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Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

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par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

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10) D, le cadet

D est un militant singulier par son très jeune âge. A 16 ans il est le cadet de la coordination de Rabat, à laquelle il a pris part après la manifestation nationale du dimanche 20 février. D manifeste très tôt dans son enfance un goût pour la politique et le débat d'idées.

Sa socialisation politique, s'il l'a doit en premier lieu à son milieu familial, très politisé, D affirme cependant avoir bâti sa propre trajectoire. C'est grâce aux chaînes satellitaires panarabes, dit-il, qu'il a pu suivre avec assiduité la guerre israélo-libanaise de 2006. D'ailleurs il regarde toujours autant al-Jazeera, al-Arabia, ou encore al-Manar la chaîne TV du hezbollah, depuis cette époque. En 2006 il n'avait alors que 12 ans, mais suivait le déroulement des événements libanais à la manière d'un feuilleton palpitant. Quand il se passe des choses au Liban ou en Palestine, c'est tout les arabes et les musulmans qui se sentent concernés, ajoute-t-il. Deux thématiques politiques le touchent particulièrement : la question de l'impérialisme et celle de la répartition des richesses. L'impérialisme c'est l'autre nom de la malédiction, D nous affirme qu'il existe des forces qui contraignent les pays pauvres à demeurer sous-développés (les premiers responsables ce sont les Etats-Unis), et qui ont la même attitude qu'Israël envers les palestiniens. Pour lui l'impérialisme et le sionisme sont apparentés, ils fonctionnent ensemble. Pour D tout est fait pour que les peuples ne prennent pas conscience de leur propre soumission. Tout est fait pour arrondir les angles et empêcher la révolte. D en fait l'expérience au lycée, il avoue ne pas se sentir bien compris par les gens de son âge dans ces thématiques politiques qu'il affectionne, et qui sont absconses pour tous, à part quelques rares compagnons qui partagent son enthousiasme.

Ce qui est intéressant dans le processus de politisation de D c'est la manière dont les
problématiques marocaines en ont été préalablement exclues. A ses débuts, dans ses

premières lectures et ses premières discussions, il s'agit uniquement de la problématique moyen-orientale, de l'histoire européenne ou des Etats-Unis. L'histoire de son propre pays le désintéresse, il n'a d'yeux que pour les choses qui l'éloignent du lieu de son expérience quotidienne. C'est plus tard (encore que pour D tout se joue en l'espace de deux années et quelques mois) qu'il prend conscience, ou en tout cas qu'il prend connaissance, des enjeux marocains, de l'histoire de la lutte démocratique, dans laquelle son père et ses oncles ont pris part. Son père est un ancien militant du PSU, et ses oncles, dont l'un (mort en 2004) a été un des fondateurs du PADS, ont fait plusieurs années de prisons sous Hassan II. Pourtant D nous confie qu'il n'a jamais abordé un sujet politique avec son père. Alors qu'il n'a jamais été exclu des conversations d'adultes, et qu'il a toujours eu l'habitude de parler de sujets politiques avec ses oncles, sa tante et son grand-père, ce n'est que depuis qu'il a rejoint le mouvement du 20 février qu'il commence tout juste à parler de politique avec son père.

Bien que tout jeune militant en herbe, expérimentant sa première mobilisation, D n'a pas une place négligeable au sein du mouvement. Son statut de lycéen lui confère un rôle de courroie de transmission avec le monde des lycéens. Comme tous ses camarades du 20 février qui occupent encore le banc des lycées (et il y en a peu), il est l'oeil, l'oreille et la bouche du 20 février au sein de son établissement scolaire. On sait quel rôle majeur joue le soulèvement des lycées dans l'histoire du Maroc, à l'instar des soulèvements de mars 1965.

D contribue donc à la diffusion du mouvement dans ces lieux de prédilection, il rapporte les informations disponibles sur l'état d'esprit des lycéens, et organise régulièrement de petits comités au sein du lycée Le 21 avril au Lycée Abidar Ghifari de Rabat, D accompagné de trois camarades ont élevé un drapeau du 20 février et une banderole arborant le slogan « Nous voulons un système éducatif démocratique et populaire » au beau milieu de la cour principale de l'établissement. Le drapeau est resté une heure, commente-t-il amusé. Mais ce rassemblement, pas très bien organisé concède-t-il, a tout de même ameuté une cinquantaine de personnes intriguées. Autant dire une petite victoire. Etonnement l'administration du lycée n'a pas réagi par des sanctions disciplinaires, elle est restée plutôt neutre, peut-être parce qu'elle ne voulait pas voir la contestation grandir en réagissant trop violemment.

L'engagement de D au sein du 20 février est l'aboutissement d'une socialisation aux cercles militants qu'il a débuté à la rentrée scolaire de l'année 2010. Pendant cette période où D fait ses premiers pas de lycéen, il se rapproche d'Amnesty International. L'organisation était venue dans son établissement organiser des interventions de sensibilisation aux droits de l'homme, qui l'ont immédiatement séduit. Il est devenu membre de l'ONG très rapidement. La question des droits de l'homme l'intéresse au plus haut point, et au sein d'Amnesty il rencontre de nombreux militants qui l'instruisent et lui proposent de participer à des ateliers de formation. Pour une structure comme Amnesty, avoir auprès de soi un jeune comme D c'est un atout pour gagner l'opinion des jeunes gens que D est susceptible de côtoyer tout au long de son parcours scolaire. Pour D, cette structure est une aubaine, elle n'est pas un parti politique (structure dont D ne se sent pas encore prêt à intégrer les rouages) et fonctionne plutôt comme une petite communauté d'amis, réunis autour de valeurs universelles à défendre. Au sein d'Amnesty, D participe à des ateliers de sensibilisation aux droits de l'homme, et à des ateliers de formation au plaidoyer. Ces ateliers sont constitués d'une vingtaine de personnes avec deux personnes pour guider les débats. Il y est question entre autre de savoir comment bien utiliser les outils de communication disponibles pour, par exemple, mettre en place un appel à la solidarité, ou encore de prendre connaissance des diverses manières de construire un plaidoyer, et les techniques de communication qui sont utiles pour gagner un auditoire et ne pas l'ennuyer. Au coeur de ce lieu d'apprentissage concret, on gagne en enthousiasme car on se sent de plus en plus << capable >> confie-t-il. De plus l'individu est toujours accompagné, soutenu, et motivé par le collectif, le militant est tout de suite bien entouré ; s'il est content de son engagement, alors le collectif sera toujours là pour l'épauler.

Au sein du 20 février D fait une autre rencontre. Déjà intéressé par l'AMDH avant la mobilisation marocaine de 2011, le mouvement du 20 février est l'occasion pour lui de rencontrer les jeunes militants de l'AMDH. Ceux-ci l'ont aidé pour les démarches d'inscription. Agé de 16 ans, D est encore trop jeune pour être membre à part entière de l'AMDH. En revanche il a pu devenir un << ami de l'AMDH >>, qui est statut reconnu spécialement pour les sympathisants, et qui leur permet d'accéder à certains événements organiser par l'AMDH. A ce titre D participe aux << colonies de l'AMDH >>, qui sont une sorte d'université d'été pour les jeunes, organisée pendant le mois de juillet dans différentes villes du Maroc. C'est l'occasion pour D, en période de vacance

scolaire, d'approfondir son apprentissage de militant des droits de l'homme, et d'aller à la rencontre d'autres jeunes.

Concernant les partis politiques, D n'exclut pas l'hypothèse d'en rejoindre un dans un futur proche. Au sein de la coordination du 20 février de Rabat sa sensibilisation au contexte partisan est inévitable, car il est entouré essentiellement de jeunes militants de partis politiques. Et à l'AMDH, il va sans dire que la vie politique et partisane est intimement liée à l'organisation. A l'intérieur D y fait la rencontre d'Amina B, qui en plus de sa casquette de militante des droits de l'homme, est aussi membre du PSU et du comité de soutien au 20 février. C'est Amina qui l'a aidé à organiser le rassemblement au sein de son lycée le 21 avril. En plus du drapeau, du mégaphone et de la banderole, Amina lui a donné de précieux conseils. D nous confie que c'est grâce à des personnes comme Amina qu'on a envie de faire des choses, qu'on ne se sent pas seul pour agir. C'est d'ailleurs encore Amina qui l'appelle pour assister à des réunions du PSU, et alors qu'il était préalablement tenté de rejoindre le PADS, D conçoit bien à présent que son affinité nouvelle pour le PSU lui est largement redevable. A cet égard et pour conclure, il serait particulièrement intéressant d'étudier, en prolongement des travaux de M. Bennani Chraïbi sur la politisation75, et à la manière des travaux de Jean Birnbaum sur les transmissions militantes dans le trotskisme français76, les diverses techniques et approches adoptées par les structures partisanes marocaines pour recruter leurs bases militantes.

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