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La construction du personnage chez Sagan.

( Télécharger le fichier original )
par Cécile Orsoni
Université de Paris Sorbonne - Master 2014
  

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7) Carpe Diem.

Ce n'est pas un hasard si le titre du roman - Bonjour Tristesse - est tiré d'un vers du recueil La vie Immédiate de Paul Eluard. La « vie immédiate » désigne la vie sans délai, et incite à vivre le moment présent.

La première guerre mondiale a fait prendre conscience aux hommes que leur vie était fragile et leur destin imprévisible. L'homme est dès lors incité à vivre hic et nunc et à profiter de ce que la vie offre.

Les personnages de Sagan ne s'encombrent pas du passé et se projettent rarement dans l'avenir. Ils se projettent au moment où Raymond et Anne envisagent de se marier, mais cela dure une semaine et Cécile se demande s'ils y ont réellement cru :

« Mon père le croyait-il vraiment possible ? Il prônait l'ordre, la vie bourgeoise, organisée. Sans doute tout cela n'était-il pour lui comme pour moi, que des constructions de l'esprit » (page 58).

Les personnages ne pensent donc qu'au présent, ils veulent profiter tout de suite, jouir du plaisir dans l'instant.Cécile, faisant référence à Cyril : « Mais en ce moment, je l'aimais plus que moi-même. »

La devise de Raymond et Cécile pourrait être : Carpe Diem. Littéralement, Carpe Diem signifie « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain ». Elle est tirée des vers latins du poète Horace. Le futur étant incertain et tout étant voué à disparaître, il s'agit de profiter du moment présent et d'en tirer toutes les joies, sans s'inquiéter du jour de sa mort.

Carpe a pour signification primitive « brouter », « cueillir »; puis « déchirer, goûter».Il y'a donc quelque chose de l'ordre de la division, de la rupture, du tiraillement, de la peine. Pas de Carpe Diem sans déchirement et sans séparation; Anne meurt à la fin du roman, et Raymond et Cécile sont bien forcés de lui dire adieu.

L'hédonisme tient une place importante dans le roman. Cécile apparaît comme une jeune fille lascive, vive, spontanée, vibrante, vivante, « plus douée pour embrasser un garçon au soleil que pour faire une licence ».

Les métaphores sexuelles sont assez nombreuses : « En un jet jaunâtre et doux », (page 30), « je mordais l'orange, un jus sucré giclait dans ma bouche » (page 32) ; « je regardais sa bouche gonflée de sang ; une bouche chaude et dure... » (page 59)

Tous les sens sont sollicités, en particulier le goût : « le goût des premiers baisers » (page 21), « je me rappelle encore le goût de ces baisers essoufflés » (page 59) « je savourais le plaisir d'être mêlée à la foule, celui de boire [...] je découvrais le plaisir des baisers » (page 27).

Le plaisir est associé à l'ivresse, au naufrage, et permet donc de s'oublier : « il me renversa doucement sur la bâche : nous étions inondés, glissant de sueur [...] le soleil se décrochait, éclatait, tombait sur moi. Où étais-je ? Au fond de la mer, au fond du temps, au fond du plaisir » (page 114).

Cécile s'adonne pleinement aux plaisirs de la chair, contrairement à sa passivité pour le reste des choses de la vie.

L'écriture de Françoise Sagan traduit cet éveil des sens, cette explosion de sensations, ces vibrations.Le terme « tremblement(s) » revient à plusieurs reprises dans le roman. Baudelaire, qui a conscience d'être déchu, demande à dieu de lui permettre « de contempler son coeur et son corps sans dégout » (Un voyage à Cythère, 1857).Françoise Sagan, au contraire, fait le récit d'une ode au désir et à ce corps qui vit, qui vibre, qui est peut être le dernier pied de nez que l'on peut faire à cette vie absurde, à l'ennui, au désespoir, au vide. Parce que c'est le corps qui régit et non plus l'esprit tourmenté. Faire l'amour c'est faire la vie, c'est manifester un signe de son existence. L'ennui épuise tous les désirs, excepté ceux du corps.

« Je craignais que l'on ne pût lire sur mon visage les signatures éclatantes du plaisir, en relief sur ma bouche, en tremblements » (page 102)« Je me mis à trembler de plaisir et notre baiser fût sans honte et sans remords ». (page 33), « Je restais immobile, les yeux mi-clos, attentive au rythme de ma respiration, au tremblement de mes doigts. » (page 103)

En face de l'ennui se dresse donc un sentiment de bonheur, une impatience de vivre.

Selon Antoine Blondin, « le recours à la fête né d'un besoin de nier l'angoisse et le sentiment quasi biologique de la solitude rejoignent celui préconisé par Simone de Beauvoir comme une affirmation passionnée de l'existence.» (Article : « Aimer Sagan pour elle-même »).

Sagan elle-même disait : « Un drame amusant, c'est ça la vie, non ? J'ai acquis une lucidité gaie devant l'absurdité de l'existence ».

Les personnages rient de tout : Raymond : «C'est vrai que c'est épouvantable. Cécile, ma douce, si nous retournions à Paris? Il riait doucement en me frottant la nuque [...] Je me mis à rire avec lui, comme à chaque fois qu'il s'attirait des complications. » (Page 17)

Cécile se détourne systématiquement de la gravité par la légèreté : « La glace me tendait un triste reflet... Je m'amusai à me détester. » (page 54)

« Et, tout à coup, je me vis sourire. Quelle débauche, en effet: quelques malheureux verres, une gifle et des sanglots. » (page 54)

«Quelques temps après, étendue contre lui, sur ce torse inondé de sueur ; moi-même épuisée, perdue comme une naufragée, je lui dis que je me détestais. Je lui dis en souriant ». (page 142).

Les personnages ne s'apitoient pas sur leur sort.Cela peut faire écho à un article écrit par Françoise Sagan  intitulé « le jeune intellectuel » paru en septembre 1955 dans Le nouveau Femina ; Elle évoque Jean Paul Sartre : «son éditeur lui dira : vous vous crevez, mon vieux. C'est très joli de vivre, mais vous n'avez pas le droit de gâcher ce que vous avez. Le jeune homme ricanera un peu mais il aura une bizarre impression de plaisir ».

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard