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Subjectivité et intersubjectivité dans la conversion indiviuelle masculine à l'islam en France au XXI siècle

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par Marie Bastin
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris -  2002
  

Disponible en mode multipage

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SUBJECTIVITÉ ET INTERSUBJECTIVITÉ

DANS LA CONVERSION INDIVIDUELLE MASCULINE À L'ISLAM

AU XXIÈME SIÈCLE EN FRANCE

MARIE BASTIN

SOUS LA DIRECTION DE

FARHAD KHOSROKHAVAR

EHESS

PARIS 2003

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 4

PREMISSES 6

De la « conversion » religieuse selon la sociologie des religions 8

De la « conversion » ou des « conversions » 9

Partie I 11

Sociologie et religion 11

De la dimension religieuse 11

Religion, « conversion » et identité individuelle ultramoderne 12

De la religiosité : trois dimensions 13

Partie II 15

Le récit de l'expérience religieuse de la « conversion » 15

Partie III 17

La conversion à l'islam 17

Partie IV 21

Enquête et analyses 21

L'islam et les technologies : internet 22

Des analyses 24

A. Tableaux récapitulatifs 25

B. De la subjectivité : « conversion » et individuation 27

Similitudes  27

·L'absence de rupture sociale ou familiale  27

·Le déplacement géographique 27

Disparités 28

·La critique de la pratique religieuse : où est le « nous » ? 28

·La satisfaction de besoins spirituels individuels : le « je » avant tout ! 28

Similitudes 29

·Ma foi, ma différence 29

Disparités 30

·Dieu existe ! 30

·Je cherche, je trouve 30

·Vitaliser sa foi, les rapports au savoir islamique 31

·Déstigmatisation 31

Similitudes 31

·Le prénom arabe, un nom initiatique 32

Disparités 33

·La circoncision 33

·Le « certificat de « conversion » 34

C. De l'intersubjectivité : « conversion » et identité collective 34

Similitudes 35

·Avec les « siens d'appartenance » 35

·Le voyage 36

Disparités 36

·La vie estudiantine ou professionnelle 36

·Avec les « siens d'origine » 37

Similitudes 37

·Dire sa foi 37

Disparités 38

·Un guide spirituel, pourquoi ? 38

Similitudes 39

·De « l'homme marginal » au médiateur 40

·Le mariage 40

Disparités 41

·Vitaliser sa foi 41

·Avec les « siens d'origine » 42

·Avec les « siens d'appartenance » 42

·Avec ses enfants 43

·Et les relations professionnelles 44

D. Une minorité dans la minorité 44

CONCLUSION ET PERSPECTIVES 50

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE et THÉMATIQUE 49

INTRODUCTION

« Je refuse de parler de l'islam en soi.

Il y a des musulmans qui sont des êtres humains,

qui ont des idées sur la vie et leur religion,

sur ce qu'ils pensent être leur religion. »

Maxime Rodinson1(*)

La thématique de la religiosité est devenue prégnante à la lecture des faits de modernité par lesquels l'homme se sent « libéré ». La modernité fait de lui un être qui, de l'acquisition du progrès et de la connaissance, à la maîtrise de l'espace et des sciences, est devenu un surhomme à ses propres yeux, presque divin et se donnant au-dessus de la Nature. Et pourtant ! Il se « tourne », à nouveau selon les uns, encore et toujours selon les autres, vers la divinité.

L'étendard du religieux ultramoderne flotte dans le ciel des choix individuels et multiples au gré des renouveaux ou des déclins religieux qui se disputent autant les avant-scènes des médias, que celles du politique et de la recherche. Du bouddhisme aux renouveaux évangélistes, les cheminements dans la foi islamique sont particuliers, individualisés et plus encore, atypiques quand, français « d'origine », catholique ou athée l'on construit une vie spirituelle individuelle et collective à la croisée de deux siècles et à celle de la conversion à l'islam. Cet islam, monothéisme et facteur culturel, dont la centralité est d'actualité, aux niveaux international, européen et national, et aux niveaux religieux et politique en soi, aussi bien au coeur des rapports enchevêtrés qu'entretiennent avec lui, les autres sphères spirituelles monothéistes, plus particulièrement. En France, la religion islamique est devenue, pour des raisons historiques, politiques et sociologiques, la seconde religion pratiquée ou « revendiquée d'appartenance ». Si la très forte majorité des musulmans y sont de diverses origines étrangères, maghrébines, africaines, moyenne-orientales ou asiatiques, la minorité des convertis attirerait l'attention. Ces « convertis » à l'islam, hommes et femmes qui, pour des motivations diverses, spirituelles et personnelles, embrassent la foi islamique.

Les rares travaux qui ont traité ce phénomène des « conversions » à l'islam en France ou en Europe, sont marqués de la question lancinante des banlieues, par la thématique de l'émergence du fondamentalisme et plus récemment par celle du terrorisme. Le parcours individuel de croyants éloigné des bruits du monde susciterait l'intérêt de qui pourrait s'interroger sur ce qui se passe à la croisée de l'altérité culturelle et spirituelle, que toute conversion et de tout temps met en lumière.

L'analyse de la confidence du récit de conversion d'hommes âgés de plus de trente ans, d'origine sociale plutôt favorisée et de formation plutôt supérieure permettrait d'essayer de plonger au coeur d'intimités individuelles et de convictions anonymes. Mais, est-il possible de se cantonner à l'observation d'une telle expérience spirituelle et sociale, sans se demander ce qui encourage un jeune homme du XXème siècle français à devenir musulman ? Comment rencontre-t-il cet univers spirituel, à la fois si éloigné de sa culture d'origine et si proche par les interactions sociales et politiques du monde post-moderne ? Que découvre-t-il de lui-même ? Quelles ruptures ou quels prolongements personnels et spirituels sont-ils en élaboration ? Que lui apporte cette foi ? Quelle dimension spirituelle personnelle et collective élabore-t-il ? Quel accueil reçoit-il de ses pairs d'origines chrétiens ou athées, républicains et laïcs ? Quel accueil reçoit-il de ses « nouveaux » frères en spiritualité, musulmans, minoritaires, stigmatisés le plus souvent, tiraillés entre l'universalisme islamique, la tradition voire l'orthodoxie, le repli communautaire, les mouvements d'intégrisme à visée politique ou de fondamentalisme, l'intégration et le renouveau même de la pensée religieuse islamique ? Quel univers musulman embrasse le néophyte, est-ce celui des confréries soufies, celui des sunnites ou des shi'ites, ou encore celui des mouvements associatifs ou bien tout simplement celui de l'islam au sens large sans attache culturelle particulière ?

Ce travail d'enquête repose sur des entretiens avec sept individus. Pour en faire une lecture avisée, il s'agira, dans un premier temps de poser les cadres théoriques des notions aux prises avec le sujet. Les définitions linguistiques, religieuses, sociologiques et psychosociologique de la « conversion », permettront de faire un état des lieux de la sociologie de la religion aux XXIè siècle, et d'aborder, de façon synthétique les théories développées, dont, en particulier les trois dimensions de la religiosité et la dimension du récit de « conversion ». Enfin, de quel islam s'agit-il ? Sa présence en France et quelques éléments « théologiques » et la thématique même de la « conversion » à l'islam, établiront le contexte de ces expériences.

Dans un second temps, l'enquête proprement dite, l'analyse thématique et l'ébauche d'un commentaire des récits récoltés poseront les principes de l'hypothèse émise, des outils et des réorientations été nécessaires. Deux tableaux récapitulatifs relatifs à des types de variables de l'expérience religieuse substantives ont permis d'évaluer les types d'émotions suscitées par la « conversion » à l'islam et admises d'être éprouvées. Les nominales, elles traiteront du « radicalement autre » expérimenté comme une réalité. Les analogiques, enfin sont celles des émotions relatives à l'expérience du sacré, identiques ou non à celles d'autres états ou situations non ordinaires. Enfin, les variables du contexte auront permis de lister les contextes de l'expérience du sacré.

Enfin, la subjectivité et de l'intersubjectivité relatives à ces « conversions » seront les dimensions sociologiques de réflexions choisies pour la lecture de ces expériences. Les temps de la post-« conversion », de la croyance et de l'après-« conversion ». A chacune de ces étapes, des similitudes et des disparités ont été repérées selon les individus. Les thématiques relatives à ces similitudes et ces disparités ne seront pas exhaustives, mais permettront un décryptage approfondi de ce qui est en jeu dans la « conversion » à l'islam du point de vue de la subjectivité individuelle et des relations aux collectifs.

La troisième et dernière partie du mémoire affirmera la dimension minoritaire de l'identité des « convertis » à l'islam en France à la fin du XXème et au début du XXIème siècles. Il s'agira alors de s'interroger quant à l'existence d'un groupe à proprement parlé de « convertis », de la spécificité religieuse que porte l'islam dans ces « conversions » et d'ouvrir des perspectives d'études sociologiques de l'islam en France.

Au cours de l'analyse et pour la soutenir, seront livrés de larges extraits des entretiens menés avec les témoins - qui au demeurant, sont inégaux du point de vue du volume plus particulièrement, du fait des difficultés inhérentes à l'enquête, de la disponibilité des uns et des autres et des évènements internationaux récents. La trame des interrogations sociologiques relatives à la « conversion » à l'islam est si vaste qu'il fallut, en effet, en réduire l'étendue. Cette réduction, bien qu'essentielle, a été frustrante pour le chercheur qui a, néanmoins, compilé un matériaux inédit et rare.

L'étude de la construction sociale du phénomène de la « conversion » à l'islam en France chez les hommes, consiste à identifier d'une part, les logiques d'élaboration de soi, de l'identité individuelle ultramoderne spécifique et du rapport individuel au sacré particulièrement construit dans l'islam. Et d'autre part, il s'agit d'observer les logiques sociales qu'élaborent les individus, entre eux, envers les différentes cultures, les différents systèmes de pensées, de représentation et d'action au coeur desquels ils s'inscrivent dans le cadre de leur religiosité.

Cette étude est également conditionnée par le sociologue lui-même ; malgré lui, acteur qu'il est lui-même de sociocentrismes dont il tentera, au moins, d'éviter les ornières du jugement de valeur et de l'orientation de la problématique. Enfin, l'étude impliquant la méthode s'ajustera aux questions et aux hypothèses de la recherche et en dégagera les pertinences. L'innovation, toute proportion gardée, de ce travail, devra prendre en compte les découvertes auxquelles le sociologue devra faire face au cours même de la recherche, au point de se soumettre à des réorientations.

« Conversion » au coeur, à la croisée, au carrefour d'un changement et d'un abandon, de changements et d'abandons

PREMISSES

A la croisée de la conversion à l'islam, s'interpénètrent des questions de vocabulaire et au moins deux champs linguistiques : la langue française et la langue arabe, l'une et l'autre support des expériences religieuses et sociales mises en oeuvre. En français, le terme conversion a pour source étymologique le terme latin conversio qui signifie retournement, changement de direction. Ce terme prend lui-même sa source à l'étymologie grecque de deux termes, epistrophê et metanoïa. Epistrophê signifie changement d'orientation, retour à l'origine ou à soi et retour à l'idéal parfait. Metanoïa, signifie changement de pensée, repentir avec mutation et renaissance et arrachement à un état de perversion et de péché. Dans le cadre de la conversion religieuse, il s'agit « d'un changement d'ordre mental qui peut aller d'un simple changement d'opinion jusqu'à la transformation totale de la personnalité. » Dans la notion de conversion, l'on constate d'emblée, « une opposition interne entre l'idée du « retour à l'origine » et l'idée de « renaissance » ». Cette polarité « fidélité-rupture » marque la conscience occidentale depuis le christianisme.2(*)

En arabe classique, la notion de « conversion » peut être envisagée selon les trois champs sémantiques celui de aslama, celui de al-tawba et celui de hadâ :

Le sens linguistique du verbe aslama, est, s'abandonner à, se confier à et se rendre à qqn, par exclusive à dieu. Le verbe aslama dérive du nom d'action islâm, et signifie dans son acception plus spirituelle, devenir musulman. Ce verbe se distingue strictement d'un autre dérivé de la racine trilitère S L M, le verbe istaslama, issu du nom d'action istaslâm, qui signifie se soumettre après avoir été vaincu. Al-tawba, nom d'action, dérivé de la racine trilitère T A B3(*), signifie au niveau strictement linguistique : se retourner vers dieu, au niveau plu spirituel, il désigne le repentir, le fait de revenir à l'obéissance à dieu. Au sens linguistique soufi, Ibn `Arabi précise que al-tawba « n'est pas seulement le retour vers dieu, mais est la manifestation du regret des péchés passés. »4(*) Al-tawba nécessite, ajoute Ibn `Arabi, une persévérance dans le respect du pacte conclu avec dieu, (S. II, v. 27). Le repentir ne concerne pas uniquement les pêcheurs, mais est un retour existentiel permanent à la vérité dans tous les états du croyant.5(*) Enfin, le verbe ihtadâ ilâ, issu du nom d'action ihtidâ'un, dérive de la racine trilitère H D A, signifie au sens propre trouver son chemin et se convertir. Son contraire est la perdition, al-dalâl6(*).

Toutes les religions couvent des types très hétérogènes de « profits religieux », de modes d'intégration à la religion, très variés et adéquats aux différentes conditions individuelles d'existence7(*). Se convertir est un des modes spécifiques aux univers judéo-chrétiens. C'est une rencontre essentielle à l'histoire même, de l'Occident marquée d'« un effort sans cesse renouvelé pour perfectionner les techniques de conversion, c'est-à-dire les techniques destinées à transformer la réalité humaine, soit en la ramenant à son essence originelle, soit (conversion-retour), soit en la modifiant (conversion-mutation). »8(*)

La tradition chrétienne de la conversion est un des thèmes des cultures européennes. Il est « à la fois ambigu et très significatif ; il rattache paradoxalement l'individu moderne dans son désir d'autonomie à des modèles symboliques traditionnels prégnants qui l'influence à son insu et qu'il reproduit dans un conformisme voilé : c'est au nom d'une tradition (la conversion comme un acte de ralliement et de conformité à l'ordre social) que la rupture s'effectue. »9(*) Cette rupture est le propre de toutes les religions monothéistes, et fait de ces croyances des « religions de rupture »10(*) du fait même de l'irruption divine dans le monde. La « conversion » y est une «  répétition » ; « c'est l'irruption du divin dans le cours de l'histoire qui se répète dans l'histoire individuelle. »

Dans ce cadre, selon l'Ancien Testament d'une part, les prophètes d'Israël convient et conjurent le peuple à se convertir, c'est-à-dire à retourner à l'alliance rompue par l'infidélité aux engagements pris à l'égard de Dieu, pour bénéficier de son élection et de ses promesses. Cette conversion est à la fois epistrophê et metanoïa, au sens défini précédemment. Selon le Nouveau Testament d'autre part, il s'agit de « naître de nouveau, pour vivre désormais la vraie vie, c'est déjà posséder en puissance, et même en réalité comme un germe croissant, le rayonnement de Dieu. » Le retour et la renaissance se situent donc à l'origine, dans une perspective eschatologique11(*). Cette spécificité du Christianisme réside dans le fait que l'événement intérieur de la « conversion » y est lié à l'événement extérieur, car, « le rite du baptême correspond à une renaissance dans le Christ et la conversion est l'expérience intérieure de cette renaissance. »12(*)

Dans la tradition biblique, la « conversion » signifie donc le « retour à dieu » à l'issue de la rupture du péché originel de l'homme : elle « est indispensable pour que l'homme retrouve sa voie [...] assignée par Dieu et reprenne sa marche en avant. »13(*) Mais, elle implique une prise de conscience de la réalité du Mal et de ses conséquences, ainsi que le repentir d'avoir péché. Pour le protestantisme et pour les mouvements charismatiques, plus particulièrement, l'évènement est «le changement prodigieux qui s'opère dans la vie de tout croyant pourvu qu'il s'abandonne à l'action extraordinaire de l'Esprit. »14(*)

Du point de vue islamique, la « conversion » est perçue comme un retour à la nature première, être musulman : « Tout nouveau né est venu au monde dans sa nature première [de musulman] ; ce sont ces parents qui en font un juif, un chrétien ou un zoroastrien. »15(*). Cette reconnaissance de l'état d'être musulman oublié, ignoré ou détourné par l'éducation religieuse reçue dans l'enfance est la « conversion ». Le « réveil » est la prise de conscience d'un état religieux à mettre en valeur, il est la porte de la « conversion à l'islam » et comme « une entrée dans une communauté où dieu devient sensible au coeur, où l'Esprit se manifeste. »16(*)

Les sens religieux de la « conversion » ne peuvent, en revanche, faire l'économie des éclairages de la psychosociologie et de la sociologie. La psychosociologie mobilise, en effet, les notions de personnalité et d'univers social, celles du rôle et des jeux de rôles dont les individus sont acteurs. L'angle qu'elle propose concernant le changement individuel, sur les plans public et privé, est pertinent dans l'étude de la « conversion » religieuse à l'islam, car les phénomènes mystiques et les expériences intenses qui y bouleversent la vie peuvent alors être étudiés de l'intérieur, en les dégageant des a priori qui leurs sont, le plus souvent, infligés par les analyses psychopathologiques.

Cinq dimensions marquent, ainsi, la notion de « conversion » religieuse selon la psychosociologie. La « conversion » est avant tout, un changement. Changement d'objet et changement de communauté, elle est une mise en conformité des croyances individuelles à des changements sociaux produits hors des individus. Quand elle est religieuse, elle est considérée comme une initiation de/au changement social. En effet, la « conversion » participe à la dynamique innovatrice que porte la religion elle-même, soit en élaborant un chemin pour dépasser des notions ressenties de « mal », soit en devenant le langage d'un sentiment de stigmatisation ou de disqualification, soit encore les deux à la fois. Quand la « conversion » n'est plus adaptative, elle est révolutionnaire. Elle permettrait aux individus de manifester une forme d'indépendance envers les déterminismes psychosociaux et les prédestinations historiques dont ils semblent ne pas toujours s'arranger. La conversion religieuse consiste aussi en un abandon de ce qui a façonné l'individu et en une adoption d'un incompréhensible pour ses pairs. Elle éclaire, d'une part, le fonctionnement social et la place de l'individu dans la société, défendue qu'elle est, par S. Laurens comme un changement de rôle en référence à un modèle lointain, non imposé par la communauté originale. Ce rôle « exotique » ou « hérétique » naît, le plus souvent, de contacts avec les autres communautés de la société ou d'autres cultures et de l'émergence de nouveaux modèles et fonctions sociales, jouxtant des formes anciennes historiques et préservées. D'autre part, parce que la socialisation de l'individu est une suite de changements de rôle et une suite de « conversions » qui permettent à l'individu d'assumer divers rôles de sa palette identitaire et une série irrégulière, de changements, d'adhésions et de remise en question dans les domaines de la vie physiologique, familiale, estudiantine, universitaire, professionnelle et affective, géographique, sociale et politique. Les individus17(*) ne suivent pas les mêmes règles mentales et logiques dans toutes les circonstances. Polymorphe, la « conversion », est donc une affaire individuelle qui revêt des formes diverses selon l'époque, le pays, la religion et l'individu qui la vit, l'observe et la décrit. Parfois, renaissance et renouvellement dans une vie nouvelle, elle peut être une continuation ou un approfondissement de la foi. Instantanée, elle peut être un changement irrésistible et puissant, provocant le basculement complet de l'individu, ou au contraire, elle peut être un long cheminement. La « conversion » religieuse diffère des conversions politique, idéologique et scientifique, pour le psychosociologue, « par la forme mystique que donne parfois le converti à son changement.[...] Souvent les convertis ont eu le sentiment de la présence divine, ils ont senti une puissance irrésistible qui a changé, bouleversé, retourné le cours de leur vie. Parfois, ils ont le sentiment de renaître et la conversion ne se limite pas au domaine des attitudes religieuses. Elle s'accompagne d'un véritable changement d'identité et d'un changement d'appartenance communautaire. »18(*) En quatrième lieu, la « conversion » est un travail qui, dans le cadre un peu particulier de la « conversion » à une religion lointaine, « issue d'un univers dans lequel l'individu n'a pas baigné »19(*), nécessite un effort beaucoup plus important que dans les cas de « conversion » à une religion dite proche culturellement de l'individu. Le « converti » à une religion lointaine se devra, en effet, d'« apprendre toute une religion et son contexte culturel : une langue, une mémoire collective, un imaginaire et évidemment des moeurs et coutumes, des rites... »20(*). C'est le plus souvent le cas des « conversions » à l'islam en situation socialement minoritaire, comme celles qui se produisent en France, si elles n'ont pas eu lieu dans un pays musulman. En cinquième lieu, le psychosociologue distingue deux types de conversion. La conversion ayant pour source unique, la lecture d'un ouvrage mystico-religieux, qui contient tout l'élan du converti ainsi que sa foi, et qui diffère de celles où toute l'adéquation de l'individu s'exprime, dans l'entrée dans la communauté. Dans la première, il s'agira d'une conversion purement individuelle à sens unique, quand l'individu n'a pas le sens des réalités extérieures fournies par la communauté religieuse et porteuse de la religiosité choisie. Dans la seconde, l'identification à la nouvelle communauté et la reconnaissance par les autres comme membre de la nouvelle communauté permettront à l'individu « converti », d'agir pleinement dans le cadre communautaire inhérent à la foi embrassée. Ces deux types de « conversion » peuvent être parfaitement séparés, et existés strictement indépendamment l'un de l'autre, selon les individus. Mais, ils peuvent également cohabiter, après s'être succédés, ou encore laisser la place à l'un ou à l'autre. Le premier type « autiste » précède, généralement le second participatif.

En sociologie, la « conversion » est essentiellement « un arrachement à un milieu social déterminé et l'adhésion à une communauté nouvelle »21(*). Elle est, en conséquence, « un remaniement du champ de l'environnement », indissolublement lié et productif d'« un remaniement du champ de la conscience. »22(*) Changement de croyance religieuse ou morale, c'est une rupture d'avec un modèle culturel et indissociablement une adhésion à un autre. Changement de famille, de communauté, de représentations, de croyances et de significations, la « conversion » est un franchissement de frontières qui s'opère au niveau intérieur, social et interculturel ? Par l'expérience de la « conversion » religieuse l'on franchit les frontières intérieures du sujet, les frontières sociales, celles dogmatiques des croyances en jeu, celles qui distinguent la vie privée de la vie publique et les culturelles. Tout franchissement des frontières qu'elle soit, la « conversion » est également un établissement de nouvelles frontières. Franchissement de frontières intérieures, « la conversion n'est pas un processus radical de changement intérieur, mais un événement initial, promoteur d'un processus de changement qui définit la conversion comme création d'intervalle », elle « peut être la découverte d'une identité personnelle « vraie », oubliée, dissimulée à travers l'épreuve d'une altérité affrontée. »23(*) Si elle enjambe les limites de séparation des croyances, il n'existe pourtant « pas d'activité religieuse finalisée à la conversion et qui la précède historiquement. » Comme franchissement de frontières sociales, la « conversion » religieuse provoque chez le converti un ou des changements de rôle social qui mettent en exergue le rôle de croyant de manière plus ou moins globale et plus ou moins définitive. En tant que franchissement de frontières interculturelles, la « conversion » peut produire l'acculturation ou le métissage de l'individu. Ces franchissements de frontières s'accomplissent le plus fréquemment simultanément, chez l'individu dont il est nécessaire de supposer qu'il détient un dispositif mental de capacité d'assimilation et de réélaborations originales favorable à l'événement « conversion ».

Se convertir implique l'adhésion à un nouveau système de croyance. Comment distinguer alors la « conversion » de l'adhésion ? En effet, « l'adhésion comporte un « mélange » entre les croyances et pratiques traditionnelles » et les croyances nouvelles de l'individu « converti ». La « conversion », elle, peut s'efforcer d'être radicale et stricte, en refusant toute « compromission » avec un système de croyance précédent ou avec les autres systèmes de croyance présents, dans l'univers sociétal. Ainsi, en psychosociologie, d'une part, la « conversion » religieuse se place sous le signe de multiples réinscriptions d'ordre privé et intime et d'ordre collectif et intersubjectif24(*) qui, d'autre part, mettent, sociologiquement, en jeu l'identité individuelle et sociale du converti.

Comme passage d'une communauté à une autre, la « conversion » admet que sociologiquement, « l'identité sociale se forme dans la relation aux autres », et qu'il faut déplacer « l'attention vers les pratiques sociales partagées par l'ensemble des groupes, et vers les lieux et les formes d'interactions entre les groupes ou entre les individus appartenant à des communautés différentes. Reste enfin à prendre en compte les expériences de rupture, de transgression et en particulier les cas et les mouvements de conversions religieuses. »25(*). Puis, s'agissant de l'identité collective26(*), il est possible que « la conversion fonctionne comme un signe de ralliement, [qui] rend plus forte la recherche d'un sens [...] qui s'enracine dans la pratique de sociabilités nouvelles et construit autour d'elles. »27(*) Enfin, l'action de se convertir n'est « non pas [pour autant] la seule manière de trouver le sacré dans son contenu immédiat, mais de le recomposer dans sa forme vide, dans son absence rendue par là même scintillante. »28(*), lorsque règne en société postmoderne, ce que nomme M. Foucault, la transgression comme « une profanation dans un monde qui ne reconnaît plus le sens positif du sacré. »»29(*)

La « conversion » est également un appel à un changement moral, de morale religieuse ou éthique ? Elle est une transformation spirituelle, est-ce un renversement ou un déplacement ?

De la « conversion » religieuse selon la sociologie des religions

De quel renversement et de quel déplacement s'agit-il ? Ces processus concernent-ils tous les individus mobilisés par une « conversion » religieuse ? A quel niveau de l'expérience religieuse de la « conversion » cet événement se développe-t-il ? Est-ce un processus unique dans la « conversion » religieuse ou bien se combine-t-il plus ou moins fortement, avec d'autres processus comme l'acculturation ou l'identification ?

En mobilisant la combinaison des ressources psychosociologiques et sociologiques en relation avec ce que l'individu met en jeu dans ses pratiques sociales, on assiste, en effet, et dans d'autres domaines que le religieux, dans la société postmoderne en France à des phénomènes de renversement de ce que l'individu considère comme une disqualification dont il se sent victime. Cette disqualification, ce stigmate peuvent conduire l'individu à rejoindre une identité éloignée de son identité première, et plus particulièrement, à rejoindre une identité religieuse. Cette identité religieuse peut être éloignée de son identité religieuse originale, « ainsi quand un individu devient musulman alors que ces ancêtres ne l'étaient pas. »30(*) Ce processus est un renversement. Il inclut le refus de la discrimination et est succédé par un déplacement et par l'installation de l'individu dans une identité nouvelle qui donne un sens à son existence. Ce processus est souvent le fruit d'un sentiment de discrimination ressenti, mélange de disqualifications sociales et/ou socio-psychologiques ou plus indistinctement, sentiment d'indifférence ou d'ignorance de sa catégorie. L'individu qui veut en finir avec ce sentiment de disqualification, va fournir un effort pour réinventer sa différence individuelle, subjective et collective.

La « conversion » religieuse s'inscrit, on le voit, dans l'existence individuelle comme l'une des multiples « réponses » individuelles ou/et collectives à ces sentiments ou réalités de discrimination. Echo de conflits intérieurs provoqués par divers évènements psychologiques et interprétations de ces évènements, il s'agit également d'échos de conflits liés à la tension culturelle ambiante. Celle-ci prend racine à la situation d'inégalité des cultures en contact, dans la société postmoderne. Cette mobilisation identitaire est non seulement stimulée par la disqualification, mais elle peut également procéder de la quête du sens et/ou du manque d'identité collective, par lesquels l'individu se soulage et se dégage d'un système social. L'acquisition d'une nouvelle appartenance, en marges des rapports sociaux connus de l'individu, lui permet alors de prendre de la distance par rapport à la modernité, et d'oeuvrer à une réflexivité qui le sauverait de la rupture.31(*)

La démarche ou l'événement de la « conversion » religieuse mettent, entre autres, « en relief le conflit entre individu et communauté ainsi que l'importance décisive du social enveloppé du politique »32(*), dans le contexte de l'incapacité sociétale moderne des sociétés postmodernes à répondre, malgré leur capacité productive, aux besoins fondamentaux des individus. De ce fait, la conversion religieuse est susceptible, non seulement, de témoigner et de tenter de répondre aux frustrations individuelles, dues aux difficultés d'accès à un développement personnel, mais aussi d'ouvrir « une brèche symbolique dans l'édifice religieux mis en demeure par la volonté de plus en plus imposante de l'individu tendant à l'autonomisation vis-à-vis de sa communauté « ethnique ». »

Les processus de renversement ou de déplacement ne sont donc pas seuls en oeuvre, dans le changement produit par la « conversion » religieuse. Ils accompagnent les franchissements de frontières et s'accomplissent différemment, selon les individus, au point même de ne pas apparaître dans la biographie religieuse du « converti ».

Finalement, si « la conversion est un fait qui s'inscrit dans le déjà et le pas encore ; le salut est déjà acquis et pourtant il est encore à conquérir »33(*), cet état « en suspension » est aussi celui de la rupture individuelle que le converti expérimente comme l'abandon d'un état d'existence ancienne au bénéfice de l'accès à un état nouveau34(*). C'est donc, bien ce changement radical qui « engagerait le salut » même de l'individu postmoderne, et qui se produit selon divers modes.

De la « conversion » ou des « conversions »

Il existe différents types de « conversion ». Si les classifications sont diverses, selon les auteurs et les dénominations, les six modèles définis pas J.-L. Blaquart35(*) seront retenus. La « conversion », dite moderne, attirera en premier lieu l'attention, bien qu'elle soit la sixième dans la classification empruntée. Car elle consiste en un certain éclectisme par lequel, l'homme moderne ne veut « plus sacrifier à un ordre collectif dans lequel il devrait renoncer à son identité spécifiquement individuelle : cependant, il garde la nostalgie d'une parfaite harmonie avec son milieu. » L'individu y est « un « moi » irréductible à toute norme exogène qui prétendrait décider de son sort. »36(*) Si ce modèle peut être central pour notre réflexion, les cinq autres modèles ne peuvent pourtant pas être mis sous le boisseau. Une conversion religieuse n'est effectivement presque jamais monolithique, tant sur le plan de la narration faite par le converti, que par la « réalité » même de la conversion. Chaque conversion mêle, selon les différents moments de l'existence spirituelle du converti, des éléments des différents types de conversions définis comme suit.

