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Les professeurs débutants face au conflit: le théàątre forum comme outil de formation

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par Florence SAVEY
Ecole supérieure du professorat et de l'éducation - Aix Marseille Université - Master FOFEN - Pratiques et ingénierie de la formation 2017
  

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Florence Savey

 

Les professeurs débutants face aux conflits

Le théâtre forum comme outil de formation

Master MEEF - parcours FOFEN 2016 - 2017
Directeur de mémoire : Frédéric SAUJAT
ESPE - Aix Marseille Université

2

3

Remerciements

Je remercie mon directeur de mémoire, Frédéric Saujat, professeur à Aix Marseille Université. Son aide dans l'élaboration de ce mémoire et le temps consacré à la correction et au suivi a été précieuse.

Je remercie également les professeurs du Master FOFEN, qui m'ont permis par leurs échanges, leurs idées et leurs points de vue, d'enrichir ma pratique et ma réflexion professionnelle.

Je remercie les étudiants de l'ESPE d'Aix Marseille pour leur contribution essentielle lors des actions de formations mais aussi pour leur participation à l'étude.

Je remercie Véronique Guérin, qui m'a fait découvrir le théâtre forum et qui m'a donnée envie de travailler avec cet outil.

Je remercie mes amis, qui par leurs questionnements, les relectures et leur avis critique, m'ont permis d'avancer.

4

Table des matières

Remerciements

Table des matières

Introduction

3

4

6

1.

 

Cadre théorique - problématique

9

 

1.1.

La régulation des conflits : définition, modalités

9

 

1.2.

De la didactique professionnelle à un outil de formation

9

 
 

1.2.1 Des concepts pour analyser le travail

9

 
 

1.2.2 Le développement professionnel et la formation

11

 

1.3.

Du jeu de rôle au théâtre forum

12

 

1.4.

Nos questions : problématique et hypothèses

13

2.

 

Cadre méthodologique : intervention et dispositif d'étude

15

 

2.1.

Descriptif du dispositif : contexte, modalités d'intervention

15

 
 

2.1.1. Contexte d'intervention

15

 
 

2.1.2. Déroulement de l'intervention autour du théâtre forum

15

 

2.2.

Mode de recueil des données et matériau recueilli pour l' étude

... 16

 
 

2.2.1. Vidéo

.16

 
 

2.2.2. Questionnaire (Cf. annexe 1)

16

 
 

2.2.3. Entretiens avec les stagiaires

16

 

2.3.

Traitement des données au regard de notre problématique

17

3.

 

Présentation des résultats

19

 

3.1.

Un dispositif d'analyse réflexive

19

 
 

3.1.1. Les objets de l'analyse : la description - interprétations

19

5

3.1.2. Organisation des échanges : formateur et entre pairs 21

3.1.3. Les effets de l'analyse réflexive 22

3.2. Un outil de conceptualisation et de généralisation 23

3.2.1. Repérer l'impact d'une action sur la situation conflictuelle 23

3.2.2. Proposer des gestes pour réguler un conflit 26

3.3. Un outil permettant une adaptation plus efficiente 27

3.3.1. Adaptation dans les situations du théâtre forum 27

3.3.2. Adaptation dans des situations nouvelles réelles 29

4. Traitement des données 31

4.1. Traitement des données et discussions 31

4.1.1. Concernant l'analyse réflexive 31

4.1.2. Concernant la conceptualisation 33

4.1.3. Concernant l'adaptation à de nouvelles situations 35

4.2. Conclusion 37

Références bibliographiques 39

Sommaire des annexes 43

Annexes 44 - 55

Résumé 56

6

INTRODUCTION

La loi de refondation de l'Ecole de 2013 1 préconise une amélioration du climat scolaire pour « refonder une école sereine et citoyenne en dynamisant la vie scolaire et en prévenant et traitant les problèmes de violence et d'insécurité ». Cet objectif institutionnel est pris en compte dans le Référentiel des compétences du professeur 2. Ainsi, la compétence 6 précise : « Eviter toute forme de dévalorisation à l'égard des élèves, des parents, des pairs - Contribuer à assurer le bien-être, la sécurité et la sûreté des élèves, à prévenir et à gérer les violences scolaires, à identifier toute forme d'exclusion ou de discrimination - Contribuer à identifier tout signe de comportement à risque et contribuer à sa résolution. - Respecter et faire respecter le règlement intérieur et les chartes d'usage ». De plus depuis septembre 2014, l'Académie d'Aix Marseille a fait le choix de proposer un accompagnement et des formations sur cette thématique en organisant la « démarche climat scolaire » : Lors des diagnostics effectués dans certains établissements, des formations collectives ont été demandées autour de la régulation des conflits et des « violences ». Etant donné l'impact du climat scolaire sur les acteurs en termes de bien-être et sur les élèves en termes d'apprentissage (cf. rapport Debarbieux, 20123), il nous semble d'autant plus opportun d'étudier la formation à la régulation des conflits, que l'on se trouve dans un contexte où les professionnels eux-mêmes sont en demande.

Cette problématique professionnelle touche particulièrement les débutants. Pour Luc Ria (2013) « parmi l'ensemble des contraintes régulièrement évoquées par les néo-titulaires, la gestion de classe, en particulier la discipline et la mise au travail des élèves, apparaît comme une des principales difficultés professionnelles. Catherine Blaya et Alain Baudrit (2006) avaient déjà fait une étude auprès d'enseignants stagiaires et relevaient que « plus d'un tiers des enquêtés associe les situations difficiles (chahuts bavardages en classe, indiscipline, insultes, agressions, menaces, insolence) à des circonstances

1 Loi de refondation de l'Ecole : Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013

2 Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation : publié au journal officiel du 18 juillet 2013

3 Rapport Debarbieux (2012) : Le « Climat scolaire » : définition, effets et conditions d'amélioration

7

imprévues, pour lesquelles ils n'ont pas de solution immédiate, auxquelles ils ne se sentiraient pas ou peu préparés, et dans lesquelles ils se sentent seuls pour les affronter ». Il en résulte un malaise profond : « peur d'aller en classe, paralysie, stress, débordement, panique devant une situation qui ne peut être débloquée ». Nous choisissons donc de cibler notre étude sur ces enseignants débutants, qui ressentent parfois un besoin urgent de formation, de solutions. Comment les accompagner, comment les former à la régulation des conflits ?

A l'ESPE4 d'Aix Marseille, cette dimension de la formation est un des objets de l'UE 435 du Master MEEF6 : les contenus doivent permettre aux professeurs stagiaires de « se préparer à prendre et à faire la classe, mettre en place un cadre, installer les conditions d'apprentissage... ». Comment les préparer à installer et conserver ce cadre malgré les conflits ? Quel dispositif de formation peut aider et (re)donner confiance aux débutants dans la gestion de ces situations difficiles ?

Pour répondre à ces questions, nous proposons d'étudier l'impact d'un outil de formation sur le développement professionnel de professeurs stagiaires.

Premièrement, nous explicitons le cadre de notre étude : nous précisons ce que nous entendons par régulation des conflits puis nous caractérisons les notions issues de la didactique professionnelle qui nous permettent d'analyser un outil de formation : le théâtre forum. Cet outil est étudié en lien avec son impact sur le développement professionnel des enseignants.

Deuxièmement, nous précisons notre cadre méthodologique : l'étude porte sur une formation proposée à deux groupes d'étudiants inscrits en MEEF2 et nos données d'analyse sont issues de questionnaires, d'entretiens et de vidéos.

Enfin, nous analysons et discutons les données recueillies au regard de nos hypothèses afin de montrer en quoi l'outil proposé peut être pertinent pour répondre à la problématique.

4 ESPE : Ecole supérieure du professorat et de l'éducation

5 UE 43 : Unité d'enseignement sur les pratiques dans leurs dimensions collectives et pluridisciplinaires

6 MEEF : Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation

8

9

1. Cadre théorique - problématique

1.1. La régulation des conflits : définition, modalités

Pour définir plus clairement les enjeux de cette problématique, nous précisons ce que nous entendons par régulation des conflits dans le cadre de l'institution scolaire. Communément, le conflit signifie un désaccord entre deux ou plusieurs parties. Bayada et al. (1997) précisent : c'est « le résultat de l'interférence entre forces opposées, qu'il s'agisse de divergence de besoins, d'intérêts ou de valeurs. ». Le conflit est constitué d'aspects visibles (les acteurs et les objets du conflit) et d'aspects invisibles (les valeurs, les intérêts, les besoins des acteurs, les problèmes intra personnels, l'histoire, les conditions structurelles, les points de vue, les problèmes de compréhension et de communication). Réguler un conflit, c'est donc reconnaître, analyser et prendre en compte ces aspects. Comment les enseignants peuvent-ils gérer ces interférences dans le cadre de leur mission ? Pour l'OMS 7(1993), c'est par le développement de compétences psychosociales qu'une personne peut « adopter un comportement approprié et positif à l'occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement ». D'autre part, la relation entretenue entre un enseignant et ses élèves est également liée à la responsabilité éducative qui incombe au professionnel. Face à cet enjeu fort « d'entrée dans le métier », quel dispositif de formation peut favoriser le développement de ces compétences permettant aux enseignants de développer des postures d'autorité et de réguler des violences verbales et physiques dans des situations professionnelles ?

1.2. De la didactique professionnelle à un outil de formation

1.2.1. Des concepts pour analyser le travail

Pour analyser la pertinence et l'efficacité d'un dispositif de formation concernant le développement des compétences dans la régulation des conflits, nous utilisons

7 Compétences psycho sociales (1993) OMS et UNESCO, Life skills education in schools, Genève

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le cadre théorique de la didactique professionnelle. Elle vise à « analyser et comprendre comment les individus construisent et développent des compétences professionnelles, dans et par l'expérience » (Pastré, Mayen et Vergnaud G, 2006). Elle développe plusieurs concepts relatifs au développement.

Pour commencer, la didactique professionnelle reprend une notion centrale pour la psychologie ergonomique : la distinction entre la tâche (ce qu'il y a à faire) et l'activité (la manière dont on réalise la tâche). D'après Leplat (1997), la tâche est le but à atteindre et les conditions dans lesquelles il doit être atteint, et l'activité réelle est ce qui est mis en oeuvre par l'opérateur pour exécuter la tâche. Pastré (2002) précise cette notion : « l'activité réelle du sujet « déborde » toujours de la tâche du praticien » : reconfigurer, ajuster sa manière de faire et s'adapter pendant l'action pour agir efficacement. Quelles sont les opérations, les adaptations que peut faire l'enseignant pour répondre au but de manière efficace c'est-à-dire en régulant le conflit et en donnant un cadre d'apprentissage aux élèves ? Et que doit-il faire et/ou dire pour que les effets ressentis soient plus confortables (au sens ergonomique du terme) pour lui, c'est-à-dire comment rendre ces actions plus efficientes ?

De plus, « l'activité est inséparable de la situation dans laquelle elle se déploie puisque l'opérateur doit s'adapter en permanence à cette situation » (Pastré, Mayen, Vergnaud 2016, ibid ). Pour expliciter cette adaptation, elle a tiré des travaux de Piaget la notion de schème, centrale une perspective d'analyse de la construction de la compétence. Le schème « permet de comprendre l'articulation entre le caractère adaptable de l'activité de l'enseignant dans ces situations « imprévues » et les invariants propres à son organisation ». Vergnaud (1996) définit le schème comme « une organisation invariante de l'activité pour une classe de situations données ». Il est composé d'un ou plusieurs buts ; de règles d'action, de prise d'information et de contrôle ; d'invariants opératoires et de possibilités d'inférence. D'autre part, dans les situations professionnelles, les invariants opératoires se présentent aussi sous forme de concepts pragmatiques, qui sont construits dans l'action et qui servent à orienter l'activité pour la rendre efficace (Pastré, Mayen, Vergnaud 2016, ibid ). « Ils permettent de sélectionner, d'interpréter et de traiter l'information pertinente dans la situation en ne retenant que les propriétés et relations utiles pour l'action » (Vergnaud, 1996). Quel

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dispositif de formation peut favoriser l'apprentissage de ces concepts pragmatiques permettant une adaptation efficiente lors de situations conflictuelles ?

Autre point important, le développement de ces schèmes est permis par la conceptualisation des situations, processus qui s'appuie sur des mécanismes de prise de conscience et prend sa source dans l'action. La didactique professionnelle repère et définit deux registres de conceptualisation. Le premier est un registre pragmatique qui permet la réussite de l'action et répond à l'interrogation « comment ça se conduit ?». Il sert à relier les prises d'informations sur la situation aux répertoires de règles d'action disponibles et renvoie donc au mode opératoire de la connaissance. Le deuxième est un registre épistémique qui a pour but la compréhension, l'identification de concepts avec leurs propriétés et relations ; il répond à la question « comment ça fonctionne ? » et renvoie au mode prédicatif de la connaissance. Comment la formation peut-elle favoriser la conceptualisation sur le registre pragmatique mais aussi épistémique, afin de permettre aux professeurs de développer des schèmes efficients dans les situations problématiques ?

1.2.2. Le développement professionnel et la formation

La notion d'apprentissage et de compétence est reliée à celle de développement, avec un souci de prendre en compte la durée, c'est-à-dire l'activité constructive qui accompagne l'activité productive. Trois indices permettent d'attester d'un processus de développement en cours (Pastré, Mayen, Vergnaud, 2016):

La premier est la réflexivité : « l'apprentissage par l'action est relayé par l'analyse réflexive et rétrospective de son action ». Ainsi, « une des conditions est réunie pour que l'activité constructive engendre du développement ».

Le deuxième est la capacité qu'a un sujet à désingulariser une situation : en restant centré sur la situation singulière tout en la concevant comme une situation parmi d'autres possibles, l'activité constructive aboutit à une ouverture vers l'universel. Elle permet de « conceptualiser et d'universaliser au sein même du singulier ».

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La troisième est la capacité d'un sujet à réorganiser ses ressources cognitives quand il est confronté à une situation nouvelle. Ainsi, réorganiser ses ressources existantes pour une nouvelle situation, c'est se donner les moyens de les élargir. Ces indices du développement professionnel guideront notre étude. Quels sont leurs incidences sur la formation professionnelle ?

Pour Mayen (2012), « le rôle de la formation est d'aider les professionnels à s'approprier les situations pour pouvoir agir avec elles en découvrant les moyens de percevoir et d'agir en une sorte de meilleure connaissance de cause et un peu plus d'efficience lorsque c'est nécessaire ». Ainsi un dispositif de formation à la régulation des conflits devrait aider les enseignants à prendre des informations sur la situation et à agir en percevant l'impact de leur activité sur la situation et sur eux-mêmes, en visant une meilleure efficacité et un moindre stress pour eux. De plus, Pastré (2006 b) précise qu'il est particulièrement pertinent de proposer des situations d'apprentissage en lien direct avec la situation de travail, dans lesquelles les apprenants, sont d'abord en situation d'action, puis de réflexion sur leur propre action. Enfin, la didactique professionnelle s'intéresse aux situations de travail simulées comme supports de formation. Elles permettent aux apprenants, de mobiliser des niveaux plus ou moins élevés de conceptualisation pour réaliser la tâche, et d'élaborer une analyse réflexive et rétrospective de leur activité dans un debriefing. Ainsi on apprend tout autant par l'analyse de son activité que par l'exercice de cette activité. On peut donc dire qu'on apprend en fait trois fois : avant, pendant et après l'activité. De ce point de vue, une des formes d'apprentissage par simulation que nous voulons étudier est celle du jeu de rôle qui nous semble opportune pour favoriser le développement professionnel dans ce type de situations.

1.3. Du jeu de rôle au théâtre forum

Pour organiser un dispositif de formation par simulation en jeux de rôle, nous proposons d'utiliser et d'adapter une pratique existante : le théâtre forum. Il s'agit d'une forme de théâtre créée par Augusto Boal (2006) au Brésil. Tixier (2010), en décrit les principes de base : des « acteurs » préparent une saynète qui

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présente une problématique sociale ou professionnelle, puis la montrent à un public. Lors du « forum », le formateur / animateur invite le public à faire dans un premier temps une analyse de la situation puis il interroge les « acteurs » sur leurs ressentis et ce qui motive leurs agissements. Dans un second temps le public propose des idées d'interventions pour faire évoluer positivement la situation. Le public peut alors tester « sur scène » l'alternative choisie sachant que les autres « acteurs » ont pour consigne d'improviser pour s'adapter à ce nouveau comportement. Un nouveau forum est ensuite proposé pour analyser les changements apportés par les nouvelles propositions.

Depuis quelques temps, le théâtre forum est utilisé dans certaines institutions de formation, comme à l'ESPE de Nice et de Strasbourg, dans le cadre de l'analyse de pratique professionnelle. En 2015, Guérin (2001) proposait cet outil à l'ESEN8 pour une formation sur l'autorité. En mars 2015, lors d'un séminaire à l'ENS9 de Lyon sur le thème « former les enseignants au XXI siècle », un scénario de formation utilisant le théâtre forum, a été proposé par Isabelle Reignier et Sofia Nogueira, enseignantes et formatrices de l'Académie de Versailles.

1.4. Nos questions : problématique et hypothèses

Dans le cadre théorique présenté, nous chercherons à montrer en quoi le théâtre forum, utilisé comme situation de simulation peut être efficace comme outil de formation. En fonction de la définition et des indices qu'elle relève sur le développement professionnel, nous nous questionnons sur le potentiel de développement de ce dispositif. (Mayen, 2012) pour les débutants

La question centrale de notre étude est donc : en quoi et comment le théâtre forum est-il un outil favorisant le développement professionnel des enseignants débutants dans la régulation des conflits ?

8 ESEN : Ecole supérieure de l'enseignement

9 ENS : Ecole normale supérieure

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Si le théâtre forum peut permettre aux professeurs débutants un développement professionnel dans le cadre de la régulation des conflits, nous faisons l'hypothèse que c'est parce que cet outil permet :

- premièrement une analyse réflexive, sur son activité réalisée dans une situation simulée. Cette analyse effectuée dans un collectif de pairs doit favoriser une prise de recul et une prise de conscience sur des gestes professionnels.

- Deuxièmement, pour aller au-delà de la prise de conscience et susciter un réel développement, nous faisons l'hypothèse que cet outil doit également permettre de conceptualiser à partir de l'analyse réflexive des « savoirs » en actions, de construire des liens entre forme opératoire et forme prédicative de la connaissance sur la gestion des conflits afin de les élargir (généraliser).

- Troisièmement, pour que ces savoirs ne restent pas uniquement des « mots », des idées, le théâtre forum doit permettre aux formés de réorganiser leurs ressources en vue d'une adaptation plus efficiente lors de situations conflictuelles nouvelles, simulées et/ou réelles.

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2. Cadre méthodologique : intervention et dispositif d'étude

2.1. Descriptif du dispositif : contexte, modalités d'intervention

2.1.1. Contexte d'intervention

Nous avons utilisé ce dispositif avec des étudiants en Master 2 MEEF de l'ESPE d'Aix Marseille. Nous avons travaillé avec deux groupes (G1 et G2) de 18 à 23 étudiants en majorité titulaires du concours de recrutement dans les filières LP (professeur lycée professionnel), PE (professeur des écoles), PCL (professeur collège et lycée). Chaque groupe bénéficiait d'une séance de quatre heures pour travailler sur le thème « régulation des conflits et posture d'autorité ». Parmi ces étudiants, six ont déjà suivi une formation similaire avec d'autres stagiaires de LP quelques mois auparavant.

2.1.2. Déroulement de l'intervention autour du théâtre forum

Durant le cours, le formateur présente d'abord la notion de conflit puis le théâtre forum (objectif, déroulement, règles). Les étudiants s'organisent ensuite en trois équipes (de 6 à 9) qui travaillent pendant une heure sur une problématique conflictuelle choisie différente : conflit avec un élève qui pose un problème de comportement, conflit avec une élève qui ne veut pas travailler, conflit entre deux élèves dans le cours. Le groupe construit un scénario issu d'une expérience professionnelle vécue, le met en scène (répartition des rôles) et répète la scène. (Cf. annexe 6 aide au scénario).

Le théâtre forum est organisé en quatre temps. Dans un 1er temps une équipe « joue » la scène devant les autres : ce sont les « acteurs » dans le rôle du professeur ou des élèves. Dans un 2ème temps, lors d'un « forum », le formateur organise un débriefing : analyse, proposition d'alternatives. Dans un 3ème temps, une alternative proposée par le public est « testée » sur scène. Dans un 4ème temps, un autre forum est proposé concernant l'évolution consécutive à cette alternative. D'autres alternatives peuvent être discutées et expérimentées par la suite. Le déroulement sera identique (théâtre + forum) pour les deux autres équipes.

2.2. Mode de recueil des données et matériau recueilli pour notre étude

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Pour réaliser notre étude sur l'impact du théâtre forum (ThF) dans le développement professionnel, nous utilisons trois types de données complémentaires.

2.2.1. Vidéo

Objectif : (point de vue extérieur) repérer les traces de l'activité de l'enseignant et les réactions des autres protagonistes dans les situations jouées (verbal et non verbal) ; et analyser les discussions lors du forum sur le fond et la forme.

Déroulé : 4 films de théâtre forum (15 à 30 minutes chacun) que l'on nomme ThF1, ThF2, ThF3 et ThF4. Il sont réalisés avec deux caméras : l'une est dirigée vers la scène et enregistre les situations jouées et l'autre est dirigée vers le public pour faire un relevé des interventions des étudiants dans les phases de forum.

2.2.2. Questionnaire (Cf. annexe 1)

Objectif : niveau d'analyse plus global afin de mettre en évidence les représentations des étudiants sur le conflit, de préciser ce que leur a apporté le théâtre forum d'un point de vue cognitif (réflexion, analyse, perspectives...) et émotionnel.

Déroulé : Il est proposé à la fin de la formation et est constitué en majorité de questions fermées à choix multiple (avec une possibilité de réponse libre). Il a été élaboré à partir de l'intervention faite en novembre avec les étudiants de LP d'une part, et a été enrichi par la lecture d'ouvrages sur le théâtre forum d'autre part.

2.2.3. Entretiens avec les stagiaires

Objectif : approfondissement de l'analyse de l'impact du ThF sur l'étudiant grâce à un entretien semi directif sur sa pratique professionnelle et sur la régulation des conflits.

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Déroulé : Cet entretien téléphonique (20 à 30 minutes) a été proposé à tous les stagiaires. Parmi 11 volontaires, nous en avons sélectionné 5 afin d'augmenter les variables (parcours MEEF, stagiaires ayant déjà suivi un ThF auparavant). Nous avons ainsi tenté de proposer un échantillon représentatif des étudiants de l'ESPE de ces deux groupes.

2.3. Traitement des données au regard de notre problématique

Nos données sont analysées au regard de nos hypothèses. Les données sont issues des réponses orales et écrites des participants (extraits des questionnaires, des entretiens et des forums) ainsi que des traces de leur activité prélevées dans les vidéos des scènes filmées (cf annexes 2, 3, 4).

Pour discuter d'un premier niveau d'analyse réflexive dans le Thf, nous caractérisons les moments d'analyse de la situation jouée à partir de plusieurs indicateurs : le type d'informations verbalisées (description, interprétation, analyse) ; l'organisation formelle de ces échanges (initiatives des propos, échanges entre participants) ; les effets du ThF en termes de prise de recul et prise de conscience (les occurrences de vocabulaire / réflexion).

Nous nous attachons ensuite à analyser les données concernant la conceptualisation, et les liens entre, la construction de lien entre forme prédicative et forme opératoire de la connaissance (ou registre pragmatique et registre épistémique). Nos indicateurs concernent la verbalisation par les étudiants des résultats des actions du professeur : résultats objectifs sur la situation (régulation du conflit, remise au travail) et effets subjectifs sur la personne (émotions, besoins). Nous analysons également les échanges avec le formateur permettant la compréhension de ces résultats (mécanismes du conflit, fonction des émotions) et la mise en relation avec les gestes professionnels relevés. Puis nous analysons les propositions des étudiants sur les règles d'action (verbal, non verbal, para verbal (ton, intonation, rythme, pauses)) permettant de réguler le conflit, ainsi que sur les intérêts et limites de ces règles d'action en lien avec les mécanismes du conflit (connaissance épistémique).

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Enfin, nous traitons les données concernant la réorganisation des ressources des étudiants dans les situations jouées. Nous analysons les adaptations éventuelles en repérant les actions proposées (verbal, non verbal, para verbal) au regard des résultats objectifs et subjectifs obtenus. Puis nous proposons une analyse des entretiens pour identifier l'adaptation possible des étudiants dans des situations professionnelles réelles. Nos indicateurs concernant cette adaptation sont limités par le cadre de notre mémoire. Nous n'avons pas de « visibilité » extérieure puisque nous n'avons pas pu filmer ces étudiants dans leur cadre professionnel après la formation.

19

3. Présentation des résultats

Nous avons exploité les 31 questionnaires complétés par les étudiants (75% ont répondu). Nous avons fait l'analyse de cinq entretiens (les prénoms sont modifiés) et de 4 théâtres forum filmés sur deux cours. Nous en avons extrait et analysé ce qui relève d'une activité réflexive, d'une activité de conceptualisation et d'un réinvestissement réel.

Aussi pour faciliter la lecture de notre analyse, nous convenons d'un code. Nous parlons des étudiants et du formateur pour évoquer le collectif dans la formation. Et lorsque nous évoquons leur participation dans le théâtre, nous mentionnons le public et les acteurs ou protagonistes dans le rôle de professeur ou d'élève. Les théâtres forum filmés sont nommés ThF1, ThF2, ThF3 et ThF4. (Cf. annexe 7 scénario)

3 .1. Un dispositif d'analyse réflexive

D'après 39% des questionnaires, les étudiants voient dans le ThF un outil permettant de réfléchir aux difficultés rencontrées dans la pratique professionnelle. Nous constatons également une forte participation des étudiants lors du forum : par des indicateurs verbaux (pour le ThF2 : 11 étudiants sur 14 interviennent à l'oral pendant le forum) et non verbaux (corps et regards tournés vers la scène, acquiescement de tête, pas d'activités parasites ...).

3.1.1. Les objets de l'analyse : de la description aux interprétations

Dans le forum, le formateur introduit la phase d'analyse : « Qu'est ce qui se passe, qu'avez vu, entendu ? Que fait l'enseignant ? » Il invite les étudiants à faire une analyse descriptive des faits, sans interprétation, pour repérer les propos du professeur : « Le prof demande aux élèves de se mettre en groupe, mais un élève refuse », « Il y a un prof qui demande quelque chose, et un élève

20

qui ne veut pas lui donner ». « Il dit ça suffit ! », « Il questionne l'élève », « L'élève la tutoie ». Ils doivent également identifier le non- verbal (mouvements, gestes, postures, positionnement) : « Elle se met entre nous » « Elle se rapproche de lui », « Le prof reste assis à son bureau » « Il est assis et elle debout ». Les étudiants restent dans cette phase sur les faits observables.

Les étudiants précisent aussi les éléments du contexte de la scène (lieu, moment, cours...). Le formateur leur demande notamment d'identifier les attitudes des élèves et leur prise de position dans le conflit. Ces informations sont mises en relation avec les mécanismes du conflit par un questionnement : « Qu'est ce qui vient alimenter le conflit ? », « Quel élément du contexte peut contribuer au conflit ? ». Dans le ThF2, ils repèrent : « Il y en a un qui intervient en sa faveur du fait de l'injustice » ; dans le ThF4 : « Il y a du soutien de la part des camarades et une recherche de provocation » ; dans le ThF1 : « Il a sa capuche et ses écouteurs, il est fermé ».

Cette phase est ensuite complétée par une recherche des buts du professeur. Les hypothèses émises permettent de faire le lien entre les intentions et les actions identifiées. Le formateur interroge d'abord le public qui propose des interprétations possibles sur les buts qui orientent les actions du professeur. Puis il demande ensuite au professeur de préciser ce qu'il cherchait à faire. Ainsi dans le ThF3, le public propose: « Elle cherchait l'ordre et du coup elle leur rappelle comment faire pour rentrer en classe ». Dans le ThF2, le professeur interrogé répond :« il me met des bâtons dans les roues, donc j'ai envie de passer à autres chose et de me débarrasser de cette situation ». Et le public réagit : « C'est vrai qu'on voit qu'elle veut se débarrasser ». Parfois, il y a un décalage entre l'intention formulée par le professeur et l'interprétation faite par le public : dans le ThF2, le public souligne que le professeur a montré son autorité à la classe, et ce dernier répond : « j'ai pas du tout l'impression d'avoir assis mon autorité ! ». D'ailleurs, il évoquera ce décalage spontanément dans son entretien: « Quand les autres (public) ont dit ce qu'ils ont vu, je n'ai pas forcément ressenti ça ! |...] ça m'a montré clairement qu'on ne voit pas forcément pareil ».

21

3.1.2. Organisation des échanges : avec le formateur et entre pairs

Dans les vidéos nous repérons l'organisation du débriefing. Dans un premier temps, les échanges sont initiés par le formateur, sous forme de questions, de reformulations, de relances, de clarification (« en quoi, comment, c'est-à-dire ? »). Au fil du forum, les étudiants prennent part aux échanges de manière plus spontanée, ils complètent, précisent, donnent d'autres opinions ou les infirment.

Dans le ThF1, le formateur questionne les étudiants sur l'intervention du professeur. Ils répondent « Elle les a court-circuités ». Le formateur questionne alors l'élève qui répond « Je me suis sentie petite, parce qu'elle avait le ton, la posture, elle était imposante. » ; et le public de répondre spontanément : « Elle les a défendus, elle est intervenue de manière plus claire sur le mot bouffonne ! ». Dans son entretien Manon parle de ces échanges : « Il n'y a pas que le formateur qui nous apporte, il y a les autres, le fait d'échanger [...] on n'a pas toujours la même façon de voir, les mêmes idées ». A ce propos, 40% des étudiants voient un intérêt au théâtre dans le partage d'expériences avec leurs pairs et 45% repèrent dans le forum un moment d'échange, de partage avec un collectif sur une problématique professionnelle. De plus pour 11 étudiants (35%), il s'agit d'un moment qui permet de confronter différents points de vue et de rentrer dans un débat, ce qui permet à ces échanges de ne pas être uniquement consensuels même s'ils sont rassurants pour 30% des étudiants. En effet un tiers s'est senti surpris par les propositions d'autres étudiants et 20 % étaient même étonnés par leur propre réflexion.

Un autre aspect de ces échanges entre pairs ressort lors des entretiens : il s'agit de l'hétérogénéité du parcours (MEEF) des étudiants. Pour Léon, stagiaire LP : l'hétérogénéité « ça pulse, c'est enrichissant ». Il ajoute qu'il a beaucoup appris d'une PE dans le groupe parce qu'elle a « une manière de gérer » différente de la sienne. Pour Niko : « Il y a des réactions de collègues qui m'ont un peu surpris

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dans leur interprétation et dans ce qu'ils proposaient comme alternative. Il y a des trucs que je trouvais assez pertinents et je n'y aurais pas pensé [...] le fait d'avoir des retours de profs qui exercent dans un autre cadre, du coup on ne voit pas les élèves de la même manière donc c'est intéressant [...] Il y avait des réactions surprenantes au niveau des méthodes. Pour Magali : « je crois que c'est bon à prendre même si ça ne nous concerne pas forcément parce que le problème des profs c'est qu'on a tendance à trop rester enfermé sur notre niveau [...] dans ce cours, c'est enrichissant ».

Nous notons également quelques limites au constat fait sur la richesse de l'hétérogénéité du groupe. Certains étudiants ont semblé plus passifs dans les phases de forum, notamment quand il s'agissait d'élèves d'un autre niveau d'âge que ceux dont ils ont la charge. Sophie comprend bien qu' « il faut qu'on partage, qu'on communique, mais dans la mesure où on n'a pas tous les mêmes problématiques, cela tombe souvent à plat ». Pour elle, « c'est intéressant de confronter les expériences des autres si les situations sont comparables ». De la même manière, Niko n'est pas contre l'hétérogénéité du public mais il ajoute : « ce serait plus pertinent de travailler avec des situations d'élèves qui se ressemblent ».

3.1.3. Les effets de l'analyse réflexive

Dans les questionnaires, les étudiants mentionnent comme utilité du dispositif une prise de recul sur les situations de conflit grâce au théâtre (42%) et au forum (30 %).

Dans son entretien, Sophie précise : « En fait ce qui m'a fait comprendre, c'est avec le recul [...] je me suis rendu compte que je n'avais pas assez mis de barrière ». D'ailleurs, elle compare spontanément un conflit qu'elle a vécu dans son lycée avec une scène dans laquelle elle a joué en tant que professeur : « Les commentaires qui ont suivi m'ont beaucoup plus ouvert les yeux que le moment joué ». Elle évoque également une prise de conscience sur sa pratique professionnelle : « Je me disais tellement que je n'avais pas de souci de discipline, je ne me rendais pas compte que je me laissais grignoter un peu

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insidieusement ». Magali déclare : « Je suis de nature impulsive et le ThF m'a permis de prendre un peu de recul par rapport à ma pratique et de me dire ce que j'aurais pu faire et ce que je pourrai faire maintenant [...] Le fait d'expérimenter ça, on en prend encore plus conscience ». Manon témoigne également : « je me suis rendue compte de beaucoup de choses, des choses que l'on sait mais que l'on ne met pas forcément en pratique [...] le fait d'expérimenter, on en prend encore plus conscience ».

Cette prise de conscience est également relevée par certains étudiants qui trouvent de l'intérêt au ThF dans la mise en lumière des différents points de vue (professeur/élèves) grâce au théâtre (45%). Pour 32% des étudiants, le forum permet aussi de comprendre les comportements des élèves lors d'un conflit. Dans son entretien, Magali parle de la scène où elle a joué le rôle d'un élève : « Cela peut aider à mieux les comprendre, mieux les cerner, parce que bizarrement on n'est plus vraiment nous quand on joue le ThF et cela permet de se mettre à la place de l'autre et d'essayer de comprendre. » Elle précise : « Au final, on arrive à ressentir ce que l'élève pourrait ressentir, et ça joue aussi, ça nous influence. »

Enfin, un seul étudiant n'a pas apprécié le ThF de manière générale. Il pense que les échanges sont intéressants mais qu'il n'y a pas besoin de ce support jugé artificiel.

3.2. Un outil de conceptualisation et de généralisation

3.2.1. Repérer l'impact d'une action sur la situation conflictuelle

Pour 55%, le théâtre permet de voir l'impact des actions sur l'évolution d'une situation conflictuelle et 30 % repèrent, l'impact de la communication non verbale.

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Pour traiter les données concernant la conceptualisation des savoirs en actions, nous portons notre attention sur l'organisation du débriefing et sur le type de réponses des étudiants. Le formateur incite d'abord les étudiants à repérer le lien entre les actions du professeur et le résultat obtenu : « Qu'est ce qui a bien fonctionné ? Quel est l'impact de ce geste professionnel ? Qu'est ce qui a moins bien fonctionné ? Quelles sont les limites ? ». Pendant ces discussions, le formateur fait préciser les propos, les complète puis les relie à un cadre théorique concernant les mécanismes d'apaisement et d'escalade du conflit (cf. annexe 10).

Dans le ThF2, un étudiant souligne l'intérêt du « répondant » d'un professeur lors de sa proposition : « Quand on les pique un peu, ça les calme ! ». Un autre rétorque que le risque est que l'élève s'essaye lui aussi aux « jeux de mots » et que cela peut « faire déraper le reste de la classe ». Il conclut en disant : « Le risque est que l'on peut perdre l'autorité, le respect ». Une autre complète : « Le risque d'un dérapage avec la répartie si on est avec un élève qui a énormément de répartie, c'est qu'il prend le pouvoir ! ». Le formateur reformule les intérêts et les risques verbalisés par les étudiants, puis les complètent par des notions sur les postures d'autorité. Il se réfère à trois composantes de l'autorité en en donnant les atouts et les limites (cf. annexe 8).

Dans le ThF1, les étudiants caractérisent, le positionnement du professeur proposé dans la 2èmealternative. Le formateur leur demande d'identifier la règle d'action mise en oeuvre par le professeur lorsqu'elle a proposé à l'élève de faire un choix, tout en l'informant sur les conséquences éventuelles de son choix. Ils répondent qu'elle a donné le cadre. Le formateur relance « A quoi ça sert ? ». Ils répondent : « A sécuriser soi, l'autre, le groupe ». Les actions « efficaces » repérées par les étudiants sont notées au tableau pour compléter le schéma des mécanismes du conflit construit au fur et à mesure du cours.

Sur cette même scène, une 3ème alternative est proposée. Les étudiants la décrivent : « Il était plus réceptif », « Il a reformulé (ce que disait l'élève) », il a fait preuve « d'empathie ». Le formateur questionne sur l'écoute active, en donne la définition puis demande à l'élève l'effet que l'intervention du professeur a eu sur lui. Il répond « plus en confiance [...] et plus écouté ». Le formateur demande aux autres élèves l'impact sur eux. Ils répondent : « Un cadre plus sécurisant [...]

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moins de tension ». Dans cet exemple, nous repérons un deuxième niveau d'analyse dans les résultats de l'action. Il s'agit des effets sur le professeur et sur les élèves. D'ailleurs, pour 42% des étudiants, le théâtre leur a permis de reconnaître les émotions mises en jeu dans une situation de conflit par les différents protagonistes et pour 55%, le forum les aide à mettre des mots sur ces ressentis. Dans cette partie du débriefing, le formateur demande d'abord au public d'identifier les émotions agréables ou désagréables des protagonistes, puis de faire des hypothèses sur ce qui expliquent ces émotions. « Qu'est-ce qu'il leur manque, de quoi ont-ils besoin, qu'est ce qui est important pour eux ? ». Le formateur reformule ensuite les émotions et besoins des protagonistes proposés par le public et complète parfois en questionnant les acteurs.

Plusieurs exemples montrent comment les étudiants relèvent ces informations puis font le lien avec les mécanismes en jeu dans le conflit. Dans le ThF1, le public reconnaît les émotions du professeur : « en colère, frustré ». Le formateur relance « pourquoi frustré ? » et questionne également le professeur : « tu l'as travaillé longtemps ce cours ? ». Le professeur répond qu'il s'agit d'un thème (les attentats) qui le touche, et il ne « tolère pas qu'on remette en question » ce qu'il propose sur ce sujet. Il se sent « incompris et déçu ». Pour la même scène, le public a repéré les émotions de l'élève en conflit : « énervé, agacé, en colère », avec un sentiment « d'injustice ». L'élève ajoutera : « Je ne supporte pas l'autorité, je n'ai pas envie de perdre la face devant les autres en me soumettant ». Le formateur le questionne sur son état s'il avait pu travailler avec un autre groupe choisi. L'élève aurait été d'accord. Le formateur relance : « Pourquoi tu es bien avec elles, tu es en confiance ? », Il confirme : « Oui ».

Ces échanges sont complétés par un schéma qui vient préciser le lien entre les émotions désagréables et les besoins non satisfaits, proposé comme une des clés pour comprendre l'origine des conflits (cf. annexe 9). Dans son entretien Magali est questionnée sur ce qu'elle a retenu des mécanismes du conflit : « Le conflit émerge du besoin et la réponse au besoin justement est la clé pour aborder le conflit ».

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3.2.2. Proposer des gestes professionnels pour réguler un conflit

Pour 48%, le forum permet de trouver des alternatives pour réguler un conflit et pour 30%, le théâtre permet de faire émerger d'autres perceptions sur la régulation des conflits. Cette phase s'élabore dans la dernière partie du forum. Elle est complétée par le schéma que le collectif construit au fur et à mesure. On y lit des règles d'actions : isoler (pas devant le reste de la classe, dans un lieu calme), prendre le temps (en fin de cours, lors d'une récréation), s'assoir, avoir un ton de voix plus calme, exprimer ses ressentis, ses besoins, rappeler les règles (cf. annexe 10 et annexe 5).

Ce moment du débriefing est introduit par une question du formateur : « Qu'est-ce que l'on pourrait faire dans cette situation, quelle alternative, quel autre choix proposez-vous ? ». Si les réponses des étudiants restent générales, le formateur demande des précisions opérationnelles afin de préciser les propositions : « C'est-à-dire, à quel niveau ? Qu'est-ce qu'il pourrait dire ou faire ? ».

Dans le ThF2, les étudiants proposent « un rappel du règlement intérieur », un rappel de « la notion de justice » par rapport aux autres élèves, un rappel sur « l'intérêt du travail demandé ». Chaque proposition est discutée, puis analysée au regard des postures d'autorité et des mécanismes d'apaisement du conflit. Sur ce même ThF, un étudiant évoque le fait que l'élève aie tutoyé le professeur et que certains élèves autour se soient sentis « choqués ». Il rappelle qu'en plus des règles de l'institution, il y a des règles de « bienséance » à respecter et faire respecter : « C'est pas parce que ce n'est pas dit dans le règlement que l'on ne doit pas se tutoyer, se bousculer, balancer des chaises que l'on peut le faire ! C'est pas écrit mais c'est un accord tacite » et il faut donc le rappeler.

Lors de son entretien, Manon a précisé les règles issues du ThF qu'elle avait retenues : « Le ton, la voix », « Reporter, prendre de la distance avec le conflit pour mieux le gérer ensuite ». Elle ajoute que le schéma sur les mécanismes du conflit lui a permis de « structurer » ces règles. Elle parle de l'empathie « c'est écouter et comprendre l'autre sans forcément être d'accord avec lui ». Magali repère des gestes professionnels qui lui paraissent plus efficaces : « Le ton à utiliser et le fait aussi de reporter l'incident à plus tard selon sa nature [...] Dire à

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un élève on en parlera à la récréation ou en fin de cours [...] On n'a pas forcément assez de recul encore pour le faire parce que l'on s'offusque tout de suite mais là c'est vrai que c'est intéressant ». Elle fait également le lien entre un geste professionnel (donner une responsabilité à un élève) et une connaissance prédicative (valoriser des élèves) qu'elle a repéré dans un ThF: « Elle a proposé de donner une responsabilité à l'élève qui ne voulait pas travailler. C'est exactement ce que j'aurai fait aussi. Parce que les élèves [...] ont surtout besoin d'être valorisés et c'est vrai que là, en donnant des responsabilités, il aura plus envie de participer. Parce que l'élève qui refuse de travailler ce n'est pas forcément par affront. C'est que soit l'élève est en difficulté et il ne veut pas le montrer devant ses camarades et soit [...] il a des difficultés personnelles ». Elle précise également à propos du schéma co construit (cf. annexe 10) : « C'est bien pour décortiquer les mécanismes du conflit, la manière dont ça peut monter ».

3.3. Un outil permettant une adaptation plus efficiente

Pour nous rendre compte de l'effet du théâtre forum sur l'adaptation des stagiaires à de nouvelles situations, nous nous attachons à deux temporalités : la réorganisation des ressources lors des alternatives proposées pendant le théâtre d'une part et l'adaptation lors de l'activité professionnelle après la session de formation d'autre part.

3.3.1. Adaptation dans les situations du théâtre forum

Pour 45%, le théâtre permet de tester et voir tester d'autres formes de communication dans la gestion des conflits. Lors de son entretien, Manon relève l'aspect concret et expérimental : Le ThF c'est « ressentir et vivre ce que l'on est en train de jouer pour mieux se l'approprier ». Magali le caractérise par deux notions : « improvisation et dépassement de soi ». Cette adaptation est constatée dans les alternatives proposées, qui sont ensuite mises en relation

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avec les résultats sur la situation et avec les effets sur les protagonistes. On repère deux formes d'alternatives par rapport aux propositions antérieures.

Certaines sont orientées vers des buts identiques mais des moyens différents pour y parvenir. Dans le ThF3 une étudiante expérimente. Le but de ses actions est le même que dans la situation initiale : démarrer son cours rapidement et dans le calme. En revanche, les moyens utilisés sont différents : elle se lève, s'approche des élèves, se place entre elles, les questionne rapidement et leur demande de sortir de la salle de cours afin de rentrer de manière plus calme. Elle leur rappelle le règlement, le cadre du cours et les accompagne à la sortie. Sa voix est calme et ferme. Lors du forum, on identifie les effets de cette proposition sur le professeur qui semble plus apaisé, et sur les élèves : « elle a rétablit le calme et l'ordre », une élève précise qu'elle s'est arrêtée de crier car le professeur étant entre elles, elle ne parvenait plus à accéder à l'autre élève et ajoute que cela l'a « un peu calmé » et qu'elle a pu « être à l'écoute du prof ». Le volume sonore des élèves était plus bas quand le prof leur a parlé doucement.

Dans d'autres alternatives, les gestes professionnels sont différents et orientés vers d'autres buts, ou sous buts. Dans le ThF3 également, une deuxième proposition est jouée. Le professeur se rapproche des élèves et les questionne sur leur conflit en précisant : « Pour comprendre, il faut s'écouter [...] vous allez vous expliquer l'une après l'autre tout en respectant celui qui parle [...] et on va mettre des mots sur ce que vous avez ». Un élève s'explique. Le prof reformule avec une voix douce et invite l'élève à redire ce qu'elle a dit avec un ton plus calme. Il questionne l'autre élève mais la première cherche à l'interrompre. Le ton remonte mais le professeur se tourne et se rapproche de la première pour lui rappeler que tout le monde doit s'écouter. Il précise cette règle à chaque protagoniste tout en se tournant et en s'approchant systématiquement d'eux. Il essaye de comprendre et de reformuler ce que disent les élèves. On constate un effet d'apaisement sur le professeur et sur les élèves. Ici les actions du professeur (donner la parole, reformuler, s'approcher...) sont orientées vers un but différent : réguler le conflit.

Pour chaque alternative, on repère des effets divers pour le professeur et les élèves (ton et rythme de la voix, attitude plus détendue, expressions du visage,

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échanges verbaux), ainsi que dans l'évolution de la situation (mise au travail, obéissance de l'élève...). Pour autant, ces résultats ne sont pas toujours positifs. Il y a parfois des limites, des résultats partiellement efficaces. L'évolution est discutée dans sa globalité (bénéfices, limites) lors du forum qui suit.

Enfin, on repère aussi des moments où le professeur parvient à s'adapter au cours même de son action, en modifiant ce qu'il avait prévu de faire dans sa phase de réflexion. Ainsi dans le ThF1, lors de la 2ème alternative proposée, l'intervention du professeur semble plus efficace pour la majorité des élèves. Pourtant un élève ne réagit pas comme les autres et refuse toujours de travailler. On constate un « temps de pause » dans l'attitude du professeur qui hésite et qui fait une autre proposition. Lors du débriefing il s'explique sur le compromis qu'il a fait et qui lui a permis de faire évoluer positivement la situation pour chaque élève (remise au travail).

Pour finir, nous relevons aussi quelques limites concernant l'adaptation possible des étudiants lors des scènes. 16% des étudiants ont noté s'être senti « en sécurité » pour tester des alternatives sur la scène. Même si ce chiffre ne signifie pas que les autres se sentaient en insécurité, cela reste faible malgré tout. Ce constat est d'ailleurs corroboré lors d'un ThF où une étudiante, qui a formulé une alternative lors du forum, préfère qu'elle soit jouée par un autre plutôt que par elle. De plus, dans son entretien, Manon dit : « le théâtre avec des inconnus ce n'est pas facile au départ » et ajoute qu'il faut être en confiance avec les autres pour faire du théâtre.

3.3.2. Adaptation dans des situations nouvelles réelles

Pour traiter cet indice du développement, il nous faudrait voir ces étudiants en activité professionnelle. Les limites temporelles de notre étude ne nous permettent pas d'accéder à des données objectives. Ainsi, pour pouvoir faire le constat d'une réorganisation des ressources de ces étudiants dans des situations conflictuelles vécues lors de leur stage en établissement, nous pourrions envisager un accompagnement lors de « visite » après la formation.

En revanche, grâce aux questionnaires et aux entretiens, nous pouvons établir quelques tendances qui semblent apparaître.

Nous pouvons signaler que 58% des stagiaires se sentent motivés pour tester d'autres gestes professionnels dans leurs pratiques et que 58% sont curieux pour poursuivre leur formation sur ce thème. De plus, des étudiants ont parlé en entretien de l'impact du ThF sur leur pratique professionnelle. Léon dit : « Il y a le fait de se mettre un peu à distance, de ne pas tout prendre pour soi, ça oui, je le fais plus maintenant ». Pour Magali, le ThF peut l'aider dans sa pratique professionnelle au niveau de la prise de recul par rapport à ce qu'elle pourrait faire, surtout sur le ressenti et la gestion des émotions.

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4. Traitement des données

4.1. Traitement des données et discussions

Dans le cadre de ce mémoire, nous avons voulu montrer en quoi et comment le théâtre forum pouvait permettre un développement professionnel des professeurs stagiaires, tel qu'il est défini par la didactique professionnelle. L'analyse de nos données permet d'ouvrir la discussion sur les trois aspects de nos hypothèses.

4.1.1. Concernant l'analyse réflexive

D'un point de vue général, les moments d'analyse et de réflexion sur sa pratique professionnelle sont repérés dans nos trois outils. La participation active d'une majorité des étudiants aux forums en témoigne sur la forme.

L'analyse se fait rétrospectivement, après la situation simulée. Elle est centrée sur les actions (verbal, non verbal, para verbal) observables et les informations pertinentes prélevées sur la situation. Ces actions sont par la suite reliées aux intentions des protagonistes, à ce qu'ils cherchent à faire dans le contexte décrit. Les hypothèses, ensuite validées ou invalidées par le professeur permettent aux étudiants d'analyser le lien entre les buts poursuivis et les actions réelles, et d'accéder à une partie de l'activité mise en oeuvre pour exécuter la tâche : ils deviennent leur propre objet de réflexion lorsqu'ils ont joué le rôle de professeur puisque l'analyse se fait autour de leur propre activité.

L'analyse est guidée par le formateur qui propose un cadre par des questions, des relances, des reformulations, des clarifications. En effet, pour analyser leur pratique, les étudiants doivent disposer de techniques et d'outils pour faciliter leurs interrogations dans un cadre « non jugeant ». Dans un article concernant l'apprentissage par simulation, Horcik (2014) relève que, par des questions ciblées et des techniques d'écoute active, le formateur permet à ce dispositif de devenir un moment d'analyse de pratique : « Durant cette phase le formateur/facilitateur cherche à faire expliciter aux participants les évènements

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les uns après les autres et à retracer la genèse des choix qui ont été effectués au moyen de relances spécifiques et en établissant un climat de confiance ».

D'autre part, nous constatons que cette analyse se construit sur trois niveaux d'échanges au sein du groupe : formateur / public ; formateur / acteur ; public / acteur. La situation simulée et le débriefing permettent de fédérer des expériences afin de faire d'un problème personnel, vécu par un enseignant, une problématique professionnelle. Quand les observations du public sont mises en tension avec le vécu et le ressenti des acteurs, on repère des concordances et des discordances. Ces discordances, parfois mentionnées dans les témoignages, servent également de base à la réflexion du professeur et des autres étudiants : ainsi le collectif permet par les différents points de vue adoptés, d'enrichir le débat et donc d'accroître le champ des possibles dans l'analyse. Bourgeois et Mornata (2012) insistent justement sur l'intérêt de l'interaction sociale avec les pairs : « elles sont sources de conflits « socio-cognitifs » eux-mêmes moteurs de l'apprentissage et favorisés dans ce dispositif par un environnement coopératif puisque le public doit trouver ensemble une solution pour améliorer la situation ». Pour Vygostky, cité par ces mêmes auteurs, « l'interaction entre deux personnes permet parfois la confrontation à une nouvelle information, en contradiction avec les informations déjà acquises ». L'intérêt des échanges entre pairs est souvent évoqué par les étudiants. Cependant quelques limites sont mentionnées à ce propos. Quand le public est trop hétérogène, les attentes sont parfois trop diverses. Ainsi la situation proposée peut sembler loin des préoccupations de certains étudiants. Il semble donc très important de choisir une situation qui fasse sens pour tous, une situation qui pose un problème à chacun pour que chacun puisse s'investir dans la réflexion rétroactive. A ce propos, certains étudiants ont mentionné qu'il pourrait être pertinent de composer des groupes d'étudiants en fonction des niveaux d'âge des élèves. Nous pourrions proposer de thématiser plus précisément et en amont les séances de théâtre forum proposées aux étudiants.

Enfin, l'analyse réflexive construite dans le forum favorise une meilleure compréhension des situations. Interpréter le rôle d'élève permet aux étudiants d'être sensibilisés aux ressentis des élèves et de saisir, en deçà du langage, les rapports de domination / soumission qui peuvent se jouer dans un rapport d'autorité. Cela a pour effet une prise de recul et une meilleure compréhension

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de la situation dans sa globalité. Les entretiens des étudiants du groupe de novembre indiquent une poursuite de cette analyse après la formation car elle leur donne des outils de compréhension sur des situations professionnelles similaires.

Ainsi, le forum, organisé par le formateur comme un moment de débriefing permet d'amener les étudiants à une analyse réflexive et rétrospective de leur activité. Et pour Pastré (2006 a), « on n'apprend pas les mêmes choses pendant l'action et au moment du debriefing » : apprentissage pendant l'action et apprentissage par l'analyse de l'action s'articulent et s'épaulent l'un l'autre ».

Pour autant, si cette analyse réflexive est nécessaire, elle n'est pas suffisante pour développer son pouvoir d'agir. Elle doit être enrichie d'une conceptualisation nécessaire à un réinvestissement dans des tâches similaires.

4.1.2. Concernant la conceptualisation

Pastré (2002) souligne l'importance du débriefing pour la construction du modèle pragmatique : « c'est à ce moment que s'opère la conceptualisation de la situation sous sa forme pragmatique ». Nous avons relevé des données permettant de mettre en lumière les phases de conceptualisation dans le théâtre forum.

D'une part, nous constatons que le forum permet aux étudiants d'extraire et de verbaliser des informations, des indices, sur les actions et la situation, et de les relier aux résultats obtenus. Dans ces phases où les étudiants sont guidés pour trouver le lien entre une action et un résultat, ils sont amenés à repérer des gestes professionnels favorisant la régulation du conflit. Le formateur les aide ensuite à analyser ces gestes à partir d'invariants opératoires repérés dans les situations jouées, et donc de construire des liens de causalité à partir de ceux-ci pour rendre leur action efficace. En combinant les informations relevées et un cadre théorique sur les mécanismes du conflit, il aide les étudiants à accéder à une forme prédicative de la connaissance directement issue de l'activité. Cette phase permet aux étudiants de comprendre « comment ça fonctionne ? ». Il s'agit du

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registre épistémique de la conceptualisation permettant la construction de schèmes efficaces dans des situations conflictuelles similaires.

D'autre part, les effets de l'activité sur les protagonistes sont également analysés. Cette phase, qui permet d'accéder aux ressentis des protagonistes, remplit une double fonction. D'abord, elle favorise le développement de compétences psychosociales (OMS) telles que « avoir conscience de soi, avoir de l'empathie pour les autres (Carl Rogers, 2005) ». Ces compétences permettent justement aux étudiants d'avoir accès à des informations pertinentes dans les situations. De plus, l'analyse des effets est complétée par des concepts théoriques (Marshall Rosenberg, 1999) concernant une des fonctions des émotions : informer sur les besoins satisfaits ou non. Identifier les besoins des protagonistes permet de comprendre ce qui « motive » leurs agissements dans une situation (cf. annexe 9). Ainsi, à partir d'un repérage des émotions des élèves, le professeur peut faire des inférences sur leurs besoins, qui permettront de guider son action. « Cette recherche de la cause de l'événement est également un moment crucial dans la construction d'un modèle opératif pertinent, qui va servir à la fois à la compréhension de l'action et à son guidage » (Pastré, 2006 a).

Enfin, dans la phase du forum où les étudiants sont invités à proposer des alternatives pour répondre au problème posé par la situation, le formateur les place dans un registre pragmatique de conceptualisation qui a pour but la réussite de l'action et qui répond à l'interrogation « comment ça se conduit ? ». (Pastré, 2006 b). Cette phase de la conceptualisation sert à « relier les prises d'informations sur la situation aux répertoires de règles d'action disponibles » (Pastré, Mayen, Vergnaud, 2006 ibid.). Ainsi dans un des exemples, un professeur utilise la reformulation avec un élève : c'est un concept pragmatique utile à la prise en compte d'un besoin de l'élève dans le conflit. Elle permet à l'élève qui était fermé, réactif et en refus, de se sentir écouté, ce qui a pour effet de l'apaiser.

C'est au moment du débriefing que sont verbalisées des règles d'actions efficientes pour la régulation des conflits. Pour mener à bien le forum, le formateur guide les propositions et discussions des étudiants et les articule à des

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invariants opératoires issus de certaines situations conflictuelles. L'association du théâtre forum avec des outils de compréhension des mécanismes du conflit et/ou des postures d'autorité (modèle cognitif) offre une possibilité de conceptualisation et de généralisation des schèmes construits. Mais plus que deux phases consécutives, il s'agit d'un étayage régulier entre le modèle cognitif et le modèle opératif, ce qui rend l'apprentissage professionnel maximal (Pastré, 2006 b).

4.1.3. Concernant l'adaptation à de nouvelles situations

Dans cette partie nous avons voulu montrer en quoi le théâtre forum permet aux étudiants de réorganiser leurs ressources afin de s'adapter de manière efficiente à des nouvelles situations conflictuelles.

Pour Tixier (2010), le théâtre forum « propose un espace intermédiaire entre l'imaginaire et le réel, entre la théorie et la pratique, entre la discussion et l'action », dans la mesure où le passage du monde des idées à celui de la mise en oeuvre concrète n'est pas facile : savoir ce qu'il faut faire n'est pas savoir le faire. Dans les alternatives proposées, les étudiants cherchent à s'adapter afin de répondre efficacement au problème posé par la situation. Les connaissances, qu'elles soient prédicatives ou opératoires, sont nécessaires mais « les changements de comportements, notamment en matière relationnelle, semblent nécessiter aussi et surtout une implication émotionnelle ; et l'implication est généralement beaucoup plus intense dans l'action ». (Tixier, 2010). De plus, selon Ria (2008) : « La conception de situations de simulation en formation sur la base de l'analyse de l'activité professionnelle permet à la fois de confronter les acteurs à une complexité proche des situations réelles tout en favorisant la construction d'une expérience sans risque et en recourant à la manipulation des paramètres de la situation : la temporalité, la difficulté du problème, la taille de l'environnement, etc. ». Nous relevons que dans les scènes jouées, les étudiants ont construit, une situation à partir de leur vécu professionnel. La tâche est certes simplifiée (durée courte, moins d'élèves que dans une classe...) mais elle est représentative d'une réalité vécue ou anticipée. Ainsi, lorsqu'ils jouent sur

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« scène » une alternative, ils se confrontent à une complexité proche de leur situation réelle. Ils improvisent et s'adaptent à la situation pendant l'action, même si une réflexion a été réalisée lors du forum. Dans la plupart des propositions « expérimentées », nous repérons des évolutions dans les actions proposées et dans les résultats obtenus. Les résultats obtenus en termes de régulation de conflit sont de plus en plus efficients même si des limites sont relevées. Cette phase constitue le passage entre une élaboration de l'action (savoir quoi et comment faire) et son assimilation (savoir-faire) (Pastré, 2006 b). L'élaboration est proposée dans le forum au moment de la construction de modèle opératif. Mais pour Pastré, « Savoir-faire est encore autre chose, surtout quand il s'agit d'activité où la dimension corporelle est en jeu », et nous ajoutons, surtout quand la dimension émotionnelle est en jeu. C'est pourquoi les phases de théâtre et donc de simulation de situations conflictuelles se révèlent particulièrement intéressantes pour explorer les propositions faites dans le forum, pour tester ces « savoir-faire ». Nous constatons que les étudiants réorganisent leurs ressources de différentes façons : ils prennent des informations plus précises sur les élèves (prise en compte de leurs états émotionnel, des éléments du groupe), ils identifient plus justement leurs besoins (des élèves et du professeur) et adaptent leur communication verbale, non verbale et para verbale à ces informations. Soit ils adaptent leurs gestes professionnels au but qu'ils se fixent avant d'agir, soit ils font des compromis en se fixant d'autres sous buts et en réorganisent leurs ressources en conséquence. Le dernier exemple proposé dans le ThF1, témoigne d'un compromis opéré par le professeur au cours de son activité. Parfois, des limites sont observées dans les résultats obtenus : ils peuvent être liés à une prise en compte incomplète des informations pertinentes de la situation ou à une posture qui n'est pas totalement adaptée. Mais une avancée est fréquemment observée dans le résultat objectif (apaisement du conflit, remise au travail...) et/ou subjectif (écoute, calme, soulagement...).

En revanche, si le théâtre permet cette mise en pratique, il « faut s'entraîner, répéter, recommencer pour que l'organisation de l'activité soit en quelque sorte incorporée ». (Pastré, 2006 b). Dans les quatre heures allouées à ce dispositif, le temps n'est pas suffisant pour permettre cette répétition. Nous pourrions éventuellement envisager comme perspective d'amélioration du dispositif, d'autres ateliers théâtre forum sur le même thème. D'autre part, ce dispositif peut

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entraîner un sentiment d'insécurité pour quelques personnes et des réticences liées à la crainte « de se mettre en scène ». Ainsi, il est important de prendre le temps de créer un cadre favorable, un climat de confiance et d'écoute bienveillante entre tous.

Le cadre de notre étude ne nous permet pas de faire de conclusion concernant une réorganisation des ressources efficientes dans le cadre professionnel. Pour avoir des données objectives, nous pourrions proposer un suivi des étudiants sur leur lieu de travail. Cependant, nous pouvons nous appuyer sur des données plus subjectives extraites des entretiens. On note que certains étudiants ayant suivi la formation en novembre ont déjà repéré chez eux une évolution dans leur gestes professionnels ou tout au moins dans leur réflexion. D'autre part, le fait qu'une majorité d'étudiants se disent prêts à tester d'autres gestes professionnels dans des situations conflictuelles réelles nous permet d'envisager un impact positif de ce dispositif dans les pratiques professionnelles.

4.2. Conclusion

Dans cette étude, nous avons travaillé sur un dispositif de formation permettant aux professeurs débutants de se sentir plus outillés pour gérer des situations conflictuelles avec leurs élèves. C'est en lien avec les concepts développés par la didactique professionnelle que nous avons cherché à montrer en quoi et comment le théâtre forum permettait un développement professionnel des débutants dans la régulation des conflits.

Nous avons montré que ce dispositif permet d'organiser l'apprentissage par l'analyse réflexive et rétrospective de son activité, lors du débriefing qui suit la scène jouée. Cela confirme le propos d'Augusto Boal (2006) : le théâtre est l'art de nous regarder nous-même et le théâtre forum devient alors un outil de connaissance qui permet d'entrer dans la complexité d'une situation de conflit par le biais de l'expérientiel, en adoptant le regard de l'autre. Cette analyse se fait, par la médiation du formateur et les interactions entre les étudiants. D'autre part, ce dispositif permet une phase de conceptualisation par l'articulation entre

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formes de connaissances opératoires et prédicatives. L'élaboration de concepts pragmatiques est construite à partir des propos des étudiants, étayés par des modèles théoriques. Enfin, le théâtre forum offre un espace qui permet un réinvestissement, une réorganisation des ressources pour que l'étudiant s'adapte de manière efficiente à la situation. Dans cette phase d'expérimentation concrète, ils doivent mobiliser des niveaux plus ou moins élevés de conceptualisation pour être dans un processus de développement. En revanche, elle nécessite un climat de confiance et probablement une répétition plus importante des simulations. Alors, le théâtre forum pourrait montrer toute sa puissance pour permettre aux débutants une assimilation des compétences. De plus, une étude longitudinale nous permettrait de voir les étudiants sur le terrain après la formation. Nous pourrions alors vérifier si l'adaptation dont ils font preuve lors de la session de formation est visible dans des situations professionnelles similaires.

Cette étude met particulièrement en lumière l'importance du collectif, comme ressource pour chacun. Ainsi, les professeurs débutants qui se sentent démunis et parfois isolés retrouvent des moyens d'agir avec et grâce au groupe.

Mais au-delà des interrogations sur l'impact de cet outil, cette étude nous permet également de formaliser la place du formateur. Sa présence est nécessaire pour organiser et guider l'analyse réflexive, l'articuler avec des connaissances épistémiques, et créer un cadre bienveillant favorisant les échanges mais aussi l'implication dans le « jeu ». Mais au-delà de ces compétences indispensables pour animer ce type de formation, des questions émergent. Comment doser, équilibrer, articuler les apports théoriques avec les temps de verbalisation et de réflexion ? Quel temps accorder à la construction d'un cadre bienveillant et sécurisant dans une formation courte ? Comment accompagner ces étudiants sur la durée et notamment lors de leur stage pour poursuivre ce travail avec eux sur la régulation des conflits ? Probablement qu'un temps de réflexion et d'échanges entre formateurs permettrait un éclairage supplémentaire sur ces questions.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon