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Associations paysannes et développement durable: entre discours et réalités. Etude de cas: projet de l'ONG Propetén en partenariat avec 3 associations maya Q'eqchi' du nord du Guatemala.

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par Sandra Benotti
Université Aix Marseille  - Anthropologie et Métiers du Développement durable 2013
  

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    Juin 2013

    Master d'anthropologie

    Spécialité Professionnelle « Anthropologie & Métiers du Développement

    durable »

    [TH T7 Mémoire de recherche appliquée

    Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
    réalités. Etude de cas: Projet de l'ONG ProPetén en partenariat avec
    3 associations Maya Q'eqchi' du Nord du Guatemala.

    Sandra B[NOTTI

    Directeurs :

    Madeleine Vernet-Lavastre
    Jean-Marc De Grave

    Juin 2013

    Master d'anthropologie

    Spécialité Professionnelle « Anthropologie & Métiers du Développement

    durable »

    [TH T7 Mémoire de recherche appliquée

    Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
    réalités. Etude de cas: Projet de l'ONG ProPetén en partenariat avec
    3 associations Maya Q'eqchi' du nord du Guatemala.

    Sandra B[NOTTI

    Directeurs :

    Madeleine Vernet-Lavastre
    Jean-Marc De Grave

    Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l'auteur et ne sauraient en aucun cas engager l'Université de Provence, ni le directeur de mémoire.

    4

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Remerciements

    Je souhaite en premier lieu remercier Madame Rosa Contreras, Directrice de la Fondation ProPetén qui m'a donné l'opportunité de réaliser mon stage dans les meilleures conditions en m'accordant autonomie et confiance et en m'intégrant à l'équipe de l'ONG.

    Il en est de même pour l'ensemble de l'équipe de ProPetén qui m'a soutenue et m'a permis d'enrichir mes connaissances grâce aux spécialités de chacun. En particulier, un grand merci à Carlos, avec qui j'ai partagé un bureau pendant ces quelques mois et qui m'a appris énormément sur l'agronomie, et à Oscar, avec qui j'ai pu débattre longuement sur la politique, l'histoire et les problématiques culturelles au Guatemala.

    Je tiens ensuite à remercier tout particulièrement Francisco Xuc Sacul, Jorge Sacul Cuz, Manuel Enrique Caal Saquij, et José Cho Tacaj, présidents et secrétaires des trois associations d'agriculteurs maya q'eqchi' avec lesquelles j'ai travaillé, ainsi que leurs familles respectives qui m'ont chaleureusement accueillie plusieurs jours chacune, ce qui a facilité mon travail de terrain dans leur village. Ils m'ont aussi beaucoup aidée à la traduction du Q'eqchi'.

    Enfin, je tiens à remercier ma directrice de mémoire, Madeleine Vernet-Lavastre, ainsi que ma famille, et l'ensemble des personnes qui m'ont appuyée dans la réalisation de ce mémoire, pour leurs conseils, avis critiques et encouragements.

    5

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Sommaire

    Introduction

    .7

    Première Partie : Le projet de l'ONG d'accueil dans 3 organisations paysannes. Objectif

    de renforcement des Organisations Paysannes pour un Développement Durable

    .11

    1-1 Contexte du pays et de la région

    11

    1-2 Particularités et relations des acteurs principaux du projet

    15

    1-3 Le projet du stage pour un développement sur base communautaire

    20

    1-4 Ma place d'anthropologue dans ce contexte de médiation institutionnelle

    23

    Deuxième Partie : Les associations paysannes comme condition nécessaire au

    .33

    développement communautaire durable

    2-1 Les associations paysannes

    33

    2-2 Les résultats obtenus des diagnostics et des plans de développement

    40

    2-3 Les capacités des associations paysannes

    ..54

    Troisième Partie : Des limites et difficultés qui relativisent cette approche idéale

    .67

    3-1 Les difficultés liées aux discours du développement : Décalage entre objectifs et

    67

    réalisations effectives

    3-2 Les difficultés liées au contexte socio-économique et politique

    88

    3-3 Les difficultés liées aux acteurs

    .91

    Conclusion

    ..104

    Bibliographie

    ..106

    6

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Table des abréviations

    BID Banque Interaméricaine de Développement

    CIJ Cours Internationale de Justice

    COACAP Coordination des associations de paysans dans le sud du Petén et appui

    au renforcement organisationnel et à la commercialisation de leurs produits

    CONAP Conseil National des Aires Protégées

    CR Communauté Rurale

    FAO Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture

    IDH Indice de Développement Humain

    KFW Kreditanstalt für Wiederaufbau (Établissement de crédit pour la

    reconstruction)

    MARP Méthode Accéléré ou active de Recherche Participative

    OMAL Observatoire des Multinationales en Amérique Latine

    ONG Organisation Non Gouvernementale

    OP Organisation Paysanne

    OPR Organisations Paysannes et Rurales

    PDC Plan de Développement Communautaire

    PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement

    SIGAP Système Guatémaltèque des Aires Protégées

    SMBC Société Mésoaméricaine de Biologie de la Conservation

    TDR Termes De Références

    USAID United States Agency for International Development

    Introduction

    « Dans les pays du Tiers Monde, les paysans ignorants et paresseux n'existent pas, car ils

    sont morts depuis longtemps. »

    R. Chambers, 1983

    Ce mémoire d'anthropologie appliquée s'inscrit dans le cadre du Master Professionnel « Anthropologie et Métiers du Développement Durable ». Au début de mon cursus universitaire j'ai eu l'occasion de vivre une année au Mexique. Ce séjour m'a permis de m'intéresser à des problématiques spécifiques à cette région : les mouvements indigènes, les enjeux ruraux face à la pression agraire et le fort taux d'émigration. Ces problématiques avaient déjà largement influencé le choix du sujet de mon mémoire bibliographique de Master 1, Ceux qui restent : changement social et développement rural des non migrant-e-s dans une perspective de genre1. J'ai eu la possibilité de pouvoir retourner sur le continent américain, dans la région d'Amérique centrale pour mon stage de Master 2, au Guatemala. J'ai été intégrée à l'équipe d'une ONG (Organisation Non Gouvernementale) nationale guatémaltèque, la Fondation ProPetén. Cette ONG se consacre principalement à la conservation du patrimoine culturel et naturel dans une région de forêt tropicale au nord du pays, le Petén. L'ONG coordonne plusieurs projets, dont celui de production et de commercialisation de cacao, qui a été initié il y a deux ans avec trois communautés2 du groupe Maya Q'eqchi' au sud de la région. Par le biais de mon stage, j'ai été associée à ce projet.

    Les missions qui m'ont été confiées par l'équipe de l'ONG à travers les termes de référence (TDR) consistaient en la réalisation de diagnostics communautaires participatifs et de plans de développement avec les trois communautés rurales concernées par le projet: La Compuerta, Poité Centro et San Lucas Aguacate. Les documents de diagnostics communautaires que j'ai réalisés de manière participative permettent de dresser un état des lieux général, incluant la situation politique, économique, organisationnelle, géographique, sociale et culturelle des

    1 Benotti S., 2012, Mémoire de recherche bibliographique. Ceux qui restent : changement social et développement rural des non migrant-e-s dans une perspective de genre. Dir. VERNET-LAVASTRE M. et BOUJU J., Université de Provence : 78 p.

    2 Le terme « communauté » (comunidad) est utilisé en Amérique latine et Amérique central pour désigner les villages (pueblo). Tandis que le premier a un aspect plus marqué pour le groupe culturel et le sentiment d'appartenance, le second se rapporte plutôt à l'aspect géographique. Nous utiliserons alors les deux termes le long de ce mémoire.

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    groupes. Il s'agit aussi de mises en perspectives des ressources et des carences matérielles et immatérielles ressenties, justifiant les priorités d'action. Quant aux plans de développement, je les ai réalisés à partir des résultats des diagnostics. Ils permettent de décrire et de planifier les activités choisies. L'élaboration de ces documents était importante pour l'ONG : elle avait pour but de renforcer les organisations paysannes et la participation locale des populations concernées par ses projets. Ayant eu une fonction de médiation entre plusieurs acteurs (associations d'agriculteurs et l'ONG ProPetén), cet angle d'observation m'a permis une réflexion multidimensionnelle portée sur les interactions entre les groupes d'acteurs.

    J'ai alors décidé de centrer mon analyse sur les interactions entre ces groupes, ainsi que sur les décalages ou corrélations entre les discours du développement et la réalité de terrain. Comme exemple central, je me suis basée sur l'analyse du projet de production de cacao sur lequel j'ai travaillé tout particulièrement, en me faucalisant sur les trois associations paysannes avec lesquelles l'ONG ProPetén a entrepris ce projet. Ces dernières années, ces associations communautaires se sont multipliées, comme bien d'autres, dans les zones rurales guatémaltèques. Elles sont, de tous les niveaux d'acteurs de développement reconnus institutionnellement, les plus ancrées au niveau local. J'ai trouvé très important de s'intéresser de plus près aux personnes qui décident au quotidien de l'utilisation des ressources pour l'agriculture, c'est-à-dire les agriculteurs eux-mêmes ainsi que leurs familles. En effet, ce sont eux les premiers concernés par la gestion concrète des projets ruraux. Il est donc intéressant d'analyser leur place dans les processus de prise de décision et d'organisation. Même si l'étude des programmes agricoles et de leur durabilité au niveau global est utile et nécessaire, elle n'a plus de sens si on n'étudie pas les mécanismes locaux. Ce ne sont ni les interprètes de statistiques internationales, ni les rédacteurs de rapports mondiaux qui participent à la prise de décisions au quotidien sur les parcelles agricoles. Certes, les personnes extérieures influencent les montages économiques et politiques à l'intérieur desquels les agriculteurs fonctionnent, mais les actions tangibles seront toujours celles des agriculteurs.

    Le renforcement de ces groupes locaux suscite aujourd'hui l'enthousiasme des pourvoyeurs d'aides bilatérales et de la société civile dont l'ONG ProPetén. Ceux-ci reconnaissent l'utilité des associations locales en tant que vecteur de développement durable. Les associations locales d'agriculteurs remplissent de nombreuses fonctions, telles que la représentation des intérêts de leurs membres, l'accès à plus de services, ou plus largement, la défense de leurs causes dans le cadre des actions de plaidoyer. Néanmoins, les organisations d'agriculteurs

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    rencontrent encore de nombreuses difficultés liées au contexte global dans lequel elles s'insèrent. Elles sont conscientes de leurs limites, comme le font remarquer G. Faure, J-F Leqoc et N. Rodriguez (2011)3.

    Cette place singulière des associations d'agriculteurs et les processus qu'elle engendre m'ont permis de réfléchir sur des angles de recherche appliquée à partir des interrogations suivantes :

    ? Dans quelles mesures les associations d'agriculteurs peuvent-elles contribuer au développement durable de leur localité ?

    ? Comment leurs capacités d'influence sur les orientations stratégiques individuelles et collectives se manifestent?

    ? Ces stratégies d'acteurs s'inscrivent-elles réellement dans une démarche de développement durable et de participation ?

    ? Quelle est l'importance des discours véhiculés par les institutions internationales dans la pratique?

    Nous chercherons donc à répondre à ces interrogations à travers l'analyse du contexte guatémaltèque et des acteurs décrits ci-dessus en particulier. Les résultats de ce mémoire proviennent à la fois des activités réalisées pendant mon stage, de l'ethnographie sur le terrain, et de l'étude de la bibliographie locale, internationale, institutionnelle et de sciences sociales sur ce sujet.

    Nous commencerons par exposer le contexte général du projet de production de cacao, les particularités de la région ainsi que le contexte relationnel entre les acteurs principaux : l'ONG ProPetén et les trois associations d'agriculteurs. Nous analyserons aussi les tâches qui m'ont été confiées en tant que stagiaire et ma place d'anthropologue dans ce contexte de médiation.

    Nous nous demanderons ensuite dans quelle mesure les associations paysannes sont nécessaires au développement communautaire durable. Pour cela, nous nous baserons sur les

    3 In FAURE G., LE COQ J-F. & RODRIGUEZ N., 2011, « Émergence et diversité des trajectoires des organisations de producteurs au Costa Rica », Économie rurale, n°323, Société Française d'Économie rurale: p. 55-70.

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    résultats obtenus des diagnostics et plans de développement effectués, ainsi que sur l'examen des différentes forces d'action, telle que la capacité stratégique de ces associations.

    En dernier lieu, afin d'élargir notre réflexion à un niveau plus global, nous proposons d'étudier les contraintes et limites liées au discours sur la participation et sur la notion de « localité ». Nous analyserons aussi les obstacles liés au contexte général socio-économique et politique, auxquels les associations locales ne peuvent pas toujours faire face.

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Première Partie : Le projet de l'ONG d'accueil dans 3 organisations paysannes. Objectif de renforcement des Organisations Paysannes pour un Développement Durable

    1-1 Contexte du pays et de la région

    1-1-1 Le Guatemala

    La République du Guatemala est un pays d'Amérique centrale qui occupe une superficie de 108,890 km2 et qui compte 14,2 millions d'habitants. Il est frontalier du Mexique au Nord, du Belize à l'Est et du Honduras et du Salvador au Sud. Le pays est bordé par l'océan Pacifique à l'Ouest et par la mer des Caraïbes sur la côte Est. L'Amérique centrale est fréquemment victime de catastrophes

    naturelles (éruptions volcaniques,
    séismes et ouragans dans la région caribéenne) mais détient, de par sa terre volcanique fertile et son climat favorable, un grand nombre de ressources. Les ressources naturelles exploitées sont le nickel, le cuivre, le zinc, le plomb et le bois. Le pétrole exploité depuis 1975 dans la région du Petén.

    Le Guatemala est le pays le plus « indien » d'Amérique et le seul pays d'Amérique centrale dont la population est majoritairement indienne : environ 5 millions de personnes sur un total de 9 millions. Vingt-trois langues sont parlées en plus de l'espagnol au Guatemala ; dans la région du Petén que nous allons étudier, c'est la langue q'eqchi' qui domine.

    Depuis la Conquête espagnole, une population se distingue de la culture indienne et s'accroît, elle est communément dénommée « ladina4 ». Elle désigne les personnes dont la langue maternelle est l'espagnol et qui pratiquent la culture hispanique : ce groupe peut inclure les métis ainsi que les amérindiens assimilés. La dichotomie indigène/ladino est employée dans toute sorte d'analyses sociales au Guatemala, d'autant plus qu'elle a servi de base à la

    4 Terme guatemaltèque s'utilisant aussi dans les autres pays d'Amérique centrale.

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    représentation d'une société extrêmement inégalitaire et au développement d'une guerre civile de trente-six ans (1960-1996) qui a laissé d'importants traumatismes.

    Les cultures autochtones sont toujours très présentes au Guatemala, tout comme l'influence de la culture occidentale. La religion catholique est présente dans tout le pays, mais comme 70% de la population appartient à des groupes indigènes de différentes ethnies, les rites catholiques se mêlent aux croyances autochtones. De nombreuses Eglises s'étendent sur le territoire depuis quelques années, notamment l'Eglise évangélique qui se développe et augmente rapidement le nombre de ses fidèles.

    Aujourd'hui, l'Indice de Développement Humain (IDH) du pays est de 0,574 (PNUD 2011). La répartition des richesses est toujours très inégale: 10% de la population détient 44% des richesses5. Selon le rapport du PNUD (2006), 50,9% de la population est en situation de pauvreté, dont 30,0% en zone urbaine et 70,5% en zone rurale.

    La violence, générée par les crimes organisés, les narcotrafiquants, les inégalités et la pauvreté est un des principaux problèmes que doivent affronter les Guatémaltèques. Ce fut un thème central de la campagne électorale durant laquelle le président actuel Otto Perez Molina a promis une politique de "mano dura" (politique de main de fer) lors de son élection en 2007. La présidence qui a gagné la confiance d'une grande majorité de citoyens, est cependant contestée dans les zones rurales, où la situation sociale reste tendue. En effet, les communautés indigènes et agricoles estiment que leurs revendications ne sont pas prises en compte et ont organisé une marche sur la capitale, réunissant des milliers de personnes en mars 2012. Depuis quelques années, les mouvements et organisations indigènes sont de plus en plus nombreux dans le pays.

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    1-1-2 La migration agraire vers le Petén

    Source: Grandia L., 2009

    Le département du Petén connait un boum démographique depuis quelques décennies. Il est principalement peuplé de migrants indigènes Q'eqchi' venus des départements d'Izabal et d'Alta Verapaz dans les années 1950, rapidement suivis par les migrants ladinos originaires de la région Ouest du Guatemala. La grande majorité des populations Q'eqchi' a migré à la « recherche de terres » (« búsqueda de tierra »). Cependant, cette réponse assez spontanée à la question de l'émigration dissimule en fait dans beaucoup de cas la fuite face à la violence de la guerre civile et à l'exploitation par les grands propriétaires terriens.

    En conséquence de l'augmentation soudaine de la population (passée de 26 000 en 1964 à 638 296 habitants en 2011), de l'exploitation des terres à grande échelle, et de la mauvaise gestion des ressources, la part de forêt au Petén s'est considérablement réduite ces dernières décennies.

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Aujourd'hui, les populations Q'eqchi' de la région vivent d'une agriculture familiale, le maïs et le frijol (haricot noir) étant leurs principales productions vivrières.

    1-1-3 Le Petén dans un contexte de développement axé sur une politique de

    conservation

    Lorsque les migrants sont arrivés dans la région, dans les années 1950, celle-ci était pratiquement inhabitée depuis la conquête des espagnols (il y a plus de 400 ans, quand les Maya ont fui leurs cités). La faune et la flore ont donc eu largement le temps de se réinstaller dans ce vaste territoire. Les migrants sont arrivés dans des lieux qui permettaient un accès libre aux ressources foncières et qui a permis aux pratiques agricoles de se faire plus extensives que dans leurs régions d'origine. L'espace n'était plus mesuré : chacun pouvait s'étendre au maximum et exploiter les ressources sans limite. Pour les pionniers de ces terres, il n'était pas question de penser leur agriculture sur le long terme car il fallait d'abord penser à la survie de leur communauté naissante : « Seules étaient sauvegardées les essences végétales immédiatement utiles, présentes dans la végétation spontanée : il s'agit principalement d'essences fruitières ». (C. Maldidier, 2008 : 53)6.

    Ce phénomène, ajouté à la croissance démographique accélérée, provoquèrent à cette période une forte déforestation, toujours problématique aujourd'hui. Celle-ci se fit rapidement remarquer par les organisations de conservation naturelles au niveau national et international. Dans les années 1990, tandis que le pays commençait à sortir de la guerre civile, le gouvernement élu de Cerezo (1986-1990) a d'abord créé la Reserve de la Biosphère Maya dans le nord du Petén, pour répondre aux groupes de pression environnementalistes. Cette réserve était aussi le premier grand projet de l'ONG ProPetén, en collaboration avec le CONAP (Conseil National des Aires Protégées). Le CONAP est un des acteurs de politique environnementale les plus importants du pays depuis sa création en 1989 jusqu'à aujourd'hui. Il est responsable sur tout le territoire national de tout ce qui concerne la gestion des ressources naturelles, et c'est l'organe le plus important en termes de direction et coordination du Système Guatémaltèque des Aires Protégées (SIGAP). C'est souvent en passant par cet organe que des fonds internationaux parviennent au Guatemala. Dans la région du Petén, ces dernières années, le SIGAP subventionne des projets concernant : la gestion du bois, le zonage des aires protégées, la promotion politique des aires protégées, la formation de personnel d'institutions environnementales (ONG, organisations privées...), l'assessorat dans

    6 MALDIDIER C., 2008, « Concessions communautaire et viabilité de la gestion à long terme des forêts dans la Réserve de la Biosphère Maya (Guatemala) » in MERAL P., CASTELLANET C., LAPEYRE R., La gestion des ressources naturelles. L'épreuve du temps, Éditions Karthala, Paris : p.51-66

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    le maniement des ressources naturelles, l'assistance technique des groupes organisés dans le contrôle des feux de forêts (un des programmes de l'ONG ProPetén depuis 5 ans), l'accompagnement et l'assessorat de la gestion de la faune sauvage.

    D'importants moyens financiers et humains ont alors été déployés durant plus de dix ans, sur l'ensemble du Petén (Plus d'une centaine de million de dollars sur 12 ans (1990-2002) mis à disposition par les bailleurs de fonds USAID (Etats-Unis), BID (Amérique Latine) et KFW (Allemagne). Ce dernier a été le principal financeur de ProPetén jusqu'en 2002. Les bailleurs de fonds se sont répartis le territoire : les Allemands ont financé la stabilisation des frontières agricoles dans la partie Sud du Petén, l'USAID et le BID se sont concentrés sur l'aire protégée du Nord et les Espagnols ont fait la promotion du développement touristique. Les ONG, internationales et nationales, se sont elles aussi installées dans la région et se sont réparties activités et territoires. (C. Maldidier, 2008 : 52). Aujourd'hui, des bailleurs de fonds Japonais et Chinois commencent aussi à financer des projets de conservation naturelle et de production durable des ressources dans cette région.

    Les politiques environnementales au Guatemala et dans la région du Petén en particulier, ont majoritairement été influencées par les politiques internationales de développement durable. Il y a d'abord eu une phase préservationniste dans les années 1980-1990. Ce courant préservationniste a entraîné la création de plusieurs réserves fermées aux activités humaines, ou ayant peu de droits d'accès, dans le but d'exercer un meilleur contrôle sur la protection de la forêt tropicale tout en visant la préservation de la biodiversité. Depuis les années 1990 jusqu'à aujourd'hui, les ONG internationales et nationales adoptent progressivement une politique développementiste dans la région du Petén, avec des programmes de gestion intégrée des ressources naturelles par les populations locales, dans l'objectif de concilier conservation et développement. Pour cela, de nombreux efforts sont faits pour promouvoir la participation des groupes locaux et les organisations de base au niveau des villages. Nous verrons dans le dernier chapitre de ce mémoire en quoi cette participation est relative, dans un contexte de développement où le modèle du type « top-down » perdure parfois de manière consciente ou inconsciente malgré les fortes critiques formulées à son égard.

    1-2 Particularités et relations des acteurs principaux du projet

    1-2-1 l'ONG ProPetén

    L'ONG ProPetén est une organisation nationale de conservation créée en 1991. Depuis, elle travaille pour le développement durable afin de concilier la conservation naturelle et culturelle

    16

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    des régions Nord-Est du Guatemala, du Belize et du Honduras pour certains projets et particulièrement du département du Petén où elle a son siège (sur l'île de Flores).

    Alors que les politiques environnementales évoluaient, comme nous l'avons mentionné, dans le pays et la région, l'ONG a suivi ces changements et a modifié progressivement son discours et ses actions, passant d'une idéologie préservationniste à une idéologie développementiste. Ses discours évoluent avec celui du contexte global vers un nouvel idéal de la conception du développement. Dans un premier temps, ProPetén développait un discours principalement axé sur les questions biologiques. Aujourd'hui, elle présente l'aspect social comme une des composantes les plus importantes de son argunmentaire. Le slogan de l'ONG montre tout à fait cette tendance : Fondation ProPetén, Le Sens Humain de la Conservation Fundación ProPetén, El Sentido Humano de la Conservación »7). Cependant, les pratiques s'appliquant à ce discours sont encore difficiles à mettre en place. C'est pourquoi les projets sont en permanence l'objet d'importants réajustements.

    ProPetén a obtenu, après plusieurs années d'intense activité, une reconnaissance au niveau national. Son ex-directrice, Rosa María Chan, est devenue depuis février 2012 la nouvelle Ministre déléguée au patrimoine culturel et naturel du pays. L'ONG a par ailleurs acquis une reconnaissance internationale grâce à ses projets menés dans les pays voisins et à son engagement auprès des décideurs publics des pays centraméricains.

    Les objectifs principaux de ProPetén sont aujourd'hui les suivants: - Renforcer les capacités d'autogestion communautaire ;

    - Soutenir la gestion responsable des ressources naturelles et la conservation de la biodiversité ;

    - Contribuer à la diversification des activités économiques compatibles avec l'environnement ;

    - Favoriser la sauvegarde de l'identité culturelle ;

    - Contribuer à la bonne gouvernance des aires protégées du Petén en coordonnant les efforts avec une large base sociale.

    L'ONG travaille sur 3 programmes : le programme « Aires Protégées », le programme « Alternatives productives », et le programme « Population et environnement ». C'est dans ce dernier que s'insèrent actuellement quatre projets: le projet de Bourses d'Etudes "Carlos Soza

    7 Site officiel de l'ONG ProPetén : http://www.propeten.org/index.php/en/

    17

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Manzanero" ; Le projet de Guides Scolaires sur le Patrimoine Culturel ; Le projet de Stratégie de Gestion des Incendies ; et le projet de production et commercialisation de cacao, auquel j'ai été associée8.

    1-2-2 Les 3 associations communautaires

    Dans trois communautés, La Compuerta (appartenant à la commune municipale de Poptún), San Lucas Aguacate et Poité centro (appartenant à la commune municipale de San Luis), ProPetén travaille avec des associations locales d'agriculteurs. Celles-ci sont composées de 26 membres dans la communauté de San Lucas Aguacate, de 36 à la Compuerta, et de 40 membres à Poité Centro. Les membres de ces associations sont de tous âges, principalement des hommes (ce qui oriente les principaux objectifs vers des intérêts masculins, comme l'agriculture dans la culture locale). Ces associations sont présidées par un conseil d'administration de 7 associés et un président. Les objectifs des associations sont la représentation des intérêts des producteurs, la promotion de culture Maya Q'eqchi', la communication avec les institutions extérieures, la gestion des ressources naturelles ainsi que la gestion du développement local.

    Les associations se sont formées dans les années 1970 après l'installation des villageois migrants qui ont fondé ces communautés. Elles étaient d'abord informelles, puis elles se sont jointes à la fédération COACAP (Coordination des associations de paysans dans le sud du Petén et appui au renforcement organisationnel et à la commercialisation de leurs produits) qui les a soutenues dans le processus de reconnaissance légale de leur statut au niveau municipal. En effet, cette fédération d'associations les a aidées à former les premiers conseils d'administration (junta directiva) en 1999. Elle a ensuite réajusté leur statut légal en 2012 au début du projet de production de cacao avec ProPetén. COACAP a aussi formé les premiers leaders à des techniques de gestion de projet au début des années 2000. Depuis, tous les quatre ans, des élections internes permettent le renouvellement des leaders des conseils d'administration.

    En plus de cette fédération, les trois associations travaillent en collaboration ponctuelle ou de longue durée avec quelques autres institutions régionales d'appui aux organisations communautaires spécialisées dans la gestion de projet. Cependant, depuis quelques années, ces institutions se sont majoritairement dirigées vers des communautés novices dans le domaine organisationnel, déduisant que les trois associations soutenues par le COACAP

    8 Voir Annexe 1 : Organigramme de ProPetén 2012

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    étaient assez formées après quelques années d'expérience. C'est l'un des problèmes rencontrés aujourd'hui par ces associations, car après plusieurs élections et changements des leaders au sein conseils administratifs, seuls les leaders du premier mandat de 2000 ont effectivement été formés par les institutions d'appui.

    Ces associations d'agriculteurs ont néanmoins acquis depuis quelques années une expérience significative de collaboration et de dialogue, avec différents acteurs institutionnels publics et privés. Ces derniers proposent souvent le même type de projets : productifs et culturels. Les associations locales sont conscientes des modes de fonctionnement des institutions de développement, ainsi que des discours sur la participation employés de manière récurrente. Nous approfondirons ces derniers points dans les deux autres parties du mémoire.

    Les trois associations se connaissent du fait de leur proximité géographique et de leur parcours auprès de COACAP. Par ailleurs, les leaders des conseils administratifs participent souvent avec d'autres associations et organisations paysannes de la région à des réunions dans les municipalités de San Luis et de Poptún, auxquelles les communautés sont rattachées. Certains leaders associatifs sont aussi des leaders communautaires traditionnels et organisent régulièrement des cérémonies mayas entre les communautés, ce qui renforce leurs liens.

    Par rapport au projet cacao, j'ai pu observer une certaine ambiguïté dans les rapports entre les trois associations. En effet, elles peuvent à certains moments se montrer solidaires face à un problème concernant le rapport à un acteur extérieur (ici l'ONG ProPetén), mais dans d'autres situations devenir concurrentes. Ce phénomène est qualifié pour la première fois de «coopétition » par Ray Noorda(1992)9. Ce néologisme qui est né de la combinaison des mots compétition et coopération, est surtout connu pour les analyses de commerce international. Nous pouvons néanmoins très bien l'appliquer à la situation des associations communautaires de notre étude. Nous approfondirons cette réflexion dans les deuxième et troisième partie de ce mémoire.

    1-2-3 Les relations entre l'ONG et les associations au travers du projet de cacao En 2007, ProPetén a lancé un programme de diversification des cultures dans les communautés rurales défavorisées des zones voisines des forêts comme solution à la déforestation. En effet, la situation économique pousse beaucoup de familles à chercher des terres de culture dans l'aire protégée de la région.

    9 In LE ROY F. et YAMI S., 2007, « Les stratégies de coopétition », Revue française de gestion, n° 176, Lavoisier : p. 83-86.

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    La zone du programme a été définie suite à un diagnostic socio-économique général du sud de la région10. La mise en relation avec les communautés a été faite par le biais de la COACAP. Des réunions participatives ont permis d'évaluer l'intérêt des associations pour ce projet productif. ProPetén a alors proposé la culture de cacao biologique : ce projet leur est apparu comme étant le plus viable aux niveaux économique, social et environnemental, en vue d'une commercialisation de la récolte à l'international sous forme de commerce équitable (à partir de l'année 2015). Ce projet est pour le moment financé par un bailleur de fond des Etats-Unis qui en assurera les financements jusqu'à fin 2013, à mi-chemin du projet. L'ONG ProPetén est actuellement en recherche de financement pour finaliser son objectif, qui consiste en l'organisation sous forme de coopérative des associations locales et la commercialisation des récoltes à l'international.

    En 2009, le projet a d'abord été expérimenté dans la communauté de la Compuerta, avec 16 familles, puis il a été étendu aux deux autres communautés. Aujourd'hui, un total de 102 familles bénéficient du projet, cultivant chacune 2 hectares de cacao. La plupart des familles se sont motivées en voyant l'expérience de deux personnes des communautés qui ont planté 1 hectare de cacao chacune pour leur propre culture, avant ce projet. Ces deux initiatives locales ont soulevé un intérêt dans plusieurs communautés, qui ont sollicité la fédération COACAP pour la recherche de fonds afin de réaliser des projets de même type.

    Les rapports entre ProPetén et les associations paysannes locales ont donc été facilités par l'organisation fédératrice COACAP qui est le médiateur le plus important dans ce projet. La confiance entre COACAP et les associations s'est installée grâce au temps passé à travailler ensemble et grâce au fait que la moitié du personnel et le directeur de COACAP sont d'origine Q'eqchi' et parle cette langue, ce qui facilite le dialogue.

    Avec ProPetén, une relation privilégiée s'était établie par l'intermédiaire de l'ancienne directrice de l'ONG qui était très proche des populations et connues des associations locales. Elle était venue dans les villages à plusieurs reprises et les habitants lui accordaient beaucoup de confiance. Cependant, depuis février 2012, elle a quitté l'ONG et laissé sa place à la nouvelle directrice.

    Depuis le début du projet de production de cacao, des réunions avec ces trois principaux acteurs sont organisées tous les trois mois pour le suivi et l'échange d'informations. Chaque fois, ce sont l'agronome et le coordinateur de projet de ProPetén qui y assistent.

    10 PROPETEN, 2011, Diagnostico Territorial Tomo 1. Petén Proceso de actualización del Plan de desarrollo Integral. Secretaría de Planificación y Programación de la Presidencia, Guatemala: 219 p.

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    Pourtant, lorsqu'il y a eu des problèmes ou des doutes, les populations se sont directement adressées à COACAP plutôt qu'à ProPetén, ce qui nous fait penser que le niveau de confiance est différent entre ces acteurs.

    1-3 Le projet du stage pour un développement sur base communautaire

    Durant mon stage, j'ai été associée au projet de production de cacao pour travailler avec les trois associations paysannes avec lesquelles le projet a été mis en oeuvre. Lorsque je suis arrivée, le projet était dans sa phase initiale de mise en oeuvre, avec l'introduction et la plantation des plants de cacao dans les communautés.

    1-3-1 Le développement sur base communautaire

    Cette expression, en espagnol «desarrollo con base comunitaria», est très utilisée dans le contexte actuel du développement par les ONG au Guatemala. Elle induit l'idée d'une gestion locale pour une amélioration des conditions de vie des communautés par elles-mêmes. Pour cela, la participation et l'organisation des communautés sont considérées par les ONG comme indispensables. Ici, la notion d'organisation communautaire est utilisée dans le sens occidental que l'on se fait de l' « organisation », très marqué par la culture administrative écrite et quantitative. Pour les ONG, une communauté organisée de manière non conventionnelle n'est donc pas souvent prise en considération et doit s'adapter à la manière reconnue de s'organiser, en assistant à des formations leur permettant de s'adapter à la norme.

    Il s'agit ainsi par la collaboration entre ONG et associations de combiner les différents modes de pensée, pour arriver à un but commun de définition et planification du développement communautaire.

    Dans le projet cacao, deux des résultats attendus clairement exprimés depuis la formulation du projet avec le bailleur de fond sont : l' « élaboration d'un plan de développement communautaire » pour les communautés bénéficiaires et « une meilleure organisation » des associations locales (Deleon Villagran R., 2012 : 6)11.

    En tant que stagiaire en anthropologie, j'ai eu pour rôle d'élaborer un diagnostic participatif avec les associations locales, et un plan de développement pour contribuer à ces résultats.

    11 DELEON VILLAGRAN R., 2012, PLAN DE NEGOCIOS PRODUCCION Y COMERCIALIZACION DE CACAO. Fundación ProPetén, Guatemala: 54 p.

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    1-3-2 Diagnostics et plans de développement entre idéal et contraintes

    Le projet cacao est un projet à long terme. Avant les premières récoltes, les bénéficiaires doivent attendre trois ans, et avant les premiers résultats concrets de commercialisation, ils vont devoir travailler sur ce projet pendant encore quatre ans.

    Par prévention, l'équipe de ProPetén a décidé de l'élaboration d'un diagnostic communautaire participatif, et un plan de développement permettant de développer des activités à plus court terme, adaptées aux populations locales et aux principes de développement durable. Selon elle, cela renforcerait les associations dans une dynamique d'action, de gestion locale et de motivation, parallèlement à ce grand projet.

    - Le diagnostic communautaire .
    ·

    Le diagnostic participatif communautaire est un processus de description et contextualisation qualitative des communautés aux niveaux socioculturel, économique, spatial, institutionnel, politique et environnemental. C'est aussi une identification et une analyse groupale des ressources et problèmes dans la réalité sociale locale et des opportunités de solutions. Il se présente au final sous la forme d'un rapport qui permet une systématisation et une mise en relation holistique des données obtenues.

    - Le plan de développement .
    ·

    Le Plan de Développement Communautaire (PDC) est un document qui définit et planifie des actions de développement social et économique adaptées à la réalité locale. Il s'est établi grâce à l'analyse des priorités, des obstacles locaux, des ressources locales disponibles, de la motivation, des sources d'appui et de collaboration, et de la disponibilité des bénéficiaires. Après la première étape de l'élaboration du diagnostic, il s'agissait de sélectionner des actions réalisables à entreprendre de manière participative.

    - Un idéal restreint par des contraintes .
    ·

    Le diagnostic participatif communautaire et le plan de développement demandés par l'ONG devaient permettre de contribuer à l' « auto-organisation » et l' « autosuffisance » des associations et de leur communauté. Grâce à l'amélioration des connaissances sur la situation actuelle, pour les bénéficiaires comme pour les acteurs extérieurs, ceci a pour but de favoriser la prise de décision, la planification et l'exécution des actions futures pour répondre aux besoins locaux.

    Cette approche qui vise à donner plus de pouvoir à la population était espérée en grande partie grâce à la mission que l'ONG m'a confiée. En effet, si je n'étais pas venue faire un stage dans

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    l'ONG, elle n'aurait pas embauché quelqu'un d'autre pour faire cette étude. C'était alors pour elle une occasion de s'acquitter de ce résultat social attendu. Cette étude permettait d'établir de nouvelles relations entre les communautés locales et l'ONG, avec de meilleures connaissances sur les populations et des logiques sociales qui lui manquaient.

    Cependant, la mission a été restreinte par des limites de temps, d'argent, et des contraintes idéologiques.

    En effet, la mission ne m'a pas été confiée sans idée préconçue du résultat attendu, surtout en ce qui concerne le plan de développement ; mes supérieurs m'ont fait comprendre les limites que je ne pouvais pas dépasser. J'ai donc dû respecter des limites pour arriver à un résultat correspondant à:

    - Un diagnostic communautaire participatif effectué avec les associations locales. - Un plan de développement participatif à court terme (environ 1 an d'activités).

    - 5 ou 6 activités « simples » pouvant être gérées et réalisées localement par les bénéficiaires.

    - Un budget restreint : les activités devaient pouvoir être prises en charge par le budget du projet cacao, donc les thèmes d'activité devaient être adaptés pour que le bailleur de fond puisse les accepter dans ce projet.

    - Des activités répondant aux 3 principaux critères du développement durable : environnemental, social, et économique.

    - Une étude de diagnostic de terrain limitée dans le temps (Temps réel de diagnostic obtenu : 7 jours dans chaque communauté).

    Même si la limitation des moyens peut légitimer ces restrictions, elles sont contestables dans le sens où elles ne correspondent pas aux priorités réelles et urgentes des populations locales. En effet, les quatre principaux problèmes et priorités relevés dans le diagnostic au sein des trois communautés confondues étaient : l'organisation communautaire, l'accès à l'eau potable, l'accès à l'électricité, et l'accès à la terre.

    Ces priorités passent avant les préoccupations de développement économiques, culturelles, et éducatives, qui sont importantes mais secondaires pour les bénéficiaires.

    Comme nous l'approfondirons dans la partie suivante, j'ai dû travailler dans un contexte de conciliation d'intérêts, afin de rapprocher au plus près les priorités réelles aux contraintes annoncées, pour que les problèmes concrets des populations soient entendus par le biais de ce diagnostic et du plan de développement. La priorité pour de nombreux paysans est de produire

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    suffisamment de vivres pour pouvoir nourrir leur famille. Pour cela, ils doivent travailler tous les jours sur leur parcelle et manquent de temps, dans ces conditions, pour prendre part efficacement à un projet de développement allant au-delà de leurs activités prioritaires. Le temps accordé aux réunions participatives est détourné de cette activité prioritaire ; ainsi, la contribution des populations à l'étude devait pour fonctionner leur procurer des avantages à court terme, et surtout une prise de conscience de l'utilité interne et durable de ces réflexions, pour qu'ils acceptent d'y consacrer du temps et de l'énergie.

    1-4 Ma place d'anthropologue dans ce contexte de médiation institutionnelle

    1-4-1 Construction contextuelle de ma méthodologie de terrain

    - Prise de conscience des tensions ONG/Bénéficiaires et adaptation méthodologique de départ :

    Les semaines qui ont suivi mon arrivée se sont déroulées dans un contexte tendu, ce qui m'a permis de comprendre certaines difficultés dans la relation entre les acteurs. J'ai commencé par accompagner l'ingénieur agronome sur le terrain, en observation participante pour me faire connaître par les groupes locaux et pour apprendre à les connaître et comprendre leurs relations avec les membres de l'ONG. La troisième semaine de mon stage, nous sommes allés, avec le coordinateur du projet et l'ingénieur agronome, dans les communautés pour aider à la distribution des plants de cacao (amenés le matin même par le fournisseur).

    Ce jour-là, une situation de crise est apparue, concernant l'association de la communauté de La Compuerta (la première ayant commencé le projet cacao avec ProPetén). Lorsque les plants sont arrivés, ils ne correspondaient pas aux normes attendues. En effet, la taille prévue par le contrat signé entre l'ONG et l'association était d'environ 30 cm, mais la majorité des plants reçus ne mesuraient pas plus de 15 cm. De plus, ils devaient être livrés sous forme greffée (cacao injertado)12. Le problème technique lié à ce greffon a été la taille trop petite des plants, qui a empêché les greffons de « coller » (pegar) sur quasiment la moitié des plants reçus. Alors que les plants de cacaoyers étaient déjà arrivés, les bénéficiaires les refusaient et voulaient arrêter complètement le projet cacao. Le coordinateur et l'agronome de ProPetén étant dans une situation d'incompréhension et de stress, ne savaient plus comment gérer la situation. Les populations se sont senties trompées et ont accusé l'ONG de cette faille plutôt que la pépinière.

    12 Cette technique de greffage du cacaoyer permet une amélioration des récoltes : des variétés robustes, plus résistantes à la pourriture et aux insectes et plus productives de fèves sont greffées aux plants.

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    Un problème technique a donc dévoilé un problème relationnel sous-jacent entre les deux acteurs, que je n'ai pu comprendre qu'ultérieurement sur le terrain.

    Finalement, nous avons décidé d'organiser une réunion avec la directrice de l'ONG, son équipe, et les membres de l'association locale, pour discuter du problème et prendre en compte les manifestations des bénéficiaires. Ce débat a partiellement calmé la crise, surtout grâce à la venue de la directrice, qui ne s'était encore jamais présentée dans cette communauté.

    Dans ce contexte de crise et de communication tendue entre ces deux acteurs, j'ai dû établir une méthodologie de terrain pour pouvoir garder un rôle neutre par rapport aux deux parties. Cela a d'abord été difficile car les populations me voyaient depuis quelques semaines venir avec l'agronome ou le coordinateur et savaient que je travaillais pour l'ONG. C'est pour cela que j'ai décidé, avec l'accord des conseils administratifs de chaque association locale et de la directrice de l'ONG, de passer quelques semaines seule dans les communautés, pour réaliser l'étude de diagnostic participatif. J'ai donc obtenu l'accord de 7 jours dans chaque communauté (limite de temps fixé par l'ONG).

    - Utilisation d'outils ethnographiques et de la MARP :

    J'ai eu la possibilité pendant toute ma période de terrain d'être logée dans des familles des communautés. Le fait d'être restée un certain temps dans les communautés sans aucun contact avec l'ONG, mais aussi le fait que je sois étrangère au pays et à la région, a grandement aidé à m'identifier en tant qu'individu isolé plutôt que faisant partie du groupe « ProPetén ».

    Cela m'a permis d'avoir une plus grande proximité avec le quotidien des familles et des villageois. J'ai donc pu mieux comprendre les rapports entre acteurs internes, par la pratique de l'observation participante tout au long de mon séjour.

    Les familles ont été pour moi des acteurs clés de ma recherche, car grâce à la proximité quotidienne, nous avons rapidement fait connaissance. Elles ont pu chaque semaine être des relais pour me faire connaître d'autres personnes. Je pouvais, dehors comme à la maison, facilement utiliser la méthode d'entretiens individuels, que j'ai rapidement décidé d'effectuer dans le mode informel, plus naturel dans ce contexte. Je pouvais par ce biais amener la discussion sur certains sujets et écouter les personnes exprimer ce qui les préoccupait.

    J'ai dû adapter ma méthode aux plannings genrés de la population : Ainsi, pendant la journée, je restais souvent avec les femmes à la maison, chez les voisines, au centre du village, ou à la rivière, pendant que les hommes allaient travailler sur leur parcelle. Puis, en fin d'après-midi,

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    je convoquais des groupes d'hommes à leur retour, pour participer à des réunions. Avec eux, c'est surtout sur le chemin d'aller et retour de la salle de réunion que je pouvais faire des entretiens individuels.

    Lors des réunions avec les hommes (où certaines femmes assistaient aussi, mais participaient rarement), nous avons abordé les thèmes difficiles par le moyen de discussions, questionnements, débats, et aussi par des outils de la MARP (Méthode Accéléré ou active de Recherche Participative). Ces outils ont aidé à débloquer certaines problématiques et à déclencher des remises en questions et de nouveaux débats. Certaines d'entre elles portaient notamment sur l'utilisation des produits chimiques dans l'agriculture, sur la perte d'identité culturelle, ou encore sur le thème organisationnel.

    J'ai utilisé par petits groupes différents outils de la MARP, qui ont été commentés en réunion finale avec tous les membres : la carte sociale, le calendrier des activités, l'horloge des activités journalières pour les hommes et les femmes, le diagramme de Venn, l'arbre à problèmes et l'arbre à solutions pour arriver à une priorisation des problèmes. Ces outils ont surtout un avantage visuel très utile, principalement dans ce contexte où la plupart des membres de ces associations d'agriculteurs sont analphabètes. En décrivant leurs idées par le biais de dessins, schémas, cartes, etc..., les participants avaient plus de facilités à mettre en relation les différents problèmes et solutions. Chaque petit groupe présentait à la fin de la semaine leurs réflexions et conclusions au groupe complet des associés.

    Les outils de la MARP ont alors été complémentaires aux outils ethnographiques :

    Par exemple, avec l'observation participante, j'ai remarqué les différentes contraintes horaires des hommes et des femmes ainsi que les activités genrées. Cependant, la durée de ma mission ne m'a pas permis de me rendre compte de la régularité de ces contraintes et des écarts tout au long de l'année. En réalisant l'outil de l'horloge des activités journalières et le calendrier des activités saisonnières, j'ai pu obtenir plus de précisions sur ces habitudes de travail et surtout sur leurs changements au cours de l'année. Dans ce cas, les outils de la MARP m'ont permis d'approfondir mes résultats d'observation.

    Réciproquement, les outils ethnographiques m'ont aidé à confirmer et à donner du sens à certains résultats obtenus par la MARP qu'il aurait été difficiles d'identifier sans un regard ancré dans la communauté.

    L'exemple le plus frappant de ce constat a été celui de l'analyse des acteurs institutionnels. Le diagramme de Venn a été un outil intéressant pour repérer les groupes d'acteurs et leurs

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    relations internes et externes à la communauté, mais il n'était pas suffisant pour comprendre la nature de ces relations. En premier lieu, la pudeur et les rapports de pouvoir internes empêchent de tout dire sur les relations entre les groupes communautaires lors de l'activité. De plus, les représentations symboliques de cet outil qui consiste à faire des bulles plus ou moins grosses selon l'importance des groupes cités, ne sont peut-être pas les mêmes que la représentation occidentale où l'importance et la taille sont étroitement liées. Il y a une multitude de critères culturels qui jouent sur cette perception de l' « importance » et de la « relation ». Des questions restent alors en suspens si nous utilisons exclusivement cet outil : l'importance de l'acteur est-elle liée à la connaissance que la population a de celui-ci? Aux ressemblances culturelles ? Au type de projets qu'il mène? A sa reconnaissance médiatique ?

    Et les relations entre acteurs sont-elles liées au travail qu'ils effectuent ensemble ? A la fréquence de ses visites dans la communauté ? Au nombre de personnes qui se connaissent entre les deux groupes ?

    Pendant mon séjour, trois types d'acteurs extérieurs sont intervenus dans les communautés: l'ONG ProPetén, une entreprise pharmaceutique privée, et un groupe représentant du MAGA (ministère de l'agriculture, de l'élevage et de l'alimentation).

    La venue de ces acteurs s'est faite plus ou moins discrètement : le MAGA et l'entreprise pharmaceutique sont venus à l'improviste, en convoquant les villageois au moment même de leur arrivée par alarme et annonces au microphone retentissant dans toute la communauté. L'ONG, elle, est arrivée plus discrètement et avait prévenu par téléphone. Dès leur arrivée, cette différence saisissante reflétait un rapport déséquilibré. Le MAGA travaillait depuis quelques mois avec les associations locales et était déjà venu des années auparavant pour d'autres projets. A chaque fois, sa venue était de courte durée. Cette fois-ci, le prétexte de sa venue était un projet de crédits pour les agriculteurs. Les représentants du MAGA sont venus uniquement pour faire signer l'adhésion à ce projet, déjà formulé sans eux.

    Dans le diagramme de Venn, le MAGA était représenté par les agriculteurs comme un acteur important, mais entretenant peu de relations avec les associations locales. L'importance ici n'est donc pas liée aux ressemblances culturelles ou connaissance de l'acteur, mais plutôt à la dépendance au type de projet qu'ils proposent (crédits, aide matérielle à l'agriculture).

    En ce qui concerne l'entreprise pharmaceutique, c'était la première fois qu'elle venait dans la communauté lorsque j'ai assisté à cette visite. L'entreprise ne connaissait ni la langue parlée

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    localement, ni le nom de la communauté. Pourtant, pratiquement tout le village s'est déplacé pour voir et assister aux diagnostics de santé proposés par celle-ci. Les leaders communautaires ont largement aidé à l'installation du matériel médical, sous les recommandations des « médecins ». Cette situation m'a d'abord surprise, puis j'ai compris que le manque de structure de santé dans les villages et la perte de savoirs locaux concernant ce domaine les rendaient dépendants de ce type d'acteurs qui venaient rarement ; cela expliquait cette réaction et cette relation disproportionnée.

    Nous nous rendons bien compte à travers ces exemples que plusieurs critères tels que la dépendance, les besoins, la culture, l'histoire doivent être pris en compte et mis en relation pour comprendre l'importance et les rapports stratégiques entre les acteurs.

    1-4-2 Différents niveaux d'étude de la situation

    En me basant sur l'analyse des organisations de l'anthropologue J-F. Chanlat (1995)13, j'ai effectué les diagnostics en pensant aux différents niveaux d'acteurs qui ont chacun une influence sur la situation et les problèmes ressentis. Les quatre niveaux principaux sont : le niveau de l'individu, le niveau de l'interaction, le niveau de l'organisation, et le niveau de la société.

    - Le niveau de l'individu :

    Sur le plan individuel, certains acteurs ont plus ou moins d'importance sur les groupes au niveau de l'association, du village et à l'extérieur du village. Dans l'élaboration des diagnostics et des plans de développement, il était intéressant de repérer les acteurs qui pouvaient freiner ou faciliter les solutions proposées. Dans les trois associations, chaque président et leader associatif avaient leur propre caractère et donc une manière différente de rassembler les associés. C'est en cela que deux d'entre elles, ayant des présidents très actifs et très engagés dans leur association, avaient plus de facilités pour gérer les projets en cours et pour en initier des nouveaux (contrairement à la dernière où le président donnait plutôt une impression de passivité et d'attente vis-à-vis des acteurs extérieurs).

    Par ailleurs, selon les activités possibles pour remédier aux difficultés locales, certaines personnes ont des compétences utiles à tous, et il est important de les repérer. Par exemple, j'ai rencontré une femme qui était habituée à donner des formations d'alphabétisation pour des petits groupes de femmes du village de Poité Centro. Les membres de l'association ont

    13 CHANLAT J-F, 1995, « Vers une anthropologie des organisations. », Sciences Humaines, n°9 : p. 40-43

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    exprimé le besoin d'apprendre à lire et à écrire pour avoir plus de possibilités d'échange avec le monde institutionnel. Nous avons donc pu mettre en relation cette femme avec un centre d'alphabétisation, que l'ONG allait payer à travers le projet. Les compétences individuelles locales permettent donc un développement local par les membres de la communauté ainsi qu'une création d'emploi.

    - Le niveau de l'interaction :

    Deux types d'interactions m'ont aidé à comprendre la situation : les interactions que nous pourrions définir d' « habituelles », et les interactions « exceptionnelles » :

    Les interactions « habituelles » mettent différents acteurs en relation directe à travers des activités, des rituels, ou encore des réunions. Avec les associations, il y a un grand nombre d'interactions de ce genre, déclenchées par les réunions fréquentes entre les membres et avec des acteurs extérieurs. Comme je l'ai dit dans l'exemple précédent du MAGA, au vu des différentes manières qu'ont les acteurs de s'imposer et de provoquer une réunion : l'interaction reflète donc le type de relation entre les acteurs.

    Le second type d'interaction « exceptionnelle » s'opère lors des évènements inattendus ou particuliers qui rassemblent des acteurs n'ayant pas forcément l'habitude d'être en relation. J'ai eu la chance lors de mon séjour dans la communauté de la Compuerta d'être présente pendant la célébration nationale du 15 septembre, qui est la date de la proclamation de l'indépendance du Guatemala. Partout, que ce soit en ville ou dans les villages les plus reculés, cette célébration est très importante. Tous les habitants se rassemblent dans les centres villes ou places de village. Les enfants défilent dans les rues et tous les villageois se mêlent à des actes civiques, des jeux populaires (course de chat, escalade de pilonne enduis, cochon glissant, canard enterré...), des danses, des compétitions sportives (foot, course de chevaux) et des repas communautaires. Dans cette célébration, deux types de populations qui d'ordinaire communiquent peu dans ce village, ont été en contact lors de la fête : les familles de ladinos et les familles q'eqchi'. Dans la foule, ils étaient rassemblés, ce qui m'a permis d'observer leurs comportements les uns vis-à-vis des autres dans ce contexte de proximité. Malgré la très petite proportion de ces familles ladinas dans la communauté, j'ai observé que les organisateurs de l'évènement étaient presque exclusivement ladinos et la majorité des participants aux jeux aussi. Les q'eqchi' se retrouvaient donc spectateurs et en position inconfortable, sachant que les discours et commentaires prononcés au micro se faisaient en langue espagnole non traduite, ce qui empêchait la majeure partie du public de les comprendre. De plus, dans la foule, les ladinos qui restaient groupés se comportaient de

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    manière plus extravertie. Ils reflétaient par leur attitude une impression de sûreté et imposaient leur présence. Leur comportement face à ma présence lors de cet évènement était aussi radicalement différent des personnes q'eqchi'. Alors que les q'eqchi' me regardaient discrètement de loin sans me parler, beaucoup de ladinos sont venus immédiatement me demander qui j'étais et ce que je faisais ici. Ils s'empressaient aussi de me tenir au courant fièrement de leur origine espagnole, ou des membres de leur famille qui vivaient en Espagne ou aux Etats-Unis.

    Ce niveau de l'interaction permet donc de découvrir des formes d'identités collectives, basées sur des relations et clivages nous-eux qui recoupent des univers sociaux distincts : dans ce cas par l'appartenance ethnique, mais les différences genrées, générationnelles, religieuses etc. peuvent aussi se repérer à travers ce niveau.

    - Le niveau de l'organisation :

    En me focalisant sur le niveau de l'organisation, dans le cas des associations locales paysannes, j'ai remarqué qu'il y avait deux types d'ordre organisationnel : l'ordre officiel et l'ordre officieux. En effet, chacune des associations possède un règlement écrit et des membres du conseil administratif élus qui ont des rôles précis dans chaque groupe. Cependant, en observant de plus près, les rapports de pouvoir réels ne sont pas exactement les mêmes. Ainsi, certains membres de l'association ont le statut reconnu culturellement de guías espirituales (guides spirituels) ce qui leur confère une influence très importante au niveau décisionnel, alors qu'ils ne font pas forcément partie du conseil administratif. Dans l'association de la communauté de San Lucas Aguacate, trois femmes membres font par ailleurs partie de groupes de défense des droits des femmes reconnus au niveau municipal. Elles ont de ce fait une influence sur le discours et les activités de l'association. L'ordre officiel ne peut donc pas être considéré comme le seul référent et comme stable. Il subit des pressions par un ordre officieux, et cette dynamique de confrontation permanente entre les deux ordres révèle le fonctionnement réel des organisations.

    - Le niveau de la société :

    Ce niveau a une influence sur les autres niveaux par les logiques sociales et culturelles qu'il propage. Il rassemble les différents groupes par des caractéristiques socioculturelles communes (moeurs, langue, tradition, lois, etc.), des spécificités sociopolitiques (type de structure sociale, mode de reproduction des élites, mode d'organisation politique), et des symboles collectifs (drapeau, hymne, institutions, études, etc.). Ce niveau permet de

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    comprendre le contexte général des communautés et ce qui est commun aux autres niveaux micros.

    En gardant à l'esprit ces quatre niveaux d'influence, qui sont eux-mêmes en interaction, j'ai pu plus facilement comprendre les désaccords qui existent entre les actes et les discours. Cela permet d'éviter les oppositions ou rassemblements hâtifs comme individu/société, ordre/désordre, coopération/compétition...

    1-4-3 Quelques stratégies appliquées pour réduire les contraintes du diagnostic Après l'annonce des contraintes et résultats attendus liées au diagnostic et plan de développement, je me suis rendue compte que certaines s'auto contredisaient ou étaient contradictoires entre elles. J'ai donc essayé, dans la mesure du possible, de réduire ces contraintes en jouant sur une marge de manoeuvre plus ou moins importante.

    Premièrement, le résultat attendu d' « effectuer un diagnostic communautaire participatif avec les membres des associations locales » comprend deux failles, qui sont :

    1) Le fait d'effectuer un seul diagnostic pour les trois communautés n'est objectivement pas satisfaisant. En effet, lors de mes premières visites dans les communautés, j'ai remarqué qu'elles avaient des aspects en commun, mais aussi des différences importantes : il y a des éléments qui changent de manière significative les conditions de vie des habitants, notamment des femmes. Parmi ces éléments, les services publics d'accès à l'eau potable, aux transports et à l'électricité sont les plus notables. Le document de diagnostic devait être écrit dans le but de décrire une situation propre à chacune des communautés. C'est pourquoi, grâce à l'accord de l'équipe de ProPetén, j'ai pu modifier cette contrainte des TDR, en effectuant un diagnostic par communauté. Il en a été de même concernant le plan de développement, qui, découlant des diagnostics, devient encore plus spécifique à chaque communauté.

    2) La deuxième faille de la commande de diagnostic est le fait de devoir réaliser un diagnostic communautaire participatif uniquement avec les membres des trois associations. Les associations sont des sous-groupes communautaires qui ne peuvent pas représenter à ce titre la communauté dans son ensemble. L'association la plus importante est celle de la communauté de Poité Centro, elle compte 40 membres. Les trois communautés rassemblent en moyenne 120 familles chacune, ce qui correspond à environ 720 habitants par communauté. Il paraît donc difficile de prétendre faire un « diagnostic communautaire participatif » avec la participation d'un seul petit groupe. Pour pallier à cela, l'idée était de rencontrer des personnes hors des associations locales. Cependant, deux autres contraintes se

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    sont ajoutées : la limite de temps que j'avais dans chaque communauté qui m'empêchait de faire une étude approfondie avec d'autres membres de la communauté ; La situation d' « enclicage »14 dans laquelle je me suis trouvée malgré moi, par rapport aux associations du projet cacao. Comme je me suis insérée dans les communautés à travers ces groupes, il a été plus difficile de m'entretenir avec la population n'appartenant pas à ceux-ci. J'ai néanmoins eu la chance de participer à la célébration du 15 de septiembre qui m'a permis de sortir momentanément de cet « enclicage », ayant l'occasion de parler avec des personnes totalement différentes. Avec les femmes, cela a été plus facile d'élargir l'étude au niveau communautaire, car je pouvais accéder à des points de vue différents en dehors de l'association : en allant au centre du village avec les amies des femmes chez qui je logeais, les voisines, ou bien à la rivière pour laver le linge et chercher de l'eau (dans les deux communautés sans accès à l'eau). Je suis donc parvenue à réduire cette faille du moins partiellement, mais nous pouvons dire de manière objective que les résultats des diagnostics correspondent majoritairement à la participation des membres des associations.

    Ensuite, le résultat attendu du plan de développement à court terme de 5 ou 6 activités « simples » gérées et réalisées principalement par les bénéficiaires, paraît aussi contradictoire par rapport à la situation. En effet, après avoir commencé l'enquête de diagnostic, je me suis rendue compte que la priorité n°1 des trois associations communautaires était le renforcement de leur organisation pour pouvoir gérer en autonomie leurs projets. Prévoir des activités avant de remédier à cette faiblesse organisationnelle était donc compliquée et risquait de mener à des résultats partiels et non durables. Nous avons donc choisi pour éviter ce problème de planifier dans les plans de développement la moitié des activités sur le thème de formations de gestion et d'organisation (comptabilité, gestion de projet, leadership) dans les premiers mois du chronogramme des activités, puis les autres types d'activités (productives, économiques, culturelles) dans l'autre partie de l'année. Cela permettait de concilier le renforcement de la gestion locale à des résultats socioéconomiques concrets.

    Enfin, le problème de ces contraintes réunies était l'investissement de temps et l'implication des populations pour des activités ayant peu d'ampleur sur les réels besoins des populations. Les diagnostics et plans de développement ne pouvaient pas dans ce cas précis avoir un impact réel direct sur les besoins et problèmes les plus importants des populations : le manque d'accès à l'eau potable et à l'électricité qui constituent un réel handicap dans deux des

    14 Notion de J-P Olivier de Sardan, in OLIVIER DE SARDAN J-P, 1995, « La politique du terrain Sur la production des données en anthropologie », Enquête, numéro 1 Les terrains de l'enquête : pp.71-109

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    communautés, et l'accaparement des terres qui concerne les trois groupes. Nous pouvons espérer que les diagnostics et les plans de développement auront un impact sur ces problèmes sur le long terme s'ils sont assez diffusés à plusieurs niveaux institutionnels. Pour le moment les documents sont connus seulement de l'ONG, des associations communautaires concernées et de la fédération COACAP. Les membres des associations sont bien conscients que ces documents écrits sont une des seules façons pour elles de communiquer avec les institutions capables de leur fournir un appui concernant les projets de ce type. C'est pourquoi dans les diagnostics, une partie a été consacrée aux possibilités de projets futurs, et dans les plans de développement, une partie a été consacrée aux acteurs potentiels collaborateurs en fonction des thèmes de développement, afin faciliter leur mise en relation. Nous approfondirons le sujet de la communication dans la partie suivante de ce mémoire.

    Il a donc fallu adapter les besoins exprimés aux différentes contraintes, en exploitant cette possibilité d'étude.

    Dans cette première partie du mémoire, nous avons pris connaissance du contexte du projet de production de cacao entre les trois associations communautaires et l'ONG ProPetén. En ayant une représentation plus claire des acteurs de ce projet, de leurs relations et de leurs objectifs, nous avons compris dans quel processus s'insérait mon stage et ma place d'anthopologue, ainsi que les contraintes de départ qui limitaient les possibilités pour le diagnostic.

    Maintenant, nous allons dans la partie suivante nous intéresser aux résultats et aux rôles des documents de diagnostics et de plans de développement. Puis, nous discernerons les différentes capacités des associations par rapport au développement durable de leur communauté.

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    Deuxième Partie : Les associations paysannes comme condition nécessaire au développement communautaire durable

    Les associations paysannes paraissent avoir un rôle nécessaire pour le développement durable local. Tout d'abord, leur place au niveau communautaire et leur fonction de médiation avec l'extérieur sont essentielles. Nous nous intéresserons d'abord à mieux comprendre la nature de ces associations et leur récente multiplication dans la région. Puis, nous analyserons les possibilités que ces associations disposent pour contribuer à l'amélioration des conditions de vie des populations locales.

    2-1 Les associations paysannes

    2-1-1 Eléments de définition

    L'organisation des paysans n'est pas un phénomène récent dans les zones rurales de tout pays. Sous sa forme traditionnelle, comme les groupes d'entraide pour les travaux agricoles, elle reste encore en vigueur dans la plupart des sociétés rurales. Quant à l'organisation des paysans sous une forme moderne, telles que les coopératives, elle a été introduite pendant la période coloniale. Depuis les indépendances, d'autres types d'organisations sont apparus sous des appellations diverses.

    Dans le domaine du développement aujourd'hui, on entend fréquemment parler d'Organisations Paysannes (OP), d'Organisations Paysannes et Rurales (OPR), de groupements ou associations villageoises. Ces acteurs sont d'une grande diversité, parfois formels ou informels et de plus ou moins grande taille. Ils sont considérés comme des acteurs clés par les organismes de développement, surtout lorsqu'il s'agit de projets de développement rural. Ils sont perçus par l'ONG ProPetén comme le lieu d'expression des intérêts des paysans et comme le moyen d'atteindre les objectifs qu'ils se fixent.

    C'est finalement une notion assez vague qui regroupe une variété de cas étonnante. Certains auteurs ont néanmoins donné des définitions rassemblant ce type de groupement :

    Selon D. Pesched15, les OP ou OPR (Organisations Paysannes et Rurales) sont « des acteurs sociaux complexes, insérés dans un univers culturel, social et politique donné et soumis à des

    15 DIAGNE D. et PESCHED. (dir.), 1995, Les organisations paysannes et rurales. Des acteurs du développement en Afrique sub-saharienne, GAO, Paris: 82 p.

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    influences nombreuses (locales mais aussi externes à travers les processus de désengagement des États, la globalisation,...) » (Pesched, 1995).

    Si chaque groupement est inséré dans un tel contexte, il paraît difficile de faire une typologie ou une classification générale sans produire des contre-réalités.

    D. Rahmaton, lui, définit l'organisation paysanne comme étant une « structure formelle ou informelle à laquelle prennent part paysans et paysannes et dont l'objectif majeur est la poursuite d'avantages communs qu'ils obtiennent contre des obligations communes » (D. Rahmaton, 1991 in Daniel Thieba, 1992)16.

    Une troisième définition de Mercoiret, Pesche et Bosc17 décrit ces organisations comme « des structures d'intermédiation qui se construisent à l'interface entre les sociétés rurales et leur environnement ; elles ont pour but de régler les relations entre les agriculteurs et les acteurs économiques, institutionnels et politiques extérieurs. Les OPR s'efforcent d'une part, d'accompagner les changements qui s'opèrent, et d'autre part, de négocier les conditions (générales et particulières) pour que les ruraux abordent les changements et recompositions de leurs activités dans des conditions favorables : nature et rythme des changements, mesures d'accompagnement, etc. » (Mercoiret, Pesche, Bosc : 2006).

    2-1-2 Une grande diversité

    Ces définitions générales dissimulent une large diversité de cas. Nous pourrions faire une différenciation selon des indicateurs tel que l'origine du groupement, sa composition, sa taille, sa fonction, ou encore son mode de fonctionnement.

    L'origine des groupements peut permettre de mieux distinguer leurs intentions : ces groupes peuvent être suscités de l'extérieur (il faut alors tenir compte du type d'acteur qui les a formés), ou d'initiatives locales. Comme j'ai pu l'observer, les populations peuvent aussi prendre l'initiative de s'organiser en apprenant la présence d'acteurs intervenant pour réaliser un projet de développement. Dans ce cas, la création d'associations s'apparente à une réponse à un appel d'offre. Cependant, comme l'explique bien Daouda Diagne, « On remarquera que, dans la réalité, on a souvent une combinaison entre des facteurs internes et des stimulants

    16 THIEBA D., 1992, « Les organisations paysannes : émergence et devenirs », Bulletin de l'APAD, n°3, Revue Apad (ed.) : 4 p.

    17 MERCOIRET M-R., PESCHE D. & BOSC P-M. 2006, Les organisations paysannes et rurales pour un développement durable en faveur des pauvres. Compte rendu de l'atelier de Paris France, CIRAD, Paris : 45 p.

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    externes, le tout est de voir quels sont les tendances principales et les facteurs déterminants de l'émergence des groupements. » (1995 : 13).

    Dans le cas que nous étudions, les associations sont nées d'initiatives locales, par la nécessité des migrants de s'organiser dans leur nouveau milieu. Elles ont ensuite évolué avec la venue de nouvelles nécessités.

    Il est important de s'interroger sur la composition des groupements : Quel type de personnes les compose ? Y trouve-t-on des représentants de l'ensemble de la population locale ou seulement d'un groupe bien particulier? Ces questionnements doivent permettre de faire des hypothèses sur la cohésion sociale du groupe par rapport à ses objectifs. Dans le cas de notre étude, les associations se composent exclusivement de q'eqchi', très majoritairement agriculteurs, et de peu de femmes.

    Les activités que les groupements développent permettent aussi de classifier le type d'organisation. Les associations sont parfois spécialisées dans la production, dans la collecte, dans la défense de droits, ou bien dans la commercialisation.

    En plus de ces tendances s'ajoutent des indications plus quantitatives, comme la taille du groupement (nombre de membres) ou ses ressources financières (cotisations, crédits, subventions...).

    Selon l'importance de ces différents indicateurs, nous pouvons déterminer plusieurs niveaux : Les organisations de base (communautaire), comme les trois associations communautaires du projet cacao ; les organisations de niveau municipal; les regroupements en fédérations plus influentes au niveau régional, national voire international, comme la fédération COACAP présente pendant mon stage.

    On observe alors une pluralité des types de groupement. Ces dernières décennies, de nombreuses typologies et classements ont été créés par différentes disciplines avec des indicateurs de ce type, pour essayer de mieux les différencier. Cependant, les administrations, les ONG, les chercheurs etc., produisent des classements adaptés aux questions qu'ils se posent. De ce fait, un classement n'est pas objectif en soi et il exprime la vision et les attentes de celui qui le bâtit par rapport à ses objectifs, qu'il convient d'expliciter et d'analyser.

    Nous voyons donc que pour saisir réellement la très grande variété d'organisations paysannes qui existe, nous devons passez au-delà des typologies en recueillant le sentiment propre des groupes, en tenant compte de leur identité et de leurs motivations.

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    Pour clarifier notre texte et être le plus proche de la réalité de la situation dans le cas de la région du Petén, nous utilisons le terme d' « association paysanne », qui est le concept en français qui définit de manière la plus proche le type de groupement au niveau villageois avec lequel j'ai travaillé. Nous utiliserons aussi le terme d'« organisation fédératrice » pour désigner l'organisation COACAP.

    2-1-3 Augmentation de la création des groupements paysans ces dernières

    décennies

    Dans les villages du Petén, des groupes de paysans se forment depuis très longtemps de manière traditionnelle. Depuis les années 1980-1990, le nombre de groupements paysans « formalisés », c'est-à-dire reconnus par le milieu institutionnel, a fortement augmenté quel que soit leur taille ou leur thème d'organisation. Plusieurs explications peuvent permettre de comprendre ce phénomène : d'une part, cette période a été soumise à des réorganisations et transformations agricoles dues aux pressions du marché, auxquelles beaucoup de ruraux se sont incorporés ou ont résisté par le biais de ces groupements ; d'autre part, l'accroissement à cette période de l'aide au développement au niveau international a provoqué l'émergence de ces groupements ou renforcé ceux qui existaient déjà. Avec la collaboration de diverses fédérations d'organisations, la nouvelle tendance a été de favoriser un « développement participatif ». La multiplication des offres d'aide et de services techniques des agences étrangères auprès des O.P a donc intensifié leur volonté d'y participer, ainsi que celle de leurs voisins. La tendance politique au niveau international d'aide au développement était alors une occasion pour les agriculteurs de remédier au désengagement de l'Etat en trouvant des solutions par elles-mêmes et par l'alliance avec des acteurs extérieurs.

    Dans certains pays, comme le Guatemala, un des nouveaux facteurs d'organisation est la gestion des ressources naturelles par les villageois. La multiplication et le développement des groupements doivent alors être replacés dans un contexte de changements profonds qui affectent les pays du sud depuis une vingtaine d'années. C'est aussi une réponse pragmatique à la diversité des problèmes à gérer par les communautés.

    Nous partons du constat que les groupements paysans se créent en fonction des divers besoins ressentis et des tendances extérieures. Nous pouvons alors penser que d'une part, les besoins qui ont incité à créer les groupements sont toujours présents, même s'ils peuvent avoir évolué et se sont multipliés. Par exemple, les besoins matériels et économiques étaient ressentis au début de la création des trois associations de notre étude, mais ils se sont démultipliés depuis. D'autre part, les résultats positifs obtenus pendant ces années par les

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    anciens groupements paysans ont engendré la multiplication d'autres groupements, par la diffusion générationnelle et territoriale (les communautés voisines).

    Selon l'anthropologue Jean-Pierre Jacob18, la multiplication des organisations paysannes qui survient au sein d'une même zone géographique, voire d'un même village, permettrait une meilleure adaptation à la réalité sociale et culturelle. En s'appuyant sur les travaux de Jacky Bouju à propos du pays mossi (1991 : 69), il démontre que l'hétérogénéité socio-culturelle d'une zone géographique précise est la raison pour laquelle plusieurs organisations internes se créent afin de répondre à des attentes spécifiques de chaque sous-groupe. La multiplication des associations n'est donc pas seulement quantitative mais aussi qualitative. Dans le cas des villages du projet cacao, des associations de femmes et de religieux se sont ajoutées aux associations d'agriculteurs.

    2-1-4 Le développement communautaire : une notion à clarifier

    L'intérêt pour la dimension communautaire du développement insiste sur les microprocessus de changement et sur la valorisation des ressources endogènes. C'est un type de développement qui prône la recherche de solutions adaptées aux problèmes particuliers dans une zone spécifique. Il tient compte des données écologiques et culturelles et des nécessités immédiates et à long terme. Cette démarche requiert donc une approche anthropologique et une vision holiste des problèmes.

    Cependant, ce qui est communément appelé « communauté », « développement communautaire », ou encore « action communautaire » dans le discours du développement regroupe un grand nombre de contextes et de besoins variés. Dans le cadre de notre étude, le terme « communauté » permet de définir à la fois un lieu commun et un groupe de personnes qui partagent un certain nombre d'éléments tels que la langue, les traditions, ou les valeurs. En revanche, dans les « communautés » que j'ai étudiées, il y avait une séparation claire entre deux groupes qui sont les indigènes q'eqchi' et les ladinos. La proximité des personnes n'implique donc pas leur ressemblance. Par contre, leur identité communautaire était clairement exprimée : lorsque je demandais à un q'eqchi' ou à un ladino d'où il venait et à quel endroit il se sentait plutôt identifié entre petenero (habitant du Petén), San Luis/Poptun (les municipalités) ou leur communauté, aucun n'hésitait dans sa réponse. Ils répondaient tous qu'ils se sentaient d'abord appartenir à la communauté et ensuite à la région. Leur

    18 In JACOB J?P., 1992, « Quelques réflexions sur la multiplicité des intervenants externes et la multiplication des organisations paysannes (op) au Burkina Faso.», Bulletin de l'APAD, n°3, Revue Apad (ed.) : 5 p.

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    appartenance à un même groupe uni pouvait aussi se remarquer à certaines occasions de confrontation avec d'autres groupes. Par exemple, lors des matchs de football intercommunautaires, j'ai retrouvé cette identité de groupe et cette unité face aux autres.

    Il serait alors, contenu de ces différences et hétérogénéités, peut-être plus adapté d'utiliser l'expression de développement local pour exprimer l'idée de taille qui est finalement la plus commune aux projets de développement dits « communautaires ».

    Certains auteurs (Chauveau, 199119 ; Bernardi, 1987) ont vivement critiqué le développement communautaire, en lui attribuant une fonction de « stimulation de besoins ». Par exemple, Bernardi, dans Le développement participatif, a évoqué que « l'importance attribuée au thème du développement communautaire reflétait l'intérêt des administrations coloniales à l'égard des populations locales, qui se traduisait par une action visant à susciter au sein des communautés autochtones « la conscience et le besoin de développement ». Le principe du développement communautaire se fondait sur une « perception erronée de sentiment communautaire local. ». (Bernardi, 1987 : 348-9)20.

    Pourtant, je ne suis pas de cet avis pour le cas du Guatemala. Effectivement, je peux comprendre, dans des cas rares où les communautés sont isolées du reste de la société et qui sont établies depuis des générations, sur des terres suffisamment fertiles et de taille suffisante pour la subsistance de ses membres, que cela soit possible. C'était peut-être le cas à l'époque où l'auteur a écrit cette critique. Mais au jour d'aujourd'hui, au Guatemala, même les communautés les plus isolées ont forcément un contact avec l'extérieur. De plus, la pression agraire est telle qu'on ne peut pas dire que le développement communautaire soit une volonté de provocation d'un besoin inexistant et même si c'était le cas, la volonté de stimuler un tel sentiment ou besoin ne revient pas à dire qu'il n'existe pas.

    2-2-5 Le Développement durable : élément intrinsèque de la culture Maya Q'eqchi' ? Les maya q'eqchi' sont reconnus pour être le groupe maya du territoire ethnique le plus étendu, ayant des croyances spirituelles qui se rapportent essentiellement aux éléments naturels, et une connaissance de centaines d'années antérieures sur la gestion des ressources naturelles dans les tropiques humides. Ils ont depuis toujours cultivé une riche agriculture de type mésoaméricain, basée sur une culture communautaire ritualisée, qui leur facilite

    19CHAUVEAU J-P., 1991, Enquête sur la récurrence du thème de la « participation paysanne » dans le discours et les pratiques de développement rural depuis la colonisation (Afrique de l'Ouest). In Bonnefond Philippe (ed.). Modèles de développement et économies réelles. Chroniques du Sud, IRD, Montpellier : p. 129-150.

    20 Cité p.51 In TOMMASOLI M., 2001, Le développement participatif. Analyse sociale et logique de planification. Karthala, Paris : 265 p.

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    l'application de stratégies au service du bien commun : depuis la colonisation, ils sont en situation défavorable et victimes de discrimination ethnique.

    Dans la cosmologie maya, une des représentations les plus importantes, et utilisée dans presque chaque cérémonie est le symbole des quatre points cardinaux :

    Ce schéma, symbolisé par des bougies et/ou fleurs de couleur pendant les cérémonies, est

    une représentation physique de l'énergie
    spirituelle maya. Le cercle est divisé en quatre parties qui représentent les quatre points cardinaux. Chaque couleur représente à la fois : Un élément naturel (Feu, Eau, Terre, et Air), les quatre niveaux de l'existence (Spirituel, Emotionnel, Physique, et Mental), un élément du corps humain (le blanc : dents ; le rouge : sang ; le jaune : peau ; le noir : cheveux) et une variété de maïs (maïs blanc, maïs rouge, maïs jaune et maïs noir). A l'intérieur du cercle, le bleu correspond au ciel et le vert à la végétation.

    Dans cette représentation du monde du point de vue des Maya, chaque partie du corps humain est reliée aux autres éléments de la nature. Toutes les parties de cette représentation holistique sont reliées entre elles et interdépendantes. Cette conception pousse à construire et maintenir le « tuqtukilal », qui signifie « vivre en paix », ou « vivre en équilibre » en q'eqchi'. Ces valeurs et représentations sont toujours présentes aujourd'hui dans les villages q'eqchi'.

    Nous pouvons nous rapporter à l'analyse de Mary Douglas sur la notion de pollution, dans son ouvrage Purity and danger: An analysis of concept of pollution and taboo (1966) :

    « Les notions de pollution s'insèrent dans la vie sociale sur deux plans, l'un fonctionnel, l'autre expressif. Dans le premier cas, qui est aussi le plus évident, des individus cherchent à influencer le comportement de leurs semblables. Les croyances renforcent les contraintes sociales. [...] quand on étudie de près ces croyances, on découvre que les contacts considérés comme dangereux portent aussi leur charge de symboles. C'est sur plan, plus intéressant, que les notions de pollution sont liées à la vie sociale. Je crois que certaines pollutions servent d'analogies pour exprimer une idée générale de l'ordre social. [...] Il vaudrait mieux les interpréter comme l'expression symbolique des relations entre différents éléments de la

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    société, comme le reflet d'une organisation hiérarchique ou symétrique qui vaut pour l'ensemble de la société » (Douglas, 1966, p.25).

    Ces dernières décennies, l'idéal harmonieux de l'homme lié à la nature de la cosmologie maya a été lourdement perturbé par de nouvelles réalités, soumises aux d'obligations matérielles, aux pressions diverses des autres groupes sociaux et à l'arrivée de nouvelles religions.

    De plus, cette population q'eqchi' a vécu différents niveaux de changements, parfois radicaux, comme la période de travail dans les grandes fermes dans les années 1960, puis la migration vers ces nouvelles terres comme évoqué précédemment. Ces bouleversements dans l'histoire des q'eqchi' ont rajouté des difficultés, comme la perte de quelques connaissances et savoirs locaux pour cultiver les terres de manière durable, ou pour se soigner grâce aux plantes. Selon l'analyse de M. Douglas, ce serait alors non pas seulement une perturbation de la croyance symbolique liée à la nature, mais l'organisation sociale dans son ensemble qui serait ébranlée.

    Par rapport au phénomène migratoire, une étude d'un groupe de chercheurs ayant travaillé sur la région du Petén est très intéressante. Elle montre que l'attitude de conservation des ressources naturelles n'est pas seulement liée à la culture et à la cosmologie des groupes, mais aussi au temps de résidence dans un endroit. En effet, cette analyse démontre que plus le temps de résidence des populations dans un même endroit est long, plus il y a de possibilités qu'elles adopteront des pratiques et attitudes compatibles avec la conservation des ressources naturelles (Grandia L., Schwartz N., Obando O., 2001 : 921 ; Obando Samos O., Grandia L. & Schwartz N., 201022). Même si cette hypothèse n'a pas tenu compte des différences générationnelles, elle n'en est pas moins significative. L'attachement à la terre serait donc un des points les plus importants pour une bonne gestion des ressources. En cela, l'insécurité foncière est un obstacle majeur au développement durable de la région, car comme nous le verrons dans les résultats obtenus des diagnostics, c'est un des problèmes les plus cruciaux aujourd'hui pour ces communautés.

    2-2 Les résultats obtenus des diagnostics et des plans de développement

    A la fin de la collecte de données sur le terrain, j'ai pu écrire les documents de diagnostics et plans de développement.

    21 OBANDO S., GRANDIA L. & SCHWARTZ N., 2001, Salud, Migración y Recursos Naturales en Petén. INE (Instituto Nacional de Estadistica), Guatemala: 170 p.

    22 Obando Samos O., Grandia L. & Schwartz N., 2010, Tierra, Migración y Vida en Petén, 1999-2009. Instituto de Estudios Agrarios y Rurales, Guatemala: 106 p.

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    Les diagnostics se composent d'une partie concernant les données générales sur les aspects géographiques, socioculturels (histoire, population, culture, accès aux services, activités, ressources, activités et disponibilités par genre), institutionnels et politiques des communautés. La deuxième partie des diagnostics concerne l'analyse des principaux problèmes ressentis, les faiblesses, obstacles, forces et opportunités des communautés, ainsi que la priorisation des problèmes et la formulation de recommandations.

    Nous allons examiner quelques-uns de ces résultats pour mieux comprendre le rôle des associations dans des contextes comme celui-ci.

    Premièrement nous allons présenter quelques données générales qui aident à comprendre les difficultés et atouts des communautés, puis nous présenterons les solutions envisagées lors des diagnostics.

    2-2-1 Données générales influençant sur le développement local durable

    En plus du contexte historique dont nous avons parlé dans la première partie, lors de mon séjour sur le terrain, j'ai remarqué certaines conjonctures actuelles qui peuvent pour certaines aider à un essor pour le développement durable local, mais pour d'autres freiner les initiatives. En voici quelques-unes :

    - La géographie et les transports:

    La situation géographique des communautés a un impact sur leurs possibilités de développement. En effet, la communauté la Compuerta est la plus proche de la frontière avec le Belize et de la Reserve de la Biosphère Montañas Mayas-Chiquibul (à 5 km). C'est alors cette communauté qui est la plus touchée par les pluies torrentielles venant des Caraïbes. C'est aussi sa population qui est la plus habituée à la migration temporaire au Belize pendant les mois creux de l'agriculture (juillet/août), et qui se risque à traverser la frontière et à cultiver dans l'aire protégée sans autorisations, comme nous le verrons dans la troisième partie.

    Cette communauté bénéficie cependant d'un avantage géographique important qui est sa proximité avec les grottes naturelles de Naj Tunich où peuvent s'observer des peintures mayas de l'époque classique, un attrait touristique encore peu exploité.

    Quant à la situation géographique par rapport aux villes, les communautés de la Compuerta et de Poité Centro se situent à une distance de 38 et 35 km de la municipalité de la région, alors

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    que San Lucas Aguacate est à 20 km de celle-ci et à peine 8 km de la ville de Chacté, où se trouve un certain nombre d'infrastructures (école secondaire, centre de santé, magasins, marchés). Cette situation géographique, ajoutée au manque de transports publics et à la route dégradée ont une incidence néfaste sur les deux premières communautés. Elles n'ont pas la possibilité d'échanges réguliers avec la ville, pour commercialiser leurs produits agricoles et pour scolariser leurs enfants. Le taux de scolarisation se réduit en effet significativement après l'école primaire contre la volonté des familles, car elles doivent trouver une solution de logement en ville pour leurs enfants.

    - L'aspect socioculturel :

    Certains aspects culturels venant de l'extérieur sont des facteurs de changement culturel interne.

    Premièrement, au niveau religieux, quand les communautés se sont installées, elles ont rapidement été rejointes par l'Eglise catholique, puis par l'Eglise évangélique. Cette dernière a connu une croissance très importante et rapide en quelques années dans toute l'Amérique Centrale. Ce phénomène est appelée la « révolution pentecôtiste ». Le Guatemala est l'un des pays où cette croissance a été la plus forte : aujourd'hui 40% de sa population est évangélique. Même si dans les trois communautés, l'Eglise catholique rassemble encore la majorité des habitants, l'évangélique regroupe de plus en plus de fidèles. Cet aspect est important à signaler, car les deux Eglises n'ont pas les mêmes impacts sur la culture locale. En effet, l'Eglise évangélique considère comme péché les rites et pratiques mayas, ce qui inquiète les guides spirituels. On voit par cela une acculturation progressive et celle-ci pose problème selon les trois associations, pour qui l'une des orientations principales est la conservation de la culture Maya Q'eqchi'. Plusieurs personnes, dans les trois communautés, m'ont évoqué ce problème. Un jour, un des membres de la communauté de San Lucas Aguacate m'a raconté que les églises évangéliques ne permettaient pas un certain nombre de rituels mayas que les églises catholiques autorisent. Par exemple, les cérémonies mayas où les bougies sont utilisées, ainsi que les instruments traditionnels comme le marimba et le tambour, sont formellement interdites dans les églises évangéliques. Lors des messes évangéliques, ces cérémonies sont dévalorisées et qualifiées de brujerias (sorcelleries). Pourtant, ces églises évangéliques sont beaucoup plus actives que les églises catholiques dans la communauté. Elles organisent plus de messes, leurs cérémonies sont plus « festives », elles aident parfois les familles les plus nécessiteuses et organisent des évènements communautaires. En plus, ces églises s'adaptent plus facilement aux populations, en effectuant les messes en langue

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    q'eqchi' par exemple. Pour ces raisons, elles attirent de plus en plus de monde, car elles constituent pratiquement les seuls soutiens et diversions des familles. Chaque soir, dans la famille où je logeais, comme il n'y avait pas d'électricité et que la nuit tombait à partir de 17h00, les enfants chantaient et dansaient les chants qu'ils avaient appris lors des messes pour s'occuper. Ils les connaissaient tous par coeur, et avaient hâte d'aller en apprendre de nouveaux le dimanche suivant lors de la grande messe de l'église évangélique. Même si cette église est perçue par les guides spirituels mayas et les autres pratiquants mayas comme un danger pour la culture maya, elle attire de plus en plus de fidèles par ses activités, qui répondent aux besoins des villageois. Cette situation est compliquée et l'association locale cherche encore des solutions à ce problème.

    Le problème plus général de la « perte de la culture maya » concerne notamment les jeunes. Selon les villageois, les jeunes changent de plus en plus de comportement par rapport aux codes culturels visibles liés à cette culture : Les filles portent de moins en moins la tenue traditionnelle, les enfants échangent entre eux en utilisant beaucoup de mots en espagnol, particulièrement dans les communautés les plus proches des villes : Poité Centro et San Lucas Aguacate. Influencés par les médias et par les modèles identitaires des villes voisines, les jeunes s'intéressent moins aux cérémonies mayas et aux traditions telles que la musique ou danses traditionnelles lors des fêtes communautaires (marimba, tambour). Ces pertes d'intérêt de la part des jeunes inquiète beaucoup les adultes.

    Par rapport à l'éducation, dans les trois communautés, l'enseignement à l'école se fait en langue espagnole par des professeurs ladinos venant des villes municipales de San Luis et Poptún. Les seules activités en q'eqchi' à l'école sont des activités bibliques.

    Dans les trois communautés, la majorité des adultes sont analphabètes, mais la génération ayant pu apprendre à lire et à écrire à l'école arrive actuellement dans le monde adulte, ce qui va limiter ce problème dans les prochaines années.

    - Services :

    L'accès plus ou moins limité aux services a une incidence sur les possibilités de développement local :

    Concernant la santé, aucune des trois communautés n'a accès à un centre de santé, la population doit se déplacer jusqu'aux villes pour pouvoir être soignée. Les savoirs locaux de médecine dite « traditionnelle » se sont beaucoup perdus ces dernières années, la population a davantage recours à la médecine « moderne ».

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    Au niveau sanitaire, dans les communautés, comme dans presque toutes les zones rurales au Guatemala, il n'y a pas de service de collecte des déchets et l'habitude est de les brûler. Le souci pour le développement durable aujourd'hui est l'augmentation des déchets non-organiques (plastiques, emballages, bouteilles...) qui polluent les cultures et l'eau des rivières. Certaines personnes revendent les bouteilles et canettes en ville à des récupérateurs pour le recyclage, mais la distance est une limite considérable dans les deux communautés plus éloignées.

    Alors qu'à Poité Centro, depuis une dizaine d'années, l'eau est acheminée par un système de pompage jusqu'aux maisons, à la Compuerta et à San Lucas Aguacate, il n'y a pas d'accès à l'eau potable. Pour avoir de l'eau, les femmes doivent ramener des jattes remplies d'eau de la rivière ou des puits en faisant trois ou quatre aller-retour par jour, pour la consommation alimentaire, l'hygiène, et la lessive. De plus, les puits de la Compuerta et une des rivières de San Lucas Aguacate s'assèchent pendant la saison chaude (de janvier à mars). A cette période de l'année, les femmes doivent attendre durant des heures aux puits pour obtenir quelques litres d'eau. A San Lucas Aguacate, elles doivent marcher jusqu'à la plus grosse rivière qui se trouve à une demi-heure de marche. Cette indisponibilité de l'eau représente une grande vulnérabilité pour la population et une perte de temps considérable pour les femmes qui sont chargées de cette corvée.

    Le problème est semblable en ce qui concerne l'accès à l'électricité: Les communautés Poité Centro et San Lucas Aguacate y ont accès partiellement, alors que La Compuerta en est dépourvue. Cela rétrécit les journées : les familles voudraient pouvoir être actives le soir, mais à partir de 17h00, l'obscurité s'installe et les oblige à rester chez elles avec des bougies.

    Enfin, les services de transport sont différents pour chaque communauté: Alors qu'à San Lucas Aguacate, des bus pour la ville de Chacté et la municipalité passent tous les quarts d'heure, à Poité Centro, cette fréquence est de cinq fois par jour, et à la Compuerta, à un seul aller-retour par jour le matin à 6h00 et l'après-midi à 16h00. Cette rareté de passage des transports publics isole fortement ces communautés et les rend plus vulnérables économiquement.

    - Les ressources économiques :

    Pour les habitants des trois communautés, la ressource principale est la terre. Elle leur est vitale car elle leur permet une autosuffisance alimentaire et économique, grâce aux deux cultures principales, le maïs et le frijol (variété d'haricot noir). Les familles sont propriétaires de parcelles qu'elles se partagent, ou louent à d'autres familles qui en ont moins. La culture

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    d'une manzana23 de maïs constitue la superficie minimum pour assurer l'autosuffisance alimentaire d'une famille. Les semis de frijol s'étendent sur un peu moins de surface. Toutefois, cette autosuffisance est limitée et menacée par l'insécurité foncière depuis une dizaine d'années, à cause de la croissance démographique et de la venue des finqueros et ganaderos (grands fermiers et éleveurs bovins) qui rachètent les terres massivement à la population locale, agrandissent leur territoire et créent une pression de vente. Nous expliquerons ce conflit devenu cercle vicieux dans la dernière partie du mémoire. L'autosuffisance alimentaire et économique est aussi menacée par l'appauvrissement de la terre, du fait de la surutilisation des pesticides et engrais chimiques par ces mêmes finqueros mais aussi par la population q'eqchi', qui en est de plus en plus dépendante.

    Pour finir, chaque année, la majorité des agriculteurs sèment deux fois par an des plantations de maïs et deux ou trois fois des plantations de frijol. Pour ces cultures, il leur est nécessaire d'investir dans l'achat des graines, pendant les périodes les plus critiques économiquement (janvier-mars et juillet-septembre24). Les banques, qui auparavant autorisaient des crédits pour le maïs, ne le permettent plus, et très peu pour le frijol (pas plus de 1 600 Quetzales = 157 euros). Ces crédits ne sont plus suffisants pour investir dans les grains et l'achat de matériel nécessaire pour commencer les semis en bonne quantité et qualité. Cette diminution des crédits accentue les difficultés des agriculteurs, car même s'ils associent d'autres cultures en petite quantité pour palier à cela, telles que différentes variétés de tubercules (yuca, camote, macal), la cardamome, le cacao, la banane et le piment, ainsi que l'élevage traditionnel de quelques poules, cochons, et canards, la sécurité alimentaire se trouve parfois menacée. Un jour, un agriculteur m'a dit qu'il était parfois obligé de vendre toutes ses récoltes, même celles destinées à leur consommation familiale, simplement pour pouvoir acheter les graines des prochaines cultures. Quand ses réserves de nourriture étaient épuisées, il devait racheter du maïs et des haricots presque deux fois le prix auquel il les avait vendus. Ces pratiques illogiques montrent bien à quel point les agriculteurs sont pris de court financièrement dans les périodes creuses, ce qui les pousse dans des cas extrêmes à la vente de terre et à la migration.

    - L'aspect institutionnel :

    Grâce à l'utilisation du Diagramme de Venn, nous avons pu identifier toutes les organisations qui existent dans le village, ce qu'elles font et les relations qui les lient entre elles. Nous avons

    23 Unité de mesure très utilisée dans les pays d'Amérique Centrale : 1 manzana est équivalente à environ 0,7 hectares (6,961 m2 ).

    24 Voir Annexe 2 : Calendrier des activités agricoles

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    également recensé les organisations d'appui qui travaillent avec les organisations villageoises. Dans chacune des trois communautés, il existe entre 10 et 12 groupes internes actifs plus ou moins influents. Les plus représentés au niveau municipal sont les Conseils Communautaires de Développement (COCODES) qui sont des entités publiques ayant des représentants dans chaque localité reconnue publiquement. Ces structures au niveau des communautés ont été créées par le gouvernement afin d'impulser la participation des populations dans la planification du développement et dans la gestion publique au niveau local. Ce sont les groupes communautaires les plus formées à cet égard. Elles forment alors le premier niveau du réseau de conseils de développement qui fonctionne au niveau communautaire, municipal, départemental, régional, et national. Cependant, elles incluent très peu de membres, ce qui empêche une réelle participation.

    Le deuxième groupe le plus actif au sein des trois communautés, sont les associations avec qui collabore l'ONG ProPetén et d'autres institutions extérieures.

    Ensuite, d'autres groupes importants se suivent tels que les groupes de guides spirituels mayas et de majordomes de l'Eglise en troisième lieu, puis des groupes promoteurs de santé, des groupes de femmes artisanes et défenseuses des droits des femmes indigènes et de la promotion de la santé dans la communauté San Lucas Aguacate, puis les groupes de musique traditionnelle, et le comité de tourisme à la Compuerta.

    Il faut savoir que ces groupes internes ne sont pas isolés les uns des autres, et que des membres d'un groupe peut appartenir à d'autres groupes en même temps. Par exemple, la majorité des membres du groupe des guides spirituels mayas font aussi partie des associations d'agriculteurs du projet de cacao.

    Les principales institutions externes décrites dans les diagrammes de Venn sont communes aux trois communautés, sauf deux d'entre elles : une ONG dédiée au tourisme qui a travaillé uniquement avec la Compuerta pour le développement d'activités touristiques autour des grottes et la municipalité. Alors que la Compuerta appartient juridiquement à la municipalité de Poptún, Poité Centro et San Lucas Aguacate appartiennent à celle de San Luis.

    Au total, environ sept institutions publiques ou privées sont connues et reconnues par les membres des communautés pour être des partenaires réguliers ayant travaillé avec eux sur divers projets d'agriculture, d'élevage, ou des projets culturels. Cette variété de projets et de partenariat externe a permis aux communautés et aux associations locales d'acquérir peu à peu de l'expérience, ce qui a été propice à l'autoévaluation dans les diagnostics participatifs. Certaines de ces expériences ont néanmoins été décevantes, à cause de disfonctionnements internes ou externes :

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    A la Compuerta, une des expériences de collaboration avec une institution extérieure qui a marqué les membres de l'association fut un projet d'élevage bovin : chaque famille avait reçu quelques vaches, mais ce projet s'est terminé rapidement et sans avantages durables. En effet, le manque de formation sur l'élevage bovin, ainsi que le manque d'organisation et de planification collective ont selon eux été les causes de cet échec. Au lieu d'élever les animaux et vendre les boeufs de manière à obtenir un apport économique durable, les familles les ont finalement revendus au bout d'un an. De plus, les avantages économiques de ces ventes n'ont pas été partagés avec le groupe, car chaque famille a gardé ses économies, ce que n'a pas pu servir à relancer un nouveau projet. Cette expérience représente pour les agriculteurs un échec qu'il ne faut plus reproduire. Grâce au renforcement de leur association, ils veulent maintenant développer des projets durables.

    A Poité Centro, les mêmes défauts et remises en question sont ressortis à travers l'étude de diagnostic, avec la prise de recul sur l'expérience d'un projet de potager organisé avec un des groupes de femmes, l'association Ixkik. Par manque d'organisation et de planification, le projet a été abandonné au bout de quatre ans.

    Enfin, à San Lucas Aguacate, l'expérience décevante la plus marquante a été celle de la construction du temple maya « casa asociación », un projet de construction d'une maison à trois étages entièrement dédiée aux différentes activités « futures » prévues par l'association. Ce grand projet avait pour objectif de réserver une salle par activité : au premier étage une petite bibliothèque pour les enfants du village, une salle d'apprentissage de la dactylographie avec des machines à écrire, une boutique, une pharmacie, une salle de cérémonie maya ; au deuxième étage des ateliers pour l'apprentissage de la culture maya pour les enfants ; et au troisième étage une salle des fêtes pour les villageois.

    Cependant, ce projet a également été un échec: L'entreprise de construction employée par l'ONG Fodigua partenaire de l'association locale n'a pas honoré son contrat, pour une raison de corruption interne selon les dires. Ayant commencé les travaux, ils ne les ont pas terminés et se sont arrêtés au deuxième étage comme nous pouvons le constater sur ces photos :

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    Pour cette raison, une grande partie des membres de l'association locale s'est retirée, déçue par l'échec de ce projet dont les associés attendaient beaucoup. Depuis, ceux qui sont encore présents (26 associés) essayent de trouver des solutions jusqu'à ce jour pour pouvoir terminer cette construction.

    Ces expériences de collaboration avec d'autres acteurs ont permis aux groupes locaux de prendre du recul et d'analyser les difficultés et les causes de celles-ci.

    Ces données générales obtenues par le diagnostic sont à la fois objectives dans le sens où les données sont réellement existantes, mais elles ont aussi une part de subjectivité selon l'importance que les populations donnent à chacun de ces aspects, considérés tantôt comme problèmes, risques, limites ou opportunités. Cette importance apparaît à travers l'écriture du diagnostic, pour décrire la réalité telle qu'elle est vécue et perçue. C'est pour cette raison que cette « banque de données » doit être réactualisée en permanence par les associations.

    Les risques sont ressentis par une construction sociale de chaque problème. Selon Mary Douglas (1966)25, les attitudes des populations face aux risques s'appuient sur deux dimensions de toute organisation sociale : d'une part le degré de structure interne du groupe (plus ou moins hiérarchisé), et d'autre part, les frontières qui séparent le groupe du reste de la société. La culture q'eqchi' étant minoritairement représentée et en situation d'exclusion par rapport à la société globale guatémaltèque, la frontière sociale qui sépare ces communautés du reste de la société est très marquée. Cela modifie considérablement la perception interne de chaque problème, et les façons envisagées de les gérer.

    Une des illustrations pouvant être intéressante à ce propos est le risque exprimé de la perte de la culture maya que nous avons évoquée. Alors qu'au niveau international, ce problème est décrit comme une perte de la « diversité culturelle », la réalité locale est perçue de manière totalement différente. La perte de la culture correspond pour ces populations à une perte d'une grande partie de leur identité, de leurs repères, de leur unité, etc...

    La culture se construit et se reconstruit sur une longue période, et un certain nombre de comportements culturels sont des appuis considérables dans la gestion des imprévus. Par exemple, lorsqu'elles sont confrontées à l'adversité, les communautés Q'eqchi' ont l'habitude

    25 In CALVEZ M., 2006, « L'analyse culturelle de Mary Douglas : une contribution à la sociologie des institutions », in SociologieS, Théories et recherches : article éléctronique : http://sociologies.revues.org/522, consulté le 17 mars 2013.

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    de rassembler leurs guides spirituels mayas pour trouver des solutions adaptées. Le problème de la perte de la culture et de la division générationnelle empêcherait une cohérence de ces stratégies et moyens ancrés depuis longtemps pour la gestion des changements, ce qui amplifierait leur vulnérabilité et leurs incertitudes vis-à-vis du futur.

    La perception sociale des risques et de la gestion de ceux-ci sont alors fondamentales dans l'étude de diagnostic que nous avons fait. C'est en cela que l'ordre de priorité a été différent, même pour ces trois communautés pourtant proches géographiquement et culturellement :

    Liste des axes prioritaires de travail des trois communautés :

     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     

    Axe prioritaire de

    travail/Communauté

    La Compuerta

    Poité Centro

     

    1

    L'organisation

    communautaire

    L'organisation

    communautaire

    L'organisation

    2

    La terre

    La terre

     

    San Lucas Aguacate

    communautaire

    La culture Maya Q'eqchi'

    3

    L'eau potable

    La culture Maya Q'eqchi'

    L'électricité

    4

    Les activités économiques

    Les activités économiques

    L'eau potable

    5

    L'électricité

    L'électricité

    L'éducation

    6

    La culture Maya Q'eqchi'

    _

    La terre

    7

    _

    _

    Les activités économiques Dans ce tableau, nous pouvons remarquer que pour les trois communautés, l'organisation communautaire a été estimée comme étant le premier axe de priorité. En effet, en faisant l'analyse des différents problèmes, lors des réunions participatives, les débats ont conduit à la conclusion qu'une meilleure organisation communautaire pouvait permettre d'améliorer toutes les autres difficultés. Nous verrons en quoi cette conclusion est plausible, dans la partie suivante.

    Ensuite, nous pouvons apercevoir des décalages entre les autres priorités comme par exemple, la place du thème de la culture Maya Q'eqchi', qui se trouve en priorité n°6 pour la Compuerta, alors qu'elle est considérée comme très prioritaire en n°3 pour Poité Centro et n°2 pour San Lucas Aguacate. Ceci est dû à la perception du risque qui n'est pas la même du fait de la distance et du contact que ces deux dernières communautés ont avec la ville. Elles sont beaucoup plus touchées par le changement de comportement des jeunes, et les échanges

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    réguliers avec la ville leur laisse penser que cette évolution va s'accentuer. La Compuerta, au contraire ne craint pas beaucoup pour l'instant ce changement, qui est à peine perceptible chez les jeunes, du fait du peu d'interactions avec la ville.

    La priorité de l'éducation, invoquée dans les axes d'action pour San Lucas Aguacate, alors qu'il ne l'est pas dans les deux autres communautés (qui elles, privilégient l'axe prioritaire de la terre), reflète clairement les différents contextes : San Lucas est la communauté ayant perdu le plus de terres depuis ces dix dernières années. Même si la population déplore cette situation et que la terre est encore très importante pour elle, elle compte maintenant beaucoup sur l'éducation. En envoyant leurs enfants étudier dans la ville qui n'est pas loin, elle espère qu'ils y trouveront un travail dans l'administration. C'est aussi pour cela que les villageois de San Lucas Aguacate misent autant sur leur maison associative qu'ils veulent consacrer à des projets ludiques éducatifs pour les enfants, ainsi qu'à des cours de dactylographie sur des machines à écrire. Par ailleurs, La Compuerta et Poité Centro sont un peu moins touchés par la vente de terres (même si ce risque commence à menacer sérieusement). Les populations ont encore beaucoup d'espoir dans le travail de la terre, et c'est aussi actuellement un des seuls choix économiques qu'elles ont pour leur subsistance, vivant plus loin de la ville. Cet axe de travail est donc fondamental pour elles.

    Grâce à ce bilan général du diagnostic, et cette priorisation, les communautés ont analysé les possibilités de changements de leur situation selon leur propre ressenti, afin de pouvoir construire leur propre idée de développement. Nous allons maintenant vous présenter comment l'association a conçu ces possibilités en termes de solutions.

    2-2-3 Les démarches envisagées pour faire face à la situation

    En examinant les problèmes prioritaires, nous avons étudié les démarches qui pouvaient se mettre en place selon les moyens disponibles, pour une amélioration du contexte local, notamment avec l'utilisation de l'outil de l'arbre à problèmes.

    Nous avons remarqué que certaines de ces démarches étaient spécifiques à un des axes prioritaires en particulier et que d'autres pouvaient aider à l'amélioration de plusieurs difficultés à la fois, les causes étant en partie semblables.

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    Parmi ces démarches, en voici quelques-unes qui sont spécifiques selon les axes de priorité et les communautés :

    ? En ce qui concerne l'axe prioritaire de la culture Maya Q'eqchi' : Des groupes d'artisanes étant présents dans les trois communautés, ainsi que des groupes de musiciens (de musique traditionnelle maya, jouant du marimba, du tambour, et de la harpe maya), l'idée d'organiser des cours d'artisanat et de musique pour les enfants et jeunes a été émise et approuvée par les participants. Le but de cette initiative serait de donner plus d'opportunités aux jeunes de mieux connaître la culture maya et de s'y intéresser.

    ? Par rapport à l'axe de la terre et de l'environnement, les villageois ont décidé de contacter une ONG de la région spécialisée dans les fours solaires, pour tenter leur chance avec l'aide d'un projet de ce type. En effet, les familles des trois communautés utilisent le bois de la forêt pour cuisiner tous les jours. La solution des fours solaires serait idéale pour limiter la déforestation et pour gagner du temps car les hommes doivent aller de plus en plus loin pour se procurer du bois.

    ? Au niveau des activités économiques, la communauté de la Compuerta a décidé de s'impliquer davantage dans les activités touristiques liées à la visite des grottes. L'association veut s'allier au comité de tourisme de la communauté déjà existant, pour contacter des agences de tourisme dans l'intention de commencer ce type d'activités.

    Maintenant, voici les démarches envisagées pouvant correspondre à plusieurs des axes prioritaires :

    ? L'organisation d'une option « jardinage et organisation de groupe » avec les élèves de l'école primaire et du collège : Les professeurs guatémaltèques ont étudié dans leur formation l'organisation communautaire et la gestion de projet, et ils ont déjà une expérience dans ce domaine pour la communauté de la Compuerta (un projet de culture de carottes avec les élèves de primaire en 2011). Cette option pourra à la fois sensibiliser, enseigner aux jeunes les techniques d'agriculture organique et l'organisation communautaire. Cette démarche aurait des résultats à long terme sur l'organisation communautaire, l'agriculture durable et aussi sur les activités économiques par la vente des produits de ces jardins.

    ? La visite et participation à des expositions, foires et autres mobilisations sociales au niveau régional et national pour exposer les danses, tenues, musiques et gastronomie

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    traditionnelles des communautés, par le biais des associations locales : Cela permettrait une valorisation de la culture Maya Q'eqchi', ainsi qu'une connaissance et reconnaissance des organisations communautaires à l'extérieur, favorisant d'éventuelles alliances.

    ? Des formations pour l'élaboration de produits de consommation courante avec des ressources naturelles et locales, tels que le savon, le shampoing (pouvant être fabriqués avec des cactus et fruits locaux), engrais organique, le sucre (fabriqué avec de la canne à sucre, qui est adaptée au climat de la région) et le chocolat (avec les cacaoyers du projet avec l'ONG ProPetén). Le fait de fabriquer au lieu d'acheter ces produits (souvent chers pour les familles) permet à la fois d'économiser l'argent dépensé dans ces produits et de limiter les intrants artificiels d'origine extérieure des produits achetés : Le savon contient des produits chimiques qui se déversent ensuite dans la rivière. L'utilisation optimale des ressources peut équilibrer le système de dépense actuelle, en alliant la sécurité économique et la préservation des ressources.

    ? L'organisation d'un jour de marché pour la vente de fruits et légumes, dans la communauté de San Lucas Aguacate, bénéficie d'une situation géographique propice (car entourée d'autres communautés et d'une ville). Cette démarche permettrait, en plus d'un apport économique, une amélioration de l'organisation communautaire.

    Ces démarches envisagées, parmi d'autres, sont des buts à atteindre pour les communautés, qui les considèrent comme des solutions possibles et acceptables. Elles permettraient d'éviter ce qu'ils considèrent comme « mauvaises solutions », telle l'émigration.

    D'autres initiatives originales sont apparues lors de l'élaboration des diagnostics. Par exemple, l'appropriation des projets en cours pour en créer de nouveaux s'est remarquée à travers certaines solutions envisagées, comme dans le projet cacao : L'alimentation est assez pauvre dans ces communautés, alors les femmes ont eu l'idée de profiter du projet cacao pour se former à de nouvelles recettes de cuisine utilisant le cacao et enrichir ainsi l'alimentation locale.

    Les choix de solution relèvent non seulement de la connaissance que la population a de la réalité sociale locale, mais aussi des réalités et possibilités technico-économiques. En effet, plusieurs des démarches envisagées, comme celle de la fabrication de shampoing ou de sucre, ont été proposées par certaines personnes qui avaient pu voir ou entendre que d'autres villages l'avaient réalisée. Le fait que cette activité ait connu un succès ailleurs a beaucoup rassuré les villageois dans leurs choix.

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    2-2-4 Les démarches sélectionnées pour le plan de développement annuel

    Parmi les démarches envisagées dans le diagnostic, certaines ont été sélectionnées selon les contraintes assignées. Pour chacune d'entre elles, des responsables ou collaborateurs potentiels internes et/ou externes ont été désignés pour leur réalisation, et un budget prévisionnel ainsi qu'un chronogramme ont été réalisés.

    Six activités par communauté ont été prévues, dont une parmi les six, spécifique à chaque communauté. Les cinq en commun comportent trois activités dédiées à l'organisation communautaire, considérée comme la première priorité dans les diagnostics :

    - Une visite d'échange avec un autre groupe organisé de la région qui gère de manière autonome leurs projets, des réunions de partage d'expériences, basées sur les réussites, savoir-faire, vision du futur, difficultés, et vie organisationnelle.

    - Gestion de projet, administration, et comptabilité : des sessions de formation pour les leaders associatifs des communautés, ainsi que pour toutes les personnes intéressées. Les groupements de femmes sont aussi conviés à ces formations, car elles ont exprimé le désir d'y participer. J'ai pu constater l'importance des femmes dans les projets de production : elles ont un rôle clé dans l'économie chez les Q'eqchi'. Elles font en effet un véritable travail d'administration du budget du foyer. Le projet cacao ayant pour principal but la commercialisation et une retombée économique des ventes, les femmes vont être des actrices du développement familial qui découlera de ces ressources économiques.

    - Leadership : sessions de formation pour le conseil administratif, dans l'objectif de donner de nouveaux outils sur la prise de décision, la motivation, et la communication.

    Deux autres activités concernent surtout les femmes. Ce sont des activités de fabrication de produits de consommation courante élaborées avec les ressources locales :

    - Fabrication artisanale de shampoing et savon : sessions de formation avec les groupes de femmes organisés, sur la fabrication de shampoing et savon avec la sábila (cactus local aussi connu comme aloe vera), cola de caballo (plante de la famille des Equisetaceae), de l'orange, des oeufs, et madre cacao (plante de nom scientifique Gliricidia sepium), pour l'usage et la vente locale.

    - Fabrication artisanale de chocolat : sessions de formation avec les groupes de femmes organisés pour la consommation locale et la vente, ainsi qu'une plus grande participation des femmes dans le projet cacao en cours.

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    La sixième activité spécifique à chaque communauté comprend: pour la Compuerta, l'organisation de vente d'artisanat aux touristes lors de la semaine sainte, pour Poité Centro, des sessions de formation pour les groupes de femmes concernant la fabrication de chemises traditionnelles et initiation à la couture utilisée pour la fabrication des jupes traditionnelles. Enfin, pour San Lucas Aguacate, la population a choisi d'organiser un jour de marché dans la communauté.

    Je tiens à préciser que pour les activités de formation, les formateurs privilégiés sont des personnes des communautés concernées ou des communautés proches, ayant un savoir-faire dans ces domaines. Par exemple, j'ai su lors d'un entretien qu'une femme d'une communauté voisine avait déjà animé des formations dans sa propre communauté. Nous l'avons alors contacté avec l'ONG ProPetén et l'accord de l'association de Poité Centro, et elle a accepté de former les groupes de femmes pour la fabrication de chemises traditionnelles.

    2-3 Les capacités des associations paysannes

    Avec les résultats des diagnostics et l'annonce des plans de développement, nous pouvons comprendre, dans de tels contextes, que les associations paysannes sont des acteurs aptes à transformer durablement la situation selon leur propres choix.

    Pour gérer les projets en interne et collaborer avec l'extérieur, nous allons nous intéresser aux différentes « capacités » ou « capabilités » que permettent ces associations locales, ainsi que les fédérations d'associations, avec l'exemple de COACAP.

    Afin de clarifier le concept que nous utilisons, nous pouvons nous rapporter à la définition de « capabilité » que proposait A. Sen (2000), qui correspond d'après lui à la capacité pour une personne ou un groupe de choisir un style de vie qu'il veut valoriser, parmi un ensemble de possibilités. Selon lui, ces capabilités exercent une influence sur le changement social et sur la production économique (A.Sen 2000 : 294, In Effantin, 2006 :89)26. L'auteur met en évidence l'importance d'avoir le choix. Dans le cas des communautés q'eqchi', il paraît difficile d'identifier un ensemble fini de capacités nécessaires à l'autosuffisance des groupes d'agriculteurs, étant donné la multiplicité des conditions qu'un groupe doit rassembler pour mener ses projets et l'évolution de ses choix d'action. Cependant, il est intéressant d'analyser les capacités selon une problématique donnée pour avoir une vue d'ensemble. C'est pourquoi nous allons nous intéresser aux différentes capacités qui nous paraissent pertinentes par

    26 EFFANTIN-TOUYER R., 2006, De la frontière agraire à la frontière de la nature. Comment les migrants réinventent leurs ressources et leurs territoires dans la Réserve de Biosphère Maya (Guatemala). Thèse dirigée par HUBERT B., INA, Paris : 221 p.

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    rapport à mon terrain, permettant à ces associations d'agriculteurs de plus grands choix d'action par rapport au développement local et aux possibilités d'évolution.

    2-3-1 Les capacités stratégiques

    Le concept de « groupe stratégique » que nous pouvons emprunter à Evers et Schiel (1988)27 peut très bien s'appliquer aux associations paysannes. En effet, ce sociologue allemand définit les groupes stratégiques comme des agrégats sociaux empiriques, à géométrie variable, qui défendent des intérêts communs, en particulier par le biais de l'action sociale et politique. Ces groupes se forment dans une perspective pragmatique, proche des réalités. Pour lui, cela ne signifie pas pour autant que les classifications sociales "classiques", telles que le "genre", l'ethnicité, n'aient plus d'utilité. Les femmes analysent les problèmes autrement que les hommes et cela est une variable qui constitue des contraintes pour l'action. Mais pour Evers, le groupe stratégique reste au niveau « macro ». J-P Olivier de Sardan et T. Bierschenk (1994) proposent de rendre opératoire ce concept au niveau de la société locale où il peut être lié à l'observation des formes d'interaction directe entre acteurs identifiables.

    Les associations, en tant qu'acteurs reconnus, acquièrent des capacités stratégiques auprès des autres acteurs internes et externes aux communautés, telles que les initiatives, l'adaptation, la coopération, la négociation, et la communication :

    ? Capacité d'initiative :

    Les groupes organisés peuvent plus facilement prendre des initiatives, en cherchant des solutions aux problèmes rencontrés, tels que celles exprimées dans les plans de développement. Grâce à la participation des différents membres des associations, les idées sont plus nombreuses et plus structurées que lorsqu'elles sont prises individuellement, et permettent de bénéficier au groupe plutôt qu'à l'individu.

    ? Capacité d'adaptation institutionnelle:

    Dans le contexte de changement permanent, les associations sont un moyen de faire face à ces transformations et perturbations internes et externes à la localité, par le biais de débats, et prises de décisions collectives. Ainsi, certaines de ces décisions amènent à plus d'adéquation avec des variables de l'entourage externes environnemental mais aussi institutionnel : Les associations communautaires et leur rattachement à la fédération d'associations COACAP

    27 In BIERSCHENK T. et OLIVIER DE SARDAN J-P., 1994, « ECRIS : Enquête Collective Rapide d'Identification des conflits et des groupes Stratégiques... », Bulletin de l'APAD, N°7, Revues Apad (ed.) : 9 p.

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    permettent une adaptation administrative, technique, et financière au fonctionnement général institutionnel. En effet, les documents contractuels, le vocabulaire institutionnel, ainsi que les demandes chiffrées habituelles des institutions peuvent ainsi être comprises, ou du moins communiquées de manière plus abordable aux populations bénéficiaires des projets, via les associations. Au Guatemala, les administrations fonctionnant essentiellement en espagnol. Les personnes sachant lire et écrire sont donc souvent privilégiées par rapport aux autres. Les associations permettent dans ces cas aux groupes villageois, hispanophones ou non, de profiter de certaines opportunités. Cela facilite l'insertion dans ce système institutionnel global. Ceci ne signifie pas que les associations paysannes adoptent les mêmes idées ou mêmes finalités que ce dernier. Les groupes ont bien conscience que cette apparence leur permet d'être acceptés dans cet ensemble et d'accéder à divers avantages. Parmi ces avantages, le premier est leur visibilité institutionnelle, qui leur permet de coopérer avec des groupes souvent plus influents qu'eux au niveau des politiques régionales ou nationales. C'est le cas de l'ONG ProPetén qui a pu collaborer avec ces associations paysannes, grâce à leur visibilité.

    ? Capacité de partenariats :

    Les associations paysannes ont les moyens de collaborer avec divers acteurs publics ou privés. En créant des alliances, cela leur permet de mettre en commun leurs efforts et compétences pour arriver à réaliser leurs objectifs. Les leaders associatifs participent à des réunions et rencontres au niveau régional, ce qui facilite les possibilités de collaboration. Lors de mon séjour de terrain dans la communauté de Poité Centro, le président de l'association ainsi que deux autres personnes du conseil administratif se sont absentés pendant deux jours, car ils ont été invités pour participer à une réunion régionale sur le thème du développement rural organisée par l'ONG espagnole de coopération internationale, Global Humanitaria. Dans cette réunion, ils ont fait la connaissance d'autres acteurs de développement, dont des ONG nationales et régionales qui proposaient des projets sur le thème du développement rural. Ils ont aussi fait la connaissance d'autres leaders communautaires ayant des préoccupations semblables aux leurs. Des contacts ont été pris, et des alliances sont maintenant possibles grâce à ces réunions d'échange, de rencontre et d'information. Il en est de même avec le document de plans de développement que nous avons élaboré : chaque activité est reliée à plusieurs partenaires possibles, que les leaders peuvent contacter, pour accéder à des compétences spécifiques.

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    ? Capacité de négociation :

    Les groupes associatifs collaborant avec des partenaires peuvent aussi négocier avec eux. En effet, les partenaires n'ayant pas toujours les mêmes intérêts que les associations, certaines démarches peuvent être incompatibles. Dans ces cas, les groupes cherchent un accord commun, par le biais de la négociation. Chaque groupe tente de conserver un maximum d'intérêts, et chacun fait des concessions. Les négociations peuvent se formaliser par écrit par la signature d'un accord ou d'une convention.

    J'ai assisté à un phénomène de négociation spontanée entre l'association de la Compuerta et l'ONG ProPetén :

    Lors du problème survenu à l'arrivée des plants de mauvaise dimension dont nous avons parlé dans la première partie, il a fallu décider des modalités pour résoudre l'incident : il fallait convenir des dates d'arrivée de nouveaux plans dans les normes attendues et des dates de la venue de paysagistes spécialisés, pour venir regreffer les plans à la bonne taille puisque la greffe n'avait pas pris. Le coordinateur de projet de l'ONG a proposé de programmer cette activité deux mois plus tard, à la fin du mois de novembre. Cette date convenait davantage à l'ONG, car elle permettait de rester dans les temps du projet, de garder une bonne entente avec le bailleur de fond et ne pas trop perturber l'administration de l'ONG. Cependant, les membres de l'association ont rapidement rejeté cette proposition car elle ne correspondait pas à leurs contraintes personnelles de travail et au climat saisonnier. En effet, les agriculteurs de la communauté ont une surcharge de travail les mois de novembre et décembre, car ils récoltent le maïs et les haricots plantés quelques mois plus tôt. Ils n'auraient donc pas été disponibles pour gérer l'arrivée des plants de cacao, qui est une seconde priorité par rapport à l'alimentation familiale. De plus, le climat de la région est plus chaud et sec entre janvier à avril, ce qui correspondent à l'été. Les agriculteurs ont immédiatement pensé que si les plants de cacao étaient arrivés à cette période de l'année, ils n'auraient pas résisté à la chaleur et au manque d'eau. Ils ont donc décidé de repousser la date d'arrivée des plants en bonne et due forme au mois de juin, c'est-à-dire huit mois plus tard. Ayant de bons arguments, ils ont réussi à convaincre l'ONG qui était pourtant de ce fait confrontée à plus de difficultés. Les leaders de l'association ont aussi posé par écrit dans la même journée cette condition pour poursuivre le projet et ont fait signer ce contrat aux membres de l'association, ainsi qu'au coordinateur de projet de ProPetén28.

    28 Voir Annexe 3 : Signature du contrat sur la date de remise des nouveaux plans dans la norme.

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    ? Capacité de communication :

    D'après ce que j'ai pu remarquer sur le terrain, cette capacité est la plus importante, car elle permet d'accéder aux autres capacités indiquées ci-dessus. En effet, en communiquant à travers plusieurs canaux tels que des acteurs médiateurs comme la fédération COACAP, ou bien par le biais de réunions, elles peuvent se mettre en contact avec des opérateurs économiques et des autorités régionales pour réduire le niveau qui sépare les acteurs. Les associations et les fédérations d'associations, en tant qu'acteurs de la société civile, ont le rôle primordial de médiateur. Elles permettent l'interface de communication entre la population locale et les institutions de développement. Cette médiation est à double sens, car les associations reçoivent et donnent des informations de chaque côté.

    Schéma: L'association médiatrice

    Elles peuvent ainsi se procurer les informations nécessaires pour conquérir de nouveaux espaces de négociation et d'action collectives.

    Lorsqu'il n'y a pas d'association dans les villages, la communication entre la population locale et l'extérieur se fait par le biais des leaders communautaires. Néanmoins, le statut de ces derniers est assez ambigu, car ils continuent à vivre dans leur groupe tout en ayant des contacts fréquents avec l'extérieur. Ils reçoivent alors un double contrôle permanant, venant d'un côté des villageois et de l'autre de la société ladina avec qui ils communiquent. Selon Henri Favre (2011)29, ces leaders médiateurs sont « rapidement absorbés soit par la communauté indienne dont ils sont issus, soit par la société ladina à laquelle ils se sont culturellement assimilés. Les uns cèdent aux pressions souvent très fortes dont ils sont l'objet dans leur milieu d'origine pour qu'ils se conforment aux coutumes et aux normes

    29 FAVRE, H., 2011, Changement et Continuité chez les Mayas du Mexique, L'Harmattan, Paris : 299 p.

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    traditionnelles. Ils réintègrent l'ordre social qu'ils avaient pour mission de transformer du dedans.» (2011 : 276).

    C'est pour cette raison que les personnes ayant réussi à obtenir un poste dans des organismes de développement extérieurs aux communautés travaillent finalement majoritairement pour d'autres communautés que la leur, afin de ne pas être « absorbés » par le contrôle communautaire. A la Compuerta, un homme travaille ainsi comme promoteur pour un organisme de formation consacré à l'appui communautaire. Il ne travaille pourtant pas pour la Compuerta, mais dans des communautés voisines, et revient maintenant seulement le dimanche dans sa communauté. De la même façon, le fils du président de l'association de Poité Centro, qui travaille actuellement dans une ONG de projets ruraux au nord de la région, ne revient que pour quelques jours de vacances dans sa communauté d'origine.

    Parfois, cette « absorptions » des anciens leaders mènent à des attitudes anti-indiennes qui se trouvent habituellement chez les ladinos : Dans la communauté de San Lucas Aguacate, un agriculteur m'a raconté que sa fille était très reconnue des villageois car elle parlait bien espagnol et elle avait réussi à faire parvenir quelques projets de santé. Un jour elle a eu l'opportunité de partir en ville pour travailler en tant que secrétaire :

    Francisco (voisin du père de la secrétaire) :

    - « Elle est Q'eqchi', mais elle a honte de parler q'eqchi'. Quand elle est revenue (au village) avec le « bureau des femmes » (une association), pour des projets pour les villages, et qu'elle pouvait parler espagnol, cette femme q'eqchi' pouvait parler avec les autres femmes (du village en q'eqchi'). Mais elle avait peur de parler. »

    - « Et pourquoi avait-elle honte? » Francisco:

    - «Parce que cela montre qu'elle est Q'eqchi', et en plus, elle a honte de parler en présence des collègues (de la ville), parce que cela lui faisait sentir qu'elle n'était plus Q'eqchi' parce qu'elle est dans la ville, elle travaille dans les bureaux, c'est pour cela qu'elle a honte de parler. Mais..., il ne faut pas faire comme cela, nous devons parler q'eqchi'. » 30

    30 Traduction personnelle d'entretien de terrain:

    Francisco: «Es Q'eqchi', pero tiene vergüenza de hablar en q'eqchi'. Cuando regreso con la «oficina de mujeres», para proyectos a las aldeas y podía castellano, entonces esa q'eqchi' podía hablar con las otras mujeres. Pero tenía miedo de hablar

    Yo: -«Y por qué tienen vergüenza

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    Cet entretien montre comment les leaders locaux isolés, c'est-à-dire n'appartenant pas à un groupe organisé, peuvent être absorbés par la société ladina jusqu'à l'extrême, en éprouvant le besoin de mieux marquer la rupture avec leurs origines ethniques et s'assimiler pleinement à la culture citadine ladina. Bien sûr, cette analyse doit tenir compte de la situation de racisme qui est très pesante ; nous l'expliquerons en troisième partie du mémoire.

    Par ces exemples, nous pouvons alors penser que les associations paysannes, du fait de la rotation régulière des leaders et de l'aspect groupal, sont plus aptes à communiquer de manière durable avec les deux parties sans être « absorbées » comme le sont les individus isolés. Nous allons analyser leurs moyens de communication au niveau interne et au niveau externe :

    - Communication interne :

    Nous délimitons pour cette analyse la communication interne au niveau du village et des interactions inter-villageoises de la même zone géographique.

    Ces interactions ont lieu ordinairement même lorsqu'il n'y a pas d'association paysanne existante, mais les associations paysannes les amplifient, les formalisent et les modifient en les rendant accessibles à une plus grande proportion de la population. En effet, le fait que les agriculteurs mènent isolément leurs expériences respectives empêche le partage des idées, découvertes et interprétations avec leurs collègues. L'échange entre groupes permet de comparer les résultats, leurs capacités techniques et leurs savoirs, et ainsi de renforcer l'aptitude à gérer les changements par leur complémentarité. Les groupes locaux sont non seulement des sources potentielles d'information et d'expérience, mais également des collaborateurs possibles.

    Le réseau local d'échange d'expérience est souvent appelé communément en Amérique Centrale « Campesino a campesino » (de paysan à paysan). C'est par ce moyen informel que les trois associations communiquent, autant pour l'organisation de fêtes traditionnelles communes que pour se transférer des informations utiles dans le travail agricole. Par exemple, à Poité Centro, le président de l'association a essayé une technique d'engrais naturel par épandage d'olotes secs (épis de maïs sans ses grains) mélangés à des feuilles d'arbre coupées à la machette. Il a constaté que l'effet était très bénéfique sur la croissance des haricots. Il en a alors parlé aux membres de son association, puis aux présidents des deux autres associations

    Francisco: -«Porque muestra que es q'eqchi', y además, tiene vergüenza de hablar con los compañeros, porque ella se siente como que ya no es q'eqchi' porque está en el pueblo (ciudad), está trabajando en las oficinas, por eso tiene vergüenza de hablar. Pero..., no hay que hacer así, tenemos que hablar q'eqchi'.

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    qui ont eux-mêmes communiqué l'information à leurs associés. La nouvelle s'est ainsi répandue très rapidement dans les familles à travers les trois villages.

    Les paysans ne se font pas d'illusions sur les « techniques miracles » décrites par les agronomes ou les facilitateurs venant des ONG comme solutions aux problèmes d'agriculture. Par contre, ils sont très intéressés pour connaître les résultats des expériences menées par leurs voisins agriculteurs, qui partagent avec eux des conditions de vie et de travail. En communiquant de la sorte, ils peuvent collecter conjointement des informations, engager des débats, expérimenter des techniques utilisées par les voisins, avec plus de chances qu'elles leurs soit utiles à eux aussi.

    Cette propagation de techniques par la communication peut nous faire penser à la théorie du diffusionnisme de Franz Boas (1858-1942), qui montre que les techniques et traits culturels se diffusent géographiquement par une succession d'emprunts et de contact d'un groupe à l'autre.

    - Communication externe :

    Au Guatemala, la communication externe des villages avec les institutions privées et publiques de la région, voir du pays, passe presque inévitablement par les associations paysannes et les fédérations auxquelles elles sont ralliées. Ces dernières sont un moyen pour les ONG nationales ou internationales de court-circuiter le maillon de l'administration municipale qui n'a pratiquement aucune information sur les villages.

    Par contre, la bonne communication externe est conditionnée par une communication non pas seulement verticale (interne-externe) mais aussi horizontale à (interne-interne et externe-externe). Le manque de communication entre les différents acteurs de développement de la région peut parfois freiner les communautés dans leur démarche. Par exemple, différentes ONG travaillent sur les mêmes problématiques, mais ne se donnent pas toujours les informations, à cause de la concurrence. Pour le plan de développement, il a été difficile de trouver un partenaire travaillant sur la fabrication de savons, alors qu'en fait, j'ai su à la fin de mon séjour qu'au moins trois ONG du département ont déjà travaillé sur ce genre de projet ; l'ONG ProPetén n'était pas au courant de leur existence. Le manque de collaboration entre les acteurs externes accentue les difficultés pour les associations villageoises, pour qui les informations sont invisibles si elles ne sont pas diffusées au niveau externe.

    Pour pallier à cette difficulté, il est donc plus pratique pour les associations de passer par les fédérations, qui leur permettent d'élargir leur réseau de relations et de diversifier leurs

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    alliances. Grâce aux contacts de la fédération COACAP, les associations paysannes ont par exemple pu vendre leurs produits dans une exposition régionale l'année dernière.

    Les associations paysannes et des fédérations possèdent un autre avantage, qui est leur expérience de collaboration avec différents agents de développement. Grâce à cela, elles ont pu peu à peu comprendre le langage spécifique « du développement » et l'appliquer à leur avantage pour satisfaire leurs demandes et intérêts. J'ai pu remarquer cela lorsque lors d'une réunion, certains paysans disaient vouloir développer des activités pour la seguridad alimentaria (sécurité alimentaire), ou proyecto productivo (des projets productifs), qui sont des termes utilisés principalement par les développeurs des ONG.

    Pour les « professionnels du développement », la communication avec les organisations paysannes est privilégiée car pour eux, cela permet de faciliter et d'accélérer la conduite de projets, ainsi que d'obtenir des meilleurs résultats en terme d'équité et de pérennisation31. Nous voyons donc qu'ils ont une conception plutôt « fonctionnelle » ou « instrumentale » de cette communication. Nous insisterons sur ce point dans la dernière partie du mémoire.

    ? Capacité de plaidoyer :

    Grâce à leur capacité de communication, les agriculteurs peuvent exercer une pression sur les organismes de développement, ainsi que sur les politiques. Ils peuvent défendre leurs droits grâce à l'accès qu'ils ont à l'information, par les associations paysannes et les fédérations. Dans le cas de notre étude, les droits les plus revendiqués sont l'accès à la terre, et l'accès aux services de base (eau, éléctricité).

    Selon Esman et Uphoff (1983), « L'étude d'expériences de développement rural montre que ce sont les structures d'organisation rurale à niveau multiples qui ont produits les résultats les plus prometteurs. Ces structures sont basées sur de petits groupes locaux, qui présentent l'avantage d'être plus solidaires, regroupés ou fédérés au sein d'associations plus importantes, dont l'avantage réside, quant à elles, dans leur taille » (1999 : 336)32

    Les fédérations d'associations, plus visibles et plus compétentes au niveau administratif, sont capables de négocier avec des organismes publics ou des groupes d'intérêts concurrents. Elles peuvent se réunir, et mettre en commun les demandes et besoins des différentes associations, pour ensuite les communiquer à des organismes ayant du pouvoir au niveau national. Dans le domaine du droit indigène par exemple, qui a un poids politique important au Guatemala, un

    31 Entretiens avec l'agronome et le coordinateur de projet de l'ONG ProPetén

    32 In SCOONES I., THOMPSON J., 1999, La Reconnaissance du Savoir Rural. Savoir des populations, recherche agricole et vulgarisation. CTA-Karthala, Paris : 471 p.

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    groupe de femmes de la communauté de San Lucas Aguacate milite activement pour ses droits et participe régulièrement à des réunions en ville. Cela ne permet pas toujours d'engager un réel changement social et économique dans les villages, mais y contribue petit à petit.

    Le mouvement le plus connu par rapport à la capacité de plaidoyer des organisations paysannes est la Via Campesina : Ce mouvement international rassemble des millions de paysans de 70 pays, et elle défend l'agriculture durable de petite échelle comme moyen de promouvoir la justice sociale et la dignité. Par ce mouvement mondial, les voix des paysans et leur participation aux décisions ont pu obtenir une reconnaissance, et se sont imposées dans les débats sur l'alimentation et l'agriculture. De grandes institutions telles que la FAO ou le Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU connaissent les exigences de ce mouvement et en tiennent compte. C'est aussi ce même mouvement qui a lancé l'idée de la « souveraineté alimentaire » au Sommet Mondial de l'Alimentation en 1996. La Via Campesina est une structure décentralisée au sein de 9 régions coordonnées. Elle est financée par les contributions de ses membres, des dons privés et par le soutien de certaines ONG, fondations et autorités locales ou nationales.

    A travers cet exemple de mobilisation mondiale, nous comprenons bien que la capacité de plaidoyer est possible depuis les organisations et associations de base, par le biais d'alliances et de coordination. De ce point de vue, l'orientation vers la construction d'un pouvoir paysan, capable de peser sur la définition et la mise en oeuvre de politiques concernant le monde rural, est possible à long terme. Le renforcement durable des structures et de la mise en réseau des associations paysannes paraît pour cela indispensable.

    2-3-2: une durabilité recherchée par les associations d'agriculteurs du projet cacao Dans le cas particulier de ces communautés de migrants, les anciens qui sont arrivés dans cette zone il y a quarante ans se préoccupent beaucoup de pouvoir y rester. L'autosuffisance et la sécurité économique sont les objectifs que les agriculteurs expriment régulièrement, et qui se reflètent à travers les projets qu'ils entreprennent. Une des principales craintes qui motive leurs projets est la menace de l'émigration des jeunes. En effet, à leur tour, par manque de terre et de moyens sûrs de subsistance, ils vont chercher du travail dans d'autres régions, mais aussi dans d'autres pays : le Belize, le Mexique, et les Etats-Unis. A travers les associations paysannes, les agriculteurs cherchent des solutions pour une autosuffisance qui soit durable, pour que les générations futures puissent vivre de leurs récoltes. Ainsi, les trois

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    aspects de ce qui est appelée « développement durable » par les institutions, c'est-à-dire l'aspect économique, social, et environnemental, sont pris en compte par ces groupes locaux, dans l'objectif d'une pérennisation des moyens de leur autosuffisance alimentaire et économique. Cette importance n'est donc pas seulement culturelle pour les agriculteurs Maya Q'eqchi', comme nous en avons fait part avec la perception de la nature dans la culture Maya, mais c'est aussi une stratégie de cohésion sociale.

    Tout d'abord, écologiquement, il est important pour les associations paysannes du Petén de ne pas épuiser leurs ressources car elles leurs sont vitales, notamment le bois de la forêt qui est utilisé pour la cuisine et pour la construction des maisons. Là où sont coupés des arbres, d'autres sont alors replantés. Ensuite, économiquement, les associations cherchent à développer des activités locales de production pour assurer leur autonomie et celle des générations futures. Puis, socialement, les groupes d'agriculteurs organisés sont d'une grande importance pour les villageois car ils permettent une répartition équitable des ressources et du pouvoir, afin de satisfaire les besoins essentiels de tous les membres des associations et de leur famille. Enfin, ces associations ont aussi l'avantage d'être plus adaptables que des individus isolés n'ayant pas beaucoup de contacts avec l'extérieur. Les communautés rurales peuvent être capables de s'adapter aux changements incessants des conditions dans lesquelles évoluent l'agriculture et la demande extérieure, comme nous le prouve le projet de commercialisation de cacao avec l'ONG ProPetén. Elles peuvent aussi avoir plus de ressort dans leurs recherches actives de solutions par rapport aux changements climatiques : par exemple, en testant de nouvelles productions agricoles et en prenant moins de risques individuels.

    2-3-3 Des capacités financières encore limitées

    Les trois associations du projet ont été légalisées en 2012, et donc reconnues par les municipalités. Chacune d'entre elle a pu ouvrir un compte à la banque pour déposer les cotisations de leurs membres, grâce à cette existence légale du statut d'association. Cet argent leur permet principalement de s'entraider localement, de préparer les fêtes traditionnelles et aussi d'entretenir les locaux, comme je l'ai vu à La Compuerta, où l'argent cotisé va permettre de refaire le toit abîmé de la maison associative.

    Pour les projets plus coûteux, les associations peuvent faire appel aux ONG, qui sont de véritables intermédiaires financiers entre les villages et les bailleurs de fonds nationaux et

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    internationaux. De même, elles peuvent multiplier les partenariats publics et privés pour pouvoir financer leurs projets.

    Cependant, les associations paysannes ne peuvent pas prendre en main financièrement les projets tels que le projet de production de cacao, car elles ne disposent pas de l'autonomie financière suffisante. Les bailleurs de fonds sont plus confiants grâce au statut légal des groupes locaux qui leur confèrent une certaine légitimité. Il devient alors plus simple pour ces derniers d'accéder aux financements. Néanmoins, cela les placent dans une situation de dépendance vis-à-vis des institutions d'apports financiers (et parfois techniques) externes. Ceci reste un problème pour les associations, car elles rencontrent toujours cet obstacle financier pour développer leurs projets. Cette question financière paraît cruciale, car comme l'explique Omar Bessaoud dans son étude sur les organisations paysannes au Maghreb, elle conditionne souvent les possibilités d'action et constitue un indice sérieux pour leur durabilité (Bessaoud O., 2008 :16)33. Elle peut aussi largement diminuer l'autonomie politique des associations paysannes, particulièrement lorsqu'elles sont mono financées par une institution, car cette dernière acquiert alors plus de pouvoir sur le projet financé.

    Nous verrons dans la troisième partie que ce problème financier n'est pas le seul que rencontrent les associations paysannes, et que d'autres freins restreignent les possibilités de cet « idéal » de développement local durable.

    Au cours de cette deuxième partie, nous avons pu comprendre en quoi la gestion communautaire par les associations paysannes pouvait être une solution au développement durable local. En effet, cette gestion favorise une meilleure identification des besoins particuliers aux villages. Ensuite, les associations permettent une réelle capacité stratégique, dont la communication, car elles s'articulent dans deux types de niveaux (local et global), et deux « systèmes de sens ». » (Olivier de Sardan, 1995 : 141). Grâce à cette place médiatrice, elles peuvent développer un réseau avec différents groupes d'acteurs pour atteindre des objectifs communs. Cela leur permet aussi d'argumenter leur position et faire des propositions dans des instances de décisions à des niveaux extérieurs aux villages. Leur poids politique se trouve renforcé, ce qui permet une meilleure cohésion et une meilleure liaison entre les différents niveaux décisionnels.

    33 BESSAOUD O., 2008, « Les organisations rurales au Maghreb », Économie rurale 303-304-305, Société Française d'Économie rurale : 15 p.

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    Nous allons comprendre certaines limites et contraintes auxquelles sont confrontées les associations paysannes et le fonctionnement général du développement rural au Guatemala, ce qui nous fera relativiser l'approche idéale des associations paysannes.

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    Troisième Partie : Des limites et difficultés qui relativisent cette approche idéale

    Aujourd'hui, pratiquement toutes les formes d'organisations rurales et agricoles sont confrontées à des problèmes souvent liés au manque de ressources et de capacités (financières, matérielles, humaines), qui limitent leurs champs d'action. Les problèmes principaux résultent aussi de la forte dépendance vis-à-vis des structures extérieures, des difficultés liées aux discours du développement, ainsi qu'à des problématiques socioculturelles, économiques et politiques qui surplombent les associations paysannes. Nous dans aborderons dans cette partie ces limites à prendre en compte pour une approche plus relative de la question du développement rural au Guatemala.

    3-1 Les difficultés liées aux discours du développement : Décalage entre objectifs et réalisations effectives

    Aujourd'hui, la plupart des ONG ont développé autour de leurs principes et de leurs modes d'intervention un discours relativement homogène. Yves Guillermou synthétise ce discours par quatre caractéristiques principales :

    « a) leur statut d'associations sans but lucratif et non gouvernementales garantit le caractère « indépendant » et « désintéressé » de leur action ; b) leur activité s'organise autour des besoins prioritaires de la population, et notamment des couches les plus défavorisées ; c) les actions concrètes sont définies à partir du terrain, sur la base d'un dialogue réel avec la population, et leur mise en oeuvre repose sur la participation consciente et volontaire de celle?ci ; d) en tant qu'intervenant extérieur, l'ONG ne constitue pas une structure propre et durable, mais un relais entre la population et les structures d'encadrement existantes.(Yves Guillermou, 2003 : 124)34

    De tels principes conduisent généralement la majorité des ONG qui travaillent sur des projets ruraux à définir leur rôle principal en termes d'« appui aux initiatives paysannes ». Nous pouvons bien reconnaître dans ces quatre caractéristiques les principes de l'ONG ProPetén. Ce type de discours est attendu et apprécié par plusieurs acteurs. En effet, comme le fait remarquer Y. Guillermou, ces caractéristiques rencontrent généralement un écho favorable

    34 GUILLERMOU Y., 2003 « ONG et dynamiques politiques en Afrique », Journal des anthropologues, n° 9495, Association française de anthropologues : p. 123-143

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    auprès des autorités politiques du Sud, mais aussi des bailleurs de fonds et de l'opinion publique du Nord. On voit souvent ces caractéristiques apparaître au Guatemala à travers les appels d'offre des bailleurs de fonds, tels que l'Union Européenne (UE) ou la Banque interaméricaine de développement (BID). D'ailleurs, certaines de ces caractéristiques sont plus ou moins précises selon les époques et selon les courants de pensée du développement international. Par exemple, cette dernière décennie a été marquée par la composante « genre » dans les institutions de développement rural au Guatemala. Dans quasiment tous les projets, cette composante doit apparaître pour les bailleurs de fonds. Pour obtenir le budget dont elles ont besoin, les ONG parviennent à faire correspondre leurs projets aux caractéristiques demandées par les institutions donatrices. Cependant, ces discours peuvent quelquefois se transformer, lors de la concrétisation de ces projets sur le terrain. En effet, la traduction effective au niveau des populations concernées peut s'avérer aléatoire, ce qui conduit fréquemment à des décalages entre les objectifs que se fixent les ONG et leurs capacités de réalisation.

    Afin de mieux comprendre ces décalages, nous allons nous intéresser à la logique de développement « top-down » qui peine encore à s'atténuer. Puis, nous verrons en quoi la question de la participation est un point crucial du discours actuel et ses discordances. Enfin, nous verrons en quoi les trop grandes différences de pensée traditionnelle et institutionnelle peuvent constituer des blocages pour la réalisation de l' « idéal de développement ».

    3-1-1 Une logique de développement top-down encore présente

    « Ce que vous faites pour moi, mais sans moi, vous le faites contre moi. »

    (Mohatma Gandhi)

    L'approche dite « top-down » (« vertical-descendant ») décrit la façon d'intervenir des institutions de développement, qui conçoivent des projets depuis les grandes instances de décisions pour les appliquer ensuite au niveau local. Cette approche vise en particulier l'efficacité, l'efficience et la croissance de ces projets, ce qui implique des contraintes de temps, de moyens et des démarches d'extension. Des solutions d'innovations économiques et technico-scientifiques, visant un objectif de « progrès », ne prennent pas en compte l'aspect social. De plus, le mode d'imposition des solutions décidées a priori sans la participation des populations a été beaucoup critiqué. Les critiques de cette approche « top-down » retentissaient déjà dans les années 1980 (David Korten, 1980). De nombreuses analyses étaient arrivées au constat que cette approche « top-down » ne produisait pas de résultats

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    durables sur le terrain. Depuis, la manière dont les institutions internationales envisagent l'aide au développement a profondément évolué vers une approche plus proche des populations locales. De plus larges ambitions de participation, de flexibilité et d'actions sur le terrain se sont appliquées dans le but d'une meilleure adéquation des projets aux populations locales et un pouvoir local étendu.

    Cependant, les problèmes concrets liés à l'outil projet, à ses modes de mise en oeuvre et aux interactions « développeurs-développés » sont toujours présents. Nous pouvons le remarquer à travers le projet cacao de ProPetén où des actions non-adaptées, des inégalités et des incompréhensions persistent :

    - Le projet cacao conçu et supervisé par les bailleurs de fonds étrangers :

    Même si dans le cas du projet cacao et des autres projets locaux que j'ai pu observer, c'est l'ONG locale ProPetén qui a coordonné les activités, ces dernières s'insèrent tout de même dans des programmes globaux qui ont été conçus par les bailleurs de fonds états-uniens, allemands, ou japonais. Ceux-ci ont envoyé des appels d'offre avec les grandes lignes des projets déjà tracées. Pendant mon séjour au sein de l'ONG, un consultant du bailleur de fond états-unien du projet cacao est venu vérifier lors d'une réunion si l'accord de départ était bien respecté. Par cette occasion, il a donné des conseils de poursuite de projet. Parmi les impératifs de ce projet, une pépinière doit être construite pour chaque association communautaire pour le séchage du cacao. Il est décrit sur ce point dans la convention que l'application d'une « technologie de pointe pour produire de la qualité à prix bas »35 est fondamentale à la réussite du projet. Cependant, dans la communauté de Poité Centro, il n'y a pas de terrain qui appartienne à l'association locale pour le moment où ils pourraient construire cette pépinière. Selon les associés, il aurait été plus simple d'utiliser une pépinière commune avec la communauté voisine de San Lucas Aguacate. En effet, cette dernière se trouve à quelques kilomètres à peine et a plus d'espace pour la construction. Cet exemple montre qu'il n'y a pas eu de réelle participation des populations au moment de la conception du projet.

    D'autre part, le bailleur de fonds concepteur du projet a tenu compte de données quantitatives comme la taille des communautés, le nombre de personnes bénéficiaires du projet, ou la taille des parcelles cultivables, mais j'ai pu remarquer une omission de prise en compte des habitudes de production locales. Par exemple, dans ce projet, une petite partie des fonds est

    35 Traduction personnelle tirée du document DELEON VILLAGRAN R., 2012, PLAN DE NEGOCIOS PRODUCCION Y COMERCIALIZACION DE CACAO. Fundación ProPetén, Guatemala: 54 p.

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    accordée à la formation pour la fabrication d'engrais organiques. Cela a beaucoup intéressé les bénéficiaires. Néanmoins, cette activité était trop centrée sur les cacaoyers et ne prenait pas en compte les autres cultures. Les agriculteurs auraient voulu apprendre des techniques d'engrais organiques pouvant s'appliquer à leurs principales cultures qui sont le maïs et le frijol. Il en est de même pour la technique de greffe des cacaoyers qui a été expliquée exclusivement pour le cacao, alors que les agriculteurs auraient aimé avoir un aperçu plus général pour pouvoir l'utiliser sur leurs orangers.

    Nous voyons à travers ces exemples que certaines activités du projet cacao sont isolées du contexte global de production locale. Cela montre que le projet a été conçu de façon externe dans une approche encore trop verticale.

    - Une interaction inégale : exemple de l'utilisation du vouvoiement et du tutoiement :

    Au cours de mon observation sur le terrain, j'ai pu constater à plusieurs reprises que le dialogue entre les associations locales et l'ONG était difficile.

    Dans les débats actuels sur le développement dans les pays du sud, cette question du dialogue entre les différents acteurs est un élément central. Elle s'élabore par un processus interactif entre parties prenantes. Cependant, cette interaction ne se fait pas toujours d'égal à égal, même si les agents de développement ont une approche de collaboration dans leurs discours. Je me suis rendue compte immédiatement de la différence de langage dans la façon de s'adresser aux populations : Dans les groupes ladinos parlant espagnol dont font partie le personnel des ONG, les personnes se vouvoient habituellement entre elles et ne se tutoient que très rarement lorsqu'elles se connaissent très bien. Même au sein des familles ou entre amis, le tutoiement est très peu utilisé dans cette région du Guatemala. En revanche, dans la langue q'eqchi', il n'existe pas de différence entre usted (vous en espagnol), et (tu en espagnol). Lorsque ces deux groupes sont en interaction, les habitudes concernant l'usage du vouvoiement sont alors bouleversées par le contexte et le statut social intégré culturellement. En effet, le personnel de l'ONG tutoie les villageois, quel que soit leur place hiérarchique au sein du village, alors que les villageois vouvoient tous les « développeurs ». De plus, j'ai souvent remarqué que les q'eqchi' utilisent le mot « ingeniero » (ingénieur) pour s'adresser au coordinateur de projet ou à l'agronome de ProPetén. Cette modification des codes de vouvoiement et ce vocabulaire utilisé montrent clairement l'inégalité des relations entre les institutions et les groupes locaux. Des oppositions entre les statuts sociaux de pauvre/riche,

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    citadin/rural, ingénieur/paysan, ladino/q'eqchi' sont immédiatement imposées à travers l'interaction des agents de développement et des populations locales.

    - Un passage difficile de l'institutionnel au traditionnel : Conflits d'intérêts et de normes :

    La motivation de collaboration des institutions de développement avec les groupements paysans et leur éthique visant au partage paraît sincère. Cependant, les logiques de la culture professionnelle technicienne perdurent inconsciemment. Les instruments n'ayant pas assez évolué posent les mêmes problèmes d'adaptation qu'il y a vingt-cinq ans. L'approche techniciste les empêche encore parfois de reconnaître et prendre en compte les logiques paysannes. La prise en considération de l'expérience des agriculteurs pourtant valorisée dans les discours ne se remarque pas dans la pratique de collaboration. Par exemple, L'ONG ProPetén favorise l'échange d'expérience entre les agriculteurs, comme lors d'un échange organisé en 2011 entre les agriculteurs des trois associations du projet cacao et des producteurs de cacao de Cahabón (región d'Alta Verapaz d'où viennent les migrants). Cependant, il n'y a pas d'échange de connaissances entre agriculteurs et professionnels « techniciens ».

    - Des attentes ethnocentriques des institutions envers les associations locales:

    Lorsque les institutions s'adressent aux associations paysannes, on constate souvent qu'elles attendent de ces dernières un fonctionnement calquée sur le leur. En privilégiant l'ajustement des associations locales sur leur fonctionnement institutionnel occidental, les ONG prennent parfois le risque de confier des tâches que les associations ne sont pas en mesure de réaliser, ou se heurtent à leur refus (Deveze J-C., 1992 : 6)36. Des capacités entrepreneuriales telles que des connaissances en comptabilité, en gestion financière et gestion commerciale, ne leur sont pas toujours expliquées car selon les institutions, ces connaissances sont la base d'une association.

    - Les intérêts différents des techniciens et des paysans :

    Un des principaux décalages entre ces deux logiques se trouve dans la différence de motivation subordonnée aux projets. En effet, quel que soit le projet, la logique des ONG est motivée en grande partie par l'économie, l'efficacité et le résultat chiffrable des projets : elles ont elles-mêmes besoin de cet apport économique pour exister et pour faire reconnaitre leur

    36 DEVEZE J-C., 1992, « Les organisations rurales au coeur de la transformation des campagnes africaines ? », Bulletin de l'APAD, n°4, Revues Apad (ed.) : 7 p.

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    travail aux grands bailleurs de fonds et à l'opinion publique. En revanche, la logique des paysans est principalement motivée par la sécurisation des conditions de reproduction de leurs membres. Les contraintes des villageois concernés par les projets ne sont pas seulement d'ordre économique et matériel, mais aussi d'ordre social, culturel, politique... Les nouveaux projets tel que le projet cacao, s'insèrent alors dans un fonctionnement global communautaire. La logique institutionnelle ne parvient pas encore à concevoir qu'un projet peut être un « fait social total »37 pour les groupes receveurs. Une approche plus holistique de la part des institutions aiderait à une meilleure adaptation des projets. Selon Jean-Pierre Chauveau (1991 : 131), l'action de développement doit considérer la hiérarchie des choix économiques paysans, comme par exemple le choix de la limitation des risques sur celui de la productivité ou d'innovation, ou la priorité de la consommation sur celle de l'accumulation.

    A travers le tableau suivant, nous pouvons voir que les intérêts de la logique paysanne et technicienne sont relativement différents, et même s'ils se regroupent parfois, ils ne s'appliquent pas aux mêmes objectifs principaux :

     
     
     

    Logique

     

    objectif principal

    Substistance

     

    type d'intérêt

    Epargne

    Consommation

    Paysanne

    Technicienne

    résultat productif rapidement perceptible

    sécurité alimentaire

    Augmentation de la

    productivité et de la

    rentabilité

    meilleure organisation communautaire

    augmentation du capital

    amélioration des techniques de culture

    Accumulation

    innovation

    Visibilité quantitative

    des résultats

    résultat économique rapidement perceptible

    meilleure organisation communautaire

    augmentation du capital

    Logique paysannes et technicienne: intérêts et objectifs

    37 Outil méthodologique de Marcel Mauss

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    En plus de ces conflits d'intérêts dus aux différentes logiques paysanne/technicienne et aux différents objectifs, des conflits culturels par rapport aux normes administratives sont aussi à prendre en compte dans l'interaction des institutions avec les groupes locaux. Le même constat a été fait par Faure G., Veerabadren S. et Hocde H. (2008)38 au Costa Rica dans un projet de production d'ananas.

    La culture institutionnelle englobe un certain nombre de règlementations précises au niveau de l'administration. Les associations paysannes, bien que plus aptes à comprendre et à s'adapter à ces règlementations, gardent néanmoins leurs règles et normes culturelles locales qui sont parfois en contradiction avec celles des ONG. Pour les populations locales, la légitimité des associations paysannes tient moins à l'application stricte du règlement intérieur qu'au fait d'apparaître en conformité par rapport aux structures et relations sociales en place et aux lignes de force déjà présentes dans la société locale (Jean?Pierre Jacob, 2006 : 2). Dans le cas de notre étude, le règlement qui a été signé au moment de la reconnaissance municipale des 3 associations paysannes q'eqchi' est un document dactylographié sous une forme institutionnelle. Il est reconnu par les institutions nationales et admise pour ses qualités de transparence, de responsabilité et de représentation des leaders élus. L'instauration de ces règlements et de ces conventions entre associations et ONG implique la mise en oeuvre de nouvelles normes qui appartiennent à la culture institutionnelles. Face à cette différence, les producteurs, les associations, les ONG et les institutions internationales ont une position contrastée. En effet, comme le soulignent Brunsson et Jacobson, « les normes ne sont pas neutres et correspondent à des objets construits socialement. Elles reflètent les perceptions des acteurs sur leurs activités et leur environnement et leurs capacités à participer à leur élaboration puis à les imposer » (2000 : 193). Dans les villages concernés par le projet de production de cacao, les agriculteurs ne sont pas habitués à vendre leur production en dehors des marchés locaux, au-delà de la municipalité de San Luis qui est à quelques kilomètres. Ils n'ont pas l'habitude des normes internationales de commerce équitable auxquelles le projet doit se soumettre. Les difficultés techniques et organisationnelles qu'implique la mise sous normes du processus de production et de commercialisation sont exprimées par les agriculteurs.

    38 FAURE G., VEERABADREN S. et HOCDE H., 2008, « L'agriculture familiale mise sous normes. Un défi pour les producteurs d'ananas au Costa Rica ? », Économie rurale, n°303-304-305, Société Française d'Économie rurale: p. 184-197

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013) - Des normes agronomiques :

    D'abord, par rapport au mode de culture, les normes du projet cacao impliquent des changements. En dehors de l'interdiction d'usage de pesticides, qui n'est pas gênante pour les producteurs sachant qu'ils ont pris connaissance de la fabrication d'engrais organique avec des ressources locales, d'autres normes deviennent plus problématiques. Par exemple, le changement de certaines techniques de production est imposé par la législation stricte pour les futurs acheteurs des pays importateurs. Ces mesures sont détaillées, et concernent la façon de planter le cacao, de le récolter etc... Par exemple, l'espace entre les plants doit être de 5 mètres, ils doivent être plantés à une certaine profondeur, un nombre précis d'arbres madre cacao doivent être plantés pour les protéger du soleil et les espèces de cacao ne doivent pas être mélangées entre elles, mais alignées une par une en différenciant les variétés39.

    - Des normes organisationnelles :

    Par ailleurs, par rapport à la manière de s'organiser, les résultats quantitatifs que demande le bailleur de fond nécessitent la mise en place de mécanismes de contrôle pour avoir une traçabilité à tous les niveaux de l'évolution du projet, ce qui modifie aussi les habitudes de travail de groupe au niveau local : Chaque parcelle doit être identifiée, chaque opération qui utilise des intrants doit être reportée, des fiches de suivi doivent être remplies... La mise en place de registres est donc nécessaire et cela mobilise des efforts importants et du temps de travail pour les producteurs. De plus, il y a beaucoup d'analphabètes parmi les bénéficiaires du projet, ce qui complique les démarches. Ces personnes vont recevoir des formations d'alphabétisation payées par le projet. Pour le moment, ils s'appuient sur leurs enfants, leurs petits-enfants, ou des leaders sachant lire et écrire. La forme traditionnelle orale ne peut pas être utilisée en travaillant en relation avec l'extérieur. Les associations et fédérations paysannes constituent au travers de l'action collective un moyen important pour les producteurs de relever le défi des normes organisationnelles. Cela implique une structuration et une professionnalisation en fonction des normes des acteurs institutionnels avec lesquels ils travaillent.

    Toutes ces normes exigeantes ont bien sûr des justifications agronomiques et organisationnelles, dans le but d'obtenir un bon résultat pour une meilleure vente de la production. Cependant, de bons résultats pourraient aussi être obtenus par les techniques productives internes. En effet, surtout dans le domaine agronomique, les techniques

    39 Voir Annexe 4 : Plan de disposition des variétés de cacao

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    traditionnelles et techniciennes obtiennent des résultats qui correspondent aussi bien les unes que les autres aux normes finales qu'exigent les acheteurs, mais les techniques traditionnelles ne sont pas valorisées. J'ai assisté à une altercation entre l'ingénieur agronome du projet et un agriculteur sur la manière de planter les cacaoyers. La profondeur exigée par l'agronome ne correspondait pas aux habitudes locales de plantation, alors que selon les agriculteurs, leur manière de planter les produisait de très bons résultats. Malgré la courte distance entre les trois communautés du projet, il y a une différence d'altitude et de précipitation qui fait que la terre a une solidité et une humidité variable: A San Lucas Aguacate, elle est assez rugueuse et peu humide. A Poité Centro, elle est plus humide et molle et, et à La Compuerta qui est la communauté la plus haute et la plus proche des Caraïbes, il y a plus de précipitations et la terre est très humide et boueuse. Cette variabilité entre les trois communautés n'est pas démesurée mais peut tout de même se remarquer à l'oeil nu et se sentir au touché. Cet exemple de la mesure unique de profondeur des plantations pour les trois communautés nous laisse donc penser que les savoirs et normes de plantation des agriculteurs devraient être mieux pris en compte par les institutions.

    3-1-2 L'image de la participation

    Lors d'un entretien avec le coordinateur de projet de l'ONG ProPetén, je lui ai demandé ce qu'il pensait de la participation, par rapport aux associations paysannes dans le projet cacao, et ce que cela avait changé. Sa réponse spontanée m'a beaucoup surprise. En effet, il m'a répondu très clairement «siempre hay el componente de fortalecimiento organizacional y participativo en casi todos los proyectos» («Il y a toujours la composante de renforcement organisationnel et participatif dans quasiment tous les projets »). Cette réponse évoquant les associations paysannes et la participation de manière instrumentale et habituelle, montre une certaine routine procédurale. Ceci illustrerait le constat général de Jean-Pierre Chauveau lorsqu'il a exprimé que «la très grande majorité des agents et des agences de développement se réfèrent à la Participation comme à une conception alternative récente et désormais incontournable, à la fois en tant que modèle intellectuel et en tant que modèle d'action.» (1992 : 9)40

    Lorsque les institutions parlent d' « approche participative », il convient de veiller à ce que la participation ne devienne pas simplement une rhétorique politiquement correcte. La façon trop courante d'homogénéiser les agriculteurs participant, de généraliser et de simplifier les

    40 CHAUVEAU J-P., 1992, « Le "modèle participatif" de développement rural est-il "alternatif" ? », Bulletin de l'APAD, n°3, Revues Apad (ed.) : 12 p.

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    groupes culturels entraine l'évolution de la « participation » de manière aléatoire et imagée. Dans les discours, la participation revêt une image éthique d'un point de vue extérieur, lors de la lecture des rapports d'activités ou du contrat de projet de l'ONG avec le bailleur de fond. Cependant, sur le terrain, j'ai pu remarquer des décalages entre ce discours et la réalité.

    - La vision homogène des agriculteurs basée sur un fonctionnement social utopique démocratique:

    Les agriculteurs et les villageois en général, sont vus par les institutions comme faisant partie d'un groupe homogène. En effet, les techniciens parlent « du » paysan en général, ce qui réduit les individus à leur fonction de producteurs sans prendre en compte leurs rôles d'acteurs sociaux (Lavigne-Delville P., Mathieu M., & Nour-Eddine S., 1999 : 22)41. Il y a en réalité une multitude de sous-groupes même lorsque la population est peu nombreuse. La différence de statut social se remarque aussi dans les villages q'eqchi' et même entre les agriculteurs des associations faisant partie du projet cacao. Dans ce contexte, face à ce projet ainsi qu'aux autres problèmes qui sont traités par les associations locales et les ONG dans ces villages, les individus vont réagir avec une diversité d'attitudes et de comportements. Au niveau de la participation, cela se ressent, car les personnes ont des intérêts et des projets personnels parfois liés au projet. Cela les incite plus ou moins à participer comme nous le verrons ensuite avec les « courtiers du développement ». Les différents comportements face à la participation sont aussi liés au fonctionnement hiérarchique des villages et des sous-groupes. Dans ces trois groupes q'eqchi', j'ai pu remarquer quatre caractéristiques de statuts qui attribuent une autorité aux personnes, reconnue au niveau des villages et des associations locales : a) Le statut de guide spirituel : Ces guides spirituels sont ont formé des groupes de 5 à 7 hommes, souvent âgés, dans chaque communauté. Ils sont reconnus pour être dotés d'un savoir spirituel unique et d'une communication avec les ancêtres. Ils sont présents dans toutes les cérémonies importantes et se regroupent lors de prises de décisions importantes ; b) Le statut d'ancien (anciano) : le système de gouvernance de la société Q'eqchi' donne une place privilégiée aux hommes âgés. Les plus jeunes leur doivent le respect et l'obéissance. Lors d'une réunion de formation, j'ai pu assister à un conflit entre l'agronome et un ancien de l'association de La Compuerta, dû à l'incompréhension de cet ordre social. Alors que l'ingénieur agronome s'est adressé de manière jugée trop directe et trop autoritaire à cette personne d'un certain âge, celle-ci s'est levée et s'est écriée « No soy un jovencito » (je ne

    41 LAVIGNE-DELVILLE P., MATHIEU M., & NOUR-EDDINE S., 1999, Les Enquêtes Participatives en Débat. Ambition, Pratiques et Enjeux. Gret-Karthala-ICRA, Paris : 543 p.

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    suis pas un petit jeune) ; c) Le statut de premier arrivant : Ce statut est très spécifique des communautés q'eqchi' ayant migré comme celles du projet. La construction sociale du pouvoir dans ces communautés se fonde sur la « dichotomie entre premiers occupants et derniers arrivés » (Chauveau et Jacob, 2004), même si ces rapports sont amenés à être dépassés par la suite. Pour les familles de « migrants fondateurs » qui sont arrivées les premières lors de la migration, le fait de contrôler et aider l'installation de nouvelles familles leur a permis d'imposer leur pouvoir ; d) Le statut d'aisé : Ce statut concerne les personnes ayant plus de moyens financiers et matériels ce qui leur donne du prestige et du pouvoir. Dans les villages concernés par le projet, certains associés avaient plus de moyens que d'autres, étaient propriétaires de plus de terres et avaient des intrants économiques s'ajoutant à l'agriculture comme par exemple le propriétaire de la boutique du village.

    Certaines personnes peuvent cumuler plusieurs de ces statuts et ainsi augmenter leur autorité et pouvoir au sein des groupes. Dans le projet cacao, l'ONG ne prend pas en compte ces différences de statut social internes. La « démocratie participative » mise en valeur dans les discours des ONG n'est alors qu'un reflet faussé de la réalité. Selon J-P Olivier de Sardan et Giovalucchi F. (2009)42, le système de cadre-logique utilisé par les institutions de développement reflète une vision « dépolitisée » du développement, où « aucune référence n'est faite aux conflits sociaux et politiques, aux privilèges de castes et de classes, aux systèmes de patronage et aux clivages factionnels, aux injustices, aux rapports de force, aux éthiques professionnelles et sociales, et à bien d'autres variables pourtant décisives en ce qui concerne les sociétés humaines et l'action collective en général, et le développement des pays du Sud en particulier. »

    Les projets de développement entre ONG et organisations paysannes connaissent des échecs pour deux raisons principales qui sont selon Veiga (1999) : l'inadaptation des projets aux conditions agro-écologiques ou sociales, et l'absence de conditions de dialogues suffisantes à l'intercompréhension et à la concertation.

    Comme nous l'avons remarqué, même s'il y a un équilibre dans la société Q'eqchi', il ne repose pas sur la démocratie telle qu'on l'entend dans la culture occidentale mais sur d'autres principes d'autorité. La démocratie désirée par les institutions dans les projets n'est pas

    42 OLIVIER DE SARDAN J-P. et GIOVALUCCHI F., 2009, « Planification, Gestion et Politique dans l'aide au développement: Le cadre logique, outil et miroir des développeurs », Revue Tiers Monde, n°198, Armand Colin : p. 383-406.

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    spontanée mais suscitée de l'extérieur. Ces règles importées de vote et de participation générale sont alors souvent bridées par le fonctionnement traditionnel. Par exemple, certaines personnes s'expriment beaucoup moins que d'autres lors des réunions, notamment les femmes et les jeunes, car ils ont moins d'autorité que les autres. Lors d'une animation de groupe sur les outils de la MARP, deux femmes se trouvaient au sein d'un groupe d'hommes : j'ai pu remarquer le sentiment de gêne qu'a ressentie une des femmes à qui j'ai eu la maladresse de donner la parole pour s'exprimer sur une idée de projet d'élevage de poules, dont elle m'avait fait part lors d'un entretien en privé. Elle a tout de suite eu une attitude différente devant les hommes dans la réunion, comme si ce n'était pas à elle d'exprimer une idée de la sorte. La réaction des hommes à cette idée a été négative. Je n'ai pas pu savoir si dans le cas où un homme (ou une femme venant de l'extérieur) avait donné la même idée, les membres auraient réagi différemment.

    En plus de la participation lors des réunions, on trouve aussi une différence entre les leaders « officiels » et les leaders « officieux ». Les leaders qui ont été élus de manière démocratique selon les normes de vote institutionnel, comme les leaders des conseils administratifs des trois associations paysannes. Cependant, ces derniers ne sont pas forcément ceux qui décident, car comme nous l'avons vu, les vraies décisions sont prises principalement par les guides spirituels, les anciens, ou les villageois aisés, qui eux, assistent rarement aux réunions participatives organisées par les institutions.

    Dans ces conditions, les réunions « participatives sont biaisées. Blanc-Pamard C. et Fauroux E. (2004)43 ont fait le même constat dans une étude sur la participation des populations dans un projet à Madagascar. Dans ce contexte, il est difficile de définir des stratégies de « bonne gouvernance » au sens occidental du terme. Le projet cacao donne autant de privilèges à tous les bénéficiaires membres de l'association, quelle que soit leur prestige et leur autorité dans les communautés. On ne peut cependant pas affirmer que la stimulation de la participation par les institutions revient à dire que l'envie de participer des membres habituellement inactifs n'existe pas.

    Il faut donc s'attendre à ce que l'égalité démocratique installée dans les projets, basée sur une vision mystifiée de la participation, soit modifiée par la suite. Je pense surtout au moment où les bénéfices économiques du projet vont commencer à apparaître lors de l'étape de la

    43 BLANC-PAMARD C. et FAUROUX E., 2004, « « L'illusion participative » Exemples ouest-malgaches. » Autrepart, n° 31, Presses de Sciences Po : p. 3-19

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    commercialisation : Ces rendements pourraient être taxés entre les membres, ou des mécanismes de « rééquilibrage des statuts » pourraient se mettre en place par des systèmes de contrepartie de biens ou/et de services afin de redonner du pouvoir aux personnes prestigieuses. Cela n'exclut pas la possibilité d'ascension sociale de certains membres par le biais du projet, mais cette possibilité est déjà moins évidente.

    - La culture traditionnelle instrumentalisée à l'extrême .
    ·

    « - Lorsque moi j'emploie un mot, réplique Heumpty-Deumty d'un ton de voix quelque peu dédaigneux, il signifie exactement ce qu'il me plaît qu'il signifie... ni plus ni moins.

    - La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu'ils veulent dire. - La question, riposta Heumty-Deumpty, est de savoir qui sera le maître... un point, c'est tout. » Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir.

    Dans beaucoup de projets dont les bénéficiaires sont reconnus comme des « groupes culturels traditionnels », on retrouve dans les discours une valorisation de ces cultures traditionnelles, souvent attendues par les grandes institutions donatrices et bien vues par la population étrangère et citadine. Dans le cas du Petén, la culture Maya est très valorisée dans les projets, mais nous pouvons remarquer qu'elle est souvent instrumentalisée dans les discours des institutions de développement, qui gratifient les pratiques dites « ancestrales », parfois de manière démesurée et inadaptée aux populations locales.

    - L'homogénéisation de la culture Maya .
    ·

    La culture Maya est très connue dans le monde entier pour ses pyramides, son calendrier astrologique ou encore sa mythologie. Elle est connue plus localement dans la région d'Amérique Centrale pour ses traditions, ses croyances, son histoire, ses musiques ou encore ses tenues traditionnelles.

    Il faut savoir que lorsqu'on parle de « culture maya », ce terme général regroupe en fait plusieurs sous-groupes culturels variés et distincts qui s'étendent dans quatre pays, du sud du Mexique au Salvador. Même si des caractéristiques culturelles rassemblent les Maya du Salvador et ceux du Mexique, chacun de ces groupes a ses propres traditions, sa culture et son identité historique. Au total, 71 langues mayas ont été registrées. Elles sont regroupées en six grandes catégories : tzeltal-chol, huastèque, kanjobal-jacaltèque, quiché, mam, et yucatèque. Le groupe Q'eqchi' fait partie de la catégorie quiché, qui est présente principalement au Guatemala, au Belize et au Salvador.

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    J'ai pu remarquer que lors de la valorisation culturelle dans les projets, la culture « Maya » est mise en valeur, mais peu de références à la spécificité de la culture Q'eqchi' se notent. Les spécificités régionales et temporelles ne sont pas prises en compte.

    Dans le projet de cacao, le choix de la culture du cacao décrit comme « intégré » et demandé par les anciens44, est valorisé dans le contrat avec le bailleur de fond par le fait que cette culture soit « ancestrale ». En effet, à l'époque des Maya classiques, les fèves de cacao servaient de monnaie d'échange. Même si aujourd'hui le cacao est encore utilisé dans certaines cérémonies, il est produit en très petite quantité et les agriculteurs des trois villages avaient en fait peu de connaissances concernant cette culture.

    - La justification écologique des savoir anciens .
    ·

    Les vulgarisateurs ou formateurs tel que l'ingénieur agronome du projet cacao conseillent des techniques aux agriculteurs utilisant des savoir et pratiques « ancestrales ». Par exemple, ils recommandent des techniques de diversification des espèces cultivées et parfois des techniques intensives. Ce discours s'appuie sur des représentations collectives des valeurs écologiques des savoirs anciens et sur l'idée que les autochtones sont gardiens du savoir sur les systèmes productifs des mayas pré-colonisés. Selon R. Effantin-Touyer (2006), ces techniques justifiées par les savoirs anciens ne sont plus toujours adaptées à la réalité actuelle. En effet, au vu de la situation écologique, démographique et sociale du Petén actuel, qui a subie de fortes modifications géographiques, géologiques et de techniques au cours des siècles, une forte pression agraire qui est apparue sur le milieu, tout comme le changement climatique et les dégradations écologiques, les techniques ne peuvent être les même qu'à l'époque précoloniale.

    - Une méconnaissance et inadaptation culturelle des techniques dites «traditionnelles» .
    ·

    Un consultant du projet cacao de l'ONG ProPetén m'a fait part lors d'un entretien de son incompréhension ainsi que celle de ses collègues par rapport à un projet qui n'a pas du tout fonctionné dans les communautés Q'eqchi' sur la mise en place de huertos (jardins) « ancestraux maya ». Il m'a expliqué un des problèmes qu'il rencontre souvent depuis des années qu'il travaille avec les Q'eqchi' : Le problème de dénutrition étant souvent

    44 « Les anciens de la communauté ont exprimé le besoin de la culture pour la consommation locale et pour s'insérer dans le marché national et international » Traduction personnelle de : «los ancianos de la comunidad demandaron la necesidad de cultivarlo para consumo local y para incursionar en el mercado nacional e internacional», In Plan de negocio, p.4.

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    diagnostiqué dans de nombreuses communautés de la région, plusieurs projets de « sécurité alimentaire » se sont instaurés.

    Les populations ancestrales et les populations autochtones du Petén rencontrent habituellement très peu ce problème, car elles ont un système d'agriculture diversifiée dans leur « jardin » : toutes les familles ont un terrain assez vaste pour pouvoir planter des arbres fruitiers (oranges, avocats, citron...) et des légumes (tomates, ...) qui leur garantit une sécurité alimentaire gérée au niveau familial surtout par les femmes, qui s'occupent du jardin pendant que les hommes travaillent dans les champs.

    Les populations Q'eqchi' ayant migré du sud (Alta Verapaz, Izabal...) n'avaient pas ce système de diversification alimentaire et ne connaissaient pas la manière de cultiver sous forme de jardins (huertos). Elles étaient plutôt habituées à planter du maïs et des frijol en assez grande quantité pour en garder une partie et vendre le surplus pour acheter d'autres aliments.

    Le problème au Petén est le manque d'espace en terres pour pouvoir cultiver le maïs en grande quantité, ainsi que l'épuisement des terres par la pratique du « brûlage » des terres et la question environnementale. Ces nouvelles conditions imposent des changements au niveau des pratiques culturales.

    Les projets de développement ont donc concentré leurs efforts pour diversifier la production par le système de jardin, à la fois pour des questions de sécurité alimentaire et des questions environnementales. Pourtant, ces projets sont souvent des échecs avec les Q'eqchi'. Ils n'adhèrent pas aux projets, ne veulent pas planter les nouvelles espèces même quand elles leur sont données, ne sont pas motivés, revendent entre eux ou à des agriculteurs des communautés voisines les graines et les plantes reçus etc...

    Les agents de développement ne comprennent pas du tout pourquoi ces projets de jardin ne fonctionnent pas et pourquoi les bénéficiaires sont passifs et indifférents à ces projets, alors que pour les populations indigènes du nord du Petén, cela fonctionne très bien. Nous pouvons penser que la manière d'imposer le changement des habitudes culturales en justifiant le caractère ancestral et autochtone de ces systèmes peut être une des raisons à cet échec. En effet, il y a peu de lien identitaire des communautés avec ce nouveau territoire et ces techniques pour eux étrangères. De plus, les fruits et légumes proposés dans les projets ne sont peut-être pas des aliments consommés habituellement, ce qui peut aussi provoquer ce rejet. Le manque de savoir sur la manière de les cuisiner, par exemple pour les légumes, peut

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    être un frein important. Enfin, nous pouvons penser que le rôle et les contraintes des femmes sont différents entre les femmes q'eqchi' et les femmes autochtones de la région du Petén.

    Selon Effantin-Touyer R. (2006 : 176), l'invocation de savoirs anciens dont on ne sait finalement que peu de choses et surtout dont on ignore s'ils ont toujours été favorables à la conservation des ressources naturelles permet souvent aux développeurs de s'adresser à des migrants qui, par ce statut, « ont tout à apprendre de l'ancêtre autochtone (antepasado) ». La justification historique et culturelle d'une image participative domine totalement l'analyse du contexte économique, politique et social dans lequel la vulgarisation agricole intervient. Alors que comme le montre des données archéologiques, dans cette région du Petén, l'un des principaux centres de la civilisation Maya semble avoir disparu après des siècles d'expansion parce que les besoins de sa population en expansion ont entraîné l'épuisement du sol par érosion (Douglass, 1984)45.

    Nous pouvons voir avec l'illustration suivante que dans les manuels de vulgarisation et de formation de projets agricoles, cette valorisation de la culture maya est mise en avant par certains signes : la tunique traditionnelle du personnage à droite, ainsi que sa coiffure qui représente la coiffure traditionnelle et de profil, comme sur les stèles de l'époque classique que l'on retrouve dans la mythologie, mais qui n'existe plus dans aucune culture maya actuelle.

    Illustration : L'apprentissage des pratiques culturales « traditionnelles »

    Source : manuel de CARE : « la permacultura petenera » (« La permaculture du Petén »)

    45 P. 27 In REIJNTJES C., HAVERKORT B. & WATERS-BAYER A., 1995, Une agriculture pour demain. Introduction à une agriculture durable avec peu d'intrants externes, CTA-Karthala, Paris : 472 p.

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    On remarque ici la vision idéale transmise et diffusée par le pouvoir légitimé des institutions, avec la représentation d'un paysan du Petén à gauche qui partage les pratiques culturales avec un Maya de l'époque classique.

    Il convient alors de prendre en compte les « clichés de l'autochtonie » venant souvent des environnementalistes occidentaux qui se sont appropriés de certaines représentations autochtones et les ont simplifié pour donner un ancrage local à leurs projets (Roué Marie, 2003)46.

    - Des savoirs « locaux » des migrants q'eqchi' inadaptés aux besoins actuels :

    En plus de la valorisation générale des aspects « ancestraux » et « Maya », on trouve aussi la valorisation des « savoir locaux », en ce qui concerne l'approche participative dans les projets. Comme nous l'avons mentionné, les q'eqchi' on migré des régions d'Alta Verapaz et d'Izabal, où ils avaient perpétué depuis des générations des savoirs agricoles, mais aussi d'autres savoirs par rapport au milieu naturel, à l'utilisation des plantes etc... Arrivés au Petén, certains de ces savoirs n'étaient pourtant plus adaptés, du fait des différences climatiques et agraires. Le climat est plus sec au Petén que dans le sud par exemple. Dans certains cas, le manque d'adaptation de ces savoirs au nouveau contexte crée des difficultés comme l'appauvrissement des sols dû à la pratique de culture sur brûlis, qui posait moins de problèmes dans la région d'Alta Verapaz où les feux se déclenchent rarement. Par rapport aux plantes médicinales, les anciens savaient soigner avec des plantes qu'ils trouvaient dans leur région de départ, mais celles-ci n'existent pas dans la région du Petén.

    Il paraît donc important que les associations paysannes communiquent entre elles et avec l'extérieur sur la dangerosité de certains savoirs locaux qui étaient pratiqués dans les régions de départ. Par ailleurs, de la part des ONG, il est important de valoriser les savoirs locaux, mais lorsqu'il s'agit de savoirs inadaptés, il conviendrait d'informer les populations et de proposer des alternatives adaptées aux nouvelles conditions régionales.

    De plus, beaucoup de savoirs dits « locaux » sont aussi méconnus par un grand nombre de jeunes qui appartiennent à la première génération née dans cette nouvelle région, de parents ou grands- parents migrants. L'éducation sur les savoir locaux a été perturbée par ce phénomène de migration.

    46 ROUE M., 2003, « ONG, peuples autochtones et savoirs locaux : enjeux de pouvoir dans le champ de la biodiversité », Revue internationale des sciences sociales, n° 178, Editions Eres : p. 597-600.

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    Selon J-P Darré47, au lieu de tenter de maintenir les savoir locaux oubliés ou inadaptés au nouveau contexte et de les préserver comme des espèces rares, «Ce qui paraît le plus important ce n'est pas de conserver des savoirs mais de conserver des ressources. Et ces ressources ne résident pas dans des savoirs déjà acquis et construits mais dans la capacité d'une population à produire des savoirs nouveaux adaptés aux changements de situation.». Pour lui, il est alors plus utile d'accorder l'attention aux différents acteurs, c'est-à-dire au paysans, aux chercheurs, aux techniciens, de manière à collaborer pour adapter les exploitations aux conditions actuelles et à ouvrir de nouvelles perspectives.

    - L'importation de formations maquillées sous le terme de « renforcement de capacités » :

    Toujours dans le discours de la valorisation des acquis locaux, dans le cas des associations paysannes, on trouve régulièrement l'expression de « renforcement de capacités ». Dans les faits sur le terrain, nous pouvons rapidement nous rendre compte que pratiquement toutes les capacités sensées être renforcées sont en fait nouvelles et importées de l'extérieur.

    Les raisons des choix de projets correspondant à des discours valorisés au niveau international par les bailleurs de fonds, portant sur les valeurs de « participation », de « culture ancestrale », de « savoirs locaux », ou encore de « renforcement de capacité » doivent alors être analysés avec attention. D'après le décalage que j'ai pu voir entre les discours de cette ONG et la réalité de terrain, ainsi que les différentes études anthropologique confirmant ce décalage, nous pouvons penser qu'il existe dans la plupart des projets. Dans ce contexte, je pense que la précision du vocabulaire utilisé dans le discours du développement est un détail qu'il ne faut pas négliger. En effet, lorsque ces discours ne correspondent pas à la réalité locale et ne sont pas adaptés aux besoins des populations, nous devons nous poser la question des intérêts sous-jacents qu'ils peuvent dissimuler. Parmi ces intérêts, les besoins économiques des ONG dépendantes des bailleurs de fonds internationaux paraît être le plus important. Celles-ci sont sans cesse en recherche de financement et doivent trouver des stratégies pour faire survivre leurs projets. Le plus souvent, encore aujourd'hui, malgré le fait que les agriculteurs aient la possibilité de s'exprimer via les associations paysannes et les fédérations, les actions de développement sont malheureusement dictées en grande partie par le discours des acteurs internationaux qui ont le plus de pouvoir.

    47 Jean-Pierre Darré : Savoir-faire, tradition paysanne et Développement. Emission radiophonique de F. ESTEBE, réalisation de D. FINOT, France Culture, 26 Aout 1990, cité In DUPRE G., 1991, Savoirs paysans et développement. Karthala-Orstom, Paris : 523

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    De plus, on trouve souvent des déséquilibres dans la valorisation des critères. Dans le projet de production de cacao par exemple, c'est l'aspect culturel qui est mis en valeur. Cependant, à travers mon enquête, j'ai remarqué une absence totale de la prise en compte des femmes dans ce projet. L'aspect « genre » utilisé dans d'autres projets a alors été remplacé par la domination du discours culturel. Pourtant, les femmes ont un rôle important à jouer dans le projet cacao. D'abord, en ce qui concerne la gestion familiale des retombées économiques de la vente de cacao ; ensuite, dans l'acceptation sociale du projet, afin de lui donner une importance au niveau familial. C'est pourquoi l'une des activités choisies des plans de développement a été la formation culinaire pour la fabrication de chocolat : les femmes ont exprimé le désir d'apprendre quelque chose de concret et d'utile par rapport à ce projet et d'en tirer des avantages autres qu'économiques (dans ce cas précis, la consommation alimentaire).

    - Des « courtiers » et courtières du développement :

    Dans les projets, le discours institutionnel est rapidement identifié et analysé par les populations bénéficiaires. Pendant mon séjour chez le président de l'association d'agriculteurs de San Lucas Aguacate, nous avons eu une discussion sur la participation aux réunions. Il a fait une comparaison qui peut paraitre étonnante, mais qui décrit tout à fait le système de punition/récompense qui découle de la participation. En effet, il a comparé la participation des agriculteurs membres aux réunions organisées par les ONG à la participation des croyants à la messe. Pour lui, en assistant à la messe, on est un « bon croyant », on est bien vu par les autres villageois et cela nous apporte des bonnes choses dans la vie par la suite. Parallèlement, en assistant aux réunions des ONG, on est un « bon associé » ou « bon partenaire » (bueno socio) bien vu par les ONG et cela peut nous apporter des projets et parfois d'autres avantages.

    Certaines personnes sont indifférentes aux discours sur la participation, d'autres les critiquent, et quelques-uns en profitent de manière stratégique. J-P Olivier de Sardan, J-P Chauveau et T. Bierschenk (2000)48 ont surnommé ces derniers les « les courtiers locaux du développement ».

    Ces auteurs ont dissocié plusieurs types de courtiers et différents réseaux d'appartenance auxquels ils appartiennent, et les ont classés dans une typologie. Dans celle-ci, ils ont fait apparaître quatre grandes catégories :

    48 BIERSCHENK T., CHAUVEAU J.P. & OLIVIER de SARDAN J.P., 2000, Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets, Karthala, Paris : 328 p.

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    ? Les réseaux « confessionnel » : En appartenant à un groupe religieux, comme l'Eglise catholique ou évangélique dans le cas de la région du Petén, certains individus occupent des places importantes au sein de ces espaces sociaux et se créent un réseau qui les aide parfois à mobiliser de l'aide au développement ;

    ? Les « cadres » originaires d'une localité : cette catégorie regroupe les fonctionnaires, universitaires, immigrés, commerçants, qui ont acquis en ville ou à l'extérieur un certain pouvoir, certaines connaissances des institutions et des compétences professionnelles qui les privilégient pour impulser des projets de développement. C'est le cas des personnes qui ont migré au Belize ou aux Etats-Unis et qui sont revenus dans leur village au Petén, ou bien de celles qui sont parties travailler en ville dans l'administration.

    ? Les mouvements culturels/ethniques : Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, le discours du développement dans la région du Petén est dominé par la valorisation des savoirs « ancestraux Maya », et de l'indigénéité des groupes. Certains groupes locaux ont compris cette tendance et profitent de ce discours pour mettre eux-mêmes en valeur ces caractéristiques et renforcer ainsi leurs capacités clientélistes. Par exemple, lors d'une visite dans la communauté de Poité Centro au début du projet, un camion a amené aux agriculteurs les plants de cacao. Comme la route entre les villages est très détériorée, le passage du camion a immédiatement été repéré par les communautés voisines. Lorsque nous sommes arrivés, le coordinateur du projet cacao et moi-même, trois femmes inconnues qui venaient d'un village voisin nous ont abordés à peine quelques minutes après le déchargement des plants. Elles parlaient très peu l'espagnol, mais elles ont réussi à nous faire comprendre très clairement qu'avec une quinzaine d'autres femmes indigènes q'eqchi' de leur village, elles s'étaient organisées en groupement, et qu'elles cherchaient des projets de développement. Habituées aux discours, elles ont insisté sur le fait qu'elles étaient un groupe indigène, de femmes essentiellement (elles n'ont pas utilisé le terme de « genre », mais elles étaient apparemment habituées à insister sur ce point aussi) et nous ont même proposé des types de projets auxquels elles pouvaient adhérer (projet productif, projet d'élevage, projet d'artisanat...). Des groupements culturels se créent alors parfois presque exclusivement dans le but de faire parvenir des projets dans leur village.

    ? Les « leaders paysans » : Dans un grand nombre d'ONG, les formations techniques de « renforcement de capacités » sont dirigées vers ceux qui sont désignés ou reconnus comme « leaders paysans ». Après avoir reçu ces formations, ces personnes ont ainsi

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    acquis un savoir-faire (souvent administratif) et une proximité avec les acteurs extérieurs qui leur permet de traiter directement avec les institutions. Les associations paysannes du projet cacao fonctionnent de cette manière ayant une petite partie de « leader » plus informés et ayant une relation privilégiée avec les acteurs des ONG. J'ai pu remarquer plusieurs fois que ces personnes demandaient plus facilement des services personnels à l'ONG. Ainsi, un de ces agriculteurs reconnu « leader » par l'ONG a commencé à demander régulièrement à l'ingénieur agronome de l'aider à lui amener des chèvres d'un village par le biais du quatre-quatre. Ces privilèges des leaders peuvent sur le long terme créer des inégalités.

    Cette typologie montre bien que les populations ont très bien cerné le discours. Dans un certain sens, elles peuvent alors inverser la tendance décrite habituellement, en passant de « victimes » à « profiteuses ». Cependant, cette approche est relative, car ces nouveaux clientélistes qui utilisent le discours du développement sont souvent une minorité dans les villages et le déséquilibre des bénéfices est toujours présent.

    Une autre forme collective de « courtage » est décrite par J-P Jabob dans son analyse sur l'aide au développement au Tchad. Cette forme consiste à profiter de la pluralité des institutions et des défaillances organisationnelles de ces dernières. En effet, il explique que « d'autres groupes peuvent réagir avec aisance et tirer profit de l'absence de concertation entre intervenants (doubles financements, comptabilité en double des projets réalisés...). Certains paysans tchadiens tâchent de faire comprendre cette aptitude au pluralisme aux experts en faisant l'analogie avec leur situation matrimoniale : "nous sommes polygames...". » (1992 : 4).

    Dans cette partie, nous avons pu comprendre que l'approche « participative » sous-entend des pratiques et des discours instrumentalisés qui donnent rarement lieu a une réalité effective. Dans certains cas, la participation est imposées ce qui la rend artificielle, dans d'autres cas, elle est limitée aux idéaux stéréotypés des institutions qui ont le pouvoir. « Faire passer la responsabilité du centre vers la périphérie implique le consentement de ceux à qui est confié le pouvoir. » (Lavigne-Delville P., Mathieu M., & Nour-Eddine S., 1999 : 261). Puis, de manière déguisée, elle est quelquefois utilisée par certains bénéficiaires à titre personnel.

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    Le vice du discours se trouve donc à tous les niveaux d'acteurs: les institutions internationales, la société civile, et les bénéficiaires. Chacun d'entre eux en profite plus ou moins à sa manière, selon ses propres intérêts.

    Dans la prochaine partie, nous allons voir que les limites des associations d'agriculteurs n'est pas seulement due à la logique de développement top-down et à l'image de la participation, mais aussi à de grandes difficultés liées au contexte socio-économique et politique de la région du Petén.

    3-2 Les difficultés liées au contexte socio-économique et politique

    Les associations paysannes sont confrontées généralement à des difficultés d'ordre socio-économiques et politiques qui limitent leurs possibilités d'action. Dans la région du Petén, l'instabilité politique permanente depuis des années, la pression agraire ainsi que le désengagement de l'état ont décuplé ces difficultés qui ne peuvent être gérées au niveau des associations.

    3-2-1 La situation économique et de service de base

    Les conditions économiques de base des communautés constituent un handicap face aux projets que les associations veulent entreprendre.

    Dans la communauté de San Lucas et de la Compuerta par exemple, les conditions de vie difficiles dues au manque des services de base se ressentent. N'ayant pas accès à l'eau potable et à l'électricité et ayant une route très détériorée, les priorités d'accès à ces services de base priment sur la priorité de développement local d'autres activités. A cause de ces problèmes ressentis comme plus urgents, les associations locales portent moins d'intérêt aux projets productifs, artisanaux, ou culturels.

    Cet obstacle est visible dans la majorité des communautés rurales du Petén. Les associations paysannes luttent pour obtenir ces services de base, mais les ONG ont rarement assez de moyens pour pallier à ces difficultés et la sphère étatique s'en désengage la plupart du temps.

    En plus de ces obstacles qui sont des priorités d'urgence, il y a les priorités sociales des investissements. En effet, la nature des frais communautaires privilégie les investissements immatériels cérémoniaux aux investissements productifs. Les célébrations et cérémonies qui émaillent la vie sociale des communautés, tels que les naissances, baptêmes, mariages, funérailles sont des évènements de la plus haute importance pour les villageois. Ils dépensent pour cela des sommes considérables par rapport à leurs moyens économiques. Quand j'étais

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    logée chez une des familles de la Compuerta, celle-ci n'avait à certaines périodes de l'année pas les moyens de manger à sa faim, mais elle a économisé pendant des mois pour acheter un porc que le père allait tuer pour les 18 ans de sa fille aînée. En plus, cet animal ne représentait qu'une partie des frais de la cérémonie.

    Lorsque l'argent n'est pas dépensé pour les cérémonies, il est parfois converti en prestige social par les hiérarchies communautaires.

    Ces frais culturels empêchent alors l'épargne qui pourrait être utile pour contribuer aux projets productifs, même pour les associations communautaires qui font elles aussi partie du système culturel et qui participent aux dons qui financent les cérémonies.

    3-2-2 Le paternalisme très enraciné

    Parallèlement au désengagement de l'Etat vis-à-vis des problèmes communautaires, la décentralisation est encore très difficile au Guatemala. L'organisation des institutions municipales et communautaires est un impératif économique urgent et essentiel, mais il reste un processus inachevé. Comme le décrit Omar Bessaoud pour le cas du Maghreb, les associations agricoles et rurales sont aussi au Guatemala sous la tutelle et/ou l'autorité des administrations locales, ce qui limite leur autonomie et leurs capacités d'intervention (Omar Bessaoud, 2008 : 13).

    L'attitude générale de ces associations est souvent très active dans la recherche de projets et de partenaires, mais lorsqu'ils signent un accord pour démarrer un projet, elles deviennent plus passives par rapport à la gestion. A l'intérieur des communautés, la légitimité des responsables des associations repose plus souvent sur leur capacité à drainer des ressources financières et matérielles ainsi que des projets d'ONG, qui sont visibles directement, plutôt que de gérer et d'organiser des projets internes. C'est ainsi que dans la communauté de la Compuerta, le président de l'association, bien que passif par rapport à ceux des deux autres associations, était bien vu par les membres. Il avait réussi à apporter ce projet à la communauté en premier par rapport aux deux autres. Par contre, le jour où les plants de cacao ne sont pas arrivés comme prévu, il était très nerveux car pour les villageois, il en avait l'entière responsabilité. De ce fait, il allait recevoir les critiques et revendications des agriculteurs.

    Généralement, au Guatemala, en ville comme dans les zones rurales, la population accuse le gouvernement de tous les disfonctionnements, car selon elle, il est le seul acteur à pouvoir faire changer les choses. Une attitude attentiste est visible, et on entend souvent dire « Saber

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    si el gobierno se va a recordar de nosotros » (« Qui sait si le gouvernement va se souvenir de nous »).

    Le fonctionnement paternaliste de l'Etat et de la société civile envers la population est une réalité de longue date au Guatemala. Ce fonctionnement est à la fois volontaire de la part les autorités, mais aussi inconsciente et vécue de manière habituelle par les populations, surtout par rapport aux groupes indigènes, comme nous le verrons ensuite. Ainsi, il est courant de voir des partis politiques ou des grandes entreprises venir aider les populations, bien sûr pour des intérêts clientélistes, mais cela renforce ce fonctionnement paternaliste.

    Pour aborder la question du paternalisme du côté des populations, nous avons noté les critères historiques et économiques qui peuvent expliquer leur passivité stratégique face aux institutions et aux politiques extérieures. Cependant, il serait intéressant d'effectuer des études anthropologiques pour pouvoir analyser ce phénomène par les systèmes de parenté des q'eqchi'. En effet, dans son ethnographie, Liza Grandia (2009)49 montre que les liens de parenté des q'eqchi' se basent sur la famille nucléaire, mais que la place du père, des frères et des beaux-frères (oncles) sont particulièrement importantes. Dans la langue q'eqchi', il y a deux noms pour désigner couramment les frères, en distinguant les frères aînés ([w]as) et les frères cadets ([w]itzin). Il y a également un nom spécifique pour désigner les soeurs aînées (chaq'na) (Grandia L., 2009 : 70-71, K'ulb'il Yol Twitz Paxil, 200450). Cette importance donnée aux hommes et au rang dans la famille qui leur confère une autorité reconnue nous fait nous interroger sur les liens qu'il pourrait y avoir entre la parenté et le paternalisme. Dans les théories anthropologiques anglaises des années 1950, la terminologie utilisée dans les systèmes de parenté a été ramenée aux mécanismes psychologiques d'apprentissage des réalités sociales. Par exemple, A.R Radcliffe-Brown (1952) « considère la parenté comme « un domaine privilégié de droits et de devoirs » qu'organisent les terminologies en fonction d'un certain nombre de principes « moraux » (autorité, indulgence affective, etc.) qui tiennent eux-mêmes à la nécessaire unité des groupes de parents (en dernière analyse des groupes d'unifiliation). (...) En dehors de ces implications épistémologiques, cette approche a contribué à attirer l'attention sur un autre aspect de l'organisation et de la parenté en système : la prescription sociale des attitudes. (Bonte P. et Izard M., 1991 : 554)51. Sans prétendre voir en cette théorie une explication globalisante sur le comportement décrit comme

    49 GRANDIA L., 2009, Tz'aptz'ooqeb' El despojo recurrente al pueblo q'eqchi'. Avansco, Guatemala: 454 p.

    50 K'ULN'IL YOL TWITZ PAXIL, 2004, Xtusulal Aatin Sa' Q'eqchi' Vocabulario Q'eqchi'. Academia de Lenguas Mayas de Guatemala, Guatemala: 411 p.

    51 BONTE P. et IZARD M., 1991, Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie. Presse Universitaire de France, Paris : 841 p.

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    « passif » par les institutions, elle pourrait nous aider à mieux comprendre les relations entre les acteurs. Nous pourrions nous demander si certaines attitudes « paternalistes » des politiques et des institutions envers les groupes q'eqchi' peuvent être assimilées inconsciemment à l'importance de l'autorité et du respect attribués aux hommes et au rang dans la famille, dans le système de parenté q'eqchi'.

    Pour finir, même dans les rares cas où les ONG et les associations locales réussissent à établir une relation encourageant une bonne participation des populations, ce fonctionnement est totalement remis en cause lors de l'arrivée d'autres acteurs qui ont un fonctionnement de communication totalement déséquilibré. Par exemple, lors de la venue des politiques et des entreprises privées, la démarche est souvent simple et rapide : c'est une relation de don contre don où la participation et la durabilité n'ont pas leur place. Les partis politiques donnent de la nourriture, des vêtements, construisent des bâtiments, en échange de votes. De la même manière, les entreprises offrent des services et produits en échange de publicités, achats ... En voyant cette facilité d'accès aux produits dont ils ont besoin par l'alliance directe et essentiellement économique avec ces acteurs extérieurs, les populations ne voient parfois plus l'intérêt de participer à des projets longs, pour lesquels les résultats ne sont pas toujours sûrs ni visibles immédiatement.

    3-3 Les difficultés liées aux acteurs

    3-3-1 Les phénomènes de contre-pouvoir

    - La concurrence entre les associations paysannes et les autres groupes locaux:

    Il existe des contre-pouvoirs entre les groupements de même niveau. En effet, les associations de producteurs modifient souvent les relations de pouvoir déjà existantes, faisant naître un contre-pouvoir dans les villages et dans la région. Quelques temps après leur création, les associations acquièrent une reconnaissance municipale et institutionnelle comme c'est le cas pour les trois associations du projet. De plus, elles ont accès petit à petit à des avantages qui accroissent leur pouvoir. Cette évolution est rapidement repérée par les nombreux groupements voisins qui sont attirés par les mêmes avantages. La concurrence entre les groupes se met alors en place. Bien que la solidarité existe entre certains groupes comme nous l'avons mentionnée avec la « coopétition » dans le premier chapitre, la tendance s'inverse depuis quelques années du fait de la multiplication des associations. Lorsque les enjeux sont importants et que les ressources sont limitées, c'est la concurrence qui l'emporte bien évidemment.

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    Le marché est un des enjeux capitaux de concurrence entre les groupes locaux, car il est la principale source économique des communautés rurales de la région. Son accès limité ne permet qu'à ceux qui sont les plus organisés et qui ont le plus de contacts avec les personnes de pouvoir, d'avoir une place. Chacun essaye de maintenir ses acquis et ses relations.

    Dans les pays comme le Guatemala où la présence de l'aide humanitaire et de l'aide au développement est connue de tous, l'accès à cette aide constitue un autre enjeu important pour les groupements locaux. En effet, les projets sont visibles par la majorité des communautés rurales, mais ils sont tout de même limités. Les associations paysannes et autres types de groupements (artisans, femmes, éleveurs...) sont en compétition pour obtenir les projets, ce qui crée de nouvelles rivalités.

    Dans le cadre du projet cacao, la communauté de la Compuerta a été la première sélectionnée pour le projet, et a commencé la collaboration deux ans avant les deux autres communautés. Lorsqu'elle a appris la venue des communautés voisines dans ce projet, elle s'est sentie menacée par une éventuelle concurrence. Pour les membres de l'association de la Compuerta, l'arrivée des autres associations signifiait que les ressources de l'ONG allaient être partagées en trois et qu'ils allaient donc recevoir moins d'aide.

    - Les conflits fonciers :

    Il y a aussi un contre-pouvoir de plus en plus marqué depuis une dizaine d'années entre deux groupes n'ayant pas les mêmes capacités d'action : les agriculteurs communautaires (souvent q'eqchi') et les finqueros-vaqueros ou ganaderos (fermiers-éleveurs essentiellement ladinos).

    En effet, après la « colonisation q'eqchi' des années 1970, des éleveurs entrepreneurs venant de la région côtière occidentale du Guatemala sont peu à peu arrivés. Comme les q'eqchi', ils se sont aperçus que cette région, la moins peuplée, offrait des possibilités de production. Néanmoins, les agriculteurs q'eqchi' et les agriculteurs et éleveurs ladinos venus de l'ouest n'avaient pas du tout les mêmes moyens ni la même façon de fonctionner : Les finqueros installent des grandes fermes et tiennent des exploitations agricoles et animales à grande échelle (plusieurs hectares), de manière intensive, en utilisant des machines ; Ils emploient beaucoup de main-d'oeuvre qu'ils peuvent payer. Petit à petit, ces finqueros se sont multipliés dans la région, car la monoculture d'huile de palme et l'élevage bovin leur procurent de très bons rendements économiques. Ils ont pris une grande partie du territoire et ont commencé à encercler les régions agricoles occupées par les q'eqchi'. C'est à partir de là que la pression agraire et les conflits se sont accentués entre les finqueros et les agriculteurs q'eqchi'. Au

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    moment de leur arrivée dans la région, certains finqueros se sont accaparés par la force de certaines terres. Après les accords de paix de 1996 et surtout à partir des années 2000, plusieurs mouvements de droit indigènes et droit des paysans ont permis plus de sécurisation foncière pour les agriculteurs q'eqchi' qui ont reçu des titres de propriété foncière. L'ONG Fondo de Tierras a permis de réguler les titres de propriété et a donné une aide juridique pour éviter les accaparements des terres.

    Cependant, le problème n'a pas cessé pour autant. En effet, certains agriculteurs très pauvres ayant obtenu ce titre ont alors pu vendre leurs terres aux finqueros en échange d'une somme d'argent la plupart du temps médiocre. Cette tendance à la vente ne s'est toujours pas arrêtée aujourd'hui. En effet, les ventes de terre continuent non seulement à cause du désir grandissant d'exode rural de certaines familles, mais aussi du fait de la pression des finqueros envers les agriculteurs. Ils utilisent des stratégies de menace, d'intimidation, ainsi que d'autres menaces stratégiques. Par exemple, de plus en plus couramment autour des communautés de mon stage, les fermiers s'arrangent pour acheter des parcelles voisines afin d'agrandir leur territoire. Ils ferment ensuite le passage qu'il y avait entre ces parcelles, ce qui bloque l'accès aux autres parcelles.

     

    Photo : fermeture et surveillance du passage par les finqueros

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    Les agriculteurs qui pouvaient accéder à leur parcelle en 30 minutes de marche à pied doivent alors faire tout le tour de la zone fermée, et mettent parfois plus de 2 heures pour y arriver.

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    En voici une illustration :

    Figure 2 : La pression de vente des finqueros par la fermeture des passages vers les parcelles : Dessin élaboré avec le président de l'association de San Lucas Aguacate (Septembre 2012).

    L'expression «Te quitas o te quito» utilisée pour décrire cette stratégie, signifie littéralement « tu t'en vas ou je t'enlève ». Ceci décrit tout à fait la loi du plus fort qui réside.

    En plus de la menace et des pressions de vente des finqueros, d'autres acteurs encore plus puissants et menaçants sont présents dans la région : les groupes organisés de narcotrafiquants.

    Cette région située entre l'Amérique du Sud, et la frontière du Belize et du Mexique, est un point géostratégique irremplaçable pour ces groupes52. C'est un des seuls passages possibles pour faire passer la drogue en Amérique du Nord. Bien que dans les communautés du projet cacao, des pressions de ce genre n'ont pas été identifiées, un grand nombre de communautés de la région ont déjà été touchées depuis plus d'une dizaine d'années. Par exemple, dans la municipalité de Melchor de Mencos, un peu plus au nord à la frontière du Belize, certaines communautés sont aujourd'hui dépeuplées suite à des affrontements, des menaces et des meurtres. Ces espaces sont maintenant occupés par quelques finqueros et sont en grande partie des territoires vides, contrôlés par les narcos qui se font passer pour des finqueros pour assurer leur passage (Oswaldo J. Hernández, 201253 ; Prensa Libre, 201254).

    52 OMAL, 2011, Grupos de Poder en Petén: Territorio, Política y Negocios. Observatorio de Multinacionales en América Latina, Guatemala: 261 p.

    53 OSWALDO J. Hernández, 2012, «Desplazar para no ser desplazados: Palma, narcos y campesinos», Plaza Pùblica periodismo de profundidad, n°21, Reportajes de investigación Publicado: 12 p.

    54 Site du journal quotidien du Guatemala Prensa Libre: http://www.prensalibre.com/

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    Les agriculteurs q'eqchi' qui ne sont pas confrontés aux narcotrafiquants sont quand même au courant de leur présence dans la région. Certains d'entre eux m'en ont parlé sous le ton de la plaisanterie, mais ils connaissent parfaitement les dangers que leur présence représente.

    Dans la région du Petén, entre finqueros-ganaderos, narcotrafiquants et cartels violents, entrepreneurs d'huile de palme, les organisations paysannes ne font pas le poids. L'Etat, les institutions internationales et les ONG ne sont pas encore dans la possibilité de gérer ces processus, qui ne touchent pas uniquement la région, mais qui font partie d'une configuration internationale incontrôlée.

    Dans les années à venir, les agriculteurs savent qu'avec la croissance démographique des communautés, il leur faudra trouver de nouvelles terres pour leur subsistance, car l'excédent démographique ne peut en aucun cas être absorbé par une augmentation de la productivité. Les « lopins de terre » éparpillés qui leur reste vont en s'amenuisant, se dispersant encore au rythme des successions et sont la plupart du temps situés dans les zones où les conditions géographiques/géologiques et pédologiques sont les moins propices à l'activité agricole.

    Pour éviter la vente ou la migration, certains agriculteurs commencent à cultiver des parcelles sur la frontière du Belize, qui est très proche et accessible en quelques heures à pied. Le Belize fait partie du territoire Q'eqchi' et les chemins pour y accéder sont connus depuis des générations55. Cependant, cette solution pose problème pour deux raisons : Premièrement, la région frontalière entre le Guatemala et le Belize est une forêt tropicale reconnue pour son importante biodiversité. Elle fait partie des rares aires protégées d'Amérique Centrale, car elle est reconnue dans la zone du « Corridor Biologique Mésoaméricain » par la Société Mésoaméricaine de Biologie de la Conservation (SMBC) (FAO, 2002). Si les agriculteurs qui manquent des terres commencent petit à petit à cultiver des parcelles dans cette zone, ils risquent de détruire cet environnement encore vierge d'activités humaines et encourent surtout de lourdes amandes.

    Par ailleurs, le conflit frontalier entre le Guatemala et le Belize n'est toujours pas résolu depuis l'époque de la décolonisation. Le Guatemala réclame encore une partie du territoire bélizien. En 1859 un traité avait été destiné à établir les limites entre les deux pays qui n'en formait qu'un auparavant, nommé le Honduras britannique (Fontana Josep. et Ponton Gonzalo, 2001: 70)56. Le Guatemala soutient que le traité est nul parce que les britanniques

    55 Annexe 5: Carte du territoire Q'eqchi'

    56 FONTANA JOSEP. y PONTON GONZALO, 2001, Historia de América Latina. América Central desde 1930, Leslie Bethell ed., Barcelona: 349 p.

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    ont manqué à toutes les clauses d'assistance économique. Dans les années 1960, le gouvernement états-unien a tenté une médiation en vain, car les négociations sont toujours d'actualité depuis de nombreuses années. Le Belize est devenue indépendant le 21 septembre 1981 avec ce différend territorial non résolu. Le 8 novembre 2000, les deux pays ont convenu d'un accord pour respecter la zone de « contiguïté » en étendant un kilomètre de chaque côté de la frontière. La revendication territoriale n'ayant pas été soumise à la CIJ (Cours Internationale de Justice) comme le voulait le gouvernement du Guatemala en 2007, le mouvement a été limité à des mesures de confiance entre les parties.

    Cette situation très tendue de revendication territoriale au niveau étatique est importante à comprendre, car elle expose les agriculteurs au niveau local à des risques conflictuels prenant des proportions très importantes. Le Belize encore sur le qui-vive, a placé une surveillance militaire dans cette zone indéfinie et revendiquée. Ces militaires ont des méthodes radicales lors des intrusions clandestines sur leur territoire. Des agriculteurs sont arrêtés et poursuivis en justice, mais certains sont tués dès qu'ils passent la frontière. Ainsi, dans le journal national guatémaltèque Prensa Libre, il n'est pas rare de voir dans les faits divers que des agriculteurs se sont fait tuer à la frontière. Pour cette raison, les agriculteurs à la recherche de terres cultivables vers cette frontière risquent leur vie s'ils dépassent la limite non définie.

    Des associations d'agriculteurs q'eqchi' guatémaltèques sont en lien avec certaines associations d'agriculteurs q'eqchi' béliziens, mais l'impact de leur alliance est trop faible par rapport au conflit frontalier des pays dont ils font partie. De plus, la différence de langue nationale, ainsi que de fonctionnement institutionnel des deux pays est un frein supplémentaire pour la reconnaissance et la visibilité de ces alliances.

    Nous voyons bien que la situation pour les associations d'agriculteurs est très difficile à gérer car des enjeux et conflits d'acteur entrent en jeu. Bien que leurs efforts de collaboration avec les institutions puissent contribuer à des améliorations juridiques concernant la sécurité foncière, la situation régionale et la puissance des contre-pouvoirs sont telles, que cette contribution ne peut pas à elle-seule améliorer la situation.

    3-3-2 Le statut des populations indigènes

    Le statut des populations indigènes peut être bénéfique par rapport à l'attrait des ONG comme nous l'avons vu dans la partie sur le discours du développement. Malheureusement, ce statut souvent oublié par les politiques, stéréotypé par les médias et déprécié par la population ladina, porte encore préjudice aux groupes autochtones.

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    Au Guatemala, l'inégalité entre les classes sociales est principalement déterminée par l'origine ethnique. Le racisme et la discrimination sont encore très présents. Le terme «indígenas» (indigène), utilisé pour désigner tous les groupes ethniques du pays, résulte d'une construction politique et d'un processus historique (Henry Morales Lopez, 2009: 89)57.

    Dans ce pays, tous les habitants s'identifient eux-mêmes faisant partie d'une des deux catégories : ladinos (blancs et métis) et en indigenas (autochtones). Les trais physiques et les origines génétiques ne sont pas forcément différentes, mais l'appartenance identitaire est pourtant très marquée. Les ladinos trouvent des stratégies comportementales, vestimentaires etc, pour se démarquer clairement des indigenas. Concernant la relation entre le prestige et l'identité ethnique, j'ai pu faire le même constat au Guatemala que celui d'Henri Favre dans son étude sur les relations ladinas-indigenas avec les mayas du Mexique : « Le ladino reconnaîtra les « accros » de son arbre généalogique d'autant plus volontiers que le montant de ses biens et de ses revenus lui assure une situation de prestige et d'autorité incontestable. C'est dire que l'acquis social pondère fortement l'héritage racial et qu'une belle réussite fait aisément oublier une mauvaise naissance. » (2011 : 74).

    La distance sociale et les rapports de supériorité/infériorité sont intégrés et encore très peu contestés. Les indigenas n'envisagent pas de se mesurer aux ladinos dans aucun champ d'activité sociale, et inversement, les ladinos s'estiment implicitement ou explicitement supérieurs aux indigenas. Plusieurs détails et remarques quotidiennes sont révélateurs de ces rapports. Par exemple, une famille ladina m'a un jour reproché de marcher pieds-nus, en me faisant remarquer que c'était une pratique indigène.

    Les seules préoccupations de l'Etat envers les populations indigènes se résument à un mouvement indigéniste. Ce mouvement politique né au Mexique et diffusé en Amérique latine répond à la problématique de la question indigène sous l'angle de l'intégration des populations autochtones à la « communauté nationale » conçue sur le modèle occidental. Il exclut alors ces populations de la définition des politiques les concernant.

    Selon Henri Favre, les ladinos profitent de ce mouvement pour maintenir les mayas dans leur indianité, ce qui leur permet de garder le pouvoir en laissant les indigenas dans une position dépendante, forcés de recourir à des intermédiaires et à des médiateurs dans leurs relations à la société globale (2011 : 261). De son point de vue, une pression sociale s'exerce en permanence pour maintenir l'indien dans son indianité en suscitant parfois artificiellement la

    57 HENRY MORALES LOPEZ, 2009, Pueblos Indigenas, Cooperacion Internacional y Desarrollo en Guatemala, Movimiento Tzuk Kim-pop., Guatemala: 146 p.

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    culture indienne si besoin. Les propos de Vicente Pineda sur les indiens cloisonnés dans leur activité agricole démontrent explicitement cette tendance :

    « Les indiens se consacrent généralement à l'agriculture. Ils déprécient les autres activités et ils pensent que seule l'agriculture est capable de satisfaire pleinement aux besoins des hommes. (...) Ouvrir aux Indiens d'autres horizons que le travail de la terre auquel ils se consacrent avec tant de bonne volonté ne serait pas sage, car l'agriculture a besoin d'autant plus de bras que les habitants des agglomérations ladinas éprouvent la plus vivre répulsion envers cette activité. » (Pineda V. In Favre H., 2011 : 264).

    Au niveau organisationnel, l'auteur explique que les relations intercommunautaires sont dominées par les ladinos dans une forme supérieure d'organisation, ce qui empêche une réelle communication directe entre les différents villages, même lorsqu'ils sont reliés par des associations d'agriculteurs ou des associations indigènes.

    3-3-3 Le développement local comme sujet sensible de diplomatie entre groupes

    d'acteurs stratégiques

    Comme nous l'avons compris, les associations paysannes et les communautés font partie d'un système d'acteurs avec des intérêts propres à chacun.

    Premièrement, les finqueros-ganaderos venus s'installer et créant un contre-pouvoir vu précédemment, peuvent aussi rompre les systèmes d'organisation solidaire entre les paysans des communautés. En effet, certains de ces riches fermiers créent des alliances individuelles avec quelques agriculteurs. Tandis que les finqueros profitent des coûts faibles de la main d'oeuvre autant pour l'entretien des pâturages que pour l'exploitation du bois avant la défriche, ils offrent aux paysans qui collaborent avec eux d'autres avantages, comme l'explique Effantin-Touyer R. :

    « Par des mesures clientélistes (construction d'une route ou d'une école), il entretient également dans la communauté sa réputation de protecteur, qui offre du travail à ses membres et améliore leur quotidien. Les villageois qui servent d'interlocuteur principal au finquero jouissent donc d'un pouvoir réel sur leurs voisins, pour un temps au moins. Ces relations entre communauté et finca perdurent en changeant parfois de formes. Même si le discours officiel des autorités villageoises est fait de dénonciation de la présence et/ou de la domination illégitime et menaçante du finquero voisin, le privilège de son ancienneté est indiscutable. Il peut alors percevoir un intérêt à se rapprocher de la communauté villageoise

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    et démontrer une certaine solidarité dans l'amélioration de ses conditions de vie. » (2006 : 152).

    Pendant mes quelques semaines passées dans les communautés, j'ai pu observer ce phénomène. Un finquero venait très régulièrement en moto faire acte de présence discutaient toujours avec les mêmes hommes.

    Ensuite, j'ai remarqué que les bonnes relations diplomatiques qu'entretiennent les communautés avec leur municipalité étaient une condition nécessaire pour le développement local des communautés. En effet, alors que les communautés de San Lucas de Aguacates et de Poité Centro appartiennent à la municipalité de San Luis, La Compuerta fait partie de la municipalité de Poptún. Malheureusement, au Guatemala, et surtout dans les zones rurales, les politiques fonctionnent principalement grâce à des relations clientélistes et la corruption. Il se trouve que San Lucas Aguacate et Poité Centro ont voté majoritairement pour le président municipal au pouvoir de San Luis. Du côté de la Compuerta, le président municipal de Poptún qui a été élu n'était pas celui pour qui la population a majoritairement voté. En voyant la différence d'aménagement et de service entre les trois communautés, notamment par rapport à la détérioration de la route et à l'accès à l'électricité, je m'interrogeais. Des personnes de la fédération d'association COACAP m'ont alors expliqué cette raison politique. Le président de la municipalité de Poptún a décidé de ne donner aucune aide à la Compuerta, en guise de répression à son vote. Elle sera donc pénalisée pendant tout le temps du mandat de ce président et tant que ce parti politique sera au pouvoir dans cette municipalité.

    3-3-4 Le pluralisme institutionnel : difficultés de différenciation pour les

    associations paysannes

    La visibilité et la communication que permettent les associations paysannes attirent toute sorte d'acteurs extérieurs. Nombre d'entre eux arrivent dans les communautés en proposant des « projets » (« proyectos ») ; privés ou publics, de taille plus ou moins grande. Ils ont tous des intérêts différents et invisibles, cachés sous leur apparence institutionnelle. En plus des ONG, il y a les politiques, les entreprises privées en tout genre, les institutions religieuses, etc. Pour les associations locales, il est très difficile de différencier ces acteurs institutionnels, qui ont pratiquement tous la même manière de se présenter. En effet, comme en fait part Yves Guillermou, « les groupes de base sont fréquemment en contact avec d'autres catégories d'interlocuteurs, notamment les « groupes de services » : mais qui fonctionnent en fait d'une manière similaire à celle des ONG locales. Ces groupes fournissent un appui multiforme aux producteurs, notamment en matière de vulgarisation et conseil technique, approvisionnement

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    en intrants et commercialisation des produits - ce qui les place dans bien des cas en concurrence avec les unions paysannes et les ONG officielles.» (2003 : 9)

    Cependant, certains de ces acteurs institutionnels n'apportent pas forcément des choses positives pour les communautés, et lorsque la population s'en rend compte, il est déjà souvent trop tard.

    Comme nous l'avons vu dans la première partie, j'ai pu voir le comportement de deux de ces acteurs: Des représentants du Ministère de l'Agriculture, Elevage et Alimentation (MAGA) et une entreprise privée pharmaceutique. J'ai aussi pu remarquer quelques-uns des risques et effets négatifs dont m'ont fait part les populations par rapport à ces acteurs :

    Le MAGA est venu dans les communautés pour un projet de microcrédit avec les agriculteurs de la même association qui travaillent pour le projet de cacao. La moitié des membres des associations de deux des trois communautés a signé le contrat avec le MAGA pour ce projet. En offrant aux membres du projet des crédits de 3000 quetzales/personne (environ 300 euros), cela a attiré beaucoup de personnes. Néanmoins, la dépense de cet argent est contrôlée par le MAGA : en effet, ces crédits doivent être dépensés en engrais et répulsifs chimiques d'une certaine marque, d'une entreprise avec qui le MAGA et la banque de crédit ont aussi des accords. Cette incitation à l'utilisation de produits chimiques donne lieu à des avis partagés dans la communauté. Certains agriculteurs pensent que cela peut les aider, mais d'autres sont réticents et craignent des répercutions. De plus, ces crédits doivent être remboursés un an après la signature du contrat. Les agriculteurs ayant signé se voient contraints d'utiliser ces produits pour parvenir au rendement demandé et être en mesure de rembourser. La communication des conditions du projet n'ayant apparemment pas été claire au départ, certains qui avaient signé le contrat n'avait pas compris cette condition et sont maintenant « pris au piège ». En plus d'être nocifs pour le développement durable des communautés, ces projets impliquant l'utilisation d'intrants chimiques représentent aussi un risque pour le projet cacao. Les récoltes de cacao se vendront en commerce équitable, de manière labellisée, et si elles comportent des traces de tels produits, elles deviendront invendables.

    L'entreprise pharmaceutique, elle, est venue faire des diagnostics de santé gratuits avec du matériel médical. Nombreux se sont présentées, car il y a un réel besoin au niveau de la santé dans les trois communautés du fait de la perte des savoirs de médecine traditionnelle. A la fin des diagnostics, le médecin imprimait des feuilles avec le résultat des anomalies et maladies détectées chez les personnes. Puis, la prise en charge s'achevait ainsi. L'entreprise proposait

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    ensuite un panel de médicaments bio (vitamines...) très chers, certains coûtant plus de 500 quetzales (50 euros) ; même les personnes ladinas de classe moyenne n'auraient pas pu se les procurer. Pour comprendre comment fonctionnaient le médecin et les « infirmières », j'ai moi-même passé ce diagnostic. Il s'agissait apparemment d'un appareil de haute technologie, qui prenait le pou de la main et qui retranscrivait à l'ordinateur tous les problèmes de santé. Ainsi, n'ayant pas de connaissances en médecine, j'ai obtenu un résultat très négatif (dans certains domaines alarmant) que le médecin m'a décrit : Des anomalies des mesures pour le foie, le sang, le cholestérol, ... Je me sentais pourtant en bonne santé. Arrivée en France, j'ai fait des analyses qui ont totalement démenti ces données. Je ne sais pas quels ont été les résultats pour les autres patients, mais en voyant certaines personnes angoissées, j'ai compris que beaucoup de résultats étaient annoncés comme mauvais. Le but de cette entreprise serait donc de vendre leurs produits en alarmant les personnes sur leur santé. En tant que française ayant l'habitude des structures de santé occidentales, j'ai pu m'inquiéter de ces résultats. Pour cette population qui est rarement à même d'être soignée par des structures de ce type, le fait de voir les médecins arriver avec l'uniforme et du matériel très moderne leur a donné confiance et crédibilité en ces diagnostics.

    Les intentions sous-jacentes des acteurs extérieurs sont donc très difficiles à cerner pour les populations. Les communautés sont très souvent sollicitées par différentes institutions, mais par manque de moyens et de temps pour se renseigner réellement sur ces acteurs, elles choisissent souvent la solution la plus rentable à court terme.

    Selon J-P Jacob, il convient de ce point de vue de nuancer l'affirmation de James Wunsch (1990 : 287), selon laquelle les paysans sont sélectifs et n'ont pas de peine à percevoir qu'ils ont de multiples besoins et savent jouer du pluralisme institutionnel (Jacob J-P, 1992 : 4)58. Selon les institutions, les objectifs de développement, les objectifs commerciaux, ou les objectifs politiques ne sont pas simples à détecter à première vue.

    Cette difficulté est ressentie et reconnue par les associations avec lesquelles j'ai travaillé. N'ayant pas toujours les moyens à elles-seules de reconnaître les acteurs institutionnels, les agriculteurs ont développé une méfiance envers toutes les institutions venant de l'extérieur. Ne sachant pas quels sont leurs intérêts, ils se méfient des signatures, des contrats etc. Les villageois font souvent appel aux personnes reconnues comme étant les plus aptes à

    58 JACOB J?P., 1992, « Quelques réflexions sur la multiplicité des intervenants externes et la multiplication des organisations paysannes (op) au Burkina Faso.», Bulletin de l'APAD, n°3, Revue Apad (ed.) : 5 p.

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    comprendre le monde institutionnel pour étudier les situations. C'est pourquoi avant chaque projet, des réunions entre les anciens et les leaders sont organisées, afin de déterminer si les avantages à tirer des projets sont plus élevés que les risques qu'ils encourent. Selon Y. Guillermou, la méfiance des producteurs entraîne une généralisation de l'attribution de la logique commerciale et des visées hégémoniques à toutes les institutions extérieures (Y. Guillermou, 2002 : 9).

    Cela entraîne des difficultés de communication pour les ONG qui sont assimilées ou confondues aux autres institutions avec lesquelles les agriculteurs ont eu de mauvaises expériences. C'est aussi la raison pour laquelle le changement fréquent de personnel dans les ONG est un obstacle majeur pour établir un climat de confiance.

    Dans la communauté de la Compuerta par exemple, un agriculteur était très méfiant et sur la défensive face l'ONG ProPetén. Il m'a ensuite dit que ProPetén leur avait volé de l'argent il y avait trois ans de cela, lors d'un projet d'élevage bovin. Par la suite, j'ai su que ce projet n'avait pas été réalisé par ProPetén, mais par une entreprise de la région. Cette confusion entre les acteurs a augmenté sa méfiance.

    A travers des réflexions telles que le plan de développement que nous avons élaboré avec les associations dans le cadre du stage, une meilleure sélection des institutions partenaires peut être faite. En effet, grâce à la diversification des partenariats, le choix réfléchi des activités et des acteurs, mais aussi et surtout le fait d'être émetteurs de demandes plutôt que récepteurs de propositions toute faites (comme les exemples ci-dessus), permet une meilleure visibilité et une meilleure confiance.

    Cette dernière partie nous a permis de relativiser la marge de manoeuvre des associations paysannes et leur poids en tant qu'acteur dans le développement durable communautaire, dans la région du Petén. En effet, la mise en évidence des différents enjeux internes et externes des acteurs, les limites liées aux discours du développement, et le contexte économique et social dans lequel se trouvent les communautés, nous ont permis de comprendre que la situation qui est parfois hors de portée des associations. Le développement local dépend en fait de multiples relations de conflits, d'associations et de négociations dont le résultat dépend en grande partie des forces et du poids politique et économique des différents groupes. Le renforcement des capacités d'action des associations paysannes résident alors dans leurs capacités à s'approprier et à maîtriser la connaissance de ce contexte institutionnel qui les

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    entoure, afin d'obtenir plus d'autonomie et de créer elles-mêmes les conditions de leur durabilité.

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    Conclusion

    À partir du cadre guatémaltèque de mon enquête de terrain, nous sommes arrivés à une conclusion mitigée.

    En analysant les interactions entre les associations locales et les autres acteurs institutionnels, nous avons pu constater que le niveau de médiation local que permettent les associations d'agriculteurs est essentiel aux populations des communautés. Il leur permet en effet d'être elles-mêmes les actrices principales des projets qui les concernent. Avec l'exemple des diagnostics, des plans de développement élaborés pendant mon stage et l'observation du fonctionnement de ces associations, nous avons saisi les différentes possibilités qui s'offrent à ces groupes locaux. Le rôle central que les agriculteurs jouent dans la production agricole, la sécurité alimentaire et la gestion des ressources naturelles, ainsi que leurs expériences en la matière peuvent s'ajouter aux domaines d'expertise des institutions de développement, afin de conjuguer leurs forces. De cette façon, des dynamiques de collaboration et d'alliance stratégique s'établissent plus facilement.

    Pour considérer ces relations, il nous a paru important comme nous l'avons développé dans ce mémoire de prendre en considération la diversité des enjeux selon les niveaux d'acteurs, du local au global, en prenant en compte leur pluralité. Parmi ces acteurs, chacun dispose de capacités d'action et de stratégies individuelles et collectives. Il a été aussi essentiel par l'étude contextuelle d'analyser les liens entre les différentes sphères économiques, socioculturelles, environnementales et politiques et les répercussions et influences qui se produisent dans ce système mouvant.

    C'est grâce à cette analyse plus globale que nous nous sommes rendus compte de la complexité de la situation. En effet, les avantages et possibilités privilégiés que possèdent les associations locales sont freinées et limitées par un certain nombre de circonstances liées aux constantes négociations sociales, politiques et économiques entre ces acteurs. C'est pourquoi au fur et à mesure de l'analyse du mémoire, nous avons identifié plusieurs stratégies et pressions qui découlent de la défense des intérêts de chaque groupe. De plus, nous avons remarqué que certaines de ces stratégies d'intérêts sont dissimulées derrière des discours trompeurs représentant une « participation locale ». Après avoir passé du temps à les examiner, il nous paraît toujours difficile de discerner les réelles intentions de chaque acteur.

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    Les associations d'agriculteurs dans cette région du Guatemala sont encore malheureusement des organisations ayant peu d'influence parmi les autres groupes qui les entourent. Les pressions extérieures de changement ne peuvent pas être ignorées.

    Pour l'avenir, la situation des agriculteurs du Petén paraît être enclavée entre deux possibilités : la résignation face à ces pressions, en vendant leur terres et en migrant vers les villes où à l'étranger ; ou bien l'organisation et le renforcement des partenariats institutionnels afin d'être capables de négocier la défense de leur propre développement sur ces terres de manière durable.

    Les inquiétudes que nous ressentons à travers cette analyse ne sont donc pas totales, car le renforcement des associations paysannes, l'accroissement de leur autonomie par une meilleure maitrise de leur environnement institutionnel, ainsi que la mobilisation de la société civile et des acteurs étatiques jusque-là trop absents à leur égard sont possibles. Elles permettraient de réaliser cette deuxième possibilité mentionnée ci-dessus. Les associations ne peuvent pas faire face à elles-seules à toutes ces pressions et à la gestion complète du développement de leur communauté. Ce sont donc des efforts soutenus d'adaptation, d'ouverture et de coopération qui seront à réaliser par chacune des parties mobilisées.

    Le cas du Guatemala et de la région du Petén en particulier ne peut être généralisé. Les conditions de cette zone montrent que les projets de développement doivent s'adapter au contexte local, chaque situation étant particulière. Néanmoins, il est possible, et je l'espère, que cette expérience alimente les réflexions au sujet de la gouvernance, des problématiques de développement durable en milieux ruraux et du développement participatif.

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    - Site du journal quotidien du Guatemala Prensa Libre: http://www.prensalibre.com/

    - Site du MAGA : Minisère guatémaltèque de l'Agriculture de Elevage et de l'alimentation : http://web.maga.gob.gt/

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    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Table des Annexes

    - Annexe 1 : Organigramme de ProPetén 2012 112

    - Annexe 2 : Calendrier des activités agricoles comparé

    aux limites temporelles et économiques 113

    - Annexe 3 : Signature du contrat sur la date de remise

    des nouveaux plans dans la norme 114

    - Annexe 4: Plan de disposition des variétés de cacao. 115

    - Annexe 5: Carte du territoire Q'eqchi' 116

    - Annexe 6 : Illustrations du travail de terrain 117

    Annexe 1 : Organigramme de ProPetén 2012

    Elaboration personnelle

    Annexe 2 : Calendrier des activités agricoles comparé aux limites temporelles et économiques

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    Annexe 3 : Signature du contrat sur la date de remise des nouveaux plans dans la norme

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    Annexe 4: Plan de disposition des variétés de cacao

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    BLANCO

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    ANARANJADO

    ROJO

    SGU 66

    UFCO 66

    PMCT 58

    CATIE R6

    SGU 55

    SPA 9

    CATIE R1

    SGU 5859

    Annexe 5: Carte du territoire Q'eqchi'

    Source: PROPETEN, 2011, Diagnostico Territorial Tomo 1

    117

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Annexe 6 : Illustrations du travail de terrain

    118

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    Table des matières

    Remerciements 4

    Sommaire 5

    Table des abréviations 6

    Introduction .7

    Première Partie : Le projet de l'ONG d'accueil dans 3 organisations paysannes. Objectif

    de renforcement des Organisations Paysannes pour un Développement Durable .11

    1-1 Contexte du pays et de la région 11

    1-1-1 Le Guatemala . 11

    1-1-2 La migration agraire vers le Petén ..... 13

    1-1-3 Le Petén dans un contexte de développement axé sur une politique de

    conservation ........14

    1-2 Particularités et relations des acteurs principaux du projet 15

    1-2-1 l'ONG ProPetén ..15

    1-2-2 Les 3 associations communautaires 17

    1-2-3 Les relations entre l'ONG et les associations au travers du projet de cacao ..18

    1-3 Le projet du stage pour un développement sur base communautaire 20

    1-3-1 Le développement sur base communautaire ..20

    1-3-2 Diagnostics et plans de développement entre idéal et contraintes .21

    1-4 Ma place d'anthropologue dans ce contexte de médiation institutionnelle 23

    1-4-1 Construction contextuelle de ma méthodologie de terrain . 23

    1-4-2 Différents niveaux d'étude de la situation ..27

    1-4-3 Quelques stratégies appliquées pour réduire les contraintes du diagnostic 30

    Deuxième Partie : Les associations paysannes comme condition nécessaire au

    développement communautaire durable .33

    2-1 Les associations paysannes 33

    2-1-1 Eléments de définition 33

    2-1-2 Une grande diversité 34

    2-1-3 Augmentation de la création des groupements paysans ces dernières décennies 36

    2-1-4 Le développement communautaire : une notion à clarifier .37

    2-2-5 Le Développement durable : élément intrinsèque de la culture Maya Q'eqchi'? 38

    2-2 Les résultats obtenus des diagnostics et des plans de développement 40

    119

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    2-2-1 Données générales influençant sur le développement local durable

    41

    2-2-3 Les démarches envisagées pour faire face à la situation

    .50

    2-2-4 Les démarches sélectionnées pour le plan de développement annuel...

    53

    2-3 Les capacités des associations paysannes

    ..54

    2-3-1 Les capacités stratégiques

    55

    2-3-2: une durabilité recherchée par les associations d'agriculteurs du projet cacao......63

    2-3-3 Des capacités financières encore limitées

    64

    Troisième Partie : Des limites et difficultés qui relativisent cette approche idéale

    .67

    3-1 Les difficultés liées aux discours du développement : Décalage entre objectifs et

    réalisations effectives

    67

    3-1-1 Une logique de développement top-down encore présente

    68

    3-1-2 L'image de la participation

    .75

    3-2 Les difficultés liées au contexte socio-économique et politique

    88

    3-2-1 La situation économique et de service de base

    88

    3-2-2 Le paternalisme très enraciné

    .89

    3-3 Les difficultés liées aux acteurs

    .91

    3-3-1 Les phénomènes de contre-pouvoir

    91

    3-3-2 Le statut des populations indigènes

    96

    3-3-3 Le développement local comme sujet sensible de diplomatie entre groupes

    d'acteurs stratégiques

    98

    3-3-4 Le pluralisme institutionnel : difficultés de différenciation pour les associations

    paysannes .99

    Conclusion

    ..104

    Bibliographie

    ..106

    Table des Annexes

    ..111

    120

    Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

    BENOTTI

    Sandra

    2013

    Master Professionnel « Anthropologie & Métiers du développement durable » Département d'anthropologie

    ETH T7 Mémoire de recherche appliquée

    TITRE: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. Etude de cas: Projet de l'ONG ProPetén en partenariat avec 3 associations Maya Q'eqchi' du Nord du Guatemala.

    RESUME

    De nos jours au Guatemala, la problématique de développement durable constitue une priorité majeure. Ceci tout particulièrement dans la région du Petén : elle possède la plus grande forêt tropicale protégée

    d'Amérique Centrale, et se situe dans une zone frontalière au centre d'enjeux géopolitiques. Les
    communautés rurales de cette région luttent constamment contre l'insécurité foncière et alimentaire, causée par le désengagement de l'Etat et par la pression agraire. Beaucoup d'entre elles s'organisent sous forme d'associations locales d'agriculteurs. Celles-ci occupent alors une place singulière d'interface entre les acteurs du développement et les populations locales.

    Ce mémoire propose une étude principalement centrée sur les pratiques, discours et interactions entre

    l'ONG nationale ProPetén et trois associations communautaires d'agriculteurs du Sud du Petén : La
    Compuerta, Poité Centro et San Lucas Aguacate. Son objectif est de donner des pistes de réflexion sur les démarches participatives, les logiques d'acteurs et leurs capacités stratégiques.

    MOTS CLES: Associations Paysannes, Développement rural Durable, Discours, Participation, Pouvoir, Acteurs

    stratégiques.

    TITLE: Farmers' partnership and sustainable development: Speeches vs. realities. Case study: ProPetén's
    NGO's project in a partnership with 3 Maya Q'eqchi' Organizations in the North of Guatemala

    ABSTRACT

    Nowadays, in Guatemala, the issue of sustainable development is a major priority. The Petén region is particularly concerned: this is where the largest protected rainforest in Central America can be found. The region is also located at a border zone with high geopolitical stakes. The region's rural communities fight constantly against land and food insecurity, which are due to the State's disengagement and the agrarian pressure. Many of them get organized around local farmers' organizations. Thus, they stand as a strategic link between the agents of development and the local populations.

    This study focuses mainly on the practices, speeches and interactions between national NGO PROPETÉN and three farmers' community organizations from the South of Petén: Compuerta, Poité Centro and San Lucas Aguacate.

    The aim of this thesis is to be a think tank on participatory approaches on development integrating the different local actors' points of view, and their strategic capacities.

    KEY WORDS: Farmers' partnership, rural Sustainable Development, Speeches, Participation, Strategic

    capacities.

    Département d'anthropologie, Université d'Aix-Marseille, 13621 Aix-en-Provence CEDEX 2






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