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La loi spéciale de lutte contre le terrorisme du 2 novembre 2001

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par Huynh To Uyen Julie Nguyen
INALCO - Maitrise LLCE de Japonais 2004
  

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A) La force du Premier ministre Koizumi : saisir l'opportunité ...

La personnalité du Premier ministre a été déterminante dans la gestion de cette crise des événements du 11 septembre. Koizumi Jun.ichirô a été populaire avant même d'être élu. Son profil et son parcours atypiques en font un chef de gouvernement majeur, à l'instar d'un Nakasone pour la politique étrangère ou d'un Suzuki pour la volonté de réforme et les événements du 11 septembre ont été pour lui l'occasion de montrer ses compétences d'homme d'Etat

En tant que pays allié lié par un pacte de sécurité aux Etats-Unis, le Japon pouvait craindre d'être la cible de prochains attentats. Selon certains observateurs, il était fort peu probable que les terroristes s'en prennent de nouveau aux Etats-Unis, d'autant que désormais les mesures de sécurité et de surveillance étaient maximales. Il était par contre plus probable qu'ils s'attaquent aux postes avancés et aux bases américaines établies dans les pays alliés, comme le Japon qui possède le plus large contingent américain d'outre-mer (48 000 hommes et femmes) dont 75 % est basé à Okinawa, soit 25 000 soldats. Depuis le 11 septembre, ces-derniers étaient en état d'alerte pour répondre à d'éventuels nouveaux attentats. L'Agence de Défense déclarait d'ailleurs que :

Les pays alliés des Etats-Unis, dont le Japon fait partie, et qui ont exprimé leur soutien aux opérations de l'armée américaine après les attaques terroristes dirigées contre les Etats-Unis, sont exposés à la menace de représailles terroristes. 96(*)

Dans l'atmosphère d'urgence et de crise qui régnait alors, la prudence était de rigueur et soutenir les Américains c'était aussi s'assurer de la protection américaine. Pourtant, tout cela ne restait que spéculatif et il apparaît clairement que, sous couvert de prudence, le gouvernement Koizumi a su profiter de la situation pour s'engouffrer dans une certaine fenêtre d'opportunité pour faire évoluer la politique de défense du Japon. L'intention principale du Premier ministre Koizumi était en effet sans équivoque :

[Je vais] profiter de l'occasion pour pouvoir régler le problème resté en suspens de la contribution internationale du Japon. 97(*)

Ce regain de tension au niveau mondial offrait donc au Japon l'opportunité d'avancer ses pions sur l'échiquier international et faire la démonstration de ses nouvelles capacités en matière de défense acquises notamment depuis la guerre du Golfe. Ces événements terroristes offraient en outre l'opportunité au Premier ministre Koizumi de faire accepter par l'opinion publique japonaise, traditionnellement pacifiste, de nouvelles avancées en matière de politique de défense et de sécurité. En effet, le fort sentiment de consensus pour lutter contre le terrorisme ne pouvait qu'endormir les réticences pacifistes (d'autant plus que les Japonais se sentaient menacés par d'éventuels attentats terroristes98(*)) et donc permettre de soumettre plus aisément l'idée de déployer les Forces d'autodéfense à l'étranger.

B) ... d'étoffer la législation en matière de défense : la politique des « petits pas » 99(*)

Les événements du 11 septembre offraient donc l'opportunité au gouvernement Koizumi de consolider la place du Japon sur la scène internationale et de prouver qu'il pouvait prétendre au rang de grande puissance mondiale. Pour y parvenir, le Japon doit se doter des capacités de puissance nécessaires et, en l'occurrence, seule une politique autonome de défense lui fait défaut. Même si depuis la guerre du Golfe les activités des Forces d'autodéfense et leurs champs d'application se sont progressivement élargis en dehors de la seule coopération militaire avec les Etats-Unis, il reste encore beaucoup à faire pour construire une politique de défense globale et autonome. Or, les événements du 11 septembre ouvraient une formidable fenêtre d'opportunité pour que le Japon progresse encore dans ce sens. Non seulement il allait pouvoir montrer au monde entier et en particulier aux Etats-Unis qu'il était capable de s'investir efficacement dans un conflit d'envergure international, mais également, en prenant part activement à la lutte contre le terrorisme international, il allait prouver à la communauté internationale qu'il était capable d'être le garant de la sécurité et des valeurs de cette communauté internationale.

Il s'agissait donc bien pour le gouvernement japonais d'étoffer encore un peu plus sa législation en matière de défense. Cette « politique des petits pas » ne pouvait en effet être que le seul moyen de procéder sans risquer de se heurter de plein fouet aux obstacles que représentent les dispositions de l'article 9 de la Constitution et une opinion publique traditionnellement pacifiste. Les pays voisins, tels que la Chine ou les deux Corée, pouvaient en outre s'effrayer d'un Japon complètement remilitarisé et agiter le spectre du militarisme. Les Etats-Unis pouvaient aussi prétendre avoir leur mot à dire dans l'éventualité d'une revendication ouverte du Japon à une politique de défense totalement indépendante, mais ce serait négliger le rééquilibrage qui s'est produit au sein de ce partenariat depuis la fin de la guerre froide. Toutefois, ce serait placé l'épicentre du problème au mauvais endroit : il ne s'agit en définitive pas d'un problème de politique extérieure mais intérieure. Si le Japon parvenait à réviser la Constitution afin de supprimer ses dispositions pacifistes contraignantes, le chemin vers l'indépendance de sa politique de défense lui serait grand ouvert. Et cela quoique puissent en dire les Etats-Unis car le véritable débat doit avoir lieu au niveau national et non bilatéral.

Pour l'instant, la situation de la politique de défense du Japon est loin d'en être à ce stade et c'est une progression pas à pas qui prévaut. Ainsi, depuis leur création en 1954, lentement mais sûrement, les Forces d'autodéfense japonaises ont vu leurs champs d'action s'étendre. Le système de sécurité du Japon a suivi les évolutions de la stratégie américaine, mais, depuis la guerre du Golfe, le Japon n'est plus un allié passif mais un partenaire stratégique des Etats-Unis et aspire parallèlement à plus d'autonomie, comme l'illustre le développement des activités des Forces d'autodéfense dans le cadre de la loi PKO votée en juin 1992, ou encore dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. C'est dans cette même logique de progression pas à pas que le Premier ministre Koizumi, à l'occasion de la politique de contribution japonaise vis-à-vis des attentats du 11 septembre, a étoffé de façon significative la politique de défense et de sécurité du Japon, notamment en faisant voter la loi spéciale de lutte contre le terrorisme.

II) Les apports de la loi anti-terroriste

Les apports de la loi spéciale de lutte contre le terrorisme sont en effet d'une grande importance, non seulement d'un point de vue qualitatif mais également d'un point de vue quantitatif. Nous avons vu plus haut que la nature symbolique de cette loi en limitait la portée, mais il n'en reste pas moins que les dispositions qu'elle met en oeuvre sont d'une grande portée du fait de leur caractère inédit. Pour la première fois, les Forces d'autodéfense seront dépêchées à l'étranger et pourront fournir une assistance aux Etats-Unis en dehors de du territoire japonais. D'ailleurs, le fait que ces dispositions aient fait l'objet d'une loi adoptée par la Diète en fait un précédent sur lequel il sera difficile de revenir.

Cette avancée, par ailleurs, est d'autant plus grande qu'elle combine plusieurs progrès bien spécifiques. Tout d'abord, la loi du 2 novembre 2001 élargit le champ géographique d'action des Forces d'autodéfense. Elle permet ensuite d'étendre le cadre et les moyens d'intervention des Forces d'autodéfense. Enfin, elle ouvre une nouvelle brèche dans l'interprétation de la Constitution vis-à-vis du débat sur le droit à l'autodéfense collective.

A) L'extension du champ géographique d'action des Forces d'autodéfense

L'extension du champ géographique d'action des Forces d'autodéfense est la première avancée importante qu'apporte la loi spéciale de lutte contre le terrorisme comme l'explique Mizushima Asaho \u27700\u27700ê...«‡\u12539E \u26397\u26397'(c)ïää, professeur à l'Université de Waseda :

Or, quels sont les apports de la loi spéciale de lutte contre le terrorisme ? En premier lieu, le champ géographique du soutien et de la coopération des opérations de combat de l'armée américaine a été considérablement élargi. Cette loi étend les zones d'application des activités de soutien et de coopération avec l'armée américaine au (1) territoire japonais, (2) aux zones de haute mer et l'espace aérien, (3) et aux territoires étrangers (article 2, alinéa 3). Les points (2) et (3) nécessitent qu'il soit manifeste que des actes de combat ne se déroulent ni présentement, ni pendant l'exécution des opérations. Reste le gros problème de la définition par le gouvernement de Tôkyô de ce critère. Or, il est clairement écrit pour la première fois que les opérations de soutien à l'armée américaine se dérouleront aussi sur le « territoire de pays étrangers » (sous la condition de l'assentiment des pays concernés). Cela ne nécessite ni le parapluie onusien comme dans la loi PKO, ni la notion de « zones périphériques » comme dans la loi sur les situations de crise en zones périphériques. 100(*)

En effet, pour la première fois des soldats japonais seront envoyés dans des pays étrangers dans un autre cadre que ceux prévus par la loi de participation aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. Cet élargissement géographique du déploiement des Forces d'autodéfense constitue une avancée considérable, même s'il est sous à conditions. Ces conditions, qui sont au nombre de deux, concernent le niveau de risque de combat armé et le consentement des pays concernés.

Au sujet de la seconde condition d'une part, si elle est nécessaire, il semble qu'elle ne soit pas très difficile à satisfaire. Il est évident en effet que les Forces japonaises seront envoyées dans des pays qui sont déjà alliés des Etats-Unis ou qui auront déjà accepté la présence de l'armée américaine. Le Japon étant un allié des Etats-Unis, il est logique que ces pays accepteront également la présence de ses soldats.

Concernant le niveau de risque de combat armé d'autre part, Mizushima Asaho fait remarquer le flou de la définition de ce critère (« zones non combattantes », c'est-à-dire où ne se déroulent pas des combats ni présentement, ni pendant l'exécution des opérations), le caractère imprévisible du terrorisme impliquant qu'un niveau de risque nul peut difficilement être garanti. Même si la présence japonaise est cantonnée à l'océan Indien et au Pakistan, la proximité avec l'Afghanistan où se déroule la campagne militaire implique obligatoirement que le niveau de risque n'est pas nul.

Ceci étant dit, le principal n'était-il pas en réalité de faire mettre aux Forces d'autodéfense japonaises un pied à l'étranger pour soutenir l'armée américaine, quelles que soient les difficultés de leurs conditions de déploiement ? En effet, peu importait finalement pourquoi, en quel nombre et pour combien de temps elles seraient là-bas, pourvu qu'elles y étaient et pourvu qu'un texte de loi l'approuve. En fait, cette définition des « zones non combattantes » est la même employée dans la loi sur les situations de crise en zones périphériques pour expliquer la notion de « zones arrière ». Cela implique, sans que ce soit explicite dans le texte, un considérable élargissement de cette notion au « territoire de pays étrangers ». En définitive, c'est cette avancée implicite qui est la plus remarquable qu'apporte la nouvelle loi.

B) L'extension du cadre et des moyens d'intervention des Forces d'autodéfense

La loi spéciale de lutte contre le terrorisme permet par ailleurs d'étendre le cadre et les moyens d'intervention des Forces d'autodéfense. Cette avancée comporte trois aspects : les critères définissant les opérations des Forces d'autodéfense, la définition d'une nouvelle mission, la lutte contre le terrorisme international, et les critères d'utilisation des armes.

Au sujet des critères définissant les opérations des Forces d'autodéfense, il est important de souligner qu'à aucun moment le texte de la loi du 2 novembre 2001 n'utilise l'expression « soutien arrière » pour décrire les opérations de soutien à l'armée américaine, mais n'emploie que les termes de « soutien », « assistance », « logistique », ou encore « ravitaillement ». C'est ce que remarque Mizushima Asaho en comparant la loi du 11 novembre 2001 avec celle relative aux situations de crise en zones périphériques :

La loi sur les situations de crise en zones périphériques, qui prévoyait des activités de soutien à l'armée américaine dans les « zones périphériques du Japon », définissait les « zones arrière » comme étant les « zones où ne se déroulent pas des actions de combat », ainsi que les « zones où ne sont pas prévues des actions de combat pendant la mise en oeuvre des opérations de soutien» et expliquait par le concept de « soutien en zones arrière » le soutien arrière intervenant des ces zones. Ce concept de « soutien en zones arrière » n'est pas utilisé dans la loi spéciale de lutte contre le terrorisme. On trouve aussi dans la loi anti-terroriste la référence à des « activités d'assistance et de recherche » qui est une simplification de l'expression « activités d'assistance et de recherche en zones arrières » de la loi sur les situations de crise en zones périphériques. D'un point de vue lexical, nombreux sont les passages qui semblent reformuler des expressions de la loi de participation aux PKO ou de la loi sur les situations de crise en zones périphériques mais il faut souligner que leurs significations diffèrent sensiblement. A l'origine, l'expression « soutien arrière » ne désigne pas un soutien par des troupes de renfort physiquement à distance. Les capacités de ravitaillement sont réglementées selon trois éléments qui sont la quantité, la qualité et la rapidité du ravitaillement. 101(*)

L'absence de l'expression « soutien en zones arrière » et les différences de définition des opérations dans le cadre de la nouvelle loi avec celle des lois antérieures sont précisément la marque de la volonté des autorités japonaises d'élargir les domaines d'intervention des Forces d'autodéfense. Même si la loi du 2 novembre 2001 met en place un dispositif qui ressemble beaucoup à du « soutien en zones arrière », le fait de ne pas reprendre cette expression permet d'échapper à son caractère restrictif. Ainsi, les activités des Forces japonaises sont qualifiées d'« activités de soutien » comportant de multiples des activités d'assistance, de logistique et de ravitaillement. La nuance est faible mais elle est importante car elle implique que le Japon est un véritable partenaire des Etats-Unis et non plus un simple appui militaire.

L'élargissement du domaine d'intervention des Forces japonaises se manifeste également par la définition d'une nouvelle mission qui est la lutte contre le terrorisme international. Cette mission était bien sûr déjà inscrite dans les nouvelles guidelines mais c'est la première fois qu'elle se concrétise par un ensemble de dispositions spécifiques. Ceci dit, la nouvelle loi ne contient pas de mesures particulières, qu'il faut surtout aller chercher dans le plan de base relatif aux mesures d'exécution du 16 novembre 2001. Toutefois, la définition de cette nouvelle mission permet non seulement d'allonger la liste des activités des Forces d'autodéfense, mais aussi d'éviter la référence aux opérations en temps de crise de la loi sur les situations de crise en zones périphériques.

Enfin, les moyens d'intervention des Forces d'autodéfense sont également élargis par l'assouplissement des critères d'utilisation des armes. Dans le cadre de la loi spéciale de lutte contre le terrorisme, les Forces japonaises pourront faire usage de leurs armes pour assurer la protection des « personnes placées sous leur contrôle », ce qui implique un très grand nombre de personnes, notamment les réfugiés abrités dans les camps ou les personnes dans les hôpitaux. Malgré les fortes restrictions conditionnant l'emploi des armes, l'élargissement considérable de cette notion de « personnes placées sous leur contrôle » a été très critiqué car il est évident que plus le nombre de personnes à protéger est grand, plus le risque de contrevenir aux règles d'utilisation des armes est grand.

C) Une nouvelle brèche dans l'interprétation de la Constitution : le débat sur le droit à l'autodéfense collective

Nous avons vu plus haut que le Premier ministre Koizumi a utilisé une nouvelle interprétation de la Constitution, celle du « vide juridique », selon laquelle il existerait une « ambiguïté » entre le préambule de la Constitution et l'article 9, pour justifier plusieurs dispositions de la loi anti-terroriste, mais aussi pour expliquer que cela permettait d'envisager le recours au droit à l'autodéfense collective. Beaucoup d'hommes politiques avaient d'ailleurs profité des débats sur la nouvelle loi pour relancer la polémique sur l'interprétation de la Constitution. La polémique touchait aussi le Parti libéral démocrate qui a entamé dès la mi-septembre un débat sur la question :

Yamazaki, secrétaire général du Parti libéral démocrate, a déclaré le 14 [...] que « certains reconnaissent le droit à l'autodéfense collective sans modifier la Constitution mais la Constitution ne peut être modifiée par interprétation. On doit ouvertement réviser la Constitution ». 102(*)

La loi spéciale de lutte contre le terrorisme permettait en effet d'ouvrir une nouvelle brèche dans l'interprétation de la Constitution vis-à-vis du débat sur le droit à l'autodéfense collective. Mizushima Asaho remarque d'ailleurs que la nouvelle loi y fait implicitement référence :

Dans la première moitié [de la loi spéciale de lutte contre le terrorisme], il est mentionné l'expression « les activités des divers pays étrangers pour accomplir les objectifs de la Charte des Nations Unies », ce qui implique aussi les activités se fondant sur l'article 51 de la Charte relatif au droit à l'autodéfense individuelle et collective. 103(*)

Cependant, pour Okamoto Yukio, critique diplomatique et responsable des questions de sécurité au Ministère des Affaires étrangères, les opérations qui ne font pas appel à l'« usage de la force militaire » ne sont pas une application du droit à l'autodéfense collective :

[...] Il y a le problème de l'interprétation de la disposition constitutionnelle stipulant que « le Japon possède le droit à la défense collective mais au regard de la Constitution il ne peut pas en faire l'usage ». Quelque difficile qu'il soit de la changer, il existe une large gamme d'interprétations pour établir si une action tombe sous le coup de l'utilisation du droit à la défense collective. L'interprétation de l'actuel corps législatif est extrêmement stricte. Le soutien arrière, qui ne fait pas appel à « l'usage de la force militaire », comme le transport de matériels ou la coopération en matière de soins médicaux, n'est pas une utilisation du droit à la défense collective. Ce n'est pas un problème constitutionnel. 104(*)

Tout dépendrait donc de la nature des opérations pour lesquelles les Forces d'autodéfense sont déployées. Or, la politique de contribution du Japon aux mesures américaines reconnaît implicitement la légitimité d'une action militaire de représailles, ce qui n'entre pas dans le cadre de la définition de l'autodéfense. Autrement dit, tant que les opérations ne relèvent pas de l'autodéfense, les Forces japonaises peuvent intervenir quel que soit le nombre de pays engagés. Cela implique aussi qu'elles pourront agir alors que le Japon est en temps de paix. Cette interprétation répondait notamment aux critiques de certains détracteurs de la politique du Premier ministre Koizumi qui accusait la nouvelle loi de mettre en place un dispositif imitant l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Elle permettait également de donner le change aux Américains qui avaient sévèrement critiqué le Japon pour son refus de la légitime défense collective à l'occasion de la publication du rapport Armitage-Nye 105(*) en octobre 2000. Quoi qu'il en soit, cette nouvelle brèche dans l'interprétation de la Constitution a été entérinée par le vote de la Diète de la loi spéciale de lutte contre le terrorisme.

CONCLUSION

E

n définitive, quelle est la part d'opportunisme dans la manière qu'a eu le Premier ministre Koizumi Jun.ichirô de gérer la « crise » du 11 septembre ? Il est évident que les événements offraient au Japon de nombreuses opportunités. En premier lieu, ils offraient l'opportunité de se délivrer de ce « syndrome » de la guerre du Golfe et de montrer aux Etats-Unis et à l'ensemble de la communauté internationale que le Japon en était un membre à part entière. La situation offrait également l'opportunité de faire progresser la législation en matière de défense. Le Premier ministre Koizumi a saisi toutes ses opportunités et a fait tout ce qui était possible pour que le Japon participe aux opérations, mais était-ce vraiment le seul choix possible ? Toujours est-il que l'occasion était trop belle pour la laisser passer.

Le constat d'échec d'une application de la législation déjà en vigueur peut en effet apparaître davantage comme un prétexte qu'une véritable justification. Le Japon, par sa position aux Nations unies, aurait très bien pu soumettre l'idée d'une résolution sur le principe d'une intervention de maintien de la paix et à caractère humanitaire au Pakistan. Ce pays s'était désolidarisé du régime des Talibans mais sa position limitrophe avec l'Afghanistan pouvait justifier une présence des casques bleus pour sécuriser la zone. Les Forces japonaises auraient pu intervenir dans un tel contexte. En outre, cela serait allé dans le sens de la fameuse volonté du gouvernement japonais et du Ministère des Affaires étrangères d'une plus forte implication et collaboration avec la communauté internationale. Cela aurait également servi ses ambitions concernant sa position au sein de l'Organisation des Nations unies.

Pourtant, le Premier ministre Koizumi a choisi de suivre son allié américain. Il a choisi non seulement de le suivre, mais surtout de tout mettre en oeuvre, quitte à être aux marges de légalité, pour répondre à ses attentes. La question qui se pose alors est de savoir si c'était par pur loyalisme envers le traditionnel allié ou si c'était pour servir d'autres desseins. Un élément de réponse est révélé par l'étude de l'évolution de la politique de sécurité et de défense du Japon. Il s'avère en effet que l'une des grandes ambitions du Japon en la matière est d'acquérir davantage d'autonomie vis-à-vis des Etats-Unis, ou du moins une plus grande marge de manoeuvre. Les progrès réalisés dans la gestion des Forces d'autodéfense japonaises en sont emblématiques. Aujourd'hui il ne serait d'ailleurs pas exagéré de dire qu'il ne manque à cette armée que le titre officiel d'« armée ».

Quoi qu'il en soit, les enjeux étaient tels que le gouvernement japonais ne pouvait se payer le luxe d'être taxer de pleutre, une seconde fois, par toute la communauté internationale. La réaction des autorités japonaises en a été d'autant plus rapide, ce qui était inhabituel. Dès le lendemain des attentats du 11 septembre, le gouvernement Koizumi a annoncé qu'il soutiendrait les initiatives de Washington. Et un peu plus d'un mois après, le Japon s'est doté des dispositions légales lui permettant de rompre avec son traditionnel refus d'apporter un soutien à une opération militaire en vertu de l'article 9 de la Constitution. La loi spéciale de lutte contre le terrorisme a ainsi été votée. D'ailleurs, le titre relativement ronflant de cette nouvelle loi est symptomatique de son caractère opportuniste. En effet, on peut se demander où se situe la frontière entre coopération avec les Etats-Unis et la communauté internationale et défense du territoire national dans la mesure où la menace terroriste est à la fois si diffuse, si éloignée et si localisée, en Afghanistan. Il peut apparaître que cette précision ne soit que de pure forme car l'essentiel reste bien de soutenir l'effort de guerre américain et de contribuer aux efforts de la communauté internationale pour lutter contre le terrorisme, même si la lutte contre le terrorisme n'est pas l'objectif essentiel de cette loi malgré son titre pourtant sans équivoque, tout cela dans le but de justifier la légitimité d'un déploiement des Forces d'autodéfense à l'étranger.

Puis, très vite, les progrès de la politique de défense et de sécurité se sont succédés au rythme des soubresauts de la situation internationale. Les multiples avancées permises par la loi spéciale de lutte contre le terrorisme ont déjà sans conteste fait progresser la législation relative aux Forces d'autodéfense. Certains commentateurs ont même qualifié d'historique le vote de la loi du 2 novembre 2001. Cette nouvelle loi constituait en effet un précédent essentiel. Une série de lois a suivi pour répondre au contexte international, toujours tendu, et contribuant par la même occasion à élargir davantage la législation en matière de défense et de participation militaire. La loi spéciale de lutte contre le terrorisme a d'ailleurs été prorogée afin de faire face aux mêmes nécessités. Elle a été une première fois prolongée de six mois le 19 novembre 2002, c'est-à-dire jusqu'au 19 mai 2003. Mais le 13 juin 2003, le gouvernement a décidé de la proroger de deux ans à compter du 2 novembre 2003, date anniversaire de sa promulgation, afin de permettre aux Forces d'autodéfense de poursuivre leur mission.

La volonté du Japon d'élargir sa politique de défense et de sécurité a été constante, surtout depuis la fin de la guerre froide. Elle s'est manifestée par le développement continu des moyens matériels dont disposent les Forces d'autodéfense, en capacités de détection et de projection (satellite d'observation, transports aérien et naval lourds, ravitaillement en vol) pour aller au-delà de la défense du territoire national, seule mission légitime indiscutable au regard de l'article 9.

Cette volonté s'est aussi concrétisée par l'adoption d'un arsenal législatif que les suites des attentats du 11 septembre 2001 ont permis d'étoffer non seulement par le vote le 29 octobre 2001 de la loi anti-terroriste, mais aussi par l'adoption le jour même d'un projet de réforme partielle de la loi sur les Forces d'autodéfense pour permettre aux Forces d'autodéfense d'assurer la protection et la surveillance des bases américaines même en temps de paix. Le 7 décembre 2001 une révision de la loi PKO a été également votée levant le gel de la participation à des opérations risquées. Les Forces d'autodéfense peuvent désormais participer à toutes les activités des opérations de maintien de la paix et utiliser leurs armes pour se protéger ou protéger les autres contingents des Nations unies.

Ces événements de la fin 2001 ont permis d'accélérer le débat relatif à la législation sur les situations d'urgence et de faire aboutir les efforts qui avaient débuté en 1977 sous l'égide du Premier ministre Fukuda pour doter le Japon d'une législation dans ce domaine. Ainsi, la loi sur les situations d'urgence a été votée par la Diète le 15 mai 2003 et complétée par un dispositif, voté le 6 juin 2003, de trois lois d'urgence dont la loi révisée sur les Forces de défenses qui avait pour but de faciliter, en cas d'urgence, les activités des Forces d'autodéfense en créant des dispositifs spéciaux concernant une vingtaine de lois, notamment en matière de transports et de mouvements de troupes. Ces dispositions ont été adoptées à une écrasante majorité, plus de 90 % des voix à la Chambre des Représentants, que ce soit pour la loi du 15 mai que celles du 6 juin, ce qui marque un tournant dans l'histoire politique du Japon. En effet, même si les questions de défense sont un motif de débat au sein de la classe politique japonaise, la preuve est faite qu'elles ne sont plus un clivage politique.

Peu après, alors que les événements en Irak étaient marqués par le début de l'occupation américaine, le Japon s'est doté d'une loi de participation le 26 juillet 2003 adoptée dans une atmosphère particulièrement houleuse. Cette loi spéciale pour soutenir la reconstruction de l'Irak rendait possible l'envoi dans ce pays des Forces d'autodéfense qui devaient accomplir des activités d'assistance humanitaire, en distribuant des produits de première nécessité aux populations affectées, ainsi que des activités d'assistance pour garantir la sécurité en aidant l'armée américaine à maintenir l'ordre public. C'est la première fois que les Forces japonaises seront envoyées dans un pays occupé. Plus de mille soldats ont été déployés, ce qui est un acte sans précédent et en fait la plus importante opération japonaise jamais menée à l'étranger. Cette nouvelle loi se fondait sur les résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU relatives à l'intervention en Irak et permettait l'intervention des Forces de défense hors des zones de combat et l'usage des armes selon les critères déjà existant. Cette loi est limitée dans le temps, puisqu'elle ne durera que quatre ans, et stipule que l'approbation du Parlement doit être obtenue dans les vingt jours qui suivent l'envoi de troupes.

Ces dispositions ne sont pas sans rappeler celles de la loi spéciale de lutte contre le terrorisme, comme si cette-dernière avait servi de modèle pour élaborer cette loi spéciale de soutien à la reconstruction de l'Irak, ce qui confirme le caractère inaugural de la loi du 2 novembre 2001. Il est envisageable en effet que dès qu'un foyer de tension éclatera et si le Japon est amené à participer aux mesures pour y remédier, il le fera en faisant voter ce même genre de loi spéciale fixant un objectif de mission bien précis et limité dans le temps.

Encore une fois, comme dans bien d'autres domaines, le Japon fait preuve d'une originalité toute particulière. Au lieu de faire en sorte de se doter officiellement d'une armée, il choisit de ménager le pacifisme de sa Constitution et d'aménager par interprétations extensives successives une législation en matière de défense et de sécurité de plus en plus étoffée. Et c'est peut-être là la force du Japon qui invente ainsi un autre genre d'instrument de puissance, un instrument pacifique de puissance.

BIBLIOGRAPHIE

* 96 Asahi shinbun, 16 septembre 2001

* 97 Asahi shinbun, 16 septembre 2001

* 98 Voir 1ère Partie, Chapitre 1, II), B)

* 99 La théorie de la politique des « petits pas » ou spill over a été élaborée par l'école néo-fonctionnaliste pour analyser la dynamique d'intégration de la construction européenne : « Fidèles à la théorie du ruissellement, les néo-fonctionnalistes mettent l'accent sur la réalisation de l'intégration par étapes successives, le passage d'une étape à l'autre s'appuyant sur le phénomène de spill over (débordement), tout progrès dans l'intégration appelant nécessairement d'autres progrès. » Dans J. RIDEAU, Droit institutionnel de l'Union européenne, Paris, L.G.D.J., coll. Manuels, 2002, p. 25

* 100 MIZUSHIMA Asaho \u27700\u27700ê...«‡\u12539E \u26397\u26397'(c)ïä\u12539E, « «Tero taisaku tokubetsu sochi hô» ga motarasu mono » \u12300\u12300uÉee\u12525ÉçÎçÎçô«ÁôÁïÊÊ\u25514[[\u32622'uu\u27861-@@\u12301vv\u12364\u12418à½à½ç·ç·àÌàÌ (Les apports de la «loi spéciale de lutte contre le terrorisme»), Hôritsu jihô \u27861\u27861-@\u26178éúïñúñ, n° 913, janv., 2002, p. 2

* 101 MIZUSHIMA Asaho \u27700\u27700ê...«‡\u12539E \u26397\u26397'(c)ïä\u12539E, op. cit., p. 2

* 102 Asahi shinbun, 15 septembre 2001

* 103 MIZUSHIMA Asaho \u27700\u27700ê...«‡\u12539E \u26397\u26397'(c)ïä\u12539E, op. cit., p. 1

* 104 OKAMOTO Yukio \u23713\u23713%o-{{ \u-30644\u-30644çsïvv, op. cit. , Asahi shinbun, 18 septembre 2001

* 105 Rapport rédigé par Richard Armitage et Joseph Nye et publié par l'Institut d'études stratégiques nationales de l'Université de défense nationale

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius