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Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

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par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

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7) O, l'extrême gauche associative

Pour ce jeune militant le Maroc ne fait pas exception dans le printemps arabe, et le 20 février n'est pas une tentative de copier les soulèvements voisins, mais incarne le symptôme d'une colère qui couve depuis très longtemps. Selon lui la « Ben Alisation » de la politique marocaine a commencé à partir de 1999 avec le changement de règne, qui a décuplé la puissance du makhzen économique sous les apparences d'une ouverture politique et d'une manière plus relâchée de gérer la contestation. La crise sociale et le divorce politique entre l'élite makhzénienne et le peuple, n'a pas cessé de se manifester à travers les boycotts répétés aux élections (30% de participation aux législatives de

2007) et la multiplications des mouvements sociaux, dont les soulèvements de Sidi Ifni et Bouarfa en 2008 sont emblématiques69.

Pour O, il ne fait aucun doute que la transition démocratique est un échec, mais pire que ça c'est un échec qui se perpétue sous le récit d'un progrès à venir, perpétuellement à venir. Pour O, le pays est plus corrompu que jamais, et il y a toujours autant de bidonvilles, d'illettrisme, d'inégalité. Quant à l'IER (instance équité et réconciliation), qui devait tourner la page des << années de plomb >>, il s'agit également d'un échec de même nature, les recommandations de l'instance n'ont provoqué aucun changement effectif dans la manière de gouverner et de considérer l'opposition politique, et les tabous liés à la monarchie, à l'islam et au Sahara occidental demeurent présents et insolvables en l'état actuel.

Le mouvement du 20 février symbolise pour O l'avènement d'une génération syncrétique, qui reprend le flambeau des luttes précédentes, des combats inachevés de la génération précédente, en y apportant les nouveautés méthodologiques et idéologiques du temps présent. Pour lui, qui se considère comme un militant d'extrême gauche, la question de la lutte des classes n'a pas fondamentalement changé, les inégalités sociales et la spoliation des richesses par une oligarchie capitaliste en accointance avec l'Etat restent d'actualité. Le mouvement du 20 février ne peut pas rester indifférent à ce sujet et ne réclamer que les libertés individuelles et la démocratie, car c'est un << tout >> qui amène les gens à sortir, formant un mouvement de contestation dont les revendications sont sociales et politiques. La justice économique est indissociable des exigences démocratiques. Et la puissance de ce mouvement réside dans cette radicalité qui réclame une transformation réelle et immédiate, sans tergiversation ni compromis. En effet ce qui fait le liant de ce mouvement par ailleurs hétéroclite c'est la volonté de porter ses fruits tout de suite, sans médiation, sans échéance, car les participants savent trop bien que le temps joue en faveur du régime. Il a toujours joué en sa faveur, le mouvement peut tout perdre en se modérant ou en acceptant des compromis.

69 Au sujets des soulèvements de Sidi Ifni et Bouarfa, voir l'enquête sociologique menée par K. Bennafla et M. Emperador (Cf bibliographie)

Pour O le mouvement du 20 février a fait une erreur, en pensant conquérir l'opinion en avançant des revendications concrètes (nouvelle constitution, dissolution du gouvernement et du parlement), il a en fait faciliter la tâche du régime, qui a pu s'appuyer sur ces thèmes pour que << tout change afin que rien ne change >>70. Ce n'est pas pour rien que le régime a réagi immédiatement avec la déclaration du roi du 9 mars, déclarant la préparation d'une réforme constitutionnelle qui comblera les attentes de tous. C'est ce qu'a toujours fait le régime à chaque fois qu'il se sent acculé et en position de faiblesse pour redorer son blason et étouffer le contenu réel des réformes souhaitées. Le régime a utilisé ce flou perceptible au sein du mouvement concernant la forme du changement souhaité. Le << changement constitutionnel >> voulait dire pour certains militants mettre fin à l'autocratie, pour d'autres il voulait dire << monarchie parlementaire >>, pour d'autres encore il signifiait instaurer la république. Mais pour le régime ce flou revendicatif a été une aubaine, qui a permis de jouer le jeu de la << monarchie soft >> en avançant une proposition dans la pure tradition du roi providentiel, plutôt que de s'offusquer contre quelque chose perçu comme une atteinte à la nature monarchique du Maroc et en conséquence être obligé de réprimer le mouvement (ce qui aurait eu de graves répercussions au niveau de l'opinion nationale et au niveau de ses relations avec l'Europe et les Etats-Unis). Alors qu'au début c'était le régime qui était acculé, c'est au tour du mouvement d'être sommé d'avancer une réponse à cette proposition. L'histoire montre que quand c'est le makhzen qui propose, on peut être sûr d'avoir déjà perdu, déclare O ironiquement.

Concernant la structure du mouvement du 20 février, O nous explique son fonctionnement horizontal et se réjouit de faire parti d'un collectif où << on est tous des têtes pensantes >>. Pour lui le 20 février est une réussite organisationnelle, une machine de guerre redoutable, et en tout cas inédite au Maroc, dans cette dimension antibureaucratique et qui a pourtant réussi a se greffer dans tous les recoins du Maroc avec une rapidité incroyable, comme si une même intention était en germe dans le corps social du pays tout entier. Questionné sur la forme du leadership du mouvement, dont l'absence proclamée par le mouvement perturbe tous les référentiels d'analyse, O confie

70 Comme le soutient M. Madani dans son ouvrage le paysage politique marocain (2006), le recours à la réforme constitutionnelle au Maroc est davantage une stratégie des acteurs qu'une volonté de produire une nouvelle philosophie politique. La réforme constitutionnelle fait partie de << l'arsenal des coups politiques légitimes >>.

que le refus du mouvement de reconnaître un leadership particulier ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas de leaders. Il y en a mais ils sont beaucoup plus bridés par la force du collectif que dans les structures politiques ou syndicales traditionnelles. On accepte l'idée du charisme, et le fait que certaines personnes soient mieux dotées que d'autres en habilité politique, en capacité à conduire un groupe, à proposer des idées etc... Mais il n'y a jamais d'attributions officielles, et derrière la stricte égalité de pouvoir il ne subsiste que l'autorité naturelle des gens de confiance. C'est une expérience intéressante de démocratie, l'idée qu'on ne peut jamais se reposer sur ses lauriers, qu'on a à persuader et convaincre ses camarades en permanence, que rien n'est acquis par la grâce d'une fonction conquise, ou grâce à l'appui d'un clan. En quelque sorte et de façon pas très surprenante, c'est l'anti-thèse de la politique version Makhzen, résume-t-il.

Pour O, le mouvement a bien géré les contentieux initiaux que tout le monde redoutait au sein des pionniers du mouvement. Notamment le sort des relations entre les forces de gauches et les islamistes. Ceux qu'a priori tout sépare se sont avérés en réalité ceux qui ont le plus fait d'efforts pour réaliser l'unité du mouvement. Selon O, les changements identifiables dans l'attitude des militants d'al-Adl wal-Ihssan sont remarquables. Il y a eu presque immédiatement une bonne gestion du dialogue entre l'extrême gauche et les adlistes, qui ont mis de côté leurs velléités de prise de contrôle du mouvement. Contrairement à l'USFP, qui selon O a gangrené le mouvement dés le début, et avec lequel il a fallu clarifier les choses laborieusement, frôlant parfois la rupture brutale avec certains militants ittihadis désireux de prendre les rênes du mouvement, ou de le bloquer en cas de désaccord. Ce qui était absolument en contradiction avec la volonté des militants fondateurs de générer un mouvement autonome, qui n'exclut personne, mais qui veille à ce qu'aucune force politique ne lève la tête plus haut que les autres.

Au sein du mouvement du 20 février, O ne représente pas une chapelle partisane, mais il est connu pour être un militant de l'extrême gauche associative dont « ATTAC-Maroc » est l'acteur emblématique. Une extrême gauche qui n'aborde pas le politique par le national, à l'instar d'Annahj, mais qui le saisit sur le plan international en premier lieu, en produisant une critique du libéralisme mondialisé, dans laquelle ensuite viennent s'inscrire les enjeux politico-économiques marocains. La critique internationale et l'action locale sont indissociables dans l'identité d'ATTAC-Maroc, comme elles le sont d'ailleurs pour les divers regroupements d'extrême gauche plus ou moins autonomes et

structurés au Maroc. Pour O, c'est une lutte permanente qu'il faut mettre en place, il s'agit de répandre partout la pratique de la désobéissance civile, la pratique des manifestations spontanées (flashmob) comme le pratique quotidiennement la coordination du 20 février à Al-Hoceima pour montrer au quotidien qu'une forme de renouveau attend son heure, et ainsi habituer les citoyens marocains à entendre un autre son de cloche.

O se décrit comme un casablancais en exil à Rabat. Si Casablanca est une ville très dynamique, plus « métropole » que Rabat, en revanche la capitale du royaume recueille la fine fleur du militantisme et les sièges des plus grands partis et des plus grandes associations de la société civile marocaine, ce qui en fait donc un lieu politique incontournable, et cela se mesure aisément à cette espèce de préséance tacite que conserve la coordination de Rabat sur les autres coordinations du 20 février. Il est de coutume au Maroc, même dans un mouvement qui se réclame de l'autonomie locale, d'accorder la préséance à la capitale, surtout dans l'organisation des événements nationaux. C'est le résidu indissoluble de centralisme qui reste dans un mouvement qui se veut avant tout synchronisé et unitaire.

O est l'exemple parfait du militant socialisé dans un environnement familial des plus politisé. Toute sa famille est à l'extrême gauche précise-t-il, à l'instar de son père, qui est un ancien prisonnier politique et militant du PADS. O a fait des études d'économie à l'université de Casablanca, il a une licence en analyse financière et un master en sociologie politique. Un parcours universitaire qui lui permet d'exercer comme journaliste au quotidien économique marocain les Echos. O rejoint les altermondialistes d'ATTAC-Maroc en 2002, et devient vice-président de l'association en 2007, poste qu'il occupe jusqu'en 2009. Il tient à préciser qu'ATTAC-Maroc n'a plus grand-chose à voir avec l'association française dont elle est issue, et qui selon lui n'est pas vraiment une association qui vise l'action locale. Situé à Akkari, un des quartiers les plus populaires de Rabat, le siège d'ATTAC-Maroc recueille depuis le mois de mars un bon nombre de militants du 20 février, et est à l'origine de la remise sur pied du comité de quartier local. Un modèle d'organisation politique par le bas que le mouvement du 20 février tente de réactiver.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo