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Boccace et son ombre : du préhumanisme à la désillusion

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par Guillaume SELLI
Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Diplôme de l'IEP d'Aix-en-Provence 2006
  

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c) Une misogynie à relativiser

Le Décaméron est, nous l'avons dit, une véritable Comédie humaine : normal alors qu'il contienne des nouvelles se contredisant quelque peu les unes les autres, la vie ne dévoilant pas des vérités à sens unique. Son ton général reste tout de même largement progressiste : ce qui sera repris dans le Corbaccio n'est encore qu'en germe. Quant au Corbaccio lui-même, il mérite également de ne pas être caricaturé, le message qu'il délivre étant bien plus complexe qu'une simple diatribe anti-féminine. En effet si Boccace a malheureusement cristallisé sa critique sur les femmes, on devine aisément qu'il adresse des reproches à l'ensemble de la société, qui est toute entière en proie au désordre. Boccace proteste contre l'absence de valeurs, la frivolité croissante des individus, attirés par une littérature de pure consommation, par les signes extérieurs de richesse, par les plaisirs de la table...

Le lecteur du Corbaccio peut d'ailleurs légitimement se poser la question : entre la veuve et le clerc, qui est le plus blâmable ? Et Boccace l'affirme lui-même : ce qui le torture le plus, c'est non pas le fait d'avoir été repoussé par une frivole, mais plutôt d'avoir sombré lui-même dans l'animalité, d'avoir nourri cette passion destructrice et démesurée pour une femme qui n'en valait pas la peine, et ainsi d'être tombé tout seul dans le piège, alors que jusqu'à présent son statut de lettré, d'intellectuel, lui avait toujours fait avoir une haute opinion de lui-même et une conscience d'une certaine supériorité.

1 Au sens classique, le terme «amant» peut s'appliquer à un homme même s'il n'est pas aimé en retour.

2 Selon la distinction opérée par Marco Veglia, dans Il corvo e la sirena, culture e poesia del Corbaccio («Le corbeau et la sirène : culture et poésie du Corbaccio»).

Pour Marco Veglia, le centre du livre n'est pas la misogynie mais comment et pourquoi Boccace a pu commettre une telle erreur de jugement, et comment il se libère de cette faute.

Ayant entendu vanter les qualités de la veuve uniquement par ouï-dire, sans les avoirs constatées lui-même ni jamais l'avoir vue auparavant, il tombe en effet amoureux d'elle dès le premier regard, à vrai dire moins d'elle que de l'image idéalisée qu'il s'en fait... Le «mauvais corbeau», est en réalité bien plus le clerc lui-même que la veuve : en effet à l'époque le corbeau était souvent soit comme le symbole du «chierico penitente», soit comme celui d'un homme victime des séductions mondaines, qualités que rassemble pourtant le protagoniste, qui est d'ailleurs le seul être «ailé» de l'oeuvre : «mi parea che mi fossero da non usitata natura prestate velocissime ali2»3.

Ainsi plus encore que la condamnation de la femme, c'est une condamnation de l'amour galant à laquelle nous assistons dans le Corbaccio, qui loin de sublimer les âmes comme dans les oeuvres de jeunesse de notre auteur, présente le risque d'avilir et de faire tomber dans la bestialité les esprits les plus nobles. Au même moment où Boccace écrit le Corbaccio, il compose le De mulieribus claris : les femmes restent une de ses préoccupations majeures, mais son rapport avec elle a changé, de même que sa vison de l'amour.

1 «Humble traité» C'est Boccace lui-même qui qualifie le Corbaccio ainsi, dès le début de l'oeuvre.

2 «J'avais l'impression d'avoir été doté de rapides ailes»

3 Arguments apportés par Marco Veglia, op. cit. Francesco Erbani penche en revanche dans son introduction au Corbaccio pour une identification de la veuve et du corbeau, mais se révèle beaucoup moins convaincant. La veuve, loin d'être une créature ailée, même de mauvais augure comme un corbeau, est traitée dans l'oeuvre de serpent, animal rampant, ce qui n'est qu'une métaphore pour évoquer son esprit et son intelligence, des plus terre à terre...

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon