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La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean CASSIEN

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par Isabelle PEREE
Université de Strasbourg - Master 2009
  

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B. Pédagogie particulière.

La seconde conférence d'Abba Moïse nous éclaire sur la pédagogie du maître. Moïse cite Abba Sérapion qui racontait l'anecdote suivante aux jeunes, pour leur servir d'instruction.

Sérapion n'était qu'un enfant lorsqu'il habitait avec son maître Abba Théon. Il se met à dérober du pain après chaque repas pour le manger le soir en cachette de son ancien à qui il n'ose pas l'avouer parce qu'il a honte. Un jour, alors qu'Abba Théon reçoit certains frères dans sa cellule en vue de les édifier, il se met à parler du vice de gourmandise et de la tyrannie des pensées secrètes. La force de ce discours perce le coeur de Sérapion qui se met à sangloter puis à avouer sa faute en se prosternant aux pieds de son maître. Le vieillard ne le blâme pas mais l'assure simplement que sa délivrance est accomplie sans même qu'il ait dû dire une parole. L'aveu seul de la faute a délivré le jeune du péché et la vertu de cet aveu l'empêchera même de recommencer.

Cette anecdote que nous avons résumée est sans doute destinée à l'édification des très jeunes disciples. Sérapion étant un enfant, la pédagogie employée par le maître diffère sans doute quelque peu de celle que l'on emploierait pour guider un moine adulte. Moïse explique à ses visiteurs l'importance de tout dévoiler à l'ancien. Celui-ci ne peut, en effet, établir une relation de confiance avec le novice, que si le jeune lui ouvre son coeur en avouant ses erreurs. Cassien indique par ce texte, que la faute ne réside pas en réalité dans le pain dérobé mais dans le fait d'avoir caché son acte plusieurs jours à l'ancien.

Le but de la leçon donnée ici par le maître est moral et donc basé sur la conversion du disciple à la vérité. Aucune violence verbale, aucune semonce sévère et encore moins des coups pour ramener le disciple sur le droit chemin. Seuls sont en jeu le discours vrai et la patience : celle d'attendre que le disciple soit mûr pour s'amender. (Coll. 2)

Abba Poemen recommandait aux Pères d'encourager les jeunes, par crainte que les semonces ne les jettent dans le désespoir 95 . Nous observons que le maître préfère généralement user de patience plutôt que de punir le disciple. Mais tous les Pères ne semblaient pas pratiquer la même pédagogie.

Abba Jean, nous dit encore Cassien, s'était retiré dans un monastère près de Panephysis où le Père Abbé Paul gifla en public l'un des jeunes frères qui s'était présenté en retard dans le service de table. (Coll. 19)

Nous découvrons donc qu'il n'existait pas un type unique de pédagogie au désert. De même, l'âge importait peu. Un moine encore jeune pouvait être un maître, seules comptaient l'ampleur de son expérience et la grandeur de son âme.

La pédagogie du maître est progressive, comme Germain l'explique dans la seconde conférence d'Abba Isaac.

« En tout art, en toute discipline, on n'atteint pas d'un coup à la perfection ; mais les débuts sont nécessairement très simples, on part de ce qu'il y a de plus facile et de moins austère(...) Lorsqu'on a saisi les principes les plus simples et, pour ainsi dire, franchi la porte de la profession que l'on embrasse, c'est comme nécessairement et sans peine que l'on en vient à pénétrer ses secrets et que l'on atteint à sa perfection. Comment, en effet, l'enfant prononcera-t-il les simples syllabes s'il n'a d'abord bien appris à connaître les lettres ? » (Coll. 10)

La leçon délivrée par Cassien est qu'il ne faut pas brûler les étapes mais accepter de patienter dans les différentes phases successives traversées pendant la formation érémitique. Cet avertissement était sans doute destiné aux jeunes trop zélés qui voulaient être arrivés avant d'être partis !

Il appert à travers ces écrits que le maître se livre rarement à des leçons de morale. Il remet juste sur la voie et s'abstient avant tout de juger son disciple.

« L'union des deux perspectives : connaissance de notre pauvreté et connaissance de Dieu est un des thèmes de la littérature patristique » dit Dom Louis Leloir.

Pour former son disciple, le maître doit être humble et donc capable de connaître sa propre misère. C'est pour cela que, souvent, il se dit imparfait et que l'importance de la démarche monastique se situe, nous le redisons, dans la progression et non dans l'aboutissement. Tout comme le Christ, l'ancien apprendra à ses disciples à avancer pas à pas, se souvenant des préceptes de Jésus concernant la tour à construire.

« Si tu veux construire une tour, assure-toi que les fondations sont suffisantes pour supporter l'édifice, et vois si tu auras de quoi l'achever. Autrement, les gens vont rire de toi. » (Mt 7, 24)

Cette pédagogie de l'humilité est donc considérée comme fondamentale au désert et Dieu peut le rappeler aux Pères à l'occasion.

La relation maître disciple Abbas Antoine avait demandé à Dieu :

« Comment se fait-il, Seigneur, que certains ont une si courte vie et d'autres une si longue, que certains sont pauvres et d'autres riches, que les justes sont éprouvés et les impies laissés en repos ? Une voix avait alors répondu : Antoine, occupe-toi de tes propres affaires : tu n'es pas capable d'être instruit des profondeurs de Dieu 96 ! »

Le moine doit donc se laisser guider et attendre ce qui lui sera donné. C'est ce que cette anecdote nous dépeint avec clarté.

L'ancien attend une réponse de la part du disciple, l'application immédiate en quelque sorte de son enseignement, c'est pourquoi il le délivre à petites doses afin que le jeune moine ait le temps de tout assimiler. Le disciple ne doit pas se lasser du désert et le maître y veille bien. C'est d'ailleurs par la pratique des observances dictées que le novice oubliera son ennui et évitera l'acédie.

La pédagogie de la prière existe également. Au désert, elle est à la fois contemplation et action, elle est « mouvement » parce qu'elle fait partie intégrante de la démarche de foi du jeune moine. L'ancien encourage cette action priante et en donne parfois même l'exemple, lorsqu'un disciple qui attend une parole ne reçoit en retour qu'une image muette de son père spirituel en méditation. Celui-ci s'adresse à Dieu, démontrant au jeune que la réponse à certaines de ses questions ne se trouve qu'au coeur de l'oraison. A l'instar de Marthe, le disciple enthousiaste, trouve qu'il est plus aisé d'agir que de faire oraison, mais avec infiniment de patience, l'ancien lui rappellera que la force se trouve au coeur de la prière, osant même parfois renvoyer le novice seul à sa cellule, y chercher ce que son maître est incapable de lui donner : cet ancrage dans la « Présence » pour laquelle le moine a tout quitté.

« Vous voyez que le Seigneur établit le bien principal dans la seule théorie, c'est-à-dire dans la contemplation divine (...) Par ces paroles, le Seigneur place le souverain bien, non pas dans l'action quelque louable qu'elle soit et abondante en fruits multiples, mais dans la contemplation de lui-même, laquelle est en vérité, simple et une » (Coll. 1)

La discrétion ne s'acquiert au désert que si l'on est formé par un ancien.

« Elle discerne toutes les pensées de l'homme et ses actes, examine et voit dans la lumière ce que nous devons faire. » (Coll. 2)

Nous pourrions penser, par leurs diverses réflexions, que les novices du désert trouvaient logique de donner priorité à la charité qui les rapprochait davantage de Jésus, pensaient-ils, qu'en priant toute une journée dans leur cellule. Cassien exprime que cela pose

96 Paterica arméniens : 15,1 : III, 227. ( in D.Louis Leloir : « Désert et communion. » S0 n°26. Bellefontaine.1978.)

particulièrement problème à Germain qui demande à Abba Moïse comment on peut rester fidèle à l'oraison tout en sachant un frère malade ou lorsque l'ont doit rendre les devoirs de l'hospitalité à un visiteur. Il lui est répondu que selon la chair, il est impossible à l'homme de rester fidèle à la prière, mais en ramenant constamment l'esprit vers Dieu, il sera possible de ne pas s'éloigner de la contemplation du Christ. (Coll. 2) On retrouve une explication analogue dans l'Histoire lausiaque où l'on demande à un certain Abba Dioclès comment il est possible pour l'esprit humain de vivre sans cesse avec Dieu. Il répond ceci :

« Quelle que soit la pensée ou l'action à laquelle l'âme puisse être occupée, si elle est pieuse et ordonnée à Dieu, l'âme est avec Dieu L'ami du Christ, dit Pallade, désire demeurer dans un état de prière qui n'est rien d'autre qu'une charité agissante nourrie de la méditation du Nom de celui de qui tous les biens procèdent 97. »

La charité commence donc par « être tout à Dieu » au désert. C'est donc dans la prière qu'elle se trouve et se conçoit petit à petit.

Pour Cassien, la charité a pour acte la contemplation des choses divines. (Coll.1) Il nous indique qu'elle est Dieu Lui-même. (Coll. 16)

L'ancien qui met sans cesse le disciple en garde contre les assauts de la tentation l'invite à lui confier les moindres secrets de son âme car lui, saura comment transformer le péché en grâce, avec l'aide de Dieu. On observe que, très souvent, la fuite de la cellule constitue l'une des confessions principales du jeune moine ! Abba Serenus met en garde, lui, contre les mauvais conseils.

« ...s'ils retombent pour le punir sur celui qui les donne, ils ne laissent pas non plus celui qui leur obéit sans péché ni châtiment. » (Coll. 8)

Il est difficile de discerner clairement à qui Serenus veut faire allusion en parlant des mauvais conseillers. Il est, en tous les cas question d'hommes jaloux. Ceux-ci sont-ils moines ? Sont-ils gens du monde ayant encore quelque influence sur les moines ? On ne le sait, mais le vieillard a le discours farouche concernant les mauvais conseillers qu'il nomme « démons » et le disciple est donc fermement invité à prier Dieu avec ferveur de manière à ce que la crainte et la charité du Seigneur persévèrent en eux sans défaillance. (Coll. 8) La direction spirituelle est un art, dit Yves Raguin98, il s'agit d'un terrain où l'humain et le divin se rencontrent. Le maître doit distinguer ce qui vient de Dieu et ce qui vient du disciple, ce qui est indispensable pour une bonne conduite de la vie spirituelle. Il sera donc rigoureux quant au discernement de

97 PALLADE in « Histoire lausiaque » S0 n° 75 Bellefontaine. 1999.

98 Y.RAGUIN : « Maître et disciple. » DDB/Bellarmin.1985.

la vraie vocation et celle-ci sera vérifiée par l'empressement que le jeune moine aura envers la lecture assidue et la continuelle méditation des Ecritures, le chant répété des psaumes et son amour des veilles, jeûnes et prières. « La äzaêpzcrzç est cette capacité de jugement qui donne de connaître les hommes et de redresser leurs voies selon la volonté divine », écrit Pallade99, « c'est généralement le ministère exercé par l'ancien qui reçoit cette responsabilité en raison de la sainteté de sa vie. »

Nous avons dit, plus avant, que les anciens adaptaient leur manière d'enseigner aux divers tempéraments qu'ils rencontraient chez les jeunes moines en formation. Abba Antoine distinguait deux sortes de moines : les insouciants et les recueillis. Avec les premiers, il préparait des lentilles, faisait avec eux quelque prière et les congédiait. D'autres avaient droit à une conférence, un colloque qui durait toute la nuit concernant le salut100. Le discernement, élément essentiel de la pédagogie érémitique et monastique en général, est donc à faire dès le départ par le maître qui, nous l'avons déjà soulevé, ne peut pas traiter de la même manière un disciple indolent et un disciple appliqué. Il apparaît cependant qu'un tronc commun se dégage concernant la manière de former les jeunes moines : un élément pédagogique de la plus haute importance que l'on nomme obéissance !

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci