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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques relatifs à  une « espèce emblématique ».

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par Audrey Dupont
Université Aix-Marseille - Master Pro Anthropologie et Métiers du développement durable 2014
  

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Université Aix-Marseille

Département d'Anthropologie

MASTER PROFESSIONNEL
Anthropologie et Métiers du Développement durable

ETHT7

Mémoire de recherche appliquée

La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

Audrey DUPONT

Figure 1: Charlie, le dugong de Thio remontant à la surface, plage de la Moara (c) Perrier, Thio, 2014

Année 2014-2015

Sous la direction d'Elsa Faugère et de Catherine Sabinot

DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

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Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l'auteur et ne sauraient en aucun cas engager Aix-Marseille Université, ni les directeurs de mémoire.

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

Remerciements

Je remercie tout d'abord mes encadrants de stage, Catherine Sabinot (IRD Nouméa) et Lionel Gardes (Agence des aires marines protégées Nouméa) pour leur confiance et l'opportunité qu'ils m'ont offerte de réaliser ce stage. Je souhaite exprimer ma gratitude envers les organismes auxquels ils sont rattachés pour m'avoir pris en charge, m'avoir accueillie dans leurs locaux et m'avoir intégrée dans leurs équipes de travail ou de recherche.

Merci tout particulièrement aux Unités Mixte de Recherche Espace-Dev et du GRED de l'IRD, ainsi qu'au GIE-Océanide pour la mise à disposition de l'espace de travail, les rencontres et discussions qui s'y sont déroulées. Je suis notamment reconnaissante envers celles qui m'ont apporté leurs connaissances dans différents domaines, m'ont ouverte de nouvelles pistes de réflexion ou m'ont simplement soutenue et inspirée : merci à Emilie Rastello, aux « filles de Yaté » mais aussi à Marlène Dégremont, à Marie Toussaint et aux autres doctorantes hébergées par le GRED. De même, merci à l'équipe de l'Agence des aires marine protégées pour les échanges, les conseils, le soutien logistique, et le travail en équipe.

Je souhaite également remercier les personnes qui représentent les structures partenaires du Plan d'Actions dugong (notamment le WWF, Opérations Cétacés !, la Province Nord et la Province Sud), le musée de Nouvelle-Calédonie et l'Agence de Développement de la Culture Kanak (ADCK) avec qui j'ai échangé et qui m'ont beaucoup apporté. Ensuite, j'ai une pensée toute émue pour les personnes qui m'ont aidé à la réalisation de cette étude, pour celles que j'ai interrogées lors de cette enquête et pour celles qui m'ont accordé leur temps et m'ont transmis une infime partie de leurs savoirs. Je m'excuse d'avance de ne pas pouvoir citer tout le monde et leur rendre hommage comme il se doit, mais je les remercie profondément pour leur accueil, leur patience et leur gentillesse.

Pour la réalisation de ce mémoire universitaire, je tiens à remercier Elsa Faugère pour avoir accepter de me suivre dans cette aventure et d'avoir été disponible pour répondre à mes questions et doutes. Je remercie également monsieur Jacky Bouju sans qui ce master et cette étude ne serait pas.

Enfin, je souhaite remercier ceux qui ont partagé mon quotidien sur Nouméa et les découvertes de cette incroyable île qu'est la Nouvelle-Calédonie ! Je voudrais adresser également mes remerciements à ma famille, à Guillaume et aux copains marseillais et toulousains qui m'ont soutenue pendant le stage et à mon retour en métropole dans l'exercice de rédaction.

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

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Note au lecteur

Ce mémoire a été réalisé suite à un stage en anthropologie de six mois en Nouvelle-Calédonie, encadré par l'Agence des Aires Marines Protégées (AAMP) et l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Ces deux organismes m'ont largement accompagnée dans la réalisation de cette évaluation de la place du dugong dans la société néo-calédonienne. Au total, j'ai passé deux mois à Nouméa dans les bureaux des structures encadrantes et un peu moins de quatre mois sur deux terrains d'enquête : la commune de Pouébo et la Zone Côtière Ouest. Mais, étant donné que j'ai mené des entretiens sur Nouméa, j'ai réussi à les intégrer au rapport final remis aux commanditaires de l'étude. Théoriquement, je m'appuie donc sur trois zones de terrain plutôt que deux.

Lors de l'enquête, j'ai essentiellement travaillé dans les communes de Moindou, de Bourail et de Poya, sur la côte Ouest de la Grande-Terre. Pour plus de commodité dans la rédaction, j'appelle ces zones d'enquête « Zone Côtière Ouest », et ce même si cela est inexact. En outre, un comité de gestion de la zone inscrite au Patrimoine Mondial de l'UNESCO depuis 2008 porte le même nom. Pour ne pas mélanger les deux termes, j'emploie le sigle de « ZCO » pour désigner l'association de gestion.

Enfin, il me semblait nécessaire de revenir sur certaines définitions de termes qui, dans le langage calédonien comme dans le jargon anthropologique, peuvent créer des malentendus lorsqu'ils ne sont pas utilisés de manière très précises. Nous avons rassemblé ces concepts et termes dans un Lexique à la fin du document qui propose leur définition adapté au développement de la problématique de ce mémoire.

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

Sommaire

SOMMAIRE 5

TABLE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS 6

INTRODUCTION 7

I. CONTEXTE DE L'ETUDE 10

I.1. CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE ET ENVIRONNEMENT EN NOUVELLE-CALEDONIE 10

I.2. PRESENTATION DU PLAN D'ACTION DUGONG ET DE L'ETUDE 16

I.3. METHODOLOGIE DE RECHERCHE 19

I.4. PRESENTATION RAPIDE DES LIEUX D'ENQUETE 23

I.5. PROBLEMATISATION A PARTIR DES SAVOIRS ET DES PRATIQUES 29

II. CONSTRUCTION D'UNE POLITIQUE DE CONSERVATION PAR LES ACTEURS DU PLAN D'ACTIONS A PARTIR DE « SAVOIRS SCIENTIFIQUES » . 35

II.1. PREOCCUPATION DES ACTEURS DU PLAN D'ACTIONS POUR LE DUGONG 35

II.2. CONFIGURATION DES ACTEURS « INSTITUTIONNELS » RASSEMBLES AUTOUR DE

CETTE ETUDE : UNE GOUVERNANCE COMMUNE ? 42

II.3. STRATEGIES ET ACTIONS DU PLAN D'ACTIONS DUGONG 48

III. TYPOLOGIE COMPAREE DES « SAVOIRS » RELATIFS AU DUGONG :

ENTRE SCIENCE ET TRADITION 54

III.1. « SI JE VOUS DIS « DUGONG », QU'AVEZ-VOUS ENVIE DE ME DIRE ? » 54

III.2. « SAVOIRS NATURALISTES LOCAUX » VS « SAVOIRS SCIENTIFIQUES » ? 57

III.3. REPARTITION IDENTITAIRE ENTRE « SAVOIRS AUTOCHTONES », « SAVOIRS

TRADITIONNELS » ET « SAVOIR MODERNE » LIES AU DUGONG 62

IV. PERCEPTIONS ET PRATIQUES RELATIVES A LA PROTECTION DU DUGONG : ARTICULATION DES SAVOIRS ET DES INTERETS DES ACTEURS

« LOCAUX » ET « INSTITUTIONNELS » ? 75

IV.1. CONSCIENCE ENVIRONNEMENTALE EN QUESTION : EST-CE QUE LES « POPULATIONS

LOCALES » SONT SUSCEPTIBLES DE PROTEGER LE DUGONG ? 75

IV.2. MOBILISATION DES « SAVOIRS LOCAUX » AU SERVICE DE LA PROTECTION

ENVIRONNEMENTALE : L'AIRE MARINE PROTEGEE HYABE / LE-JAO 79

IV.3. PROTECTION DU DUGONG DANS LA ZONE COTIERE OUEST : UN ENCHEVETREMENT

D'ECHELLES, DE LOGIQUES ET DE PRATIQUES 86

CONCLUSION 97

LEXIQUE 99

BIBLIOGRAPHIE 101

TABLE DES FIGURES 107

TABLE DES MATIERES 108

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Table des sigles et des abréviations

AAMP : Agence des Aires Marines Protégées

AMP : Aires Marines Protégées

AGDR : Aire de Gestion Durable des Ressources

ADCK : Agence de Développement de la Culture Kanak

ADRAF : Agence de Développement Rural et de l'Aménagement Foncier

CDB : Convention sur la Diversité Biologique de 1992

CI : Conservation Internationale (ONG internationale)

DDEE : Direction Développement Economique & l'Environnement (PN)

DENV : Direction de l'Environnement (Province Sud)

FLNKS : Front de Libération National Kanak Socialiste (parti indépendantiste)

GTR : Groupe Technique Restreint (du Plan d'actions Dugong 2010-2015)

ISEE : Institut de la Statistique et des Etudes Economiques

IRD : Institut de Recherche pour le Développement

ONG : Organisme non gouvernemental

ORSTOM : Office de la Recherche Scientifique Technique Outre-Mer (actuel IRD)

PN : Province Nord

PS : Province Sud

RAP : Programme d'Evaluation Rapide de la Biodiversité

RNS : Réserve de Nature Sauvage

RPCR : Rassemblement Pour la Calédonie dans la République (parti loyaliste)

TDR : Termes De Référence (contrat de stage)

UICN : Union Internationale de Conservation de la Nature

UMR : Unité Mixte de Recherche

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l'Education, Science et Culture

UPM : Union Progressiste Mélanésienne

WWF : World Wide Fund (Fond Mondial pour la Nature)

ZCO : Zone Côtière Ouest (comité de gestion de la zone classée UNESCO)

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pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

Introduction

Le dugong (appelé couramment « vache marine » en Nouvelle-Calédonie) est un mammifère marin, classé parmi les « espèces emblématiques », qui, avec le lamantin, est le seul représentant des dugongidés (ordre des Siréniens). Cet animal est un herbivore qui se nourrit d'herbiers de phanérogames. Il fréquente les zones côtières tropicales ou subtropicales d'environ trente-sept pays dans le monde entre l'Afrique de l'est et le Vanuatu. Le Pacifique est la zone où la population est la plus abondante : le Détroit de Torres en Australie concentre la première population mondiale (60 - 70 000 individus) et la Nouvelle-Calédonie représente la troisième mondiale (un peu plus de 1000 animaux).

La distribution de cette espèce dépend de la profusion de nourriture, ce qui signifie que le dugong est particulièrement présent dans les zones marines possédant des herbiers, comme en Nouvelle-Calédonie. Sur ce territoire, il fréquente souvent les zones lagonaires coralliennes et sablonneuses en eaux peu profondes, où se trouvent les herbiers. Des sessions de comptage de l'espèce par survols aériens en 2003 et en 2008 ont permis aux biologistes de repérer les régions de Nouvelle-Calédonie les plus densément peuplées en dugongs. Le plus grand nombre de dugongs vit dans les zones côtières, où le trafic maritime et les activités humaines sont les plus développées : 84% de la population vit sur la côte Ouest et 16% dans le Nord. Ils ont aussi constaté une possible diminution de la population.

Cette diminution est donc la conséquence de diverses pressions observées sur l'animal. Si les dugongs peuvent mourir de « causes naturelles » en étant la proie potentielle de requins ou en mourant de vieillesse1, le trafic maritime, la dégradation de l'habitat par l'homme, les pollutions, la chasse ou encore le braconnage sont autant de menaces qui nuisent à sa survie (Cléguer, 2010). Il s'agit d'un mammifère marin en danger de disparition qui a été classée en 2010 parmi les espèces vulnérables dans la liste rouge de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Les environnementalistes et les décideurs concernés par sa sauvegarde en Nouvelle-Calédonie ont alors pensé qu'ils devaient/pouvaient agir sur les menaces d'origine anthropique et c'est pourquoi ils se sont associés dans la création du « Plan d'actions dugong Nouvelle-Calédonie 2010-2015 ».

Dans un premier temps, la priorité était donnée par les acteurs du Plan d'actions à l'amélioration des connaissances sur l'animal quant à son comportement biologique, ses déplacements et sa physiologie afin de mieux le protéger et de mieux cibler les menaces qui pèsent sur lui. Il s'agissait donc d'acquérir certains savoirs biologiques et écologiques nécessaires à la mise en oeuvre des stratégies de conservation efficaces, qui devaient être complétés d'une connaissance anthropologique et ethnoécologique pour comprendre la valeur du dugong en Nouvelle-Calédonie et intégrer les habitants de l'archipel dans l'effort de protection. Puisque l'objectif est actuellement de partager les savoirs scientifiques portant sur l'animal et d'améliorer les modes de gestion en place, il est important de mieux comprendre la population locale, de la consulter et de l'inclure dans la gestion des ressources maritimes, notamment du dugong.

1 Ils peuvent vivre jusqu'à 70 ans, voire plus.

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pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

Les membres du Plan d'actions ont alors émis le besoin de mieux comprendre les relations que les Néo-calédoniens entretiennent avec l'animal et ont prévu des fonds pour financer un stage en anthropologie afin de répondre à ce questionnement. Cette recherche est d'autant plus importante que le dugong jouit d'un statut particulier en Nouvelle-Calédonie puisqu'il est classé parmi les « espèces emblématiques » du territoire. Ainsi, en collaboration avec les membres et partenaires du Plan d'actions, nous avons établi un projet d'étude mobilisant les outils de la socio-anthropologie et de l'ethnoécologie, dont l'objectif principal était de définir et d'analyser la place de l'animal dans les diverses communautés de la société néo-calédonienne. Cette étude était orientée sur deux zones d'enquête, qui présentaient la particularité d'accueillir une forte densité de dugongs : la commune de Pouébo - où la population est connue pour sa tradition de la chasse à ce mammifère - et la Zone Côtière Ouest (ZCO) entre Bourail-Poya - où des rumeurs de braconnage circulent abondamment.

Durant cette enquête, il nous a été demandé de travailler sur le plus grand nombre et le plus « diversifié » possible d'individus, et ce dans des contextes variés. Nous avons été particulièrement marquée par la multiplicité des discours, par la complexité des relations entretenues avec le mammifère marin et par les décalages voire les incompréhensions entre les différents groupes en présence dans ce projet. Nous nous sommes alors interrogée sur l'origine de ces barrières. L'une des explications les plus évidentes est à chercher dans le rassemblement de personnes appartenant à des identités culturelles et des cultures professionnelles diverses. Ils possèdent des savoirs et des pratiques de nature différents. Ainsi, nous avons formulé une problématique sur la mobilisation de certaines connaissances et pratiques liées à l'animal dans ce projet, et qui parfois se confrontent. Ces thématiques guident le développement de notre réflexion qui vise finalement à mettre en avant le fait que le milieu de la conservation est, pour reprendre la terminologie d'Olivier de Sardan (1995), une « arène » où s'affrontent divers groupes sociaux avec divers savoirs. Enfin, dans une moindre mesure, nous posons quelques jalons qui nous permettent de comprendre le processus de mise au rang de « patrimoine » d'un élément naturel dans le contexte de la Nouvelle-Calédonie, autrement dit de cerner la dynamique de « patrimonialisation » du dugong.

Pour se faire, nous introduirons le contexte de l'étude en présentant la situation sociale, politique et environnementale sur l'archipel et sur les différents terrains de l'enquête, puis le Plan d'actions dugong Nouvelle-Calédonie 2010-2015 dans lequel s'incère notre étude. Ensuite, nous décrirons la méthodologie que nous avons suivi durant l'enquête ainsi que celle déterminée par les membres du Groupe Restreint de Travail (GTR) du Plan d'actions, et nous proposons une problématisation de ce mémoire à partir de cette expérience et des diverses lectures réalisées pour l'analyse des données.

Dans une seconde partie, nous nous attachons à comprendre comment le dugong est devenu un objet de conservation et à décrire les logiques des acteurs institutionnels qui ont menées à l'élaboration de ce programme de conservation. Nous mettrons en évidence le positionnement des différents acteurs vis à vis du projet et nous tenterons de déterminer quels savoirs ont été mobilisés pour mettre en place cette politique de conservation.

Enfin, nous mettrons en exergue la diversité des perceptions, des savoirs et des pratiques concernant l'animal détenus par la « population locale », leurs éventuelles contradictions ainsi que leurs confrontations avec les représentations et les stratégies des acteurs institutionnels pour protéger le dugong. Nous présenterons les actions actuellement menées par les différents acteurs pour tenter d'atténuer les pressions

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

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d'origine anthropique exercées sur ce mammifère et nous montrerons que les intérêts divergents des acteurs locaux et institutionnels peuvent constituer un frein à l'élaboration d'une stratégie cohérente à l'échelle de l'archipel.

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I. Contexte de l'étude

I.1. Contexte sociopolitique et environnement en Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie (cf. figure 2) est un archipel dans l'océan Pacifique - à 1500 km à l'est de l'Australie, à 2000km au Nord de la Nouvelle-Zélande et à plus de 17 000km de la France - qui relève de la souveraineté française depuis 1853, date du début de la colonisation. Selon le recensement de 2014, il compte 268 767 habitantsi (soit 23 200 habitants de plus qu'au dernier recensement en 2009), répartis sur l'île de la Grande Terre, l'île des Pins, l'archipel de Belep et les îles Loyauté (Ouvéa, Lifou et Maré). Sur l'ensemble de l'archipel, environ 23% de la population vit en tribu, 11% en milieu rural et 66 % en zone urbaine (« Évolution et structure de la population », ISEE, 2009).

Cet archipel possède un statut particulier selon le droit français, celui de collectivité territoriale française « sui-generis » et procède à un transfert progressif des compétences régaliennes depuis la signature des accords Matignon-Oudinot en 1988. Suite à ces accords, des consultations électorales sont prévues entre 2014-2018 afin de prendre une décision collective sur la question de l'indépendance nationale et le « pays » travaille à la formation d'une identité et d'une communauté politique néo-calédonienne. L'ensemble de ce processus de « décolonisation » est le fruit d'une « histoire » qui s'est complexifiée dès les premières explorations européennes en 1774.

I.1.1. Du passé colonial au « Destin commun » : bref historique

La population autochtone de Nouvelle-Calédonie, les Mélanésiens ou Kanak, a vu débarquer de nombreux Européens depuis l'arrivée de James Cook en 1774, dont des baleiniers, des santaliers, des aventuriers parcourant le monde et des religieux. Le 24 septembre 1853, le contre-amiral envoyé par l'empereur proclama officiellement à Balade l'annexion de la Nouvelle-Calédonie, ce qui signa la prise de possession du territoire par les soldats français. Pour peupler cette nouvelle colonie, la France s'appuya sur deux types de colonisation : « libre » et « pénale » (des détenus sont envoyés purger leur peine d'emprisonnement en Nouvelle-Calédonie avec souvent une assignation à résidence perpétuelle). Peu de colons libres firent le voyage2 et, face à la difficile implantation d'une colonisation choisie, le gouvernement fonda sa stratégie sur la « colonisation par le bagne ». La Nouvelle-Calédonie devint essentiellement une terre de déportation et de transportation (Terrier, 2010). Au total, les destins de quelques 25 000 personnes ont été contrariés par l'exil pénitencier, dont celui de quelques révolutionnaires de la Commune de Paris en 1871 ou révoltés de la grande Kabylie en 1874 (Atlas Nouvelle-Calédonie, 2012). Ils ont participé au développement des infrastructures de l'île et, une fois leur peine terminée ou après avoir été relâchés pour bonne conduite, ils ont pu jouir d'une possible réhabilitation grâce à la loi du 30 mai 1854. L'installation des anciennes familles

2 Les principaux colons libres sont des anglo-saxons issu des colonies britanniques du Pacifique, des fonctionnaires travaillant sur place, des colons du sucre ou du café, des colons venus du Nord de la France ou des européens à la recherche d'une vie meilleure. (Terrier, 2010 : 15)

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pénales3 a donc constitué les principaux points de peuplement européen sur la Grande Terre, presque exclusivement sur la côte ouest, plus propice à l'exploitation agricole et à l'élevage.

Figure 2 : Carte de la Nouvelle-Calédonie et répartition des trois Provinces et des zones d'enquête : commune de Pouébo et région de Moindou-Bourail-Poya (c) source de la carte : www.senat.fr

Parallèlement à l'installation des populations d'origine européenne et maghrébine, plusieurs vagues d'immigration économique sur le territoire se sont succédées dés le début de la colonisation française. À la fin des années 1850, plusieurs raisons ont poussé les colons a cherché de la main d'oeuvre étrangère pour le développement du pays (Angleviel, 2005). Entre les années 1858-1880, des Malabars4, quelques Wallisiens, des Hébridais5 et des Chinois sont venus prêtés main forte, notamment dans la plantation agricole mais aussi dans les mines à partir de 1874, date de la première exploitation du nickel.

En 1931, la Nouvelle-Calédonie n'était officiellement plus une colonie pénitentiaire (Terrier, 2010) mais l'administration coloniale a continué d'être extrêmement violente et méprisante envers la société mélanésienne puisque, comme le rappelle Isabelle Merle, « la Nouvelle-Calédonie est le seul territoire de l'Empire français où furent créées de véritables réserves indigènes à l'instar des réserves indiennes américaines, dénoncées,

3 Que nous appelons aujourd'hui les « Calédoniens d'origine européenne » ou « Caldoches ».

4 Indiens originaires de l'île de la Réunion ou du Sud de l'Inde. http://fr.wiktionary.org/wiki/malabar

5 Personnes venues des Nouvelles-Hébrides, ancien nom du Vanuatu.

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par ailleurs, comme le symbole de la violence coloniale « anglo-saxonne » » (Merle, 1999 : 1). Le régime délimita arbitrairement les terres dédiées aux indigènes à partir de 1867-1868 sous l'impulsion du gouverneur Guillian. L'État s'appropria les terres jugées « inoccupées » et créa le système et « réserves » et de « tribus », regroupement en « village » de clans sous l'autorité d'un chef défini comme interlocuteur privilégié6, et ce afin de contrôler les déplacements et d'instaurer des taxes (Atlas Nouvelle-Calédonie, 2012).

Suite à ces spoliations répétées, à l'occupation de terres ancestrales et au vagabondage du bétail des « colons », une Insurrection Kanak, conduite par le chef guerrier Ataï, éclata en 1878 et fut sévèrement réprimandée : cela marqua le début du régime de l'indigénat qui exclut peu à peu les Kanak du droit commun en les privant de liberté (Blet, 2014). En 1946, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la Nouvelle-Calédonie fut reconnue en tant que territoire d'Outre-mer, ce qui tourna la page de l'indigénat. Sur le plan juridique, on accorda la citoyenneté française aux Mélanésiens. Même si cela ne signifia pas la fin des discriminations de la part de la société anciennement coloniale, ils avaient néanmoins accès au droit de vote, à la scolarisation, à la liberté de résidence et de circulation, au droit de travail etc. (Ibid.).

Grâce à ces outils, quelques Mélanésiens ont constitué un parti politique, l'Union Calédonienne7, qui visait l'abolition des rivalités ethniques à travers l'autonomie politique et la lutte contre les permanences coloniales (Atlas de Nouvelle Calédonie, 2012). Le gouvernement français sous de Gaulle, qui souhaitait combattre les velléités séparatistes, confisqua l'autonomie fraichement acquise à partir de 1958 et ce jusqu'en 1975, notamment en nationalisant la compétence minière (Ibidem). Ces années furent aussi marquées par le boom du Nickel et l'immigration métropolitaine et polynésienne accrue, qui occasionna un changement social rapide en mixant le corps électoral. C'est également à cette époque que la Nouvelle-Calédonie a accueilli plusieurs vagues d'immigration libre avec des travailleurs « pieds-noirs »8, antillais, réunionnais, malgaches, mais aussi toujours métropolitains, et qui perdure encore (Camille, 2010). Enfin, des enfants ou jeunes adultes des îles voisines du Pacifique Sud (Vanuatu, Tahiti, Wallis et Futuna etc.) sont venus sur la Grande-Terre pour compléter leurs études ou chercher du travail à partir des années 1970-1980 (information issue des entretiens).

A la fin des années 1975, les tensions sociales et politiques se cristallisent autour de la question de la souveraineté et les tensions ne vont cesser de s'accroitre jusqu'à la période des « Évènements » de 1984 à 1988. La succession des remaniements fonciers et des politiques de redistributions des terres (en 1978 et en 1982) n'arrive pas à contenir le mouvement populaire qui ne cherche plus l'autonomie mais l'indépendance, et ce surtout depuis la création en 1984 du Front de Libération National Kanak Socialiste (FLNKS - Blet, 2014). Cette période marqua ainsi la réaffirmation d'une identité kanak forte qui veut s'émanciper et retrouver une place décente dans une société qui le lui avait, jusque là, toujours refusée.

6 Définition de « tribu » : en Nouvelle-Calédonie, une tribu est une invention coloniale qui date du temps de la création des réserves et qui rassemble plusieurs clans, plusieurs familles kanak sur une propriété appartenant au clan « terrien ».

7 Dont le crédo était « Deux couleurs mais un seul peuple ! »

8 Les français originaire d'Algérie ou installés en Afrique du Nord

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La prise d'otage d'Ouvéa, et les meurtres qui en découlent, déclencha la signature des Accords de Matignon-Oudinot de 1988 par les partis indépendantiste (FLNKS) et loyaliste (RPCR) afin « rétablir la paix des coeurs, des esprits et des âmes ... » (Atlas de la Nouvelle-Calédonie, 2012). La poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur est devenu le symbole de la réconciliation et de l'ouverture du dialogue avec les partis. Ces accords reconnaissent l'identité kanak, souhaitent établir une politique de rééquilibrage économique entre les régions du territoire et préparent son autodétermination dans une échéance de dix ans. Ils débouchent alors sur l'Accord de Nouméa de 1998, qui accentue le processus de transfert de compétence, lancé par les accords précédents, et le rend irréversible. La Nouvelle-Calédonie a 20 ans pour réaliser sa « décolonisation programmée » et pour regrouper toutes les communautés de la société néo-calédonienne sous une même nationalité. Ainsi, la notion de « Destin commun » émerge avec cet accord qui vise à construire un nouveau contrat social national basé sur une « communauté de destin » pluriethnique.9 Celle-ci ne peut reposer que sur la reconnaissance de la légitimité de la population kanak mais aussi des autres communautés composant la société de Nouvelle-Calédonie dans la participation à la construction du pays (Ibid.).

I.1.2. Découpage administratif et gestion de l'espace maritime

Les Accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa par la suite ont joué un rôle important dans la reconnaissance du fait colonial et de la culture kanak et l'autorité dite « coutumière». Si les huit aires coutumières, les huit conseils coutumiers et le conseil consultatif coutumier du territoire datent de la loi référendaire du 9 novembre 1988 découlant des accords de Matignon, le statut coutumier est pleinement reconnu grâce à la loi organique de mars 1999, qui instaure le Sénat coutumier, place et lieu du conseil consultatif10. Les Accords de Nouméa ont donc davantage valorisé le patrimoine kanak, notamment par le rétablissement du nom des lieux en langues locales, l'enseignement des langues kanak, le retour des objets culturels et la redistribution des terres coutumières à travers l'Agence de Développement Rural et de l'Aménagement Foncier (ADRAF - Ibidem). Ce sont ces mêmes textes qui ont déterminé la composition et le mode de fonctionnement du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, ordonné par le Congrés, l'assemblée délibérante de Nouvelle Calédonie responsable de la gouvernance législative et administrative du pays. Ce gouvernement est l'organe exécutif de la collectivité de Nouvelle-Calédonie et participe de la gouvernance du territoire tout comme les autres institutions précédemment citées.

Ces accords ont également prévu le transfert et dans la répartition des compétences et le rééquilibrage économique et social, notamment par la création de relais administratifs intermédiaires entre le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie et la population. Il s'agit des trois Provinces (cf. figure 2) : la Province Nord (PN - 50 487 habitants), la Province Sud (PS - 199 983 habitants) et la Province des Iles Loyauté

9 Définition de destin commun : http://fr.wikipedia.org/wiki/Destin_commun

10 Cf. http://www.senat-coutumier.nc/le-senat-coutumier/historique

Nous voulons aussi insister sur le fait que ce processus de reconnaissance de la culture kanak est toujours en cours aujourd'hui puisque les chefferies des aires coutumières se sont réunies le 12 avril dernier (2014) pour signer la charte du peuple Kanak sur le socle commun de leurs valeurs et des principes fondamentaux de leur civilisation. Cette chartre cherche à créer un « cadre juridique supérieur » assurant la pérennité de l'unité et de la souveraineté du Peuple Kanak (Bernard, 2014).

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pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

(18 297 habitants)11. Effectives depuis le début des années 2000, les Provinces possèdent, entre autres compétences, la responsabilité de la gestion du patrimoine naturel et environnemental ; et ce depuis la loi organique de 1999. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie n'est donc pas directement en charge de la compétence environnementale.

Si la Province des îles Loyauté n'a pas encore rédigé un texte de loi de référence, les Provinces Sud et Nord ont voté leurs codes de l'environnement en 2008 et 2009, sous délibération du Congrés. Ces textes sont complétés et actualisés régulièrement afin de mieux compiler les règlementations déjà existantes et celles mises en place depuis la création de ces institutions. (Atlas de la Nouvelle-Calédonie, 2012). De plus, la PN et la PS ont des lignes politiques différentes, voire opposées. La participation effective de la population dans la prise de décision et dans la mise en place des mesures de protection environnementale n'a pas la même importance d'une Province à une autre. Ce phénomène est notamment lié à la répartition socio-ethnique de la population : une grande majorité des habitants de la PN est kanak alors que la PS présente une grande mixité culturelle.

A la PS, la Direction de l'Environnement (la DENV) emploie environ une centaine de personnes pour organiser la gestion de l'environnement. Dans le récent service de l'« Évaluation environnementale » de la DENV, qui s'occupe aussi de la gestion des espaces marins, un expert en faune marine est chargé de suivre la mise en place de la conservation des espèces marines, dont le dugong (information tirée des entretiens). La Province Nord possède un pôle « Environnement et Ressources Naturelles » au sein de la Direction du Développement Économique et de l'Environnement (DDEE) et dans lequel s'insère la sous-direction des milieux et ressources aquatiques. Cette dernière a pour mission de coordonner l'action publique pour gérer les ressources marines, les aires protégées et valoriser le patrimoine naturel marin. Toutefois, la Zone Économique Exclusive (ZEE) reste la propriété de l'État français qui exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usages des ressources sur cette zone (Atlas de la Nouvelle-Calédonie, 2012).

Concernant le lagon calédonien, les Provinces ont contribué à la définition des statuts juridiques des aires marines protégées par la rédaction des Codes de l'Environnement de la Province Nord et Sud. Ces statuts juridiques ont la particularité d'être holistes puisqu'ils délimitent des espaces où la protection de l'eau, de la faune, de la flore, ainsi que du patrimoine historique et culturel attachés à ces lieux sont considérés. Ces aires se sont généralisées avec la Convention sur la Diversité Biologique de 1992 (CDB) et utilisent les catégories de protection définies par l'Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN)12. Aujourd'hui une trentaine d'aires marines protégées ont été créées en Province Nord et Sud, sur une surface cumulée de 4000 km2, et six sites répartis dans 4 collectivités ont été inscrits en 2008 sur la liste des biens naturels au patrimoine mondial de l'UNESCO. Ce « Bien » est reconnu par l'État français comme une aire marine protégées étendue et s'intègre aussi dans le Code de l'environnement français13.

11 Chiffres du dernier recensement de 2014 : http://www.isee.nc/

12 http://fr.wikipedia.org/wiki/Aire_marine_prot%C3%A9g%C3%A9e

13 http://www.aires-marines.fr/LAgence/Organisation/Antennes/Antenne-Nouvelle-Caledonie

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Si cette inscription n'est pas une mesure de protection en soi, elle établit néanmoins un cadre législatif international et impose un modèle de gestion concertée. Jusque-là, la Nouvelle-Calédonie ne possédait pas ou peu d'association locale dédiée à la gestion de l'environnement (Atlas de Nouvelle-Calédonie, 2012). A la fin des années 1990-début 2000, les seuls acteurs non-institutionnels présents sur le territoire en matière de protection naturelle étaient les Organisations Non-Gouvernementales (ONG) internationales comme World Wildlife Funds (WWF). Ainsi, le classement au patrimoine mondial de ces 6 sites oblige les jeunes Provinces à s'investir dans une nouvelle gouvernance basée sur des comités de gestions participatifs, sensés favoriser l'engagement et la prise en compte de la population dans la protection environnementale (Ibidem). Ils sont devenus aujourd'hui des acteurs régionaux importants, comme nous allons le constater plus loin avec le site de la Zone Côtière Ouest, qui accueille un comité de gestion monté en association du même nom, ou encore les comités de gestion présents sur les aires marines de la Zone Côtière Nord et Est (ZCNE).

Afin de faire respecter la règlementation, les Provinces ont fondé des services de protection maritime et terrestre : la Brigade Nature de la Province Nord et la Protection du lagon dans la Province Sud. Plus qu'un travail de surveillance, ces agents sont surtout chargés de sensibiliser la population aux règles de pêche et de conduite en mer. De plus, depuis 2013, des agents assermentés des deux Provinces sont habilités à dresser des procès verbaux lorsqu'ils constatent des infractions commises par les pêcheurs et/ou plaisanciers.

Enfin, d'autres acteurs apportent un appui aux collectivités territoriales et au gouvernement calédonien dans la gestion de la ressource marine. C'est le cas de l'Agence des aires marines protégées (AAMP), établissement français public à caractère administratif dédié à la protection de parcs naturels marins, qui dépend du ministère français de l'Écologie, du Développement Durable et de l'Énergie. Une antenne dépendante du siège à Brest s'est implantée en juillet 2009 à Nouméa par la mutation de Lionel Gardes, chef de l'antenne et salarié permanent. À ce jour, la structure compte 4 personnes et emploie principalement son personnel venu de métropole en contrat de deux ans.

Dans le contexte particulier de la Nouvelle-Calédonie, toujours en processus de transfert de compétences suite à l'Accord de Matignon de 1988 et de l'Accord de Nouméa en 1998, l'implantation d'un établissement dépendant de l'État français n'est pas sans signification Cette dernière a pour mission de susciter l'adhésion des acteurs environnementaux calédoniens (gouvernement, Provinces, associations locales, ONG...) aux « Plans Nationaux », ainsi que de lancer des projets dans le but qu'ils soient récupérés par la suite par les structures locales. Les Plans Nationaux d'actions sont des « outils stratégiques qui visent à assurer le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable d'espèces menacées ou faisant l'objet d'un intérêt particulier »14. Ce dispositif est mis en place lorsque les mesures de protection d'un animal paraissent insuffisantes aux yeux des organes dépendant des institutions politiques nationales françaises.

Or, l'Agence des aires marines protégées (AAMP) est chargée de l'animation du Plan d'actions dugong Nouvelle-Calédonie 2010-2015, un projet de conservation du

14 Rapport du Ministère de l'Écologie et du Développement Durable, Plans Nationaux d'actions en faveur des espaces menacées. Objectifs et exemples d'actions, www.developpement-durable.gouv.fr

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dugong basé sur la concertation des acteurs environnementaux du territoire, tels ceux précédemment cités, et sur la sensibilisation de la population aux enjeux liés à sa protection. Pour se faire, ils ont financé cette recherche en anthropologie afin de mieux cerner les relations entre les néo-calédoniens et l'animal, et de comprendre les perceptions locales des mesures de protection mises en place jusque là pour le protéger, comme nous l'expliquons dans la prochaine partie.

I.2. Présentation du Plan d'action dugong et de l'étude

I.2.1. Présentation du Plan d'actions dugong 2010-2015

En Nouvelle-Calédonie, le dugong est une espèce menacée qui possède un statut particulier : celui d'espèce « emblématique ». Les acteurs environnementaux présents sur le territoire ont jugé nécessaire de mettre en place de nouvelles mesures de conservation de cet animal, au moment où les institutions assurant la gouvernance environnementale étaient encore récentes (2009-2010). Parmi les différentes stratégies pour améliorer sa protection, l'Agence nationale des aires protégées a mis en place dés 2010 un Plan d'actions dugong.

Le Plan d'actions dugong a été créé suite à des comptages des dugongs par survols aériens en 2003 et 2008 dans le cadre du programme ZoNéCo, mis en place par le Gouvernement Français et Calédonien dans l'objectif « de rassembler et de rendre accessibles les informations nécessaires à l'inventaire, la valorisation et la gestion des ressources minérales et vivantes de la Zone Economique Exclusive de la Nouvelle-Calédonie »15. Ce comptage a notamment été encadré par Claire Garrigue, responsable scientifique de l'ONG de défense des grands mammifères marins « Opération Cétacés ! » et ayant mené une étude en biologie sur le dugong pour l'ORSTOM16 en 1994. Les résultats de ce comptage semblaient inquiétants quant à la pérennité de l'espèce.

Ce plan d'actions rassemble dans un Groupe de Travail Restreint (GTR) un certain nombre d'acteurs concernés par la protection de l'animal dont l'Agence des aires marines protégées (AAMP), le WWF - Nouvelle-Calédonie et l'IRD17 (qui ont tous trois financé une grande partie du stage), les Provinces Nord, Sud et des Îles Loyauté, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le Sénat Coutumier, l'État français et Opération Cétacés ! Il compte aussi des partenariats « choisis » parmi les responsables de la sensibilisation environnementale du territoire (l'association Symbiose, le Rectorat de l'académie de Nouméa, le magasine l'OEil etc.) et des partenariats « de fait ». Par exemple, ils collaborent ponctuellement avec le comité de gestion environnemental de la ZCO (dans la région de Bourail-Poya) qui promeut la sensibilisation environnementale sur le terrain et qui est particulièrement sensible au sort du dugong.

15 Source ZoNéCo : http://www.zoneco.nc/Genese-et-objectifs-globaux - information tirée du mémoire appliqué de Marie Toussaint (2010).

16 ancien nom de l'IRD.

17 L'IRD ne faisait pas officiellement partie du GTR mais qui il y est souvent associé pour ses compétences scientifiques diverses.

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Suivant le protocole définis par les Plans Nationaux d'actions de l'État français18, le Plan d'actions dugong est articulé selon trois volets : un volet connaissance, un volet sensibilisation et communication - qui cherche à faire connaître le dugong et les enjeux de sa conservation - et un volet gouvernance - pour construire des connaissances qui puissent être partagées à différentes échelles pour une meilleure protection. Au début du projet, plusieurs travaux dirigés par l'AAMP, dont une monographie du dugong réalisé à partir des informations tirés des campagnes de survols aériens et un rapport préliminaire de l'enquête régionale dugong de 2011, font état d'un réel manque de connaissances sur cette espèce en Nouvelle-Calédonie. Le volet connaissance cherche ainsi à compléter les connaissances initiales sur le statut de conservation, la biologie et l'écologie des dugongs de Nouvelle Calédonie via de nouveaux comptages, des travaux de génétique, des études sur les pressions et les aspects socio-économiques, en lien avec l'importance des dugongs dans la culture calédonienne, ainsi que des études permettant de mieux comprendre le comportement des dugongs et leur utilisation de l'habitat.

Ce stage s'insère dans le programme d'approfondissement des connaissances et devrait renseigner une thèse sur le dugong en biologie marine, conduite par un ancien consultant de l'AAMP, membre également d'Opération Cétacés !, qui a déterminé la marche à suivre concernant sa protection en Nouvelle-Calédonie. L'encadrement scientifique et pédagogique de l'étude été délégué à Catherine Sabinot, ethno-écologue et anthropologue à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et spécialiste des zones côtières. Elle a été associée au projet et travaille de concert avec l'AAMP afin de définir les besoins en matière d'approfondissement des connaissances. Elle a aussi négocié la stratégie d'encadrement du stage avec l'ancien responsable de l'animation du Plan d'actions dugong de l'AAMP, remplacé un mois avant le début du stage. Ils ont rédigé ensemble l'offre de stage en spécifiant que l'étude était produite dans une logique de partage et de mise en commun des efforts pour la protection de l'espèce, qu'ils ont nommé « méthodologie partagée ».

I.2.2. Objectifs annoncés de l'évaluation anthropologique

Dans une monographie du dugong (Cléguer, 2010), le consultant défend la pertinence de la réalisation d'une étude sur la valeur culturelle et symbolique de l'animal en Nouvelle-Calédonie. D'après ce document, sur les côtes du Détroit de Torres en Australie, une enquête similaire a été menée et a prouvée que la chasse au dugong était réalisée pour des raisons culturelles. Jusqu'à présent, l'effort de conservation s'était concentré sur la biologie marine et un tel travail n'avait jamais été réalisé sur le territoire calédonien. Les acteurs du plan d'action ont pris en compte les suggestions du consultant et ont compris que cela pourrait appuyer la mise en place de mesures de gestion plus respectueuses et respectées par les populations locales. Ce stage est donc sensé combler ce manque.

L'Agence des aires marines protégées, l'IRD et le WWF-Nouvelle-Calédonie ont financé ce stage qui a pour mission de compléter et renseigner les données scientifiques disponibles. Une méthodologie indicative se basant sur une « bibliographie des représentativités culturelles du dugong dans le Pacifique Sud » a été proposée par le consultant dans la monographie du dugong et a représenté le point de départ du stage. Comme les productions d'artefacts et d'images représentant le dugong, de textes

18 Rapport du Ministère de l'Écologie et du Développement Durable, Plans Nationaux d'actions en faveur des espaces menacées. Objectifs et exemples d'actions, www.developpement-durable.gouv.fr

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littéraires et/ou en sciences humaines et sociales relatifs au dugong et propres à la Nouvelle-Calédonie étaient peu voire pas connues par les acteurs institutionnels, la liste des finalités de l'étude commençait donc par un inventaire de tous les contes, légendes, histoires, peintures, sculptures, productions sonores et visuelles néo-calédoniens, mettant en scène le dugong.19

Dans les Termes de Références (TDR) du stage, il est écrit que l'étudiant est chargé de « définir et analyser, par des approches diachronique et synchronique, la place accordée au dugong parmi les autres espèces marines en Nouvelle-Calédonie » par la population locale. Autrement dit, l'objectif est de réaliser une ethnographie approfondie des perceptions, savoirs et pratiques sociales liés à l'animal en tenant en compte leur évolution dans le temps. Étant donné que la culture kanak comporte des mythes liés aux espèces et possède un système social basé sur ce que l'on appelle le « totémisme », il paraissait pertinent de se pencher plus spécifiquement sur les représentations de cette communauté « majoritaire ».

Toutefois, l'étude a aussi été élaborée pour enrichir le travail des acteurs de la sensibilisation et des agents du volet sensibilisation-communication du plan d'action : ils ont besoin d'une vision globale concernant les perceptions de cet animal par les néo-calédoniens, et ce pour mieux définir les priorités de sensibilisation et affiner les messages à diffuser. Aussi l'objectif du stagiaire est-il de rencontrer et d'enquêter le plus de représentants possibles de communautés différentes : les Kanak mais aussi les Calédoniens d'origine européenne, les Wallisiens-Futuniens, les Tahitiens, les Vietnamiens, les Indonésiens, les Métropolitains et Européens venus s'installer sur l'île etc. Si certains d'entre eux sont devenus ou sont nés Néo-Calédoniens, d'autres ont conservé leur nationalité d'origine.

De plus, ce travail apporte des éléments qui aident à mieux cerner « les attentes locales en terme de gouvernance et de préservation de l'espace marin et de ses ressources, particulièrement du dugong » (Termes de références du stage rédigés par l'AAMP et l'IRD). La récolte de données s'axe donc aussi sur les perceptions par la population de la règlementation et de ses applications. L'étude doit mettre en avant les revendications locales, les attentes et les craintes des néo-calédoniens relatives aux politiques de conservation de l'animal et du milieu marin en général. Elle pourra déjà brosser à grands traits les prémisses d'un diagnostic de situation sur la pertinence et l'efficacité des mesures légales et administratives mises en place. En effet, elle permet d'avancer le travail de définition des hypothèses et stratégies d'action à partir de la prise en compte de l'analyse des réalités locales. (Blet, 2014). Cette phase est un moment d'un projet puisqu'il « d'analyser la situation partagée par les populations locales et les acteurs institutionnels afin de définir les actions pertinentes à mener, mais également d'établir une relation de confiance » (Ibid. : 6).

19 Le dugong n'avait jusque là jamais été un sujet de recherche en sciences sociales avant ce stage, ni n'a jamais fait l'objet d'inventaire par des archivistes et documentalistes. L'intérêt pour la relation entre la population et un animal est quelque chose de plutôt original en Nouvelle-Calédonie, à en croire les propos du directeur de l'Agence de Développement de la Culture Kanak (ADCK) : « Ca explique pourquoi dugong et tortue, on ne les a jamais traité comme cela, de manière frontale. Ca ne fait pas partie des problématiques qui sont propres au fonctionnement d'une tribu, d'une chefferie... » (Emmanuel Tjabaou, ADCK, 21 juillet 2014)

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Pour résumer, cette étude anthropologique comporte trois moments principaux :

- l'inventaire des productions artistiques et littéraires liées au dugong. Ce dernier, associé à une micro-analyse anthropologique à partir de ces objets, est à la fois une source d'information et un point de la comparaison pour l'analyse des données récoltées sur le terrain.

- l'ethnographie sur les représentations, les savoirs et les pratiques sociales relatives au dugong dans les zones d'enquête - définies collectivement - pour caractériser la place du dugong dans la société de Nouvelle-Calédonie.

- l'état des lieux sur les perceptions de la règlementation et de son application, ce qui permettrait d'améliorer la gouvernance des acteurs

institutionnels en matière de conservation de l'espèce.

Tous ces objectifs participent d'une « méthodologie partagée » avec les encadrants du stage, les acteurs institutionnels et associatifs du plan d'actions, étant donné que l'organisation d'un travail collectif et d'un espace de discussion avec les partenaires est également l'une des visées du projet. Cette recherche anthropologique sert donc l'action de plusieurs façons, par la production d'un rapport qui peut servir les actions de sensibilisation ou encore par la mobilisation des acteurs environnementaux autour de ce travail. Elle n'a de sens que si elle est accessible au plus grand nombre des organismes concernés par la sauvegarde du dugong. Ce faisant, cette étude « doit se soumettre simultanément aux règles de la recherche et à celles de l'action, sous peine de n'être qu'une mauvaise recherche et une mauvaise action » (Olivier de Sardan, 1995 : 248).

I.3. Méthodologie de recherche

« En tant que processus de connaissance, la recherche-action est soumise aux mêmes exigences méthodologiques et épistémologiques que toute recherche » (Ibidem). Parmi ces exigences, l'étude doit suivre un certain protocole scientifique afin de pouvoir retirer des données du terrain une analyse solide et viable. Ainsi, la présente étude s'est déroulée suivant quatre moment : la recherche bibliographique - qui permet de mieux appréhender son terrain et son objet d'étude, la production des outils méthodologiques - envisagés pour récolter les données, la récolte des informations - qui amène toujours l'anthropologue à adapter sa méthode originale, et enfin le traitement des donnée et l'analyse - qui « font parler le terrain ». J'ai tenté de rendre compte le plus fidèlement possible de toute la complexité de la réalité que j'ai vécue, observée ou entendue dans la production d'un rapport final de stage, qui cherchait à respecter mon souci d' « objectivité » et de scientificité. En réalité, dans ce travail d'écriture, j'ai essayé de réduire au maximum mes propres jugements de valeurs et de les confronter à la subjectivité des autres. Cette démarche d' « objectivation » s'apparente ainsi à l'approche réflexive et comparatiste du point de vue de l'anthropologue et le caractère « objectif » de mon analyse s'est constitué autour d'une description détaillée des faits observés et d'une argumentation solide à partir du travail des auteurs scientifiques.

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I.3.1. Construction et appropriation de l'objet d'enquête

Le premier mois du stage, passé entre les bureaux de l'IRD et de l'AAMP, était notamment dédié aux recherches bibliographiques sur les savoirs scientifiques concernant le dugong, sur les espèces emblématiques, la gestion des espèces menacées et sur les fondamentaux de l'anthropologie de l'environnement. Je me suis également penchée sur la littérature relative à la société néo-calédonienne. De plus, durant cette période, j'ai développé des relations avec des personnes-ressources, avec des partenaires du projet et d'autres acteurs en lien avec l'exercice de recherche. La construction de l'étude s'est donc opérée sur le mode de la concertation, suivant le principe de « méthodologie partagée ». Le Plan d'actions s'appuie sur le Groupe Technique Restreint (GTR) que je rencontrais régulièrement ainsi que leurs partenaires lors de réunions/présentations où j'exposais les résultats bruts post-terrain.

En outre, j'ai sollicité l'appui de structures culturelles sur Nouméa comme l'Agence de Développement de la Culture Kanak (ADCK) et le musée de Nouvelle-Calédonie de Nouméa. Ils m'ont aidé à réaliser l'inventaire sur les oeuvres artistiques et de la littérature orale kanak, à découvrir l'univers kanak et à mieux cerner la complexité de la société néo-calédonienne. Tous ces échanges ont été déterminants dans la familiarisation avec l'objet d'étude et dans la réflexion sur la construction du rapport final, dans l'introduction sur les zones d'enquête, dans la compréhension du fonctionnement des politiques environnementales en Nouvelle-Calédonie et des volontés des politiques publiques concernant la protection du dugong.

I.3.2. Production des outils méthodologiques

En parallèle de ce travail de concertation, j'ai produit des supports méthodologiques afin de préparer le travail d'enquête. Je me suis aussi inspirée du travail d'autres stagiaires à l'IRD en anthropologie encadrées par Catherine Sabinot, notamment les ébauches de plan du rapport de stage de Sarah Bernard, qui terminait sa mission sur l'étude des représentations et pratiques sociales relatives à la tortue marine dans la région de Yaté, Province Sud. J'ai élaboré un guide d'entretien autour de deux axes principaux : un sur les représentations et les pratiques sociales et un autre sur les perceptions et connaissances de la population locale concernant la réglementation et la protection du dugong. Je l'ai ensuite présenté et partagé aux partenaires du plan d'actions qui ont pu émettre leurs commentaires et corrections que j'ai ensuite intégré.

J'ai testé la portée opérationnelle du guide d'entretiens lors des premières interviews avant le terrain avec les institutions partenaires du projet. Bien évidement, cet outil s'est confronté aux réalités du terrain et s'est peu à peu modifié au fil des rencontres et de la poursuite de la réflexion. Concernant les autres outils tels l'observation et l'observation participante, j'ai relu les textes sur la méthodologie anthropologique rédigés par Olivier de Sardan et me suis armée d'un carnet de terrain pour affiner ma recherche et multiplier les sources d'informations. Ainsi, lors de mon enquête, je me suis essentiellement appuyée sur ces trois outils.

I.3.3. Déroulé de l'enquête et récolte des informations

Lors des premières réunions du GTR, il a été décidé que je travaille sur deux zones. Ce groupe de travail était constitué de personnes liées à ces régions comme par exemple

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un chargé de mission du WWF, qui appuie les compétences techniques de l'association de gestion de l'aire marine protégée de Pouébo, et un agent de la Province Nord, originaire de Poya. Le recours à ces personnes paraissait faciliter mon accès et introduction au terrain.

La première enquête sur Pouébo (cf. figure 3) devait être courte puisque les acteurs semblaient plus intéressés par la Zone Côtière Ouest, une région où le métissage culturel est particulièrement important, et où l'information semblait plus difficile d'accès pour diverses raisons. Ce séjour durait deux semaines et demi, du 30 juillet au 17 août 2014. Ensuite, nous avons collectivement convenu d'un retour sur le terrain, cette fois-ci dans la Zone Côtière Ouest, à partir du 25 août au 21 novembre 2014. Dans ma conception du travail, j'ai aussi choisi d'intégrer les acteurs institutionnels dans le champ de l'étude, basé ou rencontré pour la plupart à Nouméa. Lors de mes passages à la capitale, j'ai continué à y récolter des données, notamment en interrogeant des personnes à l'IRD, qui est devenu un lieu de rencontres et d'échanges précieux.

La large distribution des terrains fait parti de la particularité de ce stage. Contrairement aux terrains anthropologiques « classiques », le stagiaire-anthropologue n'est pas affecté sur un lieu particulier mais sur plusieurs et sur des temps relativement courts. Dans la Zone Côtière Ouest, qui est une zone particulièrement étendue, les lieux de résidences sur place ont conditionnés l'étude. S'il était entendu que je m'ancre davantage dans un lieu précis, la réalité du terrain en a décidé autrement : j'ai donc travaillé dans plusieurs endroits différents (la tribu de Kélé à Moindou, dans la région de Moindah dans la commune de Poya-Sud, dans Poya-village et Poya-Nord, et sur la commune de Bourail et ses alentours- cf. figure 4).

Une part importante de la méthodologie d'enquête s'attache à repérer les acteurs stratégiques et des personnes à interroger. J'avais commencé cette recherche le premier mois à Nouméa mais elle était difficile à réaliser en ne sachant pas avec exactitude le lieu de déroulement de l'enquête. J'ai pu néanmoins compter sur l'aide des partenaires élargis du Plan d'actions comme l'association de la ZCO, les agents de la Province Nord, la mairie de Bourail et de Poya pour parfaire ce travail d'identification, qui s'est aussi construit au fur et à mesure des rencontres en fonction des recommandations des personnes que j'interrogeais. J'ai également reçu l'assistance de certaines personnes-ressources présentes sur les zones d'enquête qui ont facilité cette étape et m'ont donné à comprendre les logiques et contextes locaux à l'oeuvre. Ainsi, les contraintes logistiques et la réalité sur le terrain ont largement conditionné l'étude, les méthodes utilisées ainsi que l'énergie déployée dans la poursuite de l'enquête.

Pour la collecte des informations, les méthodes anthropologiques de l'observation, l'observation participante et des entretiens - à la fois semi-directifs et ouverts, formels et informels - ont été déployé. Concernant les entretiens, j'ai tenté au maximum de les enregistrer avec un dictaphone quand cela était possible, afin de pouvoir revenir sur ce qu'il a été expliqué par l'individu interrogé. J'ai suivi le guide d'entretien réalisé en amont, tout en le rectifiant au fur et à mesure de l'enquête, et j'ai pris des notes afin d'optimiser le futur travail de retranscription. Mais les échanges courts avec des personnes croisées au hasard des rues ou dans une situation particulière de la vie quotidienne ont aussi informé l'étude, c'est pourquoi ils ont été autant que possible pris en compte. Je couchais régulièrement sur le papier le soir les observations et discussions que j'avais pu faire dans la journée. Enfin, pour donner une idée des données récoltées, j'ai réalisé au total des entretiens longs auprès de cinquante-sept personnes de tout âge et

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origines confondues et j'ai rencontré soixante-treize personnes qui ont complété ou renseigné de manières ponctuelles les informations que j'avais obtenues lors des entretiens longs.

I.3.4. Traitement et analyse des données

Nous avons appliqué le principe de « triangulation des informations » (Olivier de Sardan, 2003) afin de traiter et d'analyser les discours des personnes. Si une information ne peut être utilisable qu'une fois écrite, l'écrire ne suffit pas, il faut encore la comprendre et la réfléchir dans un contexte particulier et la comparer à d'autres informations issues d'autres sources (divers locuteurs, référence dans un ouvrage etc.). Toute la difficulté du travail anthropologique est de compiler, de confronter et de bien rendre compte des points de vue de tous.

Étant donné le temps court de toute recherche appliquée, il m'a fallu mener de front l'enquête, le traitement des données et l'analyse. Je me suis donc organisée sur le terrain pour débloquer le temps nécessaire à la réalisation des retranscriptions des entretiens et j'ai poursuivi cette activité durant les temps passés sur Nouméa entre deux séjours sur le terrain, ainsi que le dernier mois à la fin de la période d'enquête. Le travail de traitement et d'analyse des données a été rythmé par les comptes-rendus de terrain présentés lors des réunions du GTR et leurs exigences de rendus (au bout de trois mois d'enquête, on m'a demandé d'élaborer une ébauche de plan pour le rapport de stage), ainsi que par les différentes restitutions publiques. J'ai donc profité de la concertation de plusieurs points de vue et de l'obligation de préparer les restitutions et rendus, ce qui m'a demandé d'organiser les données, de les analyser et de construire une réflexion au fur et à mesure du terrain.

Enfin, la « méthodologie concertée » du stage, convenue dés le départ avec l'AAMP et l'IRD, était éprouvante car j'étais constamment tiraillée entre les intérêts des uns et des autres. De plus, s'il était difficile de faire entendre sa voix face à autant d'acteurs, mon analyse en a aussi gagné en finesse et en solidité. La confrontation des idées et le travail permanent de négociation des marges de manoeuvres ont été une force car cela m'a permis d'améliorer mes compétences argumentatives, de traduire les concepts anthropologiques dans un langage courant, de m'interroger sur la pratique anthropologique et sur la pertinence de ses outils, et de sortir de ma subjectivité - condition nécessaire pour rentrer dans les critères anthropologiques.

De même, ce travail de concertation a participé à la formation de ma problématique actuelle sur la diversité et la confrontation des savoirs, des pratiques et des représentations autour du dugong. En effet, tout au long du stage, j'ai éprouvé la multiplicité des acteurs impliqués dans le Plan d'actions mais également des terrains d'enquête et des personnes rencontrées. Afin de mieux rendre compte de ces décalages évidents entre les individus sollicités20 dans cette étude, d'attester des difficultés que nous avons rencontré pour croiser les informations provenant d'une telle quantité d'interlocuteurs et de prouver la complexité sociale de la « société néo-calédonienne », nous avons tenu à rendre compte des réalités micro-locales en présentant rapidement des lieux d'enquête.

20 Nous cherchons à montrer la distance entre les diverses perceptions de la nature en Brousse, entre les différentes représentations broussardes et celles détenues par les acteurs de institutionnels, et entre les intérêts des divers acteurs institutionnels.

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I.4. Présentation rapide des lieux d'enquête

I.4.1. La commune de Pouébo

La commune de Pouébo, située dans la région Nord-Est de la Grande-Terre, dans la Province Nord et dans l'aire coutumière Hoot-ma-Whaap, constitue une longue bande côtière de 70 km enchâssée entre une chaîne de montagne et un lagon turquoise. Elle est composée de deux districts21 (le district coutumier de Balade au nord et celui de Pouébo au sud) rassemblant 16 tribus dont deux indépendantes : celles de Paalo et Colnett. La région représente 2452 personnes soit 12 individus/km2, ce qui est peu comparé au reste de la Nouvelle-Calédonie (recensement 2014, densité de la population par commune et par Province, www.isee.nc). Elle est peuplée majoritairement par des Kanak (95%), quelques familles calédoniennes d'origine Européenne22 aux extrémités nord et sud, quelques Européens au village (Bodmer, 2010 : 4).

lieux d'enquête

ISEE, 1996

Langues vernaculaires

Figure 3 : Répartition géographique et langues sur la commune de Pouébo (c) réalisation : Dupont

L'une des particularités de la commune reste sa forte diversité linguistique. Sur l'espace de 70 km, on retrouve trois ensembles linguistiques bien marqués : le « Nyelâyu » parlé dans les tribus de Balade, le « Cââc » qui se cantonne au centre de Pouébo et le « Jawé » au sud du village. Cette distribution linguistique conditionne le découpage du territoire suivant : le district de Balade, la zone de Pouébo-village et le district de Lé-Jao, administré par son Grand-chef Noel Poindi. Cette répartition spatiale est celle reconnue par les habitants interrogés dans cette enquête. Si le travail d'enquête a été en majorité mené dans les tribus de Yambé et Diahoué, nous avons aussi interrogé

21 Subdivision administrative sous autorité et juridiction de la commune, qui regroupe une ou plusieurs tribus respectant l'organisation des aires d'influence de chaque « grand-chef » qui administre ce territoire (cf. Cornier, 2010 : 30).

22 Il s'agit de Calédoniens nés sur le territoire, ou en France, qui sont présents en Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs années

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des personnes de la tribu de Saint-Denis de Balade et de Saint-Louis et Saint-Denis à Pouébo (cf. figure 3).

La faune et la flore terrestres et marines exceptionnelles ont été internationalement reconnues, particulièrement par le classement UNESCO du lagon en 2008 et par la mise en place d'aires marines protégées, comme celles de Hyabé/Lé-Jao ou de Dohimen et de Yeega dans la commune de Hienghène, inaugurées en 2010 (Le Journal des aires marines protégées de Pweebo et Hyehen, WWF, Association Ka Poraou, Association de l'aire marine protégée de Hyabé/Lé-Jao, OGAF et PN, mars 2014). Du fait de son éloignement de Nouméa, la région s'est tardivement préoccupée de son développement touristique, même si quelques aménagements touristiques qui permettent à quelques familles d'avoir des revenus de leurs activités.

Sur place, quelques emplois dans le bâtiment, dans les professions administratives, au dispensaire, à l'OPT, des revenus ponctuels obtenus à travers la professionnalisation des activités de pêche ou la vente d'objets artistiques dynamisent ce territoire. Mais, depuis cinq ans environ, beaucoup de personnes partent travailler en dehors de la zone, à Hienghène, particulièrement vers les sites miniers de la zone VKP (Voh/Koné/Pouembout) ou encore vers des agglomérations de la côte-est ou à Nouméa (Cornier, 2010). Ces mouvements ne semblent pas a priori perturber une certaine continuité des modes de vie traditionnel puisque nombre d'habitants des tribus pratiquent toujours des activités vivrières (agriculture, pêche, chasse) pour s'alimenter et s'organisent socialement selon des systèmes d'alliances et d'échanges complexes et hérités des parents et grands-parents (Ibidem). Toutefois, face aux changements sociaux importants actuels en Nouvelle-Calédonie, vécus par certains « Jeunes » comme par les « Vieux » comme une rupture, le système coutumier ne fonctionne plus comme « avant ».

Les transformations impactées par l'amélioration des conditions matérielles et économiques dans la région sont très récentes et la population ne sait peut-être pas encore comment réagir pour faire face à ces changements qui, s'ils apportent du confort, génèrent aussi des inquiétudes. Ainsi elle exprime une certaine peur de perdre ses valeurs et ses savoirs traditionnels parce que la transmission culturelle, du fait des facteurs précédemment cités, ne se fait plus comme « avant». L'école et le développement économique à la fois souhaité et craint sont perçus comme des freins à la communication entre les personnes, qui formulent une grande distinction entre le mode de vie « traditionnel » et la vie « moderne », surtout parmi les générations les plus anciennes.

I.4.2. La Zone Côte Ouest : de Moindou à Poya

La « Zone Côtière Ouest »23 est un Bien inscrit au Patrimoine Mondial de l'UNESCO en 2008. Ce périmètre côtier s'étend sur 70 km entre les communes de La Foa et Bourail et comporte une aire marine protégée étendue, ainsi que des zones tampons maritime et terrestre. Lors de notre enquête, nous avons essentiellement travaillé dans les communes de Moindou, de Bourail et de Poya, que nous présenterons en suivant. Dans cette zone, les personnes interrogées sont issues de toutes communautés confondues ; habitent autant en bord de mer qu'en vallée, dans la campagne ou en « ville » ; et sont originaires de différentes zones d'habitation (cf. figure 4).

23 Même si cela est inexact, nous utilisons le terme « Zone Côtière Ouest » pour désigner la zone de Moindou à Poya, simplement par commodité et pour faciliter la lecture.

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Comme nous l'avons évoqué précédemment, l'histoire de cette zone est particulière puisqu'elle a été une « terre d'accueil ». Si quelques ressortissants de pays voisins moins favorisés ou certains colons libres ou pénaux s'y sont installé, la région était attractive grâce à la présence de richesses minières (surtout dans la commune de Poya et plus au nord) et grâce à l'étendue des terres cultivables (café, canne à sucre etc.) ou propices à l'élevage (bovin, porcin etc.). Avec l'exploration minière et l'implantation de filières agricoles, elle s'est développée économiquement et a ainsi attiré de nouveaux travailleurs. La mixité ethnique y est particulièrement forte, comme l'atteste ce tableau que nous avons élaboré à partir du document « Évolution et structure de la population » de l'ISEE (2009).

Région de Poé + domaine de Deva

Poya village + tribu de
Nepou + Népoui +
Moindah (Poya Sud)

Tribu de Nétéa et Montfaoué

Bourail village + la
Roche Percée + vallée
de Nessadiou

Tribu de Oua-Oué + vallée de Boghen

Tribu de Kélé

Figure 4 : Répartition des personnes enquêtées sur Moindou-Bourail-Poya (c) réalisation : Dupont sur fonds de carte

GIE-Océanide, 2009

Tribu de Kélé à Moindou

Nous avons réalisé une partie de l'enquête dans la tribu de Kélé, commune de Moindou. Cette tribu est aujourd'hui une dépendance de la tribu Moméa (170 habitants, ISEE, 2009) qui date de la demande d'extension de la réserve dans les années 1950/1960 par les Vieux afin de pouvoir pêcher. D'après les Mélanésiens interrogées, puisqu'ils disposaient d'une voie d'accès facile à la mer et surtout qu'ils étaient proches d'une vaste zone de mangroves, les habitants se sont spécialisés dans la pêche, notamment celle du crabe de palétuviers. Dans les années 1960, ils auraient divisé l'espace maritime en zones de pêche délimitées par familles, actuellement au nombre de onze.

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La langue vernaculaire parlée dans la zone est le Sîchee, un langage issu du bord de mer et dérivé de la langue Ajië, qui aurait été parlé de Bouloupari à Poya mais qui se meurt aujourd'hui. Seules dix-neuf personnes la maîtrisent encore, dont deux dans la tribu. Deux personnes de la tribu d'une cinquantaine d'années ont expliqué que leurs parents avaient estimé que s'ils apprenaient uniquement le français, cela améliorerait leur scolaire. L'autre raison majeure de cette « perte » réside en ce que certaines familles ne sont pas originaires de la zone et ainsi, qu'il ne s'agit pas de la langue maternelle à transmettre aux enfants. Ainsi, cette disparition lente est une conséquence des mouvements de populations induits par la colonisation, les politiques coloniales et les représentations que les adultes se faisaient de leur propre langue et de l'apprentissage à l'école.

Enfin, la plupart des résidents de la tribu vit des activités vivrières comme l'agriculture, la chasse et la pêche, ainsi que de « petits boulots » occasionnels. D'autres pratiquent la pêche en tant qu'activité professionnelle pour revendre les fruits de la pêche tous les jeudis à un colporteur, qui s'arrête à la tribu pour recueillir et acheminer les poissons jusqu'à Nouméa.

Commune de Bourail

La région de Bourail a été le siège de nombreux affrontements durant l'Insurrection du peuple Kanak en 1878. Les tribus originaires, réparties en deux groupes, les Oröwe (ceux de la montagne) et les Nékou (ceux du bord de mer - cf. Alain Saussol, 1979), se sont retrouvées éclatées. Les langues vernaculaires locales qui sont actuellement abondamment parlées sont celles qui correspondent à ces deux tribus (le neku et l»orôê). Aujourd'hui, seule la tribu de Gouaro se trouve en bord de mer et regroupe des personnes sans terre suite de ces mouvements de population. La colonisation libre et pénitentiaire, avec par la distribution de concessions foncières, a créé la dynamique urbaine et économique autour de Bourail, véritable « capitale de la Brousse » (5444 hab. 2014 établis sur 797 Km2, soit 6,8 hab. par Km2) et pôle agricole historique du territoire. Parmi les vallées les plus denses en exploitations agricoles, nous pouvons citer celles de Boghen et de Nessadiou, cédée en partie par la tribu de Nékou aux déportés arabes qui souhaitaient s'installer à la fin de la colonisation pénale.

Le long de la route principale, Bourail-village rassemble de nombreuses infrastructures à ses concitoyens comme une mairie, une église, une bibliothèque, de nombreux commerces de proximité et des hypermarchés, des médecins, des snacks de route, des banques, un commissariat, des écoles, un collège, un lycée, un complexe sportif, un marché, un centre de secours principal, une antenne de la Province Sud, une salle de cinéma etc. qui offrent des emplois au coeur même de la petite ville. Cette dernière exerce une certaine attractivité sur la population aux alentours (toute appartenance ethnique confondue) qui descendent ou montent « en ville » pour s'approvisionner, travailler, se divertir, rencontrer les personnes.

Économiquement développée, la commune devient peu à peu une destination de choix, principalement pour les récents arrivants en quête de « villas secondaires », comme l'indique un calédonien d'origine européenne de quarante ans : « Il y a une arrivée massive de personnes qui ne sont pas d'ici. A la Roche [Percée], sur les 105 familles présentes sur le lieu, seulement 12 sont originaires de la Nouvelle-Calédonie ». De plus, la proximité avec Nouméa (à peine deux heures de voiture) en fait une destination

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touristique facile d'accès. Les stratégies économiques de la Province et de la municipalité s'orientent d'ailleurs sur cette nouvelle activité, comme on peut le constater avec la récente construction à l'entrée de la ville d'un musée couplé d'un office de tourisme, des aménagements pour le camping et les activités nautiques, à la plage de Poé notamment, ou des projets de grande envergure comme la construction de l'hôtel de luxe Sheraton au domaine de Gouaro-Deva.

Commune de Poya

La commune de Poya, établie sur la frontière entre la Province Sud (230 hab. en 2014) et la Province Nord (2806 hab. en 2014), est moins peuplée et moins urbanisé que Bourail (3,5 hab. par Km2). En revanche, elle est plus étendue (845 Km2), si bien que les lieux d'habitation ne présentent de centralité qu'en raison de la présence du village et de la mairie, qui joue le rôle de point de rassemblement. Nous avons réalisé notre enquête en interrogeant des personnes résidant sur presque toutes les zones d'habitation de la commune (Moindah-Poya Sud, les tribus de la chaîne Montfaoué et Nétéa, Poya-village, le village de Népoui et la tribu du bord de mer Népou). Ces lieux sont investis depuis longtemps par les résidents de la région, parmi lesquels on compte quelques immigrés ou enfants d'immigrés (wallisien, japonais, javanais, Ni-Vanuatu, etc.) venus chercher du travail dans les mines dés la fin du XIXème siècle.

Historiquement, Poya est un centre ouvrier important grâce la proximité des mines dans le massif de Me Maoya. Si ces mines donnent du travail à beaucoup de personnes venues de toute la côte, la rareté des logements disponibles empêche leur installation sur la commune. Toutefois, dans les années 1950, le village de Népoui a été initialement construit pour accueillir ces travailleurs étrangers qui se sont intégrés à la population locale. Aujourd'hui, la grande partie des actifs habitent et ont leur emploi dans la commune (75% des actifs, ISEE 2009) alors que d'autres viennent y travailler.

Même si l'un des principaux secteurs d'activité reste la mine, les emplois liés à l'éducation, à la santé, au transport, au commerce et aux autres services mais aussi à l'élevage et à l'agriculture sont conséquents. Cette relative prospérité économique et l'offre d'emplois, notamment à la mine, ont bouleversé les modes de vie des habitants sur place. Comme l'indique un employé de la mairie calédonien d'origine européenne d'une cinquantaine d'année, « beaucoup de gens ont tout arrêté en travaillant24. [Nous parlions des activités vivrières - champs, pêche, élevage]. La plupart des savoirs liés à la terre se sont perdus. C'est plus facile de travailler à la mine. Tu travailles de telle heure à telle heure et voilà, surtout que la mine ce n'est plus celle des années 1900. [...] On met trop vite la faute sur l'argent mais c'est la facilité que ca amène qui a tout bouleversé ». Il semblerait donc que les problématiques liées à la perte du mode de vie « traditionnel » à l'épreuve de la « modernité » soient plus ou moins les mêmes que dans la commune de Pouébo.

Sur la commune, la majorité des tribus se trouvent dans la chaîne et font partie du district coutumier de Muéo, rattaché en partie à l'aire coutumière Ajië-Aro. Seule Népou a rassemblé les clans de pêcheurs, mais ce n'est pas une exception puisque les communes voisines possèdent également une tribu de bord de mer : la tribu d'Ounjo pour Pouembout et la tribu de Gouaro pour Bourail. Il est néanmoins vrai que la majorité des tribus de la

24 Dans ce cas précis, travailler signifie faire le champ qui n'est pas considéré comme un « travail contre salaire » comme on peut le faire en étant employé dans une usine par exemple.

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Côte Ouest se trouvent dans la chaîne à cause de l'installation des premiers Européens sur les plaines (les meilleures terres cultivables), de l'Insurrection de 1878 et de la politique de cantonnement.25

Dans les massifs de Poya, les tribus sont assez éloignées les unes des autres puisque la tribu de Niklîai est en bas de la chaîne, et celle de Gohapin, en plein coeur des montagnes. Cela explique peut-être pourquoi elles ont évoluées séparément et ont relativement bien conservé leurs propres langues vernaculaires comme l'arhâ, l'arhö ou l'ajie. Toutefois, du fait des restrictions foncières, les Kanak ont vu leurs espaces cultivables se réduire drastiquement, alors que des propriétaires terriens ont acquis des propriétés importantes, formant la richesse de quelques grandes familles calédoniennes d'origine européenne (Dalloz, 1991). Malgré la Réforme foncière amorcée dés les années 1970, les transformations induites de la colonisation ne sont pas effacées et sont encore perçues parfois comme un sujet douloureux. D'après les habitants, les problèmes fonciers ont été partiellement responsables des représentations ségrégationnistes locales.

Par conséquent, à travers ces courtes descriptions des situations socio-économiques sur les terrains d'enquête de cette étude, nous percevons l'identité en « patchwork » de la Nouvelle-Calédonie qui abritent une pluralité ethnique et linguistique importante, différentes communautés avec des relations complexes, ainsi que des réalités économiques micro-locales très diverses. De même, il semble que ces trois thèmes soient liés et qu'aux différenciations ethniques se mêlent des disparités économiques et sociales (niveaux de vie, manières d'être, idéologies politiques) qui creusent toujours les écarts entre les groupes.

Il faut également comprendre que la société néo-calédonienne s'est construite et continue de se construire à travers la distinction entre les communautés qui la compose, comme le prouvent l'exemple de l'Institut de la Statistique et des Études Économiques (ISEE) qui distinguent toujours les appartenances ethniques dans l'élaboration de ses graphiques. « Les gens sont vus du côté ethnique en Nouvelle-Calédonie », affirme un Calédonien interrogé par Benoît Carteron lors de son enquête sur les identités culturelles (Carteron, 2008 : 10). Selon lui, « les Calédoniens se voient d'abord à travers les différences ethniques, tandis que les appartenances associées aux autres statuts sociaux sont relégués au second plan » (Ibidem).

Ensuite, l'ethnologue retrace l'origine de l'émergence de cette séparation. Les drames coloniaux auraient lourdement fractionnés la société néo-calédonienne suivant des motifs d'appartenances communautaires et de séparation idéologique entre allochtone et autochtone (Carteron, 2008). Ce faisant, l'auteur porte une attention particulière sur les tensions existantes entre les deux communautés majoritaires « les plus anciennement » établis, à savoir autour du peuple Kanak et de la population européenne ou d'origine européenne. Les raisons des rancunes historiques sont alors systématiquement soulevées lorsqu'il y a conflit entre ces deux grands groupes, ainsi que la question des origines du peuplement (Ibid. : 10).

25 Le cantonnement a entraîné des recompositions importantes puisque certains clans rebelles ont ainsi été déplacés par le pouvoir colonial dans le but d'affaiblir leur assise. Ils ont été regroupés avec d'autres clans au sein des tribus, avec qui ils pouvaient être en conflits ou n'avaient pas contracté d'alliances par le passé. Les clans terriens des tribus ont donc adopté ou attaché ces clans accueillis, dans le but de recréer un lien social (Blet, 2014 : 28).

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A ce sujet, les propos de Paul Nyaoutine, leader du parti indépendantiste kanak, dans son ouvrage de 2006 sont particulièrement éclairants sur primauté du peuple Kanak dans la reconnaissance des communautés néo-calédoniennes :

« Nous ne sommes pas une communauté parmi d'autres, nous sommes le peuple indigène de ce pays. Les peuples vietnamien, indonésien, wallisien-futunien, maohi se trouvent au Vietnam, en Indonésie, à Uvéa mo Futuna [Wallis-et-Futuna], à Tahiti. Les expatriés de tous ces pays ont fondé ici des communautés distinctes f...] On ne peut pas traiter le peuple Kanak sur le registre d'une communauté parmi tant d'autres. Ce serait nous nier en tant que peuple autochtone. » (Nyaoutine, 2006 : 124)

De la même manière, certains Calédoniens d'origine européenne veulent, depuis peu, faire reconnaître leur identité propre. Par exemple, les membres de la Fondation des pionniers de Nouvelle-Calédonie26 se définissent comme le « peuple colon fondateur », formé des descendants de colons libres et pénaux ainsi que des immigrés asiatiques. Ils ont participé activement à l'édification du pays et souhaitent rendre légitime leur « groupe culturel » aux yeux de tous, pour ne plus être considéré comme des victimes de l'histoire coloniale (Carteron, 2008 : 11).

Mais ces logiques de distinction ethnique néo-calédonienne est peut-être d'autant plus forte qu'un rassemblement autour d'une appartenance nationale est en train de se former depuis les accords de Matignon et ceux de Nouméa, notamment à travers la diffusion de l'idée de « destin commun ». Autrement dit, il est possible que chaque groupe social de Nouvelle-Calédonie s'interroge sur sa propre identité et sur son héritage culturel afin de forger l'identité « nationale » de demain. En ce sens, l'environnement et le champ de la protection environnementale son investi par différents acteurs pour défendre ou pour créer une identité particulière, plus ou moins étendue, reconnue et légitime. Il s'agit là d'une des thèses que nous soutenons dans ce mémoire en prenant le cas particulier du dugong et des différents enjeux repérés autour de sa conservation.

I.5. Problématisation à partir des savoirs et des pratiques

I.5.1. Ancrage anthropologique de l'étude : entre anthropologie de la nature et de l'environnement

Mais avant de présenter les thèses que nous soutenons, nous souhaitons mieux définir les concepts que nous utilisons à travers l'exploration des diverses références anthropologiques qui ont guidé notre réflexion. Au début notre stage, nous avons réalisé de nombreuses lectures afin d'obtenir les outils nécessaires pour analyser les représentations et usages de la population relatives au dugong et recueillis durant le travail d'enquête. Pour cela, nous nous sommes autant intéressée à l'anthropologie de la nature, par la lecture de Philippe Descola (2007) et de la lecture critique qu'en fait Claudine Friedberg (2007), qu'à l'anthropologie de l'environnement, notamment aux travaux d'Olivier de Sardan (1995), de Bernard Kalaora (1997), de Juhé-Beaulation et Cormier-Salem (2013), de Sabrina Doyon et Catherine Sabinot (2013), ou encore d'Elsa Faugère (2008). Nous nous situons donc entre ces deux approches complémentaires : quand la première s'occupe de comprendre les représentations et les usages de la nature

26 Créée en 2003.

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d'un groupe donné, l'autre tente de déterminer l'utilisation de ces savoirs et la mobilisation de la nature ou de l'environnement dans la sphère des politiques de conservation.

Concepts de « Nature » en anthropologie fondamentale

La relation des sociétés à l'environnement naturel et la notion même de « Nature » sont la source de constructions sociales et politiques qui ont connu à travers le temps et connaissent encore aujourd'hui de nombreuses variations. La notion de « nature » et les représentations qui s'y rattachent, mais également celles d'environnement ou de biodiversité qui en découlent, dépendent aussi d'appréhensions et sensibilités différentes selon les individus. Afin de nous permettre de mieux comprendre ces divergences, nous abordons d'abord les analyses du processus de construction de la nature et de ses représentations proposés par l'anthropologue aux théories assez contestées, Philippe Descola (Par delà nature et culture, 2005), que nous avons lu avec recul en nous appuyant notamment sur les analyses de Claudine Friedberg (Par delà le visible, 2007).

Dans un premier temps, dans son ouvrage, Descola étudie la conception (encore actuelle) de la « Nature » se référant à ce qui n'a pas été créé par l'homme, le « non-humain ». Cette vision signe la rupture entre la « nature et l'homme », une opposition couramment étudiée en anthropologie et qui serait le fruit de l'histoire occidentale. Selon lui, elle est à l'origine de la vision du « grand partage » entre « Eux » (les « sauvages » qui ne se distinguent pas de la nature) et « Nous ». Cette affirmation est contestée par Friedberg, qui indique que cette rupture entre l'homme et la nature n'est pas absolue en Occident : ce principe de distinction est difficile à retrouver en Chine, en Inde ou au Japon (Fiedberg, 2007).

Ensuite, Descola (2005) démontre à travers l'analyse de plusieurs exemples que, dans certaines sociétés, les humains et les « non-humains » ne sont pas vu comme des catégories très distinctes, bien au contraire. En effet, avec le cas chez les Achuar, l'auteur avance que « certains peuples conçoivent leur insertion dans l'environnement d'une manière fort différente de la notre. Ils ne se pensent pas comme des collectifs sociaux gérant leurs relations à un écosystème, mais comme de simples composantes d'un ensemble plus vaste au sein duquel aucune discrimination véritable n'est établie entre humains et non-humains ».

A partir de ces principes, il développe une théorie sur les perceptions des rapports entre l'homme et la nature, basés sur les ontologies. Elles sont rapportées dans le tableau de Descola repris par Claudine Friedberg dans son article :

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Nous retenons que la « nature » est une construction sociale qui ne regarde pas les mêmes usages et perceptions selon les groupes sociaux. Il existe plusieurs « manières d'être à la nature » qui varient selon les sociétés à travers un panel large de postures qui oscillent entre une relation de continuité/filiation et/ou de rupture, voire de volonté de maîtrise de la nature par l'homme. Chacune d'elles produit autour de cette notion un ensemble de savoirs, de pratiques, de représentations et de règles sociales qui déterminent comment les individus pensent et interagissent avec leur environnement. De la même manière, les nouveaux paradigmes liés à l'élément naturel imaginés par le « monde occidental » par la création contemporaine de deux concepts, celui d'« environnement » et de « biodiversité », re-déterminent les comportements des personnes vis-à-vis de la nature ainsi que l'approche anthropologique qui tente de les analyser.

Glissement sémantique en Occident : Environnement et Biodiversité

L'élaboration du concept d' « environnement » s'est nourrie en grande partie des contextes sociaux et politiques des années 1960 et 1970 (Kalaora, 1997 ; Aubertin, Boisvert et Vivien, 1998 ; Faugère, 2008), en Europe de l'ouest et aux Etats-Unis. Elle trouve son origine dans le souci de « protection de la nature » des Européens qui, jusqu'aux mouvements de décolonisation, comprenaient la gestion des ressources naturelles en termes d'exploitation, mais aussi de préservation de la beauté naturelle. Cette approche protectionniste excluait l'homme des « espaces protégés », des territoires délimités et administrés par des structures diverses pour préserver la spécificité de ces zones naturelles (Doyon & Sabinot, 2013).

Mais dès la fin du XIXème siècle, les conservationnistes défendaient l'idée que l'homme fait partie intégrante de la nature et qu'en conséquence, il faut l'inclure dans les politiques de protection et l'éduquer au « bon usage de la nature ». Les stratégies protectionnistes et conservationnistes se sont mutuellement rejetées parce qu'elles partaient de prémices différentes, notamment sur l'acception du terme « nature » (Ibidem). Ainsi, le « grand partage » entre nature/culture, qui s'érigeait en modèle occidental de penser le monde et qui était imposé à d'autres civilisations, s'est trouvé quelque peu ébranlé par l'émergence de nouvelles façons d'envisager la nature, notamment en fonction de la sphère politique et économique. La prise de conscience qui accéléra la construction du concept d' « environnement » est marquée par la transformation du sens de la notion de nature, qui passe « du domaine des sentiments à celui de la raison et du politique » (Kalaora, 1997).

Alors que son acception la plus basique se rapporte à tout ce qui entoure un sujet donné, l'« environnement » devient le terme consacré pour désigner l'espace naturel et la diversité biologique. Il intègre autant les espèces animales que végétales mais se rapporte aussi à l'homme, dans son rapport avec cet élément naturel, sans idée d'opposition mais plutôt de relation (Agrech, 2014). La notion est concomitante avec le concept de « biodiversité », mis en exergue lors du Sommet de la Terre à Rio de 1992 avec la création de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Ce terme provient de l'expression « diversité biologique » et comprend « l'ensemble des relations entre toutes les composantes du vivant », réparties sur trois niveaux : écosystèmes, espèces et gènes (Aubertin, Boisvert et Vivien, 1998).

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Ainsi, tout comme Elsa Faugère, nous nous situons dans une « anthropologie du « souci de l'environnement » » qui « a suivi l'essor des préoccupations écologiques et environnementales dans les sociétés occidentales au cours des années 1960/1970 » (Faugère, 2008 : 155). Cette dernière est également l'héritière de la diffusion dans les années 1980 de l'idée de « développement durable », qui s'efforce « de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des satisfaire ceux des générations futures. » (Rapport dit Brundtland, 1987) suivant le principe des « trois « E » : Économie, Équité, Environnement » (Brunel, 2004 : 5). En ce sens, nous nous intéressons plus précisément à la « transmission de la nature aux générations futures, c'est-à-dire sur une conception de la nature en tant que patrimoine à protéger et à transmettre », telle la définition du concept de « nature-patrimoine » (Vivien, 2001 - cité par Faugère, 2008 : 155).

I.5.2. Construction d'une problématique sur la confrontation des savoirs et pratiques autour du dugong

Par conséquent, si la compréhension de notre sujet par les « savoirs » et les pratiques est liée aux objectifs de la mission commandée par l'AAMP, l'IRD et le WWF-Nouvelle-Calédonie, elle est également concomitante d'une certaine anthropologie, qui est parfois mobilisée par les organismes de conservation pour attester de la « valeur patrimoniale » de l'élément naturel à protéger comme l'indique les différents articles de l'ouvrage dirigée par Juhé-Beaulaton et Cormier-Salem en 2013, Effervescence patrimoniale au Sud. Dans le domaine de la patrimonialisation, deux tendances se dégagent actuellement par soit « la remise en cause d'anciens patrimoines-territoires par l'évolution économique et sociale », soit la « construction rapide d'objet et/ou de territoires patrimonialisés par des initiatives privées : création de musées locaux, de réserves naturelles par des communautés locales » (Ibidem : 44). Nous verrons par la suite que le cas de la constitution du dugong en tant qu'« espèce emblématique » relève un peu de ces deux tendances.

Si la mise en patrimoine de la biodiversité et l'articulation entre patrimoine culturel et naturel sont des thématiques de recherche bien connues en sciences sociales, elles renvoient toutes deux à des questions d'appartenance identitaire et culturelle et prennent appui sur des concepts tels que les « savoirs locaux » et la tradition. D'après la définition de « tradition » proposée dans le Lexique, elle est un objet de la transmission : « c'est ce qu'il convient de savoir ou faire pour faire partie d'un groupe qui, ce faisant, arrive à se reconnait ou à s'imaginer une identité culturelle commune (Izard, 1991 : 710) ». Autrement dit, la tradition est un ensemble de « savoirs » qui relèvent du système interprétatif du monde engendré par un groupe particulier et dont les membres ont l'habitude de se transmettre depuis un certain temps (au moins deux générations).

De la même manière, les « savoirs et savoir-faire locaux » sont également des objets très divers de la transmission et de circulation entre les personnes, que ce soit au sein d'une même famille, entre les générations, ou encore entre les groupes sociaux. En ce sens, un savoir est résolument dynamique pour deux raisons majeures :

- il est constamment enrichi des contacts répétés avec d'autres savoirs ;

- il n'existe que s'il est partagé entre certains individus et pas par d'autres ;

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La dernière proposition signifie qu'un savoir est le gage d'une certaine appartenance et reconnaissance culturelle ou identitaire entre les détenteurs d'un savoir similaire. En parallèle, les pratiques, au sens de « faire » et de « savoir-faire », empruntent les mêmes logiques qui sous-tendent la formation et le mouvement des savoirs. En outre, il est possible que plus un savoir est ancien et s'apparente à la tradition, plus il est susceptible de fonder une valeur ajoutée d'ordre « patrimoniale ». Cette hypothèse fait écho à la définition de « patrimoine » proposée par Valérie Boisvert (dans Cormier-Salem, 2005 : 47) en tant que « valeur attribuée à quelque chose et qui touche le domaine de l'identité et de la transmission ».

Par conséquent, ces concepts anthropologiques et méthodes d'analyse nous ont amené à porter notre attention sur les divers savoirs et pratiques liés au dugong, qui se trouvent plus ou moins engagés dans ce processus de « patrimonialisation » amorcer par le Plan d'actions dugong dans le but de favoriser la conservation de cet animal. Par « patrimonialisation » ou « mise en patrimoine », nous entendons l'« appropriation de la nature - matérielle, symbolique et culturelle - d'un élément ou d'un ensemble d'éléments de cette « nature » donnant à un environnement la spécificité d'être « patrimoine naturel » transmis de génération en génération. Ce processus, pas nécessairement consensuel, suppose de donner une valeur ajoutée à un environnement, d'en préserver un ou des éléments emblématiques, de leur reconnaître une qualité particulière et d'en assumer la pérennité » (Doyon & Sabinot, 2013 : 166). Aussi souhaitons-nous porter notre regard non pas sur le patrimoine mais plutôt sur « les processus de sa qualification » (Juhé-Beaulaton et Cormier-Salem, 2013 :14), et ce à travers l'analyse des savoirs et des pratiques différemment répartis selon les acteurs et de leur mobilisation dans le projet de conservation.

Nous avons ainsi identifié un certains nombres d'acteurs que nous avons répartis en deux groupes bien distincts en fonction des « types » de savoirs qu'ils disent mobiliser :

- les « acteurs institutionnels » partenaires ou membres du Plan d'actions dugong 2010-2015 et qui ont construit leur stratégie de conservation à partir de « savoirs scientifiques » ;

- les « acteurs locaux » présents sur les terrains qui ne sont pas officiellement liés au Plan d'actions et qui sont sensés avoir développé des « savoirs locaux » / « traditionnels » d'ordre empirique ainsi que des pratiques sociales concernant le dugong ;

Cette séparation est également bien connue de l'anthropologie du développement puisque Olivier de Sardan formule le premier principe de distinction en ces termes : « Autour des actions de développement deux mondes entrent en contact. On pourrait parler de deux cultures, deux univers de significations, deux systèmes de sens, comme on voudra [...] D'un côté, il y a la configuration de représentations des « destinataires », à savoir les « populations-cibles » [...]. De l'autre côté, il y a la configuration de représentations des institutions de développement et de leurs opérateurs » (1995 : 185).

Les deux prochaines parties de cette étude s'attacheront à comprendre comment ces types de savoirs sont susceptibles de se télescoper et / ou de se rejoindre, notamment en fonction des intentions et identités revendiquées par les différents acteurs. Puisque le

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savoir est une entité qui circule et qui évolue, les relations entre ces différents savoirs sont tout aussi dynamiques et dépendent des acteurs en présence. De plus, le monde du développement et de la conservation est une « arène » (Olivier de Sardan : 1995) où se confrontent les intérêts et les savoirs des uns et des autres afin d'acquérir ou de préserver leur contrôle ou leur influence. Nous mettons donc en lumière les relations entre les protagonistes au sein des différents groupes à partir de l'analyse des stratégies et des rapports entre les savoirs.

Enfin, nous conclurons sur une partie qui met en perspective les pratiques des acteurs « locaux » et « institutionnels » autour de la protection du dugong et leur possible articulation. Les objectifs de cette partie sont de poser la question du compromis entre les acteurs pour sauver le dugong et de recentrer notre réflexion sur l'utilisation de la valeur patrimoniale de ce mammifère. En ce sens, nous nous interrogeons sur les pratiques et les perceptions des différents groupes (« population locale », « acteurs environnementaux locaux », « acteurs institutionnels ») en matière de protection environnementale et sur la mobilisation ou non du statut « emblématique » de l'animal.

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II. Construction d'une politique de conservation par les acteurs du Plan d'actions à partir de « savoirs scientifiques »

II.1. Préoccupation des acteurs du Plan d'actions pour le dugong

Pour rédiger cette section, où nous retraçons l'historique des mentions du dugong dans la littérature écrite à notre disposition, nous nous sommes appuyée sur les premiers récits évoquant l'animal, sur notre recherche dans les musées d'oeuvres d'art le représentant et les rapports scientifiques trouvés sur internet ou transmis par l'AAMP. Nous avons été frappée de constater la quasi absence de production artistique autochtone et nous remarquons que les auteurs ayant cité l'animal dans leurs travaux ou oeuvres sont presque exclusivement des « non-kanak ». En fait, l'écriture est arrivée sur l'île avec la colonisation, sans quoi les autochtones possédaient et possède toujours une culture de l'oralité. Le format écrit est l'une des formes de transmission des connaissances les plus utilisés, notamment par les sciences. Notre propos ici est de décrire la mise en discours et donc en politique du dugong, à partir des résultats de prospections biologiques et scientifiques.

II.1.1. « Mettre en mots, en chiffres et en politique »27 le dugong : des premiers écrits aux recherches scientifiques

Le dugong est un animal qui est aujourd'hui au coeur des politiques de conservation du fait de son statut d'espèce menacée. Mais sa « popularité » est elle aussi assez nouvelle puisqu'elle date seulement de quelques années. Comme l'exprime un habitant de plus de quarante ans d'une tribu de la chaîne de Poya : « On n'entendait pas trop parler du dugong quand j'étais petit, c'est seulement maintenant, avec les politiques ». Dans la plupart des entretiens réalisés, les personnes de plus de quarante ans ont tendance à expliquer que les Néo-Calédoniens28pêchaient cette espèce, qu'ils le mangeaient mais que ce n'était pas un sujet de discussion dans la vie quotidienne ou en tout cas, pas dans les termes employés actuellement. De ce fait, il n'est pas étonnant que nous ayons trouvé finalement assez peu de références après avoir réalisé une première recherche sur les mentions de l'animal dans la littérature néo-calédonienne29 et avoir visité les différents musées de la capitale à la recherche d'oeuvres d'art le représentant.

D'après Petelo Tuilalo, le responsable des collections artistiques contemporaines et des expositions à l'ADCK, les productions graphiques kanak sont marquées par la présence « des animaux terrestres ou marins qui sont des totems de la tribu [et donc qui] possèdent une valeur sacrée ». Mais selon lui, contrairement à la tortue marine, qui est très présente dans ses collections, il n'existe pas ou peu d'oeuvres symbolisant le dugong

27 Expression reprise à Elsa Faugère (Faugère, 2008).

28 A fortiori les Kanak puis les Caldoches qui les « ont copié », selon le discours de certains.

29 Non sans difficulté puisque les systèmes de classification des oeuvres littéraires à l'ADCK ne sont pas les mêmes qu'en France. En tapant le mot « dugong » ou « vache marine » dans le catalogue de recherche bibliographique, il était impossible de trouver les ouvrages, les films ou les enregistrements mentionnant l'animal.

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dans l'art kanak. Il explique cette différence en émettant l'hypothèse d'un « tabou30 » plus marqué sur le dugong que sur la tortue ; à moins qu'il soit peu représenté compte tenu de sa rareté. En tout cas, d'aucun parmi les acteurs institutionnels culturels que nous avons interrogés ne connait d'oeuvre d'art liée à cet animal.

Toutefois, nous avons listé un certain nombre d'oeuvres littéraires rédigées par des personnes d'origines diverses : certains sont des explorateurs légendaires comme Jules Garnier ou Charles Lemire, d'autres sont des écrivains calédoniens célèbres comme Georges Baudoux ou Jean Mariotti, souvent étudiés dans les programmes scolaires parce que considérés comme les fondateurs de la littérature calédonienne.

Jules Garnier un ingénieur venu en Nouvelle-Calédonie en 1863 au moment de l'exploration minière, a rapporté ses tribulations dans un carnet en 1871. Il raconte avoir été témoin d'une pêche extraordinaire au dugong par les habitants de la tribu de Mahamat à Balade, dans le Nord-Est de la Grande Terre, dans l'actuelle commune de Pouébo. Dans sa description (cf. Annexe II du mémoire), plusieurs hommes couraient se jeter dans l'eau et nager vers le large - certains portaient des cordes - à la rencontre du dugong. Dans son récit, ils ont entouré l'animal et ont plongé sur lui à tour de rôle, à mesure de l'air qui se vidait dans leurs poumons. Ils ont ensuite saisi les nageoires puis la queue, l'ont empêché de respirer à la surface. Une fois asphyxié, ils l'ont attaché au bateau avec la corde et ramené vers le bord.

D'autres auteurs, comme Georges Baudoux ou Jean Mariotti, évoquent les techniques de pêche traditionnelle (celle réalisée par les Kanak) en les intégrant dans la continuité de leur narration. Ces deux auteurs ont marqué l'histoire de la littérature calédonienne par leur intérêt concernant la communauté mélanésienne et par la récolte dense et minutieuse de données ethnographiques importantes - notamment des contes et légendes. Leurs oeuvres sont remarquables parce qu'elles sont des réécritures fictives à partir de leurs observations du monde kanak (Soula, 2014).

Par exemple, le personnage principal de Jean Mariotti (1941), Poindi, est le premier à avoir réalisé une pêche miraculeuse : il a attrapé de ses mains une loche, un poulpe, quatre tortues et un dugong. Le narrateur indique qu'habituellement, la pêche au dugong n'est pas systématiquement couronnée de succès et que seul le héros a réussi à sauter sur le dos de l'animal. Après s'être engagé dans une bataille périlleuse en corps à corps, il a enfoncé des tampons de niaoulis dans les narines du dugong pour le noyer et l'a achevé à coups de pointes de gaïac (arbre). Ainsi, toutes les indications concernant la pêche ne sont pas fournies pour elles-mêmes par l'auteur : en se servant d'éléments observés ou entendus, il voulait surtout mettre l'accent sur la difficulté de cette pêche et le mérite du personnage.

Par conséquent, les premières « mises en mots » de cette espèce dont on peut retrouver la trace - parce qu'elles sont écrites - semblent se référer aux savoirs et savoir-faire de la population autochtone de l'archipel. A l'inverse, Charles Lemire, un fonctionnaire des Postes qui a voyagé à pied en Nouvelle-Calédonie en tenant un carnet de bord (1884), donne des précisions sur la morphologie de l'animal et son rôle dans l'écosystème : ce « gros cétacé mammifère » fait trois mètres de long pour deux mètres de circonférence, cinq cent kilogrammes et empêcherait, en broutant les herbiers, les plantes vénéneuses de se développer. De même, il le compare à son homologue guyanais, le

30 Nous utilisons ce terme dans le sens d'interdit et de secret.

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lamantin, mais aussi au phoque. Autrement dit, en s'intéressant aux savoirs « scientifiques » concernant la nature, cet auteur établit une description « naturaliste» presque à la manière d'un biologiste.

D'après nos recherches, il s'agit de l'une des premières descriptions de ce type et il faudra attendre plus de cent ans pour que des biologistes s'intéressent de nouveau à cet animal. Pourtant, l'exploration biologique des ressources marines de Nouvelle-Calédonie est conduite depuis 1946 à l'IRD (anciennement IFO puis ORSTOM), date de l'implantation de la structure à Nouméa. D'après les propos de Jacqueline Thomas, responsable de la communication scientifique, « les disciplines fondatrices étaient la phytopathologie, l'océano-biologie et l'entomologie. Il s'agissait à l'époque de faire l'inventaire des ressources coloniales »31. Ce désintérêt peut alors s'expliquer de plusieurs façons. Comme nous l'avons constaté à de très nombreuses reprises sur le terrain, le dugong est une espèce fortement associée au monde kanak et aux savoirs traditionnels dans les représentations populaires. Ce faisant, les scientifiques n'ont peut-être pas voulu perturber les dispositions locales le concernant, ou ont déprécié l'animal. La seconde hypothèse, plus plausible, consiste à dire que le dugong n'était pas perçu à l'époque comme une espèce menacée et donc, les recherches le concernant n'étaient pas prioritaires.

En tout cas, le premier rapport de l'ORSTOM consacré aux tortues et au dugong, que nous ayons retrouvé, est une note technique de décembre 1994 rédigée par Claire Garrigue, qui travaillait pour le laboratoire d'Océanographie de l'ORSTOM depuis 198932. Ces deux pages donnent des indications sommaires sur les différents noms de l'animal, sur sa répartition dans le monde, sur sa physiologie et sa morphologie. Grâce aux notes bibliographiques, on découvre qu'il existe des écrits scientifiques sur le dugong depuis au moins 1977 et sont notamment menés par Hélène Marsh, la directrice de thèse de Christophe Cléguer. Actuellement, Christophe Cléguer et Claire Garrigue sont les scientifiques de référence en Nouvelle-Calédonie concernant le dugong et sont ainsi affiliés au Plan d'actions dugong depuis le départ.

Tous deux sont membres d'Opération Cétacés !, l'association de chercheurs qui a mené la majorité des recherches qui ont prédécédé l'élaboration du plan d'action, notamment les prospections de 2003 et de 2008 mis en place par l'ADECAL (Agence de Développement Économique de Nouvelle-Calédonie - qui coordonne des projets financés par l'État, le gouvernement Calédonien et les trois Provinces) dans le cadre du programme ZoNéCo. Ce dernier « a pour objectif principal de rassembler et de rendre accessibles les informations nécessaires à l'inventaire, la valorisation et la gestion des ressources minérales et vivantes de la Zone Economique Exclusive et des lagons de la Nouvelle-Calédonie »33.

Lors d'un premier survol aérien en 2003 réalisé par l'ONG, les prestataires ont compté les dugongs sur une zone restreinte et, d'après un calcul algorithme, ils estiment la taille de la population de dugong à un peu plus de 1800 individus. Dans une synthèse des résultats obtenus, les membres du programme déclaraient :

31 http://www.espace-sciences.org/archives/science/12602.html

32 http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/doc34-04/43821.pdf

33 http://www.zoneco.nc/presentation/historique

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« Dans l'état actuel des connaissances, la population de la Nouvelle-Calédonie, bien que minuscule par rapport à la population australienne, représente la plus importante concentration d'Océanie et la troisième population mondiale. De ce fait la Nouvelle Calédonie porte une responsabilité pour la conservation mondiale de l'espèce dont les populations sont en diminution dans toute son aire de distribution.

En termes de conservation, le dugong est donc le mammifère marin le plus important de la Nouvelle-Calédonie et l'établissement de son statut s'avère nécessaire. Pour cela l'obtention d'autres d'informations, telles que la distribution saisonnière, la tendance de la population et les menaces qui pèsent sur elles, doivent être obtenues ».34

Ce type de discours n'est pas sans rappeler ceux liés aux monuments ou paysages classés au Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Il est clairement exposé que le dugong doit-être un animal prioritaire dans les objectifs de conservation de Nouvelle-Calédonie, étant donné que sa population est la troisième la plus importante au monde. Et puisque cette estimation est le résultat d'un programme financé par les acteurs institutionnels qui se sont ensuite associés au Plan d'actions dugong, nous pouvons supposer que ces premiers chiffres ont enclenchés un processus de réflexion pour améliorer la conservation de cette espèce.

Les résultats obtenus par la prospection de 2008 ont certainement confirmé le besoin de créer des mesures de protection, telles le Plan d'action dugong. En effet, dans le rapport final d'avril 2009, l'ensemble des scientifiques associés à cette campagne de comptage en Province Nord et Sud constatent une grande diminution du nombre de dugongs fréquentant le lagon : de 1814 en 2003, il n'en reste que 964 en 2008. En cinq années, la population aurait donc chuté de 47 %, et ce avec un pourcentage de certitude estimé à 85 %. Le document prend un ton alarmiste et sollicite l'intervention des politiques publiques, comme nous pouvons le lire dans l'extrait suivant :

« . La limite maximale du niveau de mortalité anthropique supportable est d'une dizaine de dugongs par an.

· Les quelques informations disponibles sur les menaces d'origine anthropiques laissent supposer que cette valeur ai été dépassée conduisant inexorablement à une diminution de la population.

· Les résultats de cette étude sont alarmants. Ils soulignent l'urgence de mettre en place des études complémentaires et insistent sur la nécessité de développer des mesures de conservation permettant d'assurer la survie de la population.

· Si cette tendance se poursuit la population va tout droit vers l'extinction et il restera moins de 50 dugongs dans la population d'ici vingt ans. Il est impératif de procéder à un troisième échantillonnage afin de confirmer cette tendance avec une meilleure certitude » (Garrigue, Oremus, Patenaude, Schaffar, 2009 : 6).

Par conséquent, le format du Plan d'action dugong avec un volet « renforcement des connaissances », « sensibilisation » et « gouvernance » correspond aux attentes de ces

34 http://www.zoneco.nc/resultats-thematiques/relation-ressources-environnement-lagonaire/etat-de-la-population-de-dugong-en

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scientifiques. Le budget alloué au volet connaissance a été distribué pour financer des études complémentaires sur la densité de population, leur déplacement, la biologie comportementale et génétique du dugong, mais aussi pour réaliser une enquête relative au niveau de connaissance qu'ont les pêcheurs néo-calédoniens de la population de dugongs ainsi qu'une étude sur la symbolique et usages du dugong des différentes groupes ethniques de Nouvelle-Calédonie35.

Nous observons bien ici le lien entre la « science », entre la « mise en mot et en chiffre » et l'élaboration d'une certaine politique de conservation autour du Plan d'actions dugong. La ligne directrice de l'Agence et de ce projet est d'utiliser les recherches scientifiques afin de renforcer l'action. Seulement, ces directives viennent s'ajouter à diverses mesures déjà existantes, notamment au niveau du cadre législatif mis en place par différents acteurs associés au projet : l'État français, le gouvernement néo-calédonien ou encore les Provinces. Ainsi, la science et la politique ne sont pas les seuls types de savoirs mis à profit pour améliorer la protection du dugong puisque les savoirs et compétences juridiques de certains acteurs dits « institutionnels »36 rentrent aussi en jeu.

II.1.2. Historique des mesures de protection du dugong : des échelles différentes

Nous avons établi un historique des mesures légales mises en place pour protéger le dugong, à l'international puis dans le contexte néo-calédonien, en nous inspirant de celui réalisé dans la monographie sur le dugong (Cléguer, 2010). Cette chronologie a le mérite de montrer comment l'implication de différents acteurs, relevant de compétences juridiques, est répartie sur des échelles allant du global au local. Enfin, nous souhaitons mieux comprendre l'évolution de la prise en compte du dugong en tant qu'espèce menacée dans le monde et en Nouvelle-Calédonie.

Contexte international

Depuis les années 1970, des mesures de protection et conservation du dugong sur le plan international se sont multipliées, se sont étendues et sont devenues plus drastiques. En 1973, la Convention Internationale sur le Commerce des Espèces menacées (CITES) répertorie le dugong dans son Annexe I relatives aux espèces les plus en danger et interdit le « commerce international de leurs spécimens » (CITES, 2009). La convention de Berne, conçue en 1979, vise à favoriser la conservation de la flore et la faune sauvages ainsi que leurs habitats naturels. Si le dugong n'apparaît pas dans l'Annexe I du document, qui d'ailleurs a été ratifié qu'en 1989 par la France, il est présent dans l'Annexe II de la Convention relative aux espèces migratrices appartenant à la faune sauvage. Dans les textes de lois, le dugong est donc affilié aux espèces migratrices. Les politiques le classent parmi les espèces qui ont « un état de conservation défavorable (....) pouvant bénéficier d'une coopération internationale de manière significative» (CMS, 2009).

35 Il s'agit de cette étude en anthropologie, et ce même si elle compte bien plus de sujets de recherche que la simple valeur symbolique accordée au dugong par les différents groupes ethniques.

36 Par « acteurs institutionnels », nous entendons toute personne morale qui appartient à une « structure sociale (ou un système de relations sociales) dotée d'une [...] règle du jeu acceptée socialement. Toute institution se présente comme un ensemble de tâches, règles, conduites entre les personnes et pratiques. Elles sont dotées d'une finalité particulière » (wikipedia).

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Il n'est pas encore reconnu comme une espèce menacée et cette prise de conscience progressive se fera par la signature en 2007 d'un mémorandum d'Entente (MoU) sur la conservation et la gestion des dugongs et de leurs habitats dans l'ensemble de leur aire de répartition. Ce texte marque la volonté de plusieurs pays dont la France de collaborer étroitement pour améliorer l'état de conservation de l'animal. Enfin, depuis 2010, il est inscrit sur la Liste Rouge de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) en tant qu'espèce vulnérable, ce qui contraint les pays dont les bandes côtières sont fréquentées par le dugong à prendre des mesures nécessaires à sa protection.

Contexte régional

Parmi les États concernés par ce document, on compte nombre de pays du Pacifique Sud qui ont fondé des organisations spécialisées dans la définition et la mise en place de programmes de gestion et de conservation comme le Programme Régional Océanien de l'Environnement (PROE). Cet organisme est chargé de « promouvoir la coopération, d'appuyer les efforts de protection et d'amélioration de l'environnement du Pacifique insulaire ainsi que de favoriser le développement durable » (PROE, 2008). Plusieurs plans d'actions quinquennaux ont vu le jour concernant des espèces d'intérêt particulier pour le Pacifique, comme les tortues marines, les cétacés et le dugong.

Grâce à une collaboration entre le PROE et la Convention de la Conservation des Espèces Migratoires Sauvages (UNEP/CMS), le plan d'actions régional dugong 20082012 a organisé l' « Année du Pacifique du Dugong en 2011 ». Elle concrétise les efforts du PROE et de la CMS qui, à la suite de divers ateliers tenus après la signature du mémorandum d'entente (MoU), ont convenu d'un protocole collectif de conservation. L'Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Calédonie, les îles de Palau, le Vanuatu et les îles Salomon ont participé à la mise en place ce projet politique et ont appuyé leurs démarches sur la valeur culturelle de l'animal dans leurs territoires (PROE, Lady of the Sea, Dugongs respect and Protect, 2011).

Contexte national

La France a établi un Arrêté national le 27 juillet 1995 fixant la liste des mammifères marins protégés. Il est interdit « sur tout le territoire national (....) et en tout temps, la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement intentionnels, et la naturalisation des mammifères marins » (Légifrance, 2006). Cet arrêté concerne entre autres toutes les espèces de cétacés et de siréniens. Il est modifié par l'Arrêté du 24 Juillet 2006 puis par l'Arrêté du 1er juillet 2011 (Légifrance, 2015).

Ensuite, suite aux conclusions du Grenelle Environnement, la loi Grenelle de 2009 et 2010 ratifie un cadre législatif concernant la protection des espèces végétales et animales en danger critique d'extinction en France métropolitaine et d'Outre-mer. Elle vise la mise en place de plans de conservation ou de restauration compatibles avec les activités humaines d'ici à 2013. Le Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Environnement français a reconnu 72 espèces ou groupes d'espèces correspondant à ce cadre législatif, dont le dugong. Il a établi un protocole d'actions auquel répond le Plan d'actions Dugong Nouvelle-Calédonie 2010-2015, piloté par l'Agence des aires marines protégées, comportant un volet Connaissance, un volet Gestion et Restauration, un volet Protection et un volet Sensibilisation (Plans Nationaux d'actions en faveur des espèces menacées, Objectifs et Exemples d'actions, Ministère de l'Écologie, du Développement

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durable et de l'Environnement français, 2012). De plus, ce plan s'inscrit dans la démarche de l'Agence qui cherche à dynamiser les collaborations entre les divers acteurs dans la construction d'une politique nationale, provinciale et locale efficace en matière de protection de cette espèce.

Contexte provincial

Si la Nouvelle-Calédonie a montré un réel intérêt pour le domaine environnemental en signant diverses conventions internationales comme la Convention Mondiale sur la Biodiversité en 1992 et la Convention Apia en 1993 (qui a abouti à la fondation du PROE), elle a trouvé les moyens de faire appliquer sa politique qu'à partir de la création des Provinces (entretien avec un agent de la Province Nord). Toutefois, elle a reconnu les pressions exercées par le dugong en ratifiant la délibération n°68 de la Loi du 25 juin 1962, qui stipule que « sont interdites sauf autorisation spéciale et exceptionnelle notamment pour des fêtes traditionnelles et coutumières ». Les personnes qui chassent le dugong pour ces occasions sont dans l'obligation de fournir aux autorités locales des informations sur la date et le lieu de la capture, la taille et le sexe de l'animal. (Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, 2006). Ce texte est toujours en vigueur aujourd'hui, notamment dans la Province des Îles Loyauté qui n'est pas encore dotée d'un code de l'environnement comme les autres Provinces.

Les Codes de l'environnement de la Province Nord et Sud de 2008-2009 ont prévu de rassembler et de compléter le cadre législatif antérieur à leur mise en place. En revanche, ils n'ont pas exactement les mêmes exigences concernant la chasse au dugong. En effet, la Province Sud interdit totalement la chasse et le commerce d'espèces menacées comme le dugong. La violation de cet amendement peut être sanctionnée au maximum par 6 mois d'emprisonnement et 1 073 000 francs CFP d'amende, qui est doublée lorsqu'elle est commise dans une aire marine protégée.

La Province Nord n'est pas plus souple concernant ses sanctions pénales de captures et de mutilation envers l'espèce. Toutefois, le code prévoit dans l'Article 341-56 un système de dérogations exceptionnelles pour la pêche du dugong dans le cadre de consommation pour des cérémonies coutumières. Les coutumiers (le chef de clan) peuvent donc faire une demande d'autorisation de pêche, qu'ils adressent au Sénat Coutumier, qui l'envoie ensuite à la Province. A ce moment là, les deux institutions entament une procédure de discussion autour de la légitimité de la demande et de négociation avec les demandeurs. Depuis 2004, la PN s'est engagée avec les représentants coutumiers dans un travail de négociation et de sensibilisation sur la fragilité de l'espèce auprès des demandeurs et de la population locale. Dans les faits, depuis cette date, elle n'a pas répondu favorablement à une seule demande de dugong.

La mise en place des aires marines protégées a été un des leviers utilisés par les institutions et les organismes de protection de l'environnement pour sauvegarder l'espèce. La chasse au dugong est totalement interdite en Province Nord et Sud dans les aires marines protégées intégrant la sauvegarde de l'espèce dans leurs objectifs premiers, comme les aires marines de la côte ouest ou encore l'« Aire de Gestion Durable des Ressources de Hyabé-Lé Jao » dans la commune de Pouébo. Celles-ci peuvent compter sur le soutien de la population locale de ces zones.

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Enfin, le « Plan d'actions dugong Nouvelle-Calédonie 2010-2015 » est chargé de dynamiser tout ce processus par la valorisation des collaborations entre les divers acteurs liés à la protection de l'animal. Il est élaboré et orchestré par l'Agence des aires marine protégées, et intègre la Province Nord, la Province Sud, la Province des Îles Loyauté, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le Sénat coutumier, l'Etat, le WWF et Opération Cétacés ! dans la construction d'une politique nationale, provinciale et locale efficace en matière de protection de cette espèce.

Toutefois, tous ces organismes ne sont pas actifs dans tous les projets et actions proposés dans la Plan d'actions. En effet, les institutions impliquées dans le programme restent plus ou moins indépendants concernant les choix de financement ou de soutien des actions rentrant dans le plan d'actions. D'après les explications d'un agent provincial, « toutes les actions du plan ne sont pas financées par tout le monde », chacune des structures, en fonction de ses intérêts, de ses priorités, de son budget et de sa disponibilité, s'investit dans tel ou tel projet.

Prenons l'exemple donné par cette personne, celui de la thèse en biologie marine-encadré scientifiquement par l'Université James Cook de à Townsville (Australie), Opération Cétacés ! et l'IRD - qui est intégré au volet « Connaissance » du programme. Elle vise à valoriser les données déjà récoltées par l'Agence des aires marines protégées ou encore l'IRD, mais aussi celles obtenues après un projet-pilote en Nouvelle-Calédonie de balisage des dugongs en 2013. Ce projet a été réalisé par Opération Cétacés ! grâce aux financements de la Province Sud. De fait, les acteurs impliqués dans le projet de thèse sont Opération Cétacés !, l'Agence des aires marines protégées, l'IRD et la Province Sud. Aussi voyons-nous bien qu'autour d'un projet précis, les acteurs institutionnels - qui sont autant de représentants des politiques publiques, des scientifiques de différentes structures ou des partenaires « ressources » d'information - sont interconnectés les uns aux autres suivant des relations complexes de bailleur / exécutant.

Concernant notre étude, nous avons travaillé en collaboration avec certains membres du Groupe Technique Restreint (cf. Annexe I du mémoire), c'est-à-dire l'Agence des aires marines protégées, le WWF, Opération Cétacés !, les Provinces Nord et Sud - et l'IRD. Comment ce projet d'évaluation est-il compris par les divers acteurs impliqués ? Quelles postures adoptent-ils ? En quoi ces intérêts divergents ont-ils influencés l'orientation de cette recherche ? Finalement, quels sont les objectifs réels de ce stage ? Si nous souhaitons établir le portrait et le rôle de chacun de ces « acteurs institutionnels » dans ce projet, nous en profitons aussi pour donner une idée de leurs rapports compliqués qui sous-tendent tout projet de développement.

II.2. Configuration des acteurs « institutionnels » rassemblés autour de cette étude : une gouvernance commune ?

Dans le Plan d'actions dugong 2010-2015, l'accent est mis sur le travail de coordination des acteurs à l'échelle territoriale, ce à quoi travaillent les membres du volet « gouvernance ». L'objectif principal est de « construire une connaissance partagée sur les enjeux locaux de conservation et s'inscrire dans les dynamiques régionales et internationales ». Il est complété dans la seconde phase du projet par une étape cherchant

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à « pérenniser ce programme commun à l'échelle pays après 2015 »37 C'est ainsi qu'une méthodologie de la concertation a été mis en place par l'Agence des aires marines protégées. Parmi les acteurs concernés, ceux que nous présentons en suivant se sont mobilisés autour de notre étude.

II.2.1. Le coordinateur-gestionnaire : l'Agence des aires marines protégées (AAMP)

L'Agence des aires marines protégées est un établissement français public à caractère administratif, dédié à la protection de parcs naturels marins et basé à Brest. Cette agence a été créée suite à la loi de n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs marins et dépend du ministère français de l'Écologie, du Développement Durable et de l'Énergie. Elle assume donc les fonctions de gestionnaire de la protection de l'espace maritime. Une antenne dépendante du siège s'est implantée en juillet 2009 à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) grâce à la mutation de Lionel Gardes, chef de l'antenne et salarié permanent. À ce jour, la structure compte quatre personnes recrutées en Métropole, qu'elle emploie en contrat de type volontariat. Sur le site internet de l'Agence, il est spécifié qu'elle est financée par l'État français pour :

- valoriser « l'appui aux politiques publiques de création et de gestion d'aires marines protégées sur l'ensemble du domaine maritime français » ;

- assurer « l'animation du réseau des aires marines protégées » ;

- soutenir techniquement et financièrement les parcs naturels marins ;

- renforcer le « potentiel français dans les négociations internationales sur la mer ».

L'organisation du Plan d'actions dugong rentre parfaitement dans ce format et remplit ces objectifs en suscitant la concertation entre différents acteurs du territoire, et ce depuis le début du programme. L'AAMP a organisé la première réunion de « cadrage » le 3 novembre 2009, cinq mois après son installation sur Nouméa, où elle exposait le projet aux institutions invitées (les Province Nord, Sud et des îles Loyauté ; le WWF ; le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie ; Opération Cétacés !; le Sénat Coutumier). Dans le compte-rendu de la réunion, il est spécifié que la politique d'appui de l'Agence en faveur des collectivités de Nouvelle-Calédonie met un point d'honneur à construire un projet avec l'aide de plusieurs acteurs présents sur tout l'archipel. Il est donc fort probable que cet organisme ait d'abord élaboré ce projet38 avant de s'implanter dans la zone au moment du lancement du programme. Enfin, après cette réunion, les acteurs précédemment cités ont accepté que l'AAMP finance en grande partie le projet39et le pilote avec l'aide d'un comité de pilotage basé sur la participation des partenaires.

Concernant cette étude, les agents de l'AAMP ont participé au soutien logistique et technique : l'Agence a assuré le financement et ses agents ont laissé la documentation à disposition et se sont employés à fournir les moyens de locomotion pour accéder aux

37 http://www.aires-marines.fr/Proteger/Protection-des-habitats-et-des-especes/Protection-du-Dugong

38 Qui suit le modèle des Plans d'Actions Nationaux du ministère en charge de l'environnement en Métropole.

39 Le WWF-Nouvelle-Calédonie soutient également financièrement le programme.

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terrains. De plus, ils ont occupé une position « centrale » puisque la plupart des réunions avec les autres acteurs institutionnels se déroulaient dans leurs locaux et ainsi, ils contrôlaient le bon déroulement et l'effectivité du stage. Leurs attentes concrètes sur les données et l'analyse des données étaient portées sur leur objectif de soutien à la sensibilisation autour des enjeux de la protection du dugong à la population locale et sur leurs ambitions d'animation et de concertation des acteurs, notamment par le biais de comptes-rendus post-terrain avec l'IRD et le WWF, des restitutions publiques avec les partenaires du projet etc.

II.2.2. Les ONG de conservation animale : le WWF-Nouvelle-Calédonie et Opération Cétacés !

Opération Cétacés ! est une association de Nouvelle-Calédonie - certains disent une ONG - créée en 1966 par Claire Garrigue qui est la « responsable scientifique d'Opération Cétacés. A l'origine de la création d'Opération Cétacés, [elle a] développé différents projets de recherches sur les mammifères marins de Nouvelle Calédonie »40. Si son sujet principal reste les baleines à bosse qui hivernent dans les lagons néo-calédoniens, elle s'intéresse aussi aux espèces de dauphin les plus courants autour de la Grande-Terre et aux dugongs.

Elle s'est ensuite entourée d'autres scientifiques pour développer son projet. Leurs actions sont essentiellement tournées vers des activités de recherche scientifique et d'appui aux politiques de conservation par la recherche. L'organisme a pour mission de promouvoir le partage tout public des connaissances des mammifères marins de Nouvelle-Calédonie à travers des conférences, des ateliers pédagogiques, des expositions, des documentaires, des publications d'ouvrage d'identification des espèces...41

Concernant le dugong, il n'a été seulement un appui aux politiques publiques mais le « sonneur d'alerte » cherchant à rallier les acteurs environnementaux à la cause de cet animal. Certains membres, comme Claire Garrigue, ont démarché des financements pour réaliser des comptages de population afin de vérifier les menaces pesant sur l'espèce, en s'étonnant du peu de données disponibles. Ensuite, l'association a construit des partenariats privilégiés avec les Provinces ou encore avec l'AAMP pour réaliser les études et les suivis des populations sur le territoire et est devenue une référence en matière de connaissances scientifiques sur ce mammifère marin.

Cette étude en sciences sociales a été proposée par un membre de l'association dans un document rassemblant les données disponibles à l'époque sur cet animal : la monographie réalisée par Christophe Cléguer, l'actuel thésard en biologie marine financé par le Plan d'actions dugong. Ce dernier, avec Claire Garrigue, étaient intéressés par toute information susceptible de renseigner, discuter ou différer de leurs connaissances actuelles. En ce sens, la découverte de la classification vernaculaire locale dans la région de Pouébo a particulièrement retenu leur attention (cf. p.54).

Le WWF est une ONG environnementale internationale qui intervient depuis 2001 en Nouvelle-Calédonie (WWF, 2011). À l'échelle internationale, sa philosophie

40 http://www.operationcetaces.nc/index.php?page=claire-garrigue

41 http://www.operationcetaces.nc/

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d'intervention est orientée selon trois axes : sauver la biodiversité, promouvoir une exploitation raisonnée et durable des ressources naturelles, diminuer les déchets et pollutions. Sa stratégie d'intervention actuelle date des années 1990, où le WWF s'est lancé dans la délimitation d'écorégions à l'échelle planétaire et a cherché à sensibiliser les hommes sur les impacts qu'ils ont sur leur environnement et leur responsabilité face aux générations futures. Pour se faire, elle n'hésite pas à mener des campagnes de communication à très grande échelle. Ensuite, comme la plupart des ONG, elle se définit comme étant apolitique, c'est à dire qu'elle souhaite rester neutre et autonome vis-à-vis de la sphère politique. « Ainsi le WWF se définit comme une organisation émanant de la société civile et se dégageant de la sphère étatique » (BLET, 2014 : 44).

L'antenne du WWF en Nouvelle-Calédonie, qui dépend du WWF-France, a été fondée en 2001, dans le but de lancer un programme de conservation des forêts sèches, suite à un appel d'urgence lancé par des botanistes. En Nouvelle-Calédonie, les objectifs spécifiques développés par l'ONG sont relatifs à la protection des quatre écorégions présentes sur le territoire : la forêt sèche, la forêt humide, l'eau douce et les récifs coralliens mais aussi liés à la prévention contre les menaces qui pèsent sur la biodiversité calédonienne.

La personne du WWF impliquée dans le Plan d'action dugong avec laquelle nous avions le plus de contact était le chargé de programme « Milieux Marin et Eau Douce ». Il a repris il y a trois ans le travail réalisé dans la zone de Pouébo par son prédécesseur qui a coordonné le projet d'aire marine protégée de Hyabé-Lé-Jao avec la population. Sur cette commune, il intervient surtout comme « appui opérationnel » à l'association de la gestion de l'aire marine, c'est-à-dire, pour reprendre ses propos :

« Il y a des plans de gestion où dedans, tu avais tout un tas d'actions réparties par thématique : le dugong, les tortues, les bénitiers, la pêche etc... Tous les ans, de ces plans de gestions, on tire des plans d'action, et nous ce qu'on appelle « soutien opérationnel », c'est par exemple sur les bénitiers. On est investi avec [eux] depuis le début, on va continuer à [les] soutenir, on va [les] aider techniquement, scientifiquement, financièrement... »

Seulement, ce statut d'« appui opérationnel » n'est pas du goût de tout le monde en Province Nord puisque certains accusent le WWF de se substituer au rôle des politiques publiques. Pourtant, le projet de l'aire de Hyabe-Lé-Jao est l'oeuvre du travail d'animation de projet et d'écoute des propositions et des besoins des habitants réalisé par les agents du WWF présents sur le terrain depuis plus de dix ans.

Concernant notre étude, les attentes du WWF sont multiples. Il nous semble que l'association voyait en ce stage le moyen de continuer son activité de sondage des discours et des opinions de la population et offrait également l'occasion d'officialiser l'existence de certains savoirs locaux liés au dugong dans cette zone. Ensuite, l'ONG attendait peut-être quelques retours sur son activité et quelques éléments de réponse pour expliquer pourquoi, entre janvier et juin 2014, deux dugongs ont été pêchés dans la région. Selon le chargé de programme « Milieux Marin et Eau Douce » en parlant des habitants de la commune :

« Je pense qu'ils sont impliqués parce que c'est une revendication forte au début du projet. Je pense qu'effectivement qu'ils sont impliqués dans la

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protection du dugong. Il y a des périodes plus difficiles que d'autres parce qu'il y a pleins de facteurs qu'on ne maîtrise pas qui se rajoutent dessus mais les valeurs elles sont là et ça ne se perd pas du jour au lendemain ».

II.2.3. Les politiques publiques impliquées : la DENV en Province Sud et la DDEE en Province Nord

La DENV applique les missions provinciales en matière de gestion, exploitation et préservation des ressources naturelles. Les postes des quatre-vingt dix agents affectés employés sont pour plus de la moitié attribués à des missions de surveillance et de terrain (Gardes-Nature) et à l'instruction des dossiers d'installations d'infrastructures classées ICPE42, des demandes de forages et de captage, des études d'impact et des demandes de permis de chasse pour les autres affectations. L'institution gère aussi les parcs naturels de la Province, la création de sentiers de randonnée, la réhabilitation des sites miniers, le développement durable, la gestion des déchets, la qualité de l'air et l'inscription au patrimoine mondial de sites remarquables etc.43

Comme nous l'avons déjà mentionné, suite à la réorganisation de la Province fin 2013, le récent service de l' « Évaluation environnementale » de la DENV s'occupe également de la gestion des espaces marins. Un expert en faune marine est chargé de suivre la mise en place de la conservation des espèces marines, dont la tortue, la baleine et le dugong. Cette personne est membre du Groupe Restreint de Travail du plan d'actions et prend part aux décisions concernant les actions à mener, notamment concernant notre étude.

Cet individu nous a confié en entretien qu'il a insisté auprès du GTR pour que cette étude ne s'effectue pas uniquement en milieu kanak mais qu'elle se déroule dans la Zone Côtière Ouest, où les rumeurs de pêches et de trafics de la viande de dugong sont nombreuses. La Province Sud est parfaitement au courant de ces bruits qui courent et sait que les spécimens dans cette région sont, d'après les habitants et les scientifiques qui ont effectué des balisages, particulièrement craintifs à l'approche de l'homme. Selon l'agent, ce comportement est lié à la prédation et laisse supposer une menace anthropique importante envers ces animaux.

Les attentes provinciales concernant cette étude étaient donc de mettre en lumière les savoirs et les perceptions relatifs au dugong ainsi que les modes de gestion locale de la mer de plusieurs communautés présentes sur la zone. De même, la PS semblait intéressée plus spécifiquement par le phénomène du braconnage puisqu'elle souhaite l'éradiquer dans la zone, et a formulé le besoin de comprendre les raisons qui poussent les braconniers à agir de la sorte.

À l'inverse des directives politiques de la Province Sud, la Province Nord souhaite être une institution à vocation davantage participative, c'est-à-dire qu'elle essaie

42 Une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), en France, est une installation exploitée ou détenue par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peut présenter des dangers ou des inconvénients pour la commodité des riverains, la santé, la sécurité, la salubrité publique, l'agriculture, la protection de la nature et de l'environnement, la conservation des sites et des monuments (wikipedia).

43 http://www.biodiversite.nc/

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d'intégrer, ou au moins de consulter, les habitants provinciaux pour la mise en oeuvre des mesures de protection environnementale. Elle possède un pôle « Environnement et Ressources Naturelles » au sein de la Direction du Développement Économique et de l'Environnement (DDEE) et dans lequel s'insère la sous-direction des milieux et ressources aquatiques. Cette dernière a pour mission de coordonner l'action publique pour gérer les ressources marines, les aires protégées et de valoriser le patrimoine naturel marin. Le « Service des milieux et ressources aquatiques » est plus spécialement habilité à gérer toutes les ressources marines et dulçaquicoles (qui vit en eau douce), les aires marines protégées, et la valorisation du patrimoine naturel marin et dulçaquicole du territoire. Deux agents chargés de projets relevant de ce département sont intégrés dans le GTR du Plan d'actions et nous ont aidée à accéder au terrain, notamment dans la commune de Poya.

La PN a formulé la demande auprès du GTR de réaliser l'étude sur la zone de Pouébo afin de soutenir l'aire marine protégée de Hyabé-Lé-Jao. Ainsi, les attentes concernant cette étude de la PN ne sont pas tellement différentes de celles identifiées précédemment pour le WWF puisqu'elle souhaite certainement continuer à nouer le dialogue avec les populations côtières, sonder leur opinion et leurs discours, avoir un retour sur leur activité dans la zone concernant les mesures législatives mises en place et faire valoir les savoirs locaux liés au dugong. Enfin, elles ne sont pas éloignées non plus de celles identifiées pour la Province Sud dans la commune de Bourail : les habitants de Poya-Nord ont la réputation d'être quelque peu réactionnaires concernant le respect de la législation.

II.2.4. L'encadrant scientifique : l'Institut de Recherche dans le Développement (IRD).

L'IRD est un établissement de recherche public français à caractère scientifique et technologique (EPST). Il est placé sous la double tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et du ministère des affaires étrangères et européennes. Il est né d'une réforme de l'ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et Technique d'Outre-mer) datant de 1998 (TOUSSAINT, 2010 : 22). La structure abrite plusieurs unités de recherche, chacune généralement spécialisée dans une thématique et discipline particulière. L'unité de recherche COREUS 22744 est impliqué dans le plan d'actions et prête parfois son matériel pour effectuer des analyses génétiques concernant le dugong (pour Marc Orémus, expert biologiste marin membre d'Opération Cétacés !).

De même, une autre unité est impliquée dans le Plan d'actions : l'UMR Espace-Dev 228. Elle est accueillie à l'IRD et est constituée de chercheurs en géographie, en anthropologie et en anthropologie juridique mais aussi de spécialistes en observation spatiale de l'environnement, en informatique et en mathématique. Ils sont affiliés à l'équipe interdisciplinaire AIMS, « Approche Intégrée aux Milieux et aux Sociétés », de cette unité de recherche. Autrement dit, cette dernière n'est pas fondée spécifiquement sur les compétences anthropologiques mais valorise le dialogue entre les disciplines scientifiques.

44 Elle s'appelle aujourd'hui Entropie.

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Il y a un peu moins de deux ans, Catherine Sabinot, anthropologue de l'environnement et ethno-écologue appartenant à l'équipe AIMS de l'UMR45, a accepté d'être affectée à Nouméa en tant que représentante de la direction de cette unité sur place. Elle s`est rapidement investie dans plusieurs programmes de recherches et des projets de développement liés à l'environnement, dont le Plan d'actions dugong. Le GTR lui a proposé d'assurer l'encadrement d'un stage et a alloué un budget pour ce projet de recherche-action.

Ayant effectué son DEA et sa thèse réciproquement sur les attentes global/local autour des tortues marines au Sénégal, puis sur les dynamiques des savoirs autour de pratiques littorales au Gabon (Sabinot, 2003 ; 2008), elle paraissait la mieux à même d'assurer l'encadrement scientifique du stage. Cette étude, tout comme celles d'autres étudiants, s'inscrit parfaitement dans ses centres d'intérêts et lui permet de découvrir ces thématiques dans le contexte néo-calédonien. Elle a rejoint l'équipe du Plan d'actions en ayant le statut de chercheur en anthropologie, ce qui signifie qu'elle tente de conserver le plus possible une attitude et un regard détaché face aux actions proposées par le programme. Par son statut, elle possède donc un positionnement différent des autres membres du Plan d'actions.

Au sein du plan d'actions et concernant cette étude, toutes ces institutions adoptent des attitudes et des positions diverses. L'objectif de créer une politique commune entre tous ces acteurs s'avèrent être une tâche complexe mais les points de vue de chacun semblent être pris en compte dans la validation d'une action. En d'autres termes, cette tentative de fédération d'acteurs autour de l'objectif de protéger efficacement le dugong possède sa méthodologie propre de prises de décisions : la concertation. Enfin, nous nous sommes interrogée sur les actions mises en place par l'Agence et ces partenaires pour améliorer leur efficacité. Pourquoi les acteurs institutionnels ont-ils financé une étude en sciences sociales pour évaluer la place du dugong dans la société néo-calédonienne ?

II.3. Stratégies et actions du Plan d'actions dugong

II.3.1. Actions axées sur la sensibilisation et les aires marines protégées

La mise en place des aires marines protégées par les organes de la conservation en Nouvelle-Calédonie, ainsi que la surveillance de ces zones par un personnel qualifié, sont des mesures déployées pour préserver les écosystèmes et leurs faunes. Aussi, en protégeant les herbiers dont se nourrissent les dugongs, ces acteurs assurent-ils en partie la survie de ces animaux. Le choix de tels outils de conservation est en partie lié aux difficultés de localiser les individus qui se déplacent sur l'ensemble des zones côtières. Certains membres du Plan d'actions dugong comme les Provinces sont garantes de ce dispositif de conservation.

Seulement, il ne semble pas suffisamment efficace puisque les pronostics continuent d'attester la diminution de la population de dugongs sur le territoire. Pour

45 http://www.espace.ird.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=71:approche-integree-des-milieux-et-des-societes-&catid=40&Itemid=102

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certains environnementalistes, le seul moyen de stopper les pressions anthropiques, et surtout le braconnage, est de condamner fortement un fraudeur surpris en flagrant délit de pêche par les gardes-nature.46 Un agent de la Province Sud déclare même en souriant : « Le jour où cela arrive, le mec, on le pend sur la place publique ! » (Nouméa, 2014). Face à l'impuissance des mesures de conservation juridique, une campagne de sensibilisation de la population paraît être nécessaire, comme l'indique un environnementaliste du GTR :

« Le gros problème du dugong c'est quand tu veux arrêter cette diminution comment tu veux arrêter le braconnage ? Tu ne peux pas mettre un mec derrière chaque dugong ! C'est la sensibilisation maintenant parce que les gens ils en parlent beaucoup plus qu'avant du dugong, et tant mieux ! » (Nouméa, 2014).

Le volet « Sensibilisation / Éducation / Communication » est au coeur de ce programme qui tente de « faire connaître au plus grand nombre l'écologie du dugong, les menaces qui pèsent sur lui et la nécessité de le préserver ». 47 Sur le long terme, cette campagne a pour vocation de modifier les comportements des Néo-Calédoniens vis-à-vis de cet animal. Pour cela, le chargé de l'animation du plan d'actions et ses collaborateurs ont développé des outils et des supports afin de sensibiliser différents publics. Nous soutenons donc que l'inventaire des oeuvres plastiques et littéraires relatives au dugong ainsi que l'étude réalisée pendant le stage leur permettent de mobiliser de nouvelles ressources pour accomplir ce travail et pour mieux adapter leur message à la population.

En outre, dans les supports de communication du Plan d'actions (flyers, affiches, site internet etc.), le dugong est très souvent assimilé à une « espèce emblématique » du lagon néo-calédonien.48 Il s'agit d'un argument récurrent pour invoquer la nécessité de sa protection. Nous nous attardons maintenant sur la polysémie du terme « emblématique » car, dans les discours, on retrouve régulièrement ce mot pour qualifier ce mammifère marin. Les acteurs institutionnels l'emploient souvent sans insister sur sa signification, comme si cet adjectif associé au nom « dugong » allait de soit...

II.3.2. Stratégies axées sur la « patrimonialisation » du dugong : du caractère « emblématique » de cette espèce

Si ce mot possède plusieurs acceptions s'apparentant à plusieurs domaines de compétences, notre objectif dans cette partie est avant tout de faire dialoguer nos lectures anthropologiques sur la notion d' « espèce emblématique » avec nos observations de terrain. Nous introduisons ainsi quelques pistes de réflexion sur l'utilisation éventuelle de cette étude et sur les enjeux de la patrimonialisation du dugong souhaitée par les acteurs institutionnels impliqués dans le plan d'actions.

Définition : un terme propre à la conservation environnementale

« Espèce emblématique .
· nf. Espèce sauvage ayant une importance culturelle, religieuse, parfois économique, pour l'Homme dans une région donnée. Exemple .
· la louve pour les romains, le sanglier pour les gaulois...
» (Inventaire National du

46 Les Provinces n'ont pas le droit de réaliser des perquisitions au domicile des personnes pour vérifier que leur réfrigérateur ne contient pas de viande de dugong. 47 http://www.aires-marines.fr/Proteger/Protection-des-habitats-et-des-especes/Protection-du-Dugong 48 Ibidem

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Patrimoine Naturel, INPN). Cette définition est succincte et ne permet pas d'appréhender tout ce que cette notion implique en termes de relation à l'animal et de la place qu'il tient dans un projet de conservation.

Tout d'abord, cette expression consacrée provient du monde de la conservation qui désigne un statut juridique, de conservation attribué à certaines espèces « représentatives ». Leur protection sert de témoin aux mesures de protection d'un environnement, d'un écosystème. En effet, comme il est impossible de tenir compte de l'ensemble des espèces vivantes et de les protéger chacune séparément, les politiques de conservation ont choisi de se concentrer sur quelques espèces menacées de disparition. Celles-ci sont perçues comme importantes dans une zone donnée selon plusieurs critères établis, mais aussi suivant le degré de médiatisation, les représentations populaires de l'animal ou encore les choix politiques (Le Perchec, Judas, Dossier de l'INRA n°29 : 11). Lorsque le but visé est la conservation d'un habitat, le recourt à des espèces emblématiques est un moyen efficace pour mesurer l'amélioration de l'habitat et pour préserver l'ensemble des espèces issues de cet habitat. Et inversement, lorsqu'on cherche à protéger un animal en particulier, on protège son habitat et les autres espèces y résidant. Il s'agit du principe de l' « espèce-parapluie », dont la protection profite aux autres animaux de l'habitat (Ibidem).

D'après l'auteur du texte, ce principe s'applique à la majeure partie des espèces protégées, à l'exception des espèces migratrices qui, par leur mobilité, sont plus difficiles à protéger. Ainsi, les stratégies de protection du dugong de Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas une espèce migratrice, rentrent dans cette catégorie d' « espèce-parapluie ». En effet, les efforts des acteurs de la conservation se sont centrés sur la création d'aires marines protégées afin de protéger des zones à herbiers marins, le « garde-manger » des dugongs mais aussi de nombreuses autres espèces, comme la tortue verte par exemple.

Objectif communication : l'importance de l'image et de la charge émotionnelle dans la conservation du dugong

Ensuite, dans le sens commun, le mot « emblème » est assez ambigu car il incarne à la fois le contenu et le contenant, le fond et la forme, c'est-à-dire qu'il est à la fois la « représentation d'une figure à valeur symbolique particulière » (Littré) et synonyme de symbole. Si nous reprenons l'exemple de la louve pour les Romains, l'animal incarne le peuple romain qui peut être désigné par l'évocation de cette espèce, et en même temps le représente à la manière d'un logo ou d'un écusson selon les époques. Aussi faut-il comprendre l'expression « espèce emblématique » selon ce double sens : l'animal possède une charge symbolique forte, renvoyant aux cultures ou perceptions sociales données, mais il est invoqué pour signifier autre chose ou comme outil de communication par exemple.

A ce propos, dans leur ouvrage L'Animal sauvage : entre nuisance et patrimoine de 2009, Frioux et Pépy évoquent une utilisation stratégique de l'image de l'animal, celle de l'ours blanc, employée à travers les médias comme « emblème » de la dégradation de l'environnement. Les acteurs de la protection de l'environnement ont communiqué avec un autre langage en mobilisant l'image de certaines espèces animales, au fort potentiel symbolique et esthétique, pour provoquer l'émotion du grand public et véhiculer un message : celui de l'importance de la cause qu'ils défendent. Ce n'est donc pas un hasard si les acteurs du Plan d'actions ont formulé le besoin de posséder un inventaire

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répertoriant toutes les oeuvres d'art, les productions sonores ou filmiques, les objets d'artisanat ou encore la littérature orale comme écrite évoquant le dugong originaires de Nouvelle-Calédonie. Ce support est un appui incontestable à la mobilisation d'images et de symboles pouvant servir à « rendre visible » sur la place publique cet animal.

En outre, un agent de la Province Sud a beaucoup insisté sur sa volonté de modifier l'image populaire du dugong, souvent encore assimilé à une ressource alimentaire de prestige, pour qu'elle s'apparente à celle du dauphin. Selon lui, le dauphin est une espèce qui possède une forte charge émotionnelle, grâce notamment à des films largement diffusés comme Flipper-le dauphin. Ce faisant, toujours selon son discours, il est « impensable » de pêcher un dauphin parce que c'est un animal qui est « trop joli pour être mangé » et qui attire la sympathie populaire. Son objectif est donc de rendre le dugong aussi « intouchable » que le dauphin.

Cependant, modifier les représentations locales sur les espèces à partir de la diffusion d'une certaine image s'avère une entreprise compliqué en Nouvelle-Calédonie. En effet, si l'on considère l'exemple de la tortue marine, qui pourtant jouit d'une image internationale positive à travers les nombreux cartoons et films sur le sujet qui sont diffusés dans les canaux télévisés, ce n'est pas pour autant qu'elle est « intouchable » pour tous. Quoiqu'il en soit, il est possible que la tortue soit davantage visible que le dugong, ce qui facilite considérablement le travail de sensibilisation du grand public. Comme l'indique un membre d'une association locale de défense environnementale sur la zone, contrairement à la protection de la tortue marine :

« La protection du dugong est moins facile que la protection de la tortue. La tortue, on en voit beaucoup plus, elle est plus visible du grand public et donc c'est plus facile de sensibiliser dessus. Le dugong au contraire est un animal discret et craintif, qui n'est pas facilement détectable dans l'eau. Le public le connaît moins du coup voire pas du tout » (Bourail, homme de quarante ans).

En voulant « redorer » l'image du dugong, il nous semble que les acteurs environnementaux souhaitent modifier les comportements de la population locale, ce qui illustre leur prétention à agir dans la sphère du politique. Cette étude participe alors, à partir de l'inventaire sur les oeuvres néo-calédoniennes sur le dugong mais aussi de l'étude des représentations locales de l'animal, à cette bataille de l'image dans laquelle les politiques publiques ainsi que le Plan d'actions dugong se sont impliqués.

Un animal « emblématique » pour « tous les calédoniens » :

construction sociopolitique d'un « emblème national »

Les sciences sociales ont souvent expliqué le terme « emblématique » sous l'angle de la politique par l'étude du processus de construction sociopolitique de l'espèce dite « emblématique » (Collomb, 2009 ; Hénon, David, Plante : 2003 ; Doyon & Sabinot : 2013). L'exemple du processus de patrimonialisation du coelacanthe aux Comores est particulièrement intéressant pour répondre à cette question. Dans l'article sur les Comores de Gilbert David, Christine Hénon et Raphael Plante de 2003, le terme « emblématique » ne relève pas uniquement d'un statut légal : l'animal renvoie également à la notion de « territoire » puisqu'il sert de justification à l'identité nationale en construction. Ce gouvernement, devenu indépendant, a dû trouver des images et des références populaires pour fédérer un peuple et créer ainsi une « Nation ». Il ne faut pas perdre de vue que,

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lorsque nous parlons de « Nation », nous parlons de cette « communauté imaginée à l'intérieur d'un espace, et donc d'un territoire, délimité par des frontières marquées » (Anderson, 1983).

Le coelacanthe, un poisson qui a toujours fasciné les biologistes depuis sa découverte, fait l'objet d'une récupération culturelle tardive, qui est à la fois une cause et une conséquence politique. Jusque là, les comoriens n'accordaient absolument aucune valeur à cet animal parce qu'il ne possédait aucune valeur gustative, ou autre. A l'inverse, il s'agit d'un animal mythique pour certains scientifiques occidentaux, qui voyaient en lui un animal préhistorique dont l'étude pouvait faire avancer la recherche. A l'indépendance du pays, il est devenu symbole national, porteur de l'identité comorienne, alors qu'il n'avait pas de signification particulière pour les populations locales. Pour des raisons de prestige international et de développement économique (éco-tourisme, prospections scientifiques etc.), le gouvernement a décidé d'en faire un « emblème national », sans d'ailleurs qu'il ne se heurte à de fortes résistances de la part de la population.

Cette hypothèse d'une utilisation du dugong comme « emblème national » n'est pas à écarter si l'on considère que le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et l'État français comptent parmi les partenaires de ce projet de recherche sur la place du dugong dans la société-néo-calédonienne et qu'ils cherchent à promouvoir la notion de « destin commun » et la construction d'une identité néo-calédonienne afin de préparer la sortie éventuelle de l'archipel du protectorat français en 2018. Elle est d'autant plus active que certains acteurs provinciaux n'hésitent pas à affirmer en entretien qu'ils sont convaincus que le dugong est un animal « emblématique » pour « TOUS les Calédoniens ».49 Cette idée est aussi partagée par une partie de la population si l'on considère cette déclaration : « Si tu n'as pas mangé au moins une fois de la tortue ou de la vache-marine dans ta vie, c'est que tu n'es pas calédonien ! ».

De même, la construction d'une identité nationale passe par la sollicitation d'emblèmes nationaux, où tout le monde se reconnaît, mais aussi par la mise en commun des savoirs de toutes les communautés. En tout cas, il s'agit du parti-pris d'Emmanuel Tjibaou, le directeur de l'ADCK, qui s'interroge sur ce qu'est l'identité kanak aujourd'hui et sur comment les générations actuelles peuvent se réapproprier un héritage culturel perçu comme morcelé. D'après lui, sa fonction lui permet d'être acteur de la réalisation du « destin commun » :

« Comment on fait aujourd'hui pour se réapproprier ce que les Vieux ne nous ont dit qu'en partie ? C'est le cheminement des kanak aujourd'hui et de l'ADCK. C'est un travail difficile parce que l'on doit se réapproprier des choses qu'on doit transmettre aussi aux autres communautés, puisque nous sommes dans l'idée d'un « destin commun » [...]

Le destin commun, c'est la politique quoi ! Qu'est-ce qu'on met à la disposition des autres et qu'est-ce que les autres nous donnent ? Mais pour pouvoir partager avec les autres, il faut se connaître soi-même. C'est nous même qui déterminons ce qui est bon de conserver ou pas, c'est à la société d'abord de dire ».

49 Le terme « Calédonien » est à comprendre ici comme synonyme de Néo-Calédonien.

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Par conséquent, si nous suivons son raisonnement, toute entreprise de recherche s'axant sur les thématiques des savoirs et de l'identité participe de cette construction d'une société du « destin commun », de cet idéal politique à atteindre dans les années à venir.

Ensuite, Gérard Collomb reprend le thème de la « récupération politique » (Collomb, 2009 : 15) d'un animal emblématique en prenant l'exemple de la protection des tortues marines en Guyane française. A l'inverse des Comores, les relations sont plutôt conflictuelles entre les conservationnistes et les indigènes parce que, selon l'auteur, les premiers déconsidèrent les pratiques culinaires traditionnelles des seconds. Il explique que cette opposition, qui s'est cristallisée autour de la récolte des oeufs de ponte sur la plage, est représentative d'un « conflit d'usage » de la ressource mais révèle un problème plus profond : celui de l'opposition des modes de pensée « traditionnelle » et occidentale.

A travers les différents outils techniques de protection environnementale, comme la Réserve naturelle de l'Amana de Guyane, des mesures juridiques ont été prises pour soutenir une certaine « construction sociale et politique qui tend à faire des tortues marines un patrimoine naturel et un bien commun destiné à être transmis » (Collomb, 2009 : 14). Les acteurs de la conservation participent donc et influencent la construction sociale d'un espace donné en tentant de faire reconnaitre la valeur symbolique de l'espèce. Autrement dit, cette volonté politique de construire, par l'invocation d'un animal, un objet de transfert de savoirs au sein de la population perturbe les pratiques locales actuelles pour en créer de nouvelles plus uniformisées, et donc partagées.

L'auteur de l'article met en avant deux thèmes que nous retrouvons dans notre développement :

- l'opposition entre pensée « traditionnelle » et « savoirs locaux » / pensée « moderne » et « savoir scientifique » ;

- l'évolution, la transmission et le syncrétisme entre les savoirs.

Il met également en lumière que ces mouvements dépendent d'actes politiques décidés par les acteurs de la conservation ou les politiques publiques. Par conséquent, en commanditant une étude en sciences sociales sur les pratiques et représentations du dugong dans la société néo-calédonienne, nous pouvons constater que les décideurs politiques de la protection de cette espèce en Nouvelle-Calédonie essaient d'enclencher ce processus de ce que nous avons défini comme la « patrimonialisation ». Dans cette démarche, les « savoirs locaux » sont un enjeu considérable pour les acteurs institutionnels qui peuvent les utiliser à des fins politiques. Nous explorerons ponctuellement ces pistes de recherche à travers l'analyse des dynamiques des savoirs et des pratiques relatifs au dugong.

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III. Typologie comparée des « savoirs » relatifs au dugong : entre science et tradition

Dans cette partie, nous entendons introduire certains savoirs détenus par la dite « population locale » et de comprendre comment ils s'accordent ou non aux perceptions et aux intérêts des acteurs relevant du « savoir scientifique ». Par là, nous souhaitons bien prouver que, contrairement aux idées reçues, « savoir local » et « savoir scientifique » ne s'opposent pas nécessairement et même, qu'au sein de la catégorie des « savoirs locaux », il existe une certaine diversité et de grandes disparités dans la transmission des savoirs en fonction des lieux d'enquête. Autrement dit, la « société néo-calédonienne », ce « local » si spécifique à cette étude, est une création des acteurs du Plan d'action dugong qui ne semble pas aussi homogène que le suggère l'utilisation du singulier. Cette catégorie rassemble une large gamme d'acteurs ayant différents profils, statuts, âges, métiers et occupations, lieux de vie, positions sociales, appartenances ethniques etc. Tous ces facteurs sont à prendre en compte dans la compréhension des « savoirs » relatifs au dugong et dans leurs modalités de transmission.

III.1. « Si je vous dis « dugong », qu'avez-vous envie de me dire ? »

En réaction au mot « dugong », certaines personnes ont expliqué qu'ils ne savaient rien a priori sur l'animal parce qu'il appartient à la tradition kanak. En tant que « non-kanak », ils ne se perçoivent pas comme légitimes ou habilités à s'exprimer sur cette espèce. Cependant, quand on insiste un peu, ils soulignent le fait que le terme « dugong » est d'origine « scientifique » et qu'ils ne l'emploient pas au quotidien. La plupart des personnes interrogées en Brousse préfèrent l'expression « vache-marine ».

D'après un entretien réalisé auprès d'une jeune stagiaire de l'IRD, « vache marine » est également employé pour qualifier les quelques dugongs aperçus dans la mer Rouge, notamment par les touristes-plongeurs venus explorer les fonds à la recherche du mammifère qui demeure près des herbiers de la plage de Marsa Alam (Égypte). Nous avons réalisé une recherche internet pour vérifier ses propos et, effectivement, le terme « vache marine » est internationalement connu. Cela signifie donc que cette désignation n'est pas propre aux habitants de l'île. Quoiqu'il en soit, les Néo-calédoniens rencontrés en Brousse lui attribuent ce nom (commun à tout le territoire), et ce depuis de nombreuses années. L'extrait d'entretien suivant résume bien pourquoi les Néo-Calédoniens l'appellent comme tel :

« Nous, le nom scientifique on le connaît mais on ne veut pas l'appeler comme cela. Elle a un nom, c'est la « vache marine » ! Ca a été le nom calédonien qui a été donné comme cela. [...] Que tu prends n'importe qui, Kanak ou Blancs, qui que ce soit, c'est un nom que nous lui avons donné quoi. [...] Le nom de la vache marine aujourd'hui elle part. Dans quelques années... En fin de compte quand celui qui disait la « vache marine », c'était dans un sens « beh j'en ai pêché une quoi », c'était dans le sens nourriture quoi. » (Bourail, un pêcheur professionnel, Calédonien d'origine européenne de quarante-cinq ans).

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A travers ce discours, nous comprenons pourquoi l'un des chevaux de bataille de l'Agence des aires marines protégées concernant la conservation du dugong porte sur la terminologie utilisée pour désigner le mammifère. Le chef de l'antenne à Nouméa nous a expliqué que si les personnes continuent à dire « vache-marine », cela signifie qu'ils persistent à considérer l'animal comme une ressource alimentaire potentielle, à cause de la comparaison avec la « vache ». Ainsi, l'un des objectifs du travail de communication du Plan d'actions est de vulgariser le plus possible l'emploi de l'appellation « scientifique » à travers des campagnes de sensibilisation dans les écoles ou des manifestations environnementales par exemple. Mais, d'après les données de l'enquête, il semble que cette entreprise soit difficile à réaliser parce qu'elle touche à la question de l'identité.

La réticence de la « population locale » concernant le mot « dugong » renvoie à d'autres problématiques : celles de la reconnaissance du statut des acteurs institutionnels comme les porteurs du « savoir scientifique » et des relations entre les deux groupes. En se distinguant de ces derniers et en leur attribuant le « savoir scientifique », les Néo-calédoniens établissent une distinction et donc, mettent à distance et/ou en doute la légitimité de ces acteurs environnementaux.

Cette analyse est parallèle à une idée, défendue par un gendarme à la retraite qui était responsable de la protection des réserves de Bourail, selon laquelle certains broussards persistent à vivre comme au temps des années 1950-1960 où la ressource marine était largement abondante, où les préoccupations environnementales n'existaient pas et surtout où la compétence environnementale n'était pas l'affaire des politiques publiques. Ils défient les autorités sous prétexte qu'« avant, il n'y avait pas toutes ces règles ». Autrement dit, les personnes qui pensent de cette manière seraient, selon lui, les plus susceptibles d'être des braconniers en puissance car ils persistent à ne pas vouloir respecter les lois et ne reconnaissent pas la légitimité des Provinces et de l'ensemble des acteurs institutionnels. A ce propos, un Calédonien d'origine européenne retraité de la mairie de Poya déclare dans un entretien :

« Nous, on essaie de préserver les ressources mais le problème c'est les mentalités. Il faut que les gens comprennent que les lois ne sont pas là pour les embêter mais pour protéger les ressources dans le long terme ».

Nous mobilisons cet exemple simplement pour montrer que la légitimité des instances environnementales n'est pas encore totalement établie en Brousse et que le choix des mots employés par les personnes peut être significatif d'une volonté de distinction plus ou moins importante de ces acteurs, et ce pour deux raisons majeures : soit parce qu'ils ne sont pas considérés comme légitimes, soit parce qu'ils détiennent le « savoir scientifique », perçu comme opposé aux « savoirs locaux » par les Néo-Calédoniens. Autrement dit, il s'agit d'une bataille de l'identité puisque le but des habitants de l'île qui ne veulent pas parler de « dugong » est d'affirmer : « Nous ne sommes pas eux ».

Cette volonté de se distinguer des acteurs institutionnels est peut-être liée aux multiples déceptions d'une partie des Néo-Calédoniens face à la PS par exemple, dont on reproche régulièrement les décisions politiques imposées et la rigidité. Ces derniers sont susceptibles de perdre peu à peu confiance dans ces autorités, à mesure de leurs propres désillusions et de la non-prise en compte de leurs opinions. Le discours d'un jeune

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pêcheur de la tribu de Kélé est particulièrement significatif de ce sentiment d'abandon et de la méfiance d'une partie de la population locale concernant ces acteurs :

« C'est moi qui a retrouvé le dugong mort retourné dont on t'a parlé l'autre jour. Je l'ai dit à la tantine et elle a dit que c'était elle qui l'avait vu quand elle a appelé les autorités parce qu'après, ils vont croire que c'est moi qui l'ait tué... La Province n'a rien fait, on ne les a jamais vu venir pour récupérer la carcasse et cela n'a rien changé alors maintenant je ne dis plus rien. »

Ensuite, il existe deux niveaux de revendication identitaire que nous avons repérés à partir de cette analyse lexicale : l'identité broussarde néo-calédonienne et l'identité micro-locale. Dans le contexte mélanésien sur Pouébo, les Vieux possèdent d'autres mots pour désigner l'animal : ils utilisent le « nom en langue » plus que celui de « vache-marine ». Ce sont principalement des Vieux qui mélangent les langues parce que beaucoup maîtrisent mieux leur langue maternelle locale que le français. Les Kanak de plus de cinquante ans de cette région emploient ces termes comme des synonymes - et certainement moins les jeunes qui peuvent être moins à l'aise que leurs aînés avec ce langage.

Pour résumer, en classant le terme « dugong » dans la catégorie des mots « scientifiques », les Néo-calédoniens rencontrés sur les terrains d'enquête affirment qu'ils ne souhaitent pas l'utiliser. Ils préfèrent employer le mot qui leur semble le plus proche d'eux, soit celui de « vache-marine » (identité broussarde), soit celui en langue vernaculaire (identité Kanak locale). Aussi, à travers l'analyse de l'utilisation de ce terme, nous pouvons en déduire plusieurs hypothèses sur lesquels nous nous basons dans la suite du développement :

- la distinction identitaire des groupes s'opère par une séparation entre les types de connaissances ;

- il existe des relations complexes entre « savoirs » et « identités » en Nouvelle-Calédonie ;

- les identités néo-calédoniennes fluctuent et se fondent sur plusieurs oppositions en fonction des « batailles » à mener : acteurs locaux / institutionnels, la Brousse / Nouméa50 ; au sein de la communauté broussarde : kanak / « non-kanak » ; au sein de la communauté mélanésienne de Pouébo par exemple : Jeunes / Vieux.

Enfin, nous avons remarqué que les habitants de la commune de Pouébo connaissaient mieux leur dialecte et l'étymologie du terme « dugong » en langue que dans les autres terrains d'enquête. Un Vieux de la tribu de Yambé nous éclaire sur la signification de « mudep », le nom en Jawé pour « dugong » :

« C'est ça qui est difficile parce que l'on ne sait pas ce nom là. On ne peut pas trouver pour traduire. On dit seulement mudep, c'est la fumée dans le mot dedans. "Mu" .
· c'est fumée. "Dep" .
· c'est la vache-marine. On fait la liaison avec. La fumée et le "dep". »

50 De nombreux acteurs institutionnels rencontrés dans le cadre du stage sont basé à Nouméa - exemple : IRD, Agence des aires marines protégées, WWF, Province Sud...

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En effet, comme la baleine, le dugong est un mammifère qui respire en remontant à la surface pour récolter par leur « évent »51. Le terme « fumée » qu'utilise le vieil homme fait référence au nuage de gouttelettes d'eau rejeté par l'animal lorsqu'il respire. Les noms en langue à Pouébo sont directement liés aux observations par la population du comportement de l'animal. Cela signifie donc que ces personnes ont développé des connaissances forgées à partir de l'observation de leur environnement, c'est-à-dire des « savoirs naturalistes locaux ». La formation de ces savoirs ne semble pas si éloignée de celle de certaines sciences comme la biologie, qui suit une démarche inductive52. En ce sens, nous nous interrogeons sur l'effective opposition entre « savoirs locaux » et « savoirs scientifiques » à travers l'exemple des « savoirs naturalistes locaux ».

III.2. « Savoirs naturalistes locaux » vs « savoirs scientifiques » ?

Dans l'article de Laurence Bérard (et al. 2005), l'auteure acte la naissance de l'expression « savoirs naturalistes locaux » dès la négociation de la Convention sur la diversité biologique en 1992. Ce texte entend mettre en avant le « respect, la préservation et le maintien des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent un mode de vie traditionnel », c'est-à-dire revaloriser les connaissances et les pratiques locales liées à un objet de la protection de la biodiversité. Un savoir naturaliste local désigne donc toute connaissance écologique, agricole, botanique, anatomique, physiologique, zoologique, paysagère construite, testée et conservée par une communauté dans un territoire donné (définition CDB). Concernant le dugong, ces connaissances sont relatives à l'observation attentive par les populations côtières (en général) de l'animal, mais aussi au nom qu'il possède, à la manière de le classer dans l'univers animalier, à son comportement etc.

III.2.1. Un modèle « local » de classifier cet animal ?

Selon la classification de Linné, un naturaliste suédois du XVIIIème siècle qui a fondé les bases du système moderne de nomenclature des espèces, le dugong appartient à la catégorie des mammifères. Ils forment une classe d'animaux vertébrés, dont l'homme fait également partie, qui sont caractérisés essentiellement par l'allaitement des jeunes individus, un coeur à quatre cavités, un système nerveux et encéphalique développé, une température interne constante et une respiration pulmonaire53. Bien que les mammifères soient initialement adaptés à la vie sur la terre ferme, certains se sont secondairement adaptés à la vie en milieu aquatique ou marin. Le dugong appartient donc au règne des mammifères marins selon la classification scientifique « classique » largement diffusée dans le monde. D'après les entretiens et les discussions menées sur le terrain, il semble que les habitants connaissent globalement bien ce terme et sa signification générale.

Mais notre enquête sur la zone de Pouébo a révélé que beaucoup de Vieux, en continuant de parler leur langue vernaculaire, perpétuent la manière dont leurs parents, leurs grands-parents catégorisaient le dugong parmi les éléments naturels. Que ce soit en Nyelâyu, en Cââc ou en Jawé, l'animal fait partie du grand ensemble des « animaux de la

51 C'est le mot scientifique pour désigner le trou par lequel ils respirent.

52 Qui part de l'observation pour mener à une hypothèse ou à un modèle scientifique.

53 http://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_classique

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mer », qu'ils traduisent en français par « poisson » mais qu'ils emploient rarement. Dans la langue traditionnelle, ils invoquent directement le nom de l'animal dont ils parlent et non la catégorie auquel il appartient. Par conséquent, ils ont tendance à dire : « On va pêcher le dawa / ou le picot / ou la tortue / ou le dugong » plutôt que « On va pêcher du poisson ». Nous souhaitons simplement souligner le fait que le système de distinction des espèces dans la culture mélanésienne est différent de la nomenclature « scientifique » de Linné. Et cela se comprend assez facilement si nous considérons le travail d'Isabelle Leblic (2008) qui explique que le monde naturel dans la tradition kanak se découpe entre la terre et la mer. Il existe donc les « animaux de la terre » et les animaux de la mer ».

Cela ne signifie aucunement que les Vieux de la commune ne connaissent pas le terme « mammifère » en français et ne savent pas ce qu'il signifie. Ensuite, puisque la langue, les savoirs et techniques liés à l'animal sont davantage maîtrisés par les Kanak d'un certain âge (plus de cinquante ans), les « jeunes » des tribus de Pouébo ont moins conscience de cette différence de classification entre leur langue et le français. Certains utilisent le terme scientifique de « mammifère » appris à l'école pour le classer, d'autres ne se sont pas poser la question et ne sauraient dire à quelle famille il appartient. Dans la Zone Côtière Ouest, la situation est quelque peu différente. Les personnes, de tout âge et origine confondus, semblent le qualifier de « mammifère » de manière quasi générale. Seules certaines personnes de la tribu de la montagne expliquent ne pas savoir comment le classer. Il s'agit de cas isolés puisque la grosse majorité des personnes arrivent à le classer, notamment dans la famille des « mammifères marins ».

En revanche, à Pouébo, deux Vieux parmi les plus âgés (plus de soixante ans) de la tribu de Yambé et de la tribu de Saint-Denis de Balade ont expliqué que leurs anciens distinguaient deux types de dugong : le « mukâc » et le « poralic » (en Jawé). Selon eux, ces espèces seraient cousins et sont nettement distinguer par leur apparence physique : « c'était deux races différentes et dans les deux, il y avait chez chacun des mâles et des femelles ». Le premier est grand de plus de 3 mètres environ (« il pouvait faire la taille de la table »), d'une forme allongée mais massive et porte la couleur noire ou grise. D'après le Vieux de la tribu de Yambé, le suffixe « kâc » signifie l'« homme » en langue, ce qui lui donne peut-être une valeur supplémentaire - d'autant plus que cette espèce a totalement disparu des côtes de la commune :

« Le court, on le voit encore mais le gros là, on n'en voit plus. Peut-être dans le Nord et sur la Côte Ouest. Ici, avant il y en avait et maintenant, il n'y en a plu. Depuis les années 1960, on n'en voit plus des gros ».

L'autre espèce, le « poralic » doit son nom à un poisson qui se nomme de cette manière en langue vernaculaire : le poisson-ballon. Selon un jeune de la commune, « c'est pour cela que l'on dit "poralic" parce que la forme doit être la même et l'autre est plus comme une baleine, il est long, allongé. » Le « poralic » est donc plus court, de couleur marron « feuille d'automne » et possède un ventre bien gras de la même forme que le poisson-ballon.

Cette manière de distinguer ces deux espèces de dugong semble propre à la région de Pouébo ou du Nord de la Grande-Terre car nous n'avons pas entendu parler d'une telle distinction dans la Zone Côtière Ouest ou dans nos échanges à Nouméa. Elle n'est pourtant pas reconnue par les sciences de la vie et de la terre car il n'existe officiellement qu'une seule et même espèce de dugong, le « dugong dugon ».

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Toutefois, lors des restitutions des données de l'enquête aux divers partenaires du Plan d'actions, la découverte de cette nomenclature et de l'observation de deux « types » de dugong a particulièrement intéressé le chercheur en biologie marine travaillant sur cet animal, le détenteur des connaissances scientifiques les plus poussées concernant l'animal. Selon lui, cette distinction possède une équivalence scientifique et il émet l'hypothèse que la différenciation de couleur, qu'il a pu aussi observée, s'explique par la différence d'âge des dugongs : le « mukâc » serait un vieux dugong et le « poralic » serait plus jeune. Autrement dit, les connaissances locales lui ont apportées une information jugée importante concernant l'âge des dugongs présents sur la côte nord-est.

Par conséquent, tout comme le biologiste marin Simon Foale dans son article de 2006, le thésard en biologie marine travaillant sur le dugong met l'accent sur la complémentarité des savoirs « autochtones » avec les « savoirs scientifiques ». Et s'« il y aura peut-être toujours des aspects du monde naturel sur lesquels les Mélanésiens qui pratiquent la pêche de subsistance et les scientifiques ne seront jamais d'accord, [...] je pense qu'il existe déjà un degré considérable de concordance épistémologique, ou qu'il est possible d'y parvenir facilement » (Foale, 2006 : 142). Cela signifie donc que certains scientifiques n'opposent pas forcément ces deux types de connaissances. Ils reconnaissent au contraire l'utilité des savoirs autochtones afin de mieux renseigner les savoirs scientifiques qu'ils forment. De même, en commandant une étude en sciences sociales sur les « savoirs » détenus par la population autour du dugong, les acteurs environnementaux y voient aussi un intérêt évident pour servir l'objectif de conservation.

Ainsi, nous comprenons qu'à l'échelle de l'île et des terrains d'enquête, il n'existe pas un modèle local de classer la nature mais des modèles qui dépendent des systèmes cognitifs admis par des groupes sociaux plus ou moins larges. Ensuite, concernant l'opposition au « savoir scientifique », les termes et les représentations sont différents mais ils semblent complémentaires et peuvent s'apporter l'un et l'autre. En effet, en reprenant l'exemple de l'emploi du terme « mammifère » à Pouébo, nous nous apercevons que la population connaît le terme et donc, est influencé par le savoir scientifique. De plus, et c'est l'idée que nous défendons dans la prochaine section, tous ces savoirs se recoupent puisqu'ils partent tous de l'observation d'une même réalité.

III.2.2. Assimilations à d'autres espèces et à l'homme

Animaux associés au dugong pour leur proximité physique et comportementale

Les habitants de l'île que nous avons rencontrés ont tendance à établir de nombreux parallèles avec d'autres espèces de Nouvelle-Calédonie à partir de caractéristiques physiques proches. Par exemple, le dugong possède les mêmes attributs que les cétacés, comme la baleine ou le dauphin : la silhouette générale et la queue sont sensiblement identiques. Cette assimilation est relativement ancienne puisque, dans ses écrits, Charles Lemire de 1884 (Voyage à pied en Nouvelle-Calédonie et description des Nouvelles-Hébrides, 2012 : 329) le qualifie de « gros cétacé mammifère ». De même, comme nous l'avons expliqué précédemment, certains Vieux de la commune de Pouébo nous ont parlé du « pudo» (la baleine en langue Jawé) en évoquant le « mudep » (dugong).

Ensuite, beaucoup de personnes ont observé le dugong depuis le bord de mer en train. Ils l'ont se nourrir et savent qu'il « broute » les herbes marines (tout comme la

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tortue verte auquel il est également associé). Cela les emmène à penser à la vache, qui broute et qui possède un peu le même gabarit, ou encore au cochon, qui se nourrit de manière similaire en remuant le sol avec son groin semblable à son museau. Ces « ruminants » sont plutôt des animaux du quotidien dont tout le monde connaît le comportement. En se référant à eux, les Néo-Calédoniens essaient de qualifier son comportement par la métaphore et ils le rendent peut-être plus proche d'eux, de leur vie quotidienne.

Enfin, le dugong est souvent associé à la tortue parce que, comme l'indique un notable de Pouébo : « ils mangent à la table et finissent dans la même assiette ! ». En effet, tout comme la tortue marine, le dugong se nourrit d'herbier et est mangé lors des mêmes cérémonies coutumières kanak, telles la Fête de la Nouvelle-Igname, les mariages ou encore les deuils etc. (cf. sections suivantes). En outre, il faut noter que certains animaux auxquels l'animal est associé (telle la tortue marine, la baleine, la raie ou le requin) sont aussi des animaux importants dans la tradition kanak car ils représentent des totems importants. Ils sont perçus par l'ensemble de la population néo-calédonienne comme des « emblèmes » de l'île. En ce sens, cette association est basée à la fois sur l'observation des comportements des deux animaux et sur leur place dans la tradition kanak.

Ainsi, par le jeu des analogies, les personnes interrogées ayant déjà observées un dugong à travers leurs pratiques de la mer sont capables de décrire avec une relative précision le comportement de l'animal. Certes, ils n'utilisent pas le même vocabulaire que celui des scientifiques ou des environnementalistes mais leurs connaissances, relativement poussées, du comportement du mammifère sont du même ordre. L'autre analogie d'ordre comportemental qui revient régulièrement dans les discours est celle du dugong et de l'homme. Elle est portée plus particulièrement par les Kanaks, et ce pour plusieurs raisons. Si certains n'utilisent pas un vocabulaire scientifique en préférant la métaphore pour désigner le fait que le dugong est un mammifère, ils emploient en fait un outil conceptuel qui est particulièrement utilisé dans leur propre système de sens : la métaphore.

Analogie avec l'homme comme manifestation de la pensée symbolique kanak

En effet, les Kanak appartiennent à une société qui fonctionne sur la base du totémisme. Il s'agit d'« un mouvement de génération continue où se trouvent associés des humains et des non-humains, les uns et les autres partageant avec leur totem certaines propriétés, et une identité de nature entre eux consistant en un ensemble d'attributs moraux, physiques et comportementaux » (Friedberg, 2007 : 170). L'homme paraît donc se différencier de l'espèce animale, végétale ou minérale mais en fait, il entretient une relation de filiation avec la nature, notamment à travers l'invocation des totems partageant des caractéristiques avec certains individus qui se reconnaissent de ce/ces totem(s).

Dans sa thèse (2004), Jean-Brice Herrenschmidt a analysé la structure des mythes mélanésiens, qui intègrent très souvent des « opérateurs totémiques » dans la trame narrative. Il explique que le rôle du totem n'est pas tant de marquer la différence que de favoriser la communication entre l'homme et la nature. Par conséquent, il ne doit pas se comprendre comme appartenant à la nature et à la culture mais comme l' « enfant » et le

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« médiateur » de ces deux entités (Herrenschmidt, 2004 : 117). Dans les mythes analysés, les opérateurs totémiques invoqués sont le trait d'union entre la nature et la culture, entre l'environnement et l'homme. « Au lieu de les opposer, leur présence et leur complicité montrent à quel point ce n'est pas le rejet de la nature qui est fondamentalement enjeu, mais bien l'affirmation de la dualité comme vecteur civilisateur et fondement culturel » (Ibid.). Il se situe donc dans la continuité de la pensée de Lévi-Strauss qui explique que le totémisme est une méthode classificatoire établissant une « homologie des écarts différentiels entre une série naturelle, les espèces éponymes, et une série culturelle, les segments sociaux » (Lévi-Strauss, 1962 : 204).

En ce sens, les mythes kanak sont des paraboles de la genèse sociale et culturelle d'un groupe défini, qui y puise son identité et sa mémoire sur la base d'une histoire d'un ou plusieurs ancêtres mythiques, en des lieux donnés. Ainsi, il n'est pas étonnant de constater que cette analogie entre l'homme et le dugong ont été repéré dans de nombreux mythes kanak récoltés sur le terrain.54 Par exemple, le mythe de la création d'un clan de la tribu de Kélé, qui se revendique du totem dugong, indique que le mammifère est aussi poilu qu'un homme, voire possède une origine humaine ancienne. Il nous a été raconté par une vielle dame d'une tribu de la chaîne de Bourail et le voici retranscrit :

« Les gens dont je parle là, ce sont les gens de la vache-marine. Ils avaient dit qu'il y avait deux frères dans le clan. Ils se sont disputé, ils n'arrivent pas à s'entendre et les parents n'arrivent pas à les réconcilier. Ca fait que le plus jeune, il voulait se réconcilier avec son frère mais il ne veut pas. Comme son frère ne voulait pas accepter sa demande de réconciliation, il a préféré partir. Il a décidé de partir de lui-même.

Quand il est parti, avant de partir, il y avait chez eux un régime de bananes-poingo. Il a pris deux bananes, deux bananes mûres pour partir. Il marche, marche et continue sa route en descendant vers la mer. En marchant, il avait faim, il a mangé la moitié d'une banane. Il ne l'a pas mangé en entier, ca fait qu'il lui restait une banane entière et la demi-banane. Il va, il descend dans l'eau parce qu'il boude son frère. Il descend dans la mer, il descend. Il a mis le reste de bananes qu'il n'a pas mange sous son bras et il descend, il descend dans la mer. La marée monte sur lui, elle continue à monter et lui à descendre. Son frère, il reste là-haut et regarde après lui mais il ne peut rien faire. L'autre il descend, il descend jusqu'à ce que l'eau recouvre sa tête. C'est comme cela qu'il s'est transformé.

Et tu sais, à chaque fois qu'ils vont tuer cela, quand il dépouille la bête pour la manger, ils trouvent toujours cette forme de banane en entier et de demi-banane sous l'aisselle. Moi je dis parce que j'ai vu, c'est pour cela que je crois en cette histoire. La peau, ce n'est pas comme la peau du poisson, c'est comme cela [elle caresse son bras]. Il a des poils.

C'est la légende du clan dont sont issu les XXX. Il y avait beaucoup de descendants de ces clans, il ne reste plus que ces gens-là. C'est-à-dire que du temps des anciens avant, il n'y avait pas encore la religion mais chaque clan a sa propre idole pour pouvoir croire en quelque chose. Maintenant, il y a la religion mais avant c'était les animaux. »

54 Ils sont tous différents mais qui possèdent la même trame narrative.

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De plus, Emmanuel Tjibaou, directeur de l'ADCK, explique que le dugong, s'il fait parti des grandes espèces marines, possède probablement un statut spécifique dans la culture mélanésienne. Il incarne l'ancêtre, et donc un être lié au monde humain : « Les espèces de mammifères marins, ils ont ce statut là de référence, un ancêtre commun à tous, c'est comme un Vieux quoi ».

Si, par la référence analogique entre l'homme et l'animal, les personnes manifestent le fait que le dugong est un mammifère, l'utilisation de la métaphore ne correspond pas au protocole et aux modes de formation du savoir (au singulier) mis en place par les sciences. Au contraire des connaissances « scientifiques », celles des Kanak est totalement concomitante de leur manière de vivre, de penser et de s'organiser socialement. En fait, il s'agit là d'une caractéristique des « savoirs populaires » bien connue de l'anthropologie du développement puisque Olivier de Sardan formule leur distinction ainsi : les « savoirs populaires techniques sont localisés, contextualisés, empiriques, là où les savoirs technico-scientifiques sont standardisés, uniformisés, formalisés » (Olivier de Sardan, 1995 : 193). Si auparavant, nous avions convenu d'une possible complémentarité entre le « savoir scientifique » et les « savoirs naturalistes locaux » par exemple, cela ne signifie pas que les « savoirs traditionnels » et le « savoir scientifique » relatifs au dugong sont équivalents. En fait, ils délimitent les frontières d'appartenance à tel ou tel groupe d'acteur relié à cet animal.

III.3. Répartition identitaire entre « savoirs autochtones », « savoirs traditionnels » et « savoir moderne » liés au dugong

III.3.1. « Savoirs autochtones » : le dugong dans les diverses traditions kanak

Nous avons choisi d'employer ici le terme de « savoir autochtone » pour qualifier les savoirs issus de la tradition kanak et de le différencier ainsi d'autres « savoirs traditionnels ». Nous justifions ce choix par le fait que l'identité des Kanak est actuellement l'objet d'une reconnaissance officielle et internationale en tant que « peuple autochtone ». En effet, le 12 avril 2014, les chefferies des huit aires coutumières se sont réunies pour rédiger la « Charte du peuple Kanak », signant le socle commun de leurs valeurs et des principes fondamentaux de leur civilisation. Cette charte a pour objectif « de doter le Peuple Kanak d'un cadre juridique supérieur embrassant une réalité historique, de fait, et garantissant son unité et l'expression de sa souveraineté inhérente. f...] Cette démarche étant une contribution préalable et incontournable à la construction d'un destin commun. » (La Charte du Peuple Kanak, 2014 : 10).

Par « autochtone », nous entendons la définition donnée dans l'ouvrage dirigé par Stéphane Pessina Dassonville, Le statut des peuples autochtones, à la croisée des savoirs, suivant laquelle « les nations autochtones sont celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires, se jugent distinctes des autres éléments des sociétés qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Ce sont à présent des éléments non dominants de la société et elles sont déterminées à conserver, développer et transmettre aux générations futures les territoires de leurs ancêtres et leur identité ethnique qui constituent la base de la continuité de leurs existences en tant que

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peuple... »55 (2012 : 14). Puisque, selon nos observations et entretiens, les Mélanésiens ressentent une menace importante concernant la transmission de leurs valeurs et savoirs,56 il nous paraissait donc approprier d'employer le terme d' « autochtone » pour qualifier leur système cognitif. Ce faisant, nous reconnaissons la portée politique de la sauvegarde de ces savoirs.

La tradition et la coutume kanak sont multiples et sont plus ou moins respectées selon les individus et les régions du territoire néo-calédonien. Le lieu d'habitation (mer ou terre) joue un rôle majeur dans la mobilisation de tel ou tel élément naturel dans la coutume, et il en va de même pour la mobilisation du dugong dans la coutume. Une tribu de la montagne mobilise plus facilement un animal de son quotidien direct comme la roussette57 ou le lézard qu'une espèce qui vit dans un autre environnement. Les connaissances sur le dugong et son importance dans la coutume diffèrent selon que les personnes habitent les tribus de la chaîne ou de bord de mer. Sur le terrain, cette répartition des connaissances paraît toujours actuelle, même si nous avons rencontré quelques exceptions majeures. Par exemple, c'est une femme qui habite dans la chaîne qui nous a raconté le mythe sur le dugong précédemment cité.

Mais globalement, les zones où les personnes attribuent une place à ce mammifère marin dans leur coutume sont situées en bord de mer et où la densité de population de dugongs est relativement conséquente.58 Dans ces endroits, les habitants n'attribuent pas la même valeur à leur coutume locale, ni ne possèdent la même relation à leur tradition, notamment liée au milieu marin. Entre autre raison, la plus évidente est à chercher du côté de l'histoire : les tribus de toute la côte ouest ont réalisé de nombreuses migrations vers l'intérieur des terres au moment de l'Insurrection Kanak de 1878, c'est pourquoi aujourd'hui il y a assez peu de tribus de bord de mer sur cette côte. Les savoirs relatifs à la pêche et aux animaux marins ont certainement subi des altérations et les coutumiers ont dû s'adapter et adapter leurs coutumes à leurs nouveaux lieux de vie. A l'inverse, à cause du désintérêt des colons pour ces zones, la Province Nord concentre une forte majorité Kanak qui semble avoir mieux préservé ses traditions, et ce malgré les impacts des premiers contacts avec la civilisation européenne.

Le dugong est donc intégré de différentes manières dans les traditions locales que ce soit dans la tradition orale qu'au niveau des manifestations culturelles importantes comme certaines cérémonies coutumières. Lors de ces événements, les animaux et la nourriture ont une fonction symbolique importante à jouer, comme nous le rappelle Emmanuel Tjibaou, directeur de l'ADCK :

« Dans les cérémonies coutumières, le truc ce n'est pas de manger mais de communier. Manger c'est facile, mais la fonction de ces animaux c'est

55 E/CN.4/Sub.2/1986/7/Add.I, Par. 379 à 382.

56C'est pourquoi ils ont rédigé la Charte du peuple Kanak, pour qu'ils puissent continuer à faire respecter leurs règles sociales sans qu'elles ne s'effritent ou disparaissent. En ce sens, nous pouvons établir un parallèle avec l'Agence de Développement de la Culture Kanak qui s'est donné pour mission de récolter les « savoirs menacés d'extinction » avec la mort des Vieux et ainsi, qui institutionnalise et écrit des connaissances étaient informelles et orales.

57 La roussette est une espèce de chauve-souris, seul mammifère terrestre endémique à la Nouvelle-Calédonie.

58 Les tribus de bord de mer dans la région nord, de Voh-Koné-Pouembout (avec la tribu d'Oundjo, connue pour la chasse au dugong) à Pouébo, en passant par Koumac, Poum et Ouégoa (tribu de Tiari) ; et les tribus de bord de mer de la région sud-ouest, principalement près de la commune de La Foa et de Moindou.

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plutôt de rappeler ce lien qui fait de nous des hommes. C'est parce qu'on est debout ici dans cet espace social, c'est parce que les ancêtres ils nous ont donné la vie. [...] Dans les discours traditionnels, il arrive que les noms des espèces soient cités, le nom des pics et des reliefs, parce que justement ce qui est mis en avant, c'est ce qu'il représente, l'esprit, les forces qu'il représente. »

Parmi les cérémonies coutumières où le dugong était important, nous pouvons citer la cérémonie de la Nouvelle Igname dans la région de Pouébo. Si aujourd'hui elle n'est plus célébrée dans toutes les tribus de la commune, elle célébrait la fin du cycle de l'igname (un tubercule des plus sacrées pour les Kanak) ou le début d'une nouvelle période de culture du champ. C'était une fête importante qui favorisait la cohésion sociale et où chaque famille apportait ses ignames, cultivées avec efforts pendant toute l'année, et d'autres « provisions » (aliments) pour accompagner l'igname et le taro. Ce faisant, les clans de la terre se chargeaient de chasser la roussette et le notou59 (deux animaux « sacrés » présents en montagne) et les clans de la mer amenaient la tortue et le dugong.

La viande de tortue et de dugong était donc particulièrement recherchée pour accompagner l'igname, comme l'atteste les propos de l'ancien maire de Pouébo, qui explique que leur consommation lors de la Fête de l'Igname était primordiale pour les clans de la mer afin que l'année soit féconde et que tout se passe bien :

« Je pense que cela va plus loin que cela. Il faut la tortue et le dugong pour les vieux, c'est important pour la fête de l'igname. Si on ne l'a pas, c'est vraiment quelque chose de grave. Oui aujourd'hui [on s'adapte avec la loi]. Mais c'est une fête culturelle. Pour les Vieux qui font encore brûler les ignames, il FAUT cela, tu comprends ? »

A cette occasion, le meilleur morceau était réservé au chef de la tribu car, lors de cet événement, la chefferie de la tribu est aussi à l'honneur. Mais cette association entre le dugong et la chefferie dans la coutume n'est pas propre à la commune de Pouébo, plutôt à la région nord en général : la commune de Poum, les îles de Belep au nord de la Grande-Terre, la commune de Koumac etc. A Koumac par exemple, certaines tribus consommaient ce mammifère pour les mariages, les enterrements et les intronisations de grands chefs. Ce sont aussi des régions où les habitants pratiquaient la pêche traditionnelle.

En parallèle, d'après des informations récoltées en entretien, la tribu de Kélé plus au sud sur la Côte Ouest est moins connue pour sa pêche traditionnelle au dugong, et ce même si un coutumier de la tribu nous a avoué : « cela fait plus de quarante ans que l'on n'a pas pêché le dugong pour les coutumes » (Kélé, 2014). Selon une habitante, le dernier dugong qui ait été pêché puis consommé était destiné à l'enterrement du petit chef de la tribu de Moméa à la fin des années 1970 - début 1980. Toutefois, le dugong n'a pas disparu de la transmission orale dans cette tribu puisque nous avons récolté le mythe précédemment cité, que nous avons retrouvé par la suite plusieurs fois sur les terrains d'enquête (Poya - tribu de la chaîne et du bord de mer) mais avec des variations et des adaptations à la toponymie et aux thématiques locales importantes. Ainsi, nous voyons bien combien les « savoirs traditionnels » kanak relatifs au dugong sont disparates au sein même de cette communauté d'appartenance.

59Le notou, aussi appelé carpophage géant (ducula goliath) est une espèce d'oiseau endémique de la Nouvelle-Calédonie. Il a la particularité d'être le plus gros pigeon arboricole au monde (wikipedia).

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Dans le monde mélanésien, il existe donc des réalités microsociales voire micro-culturelles différentes, qui impliquent des variations dans la tradition kanak et dans la relation entre ces microgroupes et le dugong. Comme pour appuyer ce constat, un jeune homme de Pouébo d'une trentaine d'années affirme que :

« Chaque représentation est propre à chacun, à chaque région, à chaque tribu. C'est pour cela qu'on n'a pas forcément les mêmes représentations. [...] Oui, ce sont parfois les mêmes : on fête tous la fête de l'igname, on fête aussi les mariages, les baptêmes et tout. Ça, ça ne change pas. Mais nous avons des interprétations sur les mammifères, c'est chacun, c'est propre à ses traditions».

En outre, les habitants de Pouébo ne le consommaient pas uniquement lors de cette occasion, mais aussi pour les enterrements et les mariages jugés importants, comme ceux des chefs. A ce propos, le grand chef du district du Lé-Jao nous raconte une anecdote qui prouve bien que l'animal était recherché pour ces cérémonies, même si ce n'est plus le cas aujourd'hui :

« Le jour de mon mariage, en octobre 2009, c'était le moment où la règlementation est appliquée donc j'ai fait la demande de deux tortues légales. Ca fait qu'il y en qui sont allés. Ils ne sont pas allés aux tortues, ils sont d'abord allés au poisson. Et quand ils attendaient le poisson pour la première pêche, beh le dugong est venu se coller au bateau. Ils ont hésité à harponner parce qu'ils savaient que c'était interdit. Donc ils sont revenus et ils m'ont demandé : « Il y a le dugong en bas, demain on retourne, qu'est-ce qu'on fait ? ». Le lendemain, ils sont partis et pareil, même scénario. C'est un peu comme un « Prenez-moi, la règlementation ce n'est pas pour vous ! » Et non. J'ai dit non parce qu'il faut respecter la loi maintenant.»

Dans cette déclaration, qui certes illustre le fait que le dugong était consommé pour d'autres cérémonies que la Fête de l'Igname, l'interlocuteur nous indique que les savoirs traditionnels kanak se modifient au contact d'autres types de savoirs et d'autres pratiques qui sont aujourd'hui valorisés par la société. Il donne également un indice sur le conflit potentiel entre les récentes lois et le respect de sa tradition et culture. Nous avions déjà évoqué quelques exemples qui prouvaient qu'ils étaient en mutation60 sans pourtant mettre en évidence les luttes sous-tendus entre les personnes détenant différents types de « savoirs » : savoirs scientifiques / savoirs traditionnels ou autochtones / savoirs juridiques etc.

De plus, cela montre dans quel sens s'opère la mutation des savoirs traditionnels : ces derniers plient sous le poids des politiques environnementales néo-calédoniennes, influencées par des décisions prises par les instances internationales ; et donc de l'hégémonie du global. Pour aller plus loin dans l'analyse de cette dynamique, nous nous interrogeons sur les perceptions locales de l'environnement et du dugong et sur ce qui, fondamentalement, différencie le point de vue des acteurs institutionnels et de la « population locale ». Est-ce simplement un conflit entre modèle de la connaissance ou un conflit d'intérêts ?

60 Par exemple le fait que les Jeunes de Pouébo emploient davantage le terme « mammifère » que celui en langue vernaculaire.

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III.3.2. Opposition « culturelle » entre les acteurs sur la base des savoirs sur la nature : dépassement des préjugés

Pour répondre à cette question, nous continuons avec un notable de Pouébo :

« Le Kanak a besoin de la nature pour survivre, c'est ce qui fait la différence entre le Kanak et l'Européen vis-à-vis de la nature. Pour moi, c'est la domination, les Européens ont voulu dompter la nature ! Le Kanak vit avec la nature, l'Européen cherche à dominer et maîtriser la nature. [...] Je dis cela parce que pour la fête de l'igname, la tortue on va pêcher au dernier moment pour des questions de conservation, et on en trouve toujours. On dirait qu'elles nous attendent les deux tortues à prendre. Il n'y a que les esprits qui le savent, c'est le mystère de la vie ».

Cette personne exprime alors l'idée que les sociétés occidentales n'ont pas le même rapport à la nature que le peuple autochtone. Si nous suivons son raisonnement, il met en avant le fait que les perceptions culturelles façonnent les modalités de l'action : parce que les Kanak vivent dans une relation de complicité et de respect culturel envers la nature, elle leur offre ce dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin, sans qu'ils ne soient contraints de planifier ou de faire trop d'efforts.

Au contraire, l'« Européen » cherche à dominer la nature puisque, comme nous l'avons remarqué précédemment, sa conception de l'environnement est basée sur la rivalité entre humain et « non-humain », en employant la terminologie de Philippe Descola (2007). L'homme, bien plus qu'il ne tente d'imiter ou de s'en inspirer, souhaite recréer voire surpasser la nature. Cette manière de penser la nature est attribuée à l' « Occident » que l'on peut définir comme une civilisation transfrontalière qui se confond souvent au « capitalisme historique ». Selon Immanuel Wallerstein, il est « assez évident que la description de l'activité capitaliste cadre avec les principales tendances de la pensée « universelle » occidentale depuis la fin du Moyen-Âge. » (Wallerstein, 1990).

À travers son discours, l'habitant de Pouébo a certainement voulu désigner cette manière « capitaliste » d'être au monde, qu'il oppose à sa propre culture. Il indique qu'il existe deux groupes culturels distincts : les Kanak, qui possèdent une relation de complicité et de filiation avec la nature, et les Européens, qui pensent la nature comme une ressource exploitable que l'homme peut maitriser, notamment grâce aux sciences. Encore une fois, il s'agit là d'une stratégie de distinction des uns par rapport aux autres, ce qui signifie très clairement que la nature possède une dimension identitaire forte, que cette personne souhaite affirmer.

Cette distinction ne prend donc absolument pas en compte les possibles hybridations entre les deux modes de pensée ou encore les autres manières de considérer l'environnement « européenne » qui se fondent sur une autre relation que l'exploitation. A ce propos, une stagiaire de l'IRD parisienne de vingt ans nous a communiqué sa fascination pour le milieu marin qu'elle a elle-même désignée comme une « relation basée sur le plaisir ». De plus, elle était aussi bénévole à l'Aquarium de Nouméa car, pour elle, « si on perd le milieu marin, les premiers à en subir les conséquences, c'est nous parce que tu n'as plus la ressource marine que, mine de rien, on utilise beaucoup. [...] Tant que les gens n'ont pas réussi à se l'approprier de telle ou telle manière, [...] ils ne s'en intéressent pas et ca leur passe au dessus ». Elle a tenu à transmettre ses connaissances scientifiques au grand public parce que dans un but de préservation de

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l'environnement. Son témoignage indique donc deux types de relations « européennes » à la nature autre que celle de l'exploitation : le plaisir et la protection de l'environnement.

D'ailleurs, la perception de l'environnement en tant que ressource exploitable n'est pas uniquement attribuable aux seuls Européens, ce serait donner raison aux opinions communes et aux images que chaque culture se fait d'elle-même. La distinction entre le Kanak et l'Européen joue ainsi sur le plan des idées communes : quand les sociétés mélanésiennes reflètent une idée de la nature et de l'organisation sociale dans une relation de continuité et de tradition, la société occidentale est en rupture avec l'élément naturel et paraît résolument moderne. Par conséquent, ces idées alimentent la distinction que la « population locale », a fortiori certains Kanak, opère entre « eux » et

« nous » (les Européens, les scientifiques, les politiques publiques, les
conservationnistes, les capitalistes etc.), entre les « savoirs traditionnels » et les « savoirs modernes ».

Cependant, la catégorie des « savoirs traditionnels » n'est pas homogène en Nouvelle-Calédonie puisqu'elle est aussi l'objet de revendication ou de différenciation identitaire. Comme nous l'avons évoqué précédemment, les Kanak sont un peuple « autochtone » et ainsi, si l'ensemble de leurs savoirs est « traditionnel » puisqu'il se transmet de génération en génération, il est aussi « autochtone ». En reprenant l'exemple du rapport à la nature, est-ce que cela signifie qu'ils sont les seuls à posséder un rapport « privilégié » à l'environnement ? Comment comprendre et qualifier les savoirs relatifs à la nature dans l'ensemble de la brousse néo-calédonienne ?

Si les perceptions et les pratiques relatives à l'environnement sont parfois associées ou différenciées dans les discours suivant les appartenances communautaires, elles sont aussi partagées entre communautés, notamment entre Kanak et Calédoniens d'origine européenne. Les frontières entre les deux cultures précédemment évoquées sont plus minces qu'il n'y paraît. Si chaque communauté s'affirme dans son rapport aux autres identités culturelles en présence, il existe depuis les premiers contacts entre les « cultures » un réel phénomène d'acculturation entre les groupes, qui se traduit par des emprunts dans les manières de vivre. Certains préfèrent alors insister sur les ressemblances entre les groupes, comme un Calédonien d'origine européenne de soixante ans, qui affirme que « la tradition calédonienne et mélanésienne c'est la même. Les cultures se ressemblent. Par exemple, que tu sois en tribu ou pas, le premier geste quand tu arrives chez quelqu'un : on te propose du café ».

De même, leur approche de la nature est souvent abordée avec pragmatisme, autour de certaines activités relatives à la nature comme l'élevage ou l'agriculture. Toutes les habitations que nous avons visitées dans la Zone Côtière Ouest, que ce soit en tribu ou non, comportent un jardin, un poulailler et de nombreuses plantes, et ce même au sein des villes-villages. Cela prouve bien une certaine partage des savoir-faire par delà les frontières communautaires, y compris concernant le rapport à la nature. Concernant l'agriculture et l'élevage, il s'agit parfois des professions des personnes interrogées : beaucoup se sont spécialisés dans l'élevage de boeuf, de cerfs, de porcs, de brebis et de chevaux, dans les vergers, dans l'apiculture ou encore dans l'horticulture, dans la pêche et la vente d'un poisson particulier etc. Puisque toutes les personnes de la Côte Ouest partagent un mode de vie proche en lien avec l'environnement, mais aussi un certain nombre de savoirs et pratiques, nous avons choisi de le qualifier de « broussard ».

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Pourtant, d'après nos observations dans la Zone Côtière Ouest, à l'inverse des peuples autochtones d'Océanie, les Calédoniens d'origine européenne ne revendiquent pas la valeur symbolique de la nature car ils n'ont aucune « croyance particulière » dans ce domaine. Par exemple, ils ne disposent pas d'une « culture » basée sur le totémisme et ils ne confèrent aucune symbolique aux espèces animales et végétales. Mais il nous semble que ce constat doit être nuancé puisqu'un homme de la région de Bourail, ayant toujours vécu avec les Kanak car étant le seul « Blanc » autour de son domicile, explique :

« Mais tout de même, il y a certaines superstitions qui sont assez communes entre nous. Les Vieux, ils disaient par exemple qu'il ne fallait pas faire de mal à un tricot rayé pendant la pêche, cela portait malheur. Pareil, à la chasse, quand tu tues un animal qui est trop petit, trop jeune, on rentrait souvent bredouille ».

Ces « superstitions » jouent finalement le rôle de règles de conduite à observer pour récolter les fruits d'une pêche ou d'une chasse. Elles partent du présupposé que toute mauvaise action d'une personne, celui qui ne respecte pas la règle, est directement sanctionné par la nature elle-même. Autrement dit, l'environnement possède ses propres lois qu'il faut respecter. Cette logique se rapproche beaucoup des interdictions qui existent sur les « lieux tabous » en milieu kanak par exemple, qui représentent à des lieux « sacrés » qu'il faut respecter. Il faut comprendre que ces endroits ont souvent été marqués par la présence, la lutte, la mort d'un ancêtre (historique ou mythique), ce qui leur vaut l'appellation « sacrés » (Wickel et Herrenschmitt, GIE Océanide, 2009).

Toutefois, ces « superstitions » qui se transmettaient de génération en génération sont celles des anciens Calédoniens d'origine européenne, du temps du père de l'homme interrogé. Il s'agit donc de « savoirs traditionnels » plus ou moins propres à la communauté calédonienne d'origine européenne. Il est fort probable qu'elles ne soient plus enseignées aujourd'hui aux générations actuelles. Le temps qu'évoque notre interlocuteur est perçu comme révolu, celui où les Caldoches parlaient les langues vernaculaires kanaks et où les proximités entre les deux cultures étaient nécessaires pour la survie de chacun. Par exemple, il raconte comment son père aidait les Kanak à l'époque de l'indigénat : comme ils ne pouvaient pas posséder de fusil pour chasser, son père chassait pour eux ou leur céderait quelques uns de ses boeufs. Il pratiquait la philosophie du partage et de la solidarité avec tout un chacun. Depuis les Évènements, selon lui, les deux peuples ont pris l'habitude de s'affronter et de se critiquer, ce qui a nourri des antagonismes réciproques.

Nous retrouvons ces conflits entre les deux communautés dans certaines pratiques anciennes relatives au dugong, comme celle de la pêche. Concernant les « savoirs traditionnels » liés à cet animal et propres à la Nouvelle-Calédonie, ce sont les deux peuples les plus longtemps installés sur le territoire qui les ont développés. Ce constat paraît plutôt évident si nous considérons que le dugong est animal endémique que l'on retrouve en grand nombre autour des côtes de la Grande-Terre et qu'un savoir traditionnel relève de sociétés « une longue histoire d'interaction avec leur environnement naturel » (définition UNESCO, cf. Lexique). Toutefois, la reconnaissance du statut « traditionnel » des pratiques de pêche des Calédoniens d'origine européenne ne semble pas du goût de tout le monde, comme nous le démontrons dans la partie suivante.

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III.3.3. Pêche au dugong : une activité « traditionnelle » kanak et calédonienne !

Parmi les pratiques associées au dugong, la pêche est l'une des activités les plus spontanément évoquées en entretien et des plus connues par les Néo-calédoniens interrogés lors de cette enquête. Si la pêche kanak au dugong est un phénomène connu, celle réalisée par les Calédoniens d'origine européenne l'est beaucoup moins et en tout cas, est totalement ségrégée par certaines personnes pour plusieurs raisons que nous aborderons par la suite. Dans un premier temps, nous souhaitons montrer qu'il existe bel et bien des « traditions » de pêche, et dans la communauté mélanésienne et chez les Calédoniens d'origine européennes, à partir de la description des outils et méthodes de pêche.

Entre autre occasion, la pêche au dugong dans la communauté mélanésienne est réalisée pour approvisionner la population en poissons nécessaires pour célébrer les cérémonies coutumières, telles la « Fête de la Nouvelle Igname » à Pouébo. Il s'agit donc d'une pêche dite « traditionnelle » qui, selon Isabelle Leblic, est l'une des seules à avoir « perduré » pour répondre aux besoins des cérémonies coutumières (Leblic, 2008). Elle s'effectuait avec des outils artisanaux fabriqués à la main par les pêcheurs eux-mêmes à partir des matières premières qu'ils possédaient comme la coco ou différents bois. Parmi les plus outils les plus significatifs, nous pouvons citer le harpon ou la sagaie, et ce même s'il existe une pêche traditionnelle au filet à grosses mailles.

Figure 5 : Harpon en fer à béton avec une bouée attachée au bout pour être utilisée comme flotteur

(c) Dupont, Pouébo, 2014. Il appartient à un pêcheur de Saint-Denis de Balade

D'après les habitants de Pouébo, le harpon fait partie des outils dévolus à la pêche traditionnelle à la tortue et à celle du dugong. S'ils étaient fabriqués par les pêcheurs « du temps des Vieux », ils sont façonnés désormais dans du fer à béton. Selon les propos d'un des deux pêcheurs précédemment cités, les Vieux utilisaient du bois de banian pour sculpter le manche du harpon et ce sont les mêmes instruments qui sont utilisés à la fois

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pour la pêche à la tortue et pour celle au dugong. Ce n'est pas le cas dans d'autres régions qui pratiquent également la pêche traditionnelle à ces deux espèces puisque, dans la commune de Koumac, certaines tribus possèdent deux noms en langue pour exprimer « la sagaie pour la tortue » et la « sagaie pour le dugong ».

Nous avons recensé plusieurs types de harpons, tous « faits maison », employés pour la pêche au dugong. Par exemple, la tribu de Kélé possède sa propre manière de façonner une sagaie, même si seules six personnes sont encore capables de la fabriquer. Il s'agit d'un harpon où le crochet qui sert à harponner est tressé avec des « tiges en fer » autour de bois pour le fixer. Ensuite, il suffit de laisser l'objet une nuit dans l'eau salée pour que le bois gonfle et les « fers » se resserrent. Les familles de pêcheurs de dugongs issues de la communauté calédonienne d'origine européenne utilisaient quant-à-elles un harpon fabriqué dés les années 1950-1960, qui était « monté sur un barbé » pour « ne pas lâcher » la proie.

Figure 6 : Exemples de pointes barbées (c) M. Barré, 2003, p.37.

D'après un pêcheur professionnel calédonien d'origine européenne de la région de Bourail, la « vraie fabrication » d'un harpon à barbé permet aux pêcheurs d'être plus efficaces :

« Je dis la vraie fabrication d'harpon parce qu'ensuite ils ont fait toutes ces bêtises. Tu as des fabrications d'harpon où la pointe est droite. Ca fait que quand tu piques la vache marine, la vache marine qui fait 4 mètres, quand tu piques, bon si tu la piques mal, c'est fini. La vache marine elle plonge et tu ne la revoies plus. Dans la nuit, les mecs ils peuvent en piquer 5 et en ramener qu'une seule ! »

Le « harpon à barbé » était constitué d'une tige en fer de cinquante centimètres, surmontée d'une manille (pièce en acier forgé constituée d'un étrier) sur laquelle était placée une pointe à barbe de cinq centimètres. Il existe plusieurs versions de ce même instrument et nous en avons recensé deux : soit la fin du manche se finissait en boucle, à laquelle une corde était attachée avant d'être reliée au bateau. L'autre outil n'en possède pas mais tous deux ont un manche creux en forme de « tuyau », dans lequel la corde passe et relie directement le bateau à la pointe. Selon le même pêcheur :

« La pointe était montée sur une manille, le tuyau s'emboîtait un peu dedans. Le jeu du tuyau, tu ne pouvais pas le tirer à la main mais avec la

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force de la vache marine, ca fait qu'il se déboîtait et il s'accrochait à la vache marine. Ce qui fait que la corde elle tirait sur le tuyau mais elle était sur la vache marine. Ca fait que la corde était accrochée à la proie ».

Il semble donc que chaque famille de pêcheur de dugong calédonienne d'origine européenne fabriquait son instrument selon son propre savoir-faire. Bien évidemment, ces outils se sont modernisés avec les évolutions technologiques : la pointe n'était plus façonnée dans du « fer » mais dans de l'inox etc. Aujourd'hui, peut être que si la pêche était encore autorisée, on constaterait d'autres avancées sur ces instruments, à moins que les personnes ne lui préfèrent les fusils sous-marins actuels.

Le harpon n'est pas utilisé essentiellement pour la « pêche traditionnelle » mais aussi pour ce que nous nommons les « pêches à l'occasion ». C'est une activité qui n'est pas exclusivement réservée aux Calédoniens d'origine européenne puisque certains Kanak la pratiquaient aussi. Ladite « occasion » était provoquée par la présence de l'animal mais reposait surtout sur la décision du pêcheur dans son bateau. Lorsque les pêcheurs des tribus comme les pêcheurs calédoniens d'origine européenne apercevaient depuis leur embarcation un dugong qui passait à côté, ils pouvaient alors décider de l'attraper pour le ramener au rivage (ou non). A ce moment, ils avaient toujours une sagaie dans le fonds du bateau dont ils se servaient contre l'animal.

La fabrication et l'utilisation de cet instrument pour la pêche au dugong se sont transmises en ce temps là de père en fils61 puisque les deux pêcheurs calédoniens d'origine européenne, de quarante cinq-cinquante ans, ont déclaré avoir déjà pêché ce mammifère avec leur père. L'un d'entre eux nous explique qu'il n'avait qu'une seule chance pour harponné l'animal parce que, après la première attaque, il était stressé et durcissait sa peau qui devenait trop dure pour faire rentrer la pointe du harpon. Son père lui avait indiqué le meilleur moment pour l'attaquer : « Il fallait le piquer juste avant qu'il lâche l'aire, juste avant qu'il respire. Et oui, le dugong, il a une peau qui est plus molle quand il respire. Elle se détend à ce moment là ».

En revanche, les techniques au harpon semblent différentes de celles des clans pêcheurs de Pouébo en charge de cette pêche. Grâce à leurs récits, nous avons réussi à dégager le déroulement d'une pêche au harpon à bouée. Cette dernière était encore couramment pratiquée dans la zone jusque dans les années 1980 environ.

Étapes de la pêche traditionnelle dans la commune de Pouébo d'après les descriptions des Vieux et moins Vieux interrogés

1. Préparation de la grosse pêche entre hommes

Les vieux pêcheurs de Pouébo appelaient « grosses pêches » les pêches en groupe rassemblant une dizaine d'individus (voire plus), qui étaient organisées par les anciens pour répondre aux besoins des cérémonies coutumières. A cette occasion, les Vieux de l'époque sélectionnaient les hommes (jeunes et moins jeunes) qui participaient à la pêche au moins cinq jours avant la date effective de l'activité. Ils se retrouvaient dans une maison construite en bord de mer, prés de la zone de mise à l'eau de l'embarcation, afin de se retrouver « entre hommes ». Durant cette préparation, les participants préparaient les provisions et l'embarcation, ils se mettaient en conditions en préparant des « médicaments », des « potions » pour rendre la pêche fructueuse, ou encore ils se racontaient des anecdotes, des récits des pêches précédentes

61 Nous n'avons pas rencontré de femme calédonienne d'origine européenne ayant raconté avoir déjà pêché le dugong.

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2. Repérer l'animal depuis le bateau

Idéalement, la pêche traditionnelle au dugong s'effectuait de jour, par temps de marée haute et de forte houle. S'il n'y avait pas de houle, alors les pêcheurs se rabattaient sur la tortue pour célébrer la fête de l'Igname. Ensuite, les pêcheurs naviguaient dans les zones susceptibles fréquentées par les dugongs, comme les platiers où l'herbe marine y est abondante. La plupart du temps, ces derniers savent où se trouvent ces animaux parce qu'ils ont tendance à rester sur un même périmètre.

3. Le harponner dans les reins ou dans le dos avec le harpon à bouée

Lorsque la bête repérée à la surface au moment où elle respire, les pêcheurs s'approchent et l'un d'eux tente de la harponner avec la sagaie à bouée avant qu'elle ne plonge à nouveau. Ils n'ont souvent qu'une seule chance parce que, une fois stressée, le dugong se contracte et sa peau devient impénétrable. La bouée du harpon possède plusieurs fonctions : elle ralentit ralentir l'animal dans sa fuite, elle l'empêche de plonger et elle permet de repérer ses déplacements depuis la surface.

4. Poursuivre l'animal pour le fatiguer, le « courser » avec le bateau

Une fois harponné, ils suivent les traces du dugong, qui essaie de s'enfuir à toute allure mais il est vite rattraper par les pêcheurs rapides grâce au moteur puissant du bateau. Cette course a pour but d'épuiser l'animal. Pour éviter le bateau qui le gêne dans sa fuite, il fait des demi-cercles, il tourne et découvre son ventre. Les pêcheurs attendent ce moment pour « le piquer » à nouveau avec une autre sagaie, restée sur le bateau, ce qui continue de le fatiguer jusqu'au moment où il s'arrête presque.

5. Sauter sur l'animal pour l'attraper et noyer l'animal en enfonçant les doigts dans les narines

Deux ou trois pêcheurs sautent à l'eau, sur l'animal pour l'immobiliser et lui enfoncer deux doigts dans les « narines », habituellement engorgée par des clapets ou des « bouchons », selon le terme consacré des pêcheurs de Pouébo.

6. Attacher le dugong à l'un des côtés du bateau, devant et derrière

Lorsque l'animal est mort, il est trop lourd pour que les trois ou quatre personnes puissent l'amarrer sur le bateau. Les pêcheurs qui sont dans l'eau attachent d'un côté ou de l'autre de l'embarcation la tête et la queue du dugong, afin de pouvoir le ramener au bord de mer et le découper.

7. Découper l'animal selon des méthodes spéciales sur la plage ou dans la tribu

Dans certaines tribus, la découpe de la viande de tortue ou de dugong se faisait directement en bord de mer, et dans d'autres, il fallait ramener la bête au sein de la tribu. Tout le monde n'était pas habilité à réaliser cette étape car cela demandait un certain doigté et savoir-faire que seuls quelques uns détenaient. Si un non-initié dépecer l'animal, alors la viande était fichue : « elle a le goût du savon ».

Ainsi, les Kanak ne sont pas les seuls à avoir pêché le dugong, les Calédoniens d'origine européenne aussi, et ce même s'ils déclarent ne pas employer les mêmes techniques. S'il ne s'agit pas d'une « pêche traditionnelle » au sens entendu par les Kanak (une pêche pour les cérémonies coutumières), certaines familles de pêcheurs parmi les Calédoniens d'origine européenne possédaient une « tradition » de la pêche au dugong. Ils ont façonné des outils spéciaux et ont développé leurs propres techniques pour le pêcher, des techniques qu'ils ont conservé de générations en générations jusqu'à aujourd'hui. En ce sens, nous affirmons qu'ils possèdent une « tradition » de cette pêche et nous rappelons qu'en anthropologie, une « tradition » est « un objet de la transmission : c'est ce qu'il convient de savoir ou faire pour faire partie d'un groupe qui, ce faisant, arrive à se reconnait ou à s'imaginer une identité culturelle commune » (cf. définition donnée dans le Lexique - Izard et Bonte, 1991 : 710).

Nous insistons sur cet aspect parce que, lors d'une des restitutions de ce travail dans les zones d'enquête, nous avons suscité une vague de vives contestations de la part du public en avançant qu'il existait une pêche traditionnelle kanak ET calédonienne. Nous avons défendu la position anthropologique et donc insisté sur les définitions du vocabulaire employé (mot « tradition ») sans que cela n'ait retenu leur attention. Au

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contraire, certains « non-caldoches » ont perçu le fait qu'on associe les pratiques « traditionnelles » mélanésiennes aux pratiques des Calédoniens d'origine européenne comme une insulte aux Kanak. Aussi les thématiques des savoirs et du patrimoine culturel à sauvegarder semblent-elles rester le monopole de la revendication identitaire kanak. Cela s'explique certainement du fait que les Mélanésiens jouissent d'une reconnaissance en droit grâce au statut de « peuple autochtone » et non les Calédoniens d'origine européenne, qui ne possèdent pas une place culturelle bien définie dans la société. D'ailleurs, certaines personnes nous ont déclaré qu'il s'agissait d'une communauté « sans tradition », ni « culture » propre.

De la même manière, certains Calédoniens d'origine européenne, notamment ceux qui revendiquent le plus leur identité calédonienne, peuvent avoir une image très négative parmi la population broussarde. Par exemple, concernant la pêche au dugong ou à la tortue, ils sont souvent accusés de braconnage, comme le prouve le témoignage d'un jeune pêcheur appartenant à l'Association Bouraillaise pour la défense des Lieux de loisirs, de l'Environnement et du Patrimoine culturel et Identitaire Calédonien (ABLEPIC) :

« Quand on s'est monté en association, les journaux stipulaient : « Les braconniers hors la loi se sont constitués en association ». f...] Il existe aujourd'hui une réelle diabolisation du caldoche. Ce problème est tu mais il est présent partout » (Bourail, homme d'une vingtaine d'années).

De même, à la question : « Mais qui est-ce qui braconne le dugong ? », beaucoup de personnes ont répondu qu'il s'agissait des Calédoniens d'origine européenne ayant de gros moyens et du bon matériel de pêche. Ainsi, les différentes communautés utilisent la thématique des savoirs culturels relatifs au dugong comme arguments supplémentaires dans leurs conflits ethniques ou dans leur lutte pour la reconnaissance identitaire.

Dans cette partie, le thème de la permutation des connaissances entre autres a été abordé à travers l'analyse comparée entre les savoirs traditionnels ou autochtones relatifs au dugong et le mode de connaissance scientifique. Nous avons alors constaté que les frontières entre ces deux sphères, entre le « traditionnel » et le « moderne », sont plus souples qu'il n'y paraît au départ et qu'elle relève surtout de distinction identitaire forte.

Au contraire, ces savoirs et pratiques peuvent s'apporter l'un et l'autre, notamment à travers une compréhension de la nature et du dugong en tant qu'objet patrimonial. De plus, les acteurs institutionnels du Plan d'actions s'intéressent de plus en plus aux « savoirs locaux » concernant cet animal, comme le prouve la présente étude, et les populations locales sont poussées à acquérir des connaissances qui correspondent à la « culture des développeurs ». Ces savoirs sont relatifs à la biologie (par exemple, la classification du dugong) mais aussi au cadre juridique en vigueur, aux mesures de protection environnementale et à la logique des projets de développement.

Par conséquent, la dynamique des savoirs entre acteurs « institutionnels » et « locaux » concernant la préservation de la ressource marine est-elle similaire à celle précédemment analysée ? Qu'en est-il également des pratiques locales en matière de protection environnementale ? Sont-elles en adéquation avec les mesures légales ? Les habitants souhaitent-ils que la ressource marine soit préservée, et a fortiori le dugong ?

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Pour répondre à ces questions, nous nous sommes d'abord intéressée à la notion de « conscience environnementale ».

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IV. Perceptions et pratiques relatives à la protection du dugong : articulation des savoirs et des intérêts des acteurs « locaux » et « institutionnels » ?

IV.1. Conscience environnementale en question : est-ce que les « populations locales » sont susceptibles de protéger le dugong ?

Que devons-nous entendre par « conscience environnementale » ? S'il l'on considère l'acception la plus vaste du terme « environnement », comme le font Isabelle Leblic et Jean Trichet (2008), celui-ci désigne tout objet qui entoure un être. En ce sens, l'homme s'inspire de ce qui est à côté de lui, de l' « autre » en général, pour bâtir son univers psychique, mental, relationnel et social. Et vice-versa, par son action et selon son idée préalable, il modèle son environnement qui se modifie à son contact. « L'homme est aussi l'acteur de l'étude de son propre environnement, juge et partie. C'est un privilège qui le met, seul, à même de procéder à des choix utiles ou nuisibles à son environnement » (Trichet & Leblic, 2008 : 6). Il s'agit là d'un trait commun à toutes les sociétés du monde. La communauté mélanésienne de Pouébo est donc consciente de son environnement, y compris naturel car une partie de son organisation sociale est basée sur une certaine compréhension et interprétation collective de cet élément.

Par exemple, certaines zones font l'objet d'une protection stricte, telles les réserves coutumières traditionnelles.62 Ces espaces sont mis en place par le petit-chef d'une tribu de bord de mer de Pouébo afin d'être sûr d'avoir suffisamment de poissons pour les cérémonies coutumières comme la cérémonie de la Nouvelle-Igname. La protection de la nature est ainsi assimilée à la protection de la ressource, et les coutumiers ne cherchent pas à sauvegarder directement l'environnement pour lui-même mais pour assoir l'organisation sociale en place. Les règles coutumières ont avant tout pour objectif de normaliser les actions humaines plus que pour protéger la nature, qui est un effet plus qu'un objectif de cette règlementation. Cela ne signifie pas que, traditionnellement, les Kanak ne se préoccupent pas de l'environnement. Seulement, ils le font pour de certaines raisons, dont la plus primordiale est celle de la survie de leur culture.

De plus, les habitants ont adopté le discours des environnementalistes et le vocabulaire propre au monde du développement. Il semble que les sociétés mélanésiennes, notamment celle de Pouébo, ont très bien intégré le concept de « développement durable »63 et l'enjeu environnemental. Si, à partir des années 1970, on constate la montée des « réactions spontanées d'une opinion qui prend conscience de la croissance des risques qu'engendre une recherche effrénée du profit par l'application de n'importe quelle conquête technique, quelles qu'en soient les conséquences à long terme » (citation du géographe Pierre Georges ; Brunel, 2004 : 23), le peuple kanak n'a pas été épargné par cette mobilisation et ce mouvement. Parmi les problèmes majeurs touchant l'environnement aujourd'hui, nous pouvons citer le réchauffement climatique ou

62 cf. IV.2.3. Zones taboues et réserves coutumières.

63 Le « développement durable, c'est s'efforcer de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des satisfaire ceux des générations futures. » (Rapport dit Brundtland, 1987). Aujourd'hui, une action s'inscrit dans le développement durable « quand elle parvient à concilier les trois « E » : Économie, Équité, Environnement » (Brunel, 2004 : 5).

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encore les pollutions de toutes sortes. Or, certaines personnes de la tribu de Diahoué s'inquiètent du fait que des « indicateurs écologiques », guidant et rythmant le « calendrier » des Vieux qui se base sur l'observation de la nature et de la lune, sont moins fiables qu'avant à cause du changement climatique qui modifie les mouvements naturels. Certains Vieux, quelques notables et certains jeunes des tribus de la commune de Pouébo emploient d'elles-mêmes des termes comme « changement climatique », ce qui prouve bien qu'une partie de la population est pleinement consciente des problèmes environnementaux en jeu actuellement.

Il est également possible que de récents projets de conservation dans la région, comme l'aire marine protégée de Hyabé/Lé-Jao dans le district Sud au milieu des années 2000, aient modifié les représentations que les gens ont et se construisent de l'environnement, notamment maritime, ainsi que leurs pratiques. C'est ce que nous tâchons de décrire à travers la présentation d'éléments d'analyse sur les représentations et les usages de l'espace naturel et maritime, qui prennent en compte leurs évolutions temporelles.

« Avant, on ne s'en préoccupait pas parce qu'on pensait que la ressource était inépuisable. Et puis, les gens faisaient n'importe quoi, ils pêchaient à la dynamite ou à la bombe à carbure quand j'étais gamin. J'ai vu faire mais j'ai jamais fait, c'était trop dangereux. [...] Par contre, ils ne savaient pas que certaines méthodes de pêche étaient dangereuses pour l'environnement ».

Ce témoignage d'un homme de plus de soixante ans d'une tribu de Pouébo met en lumière une conception de la nature comme une ressource tellement abondante que la question de la sauvegarde des espèces ne se pose pas. En ce sens, il n'existe aucune « conscience environnementale ». Cette représentation de l'environnement est encore très ancrée dans les mentalités en Nouvelle-Calédonie, que ce soit dans la Zone Côtière Ouest ou sur Pouébo. En effet, un pêcheur d'une tribu de la commune a toujours entendu son père et son grand-père lui répéter que « plus on pêche du poisson et plus le poisson est abondant ». Un tel discours illustre combien les Néo-calédoniens perçoivent/percevaient leur nature comme généreuse, ce qui a engendré des pratiques de prélèvements assez extrêmes.

« Quand j'étais jeune, je devais avoir 16-17 ans, il y a eu un grand rassemblement chez les Atiti à Yaté. Ils avaient pêché 53 tortues en 3h30 ! Bon je veux bien qu'on tue des tortues pour faire un bougna, mais autant ! C'était devenu un concours, à celui qui en ramenait [à terre] le plus et le plus vite. C'était comme cela avant les mentalités, c'est encore le cas d'ailleurs » (Bourail, homme de plus de soixante ans).

Ce type de concours et de surenchère semblait donc faire partir des pratiques broussardes depuis au moins cinquante ans, à en croire notre informateur. Lors de notre enquête, nous avons également rencontré des personnes qui s'adonnent à ce genre de pratiques, notamment autour du cerf. Plus elles touchent de cerfs et plus la reconnaissance des autres chasseurs, et donc leur prestige, est grand(e). Un autre interlocuteur, un gendarme de Bourail à la retraite, rajoute que cette manière de considérer la ressource naturelle est toujours actuelle pour une partie de la population :

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« Au niveau des pratiques de pêches et de chasse, les [broussards] vivent comme il y a 30 ou 40 ans, ils n'évoluent pas avec la société. Ils sont dans une logique d'abondance, c'est un problème ».

Toutefois, à cette époque, « les gens pêchaient selon leur besoin et maintenant, ce n'est plus le cas ». De nombreuses personnes s'entendent pour dater les dérives de la surpêche, de la chasse intensive et de la surconsommation à l' « arrivée du congélateur », qui a facilité le mode de conservation du gibier. A la place de partager les fruits de leurs activités vivrières, les habitants des campagnes préféraient garder la nourriture pour eux-mêmes, marquant ainsi la perte d'une certaine philosophie de la redistribution et le début de l'aire « individualiste ». Nous n'avons pas réussi à savoir avec exactitude le moment où les congélateurs ont été introduit en Brousse mais nous savons que le courant électrique était accessible sur la commune de Pouébo à la fin des années 1980-début des années 1990 et sur le Côte-Ouest à la fin des années 1960-1970.

De plus, les broussards donnent souvent comme explication à cette suractivité l'augmentation de la densité de population, l'amélioration des outils, méthodes et moyens de prélèvements des animaux dans le milieu naturel, ainsi que le non-respect des espaces côtiers en général par le développement touristique et les nouveaux arrivants sur le territoire. Mais la raison qui reste la plus largement invoquée est celle de « l'argent » : certains Néo-calédoniens seraient tellement intéressés par devenir de plus en plus riche, à travers la vente de leur pêche ou de leur chasse, qu'ils n'auraient aucune considération pour les conséquences environnementales de leur activité. Ainsi, les « temps modernes » signent la fin du mythe de l'abondance et le début de l'attrait pour l'argent au détriment de la nature.

Cependant, d'autres Néo-calédoniens ne cessent de constater les dégradations massives depuis quelques années sur l'environnement, ce qui a peut-être eu pour effet de réveiller la « conscience environnementale » de certains et le souci de la transmission aux générations futures :

« On a fait un grand-pas et depuis pas très longtemps en matière d'environnement. [...] Et c'est pour cela que je me suis engagé dans l'environnement. C'est venu du constat qu'il avait de grosses dégradations sur la mer comme dans les terres. Et puis, j'ai envie de préserver la nature pour nos enfants, pour qu'ils connaissent ce que l'on a connu » (Bourail, homme de plus de soixante ans).

Selon cette personne, la population s'est aperçue d'un changement dans la densité et la fréquentation des espèces dans les lieux où elle a l'habitude de pêcher et de chasser. Cette prise de conscience a bouleversé les comportements de ceux qui sont les plus sensibles à la cause environnementale et qui se sont parfois engagés dans la protection de la nature. Cette responsabilité était souvent déléguée aux seuls coutumiers, comme en témoigne cette déclaration d'un employé de la mairie de Poya à la retraite : « Nous, on n'est pas des coutumiers. On participe à la protection de la nature alors que c'est un rôle qui d'habitude est attribué aux coutumiers. Mais ca va rentrer dans les mentalités aussi, c'est un processus long ». La protection environnementale est peut-être une nouvelle attitude que beaucoup d'habitants aimeraient voir se propager, mais aussi un moyen de redynamiser la cohésion sociale et la vie en Brousse à travers des réunions d'informations, des actions, des foires, des projets...

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A ce propos, le gendarme à la retraite, précédemment cité, indique qu'en l'espace de trente ans, il a remarqué que de nombreux projets relatifs à l'éco-tourisme ou à la protection de l'environnement se sont développés dans les alentours de Bourail et de la Côte Ouest en général. Un autre complète cette idée en expliquant que, depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, les décideurs politiques sont de plus en plus tournés vers ces questions, avec la création des Provinces par exemple. Il ajoute :

« Mais je trouve qu'il y a un vrai changement. Maintenant on commence à faire attention à la nature, à la respecter. Par exemple, les sociétés minières ne peuvent plus faire n'importe quoi. C'est une bonne chose. Avant ils rasaient la montagne n'importe comment et maintenant, il y a des procédures, donc ca montre bien... Au niveau de la mer, c'est pareil avec les réserves. »

Pour conclure, il semble qu'une évolution à double vitesse des « mentalités » concernant la protection de la nature est en marche. Si certains continuent à vivre sans se soucier des conséquences de leurs activités sur la population animale, de nombreuses associations locales, avec des légitimités différentes en matière de gouvernance environnementale, ont vu le jour depuis cinq à dix ans. Cela ne signifie pas que tous les broussards se sentent concernés par la protection environnementale mais plutôt que les discours et les manières de penser sont de plus en plus sensibles à ces enjeux-là. Des idées et des pratiques renouvelées ou renforcées autour de la protection de l'environnement font leur apparition parmi la population néo-calédonienne.

Concernant la protection du dugong, l'aire marine protégée est l'outil juridique le plus utilisé par les acteurs institutionnels. Elle s'accompagne d'une surveillance maritime plus ou moins stricte en fonction des statuts légaux. Ces acteurs mobilisent un certain type de savoir pour défendre cet animal, ce qui pose la question de la compatibilité de telles méthodes avec les modes de vie locaux. Est-ce que les populations côtières possédaient déjà leurs propres modes de gestion maritime ? Est-il possible que cet instrument légal court-circuite les pratiques locales, ou au contraire les complète ?

Pour répondre à ces interrogations, nous exposons deux cas où la place des pratiques locales en matière de protection environnementale n'est pas abordée de façon similaire par les acteurs de la conservation. Nous proposons dans le premier cas, celui de l'aire marine de Hyabé-Lé-Jao dans la commune de Pouébo, une analyse à l'échelle micro-locale des mécanismes engagés pour sauvegarder le dugong. Dans la seconde situation, nous changeons d'échelle en considérant les pratiques et savoirs de plusieurs acteurs institutionnels, environnementaux et locaux.

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IV.2. Mobilisation des « savoirs locaux »64 au service de la protection environnementale : l'aire marine protégée Hyabé / Lé-Jao

IV.2.1. Clans de la mer et gestion maritime à Pouébo

La mer est un élément important dans la commune de Pouébo puisque nombre de tribus se réclament d'être du bord de mer, comme la tribu de Saint-Denis de Balade (district de Balade au nord), les tribus de Yambé et Diahoué (district de Lé-Jao au sud). Suivant la position géographique d'un foyer dans une tribu65, les habitants se définissent comme issus de la « chaîne » ou du bord de « mer », ce qui modifie considérablement leurs univers spirituels et leur pratiques sociales.

Dans la tradition locale, un clan de la « terre » et un autre de la « mer » ne se référaient pas aux mêmes espèces végétales ni animales. Par exemple, les indicateurs temporels observés par la population dans le milieu naturel variaient selon le lieu d'habitation. Si les tribus de bord de mer de la commune de Pouébo savent lorsqu'ils doivent planter l'igname en fonction de l'apparition des baleines, les tribus de la chaîne repèrent cette période grâce aux feuilles jaunissantes d'un arbre précis. De même, les membres interrogés de ces tribus ont souvent exprimé leur illégitimité à parler du milieu maritime parce que, pour eux, « on ne parle que ce qu'on connaît ». Or, comme ils sont davantage reliés aux plantes et aux animaux de la forêt, ils peuvent difficilement aborder le thème de la mer.

En outre, en fonction de leurs environnements naturels proches, la population ne pratiquait pas les mêmes activités. Si les clans d'une tribu n'étaient pas tous dévolus à la même tâche, seuls certains clans de la montagne étaient habilités à chasser, et d'autres clans de bord de mer à pêcher. Ce faisant, ils n'observaient pas non plus les mêmes rituels de préparation à ces activités. D'après un entretien réalisé auprès d'une employée de la médiathèque de Pouébo-village, depuis les années 1870, les tribus de la chaîne s'approvisionnent occasionnellement en poissons auprès des clans de pêcheurs. Ils faisaient une demande et un geste auprès d'un individu de la tribu de bord de mer qui, en réponse, organisait une pêche collective66. Selon cette même personne, l'inverse était aussi vrai concernant les clans de bord de mer et l'approvisionnement en viande.

L'organisation traditionnelle de la vie entre les tribus de la commune de Pouébo reposait sur la répartition entre « peuple de la mer » et « peuple de la terre » qui étaient reliés par un système d'échanges réguliers entre les deux milieux. Ce grand partage, encore reconnu aujourd'hui, oriente certaines règles sociales et certains modes de penser, ce qui signifie que les personnes n'ont pas les mêmes perceptions de la mer en fonction de leur lieu d'origine. Pour résumer, il existe une distinction entre ceux qui sont nés près de la mer et ceux qui ne la connaissent « que de loin » et ce sont bien les clans de la mer qui sont traditionnellement garants de sa gestion.

64 En l'occurrence de « savoirs traditionnels » kanak ou « savoirs autochtones ».

65 Selon que la tribu se situe du côté « mer » ou du côté « terre » le long de la route provinciale.

66 Samuel Cornier explique la même chose dans son mémoire (2010 : 81).

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IV.2.2. Découpage local de l'espace maritime

La question de la gestion de l'espace marin repose sur le présupposé de l'existence de règles foncières maritimes reconnues localement. Comme nous l'avons remarqué, l'enjeu des ressources marines est totalement lié « aux spécialisations fonctionnelles des clans au sein des chefferies » (en particulier les « clans pêcheurs » reconnus « détenteur[s] des connaissances et des objets magico-religieux nécessaires à la capture de la faune marine », Leblic, 1989 : 112) » - des spécialisations qui se transforment au fil du temps (LeMeur, Saboua, Poncet, Toussaint, 2012 : 241). Ceci prouve bien que les habitants s'approprient l'espace marin, et ce d'autant plus qu'ils délimitent les zones de pêche par tribu. En effet, selon Leblic, chaque tribu a toute légitimité de pêcher dans le territoire en mer qui correspond aux limites terrestres de la tribu (Ibidem). Cet aspect transparaît également dans les discours récoltés sur le terrain, même si aujourd'hui ces frontières maritimes, et les règles associées à leur transgression, sont de moins en moins respectées.

En effet, un vieux pêcheur de soixante dix ans de la tribu de Yambé nous explique que ces limites-là ne sont plus réellement respectées depuis sa jeunesse où il partait à la pêche à la tortue ou au dugong :

« Des fois, on était tout près de la tribu de Tchambouène, il aurait fallu faire le geste avec les gens de Tchambouène et si on allait plus loin, il fallait faire avec les gens de Pouébo. Le chef coutumier, le petit chef ou un autre Vieux, n'importe lequel. Mais s'ils voient le bateau, ils vont commencer à parler de cela. Il fallait faire normalement, mais on ne le faisait pas ».

Ces délimitations ne sont plus respectées aujourd'hui, non sans exacerber parfois des tensions entre diverses tribus voisines. Si ces règles ne sont plus réellement respectées, d'autres indicateurs manifestent l'appropriation par la population locale de l'espace maritime, comme certains modes de gestion traditionnels. De la même manière qu'il existe des lieux « tabous » sur la terre, on en retrouve en mer. D'après la coutume, les habitants doivent respecter ces endroits en effectuant certains rituels ou en évitant d'y pénétrer, afin de ne pas contrarier les esprits des anciens qui en sont les gardiens. Ces tabous font alors partie intégrante de l'ensemble « cosmopolitique » kanak (Cornier, 2010), tout en participant à la gestion de la ressource terrestre ou halieutique.

IV.2.3. Zones taboues et réserves coutumières

En effet, les clans des pêcheurs de la région ont toujours protégé le lagon en mettant en place des zones « taboues », voire des zones de protection coutumière, qui ont été établies dans des temps ancestraux. Par exemple, prés de la tribu de Saint-Denis de Balade, il est possible d'apercevoir depuis le col d'Amos un lieu tabou où l'eau est « noire » parce que l'endroit est profond :

« Le tabou il est tout noir, mais tous les poissons qui passent, soit un requin, soit un perroquet, soit un modap mais ils sont tout blancs, comme le cahier, comme c'est noir le tabou » (Saint-Denis de Balade, petit-chef de la tribu de plus de soixante ans).

Cet endroit se nomme en nyelâyu Dalac Yelem (la mer défendue) et, même si cet endroit n'appartient plus aujourd'hui à la tribu de Saint-Denis mais à celle de Tiari plus

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au nord (commune de Ouégoa), la plupart des habitants aux alentours continuent à respecter le tabou qui l'entoure. Ils demandent l'autorisation de passer ou de pêcher aux membres de la tribu « propriétaire » et, lorsqu'ils y passent en bateau, ils font un geste ou une parole en signe de respect. Si les personnes ne respectent et ne respectaient pas ces règles, il leur arrivait des malheurs causés par des esprits des anciens qui cherchaient à punir la faute commise.

Ainsi, la fréquentation et les activités sur ces zones se trouvent donc régulées par des règles coutumières, mais ce n'est pas tant ce qui caractérise le mieux ces tabous. En effet, à travers les discours, nous pouvons appréhender la valeur culturelle de tels endroits. Plus que des modèles traditionnels de gestion, ils participent à la coutume kanak et se réfèrent à des histoires qui leur donnent vie et sens, ainsi qu'aux règles qui les entourent.

Dans la tribu de Yambé, s'il existe aussi des zones taboues en mer du même ordre, d'autres sont des endroits que le petit chef de la tribu a décidé de protéger. Par exemple, la partie gauche du récif Pewen ou « Péwhane » (qui n'est pas recouvert d'une aire protégée - cf. figure 7) est une réserve coutumière traditionnelle67 mise en place par le petit chef de la tribu, avec l'accord des anciens, pour préserver la ressource dans ce territoire et de permettre à la tribu de s'approvisionner abondamment en viande ou poisson lorsqu'elle fête un événement socialement important, comme la cérémonie de la Nouvelle Igname. Les coutumiers ont d'ailleurs autorité sur cet espace qui, pendant sept ans, a été interdit à la pêche. Ils ont rendu de nouveau la pêche possible à cet endroit pour les résidents de la tribu uniquement.

En revanche, la traversée de l'autre partie de la réserve coutumière et des zones taboues de la tribu de Yambé est totalement interdite parce qu'elles ont été recouvertes par des aires marines protégées intégrale. Autrement dit, à l'autorité coutumière se superpose celle de la Province Nord, et ce sous demande des coutumiers eux-mêmes. Comment cette AMP s'est-elle construite ? Quel a été le rôle et la place des coutumiers dans ce projet ? Comment et surtout, pourquoi ont-ils tenu à intégrer cet outil de protection juridique ?

IV.2.4. Mise en place de l'aire marine protégée Hyabé / Lé-Jao

Selon un document rédigé par le WWF et les déclarations des personnes interrogées, le projet d'aires marines protégées sur la zone de Pouébo, initié en juin 2006, a été formulé grâce à la collaboration étroite entre le WWF (chargé d'animer le projet), la Province Nord et les habitants de la région. Celui-ci fait suite au Programme d'évaluation rapide de la biodiversité (RAP) sur l'ensemble de la zone Nord-Est de 2004, commandité par Conservation International (CI) et la PN, qui a révélé « la richesse des fonds marins de cette zone, ainsi que son importance pour les tribus côtières. Les conclusions et recommandations de l'étude incluaient donc la création d'aires marines protégées, leur mise en réseau, l'intégration des règles coutumières, la création de zones de non-prélèvements et la rédaction de plans de gestion » (document privé WWF).

67 Qui dépend de l'autorité coutumière kanak basée sur la chefferie et le système de parenté

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Figure 7 : Aire Marine Protégée de Hyabé/Lé-Jao, face à la tribu de Yambé (c) réalisation : WWF

Cette étude a été une étape préalable à la réalisation du projet Coral Reef Initiative in the South Pacific (CRISP), lancé en 2005 par l'AFD et ses partenaires. A cette occasion, le WWF-Nouvelle-Calédonie s'est investi dans une Analyse Eco-Régionale marine de la Nouvelle-Calédonie, « afin d'identifier un réseau de 19 aires d'intérêt majeur pour la conservation de la biodiversité et des ressources marines » (Faninoz, rapport CRISP - Aires Marines du Nord-Est, WWF, 2009 : 1). Ensuite, étant partenaire technique du CRISP à l'initiative du Programme Régional Océanien de l'Environnement (PROE), l'ONG a assuré l'animation du projet de création d'une aire marine protégée en collaborant étroitement avec la population locale, et ce afin de correspondre aux objectifs de gestion participative du CRISP :

« L'initiative pour la protection et la gestion des récifs coralliens dans le Pacifique, engagée par la France et ouverte à toutes les contributions, a pour but de développer pour l'avenir une vision de ces milieux uniques et des peuples qui en dépendent ; elle se propose de mettre en place des stratégies et des projets visant à préserver leur biodiversité et à développer les services économiques et environnementaux qu'ils rendent, tant au niveau local que global. Elle est conçue en outre comme un vecteur d'intégration régionale entre états développés et pays en voie de développement du Pacifique » (Ibid.)

La conservation marine de ces zones rencontre un nouvel élan en 2008 avec l'inscription des « Lagons de Nouvelle-Calédonie, diversité récifale et écosystèmes associés » au Patrimoine mondial de l'UNESCO. Cet événement marque le début de l'élaboration des plans de gestion des AMP de Pouébo et Hienghène et la fondation des comités de gestion participative. Sur l'aire protégée de Pouébo, le Comité de Gestion est

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composé de quinze personnes réunissant des représentants coutumiers, des agents de la PN et de la commune. Ensuite, l'Aire de Gestion Durable des Ressources (AGDR) de Hyabe-Lé-Jao est officiellement inaugurée en 2010, recouvrant 7080 hectares (Ibidem). Elle est dotée d'une « zone tampon », d'une superficie de 31,058 km2, définie sur le domaine terrestre immédiatement adjacent. L'espace maritime est découpé en trois Réserves de Nature Sauvage (RNS) : celle de Whanga/Lé-Dan - celle de Whan-Denece-Pouarape- et celle de Péwhane (cf figure 7). Ces zones possèdent des statuts juridiques précis spécifiés dans l'article 212-2 du Code de l'Environnement de la PN qui stipule que :

Article 212-2

La réserve de nature sauvage est une zone naturelle peu ou pas modifiée par l'homme, dénuée d'occupation permanente ou significative. Elle est gérée de façon à préserver ses caractéristiques naturelles intactes, avec un niveau d'intervention sur le terrain très faible ou nul, excepté en ce qui concerne la lutte contre les espèces envahissantes.

Ne peuvent être tolérées dans les réserves de nature sauvage que les activités scientifiques, environnementales, la circulation (en dehors - sur les sites terrestres - de l'usage de véhicules à moteur), l'implantation d'infrastructures légères compatibles avec l'objectif de gestion (refuges, mouillages, sentiers aménagés par exemple), les activités de chasse, de pêche ou de cueillette à caractère traditionnel dûment autorisées par le président de l'assemblée de Province nord.

Y est interdit tout acte de nature à nuire ou à apporter des perturbations à la faune, à la flore, aux paysages et écosystèmes.

Article 212-2 du Code de l'Environnement de la Province Nord, 2009, p.19

Voilà pourquoi un jeune homme de 30 ans, habitant prés de la tribu de Yambé, affirme que : « Ca fait que nous ici, les réserves c'est des zones interdites. On peut passer sur les bords mais pas dans les zones, c'est interdit ».

Ces zones n'ont pas été choisies au hasard. En effet, les réserves suivent plus au moins les délimitations des zones taboues ou des réserves traditionnelles dont elles portent le nom, à savoir Whanga/Lé-Dan et Whan-Denece-Pouarape. L'animatrice de l'association de gestion de l'aire marine explique ainsi que « c'est la zone taboue là [en parlant de Whanga / Lé-Dan], et la Province elle s'est mise aussi. Elle a encerclé cela, pour renforcer la protection par les traditions, par les Vieux. Ici c'est pareil que là là [en parlant de Whan-Denece], et les Vieux ils disaient qu'il y avait un geste à faire pour aller là-bas ».

La PN, le WWF et les habitants sont donc tombés d'accord pour partager la responsabilité et la gouvernance de l`AGDR. Ce faisant, les autorités « administratives » et « coutumières » se superposent sur les réserves au nord, sur la deuxième barrière de corail. Il s'agissait à la fois d'une demande des Vieux de mettre en place des mesures pour respecter ces lieux, pour faire respecter le tabou par tous, et d'une démarche de la Province pour préserver des endroits où la biodiversité est particulièrement riche - puisqu'elle est fréquentée par des espèces menacées comme le dugong. Pour paraphraser le discours d'une personne interrogée en entretien, en balisant ces endroits tabous, où l'on ne pouvait pas passer sans faire un geste, les locaux les valorisent et en montrent l'importance.

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Toutefois, la gestion du récif de Péwhane est double parce que la zone est partagée entre la réserve coutumière et la Province avec la RNS. D'après l'animatrice de l'association, les anciens n'auraient pas « demandé à ce que l'aire marine protégée soit sur la réserve coutumière pour pouvoir aller pêcher lors de la fête de l'igname ». Cela signifie que seuls les coutumiers ont une autorité sur cette partie de la réserve coutumière qui est quand même intégrée à la zone plus large de l'AGDR.

D'ailleurs, les eaux de l'AGDR sont tout à fait praticables pour les membres de la tribu ou par les individus extérieurs qui possèdent leur accord préalable. Ce faisant, toujours selon la même personne, les coutumiers ont voulu établir « des aires marines protégées sans nous interdire de faire la pêche. On fait un petit endroit pour la préservation et un endroit pour nous la tribu pour nous aller pêcher au quotidien. Nous on donne cet espace là à l'aire marine protégée mais il faut aussi qu'on trouve notre poisson de tous les jours ». Autrement dit, l'Aire de Gestion Durable de la Ressource est un outil qui permet aux individus de la tribu de gérer la circulation des bateaux extérieurs sur leur territoire maritime, tout en ne les privant pas de la possibilité de subvenir à leurs besoins par la pêche.

A ce propos, un pêcheur de soixante ans de la tribu de Saint-Denis de Balade nous explique que les habitants de Yambé ont participé au projet d'aire marine pour palier aux problèmes avec certaines tribus limitrophes, notamment Tchambouène, où les règles concernant les frontières des zones de pêche attribuées par tribu ne sont pas respectées. De fait, la motivation de la population vivant face à l'aire protégée était également liée à la sauvegarde de leur espace de pêche des autres tribus aux alentours.

Il ajoute aussi qu'il a constaté la dégradation de la ressource halieutique sur ces côtes et pense qu'il est pertinent de mettre en place des mesures de protection similaires à celles de l'aire marine protégée de Hyabé/Lé-Jao. Selon lui, « il y a beaucoup de pêcheurs pour peu de poissons sur notre zone maritime. Parfois d'ailleurs on revient bredouille ». Il serait judicieux de délimiter une aire marine protégée à Balade parce que la tradition de la pêche est plus importante dans ce secteur que dans les tribus plus au Sud et que cette activité reste une source de revenus importante pour les pêcheurs de tout âge dans ce district. En revanche, l'organisation sociopolitique de sa tribu rend difficile la conception d'un tel projet puisqu'il déclare en entretien :

« Mais là-bas [en parlant de Yambé, seule tribu protestante], ils sont plus volontaires. C'est leur religion qui les réunit. On peut agir suivant ses volontés lorsqu'on est si bien regroupés. Là-haut, à Yambé, ils se sont entendus avec le chef et ils ont créé les AMP avec comité de co-gestion. C'est une prise de décision collective. J'ai beaucoup de respect pour les gens de là-bas parce que la tribu a une structure bien fonctionnelle et c'est loin d'être le cas ici... »

Par conséquent, si nous suivons son raisonnement, toutes les tribus de bord de mer de la commune de Pouébo ne peuvent pas prétendre à la création et à la gestion partagée d'une aire marine protégée. Il semble nécessaire que la tribu soit socialement cohérente et organisée pour que la collaboration avec les acteurs institutionnels de la protection environnementale soit possible.

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IV.2.5. Utilisation du dugong dans cette stratégie de protection

Dans l'aire marine protégée de Hyabé/Lé-Jao, si les habitants ont accès aux zones de pêches, toutes les pêches ne sont pas autorisées sur l'ensemble de l'AGDR. En effet, à la demande du Comité de Gestion de l'aire, il existe des modalités spécifiques de gestion concernant la tortue et le dugong. Malgré la loi instituée par l'article 341-56 du Code de l'environnement de la PN, le dugong est strictement protégé dans cette zone : aucune pêche n'est autorisée y compris pour des cérémonies coutumières. La raison principale invoquée par les habitants de la tribu d'une telle règlementation sur cette espèce est synthétisée dans une déclaration de l'ancien maire de Pouébo :

« C'est le dugong au service de la coutume et non l'inverse, c'est pour cela que c'est à nous de la protéger. Pour protéger les valeurs etc. En

préservant notre environnement, on préserve notre culture».

Les membres de la tribu se servent donc de la règlementation et des outils de gestion à leur disposition pour sauvegarder l'environnement et pour préserver leur culture. De même, ils mobilisent leurs « savoirs traditionnels » relatifs au dugong, qui possèdent à la fois une dimension symbolique et un aspect pratique de gestion de l'environnement. Cela prouve qu'ils ont parfaitement assimilé les discours environnementaux actuels, mais surtout qu'ils possèdent une conception « patrimoniale » de la nature.

Dans cette étude de cas, le terme « emblématique » affilié au dugong prend tout son sens à travers le jeu de correspondances entre les intérêts des acteurs institutionnels liés à la conservation maritime et ceux de la population de Yambé avec son système culturel. En fait, cet animal est « emblématique » dans le vocabulaire de la conservation puisque les différents acteurs l'utilisent comme un argument pour protéger des zones qui sont fréquentées par de nombreux autres poissons, à la manière d'une « espèce parapluie ». Il est/était aussi particulièrement important pour les clans de la mer, ce qui explique qu'ils cherchent à la protéger afin de préserver les savoirs et pratiques traditionnelles qui lui sont concomitants (le respect des zones taboues, l'image d'un peuple chasseur de dugong) - et ce même s'ils ne peuvent plus le pêcher. Nous pouvons très bien imaginer que, au cours d'une rencontre en bateau avec l'animal, les Vieux assurent la transmission orale de ces techniques par les récits de pêche ou encore de son rôle dans les cérémonies coutumières. Il possède donc une valeur d'ordre du patrimoine pour les populations locales.

En parallèle, cette valeur permet aux acteurs du Plan d'actions dugong présents sur la zone de l'utiliser comme ressource supplémentaire à la protection ainsi que comme justificatif de la pertinence de leurs actions. Grâce à cela, ils sont également capables de mobiliser les habitants dans l'effort de protection et d'assurer leur participation. De plus, la prise en compte des savoirs traditionnels kanak et des pratiques coutumières est essentielle dans les stratégies et de l'attitude politique de la Province Nord. En effet, la Province Nord, dont la majorité des habitants sont kanak, est particulièrement volontaire dans la « réalisation d'une gouvernance considérant les usages coutumiers », et ce afin de les préserver et de les valoriser au même titre que la biodiversité naturelle.68 Il est évident que le WWF implanté sur cette zone suit les mêmes prérogatives.

68 Séminaire de l'IRD du 27 août 2014, Margot Uzan, juriste étudiante en M2 Université de Toulouse, « La Création d'un système d'aires protégées en Province des îles loyauté »

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Cependant, cet objectif d'intégration et même de consultation (assimilé à une démarche « participative »), qui était en bonne voie d'application au début de la création de l'aire marine protégée, est peut-être aujourd'hui quelque peu compromis par le manque de cohérence lié aux projets de développement. A ce propos, un environnementaliste déplore la perte progressive du côté participatif :

« Je pense qu'on perd des gens, pour moi, ça c'est passé quand le dugong a été de nouveau pêché69. Cela illustre vraiment le malaise du moment. Au début, c'était vraiment une demande des Vieux de protéger les vaches marines de la zone, parce qu'ils savent qu'il n'y en avait plus beaucoup et que c'était une espèce très fragile et en même temps très emblématique dans leurs coutumes. [...][Ceux qui étaient en poste] étaient sur le départ quand je suis arrivé. Après tout le staff a changé et on a perdu un peu l'historique du projet et on est passé à une gestion pour moi très provinciale. [...] Aujourd'hui au comité de gestion, il y a souvent une, deux ou trois personnes avant il y en avait dix ou quinze autour de la table, ça prenait la journée mais ce n'était pas grave parce que les gens parlaient librement et c'était vraiment leur projet d'aire marine protégée. Maintenant par contre, on sent bien l'inconfort, ce manque de participatif des gens qui s'éloignent petit à petit doucement mais très sûrement du projet et nous ce qu'on aimerait c'est vraiment remettre en place la gouvernance... ».

Quoiqu'il en soit, le cas de l'aire marine protégée de Hyabé-Lé-Jao démontre que la mobilisation des « savoirs traditionnels » peut susciter, au moins un temps, un compromis entre les acteurs autour d'une espèce « emblématique », à travers la compréhension par les deux parties de cette valeur patrimoniale ajoutée. Mais la convergence des pratiques et des savoirs n'est pas toujours possible, tellement les « cultures » des « développeurs » et des « développés », des acteurs institutionnels et la « population locale » sont éloignées. Tel est notre constat après l'étude des stratégies de protection du dugong dans la Zone Côtière Ouest.

IV.3. Protection du dugong dans la Zone Côtière Ouest : un enchevêtrement d'échelles, de logiques et de pratiques

Avant d'aller plus loin dans notre développement, nous souhaitons souligner que les activités liées à la mer sont particulièrement diversifiées sur cette côte, notamment du fait de la forte densité humaine, de la forte mixité culturelle et du développement économique et touristique. Si certaines personnes habitent près du bord de mer, la pêche et les sorties en bateaux ne font pas pour autant partie de leurs activités quotidiennes (à moins d'être pêcheur professionnel ou dans la protection maritime). La plupart des habitants de la zone travaille la semaine et ne navigue que lorsque le temps le leur permet le week-end. En règle générale, comme le souligne Jean-Claude Mermoud (1997) et comme nous l'avons constaté sur le terrain, les broussards partent en bateau tôt le matin avec la famille ou des amis, emportent avec eux un pique-nique, leur palmes-masques-tubas, leur matériel de plongée et/ ou leur matériel de pêche afin de s'occuper durant la journée. Le but est de

69 Deux dugongs ont été pêchés, l'un de manière accidentelle et l'autre volontaire, entre janvier et juin 2014

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trouver un coin tranquille où se poser, sur un îlot ou en pleine mer, pour profiter du temps ensemble et de ce bol d'air frais. Autrement dit, la mer est devenue moins une source de revenus qu'un synonyme de plaisir et de loisir entre amis.

Ce sont dans ces moments qu'ils croisent sur leurs routes les « plaisanciers » et les touristes venus de Nouméa ou d'ailleurs pour découvrir les plages de sable fin de Poé, la faille au requin en plongée et en kayak, ou pratiquer du Kite-surf par exemple. Bien évidemment, ces activités sont aussi dans une certaine mesure pratiquées par la population locale. Mais ces visites fréquentes et les « embouteillages de bateaux » dans le lagon sont souvent sources de tensions pour une majorité de broussards qui râlent contre les personnes venues de l'extérieur.

Enfin, dans la Zone Côtière Ouest, les habitants parlent peu de la protection du dugong en soi mais bel et bien de la protection de la mer en général. Ils indiquent souvent que la dégradation des ressources halieutiques est importante dans cette région où la densité population est en forte croissance. Ils ont conscience que les menaces ne pèsent pas seulement sur le dugong mais aussi sur de nombreuses espèces marines. En ce sens, nous définissons dans cette partie quels sont les mesures de protection de la mer qui ont un impact sur la sauvegarde de cet animal et nous analysons les pratiques et les savoir-faire liés à la protection de l'environnement, de la mer ou du dugong qui sont mobilisés par la population et par les acteurs institutionnels.

IV.3.1. Mesures juridiques pour la conservation du milieu marin et du dugong

La gestion de l'espace maritime sur la Zone Côtière Ouest se présente comme un enchevêtrement de mesures légales, mises en place notamment par la Province Sud et Nord. Ces deux structures assurent la surveillance et la règlementation de l'usage maritime de manière propre. Les lois appliquées dans cette région sont ainsi dépendantes de ces deux systèmes distincts, et ce malgré qu'elles aient toutes pour objectif de protéger l'espace maritime, les activités nautiques et les ressources naturelles. Parmi ces mesures, nous comptons plusieurs réserves naturelles plus ou moins anciennes et la création d'un parc marin en 2008, avec la mise au rang de patrimoine mondial de l'UNESCO des lagons de Nouvelle-Calédonie.

Aires marines protégées des communes de Poya et de Bourail

L'AMP de Nékoro (cf. Annexe IV du mémoire) est une Réserve Naturelle Intégrale (RNI), « correspondant à la catégorie de gestion I.a de l'Union internationale pour la conservation de la nature » (Code de l'environnement Province Nord, 2009). Dans l'Agenda des marées de la PN (2014 : 28), il est spécifié qu'en tant que Réserve de Nature Intégrale (RNI), il y est interdit d'exercer « toute pêche de quelque nature que ce soit, plongée ou baignade et installation de cabanes sur les îlots ». D'après l'article de Dolorès Bodmer (Bodmer, 2010) et les témoignages recueillis sur la commune de Poya, elle couvre une superficie d'environ 1260 hectares et a été mise en place en 2000 grâce à la mobilisation des agents de la commune et des coutumiers du district de Muéo depuis 1995. Si certes, l'exploitation minière de la région pollue les eaux marines de la région, les pressions sur les milieux sont relativement faibles et ne sont liées qu'à la pêche.

En fait, les objectifs de l'AMP portaient essentiellement sur la « création d'une zone de conservation d'un habitat et des espèces emblématiques que sont les dugongs et

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les tortues» (Province Nord, 2000). Cette zone a donc été délimitée de façon à intégrer des mangroves, des platiers, une quarantaine de patates coralliennes mais surtout de vastes platiers et herbiers fréquentés par les dugongs et les tortues. Cependant, la mise en place d'un Comité de Gestion qui s'occupe de cette aire protégée a été difficile à concrétiser puisque, selon ce qui est écrit dans l'Agenda des marées, la concertation et la mobilisation des acteurs de la commune (mairie, coutumiers, associations, pêcheurs professionnels et plaisanciers) date de 2014 ; et ce grâce à un travail initié il y a trois ans par un agent de la Province Nord et négocié auprès de la nouvelle mairesse.

Les réserves de Bourail (cf. Annexe IV du mémoire) ont été créées en 1993 à la demande de la commune et en s'appuyant sur des critères biologiques, et notamment l'existence de zones de pontes de tortues et d'habitat unique en Nouvelle-Calédonie pour la langouste Panulirus homarus. L'Assemblée de la PS a fondé trois réserves spéciales marines sur les sites de la baie de la Roche Percée et la Baie des tortues, une autre zone comprenant l'île Verte et un périmètre le long de la plage de Poé. L'ensemble représente une surface totale de 2 339 ha dont 17 de milieu terrestre et 2 322 d'écosystème marin. A l'intérieur de ces réserves, et ce sans que pour autant la fréquentation du public ne soit proscrite, la capture ou la destruction des poissons, crustacés, coquillages et autres animaux marins ainsi que la récolte du corail sont interdits. Des dérogations aux précédentes interdictions peuvent être accordées par la PS à des fins d'étude ou de recherches scientifiques ou pour des raisons tenant à la nécessité de rétablir l'équilibre des espèces. D'après un ancien gendarme à la retraite de la commune, ayant travaillé dans la protection maritime pendant trente ans, ces réserves étaient des zones où la surveillance était gérée par la municipalité qui dépêchait des représentants de l'autorité judiciaire (gendarmes ou policiers) sur place afin de s'assurer le respect de la législation. Aujourd'hui, dans le Code de l'environnement, ces trois aires protégées sont encore des réserves naturelles règlementées mais accessibles au public.

Article 211-10 du Code de l'environnement de la Province Sud, version de 2014, p.36.

Si les AMP de la Roche Percée et de la Baie des tortues et de l'île Verte ont été créées principalement pour protéger les tortues « grosses têtes » (Caretta caretta), en préservant les sites de ponte (plage de la Roche Percée et de l'île Verte), elles protègent aussi quelques dugongs qui viennent profiter des herbiers disponibles. D'après le Code de l'environnement de la Province Sud, les personnes habilitées « à constater les infractions au présent titre, outre les officiers et agents de police judiciaire et les agents des douanes, les fonctionnaires et agents assermentés et commissionnés à cet effet. Les agents assermentés habilités à constater les infractions aux dispositions sont également habilités, dans l'exercice de leurs fonctions, à visiter les aires protégées en vue de s'assurer du respect des règles auxquelles elles sont soumises et d'y constater toute infraction » (article 216-1, p. 83). Autrement dit, les agents de municipaux et les agents

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du service de la Protection Lagon travaillent de concert pour assurer la surveillance de ces aires marines protégées.

Le parc marin de la Zone Côtière Ouest intégrant les réserves

Ces espaces particuliers sont intégrés dans un ensemble plus large : la Zone Côtière Ouest. Dans le cadre de son Code de l'environnement paru en 2009, la Province Sud a attribué le statut de « parc marin » (cf. figure 8) aux sites inscrits au patrimoine Mondial70. Le parc marin de la Zone Côtière Ouest (314500 hectares) est l'une des deux zones, avec le Grand Lagon Sud (48200 hectares), qui assure la protection réglementaire définie sur l'ensemble des sites inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Elle intègre les trois réserves intégrales précédemment citées dans son aire de limitation, la Zone Côtière Ouest, ainsi que la réserve naturelle marine de « Ouano ». Ce parc marin doit se comprendre comme une aire de plus grande échelle regroupant plusieurs catégories d'aires protégées.

Ce parc provincial est régi par un plan de gestion participative, élaboré par un comité de gestion : il s'agit de l'association de la ZCO qui inclut les représentants de plusieurs catégories socioprofessionnelles de la région. La création de cette structure a été rendue obligatoire par le classement au patrimoine mondial de l'UNESCO, afin de développer une démarche participative qui n'était pas formulée dans les dispositions du Code de l'environnement de la PS. De plus, les activités humaines font l'objet d'un zonage, qui consiste à dédier de vastes étendues soit à la pêche, soit aux activités de loisirs et de tourisme, soit à la conservation.

Le classement de la Zone Côtière Ouest au Patrimoine Mondial de l'UNESCO, et donc la protection législative subventionnée par l'organisation internationale, a été possible grâce à la présence d'une biodiversité et d'espèces marines rares ou menacées. Selon un document présentant le Plan de Gestion participatif de la ZCO, « l'ensemble des passes de la côte Ouest constitue des habitats importants pour le dugong puisque des agrégations répétées ont été constatées sur plusieurs jours. Les populations de dugongs de cette zone sont parmi les plus importantes de Nouvelle-Calédonie. La Zone Côtière Ouest tient donc un rôle essentiel en termes d'enjeu de conservation à l'échelle régionale et internationale concernant les espèces précédemment citées » (Section « Biodiversité et espèces emblématiques », Province Sud, ZCO, UNESCO, Lagons de Nouvelle-Calédonie, 2008-2010 : 14). De fait, le développement des actions en faveur de la protection du dugong et des autres espèces « emblématiques »71 de la région est l'une des missions de la ZCO.72

70 Et ce alors que la PN n'a pas encore déterminé de statut spécifique à la zone du grand Lagon Nord et de la zone Côtière Nord et Est, qui composent l'ensemble du Bien protégé (document UICN, « Les Espaces Protégés Français », 2010).

71 Nous notons là le lien évident entre le terme « emblématique » et « endémique », propre à une aire géographique que l'on ne retrouve nulle part ailleurs.

72 Aussi comprenons-nous pourquoi l'association de la ZCO a choisi de représenter un dugong dans son logo (cf. Annexe V, dans la Tableau des acteurs).

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Figure 8 : La Zone Côtière Ouest inscrite au Patrimoine Mondiale de l'UNESCO et son parc marin en bleu (c)

réalisation : Province Sud

Ainsi, les acteurs institutionnels en charge de la protection environnementale ont fait appel aux organismes internationaux, ce qui a entraîné la création d'un grand espace plus global de protection : le parc marin. En parallèle, cet organisme international a imposé la participation de la population locale dans l'effort de conservation, ce qui a abouti à la création de la ZCO, rassemblant au total plus de soixante-dix membres selon les déclarations de sa présidente. Mais quels savoirs et pratiques liés à la protection maritime cette logique de mobilisation de la population dans l'effort de conservation emploie-t-elle ? Repose-t-elle, comme nous l'avons vu à Pouébo, sur la convergence des savoirs locaux avec les pratiques juridiques ? Pour répondre à ces interrogations, nous nous intéressons aux « courtiers locaux du développement » 73 de la zone, qui garantissent le dialogue entre population locale et acteurs institutionnels, ainsi qu'aux modalités de transfert entre les systèmes cognitifs.

IV.3.2. Comité de la ZCO et les autres associations environnementales locales

L'association de la ZCO, créée officiellement en 2007, constitue un relai entre les acteurs institutionnels et les habitants de la zone puisque, d'après les informations disponibles son site internet, ses objectifs principaux sont les suivants :

73 Par « courtiers locaux du développement », nous entendons « les acteurs sociaux implantés dans une arène locale qui servent d'intermédiaires pour drainer (vers l'espace social correspondant à cette arène) des ressources extérieures relevant de ce que l'on appelle communément « l'aide au développement » (Olivier de Sardan, 1995 : 211).

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« Favoriser la communication et la sensibilisation de l'ensemble des parties prenantes, et notamment des socioprofessionnels dont l'activité peut avoir un impact sur le bien ,
·

Favoriser des actions de communication et de sensibilisation en direction du grand public ,
·

Promouvoir des actions et expériences de développement local durable ,
· Participer à la réflexion sur la gestion concertée des biens en série ».

Selon la présidente de l'association, il s'agit d'un « groupe à vocation participative pour une gestion de l'environnement » qui a la vocation de représenter « toutes les communautés sans distinction. La ZCO a ce rôle là, de dénoncer les incohérences, les injustices et faire entendre le point de vue de tous les calédoniens qui ne peuvent pas forcement s'exprimer, qui n'ont pas l'occasion de s'exprimer etc. » (Moindou, 2014). La ZCO représente donc la « population locale » en parlant en son nom auprès des Provinces, des organismes internationaux, des collectivités territoriales.

De plus, elle est composée de personnes d'origine sociale et culturelle très diverse, issus de corps de métier différents mais qui sont souvent liés à l'environnement ou aux politiques publiques74. De ce fait, ces membres se sont rassemblés autour d'un intérêt commun, la protection environnementale de la région. Ils ont accepté de partager leurs connaissances et ont également acquis certaines compétences relevant de la « logique-projet » : réunions du Comité Administratif, concertation des acteurs régionaux etc. De même, ils ont appris à préparer des actions et des événements pour favoriser la sensibilisation du grand public, à éditer un journal, à gérer un site internet etc. Les propos d'une pêcheuse professionnelle, habitant en tribu et membre de l'association, sont particulièrement révélateurs des activités auxquelles elle participe :

« La ZCO c'est la reconnaissance administrative de la population. Nous on a participé à la rédaction du Plan de Gestion et à sa mise en place. Chaque membre est bénévole [...] En 2010-2011, on a édité notre premier livre puis un deuxième numéro juste après. On travaille aussi sur le code de l'environnement, on le connait bien.

J'aime bien parce que j'apprends tout le temps des choses et puis c'est une ambiance conviviale. [...] Je vais aux réunions parce que c'est important. Sauf si je ne peux vraiment pas, si je ne trouve pas d'occasion pour y aller en voiture ».

De même, un retraité de Bourail engagé dans la ZCO ajoute :

L'entrée à la ZCO s'est fait pour moi par la présidente, on se connaît depuis très longtemps. C'est un partage de connaissances, il y a beaucoup de personnes pour renseigner sur les choses, sur la mer parce que nous on connaît moins finalement, on est de la chaîne.

74 Le Conseil Administratif est constitué d'un « collège » des agriculteurs / éleveurs, des pêcheurs, des coutumiers qui rassemble des professionnels de ces domaines liés à l'environnement, mais aussi d'un collège des ONG, de la société civile et des opérateurs touristiques.

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Par exemple, il y a beaucoup de kanak qui ont des croyances autour de la mer, ce sont qui nous apprennent tout cela. Moi, je n'en ai pas vraiment des croyances sur la nature, je vis dedans, c'est tout ».

Concernant la protection du dugong, l'association remplit une mission d'information, de communication et de sensibilisation auprès de la population locale (« grand public ») autour des lois et des menaces pesant sur l'espèce, comme l'atteste le témoignage du retraité de Bourail : « Nous, on fait de la sensibilisation sur le dugong surtout mais on manque de moyens pour mettre en oeuvre de grandes choses ». Par conséquent, si la ZCO joue un rôle de médiateur et de traducteur entre les divers groupes socioprofessionnels, les acteurs institutionnels de la conservation et la population,75 ses membres sont également des « diffuseurs » de connaissances acquises personnellement dans la vie quotidienne ou d'ordre scientifique, juridique et administrative auprès de la population.

Seulement, sa représentativité a des limites puisqu'elle n'est pas la seule association environnementale locale ou rassemblement d'individu autour d'enjeux de conservation présente de cette région. Ces organisations ont vocation à consolider les mesures de protection ordonnées par les Provinces ou à combler les manques de ces politiques, comme le soutient le fondateur d'une de ces associations : « c'est nous qui faisons le sale boulot que les institutions ne font pas. Sur les questions politiques, ce sont les petites mains de la Province, qui mettent en place de vraies actions concrètes » (Bourail, 2014). Tous ces acteurs sont attachés à une zone géographique maritime ou terrestre bien précise, plus ou moins vaste, sur laquelle ils essaient de faire valoir leurs influences et leurs légitimités. Ils mettent en avant des causes « environnementales » différentes qui, soit se recouvrent, soit sont sources de conflits.

Si ces acteurs possèdent des légitimités différentes dans ce domaine, il n'en reste pas moins qu'ils sont présents et composent le paysage « surchargé » de la « protection environnementale » de la région. Cela signifie aussi que la ZCO n'est pas le seul organisme à diffuser et à développer des savoirs autres que les « savoirs traditionnels locaux » auprès de la population locale. Sur le terrain, nous avons constaté que les interactions entre les uns et les autres sont complexes et relèvent parfois d'animosités personnelles, sous couverts de distinctions ethniques. Pour comprendre toutes ces interactions, nous vous incitons à vous référer au tableau des stratégies d'acteurs qui les rend plus lisibles (Annexe V du mémoire). La Zone Côtière Ouest, plus qu'une zone inscrite au Patrimoine Mondial de l'UNESCO, est donc un espace où les revendications identitaires, territoriales et environnementales se mélangent et se confrontent les unes aux autres, rendant difficile toute entreprise de convergence des efforts orchestrée par un agent extérieur.

Ainsi, les associations locales environnementales comme la ZCO se positionnent comme des interlocuteurs privilégiés avec les collectivités territoriales, les autres acteurs environnementaux et institutionnels. Pour se faire, les personnes engagées dans ces organismes, et a fortiori les membres de la ZCO, ont dû maîtriser un nouveau langage pour être crédible et audible, de nouvelles pratiques d'organisation plus ou moins uniformisées pour mettre en place des actions effectives, ainsi que des connaissances

75 Des catégories qui appartiennent toutes à des systèmes culturels différents.

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poussées sur le cadre législatif dans la Province Sud. Ils possèdent donc certains savoirs et savoir-faire qui sont différents que ceux hérités des traditions locales et qui ne sont pas nécessairement partagés par le reste de la population. En d'autres termes, ils ont suivi le modèle « projet » et de la concertation, qui semble partagé par les organismes de la gestion environnementale.

De même, ils sont garants de la diffusion sur le terrain des connaissances scientifiques (souvent invoquées par les politiques publiques comme justification et base de l'action), à des fins de sensibilisation auprès des principaux acteurs concernés par les textes de loi mais aussi auprès de l'opinion publique, qu'ils cherchent à rallier à leur cause. Ceci ne semble pas être un objectif facile à atteindre d'après les propos d'un des fondateurs d'une des associations :

« Mais il ne faut pas se leurrer, la plupart de la population est rétrograde et ne se sent pas concernée par environnement. Il y a 80 % de la population qui ne font rien, ne font aucun effort. Pourtant, les gens de la brousse, ils ne sont pas contre la protection de l'environnement, ils aiment bien faire leur coup de pêche de temps en temps et voir les poissons dans le lagon. Et si l'on perd notre nature, on perd aussi notre culture. La mer, c'est une valeur commune qui est largement partagée, c'est une manière d'être océanien ».

Cette personne a absorbé le discours conservationniste actuel qui tend à articuler protection de la nature avec préservation de la culture ; et ce de la même manière que les coutumiers impliqués dans le Comité de gestion de l'aire marine protégée de Hyabe/Lé-Jao à Pouébo. Seulement, dans ce contexte, les leviers utilisés par les politiques de conservation sont différents et ainsi, les thèmes de la participation de la population locale et de la prise en compte des savoirs populaires ne possèdent pas la même importance qu'en Province Nord. Tel est notre constat après nous être intéressée à la place des savoirs traditionnels de la tribu de Kélé (dont certains habitants sont membres de la ZCO) dans la gestion de l'espace maritime et à leur prise en compte par les politiques publiques.

IV.3.3. Gestion de l'espace maritime dans la tribu de Kélé : et les « savoirs traditionnels » dans tout cela ?

Parmi la population mélanésienne de la Zone Côtière Ouest76, les habitants respectent les zones taboues, même en milieu marin, qu'ils soient « Jeunes » ou « Vieux ». Il existe beaucoup d'histoires autour de ces lieux qui explorent différentes thématiques, comme l'indiquent Antoine Wickel et Jean-Brice Herrenschmidt dans leur rapport sur la toponymie maritime dans la région (GIE Océanide, 2009). Dans cette étude, dont l'objectif était de réaliser un état des lieux des zones taboues et de la toponymie maritime de la Zone Côtière Ouest, les sites font référence :

- pour 40% à l'histoire précoloniale ;

- pour 30 % à la ressource halieutiques et aux pratiques de pêche

76 Nous avons choisi d'utiliser les données récoltées dans la tribu de Kélé concernant les « savoirs tradtionnels » car nous avons plus d'informations sur cette thématique étant donné que nous sommes restée dans la tribu plus longtemps. Nous aurions voulu être équitable dans la description des « savoirs traditionnels » liés a la gestion maritime et exposer davantage les savoirs des Calédoniens d'origine européenne par exemple, mais nous n'avions pas suffisamment de données exploitables.

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- pour 25 % à des mythes, légendes, histoires liées à des esprits surnaturels ;

- pour 5 % à l'histoire coloniale et contemporaine ; (Ibid. : 26)

Les auteurs insistent également sur le fait que les lieux « tabous » sont davantage associés à des lieux « sacrés » qu'il faut respecter, plutôt qu'ils ne constituent de réelles règles de conduite à observer. Autrement dit, ce sont simplement des lieux que les personnes évitent de fréquenter, et ce parce qu'ils ont souvent été marqués par la présence, la lutte, la mort d'un ancêtre (historique ou mythique). Par conséquent et par respect pour cet ancêtre, ces endroits deviennent « sacrés ». Ensuite, toujours selon le rapport du GIE Océanide, « le tabou désigne plus l'interdit qui accompagne le lieu que le lieu en lui-même » (Ibidem). Nos données de terrains semblent aller dans le sens de cette analyse, comme le suggère les propos d'un jeune homme d'une vingtaine d'années de la tribu de Kélé :

« Comme tabou, il y a l'île aux morts par exemple. C'est la grand-mère qui m'a expliqué cela. C'est un endroit où avant, ils laissaient les morts. C'est un endroit tabou où il ne faut pas aller, c'est dangereux si tu ne suis pas la règle. Moi je respecte, il ne faut pas jouer avec ces choses là [...] Il existe un autre endroit d'ailleurs où c'est tabou : c'est le coude de la rivière qui mène à la mer. Il y a un endroit où il ne faut pas plonger. Un jour, il y en a un qui a plongé et bien les Vieux ils l'ont retrouvé mort, accroché aux rochers ! C'est ma mère qui m'a raconté cela ».

Aussi les lieux tabous sont-ils respectés par les habitants qui ne s'y aventurent pas par peur des représailles ou de vengeance des esprits des Anciens présents dans les tabous. Contrairement à Pouébo, ces lieux ne semblent pas particulièrement significatifs de pratiques traditionnelles ou d'inscrits dans la tradition locale. Ils sont simplement la manifestation et la source de mythes, d'histoires et de diverses représentations liées à la culture locale. Ce sont peut-être là les seuls « vestiges » de pratiques et savoirs traditionnels concernant la gestion de la mer qui se sont fortement modifiées du fait de l'installation de la colonie pénitentiaire et des mélanges culturels profonds.

Puisque cette tribu est située en bord de mer, la majorité des habitants possède un bateau dès qu'ils peuvent se le payer et deviennent pêcheur occasionnel ou professionnel. Les plus jeunes pratiquent la chasse sous-marine en groupe car il s'agit d'une occasion pour s'amuser ensemble, de sortir s'aérer et de s'amuser à faire des concours, ou encore de rire gentiment les uns des autres. La pêche devient un loisir pour les jeunes Kanak, un peu à la façon des « coups de pêche » attribués aux Calédoniens d'origine européenne mais résolument broussards. Tl en va de même pour la chasse au cerf. D'ailleurs, certains partent chasser en bateau, afin de tirer sur les animaux qui se sont réfugiés sur les îlots alentours par temps de marée basse.

Comme dans la plupart des tribus de bord de mer, les habitants de Kélé possèdent une zone de pêche exclusive en face de la tribu, qui leur est spécialement réservée et dont ils s'occupent. D'après les entretiens, les habitants de la tribu de Kélé estiment que leur rôle est d'assurer eux-mêmes la protection de leur zone de pêche de l'invasion de potentiels fraudeurs ou d'autres pêcheurs venus profiter de leur abondance en poissons, conséquence d'un système de gestion efficace de la ressource basé sur leur vigilance. A ce propos, le discours d'un jeune pêcheur / chasseur est particulièrement révélateur de la manière de penser dans la tribu :

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« Nous on protège notre lagon à Kélé. On prend le bateau, on a grandi ici, on sait comment cela se passe et on connait la mangrove par coeur et le lagon aussi. À Kélé, nous on sait comment protéger notre lagon, même les Vieux : on tire au fusil et on fait partir ceux qui ne viennent pas de là. C'est chez nous. Quand j'en vois un qui essaie de venir sur Kélé, sur nos lagons, je le vire ».

Il s'agit là d'une pratique qui n'est pas isolée mais qui existe ailleurs, dans des contextes différents et même en dehors des tribus. L'exemple donné par un habitant de Bourail d'une femme âgée calédonienne d'origine européenne qui protège sa propriété maritime confirme que cette pratique est répandue dans la Zone Côtière Ouest :

« J'ai vu les vieux pêcheurs qui voulaient pêcher à l'îlot XXX, vers XXX, chez Madame XXX. C'est elle qui fait la loi là-bas, elle tirait sur les bateaux à coups de fusils » (Bourail, homme à la retraite, 2014).

D'après ces interlocuteurs, cette pratique populaire locale reste la même pour la protection de toutes les espèces marines, y compris du dugong. Elle se confronte à plusieurs problèmes, dont celui lié à sa compatibilité avec le cadre législatif territorial. Nous avons des doutes quant à sa possible prise en compte par les politiques publiques puisqu'elle outrepasse le cadre de la loi qui interdit à chaque citoyen de faire justice lui-même. Les seules personnes qui peuvent représenter le pouvoir exécutif sont les agents assermentés des Provinces ou les agents des collectivités territoriales. Enfin, le caractère « traditionnel » de cette pratique pose question car elle est appliquée en dehors de la tribu, où l'autorité sur l'espace maritime des habitants des côtes n'est pas reconnue.

Pour conclure, par la création de l'association de la ZCO, l'UNESCO et la Province Sud ont tenu à former un comité de gestion de la Zone Côtière Ouest avec la population locale. Mais contrairement à l'association de gestion de l'aire marine protégée de Pouébo, la ZCO s'est formée avec la création du parc marin et son inscription au Patrimoine Mondial, mais surtout par le travail d'un agent de la Province sur place venu démarcher les potentiels participants parmi les habitants. L'association a donc suivi des directives qui lui ont été dictées « par le haut », par l'organisme international de l'UNESCO et surtout la Province Sud. Puisque la décision de réaliser ce projet de comité ne leur a pas appartenu, ses membres ont dû s'adapter fortement aux modes de fonctionnement et au vocabulaire de ces acteurs.

En ce sens, il n'est pas étonnant de constater que les savoirs et pratiques traditionnels de la population autour du dugong ou liés à la protection maritime ont moins été pris en compte dés le départ du projet par les gestionnaires que dans l'aire marine protégée de Hyabé/Lé-Jao. En outre, la problématique du patrimoine culturel lié à l'écosystème et aux espèces emblématiques qui fréquentent le « Bien-en-série » (les six sites classés au Patrimoine mondial de l'UNESCO) n'a pas été véritablement au coeur de la protection internationale du lagon. Ce sont les arguments de la biodiversité et du caractère exceptionnel de ces lieux qui ont décidé le comité d'évaluation de l'UNESCO à l'inscrire sur la liste. Pourtant, la ZCO comme la Zone du Grand Lagon Nord (où se trouve l'aire protégée de Hyabé) sont intégrées dans cet espace de conservation et leur

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gouvernance est déléguée aux services publics compétents, c'est-à-dire aux Provinces Nord et Sud. La seule explication concernant leur différence d'administration correspond aux priorités politiques de chacune des institutions provinciales.

Par conséquent, dans le contexte néo-calédonien, la question de l'intégration des savoirs et des pratiques locaux dans l'effort de conservation rejoint celle de la participation envisagée par les acteurs institutionnels responsables des programmes. Il faut souligner que les échelles et les contextes de protection entre les deux exemples donnés ne sont pas les mêmes. Il est sans doute plus difficile de mettre en oeuvre une démarche « participative » dans la Zone Côtière Ouest, dans cette région qui est plus vaste et surtout, qui abrite des conflits ethnico-culturels denses et complexes intervenant dans la problématique de la conservation de la biodiversité et du patrimoine culturel.

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Conclusion

Ce mémoire anthropologique a été rédigé à partir d'une expérience de stage en Nouvelle-Calédonie sur l' « évaluation de la place du dugong la société néo-calédonienne », commanditée par les partenaires du Plan d'actions dugong 2010-2015. L'objectif principal de notre développement est de décrire la dynamique des représentations, des savoirs et des pratiques relatives à notre objet d'étude entre deux groupes d'acteurs qui s'affrontent dans ce projet de patrimonialisation - la population locale et les institutions en charge du projet - et ce tout en insistant sur les contradictions internes à ces mêmes catégories non homogènes. Notre postulat de départ était le suivant : tous les savoirs et pratiques sociales sont déterminés et déterminent une certaine appartenance identitaire à une société, une communauté, une entité sociale donnée.

Au sein de la catégorie « population locale », l'opposition entre groupes sociaux la plus rencontrée sur le terrain est celle entre la communauté kanak et les Calédoniens d'origine européenne. Elle est particulièrement révélatrice des conflits socio-ethniques de l'archipel, qui prennent le pas sur de nombreux des sujets touchant cette société, y compris sur la question du dugong et de sa protection. Si nous avons travaillé durant le stage auprès de nombreuses communautés différentes, nous avons choisi d'exposer ici nos analyses sur la relation aux savoirs relatifs au dugong des Kanak et des Calédoniens d'origine européenne car ce sont les seuls groupes à posséder une tradition de la pêche et de la consommation de ce mammifère marin. Dans ce conflit socio-ethnique, la problématique de la conservation du patrimoine culturel reste le monopole de la revendication identitaire mélanésienne puisque l'identité culturelle « caldoche » peine à être reconnue de tous dans la société actuelle néo-calédonienne.

Ces confrontations peuvent aussi se déployer entre la population locale et les membres institutionnels de ce projet de conservation, en s'associant à une opposition entre tradition et savoir dit « scientifique ». Seulement, ces frontières entre savoirs sont moins immuables que présupposé. Par exemple, certains habitants, par leur implication dans les comités de gestion des aires marines protégées mis en place pour préserver les écosystèmes et leurs faunes (donc le dugong dans les aires conservant les herbiers marins), acquièrent de nouvelles compétences pour s'adapter au format-type-projet, au vocabulaire employé par les acteurs institutionnels et donc à leur type de connaissance. A terme, ce transfert de savoirs, notamment sur la biologie du dugong, vers la population locale est un objectif-clef à atteindre pour le plan d'actions, qu'il réalise à travers des campagnes de communication et de sensibilisation.

Par conséquent, notre questionnement s'est également porté sur la place des savoirs locaux dans cette stratégie de conservation à l'échelle territoriale, et dans une moindre mesure, sur le rôle de cette étude dans la politique de conservation lancée par le Plan d'actions dugong. En utilisant d'une certaine manière ces savoirs, les acteurs institutionnels peuvent solliciter la participation et la mobilisation des habitants dans les projets de conservation, inversant ainsi quelque peu le sens de la circulation des connaissances. L'inverse est aussi vrai : en invoquant les « savoirs scientifiques », les populations locales deviennent des interlocuteurs de choix pour les institutions. De fait, notre étude est une occasion pour tous les acteurs impliqués dans la protection du dugong de mieux comprendre les savoirs et perceptions des uns et des autres et de permettre un dialogue plus apaisé et plus équilibré.

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Enfin, l'axe patrimonial sous-entendu dans l'expression « espèce emblématique » se conçoit dans la conjugaison entre « le passé, le présent, le futur » (Bérard et al. 2005 : 30) afin de construire aujourd'hui un avenir en considérant les événements passés. Autrement dit, la reconnaissance du patrimoine a pour vocation de jouer les consensus entre les différents partis, c'est pourquoi il s'agit d'un outil très mobilisé dans la réalisation du « Destin commun ». A ce titre, nous rappelons les propos d'Emmanuel Tjibaou, directeur de l'ADCK, qui résument l'idée de l'articulation entre patrimoine et politique simplement

:

« Le destin commun, c'est la politique quoi ! Qu'est-ce qu'on met à la disposition des autres et qu'est-ce que les autres nous donnent ? Mais pour pouvoir partager avec les autres, il faut se connaître soi-même » (E. Tjibaou, Nouméa, juillet 2014).

Toutefois, certaines questions demeurent concernant la compatibilité entre les objectifs de la conservation environnementale et ceux relatifs au patrimoine culturel. Le milieu de la protection environnementale étant un vecteur de changement social et le garant de la transmission d'une pensée « scientifique », comment concevoir alors que les acteurs environnementaux institutionnels puissent prétendre oeuvrer à la pérennité de savoirs traditionnels en permanent recul ? En effet, ces derniers souhaitent sauvegarder le dugong en invoquant son importance patrimoniale et, en parallèle, ils interdisent sa pêche aux populations locales, mettant ainsi à mal une consommation et une pratique anciennes qui vont sans doute se perdre. Ce paradoxe n'a pas été le sujet principal de ce mémoire mais il pose question et mériterait d'être davantage exploré à travers d'autres lectures anthropologiques.

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Lexique

Brousse

La brousse est devenue tout lieu non urbain, puis tout lieu hors de Nouméa et spécialement sur la Grande-Terre. Les habitants de la Brousse sont les « broussards » (Croix du Sud).

Calédonien
d'origine
européenne /
Caldoche

« Habitant de Nouvelle-Calédonie d'origine européenne, souvent de souche ancienne » (L-J Brabançon, 2007). Le terme « caldoche » possède initialement une connotation péjorative mais serait utilisé plus couramment aujourd'hui, notamment par certains Calédoniens européens qui cherchent à revendiquer leur identité calédonienne, à la même manière des Mélanésiens en adoptant le mot « Kanak ». Toutefois, certains chercheurs en sciences sociales, comme Jean-Claude Mermoud, préfèrent ouvrir cette définition à d'autres Calédoniens aux origines culturelles plus larges que celles des seuls Européens (1997).

Le terme seul de « Calédonien » est le nom que se donnent les habitants de Nouvelle-Calédonie, toute appartenance ethnique confondue.

Coutume

Faire la coutume : organiser une cérémonie symbolique basée sur l'échange de paroles et de biens pour marquer un événement important pour la société. Parfois, « faire une coutume » et « faire un geste » sont synonyme.

Faire un geste : échanger une parole, un geste et/ou des biens pour sceller un contrat moral entre deux personnes. Ils sont mobilisés à des fins diverses et certains gestes peuvent être « forts » quand ils suivent des « chemins coutumiers » bien définis (Cornier, 2010 : 36).

Culture

Il s'agit d'une chose sans quoi l'homme ne peut exister, ce qui signifie que tout homme possède une culture propre au groupe social auquel il est relié. Lévi-Strauss ajoute une idée à ce concept : la culture est ce qui permet aux hommes et aux groupes humains de se distinguer les uns des autres. Toute culture est balancée entre le désir d'ouverture et le besoin de fermeture sur elle-même, afin de positionner comme différente de la voisine (Izard, 1991 : 190-92).

Endémique

En biologie, une espèce est dite endémique d'une région déterminée si elle n'existe que dans cette zone (Larousse).

Espèce
emblématique

Espèce sauvage ayant une importance culturelle, religieuse, parfois économique, pour l'Homme dans une région donnée. Exemple : la louve pour les Romains, le sanglier pour les Gaulois... (Inventaire National du Patrimoine Naturel, INPN, 2013).

Ethnie /
ethnicité

« Aspect des relations sociales entre les acteurs sociaux qui se considèrent ou sont considérés par les autres comme étant culturellement distincts des membres d'autres groupes avec lesquels ils ont un minimum d'interactions régulières » (Martiniello, 1995 : 19).

Identité

L'identité, pour un individu par exemple, représente la reconnaissance de ce qu'il est par lui-même ou par les autres. Chaque personne endosse plusieurs « casquettes » dans la vie quotidienne et donc possède plusieurs identités (personnelle, familiale,

religieuse, culturelle, sociale, professionnelle etc.) qui conditionnent son
comportement en fonction des contextes d'action (Carteron, 2008).

Jeunes / Vieux

« Vieux » est un terme qui est souvent utilisé en milieu kanak (mais pas uniquement) pour désigner des personnes relativement âgées (au moins 50 ans). Il témoigne d'une forme de respect envers la personne ainsi nommée (Bernard, 2014).

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

 

La catégorie des « Jeunes » est aussi floue que celle des « Vieux » mais semble rassembler toutes les personnes de moins d'environ 30-35 ans. Elle est souvent employée par les « Vieux » pour désigner la « nouvelle » génération qui construit la société de demain.

Kanak /
Mélanésien

Peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie. Autrefois, on le désignait plus volontiers par peuple « Mélanésien » car le terme « Kanak » avait une connotation péjorative. Le terme « Kanak », et non plus « Canaques », est invariable et s'écrit avec un « k » depuis la loi organique du 11 mars 1999 sur la Nouvelle-Calédonie (Carteron, 2008, note 1 :7)

Métropolitain /
Zoreille

Français de Métropole séjournant depuis plus ou moins longtemps en Nouvelle-Calédonie, aussi appelé un « Zoreille ». Ce dernier a un caractère désobligeant mais parfois, il peut être employé amicalement.

Patrimoine

Valeur attribuée à quelque chose et qui touche le domaine de l'identité et de la transmission. Ce statut peut se superposer à d'autres fonctions, à d'autres types d'utilisations et dépend de l'identité des personnes qui s'engagent à la défendre (Boisvert, 2005).

Savoirs

traditionnels et
autochtones

« Les savoirs locaux et autochtones comprennent les connaissances, savoir-faire et philosophies développés par des sociétés ayant une longue histoire d'interaction avec

leur environnement naturel. Pour les peuples ruraux et autochtones, le savoir

traditionnel est à la base des décisions prises sur des aspects fondamentaux de leur vie quotidienne. Ce savoir est une partie intégrante d'un système culturel qui prend appui

sur la langue, les systèmes de classification, les pratiques d'utilisation des ressources, les interactions sociales, les rituels et la spiritualité » (définition UNESCO, http.www.

unesco.org ).

Savoirs liés à la tradition d'une région (Cf. définition de la « tradition »). Mais dans les discours, le terme de « savoirs traditionnels » se réfère davantage aux savoirs liés à la coutume et au système culturel kanak.

Science, savoir
scientifique

« Ensemble de connaissances, d'études d'une valeur universelle, caractérisées par un

objet et une méthode déterminés, et fondées sur des relations objectives vérifiables »

(Petit Robert, 2009)

Même si cela n'est peut-être pas tout à fait exact, nous employons dans ce mémoire

l'expression de « savoir scientifique » pour désigner les savoirs des acteurs
institutionnels impliqués dans le projet du Plan d'actions dugong.

Tradition

Il semble que la plupart des personnes comprennent le terme comme « ce qui d'un passé persiste dans le présent, où elle est transmise, et demeure agissante et acceptée par ceux qui la reçoivent et qui à leur tour, au fil des générations, la transmettent. » (Izard et Bonte, 1991 : 710)

En anthropologie, la tradition est un objet de la transmission : c'est ce qu'il convient de savoir ou faire pour faire partie d'un groupe qui, ce faisant, arrive à se reconnait ou à s'imaginer une identité culturelle commune. « La tradition dont on a conscience, c'est celle qu'on ne respecte plus, où du moins, dont on est près de se détacher » (Ibidem).

Transmission

Processus de sélection puis de circulation entre au moins 2 personnes de divers savoirs,

connaissances, rumeurs, opinions, pratiques, discours qu'il a paru important de
partager. Cette circulation participe de la continuité de la vie sociale et se fait selon des modalités qui sont propres à chaque groupe (oral, écrit, par geste, entre père/fils et vice-versa, entre mère/fille et vice-versa etc.).

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

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Contexte général de la Nouvelle-Calédonie

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Contextes terrains

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INSEE-ISEE, Moindou - Chiffres clés des communes de Nouvelle-Calédonie, 2009, Recensements de la population, pp. 7.

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Représentation et gestion de la mer en Nouvelle-Calédonie

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CLÉGUER Christophe, 2010, Le dugong (Dugong dugon), monographie de l'espèce, état des lieux des connaissances et des méthodologies d'études, Propositions d'actions en vue

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d'améliorer les connaissances relatives au dugong en Nouvelle-Calédonie, rapport rentrant dans le programme du Plan d'actions dugong 2010-2012 piloté par l'AAMP, pp. 64 + annexes.

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Législation et gouvernance : protection du dugong

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http://nouvelle-caledonie.wwf.fr/

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http://www.operationcetaces.nc/

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

Table des figures

Figure 1: Charlie, le dugong de Thio remontant à la surface, plage de la Moara (c) Perrier,

Thio, 2014 1

Figure 2 : Carte de la Nouvelle-Calédonie et répartition des trois Provinces et des zones d'enquête : commune de Pouébo et région de Moindou-Bourail-Poya (c) source de la

carte : www.senat.fr 11

Figure 3 : Répartition géographique et langues sur la commune de Pouébo (c) réalisation :

Dupont 23

Figure 4 : Répartition des personnes enquêtées sur Moindou-Bourail-Poya (c) réalisation :

Dupont sur fonds de carte GIE-Océanide, 2009 25

Figure 5 : Harpon en fer à béton avec une bouée attachée au bout pour être utilisée comme flotteur (c) Dupont, Pouébo, 2014. Il appartient à un pêcheur de Saint-Denis de

Balade 69

Figure 6 : Exemples de pointes barbées (c) M. Barré, 2003, p.37. 70

Figure 7 : Aire Marine Protégée de Hyabé/Lé-Jao, face à la tribu de Yambé (c) réalisation :

WWF 82

Figure 8 : La Zone Côtière Ouest inscrite au Patrimoine Mondiale de l'UNESCO et son

parc marin en bleu (c) réalisation : Province Sud 90

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

Table des matières

SOMMAIRE 5

TABLE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS 6

INTRODUCTION 7

I. CONTEXTE DE L'ETUDE 10

I.1. CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE ET ENVIRONNEMENT EN NOUVELLE-CALEDONIE 10

I.1.1. Du passé colonial au « Destin commun » : bref historique 10

I.1.2. Découpage administratif et gestion de l'espace maritime 13

I.2. PRESENTATION DU PLAN D'ACTION DUGONG ET DE L'ETUDE 16

I.2.1. Présentation du Plan d'actions dugong 2010-2015 16

I.2.2. Objectifs annoncés de l'évaluation anthropologique 17

I.3. METHODOLOGIE DE RECHERCHE 19

I.3.1. Construction et appropriation de l'objet d'enquête 20

I.3.2. Production des outils méthodologiques 20

I.3.3. Déroulé de l'enquête et récolte des informations 20

I.3.4. Traitement et analyse des données 22

I.4. PRESENTATION RAPIDE DES LIEUX D'ENQUETE 23

I.4.1. La commune de Pouébo 23

I.4.2. La Zone Côte Ouest : de Moindou à Poya 24

Tribu de Kélé à Moindou 25

Commune de Bourail 26

Commune de Poya 27

I.5. PROBLEMATISATION A PARTIR DES SAVOIRS ET DES PRATIQUES 29

I.5.1. Ancrage anthropologique de l'étude : entre anthropologie de la nature et de l'environnement 29

Concepts de « Nature » en anthropologie fondamentale 30

Glissement sémantique en Occident : Environnement et Biodiversité 31

I.5.2. Construction d'une problématique sur la confrontation des savoirs et pratiques autour du

dugong 32

II. CONSTRUCTION D'UNE POLITIQUE DE CONSERVATION PAR LES ACTEURS DU PLAN D'ACTIONS A PARTIR DE « SAVOIRS SCIENTIFIQUES » . 35

II.1. PREOCCUPATION DES ACTEURS DU PLAN D'ACTIONS POUR LE DUGONG 35
II.1.1. « Mettre en mots, en chiffres et en politique » le dugong : des premiers écrits aux recherches

scientifiques 35

II.1.2. Historique des mesures de protection du dugong : des échelles différentes 39

Contexte international 39

Contexte régional 40

Contexte national 40

Contexte provincial 41

II.2. CONFIGURATION DES ACTEURS « INSTITUTIONNELS » RASSEMBLES AUTOUR DE

CETTE ETUDE : UNE GOUVERNANCE COMMUNE ? 42

II.2.1. Le coordinateur-gestionnaire : l'Agence des aires marines protégées (AAMP) 43

II.2.2. Les ONG de conservation animale : le WWF-Nouvelle-Calédonie et Opération Cétacés ! 44

II.2.3. Les politiques publiques impliquées : la DENV en Province Sud et la DDEE en Province

Nord 46

II.2.4. L'encadrant scientifique : l'Institut de Recherche dans le Développement (IRD) 47

II.3. STRATEGIES ET ACTIONS DU PLAN D'ACTIONS DUGONG 48

II.3.1. Actions axées sur la sensibilisation et les aires marines protégées 48

II.3.2. Stratégies axées sur la « patrimonialisation » du dugong : du caractère « emblématique » de

cette espèce 49

Définition : un terme propre à la conservation environnementale 49

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DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

Objectif communication : l'importance de l'image et de la charge émotionnelle dans la conservation du

dugong 50
Un animal « emblématique » pour « tous les calédoniens » : construction sociopolitique d'un « emblème

national » 51

III. TYPOLOGIE COMPAREE DES « SAVOIRS » RELATIFS AU DUGONG :

ENTRE SCIENCE ET TRADITION 54

III.1. « SI JE VOUS DIS « DUGONG », QU'AVEZ-VOUS ENVIE DE ME DIRE ? » 54

III.2. « SAVOIRS NATURALISTES LOCAUX » VS « SAVOIRS SCIENTIFIQUES » ? 57

III.2.1. Un modèle « local » de classifier cet animal ? 57

III.2.2. Assimilations à d'autres espèces et à l'homme 59

Animaux associés au dugong pour leur proximité physique et comportementale 59

Analogie avec l'homme comme manifestation de la pensée symbolique kanak 60

III.3. REPARTITION IDENTITAIRE ENTRE « SAVOIRS AUTOCHTONES », « SAVOIRS

TRADITIONNELS » ET « SAVOIR MODERNE » LIES AU DUGONG 62

III.3.1. « Savoirs autochtones » : le dugong dans les diverses traditions kanak 62

III.3.2. Opposition « culturelle » entre les acteurs sur la base des savoirs sur la nature :

dépassement des préjugés 66

III.3.3. Pêche au dugong : une activité « traditionnelle » kanak et calédonienne ! 69

IV. PERCEPTIONS ET PRATIQUES RELATIVES A LA PROTECTION DU DUGONG : ARTICULATION DES SAVOIRS ET DES INTERETS DES ACTEURS

« LOCAUX » ET « INSTITUTIONNELS » ? 75

IV.1. CONSCIENCE ENVIRONNEMENTALE EN QUESTION : EST-CE QUE LES « POPULATIONS

LOCALES » SONT SUSCEPTIBLES DE PROTEGER LE DUGONG ? 75

IV.2. MOBILISATION DES « SAVOIRS LOCAUX » AU SERVICE DE LA PROTECTION

ENVIRONNEMENTALE : L'AIRE MARINE PROTEGEE HYABE / LE-JAO 79

IV.2.1. Clans de la mer et gestion maritime à Pouébo 79

IV.2.2. Découpage local de l'espace maritime 80

IV.2.3. Zones taboues et réserves coutumières 80

IV.2.4. Mise en place de l'aire marine protégée Hyabé / Lé-Jao 81

IV.2.5. Utilisation du dugong dans cette stratégie de protection 85

IV.3. PROTECTION DU DUGONG DANS LA ZONE COTIERE OUEST : UN ENCHEVETREMENT

D'ECHELLES, DE LOGIQUES ET DE PRATIQUES 86

IV.3.1. Mesures juridiques pour la conservation du milieu marin et du dugong 87

Aires marines protégées des communes de Poya et de Bourail 87

Le parc marin de la Zone Côtière Ouest intégrant les réserves 89

IV.3.2. Comité de la ZCO et les autres associations environnementales locales 90

IV.3.3. Gestion de l'espace maritime dans la tribu de Kélé : et les « savoirs traditionnels » dans tout

cela ? 93

CONCLUSION 97

LEXIQUE 99

BIBLIOGRAPHIE 101

TABLE DES FIGURES 107

TABLE DES MATIERES 108

Juin 2015 110

DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

NOM : DUPONT

Prénom : Audrey

Soutenance : 18 juin 2015

DIPLÔME : Master Professionnel « Anthropologie & Métiers du développement durable » Département d'anthropologie - Université Aix-Marseille

TITRE : La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

RESUME en français:

Le dugong est un mammifère marin fréquentant les côtes de Nouvelle-Calédonie, classé parmi les « espèces emblématiques » de l'archipel et les espèces vulnérables dans la liste rouge de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) depuis 2010. Pour le protéger, des organismes internationaux, nationaux, provinciaux se sont mobilisés pour construire des politiques de conservation, dont le « Plan d'actions dugong 2010-2015 », dans lequel s'ancre cette étude. Cette dernière a pour objectif de définir et d'analyser la place de l'animal dans les diverses communautés de la société néo-calédonienne. À travers l'analyse des différents savoirs et pratiques liés à cette espèce et réunis dans ce projet de conservation, notre réflexion vise finalement à mettre en avant le fait que le Plan d'actions dugong est une « arène » où s'affrontent divers groupes sociaux, notamment les acteurs « locaux » et « institutionnels ». Dans une moindre mesure, nous posons quelques jalons qui nous permettent de comprendre le processus de mise au rang de « patrimoine » d'un élément naturel dans le contexte de la Nouvelle-Calédonie, autrement dit de cerner la dynamique de « patrimonialisation » du dugong.

MOTS CLES : Nouvelle-Calédonie, Espèces emblématiques, Conservation, Patrimonialisation, Savoirs traditionnels, Savoir scientifique, Relations sociaux-ethniques

TITLE : Dugong's conservation in New-Caledonia : mobilizing and confronting different knowledge and practice for the protection of an « emblematic » endangered specie

ABSTRACT in english :

Dugongs are marine mammalian inhabitants of New Caledonians coasts, classified as emblematic species of the island but also as vulnerable species in the red list of the International Union for Conservation of Nature (UICN) since 2010. In order to protect them, international, national and provincial organisms decided to develop conservation politics, such as the « Plan d'actions dugong 2010-2015 », in which this study takes part. The objectives of this study are to define and analyze the place of the animal in the different communities of the New Caledonian society. Through the analysis of knowledge and practices linked to this species and joined in this conservation project, we finally point out the several confrontations between the social groups included into this conservation project, especially between "local" and "institutional" actors. Moreover we expose some keys to understand the heritage recognition process of a natural element in the New Caledonian context.

KEY WORDS : New-Caledonia, Emblematic Species, Conservation, Patrimonialization,

Traditional Knowledge, Scientific Knowledge, Inter-ethnic relations

CENTRE DE FORMATION : Département d'anthropologie, Université Aix-Marseille, Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme : 5 rue du Château de l'Horloge - B.P. 647,13094 Aix-en-Provence CEDEX 2 France






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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon