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Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray

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par Rania Kassir
Universite Libanaise - DEA 2008
  

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B.2 Le libre-Esprit :

De leur côté, les Frères et Soeurs du Libre-Esprit viennent renforcer la conception générale selon laquelle le christianisme doit être dissocié de sa version mortifière. De ce fait même, la figure d'une Eglise régnante et d'une créature pécheresse commence à s'estomper au profit du Libre-Esprit. Mais alors, qu'est-ce au juste que le Libre-Esprit ? Qui a forgé ce terme ? Et en quoi le Libre-Esprit s'écarte t-il du Saint-Esprit ?

Le « Libre-Esprit » ou « Nouvel Esprit » ou « Esprit de Liberté » ou « Liberté par l'Eprit » revêtent la même signification. C'est l'Eglise qui, pour bien pointer ces ennemis et les distinguer des autres, a inventé ces termes.310(*) Le « Libre-Esprit » est l'inverse du «  Saint-Esprit ». Ceci veut dire que si le second place Dieu au centre du monde en révélant aux hommes ses desseins, le premier vient annoncer la divinité de l'homme et son pouvoir sur le monde.311(*)

Alors, le Libre-Esprit est-il un athée, un nietzschéen 312(*)?

Non, le Libre-Esprit reste pour autant un courant chrétien malgré qu'il ne soit pas tout à fait orthodoxe. Pour quelle raison ? En fait, le Libre-Esprit croit au Jésus qui fut crucifié pour libérer le monde des péchés. Ceci veut dire que comme Jésus a sauvé par sa rédemption, une fois pour toute, tous les humains, il n'y a plus aucune raison de croire à l'expiation de fautes durant son existence 313(*): « une vie de pénitence ne se défend aucunement, c'est un non-sens, une contradiction. On ne paie deux fois une dette 314(*)». Ceci dit, tout ce que fait l'homme est voulu par Dieu car sa volonté coïncide avec la volonté divine.315(*)

Amaury de Bène qui, au dire d'Onfray, condense les idées des autres partisans, avance l'interprétation suivante : « Le corps du Seigneur, par exemple, n'a pas définitivement disparu après sa mort car il est réapparu sous forme de réel, confondu intégralement à lui. Vivre, c'est immanquablement vivre en lui. Impossible d'y échapper. Cette vision du monde conduit à une totale économie du clergé : pour quoi faire ? Nul ne doit montrer la voie, indiquer la direction. L'existence suffit (car) être au monde, c'est être en Dieu. »316(*)

Dans cette logique, le Libre-Esprit soutient la nécessite de renoncer au rôle de l'Eglise. Car son irruption dans notre vie s'oppose à l'essence de la crucifixion de Jésus et au principe même de la « philosophie vivante ».

L'Eglise enseigne, sous peine de ne pas gagner son salut, la haine de soi, le refus du corps, la pauvreté, les sacrements, la peur, l'angoisse et la crainte du châtiment éternel. Autant dire, mourir de son vivant.317(*)

Face à ces idées, nous ne sommes guère surpris lorsque l'Eglise s'élèvent contre les partisans du Libre-Esprit. « A l'évidence, les thèses d'Amaury de Bène ne peuvent réjouir les catholiques apostoliques et romains. (...)En 1204 la doctrine est condamnée par le pape. Amauy de Bène meurt en 1207. Le secrétaire du philosophe est livré à la justice par un délateur qui donne également une quinzaine d'autres noms. Dix des accusés périssent sur le bûcher dressé par les catholiques le 19 novembre 1209. Quatre partent pour la prison où ils passeront le restant de leur existence. Les autorités réitèrent leur critique en 1209 et 1211. Impliqué de manière posthume, on déterre Amaury. Puis on sort ses os du cimetière du monastère de Saint-Martin-des-Champs, on les broie, puis on les disperse parmi les ordures. Version médiévale de l'amour du prochain. »318(*). L'état des autres partisans n'est pas meilleur. C'est ainsi quatre ans après la mort de Willem Cornelisz d'Anvers (1257), les catholiques retirent le cadavre du sépulcre et le brûlent. «  Un de plus ».319(*) De même, Bentivenga de Gubbio a passé le reste de sa vie en prison, Walter de Hollande est envoyé sur le bûcher en 1322.320(*)

Bref, le Libre-Esprit a été banni parce qu'il défend un Jésus crucifié pour le triomphe de la vie contre une Eglise régnante pour le triomphe de la mort. Avec les gnostiques licencieux et les tenants du Libre Esprit nous achevons le Moyen-Âge et nous entamons la Renaissance qui donne le jour à une nouvelle forme de christianisme hédoniste : c'est le christianisme épicurien

B.3 Le christianisme épicurien : Montaigne321(*) :

Montaigne vient réconcilier ce qui reste depuis longtemps irréconciliable : Le christianisme farouche ami du platonisme et l'épicurisme farouche ennemi du platonisme. Il développe un « christianisme épicurien » une expression qui reste un oxymore pour la plupart des croyants.

Certes, Lorenzo Valla322(*), Marsile Ficin323(*) et Erasme324(*) l'ont devancé dans cette entreprise. Il revient à Lorenzo Valla de mettre au point, pour la première fois dans l'histoire de la pensée, un « christianisme épicurien », mais c'est Montaigne qui va formuler la première version « française » de ce courant.325(*)

Tout d'abord, Michel Onfray remarque que notre philosophe a mené une vie catholique. Il nous rapporte que Montaigne prête volontiers serment de dévouement à la religion catholique au Parlement de Paris. A trente-huit ans, il revendique la construction d'une chapelle dans son château qui sera dédiée à Saint Michel. Quand la maladie le maintient au lit, il opère une ouverture pour écouter la messe célébrée au rez-de-chaussée. A quarante-quatre ans, il est parti en pèlerinage à Notre Dame-de-Lorette. Il célèbre les fêtes religieuses, participe au serment de l'eucharistie, il dédie un ex-voto à la Vierge... Enfin, à cinquante-neuf ans, il appelle le prêtre pour recevoir l'extrême-onction.326(*) C'est ainsi Onfray écrit : « difficile de lire les Essais comme si cet homme n'avait pas vécu ainsi .» 327(*). Mais il ajoute : « je tiens plutôt chez Montaigne pour un épicurisme chrétien. Oxymore bien utile pour qualifier ce catholicisme modéré (...) modére grâce à l'option épicurienne, car Montaigne n'accepte pas l'idéal ascétique de la religion. Il veut bien dire son Notre Père, assister à la messe, déposer des ex-voto, solliciter un prêtre pour l'extrême-onction, mais pas mourir de son vivant. »328(*).

Ceci étant, Montaigne, le catholique, va puiser dans le corpus de l'homme du Jardin pour élaborer un christianisme vivant. Il est donc conscient que la morale épicurienne nous aidera à mieux vivre plus que la morale chrétienne.

Premièrement, Montaigne pense que « le désir est partout » et que « le  plaisir est notre but ». Cette idée est présente dans la quasi-totalité des Essais. Mais il voit que c'est la religion, principalement catholique, qui empêche le désir de se transformer en plaisir. Depuis la faute donc de la première femme, l'homme chrétien se voit obligé de renoncer à tous les plaisirs pour expier cette faute, gagner son salut ou libérer l'âme du corps.329(*) Montaigne ne soutient pas ces idées mais à l'instar d'Epicure (et également des sagesses antiques) va à la recherche de la jubilation sous toutes ses formes : boire, manger, voir, regarder, sentir, goûter, copuler et ne pas conserver sa virginité surtout pour les femmes. En un mot, permettre au corps tout entier de jubiler.330(*) « Le goût des baisers resté dans les moustaches » comme il écrit dans les Essais, ses dédicaces à plusieurs femmes au début de chaque chapitre dans les Essais et sa relation avec Marie de Gourmay bien qu'il soit un père de famille, témoignent que le héros de Michel Onfray n'a jamais renoncé à ses désirs.331(*) Cette jouissance revendiquée par Montaigne doit être mesurée, Montaigne peut, tout comme Epicure, se priver d'un plaisir qui génère un déplaisir et accepter une souffrance qui produit une plus grande jouissance. Dans cette logique, Montaigne qui souffre d'une maladie de pierre s'abstient d'une nourriture agréable (souffrance) mais dangereuse pour sa santé (jouissance). De même, il affirme qu'on peut entretenir un commerce avec les femmes sans pour autant renoncer à sa liberté et à son autonomie.332(*)

Deuxièmement, pour ne pas mourir de son vivant, Montaigne désapprouve l'intervention de Dieu dans les événements du monde. A cette critique de la haine de soi et du mépris du corps chez les chrétiens, Montaigne ajoute une critique de la Providence. Dieu ne peut intervenir dans le cours général des choses ou sur des évènements particuliers. Montaigne écarte donc un certain Dieu chrétien anthropomorphe qui voit, entend, sait et veut tout ce qui se passe dans la vie des humains. A ce compte, qui ne voit dans l'attitude de Montaigne une réhabilitation des dieux épicuriens333(*) indifférents des hommes et de leurs destins ? 334(*)

Enfin, pour bien vivre, Montaigne invite à apprivoiser la mort et ne pas semer la crainte. A l'instar d'Epicure et aux antipodes des arguments du christianisme, Montaigne avance que la mort ne doit pas nous faire craindre car vivants, la mort n'est pas là, et, morts, nous n'y sommes plus. Pour Montaigne, la mort s'avère un endormissement, un passage doux et agréable pour la simple raison que la conscience et les cinq sens y manquaient335(*). De même, tout comme Epicure a fustigé la métempsychose et métensomatose platoniciennes, Montaigne met à l'écart ces deux idées et avec elle le Paradis chrétien où séjournent les âmes des justes après la mort.336(*)

Montaigne trouve bizarre le fait de ridiculiser le Paradis des musulmans et de ne pas rire de celui des partisans du christ. « On sourit au paradis tapissé, paré d'or et de pierreries, peuplés de garces - comme on dit alors - toutes très belles, dans lequel le vin coule à flots, la nourriture aussi ? Certes, on a raison, car il s'agit d'histoires et de fictions destinées à emmieller les naïfs que sont les hommes. Mais comment ne pas voir là également une critique du paradis des chrétiens, peuplé de promesses tout autant fictives. »337(*)

En somme, Onfray voit que Montaigne a réussi à la fois sa vie catholique et sa vie épicurienne. A cette fin, il nous rapporte alors cette anecdote significative : « dans son livre, il [Montaigne] écrit la nécessité d'appeler le prêtre pour l'extrême-onction (...) lorsque le curé procède à l'élévation, Montaigne rend l'âme. Belle image d'Epinal : le philosophe quitte le monde sans renier ni la sagesse antique ni la foi chrétienne. »

Enfin, les tenants du christianisme officiel qui récusent l'innovation (on est épicurien ou chrétien, il faut choisir) ne peuvent épargner l'auteur des Essais. Aussi Michel Onfray nous rapporte que « Grégoire XIII surélève sa mule pour que le philosophe puisse la lui baiser en se penchant un peu moins que les autres. Les détails importent, ils expriment les degrés de l'amour du prochain. »338(*). De même, l'Eglise catholique apostolique et romaine, interdit la lecture des Essais qui a été mis à l'index en 1676.

En résumé, à travers son exhumation des penseurs alternatifs de cette période de l'histoire, Michel Onfray réussit à infirmer le jugement commun selon lequel le Moyen-Âge et la Renaissance sont chrétiens orthodoxes ou ne sont pas. A côté de Paul de Tarse et des Pères de l'Eglise, Onfray prend plaisir à mettre en scène les gnostiques licencieux, les partisans du Libre-Esprit et le christianisme épicurien longtemps oubliés. Il montre par là que la résistance au christianisme est souvent chrétienne.

Notre odyssée se poursuit. Nous sommes en plein 17ème siècle.

Chapitre IV : Un autre 17ème siècle : Le libertinage baroque français et le spinozisme

Si le Moyen-Âge et la Renaissance classiques339(*) se situent dans la continuité de l'Antiquité classique. Le 17ème siècle, en revanche, témoigne d'une rupture radicale avec les deux moments. Cette volonté de rupture est clairement affichée par Descartes conçu communément comme le fondateur du « rationalisme moderne » et par suite de la philosophie moderne qui est en contraste avec la philosophie d'avant le 17ème siècle.

* 310 Ibid., p.87

* 311 Ibid., p.88

* 312 La divinité de l'homme chez Nietzsche diffère de celle des tenants du Libre-Esprit car pour ces derniers, comme on verra par la suite, la divinité de l'homme tire son fondement d'une croyance religieuse, d'une croyance au Jésus le sauveur qui a donné aux hommes le salut éternel.

Mais pour Nietzsche, l'homme ne peut être créateur de ses propres valeurs, ne peut se diriger vers le surhomme qui est maître de lui-même qu'après avoir tuer Dieu.

Ce faisant, il doit passer par trois métamorphoses :

« Le chameau » qui symbolise l'homme de l'idéalisme rampant devant l'hégémonie de Dieu et obéissant docilement au « Tu dois ».

Ce chameau se métamorphose en un lion quand il se hâte vers le désert.

Avec ce dernier, le « Tu dois » cède le pas au « je veux ».

Mais sa volonté reste, pour autant, négative. Elle dit non. Elle détruit les valeurs qui aliènent mais elle n'est pas encore volonté créatrice.

Le lion doit devenir alors un « enfant ». Seul l'enfant qui est innocence et oubli peut être créateur de nouvelles valeurs.

Donc, à partir du moment où l'homme assassine Dieu, il reprend sa volonté, sa liberté et devient un homme authentique, un homme créateur. ( Cf. Ainsi Parlait Zarathoustra, op.cit., pp.35-37)

Nietzsche conclut Ainsi parlait Zarathoustra par un conseil que Zarathoustra adresse à ses disciples : « Tous les dieux sont morts : nous voulons maintenant que le surhomme vive ! »  (Ainsi parlait Zarathoustra, p.87 in La philosophie de Nietzsche, op.cit, p.93)

* 313 Cf. Le christianisme hédoniste, op.cit, p.91 ; p.92 ; p.95 ; p.96

* 314 Ibid., p.92

* 315 Ibid., p.85

* 316 Ibid., p.93

* 317 Ibid., p.89 ; p.90 ; p.92

* 318 Ibid., p.97 ; p.98

* 319 Ibid., p.101

* 320 Ibid., p.105

* 321 Nous nous limiterons à l'étude du Montaigne qui occupera le tiers du livre d'Onfray (Le christianisme hédoniste).

* 322 Lorenzo Valla ou Laurent Valla en français (1433-1499) est un philosophe et polémiste italien

* 323 Marsile Ficin (1433-1499) est un poète et astrologue italien

* 324 Erasme (1466-1563) est un humaniste et théologien néerlandais.

* 325 Ibid., p.231

* 326 Ibid., p.234 ; p.235

* 327 Ibid., p.235

* 328 Ibid., p.237

* 329 Ibid., p.264 ; p.265 ; p.269

* 330 Ibid., p.237 ; p.267 ; p.285

* 331 Ibid., p.283

* 332 Ibid., p.264 ; p.271 ; p.272 ; p.287

* 333 Avec une seule différence, puisque Montaigne est monothéiste

* 334 Ibid., p.237 ; p.238

* 335 Ibid., p.231 ; p.262

* 336 Ibid., p.225

* 337 Ibid., p.239

* 338 Ibid., p.240

* 339 Classiques est synonyme d'officiels, d'idéalistes et de dominants.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand