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La diversité et sa gestion dans un comité local d'ATTAC.

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par Jean Engel
Université Paris 1 - Sorbonne - Dea Sociologie Politique 2004
  

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I. Les facteurs d'unité

Dans une première partie, nous allons donc essayer de déceler ce qui fait le lien entre tous ces militants. Il y a trois aspects qui nous semblent importants et qui expliquent la grande diversité des membres dans cette association. Il s'agit premièrement de caractéristiques socioprofessionnelles. Nous interrogerons sur le caractère quasi exclusif du recrutement de l'association dans les classes moyennes. Comment cette caractéristique lie-t-elle les militants ? Ensuite, notre interrogation se portera sur les thèmes de l'association et sur leur diversité. Nous verrons comment le choix des thèmes de l'association permet d'attirer et de fédérer un public varié. Puis, ce sont les stratégies unificatrices de l'association qui nous intéresserons. Nous verrons ainsi, par exemple, quel rôle peut jouer la mission d'éducation populaire dans l'alignement des cadres de références.

A. Un mouvement de classes moyennes

Il est flagrant, lorsqu'on s'intéresse à la composition d'un mouvement comme ATTAC, que la quasi-totalité des membres est issue des classes moyennes. Nous ferons donc l'hypothèse que ce positionnement social est un des principaux facteurs d'unité de ce mouvement. Nous nous interrogerons donc dans un premier temps sur les raisons de cet engagement massif de personnes issus de cette catégorie socioprofessionnelle. Puis, nous verrons comment les thèmes de l'association parviennent à créer un consensus minimum entre les membres.

Caractéristiques sociales des membres

Parmi les membres d'ATTAC-Strasbourg interrogés, la quasi totalité est donc issue des classes moyennes. Pour la plupart, il s'agit d'une ascension sociale remontant à une ou deux générations. Il s'agit pour moitié de salariés du secteur public102(*) mais également, plus rarement, du privé. Les secteurs d'activité sont variables mais il faut souligner que les enseignants sont sur-représentés dans ce mouvement, ce qui correspond bien à la composition habituelle des comités locaux d'ATTAC (mais dans une moindre mesure peut-être). Il y a également des agents territoriaux travaillant pour la ville ou pour des collectivités territoriales. Sur les 17 militants interrogés, seulement 2 sont issus de milieux populaires ou sont en situation précaire. Dans les personnes qui ne sont pas encore dans le vie active, la plupart se destinent à des carrières dans le public, dans la santé ou les collectivités locales.

Nous voyons deux types de facteurs historiques qui peuvent expliquer l'entrée en politique de ces militants des classes moyennes qui, bien qu'ils soient déjà présents dans les NMS n'ont pas réellement de culture de l'engagement. On peut même penser que l'apparition d'une classe moyenne importante a participé au déclin des conflits sociaux traditionnels. En quittant, leur milieu social d'origine, les membres des classes moyennes abandonnent également les revendications du milieu ouvrier et adoptent un autre rapport au politique.

Premièrement, il faut considérer que cette catégorie sociale est celle qui a pu le plus profiter des progrès sociaux et économiques des Trente Glorieuses. Le développement de la société de consommation et les garanties sociales de l'Etat Providence créent le sentiment que les conditions vont aller en s'améliorant. Sur deux générations, l'ascension sociale de ces catégories en font un soutien à la société en place, selon l'idée du progrès et d'une plus grande perméabilité des classes supérieures. Pour leurs enfants, ils attendent également un progrès ou, au pire, une stabilité. Le secteur public est pour cette catégorie un débouché sûr, avec des avantages sociaux importants. Le fait de travailler pour l'Etat les rend dépendant de lui et donc moins critiques. Surtout, tout en s'assurant un niveau de vie intéressant, ils ont l'impression de participer à une mission de progrès social très valorisante. Bien que très hétérogène, cette « classe » peut donc s'attribuer un rôle historique intéressant en dehors des deux classes traditionnelles et concilier progression matérielle et volonté de progrès social.

Cependant la remise en question de la « civilisation de service public » comme la nommait Bourdieu vient remettre en cause leur stabilité et leur identité de classe :

« les mouvements altermondialistes sont fait par des gens de classe moyenne, il faut dire ce qui est. Et en fait, bon, là je vais sortir un peu ma... ça fait un peu... J'ai lu un peu Bourdieu, je sais que dans son petit bouquin là, à un moment il parle de la main gauche de l'Etat et de la main droite de l'Etat, et pour moi, le truc c'est que justement le mouvement altermondialiste c'est plutôt des gens de classe moyenne issus de la main gauche de l'Etat si on veut, du service public. On le voit bien dans ATTAC : enseignants, etc... comme moi, bon bref, c'est un peu caricatural mais bon... et c'est ça, ATTAC pour l'instant, c'est un peu ça. Et je crois, à mon avis, c'est des gens [...] qui se sentent menacés par le néolibéralisme, en tant que main gauche de l'Etat. »103(*)

Le démantèlement des services publics et la remise en cause de l'Etat Providence viennent en même temps fragiliser les espoirs d'ascension sociale pour leurs enfants et les priver de leur rôle historique. Les valeurs de solidarité, de progrès social et de réduction des inégalités qui marquaient leur action sont reléguées derrière la compétitivité et la productivité. L'Etat interventionniste apparaît comme le garant de leurs valeurs. Or, « c'est cet Etat social, réducteur d'anomies puisque capable malgré ses limites, de réglementer l'activité économique en imposant l'intérêt général, que le néo-libéralisme a entrepris de détruire systématiquement »104(*). Ils sont donc les premiers à souffrir de la logique néo-libérale qui remet en cause leurs emplois ainsi que leur identité sociale et leurs valeurs. Alors qu'ils avaient accepté de « participer au système » en échange de la sécurité de l'emploi, d'un système de retraite et de sécurité sociale, au nom finalement d'un pacte social, ils ont le sentiment depuis les années 90 d'avoir été floués, puisque la donne change sans qu'on les ai consulté. La présence massive de fonctionnaires dans un mouvement comme ATTAC s'explique donc facilement105(*), sans qu'on puisse observer l'émergence d'une identité commune.

Deuxième raison qui explique leur engagement, les classes moyennes, notamment du secteur public sont les soutiens traditionnels de la gauche réformiste et en France du Parti Socialiste. Si celui-ci catalyse l'espoir de changement lors de sa création, grâce au charisme de François Mitterrand, et se propose de « changer la vie », 21 ans d' « alternance »106(*) ont suffi pour le décrédibiliser. La transformation du PS en parti de gestion et de pouvoir, plus pragmatique qu'idéologique, forcé de participer au système car trop frileux pour le bousculer laisse une impression de tromperie. L'abandon des politiques de réforme dès 82 et l'absence de grands chantiers sociaux (hormis la création du RMI par Rocard)107(*), l'acceptation et même la campagne pour une Europe « des peuples » qui s'avère être une Europe « des patrons » ou « de l'argent », ou encore le non-accomplissement des promesses électorales (notamment sur les sans-papiers) alimentent un sentiment de méfiance croissant envers le Parti Socialiste. Alors que le vote a pu paraître comme une activité politique suffisante pour les classes moyennes tant qu'une action réformatrice semblait possible par le canal du PS, il n'en est plus rien aujourd'hui. Dernièrement, la non-remise en question du PS sur les raisons de son échec continue à le décrédibiliser :

« Et au PS, ce qu'il manque, c'est d'être plus à gauche. Ils sont beaucoup trop centristes à mon goût et trop... je sais qu'après le séisme du 21 avril, je me suis dit « le PS, il faudrait peut-être leur filer un coup de main, c'est le moment de faire quelque chose, ils vont se poser des questions, ils vont se remettre en cause...«, et mon mari y est allé. A une section locale, en se disant pareil. Il est revenu écoeuré, en me disant « ils se posent aucune question », tout ce qu'ils savent dire c'est «on a mal communiqué, on s'est mal fait comprendre mais notre action elle est parfaite, on a tout bien fait, on a eu raison sur tout«. Bon, on est pas gâté au niveau de la représentation qu'on a en France. »108(*)

Cependant, cette catégorie ne se retrouve pas non-plus bien représentée par les autres formations de gauche, au vocabulaire encore très ouvriériste ou peu efficaces politiquement :

« En terme électoral, je vote souvent PS mais je suis pas vraiment satisfaite non-plus. C'est plutôt un vote utile, quoi. Moi je me situerai plutôt plus à gauche que ça. Mais je ne me sens pas non plus... je ne me retrouve pas du tout dans les prises de position de gens comme LO-LCR, donc je ne vote jamais pour eux. Je passe un peu des Verts au PS. [...] Chez les Verts, je crois que c'est plus un problème interne, de dissensions permanentes et de manque de ligne claire. Le fait qu'ils soient extrêmement... Il y a un côté très sympa dans le côté très démocratique, tout le monde s'exprime, tous les courants sont possibles, mais en même temps, ça manque un peu d'efficacité, quoi. »109(*)

Il faut donc trouver d'autres manières d'agir politiquement, au-delà du vote110(*), d'autant plus que les classes moyennes ne sont plus des classes privilégiées. Au-delà des principes, c'est donc également dans leur intérêt qu'ils se mobilisent. Nous allons voir ce qui facilite leur engagement dans ATTAC.

* 102 Sur les 17 membres du comité local interrogés, 4 sont professeurs, 3 travaillent dans la fonction publique nationale ou territoriale et 2 s'y destinent.

* 103 Entretien 14.

* 104 Christian De Montlibert, in Regards Sociologiques N°21 « le néo-libéralisme », 2001.

* 105 Luc Rouban éclaire quelque peu sur quoi repose la coopération des fonctionnaires : « il faut en revanche retenir [l'hypothèse] d'une attitude coopérative ou professionnelle qui dépasse le choix individuel mais qui ne se confond pas non plus avec l'appartenance à des ensembles idéologiques plus ou moins bien balisés. L'appartenance au secteur public commande donc des réflexes politiques pour autant qu'ils concernent des intérêts professionnels communs. C'est là que s'arrête l'identité collective. » In, Bréchon, Laurent et Perrineau (dir.), Les cultures politiques des français, Presses de Science Po, 2000.

* 106 De la première élection de François Mitterrand en 81 au camouflet reçu au premier tour des présidentielle de 2002 par Lionel Jospin.

* 107 La « grande réforme » des 35 heures apparaissant malheureusement plus comme une mesurette contre le chômage, d'ailleurs peu efficace, que comme issue d'une réelle réflexion sur la place du travail dans notre société.

* 108 Entretien 20.

* 109 idem

* 110 Hirschmann souligne par exemple le fait que l'acte électoral est trop épisodique et dilué et que la déception des électeurs peut les amener à s'engager dans une mobilisation collective. Hirschmann Albert, Bonheur privé, action publique, Fayard, Paris, 1995.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams