secondaires : quel
intérêt de commencer par Diamniadio ?
A  l'origine,  c'est  le  président  de  la 
République  Maître  Abdoulaye  Wade  qui  a demandé au
ministère de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire une
nouvelle politique
qui promouvrait des villes secondaires stratégiques. Selon
le ministère, celle-ci doit viser, par
« l'harmonie et la cohérence dans l'occupation
et l'utilisation de l'espace national et de ses ressources,  un 
développement  local  généralisé,  harmonieux  et 
durable  pour  l'ensemble  du pays ». En  effet,  ce 
développement  des  villes  secondaires  pourrait  contre  balancer  la
macrocéphalie de Dakar sur le territoire sénégalais.
Pour le gouvernement, la promotion de ces villes a des objectifs
tels que :
- Favoriser une meilleure répartition des villes sur le
territoire
- Créer les conditions d'une meilleure valorisation des
activités rurales
- Préparer les villes frontalières à jouer
un rôle de premier plan dans l'intégration sous
régionale.
Commencer  par  Diamniadio,  dans  le   projet  de  villes 
secondaires,   semble  bien
incongru à première vue.
Cette  commune  est  un  territoire  déjà 
très  convoité,  qui,  par  son  développement à
37km de la capitale, risque plus d'accroître la
macrocéphalie dakaroise que de favoriser une répartition 
homogène  de  la  population  sur  le  territoire.  Mais  c'est 
à  Diamniadio  que  les investisseurs  sont  le  plus  facilement 
mobilisables.  En  effet,  à  un  moment  où  le 
Président Wade  cherche  désespérément  de 
l'argent  pour  financer  ses  grands  travaux,  le  projet  de Diamniadio a
été retenu par un programme d'investissement américain.
Incapable de trouver
par lui-même des crédits pour l'investissement,
l'Etat doit donc recourir à des financements extérieurs, au
risque de devoir composer avec des optiques différentes des siennes.
Le   projet   consiste  en   la  création  d'une  
plate   forme  multidimensionnelle  et  en l'amélioration des dessertes
routières entre la plateforme et les pôles économiques du
pays. Le coût  est  estimé  à  696  millions  de  dollars, 
et  548  millions  de  dollars  sont  attendus  du Millenium Challenge Account
(MCA). Le MCA est donc une véritable aubaine pour le chef
de  l'Etat  sénégalais,  qui  peut  enfin 
affirmer  son  autorité  à  travers  un  grand  projet.  Il 
s'agit d'un programme de financement mis en place par le président des
Etats-Unis Georges Bush, afin de  « primer les pays qui se sont
distingués par la qualité de leur système de gouvernance
politique et économique, et la cohérence de leur programme de
lutte contre la corruption ».
Le but final annoncé par le bailleur de fonds providentiel
est d'accélérer la croissance en vue
de réduire la pauvreté.
L'intérêt  des  acteurs  industriels  pour  le 
site  de  Diamniadio  crédibilise  lui  aussi  le choix  de  commencer 
par  Diamniadio  dans  le  projet  de  ville  secondaires.  Ceux-ci  sont 
très intéressés  par  la  plate  forme  multi 
dimensionnelle,  pour  deux  principales  raisons :  Dakar pourra être
joint en seulement 30 minutes par le rail, et la concurrence pour l'espace dans
la capitale est trop forte pour permettre l'implantation de nouvelles
industries. Parmi ces acteurs industriels,  le  Port  autonome  de  Dakar 
connaît  d'importants  problèmes  d'encombrement  et convoite un
terrain à Diamniadio, qui devrait servir de zone de stockage tampon
entre le Port
de Dakar et son hinterland. La Société des
Industries de Dakar (SODIDA) réserve, elle aussi,
un  terrain  de  50  hectares  pour  créer  une 
cité  industrielle  de  600  bâtiments  préfabriqués
bénéficiant de la proximité de la capitale. Le transfert
à Diamniadio des industries de la baie
de   Hann,   très   polluantes   permettrait  
d'accroître   le   potentiel   touristique   de   la   baie...
Tableau  2 :  Des  financements  obéissant 
à  une  logique  internationale.  (Données  en dollars
américains)
| 
 Volet 
 | 
 Total 
 | 
 Disponible 
 | 
 MCA (Etats-Unis) Fonds en attente 
 | 
| 
 Etat 
 | 
 Fonds 
Kowétien 
 | 
 Autres bailleurs (Sénégalais, Taiwanais,
Malaisiens...) 
 | 
 Sous total 
 | 
| 
 Plateforme 
 | 
 223 048 327 
 | 
 - 
 | 
 - 
 | 
 - 
 | 
 - 
 | 
 223 048 327 
 | 
| 
 Mobilité et liaisons interurbaines 
 | 
 472 862 454 
 | 
 26 951 673 
 | 
 63 197 026 
 | 
 58 550 186 
 | 
 148 698 885 
 | 
 324 163 569 
 | 
| 
 Total général 
 | 
 695 910 781 
 | 
 26 951 673 
 | 
 63 197 026 
 | 
 58 550 186 
 | 
 148 698 885 
 | 
 547 211 896 
 | 
 
Source : Ministère de l'urbanisme et de
l'aménagement du territoire, 2004
C) Le face à face entre acteurs locaux et
aménageurs : entre conflits et jeux d'alliances, des
légitimités très relatives face à la montée
des enjeux.
La situation rencontrée s'apparente à une partie
d'échec : face à la montée des enjeux apportés  par
 le  projet  de  ville  de  Diamniadio  et  le  MCA,  les  différents 
groupes  locaux politiques,  ethniques,  familiaux,  confrériques  ou 
associatifs  développent  une  stratégie  qui dépend de
leur marge de manoeuvre.
Avant  tout,  la  répartition  ethnique  du  conseil 
municipal  reflète  le  pouvoir  des dignitaires  autochtones 
Lébous,  qui  détiennent  les  postes-clé,  tout  comme 
à  l'époque  de  la communauté rurale de Yène, dont
Diamnadio dépendait avant 2001. Les Lébous sont les plus anciens 
occupant  du  territoire  d'étude,  et  se  considèrent  comme 
les  véritables  autochtones,
vis-à-vis des  « étrangers »
arrivés après eux. Une filière officielle d'acquisition de
parcelles avait été mise en place en 1997 : un lotissement de 12
000 parcelles avait été autorisé, mais depuis, près
de 20 000  demandes ont été reçues.  La  commission
d'attribution des parcelles pilotée  par  l'ancienne  communauté 
rurale  exigeait  pour  les  célibataires  le  versement  de  la somme
de 31 000 F CFA et de 33 000 F CFA pour les personnes mariées. Mais, la
commune
de  Diamniadio  craint  de  devoir  reverser  cet  argent  aux
 demandeurs  de  parcelles.  La  plate forme  multimodale,  par  sa  forte 
consommation  d'espace  remet  en  cause  la  politique  de lotissement  
héritée   de   l'ancienne   communauté   rurale   de  
Yène.   De   plus,   cette   filière d'acquisition est
contestée par des autochtones, qui ont arrachées les bornes qui
servaient au lotissement pour ne pas céder leur champ. Le comité
de pilotage d'attribution des parcelles
n'arrive donc pas à maîtriser l'emprise
foncière et l'attribution des lots octroyés.
Une filière parallèle d'attribution des
parcelles semble avoir été mise en place, ce qui montre  que  la 
légitimité  de  l'autorité  municipale  est  toute 
relative  vis-à-vis  de  la  forte pression foncière. Dès
l'époque de la communauté rurale de Yène, certains
conseillers ruraux Lébous avait mis en place des commissions
parallèles ne se contentant pas de recueillir des demandes  de 
bornages,  mais  vendant  des  terrains  de  manière  illégale, 
en  profitant  de  leur situation pour gagner de l'argent.
A ce jour, le problème d'appropriation de l'espace de
manière informelle a atteint une telle  ampleur  que  les 
américains  du  MCA  ont  demandé  au  gouvernement  du 
Sénégal  de résoudre  de  manière  précise 
le  problème  avant  même  de  débloquer  les  fonds.  Les 
réseaux locaux  informels  pèsent  donc  dans  un  processus  de 
décision  mettant  à  la  fois  en  jeu  des bailleurs de fonds
internationaux et le plus haut niveau de l'Etat sénégalais.
Mais tous les acteurs locaux ne sont pas sur un pied
d'égalité, et certains craignent de rester  à
l'écart des nouveaux  enjeux. Par exemple, les jeunes, nouveaux  venus
dans l'arène politique locale, subissent de plein fouet la forte
spéculation foncière. Ceux-ci contestent de plus  en  ouvertement
 les  pratiques  foncières  des  notables.  La  création  du 
Mouvement  des jeunes  pour  la  défense  des  intérêts  de
 Diamnadio  révèle  la  prise  de  conscience  de  cette
catégorie  sociale  face  à  la  montée  de  la  tension 
foncière  et  en  même  temps  traduit  une profonde
volonté de s'émanciper de la tutelle des anciens. Ces jeunes, en
organisant un climat
de tensions ont conduit les autorités à suspendre
le programme d'octroi des parcelles, alors même que de nombreuses
personnes, dont des commerçants, avaient déjà reçu
des parcelles
sur la base des délibérations de l'ancien conseil
rural.
Diamnadio  est  également  marqué  par  une 
logique  d'accaparement  foncier  d'une confrérie  soufie. 
Déjà  détenteur  de  plusieurs  titres  de 
propriété  sur  le  site,  notamment  au niveau  du  lieu  le 
plus  stratégique,  le  croisement  des  routes  de  Thiès  et 
de  Mbour,  l'actuel khalife des Tidjanes a profité du projet de
lotissement lancé par l'ancienne communauté rurale pour parrainer
une demande de 100 parcelles pour le compte de ses talibés
(disciples).
Face aux pouvoirs publics, les acteurs ne semblent donc pas
avoir la même marge de manoeuvre.   Les   réseaux   ethniques,  
confrériques,   familiaux   et   politiques   semblent   être
efficaces pour accéder au foncier. Mais on peut dès lors tracer
une frontière entre ceux qui ont accès à un réseau
et ceux qui en sont exclus. Par exemple, les agro éleveurs Peuls sont
absents
des  réseaux  politiques  et  associatifs,  et  deviennent
 les  véritables  parias  de  ce  territoire  en formation.  Par  contre
 Lébous  et  Séreres  ont  un  accès  aisé  aux 
informations  issues  de  la
mairie.
Cette  multitude  d'acteurs  sur  un  territoire  restreint 
et  l'importance  de  la  pression foncière hypothèquent les
projets de l'Etat sur la commune. Le projet  est tardif par rapport à
l'anticipation urbaine dont la commune a fait l'objet. C'est pourquoi les
institutions étatiques, manquant   cruellement   de  
légitimité   nécessaires   à   débloquer  
les   fonds   internationaux, cherchent de nouveaux alliés. En
créant un  processus de concertation incluant les élus locaux
et des membres de l'équipe municipale, en permettant
à ceux-ci de formuler des doléances concernant le
déroulement du projet, l'Etat s'octroie de nouvelles alliances, bien qu'
à contre courant des sensibilités politiques.
Les  groupes  de travail  ont  été 
formés  à  la  fois  des  représentants  des 
collectivités territoriales, de groupes industriels, et de
différents ministères (Aménagement du Territoire,
équipement,  environnement,  agriculture  et  élevage).  Ils  ont
 abouti  à  la  création  d'un  Plan d'Urbanisme de Détail
(PUD) de Diamniadio.
D) Le Plan d'Urbanisme de Détail d'une ville
exutoire ? (Voir la carte en annexe)
Les   processus   de   concertation   engagés   entre  
les   niveaux   politiques   locaux   et ministériels cachent mal la
surimposition du projet étatique sur le bâti préexistant,
sauf sur les habitations  des  premiers  arrivants,  qui  sont  remarquablement
 peu  remises  en  cause.  A contrario, certains groupements Peuls
présents depuis plus de 40 ans n'apparaissent pas sur le plan : cela
montre une volonté manifeste de mise à l'écart de ces
populations par les autorités politiques locales.
D'après les rapports des  groupes de travail
élaborés en collaboration avec différents
ministères,  les  membres  des  collectivités  locales  ont 
réussi  à  peser  quelque  peu  sur  le processus
décisionnel. Le maire a obtenu le détournement du tracé de
l'autoroute, qui devait passer sur le tissu urbain. Un périmètre
de sécurité devrait être conservé le long des
industries,
à la demande des conseillers municipaux, pour
éviter la situation de la baie de Hann, où les habitants sont
exposés à des risques industriels.
Ainsi,  Diamniadio  est  bien  destinée  à 
devenir  une  ville  industrielle :  la  surface octroyée  à  ces
 activités  est  la  plus  importante,  et  ce  pour  deux  raisons. 
Tout  d'abord,  les surfaces sont affectées à des industries qui,
faute de place, ne peuvent plus être implantées à Dakar.
Ensuite, des activités considérées trop polluantes, et
comportant des risques pour les habitants  seront  transférés  de
 Dakar  à  Diamniadio. La  grande  zone  industrielle  de  130
hectares située au Nord accueillerait des industries
polluantes et dangereuses.
Le  domaine industriel situé entre la RN1 et la voie
ferrée  est destiné  à recevoir des industries moins
polluantes, sur 30 hectares. Le foirail et les abattoirs, localisés au
nord de la voie  ferrée,  et  reliés  à  la  RN  2  par 
la  route  de  Ponty,  couvriraient  une  superficie  de  27 hectares.
D'après   le   rapport   du   groupe   chargé  
de   réfléchir   sur   le   cadre   de   vie   et
l'environnement,  des  espaces  plantés  sont  prévus  sous 
forme  de  bandes  de  petits  jardins  et squares dans les centres de
quartiers. Ce type d'équipement devrait couvrir une superficie de
30  hectares.  Mais  dans  la  réalité,  on 
s'aperçoit  que  ces  espaces  sont  des  drains  permettant
l'écoulement des eaux de pluie, le sol argilo marneux favorisant le
ruissellement. Ils devraient être utilisés pour
l'évacuation des eaux usées industrielles.
La   fonction   commerciale   de   Diamniadio   est  
fortement   dépendante   d'activités spatiovores,  comme  le 
stockage  de  produits  agricoles  et  manufacturés.  Le  marché 
d'intérêt national et les entrepôts (sur 23 hectares) seront
situés à l'entrée de la ville, tout comme la gare  de 
gros  porteurs  (13  hectares).  Comme  rapporté 
précédemment,  le  Port  Autonome  de Dakar  sollicite  la  mise 
à  disposition  d'un  terrain  à  Diamniadio  qui  devrait 
servir  de   zone tampon entre le Port de Dakar et son hinterland, pour des
activités destinées à participer à la
résolution des problèmes d'encombrement et d'engorgement
relevés à Dakar.
Concernant la fonction résidentielle de Diamniadio, le
PUD ne rend pas compte des stratégies  des  acteurs  privés  pour
 s'approprier  l'espace.  Sur  le  terrain,  les  alentours  des quartiers 
sont  entourés  de  nombreuses  parcelles  aux  contours 
matérialisés  par  des  blocs  de ciment 
aggloméré,  qui  appartiennent  à  des  Dakarois 
aisés.  Etrangement,  ces  espaces  sont notés comme zones
agricoles sur la carte, comme si l'Etat voulait donner l'impression
d'être
le seul maître de la terre. Diamniadio deviendra t-elle une
ville dortoir ?
L'appropriation de l'espace par la classe moyenne dakaroise,
et les investissements en infrastructure de transports abondent en ce sens : la
construction de l'autoroute Dakar Thiès garantira  un  accès 
rapide  à  la  capitale.  Trois  axes  supplémentaires  devraient
 être  aménagés afin de contribuer au désenclavement
de la capitale : le prolongement de la VDN entre le golf- club de
Guédiawaye et Diamniadio, l'aménagement en deux fois deux voies
de la route des Niayes-Pikine, et l'aménagement en deux fois deux voies
de la route de Rufisque. Tout est
fait pour pouvoir habiter à Diamniadio tout en 
travaillant à Dakar.
Le  plan  d'urbanisme  prévoit  une  bibliothèque, 
un  centre  social,  une  salle  des  fêtes pour  l'ensemble  de  la 
commune.  Mais  il  ne  dégage  pas  de  réelle 
centralité.  Les  quartiers
actuels comportant les premières implantations
Lébous joueront-ils un rôle de centre urbain ?
Les  activités  de  service  qui  s'y  implantent 
progressivement  pourraient  être  le  signe d'une centralité
future, non planifiée, qui profiterait de la proximité du
carrefour.
Sur le plan, l'autoroute passe en partie sur le tissu urbain
préexistant. Il y a bien une volonté  de  surimposition  du 
projet   sur  la  trame  urbaine  d'origine :  les  habitations  locales
semblent être une gêne, dont les aménageurs doivent
s'accommoder, à regret.
Les  conditions  de  relogement  de  personnes 
déguerpies  feront  l'objet  de  tractations dans  lesquelles les 
habitants  joueront  également  de  leurs  réseaux  politiques, 
ethniques  et confrériques. Le plan de l'Etat, en faisant une petite
part aux acteurs locaux, oublie la faculté
des  habitants  à  se  regrouper  pour  entreprendre, 
protester  et  obtenir.  Certaines  catégories sociales comme les jeunes
ont déjà démontré leur faculté
d'association. Des réseaux peuvent agir et mettre à mal ce projet
ambitieux. Ces acteurs jouent sur différents plans : la
proximité
des travaux puis des usines est pourvoyeuse d'emploi
salarié pour les autochtones. Mais il va falloir  lutter contre un
projet néfaste pour le cadre de vie et l'habitat, et adopter une
position ambivalente, proche de l'entre deux.
A ce niveau, on peut avancer sans prendre de risques que le
projet ne sera pas suivi des réalisations annoncées. En effet,
les études de faisabilité sont en cours, sans que les budgets
soient établis définitivement. Dans ce contexte de pénurie
d'espace, quelles sont les chances
de réalisation d'une piscine olympique, ou d'un hippodrome
national, comme mentionné sur
le plan ?
Conclusion : le pouvoir local est dépassé
par un Etat au service des investisseurs privés, mais le problème
d'appropriation précoce de l'espace par les acteurs locaux reste
entier.
Suite à cette analyse, il apparaît que Diamniadio
connaît une évolution guidée par la nécessité
 d'avoir  un  exutoire  pour  Dakar,  et  non  par  une  volonté  de 
créer  une  vraie  ville nouvelle. Dans une telle perspective,
Diamniadio sera un lieu de décompression des nuisances
de  la  capitale  (pollution,  spéculation  et  forte 
pression  foncière)  guidé  par  des  impératifs urbains
et  permettant à celle-ci d'accroître son poids sur le
territoire.
Les nouveaux arrivés à Diamniadio transformeront la
commune en ville dortoir. Tout
en conservant leur emploi, ces habitants devraient profiter d'une
meilleure accessibilité suite
au prolongement de la VDN et la construction de l'autoroute Dakar
Thiès. Cette ville ne sera-
t-elle donc qu'une banlieue de plus dans l'histoire de la
capitale ?
L'apparente satisfaction des acteurs politiques locaux,
(« on voulait une nouvelle ville, mais l'Etat s'en charge à notre
place ! »,  « les industries seront sources d'emplois pour nos jeunes
et de taxes professionnelles pour notre commune») cache mal le
dépassement d'acteurs dépossédés  de  leur 
maîtrise  des  terres  par  un  Etat  accapareur  (qualifié  de 
« rapace » par d'autres  interlocuteurs!).  La  logique 
étatique  et  présidentielle  s'inscrit,  elle,  au  sein  d'une
demande  urbaine  puissante,  bien  antérieure  au  projet  de  ville. 
Mais  en jonglant  avec  les modes  qui  agitent  les  bailleurs  de  fonds, 
l'Etat  devient  le  serviteur  des  grands acteurs économiques  qui 
étouffent  dans  la  capitale,  et  pour  lesquels  Diamniadio  est  une
 réponse locale  d'enjeux  s'inscrivant  en  dehors  du  seul  cadre 
national.  Cependant,  les  bailleurs  de fonds américains ne sont pas
dupes du processus de concertation inégal qui a été
engagé : ils posent à nouveau le problème de
l'appropriation du projet par les populations locales comme condition sine qua
non du déblocage des fonds. L'Etat sénégalais devrait 
revoir a nouveau sa copie, afin de réaliser son très ambitieux
projet.
Tableau 3 : Des grands chantiers en gestation :
état des lieux en juin 2005.
| 
 Projets 
 | 
 Etat 
 | 
 Superficie 
(ha) 
 | 
 Emplacement 
 | 
| 
 Université du Futur Africain 
 | 
 Démarrage des 
Constructions 
 | 
 300 
 | 
 Entre l'ex Bud-Sénégal et le quartier de
Déni Malick Guèye 
 | 
| 
 APROSI (Sodida/ Parc 
Sénégalo-Chinois) 
 | 
 Démarrage des installations 
 | 
 50 
 | 
 Derrière le quartier de 
Déni Ndiarkhathie 
 | 
| 
 Marché d'intérêt national 
(MIN) 
 | 
 Non encore démarré 
 | 
 52 
 | 
   | 
| 
 Zone Artisanale 
 | 
 Terrassement du terrain 
 | 
 20 
 | 
 Entre la Nationale I et le quartier de Dougar 
 | 
| 
 2 Gares de stationnement de gros porteurs 
 | 
 Projet non encore démarré 
 | 
 40 
 | 
   | 
| 
 Zone industrielle 
 | 
 Projet non encore démarré 
 | 
 180 
 | 
   | 
| 
 Zone d'aménagement concertée 
 | 
 Zone en cours de délimitation 
 | 
 2 500 
 | 
   | 
 
Source : Diagnostic participatif, Commune de Diamniadio, 2003
3 Le cadre législatif et réglementaire de
la croissance urbaine
Depuis l'indépendance, l'Etat sénégalais
tend de plus en plus à réglementer et à diriger
l'occupation de l'espace, qu'il soit rural ou urbain. On peut affirmer
cependant que le droit ne
fait  pas  la  ville :  l'extension  de  Dakar  continue  de 
s'opérer  mais  sans  toujours  obéir  à  la norme 
juridique,  occupant  souvent  les  emprises  d'infrastructures  en  projet. 
Il  a  aussi  été montré   que   les   bailleurs   de  
fonds   cherchent   une   légitimité   autre   que   celle  
apportée uniquement par l'Etat.
Dans un premier lieu, nous verrons que les législateurs
ont eu une propension affirmée
à  puiser  leur  inspiration  dans  des  règles 
en  vigueur  en  Europe,  où  ces  instruments  visent  à
développer   la   concertation   et   la   participation   des  
habitants   des   communes   aux   choix d'urbanisme. Puis il faudra signaler
la refonte du droit de la domanialité publique, dans un sens qui se veut
assez proche de la tradition africaine. Telle est l'originalité de la
législation relative  au  domaine  national.  A  l'origine,  cette 
législation  intéresse  plus  l'aménagement  du territoire
rural que l'aménagement des villes,  mais elle permet le lancement
d'agglomérations nouvelles, telles Diamniadio. En effet, si les
collectivités locales font autorité pour la gestion
du domaine national en zone rurale, l'Etat s'arroge les
compétences foncières des communes urbaines. L'Etat peut-il faire
la ville ? La question peut étonner, après s'être
attaché à montrer que la pression foncière était la
conséquence d'interactions entre échelles, dépassant
souvent
le  cadre  national,  et  d'acteurs  privés  locaux 
bénéficiant  de  marges  de  manoeuvre.  Mais  à
Diamniadio, à l'aide de ressources providentielles, l'Etat veut
réaffirmer son autorité de seul maître de la terre. Quitte
à appliquer la politique du bulldozer.
A)  Des  instruments  législatifs  empruntés 
à  la  France  mais  inadaptés  à  une  pression urbaine
aigue.
L'énumération  de  quelques  outils  d'urbanisme 
souligne  que  dès  l'origine,  l'Etat
sénégalais  a  intervenu  massivement  dans  la 
production  et  la  gestion  urbaine,  et  de  manière
particulièrement marquée dans la région du Cap Vert. Mais
il ne faut pas perdre de vue que
ces outils traduisent une mauvaise appréhension du
phénomène urbain. En effet, ceux-ci sont dépassés
par l'ampleur de la croissance urbaine, et ne permettent pas une planification
locale
des  équipements,  des  réseaux  et  des 
réserves  foncières  à  la  mesure  du 
développement  que connaît la capitale. Les restructurations
urbaines, les déguerpissements ont été des réponses
apportées a posteriori par l'Etat sénégalais  à ses
propres carences en matière de planification
urbaine.
Le Code de l'Urbanisme  fait l'objet d'une
loi  et comprend une partie législative et une   partie  
réglementaire.   La   partie   législative   traite   des  
conditions   d'élaboration   et d'approbation  des  plans  cadres 
d'urbanisme  ;  quant  à  la  partie  réglementaire,  elle 
traite essentiellement des aspects liés aux autorisations de lotir, et
du contrôle des constructions. Ce code se base sur quelques outils
d'aménagement calqués sur le droit français. Ce sont le
Plan Directeur   d'Urbanisme   (PDU),   la   Zone   d'Aménagement  
Concerté   (ZAC),   le   Schéma directeur d'aménagement et
d'urbanisme (SDAU), et enfin le lotissement.
Les   plans   directeurs   d'urbanisme   (PDU)  
sont   élaborés   par   la   Direction   de l'Urbanisme 
 et   de   l'Aménagement   (DUA)   du   ministère   de  
l'urbanisme.   Sa   vocation principale  est  de  permettre  aux  services  de 
l'Etat  de  gérer  avec  une  plus  grande  précision
l'attribution et l'utilisation du sol urbain qui échappe donc aux
autorités locales, qui, dans les textes  sont  associées 
à  l'élaboration  du  PDU.  La  part  d'association  de 
celles-ci  dépend cependant de la qualification de leur personnel, et
elle fait souvent défaut. Mais, faute d'une mise à jour
régulière, les investissements programmés et non
réalisés par manque de moyens sont reportés d'une
année à l'autre, quelle qu'ait pu être l'évolution
de la ville concernée. Ces PDU fixent les orientations
générales et indiquent les éléments essentiels de
l'aménagement urbain dans le cadre du plan national d'aménagement
du territoire. Ils comportent :
- la répartition et l'orientation du sol en zones suivant
les affectations ;
- le tracé de toutes les voies de circulation ;
- l'organisation générale des transports ;
- les emplacements réservés aux activités
;
- les installations classées et d'intérêt
général ou à usage public ;
- éventuellement les éléments de
programmation et de coût des équipements publics et
d'infrastructures ;
- les schémas directeurs des réseaux.
Les  plans  d'urbanisme  de  détails  (PUD) 
reprennent  à  plus  grande  échelle  les dispositions 
d'aménagement  d'une  zone  ou  des  parties  des  plans  directeurs  et
 schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme. Ils doivent
préciser et compléter ces dispositions
en fonction des spécificités de chaque secteur
concerné, notamment la délimitation des zones d'affectation  en 
considération  de  la  nature  des  sols.  Les  plans  d'urbanisme  de 
détails
comportent un règlement qui fixe les servitudes relatives
à l'utilisation du sol.
Les Zones d'Aménagement Concerté
ont pour objet l'aménagement et l'équipement
de terrains, notamment en vue de la réalisations
d'infrastructures et d'équipements collectifs publics ou privés,
de construction à usage d'habitation, de parcelles d'habitation
viabilisées,
de  commerce,  d'industrie  ou  de  service.  Les  ZAC  doivent 
permettre  de  coordonner  ces investissements, dans des zones
stratégiques où la pression foncière est
particulièrement forte.
Le premier projet a été  la ZAC de Mbao Gare
(environ 650 hectares) située à l'entrée
de Rufisque, le long des axes principaux de transport (route
nationale et chemin de fer), où de nombreux promoteurs et
coopératives d'habitat se sont procurés des terrains.
L'opération jugée très intéressante
à été étendue à grande échelle avec
la création de
six  autres  zones  d'Aménagement  concerté, 
dont  cinq  concernent  les  villes  de  l'intérieur (Thiès, 
Louga, Kaolack,  Saint-Louis, Richard-Toll), et une à Diamniadio, avec
cette fois ci une   place   importante accordée   aux
collectivités   locales   dans la mise   en   oeuvre.
L'aménagement  des  5  premières  zones  d'aménagement 
concerté  fournira  500  hectares aménagés avec 100
hectares par ville.
Par contre, la ZAC de Dakar / Diamniadio concernera
l'organisation et l'aménagement
de  2500  ha,  avec  une  première  tranche  de  1250 
ha,  pour  offrir  des  terrains  pour  l'habitat, l'industrie,  l'artisanat 
et  le  commerce.  Afin  de  regrouper  toutes  les  collectivités 
locales intéressées par ce projet,  les élus ont
demandés la création d'un  groupement mixte, tel que
décrit dans le code des collectivités locales.
Les   schémas   directeurs  
d'aménagement   et   d'urbanisme   (SDAU)   fixent   les
orientations  fondamentales  de  l'aménagement  des  territoires 
concernés,  compte  tenu  des relations  entre  ces  territoires  et 
les  régions  avoisinantes  et  de  l'équilibre  qu'il  convient 
de préserver entre l'extension des agglomérations, l'exercice des
activités agricoles, des autres activités industrielles,
économiques et la préservation des sites naturels.
Les schémas directeurs prennent en compte les programmes
de l'Etat, des collectivités locales, des établissements et
services publics et privés. Ils déterminent la destination
générale
des  sols,  la  nature  et  le  tracé  des  grands 
équipements  d'infrastructures  en  particulier  de transport, la
localisation des activités les plus importantes, ainsi que les zones
préférentielles d'extension  ou  de  rénovation.  Le  SDAU
 s'applique  à  une  commune,  à  une  communauté
rurale, à un ensemble de communes ou des
communautés rurales.
Les  lotissements  semblent 
considérés,  et  ce  depuis  l'ère  coloniale,  comme  le 
mode d'aménagement  unique  de  la  ville  africaine.  Tout  le  centre 
de  Dakar  est  marqué  par  cet urbanisme  colonial  en  damier.  Sa 
création,  coûteuse,  relève  de  plusieurs  étapes.
 Après l'obtention  de  l'immatriculation  des  terrains, 
première  étape  qui  peut  durer  longtemps,  un
géomètre quadrille, borne et lotit, en établissant un plan
masse et un règlement de lotissement.
La vente ne peut s'effectuer qu'après approbation
officielle : les lots peuvent être alors titrés
et entrer dans la filière légale de
construction. Ce type de lotissement est la plupart du temps occupé  par
 les  couches  sociales  moyennes  ou  supérieures,  proches  de 
l'administration  et mieux informées des démarches à
suivre et capables de supporter le coût des titres fonciers et
des travaux demandés.
Comme   mentionné   précédemment,   les  
12 000   lots   enregistrés   par   l'ancienne communauté  rurale
 de  Yène  sont  remis  en  cause  par  la  ZAC  de  Diamniadio, 
l'enjeu  des communes étant de pouvoir honorer les demandes
déjà perçues.
La  réalisation  de  ces  SDAU,  PDU,  PUD, 
ZAC  et  lotissements,  en  raison  des lenteurs   des   procédures  
administratives,   du   manque   de   moyens,   prend   souvent beaucoup de
retard. Aussi ces plans sont très vite dépassés par des
extensions urbaines incontrôlées et irrégulières,
qui hypothèquent souvent la réalisation de certains grands
équipements  d'infrastructures  prévus  (autoroute 
Dakar-Thiés,  voie  de  dégagement Nord etc.) et/ou engendrent
des coûts hors prévisions pour leur
réalisation.
Afin  de  pallier  ces  occupations  spontanées  de 
l'espace,  l'Etat  utilise  deux  pratiques
urbanistiques, qui ne s'appliquent pas à des cas
précis ; leur application varie en fonction des options politiques : on
veut récupérer le terrain (déguerpissement) ou on  veut
régulariser la situation de personnes qui ont peu de droits ou pas du
tout (restructuration urbaine).
La restructuration urbaine consiste en une
opération d'aménagement des zones non loties,  vétustes 
ou  insalubres  caractérisées  par  une  occupation  anarchique 
de  l'espace  avec notamment des parcelles enclavées ou mal desservies,
et un manque d'équipements collectifs.
Il s'agit d'asseoir une utilisation et une organisation plus
rationnelle de l'espace, d'améliorer
le cadre de vie et de régulariser la situation
foncière des ayants droit, conformément à un plan
de restructuration conçue avec la participation des
populations concernées.
La  procédure  consiste  à  immatriculer  au 
nom  de  l'Etat  tous  les  terrains  occupés illégalement,  pour
permettre ensuite  la production de titres  fonciers. Côté
restructuration, il s'agit de libérer des emprises pour une voirie
minimale, de raccorder le quartier aux réseaux
d'électricité et d'eau, en associant les habitants au remodelage
de leur quartier, en dégageant
les zones habitables occupées illégalement.
Un phénomène de spéculation peut se
développer dans les quartiers visés, parvenant à
contourner  les  règlements  pour  tirer  un  profit  financier  de 
l'opération.  A  Diamniadio,  cette opération sera-t-elle
récupérée par les populations solvables et des dakarois
aisés ?
Les déguerpissements concernent certaines
personnes qui se sont installées en dehors
des  lotissements,  mais  ont  acheté  leur  terrain  aux 
propriétaires  coutumiers  Lébous.  Pour  la plupart, ils ont
assuré eux même la construction de leur maison. Lorsque ces
installations sont
sur  l'emprise  de  projets  d'aménagements,  l'Etat 
procède  à  leur  déguerpissement,  effectué manu
militari. Le projet de Diamniadio prévoit la destruction d'habitations,
et des expulsions s'apparentant à des déguerpissements ont
déjà eu lieu (sur l'emprise de la Sodida2). A Dakar,
la  procédure  de  déguerpissement  ne 
constitue  pas  en  soi  une  politique  urbaine  mais  est
présentée   comme   la   conséquence   de   l'offre  
insuffisante   en   logements   qui   provoque l'urbanisation illégale
et souvent anarchique des espaces libres. Cette situation est
aggravée
par la promulgation  de la loi sur le domaine national de
1964.
B) Le droit domanial sénégalais, une
inspiration africaine
Le  Sénégal  a  adopté  en  1964  une  loi 
sur  le  domaine  national  (loi  64-46  du  16  juin
1964). En milieu rural, la nouvelle législation a
supprimé les droits fonciers coutumiers des lignages et des familles. La
loi stipule en effet (art. 1er  ) que «toutes les terres
non classées dans  le  domaine  public,  non  immatriculées  et 
dont  la  propriété  n'a  pas  été  transcrite 
à  la Conservation  des  hypothèques,  constituent  de  plein 
droit  le  domaine  national».  La  quasi totalité  du  sol, 
95  %  environ,  a  été  érigée  en  domaine 
national  par  la  loi  64-46  du  17  juin
1964.
Le principal inspirateur de la loi 64-46 du 17 Juin 1964 relative
au domaine national,
le Président Senghor, parlant de la loi disait
«... il s'agit très simplement de revenir du droit romain  au 
droit  négro-africain,  de  la  conception  bourgeoise  de  la 
propriété  foncière  à  la conception socialiste
qui est celle de l'Afrique noire traditionnelle ». Le but
recherché par le législateur de 1964 est essentiellement de
libérer le paysan sénégalais de la main mise « des
maîtres de terres », et sans se substituer à l'Etat colonial,
de lui assurer un accès gratuit à la terre  et  de  le 
sécuriser  tant  que  le  paysan  en  assure  la  mise  en  valeur. 
Ainsi  l'occupant  du domaine  national  affectataire  d'une  terre  dispose 
d'un  «  droit  d'usage  »  qui  lui  permet d'exploiter la terre, en
théorie, avec stabilité et sécurité. Bien que le
droit d'usage ne donne
pas droit sur le sol, la situation de l'affectataire d'une
dépendance du domaine national n'en
est donc pas incertaine ou fragile en zone rurale.
L'éviction de l'occupant ne peut intervenir
que   pour   cause   d'utilité   publique   ou  
d'intérêt   général   légalement  
déclarée,   après indemnisation pour les investissements
réalisés, ou en guise de sanction.
Toutefois,  le  droit  de  requérir  l'immatriculation 
a  été  reconnu  aux  occupants  du domaine  national  qui, 
à  la  date  d'entrée  en  vigueur  de  la  loi,  avaient 
réalisé  «une  mise  en valeur à caractère
permanent» des terres. Une telle mise en valeur devait faire l'objet
d'un constat attesté par une décision administrative, à la
demande de l'intéressé dans un délai de 6 mois à
compter de la date de publication du décret d'application de la loi. Les
règles définies pour le constat positif d'une mise en valeur ont
été conçues, plus en fonction des conditions
d'exploitation des plantations ivoiriennes ou de périmètres
hydro-agricoles, que des réalités de l'agriculture
sénégalaise fondée sur le système des cultures sous
pluie, c'est-à-dire seulement trois mois par an.
C'est  le  cas  à  Diamniadio,  où  les 
cultures  d'hivernage  constituent  la  majorité  de  la surface. Par
contre, dans la zone des Niayes (surtout sa partie Sud, entre Pikine et
Bayakh), mais  également  des  zones  situées  à  la 
périphérie  de  certains  centres  urbains  (Saint-Louis,
Thiès, Ziguinchor) et des anciennes escales du fleuve
Sénégal une mise en valeur pérenne est souvent
réalisée. A Sébikhotane, une mise en valeur continue est
observée au long de l'année grâce aux nombreuses
plantations de papayers, manguiers et mandariniers.
Du  fait  des  employés  expatriés  et  des 
populations  autochtones  les  plus riches,  on  a assisté au
développement à proximité des centres urbains de jardins
maraîchers, de vergers et
de «résidences de campagne» appartenant aux
couches sociales privilégiées (agents de l'Etat, hommes
d'affaires, commerçants libano syriens, notables etc.).
Ces  acteurs  proches  des  centres  de  décision  et 
souvent  instruits  ont  pu  appréhender sans difficultés les
implications de la nouvelle législation ; ce qui les a conduit à
prendre les dispositions  nécessaires  à  la  transcription  de 
leurs  droits  fonciers.  Cette  situation  explique l'existence   dans  
certaines   parties   du   pays,   en   particulier   dans   la   commune  
rurale   de Sangalkalm, de vastes domaines fonciers qui ont été
mis en valeur et immatriculés au nom de leurs  propriétaires. 
Ces  derniers  ont  bénéficié  de  baux  ou  de  titres 
fonciers et  pour  cette
raison, leurs terres n'ont pas été
intégrées au domaine national.
Ces  terres,  qui  en  théorie  ne  peuvent  être 
immatriculées  qu'au  nom  de  l'Etat,  sont réparties en quatre
catégories :
i) les  zones  urbaines  constituées  par  les  terres 
du  domaine  national  situées  sur  le territoire  des  communes  et 
des  groupements  d'urbanisme  prévus  par  la  législation
applicable en la matière ; ce sont des réserves foncières
au profit de l'Etat.
ii)  les  zones  classées  constituées  par  les
 zones  à  vocation  forestière  ou  les  zones  de protection
ayant fait l'objet d'un classement dans les conditions prévues par la
législation particulière qui leur est applicable ;
iii) la zone des terroirs qui correspond aux terres
régulièrement exploitées pour l'habitat rural, la culture
ou l'élevage et dont la gestion est confiée aux
communautés rurales ;
iv)  les zones pionnières qui correspondent aux autres
terres.
En dehors du domaine public et des domaines privés
de l'Etat et des particuliers,
les  terres  agricoles  dans  la  zone  des  Niayes 
relèvent  de  deux  situations  :  les  terres  de terroirs  et  les 
terres  agricoles  situées  dans  les  zones  urbaines.  Par  contre, 
les  terrains cultivés  dans  les  communes  de  Sébikhotane  et 
Diamniadio  sont  tous  situés  en  zone urbaine, ce qui mérite
de s'y intéresser de plus près.
Le domaine national urbain, au risque de l'Etat et des
acteurs privés.
La loi 64-46 du 17 juin 1964 relative au domaine national
classe dans une catégorie à part  certaines  dépendances 
de  ce  domaine  situées  en  zones  urbaines,  qui  sont 
considérées comme  des  réserves  foncières  au 
profit  de  l'Etat.  Cependant,  pour  s'en  servir  l'Etat  doit
requérir  l'immatriculation  de  ces  terrains  à  son  nom. 
Ainsi  des  opérations  ponctuelles d'immatriculation de terrains du
domaine national situés dans les centres urbains sont souvent
réalisées. L'Etat mène de vastes opérations
d'immatriculation de terrains du domaine national situés en zones
urbaines pour les faire entrer dans le domaine de l'Etat en vue de la
réalisation
des  plans  d'urbanisme  et  d'aménagement. 
Immatriculer  au  nom  de  l'Etat  les  réserves foncières afin
de les protéger contre les occupations sauvages est la condition sine
qua non pour anticiper sur la création des quartiers irréguliers,
qui pourra entraîner une insécurité de l'occupation
foncière et immobilière. Mais la réalité montre que
cette anticipation étatique est
insuffisante au regard de la pression urbaine aigue qui
caractérise ces espaces.
Une  indemnisation  est  prévue  dans  certains  cas 
d'expropriation,  mais  elle  est  loin d'assurer la stabilité et la
sécurité de l'occupation foncière en zone urbaine.
L'indemnité est établie  en  tenant  compte  exclusivement  de 
la  valeur  des  constructions,  aménagements, plantations et cultures
existants, réalisés et utilisés par le titulaire du titre
d'occupation, ce qui exclu les pâturages et les terres cultivées
quelques mois par an. L'occupant d'une dépendance
du domaine national, ou  «le propriétaire
coutumier» peut donc être tenté  par la spéculation
foncière, sa crainte étant d'être
dépossédé un jour par l'Etat.
Par ailleurs, d'anciens propriétaires coutumiers se
sentant spoliés par la loi relative au domaine national ont
tenté, individuellement ou en groupe, de s'opposer à
l'application de loi particulièrement  à  Dakar.  On  peut 
rappeler  que  les  Lébous,  autochtones  de  la  capitale
sénégalaise avaient déjà une longue tradition de
résistance à la main mise de l'administration coloniale  sur  les
 terres  de  leurs  ancêtres,  dont  ils  se  considèrent  comme 
les  véritables propriétaires  malgré  les 
prétentions  de  l'Etat  français.  Les  Lébous 
s'étaient  à  maintes occasions  opposés  à  l'Etat
 français  dans  les  procédures  d'immatriculation  sur  les 
livres fonciers de terrains nécessaires à la réalisation
de certains projets, tels que :
- la construction de l'aéroport Dakar-Yoff en 1934 ;
- l'installation du quartier de la Médina en 1935 ;
-  l'édification  de  l'Institut  des  Hautes  Etudes  de 
Dakar,  aujourd'hui  Université
Cheikh Anta Diop (UCAD) en 1956.
Cette même ethnie constitue une part importante des
personnes qui ont été interrogées lors des enquêtes
sur les communes de Sébikhotane et Diamniadio.
Conclusion : Un futur possible, une ville à la
situation foncière et sociale duale.
D'une  manière  pratique,  deux  types  de  droits  se 
complètent  sur  le  territoire  de Diamniadio  pour  permettre  la 
création  d'un  grand  plan  d'investissement.  La  loi  sur  le Domaine
 National  met  à  disposition  de  l'Etat  l'espace  nécessaire 
à  la  mise  en  place d'instruments législatifs calqués
sur le droit français, qui permettent la production d'espaces attractifs
pour favoriser les investissements. En effet, aux yeux des investisseurs, une
bonne localisation ne vaut rien sans la sécurité foncière,
et celle-ci exige l'élimination des droits des autochtones. Mais
l'administration aura-t-elle les moyens techniques et intellectuels de
suivre
les orientations données par ces différents SDAU,
PUD, et ZAC ?
Par ailleurs, d'autres filières de production de l'urbain,
parallèles, pourront aboutir à une  coupure  nette  entre  d'un 
coté  la  ville  de  l'Etat  de  droit,  légale  et  bien 
équipée,  et  de
l'autre une ville de fait, moins équipée, faite
d'habitants peu solvables et moins encadrée par l'administration, comme
cela a toujours été le cas à Dakar.
Les  déguerpissements  vont  s'accompagner  d'une 
manne  financière,  qui  devra  être distribuée  au  cas 
par  cas.  C'est  à  ce  moment  que  l'appartenance  à  des 
groupes  ethniques, familiaux mais surtout politiques, fera varier
énormément les sommes reçues. Le déploiement
d'instruments  législatifs  et  réglementaires,  mêmes 
forts,  fait  donc  l'objet  d'un  jeu  entre  les populations  les  mieux 
positionnées  et  l'administration.  Celle-ci  trouve  en  ces  acteurs 
en même  temps  des  adversaires  et  des  collaborateurs  conscients 
des  enjeux  qui  pèsent  sur l'espace et capables de composer avec la
vision étatique de la ville.
Conclusion : un espace rural à la porte de la
ville.
A Diamniadio, on a le paradoxe d'un droit d'inspiration
négro africaine, où la notion même de
propriété privée n'existe pas, qui sert après coup
une logique économique libérale et mondialisée. Cette
véritable invention de l'Etat répond à la demande
croissante d'espace pour
la  capitale  et  se  trouve  en  symbiose  avec  les  modes 
qui  agitent  les  principaux  bailleurs  de fonds.  Cependant,  la 
très  forte  spéculation  foncière  vient  freiner,  voire
 hypothéquer  la réalisation du projet. Selon le diagnostic
participatif effectué par une partie de la population et
les  élus  en  2003,  et  à  destination  du 
ministère  de  l'Urbanisme  et  de  l'Aménagement, la fonction 
dominante  de  cette  collectivité  locale  reste  l'élevage  et 
l'agriculture.  Il  s'agit  sans conteste d'une position ambivalente : se dire
rural, c'est avant tout montrer un  attachement certain à sa terre, pour
pouvoir positionner la ville de Dakar (et surtout les acteurs urbains) en
prédatrice d'espace. Car la frontière entre ville et espace rural
est beaucoup plus floue. Si à toute première vue, la ville
apparaît bien comme un lieu difficile d'accès pour des personnes
issues   du   monde   rural   et   qui   peuvent   en   être   exclus,  
peu   à   peu,   on   remarque   des comportements urbains
caractéristiques d'une bourgade périphérique. C'est dans
ce lieu que
se  tiennent  des  marchés  importants,  qu'existe  un 
minimum  de  confort  urbain  (électricité  et eau   courante),  
qu'est   situé   un   « garage »   (c'est-à-dire   une 
 gare   routière)   et   que   les investissements des citadins sont les
plus remarquables. Cet espace qui se dit rural est donc tiré par la
ville et intégré dans la mouvance urbaine. Il s'agit alors
d'approcher ce milieu à travers sa relation de dépendance
à la ville, qui commande la « campagne » qui l'entoure. Les
dynamiques agricoles seront forcément sous tutelle urbaine, et
connaîtront des évolutions qui verront  s'affirmer  la 
prépondérance  des  citadins  sur  le  jeu  des  acteurs 
socio-économiques
locaux.
Deuxième partie
L'agriculture périurbaine au risque de la ville ? Le cas
de Diamniadio (Dakar, Sénégal)

Plusieurs logiques de fonctionnement des exploitations
agricoles
Les  stratégies  des  agriculteurs  et  éleveurs
 à  Diamniadio  sont  mal  connues :  pour  la plupart, ils sont en
situation d'insécurité foncière : en sont-ils conscients ?
Dans quelle mesure peuvent-ils anticiper le processus d'urbanisation ? Les
stratégies des agriculteurs et éleveurs varient-elles  selon  les
 différents  types  de  statuts  fonciers  qui  ont  cours  dans  cette 
zone ? Quelles  perceptions  et  quelles  informations  ont-ils  des  services 
administratifs  et  des  Ong dakaroises  et  étrangères  qui  ont
 des  projets  sur  ce  secteur?  Ces  questions  n'ont  pas  été
étudiées  à  ce  jour  par  les  différents 
services  interrogés.  Les  enquêtes  permettent  alors  de
connaître  des  données  que  l'on  ne  peut  appréhender 
par  d'autres  sources  d'information. Aussi,  l'information  se  trouve 
inégalement  répartie  au  sein  d'un  même  village  ; 
elle  est généralement bloquée au niveau des chefs de
quartier qui assurent mal leur rôle de courroie de transmission entre le
conseil municipal et les populations. Cela rend obligatoire la recherche
de   données   sur   le   terrain,   afin   d'approcher  
une   frange   importante   de   la   population marginalisée dans le
processus de transformation des dynamiques agricoles et urbaines.
1 Une démarche d'enquête
L'enquête semblait être la meilleure méthode
pour mettre en lumière les stratégies et
les  représentations  mentales  des  exploitants  par 
rapport  aux  différents  types  de  régimes fonciers et leur
connaissance des Ong et des services administratifs. Un travail
préliminaire a constitué en une recherche sur les productions, la
commercialisation et le fonctionnement des exploitations. S'intéresser
aux stratégies, aux représentations mentales et aux conflits en
prise avec cette agriculture nécessite au préalable la
connaissance des systèmes d'exploitation agro- pastoraux, aux
différentes filières de production, et aux modes d'accès
à la terre.
A) Méthodologie de l'enquête
Pour   comprendre   la   réalité   actuelle   et
  les   dynamiques   à   l'oeuvre   au   sein   des exploitations 
agricoles,   il  est  indispensable  de  prendre  en  compte  la 
diversité  de  ces exploitations et les facteurs en jeu dans le
processus de différenciation agricole.
Nous  n'avons  pas  trouvé  d'indications 
précises  sur  la  typologie  des  exploitations agricoles  qui  se 
positionnent  sur  les  filières  du  maraîchage,  des  cultures 
fruitières  et  de l'élevage  dans  les  documents  de  recherche
 consacrés  à  la  zone  constituée  au  niveau  de
Diamniadio et Sébikhotane. La plupart des travaux de recherche
effectués dans cette région se sont intéressés
davantage aux problématiques agronomiques, à la gestion des
écosystèmes, et
aux risques écologiques qu'à celles des
stratégies des agriculteurs et éleveurs concernant la
question  foncière  et  leur  positionnement  à 
travers  un  système  d'acteurs  en  compétition  sur une
même zone.
Du  point  de  vue  de  son  déroulement,  le  travail  de
 terrain  s'est  fait  en  deux  étapes successives : la première
a été consacrée à des enquêtes exploratoires
auprès d'un échantillon
de 33 exploitations agricoles dont 27 exploitations familiales
et 6 exploitations d'entreprise. Ces unités ont été
choisies de manière raisonnée afin que l'enquête puisse
couvrir toutes les catégories d'exploitations, sauf la filière
avicole, dont le caractère intensif réduit l'impact sur
le  territoire  d'étude.  La  composition  de 
l'échantillon  des  exploitations  d'entreprises  a  été
modifiée au cours de la phase des enquêtes, à la suite de
certaines contraintes liées à la non disponibilité  des 
personnes  ciblées.  Dans  ces  cas  de  figure,  nous  avons  choisi 
d'autres exploitations agricoles présentant le même profil que
celles qui n'ont pas pu être enquêtées.
L'exploitation  des  résultats  dès  les 
premières  enquêtes  a  permis  de  sélectionner plusieurs 
personnes  ressources  aux  niveaux  d'administrations,  d'Ong  et 
d'organisations  de producteurs auprès desquelles des entretiens
approfondis ont été effectuées. Des responsables
de  la  coopération  canadienne,  l'IAGU  (Institut 
Africain  de  Gestion  Urbaine),  la  Fédération
des Producteurs et Maraîchers des Niayes, la
confédération paysanne Sénégalaise ont
été des interlocuteurs disponibles. Au niveau de
l'administration, le Ministère de l'Urbanisme et de l'Aménagement
du Territoire a permis l'acquisition de données ayant trait au
déroulement du projet  de  la  plate-forme  du  Millénaire  de 
Diamniadio.  Les  mairies  de  Diamniadio  et Sébikhotane ont
été choisies pour la collecte d'informations pouvant être
croisées avec celles collectées  par l'intermédiaire des 
enquêtes.  En effet, ces mairies  disposent de récents plans
d'investissements  communaux  pour  lesquels  des  diagnostics  territoriaux 
ont  été  dressés. Ceux-ci concernent différents
secteurs économiques, dont l'élevage et l'agriculture. De plus le
personnel  des  mairies  (secrétaires  municipaux,  agents  voyers)  et 
les  élus  ont  de  bonnes connaissances  de  l'avancée  des 
projets  de  l'Etat  grâce  à  de  nombreux  ateliers 
organisés  en partenariat avec le Conseil de la région de Dakar.
Ces personnes rencontrées au niveau des mairies ont souvent
d'excellentes connaissances de leur commune et sont à même de
donner
de précieuses informations sur l'évolution de
l'ensemble du territoire d'étude.
Pour ce qui concerne les conditions de l'enquête, on
retiendra que les investigations
ont  été  effectuées  avec  l'aide  d'un 
traducteur,  la  majorité  des  agriculteurs  et  éleveurs  ne
parlant  pas  le  français.  On  regrettera  l'absence  de  support 
logistique,  ce  qui  a  rendu  les données assez difficiles à
recueillir, ajoutée à des conditions climatiques contraignantes
pour
un néophyte. Cela a allongé considérablement
le temps alloué aux enquêtes.
La  recherche  aurait  dès  lors  pu  être 
enrichie  par  l'étude  d'un  territoire  plus  vaste, englobant les
communautés rurales de Yène et de Sangalkalm qui connaissent
elles aussi une très forte pression foncière.
Après le démarrage de l'enquête, il a
fallu peu de temps pour se rendre compte que l'administration  des 
questionnaires  ne  suscitait  pas  de  difficultés 
particulières,  lorsque  l'on s'adresse   aux   exploitations  
paysannes   familiales.   En   revanche,   les   responsables   des
exploitations agricoles d'entreprise ont montré quelques
réticences à fournir des informations
sur  les  activités  qu'ils  mènent.  Une  telle
 situation  s'explique  en  partie  par  le  fait  que  les interlocuteurs 
rencontrés  ne  sont  pas  toujours  les  promoteurs  de  ces 
entreprises  agricoles, mais  plutôt  des  employés.  Ainsi, 
certains  d'entre  eux  s'estimant  peu  informés  sur  les conditions 
de  création  des  exploitations  agricoles  dans  lesquelles  ils 
travaillent,  ont  préféré renvoyer  les  enquêteurs
 auprès  des  promoteurs  eux-mêmes.  Or,  ces  derniers  ne 
résident généralement pas dans la zone d'étude et
l'établissement de contact avec eux s'avère, le plus souvent,
difficile. Dans ce cas, les cadres d'Enda Syspro ont été
très utiles en mettant à notre disposition leur réseau de
relations concernant l'agriculture d'entreprise.
Une limite importante de ces enquêtes est liée au
fait que les informations recueillies constituent  des  données  brutes,
 qui  souvent  ne  sont  pas  recoupées  par  des  observations  au
niveau des  exploitations agricoles.  En  effet, les  personnes ont 
été plus souvent sondées  sur leur  lieu  d'habitation 
que  sur  leur  lieu  de  travail.  Concernant  l'agriculture  pluviale,  les
exploitants se livraient à d'autres activités que l'agriculture
durant la période de collecte des informations  (de  mai  à  juin
 2005),  alors  que  les  champs  sont  cultivés  pendant  l'hivernage
(juillet  à  octobre).  De  plus,  pour  l'arboriculture,  les 
propriétaires sont  rarement  sur  les vergers en dehors des
périodes de récoltes. La fiabilité des renseignements
obtenus est donc
incertaine et cela impose une grande prudence dans
l'interprétation des résultats.
B) Le territoire d'étude
La zone d'enquête, située dans le département
de Rufisque, comprend les communes
de   Diamniadio   et   Sébikhotane.   Cette  
dernière   ne   pourra   pas   échapper   au   processus
d'urbanisation, les équipements prévus pour le projet de ville
nouvelle de Diamniadio ayant une emprise sur son territoire. Sébikhotane
a été instituée commune en 1996 et Diamniadio en
2001,  dans  la  mouvance  de  la  réforme 
institutionnelle  de  la  Région  de  Dakar.  Notre  entité
d'accueil au sein de l'Ong Enda tiers monde, Enda Syspro, possède
à Sébikhotane 3 hectares
de terrains voués à l'agriculture
expérimentale.

Carte 5 : l'agriculture dans le département de
Rufisque
Réalisation : V. Mendret
Source : Atlas du Sénégal
C)  Des villages marqués par une logique de
réseau...
A l'exception du village de Sébi Ponty, toutes les
implantations d'habitat ont été crées
par des chefs de groupements familiaux, qui souvent voulaient
fuir des épidémies. Le nom des fondateurs   est   resté  
dans   la   dénomination   des   quartiers   des   communes  
étudiées.   Les marabouts à l'origine de la
majorité des villages ont, pour la plupart, choisi une installation
auprès d'un arbre remarquable, un vieux fromager (Deny en
Sérère).
Les noms de villages juxtaposent donc le préfixe Deny et
le fondateur du village, ce
qui  donne  des  appellations  telles  que :  Deny  Babacar 
Diop,  Deny  Demba  Codou,  Deny Malick Guèye, Deny Youssouf, Deny
Ndiakhate.  Les premières ethnies implantées sont les
Lébous, puis, les Sérères, les Peuhls, les Diolas, et les
Mandjaques. C'est parmi les familles fondatrices  des  villages  que  sont 
choisis  les  chefs  de  quartiers.  Les  confréries  musulmanes
dominantes  sont  les  Tidjanes  et  les  Layennes,  alors  que  les 
Mandjaques  sont  à  majorité chrétienne. 
L'efficacité  des réseaux  familiaux  et confrériques pour
l'obtention des parcelles d'habitation  a  été  à  la 
base  de  regroupements  ethniques  au  sein  des  quartiers  et  d'une
occupation  anarchique  de  l'espace.  Celle-ci  a  été  quelque 
peu  corrigée  par  l'administration lors d'un premier plan de
lotissement en 1994, qui a permis de régulariser les habitations, de
libérer l'emprise de la voirie, et de redimensionner les parcelles.
Pour un même quartier, il peut donc y avoir un chef par
ethnie, donc plusieurs chefs, mais  c'est  le  chef  originaire  de  la 
famille  fondatrice  qui  emporte  la  légitimité  auprès 
de  la collectivité locale. Cela favorise une répartition
inégale des titres fonciers, des équipements (eau,
électricité), des permis de construire, et crée des
frontières au sein d'un même quartier. Les  revendications  des 
habitants  n'ont  pas  la  même  résonance  selon  leurs 
appartenances respectives, car certains n'ont aucun intermédiaire pour
communiquer avec les élus, ou n'ont accès à aucune
information officielle.
Une  catégorie  d'allochtones  motorisée 
s'implante  peu  à  peu,  avec  une  tendance  à construire  de 
belles  villas,  bien  équipées.  Ceux-ci  semblent 
bénéficier  de  l'appui  d'autres réseaux politiques et
familiaux, encore plus efficaces à terme, qui sont en train de se mettre
en place.
...et un environnement difficile pour
l'agriculture
Les communes de Diamniadio et de Sébikhotane se situent en
bordure sud de la zone
des Niayes,  qui s'étend  sur la frange 
côtière de  Saint-Louis à  Dakar.  Le  climat est de  type
canarien et subit l'influence maritime avec deux grandes saisons :
-  Une  saison  des  pluies,  chaude  et  humide  qui  dure  3 
à  4  mois  (mi-juin  à septembre, appelée hivernage)
- Une saison sèche qui dure 8 à 9 mois (octobre
à mi-juin).
Les vents dominants sont l'harmattan en saison sèche,
l'alizé et la mousson qui donne
la  pluie  en  hivernage.  Les  températures  sont 
élevées  entre  avril  et  octobre  et  basses  entre novembre et
mars.
Au niveau de ces communes, la végétation est
caractérisée par une steppe arborée. A
l'instar de cette zone sud des Niayes, la composition floristique
est dominée par des baobabs
et  des  acacias  mais  également  des  espèces 
telles  que  des  margousiers,  des  eucalyptus,  des tamarins  et  des 
genêts  épineux.  La  ressource  faunique  a  sensiblement 
diminué  avec  la destruction  des  habitats  naturels  intervenue  sous
 l'action  combinée  de  la  sécheresse  et  des hommes. Elle
reste dominée par les oiseaux tels que les perdrix, les grues, les
corbeaux, mais aussi d'animaux comme les chacals, les lièvres, les
lézards.
Des sols de type argilo-sableux (deck-dior) sont aussi
identifiés dans la zone, un sol argileux étant appelé deck
en wolof, un sol sableux dior. La nappe phréatique se situe entre 7
et 30 mètres. Elle est renfermée dans des sables
argilo-marneux du Continental Terminal et
des  calcaires  du  Paléocène  du  bassin 
sédimentaire.  On  note  l'existence  de  deux  vallées
encaissantes dans les villages de Deny Demba Codou, Sebi Ponty et
Ndoyène où s'installent
des  mares  temporaires  en  hivernage.  Il  y  a  un  lac  de
 barrage  appelé  lac  de  Séby-Ponty,  à hauteur du
village  Gyent Arafat, dont la digue a été construite à
l'époque coloniale. Le relief accidenté et la nature
imperméable des sols favorisent un ruissellement intense des eaux de
pluie. La zone est ainsi fortement lacérée de vallées
où coulent en hivernage des marigots qui fusionnent  en  piedmont 
à  hauteur  de  Diamniadio  pour  former  le  marigot  de  Pantior  qui 
se perd en mer.
La sécheresse qui a perduré ces dernières
années, le ruissellement de l'eau qui coule vers  la  mer,  la 
profondeur  de  la  nappe  phréatique  imposent  de  fortes  contraintes
 pour  une agriculture traditionnelle manquant cruellement d'équipements
et de moyens. Concentrée sur trois mois de l'année, pendant les
mois d'hivernage, cette agriculture familiale s'accompagne rarement   de   la  
possession   de   titres   fonciers.   Nous   allons   essayer   de  
comprendre   le fonctionnement de cette agriculture au statut précaire,
puis nous mettrons en perspective une agriculture  d'entreprise  s'affirmant 
des  contraintes  naturelles,  et  dominée  par  des  acteurs
urbains.
2  L'agriculture traditionnelle, une activité
à la marge ?
Dans  ce  chapitre,  le  milieu  paysan  apparaît  comme
 conservateur  de  traditions  et  de pratiques foncières
coutumières, à la marge des nouvelles pratiques spatiales
véhiculées par l'Etat et le droit de propriété.
Mais cette traditionnalité n'est peut être qu'une apparence... En
effet,  l'entraide  laisse  progressivement  la  place  à  une  logique 
monétaire,  révélatrice  d'une remise en cause de
l'intégrité des  groupes sociaux. Cette agriculture 
connaît également des dynamiques spécifiques
émergeant de la part de groupements féminins et d'ONG venant de
Dakar, doublées d'interactions toujours prégnantes avec la ville.
Mais celles-ci ne semblent
pas suffire à moderniser une agriculture qui conserve des
rendements trop faibles.
A)  Une prépondérance du domaine national et
un accès à la terre par l'héritage et le don.
Tableau 4 : Répartition des exploitations
familiales selon la superficie (27 exploitations):
| 
 Superficie 
(ha) 
 | 
 =1 
 | 
 [1,1 - 2] 
 | 
 [2,1- 4] 
 | 
 = 4,1 
 | 
| 
 Exploitations 
(%) 
 | 
 40,4 
 | 
 33,3 
 | 
 19,9 
 | 
 7,4 
 | 
 
Source : enquêtes personnelles
Nombre total d'exploitations : 27
Concernant  les  surfaces  cultivées,  près  de 
40%  des  exploitations  familiales  ont  une
superficie  inférieure  à  un  hectare.  La 
faible  taille  de  ces  exploitations  permet  une  mise  en culture 
intensive  des  terres  lors  de  l'hivernage  grâce  à  la 
mobilisation  de  la  main  d'oeuvre familiale.
Un   faible   niveau   d'investissement constitue   un   moindre 
 désavantage   pour l'exploitation d'une parcelle de petite taille dans
laquelle la main d'oeuvre pourra être utilisée
de manière intensive.
Tableau 5 : Modes d'accès à la terre des
exploitations familiales et types de droit foncier
| 
 Modes accès à la terre et types droit foncier 
 | 
 Droit coutumier 
(Domaine national non régularisé) 
 | 
 Droit d'usage 
(Domaine national régularisé) 
Régularisation par la commune ou à l'époque
par les communautés rurales 
 | 
 Droit réel 
(immatriculation de la parcelle et possession de titre
foncier) 
 | 
| 
 Héritage 
 | 
 Don 
 | 
 Achat 
 | 
 Héritage 
 | 
 Don 
 | 
 Achat 
 | 
 Héritage 
 | 
 Achat 
 | 
| 
 Exploitations 
% 
 | 
 33,3 
 | 
 25,9 
 | 
 0 
 | 
 14,8 
 | 
 0 
 | 
 11,1 
 | 
 7,4 
 | 
 14 ,8 
 | 
 
Source : enquêtes personnelles
Total : 107,3
Nombre de doublons : deux exploitations ont été
comptées deux fois, le type de droit étant différent pour
les
parcelles secondaires.
Seuls 22,2%  des exploitations de l'échantillon
détiennent des droits réels sur les terres qu'elle exploite
(titre foncier). Les droits fonciers des exploitations familiales de la zone
sont
de trois types : droit coutumier détenu par des
propriétaires socialement reconnus comme tels, droit  d'usage 
résultant  d'une  affectation,  ou  droit  réel  avec  un  titre 
foncier.  De  nombreux exploitants  (59,2%)  se  contentent  des  droits 
traditionnels  hérités  ou  reçus  de  leurs  parents.
Pour  eux,  une  pareille  situation  ne  pose  aucun  problème  parce 
que  ces  droits  reflètent  une légitimité  de  fait. 
Comme  l'indique  l'un  de  nos  interlocuteurs,  «chacun  sait  que 
ces  terres appartiennent à mes parents depuis de nombreuses
années, voire des générations».
Dans  leur  grande  majorité,  les  exploitations 
familiales  ont  accédé  à  la  terre  par
l'héritage ou par la donation (81,4% des exploitations). Aucun cas de
conflit lié à l'héritage
des terres n'a été relevé. L'analyse des cas
de donation tend à montrer, au sein des familles,
des pratiques qui favorisent la prévention ou la
limitation des risques de conflit. Toutes les donations  ont  été
 effectuées  par  les  propriétaires  des  parcelles 
eux-mêmes,  donc  de  leur vivant. Dans les cas les plus
fréquemment rencontrés, elles sont faites par le père
à ses fils adultes  ou  par  le  mari  à  son  épouse.  Au
 sein  de  l'échantillon,  elles  sont  toujours  le  fait  de
personnes devenues trop âgées pour pouvoir continuer
l'exploitation de leurs champs.
Cependant,  l'achat  de  terres  constitue,  dans  la  zone 
d'étude,  une  forme  courante d'accès à la terre, et
surtout pour la possession de droits réels (2/3 des possesseurs de
titres fonciers  déclaraient  l'avoir  acheté).  Dans  cet 
espace  péri  urbain,  la  valeur  monétaire  de  la terre semble
être acquise pour tous, mais des différentiels liés
à l'information se créent : des jeunes  locaux  qui 
bénéficient  de  fonds  provenant  de  la  migration 
internationale,  ou  du commerce à Dakar, tentent d'acheter des
parcelles à moindre coût auprès des personnes
âgées moins au courant de la spéculation foncière
qui a cours au sein du le territoire d'étude.
Concernant le droit d'usage et le droit coutumier,
l'importance réelle des transactions foncières est difficile
à évaluer dans la mesure où les ventes se font de
façon «souterraine». Cela s'explique par le fait qu'elles
revêtent un caractère illégal au regard des dispositions
de
la législation foncière qui interdisent la vente
de terres ne faisant pas l'objet de titre foncier. Certains  interlocuteurs 
déclarent  avoir  acheté  des  parcelles  mitoyennes  pour 
agrandir  leurs exploitations, sans toutefois accepter de fournir des
indications détaillées sur ces transactions.
C'est  seulement  14,8%  des  exploitants  qui  ont  fait 
régulariser  leurs  droits  fonciers coutumiers en sollicitant une
affectation auprès du conseil rural à l'époque à
laquelle les deux communes  étaient  réunies  en  formant  la 
communauté  rurale  de  Yène.  Ces  affectations constituent de
fait la reconnaissance du droit d'usage par la loi. En règle
générale, cette même démarche a été
adoptée par ceux qui achètent des terres auprès de
propriétaires coutumiers. Ces personnes n'ont manifestement pas eu
suffisamment confiance en la filière coutumière, et sont 
conscient  qu'une  légitimité  double  (auprès  des  chefs
 coutumiers  et  du  conseil  rural) serait  plus  à  même  de 
sécuriser  leur  acquisition.  En  effet,  l'obtention  d'une 
décision d'affectation  délivrée  par  le  conseil  rural 
donne  à  ces  acquéreurs  la  garantie  (théorique)  de
bénéficier d'une indemnisation pour les investissements
réalisés, en cas de désaffectation.
En ce qui concerne les propriétaires coutumiers qui ne
bénéficient d'aucun justificatif manuscrit,  l'indemnisation  en 
cas  d'expropriation  est  plus  aléatoire.  En  cas  d'agriculture
d'hivernage,  le  terrain  n'est  mis  en  valeur  que  3  mois  par  an.  La 
mise  en  valeur  est  donc considérée   comme   nulle   par   la
  commune, et   les   exploitants   sont   dépossédés  
sans contrepartie.
Selon les exploitants interrogés, une autre forme
d'accès au foncier est le prêt. Mais les prêts  de  terres 
sont  devenus  une  pratique  de  plus  en  plus  rare  (aucune 
enquête).  La  raison mise en cause est que certains
bénéficiaires ont tendance à se reconnaître des
droits sur les
parcelles qui leur sont prêtées, au motif qu'ils y
ont effectué une  mise en valeur.
Cela  les  conduit  à  s'adresser  au  conseil  rural 
pour  solliciter  l'affectation  de  ces parcelles.  De  l'avis  de  plusieurs 
interlocuteurs,  les  prêts  de  terres  ne  se  font  actuellement
qu'entre  des  personnes  entretenant  des  relations  de  confiance, 
notamment  des  amis,  des individus apparentés ou alliés. En
tout état de cause, il est interdit au bénéficiaire du
planter
des  arbres  ou  de  réaliser  des  investissements 
(fonçage  de  puits,  aménagement  de  réseaux
d'irrigation,   construction de bâtiments...) qui pourraient être
considéré comme des mises en valeur.
B)  Un  fonctionnement  familial  fortement  lié 
à  l'autoconsommation  et  aux  marchés urbains
Tout  d'abord,  toutes  les  exploitations  familiales 
enquêtées  avaient  d'autres  revenus que l'agriculture et
l'arboriculture qui constituent avant tout des revenus saisonniers pour ces
familles.  Cela  s'explique  par  l'absence  de  cuvette 
maraîchère,  avec  de  l'eau  disponible  à faible
profondeur comme cela est le cas dans les dépressions inter dunaires des
Niayes. Concernant  le  fonctionnement  des  exploitations  familiales,  les 
formes  d'organisation  de  la production se caractérisent par une
articulation étroite entre les fonctions de production, de consommation,
 d'accumulation  d'une  part  et,  par  leur  aptitude  à  mettre  en 
application  une logique successorale. Celle-ci vise à garantir le
maintien du patrimoine au sein de la famille. Cette prégnance du groupe
domestique dans l'organisation du travail agricole s'accompagne d'une
orientation des systèmes de production vers l'autoconsommation
élargie qui implique une production pour le marché local ou pour
Dakar.
Au sein d'une exploitation familiale, les membres actifs du
groupe prennent part aux travaux agricoles et les femmes participent en
compagnie des hommes à certaines opérations (désherbage, 
récolte,  etc.).  Dans  les  exploitations  qui  disposent  d'une  force
 de  travail relativement  réduite,  toutes  les  potentialités 
en  main-d'oeuvre  sont  mobilisées :  hommes, femmes, enfants et
personnes âgées. Les règles observées dans la
consommation alimentaire collective, lors de chaque repas, trouvent leur
fondement dans un travail coopératif qui permet
au  groupe  familial  de  produire  ou  de  se  procurer  les 
biens  nécessaires  à  sa  survie  et  à  sa
reproduction.
Au  niveau  des  exploitations  familiales  de  la  zone 
d'étude,  la  plus  grande  partie  des travaux  culturaux  est
assurée  par  les  « dépendants » (notamment les 
jeunes et les femmes). Seules de rares exploitations font appel à des
saisonniers qu'elles recrutent durant l'hivernage (juillet à septembre).
Ceux-ci bénéficient d'un salaire mensuel ou une
rétribution globale en
fin  de  cycle.  Le  recrutement  des  journaliers  au  moment
 des  récoltes  devient  une  pratique courante dans la zone ; cela
traduit un abandon progressif des formes d'entraide entre familles
apparentées ou voisines, au profit du système marchand.
Les  exploitations  familiales  cultivent  principalement  des
 fruits  tels  que  le  melon,  la pastèque,  des 
variétés  locales  de  mangues,  c'est-à-dire  des  fruits
 et  légumes  destinés  au marché  local.  Les 
légumes  cultivés  entrent  dans  la  composition  des  plats 
quotidiens  des consommateurs, comme le tieb u dien (riz au poisson
accompagné de légumes) l'aubergine, le chou, la tomate, le bissap
sont les plus fréquemment cités.
Pour  fertiliser  les  parcelles,  les  exploitations 
familiales  enfouissent  de  la  «poudre d'arachide» (coques
d'arachides déchiquetées), des déchets de poisson, de
l'engrais vert ou alors  elles  utilisent  des  engrais  chimiques.   Le  
problème  étant  de   connaître  les  doses maximales  de 
produits  à  respecter,  les  agriculteurs  locaux  ayant  la 
réputation  d'avoir  la
« main   lourde ».   Dans   les   quartiers   Peuls,
  l'élevage   est   relativement   bien   intégré  
à l'horticulture  par  l'utilisation  du  fumier  organique  comme 
principal  engrais  et  la  traction animale  comme  principale  moyen  de 
transport  des  hommes  et  des  produits.  La  matière
organique provient des ruminants et des ânes.
Photo  1-Absence  de  mise  en  valeur  des 
terres :  les

enquêtes de terrain se sont déroulées avant
l'hivernage
(Mai 2005)
Photo  2-Un  élevage  manquant 
cruellement  de

moyens :  il  n'y  a  ni  enclos  ni  parcours de
bétail...
Cependant  les  pratiques  pastorales  restent  traditionnelles 
dans  la  zone  d'étude.  Les races ne sont pas
améliorées, la contrainte spatiale est prégnante ; cette
activité pastorale n'a
pas été prise en considération dans les
plans d'occupation de l'espace. L'absence d'itinéraire
de  parcours  augmente  le  nombre  de  conflits,  quotidiens, 
entre  éleveurs  et  agriculteurs.  Des bagarres sanglantes liées
au parcours du bétail éclatent régulièrement. Les
vols durant la nuit,
de bétail et de fourrage par des personnes venant de
Dakar, sont des problèmes très fréquents pour les
éleveurs périurbains interrogés.
Les  marchés  urbains  constituent  les  principaux 
débouchés  pour  les  productions  de légumes, de fruits,
de viande, de lait caillé. La région de Dakar, qui concentre plus
de  20% de
la population sénégalaise, constitue le
marché le plus important pour les produits provenant de
la  zone  d'enquêtes.  Le  carrefour  de  Diamniadio, 
au  croisement  de  la  Nationale  1  et  la Nationale  2,  est  favorable 
à  la  présence  d'un  marché.  C'est  le  long  des 
nationales  qu'est vendue  la  majeure  partie  de  la  récolte  des 
exploitations  familiales.  Durant  la  période d'hivernage, les «
bana-bana »  achètent les productions directement sur les
champs pour les commercialiser sur les marchés de Dakar.
L'enquête  a  mis  en  évidence  le  fossé
 important  qui  existe  entre  les  exploitations familiales  et  les 
entreprises  agricoles  sur  le  plan  des  investissements  et  des 
équipements. Seules trois d'entre elles disposent d'un
réseau d'irrigation.
C)  Un  financement  difficile  causé  par  le 
désengagement  de  l'Etat  et  un  manque  de garanties
monétaires et matérielles.
Dans  le  contexte  actuel  d'une  économie  agricole 
libéralisée,  le  financement  de l'agriculture dépend des
ressources mobilisées par les producteurs eux-mêmes, et
aucunement
des  fonds  publics.  Dans  le  cas  spécifique  des 
producteurs  de  la  zone  d'étude,  ce  sont  les exploitations 
familiales  qui  ont  subi  les  contrecoups  de  l'arrêt  de  la 
politique  de  soutien  à l'agriculture, parce qu'elles ont
été privées des possibilités d'approvisionnement en
intrants offertes par les programmes agricoles. Selon les éleveurs
Peuls, les distributions gratuites de d'aliments pour le bétail sont
bien moins nombreuses qu'auparavant. Les petits producteurs se
sentent complètement « oubliés » des
politiques d'intervention étatiques.
Le  manque  de  financement  ou  le  non  accès  aux 
crédits des  producteurs  est  dû  à plusieurs facteurs
:
- Il   y   a   d'abord   une   méconnaissance   des  
circuits   financements   de   la   part   des agriculteurs : la majeure partie
des producteurs ignore les processus de recherche des partenaires  financiers. 
Cela  s'explique  par  la  faiblesse  des  niveaux  d'instruction, beaucoup
d'entre eux sont analphabètes.
- Il y a ensuite le manque de sécurité
foncière : l'absence de garantie sur les terres ne favorise  pas  le 
financement  à  long  terme.  Sans  titre  foncier  réel, 
l'hypothèque  du terrain auprès d'une banque est impossible.
- Les agriculteurs n'ont pour la majorité pas de revenus
sur un compte en banque et ne peuvent pas accéder aux circuits bancaires
proposés par exemple, par le crédit mutuel
de Diamniadio.
- La  pluriactivité  des  personnes  interrogée 
ne  dégage  pas  de  revenus  suffisants  pour influer  sur 
l'exploitation  agricole.  Le  recours  à  la  migration  internationale
 (une enquête   seulement)   a   permis   l'achat   d'un   titre  
foncier,   mais   la   question   des investissements agricole est en suspens.
En effet, pour un agriculteur périurbain, il est plus  urgent  (et  plus
 rentable)  d'investir  dans  la  spéculation  foncière  que 
dans le matériel agricole.
Le micro crédit, une réponse pertinente au
manque de financement ?
Il existe aujourd'hui dans la région de Dakar, un
réseau de 17 caisses d'épargnes et crédit  crées 
avec  l'appui  d'Enda  Graff  et  regroupant  quelque  21  000  membres  (80% 
de femmes,  15%  d'hommes  et  5%  d'organisations).  L'activité 
principale  de  ces  caisses  est constituée de services financiers
offerts aux membres à travers la collecte de l'épargne et la
distribution  du  crédit.  Les  caisses  sont  alimentées  pour 
25%  de  cotisations  individuelles  et pour 75% d'une contribution d'Enda sous
formes de prêts. Les modalités de financement sont
caractérisées par :
- Une   somme minimale allouée est fixée à
25 000FCFA   et une somme maximale de
300 000 FCFA, pour le prêt individuel.
- Une somme plafonnée à 2 000 000 FCFA pour les
groupements.
- Un taux d'intérêt  très
élevé, 16% l'an (généralement 8% sur 6 mois),
calculé sur le montant total.
- Une durée de  crédit faible: la durée
maximale est de 12 mois (généralement 6 mois dont un mois de
différé)
- Avant de débloquer l'argent, les caisses exigent de
chaque bénéficiaire une caution de garantie  à 
l'ouverture  du  compte  et  pour  chaque  groupement  une  garantie  solidaire
supplémentaire.
D'autres  organisations,  à  majorité 
féminines,  ont  été  citées  lors  des 
enquêtes  pour l'accès au crédit. Les femmes,
organisées en GIE inter-villageois (dans les villages de Deny Youssouf,
Ndoyène I, Ndiassane) de 300 membres, font du crédit revolving
(crédit avec une réserve d'argent, qui se renouvelle
partiellement) grâce à une cotisation mensuelle de 600 Frs.

A  Deny  Malick  Guèye,  le  Groupement  féminin
 «Yakkar »  comprenant  107  membres  fait preuve de dynamisme : les
femmes disposent d'un périmètre maraîcher de 6 ha dont 2 ha
sont mis en valeur grâce au soutien technique et matériel de l'ONG
Association Culturelle d'Auto- Promotion  Educative  et  Sociale  (ACAPES). 
Elles  accordent  du  crédit  revolving  permettant aux membres de mener
des activités génératrices de revenus. Ces initiatives ont
pu voir le jour grâce  à  un  financement  de  2.000.000  Frs. 
L'ONG  GROSEF  apporte  elle  aussi  un  appui

financier à ces femmes et leur permet de suivre des cours
d'alphabétisation.
Photo  3-Une  parcelle  de  choux 
cultivée  par  un groupement féminin avec l'aide de l'ONG
Acapes.
Photo    4-La    responsable    du   
groupement
féminin Yakkar lors d'un entretien.
Ces financements agricoles concernent surtout le fond de
roulement (achat d'intrants
agricoles) grâce à de petites sommes. Ils concernent
rarement l'acquisitions d'équipements et
de matériel, encore moins la réalisation de
constructions et d'infrastructures.
La nature des ressources, leur modicité et les conditions
de crédit ne permettent que des financements à cours terme, le
crédit moyen et long terme étant inexistant.
Conclusion : une agriculture en sursis ?
Bien  qu'entretenant  de  fortes  relations  avec  la  ville, 
tant  pour  les  entrants  (graines, engrais)  et  l'écoulement  de  la 
production,  l'agriculture  traditionnelle  se  trouve  face  à
l'impossibilité de se moderniser, à cause d'un manque
d'investissements et de moyens. Les machines et outils défectueux sont
rarement remplacés, c'est donc la  main d'oeuvre familiale
qui assure encore la quasi-totalité des travaux. Le
recours aux engrais chimiques constitue la seule  innovation  adoptée 
par  la  majorité.  Même  si  l'intégrité  des 
groupes  sociaux  est progressivement remise en cause (une baisse de l'entraide
entre villageois a été soulignée lors
des  entretiens),  on  peut  dire  que  cette  agriculture 
tend  à  se  reproduire  sur  elle-même,  sans possibilité 
réelle  d'innovation.  Génératrice  de  revenus  pendant 
moins  de  trois  mois  par  an, elle ne fait que compléter le revenu
des personnes interrogées, dont l'activité principale est
l'artisanat  (boulanger,  charretier,  tailleur...),  la  fonction  publique 
(douanier,  professeur)  le petit commerce, ou l'élevage (poulets,
bovidés). L'eau reste inaccessible pour des individus non solvables, et
lorsque qu'une forte somme d'argent est disponible (par la migration d'un ami
d'enfance ou d'un membre de la famille), elle est destinée en premier
lieu à l'achat d'un titre immatriculé. Les investissements
agricoles passent dès lors au second plan. Concernant
les droits d'usage et coutumiers, la mise en valeur
saisonnière est considérée comme nulle par
la loi sur le Domaine National pour l'Etat et les promoteurs
fonciers qui voient en ces champs
des terres vacantes. L'emprise de l'agriculture «
traditionnelle » se trouve donc au coeur des convoitises des acteurs
urbains.
3 Une  logique  d'entreprise  tournée 
principalement  vers  le  marché extérieur
L'agriculture  d'entreprise  se  caractérise  par  un 
recours  systématique  à  la  main d'oeuvre  salariée,  un
 accès  à  l'eau  permanent,  et  une  exportation  des 
productions  vers l'Europe.   Ces   exploitations   bénéficient  
d'appuis   bancaires   voire   politiques.   Certains entrepreneurs  sont 
connus  dans  tout  le  Sénégal  (Gafari,  Filfili...),  car  ils
 détiennent  de véritables domaines et bénéficient
de relation au plus haut niveau de l'Etat. Pouvant investir dans des
réseaux commerciaux entre ville et campagne, ils sont au contact du
monde grâce à
la capitale, véritable noeud du système de
transport international.
Ces  gros  producteurs  sont  totalement 
intégrées  à  l'économie  sénégalaise
 et  sont,  en définitives  les  plus  à  même  de  jouer 
des  relations  ville  campagne.  C'est  donc  des  acteurs socio  
économiques   tranchant   fortement   avec   la   situation  
précédemment   exposée,   et connaissant un tout autre
rapport à la ville et à ses dynamiques qu'il va falloir
analyser.
A)  Accès à la terre et transactions
foncières des exploitations d'entreprise
Les  exploitations  d'entreprise  que  nous  avons 
enquêtées  sont  localisées  dans  la commune  de 
Sébikhotane  et  de  Diamniadio,  dans  une  zone  plus 
excentrée  par  rapport  au projet  de  ville.  Elles  ont  des  tailles
 variables,  allant  de  1,3  à  150  hectares  et  les  deux  tiers
d'entre elles gèrent des domaines dont la  superficie est comprise entre
1,5 et 5 hectares.
Tableau 6 : Répartition des exploitations
d'entreprise selon la superficie (6 exploitations)
| 
 Superficie 
(ha) 
 | 
 <3 
 | 
 [3,1 ; 5] 
 | 
 [5,1 ; 10] 
 | 
 [10 ; 90] 
 | 
| 
 Exploitations 
 | 
 3 
 | 
 1 
 | 
 1 
 | 
 1 
 | 
 
Source : enquêtes personnelles
La  très  faible  taille  de  l'échantillon  ne 
permet  pas  une  interprétation  très  fiable.
Cependant  on a remarqué que ces exploitations
bénéficient d'investissements qui justifient la mise en valeur de
terrains bien plus grands que les exploitations familiales.
Tableau 7 : Modes d'accès à la terre des
entreprises agricoles
| 
 Modes d'accès à la terre et types droits
fonciers 
 | 
 Droit coutumier (Domaine national non
régularisé) 
 | 
 Droit d'usage (Domaine national
régularisé) Régularisation par la 
commune ou à l'époque par 
les communautés rurales 
 | 
 Droit réel (immatriculation de la parcelle et
possession de titre foncier) 
 | 
| 
 Achat 
 | 
 Affect. 
CR 
 | 
 Achat régularisé 
par affectation 
 | 
 Héritage 
 | 
 Achat 
 | 
| 
 exploitations 
 | 
 1 
 | 
 2 
 | 
 2 
 | 
 0 
 | 
 2 
 | 
 
Source : enquêtes personnelles Nombre de doublons : 1 ; un
exploitant bénéficie de deux parcelles : la première,
régularisée par une affectation, a été agrandie par
l'achat d'un titre foncier.
On  constate  une  diversité  des  modes 
d'accès  à  la  terre  et  de  la  nature  des  droits fonciers.
L'achat de terres et l'affectation de parcelles par les conseils ruraux
constituent les modalités  les  plus  courantes  d'accès 
à  la  terre  des  opérateurs  agricoles.  Dans  cinq  cas,  les
promoteurs  ont  acheté  les  terres  qu'ils  exploitent  auprès 
des  populations  locales.  Mais  les droits détenus sur ces terres ne
sont pas toujours de même nature. Trois cas de figure se sont
présentés :
- La détention d'un droit réel en raison de
l'acquisition de terres faisant l'objet de titres fonciers ;
- La détention d'un droit d'usage reconnu par le
conseil rural (après avoir acheté une parcelle, le promoteur
sollicite une affectation auprès du conseil rural pour
régulariser l'occupation de la terre) ;
- La détention de droits «précaires»
dans les cas où les terres achetées par le promoteur n'ont  pas 
fait  l'objet  d'une  décision  d'affectation  (notée  «
droit  coutumier »  dans  le tableau). Outre qu'il fragilise
l'exploitation, ce cas de figure a généré un conflit, car
la vente a été faite par un membre de la famille à l'insu
des autres.
Les   terres   affectées   représentent   quatre
  parcelles   exploitées   par   les   entreprises agricoles.  Une 
affectation  atteint 90  hectares  pour  un  seul  promoteur.  L'importance  de
 la taille  unitaire  des  parcelles  attribuées  souvent  à  des
 personnes  non  originaires  de  la  zone suscite  des  ressentiments  au 
niveau  des  populations  villageoises  qui  éprouvent  de 
réelles difficultés à obtenir des terres auprès des
administrations locales. Les élus locaux font valoir l'argument selon
lequel les autochtones ne disposent pas toujours de moyens suffisants pour
mettre  en  valeur  les  terres.  Pour  leur  part,  les  villageois  estiment 
que  les  promoteurs parviennent  à  bénéficier 
facilement  d'affectation  de  terres,  parce  qu'ils  concluraient  des
arrangements avec les élus locaux.
Un  habitant  natif  de  Sébikhotane  nous  a 
expliqué  comment  un  investisseur  libanais avait acquis plusieurs
dizaines d'hectares sur l'ancienne commune rurale (donc avant 1996).
« Des  éleveurs nouveaux  venus  ont  mis  en 
valeur  de  grandes  parcelles  en  construisant uniquement  des  enclos  pour 
leurs  bêtes  et  en  plantant  quelques  arbres.  A  l'époque, 
cela suffisait  pour  bénéficier  d'une  affectation  du  Conseil
 Rural,  c'est  beaucoup  plus  difficile
aujourd'hui.
Le  libanais  et  les  éleveurs  ont  alors 
effectué  une  transaction  souterraine  avec  la complicité  de 
plusieurs  élus  locaux.  Je  pense  que  d'ici  quelques 
années,  le  libanais  aura transformé  ses  champs  de  mangues 
en  habitations,  profitant  d'une  énorme  plus-value,  en vendant des
parcelles à des Dakarois ».
Un  entrepreneur  interrogé  a  rapporté  une 
autre  version  quant  au  devenir  de  la parcelle : il avance que  «
les investissements mis en oeuvre (pour le système d'irrigation, le
conditionnement,  la  mise  en  place  d'une  logistique)  sont  les  preuves 
qu'il  y  un  véritable savoir  faire  digne  d'un  professionnel 
très  efficace,  et  que  le  possesseur  n'a  pas  intérêt
 à revendre son moyen de production. Ses plantations représentent
trop d'années de travail.»
Ce   témoignage   montre   qu'il   est   difficile   de
  connaître   les   stratégies   et   les représentations 
mentales  des  entrepreneurs  agricoles périurbains:  bien  que 
conscients  de  la montée  du  prix  des  terrains,  ceux-ci  se 
positionnent  quasi  systématiquement  comme  de véritables
ruraux, qui font leur travail par vocation, et parlent de développer
leur filière. S'agit
t-il  de  méfiance  vis-à-vis  d'un 
interlocuteur   étranger  susceptible  de   communiquer  ses
informations  à  des  acteurs  concurrents  sur  le  territoire ? 
L'attachement  à  la  terre  est-il réellement si fort ?
B) Un  fonctionnement  déterminé  par  le 
marché  international,  et  nécessitant  des investissements
lourds
Les  exploitations  d'entreprise  privilégient  des 
spéculations  destinées  à  l'exportation (mangue, tomate
cerise), des légumes utilisés dans la préparation de plats
de type européens (haricot, pomme de terre) ou rares sur le
marché à certaines périodes de l'année (arachide).
Les  exploitations  d'entreprise  et  les  exploitations  familiales  ne 
cultivent  pas  les  mêmes variétés de fruits et
légumes. Par exemple, les entreprises agricoles cultivent une
variété de mangue destinée uniquement au marché
européen, la mangue « Kent », qui est une
variété à chair ferme supportant mieux  le stockage
prolongé que les variétés locales. On constate un
désintérêt de ces exploitations vis-à-vis de
productions locales comme les aubergines amères
et les choux par exemple.


Photos  5-Conditionnement  de  tomates  cerises 
dans
une coopérative de Sébikhotane.
Photo  6-Champs  de  mangues  Kent 
destinées  au
marché   européen.   Un   système  
d'irrigation   par goutte à goutte est utilisé.
Toutes   les   exploitations   d'entreprise   de  
l'échantillon   sont   dotées   de   réseaux
d'irrigation. La connexion au réseau de la
Sénégalaise Des Eaux est le fait de promoteurs qui exploitent  
des   superficies   peu   importantes   (entre   0,5   et   3   hectares).   En
  revanche, l'aménagement  de  forages  concerne  une  exploitation  de 
l'échantillon  qui  met  en  valeur  un domaine   de   90   hectares.  
Les   équipements   inventoriés   sont   divers :   tracteurs,  
groupes électrogènes,  véhicules,  pulvérisateurs, 
semoirs,  charrues,  charrettes.  La  plus  grande  des exploitations 
possède  sa  propre  chaîne  de  conditionnement  et  sa  chambre 
froide,  les  autres utilisent les installations de la fédération
des producteurs maraîchers.
Selon les résultats de l'enquête, la
majorité des exploitations d'entreprise dispose d'un personnel permanent
composé non seulement d'ouvriers agricoles, mais aussi de techniciens
chargés du conseil et du suivi titulaires au minimum du
baccalauréat. Mais parfois, la gestion
de certaines exploitations implique aussi la main-d'oeuvre
familiale. Dans ce cas de figure, les promoteurs  font  appel  à  des 
membres  de  la  famille  (épouses,  fils,  frères)  ou  à
 d'autres personnes apparentées (neveux, cousins, etc.) pour qu'ils
apportent un appui dans la conduite
des activités en prenant en charge des tâches,
telles que la supervision des ouvriers.
Pour  le  Président  de  la  Fédération 
des  producteurs  maraîchers,  les  horticulteurs
sénégalais bénéficient d'un environnement favorable
aux productions de contre-saison pour le marché  européen.  En 
effet,  le  pays  jouit  d'une  position  géographique  lui  permettant 
de  se positionner  de  façon  avantageuse  sur  le  créneau  de 
la  fourniture  de  fruits  et  légumes  hors saison aux clients
européens. Ces produits pourraient également trouver des
débouchés dans
d'autres régions du monde (en particulier, Amérique
du Nord et Moyen-Orient).
L'entité Syspro de l'Ong Enda a effectué durant une
année des exportations d'haricots
à  destination  des  Etats-Unis.  Il  s'y  ajoute  que 
le  transport  maritime  offre  actuellement  des possibilités  plus 
grandes  d'exporter  des  produits  réfrigérés  vers 
l'Europe.  Un  plus  grand recours aux bateaux pourrait permettre d'exporter
des volumes plus importants de légumes à
des coûts inférieurs à ceux du fret
aérien qui concentre plus des trois quarts des exportations
actuelles.
Le   développement   des   exportations   de   produits
  frais   se   heurte   cependant   aux contraintes liées aux normes de
calibrage et de qualité exigées par les pays européens :
seuls quelques grands exploitants sont actuellement en mesure de satisfaire les
conditions de qualité
des produits qu'exigent les pays du Nord. Les petits producteurs,
qui sont les plus nombreux
au   niveau   de   la   filière   horticole,  
cherchent   à   intégrer   le   cercle   des   exportateurs   par
l'intermédiaire de fédérations maraîchères.
Aujourd'hui, à l'échelle nationale, cinq exploitants
réalisent  environ  80%  des  exportations  de  produits  horticoles 
(dont  30%  pour  la  seule

entreprise FilFili).



Photo 7-Champs de haricots à
Sébikhotane Photo 8-Triage des haricots avant
conditionnement
Photo  9-Bâtiment  avec  chambre   froide 
d'une
coopérative
maraîchère.(Sébikhotane)
Photo 10 Tomates cerise prêtes à
être envoyées sur le
marché européen
Un rapport élaboré récemment par le
ministère chargé de l'agriculture (MAE, 2001) indique que
l'accroissement du niveau des exportations de produits horticoles est
entravé par trois séries de contraintes qui concernent :
· le non respect des normes de qualité par les
acteurs de la filière ;
· l'insuffisance des infrastructures de base
(entrepôts frigorifiques et infrastructures de transport) ;
· l'inexistence de systèmes de crédit
adapté aux besoins des exportateurs.
Les chefs d'exploitations d'entreprises interrogés ont
déclaré que le projet de marché national,   par   la  
mise   en   place   d'unités   de   conservation,   de   transformation,
  et   de conditionnement favoriserait l'écoulement des produits de la
zone. Cette structure nationale pourrait  aussi  jouer  un  rôle 
d'information  sur  les  prix  des  spéculations  sur  les 
marchés internationaux.  Le  projet  de  plate-forme  multimodale
constitue  une  aubaine  pour  ces agriculteurs,  qui,  lors  des 
enquêtes,  ne  se  sentaient  pas  immédiatement  concernés
 par d'éventuelles expropriations.
La   majeure   partie   des   interlocuteurs  
rencontrés   déclare   entretenir   des   relations cordiales
avec les populations des villages situés à la
périphérie de leurs exploitations. Dans certains cas, des
relations de confiance ont été favorisées entre les
promoteurs agricoles et les villageois,  à  la  suite  de 
l'intermédiation  de  ressortissants  de  la  zone  lors  de 
transactions foncières conduites entre autochtones et exploitants
agricoles.
Une concurrence de débouchés entre
agriculture d'entreprise et agriculture familiale ?
De  l'avis  de  certains  interlocuteurs,  c'est  au  niveau  de 
la  commercialisation  que  les exploitants traditionnels subissent le
préjudice le plus important. «Ces gens-là ont les
moyens
de produire de grandes quantités de légumes
et ils inondent les marchés. Forcément, les prix baissent et cela
pose des problèmes aux petits producteurs qui sont obligés de
vendre leurs récoltes à des prix très bas. C'est une perte
énorme de revenus pour nous», rapporte un petit exploitant
lors d'un entretien.
Ces  appréciations  sont  contestées  par  les 
promoteurs  des  exploitations  agricoles  qui considèrent que leur
intervention dans la zone n'affecte pas, de façon négative,
l'activité des familles  paysannes  autochtones.  Pour  eux,  il  n'y a 
pas  véritablement  de  concurrence  sur  le marché entre les
deux groupes parce qu'ils ne se positionnent pas sur les mêmes
filières de
production.
Certains  d'entre  eux  considèrent  que  la  situation
 créée  par  l'arrivée  des  opérateurs agricoles 
ouvre  des  perspectives  de  développement  local  et  de 
création  d'emplois  pour  les jeunes et les femmes des villages de la
zone.
C) Des agriculteurs citadins
Le  trait  commun  à  ces  exploitations  d'entreprises
 réside  dans  le  fait  qu'elles  sont parvenues  à  mobiliser 
des  fonds  provenant  principalement  de  l'épargne  des  promoteurs,
d'activités  différentes  (commerce,  fonction  publique...)  ou 
 de  transferts  effectués  par  des émigrés.  Le  lieu 
de  résidence  peut  être  urbain  ou  rural  mais  ne  se 
confond  pas  avec  le bâtiment d'exploitation (villa « moderne
» dans le village ou sur un terrain de la propriété).
Dotés  d'un  véhicule  personnel  ils  se  déplacent 
plusieurs  fois  par  semaine  à  Dakar  ou Rufisque.   Les   enfants  
vont   à   l'université   pour   étudier   le   commerce  
international, l'administration  des  entreprises  ou  l'agronomie,  et 
souvent  à  l'étranger.  Ils  adoptent  la semaine  de  travail 
de  5  jours  et  sont  branchés  à  des  réseaux 
bancaires,  informationnels (connaissance  des  prix  grâce  à 
Internet),  achètent  des  expertises  à  des  bureaux 
d'études,  et font appel à des sociétés d'import
export parisiennes et dakaroises. La formation de ces chefs d'entreprises
revêt un caractère primordial pour pouvoir anticiper les
productions par rapport aux  demandes  du  marché  international.  Un 
enquêté  possède  également  deux  magasins 
à Dakar, qui lui servent occasionnellement à écouler une
partie de sa production. Cet homme de l'articulation ville-campagne
accroît donc ses gains en jouant sur des segments plus étendus
de la filière : à la production, il ajoute le
commerce, la transformation (confiture, concentré de tomates) et la
vente au détail.
Conclusion : une agriculture « branchée
» sur la ville et son interface avec le monde.
La dichotomie ville campagne semble disparaître pour ces
exploitants connectés à des réseaux urbains et
impliqués dans la globalisation des échanges. Cette « petite
bourgeoisie », composée de fonctionnaires et de commerçants,
se situe sur un bassin versant de l'économie mondiale. Elle confond
dès lors ses activités rurales et urbaines grâce à
une bonne mobilité
spatiale et une logistique de production moderne.
Conclusion :  cependant,  au  delà  des 
différences  entre  exploitations,  on observe des processus urbains
comparables.
Quelque soit le type d'exploitation rencontré,
l'agriculture péri urbaine est aussi, voire avant tout, un moyen de
maintenir et d'alimenter la spéculation foncière, dans une
agriculture d'attente.  En  effet,  le  riz  (asiatique)  et  le  poisson  (de 
Mbour,  Dakar,  Kayar...)  consommés lors de presque tous les repas
doivent être achetés. Pour tous les agriculteurs, le lien qui
unit
la cellule familiale au produit de la terre est donc
interrompu et avec lui disparaît un moteur important  de  la 
ruralité.  Cette  désunion  entre  production  et  consommation 
est  une  étape essentielle dans le processus d'urbanisation des
campagnes. Dans bien des cas, les activités extra  agricoles  permettent
 de  maintenir  la  production  agricole,  concentrée  sur  une  courte
période, mais elles introduisent une distance toujours plus grande entre
l'exploitant et la terre. Dans une telle perspective, les investissements
agricoles sont aussi des moyens d'accroître les chances  de  conserver 
son  terrain  pour  les  conserver  le  plus  longtemps  possible,  dans  un
contexte  où  l'Etat  immatricule  à  tour  de  bras  les  terres
 du  domaine  national  urbain  qu'il
considère comme vacantes.
Troisième partie
L'agriculture périurbaine au risque de la ville ? Le cas
de Diamniadio (Dakar, Sénégal)

Conflits et mutations d'une agriculture sous tutelle
urbaine
La  confirmation  a  été  apportée  que  les
 relations  entre  urbanisation  et  agriculture  ne relèvent  pas 
d'une  coupure  simple  entre  « citadins »  et  « ruraux
»,  et  entre  « ville »  et
« campagne ».  Cette  analyse,  trop 
réductrice,  ne  rendrait  pas  compte  de 
l'hétérogénéité  des intérêts, 
et  de  la  capacité  des  acteurs  à  jouer  sur 
différents  plans.  Le  territoire  d'étude  est
révélateur  de  césures  qui  apparaissent  lorsque  l'on 
tente  de  le  décrire.  Celles-ci  sont dynamiques   et   autant  
révélatrices   de   contradictions   qui   se   régulent  
entre   entreprises, collectivités locales, pouvoirs coutumiers   et
agriculteurs, grâce à de nouvelles règles du jeu
qui ont pour arrière plan la marchandisation des
ressources. Car même si elle se mondialise et
se  libéralise,  l'économie  ne  peut 
être  indifférente  aux  ancrages  locaux  et  doit 
forcément s'appuyer sur eux pour s'implanter. La problématique de
l'eau, la pression foncière et la quête d'un  emploi  seront  les 
entrées  d'une  grille  d'analyse  révélatrice  de 
compétitions  et  de coopérations entre acteurs d'un même
endroit et nouveaux venus, tout en étant porteuse d'une nouvelle
urbanité.
1   Accès à l'eau : une
compétition exacerbée face à un épuisement de la
ressource
L'un des champs majeurs de confrontation entre l'urbanisation
et son environnement rural est celui de l'usage de l'eau. L'agriculture
irriguée consomme la majeure partie de l'eau disponible, grâce
à des forages profonds dans la nappe souterraine, mais la croissance de
la population dakaroise s'accompagne également d'une augmentation de la
demande par tête. La nappe  phréatique  est  donc 
surexploitée  alors  même  que  la  région  a  connu  des 
années  de sécheresse successives. Dans les communes de
Diamniadio et Sébikhotane, « tout le monde » veut faire du
maraîchage et planter des manguiers, mais la baisse de la nappe exclut
les petits exploitants  dont  les  puits  sont  asséchés.  Ceux 
qui  n'abandonnent  pas  leur  exploitation recourent à des quotas d'eau
auprès de la Sénégalaise Des Eaux (SDE), car c'est
désormais le
système marchand qui joue le rôle d'arbitre entre
usages concurrents de la ressource.
A) Des problèmes de compétition pour une
ressource de plus en plus rare
La succession d'années sèches que le pays a
connu au cours de la période écoulée a
entraîné  un  abaissement  progressif  de  la  nappe 
phréatique.  Cet  abaissement  est  lié  non seulement à
la faible  recharge, mais aussi à la surexploitation des nappes qui
subissent des prélèvements  intensifs  pour  satisfaire  la 
forte   demande  en  eau  de  la  ville  de  Dakar. Actuellement, les
prélèvements effectués dépassent la capacité
de la nappe du paléocène de Sébikotane. En effet, celle-ci
s'est abaissée de 15 mètres depuis la fin des années 70.
Une telle situation entraîne des risques importants de tarissement.   La
Sénégalaise des eaux dispose de
5  forages  dans  la  commune  et  d'un  équipement  de 
pressurisation  qui  prend  part  dans l'approvisionnement de la ville de Dakar
et contribuent à l'assèchement de la ressource.
S'agissant des techniques d'exhaure et d'irrigation, il faut
noter que l'exploitation des puis traditionnels n'est plus possible sur la
commune de Sébikhotane, suite à l'abaissement de

la nappe phréatique ces dernières années.

Photo 11-Forage privé d'une entreprise
agricole Photo 12-Un puit traditionnel rendu
inutilisable  par  la  course  à  la  profondeur :  le
propriétaire    de    la    parcelle    a    abandonné
l'arboriculture par manque d'eau.
Celle-ci est attribuée aux 10 forages, dont 5
privés qui permettent une exhaure de l'eau
en profondeur et rendent inutiles les puits traditionnels. Au
niveau de l'arboriculture, la zone était   très   productive  
auparavant   avec   les   mangues,   les   papayes,   les   mandarines,   les
pamplemousses. Mais la baisse de la nappe phréatique durant ces deux
dernières décennies à causé la perte de plus des
2/3 des manguiers et 3 /4 des mandariniers, surtout chez les petits
producteurs. Le lac de barrage de Séby-Ponty constitue une
réserve d'eau intéressante pour les
exploitations familiales alentours, mais le manque de pompes rend
l'irrigation difficile.


Photo13-Départ   pour   la   borne  
fontaine
payante le long de la N1: des quartiers de
Diamniadio ne sont pas encore équipés
Photo 14-Une retenue colinéaire peu
mise
en  valeur.  Le  manque  de  pompe  a  été
invoqué par les enquêtés
B) L'arbitrage des demandes : une
généralisation du système marchand
L'eau  est  considérée  comme  une  marchandise 
dont  le  prix  est  fixé  par  l'offre  et  la demande.
Considérer l'eau en tant que bien économique, c'est
considérer que les mécanismes
du  marché  vont  en  assurer  la  répartition 
optimale.  Or,  dans  la  logique  du  marché,  la répartition 
optimale  des  ressources  signifie  amener  les  ressources  ou  investir 
là  où  cela rapportera le plus, non pas où cela est le
plus utile socialement et humainement.
L'enquête  a  mis  en  évidence  le  fossé
 important  qui  existe  entre  les  exploitations familiales et les
entreprises agricoles sur le plan des investissements et des équipements
en système d'irrigation. Tout d'abord, on constate que 85.1% des
exploitations familiales n'ont
pas de système d'irrigation et ne cultivent donc que
pendant les mois d'hivernage. Pour les
14,9%  restants,  le  système  d'irrigation  repose 
sur  la  connexion  au  réseau  de  la  S.DE.  A l'inverse,  
toutes   les   exploitations   d'entreprise   de   l'échantillon   sont 
 dotées   de   réseaux d'irrigation. Pour assurer
l'approvisionnement en eau, cinq d'entre elles sont connectées à
la SDE et une a accès à des forages privés. Les choix en
matière de système d'alimentation en eau sont raisonnés en
fonction de la superficie des terres exploitées. Dans la plupart des
cas, l'option en faveur de la connexion au réseau de la SDE est le fait
de promoteurs qui exploitent
des  superficies  peu  importantes  (entre  0,5  et  3 
hectares).  En  revanche,  l'aménagement  de forages  concerne  une 
exploitation  de  l'échantillon  qui  met  en  valeur  un  domaine  de 
90 hectares. Le  fonçage   de  forages  profonds   à   exhaure 
mécanique  implique  un  niveau d'investissement  très 
élevé  qui  ne  peut  être  réalisé  que  par
 quelques  rares  particuliers,
principalement par les industriels.
En  prenant  en  charge  des  exploitations  agricoles 
déjà  existantes  (par  exemple  l'ex Bud Sénégal,
au Nord du quartier de Deny Malick Guèye), certains promoteurs ont
trouvé sur place  quelques  investissements  de  base  permettant  de 
mettre  en  valeur  la  terre  (réseau d'irrigation, clôtures,
etc.). Mais ceux qui ont créé leurs exploitations eux-mêmes
ont mis au point des plans d'investissement, en accordant la priorité
aux réalisations indispensables pour démarrer l'activité
de production (réseau d'irrigation et alimentation en eau). Dans les
deux
cas de figure mentionnés, des investissements
complémentaires ont été parfois effectués pour
améliorer  le  système  d'irrigation,  accroître  la 
capacité  de  production  ou  diversifier  les activités.
Les  entreprises  agricoles  qui  ont  adopté  des 
systèmes  d'approvisionnement  en  eau coûteux  utilisent  les 
nouvelles  techniques  d'irrigation  par  aspersion  ou  par 
goutte-à-goutte plus économes en eau que les techniques
traditionnelles, afin de pallier l'augmentation du prix
de  l'eau.  Mais  ceux  ou  celles  qui  sont  tentés 
d'investir  dans  un  système  d'irrigation  avec accès  au 
réseau de  la  SDE  pour  mener  des  activités  de 
maraîchage  sont  souvent  vite dissuadés par le coût
relativement élevé de l'eau.  En effet, les tarifs de l'eau
appliqués aux maraîchers de la zone se présente comme suit
:
- 1ère tranche (0 - 1500 m3) : 105,81 FCFA/m3 
;
- 2ème tranche (1500 - 10000 m3) : 149,35 FCFA/m3 
;
- 3ème tranche (supérieur à 10000 m3) :
631,47 FCFA/m3.
Les  producteurs  se  plaignent  de  la  révision 
à  la  hausse  des  tarifs  appliqués  à  l'eau
destinée au maraîchage et du plafonnement des quotas. De plus, ils
se plaignent du système de tarification  mensuelle  établi  par 
la  SDE.  Cette  nouvelle  politique  de  l'eau  les  expose  à  des
difficultés de trésorerie en cours de campagne, alors que le
système de crédit en vigueur ne prend   pas   en   compte   les  
besoins   financiers   liés   à   l'approvisionnement   en   eau 
 des exploitations.  Les  producteurs  sont  obligés  alors  de  limiter
 les  fréquences  et  les  doses d'arrosage, avec pour
conséquence une baisse de la productivité de leurs
exploitations.
Malgré  ce  coût  de  l'eau 
contraignant,  la  Sénégalaise  des  eaux  préfère 
vendre l'eau à des habitants plutôt qu'accorder  des  quotas
à des agriculteurs, la  marge de la compagnie  étant  plus 
faible  avec  des  agriculteurs  qu'avec  des  particuliers.  C'est  une forme 
de  concurrence  de  la  ville  qui  peut  mener  à  l'abandon  de 
surfaces  agricoles
importantes.
La tentative avortée d'une coopération
entre les exploitants :
Dans un passé récent, beaucoup de producteurs des
Niayes installés dans les secteurs
de  Bayakh,  Sangalkam,  NdoYène  et  Sébikotane 
(329  maraîchers  exploitant  un  domaine  de
1.000 hectares) s'approvisionnaient en eau à partir de
forages et du réseau de Beer Thiolane gérés par la
Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONEES). En
1996, ces infrastructures
ont été rétrocédées à
un comité de gestion des usagers, sans réhabilitation
préalable. Depuis
1999,  elles  ne  sont  plus  fonctionnelles,  suite  à 
un  contentieux  entre  le  comité  et  la  Société
Sénégalaise d'électricité (SENELEC).
Face à cette contrainte, plusieurs exploitants ont
décidé
de raccorder leurs périmètres au réseau de
la SDE alors qu'une meilleure gestion du forage aurait permis une irrigation
à moindre coût.
Conclusion : vers une destruction de la ressource
?
En plus de tarissement de la nappe, la ressource est
confrontée à de graves risques de pollution par les intrants
chimiques et le fumier utilisés en grande quantité par les
producteurs maraîchers.  La  plupart  de  ces  producteurs 
n'appréhendent  pas  réellement  le  danger  que
présentent  les  produits  phytosanitaires.  Le  problème 
récurrent  est  l'analphabétisme  des exploitants  qui  ne 
peuvent  pas  respecter  les  doses  inscrites.  Les  élevages  porcins 
du  ranch Filfili déversent également des citernes
entières de purin à 200 mètres des forages de la SDE. Les 
 Ong  et   les   collectivités   locales   n'apportent   malheureusement
  aucune   réponse   qui permettrait une exploitation durable de la
nappe aquifère.
2 Une  agriculture  en  proie  à  des  pressions
 foncières  de  multiples acteurs
La montée des problèmes fonciers est un autre
révélateur de la gravité du problème de
la gestion des ressources par des populations de plus en plus
denses. La compétition pour la terre a durci la concurrence et la
tradition foncière n'arrive plus à cohabiter avec la
modernité.
La loi sur le domaine national montre ses limites en
étant porteuse d'une situation foncière complexe qui laisse la
place  au détournement à  la fois des parcelles et des
indemnisations. Cette  loi  montre  son  inadaptation  aux  nouveaux  enjeux 
et  ne  pourra  éviter  une  réforme foncière  que  les 
acteurs  de  la  pression  urbaine,  c'est-à-dire  l'Etat,  les 
exploitants,  les
investisseurs et les bourgeois urbains appellent de leurs
voeux.
A)  Impact  de  l'émergence  de 
«l'agriculture  d'entreprise»  sur  le  foncier :  une 
flambée des prix et des pratiques qui favorisent une reconversion des
petits paysans.
Un agro  éleveur  a relaté  s'être  fait 
exproprier, sans indemnités, un hectare de  terres qu'il cultivait
uniquement pendant l'hivernage. Ces terres ont été
affectées par le conseil rural
de  l'époque  à  Enda  Syspro,  qui  a 
installé  une  plantation  de  haricots  destinés  au 
marché extérieur.  L'enquête  montre  bien  qu'en 
majorité,  les  exploitations  familiales  perçoivent  de
façon négative la présence d'entrepreneurs agricoles dans
la zone. Pour elles, ces «nouveaux acteurs» ont en commun le fait
d'être étrangers au milieu, auquel ils ne sont liés que par
leur intérêt immédiat. Tous les paysans rencontrés
affirment que la création d'entreprises agricoles
a entraîné des conséquences importantes sur
la dynamique foncière au niveau local.
De l'avis des entrepreneurs agricoles et des paysans
rencontrés, l'arrivée dans la zone d'investisseurs agricoles
désireux d'acheter des terres a fortement accru la valeur des terres
agricoles et créé un marché foncier très actif, en
particulier à Sébikhotane. Il n'existe pas de barème de
prix, en raison du fait que les transactions touchent des terres du domaine
national dont la vente est prohibée par la législation
foncière. Les prix sont négociés au cas par cas et varient
 en  fonction  de  la  qualité  des  sols,  de  l'accessibilité 
du  terrain  par  une  piste  et  de l'accessibilité par un
réseau d'eau.
En  ce  qui  concerne  l'évolution  du  prix  de  vente
 de  la  terre,  les  interlocuteurs s'accordent à souligner le fait que
les prix augmentent d'année en année. Cette flambée des
prix est liée à l'accroissement de la demande de terres par des
promoteurs perçus comme des gens  riches,  disposant  de  moyens  pour 
créer  des  entreprises  agricoles  rentables.  Des  terres nues qui
étaient vendues entre 300.000 et 500.000 F CFA par hectare il y a
seulement une dizaine d'années, sont cédées aujourd'hui
à un prix trois à quatre fois plus élevé (entre 1
et 2 millions de francs CFA suivant la qualité des sols). Les prix de
cession atteignent 4 millions
de  francs  CFA/hectare,  lorsqu'il  s'agit  de  terres  sur 
lesquelles  des   plantations  d'arbres  sont réalisées et, 6
à 10 millions de francs pour des parcelles faisant l'objet d'un  titre
foncier.
Dans  la  plupart  des  cas,  les  ventes  de  terres  sont 
effectuées  par  les  familles  qui  ne disposent  plus  de  moyens 
suffisants  pour  faire  fonctionner  leurs  exploitations,  ou  qui  ne
peuvent pas vivre correctement de leur activité horticole. Les raisons
invoquées sont liées au coût   élevé   de  
l'irrigation   résultant   de   l'affaissement   de   la   nappe   qui  
impose   des investissements importants pour s'approvisionner en eau
(aménagement de puits profonds ou
de forages, abonnement à la SDE).
L'autre  facteur  important  mentionné  par  certains 
chefs  d'exploitations  familiales concerne  leur  incapacité  à 
résister  à  la  concurrence  des  exploitations  d'entreprise 
dont  les productions inondent le marché à certaines
périodes. Comme le souligne un paysan enquêté :
«celui qui possède des parcelles qu'il ne peut
pas cultiver est bien obligé de les vendre parce que sa famille doit
manger, s'habiller et résoudre d'autres problèmes qui se posent
à elle». Le risque de se faire spolier est d'autant plus grand
si la parcelle est inutilisée, la vente du terrain pouvant dès
lors revêtir un caractère sécurisant.
Ainsi, acculés par les difficultés qu'ils
rencontrent dans l'agriculture, certains paysans
ont  préféré  vendre  leurs  terres  pour
 se  reconvertir  dans  d'autres  activités  économiques,  ou
pour  prendre  en  charge  les  frais  d'émigration  d'un  membre  de 
leurs  familles.  Une  étude récente  de  ENDA/MUAT  (2002) 
souligne  que  «lorsque  des  dynamiques  d'intensification agricole
se mettent en place, la valeur agricole des terres s'accroît. La vente de
terrains à des investisseurs ou à des promoteurs immobiliers
apparaît aux yeux de certains exploitants plus intéressante  que 
de  continuer  à  les  cultiver  [...].  Les  jeunes  et  les  femmes 
des  villages  ne peuvent  plus  accéder  au  foncier  ou 
préfèrent  s'orienter  vers  les  activités 
économiques urbaines et le commerce. Une partie des jeunes
scolarisés se détourne du travail de la terre qu'elle
perçoit comme étant sans avenir et préfère l'exode
en ville ; ce qui favorise dans une certaine mesure les ventes de terre en
milieu rural et périurbain».
Une disparition des prêts de terres
En  plus  de  l'effet  induit  sur  le  prix  de  la  terre, 
le  développement  des  exploitations d'entreprise a amplifié les
transactions foncières, tout en modifiant leur nature. Les prêts
et les locations de terres qui étaient pratiqués couramment
tendent à disparaître. En effet, certains propriétaires 
craignent que le locataire ou l'emprunteur ne se  fasse  affecter les terres
par le conseil rural, après quelques années d'exploitation
S'agissant de la location des terres, les prix pratiqués
sont relativement élevés (entre
50.000  et  125.000  F  CFA/hectare/mois).  Les  engagements 
portent  sur  de  courtes  durées renouvelables (1 à 3 ans) et
font l'objet de contrats signés.
Des transactions qui peuvent contourner la loi sur le
Domaine national
Dans la plupart des cas recensés (80%), les ventes de
terre concernaient des terres du domaine  national  surtout  à 
l'époque  de  la  communauté  rurale  de  Yène.  La 
pratique  est beaucoup   plus   difficile   depuis   que   la   création
  des   communes   de   Diamniadio   et   de Sébikhotane.  Selon  les 
habitants  l'affectation  d'une  parcelle  est  devenue  bien  plus  difficile
qu'elle ne l'était du temps de la communauté rurale de
Yène.
Les populations procédaient à des transactions
souterraines qui étaient le plus souvent avalisées  par  les 
conseils  ruraux.  En  règle  générale,  l'acheteur 
était  introduit  auprès  du vendeur par une tierce personne
(intermédiaire originaire du village). Il négociait
directement
et  concluait  le  marché  avec  le  vendeur  en 
présence  d'un  témoin,  souvent  un  notable  du village.  Une
fois la  transaction effectuée, l'acheteur introduisait auprès du
conseil rural une demande  d'affectation  de  la  parcelle.  Il  obtenait 
généralement  satisfaction,  dés  lors  que  la
décision de cession de la parcelle par le propriétaire
était notifiée au conseil rural.
Aujourd'hui, de telles pratiques «sont encore courantes
dans les communautés rurales
des  Niayes  depuis  que  les  gens  des  villes  et  les 
fonctionnaires  se  sont  mis  à  l'agriculture. Dans  la  zone,  tu 
achètes  une  parcelle ;  ensuite  tu  vas  voir  le  responsable  du 
CERP  et  le conseil rural pour obtenir une affectation» selon un
responsable de la mairie de Sébikhotane. Certains interlocuteurs
estiment que les conseillers ruraux ne font pas toujours gratuitement
ces « affectations-régularisations ».
Les conseillers rencontrés récusent de telles accusations
et  considèrent  que  les  transactions  telles 
qu'elles  s'effectuent  actuellement  sont  régulières, dans la
mesure où l'exploitant ne vend pas sa terre, mais reçoit un
dédommagement pour les mises en valeur qu'il a
réalisées.
Il n'en reste pas moins que ces pratiques demeurent
illégales au regard de la loi sur le domaine  national.  En 
régularisant  les  ventes  de  terres  par  des  affectations  a 
posteriori,  les conseils ruraux ont contribué, volontairement ou non,
au développement de nouvelles formes
de  transactions  foncières  qui  favorisent 
l'implantation  des  exploitations  d'entreprise,  sans
toutefois leur donner des droits réels sur la terre.
B) Impact des projets de l'Etat sur l'agriculture
On peut remarquer à l'aide du  tableau 3: «
Situation des Grands Chantiers de l'Etat » p.31, que seuls deux projets
étaient commencés pendant notre recherche : l'université
du futur africain et la Société des industries dakaroise/parc
sénégalo chinois. Au moment de l'enquête cinq chefs
d'exploitation n'avaient plus de champs suite à l'implantation de la
Sodida II, et de


l'université sur leur terrain. Un village situé sur
l'emprise de la Sodida a été déplacé.
Photos  15-  Un  village  Peul  reconstruit 
après
déguerpissement.    Ce    village    se    trouve   
sur l'emprise  d'un  autre  projet  industriel,  et  devra être
déplacé à nouveau.
Photos 16-   Les   bâtiments   de   la  
Sodida/Parc
Sénégalo-chinois en Juin 2005
A partir de Dény Malick Guèye, le village le plus
proche de l'ancienne société Bud
Sénégal, on peut apercevoir l'Université
du Futur qui occupe les deux tiers des champs. Les populations ne peuvent
pardonner à l'Etat la confiscation de leurs champs, qui a
immatriculé à son nom les terres du Domaine National. «
L'Etat a confisqué nos terres pour l'Université du Futur
Africain. Cette année, nous n'avons même pas cultivé nos
champs familiaux. Beaucoup
qui ne comptaient que sur l'agriculture ont gelé leurs
activités, faute de terres », nous a appris
un  jeune  du  village.  Il  n'y  a  eu  ni  sommation,  ni 
indemnisation  de  la  part  de  l'Etat. De nombreux  jeunes rencontrés
sont obligés d'aller  travailler,  comme beaucoup d'autres  jeunes
des villages environnants, dans les exploitations agricoles
moyennes, le ranch Filifili implanté non loin de son village ne
recrutant plus. Beaucoup de producteurs rencontrés à Diamniadio
pensent que personne ne  peut interdire à  l'Etat l'implantation d'un
équipement public sur le domaine  national.  Mais  ils  pensent  que 
l'Etat  doit  éviter  toute  discrimination  :  « Filfili
n'exploite que 300 ha mais détient plus de 600 ha en réserve.
Pourquoi mettre la pression sur ceux  qui  travaillent  et  pas  sur  les 
autres  ?  Aujourd'hui,  tous  les  grands  projets  de  l'Etat
esquivent Filfili, à l'étonnement des
populations rurales et des autres producteurs ».
Les producteurs craignent surtout la répétition
du syndrome de la ZAC de Mbao, où toutes  les  terres  cultivables  ont 
été  cédées  à  des  spéculateurs 
fonciers.  Or,  pour  eux,  «L'ex Bud  Sénégal  doit 
rester  un  tampon  naturel  entre  Dakar  et  Thiès.  Mais  avec  cette
 poussée urbaine et l'implantation des projets, sous peu, ils vont
atteindre nos exploitations et, avec la législation  en  vigueur, 
mettre  la  main  sur  nos  terres  sans  aucune  indemnisation  alors  que
nous avons dix ans de présence et d'investissement ».
Une expulsion progressive des éleveurs de l'espace
agro-pastoral
Les enquêtes ont aussi mis en évidence un
déguerpissement d'environ 120 personnes (25-30 chefs de  famille) 
à partir  du site de la Sodida à 200 mètres de  la voie
ferrée Dakar Thiès. Il s'agit du village de Gyent Arafat, qui
fait partie administrativement du quartier de Deni Diakhate. Parmi ces agro
éleveurs Peuls, aucun des   ménages propriétaires ne
déclarait avoir de titres légaux, en occupant les terres du
Domaine National depuis 1964. Depuis février
ces agro éleveurs ont été
déplacés à quelques centaines de mètres des
nouvelles implantations. Beaucoup déclaraient être nés sur
l'actuel terrain de la Sodida. Mais l'extrait de naissance ne leur  a  pas 
été  délivré  à  Diamniadio,  car  ils 
étaient  considérés  comme  des  étrangers,  ce 
qui montre  une  réelle  volonté  de  mise  à 
l'écart  de  la  part  des  populations  autochtones.  Les
infrastructures de ce village sont quasi inexistantes : il n'y a ni fosses
septiques ni dépotoir d'ordures. Celles-ci sont déposées
à coté du village sans qu'il y ait de ramassage. De plus il n'y 
a  aucun  accès  à  l'eau  pour  l'ensemble  du  quartier.  Tous 
les  matins,  les  femmes  et  les enfants  cherchent  de  l'eau  à  la 
borne  fontaine  située  le  long  de  la  nationale  1.  Ce  village
forme une communauté homogène, bien différente des
citadins Lébous de l'entrée de la ville
de Diamniadio, même si ils partagent -non sans heurts- le
même territoire.
Les  entretiens ont révélé  qu'il n'y avait
pas eu  de sommation avant  l'éviction et un refus de négocier.
Des compensations ont bien été accordées à quelques
occupants (des ordres
de grandeur de 110 000 FCFA pour deux cases ont
été citées) mais une dizaine de chefs de familles n'ont
absolument rien touché. Le chef du quartier de Deni Ndiakhate qui est le
chef pris  en  considération  par  la  commune,  aurait  «
oublié »  de  prendre  en  compte  certaines habitations  lorsqu'il
 a  recensé  les  ménages  qui  devaient  être 
indemnisés.  Un  entretien contradictoire  avec  ce  chef  de  quartier 
a  confirmé  que  c'est  bien  lui  qui  avait  recensé  les
ménages à indemniser par la commune. Il a expliqué que le
chef de quartier voisin avait une
légitimité pour les habitants du quartier Peul,
mais aucune pour la mairie de Diamniadio.
C'est bien une   situation   de conflit pour la
légitimité qui a permis un détournement des
premières indemnisations touchant au projet de ville de Diaminiadio.
Lors de l'éviction, le maire et le service technique de la
mairie sont intervenus et des
« menaces » auraient été
proférées « On vous a payés, maintenant il faut
quitter cette place. Si vous avez des problèmes, on ne vous viendra pas
en aide. » Les éleveurs ont cependant été
déplacés  dans  une  zone  qui,  selon  le  plan  et  les 
entretiens,  sera  industrielle  d'ici  quelques années. Peut-être
s'agit-il d'une volonté d'anticiper sur une deuxième
indemnisation de la part d'autres investisseurs, avec la complicité des
conseillers municipaux.
Le chef coutumier du quartier Peul semble être en grande
difficulté: le terrain où ils étaient installés
était constitué de sable, alors que les sols où ils ont
été déplacés sont argilo- sableux. Une
épaisse couche de boue va donc se développer durant l'hivernage.
La commune
ne leur affecte aucun terrain où ils pourraient construire
un enclos. Ils doivent dès lors dormir avec les bêtes pour lutter
contre les vols de bétail.
Nous  avons  informé  l'entité  RUP  d'Enda 
Tiers  Monde,  ceux-ci  coopérant  avec  le programme  des  Nations 
Unies  pour  les  établissements  humains.  En  effet,  depuis  1996, 
le Sénégal avait souscrit une déclaration commune posant
comme objectif l'accès à la sécurité
de l'occupation et aux services de bases. Selon un responsable
d'Enda RUP, le gouvernement
se trouverait dans l'illégalité vu les textes
signés, un recours serait envisageable pour obtenir
un déplacement plus décent de ces populations.
C) L'appétit foncier des Dakarois sur les espaces
ruraux : une appropriation de l'espace
en marge des lotissements qui reste difficile à
appréhender
En  dehors  des  lotissements,  on  remarque  que  des 
parcelles  dont  les  coins  sont matérialisés par des blocs de
ciments agglomérés, et ce au milieu de champs cultivés
lors de l'hivernage.  Les  habitants  se  montrent  peu  loquaces 
vis-à-vis  de  ces  appropriations,  car  il s'agit  de  ventes 
illégales  de  terres  du  Domaine  national,  à  usage 
d'habitation,  en  majeure partie au profit d'habitants de Dakar. Ces futures
constructions sont en situation d'insécurité foncière, 
mais  sont  pour  le  moment  tolérées  par  la  commune  de 
Diamniadio.  Les  réseaux politiques et familiaux semblent jouer assez
efficacement pour acquérir une parcelle. Mais les habitants non
solvables craignent de ne plus pouvoir acquérir de parcelles pour eux et
leurs
familles.  L'appétit  foncier  des  particuliers  dakarois
 est vécu  comme  une  concurrence
préjudiciable par de nombreux habitants: « La
mairie vend tous les terrains à des Dakarois
qui  ont  plus  des  moyens  que  nous,  si  cela  continue 
ainsi,  il  ne  va  plus  rien  nous  rester »
rapporte un habitant du quartier basse Casamance à
Sébikhotane.
Par contre, les enquêtés qui possèdent un
titre foncier ont conscience de la facilité à laquelle  ils 
arriveront  à  revendre  leur  parcelle.  Cependant,  tous 
déclarent  qu'ils  veulent continuer  l'agriculture  ou  bien 
construire  une  maison  pour  leurs  enfants  sur  le  terrain.  La vente de
terre à un étranger est perçue comme une situation
d'échec, car elle constitue une perte de patrimoine pour la famille.
Selon les personnes interrogées, la vente de terrains est le
fait  de  personnes  qui  ne  peuvent  plus  continuer  leurs 
activités  fautes  de  moyens.  Celles-ci vendent  leur  parcelle  afin 
de  nourrir  leur  famille.  Selon  les  enquêtes,  ces  personnes  se
tournent  vers  le  commerce  ou  l'artisanat,  et  dans  certains  cas  de 
dénuement  total,  vers  la mendicité.
Conclusion : une réforme de la loi sur le domaine
national nécessaire
Les  dynamiques  foncières  en  cours  dans  la  zone 
d'étude,  et  ailleurs  au  Sénégal suscitent  des 
interrogations  sur  la  législation  foncière  adoptée 
en  1964.  Celle-ci  semble constituer  une  entrave  au  développement 
de  l'investissement  privé,  à  la  modernisation  de
l'agriculture et à la sécurité foncière des
exploitants. Si tous les acteurs interrogés, y compris
les autorités politiques, conviennent de la
nécessité de réformer la loi sur le domaine national,
ils n'ont cependant pas une vision partagée des
orientations de la nouvelle législation. Pour cette  réforme,  un
 différend  oppose  les  partisans  d'une  agriculture  familiale 
modernisée  et ceux   qui  préconisent   une  privatisation  des 
 terres  pour   favoriser  le   développement  de l'entreprenariat 
agricole,  et  l'appropriation  par  des  urbains.  L'Etat  vient  d'adopter 
une  loi d'orientation  agro-sylvo-pastorale  (LOAR)  dont  l'article  23 
ordonne  qu'une  «une  nouvelle politique  foncière  sera 
définie  et  une  loi  de  réforme  foncière  sera 
soumise  à  l'Assemblée nationale dans un délai de deux
ans, à compter de la promulgation de la présente loi ».
Cette réforme modifiera sans aucun doute les rapports de la
société sénégalaise au sol, en favorisant l'achat
privé des terres du Domaine National. La question serait de savoir dans
quelle mesure
le Domaine National urbain resterait le « fait du prince
», et quelle marge de manoeuvre va-t-
elle être laissée aux acteurs privés.
3  Des mutations professionnelles obligatoires pour les
petits exploitants
Dans un contexte où les terres agricoles deviennent de
plus en plus rares, où l'accès à l'eau  demande  des 
moyens  toujours  plus  élevés,  les  femmes  et  les  jeunes 
multiplient  les expériences  professionnelles  à  la  fois 
rurales  et  urbaines.  Ils  convoitent déjà  les  emplois futurs
qui émergeront du projet de ville. En effet, les jeunes, qui sont de
loin majoritaires sur
le  territoire  d'étude,  perçoivent  de 
façon  négative  le  concept  de  paysan, 
dévalorisé  par  de multiples connotations : techniques
archaïques, très faibles  revenus,  forte sujétion aux
aînés, sujétion des femmes... Ce refus d'être
perçu comme un paysan pousse les jeunes à s'habiller
de   fripes   occidentales   achetées au  
marché   hebdomadaire   au   détriment   des   habits
traditionnels. Parallèlement, le salarié jouit d'une très
bonne considération sociale, car il a le privilège d'un salaire
fixe. La majorité des jeunes interrogés, qui avait
déjà travaillé pour une entreprise   dans   divers  
domaines   (hôtellerie,   transports,   agriculture)   souhaite  
accéder durablement au statut de salarié, mais le problème
de leur formation reste entier.
A) La montée du salariat agricole : vers une prise
de conscience de classe ?
Le  recours  à  une  main-d'oeuvre  salariée 
pour  effectuer  les  tâches  de  production constitue  une  pratique 
quasi  systématique  au  niveau  des  entreprises  horticoles.  Selon 
les résultats  de  l'enquête,  la  majorité  des 
exploitations  d'entreprise  dispose  d'un  personnel permanent composé
non seulement d'ouvriers agricoles, mais aussi de techniciens chargés de
l'appui/conseil et du suivi. Les données collectées dans le cadre
des enquêtes montrent que la gestion de certaines exploitations implique
à la fois la main-d'oeuvre familiale et un personnel salarié
(permanent, saisonnier ou journalier). Dans ce cas de figure, les promoteurs
font appel
à  des  membres  de  la  famille  (épouses,  fils, 
frères)  ou  à  d'autres  personnes  apparentées
(neveux, cousins, etc.) pour qu'ils apportent un appui dans la
conduite des activités en prenant
en charge certaines tâches spécifiques (supervision
des activités, commercialisation, etc.).
L'implication du promoteur lui-même ou de membres de sa
famille dans la gestion de l'entreprise  agricole  (organisation  des 
chantiers,  supervision  des  activités  ou  exécution  de
certaines tâches) permet  de recruter un personnel moins nombreux. Il
convient toutefois de mentionner  que  le  recours  à  la 
main-d'oeuvre  salariée  constitue  la  règle. 
L'effectif  des employés  permanents  varie  de  1  à  7
 en  fonction  du  volume  des  activités  qu'ils  doivent accomplir au
sein de l'exploitation (surveillance des travaux, exécution des travaux
culturaux,
gardiennage, etc.).
Dans la plupart des cas, les employés permanents
perçoivent une rétribution mensuelle dont  le  montant  varie 
entre  20.000  et  55.000  F  CFA.  La  faiblesse  de  la 
rémunération  est parfois compensée par des avantages en
nature  (mise à disposition d'un logement, prise en charge de la
restauration, du déplacement etc.).
Le  recrutement  d'employés  journaliers  est  devenu 
un  phénomène  général  au  niveau  des
exploitations d'entreprise spécialisées dans l'horticulture et
les cultures fruitières. Cette main- d'oeuvre  est  mobilisée 
principalement  pour  les  opérations  de  désherbage,  de 
sarclage  et  de récolte.  En  période  de  récolte, 
certaines  grandes  exploitations  (par  exemple  Safina  Filfili  à
Sébikhotane) font appel à plusieurs centaines de femmes et de
jeunes originaires des villages environnants. L'utilisation de plus en plus
massive de la main d'oeuvre féminine a fait naître
un  intéressant  phénomène  d'exode  urbain 
temporaire  des  femmes  des  villes  environnantes comme Rufisque, Bargny et
Pout vers la zone agricole à la recherche d'emplois saisonniers.
Ces  travailleurs  sont  payés  à  la 
tâche  ou  au  rendement,  sans  considération  des dispositions 
de  la  convention  collective.  Les  rétributions 
négociées  de  gré  à  gré  avec l'employeur
ou son représentant varient de 1000 à 2.000 F CFA pour une
journée de travail, lorsqu'il s'agit du désherbage. Pour les
opérations de récolte, ce personnel est
rémunéré à la journée à raison de
1.400 à 1700 Fcfa/jour. Les femmes sont payées moins que les
hommes.
On  retiendra  que  dans  la  zone  d'étude,  l'emploi 
salarié  concerne  une  main-d'oeuvre journalière
constituée de femmes et de jeunes originaires des villages environnants,
mais aussi
de techniciens  et d'ouvriers agricoles.  Les salaires trop
faibles pratiqués  par les  exploitants
ont  déjà  déclenché  des 
grèves  des  ouvriers  agricoles :  deux  semaines  de  grèves 
ont  été organisées par des employés chargés
de la sécurité (engagés au niveau baccalauréat ou
licence universitaire) au sein de l'entreprise Safina Filfili. Une « lutte
de classe » prend donc forme
au sein des plus grandes exploitations. Cependant, au dire des
notables locaux, ces entreprises contribuent à fixer les jeunes sur le
territoire en leur permettant d'accéder à des emplois, sans
lesquels  les  jeunes  adultes  seraient  tentés  par 
l'émigration  à  Dakar.  Pour  eux,  il  s'agit
d'apprendre à négocier avec les chefs d'entreprises
et d'ouvrir le dialogue.
B) ...Mais des emplois industriels sans doute illusoires
pour les autochtones
Parmi les enquêtés qui ont perdu leur terrain ou
une partie de leur terrain, beaucoup espèrent  des  retombées 
positives  pour  eux  ou  leurs  familles.  Le  projet  de  plate  forme
multidimensionnelle  serait  une  opportunité  d'embauche  pour   les 
habitants  du  site.   Le gouvernement   a   annoncé   son   intention  
de   privilégier   le   recours   aux   technologies   de construction
fondées sur l'utilisation intensive de la main-d'oeuvre (HIMO) et des
ressources locales.  Un  exemple  est  la  réalisation  de  voirie  en 
pavés,  qui  permettrait  d'embaucher  une main  d'oeuvre  peu  ou  pas 
qualifiée.  Le  personnel  de  la  Sodida  a  avancé  aux 
populations locales  expropriées  qu'elles  seraient  les 
premières  à  être  embauchées.  On  notera   que 
pour l'instant aucun engagement n'a été signé et les
personnes enquêtées n'ont fait écho d'aucune embauche  au 
moment  de  l'investigation.  Des  cas  similaires  ont  été 
rapportés  par  des personnes  étrangères  au  terrain 
d'étude qui  posent  une  question  cruciale :  les  investisseurs
accepteront-ils  d'attendre  que  les  employés  locaux  soient 
formés  pour  commencer  leur activités ?  Les  personnes 
seront-elles  employées  durablement  ou  seulement  pour  un  effet
d'annonce ? Si ces questions n'ont pu être élucidées lors
des entretiens, il apparaît néanmoins qu'une nouvelle
mobilité fonctionnelle des habitants tend à s'affirmer.
Conclusion : l'affirmation d'un phénomène
nouveau de pluri activités
La perte du rôle moteur de l'agriculture rend
nécessaire d'autres secteurs. Une femme agricultrice  vend  des  repas 
sur  le  lieu  de  travail  des  ouvriers  de  l'Université  du  futur, 
une autre s'improvise boulangère, un chef de famille élève
des poulets de chair... Cette économie familiale élargie, souple,
est très ouverte sur la ville et révèle une
société rurale dynamique et entreprenante, comme le montre de
nombreux entretiens. Ces stratégies de diversification et
de  reconversion  permettent  aux  paysans  de  s'adapter 
à  la  crise  par  un  redéploiement  des activités, 
au-delà  d'un  dualisme  entre  ville  et  campagne.  Dès  lors, 
il  n'y  a  pas  de  coupure mais une mobilité et une fluidité
entre l'urbain et le rural, ce qui laisse entrevoir une frontière
mouvante entre les deux milieux. Avoir un pied dedans et un pied dehors, c'est
aussi mettre
en place une « panoplie anticrise ». Les dynamiques
rurales sont dès lors   les inventrices de
nouvelles identités citadines.
Conclusion générale
Le développement n'est plus imaginé qu'en termes
d'intégration au marché mondial,
et cette nouvelle modernité bouleverse
complètement les rapports entre progrès économique,
progrès  politique  et  progrès  social.  L'Etat 
sénégalais  a  clairement  affiché  son  intention  de
confier  le  développement  du  monde  rural  aux  initiatives 
privées  ou  populaires.  Mais  en  se réservant le droit
d'encourager, par des mesures appropriées, les investissements
privés lourds étrangers ou nationaux, le pouvoir politique
central a décidé de faire de la zone d'étude une annexe 
urbaine  plutôt  qu'une  entité  rurale  spécifique,  dans 
une  volonté  de  discipliner l'extension  urbaine  de  Dakar  et  dans 
la  mouvance  d'un  axe  de  développement  privilégié
s'étendant de Dakar à Thiès. L'espace périurbain
est donc géré en fonction des priorités des acteurs
citadins qui le perçoivent comme une zone transitoire. Ces zones
agricoles autour de
la ville sont des zones à raser lorsque le besoin se fera
sentir...
Si des ateliers de concertation locale ont bien permis de faire
émerger le point de vue
des acteurs locaux sur l'évolution souhaitable des
communes concernées par le projet de ville,
il faut rendre compte de la crainte, formulée par
certains acteurs au cours des entretiens de voir les propositions
formulées rester « lettre morte » et que le processus de
concertation ne serve  que  « d'alibi »,  pour  asseoir  la 
légitimité  de  l'Etat.  Les  agriculteurs  redoutent  la
répétition du « syndrome de la ZAC de Mbao », où
les agriculteurs n'ont pas été indemnisés,
et les investissements qu'ils avaient effectués   n'ont
pas été pris en compte par l'Etat. Dans cette  perspective,  les 
promesses  d'embauche  consécutives  aux  expropriations  apparaissent
comme  des  leurres  pour  des  populations  locales  manquant  cruellement  de
 formation  et d'informations.  Pour  le  pouvoir  politique,  c'est 
désormais  à  la  région  du  fleuve 
Sénégal qu'appartient l'avenir agricole du pays. Les
entrepreneurs agricoles les plus avisés ont bien intégrés
cette tendance en s'arrogeant des réserves foncières au sein de
communautés rurales situées dans les départements de Louga
et de Podor.
L'interpénétration  ville  campagne  peut-elle 
être  facteur  de  développement pour  les agriculteurs 
périurbains?  D'un  point  de  vue  économique,  la 
réponse  est  nuancée.  Les producteurs  de  Diamniadio  et  de 
Sébikhotane  sont  maintenant  dépendants  du  marché 
pour
leur subsistance.
Au  moment  des  enquêtes  de  terrain,  la  phase  de 
transition  entre  économie  de subsistance et économie de
marché était largement achevée. Mais ce système
repose sur une politique du prix des céréales importées
d'Asie, qui rend hypothétique les cultures
céréalières,
et impossible le retour à une agriculture rurale
indépendante de la ville. La seule alternative
des  agriculteurs  réside  dans  une  intensification 
de  leurs  productions  tant  agricoles  que pastorales.   Or, celle-ci passera
sans aucun doute par une réforme de la loi sur le Domaine National.  La 
loi  d'orientation  agro-sylvo-pastorale  adoptée  en  juin  2003  vise 
à  définir  une nouvelle politique foncière qui
permettrait une appropriation privée de la terre, d'ici quatre à
cinq ans, comme le préconise la Banque mondiale. Celle-ci y voit la
nécessité d'assurer, par le
jeu des hypothèques, un accès au crédit
rural. La privatisation des terres du Domaine National permettrait  aussi 
l'établissement  d'un  impôt  foncier,  nécessaire  au 
budget  de  l'Etat.  En s'accompagnant d'un remembrement des terres, les
appropriations privées pourraient être une occasion  pour 
l'ethnie  Lébou,  qui  détient  à  la  fois  le  pouvoir 
politique  et  coutumier,  de chasser les ethnies et entrepreneurs allochtones
de leurs terres.
Le développement de l'espace urbain au
Sénégal semble donc devoir passer par une accentuation  des 
inégalités,  et  par  l'émergence  d'une  classe  paysanne
 pluri  fonctionnelle,
intégrée et fortement dépendante de
l'économie de marché.
Bibliographie
& AGENCE DE DEVELLOPEMENT DE LA VILLE DE DAKAR (ADM),
Commune de
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& AUVRAY M.-P., Projets de quartier et gestion urbaine
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Wakhinane,  Geule  Tapée  II  et
Médina  Fass  Mbao  (Sénégal) 
Thèse  de  Doctorat,  Université  Paris  X  Nanterre, 
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& BART  F.,  LENOBLE  BART  A.,  (dir)  Afrique  des 
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Annexes