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L'introduction du modèle coopératif sur un marché concurrentiel: l'exemple de Railcoop sur le marché ferroviaire


par Boris Chiron
Université de Nantes - Master Science Politique de l'Europe 2022
  

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Chapitre IV - Un travail de légitimation

Après avoir usé des particularités du modèle de SCIC et identifié une cible atteinte que sont les espaces délaissés du marché, il s'agit de se rendre crédible aux yeux de tous, devenir un acteur reconnu par les autres. Cela passe par un travail important de légitimation qui amène à finalement utiliser des procédés similaires aux autres acteurs basés sur un modèle plus commercial (1), puis à obtenir le maximum de soutien au sein du secteur ferroviaire (2).

1- Travailler la crédibilité par le pouvoir d'orientation en usant de procédés similaires aux acteurs privés

Travailler la crédibilité passe par différents critères à remplir qui sont indispensables pour entrer et être reconnu sur le marché, reconnu comme un acteur ferroviaire tout aussi légitime que les autres. Cela passe d'abord par une certaine rigueur technique et financière pour remplir les conditions d'entrée (A), mais aussi par l'imagination d'une stratégie économique solide, une sorte de business plan, procédé finalement assez similaire à ceux utilisés par les autres acteurs plus classiques du marché (B).

A. La rigueur pour obtenir les différents avals des autorités compétentes

En premier lieu, pour pouvoir être considérée comme une entreprise tout aussi légitime que les autres à exploiter le réseau ferroviaire, Railcoop a dû remplir nombre de critères techniques, financiers, sécuritaires, et montrer patte blanche face à d'éventuelles destructions de service public, afin d'être validée par les autorités du secteur. Financièrement, il était tout d'abord obligatoire de posséder un capital d'1,5 millions d'euros avec, à côté, un groupement d'assurance couvrant les risques à hauteur de 45 millions d'euros, ce pour demander puis obtenir la licence d'opérateur ferroviaire79, chose faite en septembre 2021. En effet, par un arrêté du 14 septembre 2021, l'Autorité de Régulation des Transports a déclaré «Il est délivré à la société Railcoop une licence d'entreprise ferroviaire valable pour effectuer

79 Autorité de Régulation des Transports, Décisions n°2021-063 du 2 décembre 2021

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du transport de marchandises et de traction seule». Restait maintenant à obtenir ce droit pour le transport de voyageurs, et ce ne fut pas aussi aisé, des enjeux de sécurité plus élevés rentrant en compte, devenant ainsi une cause du report du lancement de la ligne Bordeaux-Lyon. Jérémy Aubry, directeur de la sécurité de Railcoop, explique bien qu'il y a «l'évolution sur l'activité voyageurs que l'on souhaite à nouveau obtenir au niveau de l'EPSF (Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire) courant 2022. Il faudra déposer un nouveau dossier pour cette activité et on n'a vraiment pas le droit à l'erreur». L'ART a déjà donné son feu vert pour l'exploitation de Bordeaux-Lyon et d'une dizaine de lignes dans les prochaines années, mais pour chacune d'entre elles, Railcoop devra faire un nouveau dossier. La tâche est d'autant plus compliquée que la coopérative du Lot est un nouvel acteur, avec un nouveau modèle, intriguant, ce qui pousse l'ART ou l'EPSF à être encore plus rigoureux qu'avec des acteurs historiques plus importants tels que la SNCF ou Renfe. Malgré que l'ART ait conclu à l'équilibre économique des projets de Railcoop, elle reste très attentive à d'autres critères. Dominique Guerrée a bien constaté que «L'ART nous a très bien accueillis, mais c'est surtout administratif, ils sont très regardant. C'est pareil pour l'EPSF, l'Etablissement Public de la Sécurité Ferroviaire, pour avoir le certificat de sécurité, ils ne nous l'ont pas donné d'entrée de jeu comme à d'autres sur le territoire français entier, ils nous le donnent petit bout par petit bout. Ils sont très prudents face à nous, plus que face à d'autres.»80. Mais pour le moment, Railcoop passe toutes les étapes petit à petit sans réelles embûches, en maintenant une grande rigueur dans l'ensemble du processus, en témoigne l'absence d'incidents et de retards depuis le lancement de la ligne de fret entre Figeac et Saint-Jory. Pour Dominique Guerrée, Railcoop, grâce à cette ligne «devient de plus en plus crédible, c'est rassurant pour tout le monde et notamment l'EPSF». Ainsi, ce n'est pas seulement l'entreprise en elle-même qui est crédibilisée et légitimée, mais c'est aussi le modèle de la SCIC et son fonctionnement. La suite est un cercle vertueux, la crédibilité permettant d'obtenir toujours plus de soutiens, financiers notamment, ce qui rend l'acteur encore plus solide et lui permet d'établir de plus en plus de projets, qui touchent une part croissante de la population, et ainsi de suite....

B. L'établissement d'un business plan solide grâce à des acteurs spécialisés

80 Entretien avec D.Guerrée

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Afin de gagner en crédibilité, une entreprise classique doit gagner en solidité, économique et structurelle. Ainsi, coopérative ou non, un exploitant du secteur ferroviaire reste une entreprise privée qui doit établir des objectifs et la façon de les atteindre. Dominique Guerrée, le Président de Railcoop, n'hésite d'ailleurs pas à qualifier le procédé de «business plan», terme plus classiquement utilisé dans le vocabulaire néo-libéral que le modèle coopératif combat justement. Mais pour être légitimé par les autres acteurs il faut parfois passer par des procédés similaires à ceux que ceux-ci utilisent. Certains chercheurs affirment d'ailleurs que le sociétariat peut aussi amener à fonctionner de manière classique capitaliste car on est obligé de s'intéresser aux sociétaires qui sont comme des actionnaires81. Les créateurs de Railcoop ont donc pensé le modèle en amont afin de bien cerner les cibles à atteindre, la demande (transport de produits de façon flexible, éthique, écologique), les risques possibles et les vecteurs de facilitation, notamment sur le plan économique, tout en reconnaissant leur spécificité et les risques que cela leur fait prendre. Pierre Wokuri appelle cela le travail d'instrumentation qui consiste à faire accepter la spécificité de l'initiative, puis les faiblesses et désavantages qu'elle peut entraîner, et enfin la demande d'instrument d'aménagement82. Mais Railcoop compte bien être considéré comme les autres et ne pas forcément user de pitié. Ainsi une association de préfiguration a été créée avant que Railcoop ne soit lancée afin de «voir si le projet était viable, possible, quels étaient les risques et quelle était la marche à monter pour aller à ce stade»83 explique Dominique Guerrée. Les associés ont réalisé des études comparatives, des budgets prévisionnels en prenant en compte l'ensemble des paramètres en ne se cantonnant pas au secteur ferroviaire. «On s'est basé sur ce qui existait en vols intérieurs, les grandes transversales qui ne passaient pas par Paris, les bus Macron, le covoiturage. C'est là-dessus que l'on veut capter du flux. Est alors apparue l'évidence de la ligne Bordeaux-Lyon, grâce à une petite étude de marché.». Ensuite, aucun investissement n'est laissé de côté, afin de limiter au maximum les risques financiers, notamment en achetant des wagons d'occasions dans les pays de l'Est (République Tchèque, Slovaquie), Railcoop ayant un budget de 5 millions d'euros pour dix rames pendant qu'une rame neuve compte 13 millions d'euros en France. La société lotoise s'appuie également sur des infrastructures déjà existantes, ce qui limite l'investissement. Tout cela a été pensé avec la constitution d'équipes qualifiées et diversifiées, avec de nombreux collaborateurs et sociétaires qualifiés dans plusieurs domaines. Axel Puig, dans un article de la revue

81 BECUWE A., CHEBBI H. & PASQUET P., op. cit.

82 WOKURI, P. (2021)., op. cit.

83 Entretien avec D.Guerrée

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DARD/DARD84 écrivait d'ailleurs que l'on trouve à Railcoop «des gens très compétents, des acteurs du monde du rail, de l'économie sociale et solidaire, de l'aménagement du territoire et de la transition écologique». Le Directeur Général, Nicolas Debaisieux, était haut fonctionnaire au Ministère de la Transition Écologique et à l'Union Européenne. La Co-Directrice, Alexandra Debaisieux, a fait Science Po avant de se lancer dans le Conseil en financement européen. Dominique Guerrée, Président, était gérant d'une coopérative en Auvergne, et administrateur de l'Union Régionale des SCOP Auvergne depuis les années 2000. Le directeur de la sécurité, «une pointure» selon Dominique Guerrée, Jérémy Aubry, à quant à lui travaillé à la SNCF auparavant, et de plus en plus d'anciens de la SNCF viennent rejoindre les rangs de Railcoop. Tout cela crée une équipe diversifiée et qui peut s'enrichir mutuellement de leurs différentes expériences, sans être forcément spécialistes du ferroviaire, ce qui peut créer un avantage comparatif par rapport aux autres. Malgré tout, ce principe du business model appliqué à une coopérative ne plaît pas à tout le monde. A Périgueux, François Carême affirme que «Certains disent que Railcoop fait un premier jet sur des lignes aujourd'hui non-couvertes par la SNCF mais du coup c'est pour créer un business model qui voudra se mettre en concurrence derrière.»85.

2- Se faire reconnaître par les autres acteurs pour parfois bénéficier de protection

Après avoir été reconnu par les autorités, il s'agit aussi de passer pour un opérateur ferroviaire classique aux yeux des autres, sans pour autant paraître une menace au risque de se voir jeter des bâtons dans les roues (A). Tout cela est facilité par le fait que Railcoop, par son particularisme coopératif, convainc plus facilement les élus de tout bord, ce qui constitue un soutien de poids, aussi bien au niveau local que national ou européen (B).

A. Obtenir la reconnaissance par les acteurs du marché en se montrant bienveillant, pour arriver à la table des négociations

Un des enjeux pour Railcoop afin de réaliser ce travail de légitimation est d'être reconnu par les autres acteurs du marché comme un véritable opérateur ferroviaire, pas

84 PUIG A., op. cit.

85 Entretien avec F.Carême

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seulement un acteur associatif. Des points de réussite importants apparaissent comme la participation de certains autres opérateurs ferroviaires au lancement de Railcoop par l'achat de parts, ou encore l'adhésion du syndicat Sud Rail au projet avec la volonté d'échanger avec Railcoop. Par ailleurs, en ce sens, la communication de la SCIC est très lisse et docile envers la SNCF, acteur majeur du secteur ferroviaire, et insiste beaucoup sur la coopération, la complémentarité, et non la concurrence. Il sera vu plus tard que cela n'est pas forcément réciproque. Dominique Guerrée ne ménage pas les éloges, qualifiant la SNCF de «très belle entreprise, très bien organisée, avec de très belles choses» et notamment SNCF Réseau avec qui «ça se passe bien»86. Michael Laplantine, Directeur adjoint de Railcoop à la sécurité ferroviaire dit bien «je défendrai toujours un peu la SNCF»87. Nicolas Debaisieux, insiste bien: «On est pas concurrent de la SNCF, on profite de l'ouverture du marché pour concurrencer la route»88. Idée partagée par Dominique Guerrée: «On est tous convaincus du service public chez Railcoop [...] Nos plus grands concurrents sont la route et l'avion». Par le travail politique d'instrumentation évoqué par Pierre Wokuri (voir par-ailleurs), Railcoop cherche à se faire reconnaître et à ce que les autres opérateurs ferroviaires la perçoivent comme un acteur différent par sa particularité coopérative, ce afin d'être plus facilement accepté. Une stratégie qui semble porter progressivement ses fruits puisque les représentants de la société se font progressivement une place de plus en plus grande à la table des négociations, et ce suite à tout le travail réalisé en amont. «On apprend à faire sa place et maintenant que l'entreprise existes toujours, qu'on en parle, on commence à être écoutés, mais il faut quand même jouer des coudes, c'est de la négociation, ce sont des affaires, ce n'est pas tout rose», affirme Dominique Guerrée. La chargée de communication de la coopérative, Olivia Wolanin, souligne que les négociations avec SNCF Réseau «se sont considérablement améliorées et vont dans le bon sens», selon elle grâce au fait que Railcoop est "officiellement une entreprise ferroviaire avec une licence et un certificat de sécurité». Cependant, Railcoop n'a pas toujours son mot à dire. Avec les acteurs plus importants, quand deux trains passent à la même heure, c'est Railcoop qui doit décaler son horaire et non un TER par exemple. Karima Delli tend également à ménager tout cela et rappelle bien que si le modèle marche, c'est bien parce que «Railcoop ne va jamais se substituer sur les lignes

86 Entretien avec D.Guerrée

87 CHEVIRON, N. (2021, 19 novembre). Railcoop : la relève citoyenne de la SNCF est sur les rails. Mediapart.

88 GRELIER, A. (2021, 3 mai). Railcoop : la coopérative qui veut faire revenir le train dans les campagnes. Radio France.

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rentables, ce n'est pas du tout le même marché»89. Tout l'enjeu est donc de paraître le moins menaçant possible, afin d'obtenir quelques concessions et pouvoir mener à bien le projet.

B. Des soutiens politiques importants et nombreux

Enfin, un atout majeur de la nouvelle coopérative ferroviaire est le fort soutien à l'initiative dont témoignent de nombreux élus à travers l'ensemble du territoire. Maintenant que Railcoop veut ouvrir des lignes dans toute la France, de nombreux territoires entrent en compte, avec, la plupart du temps, un accueil très positif, quelle que soit la couleur politique. Si cet engouement existe, c'est aussi et surtout par le modèle coopératif. Celui-ci apparaît ici comme un atout majeur alors qu'il est parfois une difficulté face aux autres opérateurs dans le cadre plus commercial. La légitimation passe par le fait de démontrer la dimension alternative du projet coopératif pour fédérer un maximum d'acteurs divers autour de celle-ci, et en premier lieux les élus, ce qui permet ensuite d'être soutenu et de bénéficier de protection90 comme vu précédemment avec la régulation préférentielle. La particularité de la SCIC, qui veut servir à la fois l'intérêt collectif de ses propres membres mais aussi du territoire, est ici un hameçon très efficace face aux élus. Le soutien est d'abord financier, avec par exemple une ville de Montluçon qui a contribué à hauteur de 30 000 euros au projet, ou la communauté de commune du Grand Périgueux à hauteur de 15 000 euros, le plus gros sociétaire étant la région Grand-Est. La participation est ensuite plus morale, avec un soutien affiché par de nombreux élus, et ce quelle que soit la couleur politique. La première à avoir soutenu le projet est Véronique Pouzadoux (Les Républicains), maire de Gannat dans l'Allier, qui fait aujourd'hui partie du Conseil d'Administration de la société. François Carême (Europe Ecologie Les Verts), adjoint aux mobilités de la commune de Périgueux: «au Conseil communautaire il y a de tout, gauche et droite, et tout le monde avait voté la subvention»91. Constat également réalisé à Montluçon par Frédéric Laporte (Les Républicains, qui avait appelé tous les sociétaires à écrire au Ministre des Transports) où «ça a été voté à l'unanimité dans [le] Conseil Communautaire de 64 élus»92. Par ailleurs, les représentants de la coopérative ont été reçus par l'ensemble des députés de la ligne

89 Entretien avec K.Delli

90 WOKURI, P. (2020)., op. cit.

91 Entretien avec F.Carême

92 Entretien avec F.Laporte

Bordeaux-Lyon à l'Assemblée Nationale, mais aussi plusieurs fois avec le Ministre des Transports Jean-Baptiste Jebbari (La République En Marche). Le soutien est aussi présent au niveau de l'Union Européenne avec Karima Delli qui raconte et se rappelle de sa première rencontre avec Railcoop: «Railcoop, à ses prémices, on s'est vus. On a pris le temps de se connaître, et je leur ai dit "bougez vous, bougez vous parce que votre modèle qui rassemble aujourd'hui des citoyens, des entreprises, des collectivités, montre que la coopération, les systèmes coopératifs, sont un levier d'action pour demain»93. Tout cela a des conséquences très vertueuses pour l'entreprise afin d'être de plus en plus influente, reconnue dans les milieux de décision, comme l'explique Dominique Guerrée «Concrètement, cela nous donne plein de contacts, de relations, de lobby, de la discussion qui peut aider sur des règles, des choses à faire». Par sa particularité basée sur l'intérêt collectif et l'identification d'une cible pertinente, Railcoop a su trouver en ces élus un soutien important pour jouer à l'ensemble des échelles de décision.

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93 Entretien avec K.Delli

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Chapitre V - Les freins liés au fonctionnement et à la taille du modèle coopératif

Dernière étape avant de tirer le premier bilan de ces recherches. Après avoir vu comment le modèle coopératif pouvait s'insérer sur un marché concurrentiel par la fenêtre d'opportunité, l'exploitation des failles du marché et des cadres institutionnels, et par un travail de légitimation, il s'agit de voir ce qui pourrait faire que ce modèle n'arrive pas à rester sur cet espace à l'avenir. Quels sont les risques et les défis qui se présentent à Railcoop ? Le fonctionnement de la SCIC a ses inconvénients (1), mais c'est aussi la petite taille de l'entreprise qui peut la rendre vulnérable face à d'autres mastodontes et en premier lieu la SNCF (2).

1- Le fonctionnement de la SCIC a ses inconvénients

Le premier facteur qui pourrait poser problème au développement de Railcoop est peut-être finalement Railcoop en elle-même. En effet, par son modèle de SCIC qui se veut participatif, ne recherchant pas nécessairement la rentabilité, la société peut entraîner certains vecteurs de ralentissement. D'abord par le système de décision collective, qui ralentit quelque peu l'action par moment (A), ainsi que les coûts supplémentaires que cela engendre pour entrer sur le marché lorsqu'on est une SCIC et que les rentrées d'argent, les flux de revenus, ne sont pas encore assurés (B).

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