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De la gratuité sur internet. Etude de cas de Google inc.

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par Clara Pillet
CELSA - Master 2 2015
  

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2. Les utilisateurs face à l'utilisation de leurs données personnelles

Après avoir montré dans une première partie que les services de Google Inc. n'étaient pas gratuits pour l'utilisateur, car un échange de données personnelles s'effectuait entre l'utilisateur et l'entreprise, il m'est apparu évident de savoir si les utilisateurs étaient conscients de cet échange économique qui se jouait avec Google Inc. et de comprendre quelle était leur position par rapport à la gratuité des services et à l'utilisation de leurs données personnelles comme monnaie d'échange.

- La position des utilisateurs par rapport à leurs données personnelles

La vie personnelle est aujourd'hui quelque chose d'individuel, dont la définition collective est difficile à trouver. La vie privée peut être définie comme « le droit à être laisser tranquille et à être seul »72, soit le droit de ne pas dévoiler des informations sur soi et de ne pas être importuné par autrui, que ce soit des individus ou des organisations privées. Ainsi, ce droit est de plus en plus revendiqué par les citoyens du monde, notamment en ce qui concerne l'environnement numérique.

Selon l'enquête réalisée par PewResearch Center en mai 201573, 90% des internautes américains veulent garder le contrôle sur leurs données privées, 40% d'entre eux n'approuvent pas le business model de Google Inc. et 66% ne font pas confiance aux moteurs de recherche. J'ai cherché à vérifier ces chiffres grâce à mon questionnaire.

Je suis partie du postulat que tous les sondés sont donc conscients de l'utilisation de leurs données personnelles par Google Inc., et si ce n'était pas le cas, j'ai laissé entendre dans mes questions que l'entreprise collectait, traitait et exploitait les données personnelles de ses utilisateurs. Suite aux réponses, il en ressort que la majorité des sondés sont dérangés par cette pratique.

72 WARREN & BRANDEIS, « The Right to Privacy », Harvard Law Review, Vol. IV, No 5, le 5 décembre 1890. Disponible : http://groups.csail.mit.edu/mac/classes/6.805/articles/privacy/Privacy brand warr2.html (Consulté le 13 août 2015)

73 « American's Atittudes about Privacy, Security and Surveillance », PewResearchCenter, 20 mai 2015. Disponible : http://www.pewinternet.org/2015/05/20/americans-attitudes-about-privacy-security-and-surveillance/ (consulté le 6 juin 2015)

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66% des sondés, non utilisateurs des services de Google Inc. ont un avis négatif sur la collecte des données personnelles par une organisation privée comme Google Inc. En ce qui concerne les sondés utilisateurs de Google Inc., 67,5% se sentent concernés et dérangés par l'utilisation de leurs données personnelles par une organisation privée comme Google Inc. Seuls 35.5% des sondés ne sont pas dérangés par la collecte, le traitement et l'exploitation de leurs données personnelles, dont 37.5% des professionnels de la communication et du marketing, et 25% des étudiants dans ce domaine. Ainsi, les individus évoluant dans ce domaine professionnel sont plus à même d'être informés de cette pratique, et de connaître au niveau technique et commercial son fonctionnement, notamment parce que ce sont des pratiques qu'ils mettent en oeuvre au niveau professionnel. À noter également que 57.2% des sondés sans activité ne sont pas dérangés par l'utilisation de leurs données personnelles, et que seulement 12.5% des retraités le sont.

Ainsi, ces pratiques sont perçues de manière négative par les sondés, qui veulent garder le contrôle sur leurs données personnelles, et n'approuvent pas qu'elles soient traitées par des tiers.

Cependant, il est intéressant de noter que seuls 10.4% des sondés ont lu les conditions d'utilisation des services de Google Inc. Seuls ces sondés ont une connaissance exacte des conditions d'utilisation de leurs données personnelles effectuée par Google Inc. En effet, les conditions d'utilisation de services sur Internet sont très rarement lues par internautes, étant donné la longueur des textes et leur caractère juridique, qui peuvent être compliqués à comprendre pour la plupart des utilisateurs de services.

À noter que parmi les sondés qui ont lu les conditions d'utilisation des services de Google Inc., 14% sont des étudiants, 13.8% sont des salariés, 28.6% sont sans activité. Il semble que la lecture des conditions d'utilisation ayant un coût en temps important, seuls les sondés qui ont des horaires de travail allégées ou qui n'ont pas d'activité peuvent avoir le temps de chercher et de lire ce texte.

De plus, le faible taux d'utilisateurs ayant lu les conditions d'utilisation de Google Inc. s'explique notamment par le fait que leur lecture n'est à aucun moment proposé à l'utilisateur, les conditions d'utilisation précisant que « l'utilisation des services de Google Inc. implique

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votre acception des présentes conditions d'utilisations »74. L'utilisateur ne doit à aucun moment cocher une case pour accepter les conditions d'utilisations, et s'il ne les cherche pas, elles ne lui sont jamais affichées. Cependant, même si 10% des sondés ont lu les conditions d'utilisation des services de Google Inc., la problématique des données personnelles et de l'exploitation qui est faite par les entreprises se heurte au consentement préalable et limite la possibilité de réutiliser les données. « Il est difficile de demander un consentement pour des traitements dont on a pas encore l'idée », explique Simon Chinard.75 Ici, le consentement des utilisateurs est implicite, ce qui permet à Google Inc. de se réserver le droit de traiter les données personnelles de ses utilisateurs de toutes les manières possibles, sans que l'utilisateur ait son mot à redire. Une des limites essentielles à laquelle se heurte les individus qui cherchent à préserver leur vie privée et l'utilisation de leurs données personnelles est l'incomplétude d'information76 : du fait de l'asymétrie informationnelle entre l'individu et une entreprise comme Google Inc., l'utilisateur a une certaine difficulté à calculer les probabilités d'occurrence d'événements futurs engendrées par son comportement présent. En effet, Google Inc. est seul maître à bord, et est le seul à détenir les informations de collecte et de traitements des données. L'utilisateur, étant en déficit d'informations par rapport à Google Inc., ne peut pas savoir l'usage de ses données personnelles qui va être fait dans le futur, et si cela pourrait être un préjudice pour lui-même ou non.

On peut donc considérer un certain paradoxe de la vie privée : les internautes sont dérangés par la collecte et le traitement de leurs données personnelles, qui relèvent de la vie privée, mais dans le même temps, ils ne prennent pas le temps de lire les conditions d'utilisation des services numériques qu'ils utilisent. En terme de psychologie, les individus préfèrent un plaisir immédiat, une satisfaction à un besoin immédiat à un dommage futur qu'il est difficile d'envisager.

74 Annexe 3, p. 115

75 Simon Chignard, dans « Les données personnelles, une denrée sous-utilisées par les collectivités », la Gazette des Communes, publié le 2 juillet 2015, par Claire Chevrier. Disponible : http://www.lagazettedescommunes.com/374186/la-capacite-a-croiser-une-donnee-a-une-autre-fait-sa-valeur/# (consulté le 3 juillet 2015)

76 ROCHELANDET Fabrice, Economie des données personnelles de la vie privée, Ed. La Découverte, coll. Repères, Paris, p. 82

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Selon Alessandro Acquisiti77, les individus ont des préférences stables en ce qui concerne leurs données personnelles, et ils font des compromis mentaux entre le prix à donner à leurs informations et les bénéfices de leurs partages de données.

« En choisissant l'équilibre entre le partage et la dissimulation des données personnelles (et entre le choix d'exploiter ou de protéger les données personnelles des individus), les individus et les organisations font face à des compromis complexes, parfois intangibles et souvent ambigus. Les individus veulent la sécurité de leurs données, et éviter la masse de leurs informations qu'ils échangent avec d'autres entités. Cependant, ils bénéficient également du partage de ces informations avec leurs pairs et des tierces parties, qui rendent de possibles interactions mutuelles satisfaisantes.»

Ainsi, Google Inc. génère des externalités négatives et positives pour ses utilisateurs car « son activité procure à un autre agent, sans contrepartie monétaire, une utilité, un avantage ou un dommage »78. En effet, son utilisation permet à la fois aux utilisateurs de satisfaire des besoins en information, et en même temps, son utilisation est dommageable pour les utilisateurs qui ne veulent pas que leurs données personnelles soient collectées et exploitées par l'entreprise.

Ainsi, selon Antonio Casilli, « la privacy [NDLA : le droit à la vie privée] est une négociation incessante, dans un cadre de complexité sociale et technologique. »79 La conceptualisation de la vie privée et des données personnelles est façonnée à la fois par les attitudes des utilisateurs, par les efforts des entreprises privées et morales et par les normes imposées par les Etats. La négociation de la vie privée est « collective, conflictuelle et itérative, visant à adapter les règles et les termes d'un service aux besoins de ses utilisateurs ».80 Ainsi, les sentiments des utilisateurs par rapport à l'utilisation de leurs données personnelles sont à mettre en relation avec leur besoin d'utilisation d'un service. J'ai donc choisi de demander

77 ACQUISITI Alessandro, Privacy & Behavioral Economics : The Paradox of Control & Other Studies, Heinz College/CyLab, Carnergie Mellon University, Paduano Symposium, 15 Octobre 2010. Disponible :

http://www.heinz.cmu.edu/~acquisti/papers/acquisti privacy behavioral economics.pdf (Consulté le 16 mars 2015)

78 CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, 2015, Collection « Entreprendre - Développement professionnel », p. 47

79 CASILLI A. Antonio, « Contre l'hypothèse de la « fin de la vie privée », La négociation de la privacy dans les médias sociaux », Revue française des sciences de l'information et de la communication, 2013

80 idem

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aux sondés utilisateurs des services de Google Inc. pourquoi ils utilisaient les services de Google Inc. alors que la collecte et l'utilisation de leurs données par l'entreprise les dérangeaient. Cette question me permet alors de comprendre la relation entre les utilisateurs et l'entreprise Google Inc.

- L'opinion des utilisateurs par rapport à l'utilisation de leurs données personnelles par Google Inc.

Le rapport de force entre les individus et les entreprises est si important que l'échange équitable n'existe pas. On peut remarquer que les services que Google Inc. sont si invasifs que les utilisateurs n'ont pas le choix de refuser ou de négocier les règles d'échange, comme vu précédemment notamment en ce qui concernent les conditions d'utilisation.

En effet, trois sondés expliquent utiliser les services de Google Inc. malgré le fait qu'ils désapprouvent la collecte et l'utilisation de leurs données personnelles par l'entreprise, parce qu'ils n'ont « pas vraiment le choix ». Ils « se sentent pris au piège » par leurs habitudes d'utilisation. Deux sondés citent également une obligation d'utilisation, notamment pour des raisons professionnelles. « Quand tout le monde utilise Google Calendar, je n'ai pas le choix ». Enfin, deux sondés ont répondu : « Je ne sais pas, je ne me suis jamais posé la question ».

A noter que 9% des sondés expriment le fait que les services de Google Inc. sont comme tous les autres services du même type et ne peuvent pas protéger leurs données personnelles. Ainsi, certains individus ne font pas confiance aux entreprises qui créent et proposent des services gratuits, et semblent résignés à l'utilisation qui est faite de leurs données personnelles.

Ainsi, la position de leader de Google Inc. sur le marché du moteur de recherche dans le monde est un critère d'utilisation important pour les utilisateurs, qui ne peuvent se passer du leader et du moteur de recherche référent. De plus, les stratégies d'enfermement, qui peuvent être reliées à l'idée du panoptique de Michel Foucault évoquée dans la première partie, sont également des notions à prendre en compte concernant les sentiments des utilisateurs par rapport à Google Inc. L'utilisateur choisit d'utiliser les services de Google Inc. mais ne peut pas arrêter de les utiliser. En effet, trois sondés utilisent Google et pas d'autres services « par

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flemme ». « De toute façon, il a déjà mes données personnelles en stock ». De plus, 5.4% des sondés expliquent qu'ils utilisent Google par habitude et facilité. En effet, le coût procédural de changement (switching cost), qui concerne le temps, les efforts demandés et l'incertitude liés au repérage d'un nouveau service, son adoption et son utilisation sont trop importants et on peut parler d'effets de réseaux négatifs. Les données personnelles sont une barrière à la mobilité, et permet à Google Inc. de garder sa position de monopole, car les coûts de migration sont trop importants. Le sentiment d'impuissance des internautes face à une surveillance constante qu'ils ne peuvent pas contrôler explique cette passivité : les utilisateurs sont résignés.

- Quelles stratégies de repli ?

Il est intéressant de noter que des stratégies de repli sont mises en oeuvre par une minorité utilisateurs qui désapprouvent l'exploitation de leurs données personnelles par Google Inc. Des comportements de retraits et d'évitement se mettent ainsi en place parmi les utilisateurs. Ainsi, un sondé explique utiliser les services de Google « le moins souvent possible », tandis qu'un autre affirme avoir « réglé les paramètres de confidentialité le plus haut possible, pour que Google ne puisse pas [le] tracer ». Pour reprendre possession de ses traces, et de ses données personnelles, cet individu a mis en place une « sousveillance », où il enregistre les indices de sa présence pour préserver l'intégrité de son identité, et ne pas subir une asymétrie informationnelle face à Google Inc.81

Ainsi, on observe que seule une minorité d'utilisateurs est consciente et dérangée de la collecte de leurs données personnelles et a donc mis en place des stratégies de repli.

En ce qui concerne les sondés non utilisateurs des services de Google Inc., 50% estiment ne pas avoir besoin des services de l'entreprise, et 50% ne veulent pas qu'elle puisse avoir accès à leurs données personnelles. La moitié des sondés a donc fait le choix de ne pas utiliser Google Inc. à cause de son mode de fonctionnement. L'utilisation des données personnelles est donc un critère de choix d'utilisation de services gratuits, pour une minorité d'internautes.

81 MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l'information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015)

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Ainsi, le repli s'explique par une non utilisation totale des services que propose l'entreprise, ce qui, d'une certaine manière exclue ces internautes, qui ne partagent pas un point de repère avec le reste de la société. Par leur non utilisation de Google Inc., ils s'excluent d'un système où le modèle de référence en termes de moteur de recherche est Google. Ils adoptent alors une position en marge de la société.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery