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L'intégration des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) dans l'économie mondiale par les APE (Accords de partenariat économique): leurre imposé ou ambition réaliste pour le développement ?

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par Stéphanie de Halleux
Université Libre de Bruxelles - D.E.S. en Coopération au développement 2008
  

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V. CONCLUSION GENERALE

« S'engager dans un tel Accord de Partenariat Économique, c'est
accepter un chèque en blanc et c'est aussi faire accepter un
chèque en blanc à toute votre population.313»

APE. Trois lettres au départ anodines et qui pourtant, à force de médiatisation, éveillèrent notre curiosité. En se penchant plus attentivement sur la question, nous découvrions alors que les APE consistaient en des accords de libre-échange entre l'Union européenne d'une part, et six régions des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique de l'autre, et qu'ils devaient remplacer les préférences commerciales dont bénéficiaient ces derniers depuis vingt-cinq ans. Nous apprîmes également que l'Accord de Cotonou, qui organise les relations entre l'Union européenne et les États ACP, avait prévu que des négociations se dérouleraient entre l'année 2002 et la fin de l'année 2008 afin d'instaurer des nouveaux accords commerciaux entre lesdits partenaires.

Au vu des diverses mobilisations émanant de la société civile, et au vu de la documentation importante et variée qui traitait des APE, nous comprîmes que ceux- ci déchaînaient les passions et qu'ils divisaient l'opinion publique en deux camps : les promoteurs des APE à leurs détracteurs. En effet, alors que les ONG européennes et autres membres de la société civile scandaient un puissant « Arrêtez les Accords de partenariat économique, ils nuisent au développement314 », la Commission européenne, de son côté, louait les vertus de ces accords, qui représentaient selon cette dernière, la voix royale pour le développement des pays ACP.

Notre intérêt pour les Accords de partenariat économique s'accrut au fil des articles et des ouvrages que nous découvrîmes. Nous décidâmes alors de faire des APE notre sujet d'investigation afin de répondre à toutes les interrogations qui avaient germé dans notre esprit lors de nos diverses lectures. Nous nous demandions effectivement quels étaient les enjeux de ces accords commerciaux et quelles étaient les raisons pour lesquelles ceux-ci engendraient des prises positions si divergentes au sein de l'opinion publique et entre les partenaires des négociations. Si de nombreux chercheurs expérimentés sur le sujet, tentèrent d'étudier les impacts potentiels de la libéralisation des échanges sur les économies ACP, telle n'était pas notre ambition. Ce mémoire n'avait effectivement pas la prétention de juger les APE et d'en évaluer

313 Mamadou Diop, Ministre sénégalais du commerce, lors des Relations commerciales ACP-UE: l'enjeu des APE pour le développement, Bruxelles, le 12 octobre 2006. Citation prise sur le Site Internet de la campagne stop APE. http://www.ape2007.org/main.asp?id=305

314 Slogan de la campagne STOP APE. Voir site Internet : www.ape2007.org

les avantages et/ou les désavantages. Notre intérêt dans ce travail de recherche portait avant tout sur la compréhension de ces accords commerciaux d'une part, et d'autre part sur l'analyse des négociations afin de pouvoir cerner les positions de chaque acteur ainsi que les rapports de force entre ceux-ci. Afin de saisir les enjeux que représentaient les APE pour l'UE et les États ACP ainsi que leurs prises de positions lors des négociations, nous décidâmes de diviser le mémoire en trois parties.

Le premier chapitre nous plongeait ainsi dans le passé des relations UE-ACP et se focalisait plus particulièrement sur les instruments commerciaux mis en place par les Conventions de Lomé. Il s'agissait alors de comprendre la profonde transformation qu'opérait l'Accord de Cotonou dans le volet commercial de la coopération UEACP, en prévoyant le remplacement des préférences tarifaires par l'instauration de zones de libre-échange entre les partenaires. Ce chapitre se penchait également sur les conditions fixées par l'Accord de Cotonou pour la mise en place des nouveaux accords commerciaux ainsi que sur les modalités de négociations des APE. Nous retînmes principalement de ce chapitre que les préférences commerciales que l'UE accorda aux pays ACP sous les Conventions de Lomé, procurèrent des résultats décevants315 par rapport aux objectifs ambitieux qu'on leur avait réservé ; à savoir : la promotion et la diversification des exportations ACP afin de stimuler leur croissance et leur développement. D'autre part, il s'avérait que la légitimité du système de Lomé était largement contestée dans le contexte de la montée en puissance de l'Organisation mondiale du commerce. Les contestations à l'égard de ce système commercial portaient ainsi sur son aspect discriminatoire à l'égard des autres pays en développement et sur son incompatibilité avec les règles du commerce multilatéral en son premier article316. Le bilan mitigé du régime commercial de Lomé ainsi que les pressions croissantes de mise en conformité aux règles internationales, poussèrent la Commission européenne à envisager un autre régime commercial317 qui tienne compte du nouveau contexte mondial et qui respecte dès lors les règles de

315 En effet, entre la signature de Lomé I (1975) et l'expiration de Lomé IV bis (2000), la part des pays ACP sur le marché européen diminua de plus de moitié, passant de près de 6,7 % à environ 2,8 %, largement au profit d'autres pays en développement, comme les pays d'Asie du Sud-Est, qui bénéficiaient cependant d'un niveau d'accès au marché de l'UE moins favorable que Lomé. Voir : ECDPM, De Lomé à Cotonou, op.cit. Comme l'explique également Kinvi Logossah, les préférences commerciales n'ont pas empêché la marginalisation des pays ACP dans l'économie mondiale dont la part du PIB régional dans le PIB mondial est tombée à 1 %. L'auteur explique en outre que ce régime commercial n'a pas permis la diversification dans la mesure où les produits primaires dans les exportations contribuent encore actuellement à hauteur de 90 % des exportations totales pour l'ensemble de la région africaine. Voir : LOGOSSAH, K., SALMON, J-M., SOLIGNAC, H-B., op.cit., p.16.

316 En effet, la Convention de Lomé n'était pas considérée comme un accord de libre-échange entre l'UE et les États ACP et constituait dès lors une dérogation illégale à la clause de la nation la plus favorisée (article 1er du GATT). En vertu de cet article, tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordées par une partie contractante à un produit originaire ou à destination de tout autre pays seront, immédiatement et sans condition, étendus à tout produit similaire originaire ou à destination du territoire de toutes les autres parties contractantes. Voir : site Internet de l'OMC : www.wto.org

317 Comme nous l'étudiâmes dans le premier chapitre du mémoire, la Commission européenne prit l'occasion de la renégociation -entre 1998 et 2000- de ses Accords de coopération avec les ACP pour entamer une transformation profonde du régime commercial ACP-UE.

l'OMC. Nous nous consacrâmes également dans une deuxième partie de ce premier chapitre, à l'étude des Accords de partenariat économique, tels que prévus par l'Accord de Cotonou. Il s'avérait ainsi que les partenaires à la coopération disposaient de six années (2002-2008) pour négocier des nouveaux accords commerciaux. Les négociations s'organisèrent ainsi en fonction d'une date butoir, celle du 31 décembre 2007, jour où la dérogation accordée par l'OMC à l'UE sur l'accès préférentiel offert aux pays ACP expirait. Selon les dispositions de l'Accord de Cotonou, les nouveaux accords de libre-échange devaient dès lors entrer en vigueur dès le 1er janvier 2008.

Après s'être penchés sur le contexte d'émergence des nouveaux accords commerciaux, nous nous consacrâmes, lors du deuxième chapitre, à l'étude des positions de l'UE et des États ACP en vue d'entamer les négociations sur les APE. Nous nous attelâmes ainsi à l'analyse des documents émanant tant de la Commission européenne318 que du secrétariat du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique319, afin de cerner les positions que devaient adopter ces derniers lors des négociations sur les APE. Il s'agissait ainsi de sélectionner dans lesdits documents, les points de négociation qui étaient cruciaux pour l'UE et les ACP afin de pouvoir cerner par la suite (chapitre 3 du mémoire) la capacité des acteurs à faire entendre leur voix, tout en décelant les rapports de force entre ceux-ci. Ce deuxième chapitre nous permit de comprendre en premier lieu, que la création de zones de libre- échange entre l'UE et les États ACP, répondait à des impératifs distincts pour les partenaires aux négociations. Ainsi, nous observâmes que pour l'UE, deux raisons principales justifiaient l'instauration de zones de libre-échange avec les pays ACP : l'échec des préférences commerciales de Lomé et la compatibilité des nouveaux accords commerciaux avec les règles du commerce multilatéral. Pour l'UE, il était effectivement impératif que les accords commerciaux satisfassent aux règles du commerce multilatéral afin d'éviter des représailles de la part des membres de l'OMC ainsi que l'octroi de contreparties envers les membres qui se seraient estimés lésés par ces nouveaux accords320. En ce qui concerne les pays ACP sur la question des APE, le Dr San Bilal affirmait que pour ces derniers, « les APE [étaient]

318 COMMISSION EUROPEENNE, APE - une nouvelle approche dans les relations entre UE et pays ACP, Bruxelles, septembre 2002, pp. 1-22 ; COMMISSION EUROPEENNE, Accords de partenariat économique, moyens et objectifs, Bruxelles, 2004, pp.2-8.

319 SECRETARIAT DU GROUPE DES ÉTATS D'AFRIQUE, DES CARAIBES ET DU PACIFIQUE, Orientations ACP pour les négociations des accords de partenariat économique, Département du développement économique et durable (ACP/61/056/02 [ FINAL]), Bruxelles, 5 juillet 2002, pp. 1-24. Document téléchargé sur Internet. Lien URL: http://acp.int/fr/epa/index.htm

320 Nous avions effectivement étudié dans le deuxième chapitre du mémoire, que toute obtention d'une dérogation à l'OMC relevait d'un processus fort coûteux qui obligeait l'UE à faire des concessions aux pays en développement désavantagés par les préférences accordées à certains produits ACP. En outre, San Bilal avait affirmé que la dérogation obtenue par l'UE en 2001 n'avait été accordée qu'après de très longues discussions et grâce aux liens avec le lancement du Cycle de Doha. Voir : BILAL, « APE Alternatifs et alternatives aux APE. Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et l'UE », op.cit., p. xiv.

généralement perçus non pas comme une opportunité, mais comme une fatalité ou plus précisément, " le prix à payer pour continuer à exporter vers l'Europe", principal partenaire commercial pour nombre de pays ACP321 ». Selon l'ECDPM, cette situation plaçait ainsi les États ACP devant un « pragmatisme fataliste »322, les poussant dès lors à défendre le mieux possible leurs intérêts économiques et sociaux afin d'éviter qu'ils ne se retrouvent dans une situation plus défavorable que dans le passé. Nous retînmes également de ce chapitre que la première phase des négociations se solda par une crise de confiance entre les partenaires dans la mesure où les desideratas exprimés par les États ACP ne furent pas pris en compte par l'UE dès le début des négociations, laissant ainsi en suspens de nombreux désaccords à régler lors des négociations régionales. En effet, nous pûmes constater que les points qui étaient cruciaux pour les États ACP ne furent pas réglés durant la première phase des négociations et qu'ils devaient dès lors être négociés au cours la deuxième phase. Il s'agissait principalement de la demande de ressources additionnelles au FED, des termes et des conditions de la libéralisation des échanges, de la dimension « développement » contenue dans les APE, etc323. En outre, cette première phase des négociations eut également pour conséquence d'amoindrir la capacité de négociation des États ACP, dans la mesure où ces derniers furent divisés en six groupes régionaux pour négocier le contenu des futurs accords commerciaux. Le chercheur Erik Rydberg considéra ainsi que l'unité du groupe ACP fut mise à mal du fait que l'essentiel des négociations (contenu des accords) dut être réglé avec les différents blocs régionaux324.

Dans le troisième et dernier chapitre, nous tentâmes de mettre en exergue le caractère inégal des négociations en étudiant dans un premier temps les asymétries existantes entre les parties aux négociations, et en évoquant dans un deuxième temps, les questions qui suscitèrent de vifs débats entre l'UE et les États ACP pendant la deuxième phase des négociations. Il s'avérait ainsi que les négociations au sujet des APE opposaient des partenaires inégaux en termes de capacité de négociation et de puissance économique. Ainsi, l'asymétrie commerciale entre les partenaires, était telle que les États ACP connaissaient une grande dépendance à l'égard du marché communautaire pour leurs exportations et leurs importations325, alors que ces

321 BILAL, S., « APE, vision, foi ou aveuglement ? », op.cit., p.2. .

322 ECDPM, Les accords de partenariat économiques régionaux, Infokit Cotonou n°14, op.cit.

323 Voir : SECRETARIAT DU GROUPE DES ÉTATS D'AFRIQUE, DES CARAIBES ET DU PACIFIQUE,
Négociations ACP-UE des Accords de partenariat économique. Points de convergences et de divergences, op.cit.

324 RYDBERG, E., « Accord + Partenariat + Economique : cherchez l'erreur... », op.cit., p.22.

325 Alors que l'Union européenne reste le partenaire commercial principal des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (29 % des exportations ACP se réalisent à destination de l'Union européenne et 24 % des importations des pays ACP proviennent de l'Union européenne), ces derniers ne constituent que 3 % du commerce de l'Union européenne (2,9 % des exportations et 3,1 % des importations de l'Union européenne). Voir : LIPCHITZ, A., op.cit., p.11-12.

derniers ne représentaient que 3 %326 du commerce de l'Union européenne. D'autre part, nous constatâmes qu'il existait de grandes disparités en termes de capacité de négociation entre l'UE et ses partenaires à la coopération327. Nous étudiâmes également que les États ACP étaient plus protecteurs en termes de droits douane que l'Union européenne et qu'ils constituaient des sources de revenus importants pour les États ACP et principalement les États africains328. Cet élément constituait ainsi une grande source d'inquiétude pour les États ACP et les membres de la société civile, qui craignaient une importante perte de recettes douanières, consécutive à la réduction des entraves aux échanges dans un APE. Dans un deuxième temps, nous passâmes en revue les questions abordées dans le cadre des négociations relatives aux APE, qui soulevèrent de nombreux débats et tensions entre les acteurs. Nous pûmes alors nous rendre compte que les divergences qui étaient apparues lors de la première phase des négociations, perdurèrent lors des négociations régionales, ce qui eut pour effet d'accroître encore davantage les tensions entre les partenaires. Nous constatâmes également que les demandes formulées par les États ACP dès le début des négociations, ne furent pas prises en considération par la CE. Ainsi, si les États ACP avaient mis un point d'honneur à obtenir de la CE des ressources additionnelles au FED pour couvrir les coûts d'ajustement provoqués par la libéralisation des échanges, cette dernière énonça clairement que l'aide proviendrait d'une part du FED et d'autre part de l'aide pour le commerce dans le cadre de l'OMC. Aussi, si les ACP avaient insisté lourdement sur la dimension « développement » que devait contenir les APE, les parties ne parvinrent pas à s'entendre sur les moyens pratiques visant à intégrer la dimension « développement » dans les APE. Après trois années houleuses de négociations, les retards étaient tels que les ACP commencèrent à envisager l'étude d'alternatives. La CE quant à elle, rejeta l'étude d'alternatives et insista sur le fait que des accords devaient être conclus avant la date butoir du 31 décembre 2007, auquel cas les pays ACP non-PMA exporteraient sous le régime du SPG standard. Les retards occasionnés dans le processus des négociations poussèrent finalement la CE à proposer une approche en deux étapes afin d'éviter dès le 1er janvier 2008 - date d'expiration de la dérogation de l'OMC sur les préférences commerciales - « toute interruption du régime commercial pour les marchandises originaires des pays ACP329 ». Ainsi, si l'UE et les États ACP négocièrent pendant six années330 des sujets sur lesquels ils tentaient de parvenir à un accord, des APE intérimaires furent finalement

326 Ibid.

327 Voir point IV.1.2. du présent mémoire

328 Selon Anna Lipchitz, les droits de douane constituent en moyenne 25 % des revenus des gouvernements africains. Voir : LIPCHITZ, A., op.cit., p. 4.

329 COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, Communication de la Commission au Conseil et Parlement européenne. Accords de partenariat économique, op.cit., p. 1.

330 Les négociations débutèrent en septembre 2002 et s'achevèrent le 31 décembre 2007.

signés à la hâte pour respecter coûte que coûte l'échéance qui avait été fixée par l'OMC. En outre, la menace du SPG poussa les pays ACP à signer individuellement des APE intérimaires avec l'UE, ce qui eut pour conséquence de fragmenter les régions ACP.

À l'issue de notre travail de recherche, nous souhaitons partager les quelques réflexions auxquelles nous avons finalement abouti. Notre travail avait pour ambition d'analyser les négociations sur les APE afin de saisir quels étaient leurs enjeux pour les parties négociantes, tout en jetant un éclairage sur les prises de positions de l'UE et des États ACP lors des négociations, et sur les rapports de force entre ceux-ci. Nous souhaitions effectivement comprendre combien il pouvait être difficile de négocier des accords équitables lorsque il existait de fortes disparités (politique, économique) entre les parties aux négociations.

Tout d'abord, nous pensons que les négociations s'annoncèrent d'emblée difficiles dans la mesure où les APE correspondaient à des besoins extrêmement différents pour l'UE et les États ACP. Ainsi, comme nous l'avons répété à maintes reprises, alors que le marché européen était crucial pour le commerce des ACP, l'inverse n'était pas vrai. Pour l'UE, il était surtout impératif de conclure des accords qui soient conformes aux les règles du commerce mondial multilatéral, afin d'éviter des représailles de la part des membres de l'OMC. Ces éléments affectèrent le rapport de force existant entre les négociateurs et les divisèrent en deux camps : celui des défenseurs et celui des attaquants. En effet, alors que les États ACP veillaient à défendre du mieux qu'ils le pouvaient leurs acquis économiques - le marché communautaire restant d'une importance cruciale pour leurs exportations et leurs importations -, l'UE quant à elle, avait bien moins à perdre des APE que les ACP, ces derniers ne représentant qu'un faible pourcentage de leur activité commerciale. En clair, nous pensons que les négociations étaient inégales dès le départ dans la mesure où l'enjeu des APE était autrement plus important pour les États ACP que pour l'UE. Cette situation inégale de base, se trouvait renforcée, selon nous, par les fortes asymétries politiques et économiques qui séparaient les partenaires aux négociations. Les négociations pouvaient ainsi s'apparenter à un match de boxe inégal où un poids plume était contraint d'affronter un molosse sur le ring. En effet, les négociations, opposaient d'un côté 27 membres de l'UE européenne, doté d'un PNB combiné de plus de 14.000 milliards de dollars331 contre six groupes ACP, dont 39 faisaient partie des 50 pays les moins avancés (PMA) au monde. En outre, les pays ACP étaient également désavantagés par rapport à l'UE en termes de capacité

331 DELCOURT, L., Aide au développement de l'Union européenne : perspective critique, op.cit.

de négociation, car d'une part et contrairement à l'UE, ils ne pouvaient pas compter sur une structure effective en matière de prise de décisions et de fonctionnement pour assumer les négociations, et que d'autre part, cette disparité était encore renforcée du fait que les États ACP avaient été divisés en six groupes pour négocier les APE. Nous pensons que la combinaison de ces éléments (l'enjeu inégal que représentaient les APE pour les partenaires à la coopération, ainsi que les fortes asymétries entre ces derniers) furent autant d'éléments qui renforcèrent l'inégal rapport de force entre les parties aux négociations. Nous pûmes effectivement constater que les ACP ne parvinrent pas à obtenir les requêtes qu'ils avaient exprimé depuis le début des négociations alors que la CE occupa une position de force du début à la fin des négociations. En effet, alors qu'il ne restait que quelques mois avant l'échéance prévue pour la fin des négociations et qu'aucune avancée significative -excepté dans la région des Caraïbes - n'avait été enregistrée, de nombreux auteurs et membres de la société civile postulaient qu'une prolongation des négociations s'avérait nécessaire pour aboutir à la conclusion d'accords complets. Contre toute attente, la CE décida finalement que des APE intérimaires seraient signés avant la date butoir afin de respecter les délais de l' OMC. L'impératif de base qu'avait défendu l'UE depuis le départ, fut ainsi respecté. Des accords furent donc paraphés à la hâte afin de respecter coûte que coûte l'intraitable loi du système commercial multilatéral, et ce, aux dépens des multiples discussions qui avaient jalonné les négociations. En effet, il avait été initialement prévu que les APE seraient conceptualisés et négociés en tant qu'accords sur le commerce et le développement. Cependant, les accords intérimaires paraphés en urgence, se focalisèrent uniquement sur la libéralisation du commerce afin de satisfaire aux règles de l'OMC, balayant de la sorte les autres dimensions qu'un APE devait contenir. Si l'objectif de l'approche en deux étapes, consistait à la conclusion d'accords régionaux complets d'ici 2008, certains auteurs se montrèrent très réticents quant à sa faisabilité. Les craintes reposaient ainsi sur l'amoindrissement des capacités d'influence des ACP pour la poursuite des négociations depuis que la date fatidique du 31 décembre 2007 était derrière eux. Ainsi, selon les propos du chercheur Francisco Rampa : « En premier lieu, une fois une zone de libre-échange réciproque établie et la compatibilité avec les règles de l 'OMC satisfaite, quelles pressions juridiques pousseront les parties à conclure des accords dans d'autres domaines complexes ? Les observateurs de la stratégie commerciale globale de l'UE pensent que le souhait de garantir des accords réciproques qui coïncide avec l'expiration des règles de l 'OMC est la principale force motrice des tactiques APE de l'Europe. Les pays ACP auront-ils plus d'influence, en 2008, qu'au cours des cinq dernières années ? En d'autres termes, peuvent-ils convaincre l'UE d'incorporer dans un APE des éléments tels que des

mesures de renforcement de la compétitivité ? De même, comment inciter les pays ACP qui se sont systématiquement opposés à la négociation sur des domaines sensibles liés au commerce (tels que les services, l'investissement ou la passation des marchés), à accepter de négocier sur de tels domaines après 2007 ?332 ».

En clair, ce mémoire nous a fait prendre conscience de la difficulté de négocier des accords équitables lorsque il existe des fortes disparités (politiques, économiques) entre les parties aux négociations ainsi qu'une importante dépendance des États ACP à l'égard de l'UE. Daniel Van der Steen évoque ainsi la forte dépendance qui relie les États ACP à l'UE en précisant que : « les pays ACP dépendent (...) fortement de l'UE, surtout sur le plan financier, car ils se trouvent dans une situation très difficile et ils ont des besoins tellement énormes qu'ils ne peuvent se passer de l'aide accordée par l'UE, une aide qui a été accordée dans le passé depuis plusieurs décennies dans le cadre des conventions de Yaoundé, Lomé et Cotonou333 ». Selon cet auteur, « cette dépendance est telle que les compensations financières proposées par l'UE ont une force de conviction très considérable, amenant bien des gouvernements des États ACP à accepter les dispositions voulues par l'UE en échange d'engagements de soutiens financiers334 ». Comment était-il effectivement possible que les États ACP et l'UE soient placés sur un même pied d'égalité lors des négociations étant donné la grande dépendance reliant ces derniers à l'Europe ? Comment les pays ACP pouvaient négocier d'égal à égal lorsqu'une relation privilégiée, inscrite dans le temps (depuis la création de la CEE en 1957335), entravait leur pouvoir de négociation ? De façon plus générale, comment ne pas évoquer dans un tel contexte, le proverbe africain dont nous avions fait référence au tout début de ce travail : « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit.»

Finalement, n'oublions pas que les APE furent conçus par l'UE et les États ACP pour promouvoir le développement de ces derniers et éradiquer la pauvreté dans ces pays. Le libre-échange, tel que véhiculé à travers ces nouveaux accords commerciaux, fut la solution envisagée par l'Union européenne pour s'adapter au contexte actuel de la mondialisation. Pourtant, nous étudiâmes dans ce mémoire, que l'UE élabora, depuis l'origine de ses relations avec États ACP, divers instruments pour un atteindre le même objectif que celui qu'elle affirme vouloir atteindre

332 RAMPA, F., « L'UE propose des APE en deux étapes. Qu'est-ce que cela signifie pour le développement? », Eclairage sur les négociations, Maastricht : ECDPM, Vol.6., n°7, novembre 2007. pp. 1-4. Document téléchargé sur Internet. Lien URL: http://www.acp-eu-trade.org/index.php?language=fr&loc=/tni/index.php

333 VAN DER STEEN, D., DANAU, A., op.cit., p.13.

334 Ibid.

335 Nous avons vu dans le premier chapitre du présent mémoire que la coopération UE-ACP remontait à la création de la CEE en 1957. Voir point II.1.1. du présent mémoire.

aujourd'hui : le développement des pays ACP. De la création du FED, à l'instauration du libre-échange, diverses solutions furent déployées pour encourager « le décollage » économique tant espéré. Faut-il pour autant postuler que les échecs des solutions antérieures - tel que le régime commercial de Lomé - sont autant de raisons qui prouvent que le libre-échange constitue dès lors la panacée pour le développement ? Le problème ne provient-il pas de l'incessante recherche d'un quelconque remède miracle qui conduirait au développement ?

En dernier lieu, nous ne manquerons pas de préciser que ce travail nous a permis d'approfondir nos connaissances sur les Accords de partenariat économique, mais qu'il a également ouvert des nouvelles pistes de réflexions. Nous pensons en particulier à l'évolution de la politique européenne de coopération au développement dans le contexte actuel de la mondialisation. Nous nous interrogeons effectivement sur l'influence de l'apparition de l'OMC sur l'évolution de la politique de coopération de l'UE. Autant d'interrogations qui mériteraient de faire l'objet de nouvelles investigations...

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