La conversion traditionnelle est un retour : « l'individu qui se convertit vient à résipiscence [...]. Il restaure le lien qui le retenait à sa culture, rentre dans le rang, revient au bercail, efface la honte, l'indignité, le déshonneur, l'exclusion. »37(*)

La conversion rationnelle est une critique : « elle opère un jugement sur une tradition jusque-là considérée comme vénérable et sacrée, vis-à-vis de laquelle elle prend de la distance [...]. La crisis, rupture par la raison, dédouble la culture : l'opinion et la science, le mythe et la philosophie, l'illusion et la vérité [...]. Elle sert une normativité secondaire [...] et place l'individu au centre d'une conversion qui concerne la culture et ses normes. »38(*)

La conversion biblique met l'accent sur la rencontre : « se convertir, dans la Bible, c'est se tourner vers quelqu'un qui a parlé, et ce faisant, rompre avec des attachements idolâtriques [...]. Elle ouvre une histoire particulière et contingente qui fait espérer un avenir inédit [...]. Cette conversion ne se fait pas sans la décision du croyant, et celle-ci, jamais définitive et irrévocable, est sans cesse sollicitée [...] C'est à lui de choisir entre le vrai et les faux dieux [...] La conversion ne soumet plus l'homme à un ordre collectif qu'il n'aurait qu'à reproduire, elle lui donne au contraire une existence et un poids nouveaux par le mandat qu'elle lui confie de rompre avec le faux. »39(*)

La conversion gnostique est une évasion : « cette conversion-ci ne fait pas assumer le mal par la culture. Certes, l'individu n'y est plus tenu comme coupable, puni par son anomie [...]. Il est cette fois victime innocente d'une chute qui a entraîné le divin dans l'horreur et la pesanteur du monde. C'est sur celui-ci qu'est expulsé le mal. »40(*)

La conversion évangélique est un renversement : le converti n'est alors pas « celui qui respecte la loi et fait valoir ses mérites, mais au contraire celui qui accueille le pardon inconditionnel de dieu. »41(*)

Partie I

Sociologie et religion

De la dimension religieuse

La religion est par nature un fait social, pour trois raisons, selon R. Bastide42(*) : par son uniformité, car « il n'est pas de religion personnelle qui soit tout à fait originale ; le penseur le plus indépendant vit des idées traditionnelles. », dans le sens où les phénomènes religieux subsistent indépendamment des individus et parce qu'elle est contraignante ; les croyances religieuses s'imposent du dehors au fidèle et sont sanctionnées juridiquement parfois, et moralement, toujours. Si donc que le collectif imprègne le religieux, les facteurs individuels sont autant d'indices du religieux postmoderne. Pour en apprécier au plus prêt les spécificités, la théorie de l'échange, celle de l'interactionisme symbolique/phénoménologie et celle de la socialisation comme construction sociale, seront l'expression d'un choix d'une posture exclusive, la pertinence des autres théories.

La religion, du point de vue de la théorie de l'échange43(*), est un facteur stabilisateur de la société tout autant qu'un facteur de conflits. Bien que légitimant, en partie et d'une certaine manière, l'ordre social existant, elle contribue à des changements sociaux et à des conflits générateurs d'innovations importantes, jusqu'à produire des civilisations. Créateur de civilisations, le religieux participe encore de la socialisation individuelle et collective, sous des formes postmodernes qui s'inscrivent dans l'analyse du fondement de l'agir humain, pris à partie par des systèmes culturels et par la satisfaction postmoderne des intérêts individuels.

Dans ce cadre, « le système social est un organisme complexe dans lequel s'observe fondamentalement un échange intense et permanent entre pulsions et informations, énergie et contrôle et dispersion et ordre. Cet échange est régulé à différents niveaux : de celui de l'adaptation immédiate aux exigences génétiques et biologiques à celui où il est demandé aux individus d'intérioriser des modèles culturels et des valeurs morales. » Il s'agit, alors, de mettre en rapport quatre dimensions de l'individu : celle du comportement, de la personnalité, de l'intégration sociale et celle de l'avènement de modèles culturels, tels que les religions historiques, qui s'acquittent d'une fonction sociale décisive, qui tient au fait qu'elles pourvoient le système social d'une source de légitimation, ultime éthique, qu'aucun autre système ne peut lui donner. D'une part, garantie d'une intégration sociale, la religion est un puissant élément de standardisation des actions humaines : comme cadre social à haut rendement, elle régule et unifie une quantité d'informations sociétales aussi bien au niveau collectif qu'individuel. Et, de par sa haute fonction de contrôle, elle permet au système social même, de lutter contre les insatisfactions, les crises, les conflits, les déviances, les gaspillages et les paralysies de certaines parties du système. D'autre part, la religion est un sous-système aux principes de fonctionnement propres aux sociétés dites complexes, mais qui apparaît, dans la société française de la fin du XXè siècle, dépourvu de sa fonction intégratrice historiquement identifiée. En effet, sa fonction est devenue plus celle d'un medium de communication, qui tendrait à rendre tolérable aux individus, un monde de sens indéterminé. Ainsi qualifié, ce sous-système, seul à pouvoir proposer des réponses à des demandes et à des exigences subjectives de sens, sans plus être intégrateur, ne serait plus qu'interprétatif. Cette compétence interprétative de la religion, issue du statut de ressource de significations et de ressource de capacités de déchiffrage, fait d'elle, un des moyens « d'imaginer uni ce qui est divisé, et absolu ce qui est relatif »44(*).

En s'appropriant la dimension subjective de l'être humain dans la société -terrain d'expressivité subjective et de recherche de signification individuelle-, la religion stimule fondamentalement, chez les croyants, le sens d'appartenance et d'adhésion à des objectifs organisationnels religieux et subordonnerait aux stratégies subjectives individuelles ou collectives, les objectifs institutionnels du système social décentré. Dans une société complexe dépourvue de centre, comme la société française de la fin du XXème siècle, la religion tiendrait sous contrôle les angoisses, les peurs, les espérances et les besoins existentiels individuels. Mais, ne pouvant plus pour autant, être un centre possible, d'un tel système social « décentré » ou « acentré », elle est bien facteur de stabilisation sociale et réduit les contingences psychologique, sociale et politique subies par les individus.

Sous cet angle, nous avons envisagé certaines dimensions de la « conversion » religieuse dans la France ultramoderne.

Dans un premier temps, la théorie de l'échange, qui considère la religion comme « un bagage de connaissances et de ressource symboliques cognitives et émotives favorables à « l'investissement de soi », dans les transactions sociales et des négociations quotidiennes entre les individus. »45(*) et qu'elle « appartient au processus de socialisation, elle y sacralise et y rend indiscutables les présupposés éthico-moraux de l'échange social », permettra de tisser, en termes de connaissances, de transactions sociales et de négociations quotidiennes ce à quoi ont affaire les « convertis ».

Dans un deuxième temps, l'approche de l'interactionisme46(*), pose comme postulat la fragilité et le caractère limité de l'être humain. Cette fragilité et ce caractère limités le pousseraient à se mettre en rapport avec les autres pour survivre, en procédant, à la sélection des modes de coopération et de transactions sociales, et surtout, à l'élaboration de représentations symboliques de la réalité sociale. Cette approche impose à l'esprit une « mémoire sélective d'actions favorables à la transaction sociale et pour supporter le « coût » de la vie » et propose que cet esprit y est également et de ce fait, le « produit d'interactions sociales et de rapports de face à face ». La société est, alors une « construction de l'esprit, donc une représentation dont les acteurs (individus ou collectifs) ont besoin pour résister aux pressions du milieu de vie. » Cette représentation est composée par le sous-système, « religion », et fait de la religion un des systèmes de représentation nécessaire à la construction de l'esprit qu'est la société. La religion y est « un système de représentations symboliques élaborées par l'esprit pour une adaptation des valeurs communes. [Elle] offre un mode de fondation d'identités propres et une autodéfinition dans l'espace social. » Quelles représentations symboliques émergent des expériences de « conversion » individuelles à l'islam, aujourd'hui ?

Enfin, dans le troisième temps, la théorie fondée sur la question : comment les individus qui interagissent dans la société créent-ils une vision du monde ? affirme que la socialisation, comme construction sociale de la réalité, conduit chacun à construire différentes provinces de significations qui permettent, à l'individu, de gérer les multiples rôles qu'il a à remplir. Parmi ces provinces, celle de la religion, est un « horizon de « sens » en mesure de fonder un certain point de vue d'intersubjectivité qui permet à l'attitude de « donner pour avérée », l'existence d'un monde ordonné par un principe transcendantal. » Quelles provinces de sens et quels principes de transcendantalité sont élaborés dans l'expérience de la « conversion » à l'islam ?

Ainsi, considérant, la religion comme bagage de connaissances et de ressources symboliques, comme sous-système de représentation sur la base duquel se fonde identités et autodéfinition de la société et enfin comme horizon de sens, à la fois, il est permis d'envisager des relations de l'identité postmoderne avec l'univers du religieux postmoderne.

Religion, « conversion » et identité individuelle ultramoderne

La question individuelle de l'existence d'une communauté de destin se pose dans le champ de la postmodernité qui est balisé par le métissage culturel, estampillé par la critique radicale de la raison moderne, inquiété par la crise générale du futur et fasciné par le développement accéléré des technologies liées à la diffusion de l'information. La mise en commun d'un drame personnel, l'acceptation des limites identitaires et la reconnaissance identitaire sont alors incessamment recherchées par les individus, jusque dans la mise en participation de l'espace du religieux.

Dans un premier temps, à l'ombre d'un tel « désenchantement du monde »47(*), construire une identité individuelle économique, culturelle, familiale et politique est une préoccupation lancinante et très mobilisatrice, du fait, que « les identités sont de moins en moins attribuées et immuables »48(*). Construire, alors, « une identité à contenu religieux peut apparaître comme un moyen de garder la maîtrise du rapport à la société de consommation sans sombrer dans la marginalisation et le désespoir ».49(*) Mais, si une telle construction identitaire permettrait à l'individu d'intégrer le rite et l'interdit, à son histoire personnelle, afin qu'il structure ses limites identitaires et subjectives dans le processus de reconnaissance, dans un contexte où la religion, « dans l'optique postmoderne, ne s'oppose pas à la raison moderne »50(*), l'individu, est devenu un « sujet religieux qui oscille entre tradition et modernité et qui opte pour les croyances du passé tout en se laissant séduire par les valeurs attrayantes de la modernité. Ce choix amphibologique marie les valeurs modernes et les traditions. »51(*) L'enjeu postmoderne de la religion est de rendre possible de jouer avec les limites, afin de se dégager de positions fâcheuses et de « s'y prendre autrement » et de s'ouvrir à autrui, à la différence et à l'étranger.

Dans un deuxième temps, être en religion postmoderne, serait comme un art de vivre, art d'aimer et de mourir, art de manoeuvrer en situation difficile, et porterait l'individu à un travail sur soi, à un exercice ritualisant ce qui est en excès en lui et à un appel d'enchantement de la vie, afin qu'il lui devienne possible de jouir « dans une agilité lumineuse ».52(*) Il s'agit également, pour l'individu « d'appartenir », au sens large. Appartenir, plus spécifiquement encore, selon la théorie ressource mobilization theory52(*), (du point de vue individuel) signifie, procéder ou vivre l'action consistant à mobiliser une ressource individuelle « sur laquelle investir l'énergie, à alimenter avec des techniques adéquates ». Dans ce cadre, l'appartenance religieuse postmoderne pourrait « être l'acceptation de tout ou partie de la série de devoirs auxquels [l'individu] se plie volontairement ou inconsciemment. »

Finalement dans un troisième temps, le rapport au sacré en société postmoderne semble marqué, d'une part, par ce que nomme M. Arkoun53(*), « la religion individuelle », qui révèle du « besoin de philosopher » et qui spécifie cette religiosité comme « le besoin des besoins déjà satisfaits ». Et d'autre part, au vue du nombre croissant d'individus qui interprètent leur vie et leur mode d'existence (sans bénéficier d'interprétations autorisées et extérieures), ce rapport au sacré, et plus particulièrement le rapport au sacré islamique, est stigmatisé par un déficit croissant des connaissances religieuses diffusées et par une différence de plus en plus grande entre ceux qui connaissent spécialement les contenus et textes religieux et la masse des simples fidèles.54(*) Le changement de religion ou la conversion à l'islam revêtent, pourtant, de moins en moins le caractère extraordinaire, dû à la rupture totale avec l'univers social précédemment fréquenté.

En effet, en suivant la théorie que développe M. Wieviorka55(*), basée sur le concept du « triangle de la différence », participer, du point de vue individuel, à la vie sociale postmoderne et à la modernité, « c'est être de moins en moins appelé à se conformer à des normes et à des rôles prédéterminés. »56(*) Car, les valeurs postmodernes dominantes sont plus la flexibilité, l'acceptation du risque et de la complexité, l'incertitude, la disponibilité pour une communication permanente, la capacité de se déplacer, et de changer de métier, de lieu de travail et d'entreprise. Dans ce contexte, le sujet, soucieux de son autonomie, de sa liberté et de sa responsabilité personnelle et l'individu, participant de la modernité, « entrent en conflit avec tout principe d'identité »57(*). Car, cette dernière qui n'est plus définie en termes d'adhésion à « des utopies globales », ne peut, pourtant, s'élaborer sans une stabilité, sans une certaine rigidité et sans une fidélité qui délimitent et établissent « un univers où ce qui advient est relativement prévisible [...] et où les conduites peuvent par conséquent être orientées par des valeurs qui ne bougent pas en permanence. » Il s'agit, donc, pour les individus de vivre avec ces conflits, de les gérer et surtout de s'y retrouver en tant que tels et dans leurs relations aux collectifs. Et il est, alors, question d'accomplir une véritable mobilisation identitaire qui procède de la recherche de moyens, dont le religieux, pour, d'une part, incarner la « liberté sans contenu spécifique » et d'autre part, « être à la hauteur des revendications multiples qui se cristallisent en soi »58(*).

Si ainsi, le religieux est de ces moyens propres, saisis par l'individu postmoderne, pour tenter ce type de réalisation, la mobilisation identitaire, productrice de sens par lequel l'individu pourrait être soulagé, lui permettrait de pouvoir se dégager du système social, afin d'acquérir une appartenance originale, qui marque une distance envers la modernité et fait de lui un « individu ». Cette distanciation favoriserait, à son tour, la mise en oeuvre d'une réflexivité propre à la subjectivité en le réalisant comme « sujet ». Cette réflexivité et cette subjectivité éviteraient à l'individu la rupture sociale, et lui permettraient de se socialiser pleinement, sur la base d'affects et de perspectives religieuses et de développer son « identité collective ». La triangulation individu-identité collective-sujet fonctionne, alors, grâce à la dynamique du choix individuel, dynamique qui s'exprime, également et plus particulièrement, dans le domaine du religieux.

Choisir sa religion répond ainsi aux trois dimensions de l'individu postmoderne : individu-identité collective-sujet, qui en tendant à satisfaire les besoins de ses trois élans interactifs pourrait lui permettre de vivre une identité unifiée et de façon originale, de se mettre en jeu sur trois niveaux, pour entrer, individuellement, en relations avec les univers de la croyance et/ou de l'expérience religieuse et/ou de la pratique religieuse. Que sont ces univers et comment s'articulent les uns avec les autres ? Comment les individus « convertis » vont-ils les fréquenter, les valoriser et en construire leurs identités ?

De la religiosité : trois dimensions

La religiosité est avant tout une « manifestation de formes concrètes, empiriquement observables au travers desquelles, acteurs individuels ou collectifs expriment diverses dimensions de la religion. »59(*) Elle met l'accent sur l'investissement individuel dans les relations d'échanges, sur l'élaboration de soi et l'apprentissage de l'adaptation à la vie et sur le sens à donner pour chaque individu en état d'intersubjectivité à l'existence, et peut être envisagée comme la coordination de trois dimensions, interdépendantes. La croyance fait écho au « bagage de connaissances et de ressources symboliques » d'Homans, l'expérience religieuse, elle, est du ressort des rapports philosophiques de soi à la société et la pratique religieuse, finalement, dégage, plus particulièrement, les aspects concrets et exprimés entre les acteurs, dans le cadre du collectif.

Grâce à la recherche anthropologique de l'origine des formes de croyances religieuses, les dimensions du croire religieux ou de la croyance ont pu être identifiées sur deux plans, celui des besoins structurels de l'être humain et celui des stratégies de satisfaction des besoins du premier. Les stratégies de satisfaction sont anthropologiquement sédimentées dans l'espèce et utilisées au cas par cas, par les individus pour construire des systèmes culturels complexes ou des constellations de valeurs socialement diffusées.

La croyance est, d'une part, une forme de connaissance individuelle, autonome et distincte de la connaissance rationnelle qui peut être ou non verbalisée. C'est l'individu qui lui confère « un plein assentiment rationnel et émotif »60(*). Elle est ainsi fondée sur une forme d'intuition, fruit de la participation active des interrelations entre croyance et expériences religieuses. D'autre part, la croyance est l'ensemble des attitudes individuelles en relation avec un être supérieur ou avec une puissance perçue comme transcendante ou mystérieuse et une relation et un « croire en » qui indiquent une reconnaissance de soumission, d'une limitation et d'une impuissance de l'être humain vis-à-vis d'un « être » puissant, lumineux et plein de vérité. Cette reconnaissance fondamentale porte la connotation « verticale » de la relation par laquelle les individus mettent en ordre leurs systèmes de connaissance, la connotation « horizontale » de la relation. L'ensemble des principes de ces systèmes de connaissance est dérivé de la relation de croyance fondamentale sur la base desquels les individus acquièrent une explication des ordres social et cosmique61(*).

Les individus tendent, dans le cadre des cinq dimensions de la croyance postmoderne identifiées62(*), à fonder l'authenticité de leur(s) croyance(s) en termes psychologiques et en termes sociaux. Ils peuvent rationaliser leur(s) croyance(s) et la(les) faire devenir une partie vitale de l'agir quotidien ou ils peuvent adhèrer à une institution plus ou moins stable, garantie dans le temps et l'espace de la continuité et de la présence significative. Ces compositions donnent à distinguer quatre grands types de croyance : la superstition, le dogmatisme, le fondamentalisme et le mysticisme.

La deuxième dimension de la religiosité, inséparable de la première, est l'expérience religieuse dont l'instrument de mesure est le sacré63(*) comme double catégorie de termes. Cette mesure s'établit en fonction de quatre types de variables.64(*) L'expérience religieuse est une expérience dé-structurante créatrice d'un nouvel ordre de pensées et de valeurs qui survient à un moment précis de la vie individuelle. Elle donne lieu à des attitudes et des comportements plus structurés et est un fondement de structuration de l'individu. Dans le cadre de cette expérience, l'idée de la force puissante à laquelle renvoie la notion de sacré, est perçue comme mystérieuse et inquiétante. L'expérience religieuse touche donc l'individu sur le plan strictement personnel et sur le plan collectif. Elle est immédiate, influencée par le désir d'immortalité, par la peur de la mort, par le besoin d'être aimé et d'aimer et par le besoin de connaître le monde et ses origines. Ce qui la met en relation directe avec ce qui est pointé par M. Arkoun et M. Wievorka précédemment. Si l'expérience religieuse est intimement liée à la croyance, la pratique, elle n'est pourtant pas systématique chez tous les croyants.

La pratique religieuse est la « mise en acte par un croyant d'un ensemble de prescriptions rituelles plus ou moins institutionnalisées plus ou moins imposées pour que l'adhésion à la croyance soit visible et vérifiable. » Pour qu'il y ait pratique religieuse, il faut qu'il y ait non seulement croyance, mais aussi expérience religieuse et il faut pouvoir identifier l'existence d'une autorité, d'un dispositif de rituels et celle d'un corps de spécialistes. Si la pratique religieuse est un bon indicateur d'appartenance, la pratique religieuse invisible peut être néanmoins plus intense que sa visibilité. En effet, dans la pratique religieuse, l'on expérimente le degré de contrainte collective, exercée par le contexte socio-religieux plus large alors qu'elle exprime également, par la fonction fondamentale et originelle, une certaine expérience, une certaine croyance et d'autres fonctions politiques et culturelles.

La pratique religieuse est une aune de mesure et de matérialisation sociologiques de la religion, sous quatre angles : le mysticisme naturel, l'expérience religieuse, la religion de salut politique pour laquelle être religieux signifie être engagé et la religion comme une religiosité sobre, spontanée, fraîche et non contaminée culturellement.

Selon la définition de l'expérience religieuse, la conversion religieuse est bien une de ces expériences, mais elle a entre autres de particulier d'être objet de récit. Qu'elle est la particularité du récit du choc biographique de la conversion religieuse ?

Partie II

Le récit de l'expérience religieuse de la « conversion »

De La « conversion » selon René Guénon ou comment jalonner les intuitions d'une réalité sociologique

R. Guénon65(*) est jusqu'à présent un intellectuel incontournable lorsque le sujet de la conversion à l'islam est abordé. « Cas spirituel »66(*), ce n'est, pourtant, qu'au détour de sa pensée que l'on découvre qu'il fut musulman. Il s'est en effet relativement moins intéressé à l'islam qu'aux « vérités universelles ainsi qu'aux règles symboliques et aux lois cycliques qui régissent leur adaptation traditionnelle. »67(*) En effet, « l'islam apparaît dans l'oeuvre de R. Guénon par ce qu'il a en lui de plus essentiel et transcendant, et donc de plus universellement traditionnel » et que l'intention majeure de son oeuvre « est, à la faveur d'une reprise de conscience des vérités les plus universelles et les plus permanentes, de rappeler l'Occident à sa propre tradition. » Certaines de ses réflexions s'articulent autour des deux notions de la « conversion » et de l'individualisme auquel il a donné une importance prémonitoire.

Ainsi, le philosophe considère d'une part, que la « conversion », au sens large, est avant tout une transformation intérieure, et qu'au sens islamique ensuite, elle « implique à la fois un « rassemblement » ou une concentration des puissances de l'être, et une sorte de « retournement » par lequel cet être passe « de la pensée humaine à la compréhension divine » ». Elle est également « le passage conscient du mental entendu dans son sens ordinaire et individuel, et considéré comme tourné vers les choses sensibles, à ce qui en est la transposition dans un sens supérieur [...] »68(*) Pas de cheminement spirituel, donc, sans « conversion ». R. Guénon estime qu'elle est « une phase nécessaire dans tout processus de développement spirituel ; c'est, donc, insistons-y, un fait d'ordre purement intérieur, qui n'a absolument rien de commun avec un changement extérieur et contingent quelconque, relevant simplement du domaine  « moral » comme on a trop tendance à le croire aujourd'hui (et l'on va même, en ce sens, jusqu'à traduire metanoia par « repentir ») ou même du domaine religieux et plus généralement exotérique. » Le sens vulgaire du mot, lui, « désigne uniquement le passage extérieur d'une forme traditionnelle à une autre, quelles que soient les raisons par lesquelles il a pu être déterminé, raisons toutes contingentes le plus souvent, parfois même dépourvues de toute importance réelle, et qui en tous cas n'ont rien à voir avec la pure spiritualité. »69(*) Pour ceux « qui pour des raisons d'ordre ésotérique ou initiatique, sont amenés à adopter une forme traditionnelle autre que celle à laquelle ils pouvaient être rattachés par leur origine, soit parce que celle-ci ne leur donnait aucune possibilité de cet ordre, soit seulement par ce que l'autre leur fournit, même dans son exotérisme, une base mieux appropriée à leur nature, et par conséquent plus favorable pour leur travail spirituel. C'est là pour quiconque se place du point de vue ésotérique, un droit absolu contre lequel tous les arguments des exotéristes ne peuvent rien, puisqu'il s'agit d'un cas, qui, par définition même, est entièrement en dehors de leur compétence. » Il s'agit de la manifestation « d'une raison de convenance spirituelle, qui est tout autre chose qu'une « préférence » individuelle, et au regard de laquelle toutes les considérations extérieures sont parfaitement insignifiantes » Les autres cas concernent « les hommes qui, parvenus à un haut degré de développement spirituel, peuvent adopter extérieurement telle ou telle forme traditionnelle suivant les circonstances et pour des raisons dont ils sont seuls juges [...]. Ceux-là sont, par l'état spirituel qu'ils ont atteint, au-delà de toutes les formes, de sorte qu'il ne s'agit là pour eux que d'apparences extérieures, qui ne sauraient aucunement affecter ou modifier leur réalité intime ; ils ont [...] réalisé dans son principe même, l'unité fondamentale de toutes les traditions. »

Pourtant, philosophiquement, R. Guénon indique que « d'une façon tout à fait générale, nous pouvons dire que quiconque a conscience de l'unité des traditions, que ce soit par une compréhension simplement théorique ou à plus forte raison par une réalisation effective, est nécessairement, par là même, « inconvertissable » à quoi que ce soit. »70(*) Cela permet de s'interroger sur ce qu'est cette « conversion » pour chaque individu, tant du point de vue sociologique que du point de vue religieux.

D'autre part, l'individualisme selon R. Guénon, « c'est la négation de tout principe supérieur à l'individualité, et, par la suite, la réduction de la civilisation, dans tous les domaines, aux seuls éléments purement humains [...] »71(*) Il insiste encore sur le fait que « l'individualisme implique tout d'abord la négation de l'intuition intellectuelle, en tant que celle-ci est une faculté supra-individuelle, et de l'ordre de la connaissance qui est le domaine propre de cette intuition, c'est-à-dire de la métaphysique entendue dans son véritable sens. »72(*) Pour préciser que « qui dit individualisme dit nécessairement refus d'admettre une autorité supérieure à l'individu, aussi bien qu'une faculté de connaissance supérieure à la raison individuelle. »73(*) Il semble alors qu'il n'est pas concevable d'aborder les phénomènes d'individuation et d'individualisation dans la société française postmoderne sans cette notion d'individualisme que R. Guénon rend responsable du déclin de la vie religieuse dans la France contemporaine, car, c'est justement au nom de l'individuation que les individus composent et revendiquent leur « conversion ».

Pas de « conversion » sans narration : la « conversion » est une histoire intérieure, individuelle et sociale

Le récit de l'expérience religieuse de la « conversion » se situe à la croisée des thèmes de la biographie, du renouvellement postmoderne de l'explication de soi, de l'exercice du témoignage spirituel et de la reconstruction pour interpréter un avant et après existentiels.

Le récit de soi de façon autobiographique ou par un tiers est le plus souvent, construit sur deux axes complémentaires. D'une part, l'axe subjectif fait du récit biographique de « l'identité [...], une narration d'un type particulier. C'est le récit de la façon dont je suis devenu ce que je suis [...], il s'agit d'une narration fondée sur le souci de l'image de soi. » D'autre part, l'axe intersubjectif met en avant « la capacité à reconfigurer notre histoire de vie -le récit de vie devant donc continuellement être refondu au moule de l'expérience- [comme étant] le signe de la préoccupation intense du monde extérieur. »74(*) Le récit manifeste et nécessite, donc « la re-narration perpétuelle, acte de réflexivité individuel, [comme] l'indication d'un processus marqué de formation d'identité. » Cette « élaboration identitaire » démontre, au sein du récit, que « la capacité à établir des renvois est bien plus importante que la nature de ceux-ci. »75(*)

Comme « chaque conversion ressemble à celui qui la subit »76(*) et que « l'époque contemporaine voit le triomphe de l'autobiographie dans les domaines des récits, des mémoires diverses, de l'expérience de prise d'otage »77(*), le récit de « conversion » ne peut ici être contourné. En effet, « la mobilité et l'incertitude » qui règnent dans la société actuelle, dans tous les domaines de la vie, encourageraient, d'une part « les gens à rééxaminer constamment leur récit de vie et à renouveler leur explication de soi au gré »78(*) des expériences. D'autre part, parce que « l'identité relève d'un processus de négociation, dans le monde extérieur, de sa propre image de soi, intériorisée, et [que] cette activité délicate s'exerce le plus souvent sur plusieurs fronts simultanément »79(*), il est incontournable d'envisager la « conversion » religieuse, sans son récit, qui en fait comme une histoire de vie perpétuellement négociée.

Il semblerait qu'au début du XXème siècle, les récits de « conversion » prouvaient l'acuité de l'inquiétude religieuse à l'oeuvre en cette période. Qu'en est-il aujourd'hui ? Quels sens peuvent avoir ces récits de conversions ? Si le récit a pu devenir un véritable exercice spirituel, biographie spirituelle et témoignage personnel, il a été l'expression d'une obéissance et d'un renoncement, pour P. Claudel80(*). Le récit de conversion transforme néanmoins « la quête de soi en expression de soi. [Il est] une histoire de l'âme, de l'action de dieu dans cette âme. »81(*) Mais, « tout en avouant le besoin de l'aveu, du témoignage, Massignon avoue que le récit est impérieusement  « édifiant ». »82(*) Dans certains cas, il est même évoqué comme le moyen d'exorciser le mal.

Le récit de « conversion » s'inscrit encore aujourd'hui, dans cette expression autobiographique et biographique. Le but du récit de l'expérience religieuse de la « conversion » est double, satisfaire d'une part, le « désir d'édification et de diffusion de la « foi nouvelle » et accomplir une « confession » ». Ce souci d'exemplarité dégage la simple confidence et lui donne une portée universelle. Pourtant, le récit écrit ou oral soulève la problématique de l'inévitable « rétrospection » de la mise en quête des causes profondes d'un parcours. Le plus souvent, un récit écrit est constitué de trois étapes. La première explicite l'origine du cheminement, comme « la conversion avant la « conversion » ». La deuxième décrit la quête et la troisième « montre la (lente) conquête de la foi », Dans la première, le converti traduit le « mécontentement de soi et l'insatisfaction douloureuse » qui le poussent, et c'est la deuxième étape qui la narre, à la « recherche de réponses aux troubles décelés », à la « démonstration de l'impuissance des autres systèmes de pensée et la valeur de ce qu'il a choisi. »83(*) Le sens et le « fil du récit » sont présents dans les cassures et les explications que l'on en donne84(*). Dans le tracé de vie du « converti », il y a une infidélité, traduite à un certain moment en une fidélité nouvelle, relativement stable, parfois définitive. Il y a un avant et après, dont le constat se produit dans le récit de « conversion ». Dans la différence qui marque ces deux temps, « chercher des raisons claires et conscientes dans l'après pour expliquer l'avant » 85(*) est vain. Car, lors du récit qui est déjà une reconstruction, pousser les individus à trouver ces raisons, les entraînera à forcer le trait de l'interprétation, à rechercher des raisons et des motivations en reconstruisant un « avant « conversion » » à la lecture de l'« après « conversion » », et ce, le plus souvent dans le champ du mysticisme, ajoutant « inconsciemment » ainsi au mystère de leur changement. Gardons à l'esprit avec S. Allievi que « l'écoute des récits de « conversion », avec leur ré-élaboration ex-post toujours tellement « évidente » [...] devient immédiatement suspecte aux yeux du chercheur. »86(*) Qu'en est-il des récits de « conversion » à l'islam en France postmoderne ? Sont-ils soumis aux mêmes contraintes et aux mêmes vigilances ?

Des récits de « conversion » à l'islam

Pour certains, le passage d'une croyance à une autre, peut être une manière de se mettre en scène et d'aborder un répertoire dont les médias se font complaisamment l'écho, même en négatif, comme dans le cas de l'islam. Les récits de « conversion » peuvent se conformer assez souvent à des modèles littéraires et à des itinéraires emblématiques, comme ceux des plus connus comme R. Guénon, Eva de Vitray Meyerovitch87(*) ou encore de Vincent Mansour Monteil et des plus médiatisés, comme Malcom X, Mohammed Ali, et autres stars du sport ou du show-business. Quoiqu'il en soit, ces récits de « conversion » à l'islam n'échappent pas aux spécificités des autres récits de « conversions ». En revanche, on ne se dit sûrement pas musulman de la même façon à l'heure actuelle qu'au début du XXè siècle88(*) ou encore de la façon dont cela a pu se faire dans les années soixante. Pourtant, le « converti » à l'islam emprunte aux musulmans sociologiques, le vocabulaire qui lui permet de se dire musulman. Celui qui narre son expérience religieuse de « conversion » à l'islam, semble s'accorder un statut de locuteur autorisé à dire l'islam, tout en se défendant d'appartenir à la catégorie des savants en matière religieuse islamique. La question de la reconstruction et de la ré-élaboration du cheminement se pose de la même façon, dans ce cadre que dans ceux des autres types de « conversions » religieuses.

Partie III

La conversion à l'islam

De l'islam en Occident

Comme « les déterminants qui déclenchent la conversion diffèrent d'une époque à l'autre, d'un pays à l'autre et même d'un individu à l'autre »89(*), connaître ce que furent des conversions à l'islam, la situation de l'islam en Occident et les thématiques individuelles nous permettra de dégager les dimensions qui ont lieu de se développer dans la société postmoderne et de faire les distinctions les différents angles d'élaborations des « conversions » contemporaines.

L'islam n'a jamais été une entité structurée et cohérente, comme toutes les civilisations traditionnelles, il fut multiple et divers. Phénomène complexe, l'islam a d'une part, entretenu des relations avec l'entité Occident, de croisements, de rencontres et de fécondations mutuelles actives dans le théâtre commun de la Méditerranée, au point d'avoir « été à l'intérieur de l'Europe, il est interne à l'Occident. »90(*) D'autre part, « l'islam est pluriel, les formes qu'il a pu prendre historiquement sont variées, les réalités géo-culturelles qu'il a embrassées sont extrêmement diverses » ce qui permet de « considérer que l'islam des origines contient de nombreux principes parfaitement compatibles avec l'éthique laïque. »91(*)

Qu'est ce qui caractérise l'islam en Occident aujourd'hui ? Sa présence en Europe, en France, en ce début de XXIème siècle, n'est pas le produit d'une conquête, mais le fruit de déplacements historiques, politiques et sociologiques de populations. Il se veut d'abord et d'emblée « désincarné » culturellement ou socialement. Effectivement, il refuse d'être une religion « ethnique » et l'expression d'une culture d'importation. Enfin, sa situation minoritaire en Occident, qui n'est pas inédite, a l'originalité de faire vivre à l'univers musulman traditionnel ainsi implanté, les affres et les merveilles de la mondialisation, autant que tous les autres univers religieux en présence. S'il est vrai que l'on identifie des phénomènes de réislamisation au sein des populations traditionnellement héritières de l'univers spirituel islamique, ils accompagnent plus qu'ils ne s'opposent aux processus d'acculturation qui traversent les sociétés occidentales postmodernes. Cette réislamisation, en tout cas dénommée comme telle, est en fait l'expression de « la conscience que l'identité musulmane, jusqu'ici simplement considérée comme allant de soi, parce que faisant partie d'un ensemble culturel hérité, ne peut survivre que si elle est reformulée et explicitée en dehors de tout contexte culturel spécifique, qu'il soit européen ou occidental. »92(*) Cette réislamisation pour les uns et cette « islamisation » pour les autres, les quelques rares convertis, « est liée à la volonté de définir un islam universel [...] dont la fragilité et l'historicité deviennent soudain évidentes. »

L'islam : quelques éléments

Quels sont les particularismes de la foi et de la pratique islamiques ? Le thème central de la solidarité permettra, d'une part, d'envisager succinctement les aspects individuels et collectifs mis en oeuvre dans la croyance islamique. D'autre part, quelques points essentiels de « théologie » islamique seront exhaustivement présentés.

Monothéisme révélé et religion du Livre, l'islam est avant tout une attitude. « Cette attitude fondamentale existentielle de gratitude [...] contient un principe de réalisme : l'acceptation respectueuse par l'homme de sa personne, d'autrui, de l'univers et de la dimension transcendante --donc pas immédiatement perceptible-- de la Source d'où découle leur signification ultime.[...] Il veut être une attitude de confiance réaliste et non une foi aveugle. »93(*) L'islam est également un acte : « l'acte d'islam se présente en même temps comme acte de foi et obéissance, mystique et éthique : l'acte d'islam, acte existentiel et conscience d'une relativité foncière, est aussi bien abandon de soi confiant qu'obéissance à une interpellation éthique irréductible. »94(*) Foi, attitude et acte, l'islam « est un façon de vivre générale, impliquant conviction et action. »95(*)

Du point de vue normatif, dans un premier temps, « la tradition religieuse coranique [a] un caractère normatif en tant qu'héritage immuable et sacré transmis de génération en génération alimentant la vie privée et publique. »96(*) En islam, comme en calvinisme, « le salut doit commencer à être conquis dans ce monde, le travail, la profession et la capacité d'entreprendre sont mises en avant. »97(*) La croyance collective qui se manifeste dans l'appartenance à la communauté de fidèles unique et globale de la Umma, conçoit la société comme une société d'égaux. Modèle parfait de collectivité harmonieuse, cette communauté est fondée sur la parole révélée du Prophète Mohammed. L'islam porte donc l'idée d'accomplissement historique et de conclusion de l'évolution humaine, bien que paradoxalement, selon les auteurs consultés, il « fournit un dispositif mental d'une capacité extraordinaire d'assimilation hors des frontières du monde arabe primitif et de réélaborations originales et d'une incapacité structurelle d'assimilation. »98(*) Dans un deuxième temps, selon l'approche marxiste, l'islam est facteur de stabilité sociale, certes, mais est un frein à l'émancipation économique.

La notion de solidarité, retenue par les sciences sociales entre autres, est « éminemment religieuse », car elle « exprime la vocation spirituelle unitaire de l'islam et la vertu sociale collective de son message. » Elle permet d'envisager l'intersubjectivité postmoderne sous l'angle tant de l'appartenance, que sous celui de la responsabilité individuelle et sous celui de la fierté de soi, dans une société qui prône, comme en France, les valeurs d'égalité et de fraternité auxquelles l'individu devrait pouvoir avoir un plein et entier accès.

Les différents niveaux d'expression de la vocation unitaire en islam s'articulent autour de deux grandes thématiques : L'islam, comme religion de la justice sociale, base ses principes d'économie par la zakât99(*), sur la solidarité sociale et la Umma100(*). Comme communauté humaine idéale, il recèle une double dimension de solidarité, spirituelle et sociale.

Le sens de la solidarité se traduit en sept points dans les obligations cultuelles : « en combinant spirituel et vécu, en reliant le monde à Dieu, en affirmant son approbation sans réserve à la Loi divine et à l'Unité absolue du Créateur (al-shahâda), le croyant se déclare volontairement solidaire de tous les autres croyants et intériorise profondément cette solidarité qui va jusqu'à la fusion avec »,101(*) la Umma.

· La prière, elle, « relie le fidèle aux croyants et l'intègre au monde universel. Elle lui confère sa dignité par une vision transcendantale de sa nature. De ce fait, elle exige, corollairement, l'humilité des gestes simples et identiques » accomplis par les musulmans, ensemble, quel que soit leur rang social. La prière exprime l'unité et la cohésion, l'unité spirituelle des croyants entre eux, et du croyant lui-même et la solidarité dans la foi.

· L'aumône (al-zakât), obligation éminemment religieuse est un acte d'assistance sociale et un droit réciproque à vocation solidariste.

· Le rôle social de la Mosquée, lieu de prière et de communion, est aussi un espace où les plus démunis viennent trouver refuge et soutien.

· Le jeûne (al-siyâm) est fondamentalement un acte de solidarité envers les pauvres et envers l'ensemble de la Umma. Il est un des fondements du solidarisme et de l'égalitarisme. Epreuve de retenue du corps, de raffermissement de la volonté, de libération de l'homme de ses passions et purification de sa spiritualité.

· Le pèlerinage (al-hajj) représente la plus explicite solidarité communautaire. Il réunit sans distinction de classes, de race d'ethnies ou de coutumes, dans une égalité parfaite, les membres de la Umma qui peuvent le faire financièrement et d'un point de vue de santé. Il est la preuve de l'unité communautaire mythique et est l'expression unificatrice et solidariste de l'islam. Il est le lieu de brassage d'idées, de revendication alternative dans le cadre du rêve de l'unité que tous courants religieux prônent.

· Le jihad, de la racine arabe J. H. D., signifie l'effort personnel à accomplir constamment par le musulman pour respecter l'éthique et la morale religieuses, être solidaire de ses proches et à participer à la rénovation intellectuelle et morale incombant à la communauté. Affirmation d'une appartenance communautaire et d'une défense de l'unité du Dâr al-islam, il tient de l'idée du devoir universel de solidarité organique de la Umma.

Les vertus individuelles, selon le Coran, code éthique, sont la justice, la charité, la solidarité comme bases de la sociabilité. Le devoir de solidarité prime sur le droit individuel. La vertu sociale essentielle est collective plus qu'interindividuelle. Tout acte social est une expression de la foi intérieure (al-imân) et est une reconnaissance de l'individu, de sa raison et de sa « liberté ».102(*)

Si l'islam est une attitude, c'est aussi l'enseignement d'une pratique du salut, fondée sur la foi en Dieu et en son Livre qui est sa loi. Dans ce cadre, le musulman reçoit le Livre pour le goûter et pour l'analyser. Il se doit de faire un effort pour le prendre et le lire, avec le plus d'exactitude possible. Dieu, en Islam, est par essence transcendant : il n'est assimilable à rien, ni aux choses, ni aux gens. Il est suprêmement créateur, et sa création ne peut en aucun cas lui être comparée. Aussi proche qu'il soit de l'homme, il lui reste néanmoins irréductiblement extérieur. Et « c'est par structure ontologique fondamentale qu'il y a, dans l'islam séparation entre le spirituel et le temporel, entre l'être spirituel et les êtres temporels. [...] En islam, la distinction entre l'Etre et les êtres est radicale. »103(*) Comment entre-t-on alors en islam, dans la France postmoderne ? Comment change-t-on de système religieux ?

De La conversion à l'islam dans la société postmoderne

« Se convertir pour entrer dans un groupe majoritaire qui détient le pouvoir, ce n'est pas se convertir pour entrer dans un groupe minoritaire et disséminé. » Les conversions à l'islam s'inscrivent dans la seconde situation et ne concernent qu'à peine 100 000 individus, en France au XXIème siècle.

Comme l'islam contemporain est aussi divers que l'islam historique, ses particularités, en France postmoderne, peuvent être classées sur trois niveaux. D'une part, transplanté, l'islam est minoritaire bien que quantitativement évalué comme la seconde religion du pays. Et, d'autre part, le groupe des musulmans est plutôt considéré comme méprisé et dévalorisé. Ses membres, le plus souvent immigrants sont largement représentés socio-professionnellement, au bas de l'échelle sociale. Les relations inédites de l'islam et du monde chrétien en terre de sécularisation et d'oecuménisme ambiant, favorisent une double et contradictoire perception : l'islam est en France un rival et allié. Les évènements internationaux depuis plus de vingt ans, de la révolution iranienne, en passant par le conflit israëlo-palestinien jusqu'à l'attentat du 11 septembre 2001, contribuent également à ces sentiments d'attraction et de répulsion dont le voisinage historique des mondes chrétien et musulman ont toujours été empreints. L'islam est donc, non seulement, une « réalité qu'on ne peut désencastrer des autres dimensions de l'action sociale globale »104(*) française, mais aussi une réalité dont la transnationalisation « qualifie d'une manière significative la présence des musulmans sur le continent. »105(*)

Du point de vue plus interne à l'islam en France, il est possible d'observer d'une part que les conséquences de l'occidentalisation du monde le soumettent aux effets de la modernité, inconsciemment ou non, passivement ou non, le tenant dans « un entre-deux, entre la perte de ce qu'il fut et dans l'attente infinie de ce qu'il sera. »106(*) Il s'agit alors avec F. Khosrokhavar de constater que l'islam en France, en un demi siècle, à subi une mutation : de religion de l'extérieur, il est devenu religion de l'intérieur. Cette mutation induit d'autre part, ce qu'affirme S. Allievi107(*) que « l'islam en Europe est affaire d'individus. » La communauté musulmane est, en effet, « une réalité qu'il faut éventuellement construire, inventer au sens propre du terme. Son présupposé est celui d'une adhésion individuelle et volontaire. » Ce qui lui est en soi une nouveauté, car dans les pays d'origine, l'appartenance à l'islam est « un fait héréditaire social de clan ou d'ethnie. » En Europe, par la logique individuelle qui dégage l'islam de son statut communautaire, culturel et social, l'on est musulman « parce que justement l'on n'est plus ni arabe, ni turc, ni persan. » Les convertis eux n'ont jamais été qu'européens.

En France, si l'appel à l'islam s'accomplit, c'est « en référence à un universel alternatif »108(*) à celui de la société française et, surtout à celui de la mondialisation, perçue comme dominante. Au sein des musulmans eux-mêmes, il y a donc « une transaction culturelle »109(*) dont les « convertis » bénéficient plus facilement. En effet, ils y participent sur les deux versants. Sur le versant de l'islam, ils ont un « fonds culturel islamique égal voire supérieur à celui de leurs homologues de la seconde génération »110(*) (ce qui tend néanmoins à s'atténuer depuis quelques années sur certains types de connaissances). Sur celui de la société française dont le cadre de « référence est laïque et pluraliste »111(*), ils connaissent ce cadre de l'intérieur, pour y avoir été éduqués et pour le vivre. Ils en connaissent les implications, les contraintes et les opportunités.

Se convertir à l'islam implique, certainement dans un tel contexte, d'une part, de lutter contre la certitude que le « converti » est en passe de déchoir socialement, politiquement et éthiquement, ce qui diffère des « conversions » à l'islam dans les époques antérieures. Et, d'autre part, d'envisager l'islam des « convertis » comme étant toujours une option à l'intérieur d'une ample phase de transformation individuelle. En effet, selon « les éléments constitutifs d'un modèle de conversion à l'islam des origines, selon l'islam sont une entrée dans l'islam conçue non, comme un événement révélateur, mais comme un événement promoteur de changement, une instruction religieuse qui peut se situer « après l'entrée en islam », un changement intérieur qui doit s'accompagner d'un changement extérieur, complémentaire et même pouvant le précéder puisque le corps n'est pas « expulsé » en dehors du domaine de la religion. »112(*)

Enfin, se convertir à l'islam implique un changement particulier de système religieux. Passer du christianisme à l'islam consiste, en effet, à changer, entre autre, de texte, mais et surtout, à changer de système de lecture. Les messages de l'un et l'autre sont différents, mais la lecture coranique ne peut s'accomplir comme celle de la Bible, de théologie historisante. Ce sont les Evangiles qui seraient les plus semblables à la Sunnah, les difficultés de lecture seraient alors moins grandes.113(*)

C'est pourquoi, « les convertis doivent [au contraire de la première génération de l'islam migratoire] justifier avant tout à leurs propres yeux, leur référence à l'islam. »114(*) et qu'ils sont « probablement l'exemplification la plus évidente du processus d'obligation de choix » 115(*) forte, qui touche l'ensemble des sphères de la vie individuelle et collective postmoderne. Il ne peut s'agir, dans leur cas, que d'un choix qui participe du « succès de l'islam mystique qui puise ses forces dans la recherche d'une spiritualité personnelle plus intériorisée » 116(*) de leur part, et « dans l'absence d'une communauté « gardienne de la tradition » à laquelle ils pourraient se référer. »117(*)

Le constat global que les « convertis » se tournent plus vers les confréries soufies permet d'évoquer une certaine « soufisation de l'islam »118(*) en France. Pourtant, quelles que soient les configurations de la « conversion » à l'islam en France ultramoderne et bien qu'elles soient le fruit d'un islam transplanté, les « convertis » n'en sont pas moins un groupe représentatif de l'islam en/de France, mais aux caractéristiques particulières. Ils sont, en effet, plus ou moins organisés, pour certains, en « entrepreneurs sociaux du sacré » ou en « entrepreneurs juridiques indépendants » plus ou moins écoutés, et ont « leurs propres réseaux de relations et de promotion réciproques ». Tous les « convertis » se caractérisent par « un certain autodidactisme et une autonomie substantielle par rapport aux centres traditionnels de production de sens et de norme [du sacré islamique] ». En revanche, ils subissent moins l'obligation imposée par le contrôle social qui pèse sur les « musulmans sociologiques » et ne sont pas autant soumis à la nécessité d'atteindre une adéquation aux comportements traditionnels qu'ils ignorent cultuellement. L'intériorisation du sens de la pratique et le témoignage de la foi individuelle priment, le plus souvent, chez eux, sur les observances rituelles. Bien que le camaïeu des pratiques de l'islam des « convertis » comme celles des musulmans sociologiques peuvent se décliner du « désengagement total à des formes très exigeantes d'orthodoxie »119(*), elles ont « en commun le triomphe de la logique individuelle. »

L'islam en France peut être considéré comme une minorité sociologique et psychosociologique. Minorité, car il est numériquement faible, mais par le fait également que le groupe des musulmans est négativement connoté. En effet, ce groupe a tort a priori et est envisagé comme étant en conflit à cause des positions étranges ou anormales qu'il soutient contre ce que le « bon sens » majoritaire partage. Ainsi, bien que pour le futur converti, l'islam soit avant tout étranger et extérieur à lui, l'objet « islam » va s'implanter chez certains, plus sûrement et plus profondément qu'il est rejeté, dénié, critiqué et non pas simplement accepté.120(*) Cette situation spécifique est incontournable car la « conversion » religieuse est toujours accompagnée d'une subjectivité qui « se situe dans le cadre de la subjectivité des groupes »121(*) et dont elle ne peut en aucun cas faire l'économie. En effet, « avec la conversion, l'identité se modifie. Subjectivement d'abord puisque c'est le converti lui-même qui ressent ce changement dans sa personnalité, dans son rapport au monde. Socialement, puisque le converti abandonne une identité, une place dans une communauté pour adopter une nouvelle identité, une place dans une autre communauté. [Ce changement] conduit l'individu à abandonner une position, un rôle établi pour assumer après son changement une nouvelle position, un nouveau rôle. »

L'enquête, son analyse et ses commentaires vont mettre en rapport l'ensemble des principes théoriques recensés de la question de la conversion et plus particulièrement de la conversion à l'islam en France de la fin du XXème et du début du XXIème siècles et les réalités individuelles et collectives relatives à la conversion à l'islam dans une quête spirituelle individuelle.

Partie IV

Enquête et analyses

Hypothèses et contexte

L'ébauche d'une stéréoscopie de la « conversion » à l'islam chez les hommes à la fin du XXème siècle et au début du XXIème s'attachera à « superposer » les points de vue des convertis exclusivement. Croiser les éclairages et les images produites par les autres acteurs potentiels de cet événement qu'est la « conversion » serait à finaliser ultérieurement. L'analyse et le commentaire du matériau collecté s'équilibreront dans une dialectique classique entre le pôle de la découverte ou phase exploratoire et le pôle de vérification, d'une part et d'autre part, en mettant l'accent sur la subjectivité et l'intersubjectivité que manifestent les « convertis ».

L'hypothèse de départ, consiste à supposer qu'il existe dans la société française postmoderne des « convertis » à l'islam, d'origine sociale « favorisée », hommes et femmes, de formation supérieure, âgé(e)s de plus de 30 ans, vivant en région parisienne, de toute origine religieuse, et n'ayant pas eu de contact avec la culture ou le monde musulman dans leur enfance et adolescence. Le type de « conversion » recherché est celui d'une « conversion » à l'islam comme résultat ou fruit d'une quête spirituelle individuelle, distincte de la « conversion » dite « opportuniste », liée, particulièrement à des nécessités sociales, comme le mariage avec un musulman sociologique. Enfin, les « convertis » d'une telle typologie qualitative pouvaient ne pas être affiliés ou rattachés à une obédience particulière de l'islam. Ce qui serait défini comme de « l'indépendance » envers des courants ou groupes religieux musulmans. C'est donc l'expérience religieuse de la « conversion » qui a primé en termes de mobilité sociale et culturelle, comme passage ou franchissement de frontières et élaboration de soi.

Ce portrait imaginaire a été élaboré à partir de trois sources d'expériences de la vie sociale ultramoderne en France et dans le monde, allant du plus particulier et anonyme, aux plus célèbres des domaines de la politique, de l'université et de l'art. Il s'agit, dans un premier temps, d'une rencontre fortuite avec une personne ayant ces caractéristiques (il y a un peu moins de 10 ans) ainsi que celle de français qui, au cours d'un cursus d'études universitaires de langue arabe classique ou dialectale à Paris, n'étaient pas insensibles à l'islam du point de vue historique, anthropologique et politique, sans pour autant se déclarer être convertis. Puis, dans un second temps, de la lecture d'ouvrages produits par des « convertis » comme René Guénon, Vincent Mansour Monteil et Eva de Vitray-Meyerovitch. Et enfin, dans un troisième temps, de l'observation de la médiatisation originale et significative de l'expérience de « conversion » de stars du sport, de la World Music, dans les pays anglo-saxons et plus récemment en France, et du constat des manifestations de personnalités médiatisées comme M. Béjart, M. Chodkiewick et A. Guiderdoni, pour ne citer qu'eux, ou d'autres personnalités universitaires, spécialistes d'histoire, de civilisation, de politique ou de langue arabes.

Pour être arabisant lui-même, le chercheur a nourri, au cours de son expérience, sa curiosité concernant les interactions sociales ultramodernes du monde musulman et de la culture arabe avec l'univers français, dans le cadre des rapports politiques internationaux de ces 25 dernières années, marquées par la révolution iranienne, le conflit israëlo-palestinien, la guerre civile en Algérie, les conflits entre l'Inde et le Pakistan, les vagues de migrants issus de pays de tradition islamique, en France, le terrorisme et l'augmentation des voyages vers l'Orient ainsi que les dimensions culturelles voire folkloriques de la culture arabo-musulmane, des rapports du religieux au monde postmoderne, des rapports du religieux à la laïcité, des rapports des différentes croyances monothéistes entre elles, dans le monde et en France, en particulier et de l'émergence de revendications religieuses sur la scène des relations sociales françaises et internationales.

Afin de constituer un échantillon significatif de « convertis », supposés tels, et de réaliser avec chacun d'entre eux un ou des entretiens, il fallut trouver les moyens adéquats pour les rencontrer. Par le biais de ces entretiens, il s'agissait de pouvoir collecter le matériau central recherché : le récit de leur rencontre avec l'islam et de leur expérience religieuse de la conversion l'islam.

La fréquentation depuis presque 15 ans de groupes et d'individus de la sous-culture « arabo-musulmane » à Paris, plus particulièrement, tant pour des raisons personnelles qu'universitaires ont permis de savoir expérimentalement que le thème de la religion et plus spécifiquement de la conversion concerne, dans le cadre de la laïcité française, la sphère de l'intime individuel. Cette sphère est si privée, que « dire » la « conversion » à l'islam s'avère conditionné par la spécificité du religieux et plus particulièrement de l'islam en France, par les caractéristiques psychosociologiques de l'expérience intime de la « conversion » et par celles des rapports historiques entretenus entre l'islam et l'Occident. En effet, et l'on retrouve déjà la prégnance du « secret » dans les récits de conversion aussi bien au sein d'une même religion monothéiste que de l'une à l'autre ; cette expérience et sa confidence sont jalousement protégées par l'individu qui les vit.

Ces nombreuses raisons qui irriguent cette discrétion ont imposé de s'armer de patience et de précautions, d'outils de contacts précis, pour favoriser les rencontres et la spontanéité de chacun de ceux qui ont constitué l'échantillon présenté, de participer, par leur récit, à cette recherche et de maintenir le souci de la mener à bien, scientifiquement tout en respectant leur intimité. C'est la raison pour laquelle, l'anonymat des personnes sera préservé dans ce travail. D'autant plus impérativement depuis les évènements du 11 septembre 2001, qu'il est observé, simultanément à un regain d'intérêt pour l'islam, un repli identitaire de la part des musulmans dans touts leurs diversités. Les « convertis » sont évidemment dans un tel contexte, encore plus sollicités, mis à l'épreuve d'interrogations les plus diverses et mis en demeure de justifier leur foi islamique. Ils se méfient donc et sont encore plus difficiles à rencontrer.

Les « convertis » médiatisés ont été écartés d'emblée, sujets qu'ils sont déjà de nombreuses sollicitations. Mais, le voeu pieux d'inclure des personnalités universitaires, dans l'échantillon ci-joint, n'a pas influencé l'effort de centrer la recherche sur les « anonymes ». Les universitaires, en effet, s'ils ne « revendiquent » pas leur état d'être musulman dans les sphères publiques et officielles, sont identifiables par leurs écrits ou productions, qu'ils signent, le plus souvent, de leur nom accompagné d'un prénom arabe : un indice qui avertirait de leur appartenance (ce qui ne signifie pas qu'une personne ayant un prénom arabe et un nom à consonance européenne, soit systématiquement un « converti »). Pour les contacter, la méthode à consister à leur écrire, le plus souvent, par le biais des institutions dans lesquelles ils travaillent ou par celui des maisons d'éditions qui diffusent leurs ouvrages et à leur soumettre le plus objectivement possible les tenants et les aboutissants de ce travail. Ecrire, à la fin du XXème siècle signifie utiliser deux modes de communication : la poste « classique » et le courrier électronique par voie internet. Ces deux modes ont été utilisés indifféremment, simultanément ou l'un après l'autre. Le plus souvent le mode électronique finit par dominer.

Pour contacter les « anonymes », il s'est agit de choisir un des trois modes suivants : celui de l'immersion dans le monde associatif musulman ou interreligieux, ce qui était déjà le cas pour le chercheur depuis de nombreuses années, du fait de ses études précédentes, celui de l'activation d'un réseau de relations et enfin celui de « l'annonce ». Envisager le troisième mode, a été motivé, de façon essentielle, pour éviter au maximum l'éventuelle situation relationnelle du « harcèlement » du chercheur envers ses interlocuteurs. Il lui semblait, en effet, relativement inévitable de s'achopper à cet écueil. Car souhaiter rencontrer quelqu'un qui ne vous connaît pas, qui ne connaît pas ou ne voit pas « l'intérêt » de vous parler d'une telle expérience intime, dans le contexte de suspicion ambiant envers la communauté musulmane internationale et nationale (terrorisme, attentats, actualité) et provoque des sortes de paranoïas et de méfiances plus ou moins rationnelles, plus ou moins légitimes. Il s'est donc agit de se mettre en situation de les « apprivoiser ».

L'islam et les technologies : internet

Le troisième mode, « l'annonce », a été privilégié bien qu'il mette le chercheur en une situation d'attentisme, dans les débuts de l'enquête, tout au moins. Il est, en revanche, chargé de qualités au regard de la préservation de la spontanéité et de la liberté du converti à accepter de faire ce récit et de sa volonté presque totale qu'il a à le faire ou pas. Il a fallu, ajuster sa recherche, au cours de la réception des réponses en retour, et être vigilant quant à l'éventuel ajustement du profil de ceux et celles qui correspondaient au mieux à au portrait idéal d'hypothèse. En l'absence d'une presse écrite, en français spécialisée et diffusée régulièrement, traitant de l'islam en France et les difficultés et les lenteurs des procédés d'immersion ont dégagé Internet comme le support le plus adéquat pour la diffuser et « toucher » le potentiel de « convertis » à l'islam recherchés. Depuis 1999, « l'annonce » a été diffusée sur deux sites électroniques dédiés à l'islam en France allahouakbar.com devenu oumma.com en 2000 et, le site des « Cahiers de l'Institut des Hautes Etudes Islamiques » qui fut tardivement sollicité, lors de la rencontre avec son Secrétaire général122(*).

Le support a semblé adéquat pour trois raisons. D'une part, technologie de communication de pointe et internationalement consulté, ce support offre un potentiel de personnes susceptibles de lire une telle requête, bien supérieur à tout support papier. Il est privilégié par les associations islamiques (les sites francophones sur l'islam pouvaient être recensés, en 2002, à une hauteur de 70, selon les moteurs de recherche utilisés). Il existe depuis peu, un annuaire électronique des sites islamiques francophones. Enfin, dans certains sites, il est possible de trouver depuis moins de deux ans un « salon des « convertis » », dédié donc aux nouveaux venus en islam et offre également un terrain de relations interindividuelles et inter-sites qui décuple le potentiel (celui ou celle qui ne consulte pas Internet est, de près ou de loin, toujours en contact avec quelqu'un qui en fait usage et donc peut être « touché »). D'autre part, ce support laisse une entière liberté aux individus (comme le support presse classique d'ailleurs) de répondre ou non à « l'annonce », d'un poste informatique personnel ou professionnel, de les assurer de leur anonymat ou d'être préservés de tout abus concernant leur vie privée et d'établir un contact rapide et une série d'échanges écrits à même de contourner, pour les interlocuteurs, la passivité dans laquelle ce mode peut les installer. Pour le chercheur, la « sélection » se fait également de façon plus efficace, plus ciblée et plus qualitative. Finalement, ce support a pour avantage d'être très peu coûteux, tant pour le chercheur, qui a essayer d'exposer, de la façon la plus neutre possible, ses motivations de recherche, que pour ceux avec lesquels il souhaite entrer en contact, et permet, d'autre part, un gain de temps et une « efficacité » intellectuelle satisfaisant pour les intervenants.

Ce support comporte pourtant des inconvénients. Le nombre de personnes en France possédant d'une part, un ordinateur personnel et donc un accès Internet est relativement faible et l'estimation, d'autre part, du nombre de « convertis » à 50 000 individus environ123(*), ont mis le chercheur face à une minorité en minorité. Il aurait risqué de ne pouvoir contacter que très peu de personnes. L'anonymat, si cher à ce support de communication, peut induire des relations électroniques faussées, et à nouveau stimuler la méfiance voire la paranoïa des acteurs les uns envers les autres. Il peut également bloquer la relation scripturaire engagée au stade électronique et ne pas permettre au chercheur d'accéder à l'entretien en direct. Moins coûteux qu'un support traditionnel (une annonce en presse quotidienne coûte environ 45 euros), il peut paraître onéreux à moyen terme, quand les échanges se prolongent. Il nécessite d'avoir à disposition un matériel informatique actualisé et une capacité rédactionnelle de tous les acteurs. Et peut finalement ne pas permettre au chercheur, de recueillir suffisamment de contacts et d'accords pour constituer son échantillon.

Toutes ces caractéristiques ont influencé l'hypothèse de départ sur sept niveaux. Le premier niveau de réorientations a concerné la quantité de réponses qui n'a pas été aussi importante qu'espérer. Le chercheur a dû réamorcer cette annonce trois fois, en affinant son contenu, et en allant, cette fois activement sur les sites consacrés à l'islam en langue française, et en « surfant sur les chats »125(*) pour détecter d'éventuels sujets correspondants à son hypothèse. Ce ne fut pas concluant. Le deuxième niveau a concerné l'âge des convertis. Ils furent plus nombreux à se proposer pour un tel type d'entretien, lorsqu'ils ont moins de 30 ans. Le troisième niveau a concerné le sexe des « répondants ». Une forte majorité d'hommes s'est manifesté par ce mode de communication. Deux femmes seulement correspondant au portrait idéal hypothétique ont pu être recensées, mais une seule s'est concrètement soumise à l'entretien. Le quatrième niveau a concerné « l'indépendance ». Les plus nombreux à se proposer, âge et sexe confondus ont été assez souvent des sympathisants ou militants d'associations islamiques à identité forte comme l'Association des projets de bienfaisance islamique, l'U.O.I.F ou des confréries soufies. Ce fut l'occasion de réaliser que le concept d'indépendance avait mal été défini et d'en modifier l'expression dans les annonces suivantes, voire d'envisager que très peu de « convertis » soient indépendants d'un groupe de pratique ou d'obédience. Le cinquième niveau a concerné la « cause » de la conversion. En effet, les « convertis » susceptibles d'accepter de se soumettre à l'enquête ont été nombreux à s'être « convertis » pour des motivations « opportunistes », le plus souvent il s'agit de « conversions » liées à un mariage avec un ou une musulmane. Le sixième niveau est celui de la sphère géographique choisie. Le chercheur avait désigné l'ensemble géographique de l'Ile de France comme son terrain. Or, parmi les « convertis » qui se sont manifestés résidaient dans le Nord de la France, dans le Sud Ouest ou encore en Bretagne. Il fallut reconsidérer le travail et l'envisager à l'avenir sur un terrain plus étendu. Le septième niveau a concerné les moyens d'entrer en contact avec les personnes susceptibles de correspondre au portrait idéal hypothétique. Se contenter d'Internet et de la presse écrite n'a pas permis de constituer l'échantillon. C'est en sollicitant, tout au long de son enquête, les réseaux relationnels universitaires, intellectuels et amicaux, qu'a pu finalement se constituer un groupe conséquent de parcours à étudier.

A ce niveau, il est important de distinguer les périodes d'avant et d'après le 11 septembre 2001. La disponibilité des individus à se soumettre à des entretiens sur ce type d'expérience se révèle nettement plus difficile depuis les attentats. En effet, de tels évènements mettent les convertis au centre de polémiques interculturelles complexes à l'issue desquelles il ne peut, pourtant pas s'agir pour eux de renier leur foi ni leur appartenance européenne, d'une part. D'autre part, le « déballage » médiatique sur l'islam, provoqués par ces attentats, s'il a été nécessaire, a révélé la diversité d'être musulman du point de vue mondial et français et du point de vue des « convertis ». Cette diversité connue, mise en lumière médiatiquement a également sorti de l'ombre les ambitions et les opportunismes autant que les savoirs et les sagesses. « Convertis » comme musulmans sociologiques se découvrent eux-mêmes d'une manière inédite. Les « convertis » peut-être plus que les autres perdent, avec cette médiatisation, la dimension « mystérieuse » de leur choix spirituel, perdent de leur différence et ne conquièrent pas, pour autant, un champ d'expression très important. Enfin, les « convertis » comme les musulmans sociologiques se sont repliés sur eux-mêmes voire ont durcit leurs opinions, tant par ce qu'on leur demande sans cesse de prendre position, que parce qu'ils ont des opinions qu'ils souhaitent affirmer, au nom de la démocratie et de la liberté d'expression ! au risque peut-être qu'elles déplaisent.

De nombreux accords de principes ont été donnés au chercheur, mais les rendez-vous ont été souvent différés, voire implicitement annulés, surtout depuis le 11 septembre 2001. Il ne s'agit pas de refus explicites, mais d'hésitations ou de mises en évidence d'autres priorités existentielles.

Ces informations ne se sont pas manifestées simultanément. Il fallut plusieurs mois pour qu'elles se confirment et poussent à opérer les réorientations nécessaires à l'accomplissement de cette recherche. Le matériau recueilli au cours des trois années d'enquête a pris sa forme définitive à la fin des sept premiers mois de l'année 2002. L'hypothèse de départ s'est donc vue amputée de sa part féminine supposée. Le nombre d'hommes correspondant au portrait idéal hypothétique s'étant révélé suffisant pour préclore l'échantillonnage nécessaire.

Pour compléter le travail présent sur la conversion masculine à l'islam et afin de produire une réflexion sociologique la plus complète, le thème de la conversion féminine à l'islam sera traité dans un travail ultérieur en maintenant l'hypothèse de l'âge, plus de 30 ans et de la conversion comme résultat d'une quête spirituelle personnelle.

L'échantillonnage porte donc sur sept cas d'hommes de plus de 30 ans convertis à l'islam, à l'issue d'une quête spirituelle individuelle dont deux tableaux récapitulatifs détaillés, présentent ci-après les profils et parcours, date et lieux de conversion, date et lieux d'entretiens, nombre d'entretiens, situations familiales, activités professionnelles et les variables de l'expérience religieuse, selon deux grandes thématiques : la subjectivité et l'intersubjectivité.

Les entretiens proprement dits, une fois l'accord de principe établi personnellement avec chacun des convertis n'ont révélé aucune difficulté. Deux raisons objectives sont en amont de ce constat. La totale liberté de vouloir et de pouvoir confier le récit de l'expérience religieuse de la « conversion » à l'islam a pleinement été respectée. La déontologie sociologique pour un tel type d'enquête, l'assurance de l'anonymat, la discrétion quant aux informations périphériques au thème traité et l'exactitude brute du compte-rendu des récits, la présentation et l'explication du travail, semble avoir été accomplies de façon satisfaisante. Pourtant, il est possible de constater une disproportion quantitative d'un entretien l'autre. Les raisons de cette disparité tiennent aux disparités des individus eux-mêmes et de leur spontanéité à détailler leur parcours spirituel. Il n'est pas possible de classer ces entretiens de façon très précise. Il aurait pu être constaté que l'ancienneté de la « conversion » ne pousse pas l'individu à « s'appesantir », or les cas de C3 et de C6 démontrent le contraire. Pour C2, il était évident au cours de l'entretien qu'il souhaitait « contrôler » son discours et éviter la confidence. La situation de sa récente conversion et les conséquences familiales et de couple devaient être trop prégnantes et ne lui permirent pas de véritable distanciation.

L'analyse et les commentaires dégageront certainement d'autres raisons plus subjectives, intrinsèques au domaine de la « conversion » à l'islam et au sujet même du travail. Elles sont liées en partie aux thèmes de l'intersubjectivité, dont le chercheur lui-même ne peut se considérer exempt, acteur social, d'une part et d'autre part, sujet d'une quête spirituelle individuelle.

Les entretiens ont tous été enregistrés sur cassette avec l'accord des intéressés, accompagnés de notes manuscrites ou informatiques. Chaque entretien sera remis par écrit à son émetteur.

Recueillir les récits de « conversion » tel qu'accompli dans ce travail a consisté à s'astreindre à certaines précautions. Comme l'indique la psychosociologie, si en effet, le converti fait le constat de différences dans sa vie autant intime que publique entre l'avant et l'après sa conversion, « il est vain de chercher des raisons claires et conscientes dans l'après pour expliquer l'avant. » L'expérience du chercheur, relativement aux univers religieux post-modernes, tant islamique, que bouddhique et chrétien, lui à permis, espère-t-il, d'éviter à ceux qui lui ont fait confiance, de forcer l'interprétation. Le contexte des entretiens, et la rencontre la plus libre possible et la plus ouverte des témoins, n'a pourtant pas pu éviter totalement qu'ils cherchent à trouver eux-mêmes des raisons à leur « conversion », qu'ils se rappellent leurs motivations, enfin qu'ils procèdent à une sorte de reconstruction ou une ré-élaboration de leur expérience religieuse de la « conversion ». Ils semblent, et c'est souvent le propre des « convertis », trouver ces raisons dans un mysticisme qui ajoute encore au mystère de leur changement.

L'option du chercheur fut donc de mener les entretiens de façon semi-dirigée, laissant le plus de liberté possible au converti, dans sa narration. Dans les cas réunis pour cette étude, il est à remarquer comment chacun des convertis commence son entretien avec le sociologue. En effet, certains (2) ouvrent leur entretien sur le thème de leur « conversion ». D'autres (5) spontanément procèdent à un discours chronologique, le plus souvent très détaillé et très précis du point de vue des dates biographiques, organisant une sorte de suspens qui mènerait à la révélation verbale du moment de la « conversion », ainsi que l'établissement d'un « décor » antérieur, au sein duquel le « converti » puise des éléments qui justifieraient sa démarche spirituelle vers l'islam.

Si donc l'écriture devient missionnaire et que le « converti » participe de l'effort prosélyte, l'entretien confié au sociologue peut mettre ce dernier en situation d'être instrumentalisé, au point qu'il se doit non seulement d'être vigilant envers les propos et concepts du récit, mais aussi de ne pas juger le discours. Le chercheur ici s'est astreint à ne pas tomber dans ces ornières. Dans deux cas, le chercheur a, pourtant, été confronté à quelques difficultés pour mener ses entretiens et son travail à bien. En effet, le risque d'instrumentalisation auquel il s'expose par la nature même de son activité s'est très nettement présenté. Dans un cas, il s'est agi de l'expression d'une forme de prosélytisme et dans l'autre d'un goût très prononcé pour les détails au point de se sentir dans la contrainte de réaliser une sorte de « biographie spirituelle » totale. Pour sa part, le chercheur espère que son souci scientifique et de respect de la vie privée furent satisfaisants.

Des analyses

Dans la négociation du statut économique, politique et culturel, le religieux est un moyen de mettre en oeuvre, par les acteurs sociaux, une recomposition des rapports sociaux, en se revendiquant de la part d'universalisme que la « culture » musulmane peut faire valoir.

Si l'on admet que la conversion religieuse, et plus particulièrement la « conversion » à l'islam, est un changement d'identité et de cadre social de cette identité, il est possible de se demander à quel point pourrait-elle être une forme d'acculturation ?126(*) Comment ce changement s'opère-t-il selon les individus ? Comment dégager un éventuel portrait prototypique du converti à l'islam au début du XXIème siècle en France ? La subjectivité et l'intersubjectivité dans l'expérience religieuse de la « conversion » à l'islam pourront être respectivement étudiées sur trois plans : le plan de la postconversion127(*), celui du moment de l'émergence de la croyance, et enfin, celui de l'après conversion. Les éléments thématiques qui permettront d'analyser qualitativement ce que ces individus ont vécu et vivent encore quant à la foi islamique seront divers selon qu'il s'agit d'un plan ou d'un autre et selon qu'il s'agit de la subjectivité ou de l'intersubjectivité, chacune ne mettant pas en jeu les mêmes dimensions de l'individu.

Les thématiques dégagées pour l'analyse ont été sélectionnées en fonction de leur récurrence dans les récits et elles son exhaustives. Elles sont pour les domaines de la subjectivité et de l'intersubjectivité impliquées dans la « conversion » religieuse à l'islam, classées en trois catégories. Dans ces deux domaines, il s'est agit de les regrouper par similitudes et par disparités. Dans le champ de la postconversion ; il sera traité de « l'absence de rupture sociale ou familiale », du « déplacement géographique » de « la critique de la pratique religieuse » et de « la satisfaction des besoins spirituels individuels ». Dans le champ de la subjectivité relative à la croyance, seront traités les thèmes de « ma foi, ma différence », de l'existence de dieu, de la quête et de la vitalisation de la foi. Quant au champ de l'après conversion et de la subjectivité, l'adoption d'un prénom arabe, la circoncision et du « certificat de « conversion » » seront mis en exergue. De même pour le domaine de l'intersubjectivité, la postconversion sera traitée sous les angles des rapports avec les « siens d'appartenance », du « voyage » et de « la vie estudiantine ou professionnelle ». Pour le champ de l'intersubjectivité relative à la croyance, il s'agira de faire une lecture en fonction de « dire sa foi », des « rapports avec les « siens d'origine » et du lien avec un guide spirituel. Enfin, le champ de l'après-« conversion » sera envisagé sous les aspects de la notion d'une « identité collective amphibie », sur les thèmes de « de l'homme marginal au médiateur », du « mariage du « converti » », de « la vitalisation de la foi », des « rapports avec les « siens d'origine » et avec les « siens d'appartenance », des rapports avec les enfants et enfin des relations professionnelles.

A. Tableaux récapitulatifs 

1) TABLEAU RECAPITULATIF : DE LA SUBJECTIVITÉ

« CONVERTI »

AGE

FORMATION

DURÉE de la CONVERSION

SPIRITUALITÉ D'ORIGINE

LIEU de

la «conversion»

Connaissances et Mode d'acquisition

LES ÉMOTIONS

LE RADICALEMENT AUTRE

QUEL ISLAM ?

QUELS types de conversion

C1

33 ans

sans

1,5 ans

Sans

Sénégal

Ecrits de C. Ahmadou Bamba

Autodidacte

Troubles violents

Dieu existe !

Confrérique

4+3+5

C2

35 ans

sans

1,5 ans

Sans

Paris

Traductions du Coran, ouvrages d'initiation

Autodidacte

Troubles légers contrôlés par l'intellect

Dieu existe !

Sunnite

5+3+1

C3

35 ans

ingénieur

17 ans

Pratiquant catholique

Turquie

Le Coran arabe et français, exégèses, soufisme

Autodidacte+enseignement

Evidence

C'est ce dieu là, ce sont ces pratiquants là

Sunnite, shiite et soufi

2+3

C4

38 ans

architecte

8 ans

Pratiquant protestant

Tunisie

Ecrits de C. Ahmadou Bamba

Autodidacte

Troubles violents, lutte intérieure

Réconciliation avec dieu

Confrérique

5+3+2

C5

46 ans

enseignant

20 ans

Pratiquant catholique

Paris

Le Coran et textes sur l'islam

Autodidacte

Evidence

C'est ce dieu là

Sunnite

 

C6

47 ans

médecine

 

Pratiquant évangéliste

Paris

Le Coran, exégèse exotérique

Autodidacte

aucune

C'est cette fraternité là !

Sunnite

5+3+1

C7

43 ans

ingénieur

5 ans

Pratiquant catholique

Paris

Le Coran, ouvrages hitoriques

Autodidacte

Evidence

C'est Le message !

sunnite

2

Les types de « conversion » :

1 La conversion traditionnelle est un retour : « l'individu qui se convertit vient à résipiscence [...]. Il restaure le lien qui le retenait à sa culture, rentre dans le rang, revient au bercail, efface la honte, l'indignité, le déshonneur, l'exclusion. »

2 La conversion rationnelle est une critique : « elle opère un jugement sur une tradition jusque-là considérée comme vénérable et sacrée, vis-à-vis de laquelle elle prend de la distance [...]. La crisis, rupture par la raison, dédouble la culture : l'opinion et la science, le mythe et la philosophie, l'illusion et la vérité [...]. Elle sert une normativité secondaire [...] et place l'individu au centre d'une conversion qui concerne la culture et ses normes. »

3 La conversion biblique met l'accent sur la rencontre : « se convertir, dans la Bible, c'est se tourner vers quelqu'un qui a parlé, et ce faisant, rompre avec des attachements idolâtriques [...]. Elle ouvre une histoire particulière et contingente qui fait espérer un avenir inédit [...]. Cette conversion ne se fait pas sans la décision du croyant, et celle-ci, jamais définitive et irrévocable, est sans cesse sollicitée [...] C'est à lui de choisir entre le vrai et les faux dieux [...] La conversion ne soumet plus l'homme à un ordre collectif qu'il n'aurait qu'à reproduire, elle lui donne au contraire une existence et un poids nouveaux par le mandat qu'elle lui confie de rompre avec le faux. »

4 La conversion gnostique est une évasion : « cette conversion-ci ne fait pas assumer le mal par la culture. Certes, l'individu n'y est plus tenu comme coupable, puni par son anomie [...]. Il est cette fois victime innocente d'une chute qui a entraîné le divin dans l'horreur et la pesanteur du monde. C'est sur celui-ci qu'est expulsé le mal. »

5 La conversion évangélique est un renversement : le converti n'est alors pas « celui qui respecte la loi et fait valoir ses mérites, mais au contraire celui qui accueille le pardon inconditionnel de dieu. »

2) TABLEAU RECAPITULATIF : DE L'INTERSUBJECTIVITÉ

« CONVERTI »

LA FAMILLE D'ORIGINE

LA VIE PROFESSIONNELLE

RELATIONS AVEC LA FAMILLE

LA COMMUNAUTÉ D'ACCUEIL

TYPE D'APPARTENANCE

VITALISATION DE L'EXPÉRIENCE

SITUATION DE FAMILLE

LANGUES

Relatives à la croyance

C1

Judéo-chrétienne :

Chrétien pratiquant

Juif non pratiquant

Formation professionnelle en création de site internet

Bonnes voire renforcées

Très bons rapports

Mouridisme

Séjours d'un mois chaque année à Touba

célibataire

Français

C2

Sans pratique religieuse

Responsable commercial

Avec la mère : non dit

Avec l'épouse : mauvaise

Bons rapports avec les femmes, moins bons rapports avec les hommes

Aucune

Des rencontres

En instance de séparation de son épouse française

Français

C3

Catholique pratiquant

ingénieur

Rompues après plusieurs tentatives

Bons rapports

Anciennement à une confrérie, depuis aucune

Appartenance confrérique, puis pratique à la mosquée

Marié avec une femme musulmane de naissance

Français

Arabe classique lu et écrit

C4

Protestant pratiquant

architecte

Pas très bonnes

Bons rapports

Mouridisme

Séjours à Touba d'un mois

célibataire

Français

Langue africaine

C5

Catholique pratiquant

enseignant

Bonnes

Peu de rapports, bons rapports

Aucune

Pratique personnelle

célibataire

Français

Arabe

C6

Musulman

Informaticien

bonnes

Insatisfaisantes

aucune

Immersion associative à Paris

Voyages en Syrie

Divorcé, remarié avec une femme non musulmane

Français

Arabe classique

C7

Catholique pratiquant

Informaticien

Bonnes avec le frère, distante avec le reste de la famille

Très sceptique

aucune

Deux pèlerinages de la `umra en 1999 et 2000

célibataire

Français

B. De la subjectivité : « conversion » et individuation

La nouvelle forme de subjectivité islamique128(*), plus particulièrement celle des « convertis », se distingue, d'une part, par la référence à un soi dont l'autonomie subjectivement vécue est assumée. Le choix de l'islam est toujours marqué par une décision individuelle jusque même celui d'aliéner sa liberté, dans les formes néo-communautaires plus spécifiquement. Le « converti » semble briser les tensions vécues entre la société à laquelle il ressemble et à laquelle il appartient, tout en étant identifié comme « différent » et en affichant son ipséité. L'islam individuel est marqué par le rapport entre soi et dieu. Il est plus ou moins privé. La communauté musulmane semble y être presque invisible. Les « convertis », porteurs d'une telle subjectivité islamique, sont projetés dans la spiritualité pure qui lie les membres au-delà et par de-là l'espace public.129(*) Comment s'élabore cette foi islamique individuelle selon les individus ? Quelles en sont les caractéristiques communes et celles qui les distinguent ?

D'autre part, si la « conversion » religieuse à l'islam est toujours accompagnée d'une subjectivité individuelle, la subjectivité de groupe y est également un enjeu. En effet, si « avec la conversion, l'identité se modifie. Subjectivement d'abord puisque c'est le converti lui-même qui ressent ce changement dans sa personnalité, dans son rapport au monde. Socialement, puisque le converti abandonne une identité, une place dans une communauté pour adopter une nouvelle identité, une place dans une autre communauté. [Ce changement] conduit l'individu à abandonner une position, un rôle établi pour assumer après son changement une nouvelle position, un nouveau rôle. » S'agit-il donc d'un abandon d'identité ou plutôt d'une reconfiguration identitaire par laquelle émerge enfin une des facettes de l'identité individuelle jusque-là en sommeil ? Le converti abandonne-t-il une place occupée au sein de son groupe d'origine, pour en adopter une nouvelle au sein du groupe d'accueil ou plutôt, ne trouvant pas le moyen d'occuper un type de place qu'il est seul à ressentir en lui et avec ses propres exigences, ne cherche-t-il pas un groupe au sein duquel, il pourrait tenir cette place ? Sujet, l'individu, par la « conversion » à l'islam devient-il un individu ultramoderne ?

a. La post-« conversion »et le « sujet »

Quel rapport entretiennent les individus avec leur sujet avant la « conversion » ? De quel type de connaissance de soi sont-ils respectivement munis ? Le corpus ci-joint révèle des similitudes quant aux formes d'individuation mises en jeu ainsi que des disparités sur le plan des besoins individuels en termes de sens à donner à la vie.

Similitudes 

Les similitudes s'établissent autour de deux thèmes, l'absence de rupture sociale ou familiale explicite et le déplacement géographique vécu par tous les individus rencontrés, mais de façon et pour des raisons différentes.

· L'absence de rupture sociale ou familiale 

Si l'on ne peut pas analyser ici la spécificité de chacun des individus du corpus d'un point de vue psychologique, l'analyse de la personnalité peut néanmoins se dérouler sur la base de la manière dont chaque individu se narre quant à sa vie post-« conversion ». Il est très nettement perceptible que chacun d'entre eux et pour des raisons différentes, sait se dire un individu particulier dans son environnement d'origine, la famille proche le plus souvent. Ils ne se vantent pas, ni ne semblent être prétentieux de la différence d'avec leur famille, qu'ils ressentent avoir vécue. L'on peut même distinguer qu'ils essaient, relativement peut être à la « conversion » à l'islam, de banaliser cette spécificité. Ce qui les distingue se manifeste surtout du point de vue de la vie intérieure. En effet, il semble avoir tous été des enfants normés. En fait, s'être très bien adaptés à certaines normes sociales comme celle de l'école, de la famille ou de la pratique religieuse familiale, mais, avoir vécu intérieurement différemment le rapport au sacré et au religieux130(*).

En fait, il est possible de synthétiser ce que ces individus ont ressenti dans cette phase comme suit : je ne me reconnais pas dans les autres membres du système de pensée, de société et de culture dans lequel je suis né, j'ai été éduqué et j'ai grandi, que j'ai accepté, assimilé, d'une part. Mon « je » est une entité que je ne veux pas soumettre à des compromis pour qu'elle soit vivable dans ce système, d'autre part. Enfin, un autre système peut potentiellement l'accueillir et j'ai les moyens intellectuels, psychosociologiques et sociaux et le droit de le faire.

· Le déplacement géographique

Si l'on peut considérer qu'un événement troublant le « je » puisse être révélateur d'une spécificité individuelle ou du besoin de vivre pleinement cette spécificité individuelle, et donc peut-être d'être à la source du déclenchement de la quête spirituelle individuelle, il semble résider pour chacun d'entre eux, dans un déplacement géographique, lié aux études ou à un/des voyages à l'étranger à partir de 18 ou 20 ans. Ces déplacements marquent l'éloignement du milieu familial donc la découverte de la solitude, de la nécessité de l'autonomisation ainsi qu'un changement de point de vue sur le monde. Cette distance révèle, chez tous, l'intérêt pour l'altérité du monde, la liberté d'être individuellement en opinion envers ce monde, l'obligation de se situer soi-même, sans autres références que, ce que l'on a appris face à ce monde et que le potentiel de modes de vie autres existant. Pour C5 particulièrement, ces déplacements ont été pénibles et violents, au point de lui faire découvrir sa différence et le racisme dont il s'est senti victime.

Le voyage déclenche la quête spirituelle et permet l'unification de soi intérieure chez C1. Le retour en Europe pour C1, par l'Espagne, ou en France pour les autres, semble lui, déclencher une autre étape de la connaissance spirituelle. Pour C3, l'éloignement du milieu familial, lui permet, à Grenoble de vivre l'expérience religieuse de la « conversion ». Pour C4, le retour en terre maghrébine, à Tunis, réactive des souvenirs. C6, lui, sur les routes pendant 10 ans, connaît la solitude, le dépaysement et la multiplicité des situations relationnelles, qui stimulent réflexion, remise en question et finalement, la « conversion ». C2, bien qu'ayant beaucoup voyagé pendant sa jeunesse, au point d'avoir vécu au Danemark presque deux années, vit sa « conversion » dans une période sédentaire. La distance nécessaire semble-t-il, à sa prise de conscience, à sa quête spirituelle et enfin à sa « conversion » se déroulent pourtant loin du foyer, sur le lieu de son travail. C'est-à-dire, hors de « l'intime », puisqu'elles prennent toute leur signification sur le lieu d'activité professionnelle, dans son bureau.

Le voyage ou le déplacement géographique impliquent autant l'individu et sa subjectivité que son intersubjectivité.

Disparités

Les disparités sont de deux ordres. Elles concernent, d'une part, le domaine de la critique émise par l'individu envers la communauté religieuse à laquelle il appartenait ou à laquelle son groupe d'origine faisait référence, d'autre part, il s'agit du domaine de la satisfaction des besoins spirituels individuels qui diffère d'un individu l'autre.

· La critique de la pratique religieuse : où est le « nous » ?

Quatre d'entre eux C3, C4, C5 et C6, qui vivaient dans des familles pratiquantes catholique ou protestante, se disent avoir été tout à fait croyants et heureux de l'être jusqu'à un moment précis, dont chacun fera la présentation comme étant (rétrospectivement en termes de reconstruction biographique liée à l'entretien) le moment annonciateur du futur changement. Celui-ci se traduit en termes de déception à l'égard des promesses du monde, des promesses de ceux en qui ils avaient confiance, de celui à qui ils se livraient : Dieu. Ce sont ces attentes, ces espoirs, ces croyances qui semblent les distinguer de leur entourage, apparemment incompréhensif à leur égard, --ce qui n'est pas explicitement dit d'ailleurs-- et qui les a poussés non à changer d'opinion, mais à chercher à trouver un « terrain » pour les faire croître.

Cette « hypocrisie » est également souvent évoquée par les « convertis » en terme de critique et d'opposition individuelle et intérieure, sans qu'ils ne disent avoir eu à supporter de « troubles » identitaires. Ils considèrent les pratiquants de leur groupe d'origine comme trichant avec les valeurs qu'ils prônent eux-mêmes. Les individus futurs convertis déplorent le manque d'harmonie entre ce qui est prôné religieusement et les tenants de ces propres valeurs. Sans évoquer les questions politiques, l'on peut supposer que bien qu'ils se concentrent sur la dimension spirituelle de l'existence, comme lieu idéal et encore pur de toute perversion, l'expression « déçus de la politique » pourrait leur être attribuée. C'est en termes suivants que ce décalage identitaire s'exprime : complètement éduqués et imprégnés des valeurs de croyance chrétienne : solidarité, tolérance et empathie, et de celles de la démocratie, bons modèles mêmes de l'ensemble de ces valeurs, ils se sentent trahis par ceux qui les leur ont inculqué. On pourrait donc dire que leur état intérieur de déception est lié aux gens, et non aux valeurs, et à la possibilité de les appliquer et de les partager. Ils se retrouvent à « partir à la recherche » d'alter ego ou de croyants avec lesquels ils espèrent pouvoir « enfin » partager de façon authentique et sincère les mêmes valeurs spirituelles. Très vite perçues et voulues par l'individu, comme des valeurs universelles. Le système de pensée qui est alors susceptible de recevoir cette recherche se trouve d'emblée être défini implicitement par le converti comme ouvert et différent de celui des origines et susceptible de l'accueillir, a priori.

C5 se distingue un peu des autres, en termes de critique, puisqu'il n'a pas seulement remis en cause le comportement de ceux dont il s'était senti le coreligionnaire, mais il a « interrogé dieu » et a remis en question « à l'intérieur de sa tête ce que dieu donne aux hommes ». A cette étape d'insatisfaction et de critique, dieu se révèle aux yeux de C5 comme un « menteur ». C'est dieu qui duperait les hommes, et non les hommes seulement entre eux, à propos de Dieu et des valeurs divines. L'origine protestante de C5 explique peut-être cette attitude critique directe et sans intermédiaire, de dieu.

C6 est un cas particulier, lui aussi, puisqu'il exprime la critique envers le système de croyance oecuménique chrétien auquel il appartenait, suite à la stigmatisation, d'une part dont il s'est senti victime par les membres de ce groupe de pratiquants. Et d'autre part, au manque de chaleur fraternelle qu'il a identifié dans sa communauté. Il est possible d'observer dans le parcours de C6 de réguliers à-coups de déception par rapport à ses coreligionnaires oecuméniques. Son besoin de comprendre et d'approfondir sa connaissance spirituelle semble ne pas avoir trouvé le répondant qu'il estimait et estime encore même de la part de ses frères en islam, légitime de recevoir. Tout normé qu'il fut au sein de cette communauté chrétienne dont il a respecté les règles religieuses et séculières et les hiérarchies du mouvement, il ne s'est pas normalisé au niveau de la quête de connaissance et du ressenti spirituels.

· La satisfaction de besoins spirituels individuels : le « je » avant tout !

Deux cas, pourtant, ne s'inscrivent pas dans cette représentation. C1 et C2, n'expriment pas de déception à l'égard des valeurs dans lesquelles ils vivent ou à l'égard de ceux qui en seraient les exemples. C1 admet très succinctement qu'il n'était pas très à l'aise en société, et ne justifie pas son départ en Inde. Ce voyage lui paraît normal, logique et implicite. Le Bouddhisme lui a permis une connaissance et une maîtrise de soi, par laquelle, il a pu finalement être plus ouvert au « nous ». C1 décrit lui-même cette expérience religieuse comme une série d'expériences thérapeutiques. Pour C2, il ne s'agit pas non plus d'une attitude critique envers la société et ses valeurs, qui serait, en amont de la quête spirituelle. Il s'agit d'un besoin personnel, d'un manque intérieur qu'il a cherché à satisfaire. Ainsi, il précise : « parce que j'avais atteint les limites de la société de consommation, je gagne très bien ma vie, j'ai de beaux enfants...[...] Plus tu avances dans l'âge et plus socialement, tu es installé, plus tu gagnes mieux ta vie...et plus, je me fais chier. »

b. La subjectivité relativement à la croyance

Similitudes

La similitude est unique, ici, elle porte sur la dimension de l'investissement de la foi par l'individu et le sens qu'il donne à cet investissement.

· Ma foi, ma différence

Ces individus sont des enfants modèles et des étudiants scolairement accomplis, ou encore membre d'une communauté religieuse à part entière. Comment, alors, en ayant ainsi parfaitement intégré les normes sociales de leur milieu et de leur société, peuvent-ils exprimer leur spécificité d'individu ? Il semblerait que ce soit donc sur le terrain spirituel qu'ils aient trouvé l'occasion d'exprimer leur individualité et donc leur différence aux autres. Trop bien normés, ils cherchent à réaliser la « norme de l'expression de l'individualisation » propre à la société ultramoderne. Le champ le plus libre à leurs yeux et le plus potentiellement créatif semble être celui du spirituel et du religieux. Il est alors possible d'affirmer que leur individuation s'élabore autour de leur spiritualité individuelle, de leurs rapports subjectif et intersubjectif au religieux. C'est par la norme ou les normes qu'ils élaborent une dynamique d'individuation qui leur donne accès à un autre système normatif religieux, celui de l'islam, au sein duquel par leur statut de convertis, ils demeurent spécifiques, individus à part entière, voire marginaux par leur état minoritaire. Leur individuation se réalise, en fait, dans « l'assimilation » d'au moins deux grands types de systèmes normatifs, le social, politique et familial de la société française ultramoderne et le spirituel et dans certains cas traditionnels culturels de l'islam.

Le moment de la « conversion » en elle-même ne peut cependant pas être temporellement évalué. Il s'agit, en effet, pour chacun d'une période qui combine, dans l'esprit du « converti », le sentiment d'avoir rencontré le type de foi auquel il aspirait, l'étonnement que ce soit l'islam et une sorte de combat intérieur diversement mené. Cette période aboutit à l'acceptation, par le futur « converti », de son nouvel état d'être musulman. Cette « tempête sous un crâne » s'élabore sur des niveaux différents. Les conflits internes que vivent les « convertis » au moment de ce « basculement » sont de l'ordre de l'humain ou de l'intellectuel. En effet, il peut s'agir soit de la difficulté de reconnaître Mohammed comme un ou le dernier des prophètes après avoir « accepté » le texte coranique, l'éthique et la philosophie des valeurs coraniques, ainsi que la conception musulmane de dieu. Ou bien encore, de la difficulté de reconnaître le texte coranique comme un des trois textes monothéistes, après avoir été « convaincu » du caractère prophétique de Mohammed et de ses spécificités d'être humain modèle.131(*) Il est remarquable, au cours de cette période, que deux systèmes de pensée cohabitent dans l'esprit du futur « converti » : le système de pensée occidentale et le système de pensée musulmane, marqué par l'injonction coranique faite aux croyants « de ne rien accepter qui ne soit ni évident, ni prouvé. »132(*)

Ce temps est celui du désengendrement133(*) d'avec la filiation d'origine, dans tous les cas, et d'avec l'appartenance chrétienne simultanément dans certains cas (C1, C3, C4, C5, C7). Ce désengendrement de l'Occident et du familial, symbolique et spirituel, permet le retour à la source de soi, à sa « nature première » ainsi que de « sentir cette part d'esprit déposée en chacun de nous, par dieu », selon l'enseignement du Coran. Cet auto-baptême bien particulier et bien différent du rite classique et initiatique du baptême chrétien, est fondateur chez le « converti », bien que celui-ci soit précédé le plus souvent d'une désignation faite par autrui relativement à l'état d'être musulman, « ignoré », par le futur « converti ». Cette désignation, comme une reconnaissance, produit un effet de joie intérieure chez l'individu concerné, lui-même ayant déjà, dans son for intérieur, identifié celui ou ceux qui le reconnaissent comme leur semblable, comme étant un des modèles idéals de ce qu'il estime être des « personnes de foi ». Elle dérange également le futur « converti » dans son processus autonome intérieur, vécu depuis longtemps en secret ou inconsciemment. Ce qui l'oblige à prendre en compte l'autre tant recherché, sa reconnaissance et implicitement déjà, son engagement. Il est possible que de tels instants émotionnels soient comparables aux moments bouleversés de l'émergence du sentiment amoureux, ressenti de façon solitaire par l'individu, puis au cours duquel l'autre annonce, d'une manière ou d'une autre, son amour, faisant effet de la reconnaissance d'un sentiment réciproque, mais caché dans le coeur des deux amoureux et jusque-là non partagé. Le temps de « digestion » de la reconnaissance spirituelle diffère, nettement, de celui de la période amoureuse du sentiment enfin partagé à deux, par le fait qu'il est saisi tout de suite ou presque, par un questionnement violent : que m'arrive-t-il ? que dois-je faire ? Contrairement aux amoureux, le « converti » se retrouve seul face à son émotion et sa passion, et s'interroge presque instantanément sur la dimension de l'engagement que cet attachement à l'islam semble lui imposer d'emblée.

Il entre alors dans une phase d'analyse, de réflexion et de comparaison. Cette phase d'interrogations semble permettre au futur « converti » de « rationaliser » ce qui lui arrive, de le justifier à ses propres yeux, de craindre la folie ou de se croire déséquilibré. Pour chacun, la conviction d'être musulman s'est d'abord manifestée dans la solitude intérieure. Ils disent tous qu'ils se sont dit à eux-mêmes, qu'ils se sentaient musulmans.134(*) Soit après lectures et rencontres, soit seulement après des rencontres. Deux types de « négociation » intérieure semblent avoir été en oeuvre.

Disparités

Les disparités se situent à quatre niveaux. Au niveau de la découverte et de l'acceptation de l'existence de dieu, pour deux cas, au niveau des émotions ressenties et vécues par les « convertis » au moment de la prise de conscience de leur foi islamique, au niveau de la manière dont chacun estime vitaliser sa foi et son expérience religieuse, et enfin au niveau du processus de renversement.

· Dieu existe !

Deux cas sont à distinguer, celui de C1 et celui de C2. En effet, ils n'ont pas fait d'études supérieures et n'en sont pas stigmatisés. Il est, en effet, de plus en plus possible, bien qu'encore trop rare, d'être normé à la société française ultramoderne, sans avoir accompli de cycle d'études supérieures. La réussite sociale ultramoderne s'élabore également autour d'attitudes professionnelles autodidactes. Pour C1, il semble que la question ne se pose pas et/ou qu'il ne veuille pas en parler. Son chemin de vie et ses choix existentiels, comme il le dit lui-même, semblent être dominés par « les circonstances qui m'ont amenés à des endroits et qui m'en ont fait partir. » Pour C2, son parcours professionnel autodidacte reflète peut-être combien les valeurs du travail comptent pour lui, en apparaissant les seules valables. Les origines sociales modestes de C2 peuvent expliquer cette conviction. N'avoir pas été « bon à l'école », semble, pour lui une normalité liée à son milieu social. Ni l'un ni l'autre ne croit en dieu, au sens monothéiste du terme. Aucune autre pratique religieuse ne les maintient sur le chemin d'un sens spirituel de l'existence. Ils ont en commun une certaine « jouissance de la vie », une forme d'adolescence tardive motivée par la recherche d'expériences sociales. Il est possible d'observer, pour eux, ce que l'on pourrait nommer comme une absence de projet de vie et une absence d'ambition professionnelle, mais plus un souci de vivre au jour le jour. Leur « conversion » à l'islam, pour C1, en pleine jeunesse (25 ans) et pour C2, en pleine maturité (36 ans), leur fait découvrir une capacité à admettre une existence divine et à s'engager dans la foi monothéiste.

· Je cherche, je trouve

Pour C1, C2 et C5, le moment de la prise de conscience d'être devenu musulman a été traversé de troubles émotionnels, particulièrement forts chez C1 et C5. C2 semble avoir maîtrisé ses troubles émotionnels par l'intellect, la lecture, et surtout en ayant vécu ce « réveil » religieux au cours d'une relativement longue période de temps, plusieurs mois. Pour C1 et C5, le moment n'a duré que quelques semaines. Il semble qu'ils ont vécu une sorte d'urgence à se situer, à se dire ou non musulman.

Pour C3, C4, C6 et C7, la « tempête sous un crâne » ne semble pas avoir troublée l'équilibre de l'individu. La recherche spirituelle semble avoir été très précisément définie intellectuellement dans ces quatre cas. En effet, C3 dit : n'a voir eu « aucun effort semble-t-il, à intégrer le système de connaissances, de pratiques ». Pour C2, non plus, aucune difficulté n'a surgit. Pour C7, « la démonstration est simple et évidente ». Le processus de détachement d'avec la religion d'origine était, en effet, déjà enclenché avant la rencontre avec l'islam. Peut-on alors imaginer qu'une sorte de terrain en friche était prêt à recevoir un nouveau système spirituel ? Un cas de conversion féminine contient les mêmes caractéristiques : la rupture intellectuelle, voulue et consciente de la jeune femme l'aurait libéré du système précédent et ce, pendant plusieurs années. Ce qui lui aurait permis de faire connaissance avec l'islam sans peur, sans crainte de perdre quoique ce soit, au point que le moment où elle s'est sentie musulmane n'a été ni brutal, ni douloureux. Il contenait également une forme de sentiment « d'évidence ». En quoi réside cette évidence ? Si l'individu rompt volontairement intérieurement avec un système de pensée, qu'il se met en quête d'autres systèmes, parce qu'il suppose que le monde est porteur d'autres vérités que celles dans lesquelles il a été élevé, rencontrer un système qui lui « convient », ne peut qu'être le produit de la logique de recherche. Il est alors rasséréné et n'a pas plongé dans un état de troubles émotionnels irréversibles. La surprise, suppose-t-on, que ce soit le système islamique, apparaît à un moment donné, certes. Et ce, pour les raisons historiques et contemporaines des rapports des mondes islamiques et judéo-chrétiens, des mondes orientaux et occidentaux, des mondes du Nord et du Sud connues aujourd'hui. La négociation en jeu, ici, est donc d'ordre intellectuel, parfois presque logique, mathématique et démonstratif. En effet, dans un autre cas de conversion féminine, il a été intéressant d'entendre la jeune femme, formuler, à la suite de démonstration faite par la personne musulmane sociologique avec laquelle elle a été en contact, sa négociation presque scientifique. Le « si tu ressens telle chose, si tu réagis ainsi, si donc les musulmans sont semblables à toi sur ces points, alors tu es musulmane et tu dois reconnaître l'existence dieu » est une sorte de démonstration aux limites du sophisme qui semble avoir convenu à un esprit scientifique et cartésien comme le sien. Quelques jours de réflexion et de ré-analyse de la « démonstration », lui ont semble-t-il « prouvé » son état de musulmane. Dans les cas des « conversions » masculines traités ici, nous n'avons pas retrouvé précisément ce type de négociation pseudoscientifique. Mais, il est clair que la mise au point intellectuelle et logique concernant l'islam plus que la foi en dieu, a été faite et refaite, intérieurement d'ailleurs. C4 donne un exemple concret de ce type de mise au point, quand il dit : « j'ai accepté le livre coranique, mais je ne parvenais pas intégrer Mohammed comme prophète. » C5, lui indique qu'il s'était rendu compte que « pour être musulman, il me manque ceci : être persuadé que le Coran vient de Dieu ! »

· Vitaliser sa foi, les rapports au savoir islamique

Exception faite de C1 et de C4, tous les individus du corpus ci-joint ont établis un rapport serré au savoir religieux dés avant la « conversion », pendant et après la « conversion ». C1 semble, lui, être un intuitif et un instinctif, car il ne cesse d'être à la recherche et à l'écoute de son coeur et de ses émotions, qu'elles aient été relatives au bouddhisme ou à l'islam : « pour moi, ce sont vraiment des signes quand mon coeur répond » ou « le coeur, c'est la vérité ». Il s'est uniquement intéressé, au sens strict du terme, à la lecture de la biographie de Cheikh Ahmadou Bamba135(*), mais n'a jamais (jusqu'au moment des entretiens avec lui) lu le Coran. C4 n'a lu que les éloges au Prophète, écrits136(*) par Cheikh Ahmadou Bamba. L'affirmation négative de ne pas avoir lu le Coran, est sans appel. Pour tous les autres, la lecture d'ouvrages sur l'islam, du Coran en français, parfois dans plusieurs traductions, comme pour C7, de philosophes musulmans ou ayant traité de l'islam, comme pour C3 et C7, R. Guénon, Massignon, M. Iqbal, Rûmi et l'acquisition de savoirs tant par internet que par le biais de personnes qualifiées à leurs yeux pour les instruire, ont procédé, intellectuellement et intensément, à une vitalisation de leur foi. Cette vitalisation individuelle se produit à toutes les étapes de la « conversion » et est poursuivie après la « conversion » et ne semble pas cesser avec le temps. Seul C3 est arabisant et a donc accès à l'exégèse coranique. Pour les autres, tout en déplorant de ne pas connaître l'arabe, l'apprentissage reste encore virtuel, et parfois comme pour C7 pas « absolument nécessaire ».

La lecture du Coran semble une étape essentielle, non pas tant de la conversion en soi, mais de la vitalisation. Pour C5, la lecture du Coran, s'est faite la première fois « à Tunis, après avoir eu la conviction que Mohammed est un génie. » Cette lecture, faite en français, a déclenché, quand au hasard des yeux il a lu : « Dieu est un, Dieu est Absolu, Il n'est pas engendré, Il n'a pas engendré, Il n'a point d'égal », la réflexion suivante : « je sais d'une absolue certitude que le Coran est parole d'Absolu ! »

Pour C3 la lecture du Coran en français s'est faite très rapidement. Pour C2, selon lui, elle s'est produite tardivement. C'est-à-dire de longs mois après s'être intéressé à l'islam et « s'être senti » musulman. Quand elle s'est faite, ce fut avec hésitation, victime qu'il fut des rumeurs prétendant qu'il est « sacrilège » de lire le Coran dans une autre langue que l'arabe et lorsque l'on n'est pas musulman. Pour C7, la lecture du Coran s'est accomplie « tout de suite ». Après cette première lecture, le texte semble ne plus quitter le « converti ».

· Déstigmatisation

Ce qui distingue nettement C6 des autres témoins du corpus tient au fait, qu'il est né musulman, en Algérie dans une famille sociologiquement musulmane. Mais d'après lui, son éducation fut peut emprunte de matière religieuse. Au chercheur, il ne s'en est pas moins présenté comme « converti » à l'islam. Sa découverte du principe divin unique remonte pourtant à la période chrétienne de son existence. Et s'est accomplie dans un contexte oecuménique protestant. Emergée en termes chrétiens, sa foi le fait se sentir pleinement chrétien. Prénommé en arabe, il subit, au fur et à mesure de son existence missionnaire, des micros stigmatisations systématiques lui rappelant ou l'appelant à ne pas oublier ses origines. Cela lui a fait incidemment prendre conscience d'une certaine « contradiction », dont seuls les autres de sa communauté semblaient mesurer l'importance : arabe du Maghreb d'origine, il était chrétien ! Le ver était dans le fruit. Tout en poursuivant, avec acharnement, son travail de missionnaire, il est troublé par ces sirènes, rencontre fortuitement des musulmans, s'intéresse à eux et à l'islam. Il constate que ce monothéïsme là n'est pas intégré à l'oecuménisme auquel il participait. Se sentant stigmatisé, d'une part, et motivé par sa quête spirituelle non exclusive et, à ses yeux, vraiment oeucuménique voire universalisante, il endosse son histoire d'algérien et petit à petit chausse des lunettes de musulman. Après avoir pourtant adopté un prénom français au moment de sa naturalisation.

Sa quête d'universalisme et d'oeucuménisme spirituel lui permet d'avoir élaboré un formidable système de pensée qui englobe toute sa problématique identitaire : français et algérien, « Pierre et Mohammed »137(*), chrétien et musulman, il tente comme beaucoup d'accéder à la fameuse « citoyenneté du monde », dont la mondialisation, aujourd'hui, nous démontre selon certains aspects le cynisme et l'utopie.

c. L'après-« conversion » et le « sujet »

Dans la « conversion » comme une sorte de lente acculturation ou de long apprentissage, « l'individu apparaît comme une entité qui synthétise et organise tant bien que mal de multiples informations, croyances et opinions. »138(*) Des similitudes et des disparités se distinguent. La similitude, en effet, porte sur une seule thématique, celle du choix d'un prénom arabe ou nom initiatique. Les disparités, elles, sont de deux ordres. Il s'agit du rapport à la circoncision et au « certificat de « conversion » ».

Similitudes 

Dans un premier temps, il n'est pas possible d'entendre clairement les « convertis » se plaindre d'un état de malaise ou de souffrance intime qui les aurait poussés à chercher des solutions de résolution. En effet, ils s'affirment, pour la majorité et à des degrés différents, avoir « toujours été croyants ». Cette croyance a pu être religieuse, mais également philosophique. Il semblerait que ce soit une insatisfaction du système de croyance auquel ils adhéraient qui les a poussés à chercher les raisons de cette insatisfaction, à les analyser soit dans les termes du dogme soit dans les termes des pratiquants dont ils étaient entourés.

Pourtant, l'on peut relever, dans les récits, des expressions comme « je me suis senti mieux », « il y a comme un alignement intérieur. Je sens une intégrité, une harmonie, une complétude. [...] Ma créativité maintenant est complètement au service de mon être. », chez C1. Chez C4, le sentiment de sérénité prédomine. Pour C2, « cela n'a fait que renforcer mon choix, au niveau de la Création. », lors de l'après « conversion », qui permettrait de penser qu'un état de moins bien être psychosociologique, préexistait. Le mieux être est très nettement manifesté en termes spirituels. L'harmonie, trouvée ou retrouvée, siège au niveau de l'âme et de la paix spirituelle. L'on constate, alors, qu'ils peuvent parler de leur vie sociale comme, du fait d'un mieux être spirituel, inductivement plus agréable à vivre. Ils semblent, en conséquence, convaincus que cela ne pouvait en être autrement : un mieux être spirituel produirait donc un mieux être social.

Ce mieux être spirituel, qui produit un mieux être social, se traduit par le fait que le « converti » aurait ressenti des intuitions spirituelles de trois ordres. Les réponses se situeraient dans le champ islamique, du point de vue de l'absence de tout intermédiaire entre le croyant et dieu (fondamental en islam), du point de vue de l'aspect apparemment sans hiérarchie ecclésiastique (dans l'islam sunnite tout au moins), et du point de vue de la « clarté » du message coranique et de sa relative accessibilité139(*) (voir C7, particulièrement).

· Le prénom arabe, un nom initiatique

Le changement véritable d'identité et d'appartenance communautaire que provoque la « conversion » religieuse, est un changement généralisé. « Cette renaissance est symboliquement marquée par le choix d'un nouveau nom qu'adopte le nouveau converti, il montre un changement de filiation, un changement de mémoire familiale et historique. »140(*) En effet, comme seconde naissance, ce moment devient initiatique141(*) et favorise de recevoir un nom initiatique différent du nom profane. Ce nouveau nom correspond à la nouvelle modalité d'être que vit le converti « dont la réalisation est rendue possible par l'action de l'influence spirituelle transmise par l'initiation. »142(*). Le « converti » acquiert ainsi ses deux dimensions, la profane et l'initiatique, bien distincte l'une de l'autre.

Cette pratique n'est, pourtant, assimilable ni à des règles, ni à des « obligations » supposées dans la religion adoptée. Pour l'islam en particulier, en effet, aucune obligation religieuse ne stipule le changement de prénom143(*). Ceci reste facultatif au moment de la conversion qui ne devrait pas arracher le converti de son milieu culturel d'origine. En effet, préserver le lien familial demeure sacré, en islam. Il doit être consolidé par la « conversion » et non dissout. Les parents restent toujours les repères, bien que l'on ne partagerait pas avec eux la même religion ou la même foi.

Dans les cas du corpus, le systématisme observé quant à ce changement de prénom prend, en partie, sa source dans le besoin de marquer son changement d'identité, sa « renaissance », sa nouvelle appartenance. Ceci relève donc d'un choix personnel et d'une certaine attirance pour le sens porté par les prénoms arabes. Si nous pouvons considérer que sur un certain plan, nous sommes là face au registre de la culture, l'on peut envisager sur un autre plan de comprendre par ce phénomène que le « converti » sait que, par la « conversion » à l'islam, en l'occurrence, il s'est inscrit dans deux ordres existentiels différents. Si avec R. Guénon, il est admis qu' « un nom sera d'autant plus vrai qu'il correspondra à une modalité d'ordre plus profond, puisque, par là même, il exprimera quelque chose qui sera plus proche de la véritable essence de l'être », il est compréhensible que les convertis du corpus ci-joint, ont procédé, par cette prénomination, à l'expression de ce qu'ils ressentent en eux comme leur « vraie modalité ».

Il s'agit sans aucun doute, également, de pouvoir se DIRE musulman, le plus efficacement qui soit, en un seul mot, le prénom. Il s'agit de pouvoir donc s'identifier auprès des autres musulmans sans détour, de faire la synthèse du parcours de la conversion et peut-être même d'effacer ce cheminement. Ne pas dire « je suis devenu », mais dire « je suis » musulman. Si R. Guénon144(*) affirme, d'une part, que le plus souvent un nom initiatique, n'a pas à être connu dans le monde profane de l'individu, et d'autre part, que l'individu doit se dépouiller de son nom profane lorsqu'il pénètre l'univers initiatique. Dans le cas des convertis du corpus ci-joint, la conversion à l'islam revêt une spécificité : le secret de la forme d'initiation qu'elle implique ne peut pas vraiment perdurer, puisque les modalité individuelles qui s'y rattachent participent également du profane.

Une certaine ambivalence imprègne l'attitude des convertis envers ce nom initiatique. Au début, ce prénom n'est connu que des autres musulmans, bien que, disons, un sentiment de « fierté » et de bonheur d'être devenu musulman, encourage l'individu à partager ce nouvel état avec l'univers relationnel non musulman. Alors, il s'annonce avec sa double prénomination, en conservant le prénom profane associé au prénom initiatique. Ceci peut inciter autrui à l'interroger sur la raison de ce prénom arabe, et permet ainsi au converti de dire sa spécificité. Le prénom arabe, conservé pour les relations intermusulmans, est comme une facette d'identité qui prend toute son ampleur dans un contexte de confiance, de complicité spirituelle et fraternelle. Le converti a, ainsi, l'occasion de partager avec ses coreligionnaires de naissance, sa joie d'être parmi eux, non sans quelque orgueil complice. Les années passant, le converti ressent de moins en moins ce besoin. Il rééquilibre sa double prénomination, la banalise, dirons-nous, car les deux univers qui étaient désignés et séparés l'un de l'autre, finissent par n'en faire qu'un. Quelle dimension de la profane ou de l'initiatique prend alors l'enveloppe majoritaire ? Il est possible que le « converti » n'attache finalement plus aucune importance au type de nom dont il se désigne et par lequel les autres peuvent le désigner, par le fait, peut-être que « quand l'être passe aux « grands mystères », c'est-à-dire à la réalisation d'états supra-individuels, il passe par là même au delà du nom et de la forme puisque, [...] ceux-ci sont les expressions respectives de l'essence et de la substance de l'individualité »145(*).

Il est finalement, possible de comprendre que le « converti » renouvelle sa « conversion » chaque fois qu'il rencontre un autre musulman ou un non musulman, en se présentant avec son prénom arabe.

Tous ont adopté, de leur fait ou par l'intermédiaire d'autrui, un prénom arabe, qui marquerait leur appartenance à l'islam, à la communauté des musulmans. C7, lui-même, reste, d'une part, sceptique à l'égard de la culture et des traditions arabes et des Arabes eux-mêmes, a d'autre part, adopté son prénom arabe sans conviction. Il est intéressant, à son propos, de soulever qu'il est le seul de cet échantillon -mais aussi du grand nombre de « convertis » rencontrés- à avoir accepté qu'on lui donne un prénom, alors qu'il en avait choisi un lui-même, avec une résignation et une indifférence caractéristique. Ceci est remarquable, car C7 fait preuve de ce que l'on appelle couramment d'une forte personnalité et que son choix, Abd Al-Haqq, aurait en l'occurrence, parfaitement coïncidé avec sa nature profonde de « chercheur de vérité » ! C1, lui, a explicitement demandé un prénom arabe, coutumier du fait peut-être -puisqu'en bouddhisme, précédemment, il avait déjà pris un prénom en hindi, qui lui a conféré un fort sentiment d'appartenance au groupe de l'ashram et à celui des bouddhistes, plus universellement. S'ils s'accordent tous pour préciser qu'ils ne veulent pas confondre l'islam et les traditions culturelles qui s'associent à la religion islamique, il est intéressant de soulever la contradiction dans laquelle ils se retrouvent, au regard du prénom arabe qu'ils endossent. En effet, du point de vue juridique, rien en islam ne stipule qu'il faille adopter un prénom arabe pour être musulman. Il s'agit d'une tradition dont il serait intéressant de mieux connaître les fondements.

Disparités

Les disparités des rapports de l'après-« conversion » et du « je » portent sur deux thématiques, celle de la circoncision et celle du certificat de « conversion ». Les rapports qu'entretiennent les « convertis » du corpus avec ces deux dimensions de la religiosité sont divers jusqu'à être très opposés.

· La circoncision

Dans la mesure où le Coran n'a pas mentionné la prescription de la circoncision, un vide juridictionnel existe de fait, que seuls les hadiths146(*) permettront de combler. Les hadith renvoient, en effet, cet acte, soit à une tradition de fitra (nature première), en effet : « Cinq actes relèvent de la tradition de la fitra : la taille des ongles et celles des moustaches, l'épilation des aisselles, l'ablation des poils du pubis et la circoncision »147(*), soit à la tradition abrahamique. Pour les systèmes juridiques islamiques, seul le système shafi'ite148(*) considère la circoncision comme une obligation pour tout musulman. Les systèmes hanafite, malékite149(*) et hanbalite la recommandent fortement (sunna muakkadat). La circoncision est donc tenue par les musulmans comme un acte de conformité à l'esprit du croyant plus qu'à la lettre coranique. Même si la dimension hygiénique est exhaltée, par usage, les musulmans tiennent cet acte pour celui de l'intégration à la communauté des croyants. Cette divergence des systèmes juridiques laisse une marge de réflexion et laisse légitime de s'interroger : la circoncision est-elle une pratique des musulmans plutôt qu'une pratique de l'islam ? L'islam de « conversion » en France est le plus souvent celui qui est marqué par le système juridique malékite ou sous influence de celui-ci. Les influences du shi'isme existent, sans pour autant prédominer.

Trois d'entre les « convertis » sont circoncis, deux C4 et C6 à la naissance et pour des raisons familiales. C1, lui, a subit l'opération au moment de sa « conversion ». C2, C3 et C7 ne le sont pas. Seul C7 a explicitement répondu qu'il ne s'agissait pas d'une prescription coranique et qu'il n'envisageait pas de procéder à la circoncision, « mutilé » qu'il se sentirait. C2 et C3 envisagent de le faire faire, à un moment qu'ils estimeront propice, mais ne semblent pas inquiets, religieusement parlant, de n'avoir pas subi une telle opération. Il n'a pas été possible de poser la question à C5.

Le témoignage de C1 à propos de sa circoncision est riche d'enseignements concernant, pourrait-on dire, le besoin de ritualiser un événement comme la « conversion ». Il explique l'exigence qu'il a eu de vivre l'opération de façon traditionnelle, tant parce que « cette expérience m'a permis de comprendre ma soumission de ce qu'il y a de plus matériel, qui donne la relation avec la terre la plus profonde »150(*) que par une nécessité sous-jacente de « verser le sang, c'est un symbole matériel, et là c'est le sacrifice de ce que tu as de plus intime »151(*). Ce fut l'occasion pour lui de se retirer du monde, pour convalescence, pendant quinze jours, au cours desquels, il semble avoir vécu la transition nécessaire entre l'avant et l'après conversion à l'islam : « Reclu 15 jours, dans la maison d'un homme qui a pratiqué la circoncision, sans contact avec aucune femme. J'étais auprès de cet homme comme auprès d'un père. Je me suis senti béni »152(*). L'état de purification de soi qui se dégage d'un tel acte, de la mise en éloignement du monde et de ses tentations ainsi que la possibilité de vivre sa naissance, sa renaissance, par une reconstruction d'un « rapport au père », ne restent pas moins emprunts de représentations plus liées au système de pensée chrétien qu'islamique. En effet, la notion du sacrifice ne siège pas, en de tels termes en islam, nous l'avons vu. La circoncision ne semble pas ni traditionnellement ni islamiquement, avoir été emprunte d'une quelconque dimension sacrificielle. Souffrir pour devenir autre, rappelle étrangement le calvaire christique à l'issue duquel Christ de simple messager put devenir fils de dieu ! En revanche, cette quinzaine de repos apparaît comme une pratique saine pour l'individu, au regard des moments émotionnellement violents qu'il a vécu juste avant. L'on peut apercevoir là, comme une représentation physique du phénomène de la « conversion », ce changement, cette rupture qui propulse l'individu hors de son système d'origine, dans un espace-temps, une zone neutre ou bisystémique, vers le nouveau système. Chacun vit, en réalité, un tel moment de transition, il peut être très intérieur et solitaire, intellectuel et intime, plus ou moins exposé. Seul C1, dans cet échantillon, offre une expérience physique pleinement vécue de la « conversion ».

· Le « certificat de « conversion »

Si être musulman se vit et se traduit par la prononciation de la shahâda, dans un premier temps, est mis en oeuvre, dans un second temps, selon les individus, la pratique des cinq piliers de l'islam. La modernité impose, pour un des piliers particulièrement, l'accomplissement du pèlerinage à la Mecque, une démarche administrative. En effet, il n'est pas possible pour un non musulman, relations commerciales officielles exceptées, d'entrer en Arabie Saoudite. Le converti doit donc prouver son « islamité » et pour ce faire, se faire établir un certificat en bonne et due forme. Celui-ci peut être établit à l'Institut de la Mosquée de Paris ou par l'ambassade d'Arabie Saoudite, en France ou par des institutions religieuses (Ministère des affaires religieuses ou mosquées) dans les pays de tradition islamique153(*). Deux des « convertis » entendus sont en possession d'un tel document écrit. C3 l'a fait établir non seulement parce qu'il était musulman, mais parce qu'il devait se rendre en Arabie Saoudite pour son service militaire, en coopération. On peut y voir, ici, une banalisation de l'obtention de ce certificat, en termes de religiosité, par le fait qu'il fut nécessaire d'un point de vue semi-professionnel. Lors de son séjour en Arabie Saoudite, C3 n'a accompli aucun des pèlerinage, trop nouveau « converti » qu'il s'estimait et averti du sens même de cet acte. Celui-ci s'accomplit en effet à un âge certain et dans des conditions financières bien particulières. C7, lui, l'a fait établir pour accomplir le pèlerinage de la `umra. Pour C6, la question ne se pose pas du point de vue administratif, puisque né en Algérie d'une famille sociologiquement arabo-musulmane, il porte un nom et un prénom arabe, ce qui fait de lui un musulman sociologique, qu'il le soit ou non.

Il est intéressant de constater que tous les « convertis » du corpus, C2 excepté, ont été baptisés, et n'ont pas « renié » leur appartenance religieuse d'origine. En effet, un cas de femme, révèle que certains, et en l'occurrence, certaines avaient procédé, avant même la rencontre avec l'islam, à un acte d'apostasie. Cette jeune femme a ainsi manifesté son refus d'appartenir à un système religieux qu'elle réfutait. Aucun des hommes du corpus n'a ressenti la nécessité de procéder à une telle rupture administrative d'avec l'Eglise. Pour leurs avoir explicitement posé la question, il semble même qu'ils ne connaissaient pas l'existence de cette possibilité, de ne plus figurer sur les registres religieux de la Sainte Eglise Catholique et Romaine. Seul, C7 se définit lui-même comme étant de double appartenance religieuse, catholique ET musulman : « Je suis de double « nationalité » ! » Il est surprenant de noter l'utilisation du terme « nationalité ». Bien que C7 soit parfaitement conscient qu'être musulman ne constitue pas une appartenance nationale, sa double appartenance est si forte, semble-t-il, qu'il ne paraît pas avoir trouvé d'autre vocable pour la qualifier. Il en fait néanmoins un usage provocateur qui tend à établir une sorte de complicité avec son interlocuteur, en l'occurrence, le chercheur.

Pour les autres, il s'agit d'être musulman, sans pour autant, dénier les autres religions, ni manifester un rejet des autres systèmes religieux. Il serait, ultérieurement, enrichissant d'approfondir les rapports qu'entretiennent les « convertis » à l'islam, avec les autres monothéismes et les autre religiosités pratiquées dans le monde ultramoderne.

C. De l'intersubjectivité : « conversion » et identité collective

L'intersubjectivité du « converti » à l'islam en France se développe sur deux plans culturels différents. Le plan français et judéo-chrétien, laïc et multiculturel, d'une part, le plan islamique et plutôt arabe du point de vue culturel, ou turc ou encore persan ou africain dans certains cas, minoritaire au sein de la société française, mais de mieux en mieux « intégré ». Ce sont les deux univers, dans lesquels le « converti » à l'islam va continuer des études, travailler, maintenir ou non ses liens familiaux, fonder à son tour une famille, conserver ou établir des amitiés, avoir des activités associatives, s'impliquer politiquement, être un interlocuteur européen et international être un interlocuteur musulman. Ces deux univers cohabitent, d'abord et avant tout, parce qu'ils participent tous deux d'un espace géographique et culturel154(*) bien précis, celui du monde méditerranéen. Historiquement, leurs relations datent et ne peuvent pas être figées dans des types de rapports dans lesquels l'un ou l'autre univers serait systèmatiquement « inférieur » ou « supérieur » à l'autre. Et enfin, en société multiculturelle qu'est la France ultramoderne, l'univers islamique commence à être une des composantes à considérer. Ainsi les relations du futur converti avec le groupe d'accueil, qu'est le groupe des musulmans sociologiques et par extension, avec l'ensemble des musulmans au niveau transnational, s'élaborent bien avant que commence la conversion, bien avant que la quête spirituelle même s'amorce.

L'ensemble des références énumérées par tous les « convertis » du corpus, comme la gravure reproduisant la smala de l'Emir Abdel Khader, les références dans l'histoire de France et d'Europe au monde arabo-musulman, la présence à Paris de l'Institut de la Mosquée de Paris, comme les évènements contemporains, la révolution iranienne en 1979, le confits israëlo-palestinien, la guerre civile en Algérie, la guerre du Golfe, la promiscuité de vie avec les musulmans en France, qu'ils soient étudiants étrangers ou ouvriers, collaborateurs ou partenaires professionnels, décrit bien que, pour eux en tous cas, la dimension islamique de la sphère civilisationnelle méditérranéenne et du Moyen Orient, comme d'une partie de l'Asie et de l'Afrique, fait partie de leur existence de français ultramodernes.

Dans un premier temps, l'univers du groupe d'accueil, le groupe des musulmans sociologiques en France et également l'ensemble de la communauté des musulmans dans le monde, est source de curiosité, d'intérêts culturels, sociaux et politiques, de fascination ou de rejet. Ces relations avec le groupe d'accueil vont se modifier avec le temps de la « conversion » et vont se teinter de toutes les catégories d'appréciation et de sentiments propres aux relations à un groupe quelconque. Groupe choisi, ce groupe d'accueil revêt dans l'esprit du converti une dimension idéale, le groupe, la communauté idéale : l'humain social idéal. Cet idéal se métamorphose, certes, mais l'appartenance du « converti », une fois devenu musulman, l'encourage à manifester son esprit critique avec précaution.

Dans le corpus ci-joint, il n'y a pas de cas individuel de rejet de la communauté musulmane d'accueil avant la « « conversion » ». Pourtant l'expérience et le terrain ont assuré au chercheur que de telles situations individuelles existent. Elles seraient certainement intéressante à étudier du point de vue du type d'investissement qui est mobilisé lorsqu'un individu décide d'appartenir à un groupe qu'il aurait précédemment rejeté et dénigré.

Dans un second temps, les relations du « converti » à l'islam, à son univers d'origine perdurent malgré la « conversion ». D'abord, parce que le groupe d'origine du « converti » est le groupe majoritaire dans la société dans laquelle il se sociabilise. En effet, si l'individu vit dans un pays majoritairement musulman, la distanciation, du moins géographique et humaine d'avec son groupe d'origine, ne pourra que s'établir clairement. Parce qu'ensuite, aucun des témoignages recueillis n'exprime explicitement la volonté, à un moment ou à un autre de la vie des individus en question, de rompre les liens et les échanges avec leur univers d'origine. Il semble d'ailleurs qu'en fait, si les relations avec le groupe d'origine, dans certains cas, ne sont pas très bonnes, c'est plus du fait du groupe d'origine que du fait de l'individu. Se dégage, à ce propos, de l'ensemble des expériences réunies, un souhait, une envie de vivre avec les deux groupes sociaux, voire de vivre avec l'un et l'autre en harmonie, au point même où l'on peu se demander si ces individus ne cherchent pas à harmoniser les relations entre ces deux univers sociaux déjà en relation ?

a. La post-conversion et l'identité collective de l'individu

En psychosociologie, certes la conversion est analysée comme un lien entre l'individu et sa foi, mais, se déroulant dans un contexte social, elle est néanmoins un acte social, que le converti le veuille ou non. Elle engage les individus de la famille et du groupe d'origine, les individus et le groupe d'accueil. En, effet, « le changement le plus important l'est, non du point de vue des modifications psychologiques internes à l'individu, mais du point de vue de la signification qu'il a pour l'individu et les groupes ou les société. »155(*)

Similitudes 

S'il est possible de chercher un éventuel mal être individuel précédant le changement religieux, source de la conversion à l'islam, il est identifiable sur le terrain de l'intersubjectivité. En effet, majoritairement, les entretiens de convertis étudiés confient à quel point ce sont les autres qui ont été porteurs de déception, de difficultés. Ces autres, sont autant les membres de la famille du converti, que l'entourage indirect voire l'ensemble de l'altérité avec lequel chacun d'entre nous est en relation : les politiques, les intellectuels, etc. Il s'agit donc d'une déception envers l'univers collectif. Il y a donc un désaccord avec les ascendants. A les entendre, ils semblent avoir, à un moment donné, perdu de l'estime envers leurs parents, plus particulièrement, le père. La mère tient un rôle assez falot dans leur discours. Les sept témoins du corpus se rassemblent autour de eux thématiques : les relations avec les siens d'appartenance et les voyages.

· Avec les « siens d'appartenance »

Le futur converti peut être investi, en amont de sa conversion, d'une démarche compréhensive envers l'univers musulman et de partage de points culturels. Ceci se manifeste soit à l'issue d'une rencontre avec « l'autre exotique », soit à l'issue de lectures, de films ou encore de connaissances artistiques ou architecturales concernant l'univers islamique, en France et dans les pays de tradition islamique. Cette démarche, qui semble être « objective », motivée par la quête du « plus autre » est productive d'une série de mobilisations qui tendent à ce que l'individu, le futur converti, veuille saisir le sens que donne l'interlocuteur musulman à la vie. Cette série de mobilisations permet au futur converti, en partageant « les significations de l'autre, de participer à son univers social. »156(*) L'empathie initiatrice produit ces mobilisations dont chacune d'entre elles constitue « une petite conversion momentanée ».157(*)

Bien que répertorié, dans d'autres cas de conversion religieuses ou idéologiques, ni l'ensemble des rencontres faites pour ce travail, ne permettent d'identifier de cas de conversion accomplie à l'issue d'une antipathie ou d'une critique dans le meilleur des cas, de la religion islamique ayant conduit l'individu à vouloir la comprendre.

Ces relations avec le futur groupe d'accueil des musulmans sociologiques, sur le territoire français et/ou dans les pays de tradition islamique, se métamorphosent avec la conversion. En effet, en écho à son empathie, le futur converti reçoit de nombreux encouragements quant à l'intérêt qu'il porte à l'islam. Dans certains cas même, si le futur converti ne manifeste que des curiosités culturelles, ses interlocuteurs musulmans sociologiques ne manqueront pas de l'instruire de l'islam. Il n'est pas recensé, dans le corpus ci-joint, de situations ostensibles de méfiance, de la part des musulmans sociologiques, envers le futur converti.158(*) En effet, ils sont pour leur majorité, très « touchés » par l'intérêt que l'on porte à leur religion. Désireux qu'ils peuvent être, en situation minoritaire et stigmatisée, comme en France, d'expliquer ce qu'ils sont et heureux d'avoir l'occasion de sentir un peu reconnus par un « autre majoritaire ». Il s'agit pour eux, alors ni de prosélytisme, ni d'apostolat, mais de pouvoir exprimer sans honte leur croyance islamique. Des mouvements religieux organisés, ont pour leur part, des attitudes très nettement prosélytes, dont le bue serait de « sauver » l'Occident de ses perversions et de ses souffrances. Ils font l'objet de nombreux travaux dont il ne s'agit ici que d'évoquer l'existence.

· Le voyage

Tous les convertis du corpus ont été amené à voyager ou à se déplacer dans la période postconversion, qui, le plus souvent, correspond à la jeunesse de l'individu. Ceci n'a rien d'exceptionnel à la fin du XXème siècle. Qu'il s'agisse de voyages à l'étranger ou de déplacements liés à la vie professionnelle de la famille d'origine ou liés aux exigences des études, il n'y a là rien que d'ultramoderne. L'ouverture sur le monde, la quête de « l'autre », la recherche de l'exotisme accompagnent la quête de soi bien spécifique à cette période de l'existence individuelle. C'est le plus souvent à l'issue ou au cours de ces déplacements que la quête spirituelle se manifeste réellement, dans l'intérieur de l'individu, d'une part, et qu'il semble trouver des interlocuteurs suffisamment différents et distants de toute appartenance familiale ou sociale pour prendre du recul et confier, même de façon très indirecte, ses interrogations existentielles. Les réponses ou attitudes relatives à ce type de rencontres sont par nature inédites pour l'individu. Cet inédit le ravit, le libère, le trouble émotionnellement, mais lui permet d'envisager l'existence sous d'autres angles. Ces voyages désamorcent des tensions et amorcent la prise en main du libre-arbitre qui « bouillonne » dans l'individu. Découverte de soi, certes, mais surtout découverte de l'altérité, en termes de solidarité, d'écoute et de différences. Aucun d'entre eux, ce que parfois de jeunes voyageurs et de moins jeunes, dans des circonstances qui purent paraître ou être difficiles, ne racontent en termes de désagréments de s'être trouvé dans tel ou tel pays, face à telle ou telle incompréhension ou encore dans un sentiment de solitude et d'abandon douloureux.

Malgré la similitude des expériences de voyages partagée par tous, C6 se distingue des autres, pour avoir vécu « sur les routes » ou presque, pendant 7 années de sa vie. Il était alors missionnaire dans un mouvement religieux oecuménique et prosélyte. L'instabilité d'existence matérielle et l'exotisme de l'autre, l'ouverture altruiste et les techniques de missionnariat ont été son pain quotidien. Les séjours à Londres et en Corée, lui ont encore donné le goût de l'universalisme et du transantionalisme religieux. La vie communautaire et le partage de la foi et des pratiques avec « des gens du monde entier » l'ont contenté et n'ont cessé de revigorer son expérience religieuse.

Disparités

· La vie estudiantine ou professionnelle

Pour tous les cas, sauf pour C1, C2 et C6, l'existence sociale collective postconversion est marqué par la vie estudiantine. Période de succès universitaire, elle ne révèle pas de disfonctionnement, ni de difficultés pour les individus à s'adapter au monde universitaire ou au système d'études. Pour C3, la période est favorable au développement de sa foi islamique et de sa pratique. Pour les autres, il s'agissait de poursuivre un cursus, social, familial et universitaire, sans accrocs. Pour C1, cette période est celle de l'apprentissage, en Inde, non seulement de la vie en communauté, mais également du sens spirituel et religieux, que peut prendre le fait de travailler pour et avec les autres, par exemple. Travailler ne signifie pas pour lui gagner de l'argent, mais gagner la possibilité d'être en société et de permettre à d'autres d'y participer. Travailler, comme prier ou méditer devient une pratique spirituelle et socialisante. Pour C2, la période est celle de nombreux voyages et de nombreuses activités professionnelles qui permettent l'accomplissement de ces voyages, d'une part, la découverte de différents milieux professionnels, d'autre part. Il ne semble pas soucieux de s'épanouir dans une activité plus que dans une autre, mais plus d'acquérir les moyens financiers d'une certaine autonomie. Cette autonomie n'apparaît pas de façon complète, puisqu'elle ne lui permet pas de « s'assumer » pleinement en louant son propre appartement, par exemple. Il dit lui-même qu'il vivait toujours chez d'autres personnes, et finissait par retourner chez sa mère. Ce n'est qu'à l'issue de la rencontre avec une femme qui devient rapidement son épouse qu'il décide, le libre choix se manifeste alors, de s'ancrer dans une activité professionnelle afin de pouvoir fonder un foyer et assumer ses nouvelles responsabilités. Il est intéressant de noter dans le cas de C2, comme de C1 d'ailleurs, bien que de façon différente pour l'un et l'autre, que la vie professionnelle s'est développée de façon autodidacte et grâce à l'intervention d'un tiers qui « donne la chance ». Autodidacte professionnellement, ils sont à des degrés un peu différents et de manière différente, autodidacte en religiosité.

C6, lui, a vécu, une sorte d'échec universitaire, en commençant ses études de médecine. C'est en concomitance avec ces début qu'il découvre par l'intermédiaire de missionnaires protestants oeucuméniques, sa dimension individuelle et collective spirituelle et la foi en dieu. Il décide de se consacrer à ce type d'études joignant sa quête individuelle et une dimension de vie communautaire satisfaisante. Dans un cadre oecuménique et missionnaire, il élabore sa vie sociale et collective. Il privilégie son désir propre, plutôt que les espoirs que ses parents avaient nourri pour lui : devenir médecin. Il privilégie sa naissance spirituelle, dans un cadre de forte communion favorisant sa prise de responsabilité à l'égard de la communauté. Ses ambitions individuelles semblent se confondre avec les ambitions collectives de diffusion du message religieux et de la pratique quotidienne de la foi.

Pour tous les autres, l'entrée en vie professionnelle s'accomplit « normalement », à l'issue des études. S'ils semblent avoir fait le métier pour lequel les études les avaient préparés, ils ne manifestent pas un enthousiasme particulier qui laisserait supposer un accomplissement de la dimension socio-professionnelle individuelle. C7 explique lui-même qu'il a modifié son parcours professionnel en s'adaptant aux besoins économiques du moment, en mettant en place une réorientation professionnelle, une formation supplémentaire. Ingénieur, il devient alors informaticien. Dans sa présentation, C7 laisse entendre qu'il s'est adapté au marché de l'emploi et aux besoins qu'il avait de gagner sa vie, sans avoir chercher à satisfaire des envies ou des ambitions de réussite et de bonheur personnel dans ce domaine.

· Avec les « siens d'origine »

Comment les rapports aux siens sont-ils objets de négociations, de compromis ou d'arrangements selon les individus du groupe concerné, selon le types de liens entretenus avec chacun d'eux et selon la nécessité individuelle de partager sa croyance nouvelle ? Les figures du père et la mère respectivement, sont différemment mises en jeu. Elle sont les figures emblématiques du groupe d'origine, quelque soit la prééminence que leur accordent les individus, tout au moins dans leur récit de « conversion ».

Le rôle de la maman, chez C2, d'une part, conserve l'importance nourricière et la dimension de respect à une femme qui a élevé, seule, huit enfants. Mais, une sorte de « mépris » à l'égard de sa capacité à comprendre l'expérience religieuse de son fils, transparaît dans l'expression de la décision de ne pas lui confier la conversion à l'islam. L'âge et la bonne volonté de l'individu maternel sont appelés comme les arguments clefs au silence. Le cas de ce converti est, d'autre part, exceptionnel, car en effet, il était marié et père de deux enfants avant de se convertir à l'islam. Il s'agit donc pour lui d'être aux prises avec ses ascendants et frères et soeurs, certes, mais avec son épouse et ses descendants. L'événement est très brutal dans sa vie d'homme, puisqu'il sait d'avance le type de problèmes, concernant la notion de prédestination, en particulier, qu'il va affronter en annonçant à son épouse, qu'il est devenu musulman. Il dit lui-même qu'un adultère avoué aurait été moins pénible à accepter par son épouse. Etonnante comparaison ! La conversion : un adultère ? Oui, la conversion à l'islam est souvent perçu comme un acte de tromperie, de traîtrise et emprunt de mensonges. La conviction de C2 est si forte, son besoin religieux est prédominant sur tous les autres besoins existentiels. Est-ce d'autant plus fort qu'il était dépourvu d'une éducation religieuse quelconque et issu d'un monde ouvrier communiste ?

Pour C3, la figure de la mère apparaît dans le récit comme l'interlocuteur intermédiaire avec le père. Pour sa part, les relations avec sa famille se sont dégradées, à cause du parcours socioculturel et à cause de l'intervention d'une de ses belles-soeurs et de son frère.

Pour C7, aucun problème ne se pose avec la famille, d'autant plus qu'aux yeux des musulmans sociologiques il aurait accompli un « retour » à l'islam plus qu'une « conversion ».

b. L'intersubjectivité relativement à la croyance

Autant le « moment » de l'émergence de la croyance en termes islamique implique une forme de prise de conscience de soi, distincte de ce qu'elle était avant la conversion, autant ce « moment » marque également l'intersubjectivité de l'individu converti à l'islam. Ces nouveaux rapports au collectif s'établissent sur trois niveaux, ceux qui s'élaborent de facto et effectivement, avec la communauté des musulmans tant du point de vue de la proximité que du transnationalisme de cette communauté, ceux qui s'élaborent implicitement et concrètement avec les autres croyants, et enfin, ceux que l'individu tendrait à l'élaborer avec l'humanité toute entière, d'un point de vue spirituel et d'un point de vue plus séculier. Les rapports avec le groupe d'origine peuvent -ils être considérés comme impliquant toutes les interrogations et toutes les certitudes du converti, comme « terrain » intermédiaire et de la croisée de toutes les préoccupations du nouveau croyant en islam ? Cette nouvelle configuration relationnelle , à ce stade, est plus philosophique et de l'ordre de l'expérience individuelle et intime du religieux islamique. Les convertis du corpus ont en commun le moment de l'expression de leur foi islamique et ils se distinguent les uns des autres quant au fait de s'affilier ou non à un guide spirituel musulman.

Similitudes

· Dire sa foi

En manifestant son « envie » de se convertir ou en exprimant le sentiment intérieur de se « sentir musulman », le futur converti est accueilli par les musulmans sociologiques avec enthousiasme et coeur, avec une certaine fierté et comme, avec un soulagement. Effectivement, ces musulmans sociologiques avec lesquels le futur converti vit cette série de mobilisations, tendent à laisser venir le futur converti de lui-même à l'idée qu'il se sent musulman et l'accompagnent dans sa « découverte » en lui disant qu'ils avaient deviné qu'il [le futur converti] était musulman sans le savoir. L'interlocuteur musulman est conforté dans son intuition et dans son effort d'avoir exposer sa croyance, tout en ne forçant pas son « initié ». Le futur converti devenu à ce moment-là, le converti, se sent accompagné, respecté dans son choix et pris en main sans subir de pression. Parler la croyance se révèle décisif. Dire, oraliser et verbaliser le sentiment intérieur d'être musulman contient les prémices de la conversion qui se formalise en fait, simplement, par la prononciation de la shahâda159(*).

La conversion à l'islam, effectivement, est avant tout un choix libre et un geste authentique. Pour que cette liberté de choix soit respectée, la conversion doit être préservée de toutes démarches compliquées. La conversion peut être même, reconnue sans ces démarches, elle conserve, ainsi, sa dimension personnelle et individuelle, spirituellement islamique. L'un des contemporain du Prophète avait demandé à celui-ci : « comment pourrais-je devenir musulman ? Le Prophète lui répond : dis, je crois en Dieu et sois correcte. »160(*). Prononcer donc la shahâda est suffisant pour devenir et se reconnaître soi-même pour musulman. Le Prophète dit à cet égard : « Je suis censé juger les faits extérieurs et dieu seul peut juger ce que les gens ont à l'intérieur. »161(*) La profession de foi est, aujourd'hui, toujours valable et est porteuse du sens d'appartenance et de reconnaissance de la croyance de celui qui se veut, qui se dit et qui est reconnu musulman. Pourtant, le corpus ci-joint et l'expérience puisée à l'immersion dans l'univers de l'islam en France, nous permettent de constater l'existence de démarches que certains affirment comme nécessaires à la manifestation de la conversion à l'islam. Il s'agit, en effet, de se soumettre à une sorte d'examen de connaissances religieuses, comme apprendre la fatiha162(*) et la réciter devant, soit un musulman que l'on considère comme susceptible de rendre crédible la démarche, soit devant un « fonctionnaire de culte », le plus souvent un imam de mosquée ou de lieu de prière. Pour d'autres encore, il s'est agit, toujours par une forme d'ignorance et de bonne volonté ou de crédulité, de non seulement avoir à prononcer la shahâda, mais aussi la fatiha et de faire la prière, précédées des ablutions rituelles en présence de musulman(s) qui deviennent témoins du converti et de « sa bonne islamité », devant dieu et/ou devant un imam. Et encore et finalement, dans certains cas, devant celui ou ceux qui seront amener à délivrer au converti un certificat ou une attestation de conversion. Ces documents sont délivrés après examen toujours, à Paris, à l'Institut de la Mosquée de Paris ou par le service des ambassades d'Arabie Saoudite et d'Iran, en particulier. Quel sens et quelle valeur ont ces documents ? Il s'agit seulement de valeur administrative, en raison, en particulier de la nécessité de « prouver » à l'état d'Arabie saoudite et à ses exigences de politiques extérieure et intérieure, que l'on est musulman, pour se rendre sur le territoire saoudien afin d'accomplir la `umra ou le hajj163(*). Ces contraintes administratives mesurent-elles le degré de croyance du converti ? Ou sont-elles mises en places par l'Arabie Saoudite, sur le territoire de laquelle se trouvent les lieux saints de l'islam, afin de les préserver de toute « impureté » liée à la présence éventuelle de non-musulmans ?

Disparités

Etre en relation avec un guide lorsque l'on est musulman, implique que l'on soit affilié de façon plus ou moins serrée à une confrérie. Les confréries musulmanes, le plus souvent dites soufies, c'est-à-dire, mystiques, ont une tradition historique de missionnariat, « elles ont, [dès le XIIè siècle] fourni des missionnaires pour la conversion des populations conquises et développé un mysticisme populaire qui a facilité l'adhésion des masses. »164(*) Elles rayonnent encore aujourd'hui de façon transnationale bien que certaines soient plus particulièrement attachées à une ethnie ou à une région géographique. Ainsi, les individus du corpus ci-joint qui annoncent leur affiliation à un guide, sont également sur une voie islamique plus emprunte de traditions, comme les traditions sénégalaise ou iranienne que ceux qui sont dans un lien à l'islam moins « personnalisé ». Deux cas de convertis attirent l'attention, il s'agit de C1 et de C5. Un troisième cas, C3, est également significatif, bien qu'au moment des entretiens accomplis avec lui, il dise ne plus appartenir à une confrérie et ne veuille pas décrire plus avant son expérience.

· Un guide spirituel, pourquoi ?

Les relations avec un guide ou un maître permettent un travail intérieur chez l'individu qui favorise l'effectivité de l'entrée dans la voie de l'islam. La forme d'enseignement implicite à cette relation se distingue des formes profanes d'apprentissage sans pour autant en être les antithèses. Cette forme est symbolique et son langage plus universel puisqu'elle tend à communiquer ce qui n'est pas exprimable : l'influence spirituelle. L'individu converti est, dans ce cadre, en pleine possession des moyens propres à sa personnalité, pour envisager une forme d'universalisation de sa réalisation spirituelle personnelle et individuelle.165(*) L'établissement d'un rapport initiatique au maître est très inégal selon les expériences recueillies dans le corpus. C1 et C5 sont clairement les seuls à avoir entretenu un rapport avec un guide spirituel au cours de leur vie de musulman. C1, pour sa part, avait déjà établit ce type de lien et de relation dans sa vie religieuse précédente, en Inde. Dans son récit, cette expérience semble très centrale pour lui tant du point de vu spirituel et initiatique qu'émotionnel. C5 lui aussi, semble établir un rapport de guidance dans sa vie religieuse islamique, ce qui n'a pas été le cas, en apparence, dans sa vie religieuse antérieure de protestant. En apparence, car, la forte présence de sa grand-mère pourrait avoir été vécue comme une relation à un guide. Dans ces deux cas, l'appartenance à une confrérie religieuse islamique est manifeste. Il s'agit de la même confrérie, celle des Mourides au Sénégal. C3, lui, dans un entretien informel, précédant l'entretien enregistré et transcrit dans le corpus, a confié une précédente appartenance à une tariqa (voie, au sens de confrérie) soufie. S'il ne parle jamais d'un guide dont il aurait suivi l'initiation, se dégage de son discours, l'influence et la grande importance qu'a rempli le « monsieur iranien » rencontré au début de sa vie religieuse islamique. Si C1 et C5 sont pleinement impliqués dans une relation à leur guide, C3 semble lui avoir, disons, mitigé son rapport au « maître » spirituel. Tout en préservant son individualité, son esprit critique et sa liberté, il est resté sensible à l'apport intellectuel et spirituel de certaines personnalités rencontrées, et auxquelles il consacre à la fois, un respect et une forme de mystère.

Dans les cas des expériences religieuses de C1 et C5, les rapports au guide sont emprunts de respect, de mystère et d'admiration autant que d'incompréhension et de violents sentiments émotionnels relatifs à des formes d'agressions du moi de l'individu, agressions subies et acceptées au nom de l'engagement spirituel pris implicitement avec le guide. En effet, la guidance n'est marquée que par de l'implicite et du non-dit. Elle est également marquée par une reconnaissance mutuelle. La reconnaissance et l'acceptation d'être dans une telle sorte de lien, se produit à l'initiative du « disciple » et à celle du guide. C1 dit même qu'il a choisi son guide. Pour C5, la relation est très passionnelle, imprégnée de rejets et de forte attirance intellectuelle et spirituelle. Cette relation est dominée, dans ces deux cas, par la voix du guide en une sorte de Toi, seul, peux devenir ce que tu es, et tu dois combattre ton orgueil. Ce qui s'effectue à l'aune du guide, de son expérience, de sa dimension spirituelle, de son rayonnement au sein de la confrérie, de son rayonnement en tant que « descendant du Prophète » et de son rayonnement international. Que préfigure cette relation ? Une relation au père qui aurait manqué ? Une relation à un soi idéal à atteindre ? Une initiation certainement, au sens même que R. Guénon précise : « Dans le cas de l'initiation [...] c'est à l'individu qu'appartient l'initiative d'une « réalisation » qui se poursuivra méthodiquement, sous un contrôle rigoureux et incessant, et qui devra normalement aboutir à dépasser les possibilités mêmes de l'individu comme tel ; il est indispensable d'ajouter que cette initiative ne suffit pas, car il est bien évident que l'individu ne saurait se dépasser lui-même par ses propres moyens, mais, et c'est là ce qui nous importe pour le moment, c'est elle qui constitue obligatoirement le point de départ de tout « réalisation » pour l'initié [...] »166(*) On y trouve ainsi l'expression de la liberté individuelle utilisée pour secouer le joug des contraintes intérieures tant psychologiques que culturelles ou religieuses ou supposées telles, afin d'acquérir un mieux être spirituel dans la nouvelle configuration de la foi islamique, que pour accéder à la participation du collectif. Le collectif est, bien sûr, dans un premier temps, celui de la confrérie et, dans un second temps, l'ensemble des croyants et pour finir toute l'humanité. Comme dans l'expérience de C1 en Inde, la relation au guide, comme pour C5, est toujours suspendue à la possibilité qu'a le disciple de s'en libérer. Cette contrainte est fondée sur la responsabilité, le choix et la liberté individuels de tenir ses propres engagements vis-à-vis de soi avant tout, de dieu et de la communauté, avec effort et obligation, mais dans le cadre du libre arbitre, renouvelé et rénové. Cette relation semble investir le « disciple » de façon encore plus profonde d'un rôle de transmetteur, de porteur de parole et de foi, quand au retour en France, il se sent prêt à diffuser dans la société postmoderne, ses convictions religieuses. Le rapport guide/disciple est initiateur d'un apostolat chez le « converti » que l'on ne retrouve pas chez les autres témoins du corpus.

c. L'après conversion : une identité collective amphibie

Il est possible d'observer ce qui suit quant aux relations du converti avec, désormais et pour la vie, ses deux univers d'appartenance. En effet, si au début de sa conversion, il est particulièrement bien accueilli par les siens d'appartenance, ce sont « les siens d'origine » qui demeurent assez sceptiques et froids, voire franchement hostiles ou encore ne prenant pas au sérieux la nouvelle dimension religieuse de l'existence de leur fils, de leur frère ou de leur ami. Lorsque la conversion s'installe et devient une réalité dans le temps, les hostilités des « siens d'origines » peuvent diminuer voire disparaître (ce qui est rarement le cas lorsqu'elles sont intenses dès le départ). L'idée qu'il s'agissait d'une lubie de jeunesse comme pour C3, qui avait permis aux parents de « supporter » la nouvelle croyance de leur fils, mais finalement de se voiler la face et de ne pas reconnaître l'individu et la dimension responsable de leur descendant, fait place à une déception et à un refus encore plus net de cette dimension chez l'autre. Si les relations avec les « siens d'origine » n'ont pas été hostiles, au début, mais seulement empreintes d'une surprise, d'un étonnement et de tolérance, elles s'améliorent avec le temps, avec la persévérance que vit le converti dans sa foi, pour, en fait, normaliser cette nouvelle identité au sein du groupe d'origine. L'après conversion révèle en revanche de nombreuses difficultés au converti dans sa communauté des « siens d'appartenance ». Ces « heurts » sont nouveaux et bien spécifiques à la fin du XXème siècle et au début du XXIème. Les témoignages de convertis ayant vécu au milieu du XXème siècle particulièrement, ne sont pas frappés au coin de déceptions relatives à la communauté d'accueil. L'on constate donc, sauf pour le cas de C1 et C4 appartenant tous deux à la confrérie des Mourides, dans le témoignage de tous les autres, des formes de regret, de déception et de désillusion concernant les relations qu'ils vivent avec les musulmans sociologiques après la « conversion ».

Similitudes

Si le converti semble réconcilié avec le collectif universel, il est en porte-à-faux avec sa famille d'origine, les ascendants, le plus souvent (5, voir tableaux p.). Faut-il pour se concilier l'universel s'affronter au collectif proche de l'appartenance initiale ? Ou bien est-ce une simple conséquence ? Tous les convertis savent d'avance que se convertir à l'islam posera quelques problèmes à leur famille, pourtant, ils vivent leur conversion, deviennent musulmans en prenant ce « risque ». C'est d'autant plus intéressant qu'en termes islamiques, le respect des ascendants et l'effort pour ne pas les faire souffrir sont fondamentaux, voire constitutifs du fait même d'être un « bon musulman ». Comment le justifier alors ? Au nom du fait qu'ils répondent à un appel divin, dieu reste supérieur à toutes créatures terrestres, ils acceptent de ne plus être en harmonie avec leurs ascendants. Mais, en fait l'ont-ils jamais vraiment été ? Pourtant ils ont tous le souci de recréer une harmonie autour de leur foi, en fondant une famille basée sur un mariage avec une musulmane. Qu'implique cette aspiration et comment vont-ils la réaliser ?

· De « l'homme marginal » au médiateur

« Homme marginal » au sens de R. Bastide, le converti banalise sa marginalité « d'origine » en essayant de la dissoudre dans deux systèmes de pensée dont les deux univers socioculturels trouvent des difficultés à communiquer dans la société française ultramoderne. Pour tous, et à degré divers, leur statut public de musulman les portent à devenir des médiateurs culturels ou/et religieux, malgré eux parfois. Ceci, bien qu'ils ne le souhaitent pas, ils privilégient leur développement spirituel individuel. Ce développement très individualiste peut même prendre des tournure misanthropiques. Cette médiation a tendance à s'établir en termes d'explication de l'islam aux non musulmans, donc de l'univers culturel islamique vers l'univers français, plutôt que dans le sens inverse. En essayant de ne pas devenir, dans leurs cercles de relations sociales, le « converti de service », ils se prêtent aux débats, tant pour continuer à témoigner de leur foi individuelle, que pour désenclaver ceux qui les sollicitent, des idées reçues et a priori de toutes sortes. L'exception à cette médiation peut pourtant se rencontrer sur le terrain de l'interrogation concernant la laïcité. En effet, si tous les Français semblent vivre en toute conscience et en toute connaissance de cause dans une république laïque, l'actualité de ces dernières années, a révélé l'ignorance que nous pouvons avoir de ses principes et de son application. La question de la représentativité de l'islam sur le territoire national, celle du foulard islamique167(*) et celle des évènements internationaux, jusqu'aux plus récents, ont réveillé une volonté de meilleure connaissance de la laïcité jusque dans les sphères islamiques du pays. En effet, les musulmans sociologiques, vivant en France, se sont astreints à mieux connaître la loi de 1905 et ses tenants et aboutissants tant philosophiques que juridiques. Les convertis, même indirectement, y ont participé. Médiateur malgré lui, parfois, donc, le converti cultive néanmoins une modestie à l'égard de son savoir islamique, enclin à ne pas faire de prosélytisme, à respecter les choix individuels et la liberté d'autrui, possessif qu'il est de sa propre voie et soucieux de préserver sa vie spirituelle. Pourtant, les entretiens, dont le compte-rendu est joint, confirment à quel point, ils se réjouissent socialement et spirituellement de partager leur expérience et leur savoir, leur foi et leur conviction religieuse, d'une part, et à acquérir toujours de nouvelles connaissances, d'autre part. Comment la figure du converti prend-elle, alors sa dimension d'intermédiaire religieux et culturel et son calibre prométhéen ?

· Le mariage

Dans le cadre des relations entretenues avec les musulmans, et plus particulièrement avec les musulmans sociologiques, il est possible de traiter de la dimension à la fois individuelle et collective de la création d'un couple, voire de la création d'une famille.

En islam, d'une part, se marier et procréer sont des « obligations » spirituelles pour l'homme comme pour la femme. D'autre part, un homme musulman peut épouser une femme non musulmane, chrétienne ou juive. L'athée ou l'agnostique lui sont interdites. Enfin, rappelons que le mariage entre musulmans n'est pas un acte sacré, mais séculier, contrairement aux mariages chrétien et juif. Le mariage, en islam sunnite, est un contrat entre deux individus, réalisé chez le notaire, `adil, en présence de témoins pour chacun des époux. Ce mariage s'apparente plus au mariage républicain, ce qui n'est certainement pas pour déplaire aux convertis du corpus concerné. Le mariage en islam sunnite ou shi'ite revêt, quand même, une spécificité ignorée du mariage républicain : la possibilité de la polygamie. Comment se marie-t-on lorsque l'on est converti à l'islam ? Comment ces hommes convertis à l'islam envisagent-ils la dimension polygamique du mariage islamique ?

En effet, les hommes convertis du corpus étudié, quand ils ne sont pas mariés, souhaitent le plus souvent épouser une musulmane ou bien une femme « croyante » qui le deviendrait. Pourquoi ne disposent-ils pas du choix qu'ils ont d'épouser une non musulmane ? Un foyer univoque islamique leur semble préférable, et ce, du point de vue individuel, dans un premier temps. Dans un deuxième temps, ils arguent de ce choix pour manifester leur souci de pouvoir élever leurs enfants à venir, dans l'islam. Quand ils sont mariés, ils ont épousé une musulmane, le plus souvent de naissance. On peut comprendre, dans un troisième temps, qu'il sont motivés par le besoin de s'affilier à la communauté musulmane, d'établir l'engendrement spirituel dans une lignée familiale, une tribu, arabe et de surcroît potentiellement et mythiquement descendante du Prophète Mohammed168(*). Il est, en revanche, très clair pour tous, que devenir musulman ne signifie pas devenir Arabe. Et bien que la distinction entre l'appartenance religieuse et l'appartenance culturelle soit très précisément établie, une « gourmandise » les pousse vers la chaleur de la civilisation arabe. Exception faite de C7, d'une part, qui, en conservant son esprit critique déjà mis au service de la remise en question des attitudes de son groupe d'origine, manifeste son scepticisme envers la civilisation arabe et les interactions arabe/islam. Et de C1 et C5, qui sont plus en relation avec l'univers culturel sénégalais qu'avec l'univers culturel arabe. Il est possible d'imaginer, bien qu'aucun ne l'a dit explicitement, que la crise de la famille et du couple à l'occidentale ne les encourage pas à envisager d'établir un couple dans la multiplicité des configurations post-moderne, mais à chercher dans un autre système de pensée, les moyens d'élaborer un couple basé sur le spirituel et conçu comme le champ de la pratique religieuse et de l'engagement.

C3, a lui, élaboré son couple. En choisissant d'épouser une femme musulmane sociologique, plus qu'une femme convertie, comme lui. Il est remarquable de constater comment C3 est partie à la recherche de son épouse. En effet, il a mis en place des pratiques traditionnelles que l'on retrouve très vivaces encore au Maghreb et plus particulièrement au Maroc : ces pratiques consistent à activer un réseau de relations sociales, familiales et amicales, afin de rencontrer celui ou celle qui sera le compagnon de mariage. Exit pour C3, l'histoire d'amour fondatrice d'un couple idéal et heureux ! Il sollicite donc ses amis musulmans marocains, émet ses « exigences », plutôt centrées sur le fait que sa future épouse devrait être musulmane et mature. Peu lui importe l'âge ou la beauté, l'origine sociale ou professionnelle. Le renouveau des rencontres en vue de mariage par le biais d'agences matrimoniales, du minitel et d'internet ne peut permettre donc de regarder la démarche de C3 sous l'oeil moqueur ou sceptique si fréquent. En puisant à des sources anthropologiques traditionnelles, il n'en reste pas moins ou n'en devient pas moins, un individu ultramoderne. Le couple de C3 semble, non seulement s'être constituer, mais s'être réaliser et se dérouler sans heurts. Trois enfants sont nés de ce mariage, et chaque membre semble accompli. Peut-on s'interroger alors ici qu'en fait le multiculturalisme ambiant est plus une question de formes des comment vivre, travailler, aimer et croire, qu'une questions de fond, quelle vie mener, quelle profession pratiquer, qui aimer et que croire ?

Un cas, C2, attire pourtant l'attention. En effet, divorcer d'une femme croyante n'est pas une obligation lorsque l'on se fait musulman, la patience et l'espoir qu'elle se convertisse devant rester impérieux. Le dilemme se pose quand elle est « agnostique et athée » et que la configuration du couple semblait déjà mise à mal, avant la conversion de C2. Si, à l'heure actuelle, le chercheur ne sait pas si la rupture conjugale annoncée a été consommée, il est évident, par le témoignage de C2, que sa conversion a été un bouleversement individuel, mais également familial et affectif, plus que dans tous les autres cas. Bien que cette rupture l'affecte, il semble déterminé à ne rien céder sur le terrain de sa vie spirituelle individuelle qui devient Le centre de sa réalisation sociale et identitaire. Il souhaite la consacrer pleinement à l'islam au point de fonder une famille, un foyer avec et uniquement une femme musulmane. Il est perceptible dans son récit qu'il s'agirait pour lui d'une réalisation totale de sa nouvelle vie de musulman.

Quant à la polygamie, tous les convertis interrogés ont non seulement expliqué qu'ils en connaissaient les tenants et aboutissants islamiques historiques et juridiques, qu'ils ne songeaient pas en user a priori, et que ce n'est pas cela qui aurait participer de leur conversion à l'islam.

Se marier avec une femme musulmane, ne serait-ce pas une façon de s'attacher corps et âme à la foi islamique ? Cela ne pousserait-il pas cet homme a être plus musulman que musulman, plus honnête qu'honnête et plus fidèle à son engagement marital qu'il ne l'aurait jamais été ? S'agirait-il pour ces hommes de finaliser leur intégration spirituelle en se donnant « toutes les chances » de pouvoir élever leurs enfants en islam, en faisant d'eux des musulmans sociologiques et tentant alors « d'effacer » leur conversion -conversion, dont certes ils ne souffrent pas et dont ils n'ont pas honte, mais qu'ils décrivent toujours comme n'ayant pas été assez précoce ? Ne s'agit-il pas pour eux de « démontrer » qu'il est possible, aujourd'hui, de se marier avec quelqu'un, et de projeter ce couple dans un long terme et sur des bases, comme les spirituelles individuelles, plus difficiles à ébranler que toutes celles qui sont appelés en renfort du point de vue ultramoderne ? Ce type de mariage supposerait-il donc deux idées sous-jacentes : celle qui considère que le sentiment amoureux comme ciment du couple est désormais une hérésie, la preuve en serait tous les échecs constatés et celle que le couple concerne des individus avant tout, en étant une affaire séculière, mais au coeur duquel il est possible de puiser des forces spirituelles, pour les individus et les communautés auxquelles ils appartiennent ?

Disparités

Les disparités de ces rapports d'intersubjectivité se répartissent elles, sur cinq niveaux. Il s'agit d'abord de la manière dont chacun et différemment va vitaliser sa foi, puis des rapports qu'il va établir avec son groupe d'origine et enfin, des rapports qui se nouent avec le groupe d'accueil. Les rapports aux enfants et enfin les relations professionnelles les distinguent les uns des autres.

La vitalisation de la foi peut se faire en effet autant de façon très individuelle, le plus souvent par l'acquisition de connaissances que par les rapports aux autres croyants, aux lieux de culte proprement dits et aux cultures dans lesquelles l'islam s'est implanté. Les relations au groupe d'origine s'établissent d'une part avec la famille du converti et avec son milieu professionnel non musulman. Celles avec le groupe d'accueil sont plus des relations de religiosité et de pratiques. Ils différent les uns les autres quant aux relations qu'ils établissent avec leurs propres enfants dans le cadre de l'aspiration religieuse. Les relations dans le milieu professionnel, si a priori, elles n'ont encore moins lieu d'être traitées sous l'angle religieux, ne peuvent être exemptes des interactions vie privée/vie publiques en jeu dans le monde professionnel ultramoderne.

· Vitaliser sa foi

Les pratiques religieuses sont pour tous les convertis du corpus ci-joints le moyen de vitaliser l'expérience religieuse de la foi et de la conversion. La prière, pour tous, un impératif, la prière collective et le ramadan sont des actions très significatives, très importantes.

C7 se distingue des autres nettement pour avoir accompli deux fois, après deux années de conversion, le pèlerinage de la `umra à la Mecque. Acte de vitalisation par excellence, certes, mais aussi voyage en terre d'islam et rencontre avec des musulmans vivant quotidiennement leur foi, en situation majoritaire. La confrontation d'une foi un peu abstraite avec un type de fidèles musulmans, lui a permis de mieux connaître l'islam, ses diversités et ses pratiques et de dissocier l'islamité de l'arabité ou de l'africanité.

· Avec les « siens d'origine »

Ce mieux être social, du point de vue de l'individu, semble s'atténuer lorsque l'on aborde le thème des relations au groupe d'origine, plus spécifiquement la famille du converti ou le groupe auquel le converti participait avant. En particulier dans le cas de C1, son groupe d'appartenance spirituelle précédant sa conversion à l'islam, était bouddhiste. L'annonce de sa conversion à l'islam semble avoir refroidi ses relations avec ce groupe. Au point qu'il en déduit lui-même que, soit sa conviction est trop forte, pour être comprise par eux, soit encore, qu'ils ne seraient pas prêts à recevoir une telle « révélation ». Lorsqu'il s'agit des relations aux parents, au père et à la mère, les conflits ont surgi, bien qu'apparemment, il ne soit pas possible à un parent français, dans les milieux sociaux favorisés, aujourd'hui, d'empêcher un de ses enfants de choisir une autre religion que la sienne, respect de la laïcité et de l'individu également, oblige.

Si, bons nombres des convertis « étudiés » disent ne pas avoir de bons rapports avec leur famille d'origine depuis l'annonce ou la confirmation de leur conversion à l'islam, pour certains il en va autrement. Les relations sont aussi bonnes qu'avant. Ou plus complexes encore, les relations avec certains membres de la famille sont meilleures qu'avant, c'est le cas de C7 et de son frère athée dont C7 dit : « mes relations avec mon frère athée sont meilleures depuis que je suis musulman, les athées respectent plus les convertis que les croyants d'origine. »

C1 dit avoir conservé de bonne relations avec sa mère, malgré un petit moment difficile, le moment de l'annonce, mais surtout avoir élaboré de meilleures relations avec son père. Bien que ce ne soit pas dit dans l'entretien ci-joint, puisque cela fait partie d'entretiens informels, C1 confie qu'un de ses oncles est venu à l'islam « grâce à lui ». Cet oncle a retrouvé le sens de la vie et la dignité de l'existence grâce à l'islam, sans prosélytisme aucun de C1, apparemment. Faire école, n'est pas très fréquent !

· Avec les « siens d'appartenance »

Une fois que le futur converti devient musulman et s'affirme comme tel auprès des musulmans sociologiques, une période idyllique courte s'ouvre à lui. Ce temps de « convalescence », ce temps de « nouveau né » en islam confère au converti un statut privilégié au sein de la communauté musulmane sociologique. Il est choyé, accompagné, encouragé, soutenu, initié et est encore nimbé d'une aura de bienvenue. Le temps des devoirs peut alors s'ouvrir. Devenu l'égal, en pratique et en devoirs, en croyance et en tradition, des musulmans sociologiques, le converti n'en reste pas moins toujours tenu pour « converti » par ses pairs. La distinction croyance islamique et traditions est alors en pleine lumière. Le converti se trouve, d'une part, face à une situation nouvelle : celle de s'acculturer ou non, celle d'être français musulman pour n'ayant, tout simplement pas la possibilité de devenir arabe, marocain, syrien, jordanien, égyptien, saoudien, sénégalais, pakistanais ou iranien, etc. D'autre part, si chaque musulman sociologique sait que par les principes coraniques, aucun musulman ne peut juger, jauger ou mesurer le degré de foi d'un de ses coreligionnaires, l'appartenance à la communauté des croyants, la Umma, pose la responsabilité de chacun à donner l'exemple, en tant que croyant. Le converti n'échappe évidemment pas à cette responsabilité, musulman « comme les autres » qu'il est devenu. En fait, le converti n'est jamais « comme les autres ». Le plus souvent, il se veut plus musulman que les musulmans, dans les débuts de sa conversion tout du moins, à la fois pour dépasser la séparation traditionnelle qui le sépare de ses « frères », pour acquérir au mieux les pratiques et parce que novice il est encourager par les autres à faire mieux encore, à honorer l'engagement qu'il prend non seulement devant dieu, mais aussi dans la communauté humaine.

On peut supposer que dans les cas réunis dans ce corpus, l'intention de bien faire, voire de mieux faire, soit d'autant plus importante chez eux, qu'ils ont été critiques des pratiquants de leur groupe religieux d'origine. Critique qui est à la base même de leur quête spirituelle et donc de leur conversion à l'islam (sauf C1 et C2). L'exigence d'être un « bon » croyant vient donc d'abord d'eux-mêmes. Cet enthousiasme voire ce « stakhanovisme » à devenir un musulman accompli, ne peut, à son tour, que réjouir les musulmans sociologiques qui les accompagnent. Mais, cette intensité de foi, de pratique, d'apprentissage, de formation à la langue arabe (particulièrement pour C3 et C6), de connaissance coraniques, hadithiques et exégétiques met le converti en porte-à-faux avec ses coreligionnaires sociologiques. Avide de savoir, il devient parfois plus « savant » qu'eux. Mais, surtout vierge des poids de la civilisation arabe, africaine ou asiatique, il aborde textes, connaissances et références, le Coran excepté, d'un oeil vif, neuf et sans complexe, le plus souvent. En l'absence d'un terreau traditionnel qui lui permettrait d'élaborer des repères, le converti vitalise sa croyance aux livres et met en jeu son esprit « cartésien ». Ceci trouble ses coreligionnaires sociologiques, au point parfois, que certaines confréries créent des sous-groupes de convertis. Isolés au sein de la fameuse Umma universalisante, ghéttoïsés, stigmatisés les convertis sont, alors des musulmans minoritaires, suspects et dérangeants. Les heurts culturels et de systèmes de pensée peuvent éloigner les musulmans sociologiques du converti ou éloigner le converti de ses frères, musulmans depuis des générations, héritiers donc d'une mémoire collective, intuitive et traditionnelle. A leur tour, les musulmans sociologiques pour la plupart semblent « attendre » que le « converti » devienne musulman « comme eux ». Les références que peut établir un « converti » avec d'autres systèmes de pensées religieux ou philosophiques, souvent liés à sa vie « d'avant », sont assez fréquemment « refoulées » par les musulmans sociologiques. Ils arguent du fait que le « converti » aurait en adoptant l'islam, adopté « le meilleur système religieux » qui soit. Ainsi, pourquoi donc continuer à le mettre en rapport avec les autres, la pensée individuelle, l'analysez et la compréhension ? Le « converti » devient alors une sorte de « mouche du coche », trouble fête malgré lui, et rengaine sa dynamique intellectuelle ou tout simplement ses interrogations, pour souvent s'isoler d'une façon ou d'une autre de ses frères sociologiques. Cette mémoire, donc à laquelle il est condamné à ne pas avoir accès, ou du moins succintement, il doit en faire le deuil. Au deuil de la tradition, le converti ne se retrouve-t-il pas à faire le deuil de son rêve (naïf ?) d'universalité, réalisé par son appartenance spirituelle à l'islam et religieuse à la Umma mythique, société idéale ? Il s'agit pour le converti, à nouveau, de faire émerger son individualité de musulman dans le cadre normé et normatif de l'islam dont il sait, le plus souvent parfaitement, intégrer les contraintes.

Les « convertis » entre eux ne se facilitent pas la tâche pour autant, non plus. Ils suspectent la sincérité de leurs semblables. Selon qu'ils sont d'une obédience ou d'une autre essaient de convaincre qu'ils sont « plus musulmans » que l'autre, mieux informés et plus aptes à l'être. Ils rivalisent de connaissances et de pratiques, s'excluant les uns et les autres et créant un tribalisme nouveau. Certains fondent des confréries de « convertis ». Quant à ceux qui sont médiatisés, ils sont les plus susceptibles à être critiqués tant par leurs « frères » « convertis » que par les « frères » sociologiques. Comment désenchevêtrer cet imbroglio ?

· Avec ses enfants

Quatre des convertis interrogés sont pères. C3 a accompli sa paternité dans un couple après sa conversion à l'islam. Ses trois filles sont élevées dans l'islam tant par leur père que par leur mère, celle-ci étant musulmane sociologique. Si C3 peut souhaiter que ses filles choisissent d'être musulmanes, il n'oublie pourtant pas qu'elles pourraient elles aussi, comme il l'a fait, ne pas suivre la voie spirituelle de leurs parents. Il semble leur enseigner l'islam de façon ouverte en leur apprenant que le christianisme et le judaïsme existent. Pour C2, la situation semble plus complexe. Il est père de deux garçons, nés, avant qu'il se convertisse à l'islam. Si bien sûr, au moment de l'entretien, sa situation familiale était bouleversée par son choix spirituel, il n'en émettait pas moins le voeu de pouvoir instruire ses enfants des valeurs islamiques, et se disant lui-même, d'une part qu'il ne peut pas imposer à ses enfants d'être musulmans, d'autre part, qu'à « l'âge de raison », ils comprendront la différence de foi entre leur père et leur mère. Pour C4, le choix religieux des enfants ne semble poser aucun problème, « ils ne sont pas croyants, et d'instruction chrétienne classique », dit-il. Pour C6, il semble que ce soit plus les valeurs du coeur que les valeurs religieuses islamiques qui soient à transmettre.

Pour tous les autres, le souhait est manifeste de pouvoir au moins transmettre leur foi islamique à leurs enfants, d'autant qu'ils ont avant tout le voeu d'épouser une musulmane. Ce dernier permettrait-il donc à ces hommes de s'assure les conditions idéales pour essayer de faire de leurs enfants des musulmans ? S'agit-il de comprendre qu'implicitement, pour eux, ne pas vivre avec une musulmane entraverait leur intentions ?

· Et les relations professionnelles

Du point de vue de la vie professionnelle, les individus du corpus ci-joint sont différents les uns des autres. En effet, pour C3, son entrée sur le marché professionnel s'est accompli après sa conversion, au point que lorsqu'il a été recruté comme ingénieur, il a souhaité préciser qu'il était musulman, afin a-t-il dit dans une partie informelle des entretiens menés avec lui, « qu'il n'y ai pas de surprise, quant à sa pratique du ramadhan, en particulier. » C4, également, est converti avant d'entrer sur le m arché du travail. Enseignant, si chacun peut savoir qu'il est de pratique musulmane, cela n'a pas l'air d'être vécu de façon prosélyte de sa part, ni de façon paranoïaque. Il ne s'en cache pas, mais ne l'expose pas pour autant. Pour C1, ce n'est pas le marché du travail, dans un premier temps, auquel il dut se confronter, alors nouvellement converti, mais au monde de la formation professionnelle. Sans aucune ostentation, voire même avec discrétion, car il s'est présenté avec son prénom français, il n'a pourtant pas caché son intérêt pour le monde musulman. En formation informatique de création de sites Internet, il développe son projet autour de la personnalité de Cheikh Amadou Bamba, et recueille toutes les informations visuelles ou techniques concernant le sujet. Il précise qu'il n'a pas à imposer quoique ce soit et que ceux qui manifesteront leur intérêt pour ce qu'il fait, en termes religieux, seront les bienvenus. C2 devient musulman sur son lieu professionnel, ce qui le distingue nettement des autres. Ainsi, non seulement il partage sa foi nouvelle avec ces collègues féminines et masculins musulmans sociologiques avec lesquels il dit s'être initiés. La direction de l'entreprise dans laquelle il professe est pourtant de pratique judaïque. Il ne souhaite pas que cette direction connaisse plus profondément le type de sa croyance. Bien qu'il ne craigne pas les rumeurs, il n'affiche pas sa foi et espère avoir eu raison d'avoir eu confiance en certains de ces collaborateurs et collaboratrices qui n'iront pas parler de sa conversion. C5 était, lui aussi, architecte avant de se convertir. L'entretien, avec lui, fut assez difficile sur la question, il semble néanmoins qu'il ne rencontre pas de difficultés à être devenu musulman, d'autant que la confession religieuse d'un acteur professionnel ne fait pas, en France, l'objet d'une connaissance publique. C7, ingénieur également avant sa conversion, dit -lui même qu'il en parle volontiers « à ceux qui veulent bien l'entendre », que cela soit su dans son entreprise ou pas, l'indiffère. C6 n'est plus en activité professionnelle depuis qu'il est converti, en formation, il ne se soucie pas non plus de savoir ce que l'on pourrait penser de sa foi, d'autant que pour lui, il s'agirait, d'une forme de « retour à l'islam ».

Ainsi, il est possible d'observer que chacun use à son aise de sa liberté d'exprimer en public sa croyance. Du domaine du privé, elle reste toujours relativement préservé de toute communication ostentatoire. Le cas de C3 reste exceptionnel, bien que l'on puisse sentir chez tous une certaine envie de pouvoir le dire sans retenue dans quelque espace public que ce soit. S'agit-il de l'expression ultramoderne de la religiosité ? Ou bien est-ce spécifique à la foi islamique ? Par, expérience, le chercheur ayant eu affaire à des convertis au bouddhisme, il peut constater la même « envie » chez ces croyants de « partager » leur foi, aussi bien sur le lieu du travail qu'en d'autres espaces publics. Ils sortent la croyance de l'espace privé, avec une forme d'impertinence, mais également avec la conviction qu'il faut investir le monde moderne trop sécularisé à leur yeux, de dimensions éthiques revisitées et à communiquer autrement.

D. Une minorité dans la minorité

De la subjectivité

Le « sujet » du converti est, donc une identité qui s'établit, d'une part, en termes de « j'appartiens pleinement à un univers donné, intellectuel, culturel, spirituel » ET « je suis un individu qui interprète spécifiquement le monde et le système de pensée de l'univers I auquel j'appartiens ». Le converti ne change pas d'identité, il complète son identité par le développement de sa dimension spirituelle. L'individuation des « convertis » du corpus est spécifiée par l'adoption d'un système religieux dépourvu d'un intermédiaire entre le croyant et dieu, dépourvu d'une hiérarchie ecclésiastique officielle. Ces deux aspects mettent en exergue la dimension solitaire du musulman et donc de l'individu postmoderne qui le devient et renforce le fait que dieu s'adresse à lui personnellement et à qui tout aussi bien le « converti » peut s'adresser. L'absence d'autorité ostensible en islam sunnite, plus particulièrement, ou l'existence de multiples autorités de savoir, sans que l'une prévale sur les autres, font un effet de miroir à la désintitutionnalisation ambiante en société française postmoderne, à la « réseauification » ou à la « tribalisation » de la société, et maintient l'individu soit, dans un contexte de perpétuel apprentissage soit, lui permet de choisir, encore une fois, comme un renouvellement d'alliance, la sous-tribu musulmane.

Pourtant, sur les 7 témoignages recueillis, un seul n'appartenait pas à un système religieux avant de se convertir à l'islam. Bien que sociologiquement judéo-chrétein, pour conserver cette acceptation, par son environnement sociétal, il n'a pas eu véritable à désactiver un système de croyance pour en adopter un autre. Contrairement aux autres, qui ne semblent pas avoir complètement désassimiler le système religieux d'origine pour assimiler le système religieux d'appartenance, mais plutôt avoir accompli une série de transferts ou de glissements de sens. Ces glissements s'arrêtent pourtant au niveau de l'acceptation d'un dieu unique nouvellement présenté qu'en islam, on ne se figure pas, qui n'a ni engendré, ni été engendré et dont la propriété première, aux yeux des « convertis » en tout cas, est la miséricorde.

C'est cette dimension qui prédomine dans la « conversion » de chacun. Ils semblent avoir « découvert » un secret qu'ils s'approprient, contre vents et marées, contre les leurs d'origines et un peu contre les leurs d'appartenance. La figure du converti prend alors des formes de la figure symbolique d'un Prométhée ultramoderne, conquérant la lumière-esprit, de l'Arbre de la Connaissance, condamné à vivre le conflit entre deux idéologies culturelles, la culture de l'instinct assumé, celle du feu dérobé, la culture de l'ordre immanent et celle de la transgression par l'esprit169(*). L'une et l'autre n'étant pas identifiées ni au système occidental ni au système arabo-musulman. La combinaison de ces deux systèmes permettent plutôt, à ces individus, dans une dynamique incessante de renouvellement de ce système l'un par l'autre, de vivre le précaire équilibre entre chair et esprit, entre régression menaçante et exaltation presque perverse de la raison, en société ultramoderne.

De l'intersubjectivité

Ces 7 cas de « conversion » sont des cas de « conversion » individuelle participative puisqu'elles font intervenir le collectif. Celui-ci intervient de double façon. Il s'agit d'une part du groupe des siens d'origine que l'on « quitte » et celui que l'on « rejoint », le groupe d'appartenance.

L'intersubjectivité que développe le « converti » avec ces deux groupes se répartit sur les domaines professionnel, éducatif et familiaux, ascendants et descendants. Remarquons que d'une part, les activités professionnelles et de formation continue continuent à être accomplies après la « conversion » dans le domaine du groupe d'origine, l'univers non musulman du « converti ». C1 est une exception limite puisqu'il a destiné sa formation en informatique à l'usage professionnel et missionnaire de la diffusion du message de paix mouride. En revanche, si C6 se distingue aussi des autres, c'est pour avoir, les circonstances aidant, cesser son activité missionnaire en devenant musulman. C'est à cette période-là qu'il expérimente la vie professionnelle dans le privé pour la première fois. A la connaissance du chercheur, certains et certaines « convertis » à l'islam ont orientés l'ensemble de leur vie sociale vers le groupe d'appartenance, quittant une activité professionnelle qu'ils estimaient incompatible avec leurs aspirations de musulmans, ne conservant d'avec le groupe d'origine que les relations parentales.

D'autre part, la vie « affective » intime en vue de l'établissement d'un foyer et d'établir de nouvelles amitiés, est envisagée sous la nouvelle tutelle spirituelle islamique du « converti ». L'exception est faite par C6. A la connaissance du chercheur, cette configuration interrelationnelle est majoritaires chez les « convertis » à l'islam et au bouddhisme, exclusion faite de ceux et de celle qui se « convertissent » à l'occasion d'une rencontre avec un musulman ou une musulmane sociologiques, et pour s'harmoniser avec leur futur compagnon conjugal.

Quant, il s'agit des enfants, il est possible d'observer qu'ils souhaitent les élever dans l'islam (sauf C6 et C4). Mais, à ce stade, ils sont saisis par la potentielle dynamique d'individuation ultramoderne de leurs descendants. Ils se trouvent en porte-à-faux : éduquer, certes, tout en respectant les choix spirituels éventuels de leurs enfants.

Les univers sociaux dans lesquels les « convertis » paraissent cloisonnés. L'univers des musulmans sociologiques semble être essentiellement destiné à satisfaire leur identité spirituelle et la dimension des relations chaudes. C2, dans ce cadre, se distingue des autres, en entretenant des relations avec des musulmans sociologiques sur le lieu de travail.

Quand ils sont à la recherche de relations avec l'univers du groupe d'appartenance, c'est le plus souvent pour assouvir le besoin d'apprentissage de l'islam, le besoin de la communauté des croyants et peut être le besoin de régulièrement se sentir un peu différent. Ces relations sont complexes et difficile dans l'après-conversion, de leur point de vue, en tous cas.

Ainsi, le « converti » est une sorte de stéréotype de la dimension métasociale du religieux ultramoderne. Il sacralise d'une part l'ordre social de la Umma et d'autre part tout ordre social.170(*) Cette identité est marquée par la différence que l'individu vit d'avec son groupe d'origine et d'avec son groupe d'appartenance. Il est doublement différent de des siens d'origine, par ce qu'il est croyant d'une part, croyant musulman, d'autre part. IL se distingue des siens d'appartenance par le bagage socio-psychologique et religieux de la société majoritaire. C'est en cela que sa situation est minoritaire.

Les relations entre « convertis » mériteraient à leur tour d'être passés au crible d'une lecture qui dégagerait leurs spécificités en tant que groupe minoritaire, triplement minoritaires qu'ils sont, vis-à-vis de leur communauté d'origine, d'une part, de leur communauté d'appartenance d'autre part, et eu sein même de leur communauté d'appartenance. En effet, ultérieurement, approfondir les relations et les perceptions des convertis avec leurs groupes d'appartenance et d'origine, du point de vue des acteurs sociaux de ces mêmes groupes, permettrait de croiser les regards et d'élaborer un portrait social plus complet du converti à l'islam dans la société française ultramoderne. Prendre en considération les convertis menés par leur parcours en terrorisme et ceux qui ont choisi de vivre en société musulmane majoritaire comme en Syrie ou au Maghreb nous permettrait d'essayer l'étude des tous les phénomènes inhérents à la conversion à l'islam au XXIème siècle en Europe.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

L'individu religieux qui émerge dans la figure du « converti » « s'affirme plutôt comme celui qui se donne des règles de vie et qui cherche à diriger sa vie selon des conduites licites en s'appuyant sur les « piliers de l'islam » »171(*)

Il fait appel à un divin très extériorisé qu'il intériorise jusqu'à être un véritable rapport à soi. En effet, d'une part, contrairement à la conception de dieu en christianisme, la conception de dieu en islam n'est pas anthropomorphe, et donc n'est pas narcissique. L'interlocuteur privilégié avec lequel le musulman, et donc le « converti », établit un rapport est en permanence absent. La croyance a de spécifique qu'elle situe le croyant en face tout à la fois d'une immanence permanente de l'absence et à une transcendance. Chacun donnerait, alors à dieu, l'image qui lui convient. Cette potentialité représentative et spirituelle propre à l'islam donne une place importante à la dimension du fascinans. Celle-là même qui aurait disparu en société ultramoderne.

Pourtant d'autre part, par ses principes l'islam semble parfaitement répondre à la sacralisation du narcissisme ultramoderne et ne remet pas en cause l'autonomie de l'individu, au point même de la mettre, spirituellement, tout au moins en exergue.

Autant il n'y a pas de modalité unique à se penser musulman en société lorsque l'on est musulman sociologique, autant les « convertis » ne peuvent être globalisés. Devenir musulman, est un choix renforcé par l'appel à la responsabilité individuelle quant au choix pour ou contre l'islam, qui fait partie des référents normatifs islamiques de base. C'est un choix de se normer sans être susceptible de subir les obligations imposées par le contrôle social du groupe d'origine aussi bien que celui du groupe d'appartenance.

Qui est donc le « converti » à l'islam en France du XXIème siècle ? Quelle identité a-t-il élaborée en se convertissant ? Le « converti » est un homme-dieu, qui non seulement accomplit un retournement sur soi, mais désigne son propre maître : Allah, tout en satisfaisant un besoin de socialisation du communautaire et du social. Il s'inscrit dans un processus « d'établissement de règles de fonctionnement d'un ordre social, un mélange d'intégration sociale et de défense communautaire et de solidarité avec une dominante conservatrice. »172(*) Ce qui lui permet d'accepter « une invasion de l'irrationnel dans le monde humain en tentant de le maîtriser par diverses techniques religieuses »173(*), les islamiques en l'occurrence. Ce qui prédomine dans son identité est la dimension de la croyance, bien que celle de la pratique soit prégnante. Il invente une équation religieuse islamique hybride aux dosages instables de laïcité et de référents religieux et enchevêtre des modes de pratiques traditionnelles empruntées aux coreligionnaires sociologiques et des modes personnalisés. On assiste dans ces processus individuels à une sorte de rapprochement entre le divin et l'humain d'où disparaît l'opposition dualiste et par lequel une appropriation, un don s'élabore entre le divin et l'individu. La « conversion » à l'islam est bien une forme « d'auto-spiritualité »174(*) propre à l'individuation religieuse ultramoderne. Mais, elle est un défi manifeste aux identités des groupes mises en jeu, le groupe que quitte le « converti » et celui qu'il rejoint. En acceptant de ne plus rêver à une dimension divine de leur être, et de s'occuper pleinement, totalement et sans limites de leur dimension humaine.

La dimension collective est subordonnée à celle de l'individu qui s'exprime en termes d'une certaine totalisation de soi et de son rapport au monde à partir du religieux. C'est pour cela que la dimension collective avec le groupe d'accueil est essentielle chez le « converti ». Elle l'inscrit dans un processus de « socialités électives »175(*) qui codifient les rapports avec le groupe d'origine également. Et lui permet de développer une « exogamie sélective »176(*), religieuse et non plus ethnique ou sociale jusqu'à renforcer ses liens avec la communauté d'appartenance. Ainsi, l'ultramodernité du « converti » à l'islam en France au XXIème siècle semble répondre à la primauté donnée à la raison, aux limites de la science, à la liberté individuelle, à l'émergence des masses sur la scène de l'histoire, à la différenciation fonctionnelle public-privé et à la mondialisation.

Pourtant si ce travail s'est plus développé en termes d'amorce, d'interrogations, d'invitations à une plongée en sociologie religieuse de l'islam en France, il nécessite d'être poursuivi, approfondi et mis à l'épreuve d'autres phénomènes religieux ultramodernes.

Quelles sont les conséquences des « conversion » individuelles à l'islam sur l'islam en France ou sur l'islam de France ? Sont-elles en devenir ? Quelles types de particularités présentent ? L'étude d'autres itinéraires de « convertis », plus particulièrement de femmes « converties » à l'islam, celle de leur approche de l'islam et celle de leurs productions donneraient quelques pistes de recherche.

Les convertis relativisent-ils leur ancrage social par la conversion à l'islam et comment ? En quoi l'islam en tant que religion le permet-il, pourquoi et comment ?

Peut-on considérer que l'idéal de l'Umma soit porteuse de l'idée d'une société « sous-classe » et de l'établissement d'une telle société ? Ainsi, à défaut d'adhérer à l'idéologie marxiste ou communiste, adhèrent-ils à l'idéal d'une société où les êtres semblent socialement égaux, au sens recherché dans le projet islamique, selon leurs interprétations de convertis ? Comment les convertis considèrent-ils que les valeurs islamiques sont favorables à l'égalité des conditions sociales, puisque qu'en islam sunnite il n'y a pas de « prêtres » élevés au-dessus des fidèles égaux entre eux ? Comment la crise de sens et d'énonciation de l'autorité retentissent en islam ? Les convertis participent-ils à une candidature à une citoyenneté complète, à la négociation du statut économique, politique et culturel dévolu dans la hiérarchie sociale, des musulmans immigrés d'origine ?

Par la requalification des rapports sociaux, les musulmans et dans une moindre mesure, les convertis à l'islam, contribuent-ils à une forme de ré-enchantement ou de dé-sécularisation des sociétés européennes ?

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22. Su'ad Al-hakîm, Al-mu'jam al-sûfî (le lexique mystique), Al-hikma fi hudûd al-kalima (la sagesse dans les définitions du terme), Dandara li-attiba'a wa la-nashr, Beyrouth, 1981

23. VASLAN, Michel L'islam et la fonction de René Guénon, Les éditions de l'oeuvre, Paris, 1984

24. WARRAQ Ibn, Pourquoi ne suis-je pas musulman ?, L'âge de l'homme, Paris, 1999

PHILOSOPHIE

1. BRIL, J, Lilith ou la mére obscure, Payot, Paris, 1981

2. DUCHEMIN, Jacqueline, Prométhée, Les belles lettres, Paris, 1976

3. DURANT, Gérard & SUN, C., Mythe, thèmes et variation, Desclée de Brouwer, Paris, 2000

4. FERRY, Luc « L'homme-dieu », Balland, Paris, 1997

5. GUÉNON, René, Aperçus sur l'initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1992

6. GUÉNON, René, La crise du monde moderne, Gallimard, Paris, 1994

7. KHOSROKHAVAR Farhad, L'instance du sacré, Seuil, Paris, 2001

REVUES ET ARTICLES

1. ARCHIVES DES SCIENCES SOCIALES, n°45, janvier-mars 2000

2. CAHIERS de l'Europe, automne-hiver, n°1, Le felin, 1996

3. CONFLUENCES MÉDITERRANÉES, « Islam et laïcités », revue, L'HARMATTAN, n°32 hiver 1999-2000, Paris

4. ESPRIT, Aout-septembre 2002, n°8-9, juin 1997 n°6, janvier 1998, n°1

5. ISLAM DE France, L'Harmattan, Paris, n°1, 1998, n°6, 1999, n°8, 2000

6. PANORAMIQUES, HENNEBELLE, Guy, sous la direction de, « L'islam est-il rebelle à la critique ? », Paris, N°50, 2001

7. SCIENCES HUMAINES, L'univers de la religion, n°34, dec. 1993

* 1 Cahiers de l'Europe, automne-hiver, n°1, Le felin, 1996, p. 165

* 2 P. Hadot, article « conversion », Encyclopediae Universalis, volume 6, p 497, 1995, Paris

* 3 Ibn Manzûr, Lisan al-`arab (La langue des Arabes), article « al-tawba »Dâr al-Ma'arîf, Le Caire, 5ème édition, p.454

* 4 Su'ad Al-hakîm, Al-mu'jam al-sûfî (le lexique mystique), Al-hikma fi hudûd al-kalima (la sagesse dans les définitions du terme), Dandara li-attiba'a wa la-nashr, Beyrouth, 1981, p. 289

* 5 ibid, p 240

* 6 ibid, p. 1101

* 7 Trigano, Qu'est-ce que la religion ? p. 22

* 8 P. Hadot, article « conversion », Encyclopediae Universalis, volume 6, p 497, 1995, Paris.

* 9 ibid, Nos traditions religieuses, approche philosophique et théologique, p.17

* 10 P. Hadot, article « conversion », Encyclopediae Universalis, volume 6, p 497, 1995, Paris

* 11 Encyclopediae universalis, corpus 6, «article « conversion », P. Hadot, p 497, Paris, 1995 : se repentir avant le retour à dieu

* 12 ibid

* 13 H. Clavier, Expérience du divin, Fischbacher, Paris, 1983

* 14 Identités religieuses en Europe, sous la direction de D. Hervieu-Léger et G. Davie, article, « les mouvements religieux », D. Hervieu-Léger & G. Davie, La Découverte, Paris, 1996, p. 278

* 15 Bokhari

* 16 ibid

* 17 S. Laurens, les conversions du Moi, Paris, 2002

* 18 ibid, p. 29

* 19 ibid, p. 31

* 20 L. Valensi, Paroles d'islam, article : Relations intercommunautaires et changements d'affiliation religieuse au Moyen-Orient au XVIIIè et XIXè siècles, 2000, Paris

* 21 Encyclopediae Universalis, corpus 6, article « conversion », P. Hadot, p 497, 1995, Paris

* 22 ibid

* 23 L. Valensi, Paroles d'islam, article : Relations intercommunautaires et changements d'affiliation religieuse au Moyen-Orient au XVIIIè et XIXè siècles, Maisonneuve & Larose, Paris, 2000, pp.11-13

* 24 ibid, p.152

* 25

* 26 M. Wieviorka, La différence, Balland, Paris, 2000

* 27 Paroles d'islam, Maisonneuve & Larose, Paris, 2000, p.278

* 28 ibid, p. 293

* 29 ibid.

* 30 ibid, p. 129

* 31 M. Wieviorka, La différence, p. 147, Balland, Paris, 2000

* 32 ibid, p. 362

* 33 E. Godo, La conversion religieuse, collectif, Imago, Paris, 2000

* 34 D. Hervieu-Léger, G. Davie, Identités religieuses en Europe, La découverte, Paris, 1996, p. 278

* 35 ibid, p. 18

* 36 ibid, p. 24

* 37 ibid, p. 18

* 38 ibid, p. 19

* 39 ibid pp. 20-21

* 40 ibid, p. 22

* 41 ibid, p. 23

* 42 R. Bastide in Sabino Acquaviva et Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994

* 43 Sabino Acquaviva et Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994

* 44 Sabino Acquaviva et Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994

* 45 ibid, « Ces échanges de biens matériels et symboliques ne sont possibles et ne se produisent qu'encadrés par les valeurs et les règles acquises dans la socialisation. »

* 46 H. Mead, in Sabino Acquaviva, Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994

* 47 Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, NRF, Paris, 2000

* 48

* 49 R. Leveau & O. Schmidt di Friedberg

* 50 D. Jeffrey, Jouissance du sacré, religion et postmodernité, A. Colin, 1998

* 51 ibid

* 52 Sabino Acquaviva, Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994

* 53 Cherif Ferjani, Les voies de l'islam, approche laïque des faits islamiques, Histoire des religions, CRDP Franche-comté, CNDP, Besançon, 1996

* 54 Sabino Acquaviva, Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994

* 55 M. Wieviorka, La différence, Balland, Paris, 2000

* 56 ibid, p. 153

* 57 ibid, p. 154

* 58 ibid, p. 154

* 59 Sociologie des religions, H. Mead,

* 60 ibid

* 61 R. J. Campiche, Cultures jeunes et religions en Europe, collectif, Cerf, Paris, 1997, Ainsi « passe pour « vrai » prioritairement, ce dans quoi le sujet peut « se reconnaître » : la validation subjective ou intersubjective des croyances tend à faire de ces dernières, non point des « lieux » d'affleurement d'une vérité transcendante [...], mais des carrefours de libre circulation du sens », p. 349

* 62 La première est la croyance en un être/une puissance surprahumaine, La deuxième et la troisième sont le nom donné à l'entité de la première et le degré de croyance en cette même entité. La quatrième concerne la croyance en cette entité dans le contexte socio-culturel de référence de l'individu. Et la cinquième, finalement, est celle des croyances dérivées comme la théodicée, le salut, l'origine de l'univers et l'ordre social existant.

* 63 Elle exige l'usage de la notion de sacré et de sa définition qui est, d'une part, une notion antithétique du couple conceptuel formé avec la notion de profane où le sacré est ce qui est perçu comme présent dans la vie avec les traits de la puissance, de l'extraordinaire et du « radicalement autre ». Il se décline en termes d'immanence et en termes de transcendance. D'autre part, le sacré est « une modalité de la société elle-même ». Il s'agit de « la croyance collective en un ordre méta-social et de l'expression sublimée d'un besoin méta-utilitaire de la solidarité et de la communion ».

* 64 Les variables substantives permettent d'évaluer le type d'émotions suscitées et admises d'être éprouvées. Les variables nominales, elles, permettent un classement des définitions du « radicalement autre » expérimentées comme une réalité. Les variables analogiques envisagent la compréhension des émotions et expériences individuelles du sacré, identiques ou différentes de celles d'autres états et situations non ordinaires. Les variables du contexte, pour finir, permettent de contextualiser l'expérience du sacré.

* 65 Blois, 1886-Le Caire, 1951, philosophe français, fondateur de la revue La gnose, étudie les principaux textes mystiques (hindous, taoistes, islamiques) opposant à l'aspect exotérique des religions historiques constituées une tradition unique, originelle, la connaissance ésotérique.

* 66 Michel Vaslan, L'islam et la fonction de René Guénon, Les éditions de l'oeuvre, Paris, 1984

* 67 ibid, p. 14

* 68 René Guénon, Initiation et réalisation spirituelle, Editions traditionnelles, Paris, 1994, p. 101

* 69 ibid, p. 101-106

* 70 ibid, p. 101-106

* 71 Renée Guénon, La crise du monde moderne, Gallimard, Paris, 1994, p. 68

* 72 ibid, p. 69

* 73 Ibid

* 74 La différence culturelle, colloque du Césy, sous la direction de M. Wieviorka et J. Ohana, article, Sur l'identité, R. Senett, pp. 308-319

* 75 ibid

* 76 E. Godo, La conversion religieuse, collectif, Imago, Paris, 2000, p 259

* 77 ibid

* 78 ibid

* 79 ibid

* 80 ibid

* 81 ibid, p. 262

* 82 ibid, p. 263

* 83 ibid, p. 265

* 84 S. Allievi, in Paroles d'islam, p. 159

* 85 S. Laurens, Les conversions du moi, Desclée de Brouwer, Paris, 2002, p. 88

* 86 S. Allievi, in Paroles d'islam, p. 159

* 87 Eva de Vitray-Meyerovitch, L'islam, l'autre visage, Albin Michel, Paris, 1991

* 88 voir le destin de Camille Douls ou encore la vie d'Elisabth Eberhart.

* 89 ibid, p. 26

* 90 A. Meddeb, La maladie de l'islam, Seuil, Paris, 2002, p. 196

* 91 A. Lamchichi, Islam, islamisme et modernité, l'Harmattan, Paris 1994, p. 80

* 92 Esprit, Aout-septembre 2002, article « L'islam est passé à l'ouest », Olivier Roy, p. 115

* 93 E. Platti, Islam... Etrange ?, p 219-221, Cerf, Paris, 2000

* 94 ibid

* 95 ibid

* 96 S. Acquaviva et E. Pace, La sociologie des religions

* 97 Hadith, "tu vis comme si allais mourir demain et travaille comme si tu n'allais jamais mourir.".

* 98 S. Acquaviva et E. Pace, La sociologie des religions

* 99 zakât :aumône légale obligatoire

* 100 umma :communauté des croyants

* 101 A. Lamchichi, p 89

* 102 ibid, p 92

* 103 Henri Sanson, Le chritianisme au miroir de l'islam, CERF, Paris, 1984

* 104 A. Bastenier

* 105 ibid

* 106 A. Meddeb, La maladie de l'islam, Seuil, Paris, 2002, p. 195

* 107 S. Allievi, Les convertis à l'islam, L'Harmattan, Paris, 1999

* 108 Dassetto F. & Bastenier, A., L'islam transplanté, EPO, Anvers, 1984

* 109 ibid

* 110 S. Allievi, Les convertis à l'islam, L'Harmattan, Paris, 1999

* 111 ibid

* 112 Conversions islamiques, p.44

* 113 Henri Sanson, le christianisme au miroir de l'islam, Cerf, 1984

* 114 S. Allievi, Les convertis à l'islam, L'Harmattan, Paris, 1999

* 115 ibid

* 116 ibid

* 117 ibid

* 118 ibid

* 119 J. Cesary, Musulmans français et intégration socio-politique

* 120 S. Laurens, Les conversions du Moi, p. 265

* 121 idem, p. 8

* 122 A. Conti de l'institut italien, le Co. Re. Is., collaborateur de cette revue trimestrielle, en 2002.

* 123 124 rapport HCI, 1993 : 3 millions de musulmans en France

* 125 définition de chat : forum de discussion en direct sur les sites internet.

* 126 S. Laurens, Les conversions du moi, p. 87, « la conversion consiste en l'acculturation d'individus venant d'une "autre communauté qui les avait précédemment façonnés. »

* 127 la postconversion est spécifique à l'état spirituel impliqué dans la pensée religieuse musulmane au niveau individuel. En effet, si l'on admet avec ce système de pensée que tout être naît musulman et qu'ainsi non seulement l'individu n'hérite ni n'acquiert cet état religieux et spirituel. Qu'individuellement l'époque, le lieu et la famille de naissance imprègnent ou imposent le sujet de spécificité sociales, culturelles et spirituel, par le processus de socialisation de toute civilisation et qu'ainsi il n'est pas en relation (quand il naît dans un contexte non musulman particulièrement) avec son identité spirituelle donnée. Qu'être musulman c'est le devenir dans un processus d'éveil, d'apprentissage et de volonté individuelle ; le « converti » dans la phase de « préconversion » est déjà musulman, est donc déjà « converti » ontologiquement. La postconversion est un état qu'il est en mesure par une prise de conscience de rendre accessible à lui-même et visible religieusement et socialement.

* 128 Séminaires de l'EHESS de 1999 à 2002

* 129 ibid

* 130 C'est dans les quelques cas de « conversions » féminines dont l'étude sera plus complète dans un travail ultérieur que l'on rencontre l'expression de « troubles » de « soi » et du « je » formulés, en particulier, par au moins deux femmes en termes de « j'étais rebelle ». L'unité de leur personnalité intérieure ne parvenait pas, à leurs yeux et au regard des normes dans lesquelles elles vivaient, à s'accomplir avec paix. Elles ressentaient en permanence et quelque soie le groupe auprès duquel elles ont recherché une socialisation, propre à « respecter leur personnalité », un décalage, une révolte intérieure, le plus souvent en termes de difficultés à se soumettre à des normes sociales et en termes de regret d'une hypocrisie de la part de ceux qui vivent ces fameuses normes.

* 131 Les différents types de réactions et d'interrogation sont répertoriés dans le tableau ci-joint, « De la subjectivité ».

* 132 Jacques Jomier, Dieu et l'homme dans le Coran, Cerf, Paris, 1996, p. 139-140

* 133 Le désengendrement : si l'on admet la définition conceptuelle de l'appartenance religieuse en termes chrétiens, comme l'accès à une filiation au Père et une participation au christ, si l'on admet que se convertir est un changement d'adoubement spirituel, et si l'on admet qu'être musulman c'est se tourner vers un dieu « qui n'a pas été engendré et qui n'engendre pas », la conversion à l'islam, comme processus individuel de choix d'une appartenance sans filiation divine, mais comme l'acceptation d'appartenir à l'ensemble des créatures crées par dieu, nous sommes face à une conversion par désengendrement.

* 134 Voir Tableau, « De la subjectivité »

* 135 fondateur du mouridisme (confrérie soufie) en 1882, Sénégal, auteur de « les itinéraires du Paradis » et de « Qassa'id »

* 136 ibid

* 137 prénoms fictifs

* 138 Jacques Jomier, Dieu et l'homme dans le Coran, Cerf, Paris, 1996, p. 102

* 139 voir entretien de C7, particulièrement, Annexe p. 67

* 140 ibid, p. 29-30

* 141 « l'initiation entendue au sens le plus strict du mot, c'est-à-dire comme une « entrée » ou un « commencement ». R. Guénon, Aperçus sur l'initiation, Editions, traditionnelles, Paris, 1992, p. 198

* 142 R. Guénon, Aperçus sur l'initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1992, pp. 182-187

* 143 S. Allievi, in Paroles d'islam, p 167

* 144 ibid

* 145 ibid

* 146 Bokhari

* 147 rapporté par Abu Hurayra

* 148 définition du shafi'isme : système juridique fondé par Al-Shafi'i (767-820)

* 149 Définition du hanafisme et du malékisme : systèmes juridiques fondés respectivement par Abu Hanifa (700-767) et Ibn Malik (715-795)

* 150 voir annexe, témoignage C1, p. 17

* 151 ibid

* 152 ibid

* 153 Au cours, de l'enquête, le chercheur a été confronté à des individus qui ont fait établir leur certificat de conversion en Syrie ou en Jordanie, ou encore en Egypte ou au Maroc. Les conditions de délivrance de ces certificats feraient l'objet d'un travail ultérieur.

* 154 Fernand Braudel, La méditérrannée, poches histoire, Paris, 1995

* 155 Jacques Jomier, Dieu et l'homme dans le Coran, Cerf, Paris, 1996, p. 101

* 156 S. Laurens, Les conversions du Moi, Desclée de Brouwer, Paris, 2002, p. 223

* 157 ibid.

* 158 Dans certains cas, le plus souvent, celui de femmes européennes s'intéressant à l'islam, et lorsque cet intérêt n'est pas motivé de leur part par l'intention d'une alliance maritale ou affective avec un musulman sociologique, il est possible de la part des musulmans sociologiques, d'identifier des attitudes réticentes voire de refus à partager leur croyance. L'intérêt de la femme, perçu alors comme « une simple curiosité » est loin d'encourager le « prosélytisme ». En revanche, lorsqu'une femme est engagée dans une relation affective, la communication des principes et de la foi islamique se fait le plus spontanément de la part du « compagnon » au point où l'idée qu'elle se convertisse devienne un impératif au bon déroulement à venir de la relation, d'autant plus qu'elle peut être officialisée.

* 159 Profession de foi : il n'y a de dieu que Dieu et Muhammad est son Prophète, la allah illa llah oua mouhammadou rassoulou llah.

* 160 Bokhari

* 161 ibid

* 162 Première sourate du Coran :

* 163 Petit et grand pèlerinage

* 164 Encyclopediae Universalis, article « Confréries musulmanes », par C.-R. Ageron, Corpus 6, Paris, 1995, p. 497

* 165 R. Guénon, Aperçus sur l'initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1992, pp. 203-209

* 166 ibid, p. 18

* 167 F. Khosrokhavar

* 168 Quant aux femmes converties à l'islam et en âge de fonder un foyer, le même voeu ou souhait d'épouser un musulman et un musulman de naissance est émis. Certaines le justifient par l'interprétation la plus courante de ce qui en islam et dans le Coran interdirait une femme musulmane d'épouser un non musulman. Quelle normalisation pratiquent-elles dans ce cadre ? Où est passé la force de leur libre arbitre et de leur critique de leur groupe d'origine ?

* 169 J. Bril, Lilith ou la mére obscure, Payot, Paris, 1981, p.171-207

* 170 selon M. Touraine, «La recherche de soi », Seuil, Paris, 2000

* 171 Luc Ferry, « L'homme-dieu », Balland, Paris, 1997

* 172 Alain Touraine, La recherche de soi ; Seuil, Paris, 2000

* 173 ibid

* 174 S. Allievi, Paroles d'islam, Maisonneuve & Larose, Paris, 2000

* 175 ibid

* 176 ibid






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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci