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Le modèle de bus rapid transit et l’Afrique subsaharienne.


par Camille JEAN-BAPTISTE
Université Jean moulin Lyon 3 - Master Ingénierie des transports et politiques de déplacements durables 2017
  

Disponible en mode multipage

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Le modèle de Bus Rapid Transit

et l'Afrique Subsaharienne

Crédit photo : city of Johannesburg

Camille JEAN-BAPTISTE

Master 2 Ingénierie des transports et politiques des déplacements durables

Université Jean Moulin Lyon 3 Année 2016 - 2017

Sous la direction de Mr Emmanuel PERRIN

Tuteur de stage Mme Sylvie DUPRE

1

Sommaire

Glossaire ...P 3

Introduction .P 4

Chapitre 1 : Une année d'alternance chez SCE Lyon P 5

1. Présentation générale de la société SCE P 5

2. L'agence SCE LYON P 6

3. Participations aux missions transports et mobilité P 8

Chapitre 2 : Description et analyse du projet BRT à Dakar ..P 13

1. Description du projet pilote du Bus Rapid Transit de Dakar P 13

1.1 Retour sur le projet de création de lignes BRT P 13

1.2 La philosophie du projet P 16

2. Ma participation à la révision des études techniques P 17

2.1 Une étude de trafic P 17

2.2 Questionnements sur le projet de BRT à Dakar ...P 21

Chapitre 3 : L'émergence du modèle de BRT en Afrique Subsaharienne P 25

1. Défis et enjeux d'un projet BRT ..P 25

1.1 Pollution de l'air P 25

1.2 Démographie et urbanisme P 28

1.3 Désorganisation du service de transport P 31

2

Exemples et analyse de modèle de BRT

..P 37

2.1 Un exemple fondateur, le BRT du Curitiba

.P 37

2.1.1 Caractéristiques du réseau BRT

..P 37

2.1.2 Victime de son succès

.P 42

2.2 L'exemple du BRT de Johannesburg

..P 45

2.2.1 Urbanisation et déplacements

P 45

2.2.2 Quid de la mobilité en Afrique du Sud

..P 46

2.2.3 Les acteurs du transport urbain

..P 48

2.2.4 Tensions autour de l'émergence d'un système intégré

P 49

2.2.5 Eléments de tension

P 49

3. Le BRT, un système de transport en vogue

..P 52

 

3.1 Comprendre l'engouement pour les BRT

P 52

3.2 Leviers d'actions

..P 53

3.2.1 Des politiques locales fortes et engagées ...P 54

3.2.2 Les subventionnements P 56

Conclusion

...P 57

Annexes

P 60

Bibliographie

P 61

3

Glossaire

EPCI : établissement public de coopération internationale

PDIE : Plan de Déplacement Inter-Entreprises

CCI : Chambre de commerces et d'industries

CC : Communauté de communes

BM : banque mondiale

TRM : Transport Rapide de Masse

4

Introduction

Effectuer une année de master 2 sous le rythme de l'alternance aura été une opportunité intéressante d'approcher et de découvrir en profondeur les rouages d'opérations de transports et de mobilité. A cette occasion j'ai eu la chance de découvrir un nouveau système de transport rapide de masse, le modèle de Bus Rapid Transit connu également sous l'acronyme BRT. Ce dispositif de transport connait un succès fulgurant en Amérique Latine et tend à se développer à travers le monde. La particularité de ce modèle de transport réside dans le fait qu'il se destine davantage à des agglomérations en développement. Aujourd'hui un projet de BRT est lancé dans le centre-ville de Dakar au Sénégal, troisième projet sur le continent africain. En partant de ce constat il m'a alors paru intéressant de comprendre quels pouvaient être les mécanismes nécessaires à la réussite de tels projets en Afrique Subsaharienne.

Pour traiter cette question je vais développer une étude composée en trois grands chapitres.

Le premier s'attache à rendre compte de l'année d'alternance que j'ai pu effectuer dans les locaux du bureau d'études SCE de Lyon. Après avoir rappelé l'organisation de la société je poursuivrai avec un panorama des missions auxquelles j'ai pu participer tout au long de mon stage.

Le second chapitre fera un focus sur une mission singulière à laquelle j'ai pu participé. Cette dernière viendra guider le chapitre à suivre. Le projet de Bus Rapid Transit de Dakar se veut ainsi le point de départ à une réflexion plus large sur l'essor des projets de BRT à travers l'Afrique subsaharienne.

Dans cette perspective le dernier volet de cette étude sera consacré à la mise en évidence des défis et enjeux qui entourent les projets de BRT sur le continent africain avant de faire la lumière sur plusieurs projets BRT. Nous insisterons sur les éléments de contexte, qui sont des éléments déterminants à la compréhension de l'essor de ces projets. Par la suite nous poursuivrons avec un rappel des déterminants qui poussent aujourd'hui les collectivités à opter pour ce type de transport pour enfin clôturer avec les leviers d'actions à enclencher pour assurer la pérennité de ce type de projet de transport en Afrique subsaharienne.

Chapitre 1 : Une année d'alternance chez SCE Lyon

1. Présentation générale de la société SCE

Au cours de cette année de master 2 en Ingénierie des transports j'ai eu l'occasion d'effectuer mon alternance dans la société SCE, et plus spécifiquement au sein de son agence lyonnaise. L'entreprise SCE compose avec 3 autres sociétés le groupe indépendant Keran qui réunit aujourd'hui près de 470 collaborateurs pour 38 millions d'euros de chiffre d'affaires. Les 3 sociétés qui participent à la structure du groupe Keran sont Crécocéan, groupe huit et Naomis. Cette entreprise spécialisée dans l'aménagement du territoire a pour mission d'accompagner les collectivités locales dans leurs différents projets d'aménagements. A ce titre SCE regroupe trois principaux secteurs : l'urbanisme et le paysage, l'ingénierie des infrastructures et l'environnement. Cette société indépendante se positionne comme un bureau d'études aux compétences diversifiées agissant autant à l'échelle nationale qu'internationale. En effet, son réseau de 12 agences étendu sur l'ensemble du territoire métropolitain mais aussi dans les départements d'outre-mer renforce son pouvoir d'action et lui confère une connaissance fine de ses contextes d'intervention.

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Figure 1 : Carte des zones d'interventions et localisations des agences SCE, source SCE

6

Désormais, sa volonté de s'étendre à l'international lui vaut de s'appuyer sur de nombreuses filiales et bureaux de représentation du groupe Keran. La société bénéficie ainsi de plus de 45 ans d'expériences et d'un champ d'action particulièrement large puisqu'elle a été mandaté plus d'une fois sur des projets internationaux aussi bien en Amérique du Sud, en Afrique, en Europe du Sud-Est au Moyen Orient tout comme en Asie1.

2. L'agence SCE Lyon

Intéressons-nous à présent à l'agence SCE Lyon dans laquelle j'ai effectué mon stage. Je propose de revenir dans un premier temps sur l'organisation de la société, puis de faire un focus sur les missions auxquelles j'ai pu participer.

L'agence SCE Lyon est composée à l'heure d'aujourd'hui d'une vingtaine de personnes réparties dans 4 pôles distincts, sous l'autorité d'un responsable d'agence lui-même dépendant du siège social qui se situe à Nantes.

Figure 2 : Organisation de la sociéé Source SCE : Lyonsce.fr

1 directeur de pôle

2 chefs de projets 1 chargé d'études

Pôle mobilité et transports

Pôle infrastructure

1 directeur de pôle Chefs de projets Chefs de projets

Stagiaires

Pôle Secrétariat

2 secrétaires

Pôle dans lequel j'ai effectué mon alternance

1 directeur de pôle Chefs de projets Chargés d'études Stagiaires

Siège social Nantais

Directeur d'agence Lyon

Pôle Sites et sols
pollués et agriculture

1 Source SCE.FR

7

Le pôle secrétariat est actuellement composé de deux salariées qui participent activement au bon déroulement des démarches administratives de l'entreprise. A l'échelle de l'entreprise ou à celle de chacun des pôles de l'agence les secrétaires jouent un rôle primordial dans la bonne cohésion des différents projets portés par l'agence SCE. Pour assurer cette fonction dans l'entreprise les deux secrétaires disposent d'un niveau BAC + 2 ou 3 avec une spécialisation en secrétariat.

Les autres pôles d'avantages dédiés aux projets d'aménagement du territoire d'un point de vue technique sont tous composés d'un directeur de pôle qui vient orchestrer les différents projets en cours ou à venir. Managers au plus proche de leurs équipes, ils sont force de propositions et participent activement à la stratégie commerciale de l'entreprise. Concernant l'agence Lyon chaque directeur de pôle dispose à minima d'un BAC + 5 très souvent en lien directement avec la spécialisation de leur pôle.

Hormis le pôle secrétariat, dans chaque pôle on retrouve au minimum deux chefs de projets. Ces derniers ont pour mission de piloter les projets qui ont été remporté par l'agence. Ils assurent ainsi leur déroulement, ils sont désignés comme les contacts référents de chaque projet et sont en relation étroite avec les clients ils planifient et animent chacune des réunions clients. Comme le directeur de pôle ils disposent à minima d'un bac + 5 et disposent d'une forte expérience professionnelle. Concernant le pôle mobilité et transport que j'ai pu rejoindre au cours de mon alternance il y avait deux chefs de projets et une chargée d'études.

La chargée d'étude de ce pôle sous la responsabilité des deux chefs de projets contribuait aux nombreuses études à réaliser. Son savoir-faire technique associées aux compétences commerciales du chef de projets contribuent fortement à la réussite des projets d'aménagements. Selon les pôles le nombres de chargés d'études varie et le niveau d'études également, toutefois une spécialisation dans le domaine d'activité reste nécessaire et un niveau de qualification à BAC + 3 apparaît comme une condition sine qua none.

En intégrant l'équipe consacrée aux projets de mobilité et de transports j'ai ainsi eu l'occasion de percevoir la dynamique et le fonctionnement d'un bureau d'études privé. Au fil des semaines passées en entreprise j'ai pu prendre part aux différentes missions allouées au pôle mobilité et découvrir en profondeur les missions variées sur lesquelles le bureau d'études SCE Lyon était mandaté. A ce titre je suis intervenue sur de multiples missions que je propose de mettre en avant de façon plus détaillée dans la partie suivante.

8

3. Participations aux missions transports et mobilité

Lors de mon arrivée courant novembre 2016 plusieurs projets étaient déjà en cours et la plupart d'entre eux touchaient à leur fin. De fait il était quelque peu ardu de prendre part à des études en phase de clôture, aussi on m'a rapidement proposé de m'atteler à une tâche quelque peu différente mais dont la nécessité semblait évidente.

L'année 2017 a été synonyme d'un renouveau important pour les collectivités territoriales. La simplification de la carte des intercommunalités avec la fusion de communauté d'agglomération ou de commune assignée par la réforme de la Loi NOTRe du 7 août 2015 a pour objectif d'améliorer l'efficacité de l'action publique et par extension de garantir un service de meilleure qualité aux usagers. A ce titre, le 1er janvier 2017 marque le transfert de compétences pour les transports interurbains. Ce nouveau transfert entraîne la substitution de la région au département pour l'ensemble de ses droits et obligations. La région se substitue au département comme membre des régies de transports et des établissements publics et sur le plan pratique cette substitution entraîne la nécessité pour la région de désigner ses représentants dans les instances des structures dont elle sera devenue membre. Aussi la région pourra déléguer tout ou partie de sa compétence d'organisation des transports interurbains à une autre collectivité territoriale ou à un EPCI et c'est sur ce dernier point que la société SCE a souhaité réagir.

En effet, cette nouvelle dynamique dans le domaine des transports représentait une opportunité d'accompagner ces nouveaux EPCI dans la gestion de leur nouvelle compétence en matière de transports interurbains et ainsi de saisir de nouveaux marchés. Pour se faire SCE a souhaité dans un premier temps se positionner sur la région Auvergne Rhône Alpes. Une fois ce périmètre délimité j'ai été amené à réaliser une enquête prospective sur les nouveaux EPCI de la région de plus de 50 000 habitants. J'ai alors établi un tableau représentant l'ensemble de ces EPCI afin d'aider les chefs de projets et le directeur de pôle dans leur stratégie commerciale du début d'année 2017. Ce récapitulatif des nouveaux EPCI avait pour ambition de proposer des informations synthétiques et détaillées concernant : les projets actuels et à venir des EPCI en matière de transports, leurs compétences en transports, les personnes référentes des EPCI, les réseaux de transports interurbains existants.

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Figure 3 : Extrait du tableau des nouveaux EPCI de la région Auvergne Rhône-Alpes

Source : Camille Jean-Baptiste

Cette première mission avait une connotation commerciale importante dans la mesure où j'ai participé à l'élaboration d'un support de travail permettant d'accompagner mes responsables dans leur stratégie de développement.

Par ailleurs, j'ai eu la possibilité d'apporter ma contribution pour des projets de transports diversifiés. Je cite en premier lieu mes missions de terrain pour des enquêtes stationnement. La ville de Bourgoin Jailleu et la ville de Saint Marcellin situées dans le département de l'Isère avait sélectionné l'agence SCE pour les aider à redéfinir leur stratégie en matière de stationnement. Dans ces deux cas de figure je me suis rendue sur place accompagnée de la chargée d'études du pôle mobilité pour faire du repérage et des comptages sur les sections définies. Les enquêtes stationnements comportaient une partie destinée à établir le taux d'occupation et une autre partie d'avantage axée sur la typologie des places de stationnement et leur quantité. A l'issue de ces journées de terrain j'élaborais des cartes synthétiques récapitulatives des phénomènes que nous avions pu observer ce qui permettait de proposer un état des lieux riche aux collectivités à l'origine de cette initiative.

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Figure 4 : Exemple de carte de stationnement

Source : Camille Jean-Baptiste

En matière de terrain, j'ai également était mobilisé pour réaliser une enquête de trafic dans la ville d'Avignon. Cette fois-ci il ne s'agissait pas d'un projet porté par l'agence de Lyon mais par l'agence centrale à Nantes. En fonction de la proximité des sites d'intervention et des charges de travail des salariés des agences partenaires il arrive parfois que l'agence de Lyon soit sollicitée pour intervenir sur des projets portés par une autre agence. Ce fut le cas pour le projet d'Avignon. En effet, l'arrivée prochaine d'un réseau de tramway va venir modifier en profondeur le réseau routier de la ville et la fluidité du trafic. Pour mesurer et prévenir les externalités négatives du projet tramway l'agence SCE Nantes a été mandaté pour réaliser une étude trafic en vue d'apporter des préconisations à la maitrise d'ouvrage porteuse du projet. Ainsi, à l'aide d'une caméra embarquée j'ai parcouru plusieurs sections routières sujettes à la congestion à différents moments de la journée afin d'avoir une image précise des mouvements domicile-travail. Un travail de tri a ensuite été effectué et j'ai réalisé via une carte synthétique

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les spécificités de la circulation observées. Aussi, ont été relevé les vitesses enregistrées, le temps de parcours, la longueur des remontées de files.

Le bureau d'études SCE porte également une attention particulière aux demandes des collectivités en termes de concertation citoyenne. Engagée pour une approche collective replaçant les citoyens au coeur du processus de réflexion, l'agence de Lyon a mis en place un large atelier de concertation avec les habitants de la ville de Lezoux en Auvergne à l'occasion du nouveau plan de circulation de la ville. Afin de réaliser cet atelier réunissant techniciens de la ville et résidents j'ai pris part à la réflexion amont nécessaire pour préparer l'atelier. En partenariat avec le chef de projets et la chargée d'études nous avons réfléchis conjointement aux types d'activités à proposer, leur organisation et leur déroulement. Suite à cette phase de réflexion s'en est suivie une phase pratique, à savoir l'organisation de la journée de concertation. Pour mener à bien cet atelier j'ai donc assisté le chef de projet pour préparer la salle, accompagner et animer les groupes de travail. Par le biais de cette activité j'ai pu mieux appréhender les qualités d'animation essentielles pour réussir une telle mission.

Une part non négligeable des tâches qui incombent aux chefs de projets reste la réponse aux appels d'offres. A l'affut des nouveaux contrats à remporter avec des collectivités, les chefs de projets en collaboration avec le directeur de pôle choisissent et élaborent des réponses en vue d'étendre leur activité. Afin de mieux comprendre cette spécificité du poste de chef de projet j'ai eu participé à plusieurs reprises à l'élaboration de ces réponses. J'avais notamment en charge la partie contexte qui permet de resituer la collectivité en question et les principaux enjeux qu'elle rencontre. Cette phase de prospection est une étape incontournable dans les réponses d'appels d'offres.

En plus de participer aux aspects prospectifs des dossiers du pôle transports et mobilité de l'agence SCE Lyon j'ai pu apporter ma contribution pour les projets en cours où une analyse du territoire était nécessaire. Sur ce point j'ai pris part, à plusieurs occasions, à la rédaction de rapports, ou de création de support de présentation de réunion (Power point analytique).

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En outre, j'ai développé mes compétences cartographiques lors d'un projet de PDIE pour un ensemble d'entreprises situées sur un site industriel en région iséroise. En 2016, la CCI nord Isère, INSPIRA et la CC du pays roussillonnais travaillent ensemble pour proposer des alternatives de déplacements autre que la voiture personnelle aux salariés de la zone industrielle de salaise sur Sanne. Ainsi, la commande stipulait d'établir une géolocalisation de plus de 2.000 salariés répartis sur plusieurs départements de la région Auvergne Rhône-Alpes. J'ai donc trié, nettoyé et converti des adresses postales en coordonnées GPS pour ensuite les réemployées via un logiciel SIG afin de les géolocaliser. Une fois cette première tâche accomplie je me devais d'établir des cartes de graduation permettant de comptabiliser et de synthétiser le nombre de salariés vivant dans un périmètre établi, tantôt à l'échelle de chacune des entreprises, tantôt à l'échelle de l'ensemble des entreprises réunies participant au projet de PDIE. La réalisation de ces cartes représentait une étape décisive pour la suite du projet. Ces dernières constituaient un matériau significatif pour d'une part avoir une image de la teneur des déplacements domicile-travail et d'autre part pour engager des pistes réflexions afin de développer des mobilités plus respectueuses de l'environnement.

En définitive, tout au long de cette période d'alternance j'ai pu découvrir des projets attenants à la problématique des transports riches et diversifiés. En m'impliquant dans l'ensemble des missions du pôle mobilité et transports j'ai pu investir et développer mon savoir-faire à de nombreuses occasions. Pour en revenir à l'agence en elle-même, à l'heure actuelle celle-ci est d'avantage engagée dans des opérations d'aménagements tournées vers la nouvelle région Auvergne - Rhône-Alpes. Son excellente connaissance du territoire apparait comme un atout certain et assure le déploiement de son activité. En plus de 15 ans d'existence, SCE Lyon a su mettre en avant sa force et son pouvoir d'action aussi bien sur des projets d'envergure tels que des PDU que sur des missions plus courantes telles que des enquêtes stationnement ou de trafic. Régulièrement l'agence SCE Nantes, siège social de l'entreprise SCE fait appel à l'agence de Lyon pour l'aider à mener à bien certains de leurs contrats. En avril 2016, les agences de Nantes et de Paris ont fait appel à la collaboration de l'agence de Lyon pour les aider à accomplir une mission de terrain à dimension internationale. Aussi, pour suivre un large projet de transport dans le centre-ville de Dakar, une enquête de terrain à laquelle j'ai pu participer a été mise en place. Mission atypique de mon alternance, je souhaite à présent étayer plus en détails ce dossier et proposer par la suite une réflexion plus large sur les projets de transports de masse en Afrique Subsaharienne.

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Chapitre 2 : Description et analyse du projet BRT à Dakar

Un temps fort de mon alternance dans les locaux de SCE Lyon aura été ma participation à la révision des études techniques du BRT (Bus Rapid Transit) de Dakar au Sénégal. Ce projet en collaboration avec les différentes agences SCE dont celle de Nantes et celle de Paris, a été l'occasion d'appréhender un nouveau système de transport collectif. Pour répondre à de nouvelles exigences du projet BRT, une mission de terrain a été organisée au printemps 2017 dans l'objectif de reprendre et préciser plusieurs données établies au préalable. Cette première expérience à l'étranger en plus de rappeler la dimension internationale de la société SCE m'aura permis de découvrir les réalités locales attenantes au système et la gestion des transports collectifs dans un pays d'Afrique de l'ouest. Ce nouveau chapitre s'attache à mettre en lumière les spécificités du projet de Bus Rapid Transit dans l'agglomération de Dakar tout en temps se saisissant des différents questionnements que peuvent soulever une telle opération.

1. Description du projet pilote du Bus Rapid Transit de Dakar

1.1 Retour sur le projet de création de lignes BRT

La République du Sénégal et le Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar (CETUD) ont engagé la réalisation d'un réseau de Transport sur Voie Réservée dans l'agglomération de Dakar au début des années 2010. A la recherche de partenaires financiers pour rendre viable ce nouveau projet de transport, c'est auprès de la Banque Mondiale que le pays a trouvé un soutien. Ces différents acteurs ont par la suite lancé un marché dont l'objectif était la réalisation d'un projet pilote à Dakar allant de la planification d'un réseau cible à la conception de la première ligne prioritaire de bus sur voie réservée (BRT : Bus Rapid Transit). Après sélection, ce fut le regroupement des sociétés SCE et SAFEGE qui a été retenu et qui a réalisé une première étude technique en 2013 traçant les grandes orientations du projet.

Ainsi en 2013, la première étude a été découpée en trois phases :

Phase 1 : Diagnostic et enquête sur l'utilisation des transports en commun

Partie 2 : Elaboration d'un schéma directeur du réseau de transports en commun en site propre en proposant un tracé prioritaire

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Phase 3 : Etude détaillée du schéma directeur choisi : avant-projet et dossier

A l'issue de cette première étude, le projet de BRT dans le centre-ville de Dakar commence à prendre forme. Ainsi, le projet prioritaire de ligne de BRT retenu à ce moment-là s'étend sur une distance d'environ 19 km de la Place des Tirailleurs à Dakar au sud jusqu'à la Mairie de Guédiawaye au nord-est. Le tracé dessert au total 23 stations fermées à quai central, pour des bus à plancher haut (quai hauteur 95cm).

Figure 5 : Plan de la ligne BRT, centre-ville de Dakar Sénégal

Source : SCE

Après lecture du premier rendu d'analyse, le Cetud et les services de la Banque Mondiale ont souhaité réadapter le projet pour en améliorer sa rentabilité. Le Cetud a ainsi missionné le bureau d'études SCE dans une nouvelle phase de Révision des études techniques. Cette dernière se compose des étapes suivantes :

n

15

Une étude préliminaire

n Un avant-Projet Détaillé

n Un dossier d'Appel d'Offres

Cette nouvelle phase d'étude a également été accompagné de nouvelles directives pour la ligne BRT. En effet, bien que les directives principales du projet aient été tracé des ajustements restaient encore à faire. Aussi, des missions complémentaires attenantes au projet BRT ont été demandé à SCE. Les nouvelles commandes sont au nombre de quatre parmi elles :

- L'assainissement sur le tracé du BRT au niveau des limites du projet

- Un ouvrage d'art

- Le dévoiement du réseau - Une étude de circulation.

En conséquence, pour répondre à cette nouvelle demande, en avril 2017 la révision des études techniques est lancée. A cette occasion, la rentabilité du système BRT et l'exploitation du BRT le long du tracé a été revu. Désormais il est envisagé davantage de BRT en circulation (144 bus articulés) pour assurer un service en adéquation avec de nouvelles hypothèses de demande. Différents types de lignes de BRT circuleront sur le tracé avec la possibilité pour les BRT de se doubler en station :

n La ligne omnibus avec arrêts à toutes les stations

n La ligne semi express avec arrêts dans certaines stations

n La ligne express avec arrêts dans les stations les plus importantes

Trois pôles d'échanges sont prévus le long du parcours :

n le pôle d'échanges de Guédiawaye, situé devant la mosquée de Guédiawaye,

n le pôle d'échanges de Grand Médine, à proximité de la route de l'aéroport

n 16

le pôle d'échanges de Gare Petersen, à proximité de la Place Cabral

Ces trois pôles d'échange proposent un terminus de BRT, un terminus des lignes de rabattement et un départ de taxis.

Concernant les aménagements le tracé est désormais divisé en 11 séquences. Ce découpage en séquences se base sur une combinaison de différents critères, comme la largeur des profils, l'ambiance de la rue, la végétation existante, le type de tissu urbain (résidentiel, commercial...)

1.2 La philosophie du projet

Le programme BRT de Dakar s'intègre dans un projet urbain global, qui constitue une opportunité pour valoriser le territoire, repenser les espaces publics, encourager les modes doux, et restructurer le réseau de transport en commun dans son ensemble. Les différentes études menées jusqu'à présent font état de 3 grandes séquences à l'échelle de l'agglomération. Le diagnostic distinguait en effet la ville « structurée » qui représente la partie planifiée et organisée de la ville. Il présentait ensuite, la ville consolidée qui correspond aux zones urbanisées de façon spontanée, puis « consolidées ». Enfin, la partie « en devenir », très à l'écart de la zone de projet, qui correspond à un secteur actuellement rural mais où les projets se développent rapidement.

A une échelle plus fine, on peut préciser ce diagnostic. Le BRT traverse en effet différentes portions du territoire aux degrés « d'urbanité » variés. Ainsi, certaines de ces portions sont déjà structurées et organisées. L'insertion du BRT dans ces secteurs devient un élément de mobilité. Son insertion peut être qualifiée de « douce », elle respecte l'esprit du lieu. A l'inverse, certaines portions sont désorganisées, et ont besoin d'être structurées. Elles n'ont jamais eu de gestes urbains forts et sont la résultante des aménagements alentours. Dans ces cas, l'insertion du BRT est dite « active ». Il devient un élément de transformation de la ville, d'unification et structure l'espace public.

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2. Ma participation à la révision des études techniques

2.1 Une étude de trafic

Comme précisé ci-dessus, au printemps 2017 une révision des études techniques est lancée et un volet d'étude sur la circulation le long du tracé de l'axe de BRT est engagé. En 2015, une première étude de circulation avait déjà été réalisée par une entreprise locale mettant ainsi en évidence les particularités du trafic sur l'ensemble du tracé des futures lignes de BRT. Toutefois, cette étude montrait quelques points d'incohérence, aussi pour obtenir une vision plus claire du trafic une seconde étude a été demandée et réalisée par SCE en avril 2017.

J'ai ainsi accompagné les équipes nantaises et parisiennes de SCE au Sénégal pour les aider à réaliser cette nouvelle étude trafic.

Du fait de la réalisation d'un premier terrain en amont, de nombreuses informations étaient disponibles, nous donnant des éléments précieux de compréhension pour la réalisation de notre étude. A ce titre, nous nous sommes largement basés sur les rapports d'études réalisés par les experts en aménagement de la Banque Mondiale pour identifier et concentrer nos efforts sur les zones de circulations pré-identifiées comme secteur à enjeux. Pour appuyer le caractère prioritaire de certaines portions du tracé des lignes de BRT la Banque Mondiale s'est notamment basée sur un phénomène bien précis.

Effectivement, si on regarde un peu plus dans le détail les propositions des tracés des lignes BRT un point dur est rapidement détectable, il s'agit du mouvement de « tourner à gauche » pour les véhicules non concernés par le site propre. Les véhicules vont venir couper les voies de BRT et ainsi ralentir voire paralyser les lignes BRT sur leur tracé pendant un laps de temps plus ou moins cours. Ce mouvement viendra impacter négativement la vitesse commerciale des lignes. A ce phénomène s'ajoute des remontées de files possiblement importantes et par extension la création de nouvelles zones de congestion

Figure 6 : Mouvement de tourner à gauche problématique

Voie réservée BRT

 

Voirie accessible aux autres véhicules

18

Source : Camille Jean-Baptiste

De fait, pour faire face à l'épineuse question des « tourner à gauche » la Banque Mondiale a alors émis des solutions alternatives dont la première consiste à créer un itinéraire secondaire afin d'éviter ce mouvement. Ainsi, a été imaginé sur certaines intersections des mouvements de « demi-tours » en vue de rendre moins complexe la traversée des voies de BRT.

Figure 7 : Proposition de la banque mondiale pour éviter les « tourner à gauche »

 
 
 
 

Voirie accessible aux

autres véhicules

 
 
 

Voie réservée BRT

 
 
 

Source : Camille Jean-Baptiste

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Ainsi, c'est en nous basant sur le constat et les propositions de la Banque Mondiale que nous avons réalisé notre étude de circulation. Nous avons organisé cette mission en deux temps.

Après avoir pris connaissance du tracé des lignes de BRT nous avons dans un premier temps tenter d'identifier et vérifier la viabilité de l'ensemble des itinéraires secondaires que la Banque Mondiale avait imaginé. Cette tâche ne fut pas des plus évidentes dans la mesure où les données disponibles n'étaient pas géolocalisées précisément. En effet, le système de référencement des rues dans le centre-ville de Dakar n'est pas monnaie courante et le meilleur moyen de se situer dans la ville reste encore l'usage de points de repères, or ceux-ci n'étaient pas mentionnés dans les comptes rendus disponibles. Fréquemment les rues parallèles sont très proches et il est difficile de distinguer celles proposées par la Banque Mondiale.

Figure 8 : Extrait de carte du centre-ville de Dakar, Sénégal

 

source : open streetmap

 

19

Après identification et vérification des itinéraires secondaires nous sommes arrivés à la conclusion que l'expertise faite par la Banque Mondiale n'avait vraisemblablement pas fait l'objet d'un travail de terrain approfondi. Force a été de constater que de nombreux itinéraires

20

étaient difficilement empruntables par un ensemble de véhicules motorisés. En cause, la voirie défectueuse et la durée de réalisation des itinéraires beaucoup trop importante.

L'état de la voirie dans le centre de Dakar est relativement bon sur les axes principaux, toutefois en dehors, la voirie est très souvent constituée de pistes de sable rendant la circulation pour nombre de véhicules particulièrement difficile. Pourtant parmi les propositions de la Banque Mondiale près de 80 % des itinéraires de déviation étaient proposés sur ce type de voies.

Figure 9 : Exemple de pistes de sable

Source google maps

Si de prime abord cette solution ne parait pas viable, dans l'éventualité où celle-ci viendrait à se concrétiser elle nécessiterait l'emploi de moyens financiers très importants. Ajoutée à la qualité médiocre des itinéraires, le temps de parcours pour effectuer ces itinéraires peut également poser problème. En effet, nous avons chronométré pour chacun des parcours le temps de trajet et fréquemment les itinéraires de déviation atteignent souvent les 10 minutes. Ce dernier point vient rappeler la difficile acceptation par les automobilistes d'une telle contrainte et par extension l'acceptation du projet BRT.

21

Par ailleurs, il arrive que les déviations soient proposées à l'intérieur de quartiers d'habitation pour l'heure tout à fait dépourvus de trafic routier. La pertinence de ce schéma interroge. Les lignes de BRT ont pour objectif d'améliorer la mobilité des individus et non pas de venir compromettre durablement leurs lieux de vie.

Un deuxième temps de notre étude aura été la réalisation de comptages routiers. Nous nous sommes ainsi positionnés autour de chaque intersection que nous jugions déterminante soit en termes de trafic soit parce que les changements de direction des véhicules semblaient importants. Sur un laps de temps déterminé nous avons ainsi compter les mouvements tournants des véhicules. Cette tâche nous occupa pendant plusieurs jours dans la mesure où devions nous positionner sur un grand nombre d'intersection sur un axe long de19 km.

Pour clôturer ce temps d'étude nous avons par la suite fait part de nos observations auprès de notre client, le CETUD. A cette occasion j'ai participé à la vérification et à l'agencement des données que nous avions récoltées. Cette réunion de restitution a permis d'appréhender sous un nouveau jour les comptages réalisés auparavant en comparaison avec les comptages que nous venions de réalisés. Les données issues des comptages ont également permis de faire des propositions de phasage de feux en vue du passage des lignes de BRT.

2.3 Questionnements sur le projet de BRT à Dakar

Lors de la mission de terrain à Dakar j'ai pu m'entretenir avec différentes personnes impliquées dans l'étude du projet. Après plusieurs échanges, certains points du dossier m'ont interpellé. Dans cette dernière partie je souhaite mettre en évidence les singularités du projet qui soulèvent aujourd'hui certaines questions tant d'un point de vue de la méthode que des aspirations finales du projet BRT.

Tout d'abord, j'ai été frappée de constater le manque de cohésion entre les acteurs du projet BRT de Dakar, et ce d'autant plus dès les premières phases du projet. En effet, après entretien avec le chef de projet SCE Fabrice Grasset j'ai appris qu'une phase d'échanges et de discussion avait manqué lors de la restitution de la première étude en 2013, entre, la banque mondiale, le CETUD et SCE. Ce moment pourtant déterminant pour l'avenir du projet n'a pas

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eu lieu et a ainsi complexifié l'avancement du projet. Malgré, la restitution de l'étude auprès des clients il est nécessaire d'avoir un temps de retour sur le dossier afin de proposer, et surtout, de s'entendre sur les directives à tenir. Aujourd'hui par exemple, la question de la pertinence du projet est posée notamment à la vue du tracé de la ligne BRT

En définitive, une mauvaise cohésion entre les acteurs peut mener à mal la gestion d'un projet de transport dans la mesure où si les objectifs sont mal définis l'avancement du projet en pâti.

Par ailleurs, la Banque Mondiale a préféré mettre de côté le projet de BRT proposé par SCE au profit d'un modèle de BRT d'avantage inspiré des modèles sud-américains. En effet, le bureau d'études avait souhaité mettre en place un projet de BRT intégré avec le paysage urbain de la ville en tenant compte des particularités locales alors que la banque mondiale a souhaité valider une ligne de BRT qui vient opérer une certaine fracture dans la ville, du fait du tracé de la ligne et de la cadence des bus qui vont y passer. Même s'il n'existe pas de modèle idéal et sans vouloir faire preuve d'anthropocentrisme, une intégration du réseau de transports plus discrète peut avoir de nombreuses externalités positives esthétiques, bien-être...

Toutefois au-delà de simples préoccupations esthétiques, le projet de BRT de la banque mondiale interroge surtout par sa non prise en compte des modes doux pourtant omniprésents dans la capitale. S'il n'était pas la conséquence de fortes disparités socio-spatiales, le recours massif aux modes de déplacement doux (marche) ou collectifs (bus, train, minibus) dans les villes subsahariennes constituerait en soi un élément de durabilité et de progrès. La marche est un mode de déplacement particulièrement important dans la ville de Dakar si bien que les largeurs de trottoirs ne suffisent plus à absorber ce flux de piétons les obligeant à emprunter les voies de circulation. Pourtant, parmi les orientations du projet rien n'est imaginé pour un maillage piéton autour des lignes de BRT.

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Figure 10 : La marche un mode de déplacement majeur dans la ville de Dakar

Source : Seneplus

L'accessibilité piétonne est relayée au dernier rang des préoccupations en témoigne les hauteurs de quais prévues pour les lignes de BRT. Ce sont des bus à plancher haut qui sont imaginés comme matériel roulant, qui de fait nécessitent une hauteur de quai d'environ 95 cm. La question de l'accessibilité PMR est posée par la même occasion.

Par ailleurs, la Banque Mondiale donne l'impression de n'être intéressée que par la rentabilité du projet. Le manque de concertation avec les autres acteurs du projet, et les nouvelles demandes dont elle fait part au bureau d'étude tendent à confirmer cette impression. La nouvelle étude de circulation a été l'occasion pour elle de confirmer la capacité maximale de bus qui pourrait circuler et par extension d'avoir des estimations plus précises sur la rentabilité du projet de BRT. Son refus d'un projet de transport d'avantage intégré au paysage urbain de la ville interpelle également. Nous ne pouvons faire que des suppositions, toutefois il pourrait être vraisemblable que la banque ait préféré renoncer à ce projet puisqu'elle disposait déjà d'un modèle de transport de masse qui a su faire ses preuves et qui continue de s'étendre largement à travers le monde. Dans cette perspective il pourrait paraitre surprenant de vouloir modifier un système qui fonctionne déjà très bien. On a ainsi l'impression qu'elle transpose le modèle de BRT de villes en villes et de pays en pays. La Banque Mondiale propose et impose

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le modèle de BRT sud-américain comme unique modèle de référence. Par ailleurs il est à noter qu'en tant que financeur majoritaire du projet elle peut d'avantage imposer ses choix.

A travers, le projet BRT de Dakar j'ai pu entrapercevoir (puisque la mission n'en était qu'à son commencement) les différentes composantes à l'oeuvre au cours d'une étude de circulation dans un contexte hors Europe, et ainsi prendre connaissance des différents jeux d'acteurs qui pouvaient entourer une telle mission. La question de la planification de réseau de transports de grande ampleur a suscité mon intérêt et j'ai souhaité poursuivre mes recherches en ce sens. En partant du projet de transport de Dakar, je me suis alors questionnée sur l'émergence de projet BRT en Afrique et plus spécifiquement en Afrique subsaharienne. La suite de ce mémoire s'attachera donc à fournir des éléments de compréhension à l'essor des projets BRT tout en mettant en perspective les singularités territoriales qui accompagnent ces nouveaux réseaux de transports.

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Chapitre 3 : L'émergence du modèle BRT en Afrique Subsaharienne

Entre similarités et dissemblances les projets de Bus Rapid Transit (BRT) constituent depuis le début des années 2000 un renouveau dans la politique des transports pour de nombreux pays en développement. Le projet pilote de BRT dans l'agglomération de Dakar en est le parfait exemple. Aussi, en partant de ma première expérience en contexte africain et face aux réalités de terrain auxquelles j'ai pu être confronté j'ai souhaité consacrer ce dernier ce chapitre à une réflexion sur l'émergence de ce nouveau concept de transport. Ainsi, je m'attache à mettre en parallèle les particularités du système de transport africain avec certains éléments constitutifs d'un projet de BRT en Afrique du Sud. Ce nouveau volet a ainsi pour ambition de mettre en lumière les particularités territoriales dans lesquelles peuvent s'insérer les projets BRT.

Pour se faire, j'essaierai tout d'abord de comprendre quels sont les enjeux auxquels se confrontent les projets BRT en Afrique subsaharienne. Après avoir rappelé le succès du 1er modèle de BRT à Curitiba qui a inspiré de nombreux projets à travers le monde et spécialement en Afrique subsaharienne je continuerai avec l'exemples du BRT de Johanesburg en Afrique du Sud, l'occasion de rappeler le caractère singulier de chacun des projets BRT. Enfin, je viendrai clôturer cette thématique en rappelant quelles sont les principales difficultés que peuvent rencontrer des opérations de transports d'une telle ampleur et quels sont les leviers d'actions envisageables pour l'Afrique subsaharienne.

1. Défis et enjeux d'un projet BRT

1.1 Pollution de l'air

Chaque jour des milliers d'habitants des métropoles africaines se confrontent à l'air particulièrement pollué de leur agglomération. En effet, une étude publiée par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en octobre 2016 rapporte que le continent africain de façon globale est désormais gagné par le problème de la pollution de l'air

Figure 11 : Pays africains et pollution de l'air (Crédits photo : Betty Lafon)

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extérieur. En près de 25 ans, le nombre de décès prématurés en lien avec la pollution de l'air par les particules ambiantes a connu une progression spectaculaire de 36 %. En tenant compte de la fragilité de la collecte de données sur le continent, il apparaît à présent que la pollution de l'air extérieur égale le problème de malnutrition des enfants parmi les principales causes de décès prématurés.2

La pollution urbaine en Afrique est singulière et se différencie de celles que peuvent connaître les pays occidentaux. Si par exemple pour Londres le secteur des transports constitue la principale source de pollution dans la ville de Lagos au Nigéria la situation est plus complexe. En effet, de nombreux paramètres sont aujourd'hui responsables de la pollution de la ville. A ce titre on retiendra, la combustion des déchets, l'utilisation de matériel de cuisson défectueux, l'utilisation de générateurs au gasoil, l'emplacement d'usines en plein coeur de villes et surtout les très nombreux véhicules disposant de pots catalyques.

Toutefois, même si le secteur des transports ne constitue pas forcément le facteur premier de la pollution de l'air il n'en reste pas moins un élément constitutif important. Au-delà du nombre de véhicules en circulation dans les villes africaines c'est aussi et surtout la qualité des véhicules qui interroge. Qu'il s'agisse de transports en commun, de poids lourd, de deux roues ou de véhicules légers le constat est le même, ils sont tous en partie responsable de la dégradation de la qualité de l'air. La disparition progressive des entreprises structurées de transport collectif en Afrique subsaharienne dans les années 90 a peu à peu laissé la place à de très nombreuses structures informelles de transports. Selon les pays les motos-taxis ou les taxi minibus se sont ainsi largement imposés dans le paysage urbain, remplaçant ou complétant avec efficacité les réseaux de transports publics quand ceux-ci existent encore.

2 Le Monde, 2016

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Pour se développer, ces entreprises artisanales se dotent de véhicules obsolètes qu'elles rafistolent dans le temps. L'essor du marché de l'importation de véhicules anciens a drastiquement accéléré le vieillissement du parc de véhicules avec dans la majorité des cas des moteurs fonctionnant au diesel (58 % des minibus à Dakar sont âgés de plus de 20 ans ; à Ouagadougou, l'âge moyen des véhicules particuliers est passé de 14 à 17 ans entre 1999 et 2003, pendant que celui des camions passait de 18 à plus de 20 ans sur la même période).

Figure 12 : Minibus dans la ville de Dakar (crédit photo: Camille Jean-Baptiste) Figure 13 : Mototaxi au Cameroun (crédit photo : africatime)

En bref, ces différents éléments, dont notamment l'accroissement du parc de véhicules par l'importation de véhicules d'occasion âgés augmentent les émissions de polluants et développent une toxicité plus importante de ces émissions, notamment pour le parc diesel (en 1998, 90 % du parc de cars rapides à Dakar fonctionnent au diesel, 96 % pour les camions). La concentration de polluants nocifs atteint des seuils importants dans plusieurs capitales africaines. A titre d'exemples à Cotonou, les enquêtes effectuées et les campagnes de mesures réalisées afin de définir le niveau global de la pollution de l'air montrent : -- une forte concentration en CO2 atteignant 18 mg, soit presque le double de la norme admissible ; -- une forte concentration des hydrocarbures volatils dépassant à certains endroits 2.000 ug/Nm3 ; -- une émission journalière d'environ 83 tonnes de CO2, dont 59 % générés par les deux-roues et de 36 tonnes d'hydrocarbures volatils (HC), provenant essentiellement des deux-roues ; -- une concentration élevée en plomb (Pb) avec un maximum de 13 ug/Nm3 (soit plus de six fois la

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norme admise)3. Les impacts de ces polluants sur la santé des populations sont indéniables. En rappel l'essor fulgurant de maladies respiratoires, d'allergies, de maladies de la peau, et de cancers.

En définitive, l'ensemble du système de déplacements, qu'il s'agisse de transports en communs ou non, tel qu'il fonctionne aujourd'hui génère d'importantes externalités négatives : accroissement de la congestion du trafic urbain, niveau important d'accidents, mais surtout la montée de la pollution atmosphérique. Quelques études de cas (Dakar, Abidjan, Ouagadougou et Cotonou) sur les coûts de dysfonctionnement du système de transports urbains et la qualité de l'air dans les villes africaines confirment que la pollution atmosphérique et l'effet de serre associé représentent l'un des principaux enjeux environnementaux pour le continent.

1.2 Démographie et urbanisme

L'alliance démographie, urbanisme et transport reste encore un équilibre fragile pour l'Afrique subsaharienne. « En un siècle de 1950 à 2050 la population africaine aura été multipliée par près de 11, quand celle de l'Amérique latine (la plus forte progression après l'Afrique) aura été multipliée par 4,6, la moyenne mondiale se situant à 3,9. Actuellement, la population africaine croît de 2,5% par an pour une moyenne mondiale de 1,2%. Il y a une spécificité africaine, ou plutôt de l'Afrique subsaharienne puisque l'Afrique du Nord (et la République d'Afrique du Sud) a suivi un parcours beaucoup plus proche de la moyenne mondiale »4. Dans certains pays, les perspectives sont vertigineuses. Le Niger pourrait voir sa population dépasser 70 millions en 2050 contre 20 millions aujourd'hui. Cette situation résulte du maintien d'une forte fécondité mais aussi d'une baisse de la mortalité. L'espérance de vie même si encore assez éloignée de la moyenne mondiale (70,5 ans en 2016) a gagné plus de vingt depuis 1950, passant de 36 à 57 ans.

3 La problématique des transports urbains et la réduction de la pollution de l'air due aux transports motorises en Afrique subsaharienne. Disponible sur Research.com

4 Pour la science, 2015

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Figure 14 : Evolution et estimation de la population africaine entre 1950 et 2050

A cette forte croissance démographique s'associe le phénomène massif de transition urbaine. La ville joue désormais un rôle déterminant dans la reproduction des sociétés subsahariennes. Depuis 1960 le taux d'accroissement de la population urbaine est le plus élevé du monde avec plus de 5 % par an. De petites villes au sortir de la guerre, des capitales sont devenues des métropoles5. La ville de Lagos au Nigéria par exemple comptait 280 000 habitants en 1950 contre plus de 7 millions aujourd'hui ou encore Kinshasa au Congo démocratique dénombrait 165 000 habitants en 19650 et aujourd'hui sa population frôle les 5 millions d'habitants.6

Si l'urbanisation semble être un phénomène bien lancé, la réflexion autour de l'organisation spatiale qui entoure le développement de ces nouvelles villes est parfois défaillante, créant au sein même des agglomérations de fortes disparités.

5 Annexe 1

6 Le mouvement social, 2003 disponible sur http://www.cairn.info

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En effet, en Afrique subsaharienne il existe un véritable problème d'autorité locale. Les collectivités locales selon les pays, peuvent avoir un pouvoir de décision et d'action moindre sur la question de la gestion des sols. Même si elles disposent d'une autorité définie théoriquement, dans la pratique il en est parfois tout à fait autrement. Le manque de moyens financiers peut venir entacher le bon fonctionnement des collectivités et donc limiter leurs possibilités d'actions pour encadrer et contrôler ce phénomène d'expansion urbaine. Des constructions illégales fleurissent à toute vitesse et leur démantèlement peut susciter de vives contestations et venir complexifier les relations politiques. De fait les villes s'épandent de manière « sauvage » sans concertation préalable avec les autorités locales - permis de construire, titre de propriété -.

Lorsque ce ne sont pas les autorités qui sont dépassées par le phénomène d'expansion urbaine il peut également s'agir d'une absence d'accompagnement de l'urbanisation qui va de pair avec l'absence de politiques et d'actions en matière d'usage des sols. Ceci a ainsi a pour conséquence un étalement urbain considérable, la création de bidonvilles, l'absence de création de voiries dans certains quartiers... La forte croissance démographique des villes africaines associées aux coûts respectifs des terrains dans le centre et la périphérie ainsi qu'au pouvoir d'achat restreint de la population fait que l'expansion urbaine est fortement consommatrice d'espace.

Ce qui nous amène rapidement à la question des transports puisque le demande de déplacement est une demande dérivée. Les besoins de déplacements naissent des besoins d'échanges des individus dans la ville et de la dispersion des lieux d'activités à travers la ville. Si la structure urbaine change, la demande de déplacement est modifiée. Aussi, l'étalement urbain massif entraîne un accroissement considérable des trajets quotidiens. Il en résulte par extension une forte demande de transports collectifs souvent difficilement satisfaite et un rôle important des transports informels. En effet, le manque de cohésion entre les politiques d'usage des sols et les politiques de transports viennent complexifier la mobilité des individus. Les offres de transports sont réparties inégalement ce qui tend à exclure une partie de la population et renforcer les inégalités sociales.

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En bref, depuis la deuxième moitié du XXème siècle l'Afrique subsaharienne connaît une croissance démographique importante couplée à une forte transition urbaine. Ces deux paramètres viennent jouer un rôle déterminant dans la question de la mobilité des individus. Le nouveau défi des transports va être finalement de planifier un réseau viable, efficace et accessible à toutes ces nouvelles populations. La question qui se pose aujourd'hui est donc d'organiser d'une part, un réseau en cohérence avec la densité urbaine présente actuellement mais d'autre part de proposer des solutions de mobilité pour une population qui ne va cesser de croître.

1.3 Désorganisation du service de transport

L'histoire du développement des transports publics en Afrique subsaharienne varie généralement d'un pays à l'autre. Toutefois, à ce jour, nous pouvons affirmer qu'il s'agit d'un secteur qui reste peu organisé à l'échelle du continent. Nombre d'entreprises ont été créées dans différents pays, et parfois à plusieurs reprises, mais la grande majorité d'entre elles ont fait faillite ce qui a largement compromis la réussite d'un système de transport efficace.

 
 
 

En effet, une profonde mutation du secteur des transports urbains a eu lieu en Afrique subsaharienne au cours des années 90. La fin du XXème siècle a été marqué par la disparition progressive des grandes entreprises structurées de transport collectif, les petites structures artisanales (ou informelles) ayant peu à peu occupé l'espace laissé vacant. « Si à Abidjan et à Nairobi, le secteur structuré maintient encore une place non négligeable (à Abidjan la société de transport a cependant vu sa part de marché passer de plus de 50 % à environ 25 % entre 1988 et 1998), à Bamako, l'offre de transports collectifs urbains est entièrement assurée par le secteur artisanal, tandis qu'à Harare, les minibus, qui ne représentaient qu'à peine 3 % de l'offre de

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transport public en 1993, sont passés à plus de 90 % en 1999. »7 La « prise de pouvoir » des petites entreprises du secteur artisanal s'effectue dans des conditions précaires où, pour survivre, ces entreprises opèrent souvent en marge de la légalité. Il s'agit d'un secteur très atomisé reposant sur une multitude de petites entreprises (dans les quatre villes, Abidjan, Bamako, Harare et Nairobi, environ 80 % des propriétaires ne possèdent qu'un seul véhicule). Il s'agit également d'un secteur dominé par des minibus de petites capacités (à Abidjan par exemple, le parc des minibus est constitué à 92,6 % de véhicules de 14 à 22 places, 63 % si l'on ne tient compte que des véhicules de 18 places). 8

Par ailleurs, la question de la maintenance technique représente une part importante des difficultés des entreprises de transport public et l'une des principales sources de leur échec. Généralement, les opérateurs de transports publics sont confrontés à de nombreux problèmes, l'un des plus importants étant l'insuffisance et l'inadéquation des infrastructures de transport. Dans un tel contexte, le résultat est une lutte pour la survie en raison principalement de frais à supporter afin de maintenir l'activité de transport. La difficulté à obtenir des pièces détachées, combinée à des pannes récurrentes, conduisent souvent les opérateurs à procéder à des modifications structurelles aux véhicules.

Afin d'illustrer les particularités des réseaux de transports africains je propose de prendre l'exemple des transports publics Camerounais. A travers cet exemple nous aurons ainsi l'occasion de mieux cerner la régulation du transport public ainsi que les différents opérateurs de transports à l'oeuvre dans le pays. L'ensemble de cet exemple s'inspire de l'étude réalisée par Trans Africa.9

7 Compte rendu de coloc : problématique des transports urbains et la réduction de la pollution de l'air due aux transports motorisés en Afrique subsaharienne, disponible sur research gate.com

8 ibid

9 Trans Africa, 2009 disponible sur mypsup.org

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Les transports publics au Cameroun

Figure 16 : Localisation du Cameroun, source reflectim

En 1973, en réponse à la fulgurante croissance urbaine et au manque d'offres en transport public, l'Etat Camerounais décide de créer la société anonyme SOTUC (Société des Transports Urbains du Cameroun) qui appartient autant au gouvernement central qu'aux municipalités de Douala et de Yaoundé. Pendant près de 25 ans cette nouvelle société disposera du monopole d'exploitation de service de transport urbain dans ces deux villes. Toutefois, La SOTUC après une période de prospérité s'enlisa doucement une crise importante pour

diverses raisons, on retiendra notamment sa mauvaise gestion qui l'a très certainement conduite

à la faillite. Après sa liquidation en 1995 le gouvernement Camerounais décida de libéraliser

les services de transports publics à Douala et Yaoundé dans l'espoir que la concurrence entre

les opérateurs conduirait à un système de transport public urbain auto-efficient ne nécessitant

pas de subventions des pouvoirs publics.

Depuis ce jour, les taxis, minibus et les taxis-motos ont envahi l'espace urbain ne réussissent pas pour autant à satisfaire efficacement la demande de transport.

« Concernant la régulation du transport public il faut avoir à l'idée que le transport public est administré par le ministère des transports. Il comprend une direction des Transports Terrestres impliquée dans les questions de transports urbain et interurbain. Elle est notamment chargée de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique gouvernementale en matière de transport terrestre, ainsi que de la coordination, la conception et l'application de la régulation afférente. »10

10 ibid

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Le ministère des Transports et des Finances est lui chargé de fixer les prix des courses des autobus, minibus et des taxis collectifs. Comme indiqué précédemment les transporteurs publics sont au nombre de trois. On retiendra les bus de grande capacité, les taxi-motos et les taxis-informels.

Les bus de grande capacité :

Figure 17 : Modèle de bus, source tripafrique

Plusieurs réformes ont vu le jour après la faillite de SOTUC. L'état Camerounais a procédé à un appel d'offres dans le but de choisir une compagnie d'autobus qui puisse assurer la desserte des lignes de la ville de Douala. Une nouvelle société nommée SOCATUR (Société camerounaise de transport urbains) voit le jour en

2001 désormais détenue par des investisseurs privés camerounais. Cette dernière opère dans le

cadre d'une convention de concession qui lui a accordé le monopole du service public de

transport à Douala pour une période de 5 ans. Actuellement la société fonctionnerait avec de

nombreux bus âgés en moyenne de 10 à 15 ans qui assuraient 10% des déplacements quotidiens

à Douala.

La SOCATUR ne dispose par ailleurs d'aucune subvention gouvernementale et le mauvais état des routes de Douala semble être un obstacle majeur au développement et à l'expansion de cette société.

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Les taxis informels :

Figure 18 : Taxis africains, source africapress

« Compris entre 9.000 et 10.000 les taxis informels de 4 à 5 places de couleur jaunes

sont des véhicules d'occasion,
majoritairement importés d'Europe très souvent en mauvais état »11. La structure du marché est très fragmentée : très peu de propriétaires ont plus d'un véhicule. Les taxis

opèrent principalement selon deux formules de prix appelée « dépôts » et « course ». Les tarifs

« dépôts » sont fixés par accord entre les syndicats et le gouvernement alors que les tarifs des

« courses » sont la plupart du temps librement négociés entre les utilisateurs et les conducteurs

au cas par cas.

Les taxis-motos :

Figure 19 : Mototaxi africaine, source africatime

 

Ces dernières années la croissance de l'activité des taxis s'est accompagnée d'une croissance spectaculaire de l'utilisation des taxis-motos. Très populaire elles représenteraient pas loin de 30% du marché total des transports collectifs de la ville de Douala. Les tarifs étant négociés entre les parties.

 

11 ibid

 
 
 

Bien qu'il existe des cas de figure différents, le cas du Cameroun n'en reste pas moins un exemple constitutif de la réalité du secteur des transports publics en Afrique Subsaharienne. La presque totalité des compagnies de transports n'ont aucun contrat avec les autorités de régulation des transports. A l'exception de quelques pays, les transports publics en Afrique sont presque toujours placés sous le contrôle direct des ministères en charge du transport. L'administration est parfois du fait des collectivités territoriales ce qui ne permet pas en général un suivi et une gestion assez rationnelle de l'activité. Par ailleurs, les textes régissant les transports publics sont très souvent dépassés (ils datent des premières périodes post-coloniales autour des années 1970) ce qui pose un problème d'inadaptation des législations en vigueur face aux réalités de développement actuelles. D'autant plus, qu'il arrive que les textes existants se chevauchent ou qu'il y ait des conflits de compétences dans les attributions des différents démembrements étatiques (Directions des transports, collectivités territoriales, ect...) Il est donc nécessaire aujourd'hui d'avoir recours à des réformes institutionnelles complètes des systèmes de transports en vue d'un développement durable de cette industrie.

 

36

Croissance démographique, transition urbaine, manque de planification de l'usage des sols, pollution de l'air, désorganisation du système de transport constituent l'ensemble des défis auxquels se confrontent l'ensemble du continent africain et plus particulièrement encore l'Afrique subsaharienne. Petit à petit l'idée d'un système de transport efficient apparaît comme une solution pertinente pour répondre à ces différents enjeux et le modèle de BRT commence à se positionner comme une véritable solution. Une prise de conscience émerge et porte avec elle des réflexions inédites quant au développement de nouveaux réseaux de transport. En s'inspirant d'expériences outre atlantique quelques pays africains se lancent désormais dans le pari du Bus Rapid Transit aussi connu sous l'acronyme BRT. Ce dernier porte avec lui l'espoir d'un réseau de transport ou rapidité et fonctionnalité seront les maitres mots. La partie à suivre s'attachera à mettre en évidence les différents modèles de BRT qui viennent aujourd'hui donner un nouveau souffle au secteur des transports publics en Afrique subsaharienne.

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2.Exemples et analyse de modèle de BRT

Dans cette nouvelle partie je propose de mettre en évidence plusieurs modèles de BRT. L'idée principale étant de rendre compte des singularités de ce modèle tout en mettant en évidence les contextes régionaux dans lesquels ils se développent. Pour se faire, il me semblait nécessaire de revenir sur le cas du BRT de Curitiba au Brésil. Celui-ci, en plus d'avoir été le premier système de Bus Rapid Transit à voir le jour est également le modèle qui a su inspirer nombres de pays à travers le monde. L'analyse détaillée du BRT de Curitiba sera l'occasion de souligner les spécificités d'un système de BRT. J'aurais souhaité ensuite poursuivre avec l'exemple du 1er BRT d'Afrique à Lagos au Nigéria néanmoins la documention à son sujet reste très partielle et ne me permet pas de proposer une étude approfondie. Je ferai ainsi état du BRT d'Afrique du Sud dans la ville de Johannesburg. Chacun de ces exemples se voulant l'opportunité, de mieux saisir la philosophie de chaque projet tout en soulevant des questions éminemment politiques.

2.1. Un exemple fondateur, le BRT du Curitiba

2.1.1 Caractéristiques du réseau BRT

Figure 20 : Localisation de Curitiba, au Brésil (Etat du Paranà)

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L'histoire du BRT de Curitiba commence en 1974 avec la construction de 20 premiers kilomètres de réseau de bus. Ces premiers kilomètres de bus illustrent une politique globale de la municipalité qui est de construire une ville « faite pour les gens, pas pour la voiture »12. Alors que les années 1970 sont marquées par une démocratisation mondiale de l'automobile, Curitiba décide de limiter l'usage de l'automobile sur son territoire en développant un réseau de transport collectif axé exclusivement sur le BRT.

Au regard des articles et rapport au sujet du BRT à Curitiba, tous s'accordent sur le fait que le contexte financier délicat de la municipalité en 1970 est le principal moteur de ce développement de réseau de bus. En effet, le BRT est apparu comme la solution pour développer un système de transport collectif dont la performance se rapproche le plus possible de celle du métro ou tramway mais pour des coûts bien moindres (Urbanités, 2014). Le développement d'un tel système de bus est donc abordable économiquement tout en étant innovant, puisqu'il s'agissait à l'époque d'une première mondiale.

En 1974, le réseau de bus était de 20 kilomètres. Aujourd'hui, la municipalité dispose de 1 100 kilomètres de réseau BRT, dont 72 kilomètres en site propre, pour 221 stations en forme de tube13. Le coût total de l'opération s'élève à plus de 265 millions d'euros (CARFREE, 2008). A l'image de la France, le service de bus de Curitiba est géré pas des acteurs publics. De nombreux auteurs identifient le BRT comme un « métro de surface » où « métro-bus ». Il existe plusieurs types de lignes de BRT afin de desservir l'ensemble du territoire :

n lignes express ;

n Lignes principales ;

n Lignes inter-districtis.

D'après l'article publié par la revue Tendances, les 1 100 kilomètres de réseau permettraient de couvrir la quasi-totalité de la ville : « 90% de la superficie de la ville est desservie par le bus, et tous les habitants sont à moins de 500 mètres d'un arrêt »14. Une station BRT est donc présente

12 URBANITES. 2014. « Curitiba, la chute d'un modèle ». Article publié par quatre urbanistes diplômés de l'Institut d'Urbanisme de Paris dans le cadre d'une mission en Amérique du Sud intitulée « La Via del Sur ». Juin 2014. 7p. Disponible sur: http://www.revue-urbanites.fr/chroniques-curitiba-la-chute-dun-modele/

13 CARFREE. 2008. « Curitiba : une ville pour les gens, pas pour les voitures ». 29 sept. Disponible sur http://carfree.fr/index.php/2008/09/29/curitiba-une-ville-pour-les-gens-pas-pour-les-voitures/

14 TENDANCES (Aménagement, Services & Immobilier). 2013. « Des villes à vivre ». févr, p10. Disponible sur : http://www.scet.fr/files/lettres/tendances-n2.pdf

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à une distance maximum de 500 mètres du domicile de la population. En plus d'être confortables et sécurisantes pour les voyageurs, ces stations sont aménagées afin de permettre une montée et descente rapide des voyageurs : quai au niveau du bus, multiples portes coulissantes, accessibilité PMR. Les stations sont par ailleurs le lieu de vente et de validation des titres de transport.

Figure 21 : Arrêts de bus en forme de tube, Curitiba

La quasi-totalité des 72 kilomètres de voie en site propre est répartie sur les trois axes principaux de la ville : Nord-Sud, Est-Ouest et Boqueirão15. Sur ces artères majeures où le développement urbain à proximité est important, le BRT occupe une place centrale dans l'espace public, l'automobile est reléguée sur des voies parallèles de part et d'autre du BRT (PL Alouche, 2014). Trois quarts de l'espace est réservé au BRT (Voie en site propre et station en forme de tube), contre seulement un quart en faveur des déplacements automobiles.

Figure 22 : Séparation des voies de circulation sur les principaux axes de Curitiba

Le reste du réseau n'est pas en site propre, mais des aménagements ont été réalisés afin de donner la priorité aux BRT :

15 Précisions fournies par PL. ALOUCHE dans le cadre d'un rapport réalisé pour le CODATU. Etudes de cas : Curutiba, rapport final. Avr, 61p. Disponible sur : http://www.codatu.org/wp-content/uploads/Etude_CURITIBA.pdf

n

40

Couloirs d'approches aux carrefours ;

n Carrefours à feux donnant la priorité au bus ;

n Voies larges facilitant sa circulation.

Globalement, la vitesse moyenne des BRT sur l'ensemble de la ville s'élevait à 25 km/h au début des années 2000 (E. Blanco, K. Zheng, 2014). Cette vitesse de circulation permettait au BRT d'être régulier et plus rapide que la voiture.

Concernant le matériel roulant, différents types de bus apparaissent sur le territoire (PL Alouche, 2014). La capacité minimale est de 30 voyageurs pour les plus petits bus, contre 270 pour les plus grands. Le type de matériel roulant varie selon les différentes lignes du réseau. Par exemple, pour les lignes de bus circulant dans le centre, le bus est de petite taille (capacité de 30 voyageurs). A l'inverse, pour les lignes express, ce sont des bus doublement articulés qui circulent, d'une capacité de 270 voyageurs. Par l'intermédiaire de ces différents types de matériel roulant, Curitiba propose un maillage fin de son territoire grâce à son BRT.

Figure 23 : Types de matériel roulant, Curitiba

41

Alors qu'il avait été imaginé au départ pour transporter en moyenne 55 000 voyageurs chaque jour, selon la revue Urbanité, le réseau de bus de Curitiba en transporterait en moyenne plus de 2,4 millions en 2014 (Urbanités, 2014). En 40 ans, la fréquentation du réseau de bus a donc connu une augmentation considérable de sa fréquentation. Ainsi, selon l'IPPUC16, près de la moitié des déplacements de la ville s'effectuaient en transport en commun, contre seulement 22% en véhicule particulier. Il convient également de noter la part importante (25%) des déplacements en modes doux (marche et vélo).

Figure 24 : Répartition modale des déplacements à Curitiba en 2002

Cette augmentation significative de la fréquentation des lignes de BRT est étroitement liée à la croissance démographique accélérée de la ville. Elle témoigne néanmoins du succès du BRT auprès de la population locale. Ce succès a été confirmé par la CARFREE qui a mené une enquête de satisfaction auprès des voyageurs en 2006. Il s'est avéré que près de 90% des voyageurs étaient satisfaits du service. Ce succès s'illustre également par la récompense du « prix de la cité la plus innovante du monde » en 1996 lors du sommet mondial des maires et urbanistes d'Istanbul. Le réseau de BRT aurait contribué à la diminution des embouteillages de Curitiba, de la consommation de carburant tout en améliorant la qualité de vie de la population (TENDANCES, 2013).

16 IPPUC : Instituto de Pesquisa Planejamento Urbano de Curitiba

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2.1.2 Victime de son succès

Alors que le BRT de Curitiba a longtemps été présenté par les scientifiques, élus et professionnels de l'aménagement comme le modèle du BRT, le système montre depuis peu de nombreux signes d'essoufflements (Urbanité, 2014).

Figure 25 : File d'attente en station en heure de pointe

En effet, le réseau de BRT est saturé en heure de pointe, comme le témoigne le temps d'attente des voyageurs aux arrêts, pouvant atteindre 45 minutes17. En plus d'un temps d'attente important, la vitesse de circulation des BRT n'est plus performante depuis quelques années. A titre d'exemple, elle s'élevait à 17 km/h en 2013 alors qu'elle devrait être théoriquement de 25 km/h (E. Blanco, K. Zheng, 2014). La vitesse de circulation et la régularité des lignes BRT

ont longtemps constitués des atouts en faveur du bus dans sa concurrence avec l'automobile, or ce n'est plus le cas aujourd'hui. Cette tendance a été confirmée par un professeur d'économie

à l'Université fédérale du Paramà, interrogé par le journal Le Monde, estimant que « même les couloirs réservés aux bus sont embouteillés aux heures de pointes » (Le Monde, 2014). Cette congestion sur les voies en site propre résulte de la fréquence soutenue des bus, qui est d'un véhicule toutes les minutes en heure de pointe.

Outre une saturation globale du réseau, le prix des titres de transports est trop élevé aux yeux de la population locale. Il s'élève à 2,70 reais, soit 0,82 centimes d'euros (PL Alouche, 2014). Or compte tenu du niveau de vie de la population locale, dont le revenu moyen mensuel des actifs de la ville s'élevait à 660 euros en 2010 d'après l'IBGE, les tarifs actuels ne sont pas accessibles à toutes les catégories sociales. Ces prix élevés ont entrainé des manifestations de la population pour demander une baisse des tarifs, Curitiba ayant le prix des titres de transports collectifs les plus élevés du pays (Le Monde, 2014).

17 Le Monde en 2014. « Au Brésil, Curitiba, l'ex-ville modèle d'Amérique latine, peine à se réinventer ». Thomas Diego Badia.. Disponible sur : http://mondeacplanete.blog.lemonde.fr/2014/03/27/au-bresil-curitiba-lex-ville-modele-damerique-latine-peine-ase-reinventer/

Bien que de nombreuses actions apparaissent afin d'étendre son système et d'améliorer son efficacité (aménagement de nouvelles priorités des bus aux carrefours à feux, fréquences des bus pouvant aller jusqu'à un bus par minute, matériel roulant doublement articulé pouvant transporter 270 voyageurs), le système semble montrer ses limites. Au regard de l'article publié par le revue Urbanités, le BRT n'apparait plus efficace comme il pouvait l'être auparavant, conduisant de nombreux usagers à utiliser quotidiennement l'automobile. Par conséquent, le nombre de véhicules particuliers ne cesse d'augmenter ces dernières années sur le territoire, entrainant des problèmes de congestions routières. A titre d'exemple, d'après le journal Le Monde, le nombre de voitures par habitant croît chaque année. En 2013, un habitant possédait en moyenne 1,3 automobile, soit la ville du pays possédant le plus de voiture par habitant. Outre un taux de motorisation élevé chez les habitants, les problèmes de congestions routières sont de plus en plus nombreux dans la ville.

Le BRT ne semblant plus pouvoir répondre à la demande de déplacement de la population, la municipalité a par conséquent décidé de se tourner vers la mise en service d'un métro. La première ligne était prévue pour 2015, aujourd'hui le projet n'a toujours pas vu le jour pour cause de financement18 toutefois dans un avenir proche cette nouvelle ligne (Urbanité, 2014), devrait s'implanter en dessous de l'axe Nord-Sud de la principale ligne du BRT sur une longueur de 15 kilomètres. L'objectif de cette ligne étant d'absorber une partie des utilisateurs du BRT, qui transporterait d'après PL Alouche plus de 25 000 voyageurs par heure, contre seulement 18 000 pour le BRT. Pour un même trajet, le métro transporterait donc plus de voyageurs que le BRT. Au regard de la revue Urbanités, aux yeux de la population et de certains élus locaux, l'arrivée du métro revient à reconnaitre l'échec du système de BRT. En plus du développement du métro, près de 300 kilomètres de pistes cyclable seront créés, afin d'offrir au total plus de 400 kilomètre de voies cycles sur l'ensemble de la ville (E. Blanco, K. Zheng, 2014).

Figure 26 : Projet de métro à Curitiba

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La volonté de Curitiba est toujours de limiter l'utilisation de l'automobile, en revanche la stratégie est différente depuis quelques années : elle s'axe désormais autour du développement du métro et des modes de déplacements doux. A terme, il est probable que le réseau du BRT diminue au fil des années, au profit du métro qui semble plus adaptée à la demande actuelle de déplacement du territoire, surtout si la démographie continue à croitre.

Devant l'augmentation de la population et la demande grandissante en déplacement, le système BRT à Curitiba a été en perpétuel évolution durant de nombreuses années afin de s'adapter aux enjeux du territoire. Toutefois, le coût élevé des titres de transports associé à une qualité de service dégradée (temps de parcours élevés, irrégularité des lignes, confort médiocre) causée en partie par la surcharge du réseau entrainent un report modal du BRT vers l'automobile.

Le BRT montre actuellement ses limites et n'apparait plus adapté aux enjeux du territoire en termes de déplacement. La construction d'un métro est par conséquent devenue inévitable.

En conclusion, l'exemple du BRT de Curitiba met en lumières les limites du BRT : lorsque la demande en déplacement est trop grande, le BRT ne peut pas assurer le transport de voyageurs dans de bonnes conditions. Toutefois, Curitiba semble être l'une des rares villes au monde à avoir réussi à démocratiser l'utilisation des bus. L'utilisation des BRT au quotidien pour des déplacements pendulaires est devenue peu à peu un « réflexe » pour la population locale, à tel point que le réseau de bus ne suffise plus à répondre à la demande de déplacement de la population.

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1.5 L'exemple du BRT de Johannesburg

Si dans l'exemple précédent nous avons pu mettre en évidence les particularités techniques des lignes de BRT et leur fonctionnement à travers le temps, je propose dans ce nouvel exemple de s'attacher d'avantage au contexte politique qui accompagne l'émergence de projet de transport d'une telle influence. Nombre de pays d'Afrique subsaharienne restent encore aujourd'hui marqués par la période coloniale qui a dicté leur organisation gouvernementale pendant de très nombreuses décennies. Le secteur des transports en Afrique du Sud en a été particulièrement marqué et la mise en place d'un tout nouveau réseau de transport par l'intermédiaire d'une création de ligne de BRT, a rappelé, et interrogé cet héritage colonialiste. La période d'apartheid qui a su diviser la population sud-africaine l'a effectivement séparé à de nombreux niveaux et la construction des réseaux de transport est directement liée à cette période de l'histoire du pays. Si aujourd'hui ce temps est révolu dans les faits, dans le monde des transports la réalité est encore tout autre.

Afin d'appréhender efficacement les questions politiques liées à la gestion des réseaux de transports en Afrique du sud il parait important de rappeler tout d'abord les logiques d'urbanisation qui ont accompagné le développement du pays. Ces premières informations offriront des éléments de compréhension aux logiques de déplacements ainsi qu'à l'organisation des transports urbains qui sera traitée dans la partie suivante. Enfin après avoir évoqué les nouvelles directives de l'action publique en matière de mobilité nous mettrons en évidence les tensions autour de l'émergence d'un système intégré.

1.5.1 Urbanisation et déplacements

En Afrique Australe l'accessibilité pose souvent problème à l'intérieur de la ville en raison à la fois de l'apartheid mais également en raison de l'absence de coordination entre planification des transport et planification des établissements humains. La période de l'apartheid a laissé sa trace dans la morphologie urbaine avec la présence de faible densité que la période post-apartheid a su renforcer en développant des aires suburbaines riches le plus souvent protégées. En parallèle les anciennes zones tampons ont à plusieurs reprises connu des installations informelles ou alors du fait de leur faible attractivité en raison de leur proximité avec des industries, ou de quartiers jugés malfamés sont restées vacantes

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En conséquence, le phénomène d'urbanisation a pris de l'ampleur du côté des littoraux, éloignés des anciens townships et des agglomérations. Par ailleurs la disponibilité et le prix des terrains, le relogement des habitants des campements informels s'effectue depuis une dizaine d'années essentiellement dans les zones périphériques particulièrement mal reliées aux infrastructures et aux bassins d'activité.19

2.2.2 Quid de la mobilité en Afrique du Sud

La part de l'automobile s'accroît petit à petit dans le partage modal des quartiers périphériques. Cette tendance est à rapprocher du développement des infrastructures de types parkings, centres commerciaux et voies rapides, de la périurbanisation ainsi que de l'apparition de nouveaux modes de vie pour les classes moyennes et supérieures. D'autant plus, que pour les populations concernées, les transports en commun sont associés dans leur imaginaire à la violence et à la promiscuité avec des groupes dont les ressources financières sont moindres.

Si on fait le point sur les modes de déplacements des citadins nous constatons une forte disparité des pratiques. Par exemple l'usage de l'automobile est relativement répandu auprès des classes aisées et suis l'étalement d'agglomération très vastes20 alors que la majorité des habitants ne disposent que d'une mobilité limitée qui repose essentiellement sur la marche et les transports collectifs. Une enquête nationale (Department of Transports RSA, 2005) faisait apparaître que les trois quarts des Sud-Africains n'avaient pas accès au train, ce chiffre s'abaissant à 38 % pour les bus.

Figure 27 : Accessibilité par la marche à la station de transport en commun la plus proche. Johannesburg

19 VERMEULIN, S. (2006) Centralités métropolitaines et disparités socio-spatiales. Le cas de Durban (Afrique du Sud)

20 1 643 Km2 pour la municipalité de Johannesbourg, 2 292 Km2 pour Durban, 2 455 Km2 pour Cape Town

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Des études menées depuis plusieurs années s'accordent à dire que pauvreté et mobilité sont liées. Dans le cas présent plus les habitants sont pauvres moins ils se déplaces, toutefois plus leurs déplacements leur coûtent par rapport à leurs revenus. La part des ressources d'un ménage peut ainsi atteindre 50 % pour le seul accès aux transports notamment pour ceux dont les revenus sont inférieurs à 800 rands.21La mobilité est donc bel et bien un facteur de différenciation sociale en Afrique du Sud encore peut-être davantage qu'ailleurs.

Concernant les quartiers les plus défavorisés tels que certaines zones des townships, les campements informels ou encore les secteurs ruraux la mobilité repose principalement sur les modes doux dont la marche. Ce sont ensuite les transports de passagers terrestres dont l'image et l'efficience ne sont pas toujours en phase avec les attentes des usagers. Les lignes de train existante à destination des périphéries sont largement sous utilisées (6 à 7% des navettes à Durban en 2004) en raison de l'insécurité et de la vétusté des installations.

Figure 28 : Utilisation d'un mode de transport motorisé par les habitants des métropoles sud-africaines

Les bus et surtout les taxis-minibus constituent donc, avec la marche, le véritable socle de la mobilité de la majorité des Sud-Africains. La tendance actuelle montre une progression de la voiture personnelle dans le partage modal pour les années à venir. La mobilité en Afrique du Sud est principalement l'affaire de moyens de transports privés (individuels ou collectifs) dont les objectifs s'articulent d'avantages autour de la rentabilité et de l'optimisation du rapport coût-distance-temps plutôt qu'autour du développement durable.

21 Vermeulin et Sultan Khan, mobilité urbaines et durabilité dans les villes sud-africaines

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2.2.3 Les acteurs du transport urbain

Le transport urbain sud-africain est un secteur tumultueux. Ce caractère bouillonnant, est en partie lié au passé du pays mais aussi à la complexité des jeux d'acteurs qui s'y déroulent. « Pendant la période de l'apartheid, l'organisation des transports publics servait avant tout les objectifs ségrégationnistes du pouvoir blanc et les intérêts économiques. Les liaisons domicile-travail des employés noirs s'articulaient de façon à éviter les quartiers blancs alors que les compagnies municipales de bus organisaient le transport des populations blanches essentiellement à l'intérieure des aires centrales et péricentrales. Il en résulte un réseau radial d'où émerge le centre-ville comme seule véritable plate-forme multimodale, imposant souvent aux usagers une ou plusieurs correspondance(s). Aussi face aux carences des transports publics mis en place au niveau local, une multitude d'opérateurs privés de bus et de taxis-minibus est apparue dans les townships et a développé depuis plusieurs décennies une industrie très concurrentielle. 22» A l'origine, ces petits opérateurs privés ne disposaient que d'un ou deux véhicules et n'exploitaient qu'une ligne. Très vite, leur nombre a connu une extraordinaire croissance et leur réseau s'est étendu à de nombreux nouveaux quartiers. Le succès de ce réseau de transport informel représente « une des plus belles réussites de l'entrepreneuriat noir et la réussite d'un système marginalisé durant l'apartheid »23 A la chute du régime de l'apartheid, ce secteur artisanal s'était déjà étendu à l'ensemble des métropoles sud-africaines. Aussi l'African National Congress (ANC) alors arrivé au pouvoir en 1994 ne pouvait que reconnaître leur rôle essentiel dans le transport urbain de passagers remettant à plus tard le dossier sensible que constitue la régulation de ce secteur.

Il faut avoir à l'esprit également, que contrairement à de nombreux pays occidentaux, le transport collectif en Afrique du Sud n'est pas perçu comme un service public permettant à chaque citadin d'accéder à la mobilité, mais comme un secteur géré en majorité par des opérateurs privés et ne concernant au final, que les ménages n'ayant pas suffisamment de ressources pour disposer d'une voiture.24 En conséquence c'est une logique de profit ou d'optimisation matérialisée par le délaissement des trajets et des horaires les moins rentables qui domine. Toutefois pour contrebalancer cette tendance les municipalités ont opté récemment pour la création d'autorités locales de régulation. En 2003, la municipalité de Thekwini à

22 Stephane Vermeulin et Sultan Khan « Mobilités urbaines et durabilité dans les villes sud-africaines » 2010

23 ibid

24 Ibid

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Durban a été la première à développer une Transport Authority, organe qui, bien qu'indépendant, est placé sous la tutelle du gouvernement local dont les élus forment l'ossature du conseil d'administration. La municipalité devient alors un « arbitre » du secteur des transports urbains et, en tant que tel, doit céder sa propre compagnie de bus.25

2.2.4 Tensions autour de l'émergence d'un système intégré

Les éléments de contexte mentionnés jusqu'à présent vont désormais nous permettre de mieux comprendre les tensions qui ont entouré l'émergence de la 1ère ligne de BRT du pays. La réforme du système de transport urbain entre actuellement dans une nouvelle ère en Afrique du Sud. Relevant le défi de l'amélioration de la qualité du service, d'une baisse de la congestion, de l'intermodalité et d'une modification du partage modal, cette réforme vient renforcer les actions menées en faveur du développement durable26. A ce titre un premier projet de BRT nommé Rea Vaya littéralement : « we are going in » a été imaginé dans la ville de Johannesburg. Ainsi sur plus de 59 km un corridor réservé aux bus a été mis en place en juin 2009 reliant Johannesburg CBD, Braamfontein et Soweto.

2.2.5 Eléments de tension

Ce projet s'inscrit pour la collectivité dans la volonté de développer un transport efficace, sûr, abordable (entre 3 et 8 rands selon le trajet), moderne et au service des 2/3 de la population qui ne disposerait pas de véhicule personnel. Toutefois, avant même la mise en service de la ligne de nombreux points de blocage ont fait surface.

Le premier et principal point de discorde reposait sur l'intégration des opérateurs privés dans ce nouveau système de transport. En apparence les pouvoirs publics envisageaient, du moins laissaient à entendre que les opérateurs de bus et de taxis-minibus s'associeraient afin de créer de nouvelles associations à même d'exploiter les lignes BRT au nom de la municipalité dans le cadre d'un contrat à long terme. Si l'idée parait pertinente de prime abord, cette dernière nécessite une entente sur la répartition des parts de chacun des

25 Bellangère et al., 2004

26 ibid

50

associés dans les futures compagnies et qu'ils respectent le cahier des charges imposé par la municipalité. Encore, selon la municipalité de Johannesburg la modification de l'industrie des transports devrait se faire sans perte ni création d'emplois par le redéploiement d'une partie des chauffeurs de taxis-minibus. La question attenante à la gestion des ressources humaines restait épineuse, comment recenser les employés et leurs compétences dans un secteur informel ? Un autre sujet matière à questionnement restait l'attribution des lignes et surtout à qui reviendrait les lignes les plus lucratives ?

Un deuxième point de désaccord, le BRT de Johannesburg a été perçu comme un modèle imposé sans alternative. En effet, le projet a entièrement été pensé et développé par le gouvernement local qui l'a par la suite présenté aux opérateurs. Très vite ils l'ont perçu comme une volonté d'imposer une réforme venant nuire à leur business. La période de concertation a été mise en place très tardivement ce qui a insufflé un vent de rancoeur et de contestations important chez les opérateurs privés. D'autant plus que tout taxi-minibus qui refusait de faire partie du projet se retrouvait face à une très grande concurrence. Ne pouvant bénéficier de la ligne de la voie de circulation de la ligne BRT ils se retrouvent dans la congestion quotidienne de la métropole et doivent modifier le tracé de leur ligne devant des compléments informels à la ligne de BRT. Les relations entre les instances gouvernementales et les opérateurs de taxis-minibus sont complexes. Pour les premiers, « les taxis-minibus représentent à la fois une des plus belles réussites de l'entrepreneuriat noir, mais aussi l'un des secteurs les plus dangereux, incontrôlables et imprévisibles. Depuis la fin des années 1990, le gouvernement a ainsi souhaité mieux encadrer et organiser cette activité. Dans le cadre de l'action qu'il a menée pour offrir aux personnes « historiquement défavorisées » une meilleure intégration dans la sphère économique, notamment par le biais du très controversé Black Economic Empowerment (BEE), l'État sud-africain tente de faire émerger des cadres et des dirigeants noirs, indiens ou métis. De fait, les opérateurs de taxis-minibus s'affichent comme des entreprises respectant en tous points les principes du BEE. Ces opérateurs, de leur côté, sont aussi conscients de représenter le mode de transport le plus utilisé en milieu urbain et souhaitent, à ce titre, être consultés au cours du processus de transformation de ce secteur.27

Ainsi, pendant la période de réflexion du projet BRT mais également à la suite de la mise en exploitation de la ligne de nombreuses grèves, des manifestations et des actions parfois

27 Vermelun et S khan

51

d'une grande violence ont secoué la ville. Pour exemple, deux bus de Rea Vaya ont été pris pour cible à Soweto en septembre 2009 à peine un mois après la mise en service de la ligne, une fusillade ayant entraîné plusieurs blessés et nécessitant l'intervention des forces de l'ordre pour accompagner les nouveaux véhicules pendant leur trajets quelques jours après. « Une quinzaine d'années après la chute de l'apartheid, les arguments en faveur de la justice sociale ou de la déségrégation n'ont visiblement plus le même écho et ne semblent plus à même de supplanter les logiques économiques d'un côté, préserver une activité lucrative pour les entreprises symboles du BEE (Black Economy Empowerment) et de l'autre, doter l'économie locale d'un système de transport plus efficace. » Stéphane Vermeulin et Sultan Khan.

Finalement, la première décennie après l'apartheid comprise entre 1994 et 2004 n'a pas fait l'objet de projet de réforme des politiques de transports. Ce n'est qu'en 2007 que le département national du transport déploie une large enquête nationale sur ce sujet, ses résultats permettant de définir une stratégie à l'échelle nationale avec des déclinaisons locales. Ainsi entre 2007 et 2020 une stratégie censée fonder un système de transport cohérent, efficace et durable en Afrique du Sud est mise en place.28 « L'affirmation de l'économie de marché et l'avènement de la démocratie en Afrique du Sud ont amené les pouvoirs locaux, dont les compétences ont été renforcées, à organiser la mise en place de nouvelles compagnies de bus rapides en site propre. Celles-ci s'inspirent souvent des expériences étrangères (Curitiba notamment) et prennent généralement la forme de consortiums incorporant une partie des transports artisanaux actuels. »29

Les mobilités étant guidées par des pratiques idéologiques ou culturelles pour l'Afrique du Sud l'ascension sociale s'accompagne dans la plupart des cas par une mutation de la nature et de la fréquence des déplacements. Le recours à la voiture et la mobilité individuelle motorisée font encore figure d'idéale dans une société où les groupes aisés ne partagent que rarement l'espace public avec les autres groupes de population.

Toutefois, « l'Afrique du Sud s'est lancée dans une vaste refonte de son système de transport urbain avec pour objectifs la durabilité et la régulation par une intégration des taxis-minibus

28 Pillay, 2008

29 Vermullin, 2006

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dans un système reposant sur le développement de noeuds intermodaux ».30 Le système bus rapid transit (BRT), par le développement de l'efficacité et le développement d'un réseau de bus modernes à un coût maîtrisé apparaît comme un modèle d'avenir, notamment dans les métropoles des pays émergents où les mobilités et le développement durable sont des enjeux majeurs. Néanmoins, ce nouveau modèle nécessite une concertation avec l'ensemble des acteurs concernés et ne doit pas ignorer ou sous-estimer le rôle que jouent les transports dans la réduction de la pauvreté.

3.Le BRT, un système de transport en vogue

3.1. Comprendre l'engouement pour les BRT

Le premier élément qui explique l'intérêt pour la technologie BRT est son faible coût. Doté d'infrastructures légères ces dernières permettent de réduire drastiquement le coût total d'investissement en comparaison à un métro lourd. « L'investissement initial total dans le processus de planification, la construction des infrastructures, les équipements technologiques et le matériel roulant pour construire un système BRT est compris entre 1 et 10 millions US$ par kilomètre alors que pour un métro il se situe entre 55 et 220 millions US$ par kilomètre »31. En conséquence, pour un investissement équivalent, le système BRT peut desservir jusqu'à 100 fois l'aire urbaine couverte par un métro. (Wright, Fjellstrom, 2003). Concernant le coût opérationnel, il s'agit de la même chose. Le système de BRT apparaît ainsi comme un choix pertinent pour les collectivités qui disposent de ressources limitées.

Un deuxième élément qui vient expliquer l'engouement pour le projets BRT n'est autre que la rapidité de sa construction. En effet, les infrastructures nécessaires pour soutenir un tel système de transport sont relativement simples à mettre en place et par conséquent relativement rapide à construire. Cette composante temps a une dimension politique non négligeable dans la mesure où les représentants des collectivités disposent ainsi de suffisamment de temps pour

30 ibid

31 Lefevre Giraud, 2006

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lancer le projet BRT et pour assister à son lancement. Cette particularité des projets BRT est donc un formidable moyen e booster une carrière politique.

Par ailleurs, la mise en place d'un système de BRT c'est également l'assurance de satisfaire un flux passager important, comparable à ceux drainés par les métros. Pour cela la technologie qui viendra accompagner le réseau BRT doit être en mesure d'apporter des méthodes efficaces lors de la montée et de la descente des voyageurs sans oublier la rapidité du processus d'achat de titre de transports.

Enfin, un système de BRT c'est également l'assurance d'une première solution pour la protection de l'environnement et pour la lutte contre la pauvreté et par extension pour la réduction des inégalités sociales. En effet, un système de BRT s'engage à fournir une offre de transport de qualité. La couverture de son réseau étant considérable, un projet BRT offre ainsi aux populations modestes vivant en périphérie de la ville et dépendantes des transports publics l'opportunité d'accéder à de nouveaux bassins d'emplois et de services. La restriction de voirie qu'occasionne la voie réservée au passage de bus vient complexifier le trafic des véhicules motorisés.

3.2 Leviers d'actions

A travers l'exemple du BRT de Johannesburg et de la singularité des systèmes de transport africains nous comprenons que la réussite d'un système de BRT en Afrique n'est pas chose facile. L'ensemble des spécificités locales ; cadre institutionnel des transports publics, habitudes de vies, contexte historique ... sont autant de paramètres à prendre en compte pour s'assurer de la réussite d'un tel projet de transport. Néanmoins, plusieurs leviers d'actions sont identifiables. Mon expérience de terrain associée à l'étude des modèles de BRT présentés précédemment ont permis de mettre en évidence plusieurs moyens d'actions en faveur du développement de système de BRT.

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3.2.1 Des politiques locales fortes et engagées

En premier lieu nous retiendrons la nécessité de politiques locales fortes et engagées en faveur du développement de l'offre de transport. En effet la crise du transport urbain en Afrique est due à la faiblesse et à la fragmentation des structures de gouvernance. Les différents modes de transports en commun sont fragmentés et non coordonnées, dominés par le secteur informel avec des véhicules de faible capacité, vieux, polluant et dont l'efficacité soulève encore des questions. Ces derniers fonctionnent sans un cadre institutionnel et réglementaire clair. La congestion et la pollution dans les zones urbaines est le résultat de cette désorganisation. Un facteur clé de succès pour la mise en oeuvre et le développement du BRT en Afrique réside donc dans une forte volonté politique qui accorde la priorité au transport public. La création réfléchie d'autorité organisatrice de la mobilité distinctes en fonction des contextes semble être un point de départ nécessaire. Une répartition mesurée des compétences des acteurs apparaît aussi comme un levier d'action prioritaire.

Par ailleurs, les politiques de transports recouvrent un ensemble de mesures pratiques allant de l'amélioration des véhicules à l'offre de moyens de transport collectifs peu polluants, rapides, confortables et toutefois bon marché, en passant par des instruments économiques agissant sur les prix en général destinés à soutenir et à compléter les autres mesures, fondées sur la réglementation et l'offre d'infrastructures.

Aussi, une meilleure efficience des BRT rime avec un système de transport public intégré et efficace. Celui-ci contribue à l'amélioration de la qualité de vie urbaine et constitue un déclencheur pour l'accessibilité aux possibilités d'emploi, à la formation et au perfectionnement des compétences, aux services essentiels et réduit l'exclusion sociale.

En parallèle, l'accentuation ou la réorganisation des politiques locales est aussi à envisager en cohérence avec la planification spatiale. Le développement du BRT doit être intégré à une stratégie d'utilisation des terres. En effet, le bénéfice à long terme le plus important d'un transport rapide de masse de type BRT est sans aucun doute son effet de concentration du

développement urbain dans des corridors d'accessibilité. Il offre ainsi les conditions pour résister à un étalement urbain diffus. Toutefois cette opportunité ne peut devenir réalité que si la mise en place d'un BRT s'accompagne de politiques d'usage des sols et de transports adéquate. En effet la construction d'un Transport Rapide de Masse (TRM) augmente la mobilité ce qui se traduit généralement par une augmentation de l'aire urbaine. Il est donc nécessaire d'encadre la construction d'un BRT par une politique d'usage des sols.

Ceci défend une planification intégrant explicitement les effets de localisation et relocalisation dus aux infrastructures de transport, c'est-à-dire intégrant l'interaction entre le transport et l'utilisation des sols. Parce que ces interactions sont particulièrement complexes, une façon d'évaluer les impacts des politiques intégrées transport et usages des sols, est d'utiliser les modèles de simulations dynamiques urbaines, basés sur une compréhension approfondie des mécanismes de choix de localisation et de transports. Ces modèles sont complexes et exigent au minimum un système d'information géographique (SIG) bien renseigné de la ville. Pour cette raison, ils sont encore peu utilisés en Afrique subsaharienne. Même s'il reste encore beaucoup à faire pour comprendre les interactions entre urbanisme et politique de transport, il est possible, sur la base de nombreuses expériences de tracer les grandes lignes des combinaisons politiques de transport et politiques d'usage des sols qui sont requises pour infléchir significativement les tendances inquiétantes des évolutions en cours. Elles sont résumées dans la figure ci-dessous qui décrit la « tenaille » des politiques complémentaires susceptibles de maitriser les émissions du transport dans les villes émergentes.32

Figure 29 : La tenaille des politiques de réduction des émissions des transports urbains (source : Giraud - Lefevre)

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32 Les défis énergétiques de la croissance urbaine au sud, Pierre-Noël Giraud, Benoit Lefèvre

56

3.2.2 Les subventionnements

A l'heure actuelle, développer un modèle de BRT fait partie des solutions de transport de masse les moins onéreuses. Toutefois, même si son prix est attractif la mise en place d'un tel système repose sur la nécessité pour les collectivités de disposer de fonds suffisamment important. Or le propre de beaucoup de pays d'Afrique Subsaharienne est de justement de ne disposer de très peu de ressources. Ainsi, le problème financier est posé et peu contraindre le développement de ce modèle de transport. Les enjeux de financements d'un système intégré de transport montrent de grandes différences de normes de réglementation du secteur entre l'Afrique subsaharienne et la France par exemple. Rappelons-nous le cas des transports publics au Cameroun, ces derniers ne peuvent bénéficier de financement public. L'unique solution pour les municipalités est alors de créer des systèmes rentables, toutefois pour atteindre cet équilibre il faut souvent sacrifier la qualité du service offerte aux usagers. La loi ne facilite donc pas le développement d'un service de qualité. On en revient alors à la nécessité de recourir à des subventions. Il parait déterminant d'adapter le réseau au territoire et ne pas sacrifier la qualité du service (sécurité, commodités et insertion urbaine) à la rentabilité financière du système en surchargeant les unités ou en surévaluant la vitesse commerciale sur un axe, au risque de créer une fracture dans la ville.

En définitive, pour qu'un système de BRT voit le jour dans des conditions optimales il convient de fournir des subventions aux collectivités afin qu'elles puissent s'engager dans le lancement d'un nouveau dispositif de transport fiable.

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Finalement cette dernière partie aura pu nous éclairer sur les différents facteurs d'engouement du modèle de BRT en Afrique. Peu couteux, rapidité de construction, capacité importante de voyageurs, solution contre la pauvreté et la préservation de l'environnement le modèle BRT semble être une opportunité de transport intéressante pour les pays africains en voie de développement. Toutefois, pour s'assurer du succès d'une telle opération de profondes réflexions et mutations doivent être engagé au niveau des politiques d'urbanisme et de transports. La question du financement reste aussi déterminante dans la réussite d'un projet de BRT.

Conclusion

Les transports publics en Afrique subsaharienne entrent désormais dans une nouvelle aire. Une prise de conscience commence à s'opérer quant à la nécessité de proposer un réseau de transports urbains fiable et plus respectueux de l'environnement. A l'instar des grandes agglomérations d'Amérique Latine, le continent Africain se laisse désormais séduire par un modèle de transport de masse, le Bus Rapid Transit. Initié par le Brésil au cours des années 70 ce modèle s'est largement propagé jusqu'à atteindre les côtes du continent africain. Fasciné par le succès d'un tel réseau le Nigéria est le premier pays du continent à se lancer dans la mise en place de ce modèle. Les particularités urbaines du pays et plus précisément de la ville de Lagos dans lequel le BRT est implanté diffèrent considérablement des phénomènes urbains d'Amérique Latine. Le système de transport de la ville s'organise désormais en conséquence et propose une alternative de transport plutôt fiable capable de drainer plus de 180.000 passagers par jour. Sa rapidité, sa sureté et sa fiabilité ont ouvert la voie à d'autres projets BRT. L'Afrique du Sud s'engage elle aussi dans ce nouveau modèle à la fin des années 2000 et désormais c'est le Sénégal qui se lance dans un projet de BRT.

Si le Bus Rapid Transit apparaît aux yeux des états comme une solution idéale la réalité de sa mise en place est souvent plus complexe qu'il n'y parait. En effet, parfois, lorsque le

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projet ne fait partie d'une démarche de concertation appuyée avec les différents opérateurs de transports de la ville, comme ce fut le cas en Afrique du Sud, de vifs conflits peuvent avoir lieux. Au-delà de simples revendications, le lancement de projet de transport de telles envergures vient parfois rappeler le caractère historique de l'organisation de la nation. Les conflits entre les taxis et la municipalité de Johannesburg ont par exemple soulevés des questions sociétales extrêmement fortes.

Dans cette même lignée l'organisation complexe du système de transports en Afrique subsaharienne est étroitement liée à la période post-coloniale. Au sortir des périodes d'indépendances dans les années 60, les nations ont dû réorganiser tous les domaines du gouvernement. Ainsi, le secteur des transports n'a pas toujours fait l'objet d'attentions particulières et si pendant plusieurs décennies des systèmes de transports publics se sont développés le manque d'organisation à l'échelle des collectivités a eu raison de ces premières organisations de transports publics. La croissance démographique et la transition urbaine fortes, associées à la vétusté des matériels roulants ont sonné le glas pour les transports publics. Les collectivités dépassées par le phénomène ont alors promulgué la libération du secteur des transports dans l'espoir de trouver un équilibre autonome entre l'offre et la demande. Cet équilibre espéré n'a jamais eu lieu et n'a fait que complexifier l'industrie des transports en multipliant le nombre d'acteurs de l'industrie des transports.

Toutefois, les projets de BRT sur le continent s'inscrivent dans une volonté profonde de changement, pour une meilleure efficience des transports publics. Accessibles, sûrs, pratiques, efficaces, les BRT constituent une solution en matière de déplacement tout à fait pertinente pour ses pays déjà accoutumés au réseau de bus et dont les finances ne sont pas excessivement élevées. Néanmoins bien que les conditions d'exploitations soient favorables à l'essor de ce modèle en Afrique subsaharienne, le cadre institutionnel du secteur des transports reste encore soumis à quelques révisions. Le succès de tels projets est étroitement lié à une bonne organisation des politiques de transports et d'usage des sols. La question des financements est également à appréhender en profondeur.

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Si la révolution des transports publics commence à s'opérer en Afrique, cette transformation ne se fait pas uniquement avec les acteurs locaux. Partenaires financiers et spécialistes de l'aménagement travaillent ensemble pour offrir un cadre solide à l'industrie de transport africaine en pleine mutation. Cependant l'équilibre de ces coopérations parfois fragile interpelle. Rentabilité économique, modèle de BRT « à la chaîne », non considérations des particularités locales, accompagnent aussi les projets de BRT appauvrissant le potentiel des futures lignes de transports. Le principe de BRT ne doit de fait pas être pensé comme la seule solution de transport. Le véritable pouvoir d'action pour des projets BRT en cohérence avec l'environnement social, urbain et économique du pays dans lequel il s'implante n'en reste pas moins, des politiques locales fortes et engagées pour un renouveau de l'organisation des transports collectifs. Dans des métropoles marquées par de profondes disparités socio-spatiales et des rapports à la mobilité très contrastés, la réforme du système de transport urbain semble devenir une nécessité.

Ce dernier point, c'est-à-dire la nécessaire implication locale en faveur d'une évolution positive des politiques de transport aura retenu mon attention tout au long de mon alternance. En effet, à travers le suivi de dossiers relatifs à des projets de transports qu'il s'agisse de plans de circulation, de projet PDIE et ici à travers l'exemple des projets BRT j'ai développé une certaine sensibilité à la question de la planification des projets de mobilité. Plus que l'exploitation des réseaux de transport c'est toute la partie amont, d'organisation et de réflexion autour d'un projet de transport qui attise désormais mon intérêt. A mon sens, le premier pas nécessaire à la réussite d'un projet de mobilité trouve racine dans la réflexion qui aura encadré et nourrit ce projet. Aujourd'hui cette expérience professionnelle en bureau d'étude m'a apporté la confirmation de vouloir poursuivre dans une carrière où j'aurais la possibilité de participer à la mise en forme des logiques de transports d'une commune ou d'une région. Ma découverte des projets de transport de masse en Afrique subsaharienne par l'intermédiaire du système de Bus Rapid Transit me pousse également à me tourner vers l'international. A l'heure de la révolution environnementale, la réorganisation en faveur de politiques de transports capable de répondre aux besoins de déplacements des populations notamment dans les pays dits « du Sud » représente l'un des défis majeurs du XXIème siècle. A ce titre j'aimerais vivement pouvoir apporter ma contribution dans la réflexion autour de projet BRT mais aussi dans le déploiement d'un réseau de transport maillé et multimodal.

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Annexes

Annexe 1 : Indicateurs de l'urbanisation par pays, 1960 - 2010

Source : Les nouveaux territoires urbains d'Afrique de l'Est, dominique Harre, Hervé Gazel et François Moriconi-Ebrard disponible sur tem.revues.org

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Entretiens :

Fabrice GRASSET, chef de projet Transports Urbains et infrastructures VRD, SCE le 20/07/2017

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Bernard BARADEL, directeur de projets Transports, SCE le 17/07/2017






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