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La diversité et sa gestion dans un comité local d'ATTAC.

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par Jean Engel
Université Paris 1 - Sorbonne - Dea Sociologie Politique 2004
  

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Les types de parcours

Les militants réengagés représentent le quart des militants interrogés dans le cadre de ce mémoire (4 sur 17). Dans cette catégorie aussi, il est difficile de trouver une unité. Force est de constater que les anciens militants ont des parcours politiques très variés. C'est d'un large spectre d'organisations que sont originaires ces réengagés. Tout d'abord, il faut dire qu'ils ne sont pas tous entrés dans le monde politique au même moment. Ils appartiennent à des générations militantes différentes. Le moment particulier de leur entrée en politique influe évidemment sur leur perception de l'engagement politique et sur les organisations desquelles ils sont originaires.

Ainsi, on trouve pêle-mêle des individus s'étant engagés en suivant le schéma classique de l'engagement ouvrier au PC dans les années 70 (1 militant, entretien 2), d'autres s'étant engagés dans le sillage du PS (1 militant, entretien 17) d'autres encore commençant à militer à l'université dans les années 80 ( 1 militante, entretien 1 et 19) ou au lycée (entretien 4) dans des mouvements d'extrême gauche29(*). Les déterminants de l'engagement sont très variables selon la période d'entrée dans le militantisme, l'origine sociale ou l'histoire personnelle. Ainsi, si le militantisme est naturel pour R (entretien 2), qui a grandi dans une famille ouvrière militant au PC, et qu'il suit un chemin classique de l'usine au syndicat et du syndicat au parti, il apparaît déterminé par des évènements particuliers comme les réformes Devaquet (entretien 19) ou la guerre d'Algérie (entretien 17) pour d'autres.

Les trois quarts de ces militants recherchent depuis quelques années des structures alternatives pour s'engager. Avec plus ou moins d'application et malgré un ou plusieurs engagements décevants et des phases de retrait de la vie associative, ces militants restent fortement revendicatifs et en recherche d'autres mouvements30(*). Trois des quatre militants interrogés ont en effet fréquenté d'autres mouvements ou collectifs avant d'intégrer ATTAC.

D'une manière générale, le réengagement dans ATTAC peut être expliqué par des dispositions subjectives et objectives, impliquées par des parcours particuliers. Une analyse en termes de « carrière » comme l'a développé H. Becker31(*) , dans son étude sur les déviances, permet en effet de considérer l'engagement du point de vue du sens que les agents sociaux donnent à leur évolution personnelle. Appliquée à l'étude du militantisme, comme l'explique Olivier Fillieule, « la notion de carrière permet de comprendre comment, à chaque étape de la biographie, les attitudes et les comportements sont déterminés par les attitudes et comportements passés et conditionnent à leur tour le champ des possibles à venir, restituant ainsi les périodes d'engagement dans l'ensemble du cycle de vie »32(*). Nous nous proposons donc ici de considérer les différentes phases de leur vie militante comme permettant et facilitant le retour au militantisme dans une structure nouvelle.

Intéressons-nous d'abord à la propension « subjective » au réengagement. Le cycle de vie de ces militants est fortement marqué par des périodes de rétraction et d'extension des engagements. Celles-ci correspondent à une analyse par ces mêmes militants de la correspondance entre eux et les différentes structures politiques possibles et de la satisfaction qu'ils retirent de leur participation.

La rupture avec les organisations traditionnelles découle d'une réflexion des militants sur leur engagement et d'un repositionnement politique. Le constat d'échec des structures traditionnelles d'action politique se double ici de la dimension individuelle de l'expérience de la rupture. Reconstituons par exemple le discours de R. qui illustre bien la démarche cognitive des militants réengagés :

« J'ai commencé de façon classique . Bon, j'ai commencé à travailler à quatorze ans donc j'étais au syndicat à l'usine... et bon après j'étais au PC... et après j'ai quitté le PC quoi, j'ai fait le truc classique, je voulais rénover la gauche »

...

« Oui, je sais pas, je pense qu'à partir d'un certain moment, ça se délitait et ils trouvaient pas... Ils s'occupaient pas d'écologie alors que il y a 20 ans... j'étais antimilitariste alors que le PC m'a dit qu'il valait mieux aller à l'armée et bon ça m'a pas plu, quoi. J'étais pas en phase avec le mouvement populaire quoi... Si le PC m'avait suivi, peut-être qu'aujourd'hui, il remplacerait les Verts. Bon, j'ai décidé de quitter le PC. »

...

« J'ai suivi enfin, j'étais un peu attiré vers l'extrême gauche mais bon, je veux dire, c'était pas ma bière non plus tout ce qui se faisait quoi. Les Verts m'ont toujours été sympathiques mais aussi longtemps qu'ils étaient pas... qu'ils étaient tellement neutres...oui et il y avait tout un côté que je trouvais... ils s'occupaient que d'écologie alors... »

...

« J'ai pu rejoindre les Verts que lorsqu'ils ont vraiment rompu avec tout ça, qu'ils ont rejoint la gauche, quoi. »

...

« C'est une suite logique je pense, je crois qu'il y a plein de gens qui ont fait le même parcours que moi. Arriver chez les Verts ou dans des mouvements similaires ou ATTAC, quoi. Les partis politiques sont un peu à bout, quoi. D'ailleurs je pense même remplacer la gauche plus tard. La vraie gauche c'est nous, je pense que c'est les gens comme ATTAC. »

...

« Dès que j'ai entendu parler d'ATTAC, j'ai su que c'était quelque chose de valable, que je recherchais, c'était une suite logique de mon engagement. »33(*)

En reconstituant le parcours de R., on voit qu'il repense son évolution militante comme allant de soi. Bien évidemment, c'est une vision a posteriori alors qu'il connaît toutes les étapes de son engagement, mais elle n'en est pas moins intéressante car elle fait apparaître les différentes étapes du cycle de vie militante ainsi que les questions que se posent les acteurs et les réponses qu'ils y trouvent.

Ici, le discours est marqué par un rejet des partis traditionnels et l'évolution dans les différents mouvements est vécue comme un dépassement (« j'ai l'impression qu'ils vont plus loin que la militance que je faisais avant »), un progrès vers un militantisme plus complet et des revendications plus en accord avec les idées de ces militants. Ces militants sont donc dans un schéma de pensée de recherche et de comparaison. De plus, la rupture les détache d'une structure particulière. Ce n'est pas la victoire d'un groupe qui est désirée mais le fait de défendre ses idées dans une structure réellement « de gauche ».

D'une manière matérielle, ces militants sont également dans des situations qui favorisent le réengagement. La rupture avec les organisations précédentes dénotant, outre une certaine frustration, un acte définitif, puisque au-delà d'un retrait des responsabilités exercées ou du cercle des militants actifs, c'est un retrait total sur le mode actif qui a lieu (les individus quittent le mouvement). A travers cet acte, c'est également tout un monde, des relations ou amis, des cercles de sociabilités qui disparaissent et rendent difficile un retour à ce milieu34(*).

Le désengagement va permettre à ces acteurs de voir de l'extérieur le monde militant, en ayant tout d'abord le temps de le faire. Cette disponibilité biographique et l'abandon progressif des pressions et jugements de valeur inhérents à leurs anciennes organisations rendent l'individu disponible pour une redéfinition de soi en tant que militant.

Nous pouvons établir que dans le cas de ces militants, la rupture ne se fait pas au profit d'une autre organisation et que dans une première période du moins, ils sont libres de toute attache. La recherche d'une autre organisation ne se fait pas avant de quitter l'ancienne comme on cherche un appartement ou un travail avant de quitter l'ancien. Bien sûr, ceci tient au fait qu'il n'est pas vital à proprement parler d'être engagé politiquement, comme il peut être vital socialement et économiquement d'avoir un travail ou un logement. Cependant, ce désengagement va engendrer une recherche d'un autre militantisme, la politique, qu'elle soit volonté d'action ou intérêt et réflexion, demeurant présente dans les préoccupations de ces individus.

L'intérêt persistant pour la vie politique et sociale illustre ceci, comme par exemple l'existence de certaines lectures spécifiques à une certaine gauche indépendante des partis politiques. La lecture du Monde Diplomatique dans lequel fut exposée l'idée de départ d'ATTAC, où fut décrite l'évolution du mouvement et où cette voie fut vantée, revient souvent dans les réponses des individus sur la façon dont ils ont connu l'association. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point plus tard.

Ces individus connaissent souvent une phase de recherche d'une autre structure et de réengagement partiel qui va permettre de nouer des liens avec d'autres milieux et personnes et amener directement ou indirectement à ATTAC. En effet, le côtoiement de divers cercles politiques dans la gauche ou l'extrême gauche va mettre en relation avec des militants du même type ou des réseaux de mouvements (trait assez marquant des mouvements citoyens ou anti-mondialisation). La participation ponctuelle à certains mouvements sociaux par exemple, va ouvrir des portes et faire passer plus facilement de la sympathie à l'action. L. connaissait déjà ATTAC par les médias et Le Monde Diplomatique sans y adhérer, cette adhésion va être facilitée par les liens que l'association avait déjà noués autour d'elle :

« Ben, disons, le moment déclencheur, c'est... avant, juste avant de venir dans ATTAC, j'avais eu des contacts avec le collectif contre l'AMI, l'accord multilatéral sur l'investissement, donc il a lié beaucoup de liens avec ATTAC et c'est à ce moment que j'ai décidé d'entrer dans ATTAC... »35(*)

Ou plus simplement, les connaissances faites dans le cadre de participations ponctuelles ou de la fréquentation d'un certain milieu politisé, rend plus probable de rencontrer des « déjà membres » d'ATTAC, autre fait facilitant une prise de contact avec le mouvement.

Ceci nous permet de souligner le fait que cette adhésion à ATTAC se fasse dans le cadre d'une dynamique de réengagement aussi bien politique qu'associatif (Entretien 4 : « Disons que j'ai commencé à re-militer à partir de pas mal d'associations »), à une période donc, où l'idée de se réinvestir dans l'espace militant est présente.

En plus de cette multiplicité des liens créés et du réveil de l'activité associative, il faut dire que ces militants sont disponibles pour ce nouvel engagement. D'un point de vue professionnel, deux sont professeurs et une prépare des concours administratifs, ce qui leur laisse assez de temps de libre à consacrer à un engagement politique. Nous avons dit également plus haut que ce retour à l'engagement se fait lors de mouvements ponctuels ( ex : mobilisation contre l'AMI36(*)) ou dans des structures qui n'apportent pas entière satisfaction. Soit l'engagement est matériellement peu intense et se limite au fait d'avoir la carte, soit il est idéologiquement insatisfaisant car trop éloigné des revendications individuelles, ou incomplet. Ces militants sont donc disponibles en terme de temps à investir pour un nouvel engagement.

D'ailleurs ces militants sont souvent présents dès les premières réunions précédent la création du comité local de l'association et s'y engagent ensuite très rapidement : « je pense que quand on a le nez au vent, c'est pas la peine de chercher, les odeurs viennent toutes seules »37(*). Le succès rapide de l'association en termes d'adhésions s'explique donc par le fait que ces militants étaient dans l'attente d'une opportunité intéressante pour retrouver un engagement constant et qu'ils étaient parfaitement au courant de ce qui se faisait en matière d'action et d'engagement et donc d'offre politique.

* 29 Nous avons donc un ex-militant du PC, un ex-militant du PS tendance PSU, une ex-militante de la LCR et un ex-militant de LO. De la gauche réformiste à l'extrême gauche, c'est donc un large spectre qui apparaît.

* 30 Ce point est notamment souligné dans la contribution au colloque du GERMM sur les « mobilisations altermondialistes » d'Elise Cruzel : « Trajectoires militantes à ATTAC : les adhérents de Gironde et de Haute Garonne. »

* 31 Howard Becker, Outsiders, Paris, Métaillié, 1985.

* 32 O. Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l'engagement individuel », in RFSP, volume 51, N°1 et 2, Février-Avril 2001, P: 201.

* 33 Entretien 2.

* 34 Cet aspect prend toute son ampleur avec les organisations d'extrême gauche et notamment avec le PC qui avait développé tout un réseau social autour de l'organisation. L'exclusion ou le retrait de celle-ci, dans le contexte de forte identification des membres au mouvement qui marque le PC, ferme l'accès à ces cercles périphériques du mouvement. Le système établi de défense et de découragement de la défection avec le recours à un vocabulaire précis et connoté (social-traître, anarchiste, gauchiste, trotskiste,...) facilite la rupture totale entre le mouvement et l'ancien membre.

* 35 Entretien 1.

* 36 L'inscription dans ce collectif est d'ailleurs fort intéressante. En effet, la mobilisation contre l'Accord Multilatéral sur l'Investissement a été la première victoire de l' « internationale civile » naissante et a permis le développement d'ATTAC...

* 37 Entretien 17

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon