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Glenn Gould et Jean-Sébastien Bach


par Sami LAB
CRR de Rouen - DEM 2019
  

Disponible en mode multipage

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Glenn Gould et Jean-Sébastien Bach

Introduction

Ce mémoire portera sur le lien entre la musique de Jean-Sébastien Bach et le jeu du pianiste canadien Glenn Gould. Considéré par beaucoup comme le plus grand pianiste du XXe siècle, Gould a pourtant fortement divisé les critiques. Sa conception nouvelle de la musique et son attitude peu conventionnelle vont souvent déplaire aux conservateurs mais feront la plus grande joie des modernistes.

La relation entre Glenn Gould et Bach nous mène au coeur du paradoxe défini par Antoine Hennion : « le XXe siècle a fait de la musique l'objet d'une écoute et a inventé l'auditeur. Comment concevoir des termes plus éloignés du régime sous lequel Bach a produit sa musique, que ces deux exigences croisées qui fondent notre rapport à la musique : authenticité, pour les musiciens du passé; nouveauté radicale, pour ceux du présent ? »

1

Le présent travail reposera sur trois axes principaux :

Nous commencerons par la technique pianistique de Gould et notamment l'impact qu'elle peut avoir sur l'interprétation de Bach.

Dans une deuxième partie, nous étudierons un pilier majeur qui est devenu le symbole du lien entre Gould et Bach : Les variations Goldberg.

Enfin, dans une troisième et dernière partie nous étudierons l'interprétation de Gould du Clavier bien tempéré en terminant par sa façon de percevoir la fugue chez Bach.

Pour chacune des parties, j'apporterai ma contribution à l'analyse de ces questions.

1 Antoine Hennion, Liturgie du présent et culte du passé : changements de régimes musicaux, le cas de Bach en

France, Séminaire du CDMC, mardi 25 novembre 2003 (Cycle La musique au XXe siècle : l'hypothèse de la continuité, sous la direction de Martin Kaltenecker).

http://www.cdmc.asso.fr/fr/actualites/saison-cdmc/musique-xxe-siecle-hypothese-continuite-liturgie-present-culte-passe

I. La technique pianistique de Glenn Gould

« Il existe des artistes qui croient que l'originalité est fonction de
la brutalité avec laquelle ils brisent les règles. Je ne pense pas
que cela soit vrai, mais bien plutôt que l'originalité est fonction
de la subtilité avec laquelle vous adhérez à des prémices
légèrement différentes de celle qu'on attend de vous. »

Glenn Gould

Arrière-plan biographique

Glenn Herbert Gould naît le 25 septembre 1932 à Toronto au Canada et décède le 4 octobre 1982 dans la même ville. Il est pianiste, compositeur, écrivain, homme de radio et réalisateur. Il est connu particulièrement pour son interprétation pianistique des oeuvres de Bach et essentiellement pour les deux enregistrements des Variations Goldberg en 1955 et 1981. Célèbre pour son style analytique et chantant, Glenn Gould abandonne rapidement sa carrière de concertiste. À partir de 1964, il ne se produira plus jamais en public et se consacrera entièrement aux enregistrements en studio et à la production d'émissions de radio. Aujourd'hui nous disposons d'une cinquantaine d'heures d'enregistrement effectuée par Glenn Gould.

Gould baigne dans une famille de musiciens et, très jeune, il montre des prédispositions pour le piano qu'il apprend avec sa mère jusqu'à l'âge de dix ans. Il intègre par la suite le Conservatoire royal de musique de Toronto afin d'étudier le piano auprès d'Alberto Guerrero, l'orgue auprès de Frederick Silvester et la théorie musicale auprès de Léo Smith.

Il est organiste d'église à onze ans et effectuera son premier concert professionnel à l'âge de treize ans. Son engouement pour l'orgue (instrument principalement polyphonique) montre dès à présent une certaine fascination envers le contrepoint.

Gould décède le 4 octobre 1982 d'un accident vasculaire cérébral probablement lié à sa prise excessive de médicaments.

2 Les propos et citations que je vais réunir dans cette partie sont principalement tirés d'une interview de Glenn

Gould réalisée par Hans Heinz Stückenschmidt pour Keyboard Magazine en août 1980.

Technique et musicalité2

Comme dit précédemment, Glenn Gould se distingue des autres pianistes par son jeu pianistique (posture et technique) mais également par sa manière de penser et d'aborder la musique. Gould est aussi connu à travers son comportement très atypique : comportement social, habitudes spécifiques, sans oublier son célèbre chantonnement présent lorsqu'il se mettait à jouer du piano.

Il souhaitait un jeu tellement personnel et façonné à son idée qu'il a effectué avec l'aide de Franz Mohr diverses modifications sur son piano fétiche : un Steinway modèle CD 318 qu'il utilisait pour la plupart de ses enregistrements et qu'il faisait même livrer sur les lieux de ses concerts. Nous en donnerons le détail plus loin.

Commençons par sa position au piano : Glenn Gould adoptait souvent une posture peu conventionnelle. Il se penchait très en avant, le visage presque au niveau des touches. Il lui arrivait de jouer de côté avec les jambes croisées ; dans ce cas, inutile de penser à l'utilisation de la pédale ! Enfin, l'élément essentiel de la posture du pianiste reste sa « mythique » chaise pliante dont il ne se séparait jamais et dont il avait scié les pieds (celle-ci se trouvant alors bien plus basse qu'une banquette de piano classique).

« Je n'ai jamais joué la même chose trois fois de la même manière »

Malgré son éducation musicale classique, Glenn Gould se refusait à noter ses doigtés et donc à apprendre un geste préalablement défini au piano. Il considérait qu'une partition devait rester vierge de tout doigté pour favoriser la spontanéité et la personnalité de l'interprète. On retrouve cette mentalité de spontanéité à l'époque baroque, durant laquelle l'improvisation était l'un des maîtres mots de la musique.

Gould pouvait changer de doigtés d'un piano à un autre en fonction de la mécanique de

celui-ci. Une anecdote de 1979 illustre ce propos : insatisfait de la mécanique de son piano qui nécessitait une révision, Gould changea de piano le temps d'un enregistrement. Le touché de cet autre piano fut si différent pour lui qu'il ne put faire autrement que d'adopter d'autres doigtés afin d'être dans le jeu, l'interprétation et la musicalité souhaités.

Les deux dernières remarques énoncées précédemment créent un paradoxe. En effet, on constate par ses propos que Glenn Gould est un perfectionniste mais cela ne l'empêche pas de jouer de manière très intuitive.

Le pianiste ne croyait pas à tout le travail technique des gammes, tierces, sixtes, etc. Il considérait que tout cela était parfaitement inutile à la musique et que la sur-organisation s'avérait souvent dangereuse. Glenn Gould avait dit une fois au cours d'une interview : « je pourrais enseigner à n'importe quel étudiant réceptif tout ce qu'il y a à savoir du piano en une demi-heure ».

« Je me fixe donc pour règle première de résister aux tentations qu'offre le piano, à ce qu'on pourrait appeler ses ressources naturelles »

Le jeu de Glenn Gould se distingue par différents traits que nous pouvons en partie énumérer tout en expliquant leur intérêt musical. Je vais également essayer de montrer pourquoi ce jeu pianistique se prête particulièrement à la musique de Jean-Sébastien Bach.

Quand Glenn Gould rencontrait un accord, il lui arrivait très souvent de l'arpéger, c'est à dire qu'il jouait les notes de l'accord une à une de haut en bas ou de bas en haut au lieu de les jouer toutes simultanément. Dans une interview accordée à Bruno Monsaingeon, Gould s'était exprimé à ce sujet en expliquant que cela lui permettait de donner à chaque note la place qu'elle était censée occuper. Il donnait alors un poids bien précis à chaque note de l'accord. Celui-ci, au lieu d'exprimer une certaine droiture (comme cela peut être la fonction de nombreux accords) peut laisser une sensation d'envolée quand il s'agit d'un arpège ascendant, et permet de mieux poser un accord quand l'arpège est descendant. On peut d'ailleurs supposer que la couleur harmonique en est d'autant plus valorisée sur un clavecin en jouant sur une simultanéité légèrement décalée. Même si les accords sont écrits de façon strictement verticale, Bach a pu les jouer également de cette manière. Glenn Gould nous offre là une autre hypothèse du jeu contrapuntique.

Dans sa quête de perfection, Gould a effectué avec l'aide de Franz Mohr (chef d'atelier chez Steinway) grand nombre de modifications à ses pianos dans le but d'obtenir une mécanique plus légère. Pour cela, il tendait ses cordes à l'extrême de façon à obtenir une clarté du son qui puisse ensuite se prêter naturellement au contrepoint en faisant ressortir chaque voix à son avantage. Il a rapproché la mécanique des cordes, pour obtenir une attaque encore plus immédiate qui, de ce fait, lui appartient en propre. On pourrait dire qu'il utilise les qualités du clavecin dans ce jeu sec sans résonance et y gomme les défauts de l'instrument dans le travail des arpèges.

Tous les détails exposés jusqu'à présent - bien qu'ils soient au service des intentions musicales de Gould - ne sont que purement techniques et physiques. Nous allons voir maintenant la manière d'aborder la musique selon Glenn Gould.

Glenn Gould le dit lui-même, la première chose qu'il pense, c'est d'oublier qu'il joue du piano. Pour illustrer cet exemple, en enregistrant les Sonates pour piano de Beethoven, Gould s'était fixé pour but de retranscrire à travers le piano l'effet d'un quatuor à cordes. Le pianiste pense ses phrases de façon horizontale et non verticale ; manière de penser « presque contraire aux spécificités de bases que l'on admet au piano ». Pour donner cette sensation d'horizontalité, Glenn Gould va limiter différentes possibilités du piano et notamment la pédale (sans la proscrire complètement). Il va ainsi essayer de rapprocher son phrasé de celui d'un violon ou d'un violoncelle.

À propos du caractère purement musical, on observe chez Gould une grande dynamique et vivacité du jeu ; éléments essentiels pour la musique de Bach, laquelle ne peut s'interpréter sans une dynamique de jeu et d'esprit omniprésente.

L'articulation de Gould au piano est un élément technique utilisé dans la musique de Bach à retenir absolument. Son jeu est étonnamment dépourvu de legato ce qui paradoxalement donne beaucoup plus de profondeur dans les thèmes. Selon Gould, ce jeu staccato permet à chaque note d'occuper et de conserver sa place propre. Ainsi, les notes sont plus espacées entre elles et cela facilite la compréhension du texte. En matière de contrepoint, le staccato permet, dans les doigts de Gould, d'obtenir une clarté totale dans la distinction des différentes voix.

Du point de vue de la temporalité des oeuvres, Glenn Gould va limiter l'utilisation du rubato. Le pianiste partage une vision particulière de cet outil : il considère que plus l'harmonie s'éloigne de la tonalité d'origine (par rapport au cycle des quintes/quartes) plus le jeu pianistique peut se prêter au rubato. Si l'on cherche dans les interprétations de Bach par Gould les pièces dans lesquelles le rubato est le plus présent, on peut tout de suite relever les toccatas pour clavier; plus précisément les ouvertures de ces dernières. Je pense particulièrement à l'introduction de la Toccata en Ut mineur (BWV 911), où l'interprétation du pianiste canadien engage à mon sens un déséquilibre rythmique bien plus fort que dans beaucoup d'autres interprétations de cette oeuvre précise. Même si la tonalité est déjà clairement annoncée, l'harmonie fondamentale de la tonalité ne s'est pas vraiment installée, ce qui laisse au pianiste une liberté dans l'utilisation du tempo.

A l'époque baroque, Jean-Sébastien Bach avait deux instruments à clavier possibles : l'orgue, puissant et à la palette polyphonique très vaste et le clavecin, plus intime dans son registre. Le piano permet d'utiliser le double registre « puissant » et « instrument de chambre ». Nul doute que Bach aurait aimé travailler sur un instrument qui opère cette synthèse. Glenn Gould a su trouver et imaginer comment Bach aurait exploité cet instrument en cherchant à le rendre fidèle à une certaine idée du contrepoint. Bien sûr, cette supposition n'est qu'une hypothèse et nous ne saurons jamais si Bach aurait adhéré à ce jeu si particulier. Néanmoins, l'interprétation de Glenn Gould est crédible et très honnête. N'est-ce pas ce que l'on attend d'un musicien qui est aussi un interprète dans l'exécution d'une oeuvre ?

On observe dans cette partie que l'approche pianistique de Gould se distingue considérablement des autres pianistes connus à ce jour. Je vais conclure cette première partie sur deux points essentiels :

- premièrement, je pense que Gould n'avait pas -dans son interprétation de Bach- une volonté de briser les règles. Après avoir étudié le sujet, Gould s'est fait sa propre idée du style à adopter. Il a ensuite pu analyser, comprendre et appliquer les éléments qui mettent en valeur la musique de Jean-Sébastien Bach.

- deuxièmement, on trouve aussi dans la musicalité et la technique de Gould quelque chose d'inné qui facilite l'interprétation de la musique du compositeur allemand. Je pense cela car, qu'importe le compositeur interprété par le pianiste canadien, on retrouve les mêmes caractéristiques pianistiques dans le jeu de Gould. Je ne dis pas que tout cela est le fruit du hasard, bien au contraire, je pense d'ailleurs que peu de pianistes ont pu faire un travail de recherche aussi poussé que celui de Gould mais je reste convaincu que Glenn Gould a su tirer parti de ses idiosyncrasies pianistiques tout en les affinant pour les mettre au service de la musique de Jean-Sébastien Bach.

Pour conclure sur le plan technique, on observe que cette oeuvre n'a pas de réel point de départ, de point culminant et de résolution. C'est une oeuvre contemplative. Elle termine sur l'aria

II. Les Variations Goldberg

Composées par Jean-Sébastien Bach vers 1740 et publiée en 1742, les Variations Goldberg font maintenant partie des oeuvres majeures du répertoire pour clavier. (Nous allons voir par la suite pourquoi j'utilise l'adverbe « maintenant »). Initialement écrite pour clavecin à deux claviers, cette oeuvre devient particulièrement difficile sur un piano à cause des croisements de mains qu'implique alors un clavier unique.

La structure de cette pièce est un thème suivi de trente variations et un da capo pour conclure sur le thème.

On a rapporté (selon des rumeurs) que les Variations Goldberg auraient été une commande du Comte Keyserling (à l'époque ambassadeur de Russie) qui souffrait d'insomnies et souhaitait une pièce reposante que son musicien Johan Gotlieb Goldberg (également élève de Jean-Sébastien Bach) puisse jouer pour lui.

A cette époque, on considérait qu'un air qui se prête aux variations devait remplir au moins une des deux conditions suivantes :

- un thème doté d'une ligne mélodique qui se prête vraiment à l'ornementation,

- une base harmonique qui permette de le traiter sous de nombreux angles.

L'aria des Variations Goldberg (qui constitue le thème des variations) repose sur une solide basse harmonique ; celle-ci est tirée d'une sarabande déjà notée dans le Petit livre d'Anna Magdalena Bach (la deuxième femme de Bach). Jean-Sébastien Bach traite cette sarabande comme une passacaille c'est à dire qu'il ne garde que la basse dans ses variations.

Cette basse est cependant traitée avec une grande souplesse rythmique de façon à pouvoir s'adapter à différentes formes de contrepoints comme des canons ou des fugues.

Même si différentes altérations qui sont nécessaires au développement de la mélodie sont présentes, elles n'altèrent pas la force gravitationnelle de la basse (celle-ci garde le même rôle).

En revanche, le rôle de la basse passe au second plan dans les trois variations mineures (15, 21 et 25) pour des raisons d'exigences chromatiques.

Les trente variations se scindent en deux parties regroupant chacune quinze variations. La seizième est écrite ainsi sous forme d'ouverture. Toutes les trois variations, on observe la présence d'un canon qui chaque fois part d'un intervalle différent ; intervalle qui monte de façon proportionnée telle que le 1er est un canon à l'unisson, le deuxième un canon à la seconde, etc. jusqu'à la variation 27 qui est un canon à la neuvième. La trentième variation, quant à elle, n'est pas un canon, elle est appelée quodlibet et contient plusieurs chansons populaires allemandes exploitées de façon contrapuntique.

3 Cf. Viet-Linh Nguyen, www.musebaroque.fr

que l'on entend au début : comme la représentation d'un cycle perpétuel. Elle trouve son identité dans l'équilibre global de l'oeuvre. Chaque note, chaque partie est dépendante et complémentaire. C'est la totalité qui nourrit l'idée d'un infini, d'un renouvellement permanent.

On compte quatre enregistrements intégraux des Variations Goldberg par Glenn Gould : les deux enregistrements studio de 1955 et 1981, devenus légendaires le concert de Salzbourg enregistré en 1959,

une captation pour la radio canadienne CBC de 1954.

Malgré l'intérêt que je porte à chaque version, je me pencherai uniquement sur les enregistrements studio de Gould pour des raisons analytiques. En effet, ce sont les versions abouties et souhaitées par Glenn Gould dans sa quête de perfection.

Le premier enregistrement de Glenn Gould (1955)

De son nom d'origine Bach : The Goldberg Variations, cet album a été enregistré en 1955 chez Columbia Masterworks Records et a été le premier disque de Glenn Gould. Il est paru en 1956 devenant ensuite une référence incontournable des enregistrements piano. Ce disque a lancé la carrière de Glenn Gould et lui a apporté une renommée internationale presque immédiate. En effet, il a été vendu en 40 000 exemplaires dès 1960 et 100 000 autres ont été vendus juste après sa mort.

Comme le décrit Viet-Linh Nguyen, « le pianiste virtuose canadien avait commencé sa carrière chez Columbia par ces mêmes Variations Goldberg en 1955. A l'époque, il avait choisi des tempi très rapides et avait expédié rageusement l'aria, les trente variations et le da capo en 41 minutes (sans les reprises). Le jeu non legato, l'approche contrapuntique toute personnelle, l'excitation enivrante confinant à la griserie, le rapport trouble et violent de l'interprète vis-à-vis de ces variations sur un thème de basse continue en avait surpris plus d'un(e). Au temps du rock triomphant, c'était un des seuls disques de musique classique ("bas-rock" ?) que les adolescents possédaient . »

3

4 Bruno Monsaingeon, Contrepoint à la ligne, Édition Fayard, 1985

Jusqu'à cet enregistrement, les Variations Goldberg étaient quasiment absentes du répertoire de piano classique sur le plan commercial et suscitait peu d'intérêt pour le grand public. Elles n'étaient la plupart du temps pas commercialisées. L'oeuvre était jugée trop ésotérique et très exigeante d'un point de vue technique.

Glenn Gould a 22 ans quand il entreprend d'enregistrer les Variations Goldberg. Son choix est d'ailleurs contesté par un des dirigeants de la maison de disques qui estimait l'oeuvre trop complexe pour un premier disque. Gould s'assurera alors que le contrat qu'il a avec Columbia Masterworks lui laisse une liberté totale sur son interprétation.

Au sujet de l'interprétation, le disque attire l'attention sur différents éléments comme : une technique de doigts impliquant une grande clarté d'articulation, une faible pédale de soutien, des tempi extrêmes et peu de reprises (la forme original étant AABB). L'enregistrement couvrira alors une durée de 38m34 ; durée étonnamment courte par rapport à son dernier enregistrement des Variations Goldberg enregistré un an avant sa mort qui dure 51m18. L'autre élément qui retient l'attention du public est le perfectionnisme du pianiste canadien : il aurait effectué 21 prises de l'aria avant d'être satisfait ! Un reportage de Bruno Monsaingeon expose Gould au piano en train de

4

chercher le meilleur alliage possible. Gould montre ses doutes sur l'interprétation pas encore aboutie.

L'enregistrement de 1981

Glenn Gould arrivera à la fin de sa vie quand il enregistrera ce dernier disque. Cela se ressent dans la musicalité. Ces treize minutes de différences avec l'enregistrement vu précédemment montrent l'évolution du pianiste. Il atteint le summum de sa maturité. Il alterne désormais les tempi lents et rapides, sait équilibrer les émotions et provoquer des surprises. Il arrive enfin à en faire une oeuvre totalement personnelle où Bach est le complice du jeu. Le contrepoint devient simple et limpide et Glenn Gould s'amuse à résoudre les équations du Kantor pour rendre les mathématiques joyeuses et profondes à la fois.

Paradoxalement, la démarche du pianiste sera aussi beaucoup plus introvertie. Gould laisse entendre un vaste travail intellectuel au travers de cet enregistrement. Il aura auparavant fait la découverte de la lenteur et choisira de privilégier les contrastes de nuances et surtout de caractères plutôt que des tempi exagérés. Il alterne ainsi des variations qui peuvent paraître « neutres » dans le sens musical ; fin subterfuge qui permet ensuite de faire l'éloge des variations qui suivent. Il ne se privera alors pas de s'investir davantage musicalement. Pour résumer, cette version des Variations Goldberg demeure plus mûre et réfléchie que le premier disque du pianiste. Ses attributs cités précédemment constituent malgré tout quelques défauts logiques (dans le sens où il serait difficile d'aller à l'encontre de ceux-ci). On constate malheureusement une perte de spontanéité et de vivacité dans le jeu de Gould ; probablement à cause son âge et de ses problèmes de santé. Mais Glenn Gould signe là un chef d'oeuvre testamentaire dans lequel il livre les clés de sa conception de l'oeuvre de Bach.

Son jeu en matière de technique s'inspire beaucoup plus des traditions baroques présentes à l'époque de Jean-Sébastien Bach. Par exemple, on entend que le toucher au piano de Gould est davantage semblable à celui d'un clavecin.

L'enregistrement par Glenn Gould des Variations Goldberg en 1981 demeurera le dernier enregistrement du pianiste. Gould ouvre et conclut donc sa vie de studio avec cette oeuvre. Celle-ci, d'ailleurs ne commence et ne conclut-elle pas par la même aria ? Cette réflexion crée un dernier lien légèrement « mystique » mais existant entre l'oeuvre et le pianiste.

A la manière de Félix Mendelssohn qui fit redécouvrir en 1829 la Passion selon Saint Matthieu, les enregistrements des Variations Goldberg par Glenn Gould ont permis d'intégrer l'oeuvre en question dans le répertoire pianistique d'aujourd'hui.

Considéré jusque-là comme un compositeur austère, sérieux, dépourvu d'émotions, Bach devient sous les doigts de Glenn Gould un inventeur de génie qui surprend et déroute. La beauté et la grâce lui sont aussi reconnues. Bach est définitivement réhabilité comme maître du beau et quitte son unique étiquette de technicien génial.

Quelques informations sur les enregistrements de Glenn Gould au sujet du Clavier Bien tempéré : Gould commence à enregistrer le premier livre du Clavier bien tempéré à partir de 1963.

III. Le clavier bien tempéré et la fugue

« Gould, l'un des premiers, a su balayer les idées reçues, et le thésaurus qu'on a aujourd'hui en main et dans l'oreille ne se limite pas à la seule interprétation de Bach, qui s'ouvre ici en 1956, gambadant de l'orgue au piano via le genre concertant (où la légèreté dansante et les traits fulgurants du soliste effacent la théâtralité pesante de l'orchestre). La bible du Clavier bien tempéré, en oeuvre ouverte qu'elle est, résiste au temps, et surtout aux coups de semonce de Gould qui dresse avec Richter l'un des monuments sur instrument moderne. Avec ses staccatos soudains, le premier prélude sonne encore aujourd'hui de manière inattendue. Enfin, quel régal que cette enfilade de contrepoints transparents dans les Inventions à deux voix, où se dissimule la simple joie de pratiquer l'instrument, où la virtuosité n'est pas une valeur en soi, où les secrets sont divulgués sans la moindre pesanteur... C'est peut-être là que Gould est le plus profond. Le Concerto italien apparaît d'un prosaïsme confondant dans son attaque de machine à coudre, mais au coeur du morceau, il y a une mélodie infinie qui se déroule avec une retenue bien étudiée. L'association Bach-Gould est un miracle musical qu'on n'a jamais égalé. Que celui qui, volontiers écoeuré devant l'indigestion commerciale, nous parle ici de réchauffé soit foudroyé sur-le-champ ! »

Pascal Huynh - Musicologue et

rédacteur musical à la cité de la musique www.lesinrocks.com

Une fois de plus, Gould ne cesse de nous surprendre dans son interprétation d'un monument fondamental dans l'oeuvre de Bach : Le Clavier bien tempéré. C'est sans doute dans les préludes et fugues de Bach que l'on peut retrouver le plus d'éléments caractéristiques appartenant au jeu de Glenn Gould. Nous allons pouvoir étudier dans cette dernière partie l'approche du pianiste vis-à-vis de cette oeuvre en s'appuyant d'exemples tirés de certains préludes et fugues.

Les enregistrements seront publié en 6 volumes : 3 volumes par Livre (ainsi chaque volume comprend 8 Préludes et fugues). Pour situer, le dernier volume est publié en 1971.

Prenons pour commencer le Prélude et fugue n° 3 en Ut dièse majeur du premier livre. Gould aborde le prélude avec un tempo extrêmement rapide. Je n'ai par ailleurs jamais trouvé de version plus rapide jusqu'à présent. Le pianiste se sert du piano comme d'un orchestre où les violons joueraient les croches rapides de façon à construire l'harmonie du morceau pendant que les violoncelles joueraient le thème de la main gauche en pizzicati ; puis les rôles s'inversent laissant le thème aux voix aiguës qui pourraient être jouées par des violons ou bien des flûtes. Glenn Gould va s'amuser ainsi à alterner l'importance des voix entre ses deux mains. On trouve dans ce prélude une pédale de dominante que Gould va une fois de plus apparenter à des pizzicati de violoncelles et de contrebasses. Enfin, le prélude est conclu par d'étranges accords arpégés par le pianiste, ce qui ajoute une touche supplémentaire de fantaisie à ce morceau.

Dans la fugue, Gould fait usage de son légendaire staccato qu'il utilisera très souvent dans l'exposition des sujets de fugue. En revanche, le pianiste utilise davantage de legato pour le contre-sujet afin de faire ressortir le staccato de la réponse. Pour conclure cette fugue, Gould navigue entre les voix en interchangeant leurs plans (c'est-à-dire leur importance) grâce aux accents ; il termine sur cinq accords joués très droits et secs.

Pour mon deuxième exemple, je m'appuierai sur le Prélude et fugue n° 8 en Mi bémol mineur du premier livre. Dans le prélude, on pourrait s'attendre à ce que Glenn Gould fasse une exception à son staccato obstiné en utilisant un jeu plus legato. En effet ce prélude possède un tempo très lent et la partition n'est pas inondée par un océan de notes - deux paramètres qui en général pousseraient un pianiste à l'utilisation du legato de façon à remplir les silences. En faisant l'inverse de ce que l'on pourrait attendre dans cette pièce, Gould crée une ambiance complètement mystique. Le rôle des silences prend une tout autre importance : ils passent au premier plan et le silence devient l'élément clé du prélude. Le pianiste insiste davantage sur la rupture du temps en coupant très sèchement les accords arpégés, donnant l'impression que ceux-ci auraient dû durer plus longtemps.

La fugue qui suit semble adopter un point de vue plus neutre en comparaison du prélude si singulier. Gould interprète cette fugue de façon très calme et linéaire, cela évoque une sensation de sereine plénitude. La tension va légèrement augmenter au fur et à mesure que la pièce avance pour annoncer la fin. Plus on avance dans la pièce, moins le pianiste laisse de place au silence. On observe que l'oeuvre n'est pas interprétée de façon démonstrative.

Le Prélude et fugue n°5 en Ré majeur du deuxième livre montre de nouvelles facettes du pianiste que je n'ai pas encore abordées. Le prélude commence par une ouverture à la française. Gould l'a bien compris et va souligner le côté triomphale qui est propre à la tradition baroque dans ce genre d'ouverture. Dans cette pièce Gould utilise un effet miroir et alterne ainsi : une phrase au caractère sautillant, pointé et noble (phrase composée d'arpèges et de gammes ascendants)

une phrase composée d'accords que le pianiste va délicatement poser avec calme ; symbolisant la réponse à la phrase précédente.

Durant la pièce le caractère le plus marquant reste l'aspect très pointé - je ne parle pas spécialement du staccato mais bien du rythme - appuyé par Gould tout le long du prélude. Cela

amène une sensation de balancement qui vient renforcer le côté rythmique de la pièce.

Gould conclut ce prélude avec effacement en ralentissant légèrement pendant la cadence

final.

On observe un élément très intéressant dans la fugue : à chaque fois que le sujet ou la réponse de la fugue revient, Gould va l'interpréter de façon radicalement différente ; une fois très piqué, une fois legato, etc. De cette façon, le pianiste donne l'impression qu'un nouveau sujet vient prendre place au milieu de la fugue. Glenn Gould reste toujours dans un esprit de renouvellement perpétuel comme nous avons pu le constater dans la partie sur les variations Goldberg.

« Bach a toujours écrit des fugues »

5

Je voulais, juste avant de terminer ce travail, ouvrir une légère parenthèse qui explique comment Glenn Gould perçoit la fugue chez Bach. J'ai trouvé ces informations dans un livret fourni avec un enregistrement du Clavier bien tempéré enregistré par Gould et je me devais de vous en faire part car cela nous permet de mieux comprendre son point de vue vis-à-vis de la musique de Bach en général.

Gould a pu remarquer que l'écriture fuguée est l'élément dominant chez Jean-Sébastien Bach. Il trouve que c'est à travers la fugue qu'on observe la plus grande évolution de l'art de ce dernier en partant des fugues de Toccatas (écrites par Bach au début de sa carrière) jugées trop répétitives par Gould et en terminant par l'Art de la fugue qu'il qualifiait comme l'apogée de Bach en matière de contrepoint.

L'art de la fugue est d'ailleurs un très bon exemple pour démontrer que c'est bien la fugue qui prédomine chez Jean-Sébastien Bach : le compositeur a commencé cette oeuvre entre 1740 et 1742, alors qu'à ce moment-là, les préoccupations musicales de l'époque étaient plutôt orientées vers des intentions exclusivement mélodiques.

Gould remarque que chaque texture exploitée par Bach semble destinée à un traitement fugué. Le plus innocent air de danse ou le thème choral le plus solennel semble exiger une réponse, attendre une volée de contrepoint qui trouve dans la technique fuguée sa plus complète réalisation. Ainsi, dès que Gould interprète Bach, il se met dans l'idée d'une écriture fuguée ou du moins polyphonique.

5 Glenn gould, Introduction à une pochette d'album du Clavier bien tempéré publié par AMSCO

Conclusion

Jean-Sébastien Bach est sans doute le Léonard de Vinci de la musique. Il a permis d'élever la composition à un niveau d'inventivité et de possibilités ouvrant diverses voies à la modernité.

Pendant longtemps, l'histoire a oublié cette contribution exceptionnelle. Après la mort de Jean-Sébastien Bach, ses oeuvres ne seront presque plus jouées jusqu'à l'époque de Mendelssohn . Au début du XXe siècle, interpréter Bach au piano était plus considéré comme un exercice technique virtuose qu'un réel plaisir. Glenn Gould fait partie de ceux qui changeront la donne. Il décortique l'oeuvre de Bach avec virtuosité et valorise toute l'immense diversité des registres. Il redonne à Bach une importance dans la facétie, l'étonnement et le rôle de premier compositeur moderne.

Les émotions, le beau, le panache, ne sont plus réservés aux compositeurs romantiques avec leurs riches harmonies. Grâce à Glenn Gould, le contrepoint devient un jeu, un labyrinthe sonore qu'on aime écouter et redécouvrir.

Gould remet le baroque au centre de l'histoire. Ce n'est pas un simple effet de mode mais une redécouverte qui dépasse ses interprétations au piano. C'est paradoxal, car Gould est en autarcie par rapport aux interprètes qui s'emparent historiquement du baroque à partir des années 1970. Mais, si Bach est joué de plus en plus aujourd'hui, c'est en partie au travers de la contribution musicale de Gould.

Bibliographie

Bruno Monsaingeon. 1983. Glenn Gould : Le dernier puritain. Fayard Bruno Monsaingeon. 1985. Glenn Gould : Contrepoint à la ligne. Fayard Peter F. Ostwald. 2003. Glenn Gould : Extase et tragédie d'un génie. Actes Sud Jean Yves Clement. 2016 Glenn Gould ou le piano de l'esprit. Actes Sud

Table des Matières

Introduction et plan p.2

I.La technique pianistique de Gould p.3

- Arrière plan Biographique p.3

- Technique et musicalité p.4

II.Les variations Goldberg p.8

- Le premier enregistrement de Glenn Gould (1955) p.9

- L'enregistrement de 1981 p.10

Le Clavier bien tempéré et la Fugue p.12

Conclusion p.15

Bibliographie p.15

Table des Matières p.16






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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle