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L'introduction du modèle coopératif sur un marché concurrentiel: l'exemple de Railcoop sur le marché ferroviaire


par Boris Chiron
Université de Nantes - Master Science Politique de l'Europe 2022
  

Disponible en mode multipage

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Master 1 Science Politique de l'Europe Nantes Université - 2022

L'introduction du modèle coopératif sur un marché
concurrentiel: l'exemple de Railcoop sur le marché ferroviaire

Boris Chiron

Mémoire préparé sous la Direction de Monsieur Aurélien Evrard, professeur de
Sciences politiques à Nantes Université

Master 1 - Science Politique de l'Europe Nantes Université - 2022

L'introduction du modèle coopératif sur

un marché concurrentiel: l'exemple de

Railcoop sur le marché ferroviaire

Boris Chiron

Mémoire préparé sous la direction de Monsieur Aurélien Evrard, professeur de
Sciences politiques à Nantes Université

Image de couverture: État du réseau ferroviaire en France métropolitaine il y a 100 ans, en
1922. Pour connaître son évolution animée, de sa création en 1827 jusqu'à nos jours, scannez
ce QR Code ou cliquez sur ce lien

Crédit : Évolution du réseau ferroviaire d'intérêt général en France métropolitaine. Auteur: Benjamin Smith, 30 janvier 2021. Géoconfluences Lyon

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Tables des sigles et abréviations

ART Autorité de Régulation des Transports

AURA Auvergne-Rhône-Alpes

EDF Electricité de France

EPSF Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire

SCIC Société Coopérative d'Intérêt Collectif

SCOP Société Coopérative et Participative

SNCF Société Nationale des Chemins de fer Français

TER Train Express Régional

TGV Train à Grande Vitesse

UE Union Européenne

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Remerciements

En premier lieu je tenais à remercier l'ensemble des élus qui ont accepté de se prêter au jeu de l'entretien pour ce mémoire. Merci à Karima Delli, député Verte au Parlement Européen, Présidente de la Commission du Tourisme et des Transports au sein de celui-ci, par ailleurs Conseillère Régionale des Hauts-de-France. Je pense aussi à Frédéric Laporte, Maire Les Républicains de Montluçon, ainsi qu'à François Carême, Adjoint Europe Ecologie Les Verts en charge de la mobilité à la Mairie de Périgueux.

La réalisation de ce travail n'aurait pas été si aisée sans l'ouverture et l'intérêt qu'ont montré les membres de Railcoop pour cet exercice. Je remercie en ce sens Dominique Guerrée, Président de Railcoop, et Marius Chevallier, sociétaire impliqué dans les cercles de sociétaires de Limoges, de la Recherche et de la Gouvernance.

Il a été très utile de recevoir les quelques conseils et accompagnements de Pierre Wokuri, chercheur post-doctorant au Centre d'études européennes de SciencePo Paris, qui a su me guider par sa collaboration

Sans oublier Aurélien Evrard, mon directeur de mémoire, pour son accompagnement tout au long de cet exercice.

A toutes celles et ceux, qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de ce

premier mémoire, Merci.

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Introduction

«Votre attention s'il vous plaît, le train Railcoop numéro deux-mille, cinq-cent, cinq, en provenance de, Bordeaux Saint-Jean, et à destination de, Lyon Part-Dieu, va entrer en gare, voie E». Voilà ce que rêvent d'entendre un jour sur un quai de gare de l'Allier ou de la Creuse les dirigeants de Railcoop, la première coopérative ferroviaire française créée le 30 novembre 2019 par Dominique Guerrée, Simon Brunet et Nicolas Debaisieux. Dans le contexte de l'ouverture du marché ferroviaire à la concurrence, cette SCIC (Société coopérative d'intérêt collectif) basée à Cambes, dans le Lot, se donne pour objectif, comme on le voit sur son site internet1, de «redonner du sens à la mobilité ferroviaire en impliquant citoyens, cheminots, entreprises et collectivités» afin de développer «une offre de transport ferroviaire innovante et adaptée aux besoins de tous les territoires», tout en participant à la transition écologique. Railcoop souligne bien qu'aujourd'hui 90% des français se trouvent à moins de 10 kilomètres d'une gare, mais que 30% de ces gares ne sont pas desservies, ils veulent donc pallier ce manque. Le 4 avril 2020, la société lotoise lance une campagne publique pour l'achat de titres financiers, appel couronné de succès notamment suite à la pandémie de Covid-19, en témoignent les nombreux reportages dans les médias depuis le second semestre de 2020. Après avoir reçu sa licence d'entreprise ferroviaire récemment, en septembre 2021, et atteint le capital social minimum d'1,5 millions d'euros en mars de la même année, Railcoop compte commencer à faire rouler des trains à partir de cette année 2022, dans le domaine du fret comme du transport de voyageurs. C'est dans ce contexte que la première ligne de transport de fret a été ouverte le 15 novembre dernier, entre Figeac et le hub logistique de Saint-Jory, près de Toulouse. Par la suite, Railcoop a pour objectif d'entamer le transport de voyageurs, son véritable défi, et de créer une ligne Lyon-Bordeaux prévue pour décembre 2022, mais aussi Rennes-Toulouse ou encore Nantes-Lille, cela toujours dans l'idée de rouvrir nombre de petites lignes afin d'offrir une alternative au passage obligé par Paris. La carte ci-dessous2 a été publiée en février dernier avec de nouveaux projets annoncés par Railcoop début janvier 2022, qui verraient le jour à partir de 2024.

1 https://www.railcoop.fr/

2 Source: Railcoop

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Railcoop intrigue, interpelle, et profite de la forte progression dans l'opinion des enjeux de développement durable, alliant les dimensions collective, citoyenne, environnementale, et locale, de plus en plus recherchées aujourd'hui. Chacun peut devenir sociétaire de cette coopérative, avec une part minimale de 100 euros. De 32 sociétaires en novembre 2019, Railcoop est passée à 12 500 sociétaires au moment où est écrit ce mémoire, en mai 2022, atteignant un capital de plus de 4,5 millions d'euros. On y retrouve des collectivités territoriales, des entreprises, des sociétés privées, mais également des particuliers, des personnes voulant simplement soutenir cette initiative. Ce qui fait donc la particularité de Railcoop dans le monde ferroviaire français, c'est qu'elle est une coopérative, et plus particulièrement une SCIC. De plus, dans un contexte d'ouverture récente à la concurrence du transport de voyageurs (décembre 2020, ceci étant le cas dans le fret depuis

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déjà plus de 15 ans), celle-ci doit s'insérer sur un nouveau marché, où d'autres acteurs plus ou moins importants et historiquement implantés (de la SNCF à Transdev en passant par Trenitalia) sont présents, et c'est là tout l'enjeu de ce sujet.

Le modèle coopératif dont il est question dans ces recherches est la SCIC, qui d'après la loi 2001-624 du 17 juillet 2001, est composée d'acteurs multiples et repose sur le multisociétariat, en créant des biens et services qui ont pour but de répondre aux besoins collectifs d'un territoire. La SCIC repose sur la base de vote «une personne = une voix», ce qui donne une implication de tous les associés. Elle conserve cependant un statut de société commerciale, tout en s'inscrivant dans une logique de développement local et durable, favorisant l'action dans un bassin de vie déterminé. La SCIC doit enfin produire un intérêt collectif, ce qui est garanti par sa vocation d'organisme à gestion désintéressée. En 2019, selon la CGScop, celles-ci étaient au nombre de 974, employant 8 900 personnes pour un total de 65 000 sociétaires. Railcoop évolue sur un marché concurrentiel, ou libéralisé, ici le marché ferroviaire, un espace où se confrontent une offre et une demande et où sont présents différents acteurs économiques qui sont mis en concurrence les uns avec les autres. Sur un marché concurrentiel, le prix est supposé s'ajuster pour égaliser l'offre et la demande. Le prix n'est donc pas fixé par les agents, mais par le marché. Il s'impose aux agents et guide leurs décisions3. Il s'oppose au marché monopolistique où un seul acteur détermine le prix et les conditions du marché puisqu'il représente la seule offre face à l'ensemble de la demande. La SCIC est donc ici notre acteur principal, le marché étant la scène sur laquelle elle joue, occupée par plusieurs seconds rôles tels que les autres opérateurs ferroviaires (SNCF, Trenitalia, Renfe, Le Train...), les autorités organisatrices des transports (Ministère des Transports, Autorité de Régulation des Transports, Union Européenne...), les collectivités territoriales (Régions, villes, départements...), et bien sûr les consommateurs.

En termes de limites, ce mémoire se borne géographiquement au territoire français, économiquement à l'étude du marché ferroviaire français, théoriquement et académiquement à un travail d'économie politique. Il sera succinctement question de l'Union Européenne ou du marché de l'énergie mais cela simplement pour comprendre l'influence qu'ils ont pu avoir sur la question. Tout d'abord pour des questions d'ordre logistique, puisqu'explorer ces

3 Encyclopedia Universalis, Microéconomie, Théorie de l'équilibre général, https://www.universalis.fr/encyclopedie/microeconomie-theorie-de-l-equilibre-general/

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dimensions reviendrait à réaliser un travail beaucoup plus long, il a donc fallu choisir un angle particulier pour ce mémoire. C'est aussi parce que Railcoop n'a pour l'instant que des objectifs nationaux, dont beaucoup ne sont encore qu'au stade de simple projet, et qu'il apparaît que cette initiative n'est que très peu connue hors de France, d'autant plus qu'il n'en existe aucune autre similaire sur le continent.

Cette recherche par une approche d'économie politique amène à étudier les propos de chercheurs aussi bien dans le domaine du transport ferroviaire que sur le fonctionnement et les particularités du modèle coopératif. Tout cela en essayant de lier les deux par les rares articles qui évoquent Railcoop ou d'autres coopératives qui ont suivi ce même processus telles qu'Enercoop. Des travaux sur l'évolution du rôle de l'Etat et les politiques néo-libérales (Ansaloni et Smith4, Zalio5, Brouté et Finez6 ), aux écrits sur les mutations du secteur ferroviaire (Salini7, Perennes8, Les mutations de l'activité ferroviaire: débats et colloques9), en passant par les débats sur le rôle de l'Union Européenne dans le processus coopératif (Bocquillon et Evrard10, Wokuri11), les dimensions explorées ont été multiples. Il a fallu également se pencher sur les articles et ouvrages portant sur le mouvement coopératif et

4 ANSALONI, M. & SMITH, A. (2017). Des marchés au service de l'État?. Gouvernement et action publique, vol. 6(4), pp.9-28

5 ANSALONI, M., TROMPETTE, P. & ZALIO, P. (2017). Le marché comme forme de régulation politique. Revue française de sociologie, vol. 58(3), pp.359-374

6 BROUTE R. & FINEZ J. (2019). 13. La concurrence au service du capital: stratégies de l'État actionnaire et politiques de compétitivité à la SNCF. Regards croisés sur l'économie, n°25, pp.163-173.

7 SALINI P. (2017). Histoire de la politique des transports terrestres de marchandises en France depuis le milieu du XIXe siècle. Paris : L'Harmattan, 446 p.

8 PERENNES P. (2014). Les économistes et le secteur ferroviaire: deux siècles d'influence réciproque. L'Économie politique, n°62, pp.101-112.

9 VIDELIN J. C. (2013). Les mutations de l'activité ferroviaire. Paris : LexisNexis, 255 p.

10 BOCQUILLON, P. et EVRARD, A. (2016). Rattraper ou devancer l'Europe : Politiques françaises des énergies renouvelables et dynamiques d'européanisation. Politique européenne, 52, pp.32-56

11 WOKURI, P. (2021). Comment les nouveaux entrants dans un marché font usage de l'Union européenne ? Le cas des projets coopératifs d'énergie renouvelable. Dans: Politique européenne, prépublication, Paris: L'Harmattan, pp.1-30

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l'Économie Sociale et Solidaire (Darbus12), son échelle territoriale (Draperi et Margado13), la mise en valeur de ses particularités (Michel, Zeitoun et Haddad14), et l'étude plus particulière d'Enercoop comme source d'inspiration (Liénard15). Enfin, ce mémoire s'appuie grandement sur la thèse de Pierre Wokuri, docteur en science politique et professeur à SciencePo Paris, qui a réalisé sa thèse sur les projets coopératifs d'énergie renouvelable à l'épreuve du marché16. Celui-ci est à la fois spécialiste des nouveaux entrants sur un marché, mais aussi du modèle coopératif en lui-même. Sa thèse aborde de nombreux points utiles pour ce mémoire et introduit certains concepts qui peuvent être appliqués à l'ensemble des modèles coopératifs, dont Railcoop. C'est de ces recherches, et de cette manière d'aborder une question liant coopératif et marché, que ce mémoire se rapproche finalement le plus.

Toute cette lecture théorique a été liée à un travail empirique de réalisation d'entretiens ainsi qu'à une lecture assidue de la presse sur le sujet tout au long de l'année universitaire. Finalement, cinq entretiens d'une heure en moyenne (voir annexes) ont été menés. Trois d'entre eux ont été réalisés par téléphone, et deux en visio-conférence, les personnes interviewées étant réparties sur tout le territoire français, mais aucune dans le Nord-Ouest. En effet, se sont prêtés à l'exercice Karima Delli (Présidente de la Commission des Transports et du Tourisme au Parlement Européen), Frédéric Laporte (Maire de Montluçon, ville de départ et de passage de la ligne Lyon-Bordeaux), François Carême (Adjoint aux mobilités de la commune de Périgueux, ville de passage de Railcoop et proche géographiquement du siège social de Railcoop), ainsi que Dominique Guerrée (Président de la coopérative Railcoop) et Marius Chevallier (Sociétaire de Railcoop en charge du cercle de

12 DARBUS, F. (2014). Le pouvoir subversif de l'économie sociale et solidaire. Quelle consistance ? Lien social et Politiques, (72), pp.169-188.

13 DRAPERI J.-F. et MARGADO A. (2016). Les Scic, des entreprises au service des hommes et des territoires. RECMA, n°340, pp. 23-35

14 MICHEL G., ZEITOUN V. & HADDAD S. (2020). Chapitre 7. La marque coopérative : comment concilier engagement social et réalité du marché. Dans : Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques de gestion (pp. 135-154). Caen, France: EMS Editions, 260 p.

15 LIENARD Y.-A. (2016). Du service public au service citoyen: la Scic, un statut adapté à cette ambition. RECMA, n°340, pp.65-76.

16 WOKURI, P. (2020). Orienter et activer: les projets coopératifs d'énergie renouvelable à l'épreuve du marché. Une comparaison multi-niveaux Danemark, France, Royaume-Uni. Thèse de Doctorat de l'Université de Rennes 1. 643 p.

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sociétaires «Recherche»). Ces choix n'ont pas été faits au hasard, l'objectif étant d'avoir des témoignages à plusieurs échelons qui permettent d'avoir plusieurs points de vue (européen avec Madame Delli, local avec Messieurs Laporte et Carême, et à l'échelle de la coopérative avec Messieurs Guerrée et Chevallier), mais aussi de plusieurs courants idéologiques (Frédéric Laporte, maire Les Républicains, François Carême élu Europe Ecologie les Verts faisant partie de la majorité Parti Socialiste) afin de voir si cela avait de l'influence sur la perception de Railcoop. L'idéal aurait été d'avoir l'échelon national couplé à tout cela mais la SNCF, le Ministère des Transports, ainsi que l'Autorité de Régulation des Transports, ont tous refusé les demandes d'entretiens. Plus généralement, l'étude de cette expérience inédite n'a été pas sans difficultés puisque la société Railcoop n'a encore jamais fait l'objet de recherche universitaire. Ainsi, il a fallu construire un propos à partir de recherches périphériques, s'en rapprochant au maximum. Cependant, ces obstacles restent minimes par rapport au bon accueil qui a été fait de ce travail tout au long des recherches.

Si Railcoop peut faire l'objet d'un mémoire en tant qu'exemple étudié, c'est parce que l'entrée de cette société sur le marché ferroviaire est inédite. D'abord sur un plan juridique, puisqu'elle représente la première société coopérative, qui plus est une SCIC, qui veut participer à un marché national du ferroviaire, en France, mais aussi en Europe. Ensuite pour des raisons contextuelles strictement franco-françaises, parce que la France est un des pays les plus développés du monde en termes de transport ferroviaire, notamment avec le succès du TGV, mais aussi particulièrement marqué par le monopole historique de la SNCF. La libéralisation du marché est donc quelque chose d'encore plus nouveau en France qu'ailleurs, comme cela l'avait été dans le secteur de l'énergie. Ce sujet introduit également un paradoxe, qui revient fréquemment lorsque l'on évoque la construction de modèles coopératifs, puisque Railcoop, comme d'autres SCIC auparavant, a pu s'introduire sur ce marché grâce à la libéralisation d'un marché qui a brisé le monopole de la SNCF, procédé propre à l'idéologie néo-libérale que ce type de sociétés combattent elles-mêmes. Tout l'enjeu est donc de comprendre ce qui peut permettre qu'une coopérative fasse avancer ses idées tout en avançant dans un milieu qu'elle désapprouve mais qu'elle tente par là de transformer. Comment ce petit acteur peut-il faire face aux grands opérateurs ferroviaires ? Est-ce vraiment plus périlleux de s'introduire sur ce marché avec un statut inédit ? La libéralisation du marché est-elle l'allié de Railcoop ?

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Finalement, à travers l'exemple de Railcoop, comment le modèle coopératif et citoyen de la SCIC peut-il s'introduire sur un marché concurrentiel à une échelle nationale, au point d'en devenir un acteur crédible et légitime?

Cette recherche a donné lieu à plusieurs hypothèses:

- Un tel phénomène ne peut se faire que sur des espaces du marché délaissés par les autres concurrents, où, comme on peut le voir dans l'article d'Yves-Alain Liénard ou celui de Brouté et Finez qui insistent sur le rôle d'intérêt général de la SCIC, le modèle coopératif remplit le rôle de service public d'intérêt général que l'Etat ne peut remplir

- Les particularités d'une coopérative, et de la SCIC en particulier, lui permettent d'avoir d'autres atouts afin de séduire les consommateurs et les investisseurs (ici les sociétaires), comme le montrent Michel, Zeitoun et Haddad sur la construction de l'image de marque. Draperi et Margado montrent aussi la territorialité de ce modèle, une particularité qui la distingue des autres opérateurs, plus globaux et nationaux

- Si le modèle libéral et capitaliste n'existe pas, la SCIC, par définition collective et citoyenne, visant l'intérêt collectif, et par essence anti-libérale, ne peut pas exister, ce qui est un paradoxe fort. Ce n'est ici qu'une déduction suite à l'ensemble des lectures.

- Railcoop a réussi à se monter et à s'introduire sur le marché parce qu'elle est apparue dans un contexte favorable, à un moment carrefour, phénomène étudié par Pierre Wokuri dans le secteur énergétique avec Enercoop

- L'Europe joue un rôle de pression déterminant pour mettre fin aux monopoles, ici de la SNCF, ouvrant ainsi des brèches dans lesquelles des initiatives moins classiques comme celle de Railcoop peuvent s'engouffrer, et c'est tout l'enjeu du processus d'européanisation étudié par Finez, Wokuri, Evrard ou Bocquillon.

L'exploitation de ce sujet s'effectuera en cinq parties, abordant chacune une nouvelle dimension de la question. Dans un premier temps, il est nécessaire de réaliser un travail pédagogique d'information et de présentation de la situation actuelle du marché ferroviaire français, l'occasion de remonter le temps afin de mieux comprendre les fondements de la structuration du rail français et les cadres du marché actuel, ce afin de mieux saisir les enjeux qui s'appliqueront à l'ensemble des autres points. La seconde partie se concentrera sur les atouts de Railcoop en tant SCIC afin d'exploiter une fenêtre d'opportunité qui leur a permis de s'introduire sur le marché. La société a ensuite profité de certaines failles et mutations des cadres institutionnels traditionnels français et européens afin de prendre une place sur

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l'échiquier ferroviaire national. Tout l'enjeu pour s'affirmer sur ce marché une fois inséré est la légitimation et la crédibilisation de ce mouvement, à la fois par la rigueur et par la reconnaissance par les autres acteurs. Enfin, il sera bon de voir ce qui, à l'avenir, pourrait porter préjudice à Railcoop, les obstacles, endogènes comme exogènes, qui peuvent se présenter et mettre à mal la pérennisation de cette initiative. La structuration de ce plan est chronologique, avec les différentes étapes de l'entrée sur le marché puis la vision vers l'avenir, mais aussi hiérarchique avec un regard par strates se superposant les unes aux autres, renforçant un peu plus à chaque fois la solidité et la crédibilité du projet Railcoop, tout en démontrant que cela reste fragile. En effet, il apparaît que, pour réaliser tout cela, il a d'abord fallu se concentrer sur ce que la coopérative en elle-même pouvait apporter, puis regarder ce que l'environnement institutionnel permettait, pour ensuite s'insérer et gagner en assurance une fois sur le marché. Mais certaines étapes restent à franchir puisque Railcoop est encore jeune et il convient de garder un oeil sur les différents freins à l'avancée du projet.

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Chapitre I - L'état du marché

Cette partie a pour vocation d'effectuer un rappel des cadres dans lesquels évolue Railcoop, à travers une description de l'histoire de la politique du rail en France, des compagnies privées à la libéralisation en passant par l'hégémonisme de la SNCF (1). Il s'agira ensuite de décrire les cadres du marché concurrentiel et ses conditions d'entrée pour enfin réaliser une cartographie du marché ferroviaire français (2).

1- Historique de la politique du rail en France

C'est en 1833 que naît la première ligne ferroviaire en France, synonyme du lancement d'une très longue période de développement du chemin de fer français et d'affirmation d'une volonté de conquête de l'espace national qui va connaître une forte croissance sous Napoléon III. A partir des années 1870 et les débuts de la IIIe République, l'intervention publique se fait de plus en plus grande, avec un objectif de réseau comparable à celui des routes nationales de l'époque, c'est-à-dire 38 000 kilomètres de lignes17. C'est au cours de la Première Guerre Mondiale que l'effort fut le plus grand, le ministère de la guerre se retrouvant ainsi à la tête de 36 500 wagons de transport de marchandises, 31 000 voitures de voyageurs, pour 14 150 locomotives, ce qui fut considéré comme l'apogée du chemin de fer en France. A l'époque, le transport ferroviaire était assuré par un système de compagnies privées, ayant chacune le monopole d'une partie du réseau. Après de nombreux débats sur le chemin à prendre (privatisation, nationalisation, exploitation par l'Etat), c'est par le décret-loi du 31 août 1937 que les compagnies sont nationalisées et que la Société Nationale des Chemins de Fer voit le jour, possédée à hauteur de 51% par l'Etat. Patrice Salini souligne bien que c'est sous Vichy que le chemin de fer sera le plus exploité, mais après la guerre la longueur de ligne en kilomètres a drastiquement chuté, au point que le rail perdit sa position dominante dans les années 1960 au profit de la route puis des airs. En parallèle de ce déclin, l'Etat investit dans le «tout TGV» structuré en réseau concentré vers Paris, délaissant ainsi pour des questions budgétaires les lignes moins rapides et moins rentables qui maillent le

17 SALINI P., op.cit.

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territoire, au point d'en rendre beaucoup inutilisables. Un constat réalisé par de nombreux acteurs dont les collectivités territoriales qui ont vu le déclin de la SNCF, en témoigne Frédéric Laporte, maire de Montluçon, dans l'Allier, selon lequel il y a eu «un changement de mentalité profond depuis la fin des années 1980 et le train est passé bien en-deçà de la voiture, il n'y a que dans les grandes agglomérations que le train a réussi à subsister comme à Paris ou Lyon»18. Un point de vue partagé par Karima Delli, Présidente de la Commission du Transport et du Tourisme au Parlement Européen: «La France était la terre du ferroviaire, ce n'était pas il y a 1000 ans, c'était dans les années 1980 le premier pays qui desservait 550 gares de train de nuit.»19. Une évolution qui se constate bien dans l'évolution du nombre de kilomètres de lignes supprimés chaque année (voir graphique ci-dessous)20

Ainsi, à la fin du XXe siècle, une solution s'impose pour les cadres de l'Union Européenne: la libéralisation, suscitant de nombreux débats. Le processus de plus de vingt ans mène à l'ouverture à la concurrence dans le domaine du fret ferroviaire en France dans un premier temps (2006) par le «Troisième paquet ferroviaire» porté par le Parlement

18 Entretien avec F.Laporte

19 Entretien avec K.Delli

20 BEYER A. (2021). Grandeur, décadence et possible renouveau du réseau ferroviaire secondaire français. Dossier: Mobilité flux et transports Géoconfluence Lyon.

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Européen21, puis sur le transport international de voyageurs par la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires de 2009, et enfin sur le réseau national en décembre 2020 suite au «Quatrième paquet». La responsabilité de ce déclin est souvent attribuée à un modèle monopolistique qui n'a pas poussé la SNCF à se renouveler et à travailler un modèle plus en phase avec son temps, plus rentable pour les uns, plus adapté aux usagers pour d'autres, et qui ne semble pas s'améliorer malgré la libéralisation. Ces mutations commerciales, qui ont fait passer l'Etat d'une logique de service public à une logique marchande22, et le voyageur d'usager à client23, n'ont pas réussi à la France, puisque, selon Patrice Salini24 «nos partenaires parviennent à obtenir des résultats beaucoup plus positifs». Selon Karima Delli, tout cela est une question d'investissement et de considération de la place du train en France, «Le problème que nous avons sur le train en France c'est qu'on a tout pour réussir. On a l'agence européenne du train à Valenciennes, des entreprises, des innovateurs, un personnel qualifié qu'il faut vite renouveler, une capacité industrielle pour du matériel roulant. Mais on ne le met pas en priorité et on n'investit pas. Regardez ce qui s'est passé avec le Covid, c'était quand même dingue, le premier plan de relance était tourné vers l'automobile et l'aéronautique, et ensuite le train est venu pleurer pour avoir de l'argent mais c'est la cinquième roue du carrosse»25. La France a donc connu trois régimes en 200 ans: l'exploitation du réseau par des compagnies privées, la nationalisation de cette exploitation sous la forme de la SNCF entre 1937 et les années 2000, et depuis peu la libéralisation du transport de marchandises et de voyageurs, cadre sans lequel Railcoop n'aurait pas pu s'insérer sur un marché qui était auparavant monopolistique.

2- Les cadres du marché concurrentiel et ses conditions d'entrée

Le marché ferroviaire est donc aujourd'hui libéralisé et ouvert à la concurrence, chose qui, selon Martine Lombard26, était «généralement considérée dans notre pays non pas tant comme désirable que comme inéluctable». Les arguments apportés pour justifier ce

21 LOMBARD M., L'ouverture à la concurrence de l'activité ferroviaire: rhétorique et pratique, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op. cit.

22 BROUTE R. & FINEZ J., op.cit.

23 PAULIAT H., De l'usager au client de la SNCF, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op. cit.

24 SALINI P., op. cit.

25 Entretien avec K.Delli

26 LOMBARD M., op. cit.

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changement de fonctionnement ont été la transition écologique, la croyance dans le fait que la concurrence favorise l'innovation, la qualité des services, et la baisse des prix, tout cela dans un esprit de plus grande compétitivité qui s'explique par le passage de l'État du statut de tuteur au statut d'actionnaire27. C'est bien l'exploitation du réseau qui est ouverte à la concurrence, et non pas la propriété et l'entretien de celui-ci, qui est encore nationalisée et dont SNCF réseau est en charge. La SNCF est aujourd'hui divisée en trois branches, entre SNCF Réseau (anciennement Réseau Ferré de France), SNCF Voyageurs, qui est soumise à la concurrence, et SNCF Gares et Connexions qui s'occupe des infrastructures immobilières. Tout cela est encadré nationalement par l'Etat, via l'Autorité de Régulation des Transports (ancienne Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires), sous l'égide du Ministère de la Transition écologique, chargé des Transports. Un opérateur ferroviaire, pour pouvoir être validé, doit remplir les conditions suivantes: obtenir la licence de transporteur qui coûte 1,5 millions d'euros et obtenir le certificat de sécurité ferroviaire délivré par l'Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire (EPSF)28. Suite à l'ouverture à la concurrence, de nombreux opérateurs se sont manifestés et on peut déjà voir sur les rails des wagons de Renfe (Espagne), Trenitalia (Italie), la Deutsche Bahn (Allemagne), mais aussi d'autres transporteurs français (Transdev, Le Train, Railcoop), pour un total de 22 opérateurs validé par l'EPSF à ce jour29. Tous ne sont pas de la même taille, avec les mêmes objectifs, les mêmes sillons (nom donné à une portion de ligne ferroviaire), les mêmes zones géographiques, les mêmes ambitions, mais ils ont tous pu entrer sur le marché suite à la libéralisation. Mais certains comme Jean Finez30, ou même les sociétaires de Railcoop, portent aussi l'attention sur le fait que la concurrence n'est pas qu'entre les opérateurs ferroviaires. Mais il apparaît qu'avec l'ouverture à la concurrence, deux marchés existent dans le marché31. Tout d'abord celui des services librement organisés, pour les trajets sur les lignes rentables, mais aussi, en parallèle, celui des zones dites «non rentables», où le service public est nécessaire et où c'est à la Région de lancer un appel d'offre pour choisir le

27 BROUTE R. & FINEZ J., op.cit.

28 RAPP L., Métonymie ferroviaire: du rail au sillon, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op. cit.

29 EPSF, file:///home/chronos/u-61fd9c3332e9ad11b849268ff76fd1c403e2e9a9/MyFiles/Downloads/2022 -03-18_Liste_EF.pdf

30 FINEZ, J. (2014). La construction des prix à la SNCF, une socio-histoire de la tarification: De la péréquation au yield management (1938-2012). Revue française de sociologie, n°55, pp.5-39.

31 JUVEN, P. & LEMOINE, B. (2017). Le marché sur de bons rails. Découpages comptables et chantage à la dette à la SNCF. Revue Française de Socio-Économie, n°19, pp.9-17.

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meilleur. Railcoop se positionne sur un intermédiaire entre ces deux marchés, puisque la société veut (re)créer de nouvelles lignes mais qui ne seront pas forcément au maximum de la rentabilité. La concurrence se fait aussi avec les autres moyens de transports privilégiés que sont la voiture et l'avion, et c'est pour cela que, dans un souci de rentabilité et de transition écologique, la concurrence a été mise en place en pensant que cela permettrait de rendre le train plus attractif pour les consommateurs. Railcoop veut par exemple faire voyager 700 000 personnes par an entre Bordeaux et Lyon (voir par ailleurs) dont 85% prennent la voiture actuellement sur ce même trajet. Railcoop évolue donc sur un marché concurrentiel mais encadré et régulé par des instances étatiques, et où la SNCF reste tout de même très présente notamment par la gestion des autres aspects que la prestation de service. Les concurrents sont de plus en plus nombreux à commencer l'exploitation de certaines lignes et chacun essaye de se positionner sur la portion du marché la plus adaptée à ses capacités et à ses objectifs.

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Chapitre II - L'exploitation d'une fenêtre d'opportunité
profitable au modèle de SCIC

Pour faire son entrée en scène et pouvoir évoluer dans les cadres du marché qui ont été décrits précédemment, Railcoop a dû se frayer un chemin. Cela a été facilité par l'exploitation d'une fenêtre d'opportunité qui, au sens de Kingdon qui a développé ce concept en 1984, est un ensemble rare de circonstances et un bref moment dans lequel un résultat autrement impossible est potentiellement réalisable32, ou plus simplement une chance éphémère de réaliser l'impossible. Il apparaît que cet ensemble rare de circonstances est apparu dernièrement, favorisant l'apparition de cette SCIC sur le marché ferroviaire. Cela d'abord par le contexte, marqué par un moment carrefour provoquant un engouement médiatique (1), mais aussi par des particularités de la SCIC aujourd'hui valorisées qui leur permettent de tirer un avantage comparatif (2).

1- L'influence d'un contexte de montée des questions de développement durable et local

Il apparaît dans un premier temps que Railcoop est véritablement entrée en scène à un moment où beaucoup de facteurs favorables à son développement se sont présentés, à ce qu'on appelle un moment carrefour au critical junture (A). Cela a entraîné un certain engouement médiatique qui a permis une exposition importante de Railcoop, ce qui a suscité un nombre d'adhésions à la société assez important, renforçant ainsi sa solidité et sa légitimité aux yeux de l'opinion (B).

A. Le moment carrefour

Il apparaît d'abord que Railcoop est apparue à un moment carrefour (ou critical junture), qui, selon Acemoglu et Robinson, est «un événement majeur ou une confluence de

32 KINGDON J.W. (1984), Agendas, Alternatives and Public Policies. Boston: Little, Brown, 240 p.

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facteurs perturbant l'équilibre économique ou politique existant dans la société»33. Railcoop apparaît comme étant là à la croisée des chemins, comme Enercoop l'avait été, ou, pour reprendre l'exemple amené par Pierre Wokuri dans sa thèse, les coopératives danoises d'énergie renouvelable au moment où le choc pétrolier avait été combiné à la poussée du parti vert danois. Ici, on constate des conditions idéales réunies pour Railcoop, qui font dire à Dominique Guerrée, Président de Railcoop, qu' »on est dans le moment». Les conditions structurelles d'abord, internes au secteur ferroviaire, avec l'entrée en vigueur de l'ouverture à la concurrence en décembre 2020. Des conditions idéologiques également, avec une montée en puissance des questions environnementales au sein de l'opinion publique, le train apparaissant comme le moyen de transport le moins polluant, avec «un impact 15 fois inférieur à celui d'un avion» comme le rappelle Karima Delli34, à l'heure où les transports représentent 31% des émissions de CO2. Pour couronner le tout, le Covid 19, bel exemple de choc exogène, est venu rebattre les cartes et renforcer la dynamique en faveur d'une économie plus durable et locale, portée par des initiatives citoyennes, trois choses prônées par Railcoop depuis sa création, qui, selon une interview donnée par Dominique Guerrée à Alternatives Economiques, veut «permettre à des citoyens d'agir concrètement en faveur de la transition écologique [...] et pour permettre le désenclavement de certains territoires». Lors de l'entretien, Dominique Guerrée ne s'en cache pas : «Oui, les planètes se sont alignées, on ne pensait pas aux effets du covid en créant Railcoop en novembre 2019, alors que ça commençait tout juste en Chine. Il y a eu de la prise de conscience de crise humanitaire, de pandémie, de risque écologique, et que le chemin de fer dans ce sens là était vertueux et qu'il fallait le remettre à la page [...] avec cette logique là on va pouvoir capter un peu plus de monde qu'en 2019.»35. Railcoop s'est également positionné sur le fret, secteur ô combien stratégique quand la France est un des mauvais élèves dans ce domaine au moment où la Commission européenne incite les Etats membres à le développer pour rééquilibrer la balance qui, en 2008, était de 10% des marchandises transportées par le train contre 80% par la route36. Railcoop se trouvait donc là à un tournant stratégique, et il est assez difficile de savoir si cela eût été possible sans cette combinaison de facteurs structurels et conjoncturels aussi favorables à une telle initiative.

33 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

34 Entretien avec K.Delli

35 Entretien avec D.Guerrée

36 AUBRAIN-DEMEY G. et ROMI R, Activités ferroviaires et protection de l'environnement, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op. cit.

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B. Bénéficier d'un engouement médiatique

L'arrivée de Railcoop dans un contexte favorable, à un moment carrefour, lui a permis de bénéficier d'un engouement médiatique, suite à la réussite de ce projet alternatif qui intriguait, interpellait, car inédit, créé ex-nihilo. Après avoir étudié la presse sur le sujet tout au long du travail sur le mémoire, il apparaît que Railcoop a été l'objet de trois moments forts médiatiquement: début 2021, après l'ouverture du marché à la concurrence de décembre 2020, à la mi-novembre 2021, coïncidant ainsi avec le lancement de la première ligne de fret ferroviaire entre Figeac et Saint-Jory le 15 novembre dernier, ainsi que début janvier 2022 dans la continuité de l'annonce des lignes prévues pour 2024. Selon Marius Chevallier, sociétaire de Railcoop, cela est aussi dû au fait que le train a une belle image, «on entend souvent que les gens voudraient prendre le train et que l'Etat ne met pas assez, ferme des lignes, ce qui est vécu comme quelque chose d'assez scandaleux dans les médias. J'ai l'impression que ça donne une porte assez facile à ouvrir pour être bien reçu dans les médias, paraître sympathique.»37. Dominique Guerrée était le premier surpris de cet élan autour de Railcoop : «C'était un peu inattendu, cela nous a bien servi. On a pas les moyens que d'autres entreprises peuvent avoir sur ce domaine [la communication]». La plus forte augmentation de sociétaires a été constatée après un reportage d'une trentaine de minutes d'une des émissions phare de la chaîne de télévision France 2, Envoyé Spécial, le 14 janvier 2021. L'effet des médias se constate également par les recherches sur Railcoop dans le moteur de recherche Google. Comme le montre le graphique ci-dessous 38, le record de recherche a été réalisé entre le 10 et le 16 janvier 2021, ce qui correspond au reportage d'Envoyé Spécial. On constate également un regain d'intérêt à la mi-novembre ainsi que début janvier 2022 suite à l'annonce des futurs projets de ligne (cf. carte en introduction). Pour rappel, Railcoop n'a encore aucune ligne de transport de voyageurs ouverte, ces recherches ne sont donc pas à caractère commercial mais bien informatif.

37 Entretien avec M.Chevallier

38 https://trends.google.com/trends/explore?date=2019-12-01%202022-05-03&geo=FR&q=railcoop

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Lecture: pour indice base 100 entre le 10 et le 16 janvier 2021, l'intérêt pour la recherche «Railcoop» est égal à 34 entre le 14 et 20 novembre 2021.

Lecture: Le nombre de sociétaires était égal à 5161 au 1er janvier 2021, il se porte à 12194 un peu avant le 1er avril 2022

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Lecture: Entre le 3 février 2021 et le 9 mars 2021, environ 1500 nouveaux sociétaires sont entrés dans le capital de Railcoop

On constate ci-dessus l'effet que peut avoir l'évolution de l'intérêt médiatique pour Railcoop, avec l'évolution du nombre de sociétaire et le nombre de nouveaux sociétaires (à la date de chaque conseil d'administration de Railcoop) entre le 1er janvier 2021 et le 15 avril 202239, qui sont calqués sur l'évolution du nombre de recherches «Railcoop», et donc aux «pics médiatiques». L'exposition médiatique joue donc un grand rôle dans la réussite ou non d'une telle initiative et dans l'engouement que celle-ci peut susciter. D'autant plus dans le cas d'une SCIC, qui doit conquérir et convaincre sa première ressource humaine et financière que sont les sociétaires, particuliers comme entreprises privées ou collectivités territoriales. Cet engouement est également dû aux particularités de la SCIC que Railcoop a su valoriser.

2- Les particularités valorisées de la SCIC permettent de tirer un avantage comparatif

Au-delà d'un alignement des planètes, c'est aussi des particularités propres au modèle de SCIC, de plus en plus valorisées aujourd'hui, et qui peuvent présenter des avantages sur

39 Graphiques réalisés à partir de données fournies par Railcoop (voir graphiques originaux en annexe)

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certains points, que les créateurs de Railcoop ont su exploiter afin d'en tirer un avantage comparatif, dans le sens où cette SCIC s'est spécialisée dans un domaine et une façon de faire pour laquelle sa productivité est maximale afin d'accroître sa richesse. Railcoop s'est ainsi appuyée sur ses sociétaires qui sont grandement invités à participer et à enrichir le projet (A), mais aussi sur ces particularités valorisées dans la société pour mettre en place des vraies opérations marketing en créant une image de marque (B). Enfin, elle a pu compter sur le réseau coopératif des Licoornes, source d'inspiration sur de nombreux points (C).

A. Les sociétaires, une ressource gratuite et plurielle

Comme rappelé en introduction, le nombre de sociétaires de la coopérative Railcoop est passé de 32 en novembre 2019 à près de 12 500 aujourd'hui. Tous ces sociétaires, du simple particulier à la région Grand-Est, des entreprises privées aux financeurs millionnaires, sont autant de ressources individuelles ou collectives, financières mais aussi créatives, qui peuvent être mobilisées afin d'optimiser la production et l'offre que veut proposer Railcoop, et c'est là que le principe coopératif d'une personne = une voix prend tout son sens, même si, comme le rappelle Marius Chevallier, «Souvent, dans les médias on entend «une personne = une voix»40 et quand on met le nez dans l'entreprise on voit que ce n'est pas le cas», puisque tous les adhérents ne s'impliquent pas tous avec la même intensité. Mais ceux-ci peuvent tous contribuer à l'activité de la coopérative d'une manière ou d'une autre, ce qui permet d'adopter une approche de co-création avec tous ses membres, vecteur de légitimité41. Railcoop a ainsi créé plusieurs cercles de sociétaires42, par territoires (cercle local de Bordeaux, cercle local de Lyon...etc), mais aussi par thématiques (cercle gouvernance, cercle fret, cercle la vie en train...etc), dans lesquels les possesseurs de parts de la société sont invités à réfléchir aux meilleures solutions à choisir et à élaborer, sur des périodes de 6 mois à un an, en totale autonomie et sans directives des salariés ou de la Direction. Par exemple, le cercle «Développement Réseau» a passé au peigne fin plusieurs lignes grâce aux activités professionnelles et aux connaissances de ses membres afin de soumettre une liste de portion à occuper au Conseil d'Administration. Ainsi, selon Nicolas Debaisieux, le Directeur Général, les sociétaires sont autant d'observateurs des lignes répartis partout en France, ce qui permet

40 Entretien avec M.Chevallier

41 MICHEL G., ZEITOUN V. & HADDAD S., op. cit

42 Railcoop (2021, 23 mars). Les cercles de sociétaires. railcoop.fr

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de mieux s'adapter. Tout ce travail est en plus bénévole, une prospective et un audit gratuit pour l'entreprise quand les autres acteurs privés peuvent y consacrer des sommes très importantes. Marius Chevallier, lui-même membre du cercle «Animation du Sociétariat» reconnaît que Railcoop «n'aurait pas une telle force de frappe pour étudier toutes ces lignes sans les cercles bénévoles». Une manière de procéder qui est déjà une habitude chez l'homologue et grande soeur du secteur de l'énergie, Enercoop, où les individus, militants, jouent un grand rôle dans l'identification de l'opportunité d'affaires, dans son évaluation, ainsi que dans son exploitation43. Les sociétaires sont ainsi contributeurs (financier et intellectuel), militants, mais aussi futurs bénéficiaires des services proposés, et parfois salariés, ce qui ne fait qu'accroître l'implication dans l'entreprise et les rendements de chacune des personnes impliquées, d'autant plus quand ce travail est bénévole.

B. La création d'une image de marque basée sur un modèle local par essence

Afin de séduire l'opinion mais aussi rassembler le maximum de sociétaires, Railcoop a su créer une image de marque en mettant en valeurs les caractéristiques valorisées de la SCIC présentées auparavant tout en utilisant des procédés comparables au marketing d'une entreprise lambda. Pour Catherine Bodet et Thomas Lamarche44, le principal canal de différenciation est la futurité, l'innovation. Ainsi, l'intérêt collectif, l'engagement vers le développement durable, sont de véritables composantes décisives du produit. Cette sous-partie, et ce qui va être développé ci-dessous, repose sur les travaux de Géraldine Michel, Valérie Zeitoun et Samuel Haddad sur la marque coopérative45. Ils rappellent qu'une des tensions auxquelles une coopérative doit faire face est de prôner la dimension sociale tout en étant lucide sur la réalité du marché, respecter l'idéologie et l'engagement dans un marché compétitif. Il faut ainsi créer une marque associée à de la différenciation par l'apport de sens, créer «un capital marque» qui permet de fidéliser les consommateurs et donc de mieux résister à la concurrence. Il se trouve que les coopératives «incarnent intrinsèquement des valeurs perçues comme positives» (82% des Français y adhèrent, et 91% ont une bonne

43 BECUWE A., CHEBBI H. & PASQUET P. (2020). La gouvernance coopérative, condition du référentiel durable d'une organisation ?. La Revue des Sciences de Gestion, n°306, pp.11-18

44 BODET C. & LAMARCHE T. (2020). Des coopératives de travail du XIXe siècle aux CAE et aux Scic : les coopératives comme espace méso critique. RECMA, n°358, pp.72-86.

45 MICHEL G., ZEITOUN V. & HADDAD S., op. cit

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image des entreprises coopératives, selon un sondage IFOP d'avril 2016). La «bonne» image que peut renvoyer une coopérative se base sur la confiance (crédibilité, bienveillance perçue), l'identification (univers symbolique unique, sens, support d'identification sociale), et l'attachement (relation affective, proximité, valeurs communes). En plus de la bonne image, la coopérative se doit de donner du sens aux collaborateurs afin qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, cela par la signification (co-responsable, valeurs humaines et solidaires des coopératives), la vision (le partage des valeurs donne un sens donc un engagement plus fort des employés), et l'émotion (attachement, identification, fierté à l'extérieur). Une coopérative peut aussi s'appuyer sur son histoire singulière pour se démarquer, et mettre en place «un récit qui fait l'équilibre entre être et faire» comme le fait très bien Railcoop, que cela soit sur son site internet46 ou dans les reportages qui lui sont consacrés comme Envoyé Spécial (voir par ailleurs). Pour les auteurs, les atouts du modèle coopératif sur un marché concurrentiel sont qu'il sait véhiculer des valeurs portées par leurs membres, qui peuvent les transmettre en interne comme en externe, «une synergie se produit lorsque l'organisation, ici une coopérative, développe simultanément des valeurs éthiques et un sens pragmatique des réalités du marché». Railcoop, par la création, la diffusion, la promotion de la marque, notamment en l'associant à plusieurs valeurs et visions, et en se différenciant des autres acteurs du marché, mais aussi des autres coopératives (en étant la première sur le secteur ferroviaire), réussit à s'insérer sur le marché par le biais du marketing, tout en bénéficiant des atouts engendrés par l'image qu'ont les Français de ce modèle. L'entreprise met en avant la «promesse de différence»47 de son projet au regard des projets plus «conventionnels».

C. Les Licoornes: un appui et une source d'inspiration permettant d'apprendre des erreurs des autres

Après les sociétaires, après l'opinion des consommateurs à l'égard de leur initiative, les créateurs de Railcoop peuvent s'appuyer sur leurs homologues: Les Licoornes. Les Licoornes «Coopératives pour la transition»48 (en référence aux Licornes, start-ups du numériques qui visent une croissance rapide de leur chiffre d'affaire) sont un groupe de 9

46 https://www.railcoop.fr/

47 LE VELY R. (2017). Sociologie des systèmes alimentaires alternatifs. Une promesse de différence,Montreuil: Presse des Mines, 202 p.

48 https://www.licoornes.coop/

SCIC françaises (Enercoop, Telecoop, Mobicoop, Commown, Coop Circuits, La Nef, Citiz, Labelemmaüs, et Railcoop). La plupart sont nées bien avant Railcoop et permettent de s'inspirer de leur modèle afin soit de faire mieux en ne reproduisant pas certaines erreurs, soit de s'en inspirer. Cela passe par des sociétariats croisés (Enercoop possède une partie de Railcoop et inversement), des ateliers collectifs, des contributions mutuelles (Enercoop fournit l'électricité à Railcoop qui utilise aussi les services de Telecoop par exemple). La plus grande source d'inspiration, pour Railcoop comme pour les autres, reste principalement Enercoop, qui a connu à peu près la même situation que Railcoop dans le domaine énergétique en s'insérant sur le marché lors de l'ouverture de celui-ci à la concurrence pour proposer la vente et l'achat d'énergie produite à partir de sources d'énergies renouvelables49. Selon Yves-Alain Liénard, Président d'Enercoop Languedoc-Roussillon, la réussite est due à la diversité d'acteurs que sont les producteurs, salariés, consommateurs, et personnes morales, chose que l'on peut retrouver chez Railcoop. Pour Dominique Guerrée, «notre mentor, c'est Enercoop, 40 000 sociétaires, avec leur entrée sur un marché de masse où la distribution s'est libérée, très similaire avec nous.». Marius Chevallier souligne enfin que cela ne s'arrête pas aux Licoornes, mais que c'est «aussi par le mouvement Scop et SCIC, notamment la CGScop (Confédération Générale des Scop et SCIC)», dont Dominique Guerrée est issu. Ces entreprises se retrouvent dans leur «contestation par projet» selon Jérôme Blanc50 et les Licoornes font partie des solidarités nouvelles sur lesquelles les SCIC se basent.

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49 LIENARD Y.-A, op. cit.

50 BODET C. & LAMARCHE T., op. cit.

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Chapitre III - Profiter des failles et mutations des cadres
institutionnels

Forte de ses capacités et des ses particularités, valorisées ou non, la SCIC Railcoop a également profité de certaines failles présentes au sein du marché ferroviaire suite à la mutation de nombreux cadres institutionnels, à commencer par la libéralisation de celui-ci, modifiant ainsi le fonctionnement de nombreux acteurs. Ainsi, comme ce qu'a pu développer Pierre Wokuri au sujet d'Enercoop51, Railcoop a effectué une diversification en se connectant avec des partenaires hors de son secteur, une externalisation en utilisant les décisions de l'Union Européenne pour faire son jeu (1), ainsi qu'une bifurcation en coopérant fortement avec les pouvoirs locaux en manque de service public (2).

1- Le rôle de l'européanisation

Le modèle coopératif, surtout à une échelle nationale, a souvent joué des mutations au niveau européen pour atteindre ses objectifs et pouvoir s'insérer sur certains marchés à sa modeste échelle, utilisant ainsi les opportunités amenées par l'européanisation. Selon Palier et Surel, l'européanisation correspond à «l'ensemble des processus d'ajustement institutionnels, stratégiques et normatifs induits par la construction européenne»52. Le marché ferroviaire a été contraint d'effectuer certains ajustements qui ont bouleversé les cadres du marché (B) suite à la libéralisation encouragée par l'Union Européenne (A).

A. La libéralisation du marché venue de l'Union Européenne

La libéralisation du marché ferroviaire des transports de voyageurs intervenue en France en 2021 est le résultat de 25 années de «temps de négociation très dur et très long»

51 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

52 WOKURI, P. (2021). Comment les nouveaux entrants dans un marché font usage de l'Union européenne ? Le cas des projets coopératifs d'énergie renouvelable. Dans: Politique européenne, prépublication, Paris: L'Harmattan, pp.1-30

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selon Karima Delli53et donc de libéralisation préconisée pour la première fois à Bruxelles dans la directive 91/440 du livre blanc sur le ferroviaire de 199654, en vertu de l'article 3 du Traité Communauté Économique Européenne selon lequel l'UE doit adopter une politique de transport commune55. Comme l'explique Karima Delli, la Commission des Transports et du Tourisme a un rôle de "colégislateur" avec le Parlement, établissant des lois qui s'appliquent aux Etats membres, comme le quatrième paquet ferroviaire de 2013, ensemble de textes relatifs à l'ouverture à la concurrence entrés en vigueur en 2016. Cela avait déjà été effectué quelques années auparavant sur le domaine des télécoms par exemple, ou encore des fournisseurs d'énergie, comme le montrent Bocquillon et Evrard sur le cas d'Enercoop pour qui l'européanisation a été à la fois horizontale et verticale, l'UE faisant pression pour une libéralisation des marchés (ce qui a permis à Enercoop de s'y insérer en brisant le monopole d'Electricité de France), tout en soutenant des initiatives allant vers le développement durable56. Cette européanisation n'a pas eu les mêmes effets partout, le Royaume-Uni ayant opté pour une privatisation complète, pendant que la France a maintenu le plus longtemps possible le monopole de la SNCF, et que l'Allemagne a suivi une voie médiane entre monopole public sur l'infrastructure et libre accès au marché pour les opérateurs, un peu comme ce qui est entrain de se mettre en place en France57. Pour Karima Delli, «certains s'y précipitent, d'autres prennent leur temps pour créer un véritable service public du train», l'UE fixe les cadres, les pays l'appliquent à leur manière. Ainsi Railcoop a attendu que l'Etat décide d'appliquer les directives européennes pour pouvoir s'insérer dans un marché français qui découvrait tout juste l'ouverture à la concurrence, ce qui a eu des conséquences qui ont pu leur être favorables. La SNCF, marquée par ses années de monopole au cours desquelles la concurrence n'était que quelque chose d'étranger, a été obligée de revoir ses plans pour répondre à des exigences de rentabilité d'autant plus contraintes par la dette de l'entreprise qui n'a pas été un si important souci les années précédentes. L'entreprise phare a donc choisi de désaffecter de plus en plus de lignes, de territoires, et de citoyens en demande, ce qui a

53 Entretien avec K.Delli

54 PERENNES P. (2014). Les économistes et le secteur ferroviaire : deux siècles d'influence réciproque. L'Économie politique, n°62, pp.101-112.

55 CALME S. (2008). L'évolution du droit des transports ferroviaires en Europe. Aix-Marseille : Presses universitaires d'Aix-Marseille, 315 p.

56 BOCQUILLON, P. & EVRARD, A., op. cit.

57 MARTIN S., L'ouverture à la concurrence de l'activité ferroviaire: l'exemple allemand, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op. cit.

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laissé le champ libre à d'autres types d'initiatives comme Railcoop qui ont décidé de reprendre ce qui avait été abandonné.

B. Le bouleversement des cadres du marché

Par la libéralisation du marché, l'Union Européenne a donc bouleversé de nombreux cadres établis depuis de nombreuses années, et en France en premier lieu. La SNCF, qui était le premier acteur européen du rail, a vu son monopole en tant qu'opérateur remis en cause, pendant que la gestion des infrastructures reste toujours sous la direction de SNCF Réseau et SNCF Gares et Connexions, gérées par l'Etat. Encore une fois, c'est ici le résultat d'une injonction européenne exigeant l'indépendance du gestionnaire de réseau vis-à-vis de la compagnie ferroviaire historique58, afin d'empêcher la SNCF de définir elle-même les règles du jeu concurrentiel. Dans un tel marché, les préférences des acteurs dominants sont très importantes et peuvent changer en étant influencées par les dynamiques de l'Union Européenne, mais le choix principal revient à l'Etat membre puisque les politiques européennes sont le fruit de compromis et donnent des équilibres fragiles, des injonctions contradictoires, qui font que l'européanisation correspond à ce que les acteurs en font59. Tout dépend donc de ce que l'Etat, la SNCF, ainsi que Railcoop font de tout cela. Aurélien Evrard et Pierre Bocquillon distinguent ainsi trois usages possibles de l'européanisation. Tout d'abord l'usage stratégique qui consiste à mobiliser les ressources légales, institutionnelles ou matérielles offertes par l'intégration européenne, comme ce qu'a fait Railcoop en utilisant l'ouverture à la concurrence. Ensuite un usage de légitimation, qui peut utiliser des arguments et discours produits à l'échelle européenne pour justifier des choix (besoin de plusieurs acteurs pour répondre à toutes les demandes, notamment celle de développement durable par exemple). Enfin un usage cognitif qui permet d'interpréter des problèmes ou des solutions par le biais de cadres intellectuels et de concepts définis ou promus à l'échelle européenne, en se basant sur les exigences de compétitivité, de baisse des prix, ou de rentabilité par exemple dans le cas du marché ferroviaire. Les choix de l'UE peuvent ainsi être utilisés par Railcoop pour développer une stratégie, être légitimés, ainsi que de trouver parfois des explications. Les cadres du marché ferroviaire ont également été modifiés suite à la crise du Covid-19 qui

58 JUVEN, P. & LEMOINE, B. , op. cit.

59 BOCQUILLON, P. & EVRARD, A., op. cit.

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a entraîné de nombreux plans de relance, et une incitation de l'UE, à commencer par la Présidente de la Commission des Transports et du Tourisme, à concentrer les plans de relances sur des secteurs plus «verts» dont le ferroviaire fait partie, Karima Delli saluant le fait que «l'Italie a mis 60% de son plan de relance dans le train, et l'Autriche est devenue leader du matériel roulant sans avoir de constructeur». Railcoop peut donc profiter de ces mutations pour s'insérer sur le marché ferroviaire et exploiter au maximum les possibilités induites par ces changements.

2- Se substituer à un service public absent

Conséquence de la libéralisation, la SNCF n'est plus une entreprise publique et, poussée par des exigences de rentabilité et de compétitivité, a fait le choix de se retirer de nombreuses lignes peu ou pas rentables, laissant ainsi des territoires entiers sans service ferroviaire occupés par des collectivités prêtent à mettre en place une régulation préférentielle pour revoir le train passer (A), une aubaine pour Railcoop qui voyait là des interstices du marché à combler (B).

A. S'appuyer sur des collectivités en demande de service, prêtes à établir une régulation préférentielle

Pour répondre à une demande, il faut des demandeurs, et dans le cas de Railcoop, la demande vient des consommateurs principalement, mais en second lieu viennent les collectivités territoriales, démunies, qui veulent trouver un moyen de répondre à ces mêmes citoyens-consommateurs. Ces collectivités territoriales qui se sentent abandonnées, suite à la fermeture progressive de nombreuses lignes ces dernières années, trouvent en Railcoop une «bouée pour respirer» après avoir été «la tête sous l'eau» selon les dires de Frédéric Laporte60, maire de Montluçon. Un déclin qui se traduit en chiffre puisque, selon l'Autorité de Régulation des Transports (ART), le nombre de gares desservies par un service voyageurs à baissé de 19% entre 2011 et 2019, ce qui porte le total de gares fermées à 544, tandis que 1050 kilomètres de «petites lignes» ont été abandonnées entre 2015 et 2019, soit une diminution de 9% du réseau. Les conséquences sont diverses pour les unes et les autres :

60 Entretien avec F.Laporte

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Montluçon met des heures à rejoindre Lyon ou Bordeaux, «l'Allier est vraiment en plein milieu du désert, au propre comme au figuré» selon Frédéric Laporte, Périgueux est totalement déconnecté de Paris ce qui limite son développement souligne François Carême61, les vols intérieurs sont encouragés, la diagonale du vide se voit renforcée. Cela entraîne enfin une certaine défiance vis-à-vis de la SNCF, en témoigne l'entame de l'entretien avec Frédéric Laporte qui, avant même la première question, disait «Je ne vais engueuler personne à part la SNCF, et ça fait longtemps que je les engueule». Face à cela, beaucoup de collectivités ont décidé d'encourager l'initiative Railcoop en mettant en place de la régulation préférentielle notamment, pas forcément parce que cela rejoint des valeurs qu'ils prônent mais parce qu'elles en avaient besoin, un simple mécanisme de marché. La régulation préférentielle consiste à protéger cette coopérative des concurrents en mettant en oeuvre des instruments particuliers, en leur fournissant des ressources où leur procurant des avantages spécifiques62, procédé qui se rapproche de la discrimination positive. Cela se traduit notamment dans la structure du capital de Railcoop, les collectivités pèsent 733 100 euros (14,88 %) sur les 4 925 500 euros de capital que possède la société, représentant ainsi le deuxième groupe de sociétaires après les personnes physiques (73,37 %) en termes de poids dans le capital au 15 avril 202263. Ce sont ensuite des avantages et ressources matérielles, avec une région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) qui, comme nous signale Dominique Guerrée, Président de la SCIC, a décidé de «faire un prix sur les wagons» et de vendre huit anciens TER d'occasion ou encore la région Nouvelle-Aquitaine qui retire ses TER sur les sillons de Railcoop. Pierre Wokuri illustre cela par la métaphore de la piste cyclable, qui symbolise ces instruments réduisant les handicaps des projets coopératifs qui ne peuvent rouler sur l'autoroute comme les autres concurrents64. Les choses se débloquent aussi entre les collectivités elles-mêmes, et notamment entre les Régions, autorités organisatrices sur service public de transport ferroviaire régional, pour permettre la mise en place de trains interrégionaux. Par exemple, les régions Nouvelle-Aquitaine et AURA collaborent après avoir passé des années à ne pas s'entendre pour des questions de couleur politique (Alain Rousset du Parti Socialiste face à Laurent Wauquiez des Républicains), et cela grâce à Railcoop qui représente une table autour de laquelle ceux-ci peuvent se retrouver. Un climat général résumé par Karima Delli, elle-même conseillère régionale des Hauts de France: « En France il y a un bon accueil de

61 Entretien avec F.Carême

62 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

63 Voir graphique «Capital libéré au 15/04/2022 en euros» en annexe. Source: Railcoop

64 WOKURI, P. (2021), op. cit.

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Railcoop parce que c'est vu comme la coopérative qui va relier des territoires qui ne sont pas reliés, c'est ça la nouveauté. Je comprends qu'elle puisse souhaiter profiter de cette ouverture à la concurrence du marché ferroviaire pour redessiner une carte des transports qui n'existe pas »65. Tout cela est encore une fois permis aussi par le fait que Railcoop ne soit pas une simple coopérative mais particulièrement une SCIC, qui, comme il est écrit dans la loi de 2001 qui crée ce statut «se distingue d'une coopérative classique en ce que son but n'est pas seulement la satisfaction de ses propres adhérents ou associés, mais celle d'un plus large public dont elle vise à satisfaire les besoins»66. Une SCIC vise l'intérêt collectif, remplissant ainsi l'ancien rôle de l'Etat sur ces territoires et suscitant ainsi la bonne volonté des collectivités à favoriser cette société, c'est une aide mutuelle.

B. L'insertion sur des interstices du marché, espaces délaissés par les autres acteurs et par l'Etat

Railcoop se rapproche de collectivités délaissées par les autres acteurs du marché tout en portant ses objectifs sur des espaces délaissés par ces mêmes acteurs et les services publics, ayant ainsi un champ libre où la concurrence n'est pas féroce voire inexistante, parfois considéré comme un marché secondaire ou comme un espace où l'on devient complémentaire plutôt que concurrent. Ces espaces sur lesquels ce nouveau modèle peut se développer sont qualifiés d'interstices du marché par Pierre Wokuri, qui avait travaillé sur Enercoop et son développement sur la partie énergies renouvelables du marché de l'électricité, sur les failles du marché67. D'après lui, sans ces interstices, le coopératif ne peut pas exister sur ce type de marché libéral concurrentiel. Dans le cas de Railcoop, ce sont les 20 000 kilomètres de rails qui ne sont plus desservis, abandonnés par la SNCF, ce sont les 40% des liaisons intercités qui ont été abandonnées par la SNCF, c'est le développement du fret ferroviaire qui stagne en-dessous de la barre des 10% des marchandises transportées pendant que la moyenne européenne est à plus de 18%, et ce pour plus de rentabilité, pour moins d'Etat providence et plus de compétitivité, participant à une centralisation dans ce domaine. Railcoop a donc décidé de faire reprendre vie à ces espaces du marché délaissés par le monde

65 Entretien avec K.Delli

66 DRAPERI J.-F. et MARGADO A. , op. cit.

67 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

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du ferroviaire, mais ses dirigeants et sociétaires insistent bien sur le fait que cela s'effectue dans un objectif de complémentarité et non de concurrence de la SNCF. Dans une interview en janvier 2021, Alexandra Debaisieux, co-directrice, expliquait bien que le service de Railcoop venait «en complémentarité du service public, on ne veut pas prendre des parts de marché aux acteurs existants»68. Une cible partagée par son frère, Nicolas Debaisieux, directeur de Railcoop: «Nous n'allons pas nous positionner sur des délégations de service public. L'idée n'est pas de concurrencer la SNCF, mais bien d'ouvrir les lignes abandonnées»69, et par Marius Chevallier, sociétaire : «on va juste là où personne ne se met»70 . Dominique Guerrée faisait d'ailleurs état de la situation dans laquelle se trouvent les secteurs où Railcoop compte réaliser ses projets, où plusieurs citoyens, collectivités, entreprises, voient leur arrivée d'un très bon oeil pour le développement local: «Cela fait 40 ans que les collectivités écrivent au Ministère des Transports, à l'Etat...etc parce que le train ne dessert pas telle gare et qu'on enlève de plus en plus de services. C'est lettre morte, il ne se passe rien. Là il se passe quelque chose de concret, où les citoyens se sont retroussés les manches»71 . Cet apport de service, la SCIC du Lot compte également le réaliser dans le secteur du fret, domaine très peu exploité en France comme le déplore Karima Delli : «Déjà en 2007 au Grenelle de l'environnement où j'étais on disait que d'ici 2020 il fallait atteindre minimum 14% de fret, en 2022 nous sommes à 9%, et ce n'est même pas la moyenne européenne qui est de 18%. A chaque fois on se dit «c'est quand même dingue, on a tout pour réussir, pourquoi ça ne marche pas ?». Parce que les politiques publiques considèrent que ce n'est pas une priorité»72. Un constat partagé à Périgueux par François Carême pour qui «la SNCF est complètement déficiente en matière de fret. Parce que là aussi on ponce la SNCF pour faire du fret mais elle ne le fait pas. Dans le fret on a toujours été mauvais»73. C'est dans cette optique que la première ligne lancée par Railcoop est une ligne de fret qui réalise le trajet entre Figeac et la zone industrielle de Saint-Jory près de Toulouse depuis le 15 novembre dernier. En (re)proposant ces nouveaux services, ce projet peut aussi amener l'ensemble du secteur à repenser la manière de faire et à modifier certains cadres du marché au point de les rendre peut-être un jour des espaces concurrentiels importants. Selon

68 Radio Présence. Emission Sujet du Jour du 20 janvier 2021.

69 PUIG A. (2020). Ils veulent gagner la bataille du rail !. DARD/DARD, n°4, pp.140-147.

70 Entretien avec M.Chevallier

71 Entretien avec D.Guerrée

72 Entretien avec K.Delli

73 Entretien avec F.Carême

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Yves-Alain Liénard, Président d'Enercoop Languedoc-Roussillon, «La SCIC ne remplacera pas le service public dans toutes ses variétés, mais elle peut permettre une évolution de celui-ci par une réappropriation par chacun des enjeux, de la réflexion, de l'adaptation au territoire»74.

Etude de cas: la ligne Bordeaux-Lyon

Afin de mieux comprendre plus concrètement les moyens qu'utilise Railcoop afin de s'insérer sur le marché ferroviaire, le choix a été fait de prendre pour exemple la ligne Bordeaux-Lyon, première ligne de transport de voyageurs en projet de Railcoop, autour de laquelle le projet de la société en elle-même s'est véritablement monté. En 2004, le train Bordeaux-Lyon qui passait par Périgueux a été supprimé, et depuis 2014, il est impossible de rejoindre les préfectures de Gironde et du Rhône par voie ferrée, laissant de nombreux territoires tels que l'Allier, la Creuse, ou encore la Haute-Vienne, totalement démunis après 143 ans d'existence de cette ligne structurante pour cette partie du pays. Au train se sont substitués l'avion (ligne d'avion la plus fréquentée de France) ou encore la voiture, mais il est désormais impossible de rejoindre les deux villes en train sans passer par Paris. Par exemple, pour aller de Limoges à Bordeaux un changement est obligatoire à Périgueux, et pour aller de Limoges à Lyon, deux changements sont nécessaires puis il faut prendre un bus, de quoi en dissuader plus d'un. François Carême a constaté les dégâts de la suppression du Bordeaux-Lyon, «ça a été une vraie catastrophe quand il a été supprimé. Pas tant pour les gens de Périgueux mais pour avoir de la transversalité en France»75. Frédéric Laporte, maire de Montluçon se souvient: «J'ai été étudiant comme vous, j'ai redoublé mon bac à Guéret c'était la ligne Bordeaux Lyon, j'ai fait une prépa à Limoges c'était la ligne Bordeaux Lyon, j'ai aussi été étudiant à Clermont et je prenais la ligne Bordeaux Lyon, après j'ai été 3 ans à Lyon c'était la ligne Bordeaux Lyon. C'était une ligne extrêmement structurante pour l'ensemble des territoires du centre. Cela change tout. Très clairement, cela a une attractivité. Économique un peu, parce que c'est plus facile. Ensuite, cela a surtout une importance pour développer nos formations, les étudiants sont plutôt friands du train, le temps est moins

74 LIENARD Y.-A, op. cit.

75 Entretien avec F.Carême

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important pour eux, et au niveau de la formation sur Montluçon on va de la maternelle aux ingénieurs et doctorants»76. Les éléments étaient donc réunis: collectivités prêtes à donner de l'aide pour retrouver cette ligne, des interstices délaissés sur lesquels s'insérer, un ressenti au quotidien de l'abandon par les habitants, un projet emblématique permettant de renforcer l'image de marque mais aussi la légitimation en se donnant une envergure nationale. Le projet a alors tout de suite plu, les collectivités et les citoyens, cibles de Railcoop, étaient atteints, et cela s'est traduit par une augmentation des adhésions sur les territoires où la ligne devrait passer à l'avenir (principalement en Gironde et dans le Rhône, voir cartes ci-dessous77) ainsi que par la présence de nombreuses collectivités (voir liste en annexe) «qui ont tout de suite compris l'intérêt qu'il pouvait y avoir à un train dans ces territoires» selon Dominique Guerrée. Railcoop annonce déjà un trajet en 6h47 avec un billet entre 30 et 40 euros, un peu sur le modèle des intercités de la SNCF.

Tracé de la ligne Bordeaux-Lyon imaginé par Railcoop, reprenant grandement le tracé utilisé jusqu'en 2014

L'ouverture de cette ligne n'est cependant pas gagnée d'avance et, alors qu'elle devait ouvrir en janvier 2022, le lancement a connu deux reports, d'abord en juin 2022 puis finalement en décembre 2022 pour des raisons techniques. En effet, c'est pour Railcoop le projet emblématique, et la SNCF ne leur facilite pas la tâche comme il sera constaté plus tard dans ce mémoire. La première proposition n'avait pas fonctionné car, en octobre 2021, seules 55% des lignes avaient été pourvues par SNCF Réseau, 34% de manière non conforme aux attentes de Railcoop, et 11% sans réponse. La SNCF leur proposait de leur laisser à

76 Entretien avec F.Laporte

77 Source: Railcoop

disposition des lignes qui s'arrêtaient à Libourne pour Bordeaux et à Roanne pour Lyon, avec des bus en complément, ce qui n'était pas du goût des sociétaires. Il n'apparaît donc pas que la SNCF ait vu Railcoop comme un outil complémentaire. Cette ligne est véritablement vue comme un baptême par les dirigeants de Railcoop, un test qui, s'il réussit, ouvrira la voie à l'ensemble des autres projets prévus pour 202478.

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78 voir carte en Introduction

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Chapitre IV - Un travail de légitimation

Après avoir usé des particularités du modèle de SCIC et identifié une cible atteinte que sont les espaces délaissés du marché, il s'agit de se rendre crédible aux yeux de tous, devenir un acteur reconnu par les autres. Cela passe par un travail important de légitimation qui amène à finalement utiliser des procédés similaires aux autres acteurs basés sur un modèle plus commercial (1), puis à obtenir le maximum de soutien au sein du secteur ferroviaire (2).

1- Travailler la crédibilité par le pouvoir d'orientation en usant de procédés similaires aux acteurs privés

Travailler la crédibilité passe par différents critères à remplir qui sont indispensables pour entrer et être reconnu sur le marché, reconnu comme un acteur ferroviaire tout aussi légitime que les autres. Cela passe d'abord par une certaine rigueur technique et financière pour remplir les conditions d'entrée (A), mais aussi par l'imagination d'une stratégie économique solide, une sorte de business plan, procédé finalement assez similaire à ceux utilisés par les autres acteurs plus classiques du marché (B).

A. La rigueur pour obtenir les différents avals des autorités compétentes

En premier lieu, pour pouvoir être considérée comme une entreprise tout aussi légitime que les autres à exploiter le réseau ferroviaire, Railcoop a dû remplir nombre de critères techniques, financiers, sécuritaires, et montrer patte blanche face à d'éventuelles destructions de service public, afin d'être validée par les autorités du secteur. Financièrement, il était tout d'abord obligatoire de posséder un capital d'1,5 millions d'euros avec, à côté, un groupement d'assurance couvrant les risques à hauteur de 45 millions d'euros, ce pour demander puis obtenir la licence d'opérateur ferroviaire79, chose faite en septembre 2021. En effet, par un arrêté du 14 septembre 2021, l'Autorité de Régulation des Transports a déclaré «Il est délivré à la société Railcoop une licence d'entreprise ferroviaire valable pour effectuer

79 Autorité de Régulation des Transports, Décisions n°2021-063 du 2 décembre 2021

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du transport de marchandises et de traction seule». Restait maintenant à obtenir ce droit pour le transport de voyageurs, et ce ne fut pas aussi aisé, des enjeux de sécurité plus élevés rentrant en compte, devenant ainsi une cause du report du lancement de la ligne Bordeaux-Lyon. Jérémy Aubry, directeur de la sécurité de Railcoop, explique bien qu'il y a «l'évolution sur l'activité voyageurs que l'on souhaite à nouveau obtenir au niveau de l'EPSF (Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire) courant 2022. Il faudra déposer un nouveau dossier pour cette activité et on n'a vraiment pas le droit à l'erreur». L'ART a déjà donné son feu vert pour l'exploitation de Bordeaux-Lyon et d'une dizaine de lignes dans les prochaines années, mais pour chacune d'entre elles, Railcoop devra faire un nouveau dossier. La tâche est d'autant plus compliquée que la coopérative du Lot est un nouvel acteur, avec un nouveau modèle, intriguant, ce qui pousse l'ART ou l'EPSF à être encore plus rigoureux qu'avec des acteurs historiques plus importants tels que la SNCF ou Renfe. Malgré que l'ART ait conclu à l'équilibre économique des projets de Railcoop, elle reste très attentive à d'autres critères. Dominique Guerrée a bien constaté que «L'ART nous a très bien accueillis, mais c'est surtout administratif, ils sont très regardant. C'est pareil pour l'EPSF, l'Etablissement Public de la Sécurité Ferroviaire, pour avoir le certificat de sécurité, ils ne nous l'ont pas donné d'entrée de jeu comme à d'autres sur le territoire français entier, ils nous le donnent petit bout par petit bout. Ils sont très prudents face à nous, plus que face à d'autres.»80. Mais pour le moment, Railcoop passe toutes les étapes petit à petit sans réelles embûches, en maintenant une grande rigueur dans l'ensemble du processus, en témoigne l'absence d'incidents et de retards depuis le lancement de la ligne de fret entre Figeac et Saint-Jory. Pour Dominique Guerrée, Railcoop, grâce à cette ligne «devient de plus en plus crédible, c'est rassurant pour tout le monde et notamment l'EPSF». Ainsi, ce n'est pas seulement l'entreprise en elle-même qui est crédibilisée et légitimée, mais c'est aussi le modèle de la SCIC et son fonctionnement. La suite est un cercle vertueux, la crédibilité permettant d'obtenir toujours plus de soutiens, financiers notamment, ce qui rend l'acteur encore plus solide et lui permet d'établir de plus en plus de projets, qui touchent une part croissante de la population, et ainsi de suite....

B. L'établissement d'un business plan solide grâce à des acteurs spécialisés

80 Entretien avec D.Guerrée

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Afin de gagner en crédibilité, une entreprise classique doit gagner en solidité, économique et structurelle. Ainsi, coopérative ou non, un exploitant du secteur ferroviaire reste une entreprise privée qui doit établir des objectifs et la façon de les atteindre. Dominique Guerrée, le Président de Railcoop, n'hésite d'ailleurs pas à qualifier le procédé de «business plan», terme plus classiquement utilisé dans le vocabulaire néo-libéral que le modèle coopératif combat justement. Mais pour être légitimé par les autres acteurs il faut parfois passer par des procédés similaires à ceux que ceux-ci utilisent. Certains chercheurs affirment d'ailleurs que le sociétariat peut aussi amener à fonctionner de manière classique capitaliste car on est obligé de s'intéresser aux sociétaires qui sont comme des actionnaires81. Les créateurs de Railcoop ont donc pensé le modèle en amont afin de bien cerner les cibles à atteindre, la demande (transport de produits de façon flexible, éthique, écologique), les risques possibles et les vecteurs de facilitation, notamment sur le plan économique, tout en reconnaissant leur spécificité et les risques que cela leur fait prendre. Pierre Wokuri appelle cela le travail d'instrumentation qui consiste à faire accepter la spécificité de l'initiative, puis les faiblesses et désavantages qu'elle peut entraîner, et enfin la demande d'instrument d'aménagement82. Mais Railcoop compte bien être considéré comme les autres et ne pas forcément user de pitié. Ainsi une association de préfiguration a été créée avant que Railcoop ne soit lancée afin de «voir si le projet était viable, possible, quels étaient les risques et quelle était la marche à monter pour aller à ce stade»83 explique Dominique Guerrée. Les associés ont réalisé des études comparatives, des budgets prévisionnels en prenant en compte l'ensemble des paramètres en ne se cantonnant pas au secteur ferroviaire. «On s'est basé sur ce qui existait en vols intérieurs, les grandes transversales qui ne passaient pas par Paris, les bus Macron, le covoiturage. C'est là-dessus que l'on veut capter du flux. Est alors apparue l'évidence de la ligne Bordeaux-Lyon, grâce à une petite étude de marché.». Ensuite, aucun investissement n'est laissé de côté, afin de limiter au maximum les risques financiers, notamment en achetant des wagons d'occasions dans les pays de l'Est (République Tchèque, Slovaquie), Railcoop ayant un budget de 5 millions d'euros pour dix rames pendant qu'une rame neuve compte 13 millions d'euros en France. La société lotoise s'appuie également sur des infrastructures déjà existantes, ce qui limite l'investissement. Tout cela a été pensé avec la constitution d'équipes qualifiées et diversifiées, avec de nombreux collaborateurs et sociétaires qualifiés dans plusieurs domaines. Axel Puig, dans un article de la revue

81 BECUWE A., CHEBBI H. & PASQUET P., op. cit.

82 WOKURI, P. (2021)., op. cit.

83 Entretien avec D.Guerrée

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DARD/DARD84 écrivait d'ailleurs que l'on trouve à Railcoop «des gens très compétents, des acteurs du monde du rail, de l'économie sociale et solidaire, de l'aménagement du territoire et de la transition écologique». Le Directeur Général, Nicolas Debaisieux, était haut fonctionnaire au Ministère de la Transition Écologique et à l'Union Européenne. La Co-Directrice, Alexandra Debaisieux, a fait Science Po avant de se lancer dans le Conseil en financement européen. Dominique Guerrée, Président, était gérant d'une coopérative en Auvergne, et administrateur de l'Union Régionale des SCOP Auvergne depuis les années 2000. Le directeur de la sécurité, «une pointure» selon Dominique Guerrée, Jérémy Aubry, à quant à lui travaillé à la SNCF auparavant, et de plus en plus d'anciens de la SNCF viennent rejoindre les rangs de Railcoop. Tout cela crée une équipe diversifiée et qui peut s'enrichir mutuellement de leurs différentes expériences, sans être forcément spécialistes du ferroviaire, ce qui peut créer un avantage comparatif par rapport aux autres. Malgré tout, ce principe du business model appliqué à une coopérative ne plaît pas à tout le monde. A Périgueux, François Carême affirme que «Certains disent que Railcoop fait un premier jet sur des lignes aujourd'hui non-couvertes par la SNCF mais du coup c'est pour créer un business model qui voudra se mettre en concurrence derrière.»85.

2- Se faire reconnaître par les autres acteurs pour parfois bénéficier de protection

Après avoir été reconnu par les autorités, il s'agit aussi de passer pour un opérateur ferroviaire classique aux yeux des autres, sans pour autant paraître une menace au risque de se voir jeter des bâtons dans les roues (A). Tout cela est facilité par le fait que Railcoop, par son particularisme coopératif, convainc plus facilement les élus de tout bord, ce qui constitue un soutien de poids, aussi bien au niveau local que national ou européen (B).

A. Obtenir la reconnaissance par les acteurs du marché en se montrant bienveillant, pour arriver à la table des négociations

Un des enjeux pour Railcoop afin de réaliser ce travail de légitimation est d'être reconnu par les autres acteurs du marché comme un véritable opérateur ferroviaire, pas

84 PUIG A., op. cit.

85 Entretien avec F.Carême

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seulement un acteur associatif. Des points de réussite importants apparaissent comme la participation de certains autres opérateurs ferroviaires au lancement de Railcoop par l'achat de parts, ou encore l'adhésion du syndicat Sud Rail au projet avec la volonté d'échanger avec Railcoop. Par ailleurs, en ce sens, la communication de la SCIC est très lisse et docile envers la SNCF, acteur majeur du secteur ferroviaire, et insiste beaucoup sur la coopération, la complémentarité, et non la concurrence. Il sera vu plus tard que cela n'est pas forcément réciproque. Dominique Guerrée ne ménage pas les éloges, qualifiant la SNCF de «très belle entreprise, très bien organisée, avec de très belles choses» et notamment SNCF Réseau avec qui «ça se passe bien»86. Michael Laplantine, Directeur adjoint de Railcoop à la sécurité ferroviaire dit bien «je défendrai toujours un peu la SNCF»87. Nicolas Debaisieux, insiste bien: «On est pas concurrent de la SNCF, on profite de l'ouverture du marché pour concurrencer la route»88. Idée partagée par Dominique Guerrée: «On est tous convaincus du service public chez Railcoop [...] Nos plus grands concurrents sont la route et l'avion». Par le travail politique d'instrumentation évoqué par Pierre Wokuri (voir par-ailleurs), Railcoop cherche à se faire reconnaître et à ce que les autres opérateurs ferroviaires la perçoivent comme un acteur différent par sa particularité coopérative, ce afin d'être plus facilement accepté. Une stratégie qui semble porter progressivement ses fruits puisque les représentants de la société se font progressivement une place de plus en plus grande à la table des négociations, et ce suite à tout le travail réalisé en amont. «On apprend à faire sa place et maintenant que l'entreprise existes toujours, qu'on en parle, on commence à être écoutés, mais il faut quand même jouer des coudes, c'est de la négociation, ce sont des affaires, ce n'est pas tout rose», affirme Dominique Guerrée. La chargée de communication de la coopérative, Olivia Wolanin, souligne que les négociations avec SNCF Réseau «se sont considérablement améliorées et vont dans le bon sens», selon elle grâce au fait que Railcoop est "officiellement une entreprise ferroviaire avec une licence et un certificat de sécurité». Cependant, Railcoop n'a pas toujours son mot à dire. Avec les acteurs plus importants, quand deux trains passent à la même heure, c'est Railcoop qui doit décaler son horaire et non un TER par exemple. Karima Delli tend également à ménager tout cela et rappelle bien que si le modèle marche, c'est bien parce que «Railcoop ne va jamais se substituer sur les lignes

86 Entretien avec D.Guerrée

87 CHEVIRON, N. (2021, 19 novembre). Railcoop : la relève citoyenne de la SNCF est sur les rails. Mediapart.

88 GRELIER, A. (2021, 3 mai). Railcoop : la coopérative qui veut faire revenir le train dans les campagnes. Radio France.

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rentables, ce n'est pas du tout le même marché»89. Tout l'enjeu est donc de paraître le moins menaçant possible, afin d'obtenir quelques concessions et pouvoir mener à bien le projet.

B. Des soutiens politiques importants et nombreux

Enfin, un atout majeur de la nouvelle coopérative ferroviaire est le fort soutien à l'initiative dont témoignent de nombreux élus à travers l'ensemble du territoire. Maintenant que Railcoop veut ouvrir des lignes dans toute la France, de nombreux territoires entrent en compte, avec, la plupart du temps, un accueil très positif, quelle que soit la couleur politique. Si cet engouement existe, c'est aussi et surtout par le modèle coopératif. Celui-ci apparaît ici comme un atout majeur alors qu'il est parfois une difficulté face aux autres opérateurs dans le cadre plus commercial. La légitimation passe par le fait de démontrer la dimension alternative du projet coopératif pour fédérer un maximum d'acteurs divers autour de celle-ci, et en premier lieux les élus, ce qui permet ensuite d'être soutenu et de bénéficier de protection90 comme vu précédemment avec la régulation préférentielle. La particularité de la SCIC, qui veut servir à la fois l'intérêt collectif de ses propres membres mais aussi du territoire, est ici un hameçon très efficace face aux élus. Le soutien est d'abord financier, avec par exemple une ville de Montluçon qui a contribué à hauteur de 30 000 euros au projet, ou la communauté de commune du Grand Périgueux à hauteur de 15 000 euros, le plus gros sociétaire étant la région Grand-Est. La participation est ensuite plus morale, avec un soutien affiché par de nombreux élus, et ce quelle que soit la couleur politique. La première à avoir soutenu le projet est Véronique Pouzadoux (Les Républicains), maire de Gannat dans l'Allier, qui fait aujourd'hui partie du Conseil d'Administration de la société. François Carême (Europe Ecologie Les Verts), adjoint aux mobilités de la commune de Périgueux: «au Conseil communautaire il y a de tout, gauche et droite, et tout le monde avait voté la subvention»91. Constat également réalisé à Montluçon par Frédéric Laporte (Les Républicains, qui avait appelé tous les sociétaires à écrire au Ministre des Transports) où «ça a été voté à l'unanimité dans [le] Conseil Communautaire de 64 élus»92. Par ailleurs, les représentants de la coopérative ont été reçus par l'ensemble des députés de la ligne

89 Entretien avec K.Delli

90 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

91 Entretien avec F.Carême

92 Entretien avec F.Laporte

Bordeaux-Lyon à l'Assemblée Nationale, mais aussi plusieurs fois avec le Ministre des Transports Jean-Baptiste Jebbari (La République En Marche). Le soutien est aussi présent au niveau de l'Union Européenne avec Karima Delli qui raconte et se rappelle de sa première rencontre avec Railcoop: «Railcoop, à ses prémices, on s'est vus. On a pris le temps de se connaître, et je leur ai dit "bougez vous, bougez vous parce que votre modèle qui rassemble aujourd'hui des citoyens, des entreprises, des collectivités, montre que la coopération, les systèmes coopératifs, sont un levier d'action pour demain»93. Tout cela a des conséquences très vertueuses pour l'entreprise afin d'être de plus en plus influente, reconnue dans les milieux de décision, comme l'explique Dominique Guerrée «Concrètement, cela nous donne plein de contacts, de relations, de lobby, de la discussion qui peut aider sur des règles, des choses à faire». Par sa particularité basée sur l'intérêt collectif et l'identification d'une cible pertinente, Railcoop a su trouver en ces élus un soutien important pour jouer à l'ensemble des échelles de décision.

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93 Entretien avec K.Delli

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Chapitre V - Les freins liés au fonctionnement et à la taille du modèle coopératif

Dernière étape avant de tirer le premier bilan de ces recherches. Après avoir vu comment le modèle coopératif pouvait s'insérer sur un marché concurrentiel par la fenêtre d'opportunité, l'exploitation des failles du marché et des cadres institutionnels, et par un travail de légitimation, il s'agit de voir ce qui pourrait faire que ce modèle n'arrive pas à rester sur cet espace à l'avenir. Quels sont les risques et les défis qui se présentent à Railcoop ? Le fonctionnement de la SCIC a ses inconvénients (1), mais c'est aussi la petite taille de l'entreprise qui peut la rendre vulnérable face à d'autres mastodontes et en premier lieu la SNCF (2).

1- Le fonctionnement de la SCIC a ses inconvénients

Le premier facteur qui pourrait poser problème au développement de Railcoop est peut-être finalement Railcoop en elle-même. En effet, par son modèle de SCIC qui se veut participatif, ne recherchant pas nécessairement la rentabilité, la société peut entraîner certains vecteurs de ralentissement. D'abord par le système de décision collective, qui ralentit quelque peu l'action par moment (A), ainsi que les coûts supplémentaires que cela engendre pour entrer sur le marché lorsqu'on est une SCIC et que les rentrées d'argent, les flux de revenus, ne sont pas encore assurés (B).

A. Une action plus lente

Tout d'abord, par son essence même, la SCIC peut avoir des désavantages. En effet, la prise de décision collective, avec le principe «d'une personne = une voix» ralentit forcément le processus de décision par rapport à une entreprise plus classique où les actionnaires décident des orientations à prendre. Le multisociétariat est à la fois une force, comme il a été vu auparavant, mais peut aussi s'avérer par moment être une faiblesse. Il faut concilier différentes catégories d'associés (collectivités, personnes physiques, personnes morales, entreprises, salariés...etc), avec des rapports au projet, des attentes, des objectifs et des façon de voir les choses très différents en fonction des sociétaires. Pour Jean-François Draperi et Alix Margado, l'animation d'une SCIC est, plus souvent qu'on ne le dit, une question

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d'éducation populaire plutôt que de management d'entreprise94. Marius Chevallier résume la situation : «prendre une décision à deux ou trois dans un cabinet ça va assez vite, mais quand il faut prendre le temps de s'informer, de collecter des informations et de consulter des dizaines et centaines de personnes, c'est beaucoup plus long»95. Mais cela renforce la solidité des décisions selon Dominique Guerrée qui ajoute que «Les salariés vont aller dans un sens, les collectivités dans un autre, le collège des citoyens dans un autre, puis on réfléchit et on cherche une solution de compromis, par conséquent solide et qualifiée.» 96. Il faut aussi faire face aux critiques qui peuvent être faites quand, pour être plus efficace, l'entreprise participe un peu plus aux systèmes du marché. La culture de la SCIC est structurée par le compromis constant, entre motivations idéologiques et contraintes économiques, mettant ainsi en tension innovation et imitation, critique et participation au marché97. C'est notamment une question centrale dans le cas des salariés. Pour limiter les coûts, peu de salariés sont embauchés, mais ceux-ci sont très enthousiastes au départ, car sont à la fois salariés et militants (ce que l'on retrouve souvent dans ces modèles), au point de parfois s'épuiser, ce qui fait perdre en efficacité à la société à court terme. Le collectif donne donc plus de poids à chaque décision, mais, comme dans toute organisation collective, la décision est donc plus longue à prendre pour permettre la culture du compromis, ce qui peut faire prendre une longueur de retard sur certains concurrents. La question est de savoir quelle est la meilleure solution à long terme entre des décisions prises lentement mais collectivement et des décisions prises rapidement par un petit groupe ou une personne.

B. La question budgétaire, assurer les coûts plus lourds de participation au marché dans l'attente de la garantie d'un flux de revenu

L'un des piliers du fonctionnement d'une société est ensuite sa solidité et stabilité économique et financière, et cela est plus ou moins facile pour le modèle coopératif qui, encore une fois, a dans ce domaine ses forces et ses faiblesses. Les défis sont multiples pour Railcoop qui doit, avec un capital limité, trouver l'équilibre économique en relançant des lignes qui avaient été abandonnées parce qu'elles n'étaient justement pas rentables. La tâche

94 DRAPERI J.-F. et MARGADO A., op. cit.

95 Entretien avec M.Chevallier

96 Entretien avec D.Guerrée

97 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

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n'est pas des plus faciles lorsqu'il faut s'insérer sur un marché où d'autres opérateurs sont déjà présents, tels la SNCF, la Deutsche Bahn, ou Trenitalia, qui, comme le souligne le Président de Railcoop, «sont déjà costauds dans leur pays», «ont des ressources et compétences fortes, sont historiques, ont les reins solides». Par ailleurs, comme le démontre Pierre Wokuri dans sa thèse sur les projets coopératifs dans le domaine des énergies renouvelables98, les coûts de participation au marché pour une coopérative peuvent être plus lourds que pour les autres. Il veut évoquer par là les coûts liés aux formes de participation (les actions de 100 euros maximum par exemple), les coûts liés aux ressources matérielles et économiques nécessaires pour participer et exercer un pouvoir de contrôle, ceux liés à la forme de l'organisation du processus de participation (action plus lente comme évoqué ci-dessus), enfin les coûts pour franchir les différentes étapes (autorités très pointilleuses pour passer les tests techniques par exemple). Tout cela laisse certains, comme François Carême, assez sceptiques : «c'est quand même simplement de mettre quelques trains sur une ligne. A mon avis, ils vont avoir du mal à boucler leur business model»99. D'autres, comme Frédéric Laporte, attendent de voir : «Il va déjà falloir commencer par le [le Bordeaux-Lyon] faire rouler et trouver un bon équilibre»100. D'un autre côté, le fonctionnement de la coopérative, peut s'avérer être un atout, notamment pour l'indépendance de la société, puisque l'affectation d'une très grande partie du résultat aux réserves indéfiniment impartageables et inaliénables consolide l'autonomie financière et l'indépendance de Railcoop, et l'interdiction d'intégrer ces réserves dans le capital social préserve la SCIC de la pression des spéculateurs101. Pour le moment, comme l'indique Dominique Guerrée, l'entreprise est déficitaire, car «comme toutes les start-up, il n'y a pas de recettes, il n'y a que des dépenses. C'est pour ça qu'il faut avoir un capital fort aussi, et les bénéfices viendront compenser ce déficit». Le défi des prochaines années sera donc de ne pas creuser indéfiniment ce déficit et de commencer réellement les activités afin de revenir à l'équilibre, d'autant plus que le nombre de collectivités et de sociétaires n'est pas infini. Tout repose donc sur la réussite ou non du lancement de la ligne Bordeaux-Lyon. Un objectif qui n'est pas forcément facilité par la structure d'une SCIC qui engendre des coûts plus importants, notamment par plusieurs de ses modes de fonctionnement. Mais il est à rappeler que l'objectif principal d'une telle

98 Ibid.

99 Entretien avec F.Carême

100 Entretien avec F.Laporte

101 DRAPERI J.-F. et MARGADO A., op. cit.

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société, qui, par essence, vise l'intérêt général, n'est pas nécessairement une forte rentabilité, d'autant que les sociétaires ne sont pas comparables à des actionnaires et ne vont pas pousser pour avoir de plus en plus de réussite et de dividendes. Mais, par sa jeunesse, et, comme il va être vu prochainement, par sa taille, la solidité et la pérennité financière sont plus difficiles à atteindre pour Railcoop que pour les autres.

2- Une société encore vulnérable par sa taille et par la structure du marché

Autre obstacle à passer, même lorsqu'on est une SCIC et que l'on est protégé par un certain nombre d'acteurs publics et privés du secteur : la subsistance de l'influence du géant qui monopolisait l'exploitation du réseau qu'est la SNCF. Celle-ci peut en effet s'avérer être un veto-player à tout moment et par plusieurs moyens (A), et reste très présente et influente dans l'opinion, les pouvoirs publics, certaines collectivités locales, suscitant parfois des méfiances vis-à-vis de Railcoop (B).

A. Les veto-players

Dans un marché où existait un monopole fort, celui-ci ne disparaît pas du jour au lendemain, et l'acteur qui possédait ce monopole peut alors devenir un veto-player par sa puissance. Les veto-players, terme développé par George Tsebelis102, sont des acteurs dont l'accord est essentiel pour réaliser un changement, un projet, des acteurs sans lesquels l'avancée n'est pas possible, avec lesquels il faut s'accommoder et être en bon terme103. C'est toujours une des menaces importantes pour les modèles coopératifs, naissant, comme cela a pu être constaté sur le marché de l'énergie lors de son ouverture à la concurrence avec plusieurs mécanismes typiques des veto-players mis en place par Electricité de France vis-à-vis d'Enercoop. Comme dans l'énergie, le secteur ferroviaire reste un secteur assez fermé, peu concurrentiel, avec une hégémonie de la SNCF, ce qui peut parfois être défavorable à Railcoop. Le Goliath SNCF est parfois réticent à l'apparition du David Railcoop, pas tant pour le fait que la coopérative va lui prendre certains voyageurs, mais pour

102 TSEBELIS G. (1995). Decision Making in Political Systems: Veto Players in Presidentialism,

Parliamentarism, Multicameralism and Multipartyism. British Journal ofPolitical Science, Vol. 25 (3), pp. 289-325

103 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

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l'image que cela pourrait potentiellement renvoyer, exposant indirectement les faiblesses et les lacunes du géant du rail, notamment en montrant qu'il est faisable de faire passer un train là où la SNCF ne le faisait plus passer. Ainsi, Railcoop a par exemple besoin d'accords de la part de SNCF Réseau pour ouvrir certaines portions de lignes, de SNCF Gares de Connexions pour avoir une place dans les gares, de SNCF Voyageurs pour acheter des wagons, qui appartiennent financièrement aux Régions, mais matériellement à SNCF Voyageurs. Comme vu auparavant, si le Bordeaux-Lyon a été retardé deux fois, c'est parce que SNCF Réseau n'avait accordé que 50% des sillons demandés par Railcoop. Par ailleurs, SNCF Voyageurs a laissé duré l'achat des rames, en mettant quatre mois à octroyer les wagons à Railcoop parce que celles-ci possédaient un système de signalisation qui était leur propriété intellectuelle. Malgré la bienveillance affichée continuellement par Railcoop, Dominique Guerrée explique que « Les autres ne sont pas indifférents, il y a toujours une contre-attaque, même si Monsieur Farandou, le PDG du groupe SNCF, dit qu'il nous aime bien mais qu'on n'y connaît rien en ferroviaire, comme si on était des doux rêveurs. On l'a rencontré, il y a quand même une légère condescendance. Mais les freins ne viennent pas forcément de la direction mais parfois de directions régionales, qui par exemple ne veulent pas nous vendre de matériel par peur de se tirer une balle dans le pied. «. Une attitude de la SNCF qui ne laisse pas indifférent d'autres élus qui ont moins besoin de bien s'entendre avec le géant du chemin de fer. Ainsi Frédéric Laporte, maire de Montluçon, pour qui «la SNCF est en permanence un frein», ne les ménage pas : «Pour vous donner un exemple, le Lyon-Bordeaux s'arrête à Libourne. Vous voyez, c'est intéressant, ils ne respectent en rien la réglementation européenne qui les enjoint d'ouvrir à la concurrence sur des lignes normales, avec une exploitation totale.», ajoutant qu'il «n'y a qu'à voir l'affichage qu'ils vont concéder à Railcoop dans la gare SNCF. Vous comprendrez tout de suite qu'ils ne cherchent pas spécialement à leur faire de la publicité. Évidemment qu'ils [Railcoop] ne peuvent pas avoir le même discours que moi, ils sont en relation permanente avec eux, ils sont suspendus à leur bon désir»104. La SNCF représente donc parfois un point de blocage malgré l'air assez peu menaçant de la SCIC du Lot. Mais ce frein semble amené à grandir au fil des années et du développement de Railcoop, du moins si celle-ci arrive tout de même à continuer à progresser malgré les défis, financiers, décisionnels, concurrentiels, qui se présentent à elle.

104 Entretien avec F.Laporte

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B. L'influence du modèle monopolistique de la SNCF, nationalement et localement

La SNCF n'est pas seulement un veto-player mais s'avère également être le marqueur d'un modèle monopolistique encore très présent et qui influence le secteur à de nombreux échelons, localement, nationalement, au niveau des syndicats, des consommateurs, de certaines collectivités, de l'Etat. On n'efface pas plus de quatre-vingt ans de monopole en moins de deux ans, et les autres opérateurs du réseau ferroviaire, dont Railcoop fait partie, doivent évoluer dans un environnement qui ne leur est pas toujours des plus favorables. Les politiques européennes ont permis d'altérer quelque peu le statu quo national, sans le renverser pour autant105, parce que celui-ci garde tout de même une influence historique. François Carême a bien constaté que l'on «pensait que la mise en concurrence allait mettre la pression sur les anciens monopoles mais ce n'est pas du tout comme ça que cela s'est passé»106 . Pour Frédéric Laporte, «Il n'y a pas que le monopole d'exploitation mais aussi le monopole politique, et celui-ci est lourd de conséquences [...] Le monopole politique a évolué et les équilibres politiques aussi mais pour autant il y a des bastions qui restent». Le domaine des transports en général est en effet un domaine particulièrement marqué par une certaine idée de l'action publique, très colbertiste et jacobiniste, ce qui peut expliquer que l'État, ancien actionnaire majoritaire de la SNCF, occupe encore aujourd'hui une place très importante dans la définition de la politique de construction et d'exploitation des réseaux ferrés107. Railcoop est donc parfois vue d'un mauvais oeil par certaines personnes et instances attachées à la SNCF. Marius Chevallier, sociétaire, l'a bien constaté: « il y a eu pas mal de méfiance, notamment de la part d'anciens de la SNCF qui doutaient de notre crédibilité et de nos compétences, qui nous prenaient pour des «rigolos». Sur les réseaux sociaux il y a une équipe de modérateurs très impliqués car il peut y avoir beaucoup d'attaques parfois [...] on sait que le projet ne plaît pas à tout le monde»108. Localement, la SNCF peut aussi avoir une influence forte, comme à Périgueux, ville qui accueille des ateliers de la SNCF, où la maire, Parti Socialiste, a refusé d'accorder la participation de la ville à Railcoop, alors qu'elle y était favorable à la l'origine, et que la Communauté Commune du Grand Périgueux avait voté une participation de 15 000 euros. L'argument affiché est le refus d'entrer dans un schéma de subvention à des concurrents de la SNCF. Cela se constate aussi dans certains courants

105 JUVEN, P. & LEMOINE, B., op. cit.

106 Entretien avec F.Carême

107 CAFARELLI F., Les collectivités territoriales et l'activité ferroviaire, in (sous la dir.) VIDELIN J. C., op. cit.

108 Entretien avec M.Chevallier

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politiques où l'influence de la SNCF est encore très forte. Le Parti Communiste, très marqué par la CGT Cheminots, est ainsi le seul mouvement politique à s'opposer clairement à la réalisation des projets de la SCIC. Ils sont par exemple les seuls à avoir voté contre la subvention à Railcoop à Montluçon, mais aussi à Périgueux. En effet, les syndicats de cheminots sont les plus réticents à cette initiative, eux qui sont déjà très marqués par les conséquences de l'ouverture à la concurrence sur le fret (perte de 45% de part de marché pour la SNCF depuis 2006). Les réactions nombreuses témoignent de cette frustration de voir l'argent public des collectivités aider Railcoop et non la SNCF. Pour Jérôme Jean, de la CGT cheminot Périgueux, «C'est une fumisterie et un moyen de détourner l'attention des réels enjeux. Si on arrêtait de supprimer des emplois chez les cheminots, si l'Etat jouait son rôle d'aménagement du territoire, il n'y aurait pas besoin de Railcoop»109. Gilles Tillet, secrétaire de la CGT cheminot à Capdenac affirme que «C'est un projet privé, qui sert les intérêts de quelques-uns avec l'argent public, puisque les collectivités territoriales sont sociétaires»110. Sentiment confirmé par cet extrait d'un communiqué de la CGT cheminots «Railcoop participe à l'atomisation du système, à la remise en cause de l'égalité de traitement des territoires et à l'abandon pur et simple du service public ferroviaire [...] Le développement du ferroviaire ne pourra se faire que par la SNCF»111. Le déclin de la SNCF, certes limité mais existant, est assez mal vécu par une partie de la population et les nouveaux opérateurs plus vertueux, conséquences de la libéralisation, sont alors montrés du doigt. Cette influence encore très présente peut donc, on le voit, être parfois un frein au développement de Railcoop, une initiative qui intrigue par son modèle coopératif mais aussi par la réussite de ce modèle qui se veut national. La SCIC doit alors convaincre ses détracteurs qu'elle n'est pas une cause des problèmes (dette, besoin de rentabilité, obligation de fermer des lignes) rencontrés par la SNCF mais bien une conséquence.

109 France 3 Nouvelle-Aquitaine (2021, 18 mars). Railcoop et la relance de la ligne Bordeaux-Lyon

110 CASTRO M. (2021, 17 novembre). Railcoop fait rouler son premier train. Ouest France

111 La Dépêche du Midi (2022, 5 janvier). La CGT cheminots contre la relance du fret par Railcoop.

ladepeche.fr.

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Conclusion

Attention, l'arrivée en gare est imminente. Railcoop semble lancée sur de bons rails, devenant un exemple d'entreprise coopérative à avoir réussi à s'insérer sur un marché concurrentiel, et se projette déjà vers un horizon fait de progression, d'expansion, à un niveau national. Mais pour en arriver là, ses créateurs du Lot et l'ensemble hétérogène des sociétaires qui les ont rejoints au cours du voyage ont dû passer plusieurs étapes, jouant des atouts que le modèle de la Société Coopérative d'Intérêt Collectif apporte, dans le but de contourner les faiblesses que cela peut engendrer. Un processus que l'on peut généraliser puisqu'on le retrouve chez d'autres coopératives, Enercoop en premier lieu, mais aussi les autres composantes du réseau des Licoornes sur lequel Railcoop a pu s'appuyer.

Dans un contexte historique fortement marqué par le modèle monopolistique apparu dans les années 1930 et structuré autour de la SNCF, la coopérative de Cambes a dû se frayer un chemin dans les remous que la libéralisation du marché et de l'arrivée de multiples concurrents au cours des dernières années. En deux ans, Railcoop a su profiter des mutations des cadres institutionnels engendrés par l'européanisation (libéralisation du marché ferroviaire) et les changements de stratégies de la SNCF (désertification ferroviaire), tout en développant un modèle devenu de plus en plus légitime et crédible en étant rigoureux techniquement et financièrement, tout en bénéficiant des encouragements de nombreux acteurs politiques et économiques du marché. Mais il ne faut pas négliger la partie que Railcoop ne maîtrisait pas: le contexte très favorable à l'émergence de ce type d'initiatives. En effet, même si on peut leur reconnaître la réussite de l'exploitation de la fenêtre d'opportunité qui s'est présentée à eux, les créateurs de la SCIC ont bénéficié d'un moment carrefour fait de crise Covid et de poussée des questions écologiques au sein de l'opinion, favorisant ainsi les initiatives citoyennes, locales, basées sur le développement durable, ce qui a provoqué un engouement médiatique qui leur fut très favorable.

La réussite d'un tel mode de fonctionnement face à des entreprises beaucoup plus classiques tient donc à un jeu de jongles constant entre innovation et imitation, entre critique du marché et participation à celui-ci. Tout cela n'est permis que par une implantation dans des espaces peu convoités, une faible incertitude des coûts avec des dépenses plus faibles que les concurrents, et un flux de revenu garanti et suffisant par l'afflux continu de sociétaires.

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Pour reprendre les mots de Pierre Wokuri, les projets coopératifs agissent en subversif (tend à renverser l'ordre établi) mais également en symbiotes (vit en symbiose avec des acteurs différents).

Mais des nuages se présentent aussi à l'horizon à l'heure où la première ligne en projet, Bordeaux-Lyon, a déjà connu deux retards de lancement de six mois et attend toujours le premier coup de sifflet du chef de gare. L'action de Railcoop peut en effet être freinée par le fait qu'elle est une SCIC, avec un collectif qui engendre une prise de décision beaucoup plus longue, et un flux de revenus qui n'est toujours pas garanti tant que les premières lignes ne sont pas lancées. Par ailleurs, la SNCF, qui ne voit pas toujours cette idée d'un très bon oeil, est encore très présente dans l'ensemble des rouages du secteur ferroviaire et Railcoop reste assez vulnérable face à cela malgré l'engouement citoyen qu'elle peut susciter. Mais sans la SNCF et ses choix de délaisser certaines lignes, Railcoop pourrait-elle exister?

Pour la suite, Frédéric Laporte affirme que tous les éléments sont réunis en résumant la situation : «Je suis très confiant pour la suite. [...] Si il y a autant de monde autour de la table, c'est bien parce que c'est concret. On a affaire à des gens sérieux, spécialistes du transport, intelligents, déterminés, mobilisateurs, qui ont su fédérer, desfois même des intérêts divergents. Le seul qui résiste c'est la SNCF.». L'optimisme est également de mise chez les dirigeants de Railcoop qui voient ce Bordeaux-Lyon comme un vecteur de réussite, Dominique Guerrée confiant qu'il voit cela «d'un très bon oeil. Il faut vraiment qu'on réussisse la performance du Lyon-Bordeaux, si ça démarre bien, c'est tout gagné pour le reste. Mais je ne vois pas pourquoi ça ne fonctionnerait pas». Reste donc maintenant à savoir comment Railcoop peut subsister et continuer de progresser sans devenir pour autant une entreprise basée sur la recherche de la plus grande rentabilité et la compétitivité, comment le modèle coopératif peut-il devenir un acteur fixe d'un marché concurrentiel après s'y être inséré, pour ne jamais connaître de terminus.

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Annexes

Annexe 1: Graphiques originaux représentants l'évolution du nombre de
sociétaires de Railcoop sur les années 2021 et 2022 (Source: Railcoop)

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Annexe 2: Répartition du capital de Railcoop libéré au 15 avril 2022 en euros (Source: Railcoop)

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https://www.radiopresence.com/emissions/culture/actualites/sujet-du-jour/article/railcoop

Emission de radio L'esprit d'initiative (2021, 29 janvier). «Le projet Railcoop». Par Philippe Bertrand. France Inter. Consulté le 15 décembre 2021 à l'adresse https://www.franceinter.fr/emissions/l-esprit-d-initiative/l-esprit-d-initiative-29-janvier-2021

Entretien avec M. Chevallier réalisé le 2 février 2022 Entretien avec D. Guerrée réalisé le 11 février 2022 Entretien avec F. Laporte réalisé le 15 février 2022 Entretien avec F. Carême réalisé le 10 mars 2022 Entretien avec K. Delli réalisé le 11 mars 2022

Reportage France 3 Nouvelle-Aquitaine (2021, 18 mars). Railcoop et la relance de la ligne Bordeaux-Lyon, France 3 Nouvelle-Aquitaine

https://www.youtube.com/watch?v=5jluMvbTu4g&ab_channel=France3Nouvelle-Aquitaine

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Table des matières

Tables des sigles et abréviations 2

Remerciements 3

Introduction 4

Chapitre I - L'état du marché 12

1-Historique de la politique du rail en France 12

2- Les cadres du marché concurrentiel et ses conditions d'entrée 14

Chapitre II - L'exploitation d'une fenêtre d'opportunité profitable au modèle de SCIC

17

1-L'influence d'un contexte de montée des questions de développement durable et local 17

A. Le moment carrefour 17

B. Bénéficier d'un engouement médiatique 19
2- Les particularités valorisées de la SCIC permettent de tirer un avantage comparatif 21

A. Les sociétaires, une ressource gratuite et plurielle 22

B. La création d'une image de marque basée sur un modèle local par essence 23

C. Les Licoornes: un appui et une source d'inspiration permettant d'apprendre des

erreurs des autres 24

Chapitre III - Profiter des failles et mutations des cadres institutionnels 26

1- Le rôle de l'européanisation 26

A. La libéralisation du marché venue de l'Union Européenne 26

B. Le bouleversement des cadres du marché 28

2- Se substituer à un service public absent 29

A. S'appuyer sur des collectivités en demande de service, prêtes à établir une

régulation préférentielle 29

B. L'insertion sur des interstices du marché, espaces délaissés par les autres acteurs et

par l'Etat 31

Etude de cas: la ligne Bordeaux-Lyon 33

Chapitre IV - Un travail de légitimation 36

1- Travailler la crédibilité par le pouvoir d'orientation en usant de procédés similaires

aux acteurs privés 36

A. La rigueur pour obtenir les différents avals des autorités compétentes 36

B. L'établissement d'un business plan solide grâce à des acteurs spécialisés 37

2- Se faire reconnaître par les autres acteurs pour parfois bénéficier de protection 39

A. Obtenir la reconnaissance par les acteurs du marché en se montrant bienveillant,

pour arriver à la table des négociations 39

B. Des soutiens politiques importants et nombreux 41

Chapitre V - Les freins liés au fonctionnement et à la taille du modèle coopératif 43

1- Le fonctionnement de la SCIC a ses inconvénients 43

A. Une action plus lente 43

62

B. La question budgétaire, assurer les coûts plus lourds de participation au marché

dans l'attente de la garantie d'un flux de revenu 44

2- Une société encore vulnérable par sa taille et par la structure du marché 46

A. Les veto-players 46

B. L'influence du modèle monopolistique de la SNCF, nationalement et localement 48

Conclusion 50

Annexes 52

Annexe 1. Graphiques originaux représentants l'évolution du nombre de sociétaires de

Railcoop sur les années 2021 et 2022 (Source. Railcoop) 52

Annexe 2. Répartition du capital de Railcoop libéré au 15 avril 2022 en euros (Source.

Railcoop) 53

Sources et Bibliographie 54

Table des matières 61






La Quadrature du Net

Ligue des droits de l'homme