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La conception d'un projet d'établissement: Entre politique, ingénierie et pragmatisme

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par Simon MAMORY
Université de Nantes - Master Pro Direction d'Etablissement ou Organisme de Formation (DEOF) 2002
  

Disponible en mode multipage

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LA CONCEPTION D'UN PROJET D'ÉTABLISSEMENT

ENTRE POLITIQUE, INGÉNIERIE ET PRAGMATISME

Mémoire de Recherche

Master Professionnel

Direction d'Établissement ou Organisme de Formation

par

Simon MAMORY

Directeurs

Monsieur Jean-Pierre BRÉCHET

Professeur agrégé des Universités

Institut d'Administration des Entreprises

& Monsieur Christian GÉRARD

Maître des Conférences, HDR

UFR des Sciences de l'Éducation

Soutenu le 3 juillet 2006

REMERCIEMENTS

Tout au long de ce travail, il a fallu souvent faire preuve d'efforts et de résistance sans relâche face à certaines difficultés à surmonter bien que le jeu a toujours été très passionnant. Cette partie pourtant, paradoxalement, paraît impossible tant les personnes auxquelles je souhaite exprimer ma reconnaissance sont innombrables. Cependant, ne pouvant

pas dresser la liste exhaustive de tout le monde, dans la crainte d'oublier ne serait-ce qu'un prénom, je commencerai volontiers par rendre hommage à toutes celles et tous ceux, sans exception, qui ont contribué de près ou de loin à favoriser ce travail. Ils se reconnaîtront. En effet, un petit coup de pouce, un sourire cordial, un sincère encouragement sont autant de gestes humains qui renforcent, qui portent loin. Et le summum, à mon égard, reste cette graine de confiance que vous m'avez accordé sans contrepartie.

Toutes mes reconnaissances à Madame Brigitte Philippe pour ses précieuses contributions ayant facilité une grande partie de ce travail. Il en va de même à toute l'équipe des formateurs du Master Professionnel DEOF, animée par Monsieur Christian Gérard.

À tous les personnels de l'Institut d'Administration des Entreprises de Nantes, sans distinction : merci pour le formidable accueil que vous m'avez fait durant neuf mois de stage oh combien formateur, dans une ambiance de grande cordialité. Mention spéciale à Ellen Berjon-Erichsen, dont la générosité et la discrétion contrastent avec sa grande compétence : "mange tak Ellen !" Toutes mes reconnaissances à Monsieur Pierre Mévellec, l'excellent maître

de stage qui m'a initié à une facette stratégique de l'art de manager ; à Monsieur Michel Dutrus, Président du Conseil d'Administration, à Monsieur Bernard Fiolleau, directeur ; à Madame Françoise Palu-Laboureu, responsable des services administratifs et financiers ainsi qu'à Monsieur Jean-Pierre Bréchet qui m'a indiqué avec une grande patience comment tracer "les sillons" !

Merci à

Marie et Christian Latouche, Andrée Roux ainsi que tout le Collège Jean

Monnet du Château d'Olonne dont l'engagement professionnel m'enchante et l'amitié m'honore ;

Thierry Azandegbe, Zaccarelli Damour, Zafiarinefo Mbelomanantena, Vicky

Le Ruyet, Albertine et Solange pour votre soutien très actif ;

Faustine, Michel, Manita, Stéphane et sa petite famille au complet dont la présence, même discrète, m'a permis de terminer ce travail.

Muito obrigado mãe Laura e Menina !

Sommaire

INTRODUCTION ----------------------------------------------------------------------- 5

PREMIÈRE PARTIE ~ CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE ------- 9

Brève notion d'autobiographie référencée ------------------------ 9

CHAPITRE PREMIER EXPÉRIENCES À L'ORIGINE DU SUJET ----- 14

CHAPITRE 2 CONTEXTE UNIVERSITAIRE TRÈS COMPLEXE ---- 36

IIe PARTIE ~ UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DE LA PROJECTION ---------49

CHAPITRE 3 POUR UNE ÉPISTÉMOLOGIE DE RELIANCE------- 51

CHAPITRE 4 PROBLÉMATIQUE DE PROJECTION COLLECTIVE - 62

IIIe PARTIE ~ LE CONTENU D'UN PROJET D'ÉTABLISSEMENT----------- 111

CHAPITRE 5 DÉMARCHES MÉTHODOLOGIQUES ------------ 112

CHAPITRE 6 EXPLORATION DU CONTENU D'UN PROJET ---- 123

CONNAISSANCE ACTIONNABLE ---------------------------------------------- 148

CONCLUSION------------------------------------------------------------------------ 153

INDEX DES AUTEURS ---------------------------------------------------------------- 158

INDEX DES FIGURES ---------------------------------------------------------------- 160

INDEX DES NOTIONS ---------------------------------------------------------------- 161

INDEX DES SIGLES ---------------------------------------------------------------- 162

BIBLIOGRAPHIE ----------------------------------------------------------------------- 163

Table des matières ------------------------------------------------------------------------ 165

INTRODUCTION

"Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition"

Michel Eyquem de Montaigne

"Un fait, un phénomène ne signifie rien par lui-même. Il ne prends sens que des rapports qu'il entretient avec le système des éléments auquel il appartient."

Pol Pierre Gossiaux1

Bien au-delà de l'obtention du Master professionnel de "Direction d'Établissement ou Organisme de Formation", ce mémoire marque une étape d'un engagement plus global inscrit dans la durée qu'est la réflexion sur le métier de direction d'une organisation ayant pour mission l'enseignement, la formation ou à finalité socioéducative au sens large. Celui-

ci n'est donc pas une fin en soi, d'autant plus qu'une autre phase de sa vie commence véritablement dès sa soutenance devant le jury où questionnements, débats, critiques et conseils viennent lui donner un nouveau souffle vital. Cette étape, corollaire de tout un parcours personnel, professionnel et formatif, a été rendue possible grâce à un enchevêtrement d'interactions. Des interactions nées de l'alternance entre l'Institut d'Administration des Entreprises (IAE) - terrain de stage2 qui s'est révélé être un environnement d'apprentissage professionnel par excellence - et la Formation Continue de l'Université ; une réflexion au carrefour des expériences individuelles, des pratiques collectives, des théories ; et des multiples rencontres avec des professionnels aussi bien lors de chaque semaine de cours que durant le stage. Les responsabilités professionnelles au coeur d'un réseau relationnel dans différents établissements d'enseignement secondaire et supérieur (collèges, lycées, université, IRTS) ont aussi apporté leurs contributions. Le tout a évolué dans un cadre conçu et piloté par deux accompagnateurs, Messieurs Jean-Pierre Bréchet et Christian Gérard, à la fois directeurs

d'établissement expérimentés et directeurs de recherche préoccupés par la complexité3 de l'art de

1 Grand homme dont l'enseignement d'anthropologie, à l'université de Liège, m'a définitivement relié avec ma double culture.

2 Avec une mission à caractère stratégique entre l'IAE et l'UFR des sciences économiques et de Gestion de Nantes.

3 Edgar Morin (2001), La méthode 5 : L'humanité de l'humanité, Coll. Points, éd. du Seuil.

diriger dans un contexte incertain. La complémentarité entre les deux formateurs de cadres dirigeants - l'un spécialiste des sciences de l'éducation, l'autre de la stratégie et l'organisation des entreprises - décuple encore la qualité de cet accompagnement interdisciplinaire. Ainsi, fondé dans l'action, la formation et la recherche, ce processus d'apprentissage de l'art de diriger crée les conditions d'émergence de ce que D. Schön (1994) qualifie de "connaissances actionnables" (actionable knowledge).

Ce travail suit, comme fil d'Ariane, la recherche de compréhension des stratégies pouvant être actionnées par la direction ou l'équipe de direction dans la conception d'un projet innovant qui fédère les différents acteurs d'un établissement. C'est ce que nous tâcherons de découvrir en identifiant l'architecture du contenu d'un projet, de la "boîte noire" dirait J.-P. Bréchet. En somme, deux interrogations nous préoccupent, pour être plus précis : comprendre comment se déroule le processus de conception d'un projet d'établissement, et que contient cet objet présenté sous forme de discours écrit ? Compréhension délibérément fondée

sur une utopie humaniste. Il ne s'agit donc pas de fantasmer sur la découverte d'on ne sait quelle formule scientifique universellement reproductible. Il n'est pas question non plus d'une tentative

de dégager une méthode infaillible applicable au management de projet. Ce mémoire ambitionne très modestement de parvenir à mener une étude pragmatique basée sur des données empiriques, éclairées par des théories, qui permettra de dégager une problématique du projet d'établissement dans sa phase de conception et, au passage, les enjeux auxquels il participe. La question sous- jacente de cette problématique est évidemment celle de l'autonomie organisationnelle. Nous choisirons, pour ce faire, de travailler sur le deuxième projet d'établissement de l'Université de Nantes. En espérant que, par la suite, le résultat puisse servir de levier ou de catalyseur de réflexion et d'actions aux membres d'équipes de projet d'université, aux concepteurs de pratiques collectives ainsi qu'à toute personne intéressée par le devenir et l'autonomie d'un établissement

ou organisme de formation et d'éducation.

Ce mémoire comporte deux facettes indissociables : celle plus évidente qui se trouve dans ce volume, d'apparence figée bien que dynamiquement vivante et, celle que nous pouvons considérer de curriculum caché, située autour (en amont, pendant et en aval) mais bien présente de la première jusqu'au-delà de la dernière page. Cette deuxième facette reste toutefois aisée à représenter car il s'agit de l'ensemble des recherches exploratoires (entretiens, échanges et lectures) sans lesquelles, comme matières premières initiales, il serait difficile de penser aboutir

à ce résultat. Il en va de même pour la suite, post-scriptum, suggérée par les enrichissantes critiques puis les connaissances actionnables lors de leur activation depuis l'anonymat de l'esprit

du lecteur. Les entretiens exploratoires ont été menés auprès des directeurs et responsables de

services éducatifs ou de formation, sans oublier les prodigieuses participations des collègues de

promotion toutes les fois où notre sujet a pu être exposé lors de séminaires. Le quotidien professionnel en tant que Conseiller Principal d'Éducation a aussi apporté une profondeur dans nos réflexions. Sans tarder, voyons maintenant comment va se structurer ce travail dans son ensemble.

Par souci de clarté, optons pour une progression en trois grandes parties. Une contextualisation générale de la recherche donnera le départ dans la première partie où seront évoqués trois niveaux d'ancrage ou enracinement : personnel, professionnel et universitaire. En effet, pour des travaux de recherche-action en sciences humaines et sociales, un repérage préalable d'où nous parlons pourra se mettre au service d'un effort d'objectivation et de projection efficiente. Il en va de même de l'importance accordée à la définition du terrain de la recherche. Elle sert à une contextualisation du sujet et des corpus collectés pour des examens systémiques.

La deuxième partie, des réflexions plus théoriques, débutera par une précision sur notre positionnement épistémologique avant d'explorer les notions fondamentales de projet, pour aboutir à la problématique de l'action collective et la divergence des intérêts. Seront exposés à la

fin les démarches méthodologiques et l'analyse proprement dite du projet d'établissement de l'Université de Nantes. Un chapitre conclusif nous servira à souligner les enseignements pouvant être retenus de l'ensemble de ce travail. Lesquels points actionnables susciteront en même temps, peut-être, l'ouverture d'une perspective pour d'autres problématiques qui pourront être explorées

ultérieurement.

CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE

PREMIÈRE PARTIE ~ CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE

Ignorer le monde, ignorer l'humanité, est une carence mentale fréquente chez nos intellectuels les plus raffinés.

Hadj Garm'Orin

Mais pourquoi ne sommes-nous pas tous frères avec des frères ?

FiodorMikhaïlovitch Dostoïevski

Brève notion d'autobiographie référencée4

Dans cette quête du chemin qui mène à l'élargissement de la compréhension de l'une des multiples facettes du métier de la direction, "peut-on manier les modèles forgés par les sciences exactes pour rendre intelligibles les processus sociaux ?" (R. Chartier, 1983)5 Cette question, que nous prenons à notre compte, semble s'imposer d'elle-même. Sembler en effet, car autrement ce serait présumer qu'en recherche, quelque chose puisse aller de soi. En réalité, il n'en est rien. Certes, il ne peut y avoir de recherche sans des contraintes de diverses natures mais, pour y faire face, le choix impose aussi sa présence tout au long du parcours. Du choix du sujet jusqu'à l'objectif en passant par la ou les méthodologies adoptées. C'est pourquoi, explorer scientifiquement c'est problématiser car "quoi qu'on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la

marque du véritable esprit scientifique..." G. Bachelard (1938)6.

4 L'autobiographie référencée est composée des dimensions autoréférentielles et hétéroréférentielles. Nous suggérons une synonymie entre autobiographie référencée et Enracinement susceptibles d'être utilisés indifféremment dans cette étude. Avant d'explorer le contexte socioprofessionnel et épistémologique en effet, clarifier la signification du terme autobiographie référencée, que nous avons découvert et tant entendu (surtout le volet autoréférentiel) durant la formation, constituera notre incontournable pose des premières pierres.

5 Roger Chartier (1983), Avant propos, in Norbert Elias, Engagement et distanciation, Coll. Pocket, Fayard, p. II

6 Gaston Bachelard (1938, 1982), La formation de l'esprit scientifique, p.14 in J.-L. Le Moigne, (1999), La modélisation

des systèmes complexes, Paris, Dunod, p. 23.

Avant même d'entamer telle ou telle partie "technique" propre à la recherche

en sciences sociales ou la gestion en général, prenons comme prédicat l'idée selon laquelle s'appuyer sur des méthodes rigoureuses en vue de plus d'objectivité caractérise toute démarche

qui se veut scientifique. Néanmoins, quel que soit le sujet, les savoirs produits par les sciences en général sont liés aux intérêts et engagements de ceux qui les produisent. G. Bateson, comme H.

A. Simon, a nettement précisé qu'en réalité, il ne peut qu'être illusoire de prétendre décrire une réalité objective indépendamment de l'observateur. Ce dernier, inscrit dans un projet (de vie personnelle, de recherche, de carrière), positionne son regard depuis un angle de vue, dans une finalité donnée et par rapport à certains paramètres contextuels relativement subjectifs ou contraignants. Ce qui signifie que, nos intentions participent de manière prépondérante à la construction de notre vision de la réalité. D'autant plus que la réalité ne peut qu'être l'interprétation, par nos multiples filtres, de l'insaisissable réel. Par conséquent, "c'est seulement

en objectivant sa propre position [d'abord] que le chercheur peut instituer une distance par rapport aux dépendances qui le contraignent sans qu'il le sache, et, pratiquer le "désenchantement émotionnel" qui sépare le savoir "scientifique" des représentations immédiates, des préjugés spontanés" (R. Chartier, 1983)7. Une telle idée se situe aux antipodes

de celle de croyance populaire ou de certains scientifiques soutenant l'existence d'une objectivité absolue épurée de toute part subjective, auréolée d'une illusoire neutralité absolue. Nous soutenons pourtant cette position de R. Chartier puisque, non seulement, il est possible de la démontrer, de l'illustrer mais aussi de la critiquer voire la dépasser peut-être dans quelques siècles lorsque des futures générations de chercheurs auront trouvé un autre paradigme. Car, en effet, c'est cela aussi le savoir humain : toujours provisoire, sous forme de petites strates qui s'accumulent au cours de l'histoire.

Chaque être humain, dans toutes ses dimensions, est la résultante vivante des multiples évènements (répulsifs, douloureux, banals, matériels, idéologiques, fastes, extraordinaires, biologiques, sensuels, etc.) qui ont traversé sa vie et avec lesquels il se construit

par interactions, ou dont pour certains il est le générateur. Alors, "le réseau des activités humaines acquiert ainsi une plus grande complexité, une plus grande extension et un maillage plus serré" (N. Elias, 1983)8 dont l'intelligibilité plus fine suppose une approche globale plutôt qu'un évitement ou une simplification stérilisante. Se projeter exige une relecture de l'essentiel

du passé pour en dégager le sens parce qu'ainsi le présent se comprend mieux et le futur se

conçoit plus aisément sur une base plus solide.

7 Roger Chartier, op. cit. p. IV

8 Norbert Elias (1983), Engagement et distanciation, Paris, Fayard

Il est donc indispensable de restituer l'essentiel de ces évènements dans leur contexte géographique, sociologique et axiologique pour mieux comprendre les fondements de la position qu'occupe le praticien-chercheur par rapport à son sujet/objet d'étude. Il en va de même pour la définition de certaines notions qu'il a pu confronter à son vécu, à des réalités plus ou moins subjectives, voire intimement enfouies pour qu'il puisse en être conscient. Ainsi, telle ou telle perspective adoptée par le chercheur parviendra mieux à faire sens pour les autres comme pour lui-même grâce à ce travail d'élucidation et de réappropriation, éclairé par des jalons théoriques. Aussi pour y parvenir, "le point capital est que chaque sujet humain peut se considérer à la fois comme sujet et comme objet, et de même objectiver autrui tout en le reconnaissant comme sujet" (E. Morin, 2001)9. Toutefois, avant d'objectiver autrui, il convient

de s'objectiver soi-même. Objectiver seulement ne suffit pas. Objectiver tout en subjectivant revient à inscrire l'acteur dans un projet. Appelons alors "projectivation" cette concomitance d'objectivation avec la subjectivation puisque nous nous inscrivons délibérément dans la posture

de modélisation-interprétation systémique qui se veut projective, contrairement à la modélisation analytique cartésienne qui se contente d'être objective. Ce qui nous permet de reformuler la précédente proposition, pour être plus complet, en disant qu'avant de "projectiver"10 autrui, il convient de se "projectiver" soi-même puisque l'acteur est relié à son action. Dans cette action de "projectivation", il y a, pour être logique, une part de "retroprojection"11 (à prendre au sens étymologique) du regard. Définissons alors la "projectivation" comme l'ensemble des mouvements de notre regard sur un sujet/objet, englobant la "retroprojection" avec la projection.

Le schéma qui suit (cf. fig.1, p.12) se propose comme illustration, en guise de complément à cette explicitation sur le positionnement du chercheur par rapport à son sujet/objet d'étude. Une telle posture est aussi appropriée pour toute personne exerçant des responsabilités

dans une institution de prestation de services à caractère social ou éducatif.

9 Edgar Morin (2001), La méthode 5. L'humanité de l'humanité, Coll. Points, Seuil, p. 84

10 Projeter, même en tenant compte des éléments du passé, suppose une perspective qui s'étale vers l'avenir, qui se conjugue au futur avec la grande part de l'hypothétique que cela recouvre. Or nous voulons exprimer à travers ce néologisme "projectiver" l'inscription d'un acteur objectivé et subjectivé à la fois, dans un projet qui peut être totalement achevé, conjugué à l'imparfait avec un plus grande par d'interprétation et modélisation a posteriori (postjectivation) possible. Pour autant, nous ne perdons pas de vues que tout peut s'inscrire en un temps dans un continuum "passé-futur" de l'acteur de sa vie.

11 En tant qu'observateur présent, nous proposons d'appeler retroprojection tout regard sur une vie de projet aboutie dans le passé, contrairement à la projection qui suppose un regard devant, vers l'avenir. Ainsi, une Projectivation peut inclure une Retroprojection et une Projection.

Chercheur

Projectivation

=

(Subjectivation + Objectivation)

Retroprojection

(Rétrospective)

Projection

(Prospective)

Retro-projet Projet

Acteur

(Sujet / Objet)

Passé Présent

Futur

Figure 1 : La "Projectivation"

L'autre motif fondamental de la démarche réflexive autoréférentielle, incluant tout ce que nous venons de voir, se résume dans la prise de conscience du fait que l'heuristique même de cette recherche-action en interaction avec l'action-recherche s'enracine dans le "terreau expérientiel" (C. Gérard, 1999)12. De là découle un nouveau système d'actions résultant de la dialogie engagement-dégagement. Ce système évolue dans un nouveau contexte pour opérer une projection véhiculée par et véhiculant l'hypothèse de C. Gérard (2006) selon laquelle l'autonomie

de "l'élève" directeur procède de l'action de se former en actionnant deux méta processus :

enracinement et fondement qui s'autoréfléchissent dans leur rapport dialogique.

Sans contester la nécessité d'une légitimation d'un ensemble de corpus scientifique dont des chercheurs se sont fait la spécialité, tel n'est pas exactement notre objectif

12 Christian Gérard (1999), Au bonheur des maths. De la résolution à la construction des problèmes, Paris, L'Harmattan.

ici puisque nous visons simplement à mieux partager notre travail dans sa globalité ; mieux faire comprendre (voire, com-prendre) les multiples nuances d'idées difficiles à transmettre, dissimulées derrière les recoins de nos perfectibles exposés. En résumé, cette partie dite autoréférentielle s'inscrit dans une logique de la démarche compréhensive caractérisée par le binôme projet et son contexte, étant attendu que les deux sont reliés par le chercheur. Comprendre le contexte, les origines, les fondements et autres enracinements d'un projet de recherche qui est en même temps un projet de professionnalisation, éclaire certainement in fine

ses finalités.

Ainsi vient d'être explicitée, en quelques mots, la pertinence méthodologique

de l'entrée en matière par une autobiographie référencée afin d'élucider les positions, les motivations et les valeurs qui portent et supportent ce travail. Bref, les contextes axiologiques et socioprofessionnels qui permettent d'identifier les enracinements - d'aucuns disent l'ancrage (c'est plus dynamique)13 - de nos préoccupations. Mettons alors en pratique la préconisation de

P. Ricoeur (1990)14 en commençant par nous objectiver pour mieux objectiver. Nous veillerons,

par la suite, à garder cette idée en filigrane tout au long de nos réflexions.

13 Toutefois, tout cela n'est que métaphore. Chacun use de l'image qui convient mieux à sa sensibilité.

14 Paul Ricoeur (1990), Soi-même comme un autre, Paris, Coll. Points, Seuil.

CHAPITRE PREMIER EXPÉRIENCES À L'ORIGINE DU SUJET

Ce chapitre prend la forme d'un récit factuel bien que, étant donné la modalité

de l'exposé qui suit, nous espérions qu'il soit plus que cela. En même temps, il ne s'agit pas non plus d'une autobiographie au sens habituel attribué à ce genre de littérature. Au fait, est-ce effectivement un banal récit, une introspection à tendance psychanalytique ou une simple évocation sporadique de quelques évènements clefs agrémentée de figures de style pour donner

des effets oratoires ? Non, aucune de ces qualifications ne s'applique à cette nouveauté dont C. Gérard nous a offert l'heureuse découverte durant la formation.

Mais quel que soit notre espoir, quelle place occupe le récit dans les sciences humaines et sociales ? Chaque discipline et orientation paradigmatique lui donne la place qui convient à son objet en fonction de sa méthode. Toutefois, quelques idées fondamentales peuvent certainement dégager un consensus entre toutes ces sciences, notamment en ce qui concerne les sciences de l'éducation et la gestion. Ce type de récit désigne, décrit, rapporte la réalité afin de la soumettre à tous les instruments servant au recueil et au traitement des informations. Il s'agit d'une matière première riche pour qui veut en extraire, à l'aide des concepts outils, un bout de savoir permettant de mieux définir chaque sujet en le situant dans la complexité de ses contextes. Cela veut dire qu'il sert de transition entre les données empiriques et les théories scientifiques.

Dans ce chapitre, comme moyen de concrétiser nos propos sur l'autobiographie référencée développés précédemment, il sert donc de médium transporteur de la réalité à passer sous les prismes des concepts en vue de tirer des éléments nouveaux qui viendront enrichir, fut-

ce de taille microscopique, la compréhension que l'on peut avoir du pourquoi de ce travail. Alors commençons par remonter à l'origine de notre parcours humain, avant d'aborder comment l'apprentissage dans l'action (de lycéen engagé dans la vie active au professionnel qui se forme) a permis très tôt de voir poindre le début de notre intérêt sur la question de projet.

I.La genèse d'un parcours

La construction d'une identité professionnelle dépend de plusieurs paramètres, avec systématiquement un apport de contingences qui se glissent entre les zones d'articulations

de ceux-ci, pour lesquels nous allons esquisser un exemple de représentation synthétique à travers ce destin singulier. D'abord, le titre "La genèse d'un parcours", en plus des sens qu'il véhicule, vise en partie à rendre hommage à E. Morin pour ses leçons de vie vulgarisées dans divers ouvrages tels que, notamment, La tête bien faite15 et L'humanité de l'humanité16. Ce qui reflète en même temps une volonté de s'approprier cette manière d'apprendre (à penser, à dire, et

à faire) qu'il préconise et à laquelle nous pouvons adhérer, tant une partie de ces enseignements recouvre la manière dont nous avons conduit notre métier d'élève, il y a quelques années déjà mais, qui semblent si lointaines et si proches à la fois. Une scolarité qui s'est déroulée dans un contexte où la seule garantie de succès résidait dans la propension à apprendre à apprendre dans l'autonomie. Pour finir, un curriculum aussi atypique, non linéaire que nous allons donner à voir

ne pourra-t-il pas être conçu comme a priori complexe ? Nous acquiesçons en nous référant à la définition morinienne de la complexité à laquelle nous reviendrons ultérieurement.

Voici une proposition facilitant de la communication de cette expérience unique et très personnelle : nous allons opter, rien que pour cette partie autoréférentielle, pour un positionnement en qualité de sujet qui s'affirme avec le pronom personnel "Je" ; celui qui se cache souvent derrière le Nous de l'orateur par convention, par civilité, par élégance oratoire, alors même qu'il se trouve seul face à ses responsabilités, à ses valeurs et à ses choix. Il y a des moments où la première personne se doit d'être assumée pleinement dans toutes ses dimensions égocentriques afin de mieux s'excentrer en direction d'autrui de façon plus franche. Cela réduit

au minimum les filtres et parasites communicationnels pouvant être vecteurs d'ambiguïtés. Ainsi

les échanges en vue d'un partage de toute expérience très subjectivement impliquante se fera dans un processus de décentration, donc de réflexion éclairant la transmission. Ensuite, dès le prochain chapitre, le code du langage universitaire sera de mise puisque pleinement compris, accepté et partagé. Cette petite parenthèse étant fermée, poursuivons maintenant l'exposé vers le coeur du sujet.

En toute simplicité, je considère volontiers la genèse de ma biographie de professionnel du secteur socioéducatif comme le fruit d'un long processus de maturation, suite à

15 Edgar Morin (1999), La tête bien faite, Paris, Coll. L'histoire Immédiate, Seuil.

16 Edgar Morin (2001), La méthode 5 : L'humanité de l'humanité, Paris, Coll. Points, éd. du Seuil.

une subtile union féconde entre ma décision d'engagement et la rencontre constructive avec le peuple d'un monde à part, voire parallèle à notre société que sont les lépreux. De là, une gestation a eu lieu dans un contexte spécifique pouvant être soit répulsif, soit, au contraire, favorable au développement des potentiels dormant dans chacun, suivant sa personnalité. Dans mon cas, ce contexte correspond à un terreau très fertile qui, associé à un profond sentiment d'indignation, de refus catégorique du mépris (nous y reviendrons très rapidement), a servi de biotope propice au développement de cette inépuisable force qui pousse à un engagement certes marginal, mais clairement assumé car probablement un peu humain. Cependant il ne peut y avoir

ni engagement, ni engageant sans la matrice originelle pour assurer le rôle de pépinière ou d'incubateur qu'est le premier cercle familial.

A. Un singulier départ

La péripétie d'une prime jeunesse à travers la moitié nord de Madagascar, dans une famille nucléaire marquée, trop tôt, par un "accident" fatal du père, m'a conduit à prendre en main mon destin et à rentrer dans la vie active dès l'âge de quinze ans, tout en décuplant une pugnacité pour mener ma scolarité à son terme. Un terme matérialisé à l'époque par l'obtention d'un baccalauréat car les études supérieures, en plus d'être longues, n'étaient accessibles qu'avec suffisamment de moyens financiers. Sur mes épaules pesait, en même temps, toute la responsabilité d'aîné d'une famille nombreuse. Dès lors, le droit de se plaindre et de crier à "l'injustice" avaient déjà des propriétaires : les autres. Pourtant, si participer à élever sa fratrie

dès l'âge de cinq ans revêt un caractère naturel, simple et formateur, en devenir le père de substitution du jour au lendemain s'avère être un exercice qui requiert le déploiement d'un certain degré de maturité que l'on n'a pas toujours du haut de ses quinze ans. D'ailleurs, dans une pareille position, souvent soit l'adolescent(e) plonge dans la spirale névrose, toxicomanie et délinquance17, soit il (elle) se tient débout, droit et poursuit son chemin en se serrant un peu les dents pour faire triompher l'instinct de survie. La deuxième posture m'a très bien convenue car la propension à lutter contre sa propre tentation de baisser les bras devant l'adversité est enracinée dans toute être humain. Elle a juste besoin, pour s'exprimer, d'être entretenue activement dès notre jeune âge. Les vertus des sports de combat et d'endurance, porteurs de valeurs structurantes autant mentalement que physiquement, m'ont sûrement entraîné et soutenu dans cette résistance, sans oublier les multiples rencontres humaines et humanisantes. Ainsi, cette épreuve m'a permis

de développer un sens de l'écoute empathique et l'inclinaison à la résolution des problèmes

17 Ou l'un des trois, ou la combinaison de ces trois pris deux par deux.

humains afin de soutenir, accompagner et donner confiance aux plus faibles à un moment donné

de leur existence. Pour cela, le mérite revient à ce père et à une grand-mère qui m'ont légué en héritage l'essentiel, c'est à dire l'amour de la nature, le respect de son prochain et le goût d'apprendre, que d'autres ont enrichi par la suite au gré des rencontres. S'y ajoute l'incommensurable confiance dont ils ont fait preuve à l'égard de l'enfant que j'étais. À croire qu'en matière d'éducation, ils eurent pour devise la fameuse expression "un enfant n'est pas fort curieux de perfectionner l'instrument avec lequel on le tourmente ; mais faites que cet instrument serve à ses plaisirs, et bientôt il s'y appliquera malgré vous" (J.-J. Rousseau, 1966)18. Étrangement d'ailleurs, à mes condisciples lycéens qui se plaignaient de la difficulté d'assimiler

les enseignements, je proposais ceci comme devise : "L'étude n'est qu'un jeu mais faites-la sérieusement et vous réussirez."

Cette absence paternelle imposée par l'inéluctable, en pleine adolescence, a produit en moi un certain sentiment de vide car "la mort de l'être cher brise chez l'aimant son Nous le plus intime et ouvre une irréparable blessure au coeur de sa subjectivité" (E. Morin,

2001)19. Mais la blessure s'est métamorphosée en énergie de résilience20 donnant, entre autres choses positives, la force de s'opposer à tout sentiment de mépris - d'où qu'il vienne - envers mes semblables de quelque condition que ce soit. Cela va de pair avec la primauté donnée à la dignité humaine. Il en résulte cette recherche en permanence de favoriser une ambiance de paix sociale partout où je me trouve quand l'environnement s'y prête ; puis un manque, une soif insatiable mais, en même temps génératrice, de savoir puisque l'insuffisant est productif. Manque qui se manifeste par un besoin de s'ouvrir au monde. Ouverture qui, bien qu'au départ littéralement entravée par la vie insulaire, se matérialise à travers le goût pour le voyage, la recherche et la passion d'apprendre. Une très grande curiosité intellectuelle en somme. Les permanents et plaisants efforts d'imprégnation culturelle de toutes mes sociétés adoptives - dès l'âge de cinq ans - sont tout à fait emblématiques de cette curiosité. Mais mon principal allié fut probablement une certaine maturité précoce (très relative !) qui m'a aidé à comprendre l'exigence de conjuguer le principe de plaisir avec le principe de réalité. Cela m'a permis de cheminer vers le monde des adultes dans une perspective jalonnée par une gestion pragmatique

du triptyque vie familiale, vie scolaire et vie professionnelle, excluant sans compromis

l'opportunisme, à l'origine de trop de bassesses dans bien des cas.

18 Jean-Jacques Rousseau (1966), Émile ou de l'éducation, Paris, Garnier-Flammarion.

19 Edgar Morin (2001), La méthode 5 : L'humanité de l'humanité, Coll. Points, éd. du Seuil, p.86

20 Résilience (déf.) : "la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d'une adversité qui comportent normalement le risque grave d'une issue négative " in Boris Cyrulnik (2002), Un merveilleux malheur, Coll. Poches, Odile Jacob, p.8.

Ainsi, mon entrée effective dans la vie professionnelle a pu se faire un peu plus précocement que la norme habituelle, c'est-à-dire trois années avant la majorité.

B. Cheminement d'un ouvrier-élève

Enchaînant maints emplois précaires, j'ai toujours gardé, autant que faire se peut, des activités bénévoles, des engagements sociaux et associatifs tels que représentant des élèves au conseil d'administration du lycée ou animation de mouvements des jeunes ou encore comme co-fondateur et rédacteur en chef adjoint d'un petit journal d'éducation à la santé. Mes rares temps libres étaient souvent consacrés à des retraites champêtres pour profiter des faunes et flores luxuriantes, en majorité endémiques de cette Île sanctuaire, en me laissant aller à des méditations sur les conditions humaines. Pendant ce temps, l'école continue à imposer ses exigences prises pour l'unique priorité qui vaille. Ce à quoi j'ai encore du mal à m'accommoder maintenant. L'on voit encore, en effet, des éducateurs21 qui ont tendance - consciemment ou pas

- à faire valoir leur unique ambition pour leurs élèves au détriment du projet de ces apprenants et celui de leur famille. L'on s'étonne ensuite des cacophonies à l'origine des dissonances cognitives, dans la communauté éducative ; phénomène très perturbant pour des jeunes étiquetés,

à tort, "en difficulté scolaire". Est-ce vraiment ces jeunes qui sont en difficulté scolaire ou c'est plutôt l'école, le système éducatif, voire même la société qui se trouve en difficulté face à elle- même à force de ne pas savoir ce qu'elle veut en terme de valeur ? Le problème pourrait peut- être s'appréhender en trois pôles solidaires : le jeune, la famille et le système éducatif. L'interaction, entre les trois, participe à la production de ce que le jeune peut et pourra être, à un moment donné, dans ses différents cercles d'appartenance. Or puisque ces trois pôles forment chacun un sous-système vivant, l'intervention au milieu d'un super système regroupant les trois exige des professionnels de l'éducation une prise de conscience de la complexité à laquelle ils ont

à faire face. Ainsi, la qualification "en difficulté" s'appliquera là où elle devra être plutôt que comme un lourd verdict posé sur la tête des jeunes.

À l'école, dans un système paradoxalement élitiste pour l'un des pays classés parmi les plus en retard économiquement, tout allait normalement sur le plan purement intellectuel. Toutefois, malgré cette petite réussite cognitive, je me suis retrouvé quelque fois en position de défouloir de frustrations de certains enseignants qui ne parvenaient pas à me modeler

tel qu'ils auraient aimé que leurs élèves soient. En effet, bien qu'aimant réellement l'école, mon

projet, qu'elle ignorait allègrement, ne concordait que rarement avec ce qu'elle persistait à

21 Ici l'éducateur est pris au sens large englobant tout professionnel de l'éducation, de l'enseignement et de formation.

imposer de façon uniforme. Un fait anecdotique certes mais potentiellement révélateur de l'ambiance d'ennui dans laquelle peut être noyé un élève : on peut affirmer sans exagération que jusqu'en classe de Terminale (7e année du secondaire ou l'Humanité), près de vingt pour cent de mon temps scolaire a été passé à compter des moutons dans les bras de Morphée. Pour autant, cela ne m'a pas empêché d'atteindre les performances attendues et d'apprendre, en autodidacte,

sur la nature tropicale qui est restée longtemps ma grande passion parallèlement à la vie de la cité, au sens hellénique du terme. Pour assouvir de telles passions, il valait mieux avoir une curiosité bien aiguisée. Heureusement, il semblerait, selon Aristote, que "l'Homme a naturellement la passion de connaître". Cette dernière explique probablement cela, si tant est qu'il faille toujours tout expliquer ou tout justifier. Une importante activité, bien que discrète, illustre mon lien actif au système éducatif de ma jeunesse. Il s'agit d'un engagement pour la promotion de la francophonie là où la malgachisation22 était la règle en vigueur. L'unique résultat palpable de cet engagement, à l'époque, se résume au fait qu'en classe de première (sixième année du secondaire) un professeur d'histoire et géographie ait accepté d'enseigner sa matière en français. Ce ne fut pourtant qu'une victoire éphémère dans la mesure où le professeur lui-même n'avait pas le niveau suffisant pour assurer un enseignement entièrement francophone. Qu'est ce qu'une poignée de lycéens peut, après tout, espérer apporter comme changement dans une institution où leur voix équivaut à un ultrason pour les oreilles des décideurs ? En tout cas, pas rien. D'abord nous éviter un formatage indélébile et garder ainsi une souplesse intellectuelle minimale indispensable. Ensuite, ce groupe d'anciens lycéens français ou francophiles (où qu'ils soient) est maintenant devenu une force de résistance active pour favoriser la diversité culturelle dans un bout de territoire du village-monde qui risque d'être broyé par le rouleau compresseur de l'uniformisation linguistique de la puissance économico-militaire du moment23. De tels engagements apportent, enfin, une réelle ouverture d'esprit sur les problématiques générales de l'éducation à une échelle plus large que celle d'un pays.

Ainsi, je ne cesse de m'interroger si, outre la nécessité d'une adéquation entre

la formation (post enseignement général de base) et le marché de l'emploi, l'école a pour rôle de livrer au système économique, suivant la conjoncture, uniquement des adultes bien formatés à l'identique, bons exécutants dociles dénués de tout ingéniosité et de sens critique, soit par "amputation", soit par inhibition. Et que fait-elle de ceux qui ne rentrent pas avec précision dans

22 La malgachisation n'avait strictement rien à voir avec une réaction symptomatique d'un nationalisme post-colonial tel que l'interprètent beaucoup de théoriciens. Il s'agit d'un système extrêmement efficace pour promouvoir une oligarchie dont la perpétuation est facilitée par la transmission du pouvoir à l'intérieur du cercle restreint. Pour ce faire, il existait des écoles francophones d'excellent niveau réservées aux élites.

23 Sachant que si le français reste la langue qui occupe une place particulièrement importante, l'idéal est de promouvoir toutes les langues permettant une ouverture culturelle, diplomatique et économique sans exclusivité.

le moule : les "mutiler", punir, écarter, ou stigmatiser ? Dans ce domaine, l'uniformité peut-elle seulement servir aux intérêts économiques d'un pays ? Quelle qu'en soit la réponse, je ne me suis jamais accommodé à cette habitude de l'école de reléguer systématiquement les élèves qui n'arrivent pas à suivre ou, tout simplement, qui ont d'autres centres d'intérêt que ce "menu" standard servi au nom de l'unique égalité. Les expressions "bonnet d'âne", "cancre", "dernier de

la classe", "bon à rien", etc., ne sont-elles pas des inventions des maîtres ? Pourtant, même dans

ma prime jeunesse, je ne me suis jamais senti à l'aise en recevant les prix d'excellence de fin d'année (manuels et fourniture pour l'année suivante) qui concourent à favoriser une minorité d'élèves qui prennent ainsi d'autant plus d'avance sur les autres, alors que ceux qui mettent en difficulté l'école sont abandonnés en route. Dès la classe de 5e (2ème année du secondaire), bénéficier de ce genre de prix me faisait déjà éprouver le sentiment de participer à une profonde iniquité. Mais pour compléter le tableau, il m'est arrivé aussi de me trouver dans la posture du cancre.

En effet, après un voyage intercontinental, mes trois premières années universitaires ont été marquées par de très difficiles soucis d'acculturation. Une grande insuffisance de niveau en français et un décalage entre le premier système éducatif qui m'a formé

et le système éducatif français constituaient les éléments explicatifs à la base d'un tel "échec universitaire". Pourtant, dès ma naissance, la France comme deuxième pays a pris place profondément dans mon coeur d'autant plus que mon meilleur souvenir d'un grand-père, qui m'a servi mes biberons, restera cet amour pour la métropole qui constitue l'unique pays dont il était le citoyen. C'est dire que l'intention et, le sentiment ne suffisent pas. Il faut aussi déployer toute son énergie, son intelligence et beaucoup d'audace dans l'action. S'il ne devait pourtant me rester qu'une seule idéologie motrice pour redresser ma barque vacillante de jeune étudiant, cela aurait

été ce proverbe tiré de deux vers des Géorgiques de Virgile (I, 145-146) : "Un travail opiniâtre vient à bout de tout" (Labor omnia vincit improbus). Il faut avouer aussi que "la langue de chez nous", si bien chantée par Yves Duteil en dépeignant les multiples facettes de la langue de Molière, a vraiment su me séduire au point de me donner l'énergie suffisante pour continuer à l'apprivoiser, jour après jour, voir seconde après seconde pour plusieurs décennies encore.

En somme, il ne serait pas exagéré d'affirmer que mon intérêt pour l'éducation

et l'enseignement a pris racine dans la conviction qu'il est possible de former une société qui relie ses membres avec toutes leurs différences complémentaires grâce à la formation diversifiée

de toutes les générations, tout au long de la vie. Cela suppose, comme condition sine qua non, un fonctionnement scolaire et pédagogique qui ose parier sur un effort d'équité et d'inventivité permanente ; une école qui n'a pas trop de certitudes. Une telle école se doit de donner sa juste

place à l'enseignant, à l'élève et aussi à sa famille dans une institution structurée par des règles du

jeu démocratique et de la laïcité intégratrice. Il s'agit d'une école à la fois ouverte sur le monde tout en demeurant protégée des fluctuations d'humeurs environnantes. Cette école, principale actrice d'une meilleure instruction et formation se doit aussi de co-éduquer main dans la main avec la famille sans se substituer à cette dernière. Enfin, l'école constitue le deuxième cercle éducatif strictement après la famille, mandatée par la société pour des missions précises et donc limitées. Et, bien qu'au service de la société, le système éducatif n'a ni à se substituer à celle-ci,

ni à usurper ses responsabilités. De même, une société démocratique et éclairée se garderait bien

de désigner l'école comme étant à l'origine d'éternels symptômes - décrits tout au long de notre histoire depuis la Grèce Antique - des dysfonctionnements et non-conformités de sa jeunesse.

Venons-en maintenant à l'une des phases les plus significatives de ce parcours, matérialisée par la découverte de la fonction de direction dans une léproserie. Soulignons d'emblée que, quelles que soient les idées qui vont être développées et la manière dont elles seront exposées, l'idée maîtresse de cette expérience se trouve dans la notion de service. Servir une organisation ou un public. Ici, le public sort de l'ordinaire car l'univers des lépreux n'est certainement pas un monde comme les autres. Pénétrer cet univers unique exige l'engagement de

la totalité de son être. D'où la délicatesse de la restitution d'une telle expérience, fut-ce avec des multiples jalons théoriques. En tout cas, il s'agit d'un engagement éminemment formateur et, par conséquent, fondateur de quelques solides valeurs universellement partageables.

II. Unapprentissage dans l'action

A. Une léproserie comme fondation

À dix neuf ans, je me suis vu proposer, par un prêtre dermatologue malgache d'origine italienne, la direction sociale de la léproserie24 d'Ambanja25 avec pour mission : concevoir et mettre en oeuvre des solutions pour une autosuffisance alimentaire et fédérer les lépreux autour de la co-construction d'un projet de vie sociale qui fait sens26. Cette proposition correspondait exactement à mes inspirations de jeune révolté, profondément indigné par le mépris que l'homme peut avoir pour ses semblables ayant une quelconque caractéristique

24 Village situé à 5 km, isolé de la ville et de toute autre vie sociale.

25 Petite ville, chef lieu de sous-préfecture située au nord nord-ouest de Madagascar dans la province de Diégo-Suarez.

26 Au départ, prévue pour un été, l'expérience s'est prolongée pendant une durée de trois années.

différente des siennes : maladie, handicap, origine géographique, couleur de peau, orientation sexuelle, conviction religieuse ou politique, voire spécificités intellectuelles, etc. Quant aux lépreux, comment peut-on se contenter, pendant des siècles, d'exclure définitivement ses propres membres malades au nom d'une peur fondée sur des préjugés, sans que personne ne réagisse ? Si seulement quelqu'un ne pensait pas comme les autres, puisqu'il devait bien y en avoir plus d'un, qu'est-ce qui aurait pu l'empêcher de faire évoluer son monde ? Certainement l'incapacité à assumer sa différence en agissant autrement que selon la pensée traditionnelle immuable et sclérosée ; bref, la paralysie quand il faut passer à l'action ou même penser autrement que suivant

les vox populi qui ne sont pas toujours des vox Dei !. Si E. Durkheim nous a enseigné la richesse

de la conscience collective par rapport à la conscience individuelle de par la complexité des maillages formant cette première, nous sommes, au sujet des lépreux, devant un cas qui infirme partiellement cette idée. Ici, plutôt que d'intégrer et d'amplifier les sentiments d'indignations individuelles face aux conditions réservées par la société à ses membres malades, celle-ci a réussi longtemps plutôt à les neutraliser. Du coup, il a fallu l'arrivée de quelques personnes allochtones - devenues depuis enfants du pays - pour introduire durablement et donner sa juste place à cette réaction génératrice de changement. Au final, nous observons une société dont l'ouverture et la capacité d'assimilation de certaines valeurs de ses hôtes lui offre une perspective d'évolution qui lui semblait inaccessible en autarcie.

Jeune et laïc, nous verrons que mon rôle n'était pas des plus faciles. Néanmoins, une expérience d'encadrement, une volonté d'écoute soutenue par une bonne connaissance des us et coutumes du pays ont été les piliers qui m'ont servi de solides appuis. Les situations difficiles ont tendance, par ailleurs, à renforcer mon calme et ma détermination à réussir. Mais cette expérience a eu lieu dans un contexte si particulier qu'une très sommaire

anamnèse de la lèpre nous aidera à mieux représenter quelques unes de ses multiples dimensions.

Maladie infectieuse, contagieuse et épidémique, le premier symptôme, qui apparaît après la phase d'incubation (de 6 mois à 15 ans) du Mycobacterium leprea ou bacille de Hansen27 - se manifeste d'abord par une perte de sensibilité dermatologique face aux stimuli. Puis, vient l'affection des muqueuses. Ensuite, les atteintes du système nerveux périphérique peuvent souvent paralyser certains muscles et causer l'infection des blessures. La destruction osseuse va, si le traitement tarde, jusqu'à l'amputation des extrémités. Pour finir, associée à une faiblesse du système immunitaire, il arrive que certains patients finissent avec d'autres infections réduisant considérablement leur longévité. Socialement, la répugnance, la peur et la fuite sont les mots clefs de l'existence d'un lépreux. Vieille maladie, la connaissance de la lèpre est attestée par

27 Du nom de son découvreur Armauer Hansen en 1893.

des écrits historiques datant de l'an 600 avant Jésus-Christ. La lèpre est donc une maladie infectieuse à l'origine de multiples handicaps et dont la mort sociale constitue un incontournable effet secondaire d'une extrême lourdeur jusqu'à la fin du XXe siècle en tout cas. Après la confirmation du diagnostic, l'emménagement à la léproserie s'impose pour tout patient de tous âges et de toutes conditions sociales, sous peine d'être voué à la solitude, l'errance et la clandestinité pour le restant de ses jours. Ce qui n'est tenable pour personne.

Le quotidien de ces villageois est soutenu par un projet déclinable, dans sa mise en oeuvre, en trois volets : économique, social et éducatif.

1. Visées économique et socioéducative

a. Une économie vivrière

À l'image de celle du pays qui est basée en grande partie sur le secteur primaire, l'économie de la léproserie repose exclusivement sur l'agriculture et l'élevage. Une prédominance de riziculture pluriannuelle complétée par le maïs, le manioc et les arbres fruitiers forme la partie agricole ; tandis qu'un élevage bovin - indispensable à la ruralité malgache28 -,

de volaille et porcin permet un apport quotidien en protéine. Pour y parvenir, deux entreprises agricoles de la région entretiennent un partenariat avec nous en fournissant les engrais, les plants

et semences (les premières années), tous les outils de labour ainsi que de précieux conseils techniques. Par ailleurs, suivant la saison, le recrutement d'entre cinq et quinze ouvriers agricoles pallie la faible capacité de travail physique des lépreux29. Mais les principaux acteurs, dans toutes

les phases de la production, restent nonobstant les villageois eux-mêmes.

En tant que pilote, mon rôle débute par l'élaboration des stratégies générales, partiellement négociées avec les villageois, ainsi qu'à leur communication par des dialogues à caractère pédagogique. Puis la gestion et la coordination des travaux s'effectuent en parallèle aux relations avec les partenaires. Ceux-ci m'offrent des occasions pour m'initier aux multiples techniques agricoles qu'il faut aussitôt mettre en pratique et transmettre, sans oublier la recherche

de solutions pour les petits tracas quotidiens (problème de parasites, correction des erreurs, protection de la culture, etc.). Au final, une participation active à tous les types de travaux des

champs et d'élevage au même titre que les villageois ou les ouvriers constitue la touche

28 En effet, le zébu (boeuf à bosse) jouera longtemps encore un rôle symbolique, économique et coutumier dans cette société traditionnelle.

29 Un tel recrutement a pu avoir lieu du fait d'une possibilité pour les ouvriers de garder leur distance par rapport aux malades.

personnelle que j'ai tenue à apporter quoiqu'il ne m'a évidemment pas été possible de consacrer autant d'heures au travail fermier qu'eux. De toutes les manières, superviser à distance les mains

sur les hanches m'est inconcevable. Ainsi mes semaines se passent entre les négociations partenariales et le soleil du champ de maïs ou sous la pluie entre les pieds des plants d'arbres fruitiers pour aboutir à la gestion du partage des récoltes à chaque fin de saison. Cette proximité participe à l'encouragement que les villageois apprécient énormément car ils ont un moral en dent de scie dans un corps souffrant telle des vieilles branches automnales effeuillées et dont on

ne mesurera jamais assez la fragilité, même doté d'une empathie exceptionnellement réceptive.

Ces activités, en vue d'une autosuffisance alimentaire et de réduction de la dépendance envers les aides humanitaires, jouent en plus un rôle capital dans le parcours d'insertion sociale au village. Responsabilisée, en devenant le principal maillon de sa vie économique, la population se prend en charge et parvient ainsi à se reconstituer, année après année, des fragiles prémices d'identité sociale en dépit de son exclusion. Toutefois, cette question d'identité sociale restera longtemps encore un grand défi à relever.

b. Un défi de resocialisation

Société traditionnelle, la vie dans les campagnes malgaches s'articule autour

des travaux des champs et des rites traditionnels/religieux où chaque évènement occasionne une manifestation festive qui sert de prétexte au renforcement des liens sociaux. Au cours d'une fête coutumière, par exemple, les Vieux30 rappellent les liens de parenté et les règles immuables des interdits et tabous. Bien que séparés pour toujours de leurs familles, les villageois tentent de constituer de nouveaux "liens de parenté" entre eux. Ce qui illustre l'idée de C. Lévi-Strauss selon laquelle, dans les sociétés dites primitives, le système de parenté forme l'armature de l'organisation sociale en créant des relations d'interdépendance au sein de celle-ci. Ainsi, au lieu

de réciter l'arbre généalogique dont les Vieux possèdent la parfaite maîtrise, ils s'échangent autour des anecdotes, évènements marquants et mythes pour consolider cette parenté à la fois nouvelle et éternellement vacillante. Mon rôle ici consiste à entretenir cet embryon des liens sociaux par le biais des évènements à provoquer, à organiser et à catalyser. Bref à saisir ou faire

émerger des occasions propices à la mise en oeuvre d'une existence partiellement réparatrice de

30 Entendons par vieux (en malgache "matoe"[matwe]/ "antitra"/ "Ray aman-dreny"), toute personne âgée (notion relative

à plusieurs autres paramètres que la seule date de naissance), référent doté de sagesse (qui, de ses longues expériences de

la vie, a su tirer des enseignements, savoirs transmissibles et connaissances), suscitant l'admiration et le respect. On aime donc son vieux. Sa valeur est proportionnellement inverse à son énergie physique, qu'il soit riche ou démuni, homme ou femme. Dans beaucoup de familles, la mienne par exemple, des femmes se retrouvent souvent à la tête de la "grande famille élargie" selon certains critères. Après la mort, les vieux devenus ancêtres occupent une place d'intercesseurs auprès de Zagnahary (Le Créateur dans la cosmogonie malgache) et protecteurs des siens vivants.

la violence suprême - et non plus symbolique - que ces personnes subissent de la part de la société en général, et de leur famille en particulier. Qu'y a-t-il de pire pour un humain souffrant déjà d'une maladie aussi grave que d'être rejeté, à cause de celle-ci, hors de l'humanité ? Les interactions souvent très conflictuelles entre les villageois me conduisent aussi à me positionner

en médiateur pour atténuer toute source de désunion et, encore une fois, entretenir les relations interpersonnelles. Il est en effet loin d'être évident de parvenir à ce que des lépreux, qui vivent

au plus profond de leur être le rejet humain et divin (car ainsi se conçoivent-ils et sont-ils conçus), s'acceptent eux-mêmes. Alors accepter les autres, fussent-ils leurs "concitoyens", se situe encore à un degré supérieur de l'évolution dont la pénible ascension ne peut avoir lieu qu'avec un accompagnement à long terme. On comprend combien la parenté nouvelle évoquée

ci-dessus peine à s'enraciner.

L'existence sociale est une perpétuelle interaction constructive entre l'environnement humain et soi-même. Il semblerait que "le rapport que les sujets entretiennent avec leur condition et avec les déterminismes sociaux qui la définissent fait partie de la définition complète de leur condition et des conditionnements qu'elle leur impose" (P. Bourdieu et J.-C. Passeron, 1985)31. Cette vision, bien que relativement juste, me parait un peu trop pessimiste. Alors, fort de l'idée de la rationalité des acteurs chère à R. Boudon et telle que la conçoit M. Crozier, je pense que dans certaines situations, rien ne vaut l'action. D'où mon engagement pour

ce long combat qui nécessite, à mon sens, le passage par la création d'un petit système scolaire endogène. Pour apporter du changement, l'éducation, comme vecteur à la fois de perpétuation et d'innovations d'une société, occupe une place primordiale dans ma conception de la reconstitution sociale. Par conséquent, la création d'une école primaire s'est imposée d'elle- même comme une décision obvie32. Il s'agit d'une École à la fois formatrice et protectrice car "c'est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l'éducation doit être conservatrice ; elle doit protéger cette nouveauté et l'introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux qui, si révolutionnaires que puissent être ses actes,

est, du point de vue de la génération suivante, suranné et proche de la ruine" (H. Arendt, 2001)33. Bref, mon projet n'est ni révolution - en tout cas pas la révolution attendue au sens de la Révolution française avec les lots de violences qu'elle a charriés puisque je reconnais l'obligation

de révolutionner certaines situations quelque fois, mais avec une révolution plus pacifique telle

que l'histoire abonde -, ni stagnation, mais juste une école d'équilibre entre continuité et

31 Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron (1985), Les héritiers, Paris, Coll. Le Sens Commun, Les Éditions de Minuit.

32 Qui vient spontanément à l'esprit

33 Hannah Arendt (2001), La crise de la culture, coll. Folio/Essais, Gallimard, p. 247.

innovation ; une école toujours à parfaire par et pour la société. Et pour une société d'exclus, vouée à évoluer à l'abri de toute source de chaleur et de lumière cordiales de tous ses cercles

d'appartenance de départ, l'école sert d'armature pour une fondation plus solide.

c. Création d'une école primaire

Parmi de nombreux jeunes en âge d'être scolarisés, seule une dizaine, de quatre

à quinze ans, de niveau très hétérogène a été retenue pour participer à cette première école avec une organisation pédagogique en classe unique. En dehors des quatre heures hebdomadaires possibles consacrées à l'enseignement, je me suis organisé pour multiplier les occasions d'enseigner, de transmettre à travers toutes les activités de la vie quotidienne auxquelles les enfants peuvent participer ou assister puisque "(se) former, c'est [aussi] l'avoir fait soi-même" (C. Gérard, 2005)34. Avec le recul, on peut constater une sorte de métissage entre l'esprit du Français

C. Freinet35 et du Juif polonais J. Korczak36 dans ma pratique bien que n'ayant eu de formation pédagogique qu'à la fin de la deuxième année, durant la préparation militaire37. Cette pratique consiste en tout cas en une succession de bricolages favorisés par la motivation des élèves car,

nul n'ignore, pour paraphraser C. Freinet, qu'on ne peut pas faire boire un âne qui n'a pas soif. Cette formation pédagogique, reçue dans le Régiment des Forces d'Intervention marine (chez les fusillers marins), explique, en partie, pourquoi la troisième année a été la plus rentable par

rapport à la progression de mes élèves38.

34 Christian Gérard (2005), "Action-recherche // recherche-action en formation, c'est-à-dire conjoindre l'art, la science et l'expérience afin de former à (se) former", p. 2

35 Célestin Freinet, Gars, Alpes-Maritimes, 1896 - Vence 1966, pédagogue français, il a développé une pédagogie fondée

sur les groupes coopératifs au service de l'expression libre des enfants et de la formation personnelle. À noter aussi que

s'il a pensé cette pédagogie, ce fut pour faire face à un handicap physique qui fait suite à sa présence aux fronts pendant la

Guerre.

36 Janusz Korczak (de son vrai nom Henryk Goldszmit), Varsovie 1878 - Treblinka 1942, pédagogue polonais. Médecin, fondateur d'un orphelinat dans le quartier juif de Varsovie, il développa une pédagogie de la responsabilisation, publie Comment aimer un enfant (1918). Il mourut, tué par les Nazi, avec "ses" enfants à Treblinka.

37 A Madagascar, tous les bacheliers (qui représentaient 9 à 11% de la classe d'âge en 1986) effectuaient leur service national obligatoire. Ce service est à la fois militaire et civil. En clair, toute la promotion se retrouve prise en charge par un corps de l'armée pour effectuer une formation à la fois militaire et pédagogique. La formation pédagogique étant, évidemment, assurée par des professionnels de l'éducation nationale. Ensuite, alors que vingt pour cent de l'effectif seront dispersés dans différents corps de l'armée, la majorité des ces militaires sera affectée à l'enseignement dans les collèges (75%) et à l'alphabétisation (5%).

38 Le fait d'être sous les drapeaux me donnait un enthousiasme supplémentaire parce que je n'agissais plus simplement à titre individuel pour une oeuvre qui me tenait à coeur mais aussi en tant que représentant de la République. Autrement dit, à travers ma présence, la société malgache se voit, désormais, pratiquement engagée dans la prise en charge de la population lépreuse. Mais le plus important se trouve surtout dans l'impact de cette réalité marginale vis à vis de la société. C'est ainsi, par exemple, que nous avons réussi à établir un lien institutionnel avec un établissement scolaire de la ville. Les soutiens logistiques se sont multipliés : plus de livres, de craies...etc. Enfin, même si la ville reste loin d'être facilement accessible, ces enfants et adolescents existent aux yeux de certaines personnes que je peux toucher plus efficacement dans mes campagnes de sensibilisation : quelques enseignants et des jeunes. Régulièrement, je trouve même de plus en plus d'interlocuteurs quand des problèmes pédagogiques nécessitent une analyse plus approfondie.

Aussi quand "l'école est finie", on organise des sorties récréatives en quittant momentanément ce monde à part pour visiter la ville, sans pour autant sortir du véhicule. Une telle promenade reste l'unique moyen pour les enfants de découvrir les actualités et les évolutions du monde environnant. Quelques sorties dominicales sur des plages isolées de la côte ouest de l'île, le long du Canal de Mozambique, leur servaient aussi de véritable bouffée d'oxygène. Mais, entre nous, reconnaissez que dans un pareil engagement, peu de monde se satisferait de ce genre de statu quo, cette vie de bannis ! Alors, afin de rompre cet isolement, j'ai convaincu mes camarades lycéens à nouer des contacts avec les villageois. Ces contacts, inspirés

de la parabole du semeur39, visent à désinhiber et à provoquer la remise en cause profonde - par l'action plutôt plus que le discours - d'ancestraux préjugés incarnés par la peur de contracter la lèpre rien qu'en se trouvant dans le même environnement que les malades ou en marchant sur leurs pas. Une grande prudence est donc de mise afin d'éviter que, entre deux mondes qui s'ignorent, la moindre réaction de crainte de part et d'autre ne soit mal interprétée pour se transformer en barrière encore plus infranchissable à la communication, voire n'engendre de la violence. Nous sommes là à la charnière du rôle social et du rôle éducatif. D'ailleurs, rien n'est complètement dissociable, tout s'entrecroise et s'interconnecte dans ce monde chaotique à gérer

le mieux possible. Il en résulte inévitablement une profusion de difficultés auxquelles il faut faire face.

2. Des difficultés formatrices

a. Des difficultés humaines

Le coeur du problème se situe dans l'ignorance qui engendre une conception superstitieuse de cette maladie par la grande majorité des Malgaches. Il est des moments où l'on

ne peut s'empêcher de penser qu'effectivement, dans une certaine mesure, "un peuple ignorant est l'instrument aveugle de sa propre destruction" (S. Bolivar, 1819)40. La lèpre chez ce peuple, pourtant si pacifique et si sociable, n'est autre qu'une malédiction divine. Quand Zagnahary (Le Créateur)41 se fâcherait, il pourrait aller jusqu'à jeter le suprême anathème qu'est la lèpre. Pourtant personne, parmi les victimes, ne comprend quelle est cette faute si énorme qu'elle ait pu commettre pour être ainsi maudit et mériter autant de peine. Puisque la mort est considérée

comme seulement une simple étape pour le passage de la vie terrestre vers l'autre monde, la

39 Mt 13, 1-9 ; Mc 4, 14-20 ; Lc 8, 4-8

40 Simon Bolivar (1819), Discours de l'Angostura.

41 Zagnahary : littéralement Créateur est le Dieu unique dans la cosmogonie malgache.

damnation se poursuit forcément au-delà. Par conséquent, l'accès dans le monde des ancêtres42 sera ipso facto exclu pour les lépreux. Un individu ainsi considéré, même par la femme qui l'a engendré, ne pourra plus jamais espérer trouver une quelconque place sociale nulle part. Banni pour toujours, aucun cimetière (ni familial ni public) n'aura de place pour lui. Il ne lui reste plus que l'obligation de refaire sa vie dans une léproserie. Seulement, l'intégration dans cette société nouvelle ne va pas de soi, si tant est que l'on puisse considérer cela comme une société plutôt qu'un bagne où des communautés religieuses des franciscaines et des capucins43, soutenues par la fondation Raoul Follereau44, consacrent une grande part de leur existence à humaniser les conditions de vie de leurs semblables en assurant tous les soins médicaux et paramédicaux.

Trouver sa place dans une telle condition exige une réelle volonté de la part de tous les protagonistes. Or, la diversité des origines géographiques ou ethniques45, les différences d'âge à l'arrivée au village et le degré du handicap de chaque personne ne facilitent rien. D'ailleurs, on est en droit de se demander par quel mécanisme magique une personne définitivement rejetée de partout - et qui au mieux est plongée dans un profond solipsisme46, au pire se rejette elle-même - puisse être capable, après une simple transplantation géographique, d'en accepter d'autres. Effectivement, tu as raison Boris : "nous nous trompons de malade. Ce n'est pas tant sur le blessé qu'il faut agir afin qu'il souffre moins, c'est surtout sur la culture"47. Désolé pour l'apparente familiarité mais il s'agit d'un tutoiement entre éducateurs car dans ce "tu" se faufile une fraternelle admiration pour ce grand éducateur neuroscientifique.

De ce fait, on peut imaginer l'ampleur des difficultés restant constamment à résoudre, à surmonter ou à supporter, durant cette aventure humaine. Subjectivement, en plus du sentiment de solitude propre à la fonction de direction, ma place au coeur de cet univers reste extrêmement difficile à identifier avec clarté.

42 Très important pour un peuple dont l'univers existentiel est divisé en trois : la terre des vivants, le monde des ancêtres et le monde de Zagnahary. Il n'y a pas de notion d'enfer ni de paradis mais les âmes non admises dans le monde des ancêtres seront vouées à une éternelle errance.

43 Dirigée par le très dynamique Frère Stefano Scaringella, prêtre dermatologue, acteur clef du développement local.

44 Raoul Follereau (Nevers 1903 - Paris 1977) était un journaliste et avocat français, fondateur en 1966 de la fédération Internationale des associations de lutte contre la lèpre. (cf. Le Petit Larousse Grand format, 2006).

45 N'oublions pas que nous sommes dans une société issue d'un très complexe métissage africain, asiatique, océanique et européen. Par conséquent, la notion d'ethnie reste délicate à manier bien que des générations d'ethnologues l'usent à volonté sans retenue.

46 Solipsisme : nom masculin (latin solus, seul et ipse, soi-même) [Philosophie] Conception selon laquelle le moi, avec ses sensations et ses sentiments, constituerait la seule réalité existante. Le Petit Larousse Copyright (c) Larousse/HER (1999) (c) Havas Interactive (1999).

47 Boris Cyrulnik (2002), Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob, p.174.

L'âge a une importance particulière dans la société malgache. Cette importance

se manifeste, entre autres, à travers le respect que les plus jeunes doivent aux plus âgés48. Or, au début de ma mission, mon âge souleva un problème précis : comment asseoir une autorité sans être autoritaire pour diriger un village de cent vingt âmes quand on a à peine vingt ans ? Être plus jeune, même que le benjamin de la quinzaine d'ouvriers agricoles que je recrute, n'était pas évident dans la relation professionnelle. La question ne se serait peut être pas posée avec autant d'acuité s'il s'était agi d'une entreprise à finalité exclusivement économique. Peut être...

Le deuxième point important est que, en dehors des religieux49 qui ont un statut spécial de "sauveurs" dans l'esprit de cette population, l'unique personne valide devient presque l'handicapée, l'intruse, si bien que quelque part je deviens celui qui n'est pas "normal", l'étranger donc étrange. D'aucuns n'hésitent pas à poser directement la question : "mais que fait

ici, chez nous, un jeune en bonne santé et qui a encore ses études à faire ?". Interrogation teintée

de provocation et de suspicions impossibles à formuler explicitement et dont aucune réponse ne satisfait. Alors, que faire ? Accepter sagement les frustrations provoquées par ses limites et résoudre aux mieux une infinité de problèmes de ce genre.

Le problème d'âge se résout un peu plus facilement grâce à un permanent exercice d'équilibre entre la souplesse et l'affirmation calme, par le dialogue de l'autorité nécessaire. Il est tout à fait possible en effet d'inviter une personne à accomplir son devoir tout en restant très respectueux et même en gardant sourire et gentillesse francs. De même, quiconque assume une responsabilité ne peut le faire aussi sans être capable d'entendre des critiques de la part de ses collaborateurs. L'efficacité peut s'obtenir sans violence, ni je ne sais quel sentiment

de supériorité car malades ou pas, la dignité de ces personnes se situe au même niveau que celle

de tout autre humain. Ni supérieur, ni inférieur. Employer des ruses pour diriger des êtres humains avec lesquels on prétend instaurer un certain lien social, revient aussi à les mépriser avec une prétention à la supériorité, même habilement dissimulée (serait-ce seulement possible ?). E. Morin a bien conseillé la ruse, mais il s'agit de ruse pour réformer les institutions éducatives plutôt que de mesquines manipulations pour contraindre indirectement, avec lâcheté, son semblable. Non, les fins ne justifient pas toujours les moyens. Le respect de l'existence- valeur d'autrui, selon P. Ricoeur, est la conscience d'une obligation morale. Sans vouloir

contredire un si grand penseur, je précise juste que dans mon cas il ne s'agit plus d'obligation

48 Mais aussi, la protection et l'éducation que doit tout vieux envers tout être plus jeune que lui. En effet, tout le monde se doit d'intervenir pour la sécurité et l'éducation d'un jeune connu ou inconnu rencontré par hasard dans la rue.

49 Des infirmières religieuses de la congrégation franciscaine et deux prêtres capucins dont un dermatologue s'occupent de

la partie médicale avec une véritable abnégation, un courage admirable et beaucoup d'efficacité. Les très rares moments où j'interviens dans ce registre se limite en tant que garde malade au service de l'accompagnement en fin de vie.

mais de choix librement consenti et qui m'est consubstantiellement acquis par la voie des trois fonctions - assimilation, accommodation, réorganisation - définies par J. Piaget, puis réactivées

et renforcées tout au long de la socialisation par le mécanisme de conditionnement opérant. Pour

en finir avec l'art de gouverner ses semblables, "La paix, l'union, l'égalité sont ennemis des subtilités politiques" préconise Rousseau dans son Contrat social avant de poursuivre "les hommes droits et simples sont difficiles à tromper à cause de leur simplicité, les leurres, les prétextes raffinés ne leur en imposent point" (J.-J. Rousseau, 1762)50. Alors, au-delà même du cadre de cette expérience, devient-on vraiment meilleur directeur avec des petites combines manipulatoires ? D'une infinie rareté sont de telles postures qui ne se soient terminées sur des discordes et des violences !

Quant à la différence, seul le temps a permis une compréhension par certains villageois de ma présence. Mais compréhension ne signifie pas toujours totale acceptation. En effet, s'ils ne sont pas capables de s'accepter, il leur est plus difficile encore d'accepter entièrement un étranger dans leur univers. Certains y parviennent tout de même en me considérant comme un religieux ("frère Simon"), pendant que d'autres m'adoptent comme "fils"

ou "petit mari"51 pour les grand-mères.

b. Une formation au "métier d'homme"

Il est de bon ton souvent, dans notre société judéo-chrétienne, de se mettre en valeur à travers certaines qualités individuelles telles que la générosité et l'altruisme qui se manifestent par des dons (de soi ou d'objet). Certes, certes. Mais la règle fondamentale - qui veut que la main droite ignore ce qu'a fait la main gauche - est très souvent oubliée, ignorée. Ces qualités les sont pleinement à condition qu'elles ne soient pas véhiculées par des sentiments de grandeur, de toute-puissance de la part de celui qui croit donner sans avoir besoin de rien en retour. Ainsi, en se positionnant dans cette relation d'échange il convient juste de préciser que ma présence au milieu de cette population n'a pas sa place, pour aller plus vite, dans le registre de la générosité ni de bonté. Il s'agit d'une relation d'échange réciproque où j'ai donné un peu d'énergie

et d'enthousiasmes caractéristiques de tout jeune de mon âge à l'époque, en échange

d'enseignements très concrets dans l'action qu'aucune bibliothèque des riches universités de mes

50 Jean-Jacques Rousseau (1762, 1992), Du contrat social, Paris, Flammarion, p.133.

51 Une certaine population du nord de Madagascar est caractérisée par des relations quotidiennes structurées autour de plaisanteries permanentes. Quelques exemples de manifestations de celles-ci : toutes les grand-mères et toutes les tantes paternelles appellent leurs petit-fils/neveux "maris"et réciproquement ; des groupes ("tribus") qui n'ont pas le doit de se faire du mal, sous quel prétexte que ce soit, communiquent avec une relation de plaisanterie sans borne ; bref, même dans

des occasions tristes et vécues avec lourdeur, la plaisanterie est toujours présente pour mieux supporter l'insupportable ou pour égailler la vie et les rapports sociaux.

fréquentations n'a pu m'offrir jusqu'à ce jour. La léproserie m'a intelligemment appris les bases et

la grande partie structurante, la charpente de mon métier d'homme.52

À l'issue de l'immersion au milieu de cette triste anomie à grande échelle, de

ces refoulés à la lisière de l'humanité, une petite certitude fait partie pleinement de l'acteur réflexif du système éducatif que je suis devenu : l'incomplétude, un respect de tout être humain et

un effort permanent de réflexion éthique forment le moteur de tout mon engagement socioprofessionnel. L'amour pour l'effort et le travail bien fait contribue à raviver cette flamme même si l'envie de bien faire ne se traduit pas toujours par une réussite. On pourrait qualifier volontiers cette immersion de baptismale53. Ce fut une expérience certes sans apport théorique, modeste dans toutes ses dimensions, mais forgée dans les doutes et l'humilité, les interrogations

et les incessantes réflexions stratégiques sur les moyens à mettre en oeuvre afin de faire advenir -

pour ces êtres humains précipités dans le talweg du désespoir - une société possible à la hauteur

de leur dignité. L'immensité d'une telle entreprise m'a renvoyé aussitôt à l'esprit un mot pesant : utopie ! Or, "N'avons-nous pas toujours besoin de rêver d'un ailleurs pour habiter correctement le lieu où nous sommes ?" (P. Ricoeur, 1997)54. Rêver d'accord, mais des rêves crédibles suivis d'actions, quitte à faire le deuil de l'écart qui ne manquera pas de séparer la vision onirique du possible ; puis du possible au réalisé. Il a donc fallu surmonter ma propre peur et prendre rapidement conscience de mes illusions. Il a fallu surtout, et il faut encore souvent, faire face silencieusement à la raison du plus grand nombre pour tailler la première pierre du passage de l'onirisme à la réalité qui, soyons-en sûrs, finira par prendre forme quelque part grâce à d'autres,

des minorités, qui réaliseront le changement. Il en va de même de la conception que je me fais de l'école de formation humaine contre certaines qui se sont érigées en théâtre de compétitions où seule prédomine la réactivité face à tout changement de tactiques concurrentielles et d'éphémères alliances opportunistes pour démontrer une supériorité présumée à tout prix. Un sentiment de supériorité brandi comme rempart au moindre contact avec l'alter ego, servant aujourd'hui encore à considérer l'Homme comme étant au sommet de la nature et certains hommes - bien protégés dans une forteresse territoriale dont le titre de propriété serait consigné dans leurs comptes bancaires, dans leurs gènes (d'aucun dirait dans leur sang) - au sommet de cette humanité. Ce genre d'école, dont les vraies règles du jeu sont transmissibles uniquement entre initiés par l'habitus du groupe d'appartenance restreint, sert une reproduction sociale par un

mécanisme si bien décrit par Bourdieu et Passeron dès les années 1970. Une autre école est

52 Pour reprendre le titre de l'excellent essai autobiographique d'Alexandre Jollien (2002), Le métier d'homme, Paris, Seuil.

53 Tel un processus d'initiation chez certains peuples (cf. Camara Laye, L'enfant noir)

54 Le film : "Pensée de notre temps : Paul Ricoeur" : P. Ricoeur lors d'un entretien qu'il a accordé en automne 1997, filmé

par l'INA et conduit par Jeffrey Andrew Barash. Une production ARTE France / INA

cependant possible : celle qui favorise le développement de toutes qualités et compétences, reliées et reliantes sans exceptions. Une école intégratrice de l'ipséité55. Participer à la réalisation d'un tel dessein passe, à mon sens, par une co-responsabilité dans une organisation au sein de laquelle il y a partage des valeurs fondamentales humanistes. Valeurs partagées car partageables

et discutées car discutables sur un espace commun - instance ad hoc - de délibération éthique dans un contexte démocratique en vue d'une prise de décision face aux contingences, inhérentes

à tout système complexe, qui ne manqueront pas de surgir. J'insiste, en effet, en mettant l'accent

sur le contexte démocratique pour rendre plus concrète la suggestion d'institution juste de P. Ricoeur car, quels que soient la nature et le domaine d'intervention, "Il ne peut y avoir d'autre mode de légitimation du travail sur autrui que celle qui découle de la démocratie." (F. Dubet,

2002)56.

Le projet professionnel d'occuper un poste à responsabilité a éclos au cours de

ces trois années d'expérience passées au coeur de cet environnement unique - où se débat l'indestructible humanité précipitée dans l'inhumanité - pour, chemin faisant, se confirmer et prendre forme plus concrètement lors des expériences suivantes jusqu'à l'entrée en formation où

il a atteint sa maturation grâce notamment aux neuf mois passés à l'Institut d'Administration des Entreprises de Nantes. De ces dernières se précisera aussi une partie de la question qui constituera le fil conducteur de cette recherche. Une partie seulement, dis-je, puisque d'inéluctables questionnements suscités par la première expérience de direction ont évolué et se sont enrichis au cours d'expériences professionnelles successives. L'alternance des pratiques avec

les réflexions théoriques, des terrains professionnels avec les formations universitaires ainsi que

des engagements associatifs, va donner forme progressivement à la question principale de ce mémoire.

55 L'identité du sujet est constituée de l'irréductible ipséité dans la mêmeté, le tout construit dans l'altérité :

a) Mêmeté : aspect structurel de l'identité

- persistance dans le temps et l'espace ; la "charpente " figée par la structuration égologique

b) Ipséité : aspect dynamique du sujet responsable

- singularité par quoi une personne est elle-même ; variation du fond identitaire propre.

* Pour P. Ricoeur :

- le maintien de soi grâce à la fidélité de la parole tenue, à la parole donnée, la promesse.

- souci que l'humain a de son être, de la manière dont il agit qui le constitue et le définit.

* Pour E. Levinas :

- l'être ouvert dirigeant vers quelque chose d'autre. Transcendance, passage à l'autre de l'être. L'ipséité peut se définir alors comme étant le fond, en permanente évolution, d'être du sujet unique qui agit, s'éprouve, se représente, s'affirme comme "je " ; instance de liberté et de responsabilité, en co-structuration en interaction avec l'altérité.

56 François Dubet, (2002), Le Déclin de l'institution, Paris, Le Seuil, p.392 in Bertrand Dubreuil, (2004), Le travail

de directeur en établissement social et médico-social, Paris, Dunod, p. XI.

B. Alternances entre emplois et formations

1. De l'éducation spécialisée à l'université

Revenons d'abord sur ce que l'on peut considérer comme l'origine de notre questionnement. En tant qu'éducateur s'occupant des personnes en grande difficulté psychologique, physique ou sociale, j'ai eu souvent en charge tout un groupe d'enfants, de jeunes

ou d'adultes hétérogènes avec lequel il fallait construire un projet à peu près satisfaisant pour tous. Puis, alternance oblige, mon retour à l'Université m'a donné l'occasion de participer, en tant qu'élu représentant des étudiants, au Conseil de l'UFR57 des Sciences de l'Éducation. De ce mandat, une question m'est restée sans réponse : quelles compétences faut-il que le directeur d'une composante de l'université ait pour pouvoir faire travailler ensemble, dans l'intérêt des étudiants, une équipe professorale si hétérogène au point d'être quelques fois caricaturale ? Ensuite après un mandat de secrétaire général pendant lequel je me suis attelé à sa remise en état structurelle, la démocratie associative m'a confié la vice-présidence d'une Fédération d'associations d'étudiants, avec pour mission la coordination au quotidien de la dizaine d'associations membres. Cette mission sous-tend un objectif plus politique : trouver les moyens pour assurer, entretenir et renforcer la cohésion générale au service du quotidien des étudiants et

des échéances électorales. Encore une fois, la question à laquelle il fallait répondre de manière pragmatique tournait autour de l'économie des moyens collectifs pour une finalité donnée.

Une alternance régulière entre le terrain professionnel et la formation caractérise mon histoire de vie depuis l'âge de quinze ans et, certainement, jusqu'à l'âge de la retraite pourvu que celle-ci ne se confonde pas avec la mort58. D'où une sorte de parcours en spirale où chaque expérience se nourrit de façon cumulative et critique des précédentes grâce aux apports théoriques pluridisciplinaires, régulièrement renouvelés.

2. De l'enseignement secondaire à l'université

Le retour dans l'établissement secondaire (collèges et lycée) en tant que Conseiller Principal d'Éducation contractuel me place, pour divers motifs contextuels, dans une position consistant à seconder la direction. Pour couper court à toute polémique stérile que l'on entend souvent sur cette fonction, il convient de préciser d'emblée que si, certes, le Conseiller

57 UFR : Unité de Formation et de Recherche

58 De précarité en précarité, avec les mutations continuelles du marché de l'emploi, une telle hypothèse est probable pour plusieurs générations de Français si rien n'évolue rapidement.

Principal d'Éducation ne fait pas partie statutairement du personnel de direction, il est cependant responsable du service Vie Scolaire, une équipe pouvant être composée d'une dizaine de personnes. Par ailleurs, selon la taille de l'établissement et les caractéristiques de l'équipe de direction en place, il est amené à jouer des rôles différents et complémentaires de celle-ci. Légalement, aux termes du décret du 30 août 1985 et du décret du 27 novembre 1991, un chef d'établissement est secondé dans ses tâches pédagogiques, éducatives et administratives par un adjoint. Or un Conseiller Principal d'Éducation peut assurer à temps partiel les fonctions d'adjoint. Voici deux exemples, faciles à multiplier, montrant que dans bien des cas, le Conseiller Principal d'Éducation assume une partie des responsabilités d'adjoint du chef d'établissement.

Soit un cas fictif mais vraisemblable - bien que rarissime - d'un collège où le Principal (Directeur) et son Adjoint entretiennent des relations quelque peu difficiles ; le Gestionnaire en opposition ouverte contre ces deux premiers qui l'accusent, preuves à l'appui, d'incompétences professionnelles et dont ils se désolidarisent ; en prime, une partie de l'équipe enseignante et d'autres catégories du personnel "en guerre" contre l'équipe de direction. En somme, non seulement il y a un important dysfonctionnement au sein de l'équipe de direction, mais en plus entre celle-ci et une grande partie du reste de la communauté éducative. Dans une telle configuration, il est évident qu'un Conseiller Principal d'Éducation se doit d'être préoccupé

par les moyens pour assurer le minimum de cohésion des différentes équipes, de l'intelligence collective, s'il a tant soit peu une conscience professionnelle puisque, au final, c'est la vie présente et l'avenir des élèves qui sont tout de même en jeu. D'autant que les conditions de vie et

de travail des élèves figurent en tête de la liste de ses attributions. Il en va de même pour un établissement sans adjoint. Force est de reconnaître que, dans ce cas, des interrogations sur les fonctions de la direction s'imposent d'autant plus quand l'exercice partiel de la fonction d'adjoint incombe au Conseiller Principal d'Éducation. Tel fut mon cas, dans un établissement semi- durable, pendant le grand mouvement de contestation enseignante de 2003 où il a fallu en plus gérer, avec la précieuse collaboration d'un Aide Éducateur l'absence totale des surveillants pendant plus d'un mois.

Des interrogations récurrentes qui se sont affinées au fur et à mesure de rencontres entre actions et réflexions ont abouti à un questionnement qui tient une place centrale dans ce mémoire. Ainsi, notre sujet trouve son enracinement dans les contextes socioprofessionnels et personnels tel que décris précédemment. Ces contextes constituent un véritable système "d'action-recherche" versus "recherche-action"59 avant de nous conduire à la

59 Christian Gérard, op. cit.

formation par la recherche en alternance (C. Gérard, J.-P. Gillier, 2002)60. L'une comme l'autre forme d'apprentissage engage à chaque fois la responsabilité du sujet puisque "l'action de se former procède de soi-même voire, dans des perspectives phénoménologiques et herméneutiques, dès "l'en-soi-même" des sujets" (C. Gérard, 2003, 2004)61.

Avec un parcours dessiné par une succession d'alternances entre les pratiques professionnelles et les études universitaires ; une variété d'expériences professionnelles entre la gestion socioéconomique et éducative d'une léproserie, l'éducation spécialisée, l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, cette recherche aurait pu être menée dans n'importe laquelle de ces différentes branches du secteur socioéducatif. Le choix de l'université a été favorisé par un ensemble de circonstances décisives telles que l'immersion dans une composante

de l'Université de Nantes en tant que stagiaire et la rencontre avec un enseignant-chercheur activement impliqué dans la conception des deux projets de cet établissement. Notre objectif étant de décrire le processus de conception de ce projet, avant d'en analyser le contenu.

Après cette réflexion sur les contextes personnels et professionnels à l'origine

de notre questionnement, nous allons à présent poser les éléments significatifs qui permettent de situer, dans son contexte aussi, l'Université de Nantes en tant que terrain même de cette recherche.

60 Christian Gérard, Jean-Philippe Gillier (Coord.) (2002), Se former par la recherche en alternance, Paris, L'Harmattan.

61 Christian Gérard (2003), "Concevoir l'alternance en éducation. Autonomie, apprentissage et accompagnement", Lille, Note de synthèse à l' H. D. R, 70e section.

CHAPITRE 2

CONTEXTE UNIVERSITAIRE TRÈS COMPLEXE

Ce chapitre vise à donner une description générale de ce qu'est l'université, établissement d'enseignement supérieur, en tant que terrain de cette recherche. En effet, afin de contextualiter le projet d'établissement d'une université, la moindre des choses est d'identifier clairement de quelle organisation nous parlons ; de quel établissement il s'agit afin de mieux saisir le rôle que puisse y jouer une démarche projet. Commençons par la grande superstructure

en nous référant à la définition de l'UNESCO62- 63.

L'enseignement supérieur inclut "tout type d'études, de formation ou de formation à la recherche assurées au niveau post-secondaire par un établissement universitaire ou d'autres établissement d'enseignement agréés comme établissement d'enseignement supérieur par

les autorités compétentes de l'État" (F. Mayor et S. Tanguiane, 2000)64. Cette définition est suffisamment globale pour cerner le contour général, mais trop pour apercevoir les nuances et les articulations, indispensables repères dans la lecture d'une situation particulière. D'où l'intérêt de l'affiner par une mise en lumière des quelques nuances du cas français.

Une majorité d'auteurs, en se basant sur les catégories officielles, pointe le doigt sur la dualité grandes écoles/universités de l'enseignement supérieur français ainsi que sur

les problèmes qualitatifs sociologiques et de gestion corollaires à cette hiérarchisation, source d'efficacité pour les uns, machine de reproduction pour les autres. Dans son rapport n°1927 déposé en 2004, la Délégation de l'Assemblée Nationale pour l'Union Européenne65 met pertinemment en exergue cette dualité en ces termes : "Ces établissements [les grandes écoles]

ne représentent que 5,4 % à 6% des effectifs de l'enseignement supérieur mais forment près de

62 Tiré du préambule de la "déclaration mondiale sur l'enseignement supérieur pour le XXIe siècle : vision et action", in Frederico Mayor, Sema Tanguiane (2000), L'enseignement supérieur au XXIe siècle, Paris, Hermès Sciences Publications, p.263.

63 United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization / Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture.

64 Note de pas de page in F. Mayor, S. Tanguiane (2000) op. cit. : Définition approuvée par la Conférence générale de l'UNESCO à sa 27e Session (novembre 1993) dans La Recommandation sur la reconnaissance des études et des titres de l'enseignement supérieur.

65 Michel Herbillon & al. (2004), L'enseignement supérieur en Europe, Rapport d'information déposé par la Délégation de l'Assemblée Nationale [française] pour l'Union Européenne, N° 1927 du 17/11/2004, p.49.

40% des diplômés à Bac+5. Avec 16% d'étudiants étrangers, ils affichent un taux d'internationalisation plus élevé que la moyenne de l'enseignement supérieur français (11 %)."

Tout en soulignant la nature hautement révélatrice des faits avérés de cette série de données statistiques, à partir d'un constat basé sur des critères tels que la sélectivité, le coût de la formation, la valeur des diplômes sur le marché de l'emploi, nous suggérons la possibilité d'un autre classement. En effet, en France, l'enseignement supérieur regroupe une variété de types d'établissements que l'on pourrait aussi classer, grosso modo, en trois catégories: d'abord, les très grandes écoles d'ingénieurs et de commerce (Polytechnique, École Centrale de Paris, Ponts et Chaussés, HEC, etc.) ; ensuite, les grandes écoles d'ingénieurs, grandes écoles de commerce, écoles des hautes administrations... ; et enfin les universités, les IUT et une partie

des lycées ayant des Sections de Techniciens Supérieurs sans oublier les Classes Préparatoires. Ces trois types d'établissement ont, non seulement des statuts distincts mais surtout, des modalités de recrutement très différentes66. Ce qui exige une grande rigueur et des précautions méthodologiques dans toute tentative de comparaison de leur fonctionnement. Ainsi, quelles que puissent être leurs missions officielles, la réalité est qu'ils ne reçoivent pas la même population, n'ont pas les mêmes ressources, encore moins les mêmes finalités. Ces remarques semblent primordiales pour mieux situer l'université.

Ainsi placée dans le contexte de l'enseignement supérieur actuel, voyons comment peut-on identifier l'université française à travers le début de son histoire, les textes législatifs constitutionnels qui la fondent et les enjeux auxquels elle doit faire face, avant de nous focaliser sur un établissement particulier, en l'occurrence l'université unique de la grande capitale ligérienne. Ce retour dans le passé reprend ce que nous proposions dans l'autoréférentiel avec la "retroprojection". Telle démarche situera davantage l'université dans une longue péripétie qui, vue de là où nous sommes, permettra de mieux la comprendre avant un examen de son présent,

des difficultés auxquelles elle fait face et, surtout, des enjeux de sa projection.

Les propos qui vont suivre n'ont alors aucune ambition d'avoir un caractère les rattachant ou même les rapprochant aux sciences historiques. Ce sera juste un résumé, voire une liste rapide d'une succession chronologique des évènements les plus marquants ayant influé sur l'avènement, le développement et l'état actuel de nos "fabriques de matières grises". L'objectif en

est simplement une volonté de placer l'université dans son contexte.

66 Les uns pratiquent des sélections (intellectuelle et sociale) draconiennes tout en ayant les moyens colossaux, tandis que

les autres vivent la massification, le surpeuplement quelques fois, avec des ressources très modestes par rapport aux premiers.

I.Le profilde l'université française

Le propos qui suit ne cherche pas à affecter le système universitaire dans sa totalité mais uniquement l'établissement. Ce préalable ôtera toute ambiguïté sur la portée de nos réflexions qui se veulent circonscrites au niveau local bien qu'une telle limitation n'empêchera

pas d'avoir en permanence à l'esprit la dimension nationale de l'enseignement supérieur en France, comme la dimension internationale que veut se donner chacun des établissements. Il serait impossible d'ailleurs de faire fi de ces dimensions.

A. Un héritage millénaire

Après une longue histoire depuis le Moyen-Âge qui lui a fait passer par diverses étapes dont suppression, recréation, changements de statuts, l'Université française telle que nous la voyons aujourd'hui est une institution tellement complexe que la connaître relève d'une entreprise lourde. Il faudrait pour cela faire appel à l'histoire, à la géographie, aux sciences politiques, à la sociologie, économie...et d'autres disciplines sûrement. La limite de ce travail n'autorise pas à explorer toutes ces disciplines complémentaires à la définition de l'université qui pourrait être plus complète. Nous allons, par nécessité, choisir une entrée par le droit en nous concentrant sur ce qu'est l'université du présent, après un court passage par l'histoire.

Parler de l'histoire des universités ou de l'université, à son origine, ne peut se faire convenablement sans se situer à l'échelle européenne. À ce début du XIIIe siècle, l'on constate l'émergence de ce que l'on peut considérer comme étant les ancêtres de l'université dans

les plus grands centres culturels de l'époque notamment Bologne (1119), Sorbonne (1198), Oxford (1209), Cambridge et Padoue, Heidelberg.... Il ne s'agit pas d'une création ex nihilo mais plutôt d'un fruit de l'évolution de différentes formes d'enseignement supérieur déjà existant.

Pour le cas français, il est possible de considérer comme son départ un légat pontifical du 1215 octroyant à "la jeune universitas magistrorum et scolaium Parisiensium ses premiers statuts"67. Peu de temps après, en 1220, ce fut la création des écoles de médecine de Montpellier.68 Puis vint successivement le tour d'Avignon (1303), d'Orléans (1306), d'Angers (1337), etc. L'Université de Nantes ne voit jour qu'au milieu du XVe siècle, en 1460. Depuis

67 Christophe Charles, Jacques Verger (1994), Histoire des universités, Paris, Que-Sais-Je ?, PUF, p. 12.

68 Idem.

cette naissance moyenâgeuse, l'université va traverser le temps et les péripéties historico- politiques de presque huit siècles avant d'arriver à l'état où elle se trouve. Il s'agit donc d'un héritage qui nous a été transmis grâce à l'investissement de milliers de femmes et d'hommes aussi bien pour sa fondation, son entretien que pour son évolution permanente suite à des réformes successives. Ainsi elle demande, entre autres choses, à être connue, comprise afin que

sa perpétuation en meilleur état puisse être assurée. Alors, voyons maintenant ses contours juridiques.

B. Une organisation constituée

À la base, c'est la loi n°84-52 du 26 janvier 1984 (modifiée) qui aurait dû régir seule le fonctionnement et l'organisation de l'enseignement supérieur. Mais faisant suite à une décision du Conseil Constitutionnel, lors de sa publication, celle-ci se trouve en cohabitation avec l'ancienne loi, celle du 12 novembre 1968 ; du moins pour certaines de ses dispositions. Ainsi, l'enseignement supérieur français est soumis à deux lois complémentaires.

C'est la loi du 12 novembre 1968 dite d'orientation de l'enseignement qui donne aux universités un statut d'Établissements Publics à Caractère Scientifique, Culturel et Professionnel (EPCSCP) dotés d'une personnalité civile et d'une autonomie financière. La loi n°84-52 du 26 janvier 1984, quant à elle, définit les missions du service public de l'enseignement supérieur. L'organisation de l'établissement est ensuite précisée par l'article 26 de la même loi (qui correspond à l'art. L. 712-1 du Code de l'Éducation) : selon l'article L. 712-1 (Loi n°84-52

du 26 janvier 1984, art. 26), le président de l'université par ses décisions, le conseil d'administration par ses délibérations, le conseil scientifique ainsi que le conseil des études et de

la vie universitaire par leurs propositions, leurs avis et leurs voeux, assurent l'administration de l'université.69 Ces établissements sont alors administrés, chacun, par un président élu par les représentants de l'ensemble des parties prenantes. D'où la notion de collégialité. Déjà l'esprit de cette loi de 1968 propose deux idées importantes : faire vivre le principe d'autonomie et favoriser

la pluridisciplinarité.

Sur le plan organisationnel et politique, la synthèse des Art. L. 7112-1 à l'Art.

7112-7 permet de déduire un élément important : le Président dirige l'université. Pour ce faire, il gouverne, assisté par un bureau élu en s'appuyant sur les organes statutaires tels que le conseil d'administration, le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire. Mais en

69 Henri Peretti (2002), Code de l'éducation commenté, Paris, éd. Berger-Levrault, p. 318.

quoi consiste vraiment le rôle du Président d'une université ? Au-delà des textes juridiques définissant ses attributions, nous allons l'exprimer plutôt de façon organisationnelle.

H. Fayol considère que toutes les opérations attenantes à la vie d'une entreprise peuvent se répartir en six fonctions essentielles, à savoir : technique, commerciale, de sécurité,

de comptabilité et administrative. Si les administrateurs administrent, c'est-à-dire prévoient, organisent, commandent, coordonnent et contrôlent, le Président, lui, gouverne en assurant le fonctionnement de l'ensemble des ces six fonctions essentielles à la vie d'une entreprise formulées par H. Fayol. Certes, comme souligné plus haut, un établissement d'enseignement supérieur, public par ailleurs, ne saurait être pris pour une quelconque entreprise à but lucratif. Mais cette considération des six fonctions peut être prise dans le sens d'un idéal-type utile à la lecture de la structure de toute grande entreprise. Le verbe gouverner sous-entend une idée de fonction politique. Pendant que le secrétaire général administre, c'est-à-dire s'occupe de la direction administrative, le président d'une université en assure alors la gouvernance politique.

Comme l'expriment les différents textes réglementaires, en résumé, la promotion de la recherche, la diffusion des savoirs et de la culture sont les principales missions

de l'université. Ce qui justifie largement le poids du corps d'enseignants-chercheurs dans cette organisation dont le métier, pourrait-on dire, est l'enseignement et la recherche. Cet enseignement a été longtemps géré par le Ministère de l'enseignement supérieur de manière disciplinaire, avec hiérarchisation conjoncturellement entre les différentes disciplines selon le poids idéologique, sociologique et/ou financier de chacune. Par ailleurs, "la question des missions est fondamentale dans la problématique de l'enseignement supérieur et elle se retrouve

au coeur du débat et de la réflexion sur l'enseignement supérieur à chaque tournant de l'histoire et chaque fois qu'il s'agit d'une réforme tant soit peu significative de ses structures, des ses programmes, de ses méthodes ou de sa gouvernance" (F. Mayor et S. Tanguiane)70. Les mêmes auteurs poursuivent "cette question constitue en quelque sorte le point vers lequel convergent la plupart des questions les plus importantes de ce niveau d'enseignement."

Cette dernière idée contribue à donner une vue d'ensemble sur les imbrications entre les multiples centres d'intérêt sources d'antagonismes au sein d'un établissement. Elle contribue aussi à confirmer notre choix de nous focaliser sur la question du projet d'établissement comme l'un des outils de management susceptible d'apporter son efficacité par rapport à la problématique de gouvernance pour que l'université puisse accomplir sa mission, voire un peu plus que sa simple mission de base tout en tendant vers plus d'autonomie.

70 Frederico Mayor, Sema Tanguiane (2000), op. cit, p. 28.

Malgré toute tentative éventuelle d'uniformiser afin de mieux administrer, aucune université ne peut ressembler à une autre puisque chaque établissement porte en lui sa propre histoire, ses contraintes environnementales ou contextuelles. Aussi chacune est composée d'un groupe d'acteurs hétérogènes et absolument unique. La contractualisation avec l'État participe à cette singularisation dans la mesure où, selon son ancrage et ses ambitions, chacune tend vers un avenir unique par projection, même s'il y a bien entendu quelques points communs avec les autres.

C. État des lieux général et enjeux

La politique éducative définie par la société française l'amène à tendre vers la conduite de 80% la classe d'âge au niveau Baccalauréat (Humanité). Résultat, en 2004, la France compte 61,80 % de bacheliers. Ensuite, les raisons démographiques prévisibles ont conduit une certaine stagnation des effectifs universitaires, qui atteint quand même environ 1.312.141 étudiants (repartis sur 80 établissements), l'année universitaire 2004-2005. Cela signifie que sur

les 2.268.423 étudiants français, universités en absorbent à elles seules la moitié, contre 499.439

pour les filières sélectives (Classes préparatoires aux grandes écoles, STS, IUT, IUFM) et

190.626 aux grandes écoles. Il reste alors 266.217 étudiants repartis dans divers établissements d'enseignement supérieur.

À cette morphologie démographique, l'on s'attend logiquement à ce que la répartition budgétaire suive aussi le même schéma. Or, la réalité est exactement inverse. Sans s'attarder sur ce point, peu d'éléments suffisent pour en donner une image exacte. En effet, si l'université dépense 6.695 € en moyenne par étudiant, les classes préparatoires en dépensent le double, soit environ 13.757 €. Les classes préparatoires avec les grandes écoles réunies accaparent 30 % du financement, pour 4 % d'étudiants. Pour en finir avec les références quantitatives, voici encore une dernière bizarrerie de notre système éducatif. Si dans la moyenne

des pays de l'OCDE, la dépense consacrée à l'enseignement primaire et secondaire atteint 3,7 %

du PIB en 2002 contre 1,3 % pour l'enseignement supérieur (soit 2,4% d'écart), en France, l'écart

est le plus grand puisqu'elle dépense 1% pour le supérieur contre 4,1 % pour le reste (soit 3,1%

de PIB d'écart). Cela dit, relater les chiffres n'a rien d'argumentatif. Le débat s'ouvre donc sur un terrain plus vaste que celui de l'enseignement stricto sensu puisqu'il s'insère dans une réflexion globale en interaction avec le système économique ou, tout de moins, avec le choix de la gestion

du budget national. De telles descriptions ont le mérite déjà de planter les décors que les professionnels les plus compétents servant dans un établissement n'ont pas toujours en

perspective.

Où se situe cette université sur la scène internationale ? De nombreuses études comparatives, aboutissant à la hiérarchisation internationale des universités, placent les meilleures des universités françaises en queue des classements. Études douteuses, sujettes aux réserves ? C'est possible. Il reste tout de même une certaine unanimité de ces résultats de classement qui méritent de véritable recherche de voie d'amélioration plutôt que de s'attarder sur

des contestations. En somme cet état des lieux peut servir à stimuler la volonté des acteurs concernés par la gouvernance de l'université de se lancer dans une recherche tous azimuts d'orientations nouvelles en vue d'une réussite rapide. Pour ce faire, l'Université de Nantes s'oriente vers des efforts en matière d'offres de formations, d'accueil d'étudiants et de grands chercheurs de renommée internationale et de mobilité des étudiants comme des enseignants. Une plus grande attractivité en somme avec, comme résultat attendu, plus de rayonnement international. D'autres établissements préconisent le renforcement et l'officialisation d'une certaine forme de sélectivité (qui existe déjà dans beaucoup de filières universitaires même si l'hypocrisie de son application, puisque non légale, la rend plus sournoise et contribuent à l'explication des 45% d'échec en premier cycle). Mais plutôt que sélection, ils préfèrent utiliser le terme orientation et la révision à la hausse de la participation financière des étudiants. Une des propositions, par exemple, de B. de Montmorillon plaide que "Le rayonnement international de l'enseignement supérieur français passe par le renforcement de l'autonomie des universités, l'orientation sélective au moins à partir de la Licence [Licence 3], et de nouveaux moyens, dont

la modulation des droits d'inscription et la mobilisation des entreprises et des anciens." 71 En tout cas, deux points font l'unanimité : le rayonnement international et l'autonomie des établissements. Mais de multiples initiatives voient jour, partout sur le territoire: mode de gestion, renforcement de la recherche, regroupement en pôle universitaire pour plus de visibilité, démarche qualité en rentrant dans une logique d'accréditation aux labels prestigieux, recrutement

de plus en plus d'enseignants de grande qualité...etc.

Mais, plutôt que de retranscrire les différents textes existants ou en faire de longs commentaires, quittons la généralité pour découvrir une université unique et pluridisciplinaire : celle de la capitale ligérienne. L'Université de Nantes rentre dans cet état des lieux qui vient d'être fait. Nous ne reviendrons donc plus sur ces points. Cette partie va plutôt la situer dans son contexte historique et organisationnel. Étant soumises aux mêmes enjeux que l'ensemble des universités françaises, ce sont ses contextes historique, géographique et organisationnel qui pourront lui servir de leviers pour se distinguer.

71 In Enjeux Les Échos, N° 223, avril 2006.

II. L'Université unique de Nantes

A. Une personnalité bien ancrée

Fondée par la bulle papale de Pie II le 9 septembre 1460 (cf. note 72)72, avec le titre de studium generale, grâce à la volonté politique du duc de Bretagne François II, l'Université de Nantes a vu le jour environ deux siècles après les premières universités européennes et françaises. Elle est parmi les dernières de sa génération à avoir une existence officielle. Les cinq premières facultés furent celles de théologie, de droit canon, de droit civil, de médecine et des arts.

Révolution oblige, elle fut supprimée en 1793 par décision de la Convention en même temps que toutes les universités françaises. Toutefois, certaines décisions révolutionnaires

ont été revues sous l'Empire comme la réouverture des universités en 1808 sauf quelques exceptions dont celle de Nantes qui ne reverra jour partiellement - Faculté de médecine et de pharmacie - qu'en 1956. Dans leur totalité, les Facultés de Nantes ne redémarreront qu'à partir de son décret de refondation publié le 29 décembre 1961. Ensuite, comme dans l'histoire de l'enseignement supérieur français, de facultés, on passe à l'université en novembre 1968. Selon certains auteurs, les évènements de 68 ne seraient pas totalement étrangers à cette transformation

des facultés en université. Toutefois, il semble aussi juste d'affirmer que tout le système éducatif français a été affecté par cette tectonique culturelle qui suscite encore de vives polémiques à cette aube du XXIe siècle où les bouleversements socioéconomiques drainent son lot d'interrogations sur l'éducation. Face à l'immensité de telles considérations, ne perdons pas de

vue notre préoccupation. L'Université de Nantes est régie par la loi 84-52 du 26 janvier 1984, établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), et est classée université multidisciplinaire avec disciplines de santé.

Dans la plupart des grandes villes comparables à la dimension urbaine de Nantes, des universités ont été créées en regroupant les anciennes facultés en fonction de la proximité des spécialités. Ainsi à Rennes, à Bordeaux, à Lille, pour n'en citer que trois, coexistent trois ou quatre établissements. Pour Lille notamment, l'agglomération compte trois universités : USTL pour l'Université Scientifique et Technologique de Lille (Lille 1) ; Lille 2 qui regroupe les UFR de Droit, Médecine et Pharmacie, et l'Université de Gaulle (Lille 3) pour les

72 Nous avons puisé la plupart des informations sur l'histoire de l'université de Nantes dans le magnifique ouvrage collectif rédigé sous la direction de Gérard Emptoz, (2002), Histoire de l'université de Nantes 1460-1993, Presses Universitaires de Rennes

Lettres et Sciences Humaines. Nantes se distingue de celles-là par une université unique et multidisciplinaire. Cela s'explique par la faiblesse de l'effectif d'étudiants nantais (8000) en 1968

et le découpage de l'université en plusieurs entités aurait pu amenuiser son potentiel de dynamisme qui lui a permis de se relever et se consolider. La politique éducative nationale (80%

de classe d'âge au baccalauréat) a démultiplié la démographie étudiante au cours des années 90, avec un apport de plus en plus croissant d'étudiants étrangers (européens, africains, asiatiques). Cette période correspond aussi au début de l'expérience de démarche projet (1999-2003). Le projet d'établissement 2004-2007 n'est alors que le deuxième du genre, ce qui permet de souligner combien l'apprentissage est récent. Il serait, par conséquent, extrêmement exigeant de s'attendre à ce que la communauté universitaire ait acquis une expertise solide en la matière.

Puisqu'il est question d'apprentissage, faisons un petit détour du côté des chercheurs emblématiques de la cognition et du développement. L'essai-erreur, le tâtonnement, l'observation, l'imitation et l'expérimentation sont autant de modalités de mécanismes d'apprentissage qui dépendent du niveau de développement biologique décrit par J. Piaget. Freud

a surtout mis en relief l'importance du développement affectif, alors que Skinner et les behaviouristes avancent le rôle de l'environnement et du conditionnement. Pour S. Lev. Vygotski, l'important est d'accompagner l'apprenant à atteindre sa zone proximale de développement, laquelle dépend de l'apprentissage et de processus sociocognitifs. Qui a raison parmi ces quatre géants et qui a tort ? A y voir de près, si l'on essaie de faire cohabiter harmonieusement différents paradigmes, ces précurseurs ont construit des modules théoriques qui, organisés ensemble, nous en apprennent de façon à la fois globale et détaillée sur ce que

nous baptiserons volontiers de Système Général de Développement cognitif, affectif et social.

Ce Système Général de Développement (SGD) peut être défini comme

l'interdépendance du processus d'apprentissage et du processus de développement liés

récursivement pour oeuvrer dans un environnement grâce aux outils biologiques

(accommodation/assimilation), psychosociologiques (conditionnement/accompagnement) et

affectif. Ce qui forme un ensemble dynamique, superstructure de schèmes indissociables à la

vie.

Une considération anthropomorphiste en application du principe

holographique sur l'organisation permet aussi de lui conférer un SGD. On parlera alors

Système Général de Développement organisationnel. Une telle construction parait apporter

des valeurs ajoutées dans la compréhension de la place du projet d'établissement d'une

université dans son parcours d'autonomisation. Cependant, il ne peut s'agir ni de baguette ni

de formule magique. Le SGD nécessite le facteur temps pour exprimer toutes ses possibilités.

Tel un système expert conçu à partir d'intelligence artificielle, il a besoin de plusieurs phases

d'apprentissage préalable avant d'atteindre une performance optimale. Cela conduit droit à

penser la notion d'apprentissage organisationnel. Bien qu'elle ne sera pas traitée ouvertement

dans ce volume - il y a pourtant tant de concepts comme celui-la qui méritent tous une petite

place dans notre développement - cette notion reste accolée à la question de la projection

collective, dans la vie d'une organisation.

Encadré 1: Système Général de développement

Nous concluons, au vu de la lecture approfondie de son projet, de la considération de son histoire et d'autres entretiens formels ou non auprès des ses acteurs, que l'Université de Nantes est un jeune établissement qui entame la construction de son devenir d'université de XXIe siècle. Elle se situe à la transition entre la période de gestion purement administrative, marquée par le poids et l'omniprésence de la figure de la tutelle et la longue marche vers l'autonomie73. En comparaison à la construction d'une route, elle est, tout juste, au défrichement et à l'aplanissement de certaines collines pour agrandir la départementale existante

en autoroute comme voie de circulation internationale. Par rapport à l'apprentissage de l'autonomie, son Système Général de Développement n'a eu que deux expériences de projet dont

un en cours. Lequel projet se construit en partie avec un environnement - dans une relation d'influence réciproque - qui doit tenir compte de ses propres contraintes. L'intérêt pour un chercheur de l'avoir comme sujet d'étude réside dans cette perspective de développement en cours dont le suivi ou même l'anticipation (dans certains domaines) ne pourra qu'être source de connaissances nouvelles et passionnantes.

Après avoir situé l'établissement dans son contexte historique et institutionnel, une dernière étape, la description organisationnelle, complètera très succinctement la présentation de notre terrain de recherche. En tant que grande université, unique et pluridisciplinaire (tautologique), l'Université de Nantes se présente un peu sous forme de patchwork.

73 Une autonomie à distinguer de l'indépendance absolue dans la mesure où, en tant qu'établissement public, il lui restera toujours un socle commun avec l'ensemble d'établissements d'enseignement supérieur publics.

B. Un établissement très composite

Grande université publique unique dans la capitale ligérienne, l'Université de Nantes repartie entre La Roche-sur-Yon, Saint-Nazaire et l'agglomération nantaise (Nantes, Carquefou) offre une large palette de formations et de diplômes. Cette dispersion géographique s'organise autour de 19 composantes de formation et de recherche (CFR) ainsi que d'unités administratives dotées, chacune, de missions, de dimension et de fonctionnement propres. Deux paramètres, le statut juridique et les offres de formation, peuvent regrouper ces éléments distinctifs personnifiant chaque composante. À partir des données fonctionnelles, l'établissement

se présente sous 2 visages : d'un coté les services centraux et services communs ; de l'autre le coeur du métier : Sciences médicales (médecine, odontologie, pharmacie et instituts paramédicaux) ; Sciences et technologies (faculté des sciences, IUT) ; Sciences de l'ingénieur (écoles d'ingénieurs, école polytechnique, IUT) ; Sciences juridiques ; Science économiques et

de gestion ; Sciences sociales et humaines ; Sciences du langage et lettres.

Quant au statut juridique, on distingue 4 groupes : les divisions et services centraux, les services communs et généraux, les UFR et départements ainsi que les écoles et instituts relevant de l'article 33 de la loi 84-52 du 26 janvier 1984 (Art. 713-9 du Code de l'éducation) avec une relative autonomie et des nuances aussi à l'intérieur de cette même catégorie.

Cette organisation complexe trouve pourtant un semblant d'harmonie pour former l'établissement. Il accueille environ de 48000 étudiants et 3900 employés (toutes catégories confondues)74. Consciente de sa place au premier rang des universités uniques75 françaises, de sa contribution au développement économique régional du Grand Ouest, mais aussi des défis à relever pour faire face aux concurrences internationales, l'Université de Nantes s'invertit dans la démarche projet pour conquérir son autonomie. En effet, "La situation économique, on l'a bien compris, mais aussi l'ouverture à la concurrence des activités traditionnellement réservées aux organismes parapubliques, rendent le changement des modes de management nécessaire." G. Prouteau (2003)76 Cette autonomie garantira également la concrétisation de ses ambitions de rayonner sur la scène internationale en matière d'attractivité

74 Le document "Projet d'établissement 2004-2007" contient les éléments chiffrés très bien synthétisés. Nous ne relatons donc ici que des données très générales pour donner une vue d'ensemble de l'hétérogénéité de l'université de Nantes.

75 Universités uniques : terminologie qui désigne les universités publiques présentes en un seul établissement dans une ville.

76 Gwenaël Prouteau (ancien responsable Projet Qualité, Assédic des Pays de la Loire), propos extrait de son allocution dans un DVD du "Colloque Qualité" organisé par l'Assédic des Pays de la Loire, au Château de Goulaine,

le 4 décembre 2003.

par la qualité des offres de formation et des recherches. Est-il vraiment indispensable de prolonger la liste des multiples éléments hétérogènes agglomérés qui forment cet établissement

qui n'a pas son pareil de par la singularité de sa personnalité ? Vu ce qui va se dire aux chapitres dédiés au projet-contenu et tout ce qui l'entoure, il n'y a pas forcément d'intérêt à développer davantage cette partie.

Rappelons enfin, pour conclure, que cette première partie a permis de démontrer les apports et les valeurs ajoutées cognitives, dont une meilleure distanciation objectivante, que procure la compréhension des différents contextes relatifs au chercheur et son terrain d'investigation. Pour le premier, ils contribuent à l'identification des motivations, de l'enracinement de ses interrogations (à l'origine du sujet) dans une partie de son histoire de vie socioprofessionnelle. Quant aux contextes du terrain, ils servent à mieux l'appréhender avec toute sa complexité en l'intégrant dans les autres systèmes qui influent sur beaucoup de paramètres de son fonctionnement. Pour nous, par exemple, les diverses expériences de la léproserie, de l'éducation spécialisée et de l'éducation nationale (secondaire et supérieur) nous

ont permis d'identifier la permanence de la projection collective comme nécessité pour créer des valeurs sociales, économiques, politiques et éducatives fortes. Sans oublier qu'elles ont aussi contribué à forger nos propres valeurs humaines indispensables à tout métier qui s'occupe directement du devenir d'êtres humains. Ainsi, l'interrogation sur le projet d'établissement d'un organisme socioéducatif se nourrit des deux enracinements complémentaires : celui d'une longue expérience du praticien confronté dans son quotidien à l'activation du projet, et celui d'un établissement universitaire pour qui la projection constitue plus que jamais une nécessité vitale.

Voyons alors que véhicule ce concept si répandu, si utilisé, à tort ou à raison, dans de nombreux domaines d'activités sociales, économiques, politiques...jusqu'à la vie privée, dans nos sociétés post-industrielles. En quoi le projet participe à l'un des plus grands enjeux de la

vie universitaire française qu'est son autonomie ? D'ailleurs, autonomie vis à vis de qui et pourquoi ? Une tentative d'approche systémique permettra sûrement de mieux cerner toutes ses

interrogations.

UNE APPROCHESYSTÉMIQUEDE LA PROJECTION

IIe PARTIE~

UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DE LA PROJECTION

«Nous n'avons que le choix entre les changements dans lesquels nous serons entraînés, et ceux que nous aurons su vouloir et accomplir».

Jean Monnet

"Il faut être capable d'inspiration et d'action : l'un enfante le projet, l'autre l'accomplit."

François René vicomte de Chateaubriand

L'université, bien que ne participant qu'indirectement au concert des entreprises

de production de biens ou de services marchands, n'en est pas moins sujette aux influences de son environnement local, régional et international. Deux séries de raisons président à ces influences, par ailleurs réciproques : d'une part l'adaptation partielle de l'université aux configurations économiques et sociopolitiques ; d'autre part sa participation aux évolutions grâce aux forces de création et de diffusion d'innovations que constituent le couple laboratoires / enseignants-chercheurs. Or ce début du XXIe siècle a apporté avec lui son lot de bouleversements, entamés depuis le siècle dernier : bouleversements sociologiques, modifications des rapports économiques (nouvelle répartition géographique de la conception, de

la production et de la commercialisation) avec des réajustements réglementaires dus aux imprévus ainsi qu'aux nouveaux rapports à prendre en compte. L'université ne saurait échapper à

de tels mouvements. Combinés aux évolutions internes à l'organisation, ces derniers suscitent, voire imposent des réflexions sur la question du pilotage de l'enseignement supérieur. Au milieu

de toutes les mutations économiques, politiques et sociales de ce millénaire qui débute, se dispenser d'ambitieuses investigations sur l'avenir immédiat et à moyen terme de l'enseignement supérieur revient, pour tout pays - développé ou non, riche ou émergeant - à se condamner au mieux à une longue stagnation, au pire à un effondrement durable de son potentiel de développement. Or nous n'osons croire qu'il puisse exister une société, un gouvernement, une communauté scientifique, etc. qui soit prêt à endosser une telle irresponsabilité vis-à-vis des futures générations héritières de cette partie importante du système éducatif.

Cependant, ces réflexions diffèrent de celles qui ont pour objet la vie économique en général puisque l'université, en tant qu'organisation, a son identité propre et sa

culture très spécifique. Elle a des aspects génétiques singuliers et évolue selon des trajectoires

qui tiennent à ses propres tendances génériques et à ses engagements vis-à-vis de la société (B. Clark, 2001)77. Par conséquent, son pilotage actionne plusieurs dispositifs dont l'étude globale suppose l'investissement d'une grande équipe de recherche internationale dotée d'importants moyens. Une revue générale de la littérature permet de citer, entre autres facettes de ce management, la problématique de l'équilibre centralisation-décentralisation, la question de la collégialité, le problème des moyens, le partenariat, qui peuvent être appréhendés à partir de sa projection. Telle est l'orientation pour laquelle nous optons, c'est-à-dire comment se projette cette partie de l'enseignement supérieur ; à commencer par l'interrogation sur la place du projet dans l'action collective.

Deux raisons soutiennent ce choix. D'une part, dans le cas des universités françaises, l'obligation de la part du ministère de tutelle - principal financeur / bailleur de fonds -

de négocier le Contrat Quadriennal de Développement à partir du projet d'établissement rend celui-ci incontournable. D'autre part, le projet constitue une démarche globale permettant de faire évoluer le fonctionnement d'une grande organisation bureaucratique et marquée par l'indépendance des principaux acteurs (enseignants), conditionnant des réalisations plus ambitieuses pour transformer les contraintes contextuelles en potentiels de réussite.

Avant d'approfondir la notion de projet, il importe de découvrir le type d'établissement d'enseignement supérieur qu'est l'université. L'objectif étant de poser et de décrire la structure afin de conduire une réflexion sur le concept projet dans sa généralité, puis sa matérialisation dans le cadre d'une organisation concrète. Mais une conceptualisation s'inscrit dans un repère épistémologique dont la délimitation éclaire toute la portée des sens véhiculés par

les concepts. Commençons dans ce cas par préciser dans quelle registre épistémologique progresse cette quête de savoir. Notons cependant d'emblée que ce passage par l'épistémologie

ne veut pas tenir lieu d'un agora pour une grande discussion théorique. Les ouvrages et articles

de très grande qualité traitant d'un tel sujet abondent tellement que prétendre, de notre part, à un quelconque apport aux pensées épistémologiques risquerait plutôt d'avoir un sérieux goût de manque d'humilité intellectuelle. Le chapitre qui suit sera alors vraiment, tel que son titre l'indique, des simples jets de cailloux le long de notre parcours d'apprenti chercheur afin de baliser le cadre dans lequel nous nous efforcerons d'évoluer.

77 Burton Clark (2001), "L'université entrepreneuriale : nouvelles bases de la collégialité, de l'autorité et de la réussite ", in

Revue du programme sur la gestion des établissements d'enseignement supérieur, OCDE, Vol. 13 - n°2, p. 10.

CHAPITRE 3

POUR UNE ÉPISTÉMOLOGIE DE RELIANCE

Nombre d'auteurs affirment une opposition définitive entre deux postures scientifiques : d'un côté le cartésianisme qui a longtemps dominé et fait avancer les sciences occidentales telles que nous les observons et dont nous profitons encore des retombées ; de l'autre, la perspective systémique plus en mesure de comprendre les problématiques complexes. L'attitude observée s'incline souvent du côté de la dénonciation tous azimuts en apportant des jugements fermes au cartésianisme. À notre niveau, nous nous contenterons d'effectuer un petit tour d'horizon sur ces deux grands paradigmes qui s'offrent pour appréhender les phénomènes

qui nous entourent. De là se dégageront logiquement les motivations de notre choix. Il s'agit de

la voie qui correspond le mieux à une meilleure construction de notre modèle de connaissance quant à la question des stratégies susceptibles d'être activées par le manager censé fédérer une équipe autour de la conception d'un projet, et concevoir un projet qui fédère.

I. La logique disjonctive à dépasser

A. Le paradoxe de nos sciences

Pratiquer une science revient à modéliser et interpréter dans l'objectif de rendre intelligible un phénomène. Or, de par ses façons de concevoir ses modélisations et interprétations, le développement scientifique, de ces trois derniers siècles, suscite deux constats incontournables et paradoxaux :

- d'abord, la vitesse à laquelle croissent les progrès scientifiques et technologiques tend à montrer combien ces sciences sont fertiles, et combien le poids des moyens alloués à leur service (de manière générale) prouve l'importance accordée par les sociétés à leur égard ;

- parallèlement, ces sciences et leurs résultats corollaires, les différentes technologies d'une part, les différents modes d'interventions sociales d'autre part, suscitent des

interrogations de plus en plus criantes quant à leur pertinence en matière de résolution des problèmes qui leur sont confiés. Cela est d'autant plus flagrant quand il s'agit de problème touchant directement l'humain et son environnement.

Alors, d'où ressort cette réelle contradiction entre l'évolution scientifique qui court à très grande vitesse et l'inadéquation des solutions qu'elle apporte aux problèmes humains ? Le problème est-il nouveau ? À cette dernière, il semblerait que l'on puisse répondre non, on n'a pas affaire à une découverte. Mais le problème devient de plus en plus aigu. Quant à l'origine de ce décalage, il y a des siècles déjà que des savants ingénieux tels que L. de Vinci, G. Vico, entre autres, ont fait le même constat critique tout en proposant une autre manière de concevoir les problèmes scientifiques. En continuant la litanie des penseurs de même orientation, nous avons plus près de nous G. Bachelard ainsi que tant d'autres que nous aurons l'occasion d'évoquer.

La faiblesse de nos sciences, en particulier celles dites dures ou celles qui s'en inspirent, réside dans leur méthode ; la manière dont l'Occident s'y est pris pour considérer et résoudre ses problèmes. Celle-ci trouve en R. Descartes l'emblème avec une position fondamentale qui consiste à considérer le problème comme existant en soi, donné tel quel par la nature ; puis à le résoudre par découpage en plusieurs éléments disjoints, c'est-à-dire de manière complètement désagrégée. R. Descartes (1637) propose, dans le deuxième précepte de sa Méthode, de "diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre" (réductionnisme). Celui-ci donnerait alors "des longues chaînes de raisons toutes simples" (déterminisme). C'est ce qui s'appelle Modélisation analytique. Cette science se veut objective. En quoi cela constitue-t-il un handicap ? Ainsi considéré, un problème finit par se disloquer et se démembrer en portions élémentaires prises injustement comme autonomes. Il en résulte une illusion de facilité de traitement pour chaque élément. Mais facilité ne signifie en rien pertinence ni qualité puisqu'il

n'y a plus de vue d'ensemble.

En effet, prenons l'exemple du corps humain dont nous avons tous un minimum commun de savoirs partageables. L'application du deuxième précepte de la Méthode cartésienne pourrait impliquer l'apprentissage de l'anatomie uniquement sur un corps inanimé. Seulement avant même d'être disséqué, le corps inanimé engendre l'impossibilité d'observer chaque élément et chaque membre se mouvoir. Le rôle du cerveau en tant que système de commande, la place de la volonté, des schèmes biologiques tels que les réflexes, la concordance

des mouvements, etc. demeurent autant d'aspects anéantis. Il en résulte une vision statique du

corps humain qui n'a pas grand-chose à voir avec le vivant. Rien n'empêche par la suite de

donner vie à ces membres disséqués de façon théorique mais le résultat sera une vision hautement hypothétique et très éloignée d'une observation directe du vivant. Néanmoins, afin d'en apprendre davantage sur le vivant, la dissection assure aussi une importante complémentarité à l'observation pour mieux, par exemple, étudier les mécanismes internes de nos membres.

Un problème humain ou sociétal appréhendé de manière cartésienne a produit tous les modes d'interventions sociales, remplis de grandes volontés politiques dont l'honnêteté

ne peut pas constamment être mise en doute, que l'on connaît en France depuis les années quarante (à la sortie de la Deuxième Guerre Mondiale). Aujourd'hui les politiques de tous bords comme les professionnels de l'intervention sociale ainsi que la société toute entière reconnaissent l'échec des solutions mises en oeuvres. Pire encore, les problèmes s'aggravent. Mais ailleurs en Europe ou en Amérique, la situation n'est guère meilleure.

Un autre exemple relatif au système éducatif français mérite que l'on s'y attarde pour poser juste un élément de réflexion. Face à l'impossibilité d'apporter des réformes

en profondeur à l'Éducation Nationale, quelle que soit la couleur politique de l'équipe gouvernementale à l'origine de l'initiative, chaque protagoniste se trouve entraîné dans des polémiques consistant toujours à mettre en accusation ses contradicteurs pour identifier les causes du mal. Quelque fois pire encore, les débats des initiés peuvent avoir l'air des joutes oratoires entre différentes chapelles philosophiques ou idéologiques totalement déconnectées de

la réalité vécue sur le terrain par les professionnels. Pourtant, cela ne mène à rien si ce n'est à exacerber le corporatisme qui frôle l'extrémisme pour certains, comme la tentation dictatoriale et démagogique croissante des autres78. D'autant que le mythe semble avoir pris place à la dimension politico-historique réelle de la fondation de notre école. Raisonner sur de telles bases

ne peut que nuire à l'objet de sa préoccupation. Et si le problème remontait aux origines même de cette construction de la Troisième République avec le poids des positivistes tels que Rabeau Saint-Etienne bien inspiré par l'emblématique Auguste Comte, pour n'évoquer qu'eux ? Si l'oeuvre de Jules Ferry (le Tonkinois... !) qui a servi à unifier la Nation et à rependre de force -

au nom de l'universalisme - sa supériorité culturelle chez "les peuples inférieurs" était devenu trop obsolète79 pour une société européenne qui encourage l'épanouissement de ses cultures régionales ? Et que dire du système éducatif d'un pays dont l'économie est imbriquée dans une

énorme toile d'araignée nommée mondialisation ou globalisation ? L'histoire de l'Éducation

78 Plus soucieux de laisser des traces dans l'histoire à travers les réformes qui porteraient leurs noms.

79 En dépit des "ré-formes" successives qui ressemblent plus au lifting, aux changements des formes qu'aux redéfinitions

de fond.

Nationale est pourtant émaillée des ré-formes qui ressemblent plus aux modifications successives

des formes qu'à de véritables redéfinitions en profondeur de l'institution. Nous ne prétendons certainement pas posséder les réponses à toutes ces questions, néanmoins, elles valent la peine d'être posées afin que tous, collectivement, l'on s'en saisisse comme pistes possibles à explorer.

Heureusement, après tant de siècles de domination positiviste, des consciences s'éveillent grâce, entre autres paramètres, à nos aînés.

B. Prise de conscience pour un changement

Reprenons la question de la vision analytique cartésienne. Nous arrivons à une époque où le monde scientifique commence à entendre les propositions sur l'autre voie de production de savoir déjà évoquée ci-dessus avec G. Vico et L. de Vinci.

Des exemples abondent sur les problèmes dus à la méthode cartésienne. En plus de la manière dont le chercheur observe son sujet/objet d'étude, sa place constitue un problème en soi. En effet à trop vouloir feindre d'ignorer l'implication intellectuelle (processus hautement complexe dont on ignore encore une grande partie du fonctionnement), affective (inscrite dans son choix, sa motivation), sociale (habitus et diverses influences) et philosophique (fondement de son propre engagement) de ses principaux acteurs, les sciences disons classiques drainent des effets pervers pour infliger à l'Homme des problèmes plus graves encore que ceux auxquels elles s'attellent. Signalons par ailleurs que l'étouffant enfermement dans une hyperspécialisation, cohérente avec ses principes généraux cependant, n'aide pas non plus le cartésianisme. De la question nucléaire aux catastrophes écologiques mettant en cause l'avenir même de l'humanité, en passant par la puissance qui peut servir d'arme à double tranchant de la génie génétique (fantasme du libre clonage eugénique humain : pour quelle finalité ?), il était urgent que la Science opte pour une autre façon de procéder. Dès 1708 pourtant G. Vico80, en publiant Discours sur la Méthode des Études de notre Temps, a déjà lancé un sérieux avertissement sur le caractère dangereux de l'érection du cartésianisme en unique méthode scientifique qui prime. G. Vico n'était pas le seul à nous mettre en garde contre toute forme de cloisonnement analytique du savoir. De L. de Vinci aux nombreux penseurs du vingt et unième siècle, la liste de ceux qui enseignent les vertus scientifiques de l'ingénierie systémique est longue.

80 Giambattista Vico, Né et mort à Naples (1668-1744) : historien et philosophe italien. Entre autre bibliographie :

Discours sur la Méthode des Études de notre Temps (1708), Principi di Scienza Nuova.

Certes, le cartésianisme commence à faire déchanter même ses plus ardents défenseurs. N'empêche qu'il a montré les preuves de son efficacité au moins pour la résolution de certains problèmes à caractère exclusivement technologique. Là réside son paradoxe. Il paraît donc prudent d'éviter de tomber dans le manichéisme en adoptant la même attitude que ceux qui

ont érigé la méthode analytique comme étant l'unique. Critiquer ne signifie pas nécessairement exclure. Nous proposons, alors, de voir une autre méthode qui, plutôt qu'opposée, inclut l'ancienne pour la dépasser.

II. Une vision plus globale et reliante

A. Changement de paradigme

L'hominisation a atteint ses caractéristiques actuelles suite à une longue évolution depuis l'apparition de la vie. Au départ furent, probablement, des individus monocellulaires asexués. Au stade où nous sommes, l'arbre du vivant se compose de diverses espèces d'individus pouvant être composés de jusqu'à plusieurs milliards de cellules différenciées. Entre les deux, l'écart s'explique par d'infinis processus de complexification adaptative, comme étant l'unique garant à la fois de conservation et d'évolution. Ainsi, quel que soit l'époque où le mot est apparu dans le vocabulaire pour rentrer - il y a peu - dans le registre

des concepts, il est possible d'affirmer que la "complexité" est vieille comme notre monde.

Un petit effort pour sortir des considérations européocentristes - qui veulent que la science soit presque uniquement celle qui s'est développée ostensiblement depuis l'Occident -, il est possible, avec une petite gymnastique cognitive, d'observer une autre manière d'appréhender le monde. C'est dire que là où les dogmes du cartésianisme, grâce à l'oralité81 ou à l'existence d'une autre façon d'acquérir le savoir, n'ont pas pris racine, comprendre le concept de complexité semble plus aisé et ressemblerait surtout à une mise en mots, à un exercice de définition, car le monde a toujours été pris dans toute son irréductible globalité. Puisque la sagesse peut se comparer au vent qui, surgissant de nulle part et à tout moment - pourvu que les conditions de son émergence soient remplies -, ignore les frontières, rien n'empêche d'envisager que dans toutes les civilisations, toute personne non initiée, peu encline, sceptique ou carrément

81 Facteur explicatif de la fragilité de ces cultures mais aussi sa principale force face à la vicissitude de l'histoire.

réticente au cartésianisme, perçoive aussi les principaux phénomènes de la vie de manière complexe.

Voilà pourquoi, après les déterminismes et les certitudes positivistes qui ont atteint leur amplitude maximale en plein milieu des Trente Glorieuses, la progression d'un mouvement de pensée prônant une vision plus globale des phénomènes marque à la fois une nécessité absolue et une rupture. Une rupture ou, mieux, une translation épistémologique qui mérite une présentation rapide d'autant que notre travail s'inscrit volontiers dans ce mouvement. Nous entendons par translation épistémologique ce que T. Kuhn qualifie de "changement de paradigme"82. J.-L. Le Moigne va plus loin en qualifiant cela de "tectonique des paradigmes", faisant allusion à l'image de la tectonique des plaques. Il s'agit de passer du positivisme au constructivisme. L'importance d'un tel changement lui confère une place incontournable dans une réflexion sur une partie du métier des responsables de la préparation des jeunes pour affronter, s'insérer dans, imaginer et construire ce monde en mouvement.

La science requiert d'abord une formulation constructiviste du problème - au lieu d'admettre passivement que les problèmes soient déjà formulés par la nature ou par ceux qui nous ont précédés - ainsi qu'une vision multiréférentielle débouchant sur une meilleure modélisation et de résolution plus pertinente.

Cette recherche trouve donc son ancrage épistémologique dans ce nouveau paradigme dénommé, à juste titre, complexité. Ce qui explique et justifie deux points qui s'imbriquent :

- La référence à des disciplines aussi variées que la sociologie, l'anthropologie,

la psychologie cognitive, la gestion, les sciences de l' ingénieur, etc. Non seulement la liste n'est

pas exhaustive, mais il n'y a ni ordre ni hiérarchie entre ces disciplines. Nous ferons, comme cela

a été le cas tout au long de la partie sur l'enracinement, appel à chaque branche des sciences selon le besoin concret d'éclaircissement heuristique.

- La multiplication des paramètres explicatifs, avec des rencontres propices à une meilleure co-construction, nous a conduit à placer ce travail sous la conduite de deux accompagnateurs issus de deux formations complémentaires, évoqués en introduction. Ainsi, concrètement pratiquée, la transdisciplinarité professée par G. Bachelard, H. A. Simon, E.

82 Thomas S. Kuhn (1962), La structure des révolutions scientifiques, Éd. Champs Flammarion.

Le paradigme peut être considéré comme étant une façon d'appréhender le monde avec le positionnement, la problématisation et la méthode qui lui sont attachés.

Morin, J.-L. Le Moigne, etc. et découverte de manière plus approfondie pendant la formation à l'Université de Nantes, nous espérons que son assimilation n'en sera que meilleur.

Quelle est donc cette vision complexe et systémique, mieux appropriée pour observer et comprendre les phénomènes aussi bien naturels que sociaux ? Quel est ce paradigme assez heuristique pour supplanter le cartésianisme triomphant qui règne dans l'ensemble de l'univers scientifique occidental depuis des siècles ?

B. Appréhender la complexité

Le mot complexe vient du latin complexus, c'est-à-dire, selon le Petit Larousse,

qui se compose d'éléments différents d'une manière qui n'est pas immédiatement saisissable. Nous pouvons compléter cette définition en précisant que non seulement insaisissable dans l'immédiat, mais jamais complètement non plus, du fait du caractère imprévisible inhérent à sa nature. D'où l'émergence possible, selon le contexte, des nouveaux évènements issus de l'environnement pour influer le cours du système ; ou bien des évènements issus du même système qui reviennent en boucle récursive l'influencer ; peut être même les deux. Un système complexe est donc, par définition, un système que l'on tient pour irréductible à un modèle fini

(J.-L. Le Moigne, 1999)83. Par conséquent, il n'est pas question d'une quelconque déterminisme

qui permettrait une prédiction totale, fut-ce avec le plus puissant des processeurs mathématiques.

Mais une précision s'impose. Notre expression "inhérent à sa nature" ci-dessus,

n'a rien à voir avec l'idée de "né avec la Nature". La complexité est une nature délibérément attribuée par l'observateur au modèle par lequel il appréhende un phénomène, un objet. Pour décrire la complexité, l'outil fondamental se nomme système, c'est-à-dire : enchevêtrement intelligible d'actions interdépendantes dotées d'un projet commun. Le système, toujours selon J.-

L. Le Moigne84, exprime la conjonction de deux perceptions antagonistes : un phénomène que l'on perçoit dans son unité, sa cohérence, son projet, et ses interactions internes entre composants actifs dont il constitue la composition résultante. Ainsi, autonome depuis 1975, la systémique, pour rester sur l'excellente définition de J.-L. Le Moigne, est la science qui fait son projet des méthodes de modélisations des phénomènes par et comme un système en général. Ce paradigme,

baptisé Ingénierie Systémique, se veut, contrairement au cartésianisme, projectif car "la

83 Jean-Louis Le Moigne (1999), La modélisation des systèmes complexes, Paris, Dunod.

84 J.-L. Le Moigne, Ibid.

méditation de l'objet par le sujet prend toujours la forme du projet" (G. Bachelard)85. Quant à l'ingénierie, il s'agit, selon G. Vico, de "cette étrange faculté de l'esprit humain qui est de relier...Il a été donné aux humains pour comprendre, c'est-à-dire pour faire"86.

C'est donc ce paradigme qui fonde, en plus du choix de notre sujet, le maillage théorique construit en vue de sa meilleure compréhension ainsi que notre posture de chercheur. Nous l'avons souligné à propos de la vie sur terre dont l'évolution va de pair avec la complexification. C'est pourquoi, en accord avec D. Genelot, nous suggérons que les dirigeants doivent "se doter des méthodes de pensée qui leur permettent à la fois d'inventer le progrès et d'en limiter les effets pervers"87. Cela suppose l'adoption de stratégies interdisciplinaires afin de mieux gérer la complexité. Une telle conclusion explique la nature de cette partie qui se veut un engagement civique dans cette culture épistémologique avec une meilleure adoption de "l'obstinée rigueur" plutôt qu'un simple exposé théorique88. Ainsi sera aussi exprimée, concrètement, la reliance permanente entre le faire et le savoir théorique pour mieux produire des nouveaux savoirs qui amélioreront, à leur tour, les pratiques. Et le spiral vertueux de la reliance action-savoir produit la transformation, l'amélioration, l'évolution des pratiques justifiant par du concret l'apport des "ruses de l'intelligence" ou "métis" (E. Morin) au service de la recherche- action.

C. Un projet de recherche reliant

En homme d'expérience, directeur d'établissement, puis de formation et de recherche, C. Gérard a très tôt compris la proximité de notre sujet de mémoire avec sa préoccupation du moment : la prise de fonction des jeunes directeurs. De là, il s'est proposé de diriger cette recherche. Ce qui convient bien à notre objectif d'associer deux orientations de recherche en même temps. Il en découle une collaboration fort stimulante dans la mesure où l'on s'exprime avec le même langage : celui des sciences de l'éducation. La contextualisation de la recherche, partie la plus délicate89 et la plus longue à travailler - proportionnellement au temps moyen nécessaire investi à chacune des parties - a vu le jour et atteint son stade de maturation

85 "La complexité appelle des stratégies interdisciplinaires et donc le redéploiement des sciences d'ingenium" in l'éditorial

de La Lettre Chemin Faisant, n°38 du mars 2001, p.2.

86 Idem.

87 Dominique Genelot (1992), Manager dans la complexité, Paris, Insep. Éditions, p. 37

88 Puisque sur le plan théorique, ouvrages et auteurs de grande qualité abondent à l'image de H. A. Simon, D Schön, E. Morin, J. de Rosnay, F. J. Varela, J. L. Le Moigne...

89 Qui m'a coûté cher du fait de la nouveauté de l'exercice de dévoilement de soi et de justification

grâce à la souplesse de nos interactions au cours desquelles le sentiment de pouvoir mener librement une recherche a entouré ce travail.

Toutefois, en disciple - pour une fois un peu plus conforme - d'E. Morin, il nous a toujours semblé cohérent de procéder à une reliance entre les sciences et les hommes. Notre formation s'intitule "Direction d'Établissement ou Organisme de Formation". Elle se situe bien au carrefour entre les sciences de l'éducation et de la gestion d'entreprise. Et notre sujet de mémoire parait être un excellent lien qui pourrait faire se réunir ces deux disciplines convergentes autour d'une même formation.

Nos interrogations, au départ issues des différentes expériences successives relatées dans les enracinements, se sont d'abord stabilisées sous la formulation "quelles stratégies

à mettre en oeuvre par la direction ou l'équipe de direction pour fédérer une équipe hétérogène autour d'un projet ?" Or, au fur et à mesure de nos lectures, la stratégie a apparu comme un concept trop délicat à manipuler pour qui ne l'a pas suffisamment approfondi auparavant. Le risque semblait être la manipulation très superficielle d'un concept que même certains spécialistes redoutent. Plutôt qu'un repli tactique, la prudence permet, dans ce cas, de se prémunir contre le sentiment de conduire un travail sans enthousiasme ni implication qui aboutirait à un résultat insipide, respectueux des procédures et des formes mais qui ne dégage rien qui satisfasse personne. Une rencontre imprévue servira cependant de catalyseur stimulant pour débloquer cette hésitation.

Étant stagiaire à l'IAE de Nantes, nous avons vécu d'innombrables faits inattendus, notamment la rencontre avec un professeur. Il se trouve que celui-ci, J.-P. Bréchet, en plus d'avoir été directeur de l'IAE de Nantes et président du réseau des IAE de France, est spécialiste en stratégie des organisations. L'un des conseillers du président, il a été engagé dans

la conception du projet d'établissement de l'Université de Nantes en tant que coordinateur. Il se pose des questions autour de la mise en adéquation des intérêts particuliers des composantes avec les préoccupations transversales et générales d'un établissement universitaire ainsi que leurs expressions dans un document commun. Plusieurs échanges et discussions franches entre nous

ont abouti à une décision de collaborer dans un cadre de recherche universitaire classique où le professeur dirige, accompagne, guide le travail de l'étudiant. L'attraction entre deux préoccupations convergentes s'est incarnée dans une reformulation, chemin faisant, du sujet.

Au final les interrogations de cette recherche se résument en l'analyse du contenu d'un projet d'établissement afin de découvrir son architecture générale des points de vue stratégique, politique et pragmatique.

Ainsi, ce travail a fait se rencontrer les intérêts intellectuels de deux directeurs

de recherche avec celui d'un apprenti chercheur. Mais par-delà les personnes, il relie aussi, espérons-le, pour une longue collaboration, deux composantes de l'Université de Nantes autour

de la formation des futurs responsables d'établissements d'enseignement, de formation ou socioéducatifs. La plupart des organisations pédagogiques ayant participé à notre formation intellectuelle ont été dominées par la culture de cloisonnement disciplinaire. Ce qui engendrait

un affrontement avec notre inclinaison naturelle, même sans y mettre le bon titre, à l'interdisciplinarité. Un changement de cap a démarré en premier cycle de psychologie où la nature même de l'objet de savoir - la psyché - requiert une base en biologie (morphologie, biologie cellulaire, génétique), chimie organique, statistiques, sociologie, anthropologie, pédagogie en même temps que toutes les disciplines de la psychologie proprement dite. Les sciences de l'éducation ont encore servi de tournant. Il a fallu attendre l'arrivée à la Formation Continue de l'Université de Nantes pour enfin apercevoir l'éloignement de l'horizon dessiné par

la perspective systémique et la complexité. Prendre conscience d'un tel retard et de tous les espoirs proposés par un paradigme si heuristique procure l'envie de l'explorer avec plus de liberté. Deux guides-accompagnateurs dans une telle aventure intellectuelle tombent à point pour

un assoiffé de savoir toujours à la recherche de la qualité.

Résumons en un schéma inspiré par celui d'Y. Giordano (2003)90 cette démarche, afin de dégager une vue d'ensemble synthétique de cette recherche.

Problématique

Articulation intérêts particuliers /

intérêts généraux

Objet théorique

Action collective

 

Évènement

Changement de présidence

Objet empirique

Le projet d'établissement

QUESTIONS DE LA RECHERCHE

Comment se déroule la conception d'un projet-contenu ?

Que contient un projet d'établissement ?

CADRE CONCEPTUEL

 

POSITION

DU CHERCHEUR

 

MÉTHODOLOGIE

 
 
 

Le projet

Immersion à l'intérieur de l'organisation

Approche compréhensive

Analyse de contenu

Figure 2 : Définition de la démarche

90 Yvonne Giordano (2003), Conduire un projet de recherche, Colombelles, coll. Management & Société, éd. EMS.

Nous avons vu, pour conclure, que l'ancien paradigme proposé, notamment,

par R. Descartes occupait encore beaucoup d'espaces dans le monde scientifique. Mais il est temps aussi, malgré la manière dont on a pu être formé, une bonne fois pour toutes et de façon radicale, de réaliser "L'idéal de complexité de la science contemporaine : restituer aux phénomènes toutes leurs solidarités" (G. Bachelard, 1934)91.

Cet idéal de complexité présidera toujours l'ensemble de nos réflexions pour mener cette recherche dont nous allons aborder les fondements conceptuels dans le chapitre qui suit. Sera alors traitée la notion de projet depuis l'étymologie jusqu'à une tentative de modélisation.

91 Gaston Bachelard (1934), Le Nouvel Esprit scientifique, cité par F. Kourilsky (dir.) et al., Ingénierie de l'interdisciplinarité, p.129.

CHAPITRE 4

PROBLÉMATIQUE DE PROJECTION COLLECTIVE

Quel dispositif pourrait servir à rendre possible et organiser la mise en cohérence des interactions entre les différentes compétences en vue de la recherche du bien commun dans une organisation ? Autrement dit, dans sa quête de performance, avec quel moyen une organisation peut-elle faire converger des acteurs hétérogènes en vue de la construction ingénieuse d'un avenir commun ?

Parmi les dispositifs possibles et mis en oeuvre, le projet retient notre attention dans la mesure où, en tant que processus de rationalisation et de construction, il a fait preuve d'une capacité à fonder toute action collective réfléchie et téléologique. Les personnes individuellement, les entreprises, les associations, les établissements d'enseignement - de primaire au supérieur - et socioéducatifs en général se dotent d'un projet par nécessité vitale, par obligation légale (pour certains) ou par stratégie face à la réalité concurrentielle92 (pour beaucoup). Plus encore, notre société, constate à juste titre J.-P. Boutinet93, est caractérisée par la mobilisation du projet sous ses diverses acceptions. Pour un concept aussi omniprésent dans les divers secteurs de l'activité humaine, le détour par ses origines serait un moindre effort pour essayer de comprendre, ne serait-ce que dans sa généralité, ce qu'il recouvre. Par la suite, avant une tentative de définition, nous proposerons une modélisation sur laquelle vont se baser les réflexions qui pourront servir de balises dans la lecture des cas empiriques, notamment les problématiques de l'action collective dans une grande organisation comme l'université. Avant de plonger dans cette longue réflexion, une précision pourra dissiper toute source de malentendu éventuel sur la portée de ce chapitre. Bien qu'au coeur même de notre étude, ce passionnant concept recouvre de nos jours tellement de champs d'application qu'oser envisager d'en faire le tour complet serait trop audacieux pour être crédible dans un mémoire de Master. Ce qui suit n'épuisera donc certainement pas le sujet. En revanche, nous tenterons de cibler quelques angles d'approche qui puissent servir notre problématique de recherche.

92 Même si d'aucuns abhorrent le terme concurrence en le remplaçant par d'autres termes tel l'émulation..., une confrontation compétitive ne peut pas être exclue dans une activité où il n'y a pas de monopole garanti par la puissance publique pour l'accès aux ressources.

93 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit.

I. Notions fondamentales de projet

A. Les diverses origines du concept

Le maniement d'une notion très usitée dans presque tous les domaines de l'activité humaine se révèle souvent délicat. Le projet n'échappe pas à un tel constat. Étant au fondement de la lecture des phénomènes complexes (J.-L. Le Moigne, 1999), considérer ces notions ouvre donc une voie qui mène vers la compréhension d'un phénomène social tel que le devenir d'une entreprise de formation. Nous prenons, par conséquent, une orientation clairement ancrée dans la partie de la sociologie des organisations et de la psychologie, qui se retrouvent dans les sciences de gestion.

Il a été vu dans le repère épistémologique combien la complexification itérative

du vivant était le garant fondamental de la conservation, de l'évolution et, par conséquent, le facteur explicatif de l'écart entre l'individu monocellulaire du départ à l'homo sapiens d'aujourd'hui. Ce qui rejoint exactement la thèse de J. Monod (1970)94 selon laquelle les organismes vivants seraient des organismes à projet. Si "le projet fait partie de cette catégorie de concepts, tel celui d'identité, qui abondent dans notre culture langagière, auréolés de positivité"

(J.-P. Boutinet, 2003)95, s'il va de pair avec le développement du vivant jusqu' à l'artefact qu'est l'organisation, son importance est alors sans conteste. Auquel cas, sa circonscription s'impose.

Formuler le fondement théorique d'une telle notion passe par une explication sémantique. Or, les fouilles successives à travers les époques et les diverses activités humaines

ont permis de découvrir quatre vestiges dont la reconstitution fait apparaître le profil d'un concept qui ne cesse d'évoluer pour aboutir à son sens actuel. Ainsi, "le concept de projet apparaît donc comme un concept instable chargé des présupposés de la culture ambiante" affirme

à juste titre J.-P. Boutinet96, avant de conclure qu'il nous obligeait à l'appréhender d'un point de vue multidimensionnel.

Les quatre repères que sont l'architecture, la pragmatique, la philosophie et la politique, ont apporté, chacune, leur part de briques à l'édifice dans la constitution généalogique

du projet. D'où l'intérêt de les voir successivement même de manière synthétique.

94 Jacques Monod (1970), Le hasard et la nécessité, Paris, Le Seuil in J.-P. Bréchet et A. Desreumaux (2005), op. cit.

95 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit., p. 14

96 Jean-Pierre Boutinet (2003), op.cit, p. 82.

1. Retour à l'étymologie

Projet vient du latin projicere signifiant "jeter en avant" ; mot à connotation spatio-temporelle qui implique un processus : lancer, à partir d'un point de départ, vers un but situé en avant. D'où projectus (jeté en avant) devenu projectile en français. L'ascendance latine directe focalise l'attention de tous ceux se penchent sur cette notion. Nous proposons de compléter celle-ci par un léger détour hellénique97. En grec on se réfère plutôt à proballein, jeter

en avant aussi. Mais au figuré proballein c'est poser une question, devenu problèma en latin dont

le dérivé problématique occupe une place considérable dans la façon de pratiquer la science.

Ainsi, du projicere à proballein, se déduit un certain lien entre problème, questionnement et projet. Schématiquement, une situation problématique entraîne un questionnement dont la résolution fait appel aux interventions possibles modifiant l'état actuel, pour l'amener, dans un futur plus ou moins proche, vers un état plus bénéfique. Dans une autre acception on peut aussi l'entendre au sens de mettre en avant dans l'espace, comme par exemple

le balcon sur une façade. Cette dernière est certainement issue de l'usage architectural.

Mais comme tout concept de vieille ascendance et d'usage tous azimuts, le projet a connu, à travers les siècles, des mutations et des mouvements sémantiques au gré des paramètres contextuels des disciplines à travers lesquelles il a été appréhendé. C'est ainsi du projicere et proballein, le concept a connu des apports de l'architecture, l'économie, la philosophie politique, la phénoménologie et d'autres domaines plus pragmatiques, pour lui donner les significations qu'il a prises en ce début du XXIe siècle. Passons en revue quelques unes de ces significations dont les différences paraissent être souvent une question de nuances ou

de champ d'application. Pour autant, entre deux auteurs, deux propositions de définition peuvent occasionner des débats sémantiques car circonscrire, de manière rigoureuse et universelle, un concept flou semble hors de portée des esprits les plus brillants, à moins de se donner collectivement la responsabilité d'y parvenir en effectuant un travail interdisciplinaire et de longue haleine. Pour le moment, une telle proposition ne fait pas encore partie du projet de nos scientifiques. Alors, allons revisiter les différentes pensées des différentes époques grâce auxquelles on peut mieux saisir tout ce que peut renfermer l'idée de projection. De même qu'il nous a fallu identifier nos enracinements et ceux du terrain de cette recherche, il va falloir aussi

parcourir les différentes couches à l'origine du concept.

97 Notre culture scientifique étant issue d'une double racine gréco-latine, même si cela ne saute pas aux yeux, aller

au-delà de l'évidence nous procurerait plus d'informations heuristiques quand la tâche consiste à remonter les origines de certaines notions.

2. Les différentes pensées

Au Quattrocento (Renaissance italienne), c'est avec la construction de la coupole de l'église Santa Maria Del Fiore à Florence par Filippo Brunelleschi, de 1420 à 1436, que l'architecture marque son empreinte dans l'histoire du concept. F. Brunelleschi apporte l'un

des premiers projets architecturaux, en dissociant dans le temps le projet de son exécution. Ce

qui révolutionne réellement le métier des bâtisseurs où l'architecte dirigeait le chantier en décidant phase par phase.

L'univers pragmatique, quant à lui, aborde le projet comme une anticipation instrumentalisée. Ce qui a donné un vaste ensemble de techniques dédiées à l'ingénierie de projet

de nos jours. Presque aucun domaine d'activité collective humaine n'a intégré le concept dans l'idée, au moins, que chaque secteur se fait de son métier. Cela va du projet industriel de l'ère victorienne au projet de transfert technologique du XXIe siècle ; du projet d'aménagement d'un ouvrage de travaux publics au projet commercial d'une entreprise mercantile ; du projet d'investissement en équipement médical au projet de recherche épidémiologique d'envergure internationale, etc. Bref, l'univers pragmatique a contribué et poursuit sa contribution.

La philosophie quant à elle a nourri la notion de deux manières :

- en associant le projet au progrès pour former le volet collectif que constitue la philosophie politique matérialisée, entre autres, par Émile ou de l'éducation (J.-J. Rousseau,

1750) qui propose un véritable projet éducatif censé être fondateur d'une société peuplée de femmes et d'hommes meilleurs ; par la suite Du contrat social (Rousseau, 1762) harmonise la cohabitation entre eux. Il sera plus facile alors de mettre en oeuvre un Projet de paix perpétuelle

(E. Kant, 1795) permettant de faire se communiquer en bonne intelligence les nations.

- en s'associant avec la psychologie pour approfondir les racines individuelles

de la projection. À commencer par J. G. Fichte qui, en interprétant Kant, propose un idéalisme absolu où le moi justifie l'existence du monde et son sens. À sa suite, plusieurs générations de penseurs tels que le psychologue-philosophe F. Brentano, le phénoménologue E. Husserl et l'existentialiste J. P. Sartre ont théorisé en mettant l'individu au centre du système avec l'intention projective.

Dans une perspective globale, le projet sociétal traduit l'orientation qu'une société en mutation entend se donner98, alors que les cultures et sociétés industrielles valorisent le projet pour affirmer et assurer leur propre emprise sur la nature et leur devenir. Mais la fin des

98 Alain Touraine (1973), Production de la Société, Paris, Le Seuil, in J.-P. Boutinet (1993).

Trente Glorieuses s'est traduite par l'abandon de cette vision sociétale et le repli vers des projets plus restreints porteurs de microréalisations. Depuis, en Occident, de nombreuses industries ont cédé la place à une économie basée, de plus en plus, sur le service donnant ainsi une société dite Postindustrielle. Celle-ci continue cependant à considérer le projet comme une opportunité culturelle à saisir pour quiconque (individu ou groupe) veut assurer une relative maîtrise de son avenir face à la croissante complexification de tous les contextes technologiques, économiques, sociaux et professionnels. Aujourd'hui, depuis les adolescents au collège jusqu'aux adultes postulant pour une formation, sans oublier les entretiens professionnels (de recrutement ou d'évaluation) on demande aux individus de se projeter. Quelque fois, on peut s'interroger tout de même sur la pertinence de l'exigence, de la part de l'administration, imposée aux personnes en grande difficulté sociale de justifier d'un projet bien élaboré. Comme toute extrémité souvent, se servir du projet comme d'un outil omni fonctionnel ("couteau suisse") pour régler tous les maux risque de frôler l'absurdité.

Mais après cette généalogie inscrite dans l'étymologie, l'architecture, la philosophie et la psychologie, la suite de la démarche ne peut pas se dispenser d'une réflexion qui tend vers une modélisation du concept projet.

B. Pour une modélisation du projet

1. Les processus de projection

Partant du principe de la non exhaustivité d'explications possibles et afin de se prémunir contre toute tentative de réification permettant une fausse maîtrise de la représentation d'un fait ou d'un phénomène, la modélisation s'offre à nous comme méthode suffisamment rigoureuse tout en étant souple pour représenter de manière plus dynamique la notion de projet. Les modèles sont, en effet, des artefacts qui servent l'intelligibilité d'un système, d'un phénomène complexe, puisque conçu a priori comme tel. Par conséquent, ils porteront toujours cette part de subjectivité, dû au point de vue du modélisateur, et cette incomplétude qui ouvre l'horizon à la quête de savoir qu'ils servent. Nous proposons, avant une tentative de définition, quatre niveaux

de modélisation : la morphologie du projet dans sa globalité ainsi que les trois parties indissociables que sont les continuums du Fondement à la Finalité, de l'Existant au Contenu et le passage du Contenu au Produit. À la fin, une représentation de l'ensemble situera mieux les interactions des détails avec la globalité du projet dans sa dimension spatiale, temporelle et organisationnelle.

Comme toute modélisation, caractérisée par une incomplétude inhérente à son rôle de représentation, celle-ci reste toujours ouverte à des enrichissements en fonction de la réalité empirique ou théorique à représenter et des objectifs visés par le modélisateur. À l'image

du modèle archétype d'un système complexe (J.-L. Le Moigne, 1999)99, le projet peut se présenter progressivement dans sa complexité croissante. Ce qui suit se présente alors comme le début d'un chantier ouvert et dynamiquement perfectible.

Enfin, reprenons l'excellente pensée selon laquelle : "On a toujours cherché des explications quand c'était des représentations qu'il fallait s'efforcer d'établir, des modèles sur lesquels on puisse travailler, comme on travaille sur une carte, ou l'ingénieur sur une épure, et

qui puisse servir à faire." (P. Valéry, 1942)100. En effet, outre la fonction de représentation, les modèles ont ceci de plus par rapport à toute théorie : ils favorisent la simulation, qui autorise l'essai et erreur, et l'ajustement au plus près de l'optimum ou du meilleur compromis des effets recherchés dans les interventions sur un phénomène donné. De ce fait, ils peuvent constituer une aide précieuse à la conceptualisation comme à l'action.

a. Morphologie générale du projet

Direction

Politique

Anticipation opératoire

Ingénieur

Pragmatique

Conception

Réalisation

Figure 3 : Perspective du projet contextualisé

99 Jean-Louis Le Moigne (1999), pp. 58-64

100 Paul Valéry, 1942, Cahiers, 1, p. 854 in François Kourilsky (dir.), 2002, Ingénierie de l'interdisciplinarité. Un nouvel esprit scientifique, Paris, L'Harmattan, p. 36.

Ce premier schéma traduit, à peu de chose près, notre proposition de définition

(cf. p.90) dans la mesure où, contextualisé au milieu de trois repères - organisationnel, spatial et temporel, le projet donne ici à voir un profil en perspective formé par l'acteur (au centre) entouré dans chaque pointe du triangle par l'un des inséparables éléments du trinôme Direction, Conception et Réalisation. En effet, parler de projet implique aussi d'évoquer la notion de stratégie. Or, dans la perspective stratégique proposée par E. Friedberg et M. Crozier, l'acteur est

au centre du "jeu". Une telle perspective ne suffit toutefois pas à percevoir exactement toutes les facettes de la morphologie complexe de ce concept. Posons un moment notre regard sur le plus

de surfaces possibles en faisant le tour du projet. Alors, puisqu'il se trouve au centre, commençons par identifier l'Acteur.

Une remarque s'impose tout de même. Dans cette étape de la réflexion, nous ne sommes plus dans une exploration des théories mais bien sur un essai d'observation empirique. Avant toute théorisation, observons simplement cette entité, décrivons-la pour nous l'approprier puisqu'elle foisonne dans notre quotidien sans qu'il soit très commode de l'appréhender. Parfois même, des professionnels scandent haut et fort leur attachement au projet, le leur ou celui de l'une des organisations desquelles ils font partie, alors qu'ils s'embourbent rapidement dans une confusion totale de signification avec un simple but ou un objectif quelconque.

modèle.

Commençons alors par nous demander qui est cet Acteur au centre du premier

L'Acteur

Politique

Ingénieur

Pragmatique

Figure 4 : L'Acteur et sa triple fonction

En se focalisant cette fois-ci, uniquement, sur des projets sociaux, l'acteur est vite cerné puisqu'il s'agit d'un ou plusieurs individus humains qui s'emploient à construire un futur censé améliorer partiellement ou totalement leur présent. Souvent utilisé au singulier, dans

la plupart des passages où il a été question de lui avant ce paragraphe, l'acteur peut être - vu plus haut - individuel ou collectif. Puisqu'il est question ici d'un projet d'une grande organisation, notre Acteur ne peut être logiquement que collectif, alors que l'acteur sera individuel.

Cet Acteur collectif versus collectif d'acteurs se présente sous forme d'un triangle bordé, sur chaque sommet, par un attribut correspondant à un ensemble de compétences fonctionnelles complémentaires des deux autres en face. L'Acteur est à la fois politique, ingénieur et pragmatique. Une explication pour chacune de ces "casquettes" conviendra dans l'immédiat. Bien que doté, chacun, d'une fonction spécifique, il ne manquera pas, à un moment donné du temps projectif, d'y avoir un espace commun résultant des domaines particuliers de ces trois acteurs.

L'Acteur Politique est celui qui suscite, propose et porte le projet à bras le corps. Il est celui qui conduit, qui donne la direction. Or dans la direction, on peut entendre une question de sens qui se décline en trois possibilités : sens en tant que valeur axiologique, sens pour une orientation et, pour finir, la sémantique. L'Acteur Politique serait alors celui qui bat la mesure, tel un chef d'orchestre, en harmonisant un ensemble, souvent hétéroclite, à l'aide des valeurs communes et des caps communs reliés par la communication.

La conception reste une étape incontournable d'un bon projet qui fait appel à de multiples compétences. Le processus de conception du projet d'établissement de l'Université de Nantes a permis de constater trois grands types d'opérations qui intervenaient régulièrement jusqu'à l'édition de l'ouvrage : consultation, arbitrage et décision. Deux figures (Figure 15 : "Projetmètre", et Figure 12 : Modèle tridimensionnel du projet) dans le chapitre 6 consacré au projet-ingénierie illustrent la prépondérance et l'alternance de ces trois opérations au cours de la conception. Quoi qu'il en soit, tout acte de conception nécessite, exige de l'ingéniosité au sens de l'ingenium d'Aristote et de G. Vico. Ce qui sous-entend imagination, inventivité, intuition et liberté créatrice. Voilà pourquoi nous qualifions d'ingénieur l'Acteur de tels actes.

L'Acteur Pragmatique, quant à lui, désigne l'ensemble des acteurs impliqués concrètement dans la mise en oeuvre des contenus du projet, les transformant en réalité physique

ou organisationnelle palpable et mesurable. Il se charge des opérations élémentaires qui relèvent

de la pragmatique dans la réalisation de ce qui a été conçu par l'Acteur ingénieur.

Ainsi ont été décrites trois catégories d'Acteurs qui peuvent l'être séparément, mais qui peuvent ne former qu'un. Un groupe d'acteurs restreint est susceptible de se voir chargé

de l'ensemble de toutes les différentes phases de la projection, de la première interrogation devant les constats sur l'existant (diagnostic, audit, examen...) jusqu'à la mise en disposition,

pour usage, de l'ouvrage final. Il arrive aussi qu'une partie plus ou moins vaste de ce processus

soit sous-traitée ou confiée à une autre équipe plus compétente dans un domaine d'expertise donné. Souvent aussi, des contraintes environnementales imposent à l'Acteur de passer impérativement par des experts accrédités car ainsi en ont décidé les législateurs. Exemple, actuellement, le recourt au service d'un architecte est obligatoire pour toute construction d'un bâtiment de plus de 170 m². Plaçons maintenant cet Acteur au centre de l'ensemble d'éléments

qui constituent le projet afin d'avoir une vue globale.

Le projet : vue globale

FONDEMENT

(Mission)

Direction

Politique

FINALITÉ

(Objectif)

Ingénieur

Pragmatique

EXISTANT

(Diagnostic)

Conception

CONTENU

(Modèle)

Réalisation

PRODUIT

(Résultat)

Figure 5 : Morphologie générale du projet

Le contour octogonal en pointillés symbolise la délimitation institutionnelle, géographique et temporelle du projet. Il est en pointillés car bien que formellement et matériellement circonscrit, le projet n'en est pas moins sujet aux influences réciproques avec l'environnement au milieu duquel le tout, de la conception au "produit" final, évolue interactivement. En effet, le lendemain de la date qui marque l'aboutissement, la fin du projet, après une phase d'évaluation, ce Produit sort du cadre projectif pour devenir l'existant venu pour améliorer ou innover l'existence organisationnelle. Le projet est donc un système ouvert, dans un cadre non hermétique d'où il sortira, après évaluation et d'éventuelles rectifications, tel un système cybernétique, pour faire place à des successeurs.

L'Acteur, apparent ou pas, sera toujours situé délibérément au centre, pour éviter tout débat de même nature que celui qui cherche à identifier la primauté de l'oeuf sur la poule (ou l'inverse), dans la mesure où, bien que philosophiquement démontrable dans plusieurs

cas de figure, nous optons pour un point de vue plutôt factuel, voire matérialiste, comme départ. Dans cette perspective, les idées, les valeurs sont issues de l'esprit de l'acteur ou d'autres acteurs

qui l'ont précédés et dont il prolonge, en quelque sorte, l'existence. Ainsi, nous considérons toute organisation comme, au départ, l'oeuvre d'esprit exprimé par la parole d'un groupe humain.

Quant à la forme et la disposition des contours des cinq éléments que sont le Fondement, la Finalité, l'Existant, le Contenu et le Produit, deux idées méritent l'attention. La ponctuation rejoint partiellement la première description ci-dessus. La forme s'explique par l'idée

de la direction vers l'avant, l'avenir, c'est-à-dire le jet. À chaque fois, les éléments s'imbriquent puisque le passage du Fondement à la Finalité, par exemple, restera toujours un continuum à jonction floue. Le recours au découpage artificiel seul offre une fausse netteté de rupture dans ce continuum. Seule la découverte du mécanisme du passage de l'un à l'autre éclaircira cette relation. Tous les éléments impliqués sont liés à l'ensemble dans un mouvement général d'interactions (attraction, répulsion, construction, réaction, feed-back, etc.) dignes de la thermodynamique du noyau de la terre qui, grâce au contact avec l'atmosphère, se termine par une orogenèse ou autres manifestations tectoniques qui peuvent aussi être discrets.

Outre l'Acteur agissant au coeur du système, les éléments constitutifs du projet

se présentent en cinq grands membres inséparables, articulés solidement les uns aux autres et groupés en trois pôles pour former deux dimensions fondamentales interconnectées : la première dimension se confond avec le pôle idéel du Fondement à la Finalité ; la seconde dimension regroupe le pole conceptuel de l'Existant au Contenu, et le pôle praxéologique allant du Contenu

au Produit. Sur le plan humain, la liaison entre deux pôles est assurée par une première activation

par l'Acteur du mécanisme de "division constituante" lacanienne, c'est-à-dire la séparation entre

le Sujet et l'objet de son désir. Le projet-contenu endosse ainsi le statut de résultante scripturale à

la fois fédératrice et prolongement de l'Acteur (toujours collectif ici) dont le contexte de conception postule une éthique de conversation101.

Chronologiquement, notre réflexion correspond à toute la durée de la conception du Projet-contenu. En l'occurrence, pour le cas de l'Université de Nantes, la période allant de la prise de fonction officielle du nouveau Président (qui marque le démarrage de la phase préparatoire) à la date du dernier vote du Conseil d'Administration qui a abouti à

101 En l'absence de l'éthique de conversation, il n'est plus question de projet collectif mais d'un projet individuel imposé aux autres directement ou par des ruses que seuls les mégalomanes confondent avec l'intelligence.

l'adoption du nouveau Projet d'établissement, soit environ 6 mois et demi. En somme, la liaison entre la dimension idéelle à la dimension matérielle, qui s'est déroulée dès la première décision d'entamer la démarche, s'est poursuivie pendant toute la durée de la conception coopérative, jusqu'à l'obtention de l'artefact présenté sous forme de document final d'une centaine de pages. Il serait plus juste de dire document charnière plutôt que final dans la mesure où la suite de l'opération prendra racine, principalement, à partir de ce contenu.

Lors du passage du Contenu au Produit, les acteurs réactivent la "division constituante" à travers la coopération dans la mise en oeuvre qui succède nécessairement la conception (pour un projet abouti)102. Ce découpage, quelque part artificiel, ne doit jamais faire perdre de vue qu'un projet est toujours un processus de conception fondé, finalisé et porté par son acteur. Et que plié en deux symétriquement, dans le sens de la longueur, ce modèle dit "morphologie générale du projet" offre une représentation plus fine de ses deux côtés :

Côté pile : - le continuum Fondement-Acteur-Finalité (Projet politique). Côté face : - le continium Existant-Acteur-Contenu (Projet ingénierie),

- le continium Contenu-Acteur-Produit (Projet pragmatique).

Ce schéma relate aussi l'implication de la stratégie dans le projet et vice versa, comme ceci : pour transformer les missions en objectifs, l'entreprise élabore des stratégies ; de même, la stratégie générale peut se décliner en un ensemble de différents projets, procédures et dispositifs techniques avec allocation de moyens, pour éviter le statut de simple leitmotiv. À quel moment la politique intervient-elle ? Se confond-t-elle avec la stratégie ou bien forment elles, ensemble, un mécanisme dont les rouages s'emboîtent tellement que la distinction en devient ardue, voire confuse ? Espérons qu'avant le point final de ce travail, nous aurons quelques prémices de réponses à toutes ces inévitables interrogations. Ou bien, qu'en parcourant les cent et quelques pages de ce volume, les lecteurs parviennent à apercevoir les silhouettes desdites réponses.

Dispositif de gestion parmi d'autres, non seulement le projet s'agrège à d'autres systèmes avec lesquels il est interconnecté, mais il est aussi, telle une poupée russe, surmonté d'un autre système dont il est issu ou qui le contrôle. Ce dernier, à son tour, obéit au même mécanisme, et ainsi de suite jusqu'à un système dont la modélisation semble atteindre ses limites : la volonté humaine, son affect et son ingéniosité. Quel que soit le développement des théories et instrumentations neuroscientifiques au point de parvenir à établir la cartographie

102 Car un projet peut aussi avorter, cela reste toujours un projet.

exacte des réseaux neuronaux, cette part de l'Humanité constituera longtemps encore une source

de contingences dans tout système organisationnel. C'est peut-être mieux ainsi.

Notons enfin que puisqu'il s'agit d'un système ouvert, le système projet s'auto- organise, certes, mais s'hétéro-organise aussi à partir des aires de contact avec son environnement où son système de contraintes se confronte avec ceux du son milieu. Autrement,

il pourrait s'auto-suffire de manière absolue. Or, soutenons que toute organisation humaine absolument close risque à terme l'implosion et la dégénérescence et sera donc non viable. Une telle remarque met en perspective ce travail bien qu'il se concentre uniquement sur une partie de cette part auto-organisée dans lequel nous allons revenir en examinant successivement les trois pôles évoqués ci-dessus.

b. Projet-politique : du Fondement à la Finalité

FONDEMENT

(Mission)

FINALITÉ

(Objectif)

Direction

Politique

Ingénieur

Pragmatique

Conception

Réalisation

Figure 6 : Projet politique

D'abord, plutôt que du Fondement, parlons de la Mission qui en est la traduction plus matérielle. "La loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 assigne au service public d'enseignements supérieurs quatre grandes missions : la formation initiale et continue, la recherche et la valorisation de ses résultats, le développement de la culture et la diffusion des connaissances, la coopération internationale." Ainsi sont clairement résumées, à la page 22 de son Projet d'Établissement 2004-2007, les missions de l'Université de Nantes.

La Finalité est "de faire de l'Université de Nantes une université publique et multidisciplinaire de dimension européenne" (Projet d'établissement 2004-2007, p.41) avec, en plus, le renforcement de son hégémonie régionale. Cette finalité se décline ensuite en plusieurs objectifs concrets et opérationnels tout au long du reste de l'exposé.

Symbolisons, dans notre modèle, le mécanisme et les processeurs du passage entre le fondement et la finalité par trois graphiques ovales sous forme de menhir. Ces éléments ovales représentant les opérations restent vides car là commence une interrogation qui ouvre une voie de recherche intéressante. En effet, comment passe-t-on du Fondement à la Finalité ? Est-ce une question d'évidence, d'automatisme, d'intuition, de mécanisme procédural bien précis ? Ou bien ce subtil passage est-il plus d'ordre philosophique que matériel ? En évoquant les missions

et les objectifs, a-t-on tout dit sur cette étape ou, simplement, le problème est-il momentanément évacué afin de pouvoir avancer ? Pour l'heure, répondons affirmativement à cette dernière question.

Nous choisissons d'inclure l'Acteur Stratégique dans l'Acteur Politique tant les subtilités de distinctions précises entre les deux tendent plutôt à surligner notre manque de bagage théorique à ce propos qu'à nous aider dans la description de ce sous-système "Projet politique". Or, "il ne peut y avoir de projet sans une stratégie à moyen ou à long terme de la direction. Cette stratégie constitue à côté de la culture une donnée avec laquelle il faut compter

[...]" (J.-P. Boutinet, 2003, p.243). Si l'Acteur politique procède au passage du Fondement à la

Finalité en terme des principes identifiant et véhiculant des valeurs de l'organisation, le stratège

lui transforme les missions en objectif précis en choisissant ce dernier, puis en y allouant des moyens. Par ailleurs, la conception et l'activation de la stratégie - entendue comme l'allocation

des ressources nécessaires à la mise en oeuvre d'une politique issue d'une projection dans le devenir à moyen ou long terme - articulent les fondements d'un projet avec sa finalité. Une telle articulation, opérée en amont de la conception du Produit, constitue en soi une problématique dans la vie d'entreprise. D'abord délicate, elle peut, en tenant compte des imprévus, endosser la responsabilité de son avenir existentiel. De plus, la complexité de cette articulation suscite de multiples interrogations : de quelle manière, sous quelle(s) forme(s) s'exprime la stratégie dans le contenu d'un projet ? La stratégie suffit-elle, seule, à être le rouage de cette articulation ou en est- elle uniquement la composante la plus manifeste ?

L'une des difficultés qui font obstruction dans la tentative de répondre à ces interrogations peut venir aussi du fait de l'ambiguïté de ce que renvoie la représentation que l'on

se fait de la fonction Direction de l'Acteur-Politique. Lever un tel brouillard revient, soit à plonger dans une longue polémique, soit, et tel est notre choix, à fixer quelques traits marquants

de la signification que nous lui attribuons. Ainsi, l'on attend par Direction, cette fonction dans une organisation (entreprise, école, association, etc.) à qui revient la charge de donner du sens à l'ensemble. Trois sens distincts mais complémentaires peuvent être distingués : l'orientation (vers

où tendre, le cap à fixer), la signification (sémantique, langage de communication) et la valeur

(axiologie) dont est porteur toute activité humaine.

Ces trois sens suffisent-ils pour procéder au passage du Fondement à la Finalité ? La question reste encore en suspens. Toutefois, à défaut de savoir, ce modèle permet à tout novice dans la fonction de direction d'agir. L'action, l'agir en apprendra certainement plus et,

par conséquent, procurera des éléments de réponse pertinents à nos interrogations. S'attarder

ainsi un peu sur ce point apporte davantage d'éclairage sur l'Acteur-Politique.

SIGNIFICATION

(Sémantique)

VALEUR

(Axiologique)

ORIENTATION

(Cap)

3 SENS

Direction

Figure 7 : La Direction et ses 3 sens

Une idée semble se dégager, intuitivement, de ce modèle de projet-politique :

du Fondement à la Finalité, il existe une continuité dont la découverte du mécanisme suppose un projet de recherche qui lui soit entièrement consacré. Cette proposition permet, du coup, de poser comme hypothèse l'idée selon laquelle la stratégie ne serait qu'une simple composante manifeste

de ce mécanisme. Pourquoi alors cette prégnance, dans une vie organisationnelle, au point d'engendrer toute une palette de spécialités (stratégie, management stratégique, etc.) ? Cette prégnance se justifie du fait de son poids dans le système de pilotage d'une organisation. En effet, gérer "le nez dans le guidon" en se laissant submerger par le quotidien, sans aucune vision

à long terme, revient à prendre le risque de s'engouffrer dans un impasse, de se heurter frontalement aux impératifs concurrentiels ou tout simplement de s'essouffler sans atteindre son objectif faute d'avoir mesuré la distance et les différentes étapes à parcourir. Plus concrètement,

en matière de formation, l'absence de stratégie risque d'aboutir à former des citoyens certes bien cultivés, mais incapables de devenir des leviers du développement parce que l'absence de vision

des ingénieurs pédagogiques et des formateurs les aurait rendus inadaptés à la vie socioéconomique. L'analyse du contenu des projets d'établissement ou d'entreprise aiderait certainement à esquisser des éléments de réponse quant à la place qu'occupe la stratégie dans ce type de document.

Puisqu'elle fait partie des incontournables leviers actionnés par les acteurs du gouvernement d'une entreprise comme d'un établissement de formation, comment alors se forme

la stratégie ? "Si les interactions sont sources de conflit, elles sont également l'occasion de négociations, de consensus, d'échanges entre les diverses représentations que les acteurs ont de leur organisation, de son environnement, de sa mission, de ses moyens d'action. Ces représentations font partie intégrante de la stratégie de l'organisation, ce sont elles qui alimentent

le processus de décision sous-jacent à l'élaboration de la stratégie", répond avec pertinence S. Ehlinger (n.d.)103.

Une conception naturaliste du projet autorise à comparer celui-ci à une faune

ou une flore qui, à la fin de son cycle de vie, se fait souvent succéder par une ou d'autres générations qu'elle a engendrées. La même métaphore aide à signaler que le projet cohabite avec d'autres projets au sein d'une même organisation et à ses environs ; il succède à d'autres et il sera précédé par d'innombrables suites de projets tant qu'existe un acteur pour le porter. Aussi, dans nos sociétés post-modernes, ils se reproduisent et cohabitent pour préserver, perpétuer et parfaire une organisation qui peut être vue comme un méta projet ou système de/à projets. Le projet d'établissement pourra alors être perçu comme un sous-système en soi. Sur le plan méthodologique, une telle conception pourrait aussi servir de grille de lecture de la vie organisationnelle. Ce qui peut se montrer très intéressant pour appréhender la problématique de

la modernisation de la gouvernance d'une université à l'heure où sa survie face à la concurrence

et au contexte de mondialisation/globalisation exige de lui de l'innovation, de l'autonomie de gestion et de l'ingéniosité plus fertile dans une intelligence collective bien orchestrée.

D'autre part, parler de fondements et de finalités signifie évoluer dans un univers axiologique. Telle ou telle mission pour quelle finalité ? Telle ou telle finalité pourquoi ? Sur quelles valeurs reposent notre métier de médiateur de savoir, d'accompagnateur à l'apprentissage, de facilitateur de formation et de conquéreur de savoirs ? Or, dans l'univers de sens, des questions peuvent se succéder et se succéderont à l'infini puisqu'une réponse

103 Sylvie Ehlinger (n. d.), "L'approche socio-cognitive de la formation de la stratégie : apports théoriques et méthodologiques", Texte publié au format pdf sur l'Internet par l'auteur, ATER, Docteur ès Sciences de Gestion Université Paris-Dauphine - Centre de Recherche DMSP.

engendrera une nouvelle question, et ainsi de suite. Chaque réponse amène néanmoins un meilleur éclairage d'une facette de l'interrogation précédente.

Que les législateurs aient publié des articles et des articles de lois indiquant noir sur blanc les missions d'un établissement d'enseignement supérieur ou de n'importe quelle école, n'empêchera pas des dissonances entre les valeurs décrétées, les valeurs comprises, les valeurs souhaitées et celles portées par chacune des parties prenantes du système éducatif. De là

les malentendus et confrontations des valeurs contradictoires dont les règles de dialogue, en revanche, ne se décrètent point. Or, c'est justement à ce point de collision des valeurs que naît le problème éthique versus problème moral. Chacun possédant sa conviction, en faire valoir coûte que coûte conduirait droit vers l'intégrisme et la violence qui ne devrait trouver place dans aucune société. L'éthique de conversation (J. Habermas, 1981)104, surmonte ce danger en favorisant l'écoute, l'explication, la compréhension réciproque - sans forcément gommer la dissymétrie interpersonnelle inhérente à la vie sociale (grade, fonction, responsabilité, etc.) - ainsi que le dépassement des contradictions dialectiquement ou dialogiquement (E. Morin) selon

le sujet. Enfin, la mise en oeuvre de cette instance d'échange constructive, souvent ad hoc, incombe à la responsabilité (H. Jonas, M. Weber) de chaque interlocuteur, animée, orchestrée

par le directeur105, le manager, le responsable du groupe. C'est ce que nous qualifions d'éthique

de direction qui, conformément à la pensée de P. Ricoeur, doit évoluer dans un contexte favorable dit "institution juste".

Sans avoir à chercher très loin, le terme même de mission suffit pour provoquer l'incompréhension entre des membres d'une communauté éducative qui est si hétérogène. L'ambiguïté de ce mot abondamment usité dans l'univers religieux en constitue l'une des explications. Mais elle n'en est pas l'unique. Cependant, la notion de laïcité, valeur hautement structurante du système éducatif et de la société française toute entière, incarne parfaitement l'esprit de cette "institution juste". Quels que soient les grades, le tempérament, les convictions personnelles (privées) et la tendance politique de chacun, quant au sujet de la mission et de la finalité d'un établissement d'enseignement ou éducatif, il devrait toujours être possible de concevoir ensemble par le dialogue, à partir des textes fondateurs, des valeurs fondamentales

républicaines, un futur collectif souhaité.

104 J. Habermas, 1981, Théorie de l'agir communicationnel

105 Nous avons tenté de modéliser la notion d'éthique de direction qui, précisons le, n'a rien de moralisant mais plutôt une posture sous forme de méta-système favorisant la vie sociale et le dénouement des noeuds axiologiques dans une organisation composée d'acteurs hétérogènes.

Ainsi, l'objet "Projet d'Établissement 2004-2007" de l'Université de Nantes résulte d'une longue conception coopérative entre différents niveaux et catégories d'acteurs mettant en oeuvre le passage du fondement (missions) à la finalité (objectifs) d'un projet collectif

à caractère probablement à la fois existentiel, axiologique et technique. Ces trois caractères se dessinent dans le Projet-contenu dont la conception fait intervenir une phase incontournable d'une vie de projet. Il s'agit du passage de l'Existant au Projet-contenu par la conception.

c. Projet-ingénierie : de l'Existant au Contenu

Direction

Politique

Ingénieur

Pragmatique

Arbitrage

Conception

Réalisation

Décision

EXISTANT

Expression

(Diagnostic)

CONTENU

(Modèle)

Figure 8 : Projet ingénierie

L'évolution de la mission vers l'objectif passe par l'un des stades intermédiaires

qu'est le passage de l'Existant au Contenu. L'existant étant le présent qui, pour un individu, intègre l'ensemble de son histoire du passé lointain au futur proche. Il en va de même pour l'organisation, à ceci près : l'existant d'une organisation peut être manié à travers les données formalisées par le diagnostic, l'audit ou l'état des lieux. C'est à partir de l'Existant que démarre alors le travail de conception du projet-contenu. En considérant toujours un acteur collectif, cette conception engage une coopération impliquant des acteurs hétéroclites. Dans le cadre du Projet d'établissement de l'Université de Nantes, le processus a été passé par quatre types de processeurs humains effectuant quatre types d'actions : l'expression, l'arbitrage, la décision et la rédaction.

Concevoir collectivement suppose l'expression d'un grand échantillon représentatif de la population totale. Théoriquement en tout cas, car la réalité dépend de l'identité

des acteurs et du mode de management en vigueur. Or, l'expression du plus grand nombre prend aussi une forme de groupement d'idées truffées de contradictions. Au-delà de l'incompatibilité

des divers intérêts particuliers, l'abondance des besoins entraîne une nécessité impérieuse "d'élaguer" pour des impératifs purement économiques, certes, mais suivant certaines règles pour éviter par la même occasion de "tuer l'arbre". D'où l'entrée en action du processeur "Arbitrage"

qui est censé intégrer comme paramètres, outre toutes les règles du jeu, les intérêts supérieurs communs sans léser les particuliers. La question cruciale consiste alors à savoir comment ou par qui, avec combien de personnes, doit être composé ce processeur d'Arbitrage ? Pour une grande organisation, une personne, fut-ce un acteur doté de compétences unanimement reconnues et omniscientes, peut-elle s'octroyer seule une telle fonction ? Auquel cas, pour des projets techniques, la multiplicité des spécialités en jeu dans une quelconque innovation technologique

est devenue telle que l'ingéniosité et l'efficience des solutions retenues risqueraient fort de produire une qualité médiocre, donc économiquement non rentable. Pour des projets à caractère plus politique ou existentiel en revanche, un arbitre unique plongerait la vie organisationnelle dans un fonctionnement anti-démocratique tel que, même dans un système de management bureaucratique très pyramidal, le risque est d'aboutir au mieux à une fissure de la cohésion de l'équipe, au pire à son implosion. L'équilibre requiert alors une équipe d'arbitrage qui n'élude pas

la confrontation entre les intérêts particuliers et les intérêts communs - au bénéfice des uns ou

des autres - mais, au contraire, dont l'intelligence collective favorise la recherche des compromis

les plus rentables. Une telle démarche ne peut faire l'économie d'intenses communications entre l'équipe de projet et l'ensemble constitutif de l'organisation, ne serait-ce que pour information, afin que les résultats de l'arbitrage fassent sens pour l'ensemble. Ainsi, ce dernier participe à la progression du projet. Il en va de même pour l'organe décisionnel qui doit être constitué d'acteurs légitimes et représentatifs. Le titre "Ingénierie du contenu" (Chap. 6) illustre ce sous-système avec le cas de l'Université de Nantes.

Une fois ces trois processeurs (expression, arbitrage, décision) techniquement, économiquement et démocratiquement constitués, le travail de conception, faisant passer l'existant (éléments de diagnostic et le contexte) au contenu, peut se dérouler dans une progression optimale avec la plus grande probabilité d'aboutir à un résultat favorable.

Mais le projet-contenu est loin d'être un aboutissement. Il peut être qualifié simplement de cahier de charge pour le projet purement technique. Dans le projet à caractère existentiel d'une organisation, il intègre à la fois des grandes valeurs philosophiques, des visées politiques et des expressions stratégiques d'un futur qui attend des actions pour le faire se

transformer en faits. En plus des grandes idées, il peut aussi contenir une gamme de décisions

(prises, à prendre), règles et procédures plus concrètes indispensables au déroulement des actions

de mise en oeuvre. Il va jusqu'à comporter des descriptions si précises de certaines actions concrètes, aux propos purement ornementaux du type affirmation positive ou politiquement convenable mais tellement floue et qui n'engage à rien, que nul ne peut le contredire, ou bien des leitmotivs qui servent à motiver les acteurs directs ou partenaires à divers titres du projet. Outre

sa fonction de noyau référentiel qui fait converger autour de lui la majorité, à défaut d'être la totalité des parties prenantes, il s'agit d'un outil de communication et de négociations pour des actions concrètes. Celui de l'Université de Nantes joue ce rôle :

- En interne, par le biais des Plans d'Actions Prioritaires (PAP) à caractère transversal et des Protocoles Internes d'Actions (PIA) avec chacune des composantes.

- En externe, par les Pactes de Progrès Concertés (PPC) négociés en vue des mises en oeuvre, dans une relation partenariale, avec les collectivités territoriales.

- Mais aussi dans ses relations avec la superstructure ministérielle, tutelle et bailleur principal, pour la négociation du Contrat Quadriennal de Développement (CQD), c'est-à- dire le financement des programmes d'actions importants.

Notons que cette partie rédactionnelle constitue une part importante du projet, mais ne peut toutefois pas en être la totalité dans la mesure où elle se matérialise par un volume écrit de discours. Or, le discours n'équivaut pas toujours à l'action bien que la parole fasse exister. Ce discours, une forme communication, est aussi à l'origine de la stratégie dans la mesure où il peut servir, de par ses modes d'expression, à faire passer les orientations choisies

par l'Acteur-politique, à qui incombent les décisions stratégiques. Il va falloir alors passer à l'acte, à la mise en oeuvre du Projet-contenu qui est à la fois un modèle, un plan, un mode d'emploi, une maquette, des règles de références communes. Elle sert alors de noeud de convergence de toutes les parties prenantes qui, outre les règles, affiche les valeurs partagées qui sous-tendent l'identité même de l'établissement ou l'entreprise. Ce qui permet d'éviter le mythique phénomène "Tour de Babel". Une fois que le volume rédigé a reçu l'adhésion de la majorité, sa mise en oeuvre peut démarrer suivant le calendrier, les règles (spécifiques, particulières et générales) et la coordination prévus à conjuguer avec les imprévus, les contingents.

En somme, l'idéal-type du projet-contenu comporte, au minimum, les valeurs

revendiquées de l'entreprise, ses missions, les éléments de diagnostic, ses objectifs avec

d'éventuelles descriptions des résultats attendus, les différentes règles de fonctionnement et,

le dernier élément mais pas le moindre, les moyens que l'Acteur se donnent pour agir

concrètement. Mais pour dépasser le stade du souhait, l'allocation des moyens (techniques,

économiques et organisationnels) doit être clairement définie tout comme les modalités

d'évaluation finale.

Encadré 2 : Idéal-type d'un projet-contenu

Dans ce schéma, nous confondons, délibérément, les dispositifs d'évaluation dans le bloc Diagnostic.

 

Valeurs

Acteur

Règles

 

Missions

 

Diagnostic

 

Moyens

 

Objectifs

Échéancier

Figure 9 : Idéal-type du projet-contenu

Qui dit structure de base, dit aussi le minimum nécessaire pour qu'un projet soit crédible et puisse aboutir à son terme, quelles que soient les difficultés et les éventuels ajustements nécessaires en route. Si l'un de ses éléments constitutifs manque, le projet claudique.

d. Projet-pragmatique : du Contenu au Produit

Direction

Politique

Ingénieur

Pragmatique

Conception

Réalisation

CONTENU

(Modèle)

PRODUIT

(Résultat)

Figure 10 : Projet pragmatique

En tant qu'objet dynamique, le projet recouvre un ensemble qui va de la conception à son évaluation finale, en passant par la mise en oeuvre. Dire d'un chef d'entreprise qu'il communique son avant-projet afin de collecter les apports de ses collaborateurs, renvoie déjà à l'image où il transmet un contenu, fut-ce à l'état embryonnaire. Cette dimension révèle donc une dynamique permanente entre les différents stades de vie de l'objet, l'ensemble d'actions

qui oeuvrent à le faire advenir et son contenu. Ce dernier peut être la matière même opérée par la mise en oeuvre comme, par exemple, la formation du personnel recruté par la nouvelle usine Nissan-Renault de Valenciennes destinée à la construction commune d'un modèle de véhicule ;

ou bien la définition du plateau-recherche réunissant les équipes de conception des deux firmes.

Il peut aussi s'agir d'un document contractuel consignant, décrivant et formalisant les valeurs, les différentes règles décisionnelles ainsi que les modalités techniques de ce processus. Le document intitulé "Projet d'Établissement 2004-2007" produit et diffusé par l'Université de Nantes en est une illustration.

L'acteur, vecteur de projet, est rarement isolé. Le projet s'articule dans les interactions, au moins entre un individu et d'autres ; plus souvent entre différentes logiques au sein d'un collectif, ou entre plusieurs collectifs. Qualifier un projet d'individuel ou de collectif suppose non pas l'unicité ou la multiplicité de son acteur mais l'existence d'un système individuel relativement autonome en interaction avec autrui ou pas. Un projet individuel serait alors un projet fondé sur des logiques individuelles mais qui, pour sa réalisation, ne pourra qu'être confronté aux différentes logiques environnantes afin de s'ajuster aux contraintes exogènes auxquelles il doit s'adapter. Il en va de sa richesse et de son réalisme. Sans quoi, il ne peut y avoir de projet. De même dans un projet collectif, il n'est pas rare de voir une dimension individuelle. L'initiateur et l'épaule sur lesquels repose la conception collective peuvent être un seul individu ou un très petit groupe, formé pour des motifs purement individuels. Dès lors, "Il n'est pas plus de projet séparé ou de fins particulières que d'action solitaire. Faire sien un projet, c'est en faire l'objet d'une réappropriation seconde quant à la part que l'agent a prise à sa réalisation et que les autres lui consentent. Projeter c'est anticiper une action où je suis engagé avec autrui, une action qui doit être conjointe si elle veut être réalisable." (F. Jacques, 1982, p.210)106. Dans tous les cas, le passage d'une décision initiale au Produit (document, objet, service, état) active des suites de coopérations dans une co-conception suivie d'une réalisation ou mise en oeuvre. C'est ce que les Italiens désignent par le progettazione. Puis, l'aboutissement par

la concrétisation de l'objectif annonce la fin du projet. L'oeuvre ainsi réalisée quitte le domaine projectif, après son évaluation et d'éventuels correctifs, pour appartenir désormais à un autre registre, celui de l'existant. Le cordon qui l'attachait à l'acteur peut désormais être coupé ou, tout

au moins, change de nature.

Il sera intéressant de conclure par un regard plus global du projet pour, plutôt que provoquer une redondance avec la Figure 5 : Morphologie générale du projet, vient la

compléter en l'observant depuis un autre point de vue.

106 In Jean-Pierre Boutinet (2003), Anthropologie du projet, Paris, PUF, p. 282

e. Modèle fonctionnel et tridimensionnel du projet

Tous ces différents modèles successifs peuvent se résumer, afin d'être lus d'un seul trait, et posés dans les trois dimensions organisationnelle, temporelle et spatiale.

Modèle fonctionnel

Direction

Fondement

EXISTANT

CONTENU

PRODUIT

Finalité

Décision

Arbitrage

Expression

Conception

Réalisation

Figure 11 : Modèle fonctionnel du Projet

Modèle tridimensionnel

Espace

Finalité

Direction

PRODUIT

Politique

CONTENU

EXISTANT

Fondement

Ingénieur

Décision

Arbitrage

Conception

Pragmatique

Réalisation

Expression

Organisation

Temps

Figure 12 : Modèle tridimensionnel du projet

Le projet ne peut donc consister à être un simple dispositif ; ce n'est non plus ni une simple méthode de création, de planification, ni un algorithme prêt à l'exécution mais, plutôt,

un modèle évolutif de réponses, conçu pour être matérialisé. La modélisation d'une telle "entité" difficilement saisissable favorise de toute évidence une meilleure compréhension, grâce à des vues de ses multiples facettes et ses multiples composants interactifs.

Enfin, cette modélisation du projet, vu sous différents angles, et conclue par ce dernier constat, nous accompagne, pour terminer, vers une tentative de définition.

2. Une tentative de définition

Parler de "tentative de définition" revient à reconnaître la difficulté, si ce n'est l'impossibilité à fixer une formulation unique, suffisamment précise et complète du projet comme concept. Il existe en effet un foisonnement de définitions suivant le domaine d'application, le métier ou le champ disciplinaire dans lequel les auteurs s'inscrivent. Plutôt que

des débats contradictoires entre différents auteurs, se concentrer sur des points communs et complémentaires contribuera mieux à retenir le sens général et plus opérationnel. Une étude sous-tendue par la recherche d'un outil, d'une voie, d'une méthode facilitatrice de la fédération d'une équipe hétérogène autour d'un projet, garantirait donc mieux sa cohérence en choisissant

les définitions plutôt convergentes et complémentaires. Pour ce faire, trois groupes d'auteurs nous serviront de guide : les généralistes (J.-P. Boutinet, L'Association Francophone de Management de Projet), les penseurs du projet d'entreprise (J.-P. Bréchet, A. Desreumaux, M. Crémadez) et ceux du champ socioéducatif (P. Lefèvre, J.-C. Becker et al., J. Ardoino).

Diriger un établissement ou organisme socioéducatif suppose d'abord de rappeler que nous entendons par formation, toute action visant à conduire un être humain à partir d'un état cognitif, affectif, socioprofessionnel vers un autre. Ce qui englobe l'éducation spécialisée, l'enseignement et la formation professionnelle. Qu'il soit public, associatif ou à but lucratif, un établissement de formation, a fortiori un établissement d'enseignement supérieur de

la taille d'une grande université, possède quelques caractéristiques fondamentales communes à toute grande organisation. Par conséquent, faire appel aux auteurs ayant pensé le projet dans un contexte d'entreprise comme à ceux ayant plus orienté leur regard vers une organisation de formation revient à nier toute tentative d'une confortable suffisance d'une discipline par rapport à d'autres. Faire travailler, faire dialoguer des réflexions sur l'enseignement supérieur avec celles issues des entreprises constitue un choix qui se veut contraire à toute posture sectaire107 afin de se situer plus au carrefour des disciplines complémentaires telles que les sciences de l'éducation, de

la gestion et même de l'économie. Bref, "la nature flou du concept" (J.-P. Boutinet, 2003)108,

légitime l'approche transdisciplinaire pour mieux l'appréhender109.

107 Illustrée souvent par une archaïque querelle de chapelle incarnée par certains acteurs-penseurs - souffrant de problèmes d'ego - qui s'insurgent à la moindre évocation des sciences autres que les leurs, quand bien même ils sont les premiers à prêcher l'interdisciplinarité. Heureusement, tous n'ont pas la même réaction. Car il arrive souvent que l'on éclaire mieux une problématique en s'outillant des concepts issus des autres disciplines.

108 Jean-Pierre Boutinet (2003), Anthropologie du projet, Paris, PUF, p. 292

109 Une telle démarche nous éloigne du confort intellectuel que nous aurions pu avoir en se contentant des frontières imposées par une discipline. Mais elle offre, au moins une possibilité d'une expérimentation formatrice.

Définitions généralistes

Du point de vue anthropologique, à la fois approfondi et ouvert, le projet peut

se définir comme étant une représentation opératoire, "un compromis entre le souhaitable et le possible" (J.-P. Boutinet, 1992)110. En quittant la généralité, l'auteur poursuit dans un volet plus existentialiste, psychologique puisque "chaque homme, pour vivre, a besoin d'un projet qui le porte en avant et donne une dimension à son existence, sinon il en découle une absence de futur,

le vide et l'inquiétude." Et enfin, "Apte à désigner les nombreuses situations d'anticipation que suscite notre modernité, le projet n'en reste pas moins cette figure aux caractères flous exprimant

à travers le non-encore-être, pour reprendre l'expression de E. Bloch, ce que les individus recherchent confusément, ce à quoi ils aspirent c'est-à-dire le sens qu'ils veulent donner à leur insertion momentanée, aux entreprises qu'ils mènent." (J.-P. Boutinet, 2003)111.

L'Association Francophone de Management de Projet, quant à elle avance, de façon plus pragmatique, que "Le projet est un ensemble d'actions à réaliser pour satisfaire un Objectif défini, dans le cadre d'une mission précise, et pour la réalisation desquelles on a identifié non seulement un début, mais aussi une fin".

Dans une perspective plus globale encore, "le projet, c'est tout d'abord une intention philosophique ou politique, une visée affirmant des valeurs en quête de réalisation ; c'est seulement ensuite, la traduction stratégique, opératoire, précise, déterminée, d'une telle visée" (J. Ardoino). Une telle conception donne au projet une double face indissociable, composée d'un côté d'une source de valeurs (projet visée) complétée par un côté plus technico- économique (projet programmatique). Le "projet visée" est central : "...c'est l'idée même de "valeur" (au sens philosophique et non économique du terme) qui spécifie le mieux le projet [...] porteur de significations, plus soucieux, finalement de signifiance que de cohérence". "Tout à l'opposé, le projet programmatique [...] se définit avant tout par sa rigueur, par son exactitude,

par sa consistance logique et, le cas échéant, par sa référence à une réalité qui en permet la possibilité, sinon la probabilité ou la faisabilité. Un tel projet est essentiellement technique,

quand ce n'est pas technocratique." (J. Ardoino, 1984)112.

110 Jean-Pierre Boutinet (1992), Anthropologie du projet, Paris, PUF, page 231

111 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit. p. 16.

112 Jacques Ardoino (1984), "Le projet", Revue POUR, n° 94, mars - avril 1984.

Définitions issues de la gestion

De véritables préoccupations sur la gestion stratégique ont abouti à la

conception de la notion de projet productif (J.-P. Bréchet, 1996)113 comme au fondement de l'entreprise et de toute organisation à finalité de production de biens ou de services, avec trois dimensions : éthico-politiques en jeu dans l'action collective orientée vers la recherche du bien commun ; technico-économique, c'est-à-dire grandes missions ou besoins que l'entreprise réalise

à travers le choix du métier approprié ; et praxéologique de par les aspects structurels et d'animation par lesquels le projet se déploie dans le temps et l'espace. "On peut ainsi retenir que tout projet d'organisation combine un projet politique, un projet économique et un projet d'action." (Bréchet, Desreumaux 2005)114. Ces dimensions interdépendantes constitutives du projet le définissent à la fois. Pour certaines entreprises à activité non répétitive (M. Crémadez,

2004)115, il est nécessaire de fonder l'organisation sur le concept projet qui se définit comme un processus original de création conçu pour répondre spécifiquement à la demande d'un client.

Dans le même sens, "Le projet est constitué par la synthèse des grandes priorités économiques et sociales que l'entreprise se donne ; il indique les voies et moyens pour parvenir à ce qu'elle a la volonté d'être", proposent encore L. Boyer et N. Equilbey dans leur ouvrage paru en 1986116.

Définitions issues du champ socioéducatif

Sans prétendre à l'exclusivité de l'usage du terme, la notion de "projet

d'établissement" renvoie de prime abord au projet des établissements socioéducatifs et médicaux.

Un regard rapide sur les résultats d'une requête dans le meilleur moteur de recherche sur Internet montre immédiatement cette tendance d'appropriation du terme par ces secteurs d'activité bien délimités, corrélée par une surabondance de réponses. L'idée de rechercher une définition toute prête à adopter nous confronte aussitôt à un foisonnement de nuances dont l'extraction de l'essentiel risque de s'apparenter à un fastidieux démêlage de pelotes qui n'a rien d'aussi romantique que l'aventure de Pénélope en attendant Ulysse. Cependant, se pencher sur l'abondante littérature, en retenant deux ou trois définitions dont la résultante puisse servir de repère et, par conséquent, donner une certaine représentation de la notion, donnera d'excellentes

références sur ce sujet.

113 Jean-Pierre Bréchet (1996), Gestion Stratégique. Le développement du projet d'entreprendre, Paris, Eska.

114 In Jean-Pierre Bréchet, Alain Desreumaux (2005), "Le projet au fondement de l'action collective ", Sociologies

Politiques, n° 10/2005, p.129.

115 Michel Crémadez (2004), Organisations et stratégie, Paris, Dunod.

116 Luc Boyer, Noël Equilbey, (1986), Le projet d'entreprise, Paris, éd. d'Organisation, in Bernard Dobiecki, (1998), Diriger une structure d'action sociale aujourd'hui, Paris, ESF, p. 73.

Dans l'univers des organisations sociales et médico-sociales, P. Lefèvre propose une définition assez longue mais suffisamment large pour couvrir une bonne partie des multiples facettes du phénomène. "Le projet d'établissement est une élaboration dynamique des objectifs d'action sociale et médico-sociale fixé par une institution au regard de sa philosophie,

de ses missions et ses choix stratégiques, pour répondre le mieux possible aux besoins des usagers et aux attentes de l'environnement et des partenaires. Le projet est un contenu traduit dans un écrit ou un ensemble de documents à destination interne et externe, c'est aussi un processus de réflexion et de mobilisation interne des acteurs professionnels salariés et bénévoles, usagers et partenaires. Le projet d'établissement constitue une référence institutionnelle qui définit une plate-forme contractuelle, il peut être décliné en projets de service ou programmes. Il

est régulièrement évalué afin d'analyser les écarts et de proposer des réajustements (P. Lefèvre,

2003)117.

"Le projet d'établissement est un référentiel, un "produit spécifique" qui s'inscrit dans un contexte territorial et temporel, et qui se veut aussi prospectif. Il a vocation à constituer la "pièce d'identité" de l'établissement ; à lui servir de support promotionnel et de communication ; à permettre le contrôle et l'évaluation des prestations servies ; à fédérer l'ensemble des professionnels et à faciliter le pilotage de l'établissement" (J.-C. Becker et al.,

2004)118.

J.-P. Obin, comme d'autres auteurs, a aussi proposé des descriptions fort instructives du projet d'établissement scolaire. Or, un établissement universitaire n'est comparable ni à un lycée, ni à un foyer d'éducation spécialisée, et encore moins à une école primaire. C'est la raison pour laquelle nous ne faisons que donner à voir ces définitions119 afin de nous concentrer plus sur la problématique de l'enseignement supérieur qui semble se rapprocher davantage d'une entreprise de prestation de service que d'une école primaire.

Mises ensemble et bien réorganisées, toutes ces définitions se complètent et peuvent offrir une vue générale un peu plus éclairante pour identifier ce qu'est le projet.

117 Patrick Lefèvre, (2003), Guide de la fonction de directeur d'établissement dans les organisations sociales et médico-sociales. Paris, Dunod, p. 200.

118 Jean-Claude Becker, Claudine Brissonnet, Bruno Laprie, Brice Mañana, (2004), Projet d'établissement. Comment le concevoir et le formaliser, Paris, ESF, p. 34.

119 Pourtant, notre intérêt pour les établissements médico-sociaux et socioéducatifs se passe de justification car la première partie consacrée à l'enracinement de cette recherche l'a longuement illustré. Mais, le terrain de ce mémoire reste l'université et, par ricochet, l'enseignement supérieur. Ce passage furtif de l'autre côté du système éducatif marque surtout une reliance, même très symbolique, entre l'éducation spécialisée et l'éducation nationale qui peinent

à communiquer. Parvenir à établir un pont entre les deux sera pourtant une source d'efficacité dans nos métiers.

Enfin, nous suggérons de définir le projet comme étant un système génétique

finalisé d'anticipation opératoire procédée par un acteur (individuel ou collectif) à l'aide du

trinôme direction/conception/réalisation, à partir de valeurs, de désirs et de données

concrètes, dans un cadre singulièrement contextualisé par des contours organisationnels,

géographiques et chronologiques. L'acteur lui-même est un projet en soi. D'où la récursivité

de son rapport avec son projet, caractérisé par des transformations réciproques de chaque

partie. Pour une organisation évoluant dans un contexte incertain, le projet est à la fois

modèle évolutif d'un devenir à construire, réducteur d'incertitude et mobilisateur des forces

vives par la création de règles, de sens pour des intérêts communs.

Encadré 3: Définition du projet

Le Projet-ingénierie activé dans la conception pour passer de l'Existant au Contenu sous-tend un autre sujet qui, certes, n'apparaît pas de manière flagrante sur ce modèle, mais dont la prégnance pèse lourd dans toute projection collective. Il s'agit de la problématique

de l'action collective à travers la coopération et la divergence des intérêts. De manière théorique, allons découvrir cette question qui permettra d'avoir une meilleur lecture des différentes articulations en jeu dans l'université française.

II. Le projet dans l'action collective

A. Une problématique de l'action collective

1. Question de coopération

Un groupe, une équipe, une organisation ont à la base, au moins, l'agrégation d'individus comme dénominateur commun. Certes, chaque individu peut entreprendre la réalisation de son propre projet. Mais étant par nature limité, nul ne peut se suffire à lui seul. Alors, là où la capacité individuelle s'arrête, commence la coopération. Quand la coopération permanente et durable s'avère impérative, la naissance d'une organisation n'est pas très loin. Cela revient à dire que chaque complexification de l'activité, en fonction des ressources individuelles,

du degré d'outillage, de connaissance et de moyens économiques, pousse à la coopération. Celle-

ci existe depuis la nuit des temps ne serait-ce que pour des raisons de lutte pour la survie. Vraisemblablement, peu de domaines d'activité humaine échappent à la possibilité voire à la

nécessité, à un moment donné, de l'unification des ressources et des actions finalisées. L'éthologie fournit aussi une infinité d'illustrations qui étayent cette thèse chez tous les animaux grégaires. Pour autant il ne s'agit en rien d'un automatisme qui ne pose pas de difficulté.

La coopération peut se définir comme étant le processus d'actions collectives

par lequel des sujets oeuvrent ensemble pour le(s) même(s) objectif(s), au-delà des limites de la possibilité de l'action individuelle, dans la réalisation d'un besoin. Ce que J.-L. Soubie, F. Burato

et C. Chabaud120 expriment, à partir d'une synthèse pluridisciplinaire par "une activité coordonnée visant à atteindre un objectif commun aux agents coopérants et pour laquelle le coût spécifique de la coordination est inférieur au bénéfice de celle-ci dans la poursuite de l'objectif". Personne, par exemple, n'aurait jamais pu élaborer seul ces centaines de pages du projet d'établissement de l'Université de Nantes tant l'ampleur de la tâche est grande sur le plan politique. La coopération, dont la mise en oeuvre lui confère un caractère processuel, implique une relative dépendance et une complémentarité entre les participants. Elle peut être volontaire, spontanée, consentie ou négociée (Boyer et Orléan, 1997)121. Notons que bien qu'il n'y ait qu'une modalité de définition qui soit présentée ici, la littérature sur la coopération en connaît autant de variété que de modalités. Toutefois, il est possible de considérer l'existence de deux grandes formes significatives :

- La Coopération dite "autonome" (Romelear, 1998) est née pour s'achever avec le début et la fin de la production commune d'une valeur. Pour ce faire, les acteurs s'agrègent autour d'un projet en développant un référentiel commun.

- La Coopération comme moyen stratégique (M. Crozier et E. Friedberg, 1977,

1993) pour le contrôle de sa zone d'incertitude en vue de l'accession à des ressources par des négociations et des échanges.

Dans la pratique, ces idéaux-types composent, dans des proportions variables, toute entreprise vue comme système de coopération (C. Barnard, 1938). Néanmoins, la coopération autonome focalise notre attention dans la mesure où elle devient de plus en plus un enjeu managérial (par exemple, G. de Terssac et E. Friedberg, 2002). La conception d'un projet d'établissement ambitieux est une affaire de coopération où se joue un savant dosage entre coopération autonome et coopération stratégique. D'où l'importance, à plusieurs titres, d'élucider

120 Jean-Louis Soubie, Florence Burato, Corinne Chabaud, (1996), "La conception de la coopération et la coopération dans

la conception", in Gilbert de Terssac, Erhard Friedberg (dir.), (2002), Coopération et Conception, Octares Éditions, p.189.

121 R. Boyer, A. Orléan, (1997), "Comment émerge la coopération ? Quelques enseignements des jeux évolutionnistes", p.

19-44 in B. Reynaud, (1997), Les limites de la rationalité, Colloque de Cerisy, éd. La Découverte.

la problématique de l'action collective à travers la divergence des intérêts avant de rapporter celle-ci dans le cas plus précis d'un établissement universitaire.

Mais il est temps de s'interroger sur ce qu'est le projet d'établissement tant de fois évoqué jusqu'ici. De manière générale, la littérature abonde de définitions de projet d'établissement. Mais il ne s'agit que d'établissements d'enseignement préscolaire, primaire et secondaire. Or, le décalage de préoccupation est tel entre l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur que ces données, malgré leur valeur certaine, ne peuvent être d'une grande utilité pour éclairer notre problématique. Alors, plutôt que de nous perdre dans d'interminables spéculations pour justifier à tout prix "l'introduction d'un taureau dans une cage réservée à une brebis", intéressons-nous à un cas empirique dont l'exploration pourrait réduire notre ignorance. Autrement dit, si le cas de l'enseignement supérieur ne s'accommode pas du moule du secondaire, il vaut mieux se focaliser sur la nature du projet de l'université.

De l'école primaire à l'université, le projet d'établissement a trouvé sa place parmi les principaux dispositifs de gestion étroitement associés à la notion d'autonomie. Dès lors,

la tentation de le prendre comme un simple dispositif parmi d'autres, peuple les esprits pour qui

la définition du projet d'établissement se confond dans le brouillard des groupes nominaux tels que projet pédagogique, projet éducatif, projet de formation, projet individuel de l'apprenant, etc. Pourtant, l'une de ses caractéristiques propres réside dans l'implication de toute la communauté éducative ou universitaire dans son élaboration et sa mise en oeuvre. Dans l'idéal en tout cas puisque tel n'est pas toujours le cas. À l'instar des questions afférentes à la pédagogie, la littérature abonde sur le projet d'établissement jusqu'à l'enseignement secondaire. Ce qui est loin d'être le cas pour celui de l'université. Pas étonnant étant donné le caractère trop récent de l'obligation légale de la démarche, dans l'enseignement supérieur, qui n'a pas donné assez de recul aux chercheurs. Cependant, le peu de recherches qui évoquent le sujet, notamment les réflexions sur l'avenir de l'enseignement supérieur, offrent suffisamment de pistes convergentes pour confirmer le caractère stratégique de la démarche projet. Nous nous limitons toutefois à l'étude des différentes étapes de fabrication du contenu d'un projet d'établissement universitaire. Dans cette oeuvre coopérative, nous discuterons aussi du rôle joué par chaque groupe d'acteurs en interaction.

2. Divergence des intérêts

Discuter des notions de projet en oubliant la stratégie, et vice-versa, équivaudrait à décoller du tarmac dans le cockpit d'un monomoteur sans plan de vol ni radio de bord puisque "la stratégie, si elle est faite de projets, ne se réalise que dans le cours d'une

coexistence dynamique avec d'Autres qui sont toujours à la fois des adversaires-partenaires" (Poirier, 1987, p. 73)122. "Le dialogue stratégique est à la fois orbi et urbi. D'un côté il se joue avec les acteurs extérieurs à l'entreprise, de l'autre il met aux prises les membres de l'organisation."123 Ce "dialogue" qui met aux prises les membres de l'organisation a été étudié de manière complémentaire par M. Weber qui a planté le décor, et par le duo M. Crozier et E. Friedberg qui ont mis en évidence les mécanismes des jeux de pouvoir, conséquence de la divergence des intérêts et, par conséquent, de confrontations de différentes rationalités.

Il est possible de distinguer quatre types de rationalité humaine : rationalité traditionnelle, rationalité affective, rationalité axiologique et la rationalité téléologique. De cette rationalisation de l'action humaine, l'auteur théorise l'existence des règles rationnellement établies pour accéder au pouvoir. D'où, aussi, la nécessité de la bureaucratie pour l'administration

de masse. Ce que le structuro-fonctionnaliste R. K. Merton a étudié dans le sens inverse pour constater que "plus les bureaucraties concrètes se rapprochent de l'idéal-type wébérien (règles abstraites, hiérarchie fonctionnelle, impersonnalité de la relation d'autorité, etc.), plus des conséquences non prévues, sous la forme de dysfonctions, de routines, paralysent l'activité de l'organisation"124. La bureaucratie pure engendre donc des effets pervers contreproductifs allant jusqu'à développer une "personnalité bureaucratique" (R. K. Merton). Prenez le cas d'une secrétaire de l'intendance, qui est chargée d'instruire les dossiers de bourses des collégiens depuis

20 ans. Quelle ne fut pas la surprise d'un Conseiller Principal d'Éducation lorsque celle-ci renvoya un jour un élève en grande difficulté sociale, qu'il lui a confié, faute de dossier complet. L'élément manquant ? L'avis de non-imposition d'une mère bénéficiaire de Revenu Minimum d'Insertion depuis une dizaine d'années ! Et comme argument, la secrétaire, de bonne foi, montre

à son collègue le formulaire-type avec la liste des documents nécessaires, précédé chacun d'une case à cocher. Bref, l'élève, cumulant les difficultés matérielles et humaines, aurait été privé de l'aide que la nation lui réserve - dans le droit fil du principe de l'égalité des chances - sans l'insistance du CPE pour que l'on instruise son dossier en remplaçant l'avis de non-imposition par une attestation de ressources délivrée par la Caisse d'Allocations Familiales. Loin d'être anecdotique, ce genre de cas est répandu dans l'administration, quel que soit le ministère de tutelle. Souvent, ce sont les plus faibles, moins aptes à se défendre, qui sont broyés par ce type

de dysfonctionnement organisationnel ; ceux-là mêmes que le service public est censé protéger.

Toutefois, rien ne prouve que la manifestation de la personnalité bureaucratique soit pour autant

122 Gérard Koenig (2004), Management stratégique. Projets, interactions & contextes, Paris, Dunod, p. 2.

123 idem, p. 3

124 Claudette Lafaye (1996), Sociologie des organisations, Paris, Nathan, p.17.

systématique et de même ampleur partout. De plus, la bureaucratie peut concerner toute organisation. Autrement dit, elle n'est pas automatiquement greffée sur une organisation de type administratif même si l'on y rencontre quelquefois des caricatures.

L'intérêt de ces notions (bureaucratie, personnalité bureaucratique) est qu'elles plantent le décor pouvant servir de champ d'interaction entre des acteurs aux intérêts diversifiés.

J. March et H. A. Simon, après avoir analysé les différentes théories de l'organisation, considèrent que "seule une théorie partant de l'hypothèse que les membres des organisations opèrent des choix et prennent des décisions permet de renouveler l'analyse des organisations" (C. Lafaye, 1999)125. Par la suite, la notion de rationalité limitée va inspirer M. Crozier et E. Friedberg pour théoriser sur l'analyse stratégique à partir d'observations empiriques. Cette démarche a permis de mettre en évidence les relations de pouvoir qui se trament dans une organisation marquée par une forte division du travail, une grande importance accordée aux règles, le strict respect des ordres hiérarchiques ainsi qu'une véritable compartimentation des métiers qui ne se croisent qu'autour des points d'intersection que nous pouvons appeler processus-noeuds. Dans ce cas l'enjeu se trouve dans les relations de pouvoir où l'objectif est de chercher, en permanence, à maîtriser le maximum de zones d'incertitude des autres acteurs tout

en réduisant la sienne. Ce qui ne favorise pas la coopération. De ce fait le vrai pouvoir ne se calque pas du tout sur l'organigramme. L'expertise, l'appartenance à un corps de métier, les affinités personnelles et la capacité à fomenter des petits complots discrets mais paralysants pour

ses partenaires-adversaires en se servant au mieux les règles institutionnelles sont autant de sources de pouvoir pour le contrôle des jeux. Le sociogramme l'emporte sur l'organigramme. "Analyser une relation de pouvoir exige donc toujours la réponse à deux séries de questions....les ressources dont chaque partenaire dispose...la pertinence de ces ressources...les enjeux de la relation et... les contraintes structurelles dans lesquelles elle s'inscrit ?" (M. Crozier

et E. Friedberg, 1977)126. De là, C. Lafaye qualifie le pouvoir de relation déséquilibrée impliquant l'échange et la négociation. M. Crozier et E. Friedberg, quant à eux, formulent la notion de "système d'action concret" pouvant se définir comme "le jeu à la fois structuré et mouvant des relations de pouvoir qui s'établissent dans les rapports sociaux"127. Les deux auteurs aboutissent à la conclusion que "Le fonctionnement des organisations formelles n'obéit que

partiellement à leurs caractéristiques formalisées et les contextes d'actions plus diffus sont plus

125 Claudette Lafaye (1996), op. cit., p.37.

126 Michel Crozier, Erhard Friedberg (1977), L'acteur et le système, Paris, Seuil, p. 73-74.

127 Claudette Lafaye (1996), op. cit. p. 49.

structurés qu'il n'y parait". D'où l'ambition que s'est donnée l'analyse stratégique de comprendre l'action collective au sens large.

Or, P. Roggero128 a démontré de façon claire et plutôt convaincante la compatibilité entre le système d'action concret et le paradigme de complexité. D'où l'imminence

de la place que nous accordons volontiers à ces deux orientations dans une discussion sur la coopération d'un collectif hétérogène.

Dans une relation de coopération visant un objectif commun, lorsque les limites individuelles nécessitent la mise en commun des compétences, cohabitent deux tendances antagonistes et complémentaires à la fois. D'un côté, la convergence des acteurs qui sont engagés

et motivés par la réussite d'une collaboration à travers des actions et apprentissages collectifs. De l'autre, chacun des membres de ce collectif porte en lui ses intérêts propres à satisfaire. Les deux orientations ne vont pas dans le même sens au premier abord, mais à y regarder de près, elles peuvent s'alimenter pour aboutir à favoriser la dynamique collective en même temps que la satisfaction individuelle. L'attention doit donc être attirée par le dosage entre ces orientations. Pour motiver une équipe, il faut que les acteurs y trouvent leur compte. Considérations humaines, matérielles ou/et symboliques contre engagement peuvent résumer schématiquement l'équation à résoudre par l'ingénieur de l'action collective. Certes les contrats, les multiples règles formelles ou émergentes, et les relations interpersonnelles participent à la coordination. Mais sans une motivation suffisante, nul projet innovant ne pourra voir le jour et se mettre en oeuvre jusqu'au terme de son cycle de vie. La motivation peut d'ailleurs être, entre autres, un fort sentiment d'appartenance communautaire, un fort degré de certitude d'avoir suffisamment de moyens au service du projet dans lequel on s'engage, ou de confiance en la faisabilité de l'action.

Ce qui permet, en terme d'économie de moyens, d'évaluer la rentabilité escomptée de l'énergie

(temps, forces, sacrifices divers) dépensée individuellement comme collectivement. L'individuel

et le collectif ne sont pas, par conséquent, à opposer mais plutôt à faire s'équilibrer puisque sur une échelle plus large que le groupe, c'est l'ensemble des individus qui forment une société, qui humanise chaque personne. Alors plutôt que de se focaliser continuellement sur ce qui oppose ou désagrège, pourquoi ne pas problématiser autour de ce qui permet de fédérer ?

E. Durkheim dans Le suicide et M. Weber dans Sociologie de la religion ont exprimé chacun à leur manière l'existence d'une dichotomie dans le lien social. Ce que R. Boudon et F. Bourricaud formulent par le paradigme holiste, qui appréhende la société comme une totalité, et le paradigme individualiste comme un ensemble d'individus autonomes. Alors, en

128 Pascal Roggero (n. d.), "La complexité sociologique : éléments pour une lecture complexe du système d'action concret", in http ://w3.univ-tlse1.fr/LEREPS/publi/teleload/Roggero%202000-4.pdf

se référant à ces deux paradigmes, que peut-on dire en matière d'analyse stratégique dans le contexte particulier de l'enseignement supérieur comme organisation en pleine mutation et, donc,

qui se cherche ? Formulé autrement, comment se déroule le processus d'action collective centré

sur le projet d'établissement - en tant que dispositif de coopération au service du changement -

dans l'apprentissage d'un collectif en quête d'autonomie organisationnelle ?

B. Dans les contextes d'une université

Dès le milieu des années 1980, E. Friedberg et C. Musselin ont entamé une étude comparative du fonctionnement de deux universités françaises et deux allemandes dans une perspective de politologie organisationnelle. L'objectif était de saisir leurs modes de gouvernement.

Afin d'avoir une vue d'ensemble, dans un contexte général, le choix des observations s'est posé sur une étendue plus large que l'établissement proprement dit. C'est ainsi que C. Musselin élabore le concept de "système universitaire" comme étant le cadre national siège de trois pôles en interdépendance que sont : le type de gouvernance au sein d'un établissement, le style de pilotage du ministère tutélaire ainsi que les modes de régulations internes des disciplines. Elle postule que ces interdépendances influencent fortement l'action collective et les modes de régulation interne de chaque pôle (Brèves du CSO, 1998)129. Un tel concept permet à la fois de caractériser et d'analyser l'articulation entre le niveau local (micro) et

le global (macro). Or, qui dit articulation dit possibilité d'une observation autonome de chaque pôle, de chaque niveau.

Reprenant cette notion de système universitaire, notre étude est centrée sur le pôle gouvernance au sein d'une université, à travers le sous-système "projet d'établissement" que l'on qualifierait volontiers de niveau méso. Dans un premier temps, en mettant la démarche projet au centre, nous visons à la contextualiser par des hypothèses posées sur deux niveaux : d'un côté l'articulation entre l'autorité de tutelle (niveau macro) et l'autonomie de l'établissement ;

de l'autre la dynamique de l'action collective au niveau local. Mais avant d'aborder ces deux points, posons d'abord quelques repères. La problématique de l'action collective dans le contexte

de l'enseignement supérieur français peut être caractérisée par cinq points :

1- Une université agrège une très vaste palette de catégories de métiers contribuant à faire avancer ce grand paquebot quelque peu surdimensionné. Cette palette va des

129 Brèves du CSO, 1998 n° 7 - juin 1998, Centre de Sociologie des Organisations (UPR 710 - CNRS)

métiers de bouche, de l'hébergement, des technologies de l'information, de la logistique, du social, du médical, de l'administratif, jusqu'à l'enseignement proprement dit. Chacune de ces catégories se compose d'autant de diversités que de regroupements possibles, aussi cohérents les uns que les autres suivant le point de vue. Le cas des enseignants, notamment, illustre de telles imbrications de logiques. Il n'y a apparemment pas grand-chose en commun, par exemple, entre une équipe d'enseignants de Français Langue Étrangère et celle de l'informatique industrielle. Pourtant, dans une formation de Master Professionnel propre à leur discipline respective, elles se retrouvent préoccupées de la même manière par les questions relatives à la professionnalisation

des cadres et l'adéquation de la formation avec le marché de l'emploi.

2- Les différences interpersonnelles selon l'origine sociologique, la conviction politique, la conception "idéologique" du métier, les ambitions, la perspective professionnelle de chacun, mais aussi les affinités humaines et intellectuelles contribuent à désagréger ou, au contraire, souder les différents groupes d'acteurs. Ainsi, par exemple, ces deux enseignants vraisemblablement de conviction politique différente (l'un démocrate-chrétien, l'autre plutôt de gauche) se retrouvent à mener ensemble un combat intellectuel et humain en s'investissant dans

la formation des gestionnaires africains comme façon concrète de contribuer à remédier l'insoutenable situation de retard de développement de ce vaste continent.

3- La complexité de l'architecture d'ensemble des différentes formes de légitimité : légitimité élective, légitimité statutaire, légitimité par la compétence, avec les types

de pouvoir associés.

4- La multiplicité et la singularité des composantes organisationnelles au sein d'un même établissement. Cela est valable pour toute université d'une agglomération qui possède deux établissements ou plus, comme pour l'université unique.

5- Le rapport entre le mandat assigné par l'autorité centrale financeur et le projet de chaque établissement, c'est-à-dire la relation entre centralisation et autonomie de gestion.

Tous ces points évoluent dans un contexte très spécifiquement français où le système éducatif constitue une grande affaire d'État dans le cadre d'une société très sensible. Le poids de son histoire aussi, en dépit de plusieurs réformes successives, explique en partie son caractère centralisé.

De ce fait, trois interrogations attendent des débuts de réponse ou des axes de réflexion. Devant une telle complexité de paramètres, comparables à des forces multidirectionnelles enchevêtrées au sein d'une même organisation, comment trouver la

résultante qui exprime l'orientation globale ? Par ailleurs, la conciliation entre le pouvoir tutélaire

et l'autonomie comme voie de développement relève-t-elle d'une pure illusion en faveur de l'État central ou est-ce une perspective réaliste pour l'établissement ? Dans l'hypothèse optimiste, quelles en sont les conditions ? Nos réponses, loin d'être séquentielles, ni exhaustives, seront plutôt des réflexions englobantes établissant des connexions entre les divers aspects de ces questions. Ces constats de confrontation entre différentes logiques, souvent contradictoires, tendent à supposer qu'un chaos total règnerait dans l'enseignement supérieur français. Que nenni. Comme tout système complexe, mis en place et géré par un autre ayant une complexité supérieure à la sienne, il n'y a pas de raison d'avoir un blocage. Cependant, ce n'est certes pas le chaos, mais il s'agit tout de même "d'anarchies organisées" s'exclame C. Musselin130. Trois groupes de logiques sont, en fait, en tension, en plaçant l'établissement (à travers son projet) au centre de notre système :

En amont : la logique exogène et verticale de l'autorité de tutelle dont l'articulation avec celle de l'établissement se dessine dans le Contrat Quadriennal de Développement ;

Au centre : la logique endogène et verticale de l'établissement ;

En aval : la logique endogène et horizontale de chacune des composantes.

Une représentation par un schéma global procurera certainement une vue d'ensemble qui permet de situer rapidement certains enjeux. Nous proposons alors le schéma qui suit avec ceci comme précision : primo, l'on peut constater une certaine symétrie entre le fonctionnement ministériel et celui d'un établissement, en matière de projet. En effet, si le ministère doit présenter à la représentation nationale (au Parlement) son Projet Annuel de Performance, l'établissement ne peut se passer du vote de son Conseil d'Administration pour arrêter son Projet d'Établissement. Secundo, les deux éléments "Disciplines" et "Groupes d'intérêts" se trouvent bien entremêlés à l'intérieur de l'ovale représentant l'établissement même

si nous les avons placés, délibérément, en dehors dans ce schéma juste pour délimiter notre champ d'investigation. Mais, ce faisant, il n'est pas question de perdre de vue ces deux éléments importants qui expliqueraient bien de choses en matière d'analyse stratégique. Ils seront toujours présents, en filigrane, dans toute réflexion sur la vie d'un établissement.

Ce schéma place et relie les trois niveaux qui s'articulent : le tutelle l'établissement et les composantes.

130 Christine Musselin (1998), "Comprendre les systèmes universitaires", brèves du CSO n° 7 - juin 1998

MINISTÈRE DE TUTELLE

L T

POLITIQUE NATIONALE

PROJET ANNUEL

DE PERFORMANCE

Présenté au Parlement

Contrat Quadriennal

de

Développement

Partenaires

Institutionnels

Locaux Régionaux Internationaux

PROJET

D'ÉTABLISSEMENT

Voté par le Conseil d'Administration

BUREAU

Partenaires

Économiques

Locaux Régionaux Internationaux

UFR

DÉPARTEMENTS

Services

Centraux

Établissement

L E

Services

Communs

ÉCOLES

L C INSTITUTS

LABORATOIRES

Disciplines

Groupes d'intérêts

LT = Logiques Tutélaires

LE = Logique d'Établissement

LC = Logique des Composantes

Env = Environnement

PRJ = Projet

PRJ_ETB = Projet d'Établissement

PRJ_ETB = (PRJ (LT, LE, LC) Env)

Figure 13 : Projet au carrefour de 3 logiques

1. Articulation avec la tutelle

Les établissements de l'Éducation Nationale relèvent en France du service publique. De ce fait, "l'État définit la politique d'enseignement supérieur et la finance, les établissement et les personnels relèvent majoritairement de statuts publics, toutes les universités

se valent..." (E. Friedberg, C. Musselin, 1992).131

Évoquée la première fois à l'occasion du colloque de Villars de Lans en 1975, réunissant les présidents d'université et autres acteurs de l'enseignement supérieur, l'idée d'une contractualisation a mis une vingtaine d'années pour atteindre sa forme actuelle. Si le premier contrat de recherche a eu lieu en 1983, il a fallu attendre 1990 pour que les premiers contrats d'établissement soient signés. 1990 est aussi l'année où la Direction de la Programmation et de Développement Universitaire exprime son souhait de baser la négociation entre la Tutelle et l'établissement sur un projet. Le contrat quadriennal global, qui sert d'outil de négociation budgétaire, associant toutes les activités de l'université, démarre en 1993. L'État continue, malgré cette partie de négociation, à gérer 80% des fonds consacrés aux universités, contre 20% de la DGF (Dotation Globale de Fonctionnement). Au final, près de 16% du financement seulement faisait l'objet de contractualisation entre 1999 et 2002. C'est dire combien le degré de liberté des universités reste très faible. Le caractère centralisé du système universitaire français est tel que "comme il n'y a guère de marge de manoeuvre institutionnelle entre l'université et l'État, les instances ministérielles conservent leur rôle, qui consiste à accepter ou à repousser les projets"

(C. Beckmeier, 1992)132. Plus précisément, l'État intervient de deux façons : par les politiques d'enseignement ; et par l'allocation de ressources matérielles, financières et humaines pour financer lesdites politiques. Structurellement, prononcer des leitmotivs et légiférer en guise d'instruments d'incitation, en direction des universités afin qu'elles prennent leur autonomie partielle, ne va pas de soi sans le transfert du pouvoir décisionnel correspondant, ni la restructuration du fonctionnement ministériel. Sans une véritable révolution transformant l'habitus centralisateur ministériel, les relations entre tutelle et établissement tournent alors en une équation dont la résolution appelle une ingéniosité face à une confrontation complexe et

déséquilibrée entre les deux. Il en résulte un premier problème par rapport à l'équilibre entre les

131 Erhard Friedberg, Christine Musselin (1992), Le gouvernement des universités, Paris, Coll. Logiques Politiques, éd. L'Harmattan, p. 316.

132 Carola Beckmeier (1992), "Réseaux décisionnels dans les universités françaises et allemandes", in E. Friedberg, C. Musselin (1992), op. cit., p. 52.

deux premières logiques : la ministérielle et celle de l'établissement, c'est-à-dire le poids du bailleur face à l'autonomie de gestion133.

Si l'autorité de tutelle l'emportait sur l'autonomie, la logique de fonctionnement local s'apparenterait plus à celle d'une bureaucratie qu'à une université entrepreneuriale. L'action collective reviendrait à l'exécution des routines coordonnées par des règles, normes et coutumes institutionnelles habituelles. Les liens entre acteurs, entre les différents métiers seraient alors sous-tendus par la prédominance des questions de pouvoir au sens de l'analyse stratégique de M. Crozier et E. Friedberg, où la majorité des acteurs se comporte souvent comme des petits fonctionnaires au travail (M. Crozier, 1955)134. Dans une telle condition, la finalité d'une démarche projet se résume à la conception d'un dispositif servant de base, comme l'exige la loi, à

la négociation du Contrat Quadriennal de Développement avec l'État. Par conséquent, ce que l'on nomme "projet d'établissement" ne contiendrait alors que des éléments de conformité au cahier

des charges d'un grand argentier avec lequel le gouvernement de l'université tente de "grignoter" quelques milliers d'euros supplémentaires pour fonctionner au quotidien conformément aux orientations fixées par les décideurs ministériels. Afin d'augmenter la probabilité d'obtenir les quelques rallonges budgétaires escomptées, l'équipe de direction focalisera ses arguments sur plus de moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions plutôt qu'aux risques pris pour

la mise en oeuvre d'un projet innovant vecteur de changements. Parler de la relativité de l'autonomie devient lors un euphémisme. De même, parler de projet dans une telle configuration relève un peu du non-sens car intituler ce document "plan" serait plus approprié. Par ailleurs, ne rallie-t-on pas plus de monde en observant une attitude conservatrice qu'en cherchant à bouleverser les habitudes rassurantes ? Très souvent si. En évitant habilement de provoquer un phénomène de résistance, les gouvernants d'établissement peuvent assurer sans trop de peine une paix sociale. Cela peut être un excellent argument sécuritaire au service du confort pour l'exercice de leur mandat quand ils prennent conscience de l'importance des efforts à déployer pour transformer une organisation aussi ancienne et dotée d'une "personnalité" aussi singulière, loin de celle d'une entreprise sans être proche du monde associatif. Seulement, il n'est pas dit qu'un tel fonctionnement puisse être longtemps tenable pour un établissement d'enseignement supérieur tel qu'une université.

Cette hypothèse, pessimiste, ne reflète heureusement pas la réalité car des études du CSO ont montré que les universités françaises étaient bel et bien en mouvement.

133 Écartons volontairement les questions de la gestion des disciplines et du recrutement déjà traitées par Christine

Musselin.

134 Michel Crozier (1955), Petits Fonctionnaires au Travail, Paris, éd. du CNRS.

Dans l'hypothèse la plus optimiste, cette interaction ministère-établissement engendre un équilibre si l'établissement exploite sa relative autonomie pour atteindre les limites

de ses "zones proximales de développement" (S. Lev. Vygotski). Ce qui se traduit par la conception et la mise en oeuvre effective (avec allocation des moyens appropriés) d'un projet qui implique le plus grand nombre d'acteurs. La question d'action collective prend alors du coup tout son sens. Une enquête empirique approfondie dirigée par l'équipe de E. Friedberg et C. Musselin,

en 1988, a permis de constater que des changements importants étaient intervenus dans les universités françaises. Ainsi, soulignent les deux auteurs, "dans chaque établissement, nous avons pu identifier un groupe d'acteurs solidaires, l'équipe présidentielle, qui est porteur de politiques d'établissement dont la mise en oeuvre est engagée..."135. En tout cas, les discours des principaux acteurs comportent des éléments conduisant à considérer que l'idée de la nécessité de moderniser le fonctionnement universitaire, avec une prise de conscience de leur part de responsabilité dans certains problèmes, fait son chemin. Cependant, les auteurs relativisent aussitôt cette observation à cause des écarts constatés entre la pensée et le difficile passage à l'action car "les opinions favorables disparaissent pour céder la place aux résistances dès qu'il s'agit de passer aux actes"136. Cette fois, même si l'équipe dirigeante se donne les moyens de rendre actif le projet d'établissement co-élaboré - quelle que soit la modalité de cette élaboration collective -, les résistances aux changements peuvent entraver sa mise en oeuvre.

Soulignons toutefois que, contrairement aux auteurs qui semblent ne considérer dans leur analyse que les relations entre enseignants, directeurs des composantes et présidence, reconsidérer les places et les rôles des autres catégories de personnel doit participer largement à une nouvelle orientation de l'université. En effet, loin du cercle de décision pourtant, elles parviennent aussi à déverser leurs grains de sables dans certains rouages du mécanisme de changement. À se demander si le fait de se trouver à une position de "serviteurs" du métier ne leur fasse pas pencher plus du côté des conservateurs que des novateurs. Cela a été constaté au cours de plusieurs immersions dans deux universités durant ces six dernières années. En tant qu'observateur participant137, nul doute que nous pouvons souligner combien le rôle joué par certains personnels non-enseignants est loin d'être une variable à minimiser quel que soit leur

poids statistique.

135 in Erhard Friedberg, Stéphanie Mignot-Gérard, Christine Musselin (n. d ), "Les incidences du changement sur le gouvernement des université"

136 Erhard Friedberg, Stéphanie Mignot-Gérard et Christine Musselin (n. d.), op. cit.

137 comme étudiant, élu au sein d'un conseil d'UFR, dirigeant d'une grande fédération d'associations d'étudiants, salarié ou encore stagiaire toujours intéressé par la question de la gouvernance et de l'action collective dans le système universitaire.

Dans cette revue générale des acteurs, leviers et/ou freins, de l'effectivité des changements susceptibles d'être impulsés par la "viabilisation" du projet d'établissement, la présence presque anecdotique d'étudiants dans le pilotage de l'université interpelle138. Certes, des élus étudiants siègent dans les différents conseils, mais combien pèsent leurs voix dans les instances de délibération quand leurs votes ne sont pas récupérés par les différents groupes influents ? Avec une légitimité élective, sont-ils vraiment représentatifs de l'ensemble des étudiants ou uniquement de la minorité militante dont quelques individualistes qui poursuivent une finalité personnelle ? Au final, le parti des "usagers" que sont les étudiants n'apparaît vraiment dans l'orchestre de la gouvernance de l'établissement qu'en cas de crise pour jouer la partition de la revendication. Une expérience personnelle nous a permis d'observer ce mécanisme

de fausse représentativité chez les étudiants139. I. Ekeland, Président de l'Université Paris- Dauphine en 1993 livre, à ce propos, un témoignage éloquent : "Par exemple, les élus étudiants n'appartiennent pas, généralement, à de grandes organisations nationales. Leur représentativité

est relativement douteuse en ce sens qu'ils ne représentent qu'eux-mêmes. Comme, par nature,

les étudiants sont des gens de passage, et que les étudiants ne votent pas, une sorte de jeu pervers

en résulte. Il suffit ainsi de très peu de voix pour être élu. Il est clair que 4 ans plus tard, quand tout le monde est sorti de l'université, tout est oublié. Ainsi, on a un ensemble de quelques personnes qui essentiellement représentent des intérêts particuliers à un moment donné et dont

on sait très bien que ces derniers n'ont pas d'avenir et pas beaucoup de passé"140. Il y a clairement

ici une solution ou des solutions à concevoir. L'ingéniosité et la fertilité des recherches universitaires devront apporter leur contribution à cette tâche.

Ces remarques sur l'absence ou la négligence de la place des personnalités extérieures, des non-enseignants et des étudiants dans l'analyse des interactions au sein des établissements d'enseignement supérieur français viennent du fait que l'université est pilotée, au niveau de l'établissement, quasi-uniquement par une collégialité professorale. Or, "La gouvernance et l'organisation de l'Université doivent répondre au principe de représentativité

maximale de tous les membres qui la constituent" (E. Morin, A. Pena-Vega, 2003)141.

138 Paul Leroy (1992), "Contribution à une réflexion sur le pouvoir dans les universités françaises à partir de la réalité grenobloise" in E. Friedberg, C. Musselin (1992), Le gouvernement des universités, Paris, Coll. Logiques Politiques, éd. L'Harmattan, p. 118. Les chiffres présentés par l'auteur sur les universités grenobloises des années 80-90 sont assez représentatifs de la réalité nationale.

139 En tant que secrétaire général, puis vice-président d'une grande fédération d'associations d'étudiants à Lille 3.

140 Ivan Ekeland, (1993), "Le métier de président de l'université", discours prononcé lors des Petits Déjeuners

"Confidences" organisé par les Amis de l'École de Paris, in http://www.ecole.org

141 Alfredo Pena-Vega, Edgar Morin (coord.), (2003), "Université, quel avenir ?" Propositions pour penser une réforme, Paris, Éditions-Diffusion Charles Léopold Mayer. / Association pour la Pensée Complexe (APC).

Ainsi, la volonté d'exploiter l'autonomie de l'établissement pour le conduire vers le progrès est avérée ; seulement des difficultés internes freinent la progression. La logique verticale présidentielle se heurte à celles des composantes et des acteurs individuels ou groupes d'intérêt particuliers (laboratoires, coalitions de toute sorte, différentes catégories du personnel). Alors, qu'en est il de ce deuxième type de logique ?

2. Logiques des composantes

Pour qu'il y ait décisions, notamment décisions projectives, cette collégialité implique "un accord sur les finalités organisationnelles" (E. Chaffee, 1983)142. Comment obtenir

un accord qui soit satisfaisant pour toutes les parties dans une organisation constituée, par exemple, d'une vingtaine de composantes143 ? Le processus de la conception du Projet d'établissement 1999-2003 de l'Université de Nantes, décrit par J.-P. Bréchet, est une possibilité

qui a le mérite de mobiliser tous les protagonistes représentés par deux ou trois experts, issus de chaque composante, repartis dans diverses commissions. Ensuite, les réunions de travail avec les instances consultatives (pour avis, propositions de rectification) avant de passer devant une instance délibérative (pour décisions) donnent une image très démocratique pouvant compléter et rendre notre réponse "parfaite". Le pouvoir, pour citer Habermas (1986)144, n'est pas "l'instrumentalisation de la volonté d'un autre, mais la formation d'une volonté commune pour une communication orientée vers l'obtention d'un accord". Ce qui suppose que "le consentement

des gouvernés soit mobilisé pour des buts collectifs". Pourtant, bien qu'éthiquement et politiquement irréprochable, cette démarche ne répond pas exactement à la question posée ou - disons le autrement - ne satisfait pas toutes les dimensions sous-tendues par cette question puisque procéder ainsi n'ôte pas l'épineux dilemme entre le projet collectif et le projet individuel

de chaque composante. Certes, le problème de la mobilisation de l'intelligence collective trouve une solution efficace dans cette modalité d'élaboration du Projet d'établissement de l'Université

de Nantes en coordonnant de la sorte la coopération. Mais il reste à résoudre la question fondamentale de l'articulation entre les intérêts collectifs et les intérêts particuliers ; la logique

verticale de l'établissement et la logique horizontale de chaque composante. Cette question est

142 E. Chaffee (1983), Rationnal Decision Making in Higher Education, Boulder, Co, National Center for Higher

Education Management Systems.

143 Certaine littérature parle de " départements" mais utilisé dans le contexte des universités françaises, il risque d'y avoir

des confusions avec la possibilité de présence de département(s) au sein d'une UFR. Nous préférons pour cette raison le terme "composantes", plus général et englobant.

144J. Habermas (1986), "Hannah Arendt's Communications Concept of Power" cité par Cynthia Hardy (1992), "Les stratégies internes des universités canadiennes face aux restrictions budgétaires", in E. Friedberg, C. Musselin, op. cit. p.

77.

d'autant plus problématique parce que le tout (l'établissement) n'est pas réductible à la somme de

ses éléments. De même, quand la logique générale aura vu le jour dans un document scriptural final de construction commune, il ne suffit pas d'appliquer la méthode cartésienne en saucissonnant le problème jusqu'au plus petit élément pour y voir poindre des solutions qui satisfassent chacun. Quand bien même, dans les différentes phases décrites par J.-P. Bréchet, il y

en ait qui soient consacrées à l'arbitrage, il reste à trouver quel procédé permettrait d'effectuer un arbitrage entre dix-neuf composantes de constitution très différentes, services communs, catégories professionnelles particulières et l'entité université unique qui puisse être satisfaisant pour tous ? Peut-être alterner la réalisation des priorités de chacun inscrit dans un plan décennal.

Or, le mandat présidentiel comme le Contrat Quadriennal ne dure que quatre années, sauf à reconduire la même équipe pour un deuxième mandat. Ce qui est peu probable dans la réalité pour ce qui est du mandat, est impossible concernant le Contrat Quadriennal. Un autre argument

qui s'oppose à une telle proposition est inhérent au rythme de l'évolution du contexte socioéconomique avec lequel l'enseignement universitaire se doit d'être en cohérence, même si le système éducatif n'est pas exactement un agent servile aux fluctuants besoins conjoncturels du patronat. La mise en adéquation entre logiques particulières et logique générale serait alors l'ombre même du management d'un établissement d'enseignement supérieur que nulle méthode

ou posture intellectuelle ne peut rattraper ? Ce qui confirmerait, au final, l'hypothèse de P. Perrenoud145 qui soutient que "la gestion par projets est une façon de décentraliser les contradictions et les impasses du système éducatif, de remettre aux établissements un pouvoir de décision qui apparaît comme un cadeau empoisonné" en parlant de la décentralisation du système éducatif, en général. Rien n'est si sûr. Cela ouvre en tout cas une perspective de recherche intéressante.

Et si la difficulté de répondre aux exigences de chaque composante par l'établissement venait en partie de la logique de celui-ci ou des contraintes auxquelles il est soumis ?

3. Logiques d'établissement

Un établissement universitaire se trouve, d'après ce que nous venons de voir, pris en tenaille entre deux types de logiques qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre : en amont la puissante tutelle qui détient les nerfs de la guerre, en aval les exigences des composantes. Une

145 Philippe Perrenoud (1999), "L'établissement scolaire entre mandat et projet : vers une autonomie relative ", p. 5. Texte

de la conférence d'ouverture du colloque international organisé conjointement par l'AFIDES et l'Université de Montréal

"Autonomie et évaluation des établissement : l'art du pilotage au printemps du changement", Montréal, 14-16 octobre

1998.

troisième force source de pression, bien que laissée volontairement en arrière plan dans cette étude146, sont les disciplines elles-mêmes ; le métier en somme, en tandem avec le corporatisme. Aux gouvernants épaulés par le système administratif alors de gérer toutes ces contraintes. Ne perdons pas de vue qu'avec l'ancrage dans un environnement mouvant, des influences du milieu amènent aussi d'autres paramètres qui interagissent avec les contraintes internes.

Cependant, parler de contraintes pour qualifier ces différentes forces n'est pas

les définir forcément comme freins ou obstacles. Ces éléments portent en eux dialogiquement les vertus créatrices comme les vices de destruction. Après tout, "ne vouloir faire société qu'avec ceux qu'on approuve en tout, c'est chimérique, et c'est le fanatisme même" dit Alain. Alors, c'est

à l'établissement de définir et de mettre en oeuvre une politique apte à transformer le maximum

de contraintes en leviers d'actions favorables à son évolution. Ce en quoi la démarche projet constitue un dispositif très pertinent, efficient, à condition qu'elle soit conçue, élaborée, mise en oeuvre et évaluée au terme de son cycle de vie. À condition aussi que l'université se dote des dispositifs de pilotage plus performants que ceux existants, et que sa politique et sa performance soient évaluées pour en tirer des feed-back ou des retours récursifs, sources d'apprentissage.

S'il fallait le dessiner, le projet d'établissement entrepreneurial ressemblerait à

un quadripode à multiples facettes, fondé, finalisé et porté par un patchwork d'acteurs dont la force résultante fait voguer l'université dans un environnement complexe vers la performance, tout en gardant les valeurs de ses missions. Par entrepreneurial nous entendons une disposition à exploiter les possibilités au-delà des moyens disponibles. Ce qui suppose une ingéniosité entendue au sens donné par H. A. Simon, E. Morin ou J.-L. Le Moigne.

Certes il y a les logiques verticales de la tutelle ; certes un établissement d'enseignement supérieur comporte, en son sein, des éléments tantôt créateurs, tantôt destructeurs ; et le tout évolue dans un océan d'incertitude. Mais plutôt que de subir, la logique

de l'établissement devrait être une logique de pragmatisme et d'ingéniosité. Piloter un établissement consiste, à ce titre, à trouver une forme d'harmonie de tout cet ensemble disparate.

En fixant les caps des étapes clefs entre l'actuel et le futur désiré, l'équipe de dirigeants se doit de

se servir de toutes les forces en interaction pour construire le mécanisme d'horloge qui s'auto- organise. Ce qui exige une double posture : le respect des missions de service public confiées par

la société et la capacité d'entreprendre de réelles innovations au-delà de simples ravalements de façades. "En bref, les systèmes nationaux sont des instruments de réformes contondants. L'État,

ou d'autres bailleurs de fonds, ne peut mener à bien la réforme des universités. Seules les

146 En nous référant à ce que d'autres ont écrit là-dessus.

universités elles-mêmes peuvent prendre les dispositions essentielles" (B. Clark, 2001)147. Cette épineuse question de réforme de la gouvernance de l'université n'est pas le signe de la faiblesse

du système français puisqu'il s'agit d'une préoccupation planétaire. Ainsi, observe Clark Kerr au début des années 90, "Pour la première fois, on voit se profiler un monde de l'apprentissage réellement international et hautement compétitif. Si vous voulez vous placer sur cette orbite, vous ne pourrez vous fier qu'à vos propres mérites. Inutile de compter sur la politique ou sur quoi que ce soit d'autre. (...) La direction entrepreneuriale doit se développer de pair avec l'autonomie institutionnelle"148. Or, tout cela peut-il se concevoir sans faire évoluer le mode de désignation de présidence d'une université ? En clair, comment peut-on accéder au sommet d'une aussi grande organisation complexe avec l'onction des urnes sans avoir eu aucune formation préalable ? N'est-

il pas temps de songer à la professionnalisation des gouvernants des établissements d'enseignement supérieur public en France ?

En résumé, deux perspectives importantes se dégagent de ce regard sur les logiques d'établissement. On constate une nécessité d'entreprendre une nouvelle modélisation de l'université afin de lui faire tendre vers une évolution caractérisée par un renforcement de l'axe

de pilotage en englobant l'entité centrale et les composantes et en conciliant les valeurs traditionnelles et les missions avec de nouvelles valeurs de gestion. Financièrement, afin de réduire la grande dépendance avec un ministère de tutelle, multiplier les origines des ressources. Enfin, redéfinir la collégialité universitaire. Concevoir, en somme, un nouveau, un vrai projet entrepreneurial constitue la source d'une certaine forme de subsidiarité. "C'est tout un projet !", ironiserait le sceptique. Mais bien souvent, "le progrès n'est que l'accomplissement des utopies" rétorquerait Oscar Wilde149, si toutefois il y a utopie. Nous pensons que le défi à relever reste parfaitement réaliste bien qu'il faille compter sur la prégnance du facteur temps parce qu'on ne réforme pas une organisation aussi ancienne et aussi complexe en une décennie. Et dans cette perspective d'une longue évolution, sans trop traîner non plus, la nécessité absolue de donner aux futurs gouvernants de l'université une formation, nous semble revenir en tête de la liste. En effet,

"depuis le début du XIXe siècle, ce n'est plus le secret qui légitime "les arts de gouverner" en

147 Burton Clark (2001), "L'université entrepreneuriale : nouvelles bases de la collégialité, de l'autonomie et de la réussite "

in Gestion de l'enseignement supérieur, Vol 13, N° 2, OCDE, 2001, p. 11.

148 In Burton Clark, op. cit. tiré de Banque Mondiale (1998), Rapport sur le développement dans le monde : le savoir au service du développement.

149 Oscar Wilde, in L. Boyer, M. Marchesnay, (2003), La stratégie en citations, Éditions d'Organisation.

Europe. C'est la science" (O. Ihl et all., 2003)150. Vient en deuxième place la question d'une réelle autonomie qui crée l'unanimité entre la majorité des chercheurs préoccupés par le sujet.

En conclusion, toutes ces pistes d'innovation de la gouvernance et la gestion doivent passer par un enrichissement de la culture universitaire en matière de compétences en projection. En effet, "De nos jours, l'entreprise ne peut plus être organisée selon une seule logique, par exemple, hiérarchique descendante. L'attention accordée actuellement aux organisations par projet, aux processus, montre que c'est la finalité qui compte de plus en plus, c'est-à-dire la capacité des composantes de l'organisation à nouer les coopérations les plus efficaces pour faire face à un événement donné." (J.F. Raux, 1996)151. Plus que pour faire face à

un évènement, l'entreprise se doit de se donner une capacité d'anticipation pour l'ensemble de son fonctionnement. Ce qui ne relève pas uniquement d'une volonté de faire, mais aussi et surtout d'une volonté d'apprentissage organisationnel. Il s'agit d'un double apprentissage : celui de l'Acteur, collectif, et de l'acteur individuel. Nous estimons en effet que, autant l'organisation de la division du travail regroupe les Acteurs en trois catégories - Acteur Politique, Acteur Ingénieur, Acteur pragmatique -, autant chaque acteur est à la fois politique, ingénieur et pragmatique. Et l'espace d'activité du Politique est couvert et couvre réciproquement ceux de l'Ingénieur et du Pragmatique. Seulement un tel agencement, en système un peu complexe mais plus cohérent, permettra d'optimiser toute organisation par projet, en tout cas pour ce qui est de l'activité humaine. Il en va inévitablement de la révision de la notion de responsabilité. Pour un projet donné, ou un des modules d'un projet, la responsabilité hiérarchique habituelle devrait céder la place à une responsabilité totale de chaque acteur individuel ou groupe d'acteurs concerné par un processus dans la mesure où il est aussi Acteur (qui ne peut pas être démembré). Or, nous l'avons déjà souligné, un Acteur est à la fois Politique, Ingénieur et Pragmatique. Ces trois facettes d'une seule entité, en effet, ne se distinguent que fonctionnellement en partie car elles sont inséparables. Ainsi, l'ensemble des processus allant de la conception à l'évaluation finale du projet, en passant par la mise en oeuvre, trouvera une plus grande cohérence et sûrement plus d'efficacité. Pour trouver un consensus entre plusieurs composantes d'une organisation complexe,

il faut aussi un dispositif complexe.

150 Olivier Ihl, Martine Kaluszynski, Gilles Pollet (2003), Les sciences de gouvernement, Paris, éd. Economica, p. 4e de couverture.

151 J.F. Raux, (1996), "Entreprendre et diriger", p. 20, in Marie-José Avenier (coord.), 1997. La stratégie "chemin faisant", Paris, éd. Economica, p. 269.

Selon H. SAOUD (2005)152, "Pour briser ces cercles vicieux bureaucratiques, Crozier propose d'ouvrir la boîte noire [...] et d'analyser empiriquement ce qui se passe dans l'application. C'est là que l'analyse stratégique des organisations élargie à l'analyse du système apporte sa contribution." Venons-en alors maintenant à l'ouverture de notre boîte noire qu'est le

Projet d'Établissement 2004-2007 de l'Université de Nantes.

152 Hicham Saoud (2005), "La contribution de l'analyse sociologique de Michel Crozier au Management Public", Document préparé dans le cadre du séminaire RECEMAP - IAE Lyon 2 & 3 juin 2005.

LE CONTENU D'UN PROJET D'ÉTABLISSEMENT

IIIe PARTIE~

LE CONTENUD'UNPROJET D'ÉTABLISSEMENT

"Mais il se trouve que la méthode s'applique toujours à une idée.

Or il n'y a pas de méthode pour traquer les idées. Ou alors, ce qui revient au même,

tout est bon pour les idées: l'analogie, le plagiat, l'inspiration, la séquestration, le contraste, la contradiction, la spéculation, le rêve, l'absurde...Un plan pour acquérir des idées n'est profitable que s'il nous incite continuellement à l'abandonner, s'il nous invite à nous détourner de lui, à humer l'air à droite à gauche, à nous éloigner, à tourner en rond, à divaguer, non pas à nous laisser guider vers l'obtention des idées, mais plutôt à nous disposer au traitement de celles-ci. S'accrocher avec rigueur à un plan de recherche d'idées constitue une anesthésie pour l'intuition."

Jorge Wagensberg

Après la contextualisation de cette recherche dans la première partie, suivie par une deuxième partie consacrée à la construction d'un ensemble d'outillages théoriques susceptible d'éclairer certains enjeux et problématiques soulevés par l'approche systémique de notre sujet, nous voici en route pour une lecture du fait organisationnel plus empirique que constitue le contenu d'un projet d'établissement d'enseignement supérieur. N'en ayant pas trouvé

de semblable dans la vaste littérature consacrée à la gouvernance, la modernisation et plus spécifiquement aux réflexions sur l'urgence de rendre les établissements publics d'enseignement supérieur plus autonomes, cette démarche semble être un précédent avec tout ce que cela ne manque pas de comporter. Une première exploration donne souvent, aux yeux des ses successeurs, l'image d'une action très rudimentaire, teintée d'un manque d'application, d'une insuffisance méthodologique ou d'une mauvaise lecture des manifestations si apparentes du phénomène étudié. Loin de nous donc l'idée, même la plus secrète, d'une entreprise qui apporterait d'énormes nouveautés par rapport à l'état actuel des connaissances sur le contenu d'un projet d'établissement qui constitue le coeur de cette étude. Nous espérons surtout parvenir à soulever le couvercle de la "boîte noire", et fait une description générale enrichie par des interrogations. Alors, après avoir donné quelques repères méthodologiques, nous expliquerons

les différentes étapes en amont et l'analyse proprement dite du corpus avant d'en interpréter les résultats. Une modélisation de ces derniers illustrera nos constats avant de tirer les enseignements possibles dont toute cette recherche aura pu nous enrichir. Le rêve ou l'idéal peut donc être grandiose, mais le principe de réalité maintiendra la juste modestie pour dire que l'ultime objectif de ce travail consiste à une découverte du projet dans le contexte d'une partie du

système éducatif.

CHAPITRE 5

DÉMARCHES MÉTHODOLOGIQUES

Cette recherche vise à en apprendre de manière plus approfondie sur un dispositif de management parmi la palette d'outils existants et actionnés dans la gestion quotidienne comme dans la gestion stratégique de toute organisation entrepreneuriale.

Étant formé pour être qualifié à assurer la direction d'un établissement ou organisme de formation, affirmer notre choix d'opter un établissement d'enseignement supérieur comme terrain de recherche serait alors partiellement tautologique. En effet, s'intéresser à l'une

des activités d'un établissement de formation, d'enseignement ou d'éducation pour des futurs directeurs n'a rien d'original. Le contraire serait étonnant. En revanche, orienter sa recherche vers

tel ou tel type d'établissement mérite toutes les explications que nous avons données dans la contextualisation de la recherche. À cela nous rajoutons que la complexité de lecture d'une organisation aussi grande et aussi composite nous a aussi particulièrement attiré vers l'université unique et multidisciplinaire de Nantes. Ne dit-on pas "qui peut plus, peut moins" ? Notre retour dans deux établissements secondaires nous a confirmé, en effet, qu'après avoir déployé un effort pour tenter de cerner un grand établissement d'enseignement supérieur, l'on est suffisamment entraîné pour évaluer, en un temps raisonnable, les différents fonctionnements d'un établissement plus petit ou de taille moyenne. Ainsi, l'Université de Nantes nous sert de terrain, ou autrement

dit, de population pour cette recherche.

L'étude des représentations que se fait une population d'un phénomène relatif à l'éducation (au sens large), la recherche des typologies ou des mécanismes explicatifs sont autant d'axes de recherche habituels dans la tradition des sciences de l'éducation notamment de la sociologie comme l'ethnologie de l'éducation. Notre recherche se distingue légèrement de cette tradition dans la mesure où il n'est pas question ici d'étude des représentations, mais plutôt d'une recherche de compréhension du mécanisme de fonctionnement d'un dispositif de gestion. Ce qui place notre sujet à un carrefour entre les sciences de l'éducation et la gestion. D'ailleurs, comme

il y a la sociologie, l'histoire, le droit et l'économie de l'éducation, notre étude relève bien de la

gestion de l'éducation.

D'où la spécificité aussi de la construction méthodologique qui ne peut pas être exactement similaire à celles utilisées pour toutes ces branches de recherche. Au lieu d'appréhender le terrain par une enquête ou un entretient (directif, sémi-directif) avec des questions ouvertes ou fermées, etc., c'est son Projet qui nous intéresse à travers le document rédigé intitulé "Projet d'établissement 2004-2007 de l'Université de Nantes". Ce document, un dispositif de gestion parmi d'autres, constitue donc l'échantillon qui a été choisi. Enfin, l'analyse

du contenu nous sert de moyen méthodologique pour l'étudier.

Explorer l'intérieur d'un dispositif de gestion qui prend certes de plus en plus d'importance dans la vie des entreprises comme dans celle d'un établissement de formation, mais dont on ne connaît pas encore grand-chose du contenu, appelle un effort particulier de prudence dans la méthodologie d'approche. La rigueur habituelle des méthodes quantitatives sert à réduire

au minimum la prégnance éventuelle, logiquement probable, de la subjectivité du chercheur. Cependant, une rigueur toute numérique appliquée aux sciences humaines comporte aussi le risque de retour quelques siècles en arrière pour retomber dans la fameuse "physique sociale". Malgré l'évolution des outils méthodologiques, rendue possible par l'usage de plus en plus incontournable de l'informatique, nous estimons encore plus que jamais indispensable d'avoir recours à une méthodologie qualitative en complément du quantitatif.

Nous allons, pour ces raisons, effectuer cette "exploration" à l'aide d'un outil d'analyse quantitative de discours plus avec le logiciel Alceste qui sera complété par une posture délibérément qualitative durant toute l'étape d'interprétation des résultats. Cela sera fait dans l'espoir de mieux comprendre ou, du moins, mieux remarquer les faits essentiels qui se dégageront de ce Projet. Après les éléments indispensables à l'identification de ce choix méthodologique, suivi des étapes de préparation du corpus, ce chapitre s'achèvera sur la problématique de cette recherche et nos différentes hypothèses.

I. Approches méthodologiques

A. Analyse de contenu à l'aide d'Alceste

1. Analyse de contenu

Une précision préalable est indispensable : travailler sur un document pour procéder à l'analyse de contenu n'a rien à voir avec l'analyse documentaire. En effet, "opération

ou ensemble d'opérations visant à représenter le contenu d'un document sous une forme différente de sa forme originelle afin d'en faciliter la consultation ou le repérage dans un stade ultérieur"153, l'analyse documentaire fait partie des activités au service de la gestion d'un centre de documentation.

Au croisement entre les techniques "artisanales" et l'informatisation, l'analyse

de contenu recouvre une palette de pratiques allant de l'analyse traditionnelle faite à la main, à l'utilisation de logiciels spécialisés. Cet état de fait résulte naturellement de l'évolution de la méthode et de son usage accru depuis l'après-guerre. Il vient aussi d'une rencontre entre les théories du langage et l'informatique. L'efficacité de ses résultats a rependu l'utilisation de l'analyse de contenu dans la psychologie, la sociologie, la politologie ainsi que dans les sciences

de gestion.

L'étude de notre corpus - le projet d'établissement de l'Université de Nantes -

ne trouve pas mieux comme outil d'investigation. La définition qu'en a donnée B. Berelson pourrait suffire déjà pour s'en convaincre :

"L'analyse de contenu est une technique de recherche pour la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste de la communication."154

Bien entendu, une telle définition datée des années 40-50 est loin d'être satisfaisante tant elle est restrictive. Depuis, il est revenu sur sa propre définition pour déclarer : "L'analyse de contenu, comme méthode, n'a pas de qualités magiques" et "on en retire rarement davantage que ce que l'on y met et quelquefois moins - en fin de compte, il n'y a pas de substitut aux bonnes idées". Dans ce cas à quoi bon s'y attarder encore ? L'évolution de cette technique reflète peut être tout simplement les caractéristiques de l'épistémologie d'une science carrefour puisque L. Bardin, dans la première partie de son ouvrage, retrace l'historique d'une technique marquée de hauts et de bas ; des aventures plus ou moins solitaires à la convergence d'attention entre plusieurs disciplines pour aboutir à une approche pluridisciplinaire en faisant collaborer des branches de la linguistique avec les statistiques et l'informatique. Aujourd'hui, l'analyse de contenu a atteint un niveau de sophistication tel dans ses outils, tout en restant commode d'utilisation, que son usage couvre des champs aussi diversifiés que la lexicométrie, l'énonciation linguistique, l'analyse de conversation, l'analyse documentaire...etc. au service des linguistes,

des chercheurs en sciences humaines et sociales, en journalisme, jusqu'aux sciences politiques.

153 Laurence Bardin (2003), L'analyse de contenu, Paris, coll. Le psychologue, PUF, p. 50.

154 Idem, p. 21

Une idée motive le recours aux outils méthodologiques en sciences sociales comme en gestion : la recherche de plus d'objectivité. Ce qui est à distinguer du scientisme. Pour

y parvenir, il y a deux déclinaisons opératoires :

- Dépasser les limites des possibilités offertes par les cinq sens humains, si puissants qu'ils puissent être. C'est l'occasion par ailleurs de plus de distanciation.

- Accroître l'échantillonnage, voire l'exploitation du matériau dans sa totalité, quelle qu'en soit la taille, sans qu'il faille le saucissonner en plusieurs morceaux entre plusieurs regards avant une impossible recomposition des résultats.

Au final, l'objectif étant d'obtenir des résultats délestés du plus de préjugés possibles, heuristiques et, de ce fait, répondant au plus près aux interrogations du chercheur dans

sa précision tout en fournissant des arguments solides de confirmation, d'infirmation ou de découverte. Alors, quel en est le champ d'application ? P. Henry et S. Moscovici répondent : "Tout ce qui est dit ou écrit est susceptible d'être soumis à une analyse de contenu." 155 De cela découle la définition de l'analyse de contenu par L. Badin comme "Un ensemble de techniques d'analyse des communications visant, par des procédures systématiques et objectives de description du contenu du message, à obtenir des indicateurs (quantitatifs ou non) permettant l'inférence des connaissances relatives aux conditions de production/réception (variables inférées) de ces messages."156

La méthodologie Alceste figure parmi la courte liste des outils/méthodes les plus performants et prisés par la majorité de la communauté scientifique du moment. Enfin, pour enfin être plus opératoire, explorons Alceste sans trop nous attarder sur les détails pointus des outils statistiques dont elle se sert mais qui, raisonnablement, peuvent être considérés comme acquis avant le cycle Master ou à acquérir dans les ouvrages abondants qui lui sont dédiés.

2. Principes du fonctionnement d'Alceste

Dès 1974, M. Reinert met au point une méthode de Classification Descendante Hiérarchique (CDH) qui s'inspire de l'Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) du Mathématicien J.-P. Benzecri. Et il va se démarquer à la fois de l'analyse de contenu, de l'approche linguistique des textes et de la lexicométrie.

155 In Laurence Badin (2003), op. cit. p. 36.

156 Laurence Badin (2003), op. cit., p. 47.

Conçue à l'intersection de l'analyse des données statistiques appliquée à la linguistique de J.-P. Benzécri et l'analyse de contenu en psychologie sociale, la Méthode Alceste (Analyse des Lexèmes Cooccurrents dans les Énoncés)157 de M. Reinert s'inscrit dans le courant

de statistique textuelle de P. Achard. Elle a pour objectif la quantification d'un texte pour en extraire les structures les plus significatives qui sont liées à la distribution des mots. Or, cette distribution, qui n'est pas un fruit du hasard, dessine un univers dit "monde lexical".

À l'affirmation de Foucault selon laquelle le thème d'un discours circule d'énoncé en énoncé, Reinert poursuit en précisant que : "Ce qui reste de cette circulation du sens dans un discours, c'est le texte. Mais le sens [note : En cela le sens se différencie nettement de la signification] n'est pas dans le texte, le sens était dans le temps de cette circulation, dans le dynamisme d'une parole réelle. Il reste cependant dans le texte, une trace formelle du passage de l'objet, non seulement à travers les significations construites, représentées, mais aussi à travers ce

qui se montre seulement comme des traces de pas. Si le sens particulier à l'origine du texte semble à jamais perdu, un ordre temporel, linéaire, s'y est déposé, dont la lisibilité dépendra de l'expérience réelle d'un lecteur, avec sa propre scansion, susceptible de mettre en résonance sa propre histoire. (...) notre propos avec Alceste n'est pas d'analyser la signification représentée dans un texte dans sa complexification progressive. Le texte est déjà là dans toute sa complexité

et suffit à la montrer. Notre propos est plutôt d'aller à contre-sens, vers cette origine objective et dynamique, présente dans les traces les plus immédiates, les moins pensées. Et pour cela il faut déconstruire le texte ; à chaque pas, cerner une marque de ce qui s'offre spontanément. Pour cela,

le discours doit s'entendre dans le rythme de ses moments toujours renouvelés. Ce n'est pas tant

qui parle, ou ce qui se dit, qui nous intéresse mais d'où ça parle, à chaque instant ! (...) Aller vers l'origine topique du sens plutôt qu'à sa poursuite, telle fut notre premier désir avec Alceste." (M. Reinert, 2001)158.

Purement formelle, la logique d'Alceste ne s'occupe pas des critères de contenu. Ainsi, plus important deviennent les relations entre les classes que les classes elles- mêmes bien qu'il ne faille pas, pour autant, les négliger.

Le monde lexical est la "trace lexicale" d'un "référent" (dont la matérialité n'est

pas obligatoire) ou "point de vue" qui sert à l'orateur pour construire ses énoncés. Pour illustrer cette idée de monde lexical, reprenons deux énoncés proposés par M. Reinert lui-même :

157 ALCESTE : Analyse des Lexèmes Cooccurrents dans les Énoncés. Nous reviendrons plus tard sur la signification logique de ce nom.

158 Max Reinert (2001), "Alceste, une méthode statistique et sémiotique d'analyse de discours ; Application aux 'Rêveries

du promeneur solitaire", La Revue française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, V (49), pp. 32-36.

Énoncé 1 : "Camarades si impérialisme déclare guerre aux soviets notre position sera conformément aux directives troisième internationale position des membres parti communiste français."

Où la trace lexicale est : l'idéologie communiste

Énoncé 2 : "Des orages artificiels sur des baraques de chiffons dont les fenêtres sont faites de roseaux jaunes."

Où la trace lexicale est : un espace naturel

L'analyse des traces lexicales d'un ensemble de discours permet de différencier globalement les référents qui sont les lieux à partir desquels l'énonciateur énonce. Or justement,

la méthodologie Alceste vise à mettre en évidence les "lieux" les plus fréquentés par l'énonciateur grâce à la fréquence des traces lexicales identifiables statistiquement.

Un monde lexical est donc la trace statistique d'un "lieu" fréquemment "habité"

par l'orateur. Les mondes lexicaux d'un corpus s'identifient à l'aide d'une simple analyse statistique puisqu'il s'agit des traces purement sémiotiques gravées dans le texte en lui-même. Ces traces sont des données brutes et neutres que seule l'interprétation, qui dépend de l'objectif

du lecteur, permet de donner du sens. À noter enfin qu'un monde lexical se définit toujours de façon systémique, par rapport aux interactions (fréquence, absence, opposition) qu'il entretient avec d'autres mondes lexicaux.

"Un monde lexical est donc à la fois la trace d'un lieu référentiel et l'indice d'une forme de cohérence liée à l'activité spécifique du sujet-énonciateur" (M. Reinert)159. Le référent n'est donc pas, pour nous, un continent de la réalité extérieure au sujet mais intrinsèquement lié à son activité, ses désirs, sa mémoire, lieu à la fois des représentations individuelles et sociales (Moscovici)160. Mais il existe aussi de par ses interactions (rapprochement, opposition) avec d'autres lieux, d'autres manières d'être, de s'exprimer, etc. Ces croisements conflictuels ou collaboratifs des référents sont à la base même des activités réflexives. Et pour terminer, selon l'auteur de cette méthode, l'investissement de l'orateur de ces "lieux" le conduit aussi à suivre obligatoirement, malgré lui, une sorte de logique de contenu qui leur est intrinsèque. Ce qui permet de conclure à l'efficacité et l'efficience de la méthode Alceste

dans la démarche d'interprétation plus libre des contenus d'un corpus.

159 Max Reinert (n. d.), extrait de l'article "Les "mondes lexicaux" des six numéros de la revue Le surréalisme au service

de la révolution" in page web de l'Équipe de Recherches Cliniques en Psychanalyse et Psychologie (ERC).

160 In Max Reinert, op. cit.

Notons pour terminer qu'une méthodologie, et encore plus un logiciel au service d'une méthodologie, n'est autre qu'un outil qui doit servir l'objectif du chercheur. Ce serait une sorte de prolongement des cinq sens qui l'aide à gagner du temps dans le traitement d'une masse d'informations qui, manuellement, accaparerait trop de temps. Mais aussi une double interface entre lui et son sujet/objet d'étude ; puis entre lui et la communauté des chercheurs détentrice du pouvoir de reconnaissance sur le caractère scientifique ou non de la recherche, de la validité ou non des résultats obtenus. De ce fait, nous ne lui accordons pas plus

de poids que d'autres outils pourvu qu'ils soient appropriés à notre sujet/objet d'étude. Par conséquent, l'utilisation du logiciel Alceste sera forcement complétée par une démarche plus compréhensive, donc qualitative, plus intuitive, en tout cas plus libre. Les entretiens formels ou informels en amont et pendant toute la durée de travail auprès des chefs d'établissement, des personnels de l'université ayant été ou étant encore impliqués à la conception de ce document qui nous occupe ainsi de la mise en oeuvre proprement dite de ce Projet, complètent ce travail principal et que nous avons choisi de mettre plus en lumière. Pour y parvenir, un long et fastidieux travail de préparation ont été nécessaires sur le document brut.

Voyons maintenant, très rapidement, les étapes préparatifs qui précèdent la soumission du corpus à l'analyse proprement dite.

B. Préparation du corpus

1. Échantillonnage

Échantillonner revient à sélectionner les données d'un corpus selon des logiques de représentativité. Pour les enquêtes sous forme de questionnaire ou entretien sémi- directif, des formules statistiques permettent une réduction des informations à une taille convenable pour mieux assurer leur exploitation. Il en va de même pour les textes faisant l'objet d'une analyse de discours. Certes, notre corpus, Le Projet d'établissement 2004/2007 de l'Université de Nantes est assimilable à un discours. Mais cela dépend de la définition que l'on donne au discours. Ce dans quoi nous ne nous embarquerons pas. Du moins, pas plus que sommairement. Il est néanmoins important de préciser la nature de ce corpus pour mieux comprendre les choix méthodologiques qui lui sont appliqués.

"Développement oratoire sur un sujet déterminé, prononcé en public ; allocution" (Petit Larousse, 2005) ? Tel n'est pas exactement le cas de ce Projet. Auquel cas, notre corpus ne serait pas un discours. "Ling. a. Réalisation concrète, écrite ou orale, de la langue considérée comme un système abstrait." (Petit Larousse, 2005) semble déjà correspondre à sa

nature, dans sa globalité. Il convient toutefois d'apporter quelques précisions pour préciser une catégorisation qui semble si nette. Les deux pages d'avant-propos du président François Resche, oeuvre individuelle s'il en est, vérifient bien la première définition. Les 91 pages suivantes, plus collectives quant à elles, revêtent une forme mixte : elles mélangent la forme d'un discours oral semblable à l'allocution du Président et une forme de rapport structuré et documenté par des tableaux statistiques, graphiques, listes et index qui ressemble plutôt à la deuxième définition. Dans tous les cas, "une réalisation écrite [...] de la langue considérée comme un système abstrait" définit mieux ce document. Alors comment échantillonner un tel document qui traite de plusieurs sujets complémentaires pour former un ensemble de projection d'une grande organisation ? Malgré d'énormes efforts de réflexion pour y parvenir, nul argument ne nous parait justifier la négligence de telle partie au dépens de telle autre, la mise en relief de telles idées par rapport à d'autres sans tomber dans une prise de partie fortement inductive. Le choix de considérer le document dans sa totalité, pour respecter son intégrité, l'a donc emporté. Il en va de la qualité de l'enseignement qui peut en être tiré. Techniquement, par ailleurs, plus le corpus est volumineux, meilleure sera la qualité des résultats de son traitement par Alceste.

Cependant, pour des raisons techniques liées à l'utilisation du logiciel Alceste,

il a fallu procéder à une très longue préparation, en amont, afin que le maximum de données texte soit compatible avec le format imposé par le traitement automatique.

2. Formatage du texte

Toutes les manipulations du texte ont été faites à partir de la version numérique

du document. Complète, elle contient les mises en forme très élaborées qu'offre le logiciel Microsoft Word qui a servi à son édition. Il a donc fallu "nettoyer" ce corpus pour le mettre au format Alceste. Ce qui a nécessité deux phases de travail :

Malgré notre aisance en matière de bureautique, le plus long et fastidieux travail fut l'élimination de tous les index qui ne peut s'effectuer que mot par mot, élément par élément, sans aucune automatisation possible. En tout cas, aucune astuce de la version de Microsoft Word 2003 ou antérieure ne le rend possible encore. Ensuite, plus raisonnable en temps de travail, la suppression des graphiques pour finir par la conversion des tableaux en textes. En allocation de ressources temporaires, cette partie de formatage nous a dilapidé des heures de travail excessivement disproportionnées.

La suite a été faite dans un délai plus raisonnable proportionnellement à l'ensemble du temps consacré à la réalisation de tout ce travail de mémoire. Il s'agit de rendre le corpus exactement conforme au format Alceste : conversion du document en format texte ;

transformation des majuscules en minuscules pour que maximum d'items puisse être analysé ;

réécriture de certaines expressions (ie. groupes nominaux, noms composés...) concaténées par

des tirets bas (_) pour garder leur unité sous forme d'un seul mot, etc. Quant au découpage par UCI et UCE, le texte a été laissé en entier dans sa forme "naturelle" afin que le logiciel prenne entièrement en charge de sa réorganisation. Un tel choix est le corollaire même de la nature du document qui l'autorise. Il participe aussi de certaines précautions pour se prémunir des tentations d'influer sur la direction de l'analyse en intervenant le moins possible en amont. Cela correspond bien à la philosophie générale d'Alceste.

Soulignons seulement pour finir, que la méthodologie, qu'elle soit quantitative

ou qualitative, avec tous les lots d'instrumentations qu'elle propose, n'a pas pour fonction de faire

la recherche à notre place. Si en sciences physiques ou en chimie cela semble possible - ce qui

est moins sûr - en sciences humaines, nous estimons que la méthodologie aide et encadre le travail de recherche pour assurer un travail scientifique. Mais ce n'est pas une procédure à suivre

à la lettre ou à la virgule près. À nous d'adapter soit la méthode, soit le résultat de ses instruments

à ce que nous observons et au résultat de notre propre constat, analyse ou remarques inopinées, pour vérifier si notre hypothèse est corroborée, pour l'échantillon choisi, ou infirmée.

Alors, passons au stade suivant pour poser nos hypothèses.

II. Questionnement de la recherche

A. Problématique du projet-contenu

Si le Projet, en tant que dispositif opératoire d'anticipation, offre une perspective intéressante pour l'innovation en vue d'une meilleure performance de toute organisation, quel que soit sa taille et sa nature, son contenu reste encore totalement inexploré au point de recevoir le qualificatif de "boîte noire". Cela nous intéresse en tant qu'expression d'un compromis entre intérêts divergents en tension, mais aussi comme référentiel collectif qui comporte un ensemble d'éléments fondamentaux rendant possible l'action. Nous nous référons, pour prendre en considération cette expression écrite du projet, à J.-P. Bréchet qui la définit comme une rationalisation ex-ante, un mixte d'intentions, de règles de décisions et de décisions déjà retenues, un discours de justification et de légitimation des fins et des moyens envisagés.

Sur le plan théorique probablement, sur le plan pragmatique sûrement, procéder à l'inventaire, même partiel, du contenu de ce projet d'établissement contribuera donc à

nous - acteurs du système éducatif - donner quelques repères de vigilance pour plus d'efficacité lors des futures projections. L'activation de tels repères pourra servir comme levier d'une création d'un futur meilleur pour le développement d'un établissement doté d'une volonté de réussir à s'imposer face, aussi bien à la vicissitude des contextes environnants, notamment la concurrence, qu'à l'incertitude caractéristique de notre époque. L'analyse de projet-contenu contribuera à réduire son caractère flou pour ce cas précis de projet, c'est-à-dire celui d'une université.

Alors, pour un processus de fédération d'un ensemble d'acteurs hétérogène, quel type de discours comporte ce projet : énoncée de grandes valeurs axiologiques, expressions

de règles, de décisions, de procédures ou une programmation bien détaillée, budgétée avec un calendrier précis ? Par rapport à notre idéal-type, ce projet est-il structurellement équilibré ? Ce sont autant d'interrogations auxquelles nous allons tenter de répondre concrètement en allant parcourir l'intérieur du Projet d'Établissement de 2004-2007 de l'université unique de Nantes. Pour y répondre, posons une hypothèse d'abord global, ensuite des hypothèses plus opérationnelles, pour orienter nos investigations.

B. Nos hypothèses

Dans une perspective systémique et, conformément à la manière dont nous avons conçu la modélisation du concept, nous proposons comme première hypothèse (H-1)que le Contenu d'un projet d'établissement renferme des éléments très disparates qui forment un tout. Ensuite, en deuxième hypothèse (H-2), que parmi ces éléments, quatre catégories, au moins, devraient se manifester clairement pour donner la morphologie globale du contenu : des éléments

de diagnostic (H21), des objectifs précis (H22), un échéancier (H23) et les moyens alloués à la mise en oeuvre de ce projet (H24). Enfin, nous suggérons l'existence d'une certaine corrélation entre cette structure fondamentale du projet-contenu et la nature d'éléments du discours qui

l'accompagne ou l'enveloppe.

 

Valeurs

 
 

Règles

 

Missions

 

Diagnostic

(H21)

 

Moyens

(H24)

 

Objectifs

(H22)

Échéancier (H23)

Figure 14 : Les hypothèses

Cet avant-dernier chapitre a posé deux types d'éléments clefs dans ce processus

de recherche : le choix méthodologique et la problématique. L'utilisation d'Alceste comme outil ancre notre inscription dans une triangulation méthodologique alliant une analyse quantitative de contenu avec une interprétation qualitative plus compréhensive. Une telle posture garantit la prise en compte de notre sujet/objet dans toute sa complexité. De la problématique du projet- contenu qui se résume par son caractère flou puisque inexploré, nous proposons de répondre à la question du savoir ce qu'il peut recouvrir, par deux hypothèses complémentaires. D'abord, que le contenu du projet est constitué d'éléments disparates. Ensuite, que malgré cette disparité, il existe

un certains nombres d'éléments bien identifiés qui devraient y être pour qu'il y ait équilibre.

C'est ce que nous allons vérifier dans le chapitre qui suit, en partant de son processus de conception avant de plonger notre regard à l'intérieur de ce discours écrit.

CHAPITRE 6

EXPLORATION DU CONTENU D'UN PROJET

Après cet indispensable préparatif technique marqué par le choix méthodologique suivi par une longue préparation du corpus, nous voici enfin au moment le plus important de la délicate exploitation du résultat d'analyse. Mais il convient, selon nous, de précéder cette phase par d'autres actions elles aussi sources d'enseignements en vue d'une meilleur exploitation du corpus. Il s'agit des deux étapes incontournables : la description, aussi détaillée que possible de la brochure "Projet d'établissement" de l'Université de Nantes, et la description très méthodique du processus de sa conception. Notre corpus a, en effet, un historique marquant qui ne peut pas être exclu du travail d'examen de son contenu. L'exposé de

ce processus d'élaboration sera suivi de la description de la structure proprement dite du projet- contenu avant d'apporter quelques remarques sur la nature et la portée du discours que ce document comporte.

I. L'élaborationdu corpus

A. Description de l'objet

Un bel objet de communication au format A4, notre corpus se présente sous forme d'un volume d'environ 8 mm d'épaisseur, protégé par une couverture en papier cartonné tricolore : une bande horizontale grise de 5,4 cm en en-tête, suivie d'un corps à un tiers bleu marine à gauche, et à deux tiers blanc cassé à droite. "Université de Nantes 2004-2007" est inscrit sur l'en-tête grise, suivie en bas à droite par "Projet d'établissement 2004-2007" alors que

la bande verticale bleue de gauche est estampillée, presque en bas de la couverture, par le logo

(l'ancien) de l'université. La quatrième de couverture bicolore, quant à elle, porte en entête -

toujours grise - la même inscription mais avec des polices de caractères différentes de la

première de couverture ; et en trois colonnes dans le bas de page le numéro ISBN161 surplombant son code-barres162, l'adresse Internet de l'Université de Nantes surmontée par l'adresse de la présidence ; et enfin le logo dans l'angle à droite.

Le contenu s'organise comme ceci : après l'Avant-propos du président, une première partie présente le contexte,les enjeux et les dispositifs de la démarche ; alors que la seconde partie donne les orientations, les objectifs et les ambitions de l'établissement.

Pourquoi tant de description même pour certains éléments qui semblent si peu intéressants et qui ne rentreront même pas dans l'analyse du corpus, au coeur de ce travail ? Parce que ce sont justement les détails si négligeables et si négligés, dont l'importance ne relève pas de l'évidence, qui peuvent sûrement contribuer à transmettre des bribes d'informations perceptibles

par l'intuition, et qu'ils méritent donc au moins d'être relevés. Ce corpus est aussi un document de communication stratégique. À ce titre, le contenant, c'est-à-dire l'apparence a sa part d'importance. Dans un grand établissement comme l'Université de Nantes où la lecture intégrale,

par toutes les parties prenantes, des documents officiels d'information semble loin d'être encore gagnée, proposer un objet de design, de qualité visuelle agréable participe à l'effort de diffusion convenable pour un dispositif qui se veut fédérateur. "Communication : rien ne vaut un bel ouvrage" s'exclame l'auteur (C. A.) d'un petit article du même titre dans Enjeux Les Échos 163, avant de citer M. Bouygues qui souligne :"Je crois au rôle essentiel du verbe pour définir qui nous sommes et qui nous voulons être". Ainsi, c'est bien ce qu'il contient qui nous intéresse le plus dans le projet de l'Université de Nantes, notamment à ce stade de l'avancement de cette recherche.

Dans une gouvernance par collégialité caractéristique de l'université française,

la portée communicationnelle de ce document apparaît évident pendant toutes les phases de sa conception, après la consultation générale ayant impliqué 575 personnes. Ne serait-ce que lors

des deux réunions du Conseil d'Administration, on devine l'effervescence des débats sur l'acceptation de tel ou tel terme ; les revendications sur l'inscription de tel ou tel principe pour que l'objet en conception obtienne l'assentiment de toutes les parties. Or, la communication comme ensemble de dispositifs fonctionnels et symboliques peut être vue de trois manières : courroie de transmission de choix stratégiques, processus de mise en commun d'acteurs, ou bien

encore perspective plus englobante qui considère qu'agir collectivement, c'est toujours

161 ISBN : 2-86939-200-1

162 Code barre : 9 782869 392007

163 C.A. (2006), "Communication : rien ne vaut un bel ouvrage" in Enjeux Les Échos n° 223 - avril 2006, p.38.

communiquer (Y. Giordano, 1999)164. Ces trois manières se combinent à différentes proportions

et à différents moments pour donner la communication effective d'une université. Mais, au vu de notre interrogation sur la stratégie que peut mettre en oeuvre un directeur pour fédérer une équipe hétérogène autour d'un projet, la communication comme processus de mise en commun d'acteurs

est déjà une réponse. Et cette "cum-unicare" se sert du langage, certes, mais d'un langage compris par l'ensemble des acteurs au sein d'une même organisation, propre à la culture commune. Pourtant, le langage semble encore si partiel dans ce cas. Alors, on devrait plutôt, quand il s'agit de culture, parler d'habitus professionnel, ici, de l'enseignement supérieur public.

C'est dans ce contexte de communication, de résolution de problème, de coordination et de consensus qu'a eu lieu le processus de conception du projet-contenu. Ce dernier, objet palpable, nous intéresse autant que les différentes phases de son avènement que nous qualifions de projet-ingénierie.

B. Ingénierie du contenu

La modélisation proposée au chapitre 4 alimente la lecture des différentes phases de la conception du dernier Projet d'établissement de l'Université de Nantes, depuis la décision initiale à l'édition du document définitif. Cette lecture s'effectuera suivant le déroulement chronologique des suites d'actions, tout en veillant au maintien de l'emboîtement entre les processus. Elle évitera ainsi un découpage mécaniste induit par une quête de fausse clarté qui risque d'émietter des éléments qui ne révèlent mieux leur sens qu'intégrés au système dont ils contribuent au fonctionnement.

En vue d'une meilleure investigation du projet-contenu, nous suggérons une

explicitation au préalable, dans ses grandes lignes, de sa conception dès la première page

blanche jusqu'au volume édité. Qu'il n'y ait pas de malentendu, le projet-contenu dont il est

question ici peut être défini à travers une métaphore que nous baptiserons volontiers

"poétique de l'embryogenèse". Poétique car il n'y a ici aucune prétention à une rigueur

scientifique mais il s'agit d'une considération mêlant culture générale et réflexions

hypothétiques.

Partant d'une paire de gamètes male et femelle, nous sommes en présence

d'une vie en devenir, génétiquement prête, si la rencontre entre les deux se fait dans les

164 Yvonne Giordano (1999), "La communication est plurielle dans ses représentations", Les cahiers de la communication

interne, n° 4 - février 1999.

meilleures conditions. Mais en amont de cette rencontre, au-delà des évolutions purement

biologiques, un ensemble de contraintes, calculs, libertés, imaginations, rêves, désirs,

sentiments et décisions, en interaction avec tout un climat environnemental des deux parents,

ont participé à l'existence desdites gamètes. Mises en contact, leur évolution en embryon

dépendra autant des lois génétiques que de l'entrecroisement de conditions, dont les volontés

des géniteurs et les compétences d'une équipe médicale éventuellement impliquée. Ce qui

suppose toute une série de coordinations, de communications et de partages de sens. Par la

suite, rien ne sera automatique ; pas même l'espérance de vie (intra-utérine, périnatale).

Aucune prédiction n'est possible, sinon très peu. Même le futur développement des deux

embryons homozygotes d'éventuels dépendra, pour chacun, de leur interaction individuelle

avec l'environnement qui ne pourra avoir lieu que de manière très singulière. La poétique de

l'embryogenèse considère donc ce potentiel, cette ou ces vies en puissance que constitue

l'embryon, dans sa globalité technique, génétique, environnementale, psychologique et

philosophique.

Encadré 4 : Poétique de l'embryogenèse

Il en va de même du projet-contenu qui représente la verbalisation d'un ensemble d'intentions, des règles, de hiérarchies décisionnelles, de programmes et d'images d'un futur commun désiré à faire advenir. À défaut de lui obtenir un statut précis, unanimement reconnu par des différents spécialistes, cette potentialité nous sert de compromis entre la velléité

de le considérer comme un simple script figé, d'un algorithme prêt à être compilé, et la tentation

de lui conférer la place de but ultime. À la fois matrice et interface relationnelle, c'est à partir de

ce potentiel que se fondera la phase de la mise en oeuvre d'un projet puisque, loin d'être une simple représentation prospective, le projet, une fois imaginé et dessiné, reste à réaliser. Sans le passage à l'acte, réussi ou pas, tout cela relève du mirage. La question de mise en oeuvre dépasse déjà le cadre de notre étude, mais en amont, il nous faut décrire, à partir d'un cas concret, le passage progressif, au cours d'un temps limité, de la décision de se projeter, au projet-contenu.

Deux outils complémentaires alimentent ce travail : l'ensemble des documents initiaux et intermédiaires (rapports de commissions et sous-commissions) et le document final diffusé. Le tout est complété par des entretiens auprès de différents membres de l'équipe projet.

Le tableau récapitulatif des données essentielles de ce processus de conception.

DUREE

DATE

2 m ois

PR EPAR ATOIR E

02/10/2002

PHASE

Equipe PROJET

Prise de fonct. Président

Equipe de coordin. du PROJET

Nom bre

Acte urs

1

2

PRODUCTION

COMMISSIONS

197 Jours (6 MOIS 1 /2 )

23 J ours

2 m ois

C ONSUL TATIVE

02/12/2002 NUM Nom s/comm

SESSIONS

(Nom bre)

PAPPORT

(Nbr pages )

 

1

Formation

3

88

6

10

 

2

Recherche

3

86

15

12

 

3

Vie étudiante

2

74

6

6

 

4

Culture

0

42

4

10

 

5

Internationale

5

69

7

10

 

6

Personnel univ

2

37

5

8

 

7

Santé, Sécurité, Social

6

96

9

10

 

8

Administr, Décentralis

2

51

9

11

 

9

TIC

4

32

8

10

21/02/2003

 
 

27

575

69

87

GROUPE DE TRAVAIL ACTION

PRODUCTION

Synthèse

Président

Arbitrage 1

Equipe de coordin.PROJET Synthèse 2

Avant-PROJET

14 J ours

14/03/2003

Bureau

Décision 1

Groupe de coordination Commissions consultatives Conseils consultatifs

Amendements

16 J ours

28/03/2003

4 J ours

14/04/2003

18/04/2003

CA

ÉL ABOR ATION

S ynthès

Equipe de coordin. du PROJET

Conférence dir. Composantes

Décision 2

Commission Paritaire de l'établ

CS CEVU

Commission Finances/Moyens

CA

60

1er vote

2

Propositions

2nd vote 60

Modifications

Enrichissement

New version PRJ Liste Préconisations

Modifications

Tri amendements

Vote PRJ 2004-2007

Tableau 1 : Processus de conception du projet-contenu

DURÉE

DATE

PHASE

197 JOURS (6 mois 1/2)

60 Jours

02/10/2002

( I )

PRÉPARATION

80 Jours

02/12/2002

( II )

CONSULTATION

23 Jours

21/02/2003

( III )

ÉLABORATION

Synthèse 1

14 Jours

14/03/2003

Examen

28/03/2003

Décision 1

16 Jours

 

Synthèse 2

4 Jours

14/04/2003

( IV )

FINALISATION

Examen

18/04/2003

Décision 2

Figure 15 : "Projetmètre"

DURÉE

DATE

PHASE

197 JOURS (6 mois 1/2)

60 Jours

02/10/2002

( I )

PRÉPARATION

80 Jours

02/12/2002

( II )

CONSULTATION

23 Jours

21/02/2003

( III )

ÉLABORATION

Synthèse 1

14 Jours

14/03/2003

Examen

28/03/2003

Décision 1

16 Jours

 

Synthèse 2

4 Jours

14/04/2003

( IV )

FINALISATION

Examen

18/04/2003

Décision 2

1

Décision

2 Planification

9 Commissions

1-Formation

2-Recherche

3-Vie étudiante

4-Culture

575 5-Internationale 9 Rapports

6-Personnel universitaire (87 pages)

7-Santé, Sécurité, Social

8-Administr, Décentralisation

9-TIC

1 Arbitrage

2 Avant-Projet

Conseil d'Examen 1

Bureau

? Groupe de coordination Amendements

Commissions (18)

Conseils consultatifs

1er vote

60 Conseil d'Administration

1 Arbitrage

2 Projet version 1

Conseil d'Examen 2

CDC

? CPE Modifications

CS

CEVU Propositions

CFM

60 Conseil d'Administration 2nd Vote

PROJET

2 D'ÉTABLISSEMENT

Figure 16 : Processus de conception du projet-contenu

Le contour chronologique

PHASES

JOURS

TAUX (%)

1

60

30,46

2

80

40,61

3

23

11,68

4

14

7,11

5

16

8,12

6

4

2,03

 

197

100

Repartition du temps projet

90

Consultative

80

70

Préparatoire

N o m b r e d e jo u r s

60

50

40

30

20

10

0

Arbitrage

Synthèse Examen

Décision

Arbitrage

Synthèse

Décision

Finale

-10

1 2 3 4 5 6

Les 6 pha ses du projet

Repartition du temps projet

45

40

35

30

25

20

% T e m p s

15

10

5

0

1 2 3 4 5 6

Les 6 pha ses du projet

Graphique 1: Courbe de répartition chronologique

Le Tableau 3 retrace la répartition chronologique de cette conception du projet avec les phases et interphases, le calendrier précis, ainsi que le nombre de jours correspondants.

Il en ressort rapidement une tendance remarquable à la fluctuation de la durée des différentes phases du travail. Cette durée se réduit presque régulièrement au fur et à mesure que l'on tend vers la fin des travaux. De même, le projet se déroule dans un temps donné avec une date de début et une date de fin. Il est possible d'accorder une attention particulière à ce tableau, en forme d'une règle graduée, que nous allons dénommer "projetmètre".

Récupérées dans un tableau récapitulatif, ces données (les phases de travail et

les nombres de jours) permettent de tracer deux courbes pour donner une autre lecture de cette même réalité. La première représente la courbe de tendance, tracée au-dessus de l'histogramme

de la répartition des différentes phases en valeur absolue, alors que la seconde exprime la répartition en valeur relative. Il se trouve que les deux montrent, à quelques nuances près, la même tendance. Les travaux ont commencé le 2 octobre 2002 et se sont achevés le 18 avril 2003.

Il a donc fallu 197 jours pour concevoir le Projet d'établissement de l'Université de Nantes.

Le président, initiateur du projet a pris la première décision d'entamer le travail. "Le Projet d'Établissement 2004-2007, dont, avec mon équipe, nous avons immédiatement mis en oeuvre la préparation, est en phase avec la durée de mon mandat", souligne-t-il dès le deuxième paragraphe de son avant-propos. Puisqu'il se place, à travers son discours, en figure de principal porteur du projet, l'analyse de ses propos donne son positionnement par rapport à l'ensemble de l'équipe projet. Lors d'une lecture comparative avec

la même partie du Projet d'Établissement 1999-2004, un constat saute rapidement aux yeux. Pour

le Projet 2004-2007, le président engage sa personne individuellement en s'exprimant à la première personne du singulier. Les pronoms personnels "je", "me(s)" ou "mon" reviennent 8 fois au cours des deux premières pages : "j'ai pris mes fonctions", "j'ai fait adopter", "je renouvelle...à titre personnel", etc. Alors que dans le projet précédent (1999-2004) les formulations restent impersonnelles en mettant plutôt en avant les différentes composantes organisationnelles et les différents groupes d'acteurs.

L'Équipe de Coordination du Projet (ECP), constituée de deux personnes (un professeur de stratégie des organisations à l'IAE et le secrétaire général adjoint de l'université), assure le suivi du projet, depuis sa phase préparatoire jusqu'à la rédaction du document final. Riche d'une première expérience, avec le Projet d'Établissement 1999-2003, l'équipe a organisé,

en accord et en étroite collaboration avec le nouveau président, la programmation de la

conception du nouveau projet ainsi que la constitution des différents acteurs impliqués dans la

phase consultative (9 commissions, une assemblée qui effectue l'examen avant le passage au

Conseil d'Administration).

Ces 9 commissions et sous-commissions, ayant impliqué exactement 575 participants, ont produit 9 volumes de rapports qui totalisent 87 pages. Elles sont l'émanation, savamment dosée, de toutes les différentes composantes de l'université dotée d'expertises complémentaires et de personnalités extérieures. Une telle composition joue en faveur de l'expression des besoins et inspirations particuliers de chacune des composantes. En effet, "s'appuyant sur les instances existantes (conseils d'université, conférence des directeurs de composante, conseils d'orientation des services généraux, commission paritaire d'établissement, commissions des finances et des moyens, comité d'hygiène et de sécurité), ces neuf commissions, enrichies d'experts et de responsables universitaires directement concernés,...ont apporté leur précieux concours aux réflexions menées" (F. Resche, 2003)165. Leurs concertations

ont durée 80 jours, ce qui correspond à l'espace-temps le plus long de la graduation du "projetmètre" (cf. p.128). Dans la courbe de la répartition chronologique du projet (cf. p.130) cette phase est représentée par l'unique partie ascendante pour atteindre l'amplitude maximale de

la courbe. Sur le plan démocratique, il convient de constater que dans cette conception collective,

la majorité a pu s'exprimer dans le laps de temps le plus long proportionnellement au nombre des participants.

Le président a alors examiné les 9 rapports en y apportant son premier arbitrage avant que l'Équipe de Coordination (ECP) ne les synthétise pour rédiger l'Avant-Projet.

Ce dernier a été alors soumis au Conseil d'Examen qui y a apporté de correctifs, amendements et propositions. Ce fonctionnement pose une interrogation sur la qualité de la prise en compte de l'expression des intérêts particuliers. Quelle nature de document examine-t-on dans cette phase puisque le président a déjà fait valoir son arbitrage, et que le document se trouve donc épuré de certains éléments sur la décision d'une seule personne ? Une telle interrogation vient mettre un bémol sur le constat d'expression "démocratique" annoncée précédemment. En tout cas, si l'expression fut démocratique, l'arbitrage obéit à une autre règle du jeu politique que celle de la démocratie pour une organisation réputée gouvernée par collégialité. Que le registre évoqué soit

du domaine des sciences politiques ou de la gestion, le problème que pose cette notion d'arbitrage, dans une grande organisation telle qu'une université, renvoie à la question de la représentativité face au grand nombre et à la grande diversité des parties prenantes. Si notre

corpus ne fournit pas de piste d'action, une étude comparative d'un certain nombre de pratiques

165 François Resche (2003), "Avant-propos" du Projet d'Établissement 2004-2007 de l'Université de Nantes, p.9.

des universités françaises établira une liste des modalités d'actions possibles pour choisir soit la meilleure, soit effectuer une synthèse des meilleures.

Le 28 mars 2003, le résultat du travail du Conseil d'Examen est soumis au débat du Conseil d'Administration qui, après amendements et propositions, adopte par vote l'Avant-projet. Ensuite, la deuxième phase de synthèse - d'une durée de 16 jours - commence

par l'arbitrage du président avant que l'Équipe Coordination ne rédige la première version du

Projet.

Un deuxième Conseil d'Examen apporte de nouvelles modifications et propositions. Et puis, le Conseil d'Administration prend la dernière décision à travers un vote précédé de débats. Pour finir, l'Équipe de Coordination rédige la version définitive du document

qui fait 103 pages. Après la phase consultative, quel est le mécanisme de décision qui aboutit à l'objet final ? (En distinguant le fonctionnement théorique de la réalité empirique). Que reste-t-il

des expressions des composantes à la fin ?

II. La structure du contenu

Pour l'ensemble du corpus, 693 UCE (unités contextuelles élémentaires) ont été classées sur 1029 soit 67,35 %. Ce taux souligne la qualité du corpus exploité puisque la partie traitée atteint largement plus de 55%. Ce qui signifie que tout notre travail d'interprétation qualitative qui suit porte sur un corpus quantitativement très représentatif. Il en découle une Classification Descendante Hiérarchique de ces 693 uce en 5 classes stables dont le poids correspond aux places que chacune occupe dans le corpus :

Classe 1 (93 uce) soit 13,42 %

Classe 2 (84 uce) soit 44,59 % Classe 3 (122 uce) soit 17,60 % Classe 4 (85 uce) soit 12,27 % Classe 5 (84 uce) soit 12,12 %

3e

1er

2e

4e

5e

L'observation de près de ces 5 classes permet d'identifier une grande

importance accordée à la communauté universitaire, représentée par la classe 2. Celle-ci couvre,

en effet, 44,59%, soit près de la moitié de l'ensemble. Au deuxième rang des préoccupations se placent les explications de la démarche projet proprement, suivies par la qualité des offres de

formations et de la recherche, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et, enfin,

la diffusion de connaissance en lien avec le développement territorial ferme la marche au cinquième rang. Cette considération de chaque élément pris individuellement ne reflète toutefois

pas exactement la structure du document vue par un regard de stratège.

Dès lors, une autre lecture, celle du dendrogramme des classes stables, donne à voir deux grandes catégories d'éléments prédominants qui structurent l'ensemble de ces 5 classes

en les organisant comme ceci : d'un côté les objectifs liés aux missions assignées à l'université (70% du texte analysé) qui inclus les classes 1, 5 et 2 ; de l'autre les classes des dispositifs de gestion (30%) avec les classes 3 et 4.

Le schéma suivant procure une vision à la fois synthétique et dynamique permettant une meilleure description du produit de l'analyse du corpus avec Alceste.

Projet d'Établissement 2004-2007

De

Université de Nantes

Objectifs

70,13 %

Dispositifs de gestion

29,87 %

Prestations

25,54 %

Acteurs

44,59 %

Démarche Projet

17,6%

GPEC

12,27%

Offres

13,42%

Valorisation

12,12%

Figure 17 : La composition du projet-contenu de l'univ. Nantes 2004-2007

Croisons ce résultat d'un examen quantitatif avec une démarche qualitative, plus empirique mêlant observations, associations d'idées et même intuition, afin de reconstituer l'essentiel de cet ensemble dont l'agencement, selon certaines logiques, forme le reflet de la structure interne du projet-contenu.

Dès sa première lecture, ce corpus dégage une impression d'être, face à un patchwork constitué de plusieurs pièces, pour former un ensemble cohérent qui vaut plus que la somme de ses éléments. Ces derniers ne sont toutefois pas quelconques puisque chaque propos, chaque phrase assure une fonction importante dans un document dont la nature stratégique lui vaut l'attention de tous ceux qui s'intéressent aux problématiques du projet.

Notre première hypothèse est donc vérifiée par la lecture et confirmée par les résultats détaillés de l'analyse à l'aide du logiciel Alceste. Depuis un ensemble de valeurs philosophiques portées et affichées (humanisme, épanouissement de chaque citoyen, égalité, etc.) jusqu'à des propos qui relèvent plus du leitmotiv en passant par des messages à caractère informatif, des règles de fonctionnement ainsi que du rappel des missions (formation initiale, recherche et valorisation de ses résultats, développement de la culture et diffusion des connaissances, et coopération internationale.), ce document propose une très large palette de registres discursifs. À défaut de parvenir à dresser une liste exhaustive de ces derniers, la vérification des quatre hypothèses opérationnelles nous informera un peu plus sur une partie des composants de notre grille de lecture, à savoir les éléments du diagnostic, les objectifs, l'échéancier et les moyens.

A. Des éléments de diagnostic

Notre document comporte de manière claire des éléments de diagnostic confirmant ainsi notre hypothèse (H21). Seulement, pour l'illustration, la notion de diagnostic semble provoquer une hésitation dans la manière dont on peut étudier ce document. S'agit-il des résultats, exclusivement, des procédures engagées directement ou pilotées par une structure spécialisée à cet effet, connue sous l'appellation du Comité National d'Évaluation (CNE), des conclusions du bilan d'exécution du Contrat Quadriennal de Développement 2000-2003, ou des éléments groupés sous l'intitulé "Le contexte", qui s'étend de la page 13 à la page 34 de la brochure ? La réponse est concise : le tout.

C'est à partir de ces éléments de diagnostic, associés aux ambitions délibérées que les acteurs ayant contribué à la conception du projet-ingénierie ont formulé, au le long des différentes phases successives de cette ingénierie collective, les objectifs à atteindre.

B. Des objectifs

En effet, deux des quatre Classes de données mises en évidence par le résultat

de l'analyse d'Alceste se groupent pour confirmer l'hypothèse (H22) qui supposait la présence

des objectifs dans le contenu de ce projet. Il s'agit de la Classe 1 et la Classe 5. Ces classes correspondent à deux sortes d'objectifs qui se complètent et qui sont même liés par des relations récursives : parvenir à offrir les meilleures prestations possibles avec des acteurs de grande qualité. Or il ne peut pas y avoir de prestation de valeur sans acteur excellent, et vice versa. D'où

la nécessité d'appuyer simultanément sur les deux leviers.

1. De meilleures prestations

a. Des offres de qualité et plus visibles

En tête des missions assignées à l'université se trouve l'enseignement, la formation et la recherche. Ce qui correspond à l'objectif premier de ce projet que sont, logiquement, la volonté d'offrir des formations plus lisibles et attractives en direction des étudiants comme au marché de l'emploi (cf. Classe 1, soit 13,42 % des corpus). Cet objectif se déclinent en : multiplication des actions pour rendre plus visibles les diplômes, développement

des formations en adéquation avec le marché de l'emploi dont des 3e cycles professionnels et de

recherche, tout en conservant les dénominations nationales de ces diplômes. Toutefois, pour rester toujours conforme à ses missions, l'université doit maintenir des filières de haut niveau culturel "utiles" pour la société même si celles-ci ne démontrent pas leur efficacité professionnelle. Le tout s'accompagne d'innovations et de rénovations pédagogiques avec, notamment, l'intégration au schéma LMD (Licence Master Doctorat).

Pour ce faire, le projet propose des procédés plus ou moins tangibles tels que

des soutiens aux acteurs et à la création d'unités mixtes, le renforcement de la pluridisciplinarité,

la collaboration du conseil scientifique avec les grands organismes de recherche et de formation

qui sont incités à créer une synergie. Cela ressemble fort aux procédés qui dépendent plus des volontés et l'envie des acteurs à collaborer. Un élément seulement rentre dans le registre du concret sans conteste : les contributions des partenaires tels que les collectivités territoriales et

les institutions socioéconomiques (la CCI) qui ont permis l'amélioration de la gestion des ressources documentaires. Ainsi, ces partenaires vont servir de transition, d'appui solide à l'Université de Nantes dans la mise en oeuvre de l'autre volet de ses missions.

b. Renforcement de la Valorisation

Les savoirs accumulés et produits n'ont de valeur réelle que de par leur utilisation pour améliorer la recherche et dans des actions concrètes. En bon système ouvert, l'université productrice a besoin de la société consommatrice de ces savoirs. D'où l'entrée en scène des partenaires, cités ci-dessus, concernés à double titre. Comme soutien, en contribuant au financement ou à la mise en disposition d'infrastructures destinées à l'accroissement de la qualité

et de la quantité des savoirs produits ; et comme plates-formes de diffusion desdits savoirs en destination des différents membres de la société et des entreprises. L'Université de Nantes compte rendre plus performant son rôle d'acteur du développement économique, social et culturel. D'où, l'engagement des actions autour sur quatre échelles complémentaires. Ce découpage peut être sujet au débat puisque toutes les actions peuvent nourrir chacune de ces quatre horizons. Le classement des actions s'effectue surtout en fonction de l'importance de sa contribution immédiate.

À l'échelle globale, la mutualisation des ressources avec les grandes organismes de recherche (écoles d'ingénieurs, CNRS, IFREMER, INRA, INSERM, LCPC, etc.) contribuera à renforcer la recherche et son corollaire, l'augmentation de dépôts de brevets. Ensuite faire connaître les résultats par le biais de la communication. À l'échelle internationale, l'Université de Nantes s'intègre à plus de projets possibles, dont le Programme Cadre des Recherche et Développement européen (PCRD) et le Projet "Afrique" dans lequel la MSH "Ange Guépin" est engagée. Des efforts seront menés aussi pour faire connaître ses contributions à faire progresser l'état du d'accroître le nombre de publications.

En revendiquant un statut d'acteur du développement régional, quatre axes déjà existants servent particulièrement à cette grande université ligérienne pour se rendre incontournable. Une recherche coopérative inter-établissements et avec les entreprises favorise le deuxième axe : ouverture des écoles doctorales sur le monde économique. Les deux derniers peuvent, dans une certaine mesure, se compléter aussi. Il s'agit du transfert technologique pouvant être la conséquence directe des deux précédents tout en favorisant le dernier qu'est la création des jeunes pousses d'entreprises (start-up) soutenues ATLANPOLE, l'incubateur de l'université.

Une politique plus incitative en matière des ressources humaines, notamment concernant les techniciens et les chercheurs, semble à l'échelle organisationnelle, pouvoir développer et récompenser la motivation des acteurs performants.

Pour finir, "L'objectif général est de renforcer les réseaux de valorisation,..." (Corpus, p. 52). L'amélioration des prestations et de la valorisation se base, selon ce Projet, sur deux leviers d'actions. D'un côté le partenariat inter-établissement (interne au métier) et le partenariat externe avec les programmes internationaux, les collectivités territoriales et les acteurs économiques régionaux. De l'autre, le souhait d'une politique plus incitative en direction

des acteurs. Les acteurs, d'ailleurs, auxquels le projet accorde une première place dans son traitement dont nous allons examiner les détails.

2. Des acteurs de qualité

Près de la moitié, soit 44,59 % exactement, du corpus analysé traite des acteurs

de la communauté universitaire, toutes catégories confondues. C'est dire son poids par rapport au reste puisque avec un tel taux, ils occupent la première place loin des autres thèmes. Au vu des lectures du document, confirmées par le résultat de l'analyse par Alceste, les acteurs sont abordés sous trois axes qui forment les pierres angulaires de la réussite d'une grande institution qui enseigne, forme, cultive tout en produisant des savoirs : l'attraction, l'accueil et la mobilité internationale. Nous pouvons alors considérer cette proportion comme logique ? Oui et non. Oui,

en raisonnant de manière inductive. Non, parce qu'il s'agit d'une expression de choix, avec un degré de liberté plus ou moins haute suivant les contraintes. Consciemment ou non, délibéré ou non, l'ingénierie de ce projet a produit ce que nous constatons et dont la description ouvrira peut- être une voie à l'analyse de la ou des logiques sous-jacentes.

a. Attraction des meilleurs

L'expression des ambitions de l'Université de Nantes de devenir une université

de référence internationale passe par la volonté d'être de plus en plus attractive. L'attraction peut avoir comme finalité une croissance quantitative. Certes, il en est question pour "enrayer la baisse des effectifs", tout au moins à l'atténuer, sachant que la fluctuation démographique en constitue la principale origine. Mais cette attraction est surtout qualitative. Que la catégorie d'acteurs en cause soit estudiantine, professorale ou technicienne, l'objectif reste le même : mettre en oeuvre des politiques susceptibles de rendre l'établissement attractif pour les meilleurs,

de renommée internationale pour les chercheurs et avec d'excellents résultats académiques pour

les étudiants.

Pour que les plus belles abeilles rejoignent nos ruches et s'y attachent fidèlement, la qualité de celles-ci, avant toutes autres considérations, constitue l'une des conditions primordiales.

b. Fidélisation par un accueil confortable

En matière d'organisation, il convient de mettre en place le système européen

de transfert de crédits pour rentabiliser le séjour des étudiants Européens à Nantes. Vient ensuite l'accueil physique qui débute par une semaine intensive des primo-entrants (bacheliers, européens, étrangers) organisée par une cellule dédiée.

Sur le plan matériel, des efforts sont entrepris pour qu'il y ait la même priorité

et possibilité d'offre de logements aux étudiants étrangers de 2e et de 3e cycles. L'accueil et le suivi des stagiaires et demandeurs d'emploi, des sportifs de haut niveau et des étudiants handicapés reçoivent autant d'attention. Socialement, toute initiative qui favorise l'intégration et l'épanouissement (associations, sports, culture, etc.) sont à promouvoir.

Si les uce de la Classe 2 soulignent surtout le cas des étudiants, la lecture attentive du corpus nous apprend que cette problématique d'accueil touche aussi les scientifiques

de haut niveau pour qui il faut "dérouler le tapis rouge" pour rendre suffisamment confortable leur séjour. En plus de la question d'hébergement qui devient ici accessoire, il convient de se doter de laboratoires et centres de recherche d'envergure internationale tant pour leur taille, leur niveau d'équipement que pour la qualité de leurs sujets d'investigation.

L'idéal serait alors d'investir dans des dispositifs et dispositions humains qui favorisent le meilleur accueil afin non seulement d'attirer mais aussi de fidéliser les bons étudiants comme les techniciens et enseignants-chercheurs de qualité.

c. Mobilité internationale

La qualité de l'accueil commence par la mise en place des programmes modernes, aux normes européennes, donc aux résultats transférables grâce à l'European Credit Transfer System (ECTS), semestrialisation et transparence des modules (cf. Classe 2, uce 706 de Khi2 31). Ce qui règlera le problème de la validation d'acquis lors des échanges d'étudiants internationaux. Il s'agit donc aussi d'un dispositif au service de la mobilité de nos étudiants. En effet, comment convaincre les étudiants des l'Université de Nantes de la rentabilité et l'efficience

de passer une partie de ses études à se confronter aux autres cultures européennes, américaines, asiatiques ou australienne si au retour, ils ont le sentiment d'avoir perdu une ou deux années censées les enrichir, par manque de compatibilité des formations de leur université avec celles de leur destination ? Une fois ce genre d'obstacle levé, notamment avec la mise en place du LMD,

on ose espérer que l'augmentation de passages de quelques mois, dans une ou deux universités

étrangères, enrichira en retour l'Université de Nantes "peuplée" et animée par une population d'étudiants ouverts au monde et aux autres cultures humaines comme scientifiques.

De même, la multiplication d'échanges des professionnels sera une source d'amélioration par des échanges de bonnes pratiques. Par ailleurs, plus les acteurs de tout niveau voyagent, mieux l'Université de Nantes sera connue. Associé à un accueil chaleureux, cela augmente l'attractivité. Au final, c'est la qualité des acteurs qui en tirera les bénéfices.

C. Un échéancier

Dès le deuxième paragraphe du discours du président François Resche dans l'Avant-Propos, une indication nette apparaît sous la formulation :"Le Projet d'Établissement

2004-2007, ..., est en phase avec la durée de mon mandat." À en croire cette phrase, cet intervalle de temps délimiterait l'ensemble du Projet. Cependant, sachant qu'une négociation serrée avec le ministère pour fixer le contenu et la portée du Contrat Quadriennal ainsi que les partenaires régionaux, viendront influencer considérablement une grande partie de ces décisions,

il y a fort à parier que cette échéance risque d'être purement théorique. Il y a aussi, concernant les différentes réalisations particulières prévues, des calendriers dont le respect ne pose aucun obstacle dans la mesure où ils correspondent à un mouvement national coordonné par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le passage au schéma LMD en est un exemple. D'autres obstacles organisationnels ou humains participent aussi à ce phénomène de bouleversement chronologique dans la concrétisation des objectifs fixés par ce projet. Le cas de

la tentative de rapprochement entre l'Institut d'Administration et l'UFR des sciences économiques, en vue d'une meilleure visibilité et cohérence des offres de formations en gestion, illustre ce dernier. Techniquement y a-t-il un obstacle organisationnel, érigé entre ces deux structures, susceptible de bloquer significativement ce processus de rapprochement ? Sûrement qu'entre deux composantes de statut juridique, donc de fonctionnement et de culture légèrement différents, des aménagements sont indispensables, mais il n'y a aucune montagne infranchissable

de ce côté. En revanche, il n'est pas certain qu'un tel "mariage" où des questions de prestige, de privilèges, d'habitudes, de positionnement stratégique (entendu au sens de M. Crozier et E. Friedberg) et...même des craintes de changements, ne nécessite pas plus de temps de maturation que prévu pour cheminer dans l'esprit des acteurs concernés. Dans ce cas, l'obstacle est psychologique, sociologique, bref humain en somme. Alors, quand, à partir du diagnostic, des objectifs ont été fixés pour une échéance que l'on sait plus ou moins facile à respecter, il est grand temps d'allouer des moyens si l'on tient à rester réaliste.

D. Deux dispositifsde gestion

1. La démarche projet

Près de 18%, soit exactement 17,60 % du contenu analysé décrit, de manière détaillée, l'ensemble de la démarche projet à l'origine de ce corpus sur lequel s'appuie notre travail. Cette partie correspond exactement à ce que nous avons développé dans le titre "Ingénierie du contenu". Il s'agit donc d'un élément ayant de multiples fonctions dont légitimation, communication interne et externe, etc. Pour plus d'approfondissement, nous proposons, par conséquent, un renvoi à ce titre développé plus haut avec ceci comme remarque :

ce passage intitulé "Ingénierie du contenu" va plus loin qu'une description. Un élément important

car mis en évidence par le résultat de l'analyse par Alceste, mérite alors que l'on s'y attarde, encore une fois, dans une posture la plus descriptive possible : il s'agit de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences.

2. Des propositions de GPEC

La Classe 4 qui représente 12,27% de l'ensemble du corpus analysé traite spécialement de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences. Deux axes d'idées sont abordés ici : l'annonce d'une action réelle mise en oeuvre et une sorte de plaidoirie en faveur d'une GPEC à l'université. La première est d'une description très rapide puisqu'il s'agit d'une politique volontariste d'accueil et de mise en adéquation des postes de personnels porteurs d'handicaps. Quant à la Gestions des ressources humaines, les propos sont d'ordre à la fois théorique, du conseil et propositionnel. Ainsi, à la vue des différents déficits dans tous les niveaux de postes, il est question d'engager des réclamations auprès du ministère pour qu'il y ait une résorption générale indispensable au bon fonctionnement des services. Il convient aussi pour l'établissement d'opérer des procédures d'évaluation annuelle afin de disposer d'un bilan social servant de repère dans l'ensemble des initiatives visant à une meilleure répartition des compétences disponibles, ou à prévoir la manière de combler les déficits. Pour ce faire, le Projet propose une "décentralisation managériale" de la GPEC au niveau des composantes ce qui rendra cohérentes les décisions relatives à ce sujet dans la mesure où les responsables des composantes

ont une vision exacte, donc plus pertinente de tout besoin en personnel. Au niveau central, en revanche d'organiser des concertations régulières donnant lieu aux simplifications administratives et améliorations des pratiques. À lui aussi de s'efforcer d'avoir, en se servant du bilan social, une vue générale de la répartition et des mouvements (mutation, départ en retraite,

etc.) pour permettre un redéploiement rapide des personnels.

E. Maisavecquelsmoyens ?

En cohérence avec notre l'idéal-type du contenu de projet, s'attendre à la présence des moyens exprimés dans celui-ci relève de la simple logique. Or, ni les lectures approfondies, ni l'analyse du logiciel dont la pertinence lui vaut son succès auprès d'un grand nombre de chercheurs et des laboratoires, n'a permis de confirmer cette dernière hypothèse (H24).

Cela fait un peu catégorique comme constat ? Même en s'efforçant de nuancer

en s'attardant longuement sur la sémiologie pour identifier sans ambiguïté ce dernier paramètre,

un problème persiste. Il arrive, en effet, que les propos qui poussent à penser que nous sommes bien devant une expression de moyens, ramènent plutôt à l'idée d'organisation. Ce cas arrive souvent dans le document. À moins que la définition du terme "moyen" ne soit problématique

par nature. Dans ce cas, entendons par moyen un budget, une enveloppe financière et une équipe d'acteurs précis dédiés à une réalisation bien déterminée. Alors que le fait d'inciter les différentes structures à s'engager dans une démarche coopérative dans leur métier (formation de haut niveau type doctorat, recherche) relève plus à notre sens d'une restructuration, d'une innovation, d'un changement de culture. Même une restructuration peut avoir un coût financier chiffrable. Et le fameux adage qui veut que "quality is free" soit extrêmement trompeuse (P. Mévellec, 2003)166

car une démarche qualité coûte, au contraire, très cher au départ. Pour terminer, en plus du budget, dégager une équipe pour être affectée à des missions précises relatives à la vie du projet

est aussi un autre type de moyen. Pour ce faire, tout en respectant le règlementations en matière

des droits du travail, il faut "délester" les membres de ladite équipe d'une partie de leur charge de travail habituelle. Et comme "toute peine mérite salaire", des incitations symboliques ou matérielles aux personnes qui s'investissent dans ce genre d'activité font, sans aucun doute, partie

des moyens indispensables à la mise en oeuvre des objectifs que les acteurs ont la volonté patente

de ne pas laisser à l'état de voeux ou d'affirmations d'intentions.

Un tel constat d'absence de budget suscite une interrogation. Que vaut, en efficacité, un projet dont les moyens ne sont indiqués nulle part ? Est-ce un projet qui claudique

un peu, ou bien ce que nous constatons comme pouvant être problématique ici se rectifiera "naturellement" au cours de la vie du projet ? Évidemment, la budgétisation ne se fait pas de façon rigide et ferme une bonne fois pour toutes. De même que le calendrier connaîtra des

mouvements en fonction des négociations avec l'État et les partenaires régionaux (collectivités

166 Pierre Mévellec (Professeur de Contrôle de Gestion), propos extrait de son allocution dans un DVD du "Colloque

Qualité" organisé par l'Assédic des Pays de la Loire, au Château de Goulaine, le 4 décembre 2003.

territoriales et acteurs socioéconomiques locaux), l'allocation des moyens n'échappera pas à certains bouleversements exigeant des "stratégies chemin faisant" (M.-J. Avenier). Mais confondre stratégie chemin faisant et opportunisme conduira tôt ou tard à un crash car cela signifie une absence totale de cap de la part du pilote. Or, même si des bouleversements sont prévisibles, fixer un cap - ici, en l'occurrence, allouer, même théoriquement les moyens financiers et humains indispensables à une projection viable - relève du devoir de l'Acteur- politique tel que nous l'avons modélisé plus haut. Cela peut très bien consister à "faire du plus avec du moins". Qu'importe pourvu qu'il y ait clarté.

Pour finir, sur le plan humain, puisque se préoccuper de la vie d'un établissement scolaire ou universitaire revient à penser à la psychologie de l'acteur individuel ou

de l'Acteur collectif, qu'adviendra-t-il d'une organisation qui mobilise jusqu'à plus de 700 personnes dans la conception de son Projet si, en cours de route, celui-ci s'écroule faute d'avoir rempli certaines conditions de base, fut-ce théoriquement ? Vaste question dont le bilan de l'évaluation à l'issue de la fin prévue des réalisations seulement pourra contribuer à apporter des éléments de réponse qui soient plus objectifs, donc dénoués de toute arrière-pensée polémique ou

purement hypothétique.

Contenu du Projet

GPEC 12,27% Of f res 13,42%

Démarche-Projet

17,60%

Valorisation

12,12%

A c teurs 44,59%

Offres

Valoris ation

Acteurs

Dém arche-Projet

GPEC

Graphique 2 : Contenu du Projet

III. La portée discursive du document

La brochure du Projet d'établissement 2004-2007 de l'Université de Nantes, c'est-à-dire le deuxième véritable projet élaboré institutionnellement dans sa forme actuelle, en tant qu'objet multifonctionnel (de communication, stratégique, de coordination, etc.) est sujet aux différents regards et, par conséquent, différentes interprétations. Après un long développement

sur la problématique de la dialectique entre intérêt particulier et intérêt collectif dans un processus de création d'un avenir pour un établissement socioéducatif et de recherche, nous allons regarder ce volume sous le prisme de la communication à caractère stratégique. Plus précisément, la question qui se pose est de savoir dans quel registre sémantique tendent, en général, les propos tenus dans cet ensemble de discours censé entraîner ?

D'abord, sur 105 pages, le document se présente en deux grandes parties, en excluant les annexes. La première partie qui porte bien son titre, est consacrée au contexte, aux enjeux et aux dispositifs de la démarche. Alors que la seconde est intitulée "Orientations et objectifs pour une université multidisciplinaire, de dimension européenne".

La première consiste en une définition synthétique des éléments clefs indispensables à l'identification et à la compréhension de l'établissement en opérant un exercice

de circonscription historique, géographique, démographique, budgétaire et pédagogique avec un rappel des missions d'un Établissement Public Scientifique, Culturel et Professionnel (EPSCP). Elle pose aussi dynamiquement l'essentiel du fonctionnement, des innovations - établies et en cours de réalisation - pédagogiques et relatives au métier de la recherche avec chiffres, graphiques et commentaires à l'appui. Ce faisant, elle comporte des informations relatives aux résultats du diagnostic, incontournables pour la morphologie d'un projet équilibré. Plutôt technique et informative, cette première partie nous semble réussir sa fonction d'information à caractère légèrement didactique. Qu'en est-il de la suite ?

La partie qui propose l'ensemble des orientations et objectifs de l'établissement diffère très significativement de la précédente par le style d'expression. Autant la première s'exprime dans une neutralité et sobriété qui la fait apparenter à un extrait d'article scientifique, autant cette deuxième partie se démarque par une posture d'engagement volontariste. Les deux premières phrases du premier paragraphe du discours donnent le ton juste sur l'orientation de l'ensemble qui sera, d'ailleurs, confirmé par les détails sémantiques tout au long du reste du document. "Le Projet politique de l'Université de Nantes affirme les grandes orientations et les principaux objectifs de l'Établissement pour les quatre prochaines années." Le verbe "affirmer"

débute le document pour qualifier sa fonction. Nous y reviendrons. La deuxième phrase stipule

"Il annonce les lignes d'actions et les mesures concrètes...". Le verbe annoncer vient compléter

le premier. Ainsi, ce Projet "affirme" et "annonce". En faisant abstraction de toute idée que l'établissement pourrait chercher à transmettre à travers son discours, contentons-nous d'identifier les termes dont il se sert pour en tirer une conclusion sur sa véritable nature.

"Notre projet est de faire de l'Université de Nantes une université publique et multidisciplinaire de dimension européenne." L'Université de Nantes est publique et multidisciplinaire au moins depuis sa refondation par le décret du 29 décembre 1961. Pour le moment, nous sommes devant une affirmation qui - malgré les brillantes explications attenantes

- se rapporte, pour les trois quarts, à un fait, une réalité déjà là. Reste à comprendre ce qu'il faut entendre par "de dimension européenne". Apparemment, il s'agit d'un enjeu justifié par l'incontournable volonté de donner une envergure internationale à l'établissement. À l'instar du pays dont le budget s'évalue désormais au niveau européen avec le pacte de stabilité, la performance d'une université, voire de tout établissement d'enseignement supérieur susceptible d'être confronté aux influences des ses semblables extranationaux, sera aussi mesurée à l'aune de critères uniques de niveau international. Ce challenge prend appui sur un ancrage territorial qui sert à la fois de ressource et à qui l'établissement reverse, pour une grande part, les résultats de

ses missions, à savoir, des citoyens biens formés et des produits de la recherche mis au service

du développement culturel, social et économique. La dynamique régionale centrée autour de la capitale ligérienne, qui lui vaut déjà l'attribut de métropole du grand ouest européen crédibilise cette orientation. De même, tous les points que nous avons mis en évidence précédemment, à savoir une performance en matière des prestations, opérée avec les meilleurs acteurs dans un calendrier bien défini, ne peuvent que susciter l'adhésion d'une large majorité des parties prenantes de cette entreprise. Pourtant, à la lecture de ce document, l'on ne peut que s'interroger

sur le caractère opérable de cette expression de volonté.

En effet, la remarque sur la difficulté à identifier clairement le financement des engagements est complétée par celle sur la prédominance des expressions qui s'apparentent plus

à des explications pédagogiques de "ce qu'il faut", "ce qui doit être", "ce à quoi on est pour", "l'objet de notre inspiration" ou à des professions de foi portant sur des idées avec lesquelles il

est très difficile de ne pas être en accord. De ce fait, au-delà de toute appréciation quantitative ou méthodologiquement rigoureuse selon les paradigmes du moment, le contenu de ce Projet inspire

au lecteur attentif un sentiment de manque, d'être suspendu à une interrogation sans réponse : "d'accord avec les enjeux annoncés, les voeux et souhaits exprimés, les objectifs clairement décrits, mais comment exactement va se matérialiser l'exécution d'une telle perspective

ambitieuse et entraînante ?".

Cette étude empirique tire une part de sa légitimité de notre immersion au sein

de l'Université de Nantes, que ce soit en tant qu'étudiant ou en tant que stagiaire pendant neuf mois dans l'une de ses composantes. C'est par cette présence, par une écoute sensible, que nous avons pu enregistrer et assimiler, au quotidien, les réactions des acteurs ou groupes d'acteurs face

à ce document. Par ailleurs, certes, ces acteurs ne manient pas tous les outils méthodologiques. Quand bien même tel est le cas, ils lisent ce document "naturellement" et du fruit de cette lecture naît leur adhésion, leur implication ou, au contraire leur perplexité, doute voir rejet. Notre objectif, au-delà de l'analyse du contenu d'un projet d'établissement, est d'identifier des moyens,

des pratiques, des manières de procéder pour fédérer une équipe autour d'un dispositif prospectif mais doté d'une réelle opérabilité. Or, nous considérons que le directeur, quotidiennement dans le cockpit (normalement équipé en outils de navigation indispensables) de son établissement, se doit d'être capable d'écouter son équipe et son environnement avec ses oreilles, observer avec ses propres yeux et son humanité sans vouer une ferveur cultuelle aux technologies ou aux quelconques vérités scientifiques qui, par définition, ne sont souvent valables que pour un temps

et dans un contexte donnés. Ainsi, nous soutenons que notre ensemble d'analyse, appuyée à la fois sur des outils quantitatifs et sur des postures compréhensives, donne à voir le reflet d'une partie de la structure du Projet-contenu de l'Université de Nantes. Des interrogations ouvrant des perspectives de recherche sont aussi posées, en prime.

Concluons ce chapitre en précisant que ce contenu de projet contient des multiples éléments variés qui se résument : aux valeurs et missions de l'université, éléments de diagnostic de l'Université de Nantes, à ses ambitions (rayonnement international) et ses objectifs (meilleur offres, meilleurs acteurs), à la gestion prévisionnelle des ressources humaines du projet, et aux éléments explicatifs sur le déroulement de sa propre conception. Sur le plan discursif, on y observe beaucoup de propos relatifs aux souhaits et un peu normatifs (ce qu'il faut, ce qui doit être) ou affirmatifs ("pour une université...", "Pour un personnel ayant un sentiment...", etc.). De ce fait, soit les propos ont un caractère pédagogique, soit on a affaire à

des affirmations positives pour lesquelles personne ne pourra être contre ou très difficilement, mais dont l'opérationnalisation possible ne soit visible nulle part. Ce qui amène aussi au constat

de l'absence dans ce discours, des moyens à allouer afin que la réalisation des objectifs clairement énoncés puisse être effective. Ce qui nous fait nous interroger sur la nécessité, peut- être, d'un document supplémentaire qui viendrait traduire ce projet politique en projet plus technique et opérationnel.

Nous allons maintenant essayer de tirer les enseignements de l'ensemble de ce long exposé afin de souligner ce qui peut bien être qualifiable de ce que D. Schön nomme "connaissances actionnables". Proportionnellement à la longueur de ce mémoire, cet extrait du concentrée des idées, des procédures, des propositions de leviers à l'action susceptibles de servir

à d'autres équipes projets, risque de sembler court. Notre objectif, toutefois, n'est pas tant la longueur que la qualité des résultats de cette recherche. Alors, ce qui suit restera à l'appréciation

de ceux qui s'y intéressent, en particulier lors de leur mise en application sur le terrain car il y a

des moments pour réfléchir, pour parler ; et il y en a d'autres pour agir.

CONNAISSANCE ACTIONNABLE

"Enseignabilité" ou "Connaissance actionnable", quel que soit l'intitulé choisi même si notre préférence va au second, ce pénultième bloc n'a pas pour objet d'enseigner à l'Université de Nantes ce qu'il faut, ce qu'elle aurait dû faire ou ce qui devrait être fait pour sa projection. Telle n'est pas notre intention même si elle fût le terrain de cette recherche puisque l'objectif était, avant tout, d'étudier la conception du contenu d'un projet d'établissement et d'examiner ce qui peut y avoir dans ce contenu une fois rédigé. Pour ce faire, la population aurait très bien pu être un groupe d'établissements d'enseignement secondaire, un Centre de Formation

des Apprentis, un centre de formation pour travailleurs médico-sociaux ou une association à finalité socioéducative, etc. De toutes les façons, loin de nous la présomption de donner des leçons à qui que ce soit quand bien même, nous estimons que seule une organisation à compétence douteuse pourrait se prévaloir de la perfection de son entreprise, au point de peiner à admettre le moindre regard extérieur porté sur son fonctionnement.

Ce que l'on nomme "connaissances actionnables" ici s'adressent, par conséquent, d'abord simplement à nous-même ; ensuite à quiconque, acteur collectif ou individuel engagé dans une démarche projet, quel que soit le type d'établissement ou du projet en question. Par ailleurs, ce que nous allons dégager ne sera pas toujours ce que chaque lecteur trouvera d'essentiel pour ses besoins. Chacun puisera donc dans ce volume, les idées, les éléments qui lui sont instructifs pour sa projection professionnelle, voire personnelle. Cependant, nous avons organisé cette partie en trois volets : d'abord celui où nous formalisons un condensé d'enseignements issus de cette expérience personnelle d'apprentissage à la recherche ; ensuite le volet où, en tant que futur membre d'une équipe de projet, nous nous adressons à toute organisation en démarche projet ou à toute personne intéressée par le sujet. Enfin, en coiffant la virtuelle casquette du directeur - puisque tel est l'objet de cette formation167 - nous nous adressons aux collègues qui trouvent un peu de sens dans un ou deux propos tenus dans ce

mémoire.

167 DEOF : Direction d'Établissement ou Organisme de Formation.

A. Ce quenous avonsappris

La découverte de la notion des contextes autoréférentiel et hétéroréférentiel constitue une première étape dans ce long parcours. Certes, l'enseignement théorique a permis une petite révolution intellectuelle en nous faisant comprendre l'importance capitale de bien identifier les différents niveaux contextuels avant toute intervention auprès d'un phénomène social. Mais le complément de formation a eu lieu par la suite, durant ce travail personnel sur la projection d'un établissement où il a fallu mettre en pratique cet effort de contextualisation. Celle-ci se déroule en deux temps. Une première répond à la question "en tant que chercheur, d'où je parle ?" C'est-à-dire, d'où m'est venue l'idée d'un tel ou tel sujet/objet de recherche ? Ce

qui implique de voir dans notre subjectivité, une part de l'objectivation d'une interrogation scientifique. La contextualisation autoréférentielle a été aussi, dans le second temps, une occasion de réfléchir sur nos valeurs (absolu respect de la dignité humaine, réflexions éthiques et incomplétude) qui portent et cadrent nos pratiques professionnelles. Ainsi, de nature injonctive

au départ, nous avons fini par nous approprier cette partie à force d'un travail acharné qui nous a demandé à nous surpasser en dévoilant une infime partie de notre histoire de vie. Au final, la satisfaction l'emporte sur le reste.

Ensuite, cette longue marche alternant lectures, observations et réflexions, inductions et déductions, a été émaillée de moments cruciaux qui méritent une révision réflexive

un jour. Ce furent des moments qui concluent ce cycle d'alternances par des prises de conscience

sur tel ou tel aspect du travail. L'on peut se demander si ce n'étaient pas des moments où l'assimilation d'informations a produit des savoirs nouveaux, voire des connaissances, à l'image

de la découverte qui a fait crier Archimède "eurêka !" Sans aller jusqu'à s'approprier une telle exclamation, ces prises de conscience ont libéré en nous, à plusieurs reprises un : "ah bon ?", "enfin, c'est ça !", ou "ben...oui, j'ai compris ! Ce qui doit dénoter des transformations provoquées par l'action de professionnalisation qui oeuvre de façon constructiviste.

Ainsi souligné à l'introduction, plutôt qu'une découverte d'un mécanisme de management de projet, scientifiquement éprouvé, l'ambition de ce travail reste la compréhension d'une partie de la projection en mettant l'Humain au centre. Le projet écrit, que nous avons étudié, a été alors considéré surtout comme un ensemble de paroles humaines, un discours à comprendre de manière plutôt "anthropo-logique", stratégique que mécanique.

C'est dans cet optique que se propose cet élément de connaissances, éventuellement, actionnables par les équipes de projet.

B. Levier d'actionpourune équipedeprojet

De même que les précédents paragraphes, cette recherche nous permet de dégager quelques principes fondateurs qui pourraient conditionner la réussite d'une projection organisationnelle.

En tête de liste de ceux-ci se trouve l'importance de la dimension autoréférentielle de l'organisation dont la prise en compte constitue une condition sine qua non d'une projection. La prise en considération de cette dimension requiert de situer l'organisation dans son contexte historique, territorial, sociologique et économique, aussi bien que la prise en compte des éléments de diagnostic sur son état présent. D'où une double vision : rétrospective ("rétroprojection") et introspective. Une connaissance de tels contextes seulement permettra la meilleure intégration de l'organisation, qui veut se projeter, dans son environnement présent comme à venir ; une meilleure construction prospective en somme.

Le deuxième élément important se trouve dans la conception et l'énonciation d'une définition collective de ce que l'on entend par projet. Cela s'explique par le foisonnement

de définitions selon les références théoriques de son auteur. Il en va de même d'un choix de la méthode à mettre en oeuvre. La principale action consiste à répondre à la question "quoi, comment, quand, avec quoi et par qui faire ?" Une méthodologie commune sert de dispositif de coordination de base d'une équipe afin d'assurer la réduction de dissonances cognitives dans une démarche qui est aussi un apprentissage collectif. En plus d'une méthode, nul ne peut faire l'économie d'une théorie de référence pour alimenter l'action car les deux - l'action et la théorie -

se nourrissent mutuellement.

Enfin, un projet-contenu doit comporter certains éléments. Modéliser ces éléments afin de se donner un "idéal-type" de projet sert, à l'Acteur, au cours de ou après sa conception, de vérifier la cohérence d'ensemble de sa création. Ce schéma de l'idéal-type (chap.

4 p. 84) sert de grille de lecture pour analyser les éléments constituants du projet. Cela ressemble

à ce processus que nous qualifions d'ouverture de la "boîte noire". Cette recherche pourrait donc contribuer à améliorer une projection, en occupant cette place de démarche d'évaluation du contenu afin de renvoyer un feed-back pour compléter ce qui manque, corriger ce qui défaille et, enfin, améliorer ce qui est perfectible. Les deux autres schémas, "Projetmètre" (chap. 6, p.128, fig.15), "Modèle fonctionnel et tridimensionnel du projet" (chap. 4 p.84-85) que nous avons mis

au point pourraient aussi servir d'outils d'appréciation pour des réajustements de certains paramètres en jeu, enjeux dans un processus de conception collective d'un dispositif de rationalisation.

C. Quelques outils pour l'Acteur Politique

Incarnation de l'Acteur Politique, tous les membres d'une équipe de direction

ont une responsabilité primordiale dans la vie d'un établissement. Cette responsabilité s'exprime dans le quotidien comme lors des différentes étapes de projection dont ils sont les garants du bon déroulement et du succès.

Puisque l'Acteur Politique assure par la fonction de direction l'expression, le maintien et la création des valeurs axiologiques (l'un des trois sens) ; puisqu'il assure aussi la dynamique des deux autres sens qui sont la sémantique et le cap (cinétique), il lui faut, par- dessus toute technicité, une éthique de direction claire et solide en guise de méta compétence pour fédérer son équipe. Nous avons souligné (cf. chap. 4, p. 77) qu'il ne s'agit pas d'une liste de recommandations morales ou déontologiques propres à cette classe d'Acteur, mais plutôt d'une posture, d'une posture d'écoute respectueuse et d'échange de valeurs dans une instance ad hoc démocratique, surmontant toute dissymétrie interpersonnelle inhérente à l'organisation professionnelle. "C'est dire que la démarche par projet peut être identifiée à un processus unificateur destiné à produire un lien social à dominante consensuelle." (J.-P. Boutinet)168. L'éthique de direction facilite une deuxième posture que nous avons proposée pour les chercheurs mais dont l'Acteur Politique peut se servir aussi afin de mieux subjectiver tout en objectivant, c'est-à-dire appréhender l'établissement dans son continuum retrospectif et prospectif

(cf. p.11-12.). Ainsi, il lui devient incontournable de considérer l'ensemble de son organisation

(service, établissement, association ou même organisme) dans sa complexité globale, sous forme

de système. Telles sont les conditions fondamentales pouvant rendre plus réaliste la recherche du compromis entre les différentes logiques en tension, puis celui entre les intérêts particuliers et l'intérêt collectif. Alors, il sera possible de mettre les différentes forces présentes en synergie pour co-construire un futur commun, et transformer les éléments du contexte en potentiels.

Enfin, ce cas de l'Université de Nantes, comme plusieurs cas d'institutions se donnant pour mission la prestation de services en direction des humains, nous enseigne combien

la notion de qualité est devenue le paramètre central pour le développement et la performance d'une organisation. Mais la qualité a un prix qu'il faut, impérativement, évaluer et budgéter. P. Mévellec, lors de son allocution au "Colloque Qualité" organisé par les Assédic des Pays de la Loire, au Château de Goulaine, le 4 décembre 2003, a bien mis en garde son auditoire sur cette

nécessité d'allocation des moyens d'action. De même, toute démarche projet nécessite

168 Jean-Pierre Boutinet (2003), op. cit., p. 284.

l'évaluation préalable des coûts pour que la projection ne se réduise pas à une énumération des intentions. Ensuite, une fois chiffré, la question de l'origine du financement s'impose à son tour. L'une des voies possibles pour cet aspect matériel se trouve dans le travail en partenariat. Telle

est, par ailleurs, l'orientation de l'Université de Nantes, dans certains axes de son développement, avec les collectivités territoriales et les acteurs économiques régionaux, notamment la Chambre Régionale de Commerce et de l'Industrie, etc.

Dessiner et construire un avenir différent fait appel aussi au pari, à une volonté d'innovation car "le projet est précisément ce qui modifie le cadre, régénère le système, transforme la définition des activités." (G. Koenig, 2004)169. Tous les outils d'apprentissage sont, pour cela, à la disposition de l'Acteur Politique, y compris l'expérimentation.

Avant de poser le dernier signe de ponctuation de l'ensemble de ce travail, nous devons passer à la très délicate, mais incontournable conclusion générale.

169 Gérard Koenig, (2004), Management stratégique. Projets, interactions & contextes, Paris, Dunod, p. 86.

CONCLUSION

Le projet peut être considéré comme un système finalisé composé d'acteurs, de processus de conception formalisé par un document écrit, et de sa mise en oeuvre pour l'obtention d'un artefact (organisationnel ou matériel) qui fera l'objet d'une évaluation. Le tout évolue dans

un support caractérisé par une triple dimension : spatiale, chronologique et organisationnelle. Ce support sera toujours contextualisé et porteur de valeurs. La problématique du projet couvre donc

des vastes champs interdisciplinaires et d'expertises. Face à cette multiplicité et étendue des domaines pouvant être concernés par une seule démarche projet, nous avons opté pour l'étude du contenu afin d'en dégager : primo le processus qui préside à sa conception et, secundo, les éléments qui le composent.

Nous avons dévoilé dans la Première partie le double enracinement qui fonde cette recherche sur le projet d'établissement. Le premier se rapporte à notre parcours socioprofessionnel durant lequel, nous avons été confronté, quotidiennement, à la problématique

du projet collectif. Il a servi aussi de pépinière qui a vu germer et se renforcer nos valeurs humaines170 et à la multiplication des formes d'expériences de direction (léproserie, fédération d'associations, enseignement secondaire). Le second enracinement est celui de l'Université de Nantes comme terrain de recherche. Située dans son contexte historique, politique et économique, celle-ci se comprend mieux dans sa deuxième expérience de projection dont l'importance est fondamentale pour son ambition de développement et de performance.

La Deuxième partie a servi à construire les jalons théoriques considérés dans une perspective systémique et constructiviste, qui ont d'ailleurs guidé l'ensemble de cette recherche. Celle-ci a eu pour terrain un établissement d'enseignement supérieur, à cette époque

de rupture avec l'ancien mode de gestion exclusivement bureaucratique et centralisé sous une certaine forme d'isolement routinier ; époque qui inaugure l'ère de l'ouverture géographique et concurrentielle avec un besoin crucial d'innovation et de qualité pour espérer se développer et se

perpétuer dans des meilleures conditions. À cet égard, les différentes théories évoquées et

170 Qui se résument en respect pour tout être humain, effort permanent de réflexions éthiques, laïcité et démocratie. Tout cela, en interagissant, nous sert de moteur qui nécessite un continuel apprentissage pour combler l'incomplétude qui nous caractérise.

discutées, afférentes à la notion de coopération dans la conception (G. de Terssac et E. Friedberg) et la divergence des intérêts (M. Crozier et E. Friedberg) ont pu être confrontées à la problématique de la gouvernance de l'université avec l'apport de C. Musselin puis d'autres auteurs ayant été publiés sous l'égide de l'UNESCO, l'OCDE, l'Union Européenne et le Parlement français. Ensuite, J.-P. Bréchet nous a permis d'opérer la jonction entre la stratégie des organisations et le développement de l'université à l'aide ses différentes publications basées sur

la notion de projet d'entreprendre. Cela a permis de situer exactement la difficulté, pour une équipe de direction d'un aussi grand établissement que l'université, de gouverner en activant, entre autres, la démarche projet comme levier de développement. Globalement, cette difficulté vient de l'exigence d'une grande compétence politique et managériale pour fédérer une équipe hétérogène dans un contexte particulièrement marqué par une culture d'indépendance des acteurs dans leur quotidien professionnel. La question qui se pose est alors, comment faire pour parvenir

à présenter un projet d'établissement qui suscite un sentiment d'appartenance et l'adhésion de la plus grande majorité des personnels, et qui soit partageable avec toutes les parties prenantes ? Notre cas d'étude a opté pour une démarche qui inclut une large consultation générale (jusqu'à

575 personnes concernées) suivie d'une alternance des phases d'arbitrage, d'examen, de décision

et de rédaction. C'est ainsi qu'a été conçu et a pris forme, au bout de 197 jours de gestation, le Projet d'établissement 2004-2007 de l'Université de Nantes qui est le deuxième du genre dans son histoire.

De l'étude de cette oeuvre conçue collectivement, quelques enseignements théoriques et praxéologiques ont pu être retenus. Ainsi, peut être mise en exergue l'importance d'une modélisation et de méthodologie communes de travail, arrêtées collectivement si l'ambition

des initiateurs de la projection s'inscrit vraiment dans une posture démocratique. Nous insistons

sur cet aspect politique du problème dans la mesure où l'article. L. 712-1 du Code de l'Éducation (Loi n°84-52 du 26 janvier 1984) qui régit le gouvernement de l'établissement universitaire explicite son caractère démocratique et collégial. Aucune institution à finalité socioéducative d'ailleurs ne peut faire fi impunément de ce fondement politique de notre organisation sociale. Il

ne suffit pas, en effet, de procéder à une large consultation. Il faut aussi que les sollicitations des acteurs soient entendues, comprises et prises en compte, même si faire oeuvre commune n'est pas synonyme d'addition brute, ni encore moins de concaténation, mais d'intégration des expressions particulières dans une stratégie globale. De même, il convient de préciser l'importance de la possibilité qu'offre ce que nous avons nommé projetmètre (cf. Figure 15 : "Projetmètre"). Ici, l'outil proposé s'adapte parfaitement à la gestion des délais et sert à la planification pour

l'équilibrage chronologique171 entre les différents processus activés durant la conception. Mais rien n'empêche d'en faire usage, moyennant quelques adaptations certainement, pour la phase d'exécution aussi, c'est-à-dire, lors de l'activation de ce continuum qui fait passer du projet- contenu (fruit d'une ingénierie collective) à la production de l'artefact final (projet pragmatique).

Enfin, fonction difficile effectivement, mais parfaitement possible que de gouverner un grand établissement s'il ne fallait se focaliser que sur la démarche projet. Difficile, entre autres motifs, car le contenu de ce projet revêt une double fonction. En effet, référentiel commun censé contenir tous les éléments et les règles permettant la mise en oeuvre des décisions prises, sans quoi il risque de rester "lettre morte", il est aussi un dispositif de contractualisation.

En tant que tel, il sert aux négociations pour le financement des réalisations prévues avec le ministère de tutelle (Contrat Quadriennal de Développement)172, avec les collectivités territoriales et les partenaires économiques régionaux (Pactes de Progrès Concertés), mais aussi avec les composantes de l'université (Plans d'Actions Prioritaires, pour les actions transversales ; Protocoles Internes d'Actions, avec chacune). L'établissement se trouve donc, littéralement au confluent de plusieurs logiques, quelques fois contradictoires : celles du ministère de tutelle, celles de ses composantes et celles de son environnement. De plus, ce dernier est agencé schématiquement en plusieurs cercles concentriques : le contexte immédiat, local et régional (interne et externe) ; le contexte national ; et le contexte international devenu incontournable puisque même les critères d'évaluation d'un établissement sont désormais harmonisés en vue d'une comparaison, au moins, européenne. Cela devient alors impératif que l'équipe de direction

de l'université parvienne à trouver la résultante de toutes ces forces, multidirectionnelles et de différentes puissances, en interaction. Cette résultante intégrée à la stratégie de l'établissement

est soumise au respect des valeurs revendiquées et promues par celui-ci; établissement qui propose des prestations de services scientifiques et culturels. Et il faut enfin que le contenu du projet scriptural comporte des objectifs précis, des moyens organisationnels (qui font quoi, comment et avec quelles règles ?) et financiers pour les concrétiser. Dans une échelle plus large,

Y. Vallée173 chiffre, au premier semestre 2006, à 3 milliards d'euro annuel, au bas mot, la somme nécessaire pour remonter les universités françaises à la norme moyenne de celles des pays de l'OCDE. Certes, mais où trouver une telle somme si l'État ne l'inclut pas dans sa ligne budgétaire

affectée à la politique d'enseignement supérieur et de la recherche ? À quand le recours à

171 En amont, bien entendu, mais pour des réajustements en cours d'action aussi et pour un diagnostic a posteriori.

172 Un ministère encore principal bailleur de fonds (avec 40 à 45% du budget ?) sur lequel l'établissement n'a pas

de réelle prise dans les négociations.

173 Yannick Vallée, Président de l'Université de Grenoble.

l'ingéniosité de l'expertise en ingénierie financière multisectorielle pour concevoir un nouveau système de financement des universités ?

En tout cas, à travers l'exploitation méthodique de cet exemple de projet- contenu, qu'est celui de l'Université unique de la capitale ligérienne, il nous a semblé être devant

un projet à forte tendance politique marquée par une discrétion des volets techniques et financiers. Mais, il informe aussi sur son ambition - bien que l'on n'y décèle pas d'expression explicite des moyens budgétaires - d'offrir des prestations de qualité (formation, recherche et valorisation) grâce à de meilleurs acteurs à attirer, à accueillir et à fidéliser, puis à rendre plus compétents par l'incitation à la mobilité internationale174. La lecture des récentes déclarations des différents présidents d'universités françaises confirme la même tendance, même si les moyens engagés et les leviers d'action diffèrent.

Au final, rappelons surtout que l'Université de Nantes, de même que la plupart

des universités françaises, se trouve actuellement, par rapport à sa démarche projet, dans une phase où son Système Général de Développement organisationnel (SGD)175 (cf. Chap. 2, p.45)

n'a pas encore pu déployer l'optimum de sa potentialité. Néanmoins, à chaque action, à chaque pas, que cela se déroule avec un peu d'agitations ou dans le calme plat, l'apprentissage organisationnel est en oeuvre. D'où le possible optimisme sur sa capacité à réussir son pari exprimé à travers ses différents objectifs : devenir une université attractive car fertile en productions scientifiques et technologiques de haut niveau, grâce à ses acteurs. La reconnaissance et le rayonnement international suivront. Mais quand ? Seule l'évaluation à terme

de ce projet 2004-2007 produira les éléments de réponse : le taux des objectifs atteints par rapport à la prévision, les entreprises en cours qui auront pris du retard, mais aussi les échecs et

les effets pervers éventuels de certaines réalisations, etc.

Alors, à quand la démarche qualité totale avec certification à l'université ? Elle

y est déjà pour, au moins certaines composantes de quelques universités. Mais la généralisation d'un tel procédé suppose une petite "révolution" de mentalité et de culture pour s'implanter sans heurt et avec efficacité. Une étude prospective, à partir des cas expérimentaux, sur la généralisation de la démarche qualité à l'université ou dans toute autre organisation socioéducative - en lien avec les problématiques de la projection - apporterait, sûrement, des

174 Meilleur façon de développer les échanges des bonnes pratiques, tout en multipliant les apports culturels.

175 Que nous avons défini comme l'interdépendance du processus d'apprentissage et du processus de développement

liés récursivement pour oeuvrer dans un environnement grâce aux outils biologiques (accommodation/assimilation), psychosociologiques (conditionnement/accompagnement) et affectif. Ce qui forme un ensemble dynamique, superstructure de schèmes indissociables à la vie. Modèle que nous transposons, par le principe holographique, à l'organisation.

savoirs ouvrant une perspective vers un nouvel horizon sur la gouvernance d'un établissement. L'étude d'un projet de création d'un établissement avec tous ses paramètres contextuels, incluant d'emblée la démarche qualité apporterait aussi sûrement sa part de contribution aux sciences de management éducatif. Bref, plusieurs voies de recherches sont envisageables pour donner une suite convexe à cette réflexion sur la place du projet dans le développement d'un établissement.

Ainsi s'achève cette longue marche d'apprentissage par la recherche-action176

sur un sujet de plus en plus présent dans la vie des entreprises comme dans celle des établissements socioéducatifs, à une époque où l'incertitude rend caduque l'exclusivité des routines pour exiger des projections. Des projections existentielles, reliantes et vecteurs à la fois

de cohésion interne et d'insertion contextuelle. La conception d'un projet d'établissement reste, néanmoins, une activité encore peu connue théoriquement car si vaste et si complexe qu'au lieu

d'un point final, posons plutôt trois points de suspension...

176 Marqué par des efforts soutenus, d'opiniâtreté et qui pourrait bien donc être prolongée, cette fois-ci, par une action-recherche !

INDEXDESAUTEURS

Ardoino Jacques--------------------------------------------------------------------------------------- 86, 87

Arendt Hannah --------------------------------------------------------------------------------------- 25, 104

Aristote ------------------------------------------------------------------------------------------------- 19, 69

Avenier Marie-José -------------------------------------------------------------------------------- 108, 143

Bachelard Gaston ------------------------------------------------------------------------- 9, 52, 56, 57, 61

Barash ------------------------------------------------------------------------------------------------------- 31

Bardin Laurence------------------------------------------------------------------------------------------ 114

Barnard C. -------------------------------------------------------------------------------------------------- 91

Bateson G.--------------------------------------------------------------------------------------------------- 10

Beckmeier C. --------------------------------------------------------------------------------------------- 100

Bolivar Simon ---------------------------------------------------------------------------------------------- 27

Boudon Raymond ------------------------------------------------------------------------------------- 25, 95

Bourdieu Pierre---------------------------------------------------------------------------------------- 25, 31

Boutinet Jean-Pierre ------------------------------------------------------ 62, 63, 65, 74, 83, 86, 87, 151

Bréchet Jean-Pierre ---------------------------------------------5, 6, 59, 63, 86, 88, 104, 105, 120, 154

Brunelleschi Filippo --------------------------------------------------------------------------------------- 65

Burato Florence -------------------------------------------------------------------------------------------- 91

Chabaud Corine-------------------------------------------------------------------------------------------- 91

Chaffee E. ------------------------------------------------------------------------------------------------- 104

Charles Christophe----------------------------------------------------------------------------------- 38, 103

Chartier Roger ------------------------------------------------------------------------------------------ 9, 10

Clark Burton ------------------------------------------------------------------------------------ 50, 107, 164

Crémadez Michel ------------------------------------------------------------------------------------- 86, 88

Crozier Michel --------------------------------------------------- 25, 68, 91, 93, 94, 101, 109, 140, 154

Cyrulnik Boris----------------------------------------------------------------------------------------- 17, 28

Descartes René ---------------------------------------------------------------------------------------- 52, 61

Desreumaux Alain -------------------------------------------------------------------------------- 63, 86, 88

Dostoïevski Fidor Mikhaïlovitch -------------------------------------------------------------------------- 9

Durkheim Emile -------------------------------------------------------------------------------------- 22, 95

Duteil Yves-------------------------------------------------------------------------------------------------- 20

Ekeland Ivan. --------------------------------------------------------------------------------------------- 103

Elias Norbert --------------------------------------------------------------------------------------------- 9, 10

Fayol Henri-------------------------------------------------------------------------------------------------- 40

Ferry Jules -------------------------------------------------------------------------------------------------- 53

Follereau Raoul -------------------------------------------------------------------------------------------- 28

Freinet Célestin--------------------------------------------------------------------------------------------- 26

Friedberg Erhard ------------------------------- 68, 91, 93, 94, 96, 100, 101, 102, 103, 104, 140, 154

Garm'Orin Hadj -------------------------------------------------------------------------------------------- 9

Genelot Dominique ---------------------------------------------------------------------------------------- 58

Gérard Christian ---------------------------------------------------------------------- 5, 12, 14, 26, 35, 58

Gérard Emptoz --------------------------------------------------------------------------------------------- 43

Gillier Jean-Philippe --------------------------------------------------------------------------------------- 35

Giordano Yvonne ------------------------------------------------------------------------------------ 60, 125

Goldszmit Henryk------------------------------------------------------------------------------------------ 26

Gossiaux Pol Pierre ----------------------------------------------------------------------------------------- 5

Habermas Jürgen ------------------------------------------------------------------------------------ 77, 104

Hansen Armauer ------------------------------------------------------------------------------------------- 22

Herbillon Michel ------------------------------------------------------------------------------------- 36, 163

Ihl Olivier ------------------------------------------------------------------------------------------------- 108

Koenig Gérard ----------------------------------------------------------------------------------------- 93, 152

Korczak Janusz--------------------------------------------------------------------------------------------- 26

Kourilsky François----------------------------------------------------------------------------------------- 61

Kuhn Thomas----------------------------------------------------------------------------------------------- 56

Laye Camara ------------------------------------------------------------------------------------------------ 31

Le Moigne Jean-Louis ---------------------------------------------------------- 9, 56, 57, 58, 63, 67, 106

Léonard de Vinci ------------------------------------------------------------------------------------- 52, 54

Levinas Emmanuel. ---------------------------------------------------------------------------------------- 32

Lévi-Strauss Claude --------------------------------------------------------------------------------------- 24

Mayor Frederico--------------------------------------------------------------------------------- 36, 40, 163

Merton P. K. ------------------------------------------------------------------------------------------------ 93

Mévellec Pierre ------------------------------------------------------------------------------------- 142, 151

Mignot-Gérard Stéphanie ------------------------------------------------------------------------------ 102

Molière ------------------------------------------------------------------------------------------------------ 20

Monod Jacques --------------------------------------------------------------------------------------------- 63

Montaigne (de) Michel ------------------------------------------------------------------------------------- 5

Morin Edgar --------------------------------------------------5, 11, 15, 17, 29, 56, 58, 59, 77, 103, 106

Musselin Christine -------------------------------------------------------96, 98, 100, 102, 103, 104, 154

Obin Jean-Pierre-------------------------------------------------------------------------------------------- 89

Passeron Jean-Claude -------------------------------------------------------------------------------- 25, 31

Pena-Vega Alfredo -------------------------------------------------------------------------------------- 103

Peretti Henri ------------------------------------------------------------------------------------------------ 39

Perrenoud Philippe -------------------------------------------------------------------------------------- 105

Piaget Jean --------------------------------------------------------------------------------------------- 30, 44

Prouteau Gwenaël ----------------------------------------------------------------------------------------- 46

Rabeau Saint-Etienne-------------------------------------------------------------------------------------- 53

Raux J.- F. ------------------------------------------------------------------------------------------------ 108

Reinert Max----------------------------------------------------------------------------------- 115, 116, 117

Ricoeur Paul ------------------------------------------------------------------------------- 13, 29, 31, 32, 77

Roggero P. -------------------------------------------------------------------------------------------------- 95

Romelear ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 91

Rousseau Jean-Jacques --------------------------------------------------------------------------- 17, 30, 65

Schön Donald -------------------------------------------------------------------------------------- 6, 58, 147

Simon Herbert-Alexander --------------------------------------------------------------10, 56, 58, 94, 106

Soubie Jean-Louis ------------------------------------------------------------------------------------------ 91

Tanguiane Sema -------------------------------------------------------------------------------------- 36, 40

Terssac (de) Gilbert---------------------------------------------------------------------------------- 91, 154

Verger Jacques --------------------------------------------------------------------------------------------- 38

Vico Giambattista----------------------------------------------------------------------------- 52, 54, 58, 69

Virgile-------------------------------------------------------------------------------------------------------- 20

Vygotski Lev Semenovitch ------------------------------------------------------------------------ 44, 102

Weber Max----------------------------------------------------------------------------------------- 77, 93, 95

INDEXDESENCADRÉS

Encadré 1: Système Général de développement -------------------------------------------------------- 45

Encadré 2 : Idéal-type d'un projet-contenu -------------------------------------------------------------- 81

Encadré 3: Définition du projet --------------------------------------------------------------------------- 90

Encadré 4 : Poétique de l'embryogenèse--------------------------------------------------------------- 126

INDEXDES FIGURES

Figure 1 : La "Projectivation" --------------------------------------------------------------------------- 12

Figure 2 : Définition de la démarche ------------------------------------------------------------------- 60

Figure 3 : Perspective du projet contextualisé --------------------------------------------------------- 67

Figure 4 : L'acteur et sa triple fonction ----------------------------------------------------------------- 68

Figure 5 : Morphologie générale du projet------------------------------------------------------------- 70

Figure 6 : Projet politique -------------------------------------------------------------------------------- 73

Figure 7 : La Direction et ses 3 sens -------------------------------------------------------------------- 75

Figure 8 : Projet ingénierie------------------------------------------------------------------------------- 78

Figure 9 : Idéal-type du projet-contenu----------------------------------------------------------------- 81

Figure 10 : Projet pragmatique ---------------------------------------------------------------------------- 82

Figure 11 : Modèle fonctionnel du Projet --------------------------------------------------------------- 84

Figure 12 : Modèle tridimensionnel du projet ---------------------------------------------------------- 85

Figure 13 : Projet au carrefour de 3 logiques ----------------------------------------------------------- 99

Figure 14 : Les hypothèses ------------------------------------------------------------------------------ 121

Figure 15 : "Projetmètre" -------------------------------------------------------------------------------- 128

Figure 16 : Processus de conception du projet-contenu --------------------------------------------- 129

Figure 17 : La composition du projet-contenu de l'univ. Nantes 2004-2007---------------------- 134

INDEXDESGRAPHIQUES

Graphique 1: Courbe de répartition chronologique -------------------------------------------------- 130

Graphique 2 : Contenu du Projet ----------------------------------------------------------------------- 143

INDEXDESTABLEAUX

Tableau 1 : Processus de conception du projet-contenu --------------------------------------------- 127

INDEXDES NOTIONS

Acteur --------------------------------------- 6, 11, 31, 68, 69, 71, 72, 76, 78, 79, 83, 90, 94, 108, 136, 137, 143, 148, 164

Action collective ------------------------------------------------------------------------- 7, 50, 62, 88, 90, 92, 95, 96, 101, 102

Anticipation -----------------------------------------------------------------------------------------------45, 65, 87, 90, 108, 120

Complexité --------------------------- 5, 10, 14, 15, 18, 22, 47, 55, 56, 57, 58, 60, 61, 67, 74, 95, 97, 112, 116, 122, 151

Conception 6, 25, 27, 31, 35, 49, 51, 59, 69, 70, 71, 72, 74, 76, 78, 79, 82, 83, 87, 88, 90, 91, 97, 101, 102, 104, 108,

118, 122, 123, 124, 125, 127, 129, 131, 132, 135, 143, 146, 148, 150, 153, 154, 157

Contenu -- 6, 35, 47, 59, 71, 74, 76, 78, 79, 80, 81, 82, 89, 92, 111, 113, 114, 115, 116, 117, 120, 121, 122, 123, 124,

125, 126, 127, 133, 134, 135, 136, 140, 141, 142, 145, 146, 148, 150, 153, 155, 156

Contexte ---- 6, 9, 11, 12, 13, 15, 16, 22, 32, 35, 37, 42, 45, 57, 71, 76, 77, 79, 86, 89, 90, 96, 97, 104, 105, 111, 124,

125, 135, 144, 146, 150, 151, 153, 154, 155

Contextualisation --------------------------------------------------------------------------------------------- 7, 58, 111, 112, 149

Convergence ------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 80, 95, 114

Coopération ----------------------------------------------------------------------- 72, 73, 78, 90, 91, 94, 95, 96, 104, 135, 154

Démocratique ------------------------------------------------------------------------------------- 21, 32, 79, 104, 132, 151, 154

Divergence ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- 7, 92, 93, 154

Éducatif ---------------------------6, 11, 18, 19, 20, 21, 23, 27, 31, 41, 43, 49, 53, 65, 77, 89, 92, 97, 105, 111, 121, 157

Enseignement ---5, 18, 19, 20, 26, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 49, 50, 59, 62, 77, 86, 89, 92, 96, 97, 98,

100, 101, 103, 105, 106, 107, 111, 112, 119, 125, 136, 140, 145, 148, 149, 153, 155, 164, 165

Établissement ------------------------------------------------------------ 5, 59, 73, 78, 82, 109, 121, 131, 132, 140, 144, 148

Formation --------------------------------------------------------------------------------------------------------- 5, 33, 59, 60, 148

Ingénierie ------------------------------------------------------------------------ 54, 58, 65, 69, 72, 78, 90, 125, 135, 138, 155

Intelligence collective ---------------------------------------------------------------------------------------------- 34, 76, 79, 104

Objectif - 9, 12, 33, 35, 37, 50, 51, 58, 68, 74, 75, 78, 83, 91, 94, 95, 96, 111, 115, 116, 117, 118, 138, 146, 147, 148

Organisation 5, 21, 24, 26, 32, 36, 39, 40, 44, 46, 49, 50, 62, 63, 69, 71, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 86, 88, 90, 93, 94,

96, 97, 101, 103, 104, 107, 108, 112, 119, 120, 125, 132, 139, 142, 143, 148, 150, 151, 154, 156

Performance --------------------------------------------------------------------------------- 19, 45, 62, 106, 120, 145, 151, 153

Politique 22, 39, 40, 41, 43, 44, 53, 59, 63, 64, 65, 69, 72, 73, 74, 77, 79, 80, 87, 88, 91, 97, 100, 106, 107, 108, 132,

137, 138, 141, 143, 144, 146, 154, 155, 156

Pragmatisme/Pragmatique ----------------------------------------------- 6, 17, 33, 59, 63, 65, 69, 72, 82, 87, 108, 120, 155

Processus --6, 9, 12, 15, 31, 35, 44, 55, 62, 64, 66, 69, 70, 72, 76, 78, 82, 88, 89, 91, 94, 96, 104, 108, 121, 122, 123,

124, 125, 127, 140, 144, 150, 151, 153, 156

Projection - 7, 11, 12, 35, 37, 41, 45, 47, 50, 64, 65, 70, 74, 90, 108, 119, 143, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 156

Projet -6, 7, 10, 11, 13, 14, 18, 21, 23, 25, 32, 33, 35, 36, 40, 44, 45, 46, 47, 49, 50, 51, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64,

65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 95, 96, 97,

98, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 111, 114, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 129, 131, 132,

133, 134, 135, 136, 138, 140, 141, 142, 144, 145, 146, 148, 149, 150, 151, 153, 154, 155, 156, 157

Stratégie---------------------------------------- 6, 59, 62, 68, 72, 74, 75, 76, 80, 88, 92, 107, 108, 125, 131, 143, 154, 155

Système Général de Développement --------------------------------------------------------------------------------- 44, 45, 156

Université ------------------------------------------------------------ 5, 6, 33, 38, 43, 60, 76, 78, 79, 103, 105, 123, 125, 132

Valeurs --13, 15, 16, 21, 22, 32, 44, 47, 69, 71, 74, 76, 77, 80, 81, 82, 87, 90, 106, 107, 121, 135, 146, 149, 151, 153,

155

INDEXDES SIGLES

AFC : Analyse Factorielle des Correspondances ---------------------------------------------------------------------------- 115

CDH : Classification Descendante Hiérarchique ---------------------------------------------------------------------------- 115

CFR : Composantes de Formation et de Recherche --------------------------------------------------------------------------- 46

CPE : Conseiller Principal d'Education --------------------------------------------------------------------------------------- 93

CQD : Contrat Quadriennal de Développement ------------------------------------------------------------------------------- 80

CSO : Centre de Sociologie des Organisations --------------------------------------------------------------------- 96, 98, 101

DGF : Dotation Globale de Fonctionnement --------------------------------------------------------------------------------- 100

ECP : Équipe de Coordination du Projet ------------------------------------------------------------------------------- 131, 132

ECTS : European Credit Transfer System------------------------------------------------------------------------------------ 139

EPSCP : Établissement Public à caractère Scientifique, Culturel et Professionnel --------------------------------- 43, 144

GPEC : Gestion Prévisionnelle des Emlpois ed des Compétences -------------------------------------------------------- 141

H. D. R. : Habilitation à Diriger des Recherches ------------------------------------------------------------------------------ 35

IAE : Institut d'Administration des Entreprises -------------------------------------------------------------------- 59, 109, 131

IRTS : Institut Régional de Travail Social -------------------------------------------------------------------------------------- 5

IUFM : Institut Universitaire de Formation des Maîtres --------------------------------------------------------------------- 41

IUT : Institut Universitaire de Technologie -------------------------------------------------------------------------- 37, 41, 46

LMD : Licence, Master, Doctorat -------------------------------------------------------------------------------- 136, 139, 140

OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques -------------------------41, 50, 107, 154, 164

PAP : Plans d'Actions Prioritaires ----------------------------------------------------------------------------------------------- 80

PCRD : Cadre des Recherche et Développement européen ---------------------------------------------------------------- 137

PIA : Protocoles Internes d'Actions --------------------------------------------------------------------------------------------- 80

PPC : Pactes de Progrès Concertés ---------------------------------------------------------------------------------------------- 80

SGD : Système Général de Développement------------------------------------------------------------------------- 44, 45, 156

UCE : Unité de Contexte Elémentaire ---------------------------------------------------------------------------------- 120, 133

UCI : Unité de Contexte Initial ------------------------------------------------------------------------------------------------ 120

UFR : Unité de Formation et de Recherche ------------------------------------------------------------------------------------ 33

UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization ------------------------------------- 36, 154

USTL : Université Scientifique et Technologique de Lille------------------------------------------------------------------- 43

1-OUVRAGES

BIBLIOGRAPHIE

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BOYER R., ORLÉAN A., (1997), "Comment émerge la coopération ? Quelques enseignements des jeux évolutionnistes", p. 19-44 in Reynaud B., (1997), Les limites de la rationalité, Paris, Colloque de Cerisy, Paris, éd.

La Découverte.

BRÉCHET J.-P., "Du projet d'entreprendre au projet d'entreprise". Revue Française de Gestion, n°99, été 1994. BRÉCHET J.-P.,"De l'existence du projet d'entreprendre. Le cas d'une grande université multidisciplinaire",

Politiques et management public, n° 1, 2005.

BRÉCHET J.-P., "Quel diagnostic pour une grande organisation complexe comme l'université ?", cite du CRGNA,

2004.

BRÉCHET J.-P., DESREUMAUX A., "Le projet au fondement de l'action collective", Sociologies Pratiques, n° 10,

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BRÉCHET J.-P., DESREUMAUX A., "Pour une théorie stratégique de l'entreprise. Projet, collectif et régulations",

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BURTON C., "L'université entrepreneuriale : nouvelles bases de la collégialité, de l'autorité et de la réussite", Revue

du programme sur la gestion des établissements d'enseignement supérieur, OCDE, Vol. 13 - n°2, 2001.

BURTON C., "Rapport sur le développement dans le monde : le savoir au service du développement", tiré de Banque Mondiale (1998), Revue du programme sur la gestion des établissements d'enseignement supérieur, OCDE, Vol. 13 - n°2, 200.

EKELAND I., (1993), "Le métier de président de l'université", discours prononcé lors des Petits Déjeuners

"Confidences" organisé par les Amis de l'École de Paris, http://www.ecole.org

FRIEDBERG E., MIGNOT-GÉRARD S., MUSSELIN C., "Les incidences du changement sur le gouvernement des université", www.sco.edu

GÉRARD C., (2005), "Action-recherche // recherche-action en formation, c'est-à-dire conjoindre l'art, la science et l'expérience afin de former à (se) former".

GIORDANO Y., "Communication d'entreprise : faut-il repenser les pratiques managériales ?", Revue de Gestion

des Ressources Humaines, n° 13/14, janvier 1995.

GIROUX N., "La communication dans la mise en oeuvre du changement", Management International, n°1, 1998. GIROUX N., TAYLOR J., (1994), "Le changement par la conversation stratégique", Conférence internationale de

l'AIMS, Lyon.

GIROUX N., GIORDANO Y., "Les deux conceptions de la communication du changement", Revue Française de

Gestion, Septembre-Octobre 1998.

FILMS

"Pensée de notre temps : Paul Ricoeur", lors d'un entretien qu'il a accordé en automne 1997, filmé par l'INA et conduit par Jeffrey Andrew Barash. Une production ARTE France / INA. [Diffusé sur ARTE].

"Colloque Qualité", organisé par l'Assédic des Pays de la Loire, le 4 décembre 2003 au Château de Goulaine.

[En DVD].

Table des matières

Sommaire ------------------------------------------------------------------------------------- 4

INTRODUCTION ----------------------------------------------------------------------- 5

PREMIÈRE PARTIE ~ CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE ------- 9

Brève notion d'autobiographie référencée ------------------------ 9

CHAPITRE PREMIER EXPÉRIENCES À L'ORIGINE DU SUJET ----- 14

I. La genèse d'un parcours ----------------------------------------------15

A. Un singulier départ ------------------------------------------------------------- 16

B. Cheminement d'un ouvrier-élève------------------------------------------- 18

II.Un apprentissage dans l'action -------------------------------------21

A. Une léproserie comme fondation------------------------------------------- 21

1. Visées économique et socioéducative ------------------------------------------ 23

a. Une économie vivrière ------------------------------------------------------------------23

b. Un défi de resocialisation --------------------------------------------------------------24

c. Création d'une école primaire ----------------------------------------------------------26

2. Des difficultés formatrices ------------------------------------------------------- 27

a. Des difficultés humaines ---------------------------------------------------------------27

b. Une formation au "métier d'homme" -------------------------------------------------30

B. Alternances entre emplois et formations --------------------------------- 33

1. De l'éducation spécialisée à l'université---------------------------------------- 33

2. De l'enseignement secondaire à l'université ----------------------------------- 33

CHAPITRE 2 CONTEXTE UNIVERSITAIRE TRÈS COMPLEXE ---- 36

I. Le profil de l'université française -----------------------------------38

A. Un héritage millénaire --------------------------------------------------------- 38

B. Une organisation constituée ------------------------------------------------- 39

C. État des lieux général et enjeux -------------------------------------------- 41

II.L'Université unique de Nantes -------------------------------------43

A. Une personnalité bien ancrée ----------------------------------------------- 43

B. Un établissement très composite ------------------------------------------ 46

IIe PARTIE ~ UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DE LA PROJECTION ---------49

CHAPITRE 3 POUR UNE ÉPISTÉMOLOGIE DE RELIANCE------- 51

I. La logique disjonctive à dépasser-----------------------------------51

A. Le paradoxe de nos sciences ----------------------------------------------- 51

B. Prise de conscience pour un changement ------------------------------- 54

II.Une vision plus globale et reliante---------------------------------55

A. Changement de paradigme-------------------------------------------------- 55

B. Appréhender la complexité -------------------------------------------------- 57

C. Un projet de recherche reliant ---------------------------------------------- 58

CHAPITRE 4 PROBLÉMATIQUE DE PROJECTION COLLECTIVE - 62

I. Notions fondamentales de projet -----------------------------------63

A. Les diverses origines du concept ------------------------------------------ 63

1. Retour à l'étymologie ------------------------------------------------------------- 64

2. Les différentes pensées ----------------------------------------------------------- 65

B. Pour une modélisation du projet-------------------------------------------- 66

1. Les processus de projection------------------------------------------------------ 66

a. Morphologie générale du projet -------------------------------------------------------67

b. Projet-politique : du Fondement à la Finalité ----------------------------------------73

c. Projet-ingénierie : de l'Existant au Contenu -----------------------------------------78

d. Projet-pragmatique : du Contenu au Produit-----------------------------------------82

e. Modèle fonctionnel et tridimensionnel du projet------------------------------------84

2. Une tentative de définition ------------------------------------------------------- 86

II.Le projet dans l'action collective-----------------------------------90

A. Une problématique de l'action collective --------------------------------- 90

1. Question de coopération---------------------------------------------------------- 90

2. Divergence des intérêts ----------------------------------------------------------- 92

B. Dans les contextes d'une université --------------------------------------- 96

1. Articulation avec la tutelle ------------------------------------------------------100

2. Logiques des composantes------------------------------------------------------104

3. Logiques d'établissement--------------------------------------------------------105

IIIe PARTIE ~ LE CONTENU D'UN PROJET D'ÉTABLISSEMENT----------- 111

CHAPITRE 5 DÉMARCHES MÉTHODOLOGIQUES ------------ 112

I. Approches méthodologiques--------------------------------------- 113

A. Analyse de contenu à l'aide d'Alceste ---------------------------------- 113

1. Analyse de contenu --------------------------------------------------------------113

2. Principes du fonctionnement d'Alceste ---------------------------------------115

B. Préparation du corpus ------------------------------------------------------ 118

1. Échantillonnage ------------------------------------------------------------------118

2. Formatage du texte ---------------------------------------------------------------119

II.Questionnement de la recherche --------------------------------- 120

A. Problématique du projet-contenu ---------------------------------------- 120

B. Nos hypothèses--------------------------------------------------------------- 121

CHAPITRE 6 EXPLORATION DU CONTENU D'UN PROJET ---- 123

I. L'élaboration du corpus -------------------------------------------- 123

A. Description de l'objet -------------------------------------------------------- 123

B. Ingénierie du contenu ------------------------------------------------------- 125

II.La structure du contenu ------------------------------------------- 133

A. Des éléments de diagnostic ----------------------------------------------- 135

B. Des objectifs ------------------------------------------------------------------- 136

1. De meilleures prestations -------------------------------------------------------136

a. Des offres de qualité et plus visibles ------------------------------------------------ 136

b. Renforcement de la Valorisation ---------------------------------------------------- 137

2. Des acteurs de qualité -----------------------------------------------------------138

a. Attraction des meilleurs -------------------------------------------------------------- 138

b. Fidélisation par un accueil confortable --------------------------------------------- 139

c. Mobilité internationale---------------------------------------------------------------- 139

C. Un échéancier----------------------------------------------------------------- 140

D. Deux dispositifs de gestion ------------------------------------------------ 141

1. La démarche projet---------------------------------------------------------------141

2. Des propositions de GPEC------------------------------------------------------141

E. Mais avec quels moyens ?------------------------------------------------- 142

III. La portée discursive du document -------------------------- 144

CONNAISSANCE ACTIONNABLE ---------------------------------------------- 148

CONCLUSION------------------------------------------------------------------------ 153

INDEX DES AUTEURS -------------------------------------------------------------------------------------------- 158

INDEX DES FIGURES -------------------------------------------------------------------------------------------- 160

INDEX DES NOTIONS -------------------------------------------------------------------------------------------- 161

INDEX DES SIGLES -------------------------------------------------------------------------------------------- 162

BIBLIOGRAPHIE --------------------------------------------------------------------------------------------------- 163

L

A CONCEPTION D'UN PROJET D'ÉTABLISSEMENT

ENTRE POLITIQUE, INGÉNIERIE ET PRAGMATISME

Ce mémoire porte sur le projet d'établissement, en tant que dispositif d'anticipation opératoire, qui permet de fédérer une équipe hétérogène.

En quoi le projet constitue-t-il un concept central dans la gouvernance d'un établissement à une époque où les contextes exigent de sortir de la routine pour concevoir collectivement un avenir ambitieux mais réaliste ? Comment cet effort d'intelligence collective se confronte-t-il aux problèmes complexes de la coopération et de la divergence des intérêts ? Enfin, quels sont les différents éléments constitutifs d'un projet-contenu ? Ce dernier se présente comme le résultat d'une ingénierie collective, tout en étant, également, le potentiel des réalisations qui restent à mettre en oeuvre. Dans

le cas d'un établissement d'enseignement supérieur public, une démarche projet permet la convergence des ses diverses composantes, ainsi que l'évolution vers plus d'autonomie par rapport au ministère de tutelle. Ce qui explique, entres autres raisons, son importance.

Ce sont autant d'éléments de réflexions pour penser le développement de chaque organisation à finalité socioéducative. Or, le devoir de répondre à ses interrogations nous incombe collectivement. Chercher à découvrir les éléments qui composent le Projet-contenu constitue donc une façon de prendre part à ce devoir. Ainsi, l'entrée par son processus de projection, illustré par celui de l'Université de Nantes, se présente comme une voie possible pour étudier le fonctionnement d'un établissement. Espérons alors que la lecture de ce volume pourra servir de catalyseur de réflexions aux professionnels du champ socioéducatif. Mais elle peut aussi être le point de départ d'une recherche des moyens pour bâtir une nouvelle école adaptée aux besoins de notre société.

Enfin, la connaissance du système éducatif exigera toujours beaucoup d'investissements dans

la mesure où, pour citer Nelson Mandela, "Aucune nation n'a d'avenir si elle ne forme pas sa jeunesse. Le pilier de la société, c'est l'éducation."

Mots-clé : Anticipation, conception, complexité, discours, établissement, éthique, ingénierie, action collective, politique, projet, projet-contenu, stratégie.

Simon MAMORY






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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"