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La lecture intertextuelle de l'ivrogne dans la brousse d'Amos Tutuola

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par Ukize Servilien
Université de Montréal - Maitrise 2008
  

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3.1.4. Allusions à la légende d'Europe

À l'époque archaïque, le nom d'Europe est attribué à plusieurs personnages féminins, selon les auteurs. Fille du roi Agénor, Europe était tellement belle que le plus puissant de tous les dieux en tomba amoureux. Eduard Petiska décrit ci-après son enlèvement par Zeus, métamorphosé en taureau blanc :

Un jour, tôt le matin, la ravissante Europe partit en promenade avec sa suivante à travers les prés fleuris qui bordaient la mer. Les jeunes filles ramassèrent des fleurs, puis elles s'assirent à l'ombre des arbres pour tresser des couronnes. Lorsqu'elles levèrent les yeux de leur travail, elles poussèrent un cri de surprise : un magnifique taureau, d'une blancheur éblouissante, paré de petites cornes limpides comme du cristal, les regardait. Il avait un air si doux que bientôt Europe et ses compagnes oublièrent leur frayeur. La princesse lui tendit un gros bouquet tandis qu'on ornait ses cornes de guirlandes. Le taureau gambada sur ses sabots brillants, baissant le cou et s'agenouillant devant la jeune beauté comme pour l'inviter à monter sur son dos. En riant, elle enfourcha l'étrange animal et invita ses suivantes à faire de même. Mais le taureau ne les attendit pas, il se leva et, emportant Europe, alla droit dans la mer. Europe, terrifiée, gémit et pleura mais cela ne la sauva pas. Sa monture gagnait le large et bientôt elle ne vit plus la côte ni les jeunes filles qui criaient. Il n'y avait autour d'elle que la mer. Le soleil se coucha, les premières étoiles s'allumèrent dans le ciel, se reflétant dans la mer, et le taureau nageait toujours avec sa proie sur le dos. Dans l'obscurité apparut l'ombre d'une côte inconnue. La bête gagna la terre, il déposa doucement sa captive sur l'herbe tendre et disparut.161

Nous trouvons une scène similaire dans L'ivrogne dans la brousse, où le héros est enlevé de sa ferme par une bête étrange :

161 Eduard Petiska, op.cit., p. 25.

Un jour, comme la récolte était mûre, je vois un animal terrifiant qui se dirigeait vers la ferme en mangeant la récolte, et, le matin que je le rencontre là, j'essaie de le chasser loin de la ferme, naturellement je ne peux m'approcher de lui, car il était aussi gros qu'un éléphant. Ses griffes avaient 0 m 60 de long environ, sa tête était dix fois plus grosse que son corps. Il avait une grande bouche pleine de grandes dents, ces dents avaient environ 0 m 30 de long et épaisses comme des cornes de vache, son corps était presque entièrement couvert d'un long poil noir comme celui de la queue d'un cheval. Il était très répugnant. Il avait sur la tête cinq cornes recourbées d'une dimension en rapport avec la tête, ses quatre pieds étaient aussi gros que des troncs d'arbre. Comme je ne pouvais m'approcher de lui, je lui lance de loin un caillou, mais avant que le caillou l'ait atteint, il se trouvait déjà devant moi prêt à me combattre. Alors je me demande comment je pourrais échapper à cet animal terrifiant. Je ne savais pas que c'était le propriétaire du terrain sur lequel j'avais semé ma récolte. En cet instant critique, il était en colère parce que je ne lui avais pas offert un sacrifice avant de semer là ma récolte, mais lorsque je comprends ce qu'il voulait de moi, alors je coupe un peu de la récolte et je le lui donne. En voyant ce que je lui donne, alors il me fait signe de monter sur son dos et je monte sur son dos et depuis lors je n'en ai plus entendu parler. Il me conduit à sa maison qui n'était pas très loin de la ferme. Arrivé là, il se baisse et je descends de sur son dos, après ça il entre dans sa maison [...]. (IB : 53-54)

En empruntant le thème de l'enlèvement, Tutuola transforme ici l'hypotexte par l'usage des contrastes, des expressions oppositives. Il faut noter, par exemple, la négativité avec laquelle est décrit l'étrange animal de l'Ivrogne et la façon dont le taureau d'Europe est magnifié. De plus, la bête qui ravit le fermier est d'humeur belliqueuse, tandis que le taureau blanc se montre plus pacifique. C'est pourtant presque le même récit que reproduit l'auteur, toujours par voie transformationnelle en régime sérieux. Cet étrange animal qui enlève le fermier, à le voir, est un dieu, peut-être métamorphosé comme Zeus. Il a un territoire sur lequel il règne, il a droit aux sacrifices, faute de quoi il se met en colère comme tous les dieux.

Bien qu'indirecte, la co-présence de la mythologie grecque dans le roman de Tutuola est tout à fait manifeste. Le nom du héros révèle luimême une forme indirecte de relations hypertextuelles qu'est l'allusion : Père-Des-Dieux ne renvoie-t-il pas à Zeus, dieu suprême du Panthéon hellénique, maître des dieux ?

D'autres références à la mythologie grecque sont notables dans l'ensemble de l'oeuvre de Tutuola. Notons, par exemple, cette forte ressemblance entre la légende du roi d'Ibembe de son roman The Brave African Huntress162, telle que rapportée par Belvaude, et celle du roi Midas de la mythologie grecque.

Un jour, Midas fut choisi comme juge dans un concours musical entre Pan et Apollon. Il préféra alors la flûte du silène à la lyre du dieu. Vexé, Apollon lui fit pousser des oreilles d'âne :

Midas a tout le reste d'un homme ; il n'est puni que dans cette partie de son corps ; il est coiffé des oreilles de l'âne aux pas lents. Il voudrait cacher une laideur dont il a honte ; il essaie de voiler sa tête sous des bandeaux de pourpre ; mais le serviteur qui avait l'habitude de raccourcir avec le fer ses longs cheveux s'en est aperçu ; celui-ci n'ose pas révéler la difformité qu'il a surprise, quoiqu'il brûle de la raconter tout haut et qu'il soit incapable de se taire ; alors il se retire à l'écart et fait un trou dans le sol ; il y rapporte, à voix basse, quelles oreilles il a vues à son maître, il murmure la nouvelle dans la terre creusée par ses mains ; puis, y rejetant ce qu'il avait enlevé, il enfouit son secret et, la fosse comblée, il s'éloigne en silence. Une épaisse forêt de roseaux frissonnants se mit à croître en ces lieux ; quand l'année, ayant achevé son cours, les eût mûris, ils trahirent celui à qui ils devaient leur existence ; car, balancés au souffle léger de l'Auster, ils répètent les paroles enfouies par le serviteur, ils publient ce que sont devenues les oreilles de son maître163.

162Amos Tutuola, The Brave African Huntress, London, Faber and Faber, 1958, p. 42-46. 163 Ovide, op.cit., p. 356-357.

Dans « La tête du roi d'Ibembe porte deux cornes », un conte de Tutuola, l'auteur met en scène une héroïne, Adebisi, barbier habituel du roi qui découvre qu'il a deux cornes sur la tête :

Elle est seule à savoir qu'il porte deux cornes sur la tête et ne doit révéler ce secret à personne. Mais le secret l'empoisonne tant qu'elle en perd le boire et le manger. Elle finit par se résoudre, sur les conseils d'un vieillard, à creuser un trou auquel elle confie le secret et qu'elle rebouche.164»

Cependant, quelques jours après, du trou poussent deux petits arbres que taille un joueur de bugle pour en faire un instrument. Mais lorsqu'il en jouait un tout petit air, ce bugle chantait très fort :

La tête du roi d'Ibembe porte deux cornes ! La tête du roi d'Ibembe porte deux cornes ! Les deux cornes sont courtes et épaisses !165

Cette analogie entre le secret du roi Midas et celui du roi d'Ibembe nous a paru si grande qu'elle a mérité d'être aussi mentionnée, pour montrer que les récits de la mythologie grecque ont exercé une grande influence sur le roman de Tutuola. Après avoir établi ces quelques ressemblances entre L'ivrogne dans la brousse et les récits antiques, nous allons explorer aussi le côté architextuel, pour tenter de découvrir différents genres et motifs littéraires qu'intègre ce roman, dans sa capacité de phagocyter « tous les genres littéraires au-delà des frontières nationales et internationales.166»

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault