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La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

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par Robert MAMADI
Université de Ngaoundéré - Master ès Letrres 2010
  

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1.3 Les dérives et critiques

Dès les premiers jours de l'indépendance, les rivalités claniques et politiques sont visibles. Le pays ne dispose cependant pas suffisamment des cadres intellectuels politiques et administratifs pour analyser les causes de ces divisions et leur trouver de solutions durables. Or, dans ce cas, il suffit d'un débat sincère qui minimise les intérêts individuels au profit de la cohésion nationale. Plusieurs documents historiques et critiques que nous citerons dans cette

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partie attestent que juste après le départ officiel du colonisateur, des mouvements politiques se sont constitués. Leur création en soi n'est pas un mal, mais la base de ces regroupements a toujours été clanique. Même si le discours officiel prône l'unité nationale, la vision nationale des problèmes ne peut être juste et équitable que dans la diversité ethnique autour d'un projet étatique commun. Dès lors, Tombalbaye, pour avoir choisi un ancien parti : le PPT, créé en 1947, (regroupement politique d'obédience nationale) a été le borgne de la classe politique tchadienne, à la veille des indépendances. Selon Varsia, « l'expression "au pays des aveugles, les borgnes sont rois "se trouve amplement vérifiée dans la pratique politique pré et postindépendance du Tchad» (Varsia, 1994 : 17)

Il est regrettable que Tombalbaye se soit entouré des ressortissants de sa région natale pour la gestion de l'Etat. Il a constitué injustement une police spéciale pour l'arrestation des personnes indésirables, les « opposants politiques ». Les arrestations sont arbitraires et visent beaucoup plus les cadres du Nord, du Centre, de l'Est et du grand Mayo-Kebbi. Cet état de chose ne peut pas laisser indifférents les intellectuels. Ceux-ci vont produire des essais, des autobiographies, des tracts et des discours contraires malgré la dictature. Pour mettre définitivement fin à ces contestations intarissables, Tombalbaye procède par une série d'actions visant à pérenniser sa politique. Nous nous proposons d'analyser celles qui, sur le plan historique ou politique, ont une influence certaine sur les conditions de production de la littérature tchadienne. Ces erreurs nous les appelons ici dérives. Ne pouvant faire l'économie des « ratés » d'une gestion publique dans ce travail, nous choisirons ceux qui ont fait l'objet de critique de la part des écrivains tchadiens : le parti unique, le yondo, les travaux forcés, l'anticlérical et le changement de noms.

Tombalbaye dissout le PPT et crée le MNRCS dans le but de susciter un sursaut national d'union. Le changement de nom fait partie de cette « révolution culturelle » que prône le nouveau parti. Pierre Toura Gaba précise les circonstances de la dissolution du PPT, branche du RDA : « Il a été dissous par Tombalbaye le 07 juillet 1973 au cours d'une mobilisation des masses populaires» (Toura, 1998 : 14). Il estime que : « le PPT dont Tombalbaye s'était vanté pendant 14 ans d'être le seul chef spirituel, ne pouvait être dissous statutairement que par une décision majoritaire d'un congrès après consultation du Bureau Politique Nationale» (Toura, 1998 :14). Ce nouvel esprit de gouvernance supprime le multipartisme. Masra et Béral ont trouvé que :

Monsieur F. Tombalbaye n'a pas attendu plus de trois années après son sacre

pour faire un pied de nez au régime politique hérité de la colonisation. Sans

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explication autre que celle évidente et manifeste de son allergie à la contradiction, Monsieur F. Tombalbaye supprima sans autre forme de procès le multipartisme... (Masra et Béral, 2008 : 16).

Ils reconnaissent que cette décision de dissoudre l'ancien parti et le multipartisme est

une erreur, un manque de discernement, une faute. On ne doit pas diriger une nation comme une classe d'un troupeau de grimauds. L'État selon eux est un « boulevard d'une infinité de diversités, voire de contradictions que des hommes se doivent de parvenir nécessairement à concilier dans un élan à la fois de relativisme et de fermeté ; relativisme et donc douceur du coeur, mais aussi fermeté d'esprit ». (Masra et Béral, 2008 14). Face à ce remue-ménage, les Tchadiens demeurent sceptiques et voient en ce nouveau parti « un lion habillé en peau de mouton ». Malheureusement, le scepticisme du peuple ne va pas empêcher le MNRCS de faire son chemin. Le chaos s'installe, comme le constate Varsia Kovana :

Tombalbaye ne se contente pas d'avoir transformé le Parti Progressiste Tchadien (PPT) en MNRCS, mouvement au service de sa propagande et la police en appareil de répression (CST) il modifie également le rôle de l'Assemblée nationale pour l'ajuster à son projet personnel (Varsia, 1994 : 21).

Tombalbaye dans son grand programme « culturel » veut reconvertir le peuple au

yondo, rite d'initiation des Sara au Tchad. Mais il semble peu soucieux de la signification philosophique de ce rite initiatique. Ce qui l'intéresse c'est le retour aux sources : « il organise donc le départ obligatoire et massif des fonctionnaires dans les villages pour y être convertis [...] au yondo » (Varsia, 1994 : 22). Contrairement aux principes de cette ancienne institution sara qui privilégie la formation de l'enfant via les règles sacrées qui lui y sont communiquées, les brimades morale et physique prévalent chez le président. Masra et Béral définissant le yondo comme « un rituel initiatique masculin propre à quelques tribus du Sud du pays et dont l'objectif serait d'enseigner le courage, l'endurance, la dignité et le sens du secret » (Masra et Béral, 2008 : 20), ne le trouvent pas comme une valeur à même de faire partager à tout un peuple la même culture du secret : « Cette fabuleuse pratique initiatique, vaudrait peut être bien son pesant d'or, en son terroir originel ; [...] combien en connaissons nous, de ces hommes, passés par le rituel, trembler comme des feuilles par un temps venteux devant des simulations bénignes ? » (Masra et Béral, 2008 : 23).

Il faut reconnaître que le caractère sexiste et discriminatoire du « yondo » ne le rend pas unificateur en ce sens qu'il exclut les femmes et les étrangers des centres de décisions pour la

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gestion de l'État. Et, « le départ massif des fonctionnaires au « yondo » paralyse la fonction publique et met en veilleuse une série d'activités économiques » (Varsia, 1994 : 23).

Tombalbaye institue les travaux forcés. Tous les fonctionnaires devaient se rendre au champ présidentiel de Kalkoa. Pour une autosuffisance alimentaire, il met en valeur les terres cultivables contraignant hommes, femmes, enfants et vieillards à travailler dans un champ commun. Cet enrôlement des ministres, parlementaires et fonctionnaires « engendre » davantage de désordre que de productivité. Dans ce jeu, même les chauffeurs de taxis sont affectés négativement par le transport obligatoire et gratuit des cultivateurs au site de travail.

Tombalbaye a fait enterrer vivants des chrétiens. Plusieurs ouvrages à l'instar de celui de Masra et Béral attestent que « nombre de pasteurs protestants ont d'ailleurs chèrement payé leur farouche défense de la Bible... » (Masra et Béral, 2008 : 26). Ces pasteurs sont classés parmi les intellectuels et hommes politiques qui ont eu l'outrecuidance de contester et de dire non aux bavures du régime de Tombalbaye. Cela nous dévoile l'image tyrannique du dirigeant et infirme la vision de ceux qui estimaient à l'époque que le président voulait phagocyter le Nord, musulman et imposer une domination sudiste, chrétienne.

En vue d'effacer les traces de la colonisation récente, Tombalbaye a préféré « rebaptiser » les noms tchadiens. Il ordonne à tous les Tchadiens et Tchadiennes d'abandonner les prénoms français. Pourtant la partie nord est majoritairement musulmane et ne véhicule que des prénoms arabes. L'abandon des patronymes français ne résout apparemment aucun problème. Masra et Béral s'interrogent sur le rapport qui peut exister entre nom et révolution sociale et culturelle et concluent qu'« Il serait absolument débile et superstitieux de soupçonner quelques rapports de causalité que ce soit entre conduite sociale et patronyme» (Masra et Béral, 2008 : 21). Ils renchérissent que le baptême par exemple d'un enfant pygmée au nom de Galilée ou de Copernic ne peut pas le pousser à une révolution éponyme.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand