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Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray

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par Rania Kassir
Universite Libanaise - DEA 2008
  

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B. Qui a droit à la philosophie ?

Si le statut du Maître a exigé un bon nombre de caractéristiques, celui du disciple requiert une seule condition : le désir de philosopher. Onfray s'exprime en termes nets : « la philosophie appartient à ceux qui s'en emparent »152(*). Dans cette perspective, Onfray s'engage tout d'abord à appliquer le principe d'Epicure selon lequel : ce n'est jamais ni trop tôt ni trop tard pour pratiquer la philosophie.153(*)

B.1 La philosophie pour tout âge :

Enfant, adolescent et vieux du fait qu'ils font partie de l'existence (voir le premier chapitre) ont le droit d'entendre le message philosophique. Il n'y a que la mort (la fin de l'existence) qui met fin au travail philosophique.

En ce sens, Michel Onfray critique le Lycée de Victor Cousin qui établit l'enseignement de la philosophie uniquement en classe terminale. C'est-à-dire la philosophie doit couronner la fin du cycle scolaire.154(*) En professant cette idée, constate Onfray, Victor Cousin et les siens dissocient l'être qui vit, qui apprend (la vie) et l'être qui réfléchit (la philosophie). « Il peut paraître étonnant qu'on ait laissé les disciplines s'enseigner sans aucune transversalité - hors cas particulier d'expérimentations personnelles - avant cet ultime moment de la scolarité obligatoire ! (...) des premiers moments de socialisation de la maternelle à la classe de philosophie, en passant par l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul, puis des langues étrangères, on évite de penser et de réfléchir, une licence accordée seulement à l'heure du bilan. » 155(*). Dans cette logique, Onfray affirme qu'une année dans la vie, tombée du ciel, sans avant, sans après, ou plutôt neuf mois « le temps d'une étrange gestation de septembre à mai » ne peuvent subitement donner un sens à une existence riche d'évènements.156(*)

Ceci dit, la philosophie doit désormais accompagner et non couronner le cycle scolaire. Onfray propose d'enseigner la philosophie dès la première année scolaire.157(*) En ce sens, il avançait que « philosopher en classe terminale c'est bien, certes, mais beaucoup beaucoup trop tard... »158(*)

Néanmoins , la question reste de savoir comment l'école, emblème de la docilité selon onfray, peut-elle favoriser la passion interrogeante .

Onfray lève immédiatement l'ambiguïté de cette question et montre que la contre-institution (l'U.P. de Caen) vient réaliser ce qui a échappé à l'institution officielle : l'école. C'est à l'université populaire de Caen qu'échoit aujourd'hui la tâche de pratiquer la philosophie, dans l'atelier avec Gilles Geneviève. Mais cette université populaire constitue une micro-résistance, qui à la longue peut restaurer la liberté et métamorphoser toutes les institutions officielles, y compris l'école.159(*)

B.2 La philosophie pour tous :

Si la philosophie n'exige aucun âge précis, elle ne concerne de la même façon aucun être humain en particulier : femmes, hommes, pauvres, non-diplômés, chômeurs, femmes au foyers...Tous ceux qui appartiennent à l'existence doivent inéluctablement avoir accès à la philosophie.

L'université populaire de Caen, à l'encontre de l'Université et de la Sorbonne, reçoit des non-diplômés et des non-spécialistes en la matière. Michel Onfray renonce à l'idée selon laquelle les diplômes légitiment le travail philosophique. La plupart des cas, remarque t-il, les diplômés : agrégé, licencié, diplômé de supérieur, docteurs... ne sont pas des philosophes pour leur propre compte, c'est-à-dire la philosophie pour eux est affaire de cours d'université et non une affaire existentielle qui produit ses effets dans leur vie. 1 De même, ces diplômés sont le plus souvent obnubilés par le marché du travail, les postes sociales qu'à la philosophie comme vocation : séparation de la philosophie et de la vie. Dans cette perspective, Onfray répugne à « la schizophrénie pédagogique » pratiquée par Platon et les Pères de l'Eglise. Dans sa République (« qui n'en a que le nom », écrivait Onfray), Platon s'adresse uniquement à l'élite, aux philosophes et gouvernants prochains, voire aux semblables qui se distinguent du plus grand nombre : ceci dit, Platon loue les mérites d'une pratique ésotérique et aristocratique de la philosophie.

Cette rupture entre pratique ésotérique / pratique exotérique persiste avec les Pères de l'Eglise qui dans leur discours revendiquent la « vraie philosophie ». Celle-ci ne se pratique que par la caste d'élus qui suit soigneusement les enseignements de Saint Paul et empêche quiconque d'interpréter ou de penser librement.

Pour faire face à cette pratique aristocratique de la philosophie, Onfray récuse toute exigence de diplôme à l'entrée et tout contrôle de connaissance à la sortie pour s'occuper de ce qui est le plus essentiel : la vie elle-même.

De même, la philosophie, selon Onfray, concerne aussi bien les femmes que les hommes. A ce titre, il crée son université sur le modèle du Jardin d'Epicure. Là où le philosophe de La République assigne à la femme des tâches secondaires (procréer, élever des enfants et s'occuper de la propreté du foyer), Epicure reçoit dans son Jardin des femmes qui philosophent à un pied d'égalité avec tous les hommes. « L'histoire de l'épicurisme conserve les noms de Mammarion, Hédeia, Erotion et Nikidion, Leontion et Thémisa, autant de prétendues courtisanes pour ses adversaires. Plus probablement, elles ont philosophé avec Métrodore ou les dédicataires des trois fameuses lettres - Phythoclès, Hérodote et Ménécée - dans la plus parfaite des égalités. »160(*). Michel Onfray récuse l'idée selon laquelle « le féminin et la philosophie vivent sur deux planètes définitivement étrangères ». Ce philosophe féministe161(*) ne laisse aucune occasion pour manifester sa répugnance contre le sexisme, la phallocratie et la « réduction du féminin aux ovaires ».

Outre que les non-diplomés et les femmes, l'U.P. reçoit les sans-grade, les miséreux, les pauvres, les sans-nom et les négligés appelés désormais « les déchets du système ». Elle se dresse contre l'Université et la Sorbonne162(*) qui limitent la philosophie à la bourgeoisie. Fidèle à ses origines modestes et à l'instar de l'auteur de La Misère du monde (Pierre Bourdieu164(*)), Onfray invite les philosophes à s'occuper de la « misère sale » celle des gens du peuple. A ses yeux, seule une instruction des pauvres empêche la destruction de leur existence et de celle de la population toute entière. Le sang, les terrorismes, les combats, les guillotines, les échafauds proviennent, au dire d'Onfray, d'une ignorance du peuple et des miséreux.165(*)

Mais il reste de savoir : les universités populaires après l'affaire Dreyfus n'ont-elles pas devancé l'U.P. de Caen dans l'instruction des pauvres ? Et en quoi l'U.P peut être qualifiée de novatrice ?

Laissons Michel Onfray lui-même répondre à cette question :

« Q : Est-ce pour éviter les erreurs de la première U.P que vous avez opté pour ce type d'organisation ? Car l'U.P, au début du siècle dernier, avait été un véritable flambeau, mais celui-ci avait fini par s'éteindre.

M.O : A l'époque la principale erreur avait été de croire que les ouvriers devaient demeurer passifs tandis qu'on leur donner la leçon. Il n'y a eu aucun souci pédagogique. Les professeurs venaient, faisaient leur cours et puis repartaient comme si cela devait suffire pour raccrocher les wagons entre l'intellectuel et la classe ouvrière. C'était une erreur (...) il faut donner les moyens d'une intersubjectivité, d'une relation, d'une parole, d'un échange, d'un investissement (...) c'est sans doute ce que n'ont pas compris les fondateurs de la première U.P. malgré leur noble ambition d'éclairer les masses, après l'affaire Dreyfus. »166(*)

A L'U.P, le peuple y est actif et le cours se déroule dans deux heures. La première est constituée par le cours à proprement parler tandis que la seconde est consacrée aux interventions du public.167(*)

Une question se fait jour suite à ce propos : Le projet d'une démocratisation de la philosophie ne risque t-il pas à avachir la discipline ?

Cette question nous renvoie au troisième moment de ce chapitre.

* 152 La communauté philosophique, op.cit., p.101

* 153 Ibid., p.117

Nous lisons dans la Lettre à Ménécée d'Epicure la revendication suivante : « Quand on est jeune, il ne faut pas hésiter à philosopher, et quand on est vieux, il ne faut pas se lasser de philosopher (...) Celui qui dit qu'il n'est pas encore ou qu'il n'est plus temps de philosopher, ressemble à celui qui dit qu'il n'est pas encore ou qu'il n'est plus temps d'atteindre le bonheur. » (Lettre à Ménécée, in GRESSON et DHUROUT, Épicure, sa vie, son oeuvre, Paris, P.U.F, 1958.

* 154 Cf. La communauté philosophique, op.cit., p.60

* 155 Ibid., p.61

* 156 Idem

* 157 Cf. La lueur des orages désirés, op.cit., p.153. La communauté philosophique, op.cit., p.116. Les vertus de la foudre, op.cit., p.213

* 158 Cf. La communauté philosophique, op.cit., p.61

* 159 Ibid., p.27. La lueur des orages désirés, op.cit, p.64

* 160 Les Sagesses antiques, op.cit., p.227

* 161 On revient au féminisme prôné par Onfray dans la troisième partie.

* 162 La Sorbonne est vue par les yeux de Michel Onfray comme « l'habituelle servante de l'Eglise catholique ». 163( Cf. Michel ONFRAY, Les libertins baroques - Contre-histoire de la philosophie III - Paris, Grasset & Fasquelle, 2007, p.174 )

* 164 Pierre Bourdieu ( 1930- 2002), est un sociologue français. Sa carrière de sociologue se décide à partir de de la période algérienne. Parmi ses principales oeuvres on peut citer : Sociologie de l'Algérie (1958), Travail et travailleurs en Algérie (1964), Questions de sociologie ( 1981), Misère du monde (1993).

* 165 Cf. La lueur des orages désirés, op.cit, pp.79-87. Michel ONFRAY, Traces de feux furieux - La philosophie féroce II - , Paris, Galilée, 2006, p.97 ; p.98 ; p.99.

* 166 Propos recueillis par Le Flambeau le 13/12/04.

Site : www.leflambeau.com/michel%20onfray/entretien%20michel%onfray.htm

* 167 Cf. La communauté philosophique, op.cit, p.127 ; p.128

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote