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La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean CASSIEN

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par Isabelle PEREE
Université de Strasbourg - Master 2009
  

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VI. Théologie du désert ?

A notre sens, parler d'une « théologie du désert » est à éviter. Cela voudrait dire que les Pères ont fondé un mouvement « à part » dont le discours diffère de celui de l'Eglise. Ce n'est certes pas le cas. C'est pourquoi nous préférons employer le terme de « doctrine » qui reflète davantage l'opinion des Pères et la théorie spirituelle qu'ils mettent en pratique au désert. Cette doctrine peut parfois se montrer différente de certains préceptes évangéliques fondamentaux, mais elle reste dans la tradition ecclésiale la plus pure. Athanase relève expressément le respect qu'Abba Antoine témoigne pour le clergé. Il n'y a ni chez Antoine, ni chez Cassien, de trace d'opposition entre les solitaires charismatiques et l'Eglise officielle 123.

Les thèmes des enseignements sont variés dans les Conférences, mais il est souvent question des vertus monastiques : contemplation, charité, renoncement, perfection, chasteté, abstinence, obéissance, science spirituelle, discrétion ou charisme et les oeuvres de Cassien donnent forme à tout cela.

Le discours est moral mais pas moralisateur, il s'agit de mettre le novice en garde et non de lui faire la morale « par principe » parce qu'il est nouveau et qu'il a tout à apprendre. L'ancien s'inclut tout entier dans l'enseignement moral, il est lui-même imparfait, se reconnaît comme tel et son discours est une mise en garde générale lorsque le disciple l'interroge sur un thème bien précis. Pour appuyer ses dires, l'ancien cite l'Ecriture à bon

121 Jean CASSIEN in « Les Institutions cénobitiques » SC 109. Cerf. 1965.

122 P. MIQUEL in « Le vocabulaire latin de l'expérience spirituelle. » N° 79. Beauchesne 1989.

123 Athanase d'ALEXANDRIE in « Vie d'Antoine » SC 400 Cerf. 1994.

escient. Les enseignements sont doctrinaires, ils visent la perfection intérieure, ce qui n'est pas rien ! Cette perfection est le but de toute vie religieuse. Abba Piamun explique que la perfection ne se situe pas dans la solitude de la cellule mais dans les vertus de l'homme intérieur. (Coll.18) La perfection, c'est la charité parfaite, nous fera comprendre Abba Chérémon, (Coll. 12) alors qu'Abba Isaac vantera le moine qui se retire en silence dans sa cellule afin d'y prier en secret, les lèvres closes.

Le monachisme est empreint d'une doctrine particulière, non pas parallèle mais certainement complémentaire au discours sur Dieu existant dans le monde. D'une part, l'on pourrait dire que l'enseignement donné est aussi divers que l'étaient les demandeurs du désert, d'autre part, on peut affirmer une certaine unification dans la manière de former les jeunes moines.

La doctrine du désert est établie sur les deux notions d'action et de contemplation qui reviennent à plusieurs reprises dans les discours des Pères. (Coll. 1) Cette distinction des deux notions leur est familière puisqu'ils vont jusqu'à établir une hiérarchie entre les deux.

Les deux sont utiles, certes, mais on ne peut nier que les Pères placent la contemplation sur un pied nettement plus élevé que l'action. La contemplation est prioritaire au désert et Abba Moïse ira jusqu'à dire que le Seigneur qui se tait au sujet de Marthe, déclare de manière tacite que Marie lui est supérieure. (Coll. 1) Cassien et Germain semblent choqués d'un pareil discours, les jeunes moines veulent accorder une place à l'hospitalité et au dévouement fraternel dans leur parcours spirituel et n'hésitent pas à citer à Abba Moïse les paroles de Mt 25, 34-35.

« J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire. »

Abba Moïse répond que les charismes du Saint Esprit sont bien plus sublimes puisque ce sont eux qui mènent à la charité. C'est donc dans la prière que l'on trouve la charité, la vraie, celle qui est donnée par l'Esprit et non pas dans une activité excessive qui laisse trop peu de place à Dieu. La foule entrave la contemplation considérée comme un idéal au désert, et même vers la fin de sa vie, Athanase montre Antoine importuné par beaucoup de gens et entraîné par eux vers la « montagne extérieure124 ».

Chez Cassien, la vie spirituelle est orientée vers la vie du Ciel, vie d'union avec Dieu- Charité. On y accède par le renoncement. La charité est à la fois un moyen et un but. Pour

124 Athanase d'ALEXANDRIE in « Vie d'Antoine » SC 400 Cerf. 1994.

Cassien, on ne s'élève à la charité parfaite que par l'expérience de la charité elle-même. (Coll.1)

Il appert que l'enseignement des Pères, contrairement à ceux du Christ, semblent un peu éthérés voire surnaturels. Jésus mangeait, buvait du vin, rencontrait ses disciples, enseignait les foules, priait à la synagogue avec le grand public, participait aux fêtes... Les anciens du désert, eux, ne font que prier.

« La solitude est une attitude intérieure », dit I. Gobry125, la fuite du monde permet non seulement la méditation mais encore la contemplation. L'originalité du monachisme réside dans le fait de se retirer dans une forme de silence intérieur, loin de toute préoccupation mondaine. Le moine parvient à l'oubli de lui-même pour se consacrer tout entier à la contemplation de Dieu. La véritable fuite du monde ne consiste pas à s'en séparer avec son corps, mais à retirer de son âme tout appétit charnel. L'homme pleinement libéré du monde, peut avoir envers ses frères une charité véritable.

La contemplation semble donc la seule fin du moine. Le contemplatif, dit A. Guillaumont, ne doit pas seulement avoir réalisé l'unité dans son activité, il doit aussi l'avoir réalisée en lui-même, en son âme, en mettant fin à la multiplicité des passions. Il faut être unique pour aller à l'Unique126.

Pour les Pères du désert, il faut « adhérer à Dieu sans cesse et lui demeurer inlassablement uni par la contemplation » au point de pleurer s'ils se laissent distraire, car ils se voient alors « déchus du bien suprême ».

S'éloigner de la contemplation, ne fut-ce qu'un moment, est considéré comme impureté puisque, en somme, toute la vie du moine est liturgie. Le règne de Dieu pour les moines, s'établit en eux dès qu'ils ont chassé les vices par le moyen de l'oraison contemplative. Oui, il est bien question de « doctrine du désert ». Cassien et Germain interrogent Abba Paphnuce sur sa « doctrine » :

« ... nous répondîmes que nous en avions à sa doctrine... » (Coll. 3)

La doctrine du désert captive parce qu'elle est sensiblement différente de celle transmise dans le monde : Abba Paphnuce pratique le libre-arbitre. Pour lui, Dieu ménage à tous des occasions d'être sauvé, mais il appartient à l'homme d'y répondre ou non. La doctrine ecclésiale, quant à elle, stipule qu'il nous faut une grâce particulière de Dieu pour répondre à son appel de manière efficiente. Paphnuce semble établir une hiérarchie concernant les

125 I.GOBRY in « De Saint Antoine à Saint Basile » Fayard 1985.

126 A.GUILLAUMONT in « Aux origines du monachisme chrétien » Paris 1979.

renoncements puisqu'il situe le troisième supérieur aux deux autres. (1. Renoncement corporel, 2. Renoncement de notre vie passée, 3. Renoncement qui consiste à retirer notre esprit des choses présentes pour ne plus contempler que les choses à venir.) (Coll.3)

Sans les deux premiers, impossible d'embrasser le troisième renoncement. Les richesses et les vices de l'homme intérieur durant la première vie adhèrent au corps et ce n'est que par l'ascèse qu'elles s'en détacheront. Paphnuce se situe légèrement en contradiction quant à la doctrine catholique : pour celle-ci, nous ne pouvons, par nos propres forces et sans un secours particulier de Dieu, répondre adéquatement à son appel. Or, Paphnuce nous dit que la manière de répondre à l'appel de Dieu dépend de nous. L'obéissance d'Abraham, dira-t-il, est sienne, c'est le « que je te montrerai » qui est grâce de Dieu. ( Gen. 12,1) L'ancien se contredira par la suite en disant que même si nous pratiquions les plus gros efforts, nous ne pourrions atteindre la perfection sans la coopération du Seigneur. S'agit-il alors d'une incompréhension de Cassien et d'une mauvaise retranscription de ce qu'il a entendu ou bien Paphnuce se reprendt-il parce que ses propos sont en marge de ce que prône l'Eglise ? C'est difficile à éclaircir, mais l'ancien dira encore que ce n'est pas le libre-arbitre mais le Seigneur qui délie les chaînes des captifs (Ps, 145,7) et déclarera clairement dans son discours que ce qu'il dit n'est pas pour déclarer inutile leur zèle mais pour bien les persuader que sans l'aide de Dieu, les seuls efforts ne sont pas efficaces. « Seul le Seigneur nous a rendu capables d'être les ministres d'une Nouvelle Alliance. » (Coll.3)

Germain relance l'ancien sur la question du libre-arbitre et demande comment il se fait que nous ne puissions estimer le salut comme une chose qui dépend de nous, si Dieu Luimême nous a donné la faculté de l'écouter ou de ne pas l'écouter ? Paphnuce répond que lorsque le Seigneur déclare : « Si mon peuple m'eût écouté... », Il montre qu'll a parlé le premier, ce qui établit à la fois liberté et grâce. Le libre-arbitre se prouve par la désobéissance du peuple. Paphnuce ne prétend donc pas, apparemment, détruire le libre-arbitre, mais a voulu prouver que, tous les jours, le secours de la grâce de Dieu est nécessaire.

Ici encore nous retrouvons des éléments de la doctrine du désert. Elle est morale et ressemble en bien des points à celle d'Origène qui prônait le libre-arbitre. On avait d'ailleurs accusé les moines d' « origénistes », ce terme étant devenu péjoratif puisque l'on insistait sur les points les plus faibles de la doctrine d'Origène, notamment la préexistence des âmes, la spiritualité des corps glorifiés et l'apocatastase. Pour Origène, en somme, le bien qui est en nous n'existe pas sans l'aide de Dieu mais cette aide n'est pas donnée sans un effort de notre part.

Après cet entretien sur les renoncements, Cassien et Germain se sentent découragés, car avec le premier renoncement seulement, ils croyaient déjà toucher le sommet de la perfection alors qu'ils n'avaient « pas encore entrevu, même en rêve, les cîmes de la vie monastique ! » (Coll.3)

Dans la Conférence IX, il apparaît que toute la fin du moine consiste en une persévérance dans la contemplation qui elle-même est un effort vers l'immobile tranquillité de l'âme. Le moine, avant de prier, doit faire le vide de toute pensée. Eclater de rire à cause d'un souvenir serait choquant pour la communauté monastique, quant à la colère, elle doit être bannie de l'esprit avant de commencer à prier.

L'oraison doit être fréquente mais courte, de peur que le démon en détourne le moine par des distractions. Cassien et Germain comprennent cet enseignement mais ils éprouveront du mal, visiblement, à intégrer la vraie nature de la prière au désert. Cassien nous précise que sa conception de la prière était de prendre des passages de l'Ecriture et de les méditer, alors qu'il apparaît, au contraire, que la prière des Pères soit bien différente de celle-là. Elle ne s'appuie sur aucun texte, aucun souvenir, mais dépend des dispositions préalables de l'âme à la contemplation. Pierre Miquel127 dit que constamment revient dans l'oeuvre de Cassien cette opposition entre l'expérience vécue et une simple connaissance verbale et livresque :

« Viendra un jour où, moins par la lecture que par une laborieuses expérience, vous posséderez la doctrine. » (Coll.14.)

On peut en déduire que même si la contemplation est le secret du désert et sa principale doctrine, celui qui ne l'a pas pratiquée est incapable d'en instruire les autres. Abba Nestéros dit qu'« il est impossible de connaître ou d'enseigner ces choses, à moins d'en avoir l'expérience ». (Coll.14)

Nous revenons une fois encore sur la notion d'expérience comme principale instruction au désert. Une doctrine se transmet et s'apprend, et l'on voit dans les deux discours sur la prière que l'ancien transmet la façon de prier au jeune disciple et si l'on n'apprend pas la contemplation à proprement parler, on peut apprendre à y tendre en encourageant le disciple à rester en cellule pour y prier. Et petit à petit, dans la persévérance de l'oraison, le jeune moine vivra cette expérience dont il pourra témoigner à son tour. L'expérience serait donc élément doctrinaire au désert.

Certains moines ont reçu le charisme de l'hospitalité (charité) qui est en quelque sorte une manière de vivre sa foi, alors que d'autres ont été appelés pour prier, mais les moines

127 P . MIQUEL in « Le vocabulaire latin de l'expérience spirituelle » N°79. Beauchesne 1989.

(actifs) hospitaliers ne sont apparemment pas les anachorètes, mais les cénobites. Il n'est donc pas question d'anachorètes actifs qui pratiquent la charité et l'hospitalité, comme le soin des malades par exemple. L'anachorète vit en cellule du travail de ses mains, prend s'il le souhaite un disciple à former, prie à des heures régulières, reste en silence et ne voit ses frères que le dimanche (peut-être aussi le samedi) pour la synaxe. Il arrive à quelques moines de recevoir des étrangers qui demandent « une parole » mais cela reste exceptionnel. Il n'y a pas officiellement de hiérarchie de valeurs mais il existe une différence affirmée entre le moine qui prie et celui qui oeuvre. Cassien enseigne que le moine ne peut faire les deux à la fois. (Coll.14)

Il invite à méditer l'Ecriture de manière à occuper l'esprit et l'empêcher de vagabonder en mauvaises pensées durant la prière. L'enseignement de Nestéros apparaît différent de celui d'Isaac (Coll. 9-10) qui voulait que la prière fut davantage une expérience d'intimité avec Dieu qu'une rumination continuelle de la Parole mémorisée. Il semble donc que pour Cassien, la charité ne consiste pas nécessairement à donner à manger au pauvre mais qu'elle soit une union spirituelle établie entre l'homme et Dieu (amour) d'où la nécessité de la « contemplation » pour être dit « charitable (aimant) ». Méditer en pensant au prochain échange spirituel est vain, on ne se met pas en relation avec Dieu pour autre chose que la relation même. C'est ce qui fera dire six siècles plus tard à Saint Bernard de Clairvaux : « La raison d'aimer Dieu, c'est Dieu même. » C'est alors que Dieu se manifeste au priant. Seule l'ascèse conduit à cette perfection qu'est la charité et la durée dans la contemplation, mais ce n'est guère facile pour un débutant car souvent, le moment de la prière le remet face à sa motivation de foi.

VII. Renoncements et luttes.
A. Ce que sont les renoncements.

Le renoncement précède l'ascèse. C'est en quelque sorte, la première étape de celle-ci. Il s'agit de « l'action par laquelle un homme se sépare volontairement de ce qui, en lui ou hors de lui, est opposé à Dieu 128 ».

Le disciple, débordant de zèle mais encore gonflé d'orgueil, se retrouve devant une montagne à surmonter. Est-il possible, du jour au lendemain, de renoncer, de lâcher tout ce qui a fait partie de son quotidien pendant plus ou moins vingt ans ? Et cependant, c'est dans la hâte que le disciple devra renoncer, car sans l'abandon de sa manière de vivre antérieure, il ne

128 Dictionnaire de la Foi chrétienne. T.1 : « les mots. » Paris/Cerf. 1968.

pourra jamais suivre son maître. Au désert, le jeune moine devient apôtre et les apôtres ont tout lâché d'un coup pour suivre le Christ. La modalité du départ au désert est l'immédiateté, dit N. Molinier129.

Abba Daniel dit que, souvent,

«... la grâce ne dédaigne pas de nous visiter au milieu de la négligence et du relâchement. Elle inspire et réveille, éclaire et châtie avec clémence afin d'éprouver le moine dans son inertie. » (Coll.14)

Pour l'ancien donc, même si le moine est relâché dans la prière ou l'observance, la grâce de Dieu, plus forte que tout, vient à son secours, au coeur même de sa pauvreté et de son relâchement. Abba Daniel ne vante pas les moines « chastes par nature » car ils n'estiment avoir besoin ni du labeur de l'abstinence, ni de la contrition du coeur. Sans vrai renoncement, il est impossible de survivre aux assauts de la tentation. Ainsi, l'on verra des frères qui ont tout quitté avec une apparente facilité et qui s'attacheront au moindre petit objet qu'ils ont la permission d'avoir dans leur cellule. Abba Daniel dit qu'il leur servira de peu d'avoir méprisé de plus grands biens.

« ...puisqu'ils ont reporté sur d'humbles et menues choses, la passion qui fait une obligation de renoncer aux premières. » (Coll.4)

Ils appliquent donc à des riens leur cupidité et leur avarice, ce qui prouve que leur ancienne passion n'est point retranchée mais n'a fait que changer d'objet. Leur âme est restée riche et ils n'ont pas compris le sens du renoncement. Le renoncement est une pratique quotidienne. Il n'est pas seulement matériel, mais spirituel également.

Le moine qui a quitté le monde est éloigné des « objets » qui, dans le monde, pouvaient le tenter ou le distraire, mais il lui reste le souvenir ou la représentation de ces objets, ce que l'on appelle « les pensées 130 ».

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein