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Crowdsourcing le graphisme peut-il se faire uberiser ?

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par Damien Henry
CELSA Paris Sorbonne - M2 Communication et Technologie Numérique 2015
  

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IV. Les pistes d'ouverture

L'émergence d'un nouveau modèle éthique et transparent permettra aux professionnels et au crowdsourcing de cohabiter, voir de collaborer. Alors que le CS s'autoproclame gagnant-gagnant, il existe certainement un modèle éthique et transparent qui soit à la fois profitable aux entreprises et aux créateurs de contenus. Cette hypothèse a déjà été formulée par Sophie Renault. À la fin de l'article « Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l'organisation et du travail » elle pose la question suivante :

« Quels sont les mécanismes permettant d'atténuer la défiance de la foule envers le crowdsourcing ? Sous quelles conditions, les plates-formes peuvent-elles insuffler un esprit gagnant-gagnant ? Comment fidéliser la foule ? Quelles sont les attentes et motivations de la foule auxquelles les plates-formes doivent apporter une réponse ? Comment développer des modes de crowdsourcing empreints de transparence et d'éthique ?... » (S. Renault, 2014)

Il est encore difficile de répondre à cette question. L'apparition récente des plates-formes de crowdsourcing créatif représente une composante qui vient s'ajouter aux autres. Il est probable que le modèle soit encore en cours de positionnement.

Il existe cependant des initiatives plus optimistes. Tout type de client, pas uniquement ceux qui ont un budget considérable, peut accéder à un graphisme de qualité respectueux du statut du graphiste. Les plates-formes sont un mirage à la fois pour les marques et pour les designers. Il y a des formes plus vertueuses que d'autres, mais nous n'avons malheureusement pas pu trouver de modèle équitable en dehors des initiatives organisées autour de concours à caractère humanitaire ou de l'open-data. On trouve également quelques exemples impliquant les consommateurs de manière vertueuse, mais rien du côté de la production de design.

Les sociétés Creads ou Eyeka sont-elles si malveillantes que ce que le prétendent les puristes du design ? Geoffrey Dorme (DesignandHumans) en a fait les frais (sur Twitter) en évoquant simplement l'idée qu'il y avait peut-être des bonnes pratiques envisageables. Adrienne Massarani avance quelques ouvertures dans son article. La piste serait de procéder à une étude sur le long terme visant à encourager une approche plus raisonnée du droit d'auteur en utilisant un système de licence de type « Creative Common » et d'aller plus loin dans la démarche éthique de ces sites. Comment le graphiste va pouvoir trouver sa place dans cette économie numérique en perpétuel mouvement et vers quelle forme sa pratique peut-elle évoluer ?

Un graphiste qui souhaite exercer son métier dans les prochaines années doit s'adapter constamment. Les outils évoluent rapidement et il doit également rester à l'écoute des tendances pour en jouer et se démarquer (s'il ne veut pas tomber dans l'effet mode).

« Photoshop que j'utilise aujourd'hui n'a rien à voir avec le Photoshop d'il y a 10 ans. Je faisais du flash quand j'ai débuté et plus du tout aujourd'hui. Un graphiste, qui fait du digital de surcroît, s'il n'évolue pas, dans 5 ans : il est mort. » (B. Fluzin)

Comme pour Uberpop avec les taxis, on ne peut réagir sans comprendre ce qui nous permet de tirer notre épingle du jeu.

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« Apparemment, on ne peut interdire ces plates-formes, une fois qu'elles existent... qu'est-ce qu'on fait ? Une fois qu'on déconstruit leur mécanique, comment on agit pour transformer ça à notre avantage ? » (G. Dorne)

À défaut de définir un modèle, nous allons à présent voir qu'il existe des pistes à la fois pour les professionnels du design mais aussi pour les plates-formes.

1) Les pistes pour le design Graphisme à deux vitesses?

n'

On voit clairement que le CS oriente un certain nombre de personnes vers ces sites. Des designers qui ont soit pas une bonne expertise, soit ne savent pas la communiquer. Il y a également un certain

nombre de mauvais clients. Dans ce cas là : « tant mieux » précise François Caspar. Pendant qu'ils vont sur ces plates-formes, cela permet d'aller chercher les bons clients. Il s'agit de la notion de sélectivité décrite par Blair Enns251. En refusant les idées gratuites, le « non » devient un gage de crédibilité pour le designer.

Certains accusent la plate-forme de tuer le métier, nous nuancerons cette notion en suggérant plutôt un tri du métier. Tout comme les clients, il paraît plus probable de voir le métier de graphiste se scinder en deux pratiques. Celle où l'outil devient le critère principal, et celle où la réflexion, le conseil et la singularité priment sur l'outil. Comme on le voit en haute-couture, on se dirige progressivement vers du «prêt-à-porter» en graphisme contre une approche haut-de-gamme qui va finir comme dans le cinéma par engendrer un réseau perméable de professionnels autour duquel les amateurs gravitent en espérant un jour en faire partie. Il faut l'admettre : dans l'immense population des designers, tous ne sont pas au même niveau. Ce qui est valable pour toutes les professions. Il y a des bons boulangers et des mauvais boulangers...

« Le niveau de formation n'est pas le même, le niveau d'expertise n'est pas non plus le même. » (F. Caspar)

Au delà du crowdsourcing, le contexte difficile va toucher une partie de la profession qui n'a pas toujours les armes pour avancer sereinement dans ce métier. Il ne faut pas se faire de soucis pour ceux qui ont déjà une place, les stars ou les free-lances très talentueux et qui ont compris ce qu'étaient les bases du métier. Ces personnes ont des réseaux étendus. Sur du court terme il y aura toujours du travail pour eux. Cependant les salaires sont aussi à deux vitesses. Et ceux qui démarrent hors des réseaux parisiens, avec des petits boulots pour des associations, pour des petites boutiques, etc. seront probablement les premiers atteints.

« Les plus faibles seront touchés en premier. » (G. Dorne)

251Selon B. Enns, être sélectif : il s'agit de pousser la démarche d'adéquation, de trouver les clients pour lesquels nous pouvons trouver des solutions et savoir dire non aux clients qui seraient mieux servis par d'autres. "En disant non nous gardons la crédibilité de notre oui " Blair Enns et Caspar François, 2014, Gagner sans idées gratuites, Money design.org.

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Pour un jeune professionnel, il est possible de se passer du CS, il ne s'agit pas d'une fatalité. Il suffit d'élaborer une stratégie.

Refuser les idées gratuites: Élaborer une stratégie

En sortant d'une école, même très bonne, on part la fleur au fusil en se disant « c'est bon je sais faire du graphisme : je vais m'en sortir ». On se retrouve dans une situation où a besoin d'être bon dans ce que l'on produit, mais il faut savoir le dire. Un designer doit pouvoir se vendre tout en restant armé pour affronter les situations difficiles avec certains clients dont l'attitude est contestable. Ce métier compliqué, la notion d'argent est souvent la dernière roue du carrosse. Il y a presque une certaine pudeur que l'on retrouve dans ce milieu, qui empêche le designer d'aborder le sujet. Cette attitude très nuisible pour le chiffre d'affaire est un peu « le mal du designer ». Être bon peut suffire pour trouver un travail dans une entreprise : il faut être opiniâtre et chercher, on finira pas trouver... Mais comment faire si l'on se retrouve dans un désert économique252 ? Le précepte de l'AFD et de B. Enns est de s'occuper d'abord de son positionnement de designer. Cela commence par refuser les idées gratuites et adopter une réelle stratégie commerciale.

« À un moment on comprend qu'il faut échafauder une stratégie » (F. Caspar)

Il s'agit d'une stratégie de défense juridique qui consiste à « blinder juridiquement sa stratégie commerciale » (F. Caspar). Un ensemble de pièces juridiques que B.Enns appelle « le contrat ».

Une fois le premier dialogue effectué avec le client, qui est essentiel. Vient la rédaction d'un cahier des charges permettant au designer d'être en position de faire valoir son droit. Sans ce document, il est souvent difficile de s'engager dans une procédure couteuse pour le designer. À moins que le client ait fait de grossières erreurs, cela n'a pas d'intérêt pour des petits budgets253. En France les droits sont très forts et protecteurs (le droit de la PI par exemple). Mais ils restent difficiles à appliquer. L'application est « beaucoup moins romantique que l'énoncé de la loi » (F. Caspar). Il est important de se préparer en amont avec une stratégie de la relation professionnelle. Un syndicat comme l'AFD propose donc un accompagnement sur ces questions de forme. Il s'agit de choses qui ne sont pas enseignées, souvent apprises hélas « en se faisant avoir ». En faisant le choix d'une activité indépendante, ce complément de formation est indispensable.

Un enseignement de ces notions dès l'école serait-il une piste pour que ce métier soit moins précaire ? Certainement, mais peu d'étudiants enregistrent les choses et restent focalisés sur la réussite de leur cursus. Ce que nous confirme Barbara Dennys254, directrice de l'École Supérieure d'Art et de Design d'Amiens (ESAD) :

« Nous ne parlons pas de l'aspect commercial à l'Esad. Il y a toujours un grand hyatus sur cet aspect là. Il est très difficile pour une tête en train d'apprendre de se confronter simultanément à la réalité d'un

252 François Caspar, explique qu'en étudiant l'annuaire des designers en France, apparaissent des zones où c'est le désert total.

253 Qui sont en dessous de 5K€, Ça commence à avoir un intérêt autour de 8-10K€.

254 Retour par mail de Barbara Dennys, annexes en page 189. Pour aller plus loin il existe une étude sur l'insertion des étudiants de design : Durand Jean-Pierre et Sebag, 2012, Métiers du graphisme. Ministère de la Culture et de la Communication (coll. « Département des Etudes de la Prospective et des Statistiques (DEPS) Ministère de la Culture et de la Communication »).

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marché et au développement de ses capacités créatives. L'intervention de François Caspar est déjà une exception en école d'art, et je l'ai pratiquement imposée. » (B. Dennys)

La perte d'information est importante, « c'est peut-être un peu tôt finalement » précise François Caspar255. Les graphistes talentueux n'ont pas tous un sens inné du commerce. Un designer peut vite apprendre mais il doit prendre conscience qu'il n'y arrivera pas seul. Comme un chef d'entreprise, il doit être aidé par des spécialistes dont c'est le travail. Un comptable, un fiscaliste, un syndicat pourront proposer une méthode, par des retours d'expériences.

« Il n'y a que de mauvaises rencontres [...]. être indépendant, c'est comprendre certaines règles du commerce. Si on monte un commerce d'achat-vente on a affaire à des personnes qui ont un profil commercial, mais quand on monte un business dans le design, on a affaire à des créatifs et qui sont les moins préparés à cette vie là. »

L'AFD, constate aujourd'hui que ces rencontres se font trop tard. Beaucoup de graphistes adhèrent uniquement s'ils sont déjà en litige. Il est alors plus difficile pour le syndicat de les aider.

Les clients à éduquer

Les créatifs sur Creads constatent eux-mêmes que le métier n'est pas suffisamment compris. Ils sont d'autant plus confrontés à ce problème car ils ne peuvent argumenter face au client et sont tributaires de la plate-forme qui les présente comme des créatifs, sans distinction de niveau256. Le blog « client suivant257 » ou « Les Graphisteries258 » illustrent parfaitement cette méconnaissance du métier que nous avons déjà plusieurs fois évoqué tout au long du mémoire. Il est donc primordial de casser les idées reçues qui entourent ce métier. Celles qui consistent à dire qu'il s'agit uniquement de temps passé derrière un écran (Pascaud, 2014)259.

Sans aller jusque dire comme David Carson que le design sauvera le monde260. Un monde de communication ne peut avancer sans design261. Cela passe avant tout par de la pédagogie. Il est vital de sensibiliser et d'accompagner les commanditaires dans leur démarche de commande graphique si l'on souhaite des échanges sains ou un minimum de respect autour des appels d'offre. Il s'agit d'un combat permanent (B. Fluzin), mais tout graphiste vous dira que la moitié du succès final d'un projet vient de la pédagogie-client.

Pourquoi telle typographie ? Pourquoi telle structure ? Pourquoi ne pas avoir peur du blanc ? Pourquoi ne pas limiter le contenu ? Il s'agit d'un aspect que le graphiste doit apprendre, sur le terrain,

255 F. Caspar intervient également dans plusieurs écoles

256 Voir témoignage de @Wiliko en annexe en page 162

257 « Client suivant » qui reprend les citations de clients type : Client suivant [En ligne]. Disponible sur : < http://clientsuivant.blogspot.fr/ > (consulté le 25 juillet 2015)

258 Vinot L., Gélas P., Sesmat A., Birkel N., Moya J. « Les Graphisteries | Actualités, Découvertes, Débats et Conseils. Pour les Graphistes et autres métiers de la communication. » Disponible sur : < http://www.lesgraphisteries.com/lequipe-du-blog/ > (consulté le 15 janvier 2015)

259 Pascaud T. Vraies et fausses idées reçues sur les graphistes indépendants [En ligne]. 16 octobre 2014. Disponible sur : < http://thomaspascaud.com/vraies-et-fausses-idees-recues-sur-les-graphistes-independants/ > (consulté le 12 novembre 2014)

260 «Graphic design will save the world right after rock and roll does.» David Carson

261 Voir explication disruption / océan / bleu, annexes en page 192

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devant le client. Pas sur une plate-forme...où l'on fait croire que la production graphique n'est qu'une exécution. Le graphisme, n'est pas comparable à un micro-onde ! Il ne s'agit pas d'attendre 2 minutes pour voir sortir du four 50 propositions toutes chaudes. Faire ça, c'est « amputer » 50% de ce qui fait l'intérêt du travail d'un designer (B. Fluzin). Il y a d'autres pistes permettant également d'améliorer la perception du métier de graphiste : au niveau politique et par un design de qualité.

Les initiatives politiques

Nous avons évoqué en seconde partie le statut de free-lance. Il doit être débattu autour d'une table ronde de manière à rendre la pratique plus sereine. Au delà de cette question, les politiques semblent sensibilisés depuis peu à ce manque de perception à propos du rôle du graphiste. Le 13 janvier 2015, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communication, prononce un discours très novateur face à des professionnels enthousiastes d'être enfin entendus.

« Nous avons récemment pu prendre toute la mesure du poids économique et de la vitalité de la culturelle visuelle grâce à l'étude sur l'impact économique de la culture qui m'a été remise. [...] Cette étude a permis de faire la lumière sur le rôle majeur des arts visuels qui produisent une valeur ajoutée de 5,7 Mds d'euros, soit 10% du total des activités culturelles. C'est considérable et je suis convaincue que le redressement créatif de notre pays passe par la vitalité de notre culture visuelle. C'est d'ailleurs tout le sens de la politique nationale en faveur du design que nous menons avec Arnaud Montebourg depuis 2013. » (Filippeti, 2013)

Cette prise de position en faveur des créatifs en France était en effet très attendue. Ils ont le sentiment d'une évolution du discours. La ministre préconise la création d'une Charte Haute Qualité Design, l'édition d'un guide de la commande de design graphique et la diffusion d'une « circulaire aux dirigeants des établissements » pour que les bonnes pratiques puissent « s'étendre à l'ensemble des commanditaires publics. »

Édité par le Centre national des arts plastiques (CNAP) et diffusé à 20 000 exemplaires auprès des collectivités territoriales et locales. Ce guide de la commande de design graphique262 (Adebiaye, 2014) peut être une forme de première réponse éducative à destination des organisations. Soulignons également certains collectifs et associations comme l'ANEC qui proposent cette forme de pédagogie en développant le concept de slow-design263.

Reconnaître la valeur du travail

Nous avons abordé la question de la commande publique. Mais surtout celle de la qualité et de la valeur du travail. Il est important que cette valeur soit reconnue. Le bon design français doit être valorisé pour rayonner à l'étranger. Éduquer le public à voir de belles choses, différentes :

262 Adebiaye F. Guide : « La commande de design graphique » [En ligne]. [s.l.] : Centre national des arts plastiques, 2014. Disponible sur : < http://www.graphismeenfrance.fr/article/guide-commande-design-graphique > (consulté le 19 janvier 2015) ISBN : ISSN : 2267-3075.

263 Anec T., Faure A. Vers « l'uberisation » de nos entreprises | Association pour un Nouvel Élan Créatif [En ligne]. février 2015. Disponible sur : < http://www.anec-asso.fr/uberisation-entreprises-crowdsourcing/ > (consulté le 17 février 2015)

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« Quand on voit les affiches de la fête de la musique des années précédentes : c'est un désastre ! C'est triste qu'un truc aussi populaire et vu pas autant de monde soit aussi moche ! Alors - bonheur ! - cette année, l'affiche est faite par un studio parisien, composé de graphistes de métier, qui s'appelle Building Paris264. » (B. Fluzin)

Nous avons souligné l'importance du travail de qualité pour le book du designer, qui attire de manière vertueuse les bons clients265. Jean-Louis Fréchin266 lors des réunions au ministère portait ce discours justement :

« C'est par la qualité que l'on arrivera à combattre ces plates-formes. » (Propos rapportés par B. Fluzin)

En effectuant un travail de qualité, la logique voudrait que l'on se fasse repérer et solliciter par des clients sérieux qui rémunèrent correctement... Avec l'expérience, le designer finit par refuser du travail parce qu'il en a trop (B. Fluzin). Une position qui n'est pas partagée par tous les professionnels :

« Si en effet il faut porter un discours de qualité, je ne suis pas d'accord pour le laisser-faire. On peut faire les deux en même temps : taper sur les plates-formes de CS et les encadrer, tout en cherchant à promouvoir un design de qualité français. » (B. Fluzin)

2) Vers un collaboratif vertueux Quelques formes intéressantes

Il existe des formes de collaboratif vertueux qui stimulent le graphiste à faire et tester des choses. On le retrouve avec les Templates WordPress mis en ligne sur des banques de thèmes à des tarifs intéressants pour la plate-forme comme pour le designer.

« J'avais un collègue qui avait développé sur flash un script pour générer de la neige... Il a vendu sa neige à Hermès et aux galeries Lafayette et il se faisait en moyenne 1000$/mois en vendant son petit script qui faisait de la neige. » (B. Fluzin)

Le graphiste est à l'initiative de la démarche, la notion d'intermédiaire disparaît, comme celle de l'incertitude du paiement (à condition que le travail soit intéressant). Ce qui est très différent du crowdsourcing spéculatif. Sur nounproject267 il est possible de trouver des icônes en domaine public ou licence CC. Rien n'oblige un graphiste à envoyer des icônes sur la plate-forme qui seront vendues à 1$ l'unité. Malgré la présence d'icônes gratuites, il est tout à fait possible de dire au client qu'il faudra payer l'une d'elles pour obtenir quelque chose de plus personnalisé.

264 http://www.buildingparis.fr/

265 Le « cercle vertueux » de François Caspar

266 Propos rapportés par Baptiste Fluzin. JL Féchin est un pionnier du design numérique en France, il dirige l'agence multi-primée Nodesign et enseigne notamment à l'Ensci.

267 https://thenounproject.com/

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Le Co working équitable

La co-création attire, les plates-formes jouent sur la tendance des espaces de co-working et des studios. Les free-lances et les auto-entrepreneurs deviennent la norme. Ce nouvel écosystème de l'emploi268, frôlant parfois l'illégalité269 conduit aussi à la création de nouveaux espaces de travail de co-working dont le but est de mettre en commun des compétences et de s'entraider. Certaines coopératives, comme Coopaname270, permettent de lutter contre cet éparpillement des ressources. Elles servent d'interface administrative entre les clients et les free-lances qui perçoivent un salaire, mais sans la commission parfois élevée liée au portage salarial classique. Comme une forme de résistance cherchant plutôt à s'adapter qu'aller à l'encontre des nouvelles pratiques : une agence participative.

L'agence Spintank271 héberge également des créatifs sous la forme de co-working au sein du TANK. C'est une forme très intéressante de ce que peut être la pratique du design graphique : à la fois solitaire et collective. 35 personnes travaillent pour l'agence. À côté, de nombreux espaces accueillent272 à plus ou moins long terme des créatifs cherchant à la fois un cadre épanouissant et stimulant. Plus qu'un simple bureau, il s'agit là d'un lieu d'échange pour recevoir les clients. En arrivant dans cette petite ruche où chacun butine à sa façon, en groupe, assis dans un canapé, sur une chaise au bar... tous les ingrédients semblent là pour stimuler la créativité et encourager le graphiste dans son travail.

« La co-création est un processus actif, créatif et social, basé sur la collaboration entre les producteurs et les utilisateurs, initié par l'entreprise pour générer de la valeur pour les clients »

(C.K. Prahalad, Distinguished Professor, University of Michigan)

L'exception des concours à caractère humanitaire

Pour une ONG comme WWF273, qui n'a d'ailleurs plus vraiment besoin d'être valorisée, un concours de crowdsourcing peut être considéré comme « éthique ». Il y a un jury sérieux, avec des intervenants crédibles et surtout : il n'y a pas de relation financière avec le consommateur. La mécanique du concours n'est pas pervertie par l'aspect mercantile. Un concours de dessin ou d'affiche reste intéressant s'il respecte certaines valeurs. Un designer peut alors choisir de donner un peu de son temps de travail pour la bonne cause. Creads propose ce type de concours, mais cela attire bien moins de monde. Surtout s'il s'agit de bénévolat. C'est louable, mais la démarche de la plate-forme reste marginale.

« Pour ma part, les jobs gratuits que j'accepte sont à but associatifs et citoyens uniquement [...] Si vous vous sentez attiré par un projet particulier, souhaitez aider un ami, ou qu'une réelle opportunité s'offre à vous et réclame un sacrifice de temps au début, foncez ! » (S. Drouin)

268 On retrouve des free-lances partout : journalisme, conseil, formation, informatique, électricité, plomberie...

269 L'externalisation est devenue une norme jusque dans les grandes entreprises qui utilisent ce statut pour gérer leur main-d'oeuvre souvent bon marché et s'affranchissent des charges.

270 http://www.coopaname.coop/

271 Dont Baptiste Fluzin est le Directeur de Création. http://spintank.fr/

272 Pour un loyer modéré et flexible (Paris) compris entre 140€ /mois (1/4 temps) et 430€ (illimité)

273 Creative Awards by Saxoprint, http://www.saxoprint.fr/creativeawards, consulté le 6 juillet 2015.

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Les concours aux enjeux sociétaux

On trouve aussi du côté des marques quelques exemples de plates-formes impliquant le consommateur de manière vertueuse. Étant donné les profits générés par les organisations qui mettent en place ces concours, on peut aussi avoir des doutes sur la démarche. La technologie et le crowdsourcing sont très puissants, appliqués à de bonnes stratégies, les marques peuvent aussi profiter de leurs énormes ressources pour mettre en place des initiatives qui ne serviront pas uniquement leurs intérêts. Nous avons en effet souligné le fait que les consommateurs pouvaient être impliqués dans une opération marketing. Nous choisirons cependant de qualifier les trois exemples suivants comme « vertueux » en considérant que les enjeux sociétaux sont plus importants que ceux de la marque.

Orange propose d'imaginer des services numériques innovants274 et part du principe qu'une initiative locale peut avoir une portée globale. Les créateurs des idées les plus appréciées sont invités 5 fois par an pour prendre part à un workshop au sein même de la société : « Vos idées font le tour du monde ».

Sur le Jam, les salariés d'IBM proposent une problématique d'ordre sociétale ou managériale. Les internautes par centaines interagissent de manière bénévole sous forme d'un brainstorming à grande échelle à durée limitée, permettant également à la marque de repérer des talents (Renault et Boutigny, 2013).

Google Science Fair275est un concours international ouvert aux jeunes de 13 à 18 ans. Sur cet incubateur d'idées, les innovations scientifiques sont à l'honneur. Un jury composé de personnalités de l'industrie, scientifiques, journalistes, designers, politiques et même astronautes présélectionne 20 lauréats qui auront peut-être la chance de se voir décerner le Grand prix ou les différentes récompenses attribuées par thèmes ou par partenaires (National Geographic, Virgin galactique, Lego, Scientific American...) sous forme de bourse ou d'une implication directe avec la marque dans la mise en oeuvre du projet sélectionné. Les projets sont très différents, et la marque Google cherche à dénicher les talents de demain. Une opération de recrutement. Google est une entreprise qui est loin du modèle éthique

274 Imagine by Orange, http://imagine.orange.com/fr ou http://www.dailymotion.com/ImagineWithOrange

275 « Accueil - Google Science Fair 2015 ». 2015. Disponible sur : < https://www.googlesciencefair.com/fr/ >

qu'elle défend, pourquoi est-ce tout de même sain ? Les projets sont très bons et innovants, à portée humanitaire pour la plupart. Qui en dehors de la firme américaine aurait pu trouver de telles pépites ? Le jury est hautement qualifié, et tous ces jeunes designers-ingénieurs-artistes n'auraient probablement pas eu la possibilité de faire aboutir leurs idées (parfois géniales) si la puissance de frappe de la firme américaine n'avait pas été là. Lorsqu'un adolescent de 13 ans développe un outil de diagnostic automatisé de la maladie d'Alzheimer, c'est simplement impressionnant.

Certes, il ne s'agit pas de design, mais le travail d'un designer n'est-il pas aussi d'imaginer de nouveaux services ? Ici sont mis en application à la fois un savoir-faire technique mais surtout des idées. L'idéation est en effet la forme qui semble la plus prometteuse, même si les enjeux marketing viennent parfois ternir la belle idée de façade. Il y a une notion d'équilibre à trouver entre l'émotion et le fonctionnel lorsque l'on exerce le métier de designer : trouver à la fois ce que les usagers attendent d'un produit, mais aussi réussir à trouver la technique qui permettra de le concevoir. Alors, il sera possible d'obtenir un design durable et viable. La désidérabilité du produit, est une notion essentielle, l'innovation sans prise en compte de l'usager est inutile : les entreprises aujourd'hui tentent de resserrer leur politique RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) vers l'humain ou des défis de société. C'est peut-être une bonne chose à l'heure de la consommation dématérialisée de « remettre les besoins des pauvres au premier plan276 » (Lisicki. O, 2012). Le designer envisage les choses de manière globale et intuitive, cela permet d'avoir un point de vue particulier sur le monde et les objets qui nous entourent. Il sera probablement un des piliers des entreprises du futur.

« Et il n'est plus possible aujourd'hui de concevoir de nouveaux services et de nouveaux objets sans une prise de conscience et un engagement responsable devant les difficultés actuelles. Les grandes questions sociétales, environnementales, économiques et culturelles du monde doivent permettre de penser de nouveaux usages et de nouveaux services pour de nouveaux contextes. » (Larivière, 2013)277

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276 Vergier Lisicki Olivia, 2012, BOP: « Les entreprises doivent remettre au premier plan les besoins des pauvres », http://www.lexpress.fr/emploi/business-et-sens/bop-les-entreprises-doivent-remettre-au-premier-plan-les-besoins-des-pauvres_1196003.html , 2012, consulté le 10 juillet 2015.

277 Larivière Maurille, 2013, « Le design ou l'innovation pensée par et pour tous! » http://www.lexpress.fr/emploi/business-et-sens/le-design-ou-l-innovation-pensee-par-et-pour-tous_1223165.html , 2013, consulté le 10 juillet 2015.

101

3) Vers un statut qui protège les créatifs sur les plates--formes Donner un cadre légal à ces pratiques

S'il n'est pas possible d'avoir « Uber et l'argent d'Uber » (Marc-Arthur Gauthey), il est urgent de donner un cadre légal à ces pratiques. Une sorte de loi « Macron 2.0 » qui irait dans le sens d'un « Small business act » à la française. Le phénomène de colère des taxis bruyants ne fait qu'illustrer au grand jour l'immobilisme déjà constaté lors de la déconstruction de la culture. Il faudrait se demander si nous ne deviendrons pas tous des « intermittents du travail ». Pour le moment la force de notre système social fait qu'il y a une forme de résistance de l'emploi. Les taxis professionnels bénéficient d'un sursis, depuis l'auto-fermeture en France d'Uberpop par la maison-mère début juillet 2015, les négociations se déroulent désormais au niveau Européen278 où ces plates-formes refusent d'être assimilées à des entreprises de transport ou de logement (AirB&B), mais plus comme des acteurs de l'économie numérique. Les politiques cherchent à encadrer par des lois ces nouveaux services numériques, le choix du positionnement et du statut de ces plates-formes va directement définir leur liberté d'action et le cadre législatif, l'enjeu est donc de taille. Si l'idée est surtout de fixer des règles de bases, il faut aller plus loin car cela exonère tout de même les plates-formes de leurs responsabilités dès lors qu'il n'y a plus de chauffeurs (en ce qui concerne Uber) ou de graphistes-designers en ce qui concerne les plates-formes de création.

Le 16 Juin, la commission de travail de San Francisco a reconnu le statut d'employée à une conductrice d'Uber, Robin Prudent sur Rue 89 se demande alors si l'entreprise compte 1000 ou 1 Millions d'employés279. Pour une plate-forme de CS, qui deviendrait par la législation un intermédiaire neutre, quel serait le statut du graphiste qui génère suffisamment de revenus pour que cela soit assimilable à une activité à part entière ? En associant Creads ou Eyeka à une entreprise technologique et non un acteur de l'industrie de la création (ou du marketing), cela revient définitivement à faire une croix sur le modèle social. La fin du salariat ne devrait pas être un tabou, mais il est urgent de moderniser notre législation dépassée afin de « donner aux technologies la place qui leur est due »280car les grosses plates-formes vont progressivement être en situation de monopole281, absorbant cette fois les « pépites » de la FrenchTech dont le capital risque annuel de 200 Millions d'euros représente de l'argent de poche pour les start-up américaines ayant levé 1,75Milliards en avril et juin 2014.

« L'économie française risque d'être ubérisée avec la fin de notre souveraineté numérique » (Bruno Teboul)

278 Et part conséquent, ce sont 28 législations qui sont directement concernées.

279 Prudent R. « L'appli Uber a-t-elle 1 000 ou 1 million d'employés ? ». Rue89 [En ligne]. Juin 2015. Disponible sur : < http://rue89.nouvelobs.com/2015/06/19/lappli-uber-a-t-1-000-1-million-demployes-259858 > (consulté le 1 août 2015)

280 Delli. « A Bruxelles, Uber tente de contourner les obstacles nationaux - Rue89 ». Rue89 Les Blogs [En ligne]. Juillet 2015. Disponible sur : < http://blogs.rue89.nouvelobs.com/karima-delli/2015/07/25/bruxelles-uber-tente-de-contourner-les-obstacles-nationaux-234822 > (consulté le 1 août 2015)

281 On voit des acteurs comme Blablacar racheter un à un leurs concurrents et c'est la sélection naturelle qui prime souvent dans l'économie numérique

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Travail ou pas?

Au delà des dimensions éthiques du travail spéculatif ou liées à la qualité du design se posent des questions juridiques et contractuelles. Je ne possède pas les compétences sur ce point, mais la question est toutefois inévitable, nous allons en décrire les grandes lignes.

La proximité entre l'activité professionnelle, le temps passé à répondre aux concours et la cession des droits semblent brouiller la perception que l'on a du CS compétitif. Les frontières entre le travail et un concours sur une plate-forme de crowdsourcing sont fines. Sophie Renault (2014) parle de nébuleuses où la tentation de qualifier cela en contrat de travail augmente en fonction de la nature de la plate-forme ou du type d'appel à la création.

Creads a vécu de plein fouet cette problématique : comment récompenser cet acte de création, ce travail, à l'issue duquel seule une ou deux personnes seront récompensées ? Il y a donc un constat de déséquilibre entre un travail effectué et une récompense. « Quel statut pourrait être donné à ceux qui participent souvent dans l'ombre à la création de valeur d'une organisation ? » Se demande Sophie Renault282 (2014), sur le plan légal, la réponse se situe pour le moment au niveau de l'implication du Créatif.

Co-auteur de l'article "Travail ou pas ?...283" Éric Favreau définit les différents cadres d'autonomie et les types d'interaction pouvant s'inscrire dans un cadre de contrat de travail.

Sur le site Eyeka, le discours assez transparent. Cette plate-forme a le mérite de bien informer les utilisateurs et l'information reste facile à trouver. Ils insistent sur la liberté de création dans une logique d'appel à la création ouvert. La plate-forme sert d'intermédiaire entre les marques et les créateurs qui sont dans une totale autonomie durant le processus de création. Il n'y a pas de contrôle imposé par la plate-forme en dehors des règles définies par le brief. Aucune garantie de résultat n'est également demandée au contributeur qui choisit la manière et l'énergie qu'il souhaite investir sur un projet :

« Nous n'intervenons absolument pas en ce qui concerne le processus d'élaboration de la création, et on ne veut pas intervenir pour bénéficier de cette créativité diffuse. » (É. Favreau)

Le seul contrôle concerne l'upload (la mise en ligne du fichier par le contributeur) qui doit répondre à des impératifs techniques là encore définis par le brief. Rien ne permet donc d'assimiler ces échanges à une relation de travail en terme de contrôle, sanction, de discipline ou de temps de travail. Lorsque la plate-forme échange avec certains contributeurs pour affiner une création afin qu'elle corresponde plus aux attentes du client, Il s'agit d'un travail dirigé qui peut être comparé à une relation entre un prestataire et une entreprise. Il y a une distinction à faire entre un consultant payé pour une prestation externe et un contrat de travail :

282 Renault S. « Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l'organisation et du travail ». RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise [En ligne]. 1 mars 2014. Vol. 11, n°2, p. 23?40. Disponible sur : < http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RIMHE_011_0023 > (consulté le 17 janvier 2015)

283 Favreau Eric, Lemoine Jean-François et Roth Yannig, « Travail ou pas? L'autonomie des participants au crowdsourcing et ses implications juridiques ». 2014

« Il ne faut pas fantasmer sur la notion de re-qualification en contrat de travail, c'est un risque qui existe pour toute entreprise qui fait appel à des consultants extérieurs, quel que soit la nature de la prestation.»(É. Favreau)

Dans cette situation, l'entreprise sera confrontée à un grand nombre de consultants mais qui n'auront pas de garantie de paiement. Ce qui n'était pas envisageable pour une entreprise il y a 15 ans. Éric Favreau précise que la plate-forme prend le risque, pas le client :

« Le risque de contrat de travail est, à mon avis très limité. Par contre celui d'avoir une grogne est plus grand dès lors que l'on part du principe qui est de dire : je travaille donc je suis payé »

Les gagnants sélectionnés cèdent leurs droits, la récompense qu'ils récupèrent est la contrepartie de la cession des droits. Dans une étape ultérieure, le client souhaitant retravailler une proposition pourrait demander au créatif de s'investir d'avantage. Si la plate-forme souhaite également travailler dans la durée parce qu'elle estime qu'une prestation doit être rémunérée à ce moment là, un contrat de travail classique de type Free-lance-client ou auto-entrepreneurs peut être mis en place. Il ne s'agit pas non plus d'un contrat de travail à condition que l'intervention du prestataire soit ponctuelle et non systématique.

Faut--il encadrer davantage le crowdsourcing ?

C'est une question qui revient souvent, elle doit encore être débattue. Juridiquement le CS créatif se situe dans les règles. Les plates-formes utilisent très bien les aspects juridiques en vigueur pour contrer les arguments des professionnels, car il n'y a pas d'implication. Le CS créatif se situe cependant dans une zone grise où ce qui est demandé aux participants est une véritable commande maquillée sous la forme d'un concours, et qu'il n'est pas toujours contrôlé par un huissier284. On est loin de l'application qui permet aux automobilistes de signaler un « nid de poule ». Mais on est loin aussi d'Uber.

Et si ces plates-formes pouvaient évoluer vers des formes plus équitables pour tous ? Pour le moment ces plates-formes sont jeunes, on manque de recul, certaines n'ont d'ailleurs pas encore fini de trouver leur modèle et pourraient encore évoluer vers plus de transparence.

Il est certain qu'il faudra considérer le crowdsourcing comme une facette à part entière du petit monde de la création visuelle. Lorsque l'on voit le nombre de nouvelles structures qui voient le jour depuis 2011, la manière exponentielle dont elles évoluent et procèdent à des levées de fonds dépassant le chiffre d'affaires décennal de petites agences de communication. On peut se demander en effet si elles ne vont pas « tuer le métier ». Le CS est associé à une forme de dumping social. Les professionnels sont inquiets pour leur profession. Il n'y a cependant aucune étude qui prouve actuellement que le crowdsourcing soit un danger pour la filière du design, d'un point de vue économique en tout cas :

« Aujourd'hui, il n'y a pas de travaux parus sur les dommages. J'aimerais beaucoup avoir ce genre de retours chiffrés de l'influence du CS sur une profession créative par exemple ou sur la société, notamment le manque à gagner en terme de taxe, etc.... Aujourd'hui rien n'est prouvé, tout simplement

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284 Information qui demande toutefois à être vérifiée, car elle provient surtout des opposants au CS.

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aussi parce que c'est peut-être un trop petit problème pour la société et qu'il n'y a pas encore de gros cabinets ou de gros ministère qui s'est penché sur la question. » (Y. Roth)

Dire que les entrepreneurs comme Creads participent à la dynamique économique en créant des emplois est partiellement vrai. Certes, l'agence a considérablement augmenté ses effectifs interne et embauche des stagiaires, mais elle joue en parallèle sur une promesse de réussite envers des créatifs qui se réfugient par défaut sur la plate-forme en attendant des jours meilleurs ou en espérant être repérés.

Fermer les plates-formes ne règlera pas le conflit, qui est mondial. Il ne faut pas oublier que personne

n'

est obligé de participer. Cela ne fait de mal à personne, ne force personne. Et même un moyen de changer de l'agence pour certains designers. À condition que la plate-forme informe correctement au départ.

« J'ai des difficultés à voir ce que gagnent les personnes qui veulent faire interdire activement le crowdsourcing. Je ne pense pas qu'ils se rendent compte qu'en interdisant les plates-formes cela généra bien plus de déception du côté des créatifs, que cela faisait bien marrer ou qui gagnaient des concours - ou même des profs ou des étudiants - qui trouveraient ça dommage, que de personne qui diraient - ha enfin on a enlevé ça ». (Y. Roth)

Il ne faut pas toutefois accepter le CS comme une fatalité et laisser faire. Ce type de plate-forme véhicule une mauvaise vision du design. Cette proposition de valeur gratuite reste individuellement positive pour certains créatifs mais peut devenir négative pour la profession si elle devient systématique.

« Si une part significative devient crowdsourcée dans les concours, c'est certainement néfaste pour une profession ou peut-être même pour une société. » (Y. Roth)

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4) Conclusion générale

Une pratique amateur peut toutefois favoriser les professionnels. Cela mène les personnes créatives à se poser une question sur le vrai rôle du designer et valorise leur travail d'accompagnement. Il existe toujours dans l'industrie graphique une forme de snobisme, qui consiste à critiquer le mauvais design, et d'encenser le vrai design. Comme quelque chose de sacré que les autres, les clients, les non-designers, ne peuvent comprendre. Mais si l'on souhaite affirmer son expertise, il serait peut-être temps d'accepter que les amateurs puissent aussi pratiquer et s'améliorer, s'ils veulent continuer d'aller sur les plates-formes : alors laissons-les ! Bien entendu cela n'enlève pas les possibles dérives du système, ni l'idée selon laquelle on peut obtenir « du sur-mesure pour le prix d'une barquette surgelée » (B. Fluzin). On se plaint suffisamment du mauvais goût des clients, qui s'attachent souvent à la simple enveloppe visuelle, sans considérer les aspects de sens. Accepter que les amateurs puissent apprécier le bon design, en comprenant le travail sérieux qui est effectué en amont serait une bonne chose pour tout le monde. Le professionnel ira toujours au-delà de l'enveloppe esthétique. Son expertise associée à une véritable stratégie commerciale lui permettra de s'armer contre certains clients.

« Le CS, non pas qu'il s'agisse d'un faux problème. Sous l'angle de la déontologie, c'est un vrai problème. Sous l'angle de la stratégie commerciale : c'est un faux problème. » (F. Caspar)

Le CS va être utilisé de plus en plus. Mais il n'est pas structurel, et ne le deviendra sans doute jamais. Il ne remplacera pas les agences ou les free-lances. Dans le cadre d'une idéation, il pourrait déboucher vers une forme de collaboration (mais cela est surtout valable dans le cas d'Eyeka : « Pour un Creads ou autre cela peut être différent » précise Y. Roth).

« Parce qu'on sait que les clients aiment travailler avec leur agences. » (Y. Roth)

n'

Le contexte sensible du design permet au business de s'engouffrer dans un créneau plus facilement. Il s'agit d'un électrochoc qui doit amener le professionnel à se poser les bonnes questions. Se faire Uberiser arrivera pas pour les meilleurs, mais les débutants ou les graphistes qui habitent dans des déserts

économiques risquent d'avoir plus de mal. Il faut bien savoir que les personnes opposées au CS sont face à la communication positive des plates-formes. Mais tout ne fonctionne pas. Il ne sera pas possible de remplacer le travail complet d'un créatif ou d'une agence.

Le risque est surtout du côté des plates-formes. Vont-elles encore attirer les personnes talentueuses si elles ne leur permettent pas un juste retour sur leur investissement ou une réelle reconnaissance ? Finiront-elles par être désertées par les professionnels découvrant qu'il n'est pas toujours possible de mettre le logo de la marque dans leur book alors que c'est exactement ce qui les pousse à participer ? Comme de nombreux modèles du web, les startups de CS ne sont pas à l'abri d'une baisse d'intérêt de la part de la foule. Il est important pour ces jeunes entreprises du web de pérenniser leur activité. L'ultime question est de savoir s'il est possible pour ces plates-formes de garantir à leur clientèle une réponse de qualité tout en effectuant un repositionnement de leur modèle sur le plan éthique.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon