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Essai d'analyse critique du role de la philosophie à travers les ouvrages de Paulin Hountondji et de Marcien Towa

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par Issiaga DIALLO
Université de Sonfonia Conakry - Maitrise 2005
  

Disponible en mode multipage

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AVANT-PROPOS

INTRODUCTION

CHAPITRE I : LA QUESTION DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE COMME ELEMENT DE LA PROBLEMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

SECTION 1 : PROBLEMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

SECTION 2 : L'ETAT DE LA QUESTION DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

SECTION 3 : LA QUESTION DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE

CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE

SECTION 1 : PRSENTATION SOMMAIRE DU CONTENU DE L'OUVRAGE

SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON MARCIEN TOWA

SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON MARCIEN TOWA

CHAPITRE III : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS SUR « LA PHILOSOPHIE AFRICAINE » CRITIQUE DE L'ETHNOPHILOSOPHIE

SECTION 1 : PRESENTATION SOMMAIRE DU CONTENU DE L'OUVRAGE

SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON PAULIN HOUNTONDJI

SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DO ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON HOUNTONDJI

CONCLUSION GENERALE

BIBLIOGRAPHIE AVANT PROPOS

La question du rôle de la philosophie nous interpelle à plus d'un titre. En effet tout jeune étudiant dans cette discipline, éprouve le besoin d'interroger celle-ci, non seulement du point de vue de son fondement théorique, mais aussi de l'importance qu'elle recèle et qui justifierait de la pertinence qu'il y a à l'étudier en tant qu'acteur d'une sphère socio-économique, politique, culturelle, etc. Cela est d'autant plus fondé que l'une des facettes les plus récurrente de la philosophie demeure de loin, de notre point de vue, celle où ces spécialistes mêmes éprouvent des difficultés, sinon n'arrivent pas à la définir. Aussi longtemps qu'on promène notre regard sur l'histoire de la pensée philosophique, elle nous offre constamment un spectacle dans lequel naissent, combattent et/ou disparaissent (pour certaines) les doctrines les plus diverses. Pour cette raison et bien d'autres encore, l'étudiant en philosophie est en droit de s'interroger et de porter son analyse sur celle-ci notamment en son rôle. Car en tant que branche du savoir humain emmenée à apporter sa pierre de touche dans la saisie et la construction de tout ce que l'homme considère comme étant son bien dans cette vie, il y a lieu de s'interroger sur ce que la philosophie peut y apporter. Mais plus que cela, nous nous proposons d'analyser le rôle de la philosophie dans une certaine littérature, une littérature qui s'inscrit dans le cadre de la problématique philosophique africaine. Cela donne encore plus d'importance à cette question, compte tenu notamment du fait que jusqu'à une date bien récente, parler d'une philosophie africaine était considérée comme une aberration. A cela s'ajoute le fait que sur bien des plans mais plus particulièrement sur le plan économique, le continent africain baigne dans une telle léthargie que pour d'aucuns il importe plus de former des ingénieurs, des économistes, agronomes etc. Cela s'observe d'ailleurs de manière apodictique dans bien des universités africaines où les étudiants désertent les départements de philosophie. L'analyse des rôles de celle-ci dans les livres de Towa et Hountondji aura l'avantage de préciser certaines choses dans ce domaine, mais aussi de faire ressortir une nouvelle vision dans le débat sur la problématique philosophique en Afrique. Car avec eux, s'opère une rupture radicale avec les auteurs qui les ont précédés.

Au cours de notre travail nous avons rencontré d'importantes difficultés relatives notamment à la documentation et à la saisie. La documentation a fait défaut du fait du manque de documents consacrés à la littérature philosophique africaine dans les bibliothèques. Quant à la saisie, elle a constitué pour nous un dilemme qui s'explique par une insuffisance de vulgarisation de l'informatique dans notre pays. De plus cette situation est elle-même aggravée par les difficultés liées à l'énergie électrique dans nos différents quartiers. Nous ne saurons terminer ce propos sans avoir adressé notre profonde reconnaissance à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ont contribué à notre formation couronnée par ce mémoire de fin de cycle. Nous remercions nos parents Monsieur Diallo Mamadou Malick, Madame Diallo Fatoumata Binta ainsi que notre petit frère Diallo Abdoulaye. Nous n'oublions pas tous ceux nous aidé dès le début à intégrer les Institutions d'enseignement supérieures de la République de Guinée comme Docteur Yacouba Diallo. Nous ne cesserons jamais de témoigner notre gratitude à notre Directeur de mémoire Docteur Mamadou Bella Baldé qui n'a ménagé aucun effort pour nous aider et nous encadrer non seulement dans ce travail, mais aussi durant tout notre parcours universitaire en Guinée. Pour finir que Mademoiselle Diallo Souadou soit remerciée pour sa contribution inestimable pour l'impression de ce travail.

INTRODUCTION

Notre propos porte sur le rôle de la philosophie. Plus précisément du rôle de celle-ci tel qu'il est conçu dans deux ouvrages respectivement de Marcien Towa et de Paulin Hountondji. Il s'agit de :

- Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, éditions Clé Yaoundé, 1979 (2eme édition)

- Sur « la philosophie africaine » critique de l'ethnophilosophie, Éditions Clé Yaoundé, 1980

Ces ouvrages sont des prises de positions dans la profonde controverse sur la problématique philosophique en Afrique. Cette controverse a des origines lointaines et engage à la fois les auteurs africains et Occidentaux. Dans cette perspective elle a fait l'objet d'approches contradictoires, avec comme toile de fond la question de l'existence ou non d'une philosophie africaine. Jusqu'à un certain temps, bien des auteurs Occidentaux, se fondant probablement sur les thèses racistes et négationnistes du Comte de Gobineau et autres Lévy-Bruhl, ont fait de la philosophie une exclusivité occidentale. Cependant, au sein de cette même littérature occidentale il est reconnu aux peuples africains en particulier de brillantes civilisations ; des civilisations qui certes sont différentes des civilisations occidentales mais qui demeurent quand même des civilisations, avec tout ce que cela implique en terme de diversités, de richesse, de complexité. Léo Frobenius, un ethnologue allemand qui entreprit nombre d'expéditions en Afrique Noire entre 1904 et 1935 en était profondément convaincu. De ces expéditions il a légué à la postérité une description profonde des peuples qu'il a rencontrés et il estime en substance qu'ils sont « civilisés jusqu'à la moelle des os »1(*). Une autre étape sera franchie dans ce débat avec la publication de La Philosophie Bantoue du Révérend Père Placide Tempels en 1945 aux éditions Lovania Léopoldville. Cet ouvrage était une monographie dans laquelle l'auteur recensait et apportait des réponses à toutes les interrogations de ses collègues Occidentaux qui opéraient sur le continent africain ou en avaient l'intention ; dans le cadre de la mission civilisatrice. Plus concrètement Tempels se proposait de mettre en exergue la vision du monde sous-jacente aux attitudes, comportements, us, coutumes, croyances etc. des Bantous à partir d'une analyse d'éléments de leurs champs culturels. Cet ouvrage constitue disons-nous une nouvelle étape dans la problématique philosophique africaine compte tenu notamment des réactions qu'il a enregistrées aussi bien au sein de l'intelligentsia africaine qu'occidentale. A coté de l'écho favorable qu'il a eu chez de grands penseurs Occidentaux comme Bachelard, Gabriel Marcel, Lucien Masson Oursel, etc., les gardiens de l'orthodoxie occidentale ne tardèrent pas de faire entendre leur voix. Ainsi Georges Gusdorf parle en termes pathétiques d'une crise de désintégration de la philosophie et se propose de lever les confusions afin que la philosophie soit ramenée à son champ naturel : l'Occident. Dans la littérature africaine bien des auteurs, éblouis notamment par le fait que La philosophie bantoue recelait une part de réhabilitation des peuples noirs par l'affirmation de l'existence de la philosophie africaine et la nécessité de réorienter la manière de les traiter, ont tiré une salve d'honneur à l'ouvrage de Tempels. Un vaste mouvement de pensée s'est donc développé dans le prolongement des thèses tempelsiennes. Le point culminant de ce mouvement littéraire et idéologique sera atteint avec la prétention de certains auteurs africains ou Occidentaux à dégager une philosophie africaine sur les mêmes méthodes que Tempels. A savoir une vision du monde à laquelle adhèreraient spontanément et inconsciemment tous les Africains sans distinction ; vision du monde qui serait la philosophie africaine. Une philosophie les Africains gagneraient, selon Juléat Basile Fouda (La philosophie africaine de l'existence, Lille, 1967) à « transmettre à travers les âges comme un héritage à recevoir, à défendre et incarner pour atteindre l'existence authentique ». Cette philosophie déduite donc de l'héritage culturel africain sera appelée ethnophilosophie. C'est du reste contre cette manière de concevoir la philosophie africaine qu'écrivent Towa et Hountondji dans les ouvrages qui nous intéressent. Ils estiment que cette manière de concevoir la philosophie africaine et les développements tant théoriques qu'idéologiques qui ont suivi, ont conduit à une impasse dans le débat sur la problématique philosophique africaine et qu'il urge d'invalider l'ethnophilosophie et de proposer une nouvelle approche dans ce débat; à la lumière du sens de celle-ci dans la tradition philosophique internationale et notamment occidentale. Ils remarquent en effet que pour la plupart tous les auteurs africains qui se sont lancés dans le débat sur la problématique philosophique en Afrique, se sont d'emblée crus obligés de défendre coûte que coûte l'existence d'une philosophie africaine avec le dessein avoué ou non de nier la négation des civilisations africaines par l'Occident depuis des siècles. Au risque cependant de produire quelque chose qui n'est philosophique que sur le continent africain. Ils en appellent donc à une réorientation des choses dans ce débat. C'est ainsi que pour Towa, la question de fond est celle relative à l'existence ou non d'une philosophie africaine. Il estime donc que cette question « doit être reprise à la base, la philosophie européenne examinée et jugée en elle-même, rigoureusement, imperturbablement, sans tenter d'en distendre le concept pour pouvoir y inclure nos cultures, ou de la caricaturer avec l'arrière pensée de lui opposer victorieusement nos propres modes de pensée. ». Quant à Hountondji, partant de l'existence avérée d'une abondante littérature produite par des auteurs africains et se qualifiant par elle-même de philosophique, il se propose entre autres dans son ouvrage « de circonscrire cette littérature, en dégager les thèmes majeurs, montrer quel en a été jusqu'ici la problématique de fait et rendre problématique cette problématique elle-même ». Dans les deux cas, il est fondamentalement question de dénoncer ce qu'ils considèrent comme des travers dans le débat sur la problématique philosophique africaine et de proposer de nouvelles pistes pour l'émergence d'une culture philosophique saine. Mais au-delà de cela, dans le cadre de leurs projets, Towa et Hountondji proposent des rôles spécifiques à la philosophie. Ces rôles font essentiellement référence aux conditions aussi bien théoriques que pratiques susceptibles de favoriser une véritable culture philosophique sur le continent africain. Nous nous bornerons à identifier et analyser ces rôles. Il s'agira précisément de les faire ressortir dans les ouvrages de Towa et de Hountondji et d'en faire une analyse critique. Autrement dit nous tenterons de comprendre pourquoi, dans le cadre de la problématique philosophique africaine, nos auteurs avancent ces rôles précis. Quelle est leur vision de la philosophie en général pour que de tels rôles soient proposés ? Quelles sont les limites de ces rôles relativement aux projets de Towa Hountondji eux-mêmes et à la problématique philosophique en général sur le continent africain ? A ces interrogations et à bien d'autres nous essaierons de répondre dans les lignes qui suivent. Pour ce faire, nous articulerons notre intervention en trois chapitres subdivisés en sections.

Dans le premier chapitre, nous nous pencherons sur le rôle de la philosophie comme élément de la problématique de la philosophie africaine. En d'autres il s'agira d'analyser cette problématique, faire le bilan de l'essentiel de la littérature qui lui est jusque là consacrée et aborder la question du rôle de la philosophie. Dans les autres chapitres nous ferons une analyse critique des rôles de la philosophie dans les ouvrages de Towa et Hountondji.

CHAPITRE I : LA QUESTION DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE COMME ELEMENT DE LA PROBLEMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

Depuis la fin du XIXème siècle jusqu'à nos jours, la problématique d'une philosophie africaine fait l'objet d'une abondante littérature. Les ouvrages de Towa et Hountondji sont un moment de cette littérature ; ce qui fait que parler du rôle de la philosophie chez eux passe par une étape intermédiaire mais indispensable visant à définir les termes de cette problématique, circonscrire la littérature dont elle fait l'objet et enfin faire une esquisse de la question du rôle de la philosophie.

SECTION 1 : PROBLEMATIQUE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

Il existe une problématique de la philosophie africaine ou une problématique de la philosophie en Afrique. Une telle affirmation peut paraître scandaleuse à première vue, pour la simple raison que sur les autres sphères géographiques du monde comme l'Asie, l'Amérique, etc. la question de la philosophie ne s'avère pas d'emblée problématique. Quand on aborde l'histoire de la pensée philosophique ; il a toujours été possible de répertorier plusieurs régionalisations de celle-ci qui font ressortir une classification en philosophie antique ; moderne ; contemporaine ; mais aussi en philosophie occidentale ; orientale etc. Mais en ce qui concerne l'Afrique la question se pose presque constamment en termes d'existence même d'une philosophie. Autrement l'expression « philosophie africaine » est de prime à bord problématique. Une étude approfondie de la question de la problématique de la philosophie africaine s'impose donc pour mieux nous situer et faire ressortir les contours de cette problématique.

La problématique de la philosophie africaine traverse tant la littérature occidentale qu'africaine. La question centrale dans ce débat tourne essentiellement autour de l'existence ou non d'une philosophie africaine. Plus concrètement il s'est agit de savoir si les peuples africains peuvent s'élever intellectuellement de façon à être capable d'exercer cette haute activité de l'esprit qu'est la philosophie. Jusqu'à une époque récente, les peuples d'Afrique étaient exclus de toute aptitude à la pratique philosophique. Durant cette époque donc la problématique de la philosophie africaine se posait en terme de son invention, de sa construction. Des travaux allant dans le sens de l'identification et de l'étude de toute forme de rationalité chez les Africains existent dans la littérature africaine et dans celle occidentale. Dans la littérature occidentale, la recherche d'une rationalité chez les Africains s'inscrit fondamentalement dans le cadre de travaux ethnologiques. C'est dans cette perspective qu'il faut ranger les ébauches de Marcel Griaule et autre Paul Radin. Ce qui ressort de manière générale de ces travaux, c'est la présence chez les Africains d'une certaine manière de concevoir le monde et de l'organiser. A cela correspond tout un développement de techniques, d'attitude, de moeurs, d'organisation politique, économique etc., ayant la particularité d'être pour l'essentiel différent de ce qu'ils connaissent chez eux. En tout état de cause les résultats de ces travaux n'ont pas convaincu la plupart des Occidentaux de cette époque pour attribuer aux africains une philosophie telle qu'ils l'ont toujours connue. Mais un tournant décisif dans cette controverse sera opéré avec la publication par le Révérend Père Placide Tempels de La Philosophie Bantoue en 1945. Ce livre marquait une rupture du fait de l'utilisation systématique du terme de philosophie mais aussi l'écho favorable qu'il a suscité auprès de d'auteurs Occidentaux de cette époque comme Oursel, Gabriel Marcel, Gaston Bachelard etc. ; même si comme souligné précédemment d'autres voix ne tardèrent pas à contester cela. En tout état de cause, il semble désormais que, la question ne se pose plus en termes de savoir s'il existe ou non une philosophie africaine. D'autant plus que son affirmation sans ambages est constatée de la part de penseurs Occidentaux, autrement dit ceux-là même qui l'ont toujours nié. A partir de ce moment la problématique de la philosophie africaine change d'orientation et se pose désormais en termes de savoir si celle-ci doit être telle qu'elle est conçue par Tempels (et qui sera appelé ethnophilosophie) et tous ceux qui par la suite ont abondé dans le même sens ; ou si elle doit être comme le dit Hountondji, un débat sans cesse contradictoire entre africains non seulement pour la saisie de ce qu'est la philosophie africaine mais aussi de toute production littéraire et philosophique d'un africain portant sur un problème philosophique ; etc. Dans l'une et l'autre de ces deux éventualités, beaucoup de choses ont été avancées aussi bien en Afrique qu'en Occident. Mais il convient dans notre propos de dépasser ces positions et de voir ce qui a été entendu comme philosophie dans la tradition internationale ; notamment occidentale pour que sur le plan africain la problématique de la philosophie ait la connotation qu'on connaît.

Du point de vue étymologique, le mot philosophie vient de philein « aimer » et de sophia « sagesse », donc dans sa conception la plus élémentaire, la philosophie a pour but la sagesse en tant qu'activité intellectuelle spécifique. Cette activité a donné naissance à une forme de savoir scientifiquement organisé qui s'est constitué en discipline spécifique et autonome ; avec un objet d'étude et une démarche elle aussi spécifique qui traverse de part en part l'histoire de la pensée des hommes. Selon Pierre Bamony2(*), cette activité a désigné trois réalités pour les présocratiques :

1. L'habileté spécialisée dans tel ou tel domaine du savoir

2. L'érudition

3. La sagesse émanant de l'expérience propre emmenée elle-même à être dépassée

En tout état de cause, la philosophie procède foncièrement d'une réflexion personnelle en tant qu'interrogation sur la vie, la destinée des hommes et du monde. En ce sens, on pense, on philosophe d'abord pour soi-même, selon une opinion personnelle, individuelle. Le philosophe part toujours de cette opinion dont le propre est d'être ; en tout cas au départ ; subjective, pour asseoir un savoir systématisé reposant sur des arguments logiquement cohérents. Cependant selon Pythagore, seuls les dieux peuvent atteindre la sagesse, les hommes peuvent tout au plus être amis, zélateurs de la sagesse. Avec Socrate et le mouvement de la sophistique le mot philosophie a eu à désigner la pratique morale, l'éloquence. Mais avec Aristote cette définition va s'étendre à d'autre domaine et ainsi devenir plus hétérogène. Dans son acception, la philosophie représente la science des premiers principes et des premières causes. Plus généralement Aristote englobe dans sa définition de la philosophie, ses ébauches de sciences expérimentales, l'astronomie, les mathématiques, la logique, la métaphysique etc. Cette définition fera son chemin et influencera profondément les siècles suivants et servira surtout de base à la doctrine de l'Eglise qui contrôlera tous les compartiments de la vie de l'Europe durant des siècles. Pour Descartes, la philosophie apparaît comme un arbre dont les racines représentent la métaphysique, le tronc la physique et les branches les autres sciences spécialisées. Cette conception de la philosophie sera elle aussi remise en cause à partir de Kant. Il en résultera une nouvelle manière de voir la philosophie où celle-ci se subdivise en métaphysique, psychologie, logique et morale. Cette autre manière de concevoir la philosophie ne sera du reste pas figée une fois pour toute, elle connaîtra une évolution considérable qui aboutit à une autonomisation des domaines jusque là abordé dans la philosophie. Le cas le plus éloquent est celui de la physique à partir du 19ème siècle. Mais l'histoire des grandes conceptions ne s'arrêtent pas là et la philosophie connaîtra bien d'autres conceptions. C'est le cas de ce mouvement philosophique qui a fait école au début du XXème siècle et connu sous le nom de philosophie analytique notamment avec le cercle de Viennes ; ou néopositivisme ou positivisme logique. Le positivisme logique est un ensemble d'idées philosophiques avancées par le cercle de Viennes ; groupe formé par des rencontres de philosophes et de savants. Leur idée est que l'âge de la science n'a pas la philosophie qu'elle mérite. Ceci pour dire que la science n'est pas suffisamment soumise à la critique relativement à son appareil conceptuel, son objet d'étude, ses résultats, les applications de ces résultats dans la vie des hommes etc. Donc ils se fixent pour objectif de fonder une philosophie qui est essentiellement une réflexion sur la science. Ils veulent fonder un discours dont la quintessence est une analyse critique et objective non seulement du discours de la science, mais aussi de sa méthode, ses résultats, des implications de ces résultats même dans la vie des hommes.

Cette petite brèche loin d'être une restitution exhaustive de ce qu'il faut entendre par philosophie, donne pour le moins un aperçu de ce qu'elle a représenté pour la plupart dans la tradition occidentale. En un mot on peut dire de la philosophie que « d'une part elle désigne un ensemble de spéculations personnelles sur des données subjectives tels que les points de vue interrogatifs ou discursifs sur la cosmologie, la cosmogonie, la vie et les hommes ou des points de vue de l'expérience scientifique à une époque donnée ; d'autre part elle désigne et implique à la fois des principes méthodiques et des éléments de base d'une science quelle qu'elle soit (épistémologie) »3(*). Cette approche a le mérite de faire ressortir que la philosophie n'est pas nécessairement une donnée homogène appelée à demeurer telle par delà l'espace et le temps. Certes il existe une spécificité de la philosophie qui subsiste, relativement à son objet d'étude et à ses méthodes, mais il convient de souligner qu'elle présente des colorations, des régionalisations, mieux qu'elle est à incorporer dans les manifestations culturelles des hommes. C'est ainsi qu'on a pu parler de philosophie orientale, de philosophie chinoise etc., on a pu également parler de philosophie contemporaine, de philosophie moderne etc. Si on part donc de cette conception standard de la philosophie, rien ne pourrait justifie qu'on nie l'existence d'une philosophie africaine, car non seulement une activité semblable a existé et existe encore de nos jours sur le contient africain, ou alors rien ne prouve que les peuples africains ne sont pas capables de produire une telle activité. A ce niveau de notre propos ; il convient de préciser que la problématique d'une philosophie africaine ne concerne en réalité que l'Afrique subsaharienne. L'Afrique du Nord a connu de grandes civilisations qui ont marqué de leur empreinte l'histoire de la pensée humaine, parce qu'elle a entretenu des contacts avec le monde Occidental depuis la plus haute antiquité ; mais aussi et surtout parce qu'elle fait partie des civilisations de l'écriture ; ce qui a pour conséquence heureuse de laisser des traces de son existence. Ainsi le constat peut être fait tout au long de l'histoire de la richesse de cette civilisation à travers des réalisations techniques de toute sorte ; mais aussi de l'existence d'une littérature notamment philosophique. Plus que cela l'histoire de la pensée occidentale elle-même montre que depuis la plus haute antiquité ; les Grecs ont bénéficié de nombreux emprunts de la pensée de l'Afrique du Nord ; notamment de l'Égypte antique. Un certain point de vue fort répandu laisse entendre que les Grecs doivent leur succès dans des domaines aussi variés que la philosophie ; l'astronomie ; les mathématiques etc., à un fin dosage entre leurs propres connaissances et différents emprunts qu'ils firent au cours de leurs nombreux voyages en terre égyptienne. Il est ainsi de nos jours reconnu que la plus part des philosophes grecs de l'Antiquité ont eu au moins une fois fait un voyage en Égypte ; pour apprendre la science et la philosophie égyptienne. Ainsi dans l'ouvrage qui nous intéresse Marcien Towa relève certaines affirmations de P. Masson-Oursel qui firent tant de bruits au sein de ses collègues occidentaux. C'est ainsi qu'il relativise tout ce qui a été jusque là admis et défendu bec et ongle par nombre de philosophes et idéologues occidentaux ; allant jusqu'à relativiser ce qu'il est communément appelé « le miracle grec ». Pour lui, il s'agit en réalité d'un pseudo-miracle, car il n'existe rien dans la pensée grecque qui ne trouver son équivalent ou quelque chose de semblable à quelques nuances près dans la pensée égyptienne. On peut ainsi remplir des pages entières où des auteurs occidentaux apportent la preuve que le succès de la Grèce est à mettre sur le compte de ses emprunts a l'Égypte antique : « Les plus célèbres parmi les savants ou les philosophes hellènes ont franchi la mer pour chercher, auprès des prêtres (égyptiens), l'initiation à de nouvelles sciences ».4(*)« L'on a eu raison d'admirer le génie spéculateur des philosophes grecs en général et de Platon en particulier ; mais cette admiration, que les Grecs méritent sans doute, les prêtres égyptiens la méritent encore mieux et, si nous leur rendons la paternité de ce qu'ils ont inventé, nous ne ferons qu'un acte de justice ».5(*) etc. Même l'écriture que certains considèrent comme étant une condition sine qua none de toute pratique philosophique, est considérée comme d'origine égyptienne. C'est ainsi que John Chadwik remarque qu'« On tient généralement l'écriture alphabétique pour une invention sémitique (c'est-à-dire phénicienne), mais i'écriture égyptienne ouvrait la voie à ce système, et il n'a été pleinement développé que par les Grecs ».6(*) Autrement dit, les Grecs n'ont pas inventé l'écriture. Ils n'ont même pas inventé l'alphabet grec qui dérive, vers 800 avant Jésus Christ, de l'écriture phénicienne, issue, elle-même, de l'écriture égyptienne. Cela fait donc ressortir qu'en réalité la problématique philosophique africaine, ne concerne que l'Afrique subsaharienne. Donc cette problématique se pose essentiellement en termes de son existence et de la forme qu'elle doit avoir relativement à la tradition philosophique internationale notamment occidentale. Cela a nourri et alimenté tous les débats et controverses qu'on connaît et qu'on va tenter maintenant d'analyser.

SECTION 2 : L'ETAT DE LA QUESTION DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE : DEBATS, CONTROVERSES, COURANTS

La philosophie africaine pose d'énormes difficultés. Elle alimente un vaste débat controversé qui secoue à la fois les intellectuels africains et Européens. Les questions tournent essentiellement autour de son existence ou non. Notre propos ici ne sera pas une prise de position dans ce large débat. Mais plutôt celui de faire un bilan de cette controverse. Cela permettra de voir le niveau des débats en la matière, mais aussi de faire ressortir la position des auteurs sur lesquels portera notre réflexion. Car les ouvrages de Hountondji et Towa sont avant tout une prise de position dans le débat sur la problématique philosophique africaine.

La controverse sur la problématique philosophique en Afrique est née en pleine période coloniale d'une contestation à l'intérieur de la littérature occidentale elle-même, portant sur la prétendue occidentalité exclusive de la philosophie en tant que quintessence de l'activité intellectuelle humaine. Au sein donc de la pensée occidentale, deux tendances philosophiques ou même extra philosophiques se combattent. L'une faisant du Noir au même titre que tous les autres peuples dits exotiques, un être incapable de philosophie. L'autre trouvant au contraire que le Noir a une civilisation avec une philosophie et une gnoséologie qui est certes différente de celle occidentale, mais qui n'en demeure pas une, avec toute sa richesse et sa spécifié et sa complexité. Ces deux tendances sont du reste nourries et entretenues par d'importants travaux d'ethnologues, d'ethnographes, de missionnaires, de colons qui exercent sur le continent. Dans ce domaine l'ethnologie est celle qui s'est le plus illustrée avec des travaux devenus célèbres comme ceux de Marcel Griaule7(*), et autre Paul Radin8(*). Indépendamment des critiques qu'on peut faire à l'ethnologie, notamment quant à son impartialité, elle se donne comme une approche d'observation scientifique des peuples primitifs. C'est dans cette perspective que « l'Afrique a été exploré de part en part, des musées construits dans les métropoles pour conserver les vestiges matériels de ces sociétés primitives ainsi que les vestiges spirituels tels qu'ont pu les recueillir (...) les récits de colons (missionnaires, soldats et fonctionnaires), puis par les professionnels du métier »9(*). Le constat a été que les sociétés africaines étaient si restreintes et si peu évolutives à côté de celles évolutionnistes et expansionnistes européennes, qu'elles ont été saisies comme « les modèles mêmes de sociétés statiques, figées, des sociétés en un mot sans histoire »10(*).C'est au nom de tels constats qu'un Comte de Gobineau a pu avancer les thèses racistes et négationnistes qu'on connaît. C'est également au nom d'eux que Lucien Lévy-Bruhl, anthropologue français a développé l'idée de la mentalité prélogique des Noirs. Il estime en substance que les Noirs sont des peuples inférieurs, caractérisés par une mentalité prélogique et mystique qualitativement différente, inférieure à celle de l'homme civilisé d'occident. D'autres peuples du monde rentrent dans la catégorie de peuples inférieurs. Ce sont les Australiens, les peuples du Mexique précolombien, de l'Inde, de la Chine etc. Pour lui parmi ces peuples tout ce qui a été produit dans les domaines aussi variés que l'astronomie, la chimie, la géographie, la grammaire ... recèle une part de mysticité qui marque une différence d'avec la science occidentale telle qu'elle s'est développée depuis la Grèce Antique. Ce qui fait que les connaissances de ces peuples « sont demeurées impropres à une évolution qui les eut purgé de ces éléments » (mystiques)11(*). Outre ces prises de position dans une littérature qui n'est pas nécessairement philosophique, de grands noms de cette discipline ont fait entendre leur voix dans le débat sur l'existence ou non d'une philosophie chez les Africains. C'est le cas de Hegel et Heidegger. Hegel estime que l'éclosion de la philosophie est à mettre sur le compte d'un certain nombre de conditions. Parmi celles-ci il y a des données d'ordre purement géographique. Ainsi le haut pays, fait de steppes et de désert, ainsi que les plaines et les vallées, coupés par des rivières et des marécages, sont défavorables à la philosophie. Car rendant difficiles les voyages, les échanges. Par contre, les régions côtières, les régions ayant la mer comme facteur d'unité sont favorables la philosophie. Il explique qu' « outre la facilité de communication, la mer présente d'énormes avantages pour le développement des peuples côtiers, elle donne la représentation de l'indéterminé, de l'illimité et de l'infini. Elle invite l'homme à la conquête, au brigandage et à la recherche du gain. Elle élargit les idées et rompt les dépendances auxquelles sont soumis les habitants des plaines et des vallées »12(*). La question ne se pose pas de savoir si Hegel exclut les Noirs de ces facilités qu'offre la nature. Puisque le même article indique qu'il considère que l'Afrique est un continent « anhistorique ... où l'idée n'a pas encore émergé »13(*). Ce qui fait le Nègre, habitant d'un tel continent « ne peut accéder à la rationalité. Il manque d'objectivité, ne reconnaît pas l'univers et ignore complètement la notion de transcendance »14(*). L'autre condition de toute éclosion d'une philosophie, pour Hegel, fait référence à la spécificité même de la philosophie en tant que discipline. Du fait même de sa nature, elle ne peut être que l'exclusivité de l'Occident européen à ses yeux. Pour prétendre cela il fait de la philosophie la pensée qui se pense, la pensée ne souffrant d'aucune autorité, ni à côté d'elle, ni au-dessus d'elle, si ce n'est celle de la pensée elle-même. Cependant puisque la pensée n'est telle qu'extériorisée, cela suppose une liberté de la pensée. Liberté non seulement de se poser sur toute chose, mais en plus de décider toute seule de la mesure de toutes les choses. Du reste cette pensée existe chez tout homme, chez tout peuple, mais seulement en puissance. Elle n'acquiert sens et valeur que dans une sphère sociale propice à cette liberté. Ainsi seulement, elle pourra fleurir se développer. Pour Hegel, une telle liberté ne se rencontre que là où fleurit la liberté dans l'Etat. Car c'est cet espace seulement qui peut garantir la possibilité même d'une telle liberté. En conférant aux individus des droits et des devoirs. Droit de dire et d'agir pour autant que cela ne nuit pas à la liberté d'autrui, avec une liberté d'autrui elle-même conçue et consignée dans textes de loi selon un certain consensus général. Il estime qu'une telle liberté ne s'est rencontrée pour la première fois qu'en Grèce et pour autant c'est là qu'est née la philosophie et c'est là qu'elle est demeurée à rester. Quant à Heidegger, dans une position qui ne cache mal son eurocentrisme, estime que « la philosophie est grecque et européenne dans son être même ... La philosophie est grecque dans son être propre ne dit rien d'autre que l'Occident et l'Europe sont et eux seuls sont, dans ce qu'il y a de plus extérieur à leur marche historique essentiellement philosophique »15(*). Ces discussions entre intellectuels et idéologues européens auraient moins d'importance si on passait sous silence leur implication dans l'histoire de l'humanité. En effet ce qui était en jeu, c'était la classification pure et simple de l'humanité en peuples historiques et peuples non historiques. Un peuple est d'autant plus historique qu'il est apte à la philosophie. Cela sous-entend également qu'un peuple historique est en droit de marquer son historicité en dominant les peuples non historiques. Donc on fait de la philosophie, le critère d'historicité et de civilisation d'un peuple.

Cependant ces visions fort idéologiques de philosophes et d'ethnologues, cohabitent au sein même de la littérature occidentale avec d'autres qui reconnaissent aux Noirs en particulier une civilisation tout aussi riche et féconde, une civilisation des plus authentiques. Il convient d'indiquer qu'à cette époque, les résultats des travaux des ethnologues, ethnographes et autres sociologues, à côté des interprétations généralisatrices précédentes, servaient à certains Européens de pièces à charge et à décharge dans le procès contre la civilisation européenne elle-même. Certains en effet, effrayés par l'évolutionnisme exacerbé de leur civilisation et les bouleversements scientifiques, sociaux, moraux etc. que cela entraînait, ont voulu rappeler celle-ci à l'ordre. Ils craignaient que ces visées prométhéennes avec leur cortège de scission radicale entre l'homme et la nature, mieux la corruption de celle-ci, entraînent des conséquences irréversibles. Aussi préconisaient-ils le retour à la nature en lieu et place d'une culture qui lui tourne le dos, croyant avoir trouvé le salut dans l'assujettissement de tout à ses besoins par le truchement de la raison et du logos. Elungu Pene relève à ce propos que le « le mythe du `bon sauvage' de Jean Jacques Rousseau n'a jamais quitté l'Europe industrialisée, l'Europe au plut fort de son pouvoir sur les choses et aussi, (...) sur les hommes du monde »16(*). Ce courant est donc traversé par cette constante remise en question de la civilisation occidentale, teintée de nostalgie, la nostalgie d'un monde sans calcul, sans logos, sans histoire, sorte de refuge pour l'Europe civilisé des 19ème et 20ème siècle. Cela peut être perçu dans ce propos de G. Balandier17(*) qui explique ce besoin des ethnologues occidentaux de « s'extraire » de leur société et leur « position de censeur de société » par une « insatisfaction, un besoin de s'accrocher à des modes d'existence radicalement différents »18(*).

Du reste une nouvelle étape sera franchie dans ce débat, tant du côté de la méthode d'approche des Noirs que de leur aptitude à la pensée, avec la publication de La Philosophie Bantoue aux Éditions Lovania, Élisabethville, 1945, du révérend Père Placide Templels, un missionnaire belge en poste au Congo Léopoldville. Concernant l'aptitude des bantous à la pensée Tempels affirme sans hésitation qu'ils ont une philosophie qui est essentiellement une ontologie des forces.19(*) En tout état de cause, ce livre provoqua en son temps les réactions les plus variées, tant dans la littérature occidentale qu'africaine. En effet les visées de l'auteur, le statut théorique de la Philosophie Bantoue, l'utilisation qui en est faite par les intellectuels et idéologues tant Africains qu'Européens, bref les implications et les réactions à ce livre ont donné une nouvelle dimension au débat sur la problématique philosophique africaine. De sorte qu'il est possible de nos jours de parler de courants dans la problématique de la philosophie africaine. Un premier courant est celui inauguré par Tempels lui-même et est composé d'un vaste mouvement littéraire et philosophique, quelques fois idéologique, prolongeant et approfondissant les thèses tempelsiennes. Ce mouvement a été baptisé ethnophilosophie en raison fondamentalement de sa prétention à identifier une philosophie commune à tous les Africains à partir d'analyses de leur héritage culturel. Un second mouvement a émergé par la suite, qui se donne comme un courant critique de l'ethnophilosophie et une tentative de rapprocher toute philosophie africaine du concept de philosophie tel qu'il fonctionne dans la tradition internationale notamment occidentale. Du fait de cette propension, de ramener toute philosophie à la philosophie européenne en tirant d'elle toutes les sources théoriques, celui-ci a été appelé europhilosophie ou courant critique de l'ethnophilosophie. Enfin un troisième courant a vu le jour au début des années 80, et qui est une critique de l'europhilosophie. Nous allons analyser sommairement chacun de ses courants.

L'ethnophilosophie est le courant de pensée d'intellectuels et idéologues européens et Africains qui abondent dans le même sens que les thèses de Tempels sur l'existence d'une philosophie africaine. Une philosophie qu'il faut identifier et caractériser à partir d'une étude poussée de l'héritage culturel des peuples africains. Ce terme se rencontre pour la première fois dans les écrits de Towa et de Hountondji. Pour Hountondji, l'ethnophilosophie est toute littérature qui prétend restituer une philosophie collective, à laquelle adhère inconsciemment tout un peuple. Le prototype même de l'ethnophilosophe c'est Templels lui-même. Donc une brève étude de La philosophie Bantoue n'est pas superflue pour faire ressortir les grands traits de l'ethnophilosophie. L'ouvrage a été publié pour la première fois en 1945 aux éditions Luvania, Elisabethville20(*). Il s'agit d'une sorte de monographie où l'auteur se proposait de recenser et d'apporter des réponses à toutes les interrogations que les occidentaux se posent sur les Noirs pour faciliter la mission civilisatrice. Il s'adresse donc à deux catégories d'Occidentaux en particulier : les colons et les missionnaires. Il se donne pour but de lever certaines équivoques qui ont constitué des obstacles à l'oeuvre d'éducation des Noirs. En effet, du haut de leur arrogante conviction que ceux-ci n'ont pas de pensée, de civilisation, ses collègues Occidentaux ont engagé avec les Noirs un dialogue de sourds. La découverte de leur ontologie devait donc changer cette attitude et mieux faire aboutir la mission civilisatrice. Puisque les Noirs ont une philosophie, il fait à ses compatriotes l'injonction de réorienter la manière de les aborder. Pour lui les Bantous ont en effet une pensée. Celle-ci est « un ensemble de d'idées, un système logique, une philosophie positive et complète de l'univers, de l'homme et des choses qui l'environnent, de l'existence de la vie, de la mort et de la survie, en un mot une ontologie logiquement cohérente ». Mais puisqu'il est question de découvrir cette ontologie, Tempels va s'atteler à cette tache selon plusieurs méthodes, dans l'environnement quotidien des Bantous. C'est l'objet notamment du Chapitre I où il se met « A la trace de la philosophie bantoue ». Pour ce qui est de la méthode il utilise deux voies. L'une, directe consiste à s'installer dans la mentalité même des Bantous afin de penser comme eux, voir les choses ; à la suite d'une longue fréquentation de ceux-ci. L'autre, indirecte consiste à faire une étude poussée de leurs éléments culturels en utilisant des disciplines positives telles que l'ethnographie, l'ethnologie, la sociologie etc. Pour en arriver à la conclusion de l'existence d'une ontologie, Tempels part du principe que la vie et la mort conditionnent le comportement de l'homme. Autrement dit face aux périls qui sont liés à la vie et la mort, il existe dans une toutes les civilisations une sorte de « solution pratique ».C'est à celle-ci que les hommes font recours pour faire face au problème de la rédemption ou de la damnation. Donc à ses yeux l'existence de cette valeur dans la civilisation des Bantous est la preuve que leur vie repose comme partout ailleurs sur un système de principes ; et que ce système repose lui-même sur une philosophie de la vie qui pénètre et guide toutes les actions des Bantous. C'est ce système qui explique toute l'organisation sociale, politique, économique etc. de ceux-ci. Plus précisément cette philosophie est une ontologie. Cette ontologie elle-même se résume en une théorie des forces. Chez les bantous l'être est force. Cela ne signifie pas qu'il faille faire une dichotomie entre être et force, comme si l'un était attribut de l'autre. Mais il faut comprendre cela dans le sens où l'être et la force forment une et une seule substance. C'est ce qui l'a fait dire que chez les bantous « l'être est force, la force est être ». Par ailleurs cette ontologie affirme une interaction constante des forces ayant une hiérarchisation précise.

v Au sommet de la pyramide, il y a Dieu Esprit et créateur

v Ensuite il y a les premiers pères des hommes, fondateurs des clans, les archi patriarches à qui Dieu a communiqué en premier lieu la force vitale

v Viennent ensuite les défunts de chaque tribu, suivant leur degré d'ancienneté

v Puis, viennent les vivants eux-mêmes hiérarchisés à leur tour selon la primogéniture, l'importance de la puissance vitale

v Enfin, il y a les forces inférieures : animaux, végétaux, minéraux, eux aussi hiérarchisés suivant le rang de puissance vitale et de primogéniture

Les différentes forces ont une influence entre elles selon la hiérarchie de la primogéniture. Les forces supérieures renforcent les forces inférieures. C'est cette loi qui est à la base de la désignation des chefs et c'est elle qui fixe ses responsabilités. Ainsi selon Tempels, chez les Bantous, « L'aîné d'un groupement ou d'un clan est, pour les bantous, de par la loi divine, le chaînon de renforcement de vie reliant les ancêtres à leur descendance. C'est lui qui « renforce » la vie de ses gens, et de toutes les forces inférieures, forces animales, végétales ou inorganiques, qui existent, croissent ou vivent sur son fond pour le bénéfice de ses gens.  Le vrai chef est donc, suivant la conception originelle et suivant l'organisation politique des peuples claniques, le père, le maître, le roi; il est la source de la vie intense; il est comme Dieu lui-même ». Donc on peut dire que de cette hiérarchisation dérive le fondement du système politique des Bantous. Tempels affirme en outre que les bantous ont une vision du monde centrée sur l'homme, c'est l'homme actuel, vivant, qui a primauté sur les défunts. Ensuite à partir du Chapitre III, Tempels tente de restituer la sagesse des Bantous qui se caractérise essentiellement par le fait qu'elle pénètre toute la nature des êtres, des forces. Chez eux la vraie sagesse est la connaissance ontologique. Le sage par excellence c'est Dieu « qui connaît tous les êtres, qui pénètre la nature et la qualité de leur énergie ». Donc chez les Bantous les connaissances sont fondamentalement ontologiques. Leur philosophie n'est pas surnaturelle, elle se fonde sur l'évidence interne et externe. Plus loin, à partir du Chapitre IV, il se penche sur la psychologie bantoue où il développe les notions muntu ou personne ainsi que l'individu. Le muntu est force active, sa force est dominante parmi toutes les forces visibles. Sa force s'accroît ou diminue dans le cadre de ses différentes influences avec les autres êtres. Quant à l'individu il se caractérise par son impénétrabilité par ses semblables et certains critères qui le définissent comme le nom. Enfin dans le Chapitre V il aborde la question de l'éthique chez les Bantous. Dans cette éthique, les notions de bien et de mal sont rattachées à leur philosophie. Puisque pour les Bantous, tout tourne essentiellement sur le renforcement de la force vitale, alors le bien et le mal en dérivent aussi. Le mal c'est toute action qui diminue la force vitale et le bien celle qui l'accroît.

Tels sont les grands traits de La philosophie bantoue du R.P. Tempels. C'est de là que tous les tenants de l'ethnophilosophie tirent leurs arguments selon les enjeux qu'ils poursuivent. C'est ainsi qu'on a pu parler de variantes de l'ethnophilosophie : la variante laïque et la variante chrétienne. La variante laïque rassemble les auteurs et Européens et Africains qui tentent de dégager une philosophie africaine collective, à partir de l'héritage culturel des peuples du continent. Une philosophie qui serait à opposer à celle de l'Occident pour mettre à mal le préjugé des occidentaux selon lequel les Noirs n'ont pas de philosophie. Parmi les Européens qui se sont lancés dans cette aventure, on peut retenir cette liste non exhaustive citée par Hountondji dans Sur la philosophie africaine critique de l'ethnophilosophie :

Ø Marcel Griaule et Germain Dieterlen, Le renard pâle, Travaux et mémoires de l'Institut d'ethnologie, Paris, 1965

Ø Dominique Zahan,

- Sociétés d'initiation bambara : le N'demo, le Korè, Mouton, Paris-La Haye, 1963

- La dialectique du verbe chez les Bambaras, Mouton, Paris-La Hayes, 1963

- La viande et graine, mythologie dogon, Présence Africaine, Paris, 1968

- Religion, spiritualité et pensée africaine, Payot, Paris, 1970

Ø Louis Vincent Thomas,

- Les Diola. Essai d'analyse fonctionnelle sur une population de Basse Casamance, Vol I et II, Mémoires de l'Institut français d'Afrique Noire, Dakar, 1959

- « Brève esquisse sur la pensée cosmologique du Diola » African systems of thought, Oxford University Press, Londres, 1965

- « Un système philosophique sénégalais : la cosmologie des Diola », Présence Africaine, N° 32-33, 1960

- « Cinq essais sur la mort africaine. Esquisse d'une anthropologie philosophique », Psychologie africaine, Public de la Faculté de Lettres et Sciences Humaines, Philosophie et Sciences Sociales, N° 3 Dakar, 1969

- « La mort et la sagesse africaine. Esquisse d'une anthropologie philosophique », Psychologie africaine, N° 3, 1967.

Les Africains eux aussi se sont laissés séduire par cette entreprise de restitution de la pensée des peuples africains pour des raisons différentes. C'est ainsi que Hountondji dresse cette liste, elle aussi non exhaustive.

Ø A. Adessanya, « Yoruba Matapysical Thinking » , Odu, n°5, 1958

Ø William Abraham, The Mind of Africa, University of Chicago Press, 1962, et Weidenfeld and Nicolson, Londres, 1962

Ø NKRUMAH, Kwame, Le Consciencisme, Philosophie et idéologie pour la décolonisation et le développement avec une référence particulière à la révolution africaine, Traduit de l'Anglais par L. Jospin. Paris, Payot, 1964

Ø Alassane N'Daw, Peut-on parler d'une pensée africaine? in Présence africaine (1966) n.58, 32-46, et in SMET, A.J. (ed), Philosophie africaine. Kinshasa, 1975, I, 227-242

Ø Issiaka Prosper Laleye, La conception de la personne dans la pensée traditionnelle Yoruba. Approche phénoménologique, Herbert Lang éditions, BERNE, 1970

Ø J. O. Awolalu, « The yoruba philosophy of life », Présence Africaine, N° 73, 1973

Ceux-ci et bien d'autres abondent dans le même sens que les Européens cités plus haut, avec souvent des points de vue qui relèvent de l'idéologie21(*). Il reste clair que leur intention est de fonder une philosophie africaine digne de ce nom, qui n'aurait rien à envier à toute autre philosophie, notamment celle de l'Occident. Mais en même temps certains d'entre eux n'hésitent pas de déduire l'existence d'une philosophie africaine en prenant en compte des considérations purement occidentales. Cela s'explique par le fait que c'est en l'occurrence l'occident qui a voulu nier toute philosophie au Noir. Ainsi certains d'entre eux ont voulu élargir le champ de définition pour qu'elle ne désigne plus seulement ce qu'elle a désigné jusque là dans la vision occidentale. Mais qu'elle inclut aussi des éléments qui étaient rangés dans la mythologie ou la simple littérature. C'est le cas de Alassane N'Daw et J. Basile Fouda, comme on le verra plus tard dans l'ouvrage de Towa. D'autres partent de ce qui est considéré comme philosophie en Occident et recherchent dans le champ culturel africain d'éventuels éléments semblables pour en déduire la philosophie africaine. Ainsi Tshiamalenga N'Tumba estime « si l'histoire de la philosophie appelle philosophie les fragments des présocratiques, les Pensée d'un Marc Aurèle ou les Maximes de La Roche Foucauld et autres textes semblables, alors bien des textes de tradition africaine orale peuvent être appelés philosophiques »22(*)

Quant à la variante chrétienne, elle est constituée d'hommes d'église comme Tempels lui-même. Leur souci est de trouver une base psychologique et culturelle pour enraciner le message du christianisme dans l'esprit de l'Africain. Ce qui signifie que leur préoccupation diffère quelque peu de celle des laïcs africains. Encore une fois nous nous fieront à la liste de ces auteurs dressée par Hountondji.

Ø Alexis Kagamé, La philosophie bantou-rwandaise de l'être

Ø Mgr Makarakiza, La dialectique des Barundi, 1959

Ø Mongameli Antoine Mabona,

- « Philosophie africaine », Présence africaine, N° 30, Paris, 1960

- « The Depths of african philosophy », Personnalité africaine et Catholicisme, Présence africaine, Paris, 1963

- « La spiritualité africaine », Présence africaine, N° 52, 1964

Ø A. Rahajarizafy, « Sagesse malgache et Théologie chrétienne, Personnalité africaine et Catholicisme, Présence africaine, Paris, 1963

Ø Vincent Mulago, « Dialectique existentielle des bantous et Sacramentalisme », Aspects de la culture noire, Paris, 1958

Ø Jean Calvin Bahoken, Clairières métaphysiques africaines, Présence africaine, Paris, 1967

Ø John MBiti,

- African religions and philosophy, Heinemann, Londres, 1969, Traduit sous le titre Religions et Philosophie africaines, Éditions Clé, Yaoundé

- Concepts of God in Africa, Praeger, New York, 1970

- New Testament Eschatology in an African Back-round. A study of the encounter between New Testament theology and African traditional concepts, Oxford University Press, Londres, 1971

Les lignes qui précèdent donnent un aperçu du courant de l'ethnophilosophie. Le courant qui s'est développé aussi bien en Afrique et tendant à l'invalider par une critique des plus virulentes est l'europhilosophie.

Le concept d'europhilosophie a été forgé par Pathé Diagne23(*) au début des années 80. Celui-ci de retour du séminaire de Cotonou consacré au rapport de la science et de la philosophie en Afrique, en fait un compte rendu critique dans un ouvrage intitulé L'europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain, suivi de: Thèses sur Epistémologie du réel et Problématique néo-pharaonique, (Dakar, éd. Sankoré, 1981). Dans son acception l'europhilosophie est le courant de pensée critique de l'ethnophilosophie à partir de sources autres que la tradition philosophique et culturelle africaine. Précisément des sources tirées de la philosophie Occidentale. Par cela, l'europhilosophie est africaine et européenne. L'europhilosophie rassemble des penseurs européens et Africains formés à l'école occidentale et fortement influencés par les doctrines occidentales. Les tenants de ce courant entendent disqualifier l'ethnophilosophie qu'ils estiment critiquable à la lumière du concept de philosophie tel qu'il a toujours fonctionné de manière générale en Europe. Pour ce faire, ils entendent dépasser la problématique de l'ethnophilosophie et ses contradictions relativement à la philosophie en tant que discipline spécifique et proposer des pistes pour une meilleure pratique philosophique sur le continent africain. Dans cette perspective, ils estiment que la philosophie africaine doit exister et fonctionner selon les critères notamment de définitions de la philosophie occidentale, au risque d'être un genre littéraire qui n'est philosophique qu'Afrique. Concrètement les tenants de ce courant se fixent pour tâches de :

ü Surmonter la crise épistémologique ouverte par l'ethnophilosophie en raison de sa prétention à la philosophie quand bien même elle semble en différer

ü Combler le vide créé par l'invalidation de l'ethnophilosophie par la promotion d'une tradition philosophique et scientifique de haut niveau

ü Libérer le discours philosophique de l'emprise de la politique et de l'idéologie, la science, mieux préciser leurs rapports ainsi que le rôle qui échoit à chacune d'entre elles

En outre l'europhilosophie est caractérisée par un académisme universitaire qui la condamne à la spéculation abstraite à défaut de se fixer un objet d'étude précis et pertinent. Elle est constamment tournée vers la tradition occidentale pour critiquer l'europhilosophie et tend à décider sur cette base ce que doit être toute philosophie en Afrique. Par cela les tenants de ce courant s'opposent à l'émergence de pensées philosophiques endogènes et autocentrées en Afrique. C'est pour cela qu'ils placent le salut de l'Afrique en la matière dans une sorte de métissage qui culturel et philosophique. Ce métissage ne signifie pas suivre aveuglement les valeurs des autres civilisations, mais de procéder à un dosage approprié avec les cultures africaines. Il existe deux variantes de l'europhilosophie : la variante non marxiste et la variante marxo-criticiste. La variante non marxiste est celle dont les références théoriques sont à chercher dans la philosophie classique bourgeoise Occidentale. Son chef de fil est Frantz Crahay, auteur de Le "décollage" conceptuel: conditions d'une philosophie bantoue, in Diogène (1965) n.52, 61-84; et in SMET, A.J. (ed.), Philosophie africaine, Kinshasa, 1975, II, 327-347. - Tempels; Kagame; Nkrumah. Dans cet ouvrage, il balaie du revers de la main la prétention que la vision du monde prônée par l'ethnophilosophie puisse être appelée philosophie au nom du "décollage" conceptuel. Il fait ainsi référence notamment au fait que dans la Philosophie Bantoue, Tempels avance que les Bantous sont ignorants de leur philosophie, ou qu'en tout cas, même s'ils savent qu'ils ont une philosophie, ils sont incapables de la caractériser, la définir, en un mot d'en rendre compte. En sorte qu'il revient à d'autres personnes de la restituer à leur place. Crahay estime que cela est inconcevable en philosophie, puisqu'en tant que pensée critique, elle est supposée se poser sur non seulement l'ensemble des dimensions de la vie de l'homme, mais aussi sur la pensée elle-même. Il estime d'ailleurs qu'aude-là de cette condition, la possibilité d'existence d'une philosophie en Afrique passe par :

v L'existence d'un personnel qualifié de philosophes

v Une ouverture des philosophes africains sur les sphères culturelles du monde

v Un inventaire souple de valeurs à sauvegarder : attitudes, ressources linguistiques, catégories mentales etc. Cela suppose une certaine manière d'envisager la philosophie qui exclut la propension constante de l'etnophilophilosophie qui consiste à rechercher une originalité.

La variante marxo-criticiste réunit les auteurs dont les références sont tirées de la philosophie de Marx et ses épigones (Althusser, Lénine, etc.). Les représentants les plus en vue de ce courant en Afrique sont Hountondji et Towa. L'europhilosophie à son tour n'échappera pas à la critique, ce qui conduira à la naissance du courant critique de l'europhilosophie.

Les premières réactions contre l'europhilosophie remontent aux années 1970 avec la publication d'un article de Niamkey Koffi Robert intitulé L'impensé de Towa et de Hountondji. Il y tente de montrer que derrière les positions de Towa et Hountondji, dans leurs différentes oeuvres, se cache mal un mythe. Le mythe en vertu duquel la philosophie africaine ne commence qu'avec eux. Tout ce qui a été produit antérieurement est tout au plus une sagesse. Abdou Touré emboîtera le pas en tentant de mettre à nu et d'analyser les sources de l'europhilosophie. C'est l'essentiel de l'ouvrage Le marxisme-léninisme comme idéologie, Critique de trois théoriciens africains: A.-.A. Dieng,  Hountondji et M. Towa, Abidjan, 1980. Les critiques les plus vigoureuses commencent à partir de 1978 avec Olabi Babalola Yaï dans Théorie et Pratique en philosophie africaine: misère de la philosophie spéculative, in Présence africaine (1978) n.108, 65-91. Sa critique était particulièrement adressée à Hountondji. Il entendait plus précisément dénoncer le fait que dans ses écrits, toute la critique soit purement théorique. Hountondji ne fonde pas ses critiques sur des recherches effectuées sur le terrain. Le courant critique de l'europhilosophie voudrait que les auteurs africains, dans le cadre de la problématique philosophique sur le continent, puissent dépasser le simple cadre de la spéculation qui a toutes les chances d'être superficielle et de faire de la recherche sur le terrain. De plus cette entreprise doit baliser le cadre théorique et conceptuel de cette recherche. L'intellectuel africain formé à l'école occidentale est facilement influencé par les sources, les catégories de cette formation. C'est conscient de cela que Pathé Diagne24(*) relève que depuis des siècles, l'occident a fixé et délimité tout seul, arbitrairement, au gré de ses intérêts et ses convictions, les domaines et les caractéristiques de recherches des autres sphères culturelles. Il dénonce cela comme une hégémonie et revendique un nouvel ordre culturel mondial comme on en ferait sur le plan économique. Pour cela il incite à dépasser l'europhilosophie et à élaborer un discours non spéculatif et valable, une enquête qui fasse ressortir les connaissances profondes des réalités et spécificités du champ culturel négro-africain. Dans son entendement cela est inséparable d'une heuristique et d'une théoristique propres au champ culturel africain. Par heuristique il entend « autant les questions de définition de domaine ou d'objet, de méthode ou d'objet, de méthode ou d'épistémologie, de théoristique ou de scientificité qui sont au coeur de toute recherche, que la problématique, c'est-à-dire la prise de position, le point de vue et les engagements de la recherche et du chercheur ». Quant à la théoristique, elle fait référence aux « appareils, les ensembles ou les systèmes conceptuels par lesquels s'élaborent les phénomènes et les faits qui donnent forme et contenu à une pensée comme expérience, savoir et science dans les domaines les plus divers de l'activité intellectuelle ».

Retenons que depuis la fin du XIXème et le début du XXème, la philosophie africaine fait l'objet d'une profonde controverse. Dans cette controverse, des auteurs tant Africains que qu'Occidentaux se sont fait entendre et ont défendu des positions variées ; en sorte qu'il a été possible de diviser les débats sur la problématique philosophique en Afrique en courants. Ces courants sont l'ethnophilosophie, l'europhilosophie et le courant critique de l'europhilosophie. Pour notre part, nous ne sommes pas rentrés dans ce débat. Autrement nous ne nous sommes pas inscrits dans la logique de dire si oui ou non la philosophie africaine existe. Si elle existe ce qu'elle est entre la vision du monde propre aux peuples africains à restituer par l'analyse et l'interprétation de documents institutionnalisés du champ culturel négro-africain (contes, légendes, rites, us, coutumes etc.) ou le discours explicite tendant à les restituer ou un discours sur la science etc. Nous n'avons pas tenté d'identifier et surmonter les paradoxes qui surgissent toutes les fois qu'un esprit a voulu spéculer sur la problématique de la philosophie africaine. Nous avons par contre dégagé et caractérisé les orientations générales de ce qui a été dit jusque là dans le cadre de cette problématique. Cela nous recentre dans notre thématique en faisant ressortir le cadre des prises de positions des auteurs dont nous comptons analyser quelques travaux. Plus précisément, est-il besoin de le rappeler, nous comptons nous pencher sur les rôles que ceux-ci attribuent à la philosophie dans leurs ouvrages. Dans cette perspective donc, il convient au préalable de se pencher sur la question du rôle de la philosophie.

SECTION 3 : LA QUESTION DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE

La question du rôle de la philosophie revient constamment toutes les fois qu'un esprit tente d'y porter sa réflexion. Du fait de sa spécificité de discipline purement discursive, n'ayant nullement la prétention d'apporter des solutions notamment aux divers problèmes de la vie de l'homme, elle est considérée par d'aucuns comme une activité oisive, une activité dont l'existence même contribue plus à la complexification de la vie de l'homme qu'elle ne lui procure satisfaction. En réalité la question du rôle de la philosophie est une des questions fondamentales de la philosophie elle-même. Elle travers cette discipline depuis sa création et les tentatives d'y apporter une réponse satisfaisante sont fort diverses, donc loin de pouvoir satisfaire tout le monde. Encore que, en philosophie, rien ne parait pouvoir satisfaire, la philosophie elle-même ne se préoccupe pas de satisfaire les hommes dans quelque domaine que ce soit, mais plutôt de poser les questions, les bonnes questions. En tout état de cause il semble que celui qui s'adonne à la pratique philosophique exerce une activité dont il ignore le rôle. Il ne nous revient pas ici de faire une énumération des rôles traditionnellement attribués à la philosophie. Nous nous limiterons à examiner ce qui a été avancé comme rôle de celle-ci au sein de la littérature consacrée à la problématique philosophique africaine avant les ouvrages de Towa et Hountondji qui nous intéressent. Dans cette perspective elle-même, la première difficulté qui surgit est celle de savoir s'il faut envisager l'existence d'une philosophie qui serait celle de tous les Africains, donc comme telle qui jouerait le même rôle dans toutes les sociétés africaines ; ou s'il faut bannir toute forme d'uniformisation et considérer que le rôle de la philosophie sur le continent ne doit pas être quelque chose de figé ; mais quelque chose qui est appelé à évoluer, à varier en fonction de l'espace et du temps. C'est vraisemblablement pour la première position qu'opte Taita Towet qui, dans un article paru dans Présence Africaine N° 27-28 - août - novembre 1959, abordait la question dans un article intitulé « Le rôle d'un philosophe africain »25(*). A cet effet dès le début de son argumentation, il nous enjoint de lire son essai « en gardant présente dans la mémoire l'unité culturelle des Noirs d'Afrique ». D'ors et déjà, à la lumière de l'évolution qu'a pris le débat sur la problématique philosophique africaine, nous savons que cette seule assertion discréditerait définitivement cet essai en sorte que bien des intellectuels de la trempe de Towa et Hountondji, ne trouveraient plus d'intérêt le parcourir. Cependant dépassons ces préjugés et essayons de voir ce que doit être le rôle d'un philosophe africain pour Taita Towet. Il énumère plusieurs rôles que le philosophe africain a à jouer. Le premier est relatif à la détermination des caractéristiques et attributs propres au philosophe et leur explication en termes clairs au public africain. Cela certainement parce que de son point de vue, le monde noir semble méconnaître la philosophie. Il est donc impératif à ses yeux de lui faire comprendre ce qu'est la philosophie, ce qui de son point de vue passe par la définition de ce qu'est un philosophe. Cela aura l'avantage de percevoir tout au long de l'histoire de cette discipline, le genre de personnes qui ont été considérées comme étant philosophes et déterminer si des personnes semblables ont existé ou non sur le continent africain. C'est ainsi qu'il faudra se pencher sur de grands noms de la philosophie comme Platon et Aristote. Nous savons que pour bien des auteurs, aussi bien dans la pensée occidentale qu'africaine, la philosophie n'est digne d'être considérée comme telle que si elle est écrite. A cet effet l'étude de Socrate qui comme on le sait n'a jamais écris, ferait ressortir que l'oralité des peuples noirs n'est pas un handicap pour la pratique philosophique. En outre il estime que dans le cadre de la pratique de la philosophie sur le continent africain l'effort doit être fait pour prendre garde contre les phrases comportant des suggestions contestables. Cela pourra conduire à la pratique d'une pensée saine et dénudée de toutes affirmations gratuites et irréfléchies. Sur ce point, il fait ressortir en substance la problématique fondamentale de la définition de la philosophie. Il remarque que traditionnellement celle-ci est considérée comme l'amour de la sagesse. Il trouve que cette définition est incomplète et il convient au philosophe africain de procéder à une étude minutieuse de la question, sur la base notamment de l'étude des philosophes anciens et leurs oeuvres. Ensuite, dans son acception, il est impérieux pour le philosophe africain de déterminer le point de départ de la philosophie négro-africaine. Car pour lui, ce départ n'est nullement à situer au point atteint par la philosophie des autres continents notamment celle de l'Occident. Pour lui, si nous le faisions « nous n'aurons guère la possibilité de formuler et de synthétiser ce qui pourrait être appelé la philosophie négro-africaine » (p.116). Car à ses yeux, au premier niveau de considération, la question de la philosophie négro-africaine se pose en termes de race avant d'accéder par la suite à l'universalité. Ériger le point de départ de la philosophie africaine au point d'arrivée des autres philosophies de l'y diluer voire de l'étouffer. A cet effet il estime que le point de départ de la philosophie africaine doit être cherché dans la philosophie de la religion ou des religions (p.116). C'est pourquoi il incombe au philosophe africain de s'atteler à cette tache. Plus précisément il est question d'élucider les différentes croyances des peuples différents clans africains. Cette étude se fondera sur les résultats des études anthropologiques, sociologiques, ethnologiques etc., dans le but ultime de trouver leur universalité. Un autre rôle du philosophe africain est celui d'étudier les coutumes et traditions africaines ainsi que leur signification éthique. Cela est d'autant plus fondé que les coutumes et les traditions en Afrique occupent une place incontournable. Au nom d'elles, ce qui aurait pu être considéré comme des atrocités peut être toléré, mieux pratiqué et transmis de génération en génération pour ne jamais être abandonné. Donc il convient selon Taita Towet de s'interroger et d'apporter des réponses satisfaisantes à des questions essentielles : quelle est l'attitude de l'Africain face à la vie ? Quel est le fondement des comportements des Africains ? Pour l'Africain, qu'est-ce que la vie heureuse ? En un mot le philosophe doit étudier et élucider la logique interne qui commande à tous les actes des Africains. Cette logique par ailleurs n'est pas à confondre avec la logique aristotélicienne. Elle renvoie à la signification de la signification. Cette étude passe par un examen des langues africaines pour éprouver leur capacité à exprimer logiquement nos pensées. Et enfin, selon Taita Towet, il revient au philosophe de d'étudier les buts pour lesquels existent les gouvernements africains. Plus précisément, il est question de s'interroger sur ces formes de gouvernement pour savoir si ceux-ci conviennent aux peuples africains, s'ils servent réellement les intérêts des peuples africains ou s'ils ne sont là que pour une minorité. De plus il doit poser la question de leur légitimité : sont-ils responsables devant les peuples qu'ils gouvernent ou devant Dieu.

Cette étude de l'article de Taita Towet, loin d'être exhaustive, montre que sur-le-champ spécifique africain la question du rôle de la philosophie s'est posé depuis bien des années et que des perspectives fort intéressantes ont été envisagées. Elle fait ressortir une propension de lier philosophie et race notamment et d'exclure toute possibilité de convergence entre la philosophie négro-africaine et celle des autres continents notamment celle de l'Occident. Cependant cela n'enlève rien à la pertinence de ses propositions qui se situent à une période où la problématique même d'une philosophie africaine faisant rage. Ce qu'on peut dire c'est qu'entre temps les débats ont évolué. Plus précisément cette manière de concevoir la philosophie a été battue en brèche, d'autres pistes ont été proposées. Des pistes qui, même si elles ne font pas l'accord de tout le monde dans ce débat, restent pour néanmoins représentatives d'une certaine intelligentsia africaine. Donc il faut en tenir compte et c'est seulement sur la base de la prise en compte de tous les courants de la philosophie africaine qu'il est possible de dégager et d'analyser la question du rôle de la philosophie sur le continent africain.

CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE

Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est un ouvrage bref mais dense dans lequel l'auteur dénonce essentiellement ce qu'il appelle la philosophie africaine dans le sillage de la négritude. Il entend disqualifier toute démarche visant à forger une philosophie africaine originale et spécifique qui serait à opposer à celle de l'Occident pour espérer une quelconque reconnaissance. Plus que cela, il avance des pistes que les intellectuels africains doivent explorer pour la naissance d'une véritable philosophie sur le continent. A cet effet il estime que la philosophie doit jouer un certain nombre de rôles théoriques et pratiques qui ne soient plus nécessairement une défense des civilisations africaines contre l'expansionnisme culturel et idéologique occidentale. Mais des rôles qui tiennent compte de la situation actuelle des peuples africains. Nous tenterons de les identifier et les analyser dans ce chapitre. Mais avant, nous nous intéresserons brièvement à la vie et l'oeuvre de Towa.

SECTION 1 : PRESENTATION SOMMAIRE DU CONTENU DE L'OUVRAGE

Marcien Towa a fortement marqué la pensée africaine dans les années 70 et 80. Perçu comme un iconoclaste à cause de ses prises de position, l'une de ses cibles privilégiées était Léopold Sédar Senghor à qui il a consacré plusieurs essais. Marcien Towa a obtenu son baccalauréat en philosophie en 1955 au Grand Séminaire d'Otélé à quelques dizaines de kilomètres de Yaoundé, la capitale du Cameroun. A partir de 1957, il continuera ses études en France à Caen d'abord et à la Sobonne ensuite. En 1959 il obtient la licence en philosophie suivi d'un Diplôme d'Etudes Supérieures dans la même discipline en 1960, avec un memoire sur Bergson et Hegel. Après un an d'enseignement à l'ENS de Yaoundé, Marcien Towa reprend des études de psychologie avec une bourse de l'UNESCO qui le mèneront dans plusieurs Université européennes. De retour dans son pays, il occupe les postes de Directeur des études de l'ENS de Yaoundé de 1966 à 1968 et de Chargé d'enseignement dans la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l'Université de Yaoundé. En 1969 il obtient un Doctorat (3ème cycle) et dans la même période un doctorat d'Etat en philosophie sur la pensée africaine. Son oeuvre littéraire et philosophique est abondante. De plus il est membre fondateur de la Revue culturelle camerounaise Abbia et en a été co-directeur.

Son Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle (Editions CLE, 1971) reste un ouvrage de référence pour les élèves et les étudiants, comme pour les africanistes, en Afrique et dans le monde. L'ouvrage a été reédité en 1979 aux éditions Clé Yaoundé. C'est l'un des textes majeurs de Towa. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un essai de l'auteur sur la problématique philosophique en Afrique, plus précisément l'Afrique de la deuxième moitiè du XX ème qui voit une certaine profusion, tant en Afrique qu'en Europe, d'écrits sur la problématique de la philosophie africaine. Dans cet ouvrage, le projet de Towa s'inscrit dans le cadre d'un réexamen de la problématique philosophique en Afrique. Dans cette perspective, il s'écarte de certains de ses devanciers et qui font de la philosophie une simple gymnastique intellectuelle. Pour lui, comme son idole Kwamé N'Krumah, la philosophie doit être pensée dans une perspective révolutionnaire, autrement dit dans l'optique de la révolution démocratique des peuples africains. Il considère que la philosophie doit hâter la prise de conscience des peuples et accélérer le processus révolutionnaire dans le continent africain. Donc cela implique d'une part, sur le plan théorique un dépassement de l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne afin de forger une philosophie à l'image de la tradition philosophique internationale, notamment occidentale. D'autre part, faire de cette philosophie un vecteur pour guider les peuples africains vers la détermination de ce qu'il appelle leur dessein fondamental.

La structure de l'ouvrage pressente quatre chapitres :

1. Existe-t-il une philosophie africaine ?

2. La philosophie africaine dans le sillage de la négritude

3. Pour une nouvelle orientation philosophique africaine

4. Le concept européen de philosophie et nous

Dans le premier chapitre l'auteur aborde la question fondamentale de l'existence ou non d'une philosophie africaine. Il remarque que cette question s'est toujours posée dans le cadre du débat sur la philosophie africaine. Et qu'une longue tradition répond à cela par la négative, quelques fois sur la base d'arguments peu convaincants. Mais il remarque aussi d'autre part que dans la continuité de la large controverse sur l'existence ou non d'une philosophie africaine, il y a la parution de La philosophie bantoue du Rev P. Tempels en 1945. Ouvrage qui affirme sans ambages l'existence d'une philosophie africaine. Mais plus que cela cet ouvrage a enregistré un accueil favorable après d'un grand nombre d'auteurs tant africains qu'européens.

Dans le second chapitre, M. Towa analyse la philosophie africaine « dans le sillage de la négritude ». Il y montre que la plupart des tentatives des Africains de forger une philosophie originale et spécifique s'inscrit en réalité dans la continuité de la négritude. Autrement dans les deux cas il s'agit d'une entreprise de revendication politique, idéologique visant une réhabilitation devant l'Occident. Il retient par exemple les travaux de A. N'Daw et Juleat Basile Fouda. Pour le premier cité, dans Peut-on parler d'une pensée africaine, Présence africaine n58, revendique une dignité anthropologique pour les peuples Noirs. Quant a Fouda, dans le cadre de sa thèse intitulée La philosophie négro-africaine de l'existence, Lille 1967, il fait de la philosophie africaine une sorte une valeur absolue qui doit demeurer telle par de-la l'espace et le temps, une philosophie que les africains doivent garder jalousement et transmettre de génération. Towa s'insurge contre ces caricaturisations de la philosophie et en appelle à la révision pure et simple de la problématique philosophique en Afrique. C'est pourquoi dans le chapitre qui suit, il parle d'une nouvelle orientation philosophique en Afrique.

Dans ce chapitre, il propose que les intellectuels africains se détournent de la négritude senghorienne et de l'ethnophilosophie pour construire une philosophie répondant mieux aux exigences théoriques et épistémologiques propres à cette discipline, pour qu'ensuite celle-ci serve à hâter la marche des peuples africains vers la révolution démocratique. Dans le dernier chapitre il expose la conception européenne de la philosophie à travers celle de Hegel et il propose qu'elle soit adoptée sur le continent africain tant dans la forme que dans le fond pour que notre philosophie ait une dimension universelle qui l'éloigne de l'ethnophilosophie et la négritude senghorienne et leurs contradictions.

Ce sont ces chapitres qui sont développés dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle. Mais une lecture minutieuse de l'ouvrage montre que fondamentalement l'auteur a développé trois thèses essentielles : de la philosophie africaine, des taches de la philosophie dans l'Afrique contemporaine ainsi que du concept de philosophie. Concernant la philosophie africaine, il y a lieu de reconnaître qu'avant lui, philosophes et africanistes européens et africains ont tenté les uns de décrypter une philosophie africaine sur la base des différentes manifestations culturelles, les autres de critiquer et montrer les limites de telles démarches. Avec Towa s'ouvre une rupture épistémologique qualitative dans le débat sur la problématique philosophique africaine. En effet Towa considère que la question suprême et première est l'interrogation sur l'existence même d'une philosophie africaine. Cette question marque le début d'une véritable réflexion critique, celle qui va à la racine des choses pour tenter d'épuiser autant que possible la question. Il s'agit entre autres de la nécessite de replacer le débat sur la philosophie africaine dans son contexte d'émergence afin de comprendre ses contours et ses développements. Ce qui est donc en jeu et nouveau ici, c'est la tentative de cerner la problématique philosophique dans sa genèse afin de la comprendre et d'indiquer des voies et moyens pour son développement dans l'Afrique d'aujourd'hui. Cette approche permet à Towa de comprendre que face à la question de l'existence d'une philosophie africaine, il y a toujours eu deux réponses : l'une négative et l'autre positive. Parmi ceux qui dénient à l'Afrique toute philosophie l'auteur retient les grandes idées développées par de grands penseurs occidentaux comme Heidegger, Hegel, F. Crahay etc. ; chacun le faisant avec des arguments fort variés et quelques fois suspects pour employer le terme de Towa lui-même dans le cadre de Hegel notamment. Parmi ceux qui affirment l'existence d'une philosophie africaine, Towa retient le Rev. Père Placide Tempels et tous les africains ou européens qui par la suite abondent dans le même sens que lui. La démarche de notre auteur dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est de dénoncer la littérature qui en résulte, littérature qu'il qualifie d'ethnophilosophie. Il estime que celle-ci n'est ni une philosophie, ni une ethnologie, mais une discipline d'un genre nouveau, à cheval entre les deux ; et qui comme telle présente la particularité de les trahir toutes deux à la fois. Ensuite, Towa aborde la question des taches de la philosophie en Afrique. Ces taches font référence aux rôles que celle doit jouer sur le contient africain, et cela non seulement sur la plan théorique mais aussi pratique.

Enfin parmi les thèses fondamentales développées dans cet ouvrage, il y a celle portant sur le concept de philosophie. Et pour lui, sur cette question, nul n'est besoin de faire des recherches fastidieuses. Il convient simplement d'interroger Hegel qui est un éminent philosophe, un philosophe respecté tant du côté capitaliste que socialiste. C'est donc la conception hégélienne de la philosophie qui lui semble la mieux indiquée pour faire ressortir ce qu'il faut entendre par philosophie. Dans cette perspective la philosophie est considérée comme une sagesse du monde car prenant pour objet essentiellement le monde et les droit de la nature humaine. La philosophie comme sagesse du monde et son étroite parenté avec la science étaient l'expression de la démarche de Bacon et de Descartes. Pour eux, le rôle de la philosophie et de la science est d'assurer une la puissance de l'homme sur la nature et de lui permettre de subvenir a ses besoins les plus divers. En cela la philosophie européenne moderne a joué un rôle important dans la fondation du mode de production capitaliste. Il s'agit d'une philosophie qui a pour objectif de développer l'emprise de l'homme sur son milieu physique et humain par la médiation d'un savoir rigoureux. C'est donc cette philosophie que Towa invite les africains à adopter pour percer le secret de la victoire de l'Europe sur nous et par la même découvrir la voie de notre libération.

En un mot, Towa développe des thèses courageuses, qui apportent des éclairages et des perspectives nouvelles dans le cadre du débat sur la problématique philosophique en Afrique. Cependant cela n'occulte pas les limites de son analyse que nous tenteront de lever dans les pages qui suivent. Mais avant, quel est le rôle de la philosophie à travers l'ouvrage de Marcien Towa ?

SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON MARCIEN TOWA

Comme précédemment indiqué, le livre de Towa qui nous intéresse est un essai qui tente non seulement de montrer les failles que l'auteur a constatées dans le débat sur la problématique philosophique en Afrique, mais aussi de proposer de nouvelles perspectives à explorer pour l'édification d'une véritable philosophie sur le continent africain. A cet effet, il estime que la philosophie a des tâches à assumer. Ces tâches renvoient aux différents rôles que celle-ci doit jouer tant sur le plan théorique que pratique sur le continent africain. A cet effet il parle de taches fondamentales et de taches secondaires.

Les tâches fondamentales concernent notre devenir. Il s'agit de définir la manière dont les africains doivent prendre leur présent pour envisager un meilleur futur. C'est cette tache que Towa appelle l'interrogation sur notre dessein profond, sur la direction à donner à notre existence. Dans cette perspective la philosophie est envisagée comme l'effort d'élucidation de notre actuel rapport au monde, plus précisément elle doit jouer ce rôle. Cette entreprise passe par le rejet systématique de l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne. Les deux mouvements s'inscrivent dans le cadre de la revendication d'une dignité anthropologique propre selon la formule de Alassane N'Daw. « Il s'agit de déterrer une philosophie africaine propre et la brandir devant les négateurs de notre dignité "anthropologique comme une irrécusable certificat d'humanité"» (pp 35; 36). Pour arriver à leurs fins, les auteurs de ces deux mouvements incite les africains et la diaspora, au goût de la liberté ; il s'agit d'insuffler en eux qu'ils ne sont pas que des figurants dans ce monde, mais qu'ils y jouent un rôle irremplaçable. Cela passe également par l'effort de convaincre les colonisateurs que leur intérêt à long terme est l'abolition de leur système de domination qui en fait ne fait qu'alimenter haine et ressentiment à leur égard. Towa estime que ce combat là est révolu avec l'accession des pays africains à l'indépendance. D'ailleurs en tant que revendication politique allant dans le sens d'une amélioration des conditions de vie des peuples africains, le problème posé dans cette lutte se règle entre politiciens autours d'une table. Notre auteur voudrait que la philosophie dépasse cette problématique pour aller dans le sens d'une réalisation de notre autonomie retrouvée. Dans cette optique il revient à la philosophie de déterminer le sens de notre être-là et de l'infléchir vers un destin meilleur. Concrètement Towa part du constat récurrent que l'Afrique a été vaincue par l'Europe. Cette victoire a été si retentissante que face à cela, la première réaction fut de copier la civilisation occidentale et abandonner ses propres cultures. Mais se rendant vite compte des imperfections de cette civilisation pourtant si forte et compte tenu de l'exclusion dont ils furent victimes, les Africains firent vite volt face, pour se réorienter vers leur identité propre. Mais la valoriser par tous les moyens d'expression pour que cela serve de négation de leur négation. C'est ainsi qu'en philosophie la réaction fut de rechercher dans toutes les manifestations des cultures négro-africaines cette cohérence interne qui explique l'organisation de leurs institutions la justification de moindre de leurs attitudes et actions et l'ériger en philosophie. Le résultat d'une telle démarche au-delà des interrogations qu'elle suscite sur le plan épistémologique notamment est l'édification d'une philosophie tournée vers le passé. Towa s'insurge contre cet état de fait et suggère que « plutôt que l'exhumation d'une philosophie africaine originale selon des voies qui ne se soumettent ni aux exigences de la science, ni à celles de la philosophie notre dessein principal » soit « de parvenir à une saisie et à une expression philosophique de notre "être-là-dans-le-monde" actuel et à une détermination de la manière de le prendre en charge et de l'infléchir dans une direction définie. Une philosophie arrachée à la nuit du passé, n'a pu être, si elle a existé, que l'expression d'une situation elle même passée.» (P.35). L'effort de restitution d'une philosophie passée ne résout donc pas nos problèmes actuels. C'est pourquoi il planche pour une philosophie tournée vers le présent, voire le futur.

La défaite de l'Afrique face à l'occident est à mettre sous le compte de lacunes graves de sa civilisation. Et ces lacunes elles-mêmes sont en relation avec notre spécificité, ce qui nous différencie de l'Européen (P.40). Il nous incombe donc de ne pas pérenniser cette spécificité. Il faut la dépasser, la transformer. Autrement dit il faut transformer dans le présent, ce qui dans le passé fut responsable de notre défaite. De cela il suit que l'Afrique doit se métamorphoser afin de devenir autre chose que ce qu'il a été. Le but étant d'entrer de pleins pieds dans une nouvelle ère avec ses réalités intrinsèques. Ce la ne signifie pas faire table rase du passé. Mais il s'agit de l'assumer, en être fier, en dépit de ses lacunes et partir de cette base pour nous diriger vers un horizon proche lointain dans lequel notre passé serait meilleur. Cela impose que dans le présent nous opérions « une révolution radicale » (P.41) qui elle-même exige « une rupture radicale avec notre passé ». (idem) Que l'actuelle essence de l'Afrique, ou peut-être même; ce qu'elle sera, soit le produit de son passé, Towa ne le conteste guère. Mais lorsque ce passé, passé sous le crible de la critique lucide et objective montre que l'assujettissement présent trouve son explication dans ce passé, il y a lieu de reconsidérer la valeur accordée à ce passé pour annihiler cet assujettissement. En un mot il revient à l'Afrique de révolutionner ce qu'elle a « en propre, ce qu'il a d'original et d'unique, entrer dans un rapport négatif avec le soi » (P.41). Telle est la méthode que propose Towa pour que l'Afrique puisse faire le poids devant l'Occident. Il pose donc que tout l'effort intellectuel et philosophique soit consacré à identifier ce dessein Absolu afin de l'interroger et le mener vers le sens qui nous convient. En outre il apparaît ici clairement que pour Towa la philosophie doit hâter la prise de conscience des Africains de leur situation défavorable actuelle et aspirer au changement démocratique par la révolution. La philosophie doit être au devant de cette lutte laborieuse des masses africaines vers cette révolution, en déterminant leur rapport actuel au monde ainsi que la direction vers laquelle il importe de l'infléchir. En cela il estime que seul dans Le Consciencisme de K.N'Krumah, la part belle est donnée à la saisie de ce que nous avons à être selon notre condition actuelle. En effet, pour N'Krumah, la conscience africaine actuelle est tiraillée par des idées et valeurs occidentales modernes, musulmanes et chrétiennes. De ce fait projet de N'Krumah porte sur la problématique de savoir par quel moyen « partant de l'état actuel de la conscience africaine.... Le progrès sera tiré du conflit actuellement cette conscience ». (P.54) Donc il s'agit fondamentalement d'une interrogation sur le devoir être de la conscience africaine partant de son état actuel de sa conscience assaillie et déchirée par un conflit venu de civilisations étrangères. C'est en somme la formulation de cette interrogation et les pistes qu'il convient d'envisager et au besoin emprunter que Towa voudrait assigner à la philosophie. En d'autres termes, attribuer à la philosophie la responsabilité d'interroger la condition passée et présente d'un peuple et sur cette base définir son Absolu, son dessein fondamental.

De plus les taches fondamentales s'articulent en deux moments : le rejet du culte du passe et le rejet du culte de la différence. Le rejet du culte du passé signifie fondamentalement se détourner de notre passé qu'il considère comme ce qui a été responsable de notre défaite face à l'occident. Ce passé recouvre une certaine spécificité des peuples africains, spécificité qui elle même a rendu possible notre soumission par les puissances occidentales. Il s'agit donc d'abandonner celui-ci. Mais encore de procéder à la démarche dialectique qui consiste à s'emparer du secret de notre domination par ces puissances afin de devenir semblables à elles donc in colonisables par elles. Et pour lui le secret de l'Occident, c'est sa science et sa philosophie. Ce sont donc ces deux dimensions de la civilisation occidentale qu'il faut à tout prix nous approprier au lieu de nous pérenniser dans une glorification stérile de notre passé. Quant au culte de la différence il renvoie à la propension des auteurs Africains et de certains auteurs non Africains qui ont eu à réfléchir sur la problématique philosophique africaine, de marquer coûte que coûte une différence entre les civilisations africaines et les autres, aux fins avouées ou non de construire une philosophie qui de ce fait serait plus authentique. A la différence d'une telle démarche, Towa propose un dialogue dynamique avec les autres civilisations. Car selon lui, c'est dans ce dialogue que l'Afrique pourra tirer des autres civilisations ce que lui manque pour pouvoir édifier une puissance matérielle suffisante, sans laquelle toute philosophie est en soi impossible. C'est également au nom du rejet du culte du passé et du culte de la différence qu'il estime qu'il incombe à toute philosophie africaine de procéder à une critique sans complaisance de notre héritage culturel et philosophique. Car au sein des auteurs africains particulièrement, la plupart des tentatives sur le champ philosophique se résument en la négation d'un préjugé ; le préjugé raciste selon lequel les peuples d'Afrique seraient incapables de philosopher. En procédant, ils ne sont parvenus qu'à une glorification aveugle des cultures africaines, pire à y fonder la philosophie africaine, sans tacher un seul instant de les remettre en cause. Il en veut pour preuve « La philosophie africaine dans sillage de la négritude »26(*). Il s'agit en réalité de ce courant de pensée qui s'est développé en Afrique et abondant dans le même sens que le Père Tempels dans son entreprise de restitution de la vision du monde à la base de toutes les activités du Noir et qui serait sa philosophie. Pour notre auteur un tel combat tant du point de vue théorique qu'idéologique est un prolongement de la négritude. La négritude est un mouvement politique, culturel qui se fixe pour objectif la réhabilitation du nègre longtemps nié et bafoué par les Occidentaux, par l'exaltation des différentes manifestations de sa civilisation. Ainsi, à travers notamment la littérature de pionniers comme Aimé Césaire, L.S. Senghor, Léon Gontran Damas etc., ce courant de pensée a identifié et valorisé tout ce que le Noir a de positif et de différent et l'a mis en avant devant l'Europe pour prouver à celui-ci que le Noir aussi a une culture, une civilisation avec toute sa richesse et sa complexité. Une civilisation qui pour être différente des autres, n'en demeure pas moins une et exige que le Noir soit respecté, ne serait-ce qu'au nom du droit aux civilisations d'être différentes. C'est ce droit à la différence et le respect qu'il sous-entend dans le commerce inter-civilisationnel qui fait le credo de la négritude. Sur le plan politique, la négritude devient une plate forme de revendication du droit des pays d'Afrique à l'autodétermination, à l'indépendance. La philosophie africaine « dans le sillage de la négritude » renvoie donc à la littérature de ces intellectuels Africains qui espèrent dégager une philosophie africaine à partir de l'étude de son champ culturel ; une philosophie qu'ils essaieront de valoriser par la suite pour mettre à mal la vision selon laquelle l'Afrique est étrangère à la philosophie. C'est cette philosophie que Towa observe dans les écrits de Alassane N'Daw27(*) et J. Basile Fouda28(*). Pour le premier cité « une première déclaration d'indépendance intellectuelle se fait jour par l'intention de fonder une philosophie de l'homme africain qui montre que cet homme ne peut être conçu comme un accident d'une substance qui serait l'Européen. La revendication d'une dignité anthropologique propre constitue l'un des pôles de cette pensée militante qui a pris conscience qu'elle n'aura de chance de dévoiler l'essence de l'homme noir qu'autant qu'elle pourra le considérer comme producteur d'oeuvres culturelles, de philosophie et d'esthétiques »29(*). Ce qui transparaît dans cette réflexion c'est le caractère idéologique de la mission que s'assigne l'auteur. En fondant une philosophie propre à l'africain, il aboutit à une autonomie intellectuelle (donc également politique) qui fait qu'on ne le considère plus comme une substance contingente appelée à se déployer selon le bon vouloir de l'Occident, mais comme acteur de l'histoire de l'humanité et conscient de soi comme tel. Donc une telle philosophie rentre dans le cadre d'une démarche militante en faveur de la dignité de l'homme noir en tant que producteur d'oeuvres culturelles, d'esthétiques, de philosophie etc. Ce qui reste clair, néanmoins, c'est que la philosophie ainsi saisie est différente de la philosophie occidentale notamment. Et Towa relève que les auteurs dont il parle en sont conscients. Car pour contourner les difficultés liées à leur démarche, ceux-ci choisissent d'élargir la notion de philosophie. C'est ainsi que pour A. N'Daw la philosophie africaine serait le résultat de l'interprétation de toutes les oeuvres culturelles africaines afin de dégager leurs caractéristiques générales. Cela aurait l'avantage selon lui de dépasser « une certaine idée de la philosophie considérée comme une vision du monde systématiquement développée ou une tentative de fondation intégrale du discours ».

Quant à J. Basile Fouda, pour lui la philosophie se ramène au processus par lequel l'homme interroge le monde pour le comprendre et l'expliquer, l'organiser et le totaliser. Cela signifie deux choses: la philosophie n'est pas une activité coupée du monde, bien au contraire elle est une interrogation de celui-ci en toutes ces composantes (les phénomènes, les êtres qui y vivent, leurs créations, interactions ...) afin de l'expliquer. La philosophie est également l'acte par lequel l'homme organise le monde pour le saisir comme un tout sur lequel il est appelé à se poser. Plus concrètement, J. Basile Fouda procède par une méthode qu'il appelle positivisme fonctionnel. Celle-ci consiste à considérer les faits culturels comme les institutions, les moeurs, les croyances tec, comme des réalités déjà là, s'imposant au chercheur du dehors. Le tout serait à partir de là, de parvenir à leur cohérence interne, leur structure pour en saisir l'ensemble. Et c'est cela qui serait la philosophie africaine. Towa note qu'en réalité cette méthode est une tentative de réduire la philosophie à la culture. L'objectif poursuivi par les auteurs en question est de fonder une philosophie originale parce que différente de la philosophie occidentale. Cette dernière se caractérise par le fait qu'elle établit une dichotomie entre l'homme et l'univers. Ainsi l'homme va instrumentaliser ses connaissances pour assujettir le monde à ses besoins. Alors le Noir voudrait vivre « en communion » (p.28) avec la nature sans vouloir la dominer. Ainsi sa philosophie n'a nul souci de soumettre cette nature pour ne pas la corrompre. Elle est simplement « une herméneutique du sens de l'homme et de l'univers » (p.28)

C'est en définitive contre cette philosophie qui fait constamment référence au champ culturel africain pour le valoriser par tous les moyens que Towa met en garde. Il trouve infondée la spontanéité avec laquelle toute interprétation du champ culturel négro-africain est transformée en philosophie. Pour lui, dans le cadre de la problématique philosophique africaine, toute philosophie, fut-elle africaine, doit au préalable de « soumettre l'héritage philosophique et culturel [africain] à une critique sans complaisance » (p.30). Cela signifie que non seulement la philosophie ne saurait se limiter à une interprétation pure et simple d'éléments culturels ; mais aussi qu'elle n'est pas restitution mécanique ou une vile répétition de ce qui est déjà là. Elle doit être d'abord critique, dédoublement du penseur avec son objet de pensée pour y poser sa réflexion claire et objective. Par cette démarche, la philosophie africaine pourra éviter certaines positions qu'il considère incompatibles avec la philosophie. Il s'agit en l'occurrence des positions qui renvoient au « retour aux sources », « l'exaltation de l'originalité et de la différence » (p.24). Ces positions Towa les voit poindre dans la littérature philosophique africaine. Elle ont conduit à des travers qui selon méritent d'être dénoncées. Car pour lui, pour lui « amener au jour une authentique philosophie négro-africaine établirait à coup sûr que nos ancêtres ont philosophé, sans pour autant nous dispenser, nous, de philosopher à notre tour. Déterrer une philosophie ce n'est pas encore philosopher ». (p.29). La philosophie ne commence qu'avec la décision du philosophe, dans le présent, de soumettre tout à la critique y compris son héritage culturel. Cet héritage culturel est certes nôtre. Le dévaloriser ou l'avilir reviendrait à abdiquer à ce qu'on est et être condamnés à errer inexorablement vers une "néo-culture" qui n'existe nulle part que dans nos idéaux teintés du ressentiment de notre défaite face à l'occident notamment. Cependant de là à assimiler systématiquement toute manifestation culturelle africaine en philosophie, sans tenter un seul instant d'identifier et de tenir compte de ses éventuelles facettes négatives ou les contradictions théoriques que cela sous-tend relativement à la philosophie en tant que discipline spécifique, il y a un pas que Towa refuse de franchir. Cela d'autant plus que les résultats auxquels ont conduit « cette quête d'une philosophie négro-africaine originale préexistante » sont loin d'être pertinents à ses yeux. Le premier résultat est d'ordre terminologique (p.30). Car la traditionnelle opposition entre les productions culturelles africaines et la philosophie reste inchangée. C'est simplement que ces productions prennent désormais « le nom de philosophie de telle sorte que leur opposition avec la pensée occidentale devienne intérieure à la philosophie » (p.30). Un autre résultat est relatif à l'attitude des productions de la pensée africaine relativement à l'ethnologie. Towa estime qu'au lieu d'adopter à leur encontre le détachement objectif du scientifique, les auteurs en quête d'une philosophie spécifique, leur confèrent une valeur normative relativement à la vérité et à l'action. Une telle attitude pose problème car elle n'est ni ethnologique, ni philosophique. L'ethnologie décrit, explique tout en évitant de s'engager explicitement. Quant à la philosophie, elle est toujours une réfutation, une argumentation, une démonstration. Alors que ce qui est donné ici comme philosophie n'est ni philosophie, ni ethnologie. Mais un discours d'un genre nouveau à cheval entre ces deux disciplines. D'où son appellation d'ethnophilosophie (p.31). Il s'agit en fait d'un exposé des mythes, rituels, croyance qui se transforme brusquement en profession de foi métaphysique et militante. Le souci n'est plus de fonder ce qu'on dit sur les critères objectifs, scientifiques qui existent en philosophie et en ethnologie. Mais de produire quelque chose selon son bon vouloir avec la seule obsession de nier la négation de son peuple par l'Occident. A cet effet l'exposé des manifestations culturelles échappe à tout questionnement, toute critique, mais il n'est que le vecteur d'une idéologie dogmatique. « Pour cette raison l'ethnophilosophie apparaît comme une théologie qui ne veut pas dire son nom ». (p.32). L'autre travers de l'ethnophilosophie est ce que Towa appelle la rétro-jection. « La rétro-jection, c'est le procédé par lequel il (le philosophe africain en quête d'une philosophie spécifique) altère et défigure la réalité traditionnelle en y introduisant secrètement dès le stade descriptif, des valeurs et des idées actuelles pouvant être tout à fait étrangères à l'Afrique, pour les retrouver au stade de la profession de foi militante, «authentifiée» en vertu de leur prétendue africanité» (p.32). En d'autres termes, par ce procédé, l'intellectuel africain attribue une valeur actuelle à la réalité traditionnelle passé et s'en sert comme argument de revendication.

Telle est en substance, la situation de la philosophie africaine dans le sillage de la négritude. C'est contre elle que s'insurge Towa, notamment en tant que philosophie africaine spécifique et originale restituée à partir d'une herméneutique du champ culturel négro-africain. Pour notre auteur, cette philosophie n'est qu'une ethnophilosophie. La tâche qui revient à toute philosophie digne de ce nom est de commencer par soumettre avant tout cet héritage culturel à une critique sans complaisance. Car pour lui, pour le philosophe aucune donnée, aucune idée si vénérable soit-elle, n'est recevable avant d'être passé au crible de la pensée critique. La philosophie est perçue par lui comme l'unique instance normative, décidant selon ses principes, ce qui est sacré, absolu, mystique etc. ou non. La philosophie n'accepte pas des priori de quelque nature que ce soit. Elle se pose librement sur toute chose et décide toute seule de la mesure de toute chose. C'est pourquoi il note que tous les grands philosophes commencent par invalider les systèmes philosophiques existant avant eux.

Quant aux taches secondaires elles font référence à la restitution de l'histoire de la pensée africaine. Après avoir identifié le sens du rapport de l'Afrique au monde actuel et la détermination de l'orientation à lui assigner, les africains doivent également s'atteler à retracer l'histoire de la pensée africaine. Cette démarche inclut la pensée africaine passée et présente. Elle incombe à toutes les disciplines du savoir donc également la philosophie. Dans cette perspective plusieurs thématiques de recherche se dégagent. C'est le cas « des phénomènes de décadence ou de régression des civilisations » (p.170). Cela suppose que nous partions du principe qu'à un moment de l'histoire, des civilisations brillantes ont fleuri sur le continent africain. Mais qu'à un autre moment donné ces civilisations se sont atrophiées considérablement, quand elles n'ont pas disparu. Towa voudrait également que des études soient menées aux fins de prouver que « les éléments fondamentaux de culture sont présents dans toutes les civilisations, et que les différences entre celles-ci sont finalement des différences de développement, d'actualisation de tel ou tel aspect de la culture en général et non des différences de nature ». (p.70) Cela permettra de lever les équivoques qui ont conduit à notre négation par l'Occident. Les lacunes qui, dans le passé ont conduit à notre défaite, doivent être revisitées avec sévérité au lieu de la complaisance qui « engendre l'autosatisfaction factice et la stagnation dans notre présente condition de dépendance et d'humiliation » (p.70). Towa, pour ce qui est du philosophe en particulier invoque « rigueur et objectivité » dans la restitution de l'histoire de la pensée africaine. Des ébauches non négligeables ont été avancées dans ce domaine notamment avec les travaux de Cheick Anta Diop30(*), mais il convient de les approfondir en se penchant par exemple sur les limites de l'histoire africaine. Le regard doit également être tourné vers l'enseignement de la philosophie grecque en Afrique au moyen âge avec l'arrivée de l'islam. Si des intellectuels en sont sortis, leur pensée doit être recherchée et analysée. Il faut également s'intéresser aux philosophes de la diaspora comme William Amo, d'origine ghanéenne qui a enseigné dans les universités allemandes au 18ème Siècle. Donc on peut schématiser en disant que sur cette question Towa assigne à la philosophie les rôles suivants :

q Retracer avec le maximum de rigueur l'histoire de la pensée africaine

q étudier la tradition orale africaine dans ses différentes manifestations, pour dégager la conception du monde des africains

q Chercher à savoir si l'enseignement de la philosophie grecque en Afrique de l'Ouest au moyen age, à la faveur de l'expansion de l'islam n'a pas donné naissance à des oeuvres philosophiques intéressantes

q Faire des recherches parmi les auteurs de la diaspora africaine pour identifier les philosophes et étudier leurs oeuvres

En un mot, pour Marcien Towa, sur le continent africain, il y a des taches qui reviennent à la philosophie. Parmi ces taches, il y a les taches fondamentales et les taches secondaiares. Ces taches renvoient concrètement aux différents rôles que la philosophie doit jouer sur le continent africain. De manière générale ceux-ci sont conçus chez lui comme devant contribuer à la marche de l'Afrique vers la révolution démocratique ainsi l'instauration sur le continent d'une culture littéraire et philosophique différente de celle de l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne. Cependant, de ces rôles rôles, nous devons prodéder à une analyse critique pour mieux les comprendre et éventuellement relever les éventuelle limites.

SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON MARCIEN TOWA

Dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle Marcien Towa aborde des questions épineuses. En le parcourant ce qui revient le plus c'est une volonté d'envisager la problématique de la philosophie africaine sous un angle nouveau. Il s'agit principalement pour lui, non seulement de critiquer la direction empruntée par certains de ses devanciers, mais également de proposer de nouvelles pistes à explorer pour que fleurisse sur le continent une philosophie qui ne serait pas telle que sur le continent africain. Mais une philosophie qui aurait droit de citer partout dans le monde. C'est à cet effet qu'il considère que celle-ci doit fonctionner comme cela a toujours été observé notamment dans la tradition philosophique occidentale. En outre dans son optique, la philosophie africaine ne doit pas être un discours sans importance, c'est-à-dire ne reflétant rien de la vie quotidienne des Africains. Mais une philosophie qui joue des rôles concrêts et constructifs dans l'Afrique d'aujourd'hui et de demain. Cela l'a emmené à défendre les positions qu'on vient d'énumérer.

Au risque de nous répéter les rôles que doit jouer la philosophie sur le continent africain sont désignés comme des taches. Dans ces taches on distingue les taches fondamentales et les taches secondaires. Les taches fondamentales sont celles qui font référence au devenir des peuples africains, leur dessein fondamental. Au nom de celles-ci il estime la philosophie doit déterminer et orienter la marche laborieuse des peuples africains vers la saisie de leur dessein fondamental. L'attribution de ce rôle répond à une certaine vision de la philosophie qui fait d'elle en dernier ressort un discours théorique appelée d'une manière ou d'une, à intervenir dans le devenir général des hommes. Il faut préciser que Towa est profondément séduit par les idées de Kwamé Krumah. Quand on sait que ce dernier est panafricaniste convaincu, rêvant d'une Afrique forte et unie, avec un même destin, on comprend aisément le propos de Towa ici. Il rêve d'une Afrique sous forme d'Etat centralisé, une Afrique dans laquelle il reviendrait à la philosophie de fixer les objectifs à atteindre pour l'amélioration de sa condition dans sa globalité. La philosophie devient ainsi le vecteur de tout un continent vers son destin. Cette manière d'envisager la philosophie est celle qui transparaît dans la pensé de Kwamé N'Krumah. En effet ce point de vue se retrouve dans Le Consciencisme. Pour Kwamé N'Krumah philosophie et idéologie entretiennent des rapports féconds et constructifs aussi bien sur le plan théorique que celui de la praxie sociale. La philosophie n'est pas un discours essentiellement conceptuel coupé du monde. Elle n'est que l'expression théorique discursive des manifestations concrètes de la vie, des rapports sociaux de production et d'échange dans la sphère de la superstructure. Mais cette philosophie doit être au service de l'idéologie dominante. Pour cela elle doit se présenter sous la forme d'un corps de doctrine qui déterminera la nature générale de notre action consistant à unifier la société dont nous avons héritée. La philosophie devient ainsi toute idéologie explicitement formulée dans un discours théorique. Cette idéologie, N'Krumah la conçoit comme globalisante et vise à unir le peuple au corps social. Elle décide à la lumière des circonstances, de la forme des institutions et de la direction à imprimer aux efforts communs. A la lecture de Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle on voit aisément les penchants de Towa pour de telles idées, non seulement en vertu de sa propre argumentation, mais aussi des termes dithyrambiques qu'il use pour qualifier N'Krumah et sa philosophie.

De cette vision de la philosophie il se dégage deux idées majeures : l'idée d'une philosophie commune et celle que cette philosophie même soit à la solde de l'idéologie dominante africaine. Sur le premier point notre auteur semble faire un virage à cent degrés. En effet à la lecture de son ouvrage, tout porte à croire que tout le projet de Towa vise à ruiner toute idée de philosophie commune, surtout si celle-ci mise sur l'originalité pour être brandie devant l'Occident comme certificat d'humanité. Or une philosophie dans laquelle tous les africains se retrouveraient, car seule habilitée à fixer leur dessein fondamentale est déjà une philosophie commune, originale et spécifique. Car elle se présenterait sous la forme d'un corpus philosophique, mieux idéologique ayant la prétention d'être la seule appropriée pour les peuples africains, et seule à même de dire ce que doit être leur destin. En tant que telle et en vertu des spécifiés indéniables de ces peuples par rapport aux autres peuples du monde, cette philosophie aurait toutes les chances d'épouser ces spécificités et d'être tout sauf quelque chose d'universel. Alors même que le souci de Towa tout au long de son livre nous a semblé proposer des pistes pour que naisse et fleurisse une activité philosophique qui intégrerait cette dimension d'universalité. En outre, faire de la philosophie un instrument de l'idéologie, c'est purement soumettre celle-ci à une autorité au lieu qu'elle soit ce discours libre, objectif dont le seul absolu est l'absolu de la pensée. La philosophie devient prisonnière de l'idéologie qu'elle sert, elle devient ainsi une simple marionnette dont la possibilité même d'existence est fixée en dehors d'elle, selon des critères qui ne peuvent pas nécessairement lui seoir. De plus en tant que servante ou serveuse de l'idéologie dominante, la philosophie devient la pensée unique systématisée, la théorie de l'idéologie dominante. Car nous savons qu'une idéologie a toujours ces théoriciens. Ceux-ci qu'en tant que théoriciens d'un mouvement ayant des visées politiques, économiques, stratégiques etc. sont plus préoccupés par ces visées mêmes, selon des circonstances qu'ils déterminent. La philosophie devient la pensée unique des maîtres à penser au service des intérêts singuliers de ces maîtres à penser. Au lieu qu'elle soit cette libre tribune où les points de vue les plus contradictoires peuvent être développés, combattus, améliorés etc. selon les règles de la libre pensée, la philosophie se mouvrait en une pseudo pensée illuminée ayant la prétention d'être seule détentrice de la vérité. Cette situation est toujours dangereuse car elle peut avoir pour effet de donner une autorité sans borne à un individu ou quelques individus selon qu'une propagande efficace est orchestrée dans ce sens. Dans le même ordre d'idées, il semble illusoire de vouloir faire de la philosophie une pensée qui se pense, une pensée qui n'admet aucune autorité physique ou spirituelle ni à côté d'elle, ni au dessus d'elle et en même temps concevoir que cette pensée soit la même chez tout un peuple. Car en la matière, la seule chose dont peut être sûre c'est l'intentionnalité de la pensée. Autrement, que toute pensée est pensée de quelque. Que ce que quelque chose soit la pensée elle-même ou quelque qui ne soit pas une pensée, ne change rien. Donc concevoir la philosophie de cette manière et dire qu'elle doit être perçue et vouloir qu'elle soit véhiculée par tout un peuple, c'est purement passer sous silence les conditions mêmes de possibilité de cette pensée. Et ces conditions sont généralement spécifiques à chaque culture, chaque zone géographique, etc. Dans la perspective marxiste par exemple, ces conditions seraient à rechercher dans le processus hétéroclite où des individus entretiennent sans cesse des relations complexes en tout genre dans le cadre de leur production matérielle.

Il ressort de ce qui précède qu'en attribuant à la philosophie le rôle d'élucidation de l'être dans le monde des Africains et la détermination de la direction qu'ils doivent emprunter pour un futur meilleur puisque devant conduire à la révolution démocratique, Towa est ni plus ni moins entrain de défendre les points de vue qu'il dénonce chez les auteurs de la philosophie africaine notamment ceux « dans le sillage de la négritude ». En réalité aucune philosophie ne peut être la philosophie de tout un peuple au sens où elle défendrait des thèses qui engagent l'ensemble de ce peuple. Bien au contraire elle est d'abord et avant tout une opinion individuelle emmenée à être combattue ou améliorée dans un débat sans cesse rebondissant où ce qui a été dit antérieurement est amendé ou enrichi par des propositions nouvelles, selon les problématiques nouvelles. Seuls les prophètes ou quelques "illuminés" peuvent véhiculer une philosophie de tout le monde appelée à être acceptée par delà l'espace et le temps. Et ce, pour cela seul qu'ils se font passer pour messagers de Dieu ou quelque êtres transcendantaux, ce qui est du reste toujours difficile à confirmer où à infirmer.

Un autre argument de Marcien Towa dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est que la philosophie doit procéder à une critique sans complaisance de l'héritage culturel et philosophique africains. Il faut savoir replacer cette position dans le contexte général de la pensée de l'auteur. Pour lui en effet, la philosophie africaine doit pouvoir dépasser l'ethnophilosophie et la négritude senghorienne pour être une discipline apte à porter ce nom; une discipline qui existe et fonctionne à la manière de ce qui a été considérée comme telle, notamment dans la tradition occidentale. Et que dans cette tradition elle-même la conception de Hegel seul, du fait de sa notoriété tant dans le bloc socialiste que capitaliste, suffit à donner une image satisfaisante de la philosophie. C'est au nom de cette vision de la philosophie qu'il lui attribue le rôle de critiquer sans complaisance l'héritage culturel et philosophique des peuples africains. Pour lui donc, abondant dans le sens de Hegel, la philosophie est la pensée reposant sur elle-même, ne souffrant d'aucune autorité à côté d'elle ou au dessus d'elle. Cela signifie que pour la philosophie rien n'est accepté comme vrai qui n'ait été reconnu comme tel par la pensée elle-même. Cette conception fait de la pensée un attribut pour le moins puissant et incontournable de l'homme, seule capable de différencier le vrai du faux. La philosophie par ailleurs s'exprime dans le concept. Le concept est une notion dynamique qui s'exprime et se développe dans le réel. Aux yeux de Hegel, le concept représente l'élément de rigueur qui permet de construire un savoir universel, valable pour tous. La philosophie doit opter pour la détermination conceptuelle si elle ne veut pas s'anéantir comme science. Ainsi donc Hegel voudrait rapprocher le discours philosophique de la science pour qu'il ait plus de rigueur et d'objectivité. Par cela donc Hegel voudrait que le philosophe soit guidé dans ses recherches par sa seule raison et n'admette aucune autorité venant du dehors, si elle n'est pas admise comme telle par cette même raison. En cela la philosophie s'oppose à la religion, notamment les religions dites révélées. D'une part celles-ci se donnent comme un ensemble de rites, de cultes fondés sur des principes dogmatiques auxquels les adeptes doivent croire sans questionnement. Mais surtout enseignés par quelques prophètes qui prétendent être des envoyés de Dieu, pour aider l'humanité à suivre la voie du créateur. En outre la religion considère que l'esprit humain est borné, limité, inapte à s'élever jusqu'à certaines vérités. Hegel ne nie pas la finitude humaine de manière générale. Mais pour lui une exception doit être faite du côté où il est esprit : «le fini concerne les autres modes d'existence ..., mais quand, comme esprit, il est esprit alors il ne connaît pas de limites. Les bornes de la raison ne sont que bornes de la raison de ce sujet là mais s'il se comporte raisonnablement l'homme est sans bornes, infini » (p.62). La philosophie ainsi appréhendée fait de la pensée humaine libre, infinie, le point de départ et le point d'arrivée de la chose, elle est principe d'elle-même donc absolue. En cela la philosophie détrône la religion qui occupait déjà cette place. Hegel considère d'ailleurs l'histoire de la philosophie comme l'histoire de la lutte de celle-ci contre l'autorité religieuse. Il estime seulement qu'un consensus peut être trouvé à cette interminable querelle entre philosophie et religion. Mais dans les termes fixés par la philosophie, c'est à elle que revient la tâche d'interpréter les représentations religieuses, mythologiques pour décider ce qu'il y a de vrai. C'est à la philosophie en tant que pensée libre qu'incombe d'analyser les manifestations religieuses. Si la philosophie rencontre ses catégories dans le discours ou la représentation religieuse, elle est fondée à rendre compte mais l'inverse est impensable «parce que la conception religieuse ne s'applique pas à la pensée» (p.64). Hegel exclut également de la philosophie, « la philosophie populaire » telle qu'elle existe dans le romantisme de Jacobi31(*) et de Schleiermacher32(*), la philosophie écossaise du sens commun33(*) ou dans les écrits de Cicéron34(*). Dans tous ces courants de pensée, tout repose sur l'instinct moral, le sentiment du droit ou du devoir etc. Autrement sur des notions subjectives susceptibles d'interprétations aussi différentes que variées selon les individus, les cultures, etc. ; de telle sorte que le contenu d'une pensée peut revêtir telle forme, telle signification chez un penseur et telle autre chez un autre; sans qu'un critère objectif de vérité ne puisse être trouvé. Cela s'oppose diamétralement à l'optique hégélienne qui met cette scission même de la pensée au point de départ du besoin de philosopher. C'est pourquoi il estime que « quand la puissance d'unification disparaît de la vie des hommes et que les oppositions ont perdu leur rapport vivant, leur action réciproque, et deviennent indépendantes, alors naît le besoin philosophique».35(*). En cela la philosophie se présente, comme une entreprise s'efforçant de mettre fin à la séparation, le déchirement de l'humanité. Quand les hommes ne sont pas en mesure d'unifier leur champ théorique, spéculatif, historique, la philosophie tente de répondre au besoin fondamental d'unité de l'esprit. Cette démarche s'oppose à la philosophie populaire qui recherche plus « l'édification par l'enthousiasme enflammé pour le beau, le sacré, ou la religion. Elle croit trouver dans ce zèle brûlant un raccourci vers le vrai, lui épargnant de suivre le long chemin de culture philosophique le mouvement riche et profond à travers lequel seul l'esprit parvient au savoir ». (p.65) Le résultat est que dans ces conditions certaines notions, certaines propositions échappent à la discussion et sont considérées de facto comme vraies. Et à celui qui avancerait un point de vue différent on rétorque qu'il fait preuve d'aveuglement ou de mauvaise foi. Le recours au sens commun, à la pureté de conscience et du coeur font de la vérité un dogme auquel tous les hommes sont censés soumettre.

En un peu de mot c'est la philosophie conçue de cette manière qui a séduit Marcien Towa pour que sur la problématique philosophique africaine, il lui assigne entre autres rôles, la critique sans complaisance de l'héritage culturel négro-africain et philosophique. Cette thématique intéresse tout africain à plusieurs égards. L'Afrique a longtemps subi le choc avec les autres civilisations. Elle a enduré plusieurs siècles d'esclavage au cours desquels ses bras valides ont été déportés. Elle a connu la colonisation avec son cortège de mauvais traitements, de travaux forcés, d'expropriation, d'endoctrination de cultures venues d'ailleurs et incompatibles avec sa culture antérieure. De nos jours elle est dans une large partie le théâtre de conflits sanglants, elle à la solde de dirigeants marionnettes des puissances occidentales et le processus de pillage humain et économique de ses ressources continue de plus belle. Cependant, ce qu'on n'a pas complètement arraché à l'Afrique c'est sa culture, dans sa diversité et sa profondeur. Certes la jeunesse actuelle est en train de se détourner des valeurs issues de cet héritage culturel et d'adopter aveuglément tout ce qui vient d'Occident. Et cela, du fait notamment de l'envahissement du continent par la culture occidentale à travers des vois supposées d'échanges et d'intercommunications constructives comme la télévision, les NTIC. Cependant cela ne suffit pas pour faire disparaître cet héritage culturel36(*). Il est donc notre richesse, notre point de repère, ce que nous pouvons avancer dans le contact sans cesse croissant avec les autres civilisations. Néanmoins de là ériger toute interprétation de cet héritage culturel en philosophie africaine il y a un pas que Towa refuse de franchir, mais plus que cela il lui adresse la critique virulente ci-dessus. A juste titre peut-être. Cependant le fait d'amorcer cette critique dans le champ spécifique occidental et poser la philosophie de ce champ comme seule capable de l'amorcer expose l'argumentation à des réserves. En effet le seul fait de transporter cet héritage culturel dans une sphère spécifique, avec ses exigences en termes de catégorie, de cadre conceptuel donne l'impression de fausser le débat avant même de l'avoir amorcé. Cette nécessité d'utiliser un cadre théorique et conceptuel étranger à l'Afrique pour traiter des sujets africains est une reconnaissance tacite de son inexistence dans notre continent sans même faire de la recherche informée sur la question. Alors même que la construction de ce cadre seulement, qu'il soit propre à toute l'Afrique en général ou en fonction de sa multiple et complexe composition culturelle, est un défi qui se pose au chercheur Africain. Cette tache était reconnue comme une tache urgente par Wilmot Blyden37(*) en son temps, qui dans ses écrits posait le problème de la détermination ou l'invention d'un discours théorique propre à rendre compte de la pensée du négro-africain à partir de champ culturel propre. En cela Pathé Diagne considère qu'il est un précurseur en la matière et considère que cette problématique doit être poursuivie et approfondie. En effet faute de son existence, l'universitaire africain actuel échappe difficilement à l'influence de l'Occident. Ayant une formation occidentale, il aborde toute thématique selon les catégories de cette formation même si celles-ci sont incompatibles avec le contexte de la problématique considérée. D'autre part le fait d'avancer comme modèle de critique de l'héritage culturel africain la philosophie occidentale en soi semble inopportun. C'est au sein de la littérature occidentale que le monde négro-africain a eu ses plus farouches négateurs. Les thèses racistes et négationnistes d'un comte de Gobineau ou Levy-Bruhl sont connues de tous. Sont connues également toutes les tentatives d'éminents penseurs Occidentaux de faire de la philosophie l'apanage de leur civilisation. Mais il y a plus. Dans cette cacophonie où le Noir est tout sauf un homme, se mêle la voix de Hegel avec la minutie qu'on lui connaît. On sait que dans son acception le Noir est l'être dans sa sauvagerie et sa pétulance; qu'il faille faire abstraction de tout sentiment humain pour l'appréhender à sa juste valeur. Pour cet être il suggère un esclavage des plus dégradants pour lui insuffler un peu d'humanité. Comme on le voit ériger la philosophie occidentale en modèle de critique des cultures négro-africaines et de surcroît justifier cela selon la conception de la notion de philosophie d'un Hegel affaiblit fortement l'argument de notre auteur. Towa lui même est conscient de la difficulté de sa démarche. C'est pourquoi il suggère de distinguer dans la position hégélienne la détermination du concept de philosophie et le refus de cette discipline aux peuples non occidentaux. Sur le premier point, il estime que Hegel fait partie des plus grands dans l'histoire de la philosophie, donc il est bien placé pour définir sa discipline. Quant au second point, Towa trouve sa position suspecte au regard de sa sous information sur les cultures non occidentales et ses penchants impérialistes. Cependant la question est ailleurs : il est question de savoir pourquoi, même connaissant les thèses racistes et esclavagistes de Hegel, Towa persiste à poser sa philosophie comme le fondement de notre acte philosophique ? Cette attitude fait ressortir une fidélité dogmatique de Towa à la philosophie occidentale en général et hégélienne en particulier. Il convient de souligner depuis la première publication de Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle en 1971, la position de Towa sur cette question ont fortement varié.

En effet environ dix ans par cet ouvrage Marcien Towa a publié un autre ouvrage intitulé L'Idée d'une philosophie négro-africaine. Dans cet autre ouvrage notre auteur, certainement compte tenu de toutes les critiques que Essai sur la problématique philosophique a suscité, a considérablement changé de point de vue à propos de l'héritage culturel africain. Plus précisément, au lieu d'adopter à son égard cette attitude négative faite de méfiance, de suspicion où il considère qu'il y a certainement en cet héritage culturel la spécificité qui fut responsable de notre défaite face à l'Occident, il y décèle « l'existence d'une tradition philosophique profonde remontant à la plus haute antiquité qui soit »38(*). Pour montrer la profondeur du revirement de Towa à ce propos soulignons les grandes lignes de cet ouvrage.

Pour Towa, encore une fois la démarche la plus appropriée consistera de partir de l'interrogation de l'existence ou non d'une philosophie africaine. Dans cette perspective il pense qu'il y a la philosophie comme pensée de l'absolu et il y a également des philosophes. Donc pour saisir la notion de philosophie africaine, il faut au préalable élucider le concept de ce que les Européens désignent par « philosophie ». Car ce sont eux qui ont formulé le syllogisme raciste selon lequel :

« L'homme est un être essentiellement pensant, raisonnable

or le nègre est incapable de pensée, de raisonnement. Il n'a pas de philosophie, il a une mentalité prélogique, etc.

donc le Nègre n'est pas vraiment un homme et peut être à bon droit, asservi, traité come un animal ».

Towa pense qu'il y a deux manière de réfuter ce syllogisme raciste et impérialiste : soit en élargissant le sens du mot philosophie pour le ramener à celui de mythe , soit en conservant au mot philosophie son sens rationnel et en montrant que les Africains ont produit quelque chose de semblable ou qu'ils sont en mesure de le faire. Il choisit donc cette deuxième solution et fait un exposé sur les civilisations de l'Egypte pharaonique et celles du reste du continent. Concernant les civilisations pharaoniques, s'appuyant sur des textes des Ecritures saintes comme le papyrus 1350 du musée de Leyde (1300-1200 avant Jésus Christ), le Livre des Morts notamment, il arrive à la conclusion qu'il a existé dans cette partie du continent une philosophie qui remonte à des millénaires avant Thalès, le premier présocratique. Ensuite, se penchant sur le reste du contient, notamment en Afrique Noire, il s'intéresse à la tradition orale, plus particulièrement les contes qui, selon lui ont principal souci d'enseigner la ruse, la prudence et la réflexion. Il en dégage des idées fortes comme :

- La pensée africaine traditionnelle ne place rien au-dessus de l'intelligence

- La pensée africaine traditionnelle refuse de reconnaître à quiconque le monopole de l'intelligence et de la perfection éthique, etc.

Toutes choses qui lui permettront de prétendre que la pensée de l'Afrique Noire a suffisamment de ressemblances avec celle de l'Egypte antique pour qu'on soit autorisé à lui attribuer une tradition philosophique qui remonte à la plus haute antiquité.

Ce qui ressort ici, c'est Towa ne rejette plus comme il le faisait quelques années plutôt l'héritage culturel et philosophique africain. Mais il se base sur lui pour établir l'existence d'une philosophie africaine. Il faut reconnaître avec Tshiamalenga N'Tumba que Towa avait une conception absolutiste et idéalisante de la philosophie. Cela l'a poussé à avancer des positions comme : « La philosophie ne commence qu'avec la décision de soumettre l'héritage culturel et philosophique à une critique sans complaisance », Pour la philosophie, aucune idée ... n'est recevable avant d'être passée au crible de la pensée critique », La philosophie est peut-être la seule discipline qui a le courage et la force de soumettre l'absolu à la discussion » etc. Le moins qu'on peut dire c'est que entre la publication de ces deux ouvrages les positions de notre auteur ont bien changé. Et s'il persistait à défendre de tels points de vue, on pourrait toujours lui demander ce qu'il y a réellement de critique ou d'autocritique chez les Présocratiques et bien d'autres penseurs anciens, médiévaux, modernes et contemporains que les historiens de la philosophie appellent cependant philosophes. Kant, le maître de la critique, celui même qui a voulu critiquer la raison en sa faculté de connaître, a-t-il jamais critiqué par exemple son sujet transcendantal ?

Enfin Towa propose comme rôle de la philosophie, la restitution de l'histoire de la pensée africaine. Il s'agit d'une thématique très pertinente eu égard aux vastes enjeux qu'elle recouvre. Cela rentre d'ailleurs parfaitement dans l'objet d'étude de la philosophie qui en plus d'être l'effort de saisie de l'origine de toute chose, l'amour de la sagesse, l'élucidation de proposition analytique etc.; est le discours portant sur son propre déploiement dans l'histoire humaine. Pour le cas de l'Afrique que le contact avec l'Occident a failli emporter, il est plus qu'impérieux de savoir ce qui était la pensée africaine avant ce contact, après ce contact, mais aussi perdant ce contact. Cependant il transparaît chez Towa une certaine suspicion qui fait que selon lui cette tache doit être menée avec sévérité. Cela dénote d'un état d'esprit négationniste qui présente le risque d'emmener le chercheur à trouver tout, sauf ce qu'il cherche. Il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. A l'encontre de cela, il convient plutôt d'entreprendre des recherches sérieuses, sans préjugés. De plus sur cette question, l'un des points qui fait débat et sur lequel il ne se prononce pas explicitement, c'est le cadre théorique et conceptuel qui doit être utilisé pour retracer l'histoire. Faut-il utiliser les méthodes de la tradition scientifique et philosophique occidentale ou inventer un cadre spécifique propre au champ négro-africain?

Pour résumer, retenons que dans son ouvrage propose des tâches spécifiques et pertinentes qu'il incombe à la philosophie de remplir dans la problématique philosophique africaine. Ces tâches sont concrètes et marquent une véritable rupture avec les conceptions de ses devanciers. Cependant, sa propension à ne ramener la philosophie qu'à ce qu'elle désigne dans la tradition occidentale, le fait tendre vers l'eurocentrisme. C'est certainement conscient de cela qu'il a reconsidéré certaines de ses positions, notamment celles relatives à l'héritage culturel africain.

CHAPITRE III : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS SUR « LA PHILOSOPHIE AFRICAINE » CRITIQUE DE L'ETHNOPHILOSOPHIE

Paulin Hountondji est consédéré comme le chef de fil du courant critique de l'etnophilosophie en Afrique. Ces prises de position tranchées dans « Sur la philosophie africaine » critique de l'ethnophilosophie, concernant particulièrement le statut théorique de la philosophie et le fait d'ériger l'écriture en condition nécessaire de toute philosophie, font croire que l'Afrique précoloniale en particulier n'a pas connu la philosophie. Cependant puisque son projet s'inscrit dans la perspective de la problématique philosophique en Afrique, il est important d'analyser les rôles qu'il y assigne à la philosophie. Ce sera le but de chapitre qui sera amorcé par une brève étude biographique et bibliographique de Paulin Hountondji.

SECTION 1 : ETUDE SOMMAIRE DE L'OUVRAGE DE PAULIN HOUNTONDJI

Né à Abidjan en 1942, Paulin J. Hountondji est béninois. Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de Paris. Il a eu comme professeurs de grands nom de la philosophie comme Louis Althusser, Jacques Derrida, Paul Ricoeur et Georges Canguilhem. Agrégé de philosophie, docteur ès lettres, À partir de 1967, lui-même a enseigné la philosophie à l'université des Besançon. Il a également enseigné dans les Universités africaines, l'Université de Kinshasa de Lubumbashi (ex- Elisabethville). En 1972 il est nommé chef de la chaire philosophie de l'Université nationale du Bénin où il est aujourd'hui encore en tant professeur de philosophie. En 1974, il est nommé Doyen de la Faculté de Lettres de ladite Université. Il a contribué à la démocratisation des pays africains en général et du Benin en particulier en développant des critiques virulentes contre lmes dictatures militaires. Ministre de l'Education au lendemain de la Conférence nationale, puis ministre de la culture et de la communication, ensuite chargé de mission du Président de la République, il démissionne en octobre 1994 pour reprendre son enseignement à l'Université. Son activité académique est intense et de renommée internationale. Ainsi il est co-lauréat du prix Mohamed El Fasi 2004. Il dirige à Porto-Novo le Centre africain des hautes études. La version américaine de son livre Sur la « philosophie africaine » : critique de l'ethnophilosophie (Paris, Maspero 1976) a été couronné en 1984 du prix Herskovits. L'ouvrage figure sur la liste des 100 meilleurs livres africains du XXème siècle établie à Accra en 2000. Hountondji a publié plus récemment The Struggle for Meaning : Reflections on Philosophy, Culture and Democracy in Africa (Ohio University Press, 2002). Il dirige plusieurs publications collectives dont Les savoirs endogènes : pistes pour une recherche (CODESRIA39(*), 1994), il a été vice-président du Conseil International de la Philosophie et des Sciences Humaines et vice-président du CODESRIA.

Sur « la philosophie africaine » critique de l'ethnophilosophie est l'une des principales productions littéraires et philosophique de Paulin Hountondji. Dans cet ouvrage, comme il l'indique lui-même, il se propose de circonscrire une certaine littérature africaine (qu'il qualifie d'ethnophilosophie), en dégager les thèmes majeurs, montrer quel en a été jusque là la problématique et rendre problématique cette problématique (p.12). Ainsi Hountopndji critique l'ethnophilosophie pour montrer qu'il n'existe pas de philosophie collective, unanimiste et inconsciente comme le prétendent les ethnophilosophies à la suite de Tempels. Il se donne pour tache de définir un nouveau concept de philosophie africaine ainsi que les conditions favorable à l'essor d'une véritable culture philosophique sur le continent africain. Son livre présente une structure en deux parties et un post-scritum.

La première partie est intitulée argument et se subdivise en quatre chapitres. Le premier chapitre a pour titre « Une littérature aliénée ». Dans celle-ci, il se propose de circonscrire la problématique de l'ethnophilosophie et rendre problématique cette problématique. Plus précisément il analyse le discours ethnophilosophie et tente de dégager ses carences. Il s'articule autour des critiques des ouvrages de Tempels et de Kagamé. Il y montre que leur discours n'est pas destiné aux Africains, mais aux Européens, dans une démarche arbitraire où ceux-ci se font les portes paroles de l'Afrique globale devant l'Europe globale. Il estime que leur prétendue philosophie n'est en réalité qu'une ethnophilosophie et qu'il y a urgence de réorienter la problématique philosophique africaine sur l'Afrique et de soumettre le discours philosophique aux Africains eux-mêmes. Le second chapitre s'intitule « Histoire d'un mythe ». Ici Hountondji se propose de révéler les raisons théoriques qui sont à la base de l'émergence de l'thnophilosophie. Il considère que cela est à mettre sur le compte d'une confusion sur le terme philosophie. La confusion d'un usage populaire, idéologique et d'un usage scientifique, rigoureux du terme de philosophie. De plus selon lui, cette confusion ne s'explique pas par une méconnaissance mais par le désir intense qui animait les Africains de se réhabiliter à leurs propres yeux et à ceux des Occidentaux. Dans le troisième chapitre qui porte le titre de « L'idée de philosophie », il se propose de montrer que :

o Que jusque là l'expression "philosophie africaine" n'a fait l'objet que d'une exploitation mythologique dans l'énorme littérature qui est considéré

o Qu'il est néanmoins possible de la récupérer pour l'appliquer à autre chose que cette fiction d'un système de pensée collectif, à savoir un ensemble de discours, de textes philosophiques

Dans le chapitre 4, intitulé « La philosophie et ses révolutions » Hountondji montre que :

o La philosophie est une histoire et non un système, qu'elle est un processus essentiellement ouvert, une recherche inquiète et inachevée et non un savoir clos

o Cette histoire ne procède pas par évolution continue, mais par saut et bonds successifs

o La philosophie africaine est peut-être entrain de d'opérer aujourd'hui sa première mutation vers la construction l'éclosion d'une véritable culture philosophique sur le continent africain

En un mot, dans ce chapitre l'auteur se propose de dégager une théorie de la philosophie comme histoire. Pour lui dès l'instant que des textes sur la philosophie africaine existent commence un débat pluraliste dans la philosophie africaine; débat qui est le propre de toute philosophie.

La deuxième partie s'intitulé « Analyses » et est étroitement liée à la première. Car il se fonde sur les arguments de cette dernière pour avancer des analyses de certains auteurs qu'ils considère comme faisant partie de ceux qui, dans une certaine mesure, produisent des textes qu'il faut ranger dans la littérature philosophique africaine. C'est le cas de Antoine Guillaume Amo, de Kwamé N'Krumah. Dans cette seconde partie il analyse également le pluralisme culturel. L'ouvrage se termine par un post-scritum qui s'ouvre par une critique politique du discours ethnophilosophique et une analyse de Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle de Towa. Cette critique permet à l'auteur d'avancer trois thèses fondamentales sur les rapports philosophie-science, philosophie-idéologie et philosophie-politique. Les idées ainsi développées traitent de trois thèses principales : de la critique de l'ethnophilosophie, du statut de la philosophie africaine ainsi que des conditions de l'essor de la pensée philosophique en Afrique.

Concernant la critique de l'ethnophilosophie, il en analyse la problématique, les fondements, les démarches et les fonctions idéologique de celle-ci. Pour lui, « l'ethnophilosophie est une philosophie qui se prend à tort pour une métaphilosophie, une philosophie qui plutôt que de fournir ses propres justifications rationnelles se réfugie paresseusement derrière l'oralité d'une tradition et projette dans cette tradition ses propres thèses, ses propres croyances » (pp.65-66). Du point de vue de sa genèse l'ethnophilosophie était déjà en gestation dans la négritude dont le développements métaphysique remonte à l'année 1939. Cependant l'ethnophilosophie ne prend effectivement corps qu'à partir de la publication de La Philosophie Bantoue du Père Tempels. L'ethnophilosophie, tout comme la négritude se propose de dégager et de rendre compte d'une pensée, d'une culture, en un mot d'une civilisation africaine unanimiste qui, en réalité n'existe nulle part que dans la pensée du chercheur lui-même. Cela procède à ses yeux d'une confusion d'un usage populaire, idéologique du concept de philosophie et d'un usage rigoureux, scientifique. En effet dans chaque société il existe une pensée spontanée véhiculée par la littérature orale et se traduisant dans la vie concrète du groupe par des attitudes existentielles comme les coutumes, les traditions, les rites et de comportements de toutes sortes. Cette pensée est une vision du monde, un système de représentation du monde sous-jacente au comportement de l'individu et du groupe. Il s'agit d'un élément stable qui subsiste au changement, à l'évolution, il est comme innée, substantiel au sujet. Sous ce rapport, l'ethnophilosophie échappe au temps, elle une philosophie inconsciente, enfouie dans le psychisme collectif marquant ainsi une identité culturelle du groupe. Mais sous cet angle, elle n'est pas non plus une philosophie, mais une aptitude à la philosopher qui du reste est présente dans toutes les sociétés humaines. Cependant pour Hountondji, la philosophie au sens théorique et scientifique est une discipline spécifique dans la connaissance humaine, elle est une discipline particulière ayant un objet particulier et une méthode déterminée. Une discipline prenant corps dans une littérature écrite, car pour lui la forme écrite est la seule concevable de l'existence historique de la philosophie et la seule condition de son développement et de son progrès dans une société quelconque.

A la suite de cela Hountondji se penche sur le statut de la philosophie africaine. Comme nous venons de voir, à ses yeux elle relève essentiellement de l'ethnophilosophie. Cependant elle peut être considérée comme faisant partie de la philosophie africaine. Car la philosophie est essentiellement un ensemble de textes, « l'ensemble précisément des textes écrits par les philosophes africains et qualifiés par leurs auteurs eux-mêmes de philosophiques ». Cette définition lui permet de marquer les divergences entre les auteurs africains et faciliter l'intégration à la philosophie africaine de travaux philosophiques africains comme ceux de Towa, Fabien Eboussi Boulaga ou autres Henri Oruka Odera. De plus cette définition de la philosophie africaine ne doit pas occulter le fait que dans sa majorité, la littérature qui lui est consacrée n'a jusque là fait l'objet que d'un usage mythologique et qu'il importe donc de la transformer « en véhicule d'une discussion exigeante et libre entre les philosophes africains eux-mêmes ». Enfin Hountondji explore les conditions de l'émergence de la pensée philosophique en Afrique. Pour lui, la pratique philosophique suppose une terminologie, un vocabulaire et tout un appareil conceptuel légué par la tradition philosophique existante. La réflexion philosophique en Afrique doit s'engager sur cette voie. Il en veut pour preuve le fait que la philosophie n'est pas un système clos et achevé, mais un débat sans cesse contradictoire qui se transmet de génération en génération et dans lequel chaque philosophe est responsable de ses idées. La démarche philosophique est comparable à celle de la science, autrement dit toute nouvelle théorie se réalise par dépassement dialectique. Pour expliquer cette parenté entre science et philosophie il reprend Marx et Engels lorsque ceux-ci affirmaient que la philosophie « n'est pas autonome et ne tire pas d'elle-même les lois de son propre développement mais elle est déterminée en dernière analyse par l'histoire la production des biens matériels et des rapports sociaux de production ». Pour expliquer cette situation elle-même, il part d'une hypothèse d'Althusser contenue dans Lénine et la philosophie: « la philosophie n'a pas toujours existé; on observe l'existence de la philosophie que dans un monde qui comporte ce qu'on appelle une science ou des sciences. Science au sens strict : discipline théorique c'est-à-dire idéelle et démonstrative et non un agrégat de résultats empiriques... Pour que la philosophie naisse ou renaisse, il faut que les sciences soient. C'est peut-être pourquoi la philosophie au sens strict n'a commencé qu'avec Platon, provoquée à naître par l'existence de la mathématique grecque, a été bouleversée par Descartes, provoquée à sa révolution moderne par la physique galiléenne; a été refondue par Kant sous l'effet de la découverte newtonienne; a été remodelée par Husserl sous l'aiguillon des premières axiomatiques » (p.27). Pour cette raison il importe plus en Afrique de « promouvoir ce qu'on pourrait appeler une science, une recherche scientifique africaine. Ce n'est pas de la philosophie, c'est d'abord de la science que l'Afrique a besoin ». La science est donc perçue comme la condition de l'émergence de la philosophie. Or la condition première de la science c'est l'écriture. Dans ces conditions Hountondji estime que les civilisations africaines ne pouvaient pas donner naissance à une science au sens le plus strict et le plus rigoureux du terme aussi longtemps qu'elle n'avaient pas subi la profonde mutation dont elles sont aujourd'hui sujets, mutations qui les traveraille de l'intérieur et font d'elles petit à petit des civilisations de l'écrit.

SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE CHEZ PALUIN HOUNTONDJI

Paulin Hountondji écrit dans la perspective du débat sur la philosophie africaine. Comme Towa il est contemporain de la naissance de ce débat. Avant lui des choses ont été dites, des pistes ont été envisagées et parcourues. Surtout un vaste mouvement littéraire a vu le jour et produit un ensemble non négligeable de textes. Le livre de Hountondji est donc une prise de position dans ce débat. Comme le titre même l'indique, il écrit sur la philosophie africaine. Plus précisément il se propose de faire une critique de l'ethnophilosophie. Comme on vient de le voir cette critique traverse de bout l'ouvrage Hountondji, mais au-delà, il estime que sur le continent africain il existe des rôles qui sont dévolus à la philosophie. Parmi ceux-ci il y a celui qui consiste à transformer la littérature philosophique africaine existante « ... en véhicule d'une discussion exigeante et libre entre les philosophes africains eux-mêmes ». En effet pour Hountondji la philosophie africaine existe, elle existe comme sous tous les cieux sous la forme d'une littérature. C'est ce qui explique cette affirmation dès le début de son livre selon la « philosophie africaine, un ensemble de textes: l'ensemble, précisément, des textes écrits par les africains et qualifiés par leurs auteurs eux-mêmes de philosophique » (p.11). Cette littérature, variée et abondante existe depuis plusieurs années, cela est indiscutable. Elle ne prend en considération que les auteurs africains et de sa diaspora. Sont exclus tous les auteurs étrangers à l'Afrique même si ceux-ci traitent dans leurs écrits de thèmes exclusivement africains. Elle a été inaugurée fin 19ème siècle début 20ème siècle par des ethnologues occidentaux qui se sont intéressés au continent africain pour des raisons diverses. Il peut s'agir d'études ethnologiques du peuple noir mais qui par la suite donne lieu à des généralisations pour le moins hâtives. Les sociétés africaines ont été aussi perçues comme des sociétés statiques, sans histoire à côté de la civilisation occidentale ultra-technicienne, ultra- matérialiste. Un tournant décisif a été opéré dans cette littérature en 1945 avec la publication de La Philosophie bantoue du R.P Tempels, un missionnaire belge en poste au Congo Belge. Cet ouvrage était une monographie où l'auteur recensait toutes les interrogations que ses collègues occidentaux se posaient sur les noirs en général. A ces interrogations il fournissait des réponses précises à partir d'une étude ethnologique du champ culturel bantou. Le but étant de faciliter la voie aux colonisateurs et aux missionnaires dans le cadre de la mission civilisatrice. Cette étude a eu pour résultat de faire ressortir la vision du monde sous-jacente à toutes les actions et attitudes, coutumes, rites, croyances. C'est cette vision du monde collective, inconsciente qui est appelée philosophie bantoue, partant celle de tous les Noirs. La littérature africaine dont parle Hountondji s'est largement inspirée de cet ouvrage. Elle y puise ses arguments selon ses différentes préoccupations. Celle dite laïque y trouve une aubaine pour se réhabiliter devant l'Occident qui a longtemps refusé aux africains l'aptitude à la philosophie. Quant à celle dite religieuse, elle y voit une voie féconde pour se lancer dans des études ethnologique des peuples africains pour que cela aboutisse à une maîtrise psychologique de ceux-ci afin que soit menée plus rationnellement l'entreprise d'évangélisation sur le continent. Pour lui, cette littérature, même si elle peut être qualifiée de philosophique, a du reste jusque là fait l'objet d'une exploitation mythologique. Il souhaite la voir voir transformée en un débat qui engage les Africains entre eux. Comme indiqué précédemment, tout le projet de Tempels a consisté à mettre à jour la vision du monde qui est à la base de tout comportement du bantou. Elle est conçue comme une sorte de weltanschauung collective, unanimiste à laquelle adhèrent spontanément et inconsciemment tous les africains. Tout se passe comme si chez les bantous, tout le monde est d'accord avec tout le monde. Les bantous eux-mêmes méconnaissent cette vision du monde, où sont incapables d'en rendre compte. C'est aux occidentaux, avec l'arsenal théorique que leur offre les disciplines positives comme l'ethnologie, l'anthropologie, qui incombe la tâche de la restituer. C'est donc à l'abandon de cette ethnologie à prétention philosophique qu'invite Houtondji. Il estime en substance que « ruiner ce mythe (celui de l'ethnophilosophie), libérer notre horizon conceptuel pour un discours théorique, telle est la tâche qui incombe, aujourd'hui aux philosophes et aux hommes de science africains » (p.33). L'idée forte qui se dégage ici c'est celle d'une réorientation du projet philosophique africain. L'auteur voudrait que les africains arrivent à penser librement leur philosophie, sans qu'ils aient à la calquer sur les travaux ethnologiques antérieurs, même si ceux-ci en arrivent à affirmer l'existence d'une philosophie bantoue ou africaine. D'ailleurs la philosophie bantoue qui sert de modèle à la majeure partie des auteurs africains présente des facettes que les africains gagneraient à reconsidérer. C'est d'abord que La philosophie bantoue en question s'adresse aux colonisateurs et missionnaires occidentaux appelés à intervenir sur le continent africain, dans le cadre de la mission civilisatrice qui est en réalité une vaste campagne de dépersonnalisation de l'africain ainsi que le pillage systématique de son patrimoine humain et naturel sous prétexte de lui apporter la civilisation. Le R. Tempels lui même ne s'en cache pas quand il estime qu'«une meilleure compréhension du domaine de la pensée bantoue est tout aussi indispensable pour ceux qui sont appelés à vivre parmi les indigènes. Ceci concerne dont tous les coloniaux, mais tout particulièrement ceux qui sont appelés à diriger et à juger les noirs, tous ceux qui sont attentifs à une évolution favorable du droit clanique, bref, tous ceux qui veulent civiliser, éduquer, élever les bantous. Mais si cela concerne tous les coloniaux de bonnes volontés, cela s'adresse tout particulièrement aux missionnaires.» (Note 3 p.15). Ce la montre que le Père Tempels est certes un homme d'Eglise convaincu de notions fortes comme l'amour du prochain. Mais c'est aussi un impérialiste convaincu qui professe la supériorité de sa race sur les autres. Mieux, il théorise les connaissances des races inférieures pour faciliter leur soumission à l'occident. Cela signifie encore que pour les africains, abonder dans le même sens que la philosophie bantoue c'est dans une certaine mesure se faire complice des coloniaux et missionnaires qui veulent opérer sur le continent. D'autre part, en s'adressant à ses collègues occidentaux les Africains ne sont pas considérés comme des interlocuteurs bien que parlant d'eux, de ce qu'ils ont de plus intime. Ils ne pas associés au débat, ils sont ce dont on parle, sujets «d'une discussion entre doctes européens» (p.15). Cette chosification, cette réduction de l'Africain aux objets, sorte de visage sans voix qu'on tente de déchiffrer, objets à définir et non sujets d'un discours possible fait que les auteurs africains devraient se méfier de toute philosophie prolongeant la philosophie bantoue ainsi que toute la problématique qui l'entoure. En outre, ce qui est considéré ici comme philosophie diffère radicalement de ce qui a jusqu'ici été pris comme telle. Il s'agit d'une vision du monde collective, unanimiste, à laquelle tous les bantous sont censés adhérer spontanément et inconsciemment par delà l'espace et le temps. Il s'agit concrètement de la vision du monde qui explique toute l'organisation politique, économique, sociale des bantous. Du reste, cette philosophie est à exhumer par l'analyse ethnologique de documents institutionnalisés comme les contes, les légendes, les rites ... Cela ne ressemble guère à la philosophie telle qu'elle a fonctionné jusque là, notamment dans la tradition occidentale. Hountondji tente d'expliquer le fait que les Africains se soient laissés piégés par cette philosophie d'un genre pour le moins nouveau. Pour lui, cela n'est pas à mettre sur le compte d'une méconnaissance. Ils voulaient «à n'importe quel prix, se réhabilité à leur propres yeux et aux yeux de l'Europe». (p.47) L'Occident les avait si longtemps nié et bafoué que l'affirmation d'une philosophie bantoue était perçue comme une reconnaissance de leur qualité d'hommes. En fait, le projet de la philosophie bantoue recelait une dimension de réhabilitation du Noir. Tempels estime que l'Europe s'était méprise face aux noirs. Croyant que ceux-ci n'avaient pas de pensée, de sagesse de philosophie, ils ont engagé avec eux un dialogue de sourd qui n'a fait qu'élargir le fossé les séparant. En mettant en exergue la philosophie des bantous, Tempels corrigeait cette attitude des siens et montrait qu'il y a urgence de repenser les méthodes de la mission civilisatrice. Avec la découverte de la philosophie des bantous il fallait désormais les prendre de sagesse à sagesse de conception du monde à conception du monde, d'idéal à idéal. C'est donc en quelque sorte une invitation d'accepter l'humanité du noir et engager avec lui un dialogue d'égale à égale dans le respect des différences. C'est donc cette dimension du message tempelsien qui a séduit les auteurs africains. Ce pendant Hountondji relève que c'est faute de l'avoir mis en relation avec l'autre volet du même message. Qui est que celui-ci était adressé aux colons et aux missionnaires Européens dans leur entreprise de soumission du continent africain. D'ailleurs, pour notre auteur la philosophie telle quelle est perçue ici est le résultat d'une confusion du concept de philosophie. «La confusion d'un usage populaire (idéologique) et d'un usage rigoureux (théorique) du mot philosophie». (p.39). Selon le premier sens, la philosophie se ramène à toute sagesse collective ou individuelle, tout système de saisie de soi et du monde, présentant un minimum de cohérence pour régir l'action. Selon ce premier sens, tout homme est naturellement philosophe, en se sens que tout homme en pleine possession de ses facultés a suffisamment de bons sens pour appréhender plus ou moins rationnellement sa vie et agir dans le sens de ce qu'il croît être son bien. Mais dans le second sens la philosophie «est une discipline spécifique ayant ses exigences propres et obéissant à des règles méthodologiques déterminées». (p.39) Et ce, au même titre que la chimie, les mathématiques, la physique etc. et toutes les autres sciences constituées. Ainsi, il estime qu'autant on est mal fondé de parler d'une chimie, d'une mathématique, d'une physique etc. collective et inconsciente, on l'est d'une philosophie. D'où son appel à la ruine de toute littérature qui l'affirme. Libérer donc cette littérature philosophique africaine et du mythe qui l'entoure est l'une des tâches qu'Hountondji assigne à la philosophie en Afrique. Mais pour lui, cette démarche elle-même est «inséparable, en fait, d'un effort politique (en l'occurrence de la lutte anti-impérialiste au sens le plus laborieux du terme)» (p.33). Car en produisant des textes dans la logique de la philosophie bantoue, originale de forger une philosophie spécifique, originale car différente de la philosophie occidentale, les africains ne font que prolonger « un mythe non africain » (p.33). En effet la différence obtenue ici n'a de sens comme différence, qu'en tant que différence de civilisés à barbares, maîtres à esclaves, peuples supérieurs à inférieurs, etc. Dans la perspective de se réhabiliter, les auteurs africains écrivent à l'endroit du public occidental. C'est devant celui-ci qu'on veut se faire valoir. Hountondji voit à la base de cela un désir de paraître, une perpétuelle recherche de reconnaissance avec son cortège de narcissisme. Et lorsque cette reconnaissance tarde à venir, on se retrouve pris dans notre «propre piège» (p.34). Du reste le désir de paraître « se creuse toujours davantage jusqu'à s'aliéner complètement dans une attention inquiète aux moindres gestes de l'auteur, au moindre mouvement de son regard ». En écrivant dans la logique de l'éthnophilosophie, l'intellectuel africain se ridiculise et se fait complice de ses impérialistes. De surcroît, il crée un environnement propice à cet impérialisme en créant et en entretenant une artificielle plate forme de dialogue entre Européens et Africains, un dialogue où il se fait « le porte parole de l'Afrique globale devant l'Europe globale, au rendez-vous imaginaire du « donner et du recevoir » » (p.35). L'Europe se trouve ainsi confortée dans sa conviction qu'il est différent des autres peuples. Une différence saisie comme différence de degré de civilisation, d'évolution. Hountondji propose donc aux philosophes africains de transformer cette problématique qui relève de l'ethnophilosophie et de faire de la philosophie africaine un débat entre les Africains et traitant de thèmes philosophiques les plus divers. Cela passe néanmoins par des préalables. C'est le cas de la liberté d'expression pour que le philosophe africain puisse aborder tous les sujets qui l'intéressent sans être menacé par les politiques. Dans ce contexte, il est de sa responsabilité de porter sa réflexion sur le terrain politique sans pour autant être le porte parole des régimes dictatoriaux. Ce dépassement de l'ethnophilosophie implique également la réorientation du discours philosophique africain vers le public africain. Pour lui derrière l'entreprise de restitution de la pensée africaine, quête effrénée d'originalité, d'authenticité, se cache un repli nationaliste. Il convient de le dépasser et faire de la philosophie un vaste débat fécond, «un débat autonome, qui ne soit plus un appendice lointain des débats européens, mais qui confronte directement les philosophes africains entre eux créant ainsi au sein de l'Afrique un milieu humain dans lequel et par lequel puissent être posés les problèmes théoriques les plus ardus» (p.48). En un mot un débat où des africains s'adressent à d'autres africains en traitant de questions philosophiques les plus divers. La philosophie africaine est d'abord l'affaire des africains. Elle n'est pas condamnée à n'aborder que des thèmes relatifs à l'originalité, à l'authenticité des peuples africains. Un exposé d'un penseur africain sur des questions philosophiques les plus variées comme la raison, la conscience, le Kantisme... fait partie de la philosophie africaine. Cela a l'avantage, note l'auteur de faire en sorte que l'intellectuel ne se sente plus obliger de systématiser la pensée des diallobés, ou des baoulés, ou n'importe quel autre peuple négro-africain. Entreprise où l'auteur, bien avant le début de ses recherches s'emprisonne dans certain canevas où il est condamné à aboutir à des résultats, n'importe quels résultats. Cette thématique du reste n'intéresse pas le public africain. Il faut plutôt élargir le champ d'investigation et n'avoir pas honte de penser. Cela passe donc par une maîtrise de l'héritage philosophique international, mais surtout le «dépasser» (p.49). D'autant que celui-ci offre une palette non négligeable d'outils théoriques que les auteurs africains peuvent exploiter à loisir.

En définitive, Hountondji préconise ici la réorientation du débat philosophique africain par la ruine de l'ethnophilosophie et toute la problématique qui la sous-tend. Il récuse toute idée de philosophie collective indigène séparée de la tradition philosophique occidentale. Car selon lui à la base d'une telle entreprise, il y a des considérations idéologiques, politiques. On a voulu coûte à coûte produire une «philosophie authentique et la brandir devant l'occident comme preuve de notre humanité». Au risque cependant de produire quelque chose qui n'a de philosophique que dans le cadre africain. C'est dans le sens de la reprise de ce long passage de Henry Oruka Odera dans Mythologies as African philosophiy, East Africain Journal, vol.IX, N°10, octobre 1972 :

«On présente comme « religion africaine » ce qui n'est peut-être qu'une superstition, et on attend du monde blanc qu'il admette que c'est en effet une religion, mais une religion africaine. On présente comme « philosophie africaine » ce qui, dans tous les cas, est une mythologie, et une fois de plus la culture blanche est invitée à admettre c'est en effet une philosophie, mais une philosophie africaine. On présente comme « démocratie africaine » ce qui, dans tous les cas, est une dictature, et l'on attend de la culture blanche qu'elle admette qu'il en est ainsi. Et ce qui est de toute évidence un processus actif de sous-développement (a de-developpement) ou un pseudo-développement est décrit comme le développement, mais naturellement un « développement africain » »

Une telle attitude fait que ce qui a été lorsque la considération comme philosophie africaine se trouve plonger dans une profonde impasse. Pour en sortir il faut réorienter le débat philosophique africain. Cela implique :

v L'abandon de toute entreprise de restitution d'une philosophie africaine originale à opposer à celle occidentale.

v L'organisation d'un débat philosophique fécond entre africain où les sujets portent sur des thématiques les plus variées.

v La liberté d'expression pour que le philosophe s'exprime librement même sur le champ politique.

v L'assimilation et le dépassement de l'héritage philosophique international. Il reconnaît cependant l'existence de courant au sein même de cette littérature (qualifiés comme mineur (note 7 p.21) qui ont mené une constations de l'ethnophilosophie. Il estime que ces « auteurs possèdent d'admirables potentiels philosophiques qualités qui ont utilisé pour se définir eux-mêmes et leur peuple, face à l'Europe sans laisser à personne le soin de les fixer, de pétrifier » (p.22).

En outre Hountondji pose comme rôle de la philosophie africaine, la promotion d'une science africaine. Pour lui « plutôt que de revendiquer à cor et à cri, l'existence d'une philosophie africaine, nous serions (...) mieux inspirés de nous employer patiemment, méthodiquement à promouvoir ce qu'on pourrait appeler une science africaine : une recherche scientifique africaine. Ce n'est pas de la philosophie, c'est d'abord de la science que l'Afrique a besoin » Pour lui la philosophie africaine doit évoluer selon le mode de la science. Pour en arriver à cette conclusion il montre d'une part que la philosophie est une histoire et non un système. La philosophie est une histoire et non un système n'est pas un système signifie qu'elle ne se présente pas, qu'elle ne se déploie pas sous la forme d'un système clos et achevé n'admettant de ce fait aucun questionnement ; aucune remise en cause. Dire de la philosophie qu'elle est un système revient à affirmer qu'elle est une vision collective du monde à laquelle adhèrent spontanément et inconsciemment un groupe d'individus déterminés. De l'autre côté, dire de la philosophie qu'elle est histoire signifie « entre autres choses, qu'aucune doctrine philosophique ne peut être considérée comme la vérité, au singulier, la vérité avec un grand V » (p.38). En d'autres termes, il n'y a pas de vérité absolue en philosophie, il n'y a pas une et une seule conception d'un même problème philosophie donné. Mais une perpétuelle remise en cause de ce qui est, de ce qui a été dit avec d'autres arguments, d'autres approches, d'autres enjeux. La philosophie se résume en l'histoire de la confrontation d'idées, sans cesse renouvelée sur des thématiques les plus variées et où la vérité pas quelque de figé, mais une quête perpétuelle de « proposition toujours adéquate les une que les autres » (p.83). Mais pourquoi l'histoire de la philosophie n'évolue pas de manière cumulative, linéaire Pourquoi, toute, pour s'établir, doit bouleverser l'espace théorique déjà existant A quelles lois et conditions obéissent ces bouleversements Pour résoudre ce problème Hountondji reprend Marx et Engels et estime que cela s'explique par le fait que la philosophie « ...n'est pas autonome et ne tire pas d'elle même la loi de son propre développement mais qu'elle est déterminée en dernière analyse par l'histoire de la production des biens matériels et des rapports sociaux de production ». Mais comment et par quelle médiation la philosophie est-elle en dernière analyse déterminée par les pratiques matérielles Pour répondre a cette autre question il reprend une hypothèse de Lénine qui disait que « la philosophie n'a pas toujours existé, on observe l'existence de la philosophie que dans un monde qui comporte ce qu'on appelle une science ou des sciences. Science au sens strict : discipline théorique c'est-à-dire idéelle et démonstrative et non un agrégat de résultats empiriques... Pour que la philosophie naisse ou renaisse, il faut que les sciences soient. C'est peut-être pourquoi la philosophie au sens strict n'a commencé qu'avec Platon, provoquée à naître par l'existence de la mathématique grecque, a été bouleversée par Descartes, provoquée à sa révolution moderne par la physique galiléenne ; a été refondue par Kant sous l'aiguillon de la découverte des premières axiomatiques ». C'est du reste cette hypothèse qu'Hountondji transforme en thèse et fait de la philosophie africaine comme toutes les autres philosophie un discours sur la science. Cela implique donc que la naissance même discours philosophique est tributaire de l'existence préalable d'une ou des sciences. Promouvoir une recherche scientifique sur le continent africain est de ce fait une tâche qui incombe à la philosophie. Cependant la condition de la science elle-même c'est l'écriture. L'absence de celle-ci, selon lui, constituait un handicap pour les civilisations de l'Afrique précoloniale d'avoir une science au sens le plus strict et le plus rigoureux du terme. C'est que pour lui, l'absence de transcription scripturale d'une philosophie ne lui enlève pas son statut de philosophie. Il n'existe pas un lien de nécessité entre l'acte de philosopher et sa matérialisation à travers un texte écrit sur du papier. Néanmoins cela empêche une telle philosophie de « s'intégrer à une tradition théorique collective, de prendre place dans une histoire, comme terme possible de référence appelé à nourrir les discussions futures ». L'idée forte qui transparaît ici c'est que lorsque une philosophie est consignée sous forme de texte, elle a l'avantage de constituer un terme de référence pour des réflexions futures sur le même problème. Mais aussi d'intégrer un vaste champ théorique où les points de vue s'amendent et s'améliorent. Il estime d'ailleurs que la tradition orale a le défaut de favoriser «la consolidation du savoir en un système dogmatique et intangible» (p.132). Car la mémoire est plus préoccupée à conserver les connaissances, en répétant incessamment les mêmes choses, avec le risque que cela implique d'en faire des connaissances dogmatiques, qu'à les dépasser et les poser en objet d'une critique. En un mot Hountondji considère qu'une philosophie non écrite présente des lacunes. Mais qu'il temps de dépasser cet handicap car les sociétés africaines, de nos jours, sont entrain une mutation profonde qui les travaille et les transforme petit a petit en civilisation de l'écrit.

Enfin selon Hountondji la philosophie doit avoir pour rôle la restitution de la pensée de l'Afrique précoloniale. Cette prise de position est primordiale dans la prise de position hountondjienne car à force de démonter systématiquement l'ethnophilosophie et de réduire la philosophie à un discours sur la science, elle-même conditionnée par l'écriture, tout se passe comme si l'Afrique pré coloniale n'avait pas de philosophie. Hountondji avance sur un ton de inquiet, qu'à aucun moment il n'a voulu prétendre dans son ouvrage « que l'Afrique pré coloniale était intellectuellement une table rase » (p.250). Bien au contraire, il souhaite que personne ne se méprenne sur sa position dans Sur "la philosophie africaine" Critique de l'ethnophilosophie. L'Afrique de l'oralité a connu des civilisations brillantes que la postérité ne peut passer sous silence. «L'Afrique pré-coloniale avait amassé une riche moisson de connaissances vraies de techniques efficaces, qui a été transmises oralement de génération en génération, et qui font vivre encore aujourd'hui une bonne partie des populations de nos campagnes et villes» (p.125). Hountondji préconise que soit entreprise la tâche de transcription de tout ce qui peut être perçu de ce savoir. Cela doit être mené de manière méthodologique, rigoureuse. Le chercheur doit précisément avoir à l'esprit que si une philosophie a existé, elle n'est pas nécessairement celle tout un groupe telle la vision du monde collective et inconsciente dont parle l'ethnophilosophie. Elle ne doit pas également être transcrite pour être « proposée à l'admiration d'un public non africain, mais d'abord, mais surtout, pour être soumis à l'appréciation et à la critique des Africains d'aujourd'hui (...)» (Note 9 p.31). En le faisant, les auteurs africains auront la possibilité et ré aborder et éventuellement approfondir les conclusions auxquelles sont parvenus les travaux déjà existants sur cette question. C'est le cas de la thèse de la régression historique (p.126) prônée par Cheick A. Diop. Selon celle-ci l'Afrique aurait connu dans l'antiquité de brillantes civilisations qui se sont illustrées dans tous les domaines du savoir. En témoignent les gigantesques pyramides d'Egypte. Le retard actuel du continent sur les plans scientifiques, techniques, technologiques, ne serait donc pas originaire. Mais il est à mettre sur le compte d'une régression, d'une décadence. Hountondji souhaite que ces ébauches soient poursuivies et approfondies. En outre sur la question spécifique de l'écriture qui conditionne la philosophie par science interposée, Hountondji relève qu'elle n'était pas totalement absente dans l'Afrique précoloniale. Pour nous en assurer, il nous ramène sur les travaux de Théophile Obenga40(*) dans L'Afrique dans l'Antiquité, RA, Paris, 1973, qui aborde entre autre les systèmes d'écriture pratiqués dans l'antiquité africaine. Cependant pour notre auteur, le tout n'est pas de constater l'existence de ces systèmes d'écriture, ou même de les transcrire. Mais il faut aussi savoir à quoi ont servi. Il faut déterminer s'ils étaient vulgarisés, utilisés comme véhicule de connaissance au service de tous les africains. Ou si au contraire ils étaient l'apanage d'une classe «privilégiée», sacerdotale qui l'utilisait comme instrument de domination, de mystification.

En somme, Hountondji, à l'instar de Macrien Towa pense que avant lui, la plupart des textes philosophiques africains relèvent de l'ethnophilosophie. Il convient donc de reconsidérer la problématique philosophique en Afrique. Pour cela il estime celle-ci doit être reorientée pour constituer un débat contradictoire et rigoureux qui engage les Africains entre eux et traitant des questions les plus diverses. De plus il doit être procédé sur le continent africain à une promotion de la science, car non seulement la philosophie pour réellement exister doit se situer le terrain de la science, mais aussi et surtout parce que son point de vue la philosophie est en dernière analyse un discours sur la science. A cela s'ajoute la restitution de la pensée africaine précoloniale. Ce sont les rôles que nous allons maintenantr tenter d'analyser.

SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE CHEZ HOUNTONDJI

Sur « la philosophie africaine » critique de l'ethnophilosophie comme son nom l'indique est une critique de l'ethnophilosophie et de toute sa problématique aux fins de montrer notamment qu'il n'existe pas de philosophie unanimiste, inconsciente et qui résiderait quelque part dans le subconscient collectif d'un peuple dans l'attente d'être exhumée par l'interprétation d'éléments culturels. Plus que cela, l'auteur voudrait que le débat sur la problématique philosophique africaine soit reconsidéré et que ses termes aussi bien théorique qu'épistémologiques soient réorientés pour être à l'image de la discipline spécifique qu'est la philosophie ; plus précisément à l'image de celle-ci telle qu'elle a toujours fonctionné dans la tradition internationale. Pour cela, il estime qu'entre autre rôles qui reviennent à la philosophie sur le continent africain, il y a la transformation du discours ethnophilosophique en un véhicule d'un débat contradictoire qui non seulement engage les Africains entre eux ; mais aussi qui traite des questions les plus diverses, même si celles-ci n'ont aucun rapport avec l'Afrique. Cela signifie plus précisément un débat qui s'éloigne de ce qu'il appelle le mythe de l'ethnophilosophie41(*). Donc ce qui est ici en toile de fond c'est avant tout la disqualification de l'ethonophilosophie. Cette question traverse l'ouvrage de Hountondji de part en part. Comme son titre même l'indique, c'est le thème central de l'ouvrage. Ainsi, il s'attelle à définir d'abord ce qu'il entend par ethnophilosophie. L'ethnophilosophie est une recherche qui repose en tout ou en partie sur l'hypothèse d'une vision du monde collective et hypothétique d'un peuple donné. Elle est également toute tentative de reconstruction de cette vision du monde collective supposé. C'est cette ethnophilosophie qu'il tente de démonter à grands traits d'érudition avec un ton pour le moins journalistique où quelques fois les auteurs de celle-ci sont menacés et ridiculisés. Ce passage l'illustre fort bien: « tout ce qu'il peut produire par ailleurs [...] sur un problème philosophique général sans lien privilégié avec l'Afrique, lui apparaît comme une parenthèse dans sa pensée, une parenthèse dont il doit avoir presque honte. Et s'il n'est pas assez impudique pour ne pas bleuir (d'autres auraient préféré, il est vrai, qu'il en « rougisse »), alors malheur à lui ! ces critiques ils sauront bientôt le faire taire (...)» (p.46) Ce que Hountondji récuse dans l'ethnophilosophie c'est en fait le présupposé suspect qu'elle implique. Elle a pour but de montrer aux Occidentaux que les africains savent et peuvent penser, qu'ils détiennent une philosophie. A ce titre elle vise à soustraire l'Africain du préjugé négatif dont il a été victime de la part de l'Occident. Elle vise à le réhabiliter en le rehaussant à une image digne d'attention et de respect, en mettant en exergue la richesse et l'originalité des cultures négro-africaines. Pour Hountondji cela est assimilable à attribuer à celles-ci l'intention d'une revendication mendiante qui n'a pas lieu d'être. L'Afrique n'a pas besoin d'extravertir sa culture et de l'exposer sur la place publique dans l'intention sécrète ou avouée de rechercher une reconnaissance de la part des autres peuples. Si l'Afrique a une culture et une civilisation, le combat ne se situe plus au niveau de sa reconnaissance, mais de sa réalisation, de son affirmation par des actes concrets dans l'histoire humaine. D'autre part, Hountondji rejette l'argument selon lequel les africains seraient inconscients de leur propre philosophie. Pour lui la philosophie est semblable à toutes les autres sciences constituées. Ce qui fait que les exigences méthodologies, conceptuelles, théoriques etc. présentes chez ces disciplines sont aussi présentes en philosophie. Mais surtout cela implique que de la même manière qu'il est inconcevable qu'une mathématique, une physique, une chimie ... qui soit inconsciente, une philosophie inconsciente est inimaginable. En outre l'ethnophilosophie, dans son analyse procède à des généralisations hâtives, qui consistent à transposer systématiquement ses conclusions sur un peuple africain particulier, à l'ensemble des peuples africains. C'est ainsi que le Père Tempels peut partir d'une réalité spécifique aux bantous ou à certains clans bantous, pour faire une extrapolation dans laquelle on met tous les peuples africains dans le même panier. Cette uniformisation dans laquelle tous les africains réfléchissent de la même manière implique l'absence chez eux porteurs de contradictions, de remise en question critiques, qui, seules sont susceptibles d'être de dynamisme et de mouvements d'idées. Ce qui signifie en clair que pour lui, la philosophie africaine, même si elle existe, n'est pas encore suffisamment mure pour les grands essentiellement contradictoires tels qu'on les observe dans une large partie de la tradition philosophique occidentale.

Il faut reconnaître à Hountondji le mérite d'avoir été de ceux qui ont le courage de produire une réflexion qui brise en quelque sorte la tradition littéraire de son époque. Le premier chapitre de Sur « la philosophie africaine » critique de l'ethnophilosophie a été rédigé en 1969. Cependant des écrits antérieurs existent allant tous dans le sens d'une réfutation sans ambages de l'ethnophilosophie et de tout ce qu'elle sous-entend. En effet Hountondji a publié d'autres textes dans des revues comme Diogène, Présence africaine, Cahiers philosophiques africains, Thought and Practice, Quest, Genève-Afrique, Revue sénégalaise de philosophie etc., dans lesquels la crique de l'ethnophilosophie transparaît fortement. Donc on peut dire que la position de Hountondji est courageuse, surtout dans le contexte qui l'a vu naître. Ce contexte est celui d'une époque où l'Afrique a connu colonisation et indépendance. Mais surtout une époque où l'Afrique est à la recherche de ses repères après tant de siècles de domination par l'Occident. Ainsi les Africains sont engagés dans des combats à plusieurs fronts où sur le plan philosophique, idéologique etc. la problématique est celle de la réhabilitation, de l'affirmation de soi dans l'histoire humaine. L'intervention de Hountondji présente donc le mérite de produire une certaine pluralité face à la littérature philosophique dominante et de montrer qu'au-delà de la traditionnelle lutte contre l'ex-colonisateur, d'autres problématiques restent à explorer. Mieux que cette lutte elle-même - du moins telle que la développe l'ethnophilosophie - ne fait qu'aggraver l'assujettissement de l'Afrique à l'Europe. En s'adressant à l'Europe pour prouver notre différence, on ne fait que le conforter. Il peut ainsi continuer à soutenir que sa civilisation est différente des autres civilisations, différence elle-même saisie en terme de supériorité de celle-ci sur la nôtre. Cela créait un autre amalgame. Celui ou l'intellectuel africain, l'idéologue africain professe une philosophie au nom de tous les africains sans qu'ils le lui aient demandé. De surcroît une philosophie à laquelle tous adhéraient spontanément. Tout fonctionnait comme si en Afrique tout le monde est d'accord avec tout le monde ce qui est en réalité difficile à concevoir. Ainsi, pouvaient fleurir des dictatures ou toute opposition est matée systématiquement. Sinon la conscience des africains était endormie par des propagandes tapageuses ou à la civilisation conquérante évolutionniste, scientiste occidental, on opposait une Afrique émotive, plus soucieuse d'un équilibre d'avec son espace vital. Hountondji préconise le dépassement de cette problématique. Plus précisément il faut transformer la littérature philosophique africaine pour qu'elle ne soit plus constamment un instrument de propagande idéologique, mais un débat rigoureux, scientifique qui s'inscrive dans le cadre des exigences de la philosophie, comme elle a toujours fonctionné dans la tradition philosophique internationale.

Cependant faute de rejeter systématiquement l'ethnophilosophie sans proposer quelques choses de concret dans la démarche de réappropriation de l'héritage culturel africain, sa démarche appelle à des réserves. Certes, il assigne aux philosophes africains le rôle de restituer la pensée de l'Afrique pré-coloniale. Cependant aucune démarche théorique, méthodologique n'est avancée. En sorte que notre auteur peut sembler avoir critiqué pour critiquer. D'autre part, il y a lieu de procéder à une remise en question de l'hypothèse de départ même de Hountondji ; en l'occurrence celle qui consiste à faire de la philosophie africaine l'ensemble des textes écrits par des africains et qualifiés par leurs propres auteurs de philosophiques. A première vue cette hypothèse centrale dans la position de Hountondji semble constructive, car on ne peut nier qu'il existe dans le champ littéraire africain une abondante littérature qui se qualifie de philosophique. Cependant à y regarder de près la réduction même de la philosophie à une simple littérature pose problèmes. Des problèmes d'autant plus lourds que dans une certaine mesure ils fondent et légitiment les préjugés des occidentaux sur la prétendue incapacité des africains à discourir sur le mode de leur philosophie. Entendu que dans cette littérature Hountondji ne prend en compte que la littérature écrite, qu'il érigera en condition sine qua none de toute philosophie. Cependant si la philosophie n'est qu'écrite, toute l'Afrique précoloniale en est upso facto exclue. Pour Pierre Bamony, comme pour dépasser ces stéréotypes de Hountondji, la littérature n'est qu'un domaine particulier de l'expression africaine et la philosophie en est un autre. Et tous les thèmes ne peuvent s'inscrire dans le cadre de la littérature. Certes Hountondji précise que dans sa définition de la philosophie africaine comme une certaine littérature, seul importe le recours délibéré au qualificatif et non sa valeur sémantique. A partir de ce moment tout le travail consiste à savoir, selon lui pourquoi ce qui a été appelé philosophie en Afrique diffère radicalement de ce qui l'est dans la tradition occidentale. Cependant la philosophie n'est pas telle du fait de sa qualification par quelques esprits en quête de reconnaissance, mais elle couvre et épuise un champ spécifique de la pensée humaine sur la base d'exigences théoriques et méthodologiques propres. En réalité le problème crucial ici est celui de savoir ce qu'est la philosophie elle-même pour que l'ethnophilosophie n'en fasse partie. Et dans ce débat, le moins qu'on puisse dire est que les perspectives restent ouvertes. Les Européens qui se targuent d'avoir inventé la philosophie, qui crie par tous les toits que tout autre peuple qui se mêlerait de philosophie s'aventure sur un terrain qui n'est pas le sien, ne se sont jamais entendus sur une définition de celle-ci qui ferait l'unanimité de tous les courants philosophiques, de toutes les époques philosophiques etc. Hountondji a en réalité simplement fait ressortir une certaine vision de la philosophie qui elle-même ne fait pas l'unanimité. Les pages précédentes ent sont la peuve. Il s'agit de la définition proposée par Althusser. D'où la pertinence de la critique de Pathé Diagne selon laquelle Hountondji reprend et compile aveuglément les thèses de son maitre de la Rue d'Hulm sans mettre cela en rapport avec les autres grandes conceptions philosophiques. De plus l'un de ses objectifs dans son ouvrage était de montrer que la philosophie est une histoire ; c'est-à-dire qu'elle est condamnée constamment à évoluer par dépassement dialectique. On pourait donc lui demander pourquoi ce processus de dépassement dialectique doit s'arrêter avec Altousser. Doit-on comprendre que l'histoire de la philosophie s'arrête avec Altousser ?

Par ailleurs le rôle de la transcription de tout ce qui subsiste de la philosophie et de la gnoséologie africaine prend une importance capitale dans le projet de Hountondji du fait de la dimension accordée à l'écriture dans la définition de la philosophie. En effet tout fonctionne comme si l'Afrique précoloniale avec ses civilisations orales passe comme n'ayant pas de philosophie. Cet argument lui-même découle de la conception hountondjienne que la philosophie est essentiellement un discours sur la science. Il tient cette position de son maître de la rue d'Ulm qui pensait que la philosophie doit être essentiellement un discours sur la science. Un tel point de vue sur la philosophie mérite qu'on s'y attarde. L'écriture présente certes les avantages ci-dessus soulignés par notre auteur ; autrement comme support de conservation de la pensée, qui par ce fait même sort du cadre de la mémoire pour être soumise à interrogation, à critique lucide. Cependant l'écriture elle-même est-elle aussi parfaite pour que son absence en philosophie lui enlève ses lettres de noblesses ? D'abord dans l'histoire de la philosophie occidentale elle-même qui sert de modèle à la conception hountondjienne de la philosophie, celle-ci a-t-elle toujours été un discours sur la science ? Un coup d'oeil jeté dans les pages qui précèdent montre que la philosophie n'a pas de tout temps été un discours sur la science. Plus précisément il est questions de grandes conceptions de la philosophie. Et à chaque grande conception de la philosophie correspond une certaine manière d'envisager sa définition. Par conséquent la conception de la philosophie qui fait d'elle un discours sur la science n'est en réalité qu'un moment du débat sans cesse évolutif qui pose la grande question de la définition de la philosophie. Dire de la philosophie qu'elle ne doit être qu'un discours sur la science c'est la réduire à l'épistémologie.

En outre, il ne serait pas inutile d'analyser l'écriture que Hountondji érige en condition d'une science et par ricochet d'une philosophie africaine afin de l'éprouver dans sa capacité d'être la condition de toute science. L'écriture elle-même n'est qu'une manifestation parmi tant d'autres de signes conventionnels, de collecte, de transmission de la pensée. Du reste tout signe est arbitraire. Au sens où entre l'objet, le signifié et le mot, le signifiant il n'y a pas de lien nécessaire. Quel lien existe-t-il entre "arbre" la chose et le mot qui la nomme ? Autrement dit entre le mot ``arbre'' qui n'est en dernière ressort qu'une succession de lettres à qui on a conventionnellement et par là même arbitrairement donné un sens, et la chose physique, concrète ``arbre'' quel lien de nécessité existe-t-il ? Visiblement aucun, car la chose désignée selon que l'on passe d'une langue à une autre est appelée différemment par des mots qui n'ont aucun rapport de consonance. Les mots carré ou rectangle par exemple qui désignent ces figures géométriques ne sont pas carrés ou rectangulaire. Il n'y a aucun rapport de ressemblance monographique entre un mot et sa forme graphique, entre l'écriture et la pensée. Bref l'écriture n'a de sens que dans un système de conventions établies dans lesquelles tel signe renvoie à telle réalité concrète. De plus telles que les choses fonctionnent de nos jours il y a lieu d'émettre quelques réserves sur l'écriture en tant que mode absolu de collecte et de transmission de la pensée. Le monde moderne n'accorde plus importance à un des cours seulement parlé. Il faut aussi qu'il soit écrit et présenter sous forme de textes condensés dans un livre portant un nom propre, une signature par la délégation d'un sujet du discours ou de la connaissance. Il faut qu'il s'enregistre, se retienne et s'inscrive au fil du temps. Pour cela on écrit, on signe on publie et on se fait écouler. La culture devient un business avec ses lobbyings, sa recherche effrénée de profil, de temps, au risque d'écrire n'importe quoi. L'auteur veut se faire connaître, se forger une identité dans le vaste marché international où l'esprit est vendu. Il est aidé en cela par toute une législation nationale et internationale qui garantie la propriété privée des oeuvres de l'esprit. Toujours est-il que l'esprit du penseur est ainsi à volonté chosifié, réduit à un simple objet qu'on a vendu contre des billets de banque ainsi qu'un certain prestige parmi les hommes. C'est ce processus que décrit Régis Debray quand il dit que l'auteur « loue à l'éditeur par contrat non son corps mais son esprit, l'éditeur paye l'imprimeur pour donner un corps typographique aux productions de cet esprit et le libraire réalisé la vente du produit »42(*). L'auteur n'écrit pas nécessairement pour une satisfaction individuelle et personnelle, mais pour se faire connaître et se vendre. L'éditeur représenté le label, la source de légitimité et le garant de la qualité. Dans ces conditions, le public n'achète plus une oeuvre abordant une thématique potentiellement pertinente. Mais il achète tel auteur, telle maison d'édition. Un livre est devenu aujourd'hui une couverture: un titre, surtout un nom d'auteur, un nom d'éditeur. Trois indicatifs juxtaposés qui semblent nécessaire. Sinon, l'auteur quelque soit son talent et la profondeur de ses analyses, sera toujours confinés dans l'anonymat. En tout état de cause cette dimension de l'écriture relativise un temps soit peu le statut de celle-ci en tant critère incontournable de la philosophie. Car si elle n'est qu'un moyen parmi d'autres d'expression de la pensée, rien n'empêche que d'autres moyens soient utilisés à ce même dessein. Autrement, il se peut que la philosophie s'exprime par d'autres canaux de restitution de la pensée. D'où vient-il donc que Hountondji en fasse la condition sine qua non de toute philosophie ? Du reste de nos jours il est prouvé que l'Afrique précoloniale a connu et développé des systèmes scripturaux de transmission et de conservation de la pensée qui demeure certes différents de l'écriture algébrique tant prisée de nos jours. Mais qui, présente suffisamment d'efficacité pour être le véhicule de la pensée scientifique et philosophique africaine. Dans son Etude sur la drummologie, Niangoran Bouah43(*) rend compte d'un tel système de communication. Selon lui il était fort riche et permettait de rendre compte de toute l'organisation sociale, culturelle, économique, des peuples Akan de Côte-d'ivoire. Concrètement, l'auteur s'intéresse aux « poids à peser l'or des baoulés de Côte-d'Ivoire ». G. Niangolran Bouah entend montrer un des aspects de la pensée philosophique africaine. Pour lui les poids à peser l'or constituaient un système complet d'éducation pendant la période précoloniale. Les poids à peser l'or étaient de deux sortes et allient à la philosophie et la science. Il y a des poids proverbes et des poids à forme géométrique. Les poids proverbes sont en laiton concrétisent des thèmes courants de la pensée philosophique akan. Ils sont les vestiges d'un système ancien d'écriture et de transmission de la pensée. C'est l'équivalent nègre des hiéroglyphes de l'ancienne Egypte. Voici quelques exemples de dictions illustrés dans ces poids :

o Poids gombo : si le gombo affirme avoir plus de saveur que l'arachide, c'est qu'il y a en tente entre lui, le piment et le sel.

o Poids caméléon : aller doucement a également les avantages.

o Poids porc-épic : quand le porc-épic est désigné pour une corvée, le hérisson ne doit pas se lever pour dire au revoir, etc.

Concernant les poids a forme géométriques, ils sont l'auteur la preuve irréfutable de l'esprit scientifique africain. Le système akan comporte huit séries de principaux que l'auteur énumère et dans lesquelles on s'aperçoit qu'outre qu'ils contiennent des équations aussi complexes que les équations algébriques d'aujourd'hui, ces poids constituent un véritable livre encyclopédique qui ouvre une nouvelle voie dans le domaine de la recherche en général et sur les connaissances de l'Afrique précoloniale en particulier.

Cette étude synthétique d'un exemple de système de développement, d'expression de la connaissance dans l'Afrique précoloniale s'inscrit dans le cadre de montrer que de tels systèmes ont existé sur le continent africain ; même du fait de leur sophistication, il présentait certaines lacunes44(*). Cependant, la démarche de Hountondji n'a pas été celle de faire des études sur l'histoire de la pensée africaine et éventuellement déceler de tels systèmes, et les soumettre à sa verve critique de philosophe. On peut dire que notre auteur pêche ici. Car le tout n'est pas rester confortablement assis dans un bureau et conjecturer sur l'histoire du développement de la connaissance en Afrique. Cette démarche doit s'accompagner de recherches sur le terrain. Faute de l'avoir fait Hountondji tend à nier toute existence de gnoséologie dans l'Afrique précoloniale.

En somme Hountoudji semble ne pas voir que la transposition de l'écriture comme moyen de conservation et vulgarisation du savoir en fond de commerce, rend d'avance suspectes certaines philosophies de l'écriture ou écrite. Ces deux dimensions de l'écriture livresque, montrent qu'elle est certainement importante science et en philosophie, mais de là à en faire LA condition de de toute philosophie en Afrique, il y a un pas qu'il sur lequel il faut méditer avant de franchir.

Concernant la restitution de l'histoire de la pensée africaine précoloniale, la position de Hountondji est fort pertinente. Il met surtout l'accent sur la nécessité de reconsidérer celle-ci sur la base des conclusions auxquelles ont aboutit d'autres recherches comme celles de Cheikh Anta Diop et autres Théophile Obenga. Cependant le tout sur cette question n'est pas de suggerer la restitution de cette histoire, mais de l'entreprendre même. Et sur cette question, quand on connaît la position de Hountondji sur les conditions théoriques de l'emergence d'une philosophie en Afrique, il y a lieu de dire que le préalable ici est la construction d'un cadre de réflexion propice pour entreprendre cette démarche.

CONCLUSION

Marcien Towa et Paulin Hountondji ont produit respectivement dans les ouvrages : Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, Editions Clé Yaoundé, 1979 (2ème édition) et Sur « la philosophie africaine » critique de l'ethnophilosophie, Éditions Clé Yaoundé, 1980, une analyse pertinente dans le débat sur la problématique philosophique en Afrique. Dans les deux ouvrages il se dégage un effort sans cesse renouvelé visant à invalider la littérature africaine et même européenne existante sur la question, notamment celle qu'ils qualifient d'ethnophilosophie. Pour eux il incombe donc de reconsidérer la problématique philosophique africaine sous un angle nouveau dans le but ultime de forger une philosophie qui ne sera plus seulement une réfutation stérile des négations civilisations africaines par les Occidentaux ; mais une philosophie qui fonctionne selon les exigences théoriques, méthodologiques propre à cette discipline. A cet effet, chacun dans son ouvrage a proposé des rôles qui doivent échoir à la philosophie pour que naisse sur le continent africain une véritable culture philosophique. C'est ainsi que pour Towa, il revient essentiellement à la philosophie de déterminier et d'orienter les conditions de la révolution démocratique des peuples africains. Dans son argumentation, il considère qu'il existe un destin commun pour les peuples africains. C'est de cela q'il est question lorsqu'il parle de dessein fondamental, de sens de notre-être-là dans le monde etc. Il revient à la philosophie de caractériser ce dessein et déterminer la direction vers laquelle on doit l'infléchir pour un meilleur futur des peuples africains. Cette démarche doit être faite en tenant compte de la défaite retentissante des civilisations africaines face à l'Occident. En sorte que notre combat ne soit celui de pleurnicher sur notre sort; mais d'envisager les voies et moyens susceptibles d'éviter non seulement que cela se reproduise mais aussi d'équilibrer les échanges entre nos civilisations et les civilisations occidentales. Il imagine à cet effet une démarche dialectique qui à terme doit conduire à l'appropriation du secret de l'Occident afin d'être comme lui et donc incolonisable par lui. Pour cela, de son point de vue, le discours philosophique doit dépasser la problématique de l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne pour constituer un débat fécond qui à terme conduire les peuples africains vers l'avènement de la démocratie sur le continent. Cette tâche considérée la principale doit s'accompagner de taches secondaires, qui concernent essentiellement le rejet du culte de la différence et du culte du passé.

En ce qui concerne Hountondji, il estime qu'une littérature abondante se qualifiant de philosophique existe sur le continent africain. Mais de son point vue, celle-ci, pour plusieurs raisons n'a jusque là fait l'objet que d'une exploitation mythologique. Il convient donc corriger cette impasse et de faire de toute philosophie en Afrique, le véhicule d'un vaste débat contradictoire qui engage les tous Africains entre eux-mêmes et qui traite des questions philosophiques les plus diverses. Car pour lui, le discours ethnophilosophique s'adresse essentiellement au monde occidental devant qui ses auteurs veulent se réhabiliter. Mais en le faisant, ils en arrivent à des résultats où ce qui est qualifié de philosophie ne répond nullement aux exigences théoriques, méthodologiques propres à cette discipline tel que cela a toujours été observé dans la tradition philosophique internationale et particulièrement occidentale. Il estime donc qu'il urge de mettre fin à cette extraversion mendiante de la philosophie africaine en disqualifiant l'ethnophilosophie et toute sa problématique et faire de toute philosophie sur le contient africain un débat contradictoire produit par des Africains et s'adressant à des Africains. De plus Paulin Hountondji pense que la philosophie africaine doit fonctionner sur le modèle de l'héritage théorique, méthodologique, etc. de cette discipline. Cet héritage offre toute une palette d'outils théoriques et conceptuels qu'elle peut exploiter pour produire un discours universellement valable. Pour cela il en appelle à une remise en cause de son statut théorique. Partant donc de l'hypothèse althussérienne que toute philosophie est en dernier ressort une réflexion sur la science, il estime qu'en Afrique il est plus urgent de promouvoir une science africaine, une recherche scientifique africaine qu'une philosophie africaine. Cela est du reste facilité de nos jours par le fait que les civilisations africaines qui étaient essentiellement des civilisations orales, subissent de nos jours des mutations qui peu à peu les transforment en civilisation de l'écrit. Ceci de son point de vue constitue un atout incontestable compte tenu du fait que chez lui une philosophie n'est digne d'elle appelée telle que si elle est écrite. L'absence d'écriture est défavorable à toute philosophie car cela l'empêche d'être véritablement consigné pour constituer un préalable théorique appelé à être améliorer par d'autres discussions selon de nouvelles perspectives sur les mêmes thèmes.

Il faut cependant souligner que faute de ramener constament le débat sur le champ spécifique occidental, les analyses de nos auteurs appellent à certaines réserves. Pour n'avoir pas entrepris des recherches sur le terrain, ils semblent préférer la spéculation gratuite fondée sur la répétition de doctrines occidentales qu'une démarche sérieuse qui tiendrait compte des spécificités incontestables des civilisations négro-africaines. Il est très aisé de faire ressortir des travers récurrents dans le discours ethnophilosophique, cependant le tout est d'être capable de corriger ces travers et les remplacer par un discours cohérent fondé sur les réalités propres des civilisations négro-africaines. En réalité, le rôle de la philosophie sur le continent africain dépasse de loin ces éternelles discussions entre intellectuels Africains et Occidentaux sur les rapports de la philosophie et la science, la philosophie et l'idéologie, la philosophie et la politique etc. Car c'est de cela qu'il est fondamentalement question ici. D'ailleurs pour d'aucuns le fait même de poser une problématique de la philosophie sur le continent spécifique africain est un faux débat. En ce sens que l'Afrique ne saurait se soustraire de l'espace et du temps et constituer à elle seule une dimension particulière de la réalité humaine où la philosophie aurait à jouer un rôle particulier. Daniel Tchapda Piameu dans un article intitule De l'engagement politique ou philosopher en Afrique en changeant de mode dans la revue en ligne Motspluriels N° 10 de mai 1999, il n'est pas question de se laisser aller à de tels particularismes. La philosophie en tant que discipline universelle joue le même rôle sous tous les cieux. Pour défendre ce point de vue, il estime qu'elle avant tout une sagesse. Or « la sagesse est toujours relationnelle. Elle est relation de l'homme au temps. Il en est ainsi parce que la philosophie est non seulement une manière de penser mais aussi une manière d'être dans le temps. Mieux encore, même si elle n'était qu'une manière de penser, la philosophie serait encore une manière de penser le temps. Aucune philosophie proprement dite ne se développe loin de ce concept. Toute philosophie est pensée du temps ». Le philosophe pose sa réflexion sur un particulier sur la base de concepts et de méthodes universels. Cela signifie entre autre que même si la philosophie doit jouer un rôle sur le continent africain, celui-ci est à mettre en relation avec le contexte historique, économique, culturel etc. qui l'a vu maître; donc qu'on ne peut pas à proprement parler fixer une pour tout un rôle a la philosophie en Afrique. Mais il convient de dépasser ce fétichisme de l'universalité pour constater que sur le continent, justement dans le temps il existe quelque chose que l'activité humaine nommée philosophie puisse faire pour répondre à des défis indéniables qui se posent.

Ainsi nous pouvons dire qu'il incombe entre autre à la philosophie de se poser sur le quotidien des peuples africains confrontés aux guerres sanglantes, aux violations des droits de l'homme, à la pauvreté et autres calamités du même genre. Dans ce cas seulement elle pourra non seulement démentir cette image récurrente qu'on lui attribue et qui fait d'elle une activité oisive, un discours creux et sans importance qui en dernière analyse, a tendance à compliquer plus le monde qu'il n'apporte de solutions. Ainsi de notre point l'un des défis qui attendent la philosophie dans notre continent est celui qui fait référence à l'élucidation de concepts en tout genre et qui engagent les Africains dans leur vie de tous les jours; sur des plans aussi variés que la politique, l'idéologie, la science; mais aussi l'art, le droit, la religion, etc. En procédant ainsi elle sort de sa sphère académique où elle engage donc un public académique pour être un instrument de sensibilisation et d'éducation des masses. Cela ne signifie pas pour elle, se transformer en une instance normative seule capable de fixer les priorités de tout sur le continent africain. Elle doit plutôt combattre toute forme d'unanimisme et envisager donc les nombreux défis qui attendent l'Afrique en tenant compte non seulement des spécificités inhérentes à chaque région, à chaque peuple africain, mais aussi du contexte historique, économique, idéologique etc. actuel. En le faisant elle se sera plus seulement confinée dans les départements de philosophie des Universités africaines; mais elle en sortira pour se poser dans le quotidien de tout le monde. Cela peut être réalisé par l'organisation de conférences publiques répétées, de publications de documents, de prospectus, de création de sites internet etc. dans un langage destiné à compris par le plus grand nombre de persones. Bien entendu cela est étroitement lié à la liberté d'expression dans nos différents pays et à la contribution des pouvoirs publics pour encourager son enseignement dans les systèmes éducatifs. Cette démarche peut avoir entre autres conséquences heureuses la maîtrise d'un certain nombre de phénomènes sociaux, politiques, économiques, culturels, religieux etc., en relation non seulement avec le quotidien peuples mais aussi qui déterminent leur futur. A côté la détermination d'un appareil théorique et conceptuel à même de restituer la pensée philosophique africaine notament précoloniale. L'Afrique précoloniale a conu de brillantes civilisations. En témoignent toutes les réalisations techniques et technologiques de cette période subsistent en certains endroits, mais aussi toute cette manière particulière de concevoir et d'organiser le monde qui existe et qui se manifeste à travers les contes, légendes, cosmogonies etc. Mais on doit convenir avec Towa que le contact des civilisatiosn africaines avec le monde occidental nous a été déafavorable, en sorte qu'il est possible de parler de la défaite de l'Afrique face à l'Occident. La démarche de l'intellectuel Africain ne doit pas être de rester dans un bureau confortable et de conjecturer sur les questions qui concernent cette période de notre histoire. Autrement il faut non seulement faire le constant de cette défaite mais aussi faire des recherches informées sur le terrain afin de de savoir le niveau de connaissance qui avait été atteint par ces civilisations. Cela passe par la construction de tout un arsénal d'outils théoriques et conceptuels qui serait propre au monde africain. Car comme le dit Pathé Diagne jusque là l'Europe a définit toute seule, sur la base de ses intérêts les termes théoriques de toute connaissance scientifique. L'intellectuel africain formé à l'école occidentale en est fortement influencé et tout ce qu'il produit sur la question est presque toujours superficiel. De plus il revient à la philosophie de faire son auto-promotion sur le continent africain. Il n'est pas nécessaire de dire que de nos jours, pour plusieurs raisons elle est marginalisée et reléguée au dernier échelon des disciplines à étudier. Cette situation doit changer et cela passe entre autre par la démystification de la philosophie elle-même. La philosophie doit arriver à faire qu'elle ne construit certes des ponts ni de buildings, elle n'a pas pour vocation changer le quotidien immédiat des individus. Mais d'un autre côté elle ne se résume pas en une négation de l'existence de Dieu ou toutes les autres négativités qu'o lui attribue. Elle est simplement une plate forme où toutes les questions peuvent faire l'objet de discussion libre et dépassionnée avec comme seul instrument d'argumentation la raison.

En un mot tous ces défis et bien d'autre encore attendent la philosophie dans nos différentes sociétés pour véritablement constituer un discours en adéquation avec son temps sur le continent africain.

* 1 Léo Frobenius, Histoire de la civilisation africaine, traduit par Back et Ermont, Gallimard, Paris, 1938

* 2 Pierre Bamony a soutenu le 20 Décembre 2001 une thèse d'anthropologie sociale et d'ethnologie (Université Clermont-Ferrand) sur le thème : «Structure apparente, structure invisible : l'ambivalence des pouvoirs chez les Lyéla du Burkina Faso.» Il est en outre titulaire d'un D.E.A. d'anthropologie (E.H.E.S.S de Paris) ; d'un Doctorat de 3è cycle de Philosophie (Paris IV Sorbonne). Parallèlement à sa fonction d'enseignant, il collaboçre dans des ouvrages scientifiques notamment à la Revue Anthropos (Allemagne) où il est auteur de : Équilibre social et pouvoirs chez les Lyéla de la Haute Volta, Sankt Augustin, Anthropos, p. 433-440-79-1984.; Science et anthropologie : de la notion de l'âme en général et de sa conception singulière chez les Lyéla du Burkina Faso, Sankt Augustin, Anthropos, p.p.548 à 554- 95-2000. Son propos qui nous sert de référence ici se trouve dans un article publié dans le site Hommes et Faits ( http://www.hommes-et-faits.com) , il aborde notamment le problème de la philosophie africaine.

* 3 Pierre Bamony, article précité

* 4 S. Sauneron, Les prêtres de l'ancienne Egypte, Paris, Edition du Seuil, 1957, p. 111

* 5 E. Amélineau, Prolégomènes à l'étude de la religion égyptienne, Paris, Leroux, 1916, p.219

* 6 J. Chadwick, Le déchiffrement du linéaire B. Aux origines de la langue grecque, Paris, Gallimard, 1972, pp. 70-71 (édition anglaise 1958).

* 7 Marcel Griaule ( 1898- 1956) est un ethnologue français. Un de ses apports essentiels (relatif à l' ethnographie) est d'avoir démontré que la cosmogonie dogon (orale) est au moins aussi importante que les cosmogonies occidentales. Ses ouvrages tels que : Dieu d'eau (entretiens avec Ogotemmeli, ouvrage qui révèle les structures de la pensée sacrée dogon) (1948) ; Renard pâle, ethnologie des Dogons, Institut d'Ethnologie, 1965/1991 (en collaboration avec Germaine Dieterlen) font aujourd'hui école dans le domaine de l'ethnographie sur certains peuples africains.

* 8 Paul Radin ( 1883- 1959) est un anthropologue américain. Il a étudié à l'Université de Columbia (Etas-Unis). Il commença ses études de terrain par les indiens Winnebago (Les Ho-Chunk ou Winnebago - comme ils sont généralement nommés - sont une tribu amérindienne, originaire de ce que l'on nomme aujourd'hui le Wisconsin et l' Illinois en 1908. Il est auteur de nombreux ouvrages célèbres dont Primitive Man As Philosopher en 1927.

* 9 Elungu PEA, Eveil philosophique africain, Harmattan, Paris, 1994, p.13.

* 10 Idem

* 11 Cité in Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, Ed. Clé Yaoundé, p.8

* 12 Amady Aly Dieng, Hegel, Marx, Engels et les problèmes de l'Afrique Noire, cité dans un article de Léon Sobel Diagne, Conseiller Pédagogique Itinérant PRF de Dakar intitulé `Le Problème de la Philosophie Africaine'.

* 13 Idem

* 14 Ibidem

* 15 Article précité p.

* 16 Cité in Elungu PEA, Idem, p.14

* 17 Georges Balandier est un ethnologue et sociologue français. Il est actuellement professeur émérite de la Sorbonne (Université René Descartes, Paris-V), Directeur d'études à l' EHESS, collaborateur au Centre d'Etudes Africain. Il auteur de plusieurs de sociologie et d'ethnologie sur les peuples africains. C'est le cas de : Particularisme et Evolution: les pêcheurs Lébou (Sénégal), St Louis du Sénégal, IFAN, 1952, (en coll. avec Pierre Mercier) ; Les villages gabonais, Brazzaville, Institut d'études centrafricaines, 1952 ; Sociologie Brazzavilles noires, Paris, A.Colin, 1955.

* 18 Elungu PEA, Ouvrage précité, note p.14

* 19 Nous reviendrons plus tard.

* 20 Toutes nos références concernant La philosophie Bantoue dans ce texte renverront au texte intégral digitalisé et présenté par le Centre Aequatoria, http://www.aequatoria.be.

* 21 Cela apparaîtra plus nettement avec les critiques de Towa et Hountondji que nous verront plus tard

* 22 Tshialega N'Tumba, « Qu'est-ce que la philosophie africaine ? » Fcaulté de Théologie de Kinshasa, 1979, p.36

* 23 linguiste, économiste et politologue sénégalais

* 24 Dans L'europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain, suivi de: Thèses sur Epistémologie du réel et Problématique néo-pharaonique, Dakar, éd. Sankoré, 1981, 221 p., l'auteur s'en prend vigoureusement à Hountondji et l'europhilosophie en générale. Il y montre et dénonce les sources althusseriennes de Hountondji. Pathé Diagne estime qu'en fait Hountondji ne fait que reprendre aveuglément les thèses de son maître de la rue d'Ulm qu'il finira par dédire. En effet il s'est produit chez lui, à un moment donné, une sorte de rupture épistémologique. On peut ainsi parler d'écrits de première et seconde génération. Sur la question spécifique de la philosophie, les écrits de premières générations, Althusser voulant rompre « avec l'idéologisme qui entravait la science autant que la philosophie dans la recherche marxiste en particulier, (...) restituer à la philosophie ou à la pensée critique tout court ses libertés, sa réalité de discipline autonome et originale face aux empiètements et aux tentatives de submersion dont elle fait l'objet au non d'une primauté exclusive de la `lutte de classe' ou la `politique' dans la pratique scientifique et théorique en général ». Pathé Diagne p.45 A cette époque la philosophie désigne la théorie de la pratique théorique. Mais à partir de 1968, le même Althusser ressuscitera l'idéologisme en proscrivant la définition précédente de la philosophie. Elle devient cette fois la politique dans la théorie. C'est un retournement de situation dont Hountondji est conscient, mais préfère garder fidélité aux thèses de première génération. Car à ses yeux il reste incontestable que la philosophie « existe en tant que forme particulière de la littérature scientifique », « la philosophie est une histoire et non un système », « une recherche inquiète et inachevée, non un savoir clos. Cela veut dire entre autres choses qu'aucune doctrine philosophique ne peut être considérée comme la vérité » ... (Cf Sur la philosophie africaine critique de l'ethnophilosophie, Chapitre 4 : La philosophie et ses révolutions). Du reste Hountondji justifie sa fidélité aux thèses de première génération par le fait qu'il n'a pas « à suivre Althusser », préférant mettre ce changement dans les idées de son maître sur le compte d'une « longue fréquentation de l'oeuvre de Lénine ». Il maintient qu'en tout état de cause, la philosophie doit être séparée de l'idéologie, qu'elle « ne saurait se réduire à un tissu de slogans ou à une propagande savante ». Cf note 35, p.215

* 25 TOWET, Taita, Le rôle d'un philosophe africain, in Présence africaine 1959) n.27-28, 108-128, et in SMET, A.J. (ed), Philosophie africaine. Kinshasa, 1975, I, 185-206.

* 26 Titre du chapitre 1, p.7

* 27 NDAW, A., Peut-on parler d'une pensée africaine? in Présence africaine (1966) n.58, 32-46, et in SMET, A.J. (ed), Philosophie africaine. Kinshasa, 1975, I, 227-242.

* 28 Juleat Basile Fouda, La philosophie africaine de l'existence, Lille, 1967

* 29 Cité par Towa, pp 25-26)

* 30 Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et Cultures, Paris, Présence Africaine, 1954, 1964, 1979

* 31 Friedrich Heinrich Jacobi, né à Dusseldorf, le 25 janvier 1743, mort à Munich, le 10 mars 1819, philosophe allemand. Jacobi occupa plusieurs places dans l'administration, fut conseiller à Dusseldorf; et devint en 1804, conseiller de Bavière et président de l'Académie des Sciences de Munich. Il a publié un grand nombre d'ouvrages de philosophie et de littérature. Comme philosophe, il fut un adversaire de Kant, et proposa une doctrine mystique qui fondait toute connaissance philosophique sur le sentiment, sorte d'instinct par lequel l'âme atteint immédiatement les vérités les plus importantes, Dieu, la Providence, l'immortalité de l'âme. Ses principaux ouvrages philosophiques sont : Lettres sur la doctrine de Spinoza (1785), De Hume et de la foi, ou de l'idéalisme et du réalisme (1787), Lettre à Fichte (1799).

* 32 Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher ( 21 novembre 1768 - 12 février 1834), théologien Protestant et philosophe allemand auteur notamment de De la Religion. Discours aux personnes cultivées d'entre ses mépriseurs (1795. trad. nouvelle en français par Bernard Reymond. Paris, Van Dieren Éditeur, 2004)

* 33 Dans les premières années du XIXe siècle la philosophie écossaise du sens commun connaît un succès considérable. Pierre Royer-Collard (1763-1845) philosophe et homme politique français ; l'introduit officiellement dans l'université en 1811, et elle devient une des références majeures de la philosophie spiritualiste, pour Victor Cousin et Théodore Jouffroy notamment.

* 34 Ciceron, grand orateur de Rome qui naquit en 106, et mourut en l'an 43 avant Jésus-Christ. Il a tout ou presque tout sondé. Il reste célèbre de dans l'histoire de la pensée surtout pour ses talents inégalables d'orateur. Du reste il était à la fois philosophe, avocat, homme d'état. Aujourd'hui il est admis que dans sa philosophie Cicéron semblait beaucoup plus préoccupé à susciter l'admiration de son auditoire que de fonder ses dires sur des présupposés scientifiques ce qui lui vaut ces réserves que Towa soulève ici. Du reste, cette position n'est pas unique dans la littérature philosophique. Ainsi dans l'Encyclopédie Agora (en ligne) on peut lire que « Cicéron a terni sa gloire en poussant quelque fois l'art jusqu'à l'ostentation, en s'occupant plus de l'administration de son auditoire qu'à le convaincre, et en affaiblissant son style par une magnificence excessive ».

* 35 Hegel, oeuvres de jeunesse, Différence des systèmes de Fichte et Schelling, in Morceaux choisis, par Lefebvre et Guterman, 1, p.17 Idées Gallimard

* 36 Nous entendons par héritage culturel africain toutes les institutions, les us et coutumes, les traditions, manière de vivre et de faire, etc. qui existent en Afrique et qui sont conservés et entretenus depuis plusieurs générations.

* 37 Wilmot Blyden (1832-1912), intellectuel et homme d'état libérien auteur de plusieurs ouvrages dans lesquels il fustige notamment l'idée de l'infériorité du Noir face au Blanc. On peut notamment mentionner A Voice from Bleeding Africa (1856); Liberia's Offering (1862); The Negro in Ancient History (1869); The West African University (1872); From West Africa to Palestine (1873); Christianity, Islam and the Negro Race (1887); The Jewish Question (1898); West Africa before Europe (1905); Africa Life and Customs (1908)

Il est l'un de ces pionniers de du nationalisme africain, mais il planchait surtout pour un état ouest africain qui s'édifierait sur la base de la langue que ces pays ont en partage.

* 38 L'idée d'une philosophie négro-africaine, in Cahiers du département de philosophie (Université de Yaoundé) 2 (1978), 5-56, débat, 57-88p.22.

* 39 Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique

* 40 Théophile Obenga est d'origine congolaise né en 1936. depuis sa rencontre avec Cheikh Anta Diop en 1970, il en devient le digne élève et aujourd'hui l'un des dignes héritiers. Il est en ce moment professeur à l'Université de San Francisco.

* 41 Le mythe de l'ethnophilosophie fonctionne chez Hountondji comme s'il y avait une nécessité chez les auteurs africains, chaque fois qu'il est question d'écrire sur la problématique philosophique africaine, de défendre les civilisations africaines, en les mettant constament en opposition avec celles des autres continents. Mais en le faisant les auteurs africains donnent l'impression de prendre le risque de parler à la place des peuples africains sans que cela leur soit demandé.

* 42 Régis Debray, Le pouvoir intellectuel en France, Ramsay, Paris 1979, p.94

* 43 Le professeur Niangoran Bouah est considéré comme le père fondateur de la drummologie (terme qui dérive de l'anglais `drum' pour désigner le tambour et de `logie' (de logos, discours et traité). La drumologie est l' étude de tous les instruments parleurs de musique (tambour, mais aussi balafon, cor d'appel, flûte, arc musical, trompe traversière, double gong))
Il est l'ancien directeur du Musée des Civilisations de Côte d'Ivoire, ethno-musicologue de l'Université d'Abidjan, directeur du département scientifique des lettres, art, musique et musicologie, où il enseignait aux niveaux maîtrise, DEA et doctorat. La drummologie, qui s'enseigne à la fois dans les départements de musicologie et d'anthropologie.

* 44 En effet comme les hiéroglyphes égyptiennes, cette forme d'écriture présente le caractère de ne pouvoir être compris et utilise que par une poignée d'initi1és. De plus en tant qu'écriture fondamentalement basée sur la symbolique, celle-ci se limitait a la connaissance des initiés concepteurs et créateurs des caractères scripturaux qui y figuraient. En sorte que n'y figurait que ce que ceux-ci jugeaient bon. Il n'y a aucune figure pour expliquer ou exprimer ce qu'ils ne savent pas.






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