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Dualité du marché du travail, état social et sécurité économique en Tunisie


par Mokhtar ABIDI
Université Paris 13 - Master 2 Economie et Finance Internationales 2006
  

Disponible en mode multipage

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« Un homme n'est pas pauvre parce qu'il n'a rien, mais parce qu'il ne travaille pas. Celui qui n'a aucun bien et qui travaille est aussi à son aise que celui qui a cent écus de revenu sans travailler »

Montesquieu, L'esprit des lois, Livre XXIII, Chap. XXIX.

SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE.....................................................3

CHAPITRE I : INSTABILITÉ CONTRACTUELLE, PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI : PLAIDOYER POUR LA CONSTRUCTION D'UN INDICE DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE..............................................................................10

CHAPITRE II : MARCHÉ DE TRAVAIL EN TUNISIE : INFORMEL, DUALISME : DESTRUCTION DU SALARIAT ET ÉMERGENCE DES GROUPES A INSÉRER...................................................................35

CHAPITRE III : CALCUL DU TAUX DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE EN TUNISIE ET ESSAI D'INTERPRÉTATION...................................................58

CONCLUSION GÉNÉRALE........................................................75

RÉFÉERENCES BIBLIOGRAPHIQUES......................................79

TABLE DES MATIÈRES.............................................................82

INTRODUCTION GÉNÉRALE

La sécurité est, aujourd'hui, ce à quoi aspirent le plus souvent les personnes. Dans un monde perpétuellement changeant, l'insécurité gagne du terrain. En effet, l'exacerbation de la concurrence internationale entraîne, dans beaucoup de pays, des pertes d'emploi ; elle conduit aussi à privilégier la flexibilité, d'où des emplois qui, souvent, offrent moins de sécurité et s'accompagnent de moins de prestations sociales que les emplois classiques. Tous ces facteurs contribuent à l'accroissement du sentiment d'insécurité des travailleurs.

La sécurité présente de multiples facettes : sécurité et protection de la santé au travail, stabilité de l'emploi, aptitudes et qualifications pouvant être exploités de façon productive, garanties concernant le revenu et l'accès aux services publics, revenus suffisants pour les personnes âgées et pour les malades, protection contre toute sorte d'aléas. Elle suppose aussi le droit de s'organiser pour défendre ses intérêts, le droit d'être à l'abri de la violence et de l'oppression. La sécurité est en effet le socle même d'une société décente et aussi la base d'une économie dynamique car elle est une source fondamentale de légitimité sociale.

Or, dans le monde, la majorité des gens ne jouissent pas d'une sécurité suffisante. Les systèmes de protection sociale du type de ceux qui ont vu le jour dans les pays industrialisés au cours des cent dernières années ne profitent qu'à une partie de la population, excluant généralement les pauvres et les travailleurs informels.

Notre objectif consiste à souligner l'importance de la sécurité économique dans la vie des individus et des groupes sociaux et plus particulièrement les formes de protection sociale propres à la garantir. On essayera donc d'accorder beaucoup d'attention aux notions d'emploi, de contrat de travail mais aussi aux institutions politiques du marché du travail qui peuvent favoriser, ou au contraire contrarier, l'accès à des activités rémunératrices. Assurer un travail décent à tous, hommes et femmes, reste la clef d'une sécurité économique si, par travail décent on entend un travail qui, non seulement garantit un revenu décent aujourd'hui mais s'assortit d'une sécurité de revenu à long terme.

L'édification d'un monde dans lequel tous les travailleurs bénéficient d'un minimum de sécurité, d'une société décente, exige la conjugaison des forces des institutions représentatives des travailleurs, des employeurs, de l'Etat et de la société civile.

Cet objectif, de grande ampleur, devrait permettre d'examiner les orientations à donner aux politiques économiques afin de promouvoir la sécurité économique de tous. Ainsi, un nouveau regard devrait être jeté sur les différentes dimensions de la sécurité économique directement liées au marché de travail - sécurité de l'emploi, sécurité du travail - et leurs interactions avec d'autres formes de protection sociale et de sécurité du revenu.

Certaines catégories sociales se trouvent plus exposées que d'autres à l'insécurité économique. Un enfant, une femme, une personne âgée risque davantage d'être exposé à la pauvreté qu'un homme adulte en âge de travailler. De même, les travailleurs du secteur informel y sont plus exposés que les salariés du secteur formel. Ainsi, le problème concerne non seulement les pauvres ou ceux qui se trouvent à la limite de la pauvreté, mais s'étend à tous ceux qui tirent leur revenu de leur travail qu'ils soient salariés ou travailleurs indépendant ou qu'ils aient un statut mal défini, comme c'est souvent le cas dans le secteur rural ou informel.

La sécurité économique peut être assurée de bien de façons. Dans les pays développés, les transferts en faveur de ceux qui ont besoin d'une aide leur ont permis d'éviter de sombrer dans la misère. Mais malgré ses excellents résultats, ce modèle ne saurait s'appliquer aux pays en voie de développement. Dans ces derniers, une grande partie de la main d'oeuvre travaille dans le secteur informel, et beaucoup de travailleurs sont "sous employé" plutôt qu'au chômage. En plus, les mécanismes nécessaires à une bonne gouvernance restent fragiles et les lois concernant l'impôt et la sécurité sociale ne sont guère respectées, ce qui réduit les recettes fiscales et cotisations sociales.

La sécurité économique se base, pour l'essentiel, sur la sécurité du revenu. Cette dernière se trouve menacée par la montée d'un mouvement général de précarisation de l'emploi, d'extension du travail temporaire et des activités informelles. En effet, le chômage de longue durée et la précarisation croissante de la relation de travail ont laissé apparaître des formes atypiques d'emploi (travail à durée déterminée, à temps partiel, intermittent, temporaire, etc.). Parmi leurs formes d'emploi juridiquement reconnues en France, on trouve le Contrat à Durée Déterminée (CDD), le travail intérimaire, le travail à temps partiel, les stages de formation et les contrats aidés.

Comment peut-on expliquer une telle tendance du marché de travail et quelles sont ses conséquences en matière de sécurité/insécurité économique des groupes sociaux ?

L'analyse d'une relation de travail (ou d'absence de travail ou de relation aléatoire au travail) représente un facteur déterminant pour replacer cette nouvelle tendance du marché de travail dans la dynamique sociale qui la constitue. En effet, la montée de l'incertitude de l'emploi a conduit à une redéfinition des conditions dans lesquelles la stabilité de la relation d'emploi pouvait être assurée. Ainsi, le salarié serait de plus en plus amené à partager l'incertitude de l'emploi pour assurer la pérennité de son emploi ou, du moins, sa sauvegarde. De plus, l'instabilité de la relation d'emploi a amené certain à exercer plus qu'une activité. On se trouve de plus en plus dans un contexte de diversité et de chevauchement des formes de travail et d'activité. D'où, des savoirs et compétences plus ou moins visibles qui surgissent : des savoirs, de l'expérience liés à la gestion de situations d'urgence où il faut inventer des solutions rapides pour vivre ; des compétences à recréer du lien social ; des compétences liées à la lutte contre les inégalités et la pauvreté.

La vie sociale est ainsi, du moins tendanciellement, assimilable à un certain nombre de risques (sociaux) et c'est autour du statut du salariat que tourne l'essentiel de la problématique de la protection sociale. La consolidation du statut du salariat permet l'épanouissement des protections, tandis que sa précarisation mène à l'insécurité sociale. Le problème de la continuité de la protection sociale, et, de façon plus générale, de la sécurité économique des personnes renvoie plutôt à la question des modalités d'accès des différents citoyens aux ressources. Trois modalités de répartition peuvent être distinguées. Qualifiée d'économique, la première modalité renvoie aux revenus que les individus tirent de leur participation à l'activité productive. La répartition sociale, de son côté, renvoie aux transferts, dont vont bénéficier les individus, en provenance d'institutions qui prélèvent et redistribuent des revenus. La répartition domestique, enfin, regroupe tous les transferts fondés sur un lien personnel entre l'émetteur et le receveur, et renvoie donc principalement à la solidarité familiale. Loin de s'exclure, les trois sphères de la répartition se superposent en partie pour de nombreux individus.

Ainsi, la prise en compte de la sécurité matérielle des citoyens, ou encore leur insécurité, nous permet de déceler les nouvelles missions de l'État social qui ont accompagné l'avènement du salariat. À l'instar de Castel, l'État social prend acte des effets pervers des régulations purement économiques et de l'insuffisance des régulations morales. De son côté, et en s'inspirant de l'idée que la citoyenneté sociale constitue le coeur et la pierre angulaire de l'idée de l'État providence, Gøsta Esping-Andersen a cherché à mettre en avant la notion de "démarchandisation" (decommodification) qui renvoie à l'idée d'un détachement progressif du sort des individus vis à-vis de la logique du marché.

Donc, à côté des revenus issus des activités rémunérées, ces deux auteurs ont souligné l'importance des ressources issues des régimes collectifs de protection sociale ainsi que ceux en provenance des liens de proximité entre autres la famille qui permettent une certaine dépendance des individus à l'égard du marché, d'où la possibilité de construire ce que Castel appelle des "zones de cohésion sociale". Pour cet auteur, l'association travail stable - insertion relationnelle solide caractérise une "zone d'intégration". A l'inverse, l'absence de participation à toute activité productive et l'isolement relationnel conjuguent leurs effets négatifs pour produire la "désaffiliation". Enfin, la vulnérabilité sociale reste une zone intermédiaire, instable conjuguant précarité du travail et fragilité des supports de proximité. La composition des équilibres entre ces zones peut ainsi servir d'indicateur privilégié pour évaluer la cohésion d'un ensemble social à moment donné.

Pour comprendre les liens entre ces mouvements de la société, leurs impacts sur les populations et les réformes qui visent à les maîtriser, il est alors utile de disposer de concepts et d'outils statistiques permettant de distinguer les systèmes sociaux selon leurs conséquences en matière de sécurité des populations contre le risque d'insuffisance des revenus. L'instabilité et le caractère variable des revenus issus de la répartition économique aboutissent fréquemment à une mise en cause des capacités des populations de disposer régulièrement des moyens pour se nourrir, se loger, se vêtir et subvenir à leurs besoins fondamentaux. Comment évaluer alors les résultats des politiques des Etats sociaux en ce qui concerne la protection qu'ils assurent à leurs ressortissants contre les problèmes découlant des divers aléas de l'existence ? Car les outils synthétiques que fournissent les comptes nationaux s'avèrent insuffisants pour évaluer aussi bien les insécurités économiques que les sécurités, divers indicateurs statistiques alternatifs ont été proposés depuis les années quatre-vingt pour suppléer aux insuffisances du PNB par habitant.

Essayant d'apporter des remèdes à ces insuffisances, Menahem et Cherilova (2005) ont opté pour la construction d'un ratio, appelé Taux de Sécurité Economique (TSE), qui permet d'apporter une appréciation du degré de sécurité économique des populations dans un territoire donné. Son principe consiste à rapporter, dans un même indicateur, l'ensemble des revenus que les individus touchent tout au long de leur vie adulte dans le pays considéré à un dénominateur commun représentant le niveau de vie moyen des actifs ayant un emploi.

Prenant en compte à la fois des revenus directs du travail et des ressources indirectes issues des transferts sociaux, le TSE permet de comparer les contributions de chaque type de répartition à la sécurité économique des personnes dans le pays en question. Il agrège les revenus de l'activité professionnelle nets des impôts sur le revenu ; les revenus de remplacement du travail associés aux risques vieillesse et chômage nets de prélèvements fiscaux ; les remboursements et les aides en nature associés aux frais de maladie et d'invalidité ; les aides à la famille et aux démunis correspondant aux mesures de lutte contre l'exclusion.

La mise en oeuvre d'instruments d'évaluation d'une des missions de l'État social, a permis le développement de tentatives de calcul de la sécurité démarchandisée dont disposent les populations qui reflète un détachement, du moins en partie, le sort des citoyens de la logique du marché

Un premier essai résulte des travaux réalisés par un sociologue suédois, Gøsta Esping-Andersen. Centrant son analyse autour du concept de « démarchandisation », cet auteur a crée un « indicateur de démarchandisation » qui devrait permettre de quantifier jusqu'à quel point un Etat permet à ses ressortissants de ne pas dépendre des valorisations du marché. Son principe consiste à calculer la moyenne pondérée par les pourcentages des populations concernées couvertes entre trois scores relatifs à trois domaines différents : ceux relatifs aux pensions de retraite, aux prestations d'assurances maladie et à l'assurance chômage.

Une deuxième tentative découle des travaux de deux chercheurs canadiens, Osberg et Sharpe, qui ont élaboré à la fin des années 1990 un « indicateur de bien être économique » dont un des objectifs est de mettre en cause la domination du PNB par habitant en tant que principal indicateur du bien être économique des populations. Le principe de cet indicateur consiste à faire la moyenne de quatre indicateurs synthétiques portant respectivement sur les flux de consommation, les stocks de richesse (économique, humaine et environnementale), les inégalités et la pauvreté économiques, et l'insécurité économique (risques économiques liés au chômage, à la maladie, à la vieillesse, et à ceux des familles monoparentales).

Résultant des travaux de Menahem, la troisième approche consiste à mettre évaluer les performances relatives des différents États sociaux en matière de lutte contre l'insécurité économique des populations à travers la mise en place d'un Taux de Sécurité Démarchandisée (TSD). Ayant pour principe l'estimation des volumes globaux des revenus disponibles dont disposent les populations, la démarche de Menahem permettra d'en apprécier la part ne disposant pas de revenus suffisants pour assurer de nombreuses sécurités primordiales telles que la capacité à disposer des moyens de se nourrir, se loger, ou se vêtir.

Certes l'Etat social joue un rôle primordial dans la mise en oeuvre de filets de sécurité économique pour ceux qui se trouvent dans le besoin. Néanmoins, la montée en puissance des formes atypiques d'emploi (CDD, stages, intérim) afin de répondre à une demande accrue de flexibilité de la part des entreprises et parfois aussi des travailleurs a mis à mal des régimes de protection sociale fondés sur l'emploi stable. Par exemple les rubriques « assurance chômage » et « retraite », conçues selon un modèle de plein emploi stable, répondent mal à un régime de flexibilité, de mobilité et des changements de statut tout au long de la vie active.

L'instabilité des personnes face à l'emploi a accentué, surtout dans les pays sous développés, l'informalisation du travail, la pluriactivité et la mobilité vers l'emploi à son propre compte, en particulier dans les zones urbaines.

Parmi les questions autour desquelles s'articule le débat sur le secteur informel, on peut évoquer celles relatives à la définition du secteur, à la délimitation de son contour, aux tentatives de quantification de certains de ses aspects, à la possibilité de l'intégrer dans la comptabilité nationale. Se posent également des interrogations ayant trait au rôle que peut jouer ce secteur dans un schéma de développement et de croissance économique dans les pays en voie de développement, rôle que les organisations internationales comme le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale semblent considérer comme déterminant. En plus, le secteur informel peut se trouve en position duale par rapport au secteur formel. Une extension de cette conception dualiste peut aller jusqu'à l'opposition privé/public tout en passant par l'opposition traditionnelle rural/urbain.

Dans le cadre d'un marché de travail de plus en plus segmenté et précarisé, la mise en place de régimes de sécurité sociale est certes un élément essentiel de l'extension de la protection sociale, mais cette dernière demeurera inopérante si les personnes visées n'adhèrent pas à ses régimes (ou n'y cotisent pas) d'où l'importance d'évaluer la couverture réelle des catégories de la population concernées par les régimes de sécurité sociale.

Le contour général de cet édifice intellectuel qui vient d'être dessiné aboutit aux trois séries de questionnements suivants : la première porte sur la sécurité (ou insécurité) économique comme concept central du débat, la seconde sur la relation entre stabilité de la relation contractuelle et sécurité économique et la troisième portera sur le rôle de l'Etat social dans l'atténuation de cette insécurité.

Pour mener à bien l'objectif d'un examen du concept « sécurité économique » et d'une réflexion sur l'interprétation de ses principaux enjeux (i.e. son lien avec la précarisation de la relation de travail), un premier chapitre formera un support conceptuel dans le souci d'essayer de définir la stabilité contractuelle sur le marché de travail, notion à distinguer d'une notion voisine, stabilité de l'emploi, et à confronter à d'autres notions comme la flexibilité ou la précarité de l'emploi. Un second chapitre mettra l'accent sur la définition de nouveaux contours de l'activité productive (en intégrant le secteur informel) et montre à quel point l'approfondissement des approches de l'emploi contribue à une redéfinition des relations entre revenu de travail et sécurité économique. Le troisième chapitre aura pour but la concrétisation des enseignements tirés de l'évaluation du taux de sécurité économique associés à l'Etat social Tunisien.

CHAPITRE I:

INSTABILITÉ CONTRACTUELLE, PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI : PLAIDOYER POUR LA CONSTRUCTION D'UN INDICE DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE

Est-on sécurisé si on est sans travail ou si l'emploi que l'on occupe est mal rémunéré, à temps partiel ou temporaire ? Ne risque-t-on pas de créer des poches de pauvreté en rendant la relation de travail de plus en plus instable ? Ne vaudrait-il pas mieux intervenir en amont et éviter la croissance des situations de précarité en réformant le fonctionnement du marché de travail afin de permettre un meilleur accès à l'emploi et une continuité de la protection sociale ? Comment les systèmes de protection sociale devraient-ils s'adapter pour éviter les ruptures générées par la précarisation de la relation de travail ?

Telles sont les questions à propos desquelles ce premier chapitre voudrait, sinon apporter toutes les réponses, du moins contribuer à une clarification du débat.

Notre but est de relier la question de la lutte contre la précarité et l'exclusion à celle, plus générale, des transformations de la relation de travail. C'est pourquoi la notion de stabilité a été placée au coeur de la réflexion dans ce premier chapitre. C'est l'instabilité ou la précarité de l'activité, et celle du revenu qui entraîne la possibilité de recours à des activités informelles ou à la propagation de la culture de l'aléatoire (Roulleau-Berger, 1999).

Les situations d'insécurité trouvent généralement leur origine dans la précarité face à l'emploi, à la famille, au logement. Ce premier chapitre veut articuler ce qui relève de l'économique (les marchés) et ce que l'on réserve traditionnellement au social (la redistribution). En effet, si le marché ne créait ni instabilité, ni recours à l'informel, ni des tensions dualistes sur le marché de travail, ni insécurité économique, il serait inutile de mettre en place des filets de sécurité.

SECTION 1 : STABILITÉ CONTRACTUELLE ET EMPLOI : LES ENJEUX

La stabilité exprime la solidité d'un lien, indifférent à la survenance d'évènements qui menacent son existence : elle est davantage synonyme de durée, de permanence, de pérennité (Martinon, 2005).

Précisément, la stabilité du contrat de travail traduit la relation de pérennité de la relation de travail, en dépit des mutations économiques, des comportements, des évènements personnels ou des phénomènes naturels compromettant son exécution.

La stabilité du contrat de travail doit être distinguée d'une notion voisine, la stabilité de l'emploi; elle doit être aussi confrontée à des notions contraires, du moins a priori, telles la flexibilité ou la précarité de l'emploi.

1.1- Stabilité contractuelle et emploi

a. Stabilité contractuelle et flexibilité de l'emploi

La stabilité est traditionnellement opposée à la flexibilité ou à la précarité; la confrontation de ces notions éclaire le champ de notre étude. Juridiquement parlant, la flexibilité de l'emploi peut être définie comme "le caractère non contraignant des règles juridiques" (Martinon, 2005); la stabilité est synonyme de rigidité, freinant le développement économique et empêchant de fait la création d'emplois, car selon le main stream la survie de l'emploi passe par un marché du travail plus flexible.

Sans entrer dans un débat qui relève plutôt de l'analyse juridique, on peut nuancer l'opposition en relevant qu'elle cache, en réalité, une ambiguïté. Car la flexibilité présente plusieurs formes. En effet, Brunhes (1989) propose une distinction entre flexibilité quantitative ou externe dont l'objet est de faire «fluctuer les effectifs de l'entreprise en fonction des besoins », et flexibilité interne ou fonctionnelle, qui consiste à faire varier la durée de travail ou les fonctions du salarié. Cette approche, exprimée en termes de gestion, est le reflet d'une distinction juridique entre la flexibilité du lien contractuel et celle des obligations contractuelles. De cette précision, il ressort que l'on ne peut radicalement opposer stabilité et flexibilité. Au contraire, la loi et la jurisprudence offrent des exemples de complémentarité : témoignent de ce phénomène la variabilité négociée des obligations contractuelles, le régime de la modification du contrat de travail et l'élaboration jurisprudentielle et législative d'une obligation de reclassement, ou l'utilisation de la flexibilité du temps de travail comme instrument de sauvegarde du lien contractuel. Plus qu'une mise au point, le rapprochement éclaire l'objet de notre étude : la stabilité du contrat de travail, telle que nous l'analyserons, se limite au maintien du lien contractuel et exclue la stabilité des obligations contractuelles.

b. Stabilité contractuelle et précarité

De la même manière, soutenir que la stabilité s'oppose à la précarité révèle d'une analyse approximative de la relation de travail. La confusion naît d'abord d'une définition fluctuante de la précarité de l'emploi. A maxima, elle est synonyme de pauvreté et trouve son critère essentiel dans le revenu : subit la précarité celui qui, travaillant ou non - le chômeur ou le bénéficiaire de minima sociaux a un statut précaire (Belorgey, 2000) - ne peut prétendre à un revenu décent : le travail à temps partiel, le salaire minimum ou les contrats à durée limitée sont des signes de précarité. A minima, l'expression ne porte que sur la situation contractuelle ; la précarité concerne alors les contrats à durée déterminée et les contrats de travail temporaire.

Le régime de ce type de contrats entretient ensuite la confusion : au contrat de travail à durée indéterminée, emblème de la stabilité de la relation de travail, s'oppose le contrat à durée déterminée, emblème de la précarité. Les mécanismes contractuels font apparaître une réalité plus complexe. Certes on peut soutenir que l'arrivée du terme marquant, conformément à la volonté des parties, la cessation du contrat à durée déterminée et libère les parties du lien contractuel, sans procédure et sans motif ; le contrat sans limitation de durée, qui oblige l'employeur à motiver la rupture sous peine de sanctions civiles, présente davantage le caractère de stabilité. Mais les rôles sont inversés lors de l'exécution du contrat : alors que le Contrat à Durée Indéterminée (CDI) est constamment menacé par le droit de résiliation unilatérale, le terme garantit la durée du contrat ; de sorte que le contrat à durée déterminée peut se prévaloir d'une forme de stabilité contractuelle (Poulain, 1994). L'opposition entre la précarité et la stabilité est incorrecte. Née de la volonté des parties, la stabilité apparaît bien comme la contrepartie de la précarité subie lors de la cessation du contrat conclu.

c. Stabilité contractuelle et stabilité de l'emploi

La littérature économico-juridique autorise un rapprochement entre les notions de stabilité du contrat de travail et de stabilité de l'emploi. Ce rapprochement est facilité par une acception plutôt souple de la notion d'emploi, appréhendée tantôt dans sa dimension collective, tantôt dans sa dimension individuelle.

Les intérêts individuels - se prémunir contre la perte d'un emploi - et collectifs - défendre l'emploi - se rejoignent. Le rapprochement des notions est parfois source de difficultés : l'accord collectif du maintien de l'emploi signifie-t-il une limitation au droit de résiliation unilatérale du contrat de travail ou peut-il être réduit à la volonté de maintenir l'effectif ?

Fortement marquée par une dimension collective et économique, la stabilité de l'emploi ne renvoie pas toujours à la pérennité du lien contractuel. Les notions ne sont pas strictement identiques : la stabilité contractuelle est un démembrement de la notion plus générale de stabilité de l'emploi.

Le champ de notre étude étant délimité, « débarrassé » des notions voisines - stabilité du contrat de travail ou stabilité des obligations contractuelles -, il convient maintenant de présenter les enjeux de la stabilité du contrat de travail. Cette constatation impose de relever, au préalable, l'environnement politique, économique et social dans lequel s'intègre l'impératif de stabilité.

1.2- Les enjeux de la stabilité

La stabilité revêt alors une importance majeure dans l'analyse de la sécurité économique. En entretenant une relation particulière avec les réalités qu'elle permet d'étudier, elle soulève, en contrepartie, des enjeux qu'il convient de décortiquer. En quoi consiste le rapprochement de la stabilité contractuelle de la sécurité de l'emploi ? Quel rôle revient à la stabilité comme facteur d'épanouissement de la personne en assurant certaines de ses libertés fondamentales ainsi que dans le processus de son intégration dans la société ? Comment se manifeste la politisation de la relation de travail ?

Autant de questions qui seront discutées en détail dans ce qui suit où on se propose d'en apporter des réponses.

a. la stabilité, un enjeu politique

Quelle que soit la tendance politique, le « plein emploi » reste un idéal. Revendication ancienne, il est aussi une préoccupation aux échelles nationale et internationale. La multiplication des lois en faveur de l'emploi témoigne des efforts accomplis pour atteindre cet idéal. Toute politique intéressant l'emploi ne renvoie pas nécessairement à la stabilité du lien contractuel. Plusieurs méthodes sont employées pour réduire le chômage. Des politiques incitatives concentrent l'effort sur l'embauche, comme en témoignent le développement des actions de formation, de réduction des charges sociales ou d'incitation à la reprise d'activité. La stabilité contractuelle rejoint davantage les politiques coercitives dont l'objet reste de réduire le chômage résultant de la perte d'emploi. Méprisant la loi du marché, la naissance et l'épanouissement de la stabilité du contrat de travail se caractérisent par une mise à l'écart de l'autonomie de la volonté et un développement de l'interventionnisme étatique. Des mesures contraignantes, telles que l'encadrement du contrat précaire et la taxation du licenciement, sont utilisées comme instruments de régulation de l'emploi.

A l'instar de Martinon (2005), un tel usage de la stabilité contractuelle illustre néanmoins une tendance plus générale à la politisation de la relation de travail. De ce fait, les mesures qui cherchent à assurer la protection du lien contractuel fluctuent au gré des alternances politiques, oscillant entre renforcement et libéralisation de la stabilité, entre protection et flexibilité. Le débat entre protectionnisme et libéralisme est loin d'être achevé. Au demeurant, le droit de licenciement pour motif économique reste la caricature d'une opposition plus générale entre la stabilité contractuelle et les exigences économiques.

b. La stabilité, un enjeu économique

Spontanément, on aurait tendance à penser que la stabilité du contrat de travail entretient avec le libéralisme économique des rapports tendus. Toute restriction au droit de rompre le contrat n'est-elle pas un frein à la libre concurrence ? La recherche à améliorer la productivité par le développement des nouvelles technologies, n'est-elle pas un facteur de destruction de l'emploi ? Nombre de règles nourrissent ce rapport de confrontation : la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise est un motif de rupture du lien contractuel ; la limitation des causes de licenciement pour motif économique est une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre du chef d'entreprise.

Pour autant, les tensions existantes entre la stabilité du lien contractuel et les finalités économiques ne doivent pas être exagérées. En effet, le contrat de travail se nourrit de l'activité économique car sans activité économique et sans les besoins de main d'oeuvre qu'elle fait naître, il n'y a pas de travail salarié. Ainsi, la stabilité du contrat de travail doit être rapprochée de la sécurité de l'emploi alors que l'instabilité contractuelle résultant d'un licenciement ou de la menace d'un licenciement est le signe d'une insécurité (Esping-Andersen, 1999). Ensuite parce que sur le plan macroéconomique la stabilité juridique est synonyme de sécurité économique et donc d'encouragement de la consommation des ménages. Enfin, car on doit observer que la stabilité que représente le contrat à durée indéterminée, plus qu'un encouragement, est une condition d'existence d'autres contrats de nature économique : la signature d'un bail d'habitation, d'un crédit à la consommation ou immobilier, n'est-elle pas subordonnée, notamment, à la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée ? D'où il ressort que la stabilité est le point de départ nécessaire d'une chaîne de contrats. De ce qui précède, on conclu que la stabilité contractuelle réduit les risques de précarité1(*) ; elle est un maillon de l'intégration professionnelle et de la vie sociale. De la sorte, la réforme de la figure contractuelle - CDD, travail intérimaire, mission temporaire, ... - exige une transformation des comportements de certains agents économiques - propriétaires, établissements bancaires et financiers ... - ce qui dépasse le seul cadre des relations de travail.

c. La stabilité, un enjeu social

Ce que l'on constate pour l'acquisition se vérifie également pour les contrats extra-patrimoniaux. Pour preuve, on relève que la stabilité du contrat de travail est un élément permettant au juge de déterminer en cas de divorce, au nom de l'intérêt de l'enfant, son lieu de résidence. Cet exemple montre que la stabilité assure un rôle essentiel dans la société. Cette situation résulte de la représentation que notre société se fait du travail.

En plus, le travail, et le revenu que l'individu en retire, sont des facteurs d'épanouissement de la personne, d'assurer sa liberté ainsi que son intégration dans la société.

Nécessaire à la défense des droits fondamentaux individuels, la stabilité contractuelle accompagne également le déploiement des droits sociaux collectifs. Droit syndical, exercice du droit de grève ... sont des exemples de droits qui trouvent dans la stabilité un moyen de s'accomplir. S'inscrivant dans la logique du droit au travail, la stabilité contractuelle revêt aujourd'hui le caractère d'un mythe qui vise un point central de l'intégration sociale des sociétés modernes. Chaque individu devrait pouvoir partir du principe qu'il existe, dans la société dans laquelle il vit, qu'il occupe une place, une fonction (activité, emploi, revenu) où il peut trouver à s'employer utilement, tant pour lui-même, afin de subvenir à ses propres besoins, que pour la société dans laquelle il vit. L'individu participe ainsi à son propre entretien comme à la cohésion sociale.

La montée de la vague de travail précaire au cours des dernières années nous mène à s'interroger à sa portée et les diverses situations d'insécurité économique auxquelles elle peut donner lieu. En effet, les mutations nouvelles de la relation de travail nous fournissent de nombreuses illustrations de cette configuration d'intérêt. Ainsi, l'épreuve de la précarité reste l'illustration la plus importante de la crise du salariat.

SECTION 2 : L'ÉPREUVE DE PRECARITÉ : VECTEUR DE CRISE DU SALARIAT

L'activité, l'emploi et le revenu font partie de l'économie et du marché, mais ils ne revêtent pas cette seule signification économique par rapport à l'activité de l'être humain, à son appartenance. La crise de travail, comme transformation de l'activité professionnelle, n'est pas une grandeur économique unique et isolée, mais elle est fondamentalement rattachée à l'intégration et à la désintégration de l'être humain.

En effet, les différentes situations par rapport à l'emploi sont aujourd'hui hiérarchisées non seulement en fonction des niveaux des responsabilités et de pouvoir sur le lieu de travail, mais aussi, de plus en plus, en fonction du degré de stabilité de l'emploi et de l'ampleur des avantages économiques et sociaux que procure l'activité professionnelle.

2.1-Crise de la relation de travail

Au fil de la mondialisation, les mécanismes de fonctionnement de l'économie, avec leur propre logique, se soustraient de plus en plus à la régulation contextuelle décentralisée des Etats, et déterminent ainsi la quantité de travail dont ils ont besoin pour s'auto-conserver. Cette quantité est en décroissance, bien que les marchandises et les biens se multiplient constamment. La quantité de travail économiquement demandée décroît par ailleurs même pendant les phases d'essor économique. C'est ainsi que le marché de travail est non seulement déconnecté des marchés des biens, mais également détaché des variations cycliques de la conjoncture économique.

Ce constat, ses raisons et ses effets essentiels font généralement l'objet d'un consensus. Les conditions du marché mondial et celles de la concurrence accroissent la nécessité d'une innovation de la production toujours plus rapide, d'une réduction des coûts et d'une augmentation de l'efficacité ce qui génère un ébranlement de la sécurité des relations de travail.

a. Transformation des relations contractuelle et partage des risques

La mutation des relations contractuelles qui permet d'utiliser la force de travail sous des formes diversifiées modifie la portée du partage des risques qui est au coeur du contrat d'emploi dans ses différentes dimensions.

· Incertitude de l'emploi et flexibilité du contrat de travail

Face aux aléas des marchés, à la transformation rapide des emplois et des modes d'organisation productive, le contrat de travail a été réduit à des tâches précises et non durables accentuant sa dimension marchande. Ce processus permet un transfert du risque de l'emploi sur d'autres entreprises voire sur le travailleur lui-même.

L'incertitude de l'emploi a conduit à une redéfinition des conditions dans lesquelles la stabilité de la relation d'emploi pouvait être assurée. D'une part, l'employeur a la possibilité d'adapter le salarié à l'évolution de son emploi, ce qui ouvre la voie au licenciement qui reste un recours ultime. Le salarié est ainsi amené à partager l'incertitude de l'emploi pour assurer la pérennité de son emploi ou, du moins, sa sauvegarde.

Cet élargissement de la relation d'emploi représente un facteur essentiel dans la redéfinition de la stabilité de la relation d'emploi, qui prend en compte les nécessités d'évolution et de mobilité des personnes ce qui peut répondre à l'intérêt commun des deux parties.

Il y a eu apparition de nouvelles formes d'emploi (travail à durée déterminée, à temps partiel, intermittent, temporaire, etc....). Parmi les formes d'emploi juridiquement reconnues, on trouve le Contrat à Durée Déterminée (CDD), l'intérim, les contractuels auxiliaires et vacataires du secteur public, le travail à temps partiel, le travail intermittent, l'apprentissage, les stages de formation et les contrats aidés.

Comment peut-on expliquer une telle tendance du marché de l'emploi ?

Ces contrats, à l'origine, ne peuvent porter sur un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Il ne s'agit donc pas de contrat d'emploi intégrant l'incertitude sur la pérennité du contrat, mais de contrat portant sur un travail limité. Il y a évidemment là un facteur majeur de crise de la société salariale. L'usage de ces contrats atypiques (par rapport au contrat typique à durée indéterminée) a bien dépassé ces frontières, où ils ont acquis une incontestable polyvalence et c'est ce qui justifie l'hypothèse de la multiplication de ces normes d'emploi.

Le CDD est devenu une norme d'embauche, mais aussi un outil majeur d'insertion professionnelle et de réinsertion des chômeurs. Mais quelles que soient les utilisations faites du CDD et de l'Intérim, ils limitent la prise en charge du risque de l'emploi. Pour le reste, ce risque est à la charge des systèmes de solidarité, mais surtout du salarié.

Cette déstabilisation de la relation d'emploi pose donc à nouveau la question de savoir comment assurer la sécurité des relations d'emploi et la continuité des droits liés à l'emploi, c'est-à-dire comment organiser la prise en charge du risque de l'emploi, là où la limitation du contrat à des tâches déterminées ou à une durée limitée introduit une discontinuité.

· Incertitude de l'emploi et développement du travail indépendant

Le renouveau du travail indépendant apparaît comme la forme extrême des évolutions du marché de travail, en considérant finalement le travailleur indépendant comme « entrepreneur de soi », comme chef d'entreprise individuelle qui assume le risque de son emploi, en même temps que le risque du travail et le risque économique de son entreprise.

Dans le contrat de travail salarié, différentes clauses peuvent faire supporter au salarié une part des aléas du marché. Les clauses sur la flexibilité du temps de travail, les clauses sur la rémunération au résultat, les clauses de productivité ou sur les clauses objectifs qui sont autant de techniques da faire supporter au salarié une part du risque économique.

Par contre, lorsque la réalisation du travail est assurée par un travailleur indépendant, le transfert du risque économique sera plus important. Le travailleur indépendant qui travaille librement à son propre compte auprès d'une clientèle propre, qui a une autonomie d'organisation et qui est rémunéré en fonction de la valeur de son travail, est considéré comme un entrepreneur. Il supporte le risque lié à la marche de son entreprise, le risque sur le résultat du travail et le risque de son emploi.

Pour comprendre l'impact des changements d'une crise du travail liée à la mutation de l'emploi, on ne peut rester focalisé sur la notion de Contrat de travail à Durée Indéterminée (CDI), il est nécessaire de l'articuler à d'autres formes de travail non légitimées en tant que telles, sinon tout ce qui se passe dans la précarité et le chômage demeure invisible; et, surtout, on ne peut appréhender que les aspects économiques du salariat. Si une diversité de carrières se développe dans le travail salarié, une diversité d'itinéraires s'organise donc autour de l'emploi précaire et du chômage. On voit là tout ce qui peut mettre en avant l'idée de crise du travail salarié.

2.2- De la multiplication des contrats de travail à l'enchevêtrement des formes de travail

Les catégorisations et les hiérarchisations sociales contenus dans les politiques publiques empêchent de voir que l'activité jointe à ces contrats de travail précaire est liée à d'autres activités. Les politiques publiques de "réparation" sont toujours pensées dans le cadre d'un système d'emploi révolu, et n'ont pas les moyens de voir ce que la diversité des contrats de travail peut produire.

En effet, d'une part, les trajectoires des individus en situation précaire ou au chômage apparaissent constituées d'une succession de situations de travail et d'activités : contrats de travail précaire, travail au noir, bénévolat.... Et d'autre part, les itinéraires individuels contiennent des "empilements" et des superpositions de ces formes de travail et d'activités.

Ainsi, le travail salarié, le travail intérimaire, les emplois aidés, le travail au noir, l'économie informelle apparaissent imbriqués les uns avec les autres. Cet enchevêtrement ne peut pas être vu dans un cadre d'analyse où le travail salarié y est pensé comme dominant.

a. Épreuve de la précarité et cultures de l'aléatoire

"La précarité est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales ou sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un avenir prévisible" 2(*)

Dans un contexte de diversité et de chevauchement des formes de travail et d'activité, des savoirs et des compétences plus ou moins visibles surgissent : des savoirs de l'expérience liés à la gestion des situations d'urgence où il faut inventer des solutions rapides pour vivre ; des compétences à recréer du lien social ; des compétences liées à la lutte contre les insécurités et la pauvreté.

En même temps que l'épreuve de précarité devient de plus en plus dramatique, les différents savoir-faire individuels peuvent être activés autour de projets collectifs dans lesquels les individus apparaissent fortement engagés et mobilisés. On voit alors des groupements se former, s'organiser, définir des rôles et des statuts dans des espaces qui naissent entre les marchés de travail, au centre et à la périphérie des villes. L'apparition des cultures de l'aléatoire qui découlent de la diversité des expériences et des compétences individuelles et collectives acquises dans des situations de précarité, de la gestion de situations d'urgence et d'incertitude, en sera la manifestation (Roulleau-Berger, 1999).

Les cultures de l'aléatoire ne doivent en aucun cas être perçues comme des cultures marginales, mais comme des cultures porteuses de changement social, voire d'innovations. Elles ne peuvent être pensées comme des cultures de transition dans l'attente d'un retour à une croissance forte, elles doivent être considérées pour elles-mêmes (Caillé, Laville, 1996). Mais, à l'instar de Roulleau-Berger (1999), on ne sait jamais à quel moment et comment elles peuvent évoluer vers des cultures de la pauvreté ou permettre des formes d'intégration professionnelle.

En revanche, quand des formes de travail et d'activité s'ordonnent et se hiérarchisent, les cultures de l'aléatoire rendent visibles des compétences qui peuvent être ensuite mobilisées dans un processus d'intégration professionnelle.

La question de légitimation de cette diversité de compétences construites dans l'épreuve de la précarité reste donc bien la question centrale, l'enjeu politique fort du moment.

b. Crise du travail salarié : quelle mission pour l'État social ?

"L'État social prend acte des effets pervers des régulations purement économiques et de l'insuffisance des régulations morales". (Castel, 1995) S'inspirant de l'idée selon laquelle la citoyenneté sociale constitue le coeur de l'idée de l'État providence, Gøsta Esping-Andersen, de son côté, met en avant le concept de "démarchandisation" (decommodification). Ce dernier renvoi à l'idée d'un détachement progressif du statut des individus vis à-vis de la logique du marché. L'introduction des droits sociaux modernes dans les sociétés capitalistes a contribué à donner à chaque personne des moyens de vivre indépendamment du marché, ce qui a permis de faire de chaque citoyen autre chose qu'une simple marchandise échangeable. Cela dit, chaque société a appliqué cette logique de démarchandisation de façon spécifique et il est possible de distinguer aujourd'hui plusieurs modèles.

La classification des régimes élaborée par Gøsta Esping-Andersen permet d'en distinguer trois : le modèle libéral, le modèle corporatiste ou continental et le modèle social-démocrate ou nordique.

Le premier se caractérise à la fois par des allocations d'assistance sans condition des ressources, des transferts sociaux à caractère universel modestes et un système d'assurances sociales limité. L'État encourage le marché et se limite à une intervention minimale pour assurer la protection sociale la plus élémentaire et parfois même cherche à favoriser l'essor des assurances privées. Il s'agit dans ce cadre d'un processus de démarchandisation très faible.

Le modèle corporatiste est fondé, au contraire, sur une faible participation des assurances privées. Les indemnités sont presque entièrement dépendantes des contributions issues du travail, donc la démarchandisation substantielle n'est pas assurée de façon automatique. Ce sont les indemnités qui déterminent le champ d'action des programmes sociaux et par conséquent les limites du détachement vis-à-vis du marché.

Enfin, basé sur le principe d'universalité des droits sociaux, le modèle social-démocrate se situe au niveau de démarchandisation le plus élevé. Ce système favorise l'émancipation des individus par rapport aux lois du marché, mais aussi par rapport au rôle de la famille.

Ainsi, l'Etat social intervient pour atténuer les effets sociaux de la crise économique en fonction de sa mission protectrice, mais les catégories sociales susceptibles de bénéficier des transferts sociaux compensatoires sont définis selon l'écart qui les sépare d'une norme qui reste celle de l'emploi stable.

Pour ceux qui ne peuvent pas travailler, que ce soit pour des raisons d'incapacité personnelle, ou faute d'emploi sur le marché du travail, jusqu'où doit aller la garantie de revenu ? A-t-on droit de vivre sans travailler ? Jusqu'où va l'échange de droits et de devoirs (droit au revenu, devoir de travailler) ?

Le problème de la continuité de la protection sociale, et, de façon plus générale, de la sécurité économique des personnes renvoie à la question des modalités d'accès aux ressources des différents citoyens. Trois modalités de répartition peuvent être distinguées. La première, de nature économique, renvoie aux revenus que les individus tirent de leur participation à l'activité productive. De nature sociale, la deuxième modalité de répartition renvoie aux transferts dont vont bénéficier les individus en provenance d'institutions qui prélèvent et redistribuent des revenus. La répartition domestique, enfin, regroupe tous les transferts fondés sur un lien personnel entre l'émetteur et le receveur, et renvoie donc principalement à la solidarité familiale. Mais loin de s'exclure, les trois sphères de la répartition se superposent en partie pour de nombreux individus.

Ainsi, la sécurité des revenus constitue, en effet, l'aspect essentiel de la sécurité économique et sociale des individus. Il faut alors mettre l'accent sur l'importance des ressources issues des régimes collectifs de protection sociale et chercher à apprécier l'indépendance de la sécurité économique à l'égard du marché de travail : c'est la démarchandisation au sens de Gøsta Esping-Andersen (1990).

Comment évaluer alors les résultats des politiques des Etats sociaux en ce qui concerne la protection qu'ils assurent à leurs ressortissants contre les problèmes découlant des divers aléas de l'existence ?

SECTION 3. À LA RECHERCHE D'UNE ÉVALUATION DE LA SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE DES CITOYENS : INDICATEURS DE LA SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE

La sécurité des personnes (vivant dans un cadre territorial bien déterminé) peut être appréhendée sur plusieurs plans. A l'instar de Castel (2003), on peut distinguer les protections "civiles" qui garantissent les libertés fondamentales et assurent la sécurité des biens et des personnes dans le cadre d'un Etat de droit et les protections "sociales" qui assurent la couverture contre les principaux risques susceptibles d'entraîner une dégradation de la situation des individus - la maladie, l'accident, la vieillesse - sans ressources.

Les mutations à l'oeuvre, subies par le marché de travail, remettent en cause, aussi bien la norme d'emploi (à temps plein, à durée indéterminée, de la grande entreprise) que les systèmes de protection sociale.

Pour comprendre les liens entre les mouvements de la société, leurs impacts sur les populations et les réformes qui visent à les maîtriser, il est alors utile de disposer de concepts et d'outils statistiques permettant d'évaluer le degré de dépendance du sort des individus de la logique du marché.

Car les outils synthétiques que fournissent les comptes nationaux s'avèrent insuffisants pour évaluer aussi bien les sécurités que les insécurités économiques, divers indicateurs synthétiques alternatifs ont vu le jour depuis les années 1980 pour suppléer aux insuffisances du PNB par habitant. Un premier essai résulte des travaux réalisés par Gøsta Esping-Andersen (1990), pour justifier la validité de sa typologie des systèmes de protection sociale. Une deuxième tentative découle des travaux de Osberg et Sharpe (2002) qui ont élaboré un "indicateur de bien-être économique" dont un des objectifs essentiels est de montrer en quoi le PNB par habitant procure une mesure du bien être économique largement soumise à questions. Ayant pour objectif la comparaison des performances relatives des différents Etats sociaux en matière de lutte contre l'insécurité économique, Menaham3(*), a élaboré, à son tour, un "Taux de Sécurité Démarchandisée". Il s'agit d'un indicateur global qui permet d'apprécier la part de la population ne disposant pas de revenus suffisants pour assurer de nombreuses sécurités primordiales telles que la capacité de disposer de moyens de se nourrir, se loger, ou se vêtir.

En tenant compte à la fois des revenus issus de la répartition économique (ressources issues des activités du travail) et de ceux issus de la répartition sociale (revenus de remplacement, remboursement, aides), Menahem et Cherilova (2005) ont mis au point un ratio qui permet de cerner le degré de sécurité économique, de personnes ou de groupes sociaux, appartenant à un espace géographique donné sur une période bien déterminée: il s'agit du Taux de Sécurité Economique.

Après avoir énuméré certains indicateurs on essayera dans ce qui suit de dégager certaines de leurs caractéristiques ainsi que les principes qui sous tendent leurs constructions.

3.1- L'indicateur de démarchandisation de Gøsta Esping-Andersen

Les analyse de Esping-Andersen sont fondées sur de multiples travaux historiques, sociologiques, juridiques, économiques et, également, sur des études statistiques. Afin d'évaluer le degré de démarchandisation assuré par les différents systèmes de droits sociaux, il a ainsi créé un « indicateur de démarchandisation » qui lui permet de quantifier jusqu'à quel point un Etat permet aux individus de ne pas dépendre des valorisations du marché. Esping-Andersen précise ainsi que, pour chaque prestation, un score de démarchandisation est constitué par la prise en compte de diverses variables : les une juridiques (règles d'éligibilité à la capacité à avoir droit à des ressources) ; les autres institutionnelles (les conditions de durée de cotisation, la durée des droits garantis et la période d'attente nécessaire pour obtenir un tel revenu) ; et les dernières économiques (le niveau des revenus de remplacement et la part individuelle du financement des prestations). L'indicateur de démarchandisation résulte finalement de la moyenne entre trois scores relatifs à trois domaines différents : ceux relatifs aux pensions de retraite, aux prestation d'assurance maladie et à l'assurance chômage, quand ils sont pondérés par les pourcentages des populations concernées couvertes.

3.2- L'indicateur de sécurité de l'indice de bien-être économique de Osberg et Sharpe

Leur projet a le mérite d'articuler des éléments de la comptabilité nationale avec d'autres données provenant de certaines statistiques sociales. Son principe consiste à faire la moyenne de quatre indicateurs synthétiques, portant respectivement sur les flux de consommation au sens large, les stocks de richesses (économique, humaine et environnementale), les inégalités et la pauvreté économique, et l'insécurité économique (risques économiques liés au chômage, à la maladie, à la vieillesse, et à ceux des familles monoparentales).

Pour évaluer l'insécurité, ces auteurs ont fait le choix d'évaluer le risque subjectif d'anxiété des individus à partir de quatre situations dont ils pouvaient évaluer schématiquement le coût moyen, ce qui les obligeait à faire quelques approximations et une hypothèse économique qu'ils ont formulée ainsi : "le changement de risque subjectif est supposé être proportionnel aux variation de risque objectif". Le coût de la maladie a ainsi été estimé par les seules dépenses médicales non remboursées (ce qui laisse de côté le manque à gagner consécutif aux arrêts de travail); celui des pertes d'emploi a été obtenu à partir du taux de remplacement des indemnités de chômage; celui du divorce et de la vieillesse à partir des taux de pauvreté moyen des mères seules et des personnes âgées.

A l'instar Menahem (2006), quelle que soit l'importance des approximations réalisées, ces calculs ont l'avantage de procurer des estimations réalistes de l'importance des insécurités associées à quatre types de risque économique. D'où la possibilité de modéliser, moyennant des approximations supplémentaires, les variations de sécurité économique des individus, opération qui n'était pas permise par l'indice de démarchandisation de Esping-Andersen.

3.3- Le Taux de Sécurité Démarchandisée (TSD)

Partant d'une approche directement économique et globale, le projet de Menahem consiste en une comparaison des performances relatives aux différents Etats sociaux en matière de lutte contre l'insécurité économique des populations. Pour l'évaluer, il procède par une estimation des volumes globaux des revenus disponibles dont disposent les populations. Une telle donnée permet en effet d'apprécier quelle est la part ne disposant pas de revenus suffisants pour assurer de nombreuses sécurités primordiales telles que la capacité à disposer des moyens de se nourrir, se loger ou se vêtir.

Reprenant le concept de démarchandisation de Esping-andersen afin d'évaluer la sécurité des populations, Menahem part du point de vue des individus eux-mêmes en ce qui concerne l'appréciation du niveau de leurs ressources et, en particulier, pour prendre en compte le niveau où commence leur insécurité économique.

a. Les principes de construction du Taux de Sécurité Démarchandisée

Selon Menahem, le Taux de Sécurité Démarchandisée (TSD) se fonde sur les six principes suivants :

1. Considérer comme ressources de la sécurité économique, indépendante des liens avec les employeurs, les revenus démarchandisés provenant des systèmes de protection sociale que les individus perçoivent tout au long de leur vie adulte.

2. Prendre en compte les revenus de remplacement du travail associés aux risques vieillesse, chômage, maladie, invalidité ainsi que les pensions de réversion (veuvage).

3. Considérer les remboursements et aides en nature : frais de maladie, charges familiales, aides au logement.

4. Prendre en charge les indemnités et aides en nature mobilisées dans la lutte contre l'exclusion sociale (RMI, etc.).

5. Evaluer la sécurité relativement au niveau moyen du revenu disponible des actifs ayant un emploi dans le pays, soit précisément le revenu net d'impôts et de cotisations, et comprenant les prestations famille, logement, maladie

6. Afin de prendre en compte l'insécurité économique des personnes aux faibles revenus, Menahem considère que les ménages dont les ressources par tête ne dépassent pas le seuil de pauvreté dans le territoire considéré ont un niveau de sécurité économique égal à zéro.

Prenant en compte seulement les ressources indirectes issues de droits sociaux, le taux de sécurité démarchandisée permet de comparer les parts des différentes sources de la sécurité économique. D'une part, la sécurité démarchandisée issue de ses trois sources principales qui sont les revenus de remplacement de travail associés aux risques de vieillesse et de chômage nets de prélèvements fiscaux, les remboursements et les aides en nature associés aux frais de maladie et d'invalidité et les aides à la famille et aux démunis correspondant aux mesures de lutte contre l'exclusion; d'autre part, la sécurité marchandisée provenant des revenus de l'activité professionnelle nets des impôts sur le revenu.

La première des insécurités économiques correspond à la pauvreté. Car en dessous d'un minimum de ressources par tête, il n'y a pas de sécurité. Pour prendre en compte cette insécurité, l'indicateur pondère négativement la population en dessous du seuil de pauvreté en lui affectant un revenu négatif dont le montant est égal à ce seuil, soit 60 pour cent du revenu médian par unité de consommation après prestations dans la définition de l'Eurostat. Du point de vue des populations, cette insécurité économique limite la capacité de bien-être et de survie. Elle est le signe d'une mise en cause des capacités des institutions ayant pour mission d'assurer aux individus une sécurité indépendante des aléas du marché. Au niveau global, elle doit donc être déduite de la sécurité démarchandisée procurée par les diverses institutions composant l'Etat social.

L'ensemble de ces considérations de méthode se traduit dans des formules comptables permettant de calculer et comparer les niveaux de sécurité économique des diverses populations. Nous pouvons les présenter sous des formes plus ou moins agrégées. D'abord, à un niveau très macroéconomique, si nous appelons TSD le Taux de Sécurité Démarchandisée et TIE le Taux d'Insécurité Economique associée aux personnes vivant dans des ménages en dessous du seuil de pauvreté, nous avons

TSD = S revenus de remplacement + S remboursements + S aides - TIE

Pop adulte x Revenu dispo. Moy. des actifs ayant un emploi

Avec TIE = Population pauvre x 60% x Revenu médian

Population adulte Rev. disp. moy. actifs employés

Une deuxième formule résultant d'une approche partiellement désagrégée peut également être présentée. En effet il est possible de décomposer la population adulte en deux catégories selon le type de revenus démarchandisés perçues : les individus qui touchent des revenus de remplacement (indemnités de chômage, d'invalidité, retraites et, par extension, pensions de réversion); ceux qui touchent les aides et indemnités de lutte contre l'exclusion. Sachant que chaque population doit être pondérée par son importance statistique et qu'il faut ajouter à ces revenus démarchandisés directs d'autres revenus indirects correspondant aux remboursements de frais de maladie ou autres, nous aurons la formule suivante:

TSD = % Retraités, chômeurs, invalides x Rev. moy. de remplacement + Remboursements

Revenu dispo. moy. actifs employés

+ % Pauvres & Exclus x Aides & indemnités contre exclusion + S remboursements

Revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi

- % Pop. pauvre x 60% x Revenu médian

Revenu disp. moy. actifs employés

b. Construction du Taux de Sécurité Economique

· Principes fondateurs

Se basant sur une conception relativement particulière de la sécurité économique, par rapport à d'autres approches, Menahem et Cherilova (2005) retiennent, en plus des principes qui fondent la construction du taux de sécurité démarchandisée développée plus haut, les ressources issues de l'activité professionnelle.

· Etapes de calcul du Taux de Sécurité Economique (TSE)

Dans une première étape, on présentera le mode de calcul de Taux de Sécurité Economique Brut (TSE B) ne prenant pas en compte les problèmes de ressources insuffisantes, afin d'en déduire par la suite le TSE net qui tient compte de la répartition de revenus et des problèmes de pauvreté qui en découlent.

i/ Le calcul du TSE brut agrégeant des ressources de diverses origines

Des formules pratiquement équivalentes rendent compte de l'agrégation des diverses ressources qui concourent à la formation de la sécurité économique.

La première est très macroéconomique et considère le TSE Brut comme le rapport entre le revenu disponible moyen de l'ensemble de la population adulte et une référence représentant le niveau de vie "normal" dans le pays considéré, le revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi:

TSE B = [Revenus d'activité +?revenus de remplacement +?remboursements +?aides] /

[Population adulte x Revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi]

Pour mettre en exergue la relation entre la sécurité économique marchandisée et celle démarchandisée, le TSE brut peut être décomposé de la façon suivante4(*) :

TSE B = Revenus d'activité + (?revenus de remplacement +?remboursements +?aides)

Pop adulte x RDMAAE5(*) Pop adulte x RDMAAE

Ce qui donne :

TSE B = Taux de Sécurité Marchandisée Brut + Taux de Sécurité Démarchandisée Brut

La deuxième formule prend en compte un premier niveau de décomposition. Le TSE comme la somme des parts des différentes catégories de revenus de la population adulte divisée par le revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi. Ce procédé de calcul revient à décomposer le revenu en différents éléments et à définir des Taux de Sécurité Economique pour chacun d'entre eux, toujours par rapport au même dénominateur :

TSE B = TSE revenus de l'activité +? TSE remplacement (chômage, retraite, invalidité) + ? TSE remboursement (maladie, famille, logement) +? TSE aides contre l'exclusion

Une troisième formule considère le TSE brut comme la somme des TSE partiels de différentes catégories de populations, toujours relativement au revenu disponible moyen des actifs ayant un emploi. Ce procédé revient à calculer, pour chaque type de revenu, chacun des TSE bruts partiels et à les pondérer avec les parts des populations concernées vis-à-vis de la population adulte :

TSE B = ?Part popu concernée par un type de revenu x Revenu moyen de la population

Population adulte totale x Revenu moyen des actifs occupés

Ce mode de calcul nous donne la formule suivante si on considère la population adulte comme la somme de diverses sous-populations spécifiques touchant chacune divers revenus moyens, d'activité, de remplacement, de redistribution ou d'aide, lesquels sont toujours évalués relativement au « revenu disponible moyen des actifs occupés ».

TSE B = Part pop active occupée + ?Part des inactifs . Revenu de remplacement +

Revenu moyen d'un actif occupé

+ ?Part Pop aidée . revenu redistribué ou aide

Revenu moyen d'un actif occupé

ii/ Pour en finir avec le calcul du TSE

Au total, le TSE peut être considéré comme la somme des quatre types d'éléments suivants :

ü Le rapport entre la part de la population active ayant un emploi et la population adulte.

ü La somme des parts de la population au chômage, en retraite ou en invalidité multiplié par le taux de remplacement rapportée au revenu disponible moyen des actifs.

ü La somme des parts de la population remboursée en matière de santé, de famille, de logement, multiplié par le taux de remboursements concernés, sur le revenu disponible moyen des actifs.

ü La somme des parts de la population aidée (RMI, allocation aux adultes handicapés ...) multipliée par le taux des aides concernées sur le revenu disponible moyen des actifs.

Ainsi, le TSE nous permet d'apprécier l'influence sur la sécurité du taux d'actifs ayant un emploi et du niveau de vie relatif des inactifs par rapport aux actifs en le pondérant par la part des inactifs dans la population adulte. Il fournit ainsi une mesure de la sécurité économique des individus dans une perspective de cycle de vie. Un taux de 100% correspondra à un pays où le revenu disponible par tête des inactifs serait égal à celui des actifs ayant un emploi. En outre, sa décomposition met en lumière les différentes origines de la sécurité économique des individus, permettant ainsi des comparaisons entre pays ou régions et au cours du temps.

· Prise en compte de l'insécurité des populations à faibles ressources

Le TSE brut ainsi calculé ne tient pas compte des effets de répartition. Il pourrait très bien se trouver proche de 100% malgré la présence de fortes inégalités et donc d'importantes poches de misère, chez les inactifs comme chez les actifs. Il faut donc amender le TSE brut par un correctif. Un moyen simple de prendre en compte l'absence de sécurité des personnes vivant en dessous d'un certain minimum se ressources est d'évaluer forfaitairement leur insécurité et d'en soustraire le montant du numérateur du TSE brut. Ainsi, plus la population dont les ressources sont insuffisantes est importante, plus le TSE d'ensemble de la population est pénalisé.

i/ Le TSE : de la prise en compte de l'insécurité économique à la prise en compte de la cohésion sociale

Dans leur construction du TSE, Menahem et Cherilova (2005) se sont basés sur cinq principes normatifs de prise en compte de l'insécurité. Ceci permettra une double prise en compte : d'une part, la sécurité des populations dont les ressources sont inférieures au seuil de pauvreté ne peut pas être comptée positivement, d'autre part, cette sécurité doit être comptée de manière d'autant plus négative que les ressources des populations concernées sont plus inférieures au seuil de pauvreté.

Le TSE d'ensemble doit viser davantage l'évaluation de la cohésion sociale sur un territoire donné que celle de la couverture des besoins de base. À cette fin, il se fonde sur la situation relative des ressources par rapport au niveau de vie des concitoyens, laquelle prend mieux en compte le souci du regard des autres que le niveau des besoins de base. Ce principe entraîne le choix non d'un seuil absolu mais d'une certaine proportion du revenu disponible médian sur le territoire considéré;

Si on choisi de considérer que toute la population disposant de ressources inférieures au seuil de pauvreté est également pénalisée d'un même montant de 0.6 RDAAE6(*), on aboutit à une approximation linéaire de l'accroissement du déficit de sécurité : celui-ci est proportionnel à l'importance du montant de revenu manquant pour atteindre le seuil de pauvreté.

Ces cinq principes se traduisent dans la formule suivante du TSE :

TSE = TSE B - 0.6 x Part de la population en-dessous du seuil de pauvreté

3.4- Au-delà de l'insécurité économique : de la précarité à l'exclusion

D'après ce qui précède, la référence omniprésente au marché de travail renvoie à l'analyse de l'exclusion et à celle de la précarité. L'exclusion se caractérise par une double appartenance : être pauvre et sans activité économique et/ou sociale. Et malgré son caractère évolutif, elle se construit sur une base stable, la mise à l'écart de tout mode de production et de consommation, qui traduit en termes économiques la rupture du lien social avec le reste de la collectivité. A l'exclusion vient s'ajouter la notion de précarité qui renvoie à la situation par rapport au marché de travail.

a. Catégories des situations vis-à-vis de l'emploi et du revenu

Emploi stable et revenu satisfaisant

Double précarité

Emploi stable et revenu précaire

Emploi précaire et revenu satisfaisant

Chômeur et revenu satisfaisant

Chômeur et revenu précaire

Exclus

Emploi précaire et pauvre

Emploi stable et pauvre

Ligne de chômage

Ligne de pauvreté

Emploi

Revenu

Lignes de précarité

Fig. 1 : Catégories des situations vis-à-vis de l'emploi et du revenu7(*)

b. Commentaires

La sécurité économique, telle qu'elle a été définie, permet de mettre en exergue deux phénomènes. D'abord la distinction de la précarité de la pauvreté. Ensuite, le cumul de diverses précarités conduit à la grande pauvreté. Cependant, cette acception est problématique. Le rapprochement entre les notions de précarité et pauvreté montre que cette dernière reste une situation constatée, tandis que la première est un état accentué du risque de pauvreté (Ballet, 2001).

Ballet (2001) retient uniquement l'instabilité des ressources et de la situation professionnelle comme indicateurs de la précarité ; pour la pauvreté, il retient une mesure qui correspond à un seuil et pour le chômage (ou l'inactivité) un seuil d'heures travaillées. Ainsi il est possible de faire un découpage de la population qui fait apparaître les différences entre les situations de pauvreté, de précarité et d'exclusion.

La figure ci-dessus contient quatre lignes permettent le découpage de la population. Deux lignes de précarité associées au revenu et à l'emploi, une ligne de pauvreté et une ligne de chômage. Par exemple, au dessus de la ligne de précarité de l'emploi, les populations disposent d'un emploi stable, mais leur revenu est variable. A gauche de la ligne de pauvreté, on trouve les individus disposant d'une stabilité de l'emploi mais dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté. On peut alors observer quatre ensembles de précarités distincts. Les exclus sont eux caractérisés par un ensemble se situant à la fois sous la ligne de pauvreté et sous la ligne de chômage.

Les sous-ensembles de populations définis de la sorte sont évidemment fortement dépendants du choix des lignes, c'est-à-dire des critères et du niveau retenu pour chacun d'eux. Par exemple, ici une ligne de chômage est retenue. On suppose implicitement que le chômage constitue un indicateur de rupture du lien social. Ceci signifie qu'il n'y a pas une assimilation entre exclusion et chômage de longue durée. Certaines personnes dont le séjour au chômage est inférieur à 12 mois peuvent être considérées comme exclus. Cette situation peut correspondre au cas de certains jeunes n'ayant jamais travaillé, et de ce fait n'ayant aucun droit à des prestations de remplacement de l'emploi. L'association traditionnelle entre exclusion et chômage de longue durée supposera alors vérifiées deux relations. D'abord quand le chômage se prolonge la pauvreté s'accroît. Ensuite, la prolongation de la durée de séjour au chômage contribue à la détérioration du lien social entre l'individu et la collectivité.

Deux grands axes révélés par ce qui précède retiennent notre attention; correspondant chacun à une dimension particulière de la relation entre l'exclusion et l'insécurité économique. Il s'agit du chômage de longue durée et du capital social entendu comme l'ensemble des relations sociales d'un individu. Chacun d'entre eux renvoie à sa manière à un débat sur la politique économique et sociale.

Le premier axe souligne que l'exclusion correspond à une forme d'enclavement. La prolongation de la période de chômage rend de plus en plus improbable le retour à l'emploi. Autrement dit, on observe une certaine inertie du chômage de longue durée. Cette inertie est d'autant plus forte que les personnes sont au chômage depuis longtemps.

Le second axe porte sur les relations sociales des personnes exclues. Dans cette optique, la politique sociale est un complément nécessaire de la politique économique. Ainsi et à l'instar de Ballet (2001), une politique sociale centrée sur la construction de relations entre les individus appartenant d'un même groupe social, autrement dit d'un "capital social", semble assez pertinente.

Plusieurs conséquences directes peuvent être avancées à partir de ce constat. Il paraît d'autant plus important pour les exclus dont le capital humain est faible, et qui donc ne peuvent compter sur cet actif pour sortir de leur situation, de rétablir un niveau de capital social suffisant au déclenchement du mécanisme inverse d'insertion. Ainsi Ballet constate que la persistance d'un taux de chômage à un niveau élevé et l'hystérésis du taux de chômage naturel sont liées à la faiblesse du capital social. Donc, de manière désormais claire, la politique de l'emploi, à elle seule, ne peut suffire à régler le problème et par suite, l'extension de la protection sociale constitue un facteur déterminant du progrès social car elle permet de satisfaire, dans la dignité, les besoins essentiels des citoyens. Cependant, cette extension ne doit pas se limiter à la mise en place de législations, certes nécessaire, mais doit mettre en oeuvre les conditions propices pour que son application soit effective et chercher à faciliter l'adaptation des systèmes de protection sociale à des situations particulières tels que les travailleurs du secteur informel et constituer ainsi des filets de sécurité nécessaires au cas où la sécurité sociale serait inopérante. Ceci sera concrétisé enfin dans l'exposé des enseignements à tirer de l'étude de certaines caractéristiques du marché de travail en Tunisie (informel, dualisme) ainsi que de l'évaluation du taux de sécurité économique associé à l'Etat social en Tunisie.

CHAPITRE II :

MARCHÉ DE TRAVAIL EN TUNISIE : INFORMEL, DUALISME : DESTRUCTION DU SALARIAT ET ÉMERGENCE DES GROUPES À INSÉRER

L'analyse des transformations des structures de production et des systèmes de relations socioprofessionnelles est, depuis quelques années, une préoccupation centrale pour les chercheurs. Le présent chapitre a pour objectif l'étude de la façon dont le secteur informel, en Tunisie, est pris en compte dans les relations professionnelles, en insistant sur la nécessité de prêter une attention plus grande au processus du développement du travail informel dans ce pays, pour mieux l'intégrer dans les régimes de protection sociale.

On essayera alors de souligner le rôle essentiel joué par les restructurations du secteur informel qui s'inscrivent dans la politique générale de promotion de l'emploi en Tunisie.

On verra, par ailleurs, qu'il existe une certaine relation entre la précarisation de l'emploi, le développement du travail informel et l'émergence d'une dimension duale au sein du marché de travail en tunisie.

En effet, le marché de travail est généralement scindé en deux secteurs complètement opposés en matière de protections institutionnelles associées aux emplois. Le premier secteur, qualifié de « protégé», est réputé par ses salaires relativement élevés, un emploi stable ainsi que des perspectives importantes de carrière. Le second, qualifié de « non protégé », est relativement caractérisé par des salaires faibles, une forte rotation de la main d'oeuvre ainsi que l'absence de perspective de carrière au sein de l'entreprise8(*) .

Les mutations à l'oeuvre, subies par le marché de travail, remettent en cause la norme d'emploi (à temps plein, à durée indéterminée, de la grande entreprise). Par là, la montée du chômage et d'autres formes d'emploi (temps partiel, contrats à durée déterminée) fragilisent l'Etat social. En effet, la mise en place de régimes de sécurité sociale est certes un élément essentiel de l'extension de la protection sociale, mais elle demeure inopérante si les personnes visées n'adhèrent pas à ces régimes (où n'y cotisent pas) d'où l'importance d'évaluer la couverture réelle des catégories de la population concernée par les régimes de sécurité sociale.

Sur ce plan, les résultats enregistrés par la Tunisie restent relativement mitigés. Si des performances ont été réalisées au niveau du secteur protégé, les résultats restent en deçà de ce qui est attendu dans d'autres secteurs.

SECTION 1 : LE SECTEUR INFORMEL, QUELLE ÉTENDUE EN TUNISIE ?

Il y a des domaines que la théorie économique est incapable d'appréhender sans investigations empiriques. A ce titre, le secteur informel constitue un champ d'intérêt pour les recherches empiriques qui essayent de déterminer les comportements et la rationalité des agents opérant dans ce secteur. Ainsi la théorie dualiste opposant secteur moderne et secteur traditionnel s'avère caduque et insuffisante pour analyser le secteur informel.

Parmi les questions autour desquelles s'articule le débat sur le secteur informel, on peut évoquer celles relatives à la définition du secteur, à la délimitation de son contour, aux tentatives de quantification de certains de ses aspects, à la possibilité de l'intégrer dans la comptabilité nationale. Se posent également des interrogations ayant trait au rôle que peut jouer ce secteur dans un schéma de développement et de croissance économique dans les pays dits "sous développés", rôle que les organisations internationales comme le FMI ou la Banque mondiale semblent considérer comme déterminant.

Afin de contribuer à une meilleure connaissance du secteur informel en Tunisie on commence par essayer de le définir ainsi qu'aux principaux facteurs qui ont contribué à son développement, éléments indispensables pour pouvoir comprendre les origines historiques et les fondements politico-économiques de certaines pratiques et de certains aspects réglementaires.

1.1- Secteur informel : définition et motifs de développement

a. Définition

Les pays ont des définitions différentes du secteur informel, c'est pourquoi il s'avère difficile d'évaluer son ampleur. « Il est constitué par un ensemble de petites activités légales ou illégales tolérées visant deux niveaux d'objectifs : il s'agit, d'un côté, de permettre le développement de l'auto-emploi et celui d'entreprises susceptibles d'assurer un revenu minimum aux actifs qu'elles emploient, et ce malgré l'hostilité de l'environnement économique et financier. D'un autre côté, il vise la recherche d'un maximum de profit même si l'on ignore les règles classiques et élémentaires du calcul économique. Ces règles seront apprises, progressivement, par tâtonnement et par la pratique, mais il s'agit d'un apprentissage partiel et rudimentaire » (Ben Zakour et Kria, 1992).

b. Motifs du développement du secteur informel

· Cas général des pays sous développés

Il y a lieu d'évoquer les raisons qui sont susceptibles de contribuer au développement du secteur informel dans le monde de façon générale. Parmi ces raisons, on peut trouver que l'économie informelle croît là où le développement économique se fait attendre. Cependant, le BIT a estimé que la part de l'emploi non agricole détenue par l'emploi informel vers la fin des années quatre-vingt-dix était de 48 pour cent en Afrique du nord, de 72 pour cent en Afrique subsaharienne, de 51 pour cent en Amérique latine et de 65 pour cent en Asie. De récentes études du BIT font apparaître certains éléments prouvant que l'économie informelle diminue progressivement dans les économies d'Asie de l'Est et du Sud-Est à croissance rapide, où l'expansion du secteur manufacturier est le moteur du développement. Dans les pays à croissance plus lente, surtout en Afrique et en Amérique latine, les principales augmentations de l'emploi sont dans les services, en particulier dans le petit commerce informel9(*).

De même, les crises financières et leurs systèmes de propagation ont des conséquences néfastes pour les travailleurs et les entreprises, en particulier dans les pays en voie de développement. La dégradation des changes conjuguée à une hausse du coût des emprunts en devises étrangères, à l'affaiblissement de la demande intérieure, à une moindre utilisation des capacités productives et à une hausse des taux d'intérêt, pénalise lourdement les entreprises et peut dévier certains pays en développement de leurs trajectoires de croissance. Une telle situation induit à son tour une baisse des salaires réels, une montée du chômage déclaré et un recul de l'emploi formel au profit de l'emploi informel.

En plus, pour les pays où la couverture sociale est absente ou très peu développée, l'économie informelle fournit un moyen de subsistance aux hommes et femmes qui ont peu d'autres options pour survivre.

· Cas particulier de la Tunisie

- l'échec du collectivisme comme choix de régime économique et la libéralisation de l'économie tunisienne à partir de 1970 ;

- l'impossibilité pour le secteur moderne d'offrir des emplois à un nombre relativement important de jeunes et notamment aux non-qualifiés ;

- l'aggravation de la situation par l'exode rural qui déverse dans les grandes villes une population à la fois nombreuse et sans qualification professionnelle ;

- l'éducation et l'émancipation de la femme ont, de leur coté, accru la pression sur le marché de l'emploi. On peut alors se demander quant à leur effet sur l'emploi dans le secteur informel ;

- l'emploi dans le secteur informel n'exige ni de lourds investissements financiers ou matériels ni une grande formation professionnelle ;

- le développement du secteur touristique et de l'artisanat a engendré beaucoup d'activités facilement accessibles pour la micro-entreprise.

Au-delà des facteurs « objectifs » précédents, des facteurs en rapport avec le comportement des entrepreneurs eux-mêmes et avec le dynamisme du secteur informel, comme sa grande et rapide capacité d'adaptation, ont également leur importance dans le développement du secteur. En effet, la volonté de créer soi-même son emploi quelles que soient les contraintes d'ordre juridique, institutionnel ou économique, constitue l'élément moteur de l'action de l'entrepreneur.

En vue de clarifier l'ensemble des éléments présentés ci-dessus, de les confirmer ou de les infirmer on commence par présenter le cadre institutionnel dans lequel s'insère l'entreprise du secteur informel en Tunisie pour évaluer ensuite l'ampleur de la distorsion entre le cadre légal existant et les comportements réels en appréciant le degré de respect de cette législation afin de démontrer en définitive l'impact du cadre institutionnel tunisien sur le fonctionnement des entreprises du secteur informel.

1.2- Cadrage institutionnel du secteur informel en Tunisie

a. La législation du travail

Dans le cadre de la promotion de la politique d'emploi et d'encouragement de la petite entreprise et des petits projets d'investissement (auto-emploi), l'Etat tunisien a mis en place un dispositif qui peut être subdivisé globalement en trois composantes :

· L'extension du régime de sécurité sociale aux travailleurs indépendants exerçant leur activité dans le secteur non agricole. Cette extension concerne entre autres tous les petits entrepreneurs, tous les travailleurs indépendants, les artisans et même les vendeurs ambulants.

· La promotion des activités d'apprentissage est organisée dans tous les secteurs de l'économie, industrie, commerce, artisanat et agriculture et il s'adresse aux jeunes âgés entre 14 et 18 ans qui ont quitté le système scolaire et possèdent au minimum le niveau de la 5e année de l'enseignement primaire. Des avantages sont accordés aux entreprises qui recrutent des apprentis allant des exonérations fiscales aux subventions tout en passant par une prise en charge de l'assurance contre les accidents.

· La mise en place du Fonds National de l'Artisanat et des Petits Métiers (FONAPRAM) qui a pour mission la promotion les projets d'investissement dans le secteur productif de la petite entreprise. Sont éligibles, à l'aide du FONAPRAM, les projets nouveaux qui s'inscrivent dans la politique générale de promotion de l'emploi.

Au terme de cet examen global du cadre institutionnel nous pouvons affirmer, que toutes les conditions réglementaires étaient prévues pour :

- garantir une qualification minimale pour l'exercice d'une activité informelle et pour fixer les conditions d'exercice de l'activité ;

- assurer une protection sociale des travailleurs par une législation du travail qui fixe le SMIG, les conditions d'affiliation à la sécurité sociale et les conditions d'âge ;

- garantir à l'État les recettes fiscales tout en appliquant des taux avantageux au secteur informel ;

- fixer les conditions de financement et de crédit d'un secteur que l'État vise à promouvoir puisqu'il est créateur d'emplois.

Ainsi, il existe en Tunisie un cadre réglementaire qui vise l'assurance d'une bonne organisation et d'un bon encadrement du secteur informel. Mais dans la réalité, ces textes de lois sont-ils appliqués ?

En réalité, on observe un certain laxisme délibéré de la part des autorités quant à la non-application de certaines dispositions réglementaires. Ce laxisme est justifié par des considérations économiques et sociales telles que le souci de préserver des emplois, d'assurer la survie de certains petits métiers ou de dynamiser certaines régions défavorisées.

b. Tendances du travail informel en Tunisie

L'emploi informel est principalement occupé, d'une part, dans les branches d'activité employant une main d'oeuvre salariée nombreuse et peu protégée (bâtiment, textile-confection-cuir, transport) dont l'activité peut être de caractère saisonnier ou régulier, d'autre part, dans les branches d'activité employant une main d'oeuvre non salariée (services, dont réparation, et commerce de détail). L'observation des statistiques des tendances récentes (les deux dernières décennies) du secteur informel en Tunisie (Tableaux 1, 2 et 3) fait ressortir l'ampleur de l'emploi informel qui est relativement élevée et en augmentation entre les années 1980 et 1990. En effet, le taux d'emploi informel en Tunisie (actifs occupés non agricoles) avait passé de 36% au cours des années 1980 à 39% au cours des années 1990. Sa contribution au PIB national s'avère non négligeable du fait qu'elle s'élève à près du quart du PIB non agricole en 1997. En plus, ce secteur en Tunisie se caractérise par une forte productivité apparente10(*) dans le secteur des services (80% en 1997) par rapport au secteur secondaire (20% en 1997), pourcentage qui dépasse de loin la moyenne de la productivité apparente de l'informel en Tunisie (54% en 1997).

L'amplitude du secteur informel dépend, entre autres, des tendances socio-démographiques, de la qualité du capital humain et de l'accumulation du capital physique, de la structure sectorielle (importance du secteur privé « labour intensive », degré de sous-traitance), des réglementations préexistantes et en cours (encouragement et promotion de l'activité productive) et des politiques élaborées (répartition des revenus, fiscalité, protection sociale).

Vue d'ensemble de certaines caractéristiques du secteur informel en Tunisie

Tableau 1 : Tendances de la population active, chômage et de l'emploi informel en Tunisie

Tx de croissance annuel

Tx de chômage national

Tx d'emploi informel (actifs occupés non agricoles)

PNB/tête

1980 - 1993

Pop. active 1980 - 1995

Années 1990

Années 1980

Années 1990

1.2%

2.8%

16.8%

36.0%

39.3%

Tableau 2 : Part du secteur informel dans le PIB (total et non agricole) en Tunisie (1997)

Emploi non agricole

PIB non agricole

Emploi total

PIB total

48.7%

22.9%

37.8%

20.3%

Tableau 3 : Productivité apparente du secteur informel : PIB non agricole informel / emploi informel en Tunisie (1997)

Secondaire (%dans l'informel)

Tertiaire (% dans l'informel)

Secteur informel (% du PIB non agricole)

Taux d'emploi informel

Productivité apparente de l'informel

20%

80%

22.9%

48.7%

54.4%

Source pour Tableaux 1, 2 et 3 : Charmes (2002)

c. Quelle est la relation entre les secteurs d'activité formels et informels ?

À l'instar de Adair et Hamed la théorie dualiste, inspirée du modèle de Lewis (1954), postule l'existence d'une séparation entre le secteur informel et le secteur formel qui se traduit par le maintient des disparités endogènes - de statut, de revenu et de financement - sur les trois marchés (du travail, des biens et du crédit).

Sur le marché de travail (champ de notre étude), la segmentation varie selon le statut des actifs considérés : salariés ou non salariés, employeurs ou indépendants à compte propre. Le salaire réel n'est pas nécessairement une variable discriminante : si les revenus des salariés du secteur informel urbain sont globalement plus faibles que ceux du secteur formel, cela concerne surtout les salariés non permanents. Si les externalités positives en termes de capital humain du secteur formel bénéficient encore peu au secteur informel, le niveau d'éducation des microentrepreneurs demeurant faible, la mobilité professionnelle se manifeste tant du formel vers l'informel que dans le sens inverse ; la mobilité est toutefois plus marquée pour les salariés qui passent du secteur formel vers le secteur informel et deviennent indépendant ou ceux qui sont pluriactifs.

L'extension de la conception dualiste du marché du travail a donné naissance à plusieurs formes dichotomiques allant de l'opposition traditionnelle rural/urbain à une opposition plus institutionnalisée privé / public en passant par la forme la plus «féconde» entre formel/informel qui se développe surtout dans le milieu urbain.

SECTION 2 : MARCHÉ DE TRAVAIL EN TUNISIE, QUELLE AMPLEUR DU DUALISME ?

2.1- Présentation du phénomène : Enseignements de la théorie

La théorie dualiste du chômage a essayé d'apporter des éléments de réponse sous-jacents à la mobilité de la main d'oeuvre en termes de différentiel salarial et de probabilité de trouver un emploi en milieu urbain (par rapport au milieu rural). Cette théorie rejoint enfin celle du "job search" dans une situation d'information imparfaite (Stark, 1997). En effet, la recherche est d'autant plus fructueuse que le temps qui lui est consacré est grand : un chômeur est alors censé avoir une plus grande probabilité d'être embauché par une firme proposant un "bon emploi" qu'un actif occupé dans un "emploi secondaire" (travail à domicile, travail ambulant ...). Ainsi, le chômage s'il existe serait le produit de la recherche d'emploi dans les segments privilégiés du marché de travail : il est donc quasi-volontaire.

Dans sa forme dualiste, le marché du travail n'a rien de walrasien. Les écarts salariaux observés ne sont pas nécessairement expliqués par des différentiels de productivité. Il est généralement admis, à cet égard, que le marché du travail est scindé en deux secteurs complètement opposés en matière de protections institutionnelles associées aux emplois. Le premier est généralement réputé par ses salaires élevés, la forte stabilité de l'emploi et des perspectives importantes de carrière. Le second, naturellement secondaire, est caractérisé par des salaires relativement faibles, une forte rotation de sa main-d'oeuvre et l'absence de perspectives de carrière au sein de l'entreprise.

Ceci étant une vision théorique du phénomène de dualisme. Un examen plus détaillé (approche par stratification) de l'économie tunisienne nous permet de déceler le caractère dual de l'économie tunisienne. En effet, la subdivision des postes occupés en fonction de leur appartenance à des secteurs protégés (sous tutelle de l'Etat) ou à des secteurs non protégés (appartenant, de façon générale, au secteur privé) nous permet mettre en exergue le caractère dual de l'économie tunisienne en la stratifiant selon des critères bien déterminés tel que le milieu d'exercice de l'activité productive, le sexe du travailleur, son niveau d'instruction etc.

2.2- Marché du travail en Tunisie : de la segmentation à la stratification

a. Mode opératoire de l'étude

Le mode opératoire poursuivi dans l'étude qui suit consiste en une stratification du marché de travail tunisien selon des caractéristiques des emplois occupés. Une telle démarche pourrait mieux rendre compte des réalités du fonctionnement du marché de travail en Tunisie et permettre l'analyse de la vulnérabilité associée à l'occupation d'un poste de travail. Ainsi nous serons en mesure de dresser un panorama relatif à la sécurité de revenu du travail salarié en Tunisie, composante primordiale de la matrice de la sécurité économique des personnes.

La mise en évidence de la structure segmentée du marché du travail repose sur une démarche à deux niveaux. Elle couple, à la fois, entre une définition des variables, de leurs caractéristiques ainsi que d'une sorte de stratification d'un échantillon représentatif de la population effectivement employée en Tunisie. Les données à la base de cette étude proviennent de l'enquête population-emploi réalisée par l'Institut National de la Statistique (INS) en 1999. Il s'agit d'un échantillon de 5979 salariés tiré d'une base nationale couvrant des individus des deux sexes, âgés de 15 ans ou plus, de 125 000 ménages. Tout le territoire tunisien est représenté par ses deux milieux urbain et rural. Les informations disponibles renseignent sur les caractéristiques des individus (sexe, âge, milieu, niveau d'instruction, état matrimonial) et sur l'emploi occupé (secteur d'activité, rythme de travail, mode de paiement et salaire).

L'étude montre que 72% des postes de travail occupés sont accaparées par le milieu urbain alors que le monde rural n'en recèle que 28%. De plus, l'économie tunisienne est, en moyenne, caractérisée par une hégémonie d'un rythme de travail permanent qui représente 88% alors que les activités conjoncturelles et saisonnière n'en représentent que respectivement 11% et 1%.

Pour montrer le caractère précaire de la relation de travail, nous procèderons dans un premier temps par des représentations graphiques de certaines variables tels que le rythme de travail ainsi que le mode de paiement en se basant sur les données numériques du tableau d'ensemble qui suit.

Descriptif du marché de travail tunisien

Stratification des écarts salariaux entre emplois protégés et emplois non protégés

Variable

Moyenne

Secteur protégé

Secteur non protégé

Total

 

Salaire mensuel moyen (en TND)

Ecart salarial moyen (en %)

Milieu

Urbain

Rural

72%

28%

80.4%

19.6%

36.2%

63.8%

72.3%

27.7%

Variables

Empois protégés

Emplois non protégés

 

Genre

Homme

Femme

-

-

71.8%

28.2%

94.0%

6.0%

75.9%

24.1%

Ensemble des salariés

Urbain

Rural

Homme

Femme

Niveau d'instruction

- Primaire

Urbain

Rural

Homme

Femme

- Secondaire

Urbain

Rural

Homme

Femme

- Supérieur

Urbain

Rural

Homme

Femme

Rythme de travail

- Permanent

Urbain

Rural

Homme

Femme

275.874

287.053

229.884

290.016

239.822

198.157

202.410

182.948

212.407

162.264

287.642

290.978

267.958

304.167

245.333

500.454

512.332

421.133

529.170

440.188

276.620

288.048

229.789

290.938

240.270

161.754

165.871

159.422

164.652

116.575

163.522

170.366

159.088

164.794

132.041

171.700

183.774

159.275

174.029

92.500

236.666

-

-

-

-

180.532

181.629

180.057

182.672

139.761

70.55%

73.05%

44.19%

76.13%

105.72%

21.18%

18.80%

14.99%

28.89%

22.88%

67.52%

58.33%

68.23%

74.77%

165.22%

111.46%

-

-

-

-

53.22%

58.59%

27.62%

59.26

71.91%

Niveau d'instruction

Néant

Primaire

Secondaire

Supérieur

-

-

-

-

10.6%

34.2%

41.1%

14.1%

30.5%

56.4%

12.8%

0.3%

14.1%

38.4%

35.9%

11.6%

CSP

Cadre supérieur

Prof intellectuelle

Prof intermédiaire

Employé administratif

Service domestique

Agric & Pêcheur

Artisan

Agent d'exécution

Ouvrier non qualifié

3%

6%

12%

9%

11%

3%

12%

15%

29%

3.5%

7.4%

14.7%

11.0%

13.3%

2.4%

11.5%

18.1%

18.1%

0.0%

0.1%

0.2%

0.0%

0.9%

5.3%

15.7%

1.9%

75.9%

2.9%

6.1%

12.0%

9.0%

11.0%

2.9%

12.3%

15.1%

28.7%

Secteur d'activité

Agriculture & pêche

Industries extractives

Industries manufac.

Electricité, eau & gaz

Commerce

Transport & télécom

Activités finacières

Adminis. publique

Service collectif

21%

7%

3%

16%

13%

6%

15%

15%

4%

22.3%

7.3%

3.6%

4.7%

14.6%

6.7%

18.1%

18.4%

4.3%

22.5%

3.9%

0.5%

65.3%

3.2%

1.6%

1.0%

0.4%

1.9%

22.3%

7.1%

2.6%

15.8%

12.5%

5.8%

15.0%

15.1%

3.8%

Rythme de travail

Permanent

Conjoncturel

Saisonnier

88%

11%

1%

99.3%

0.5%

0.2%

38.4%

57.6%

4%

88.1%

11.0%

1.9%

Mode de paiement

Mensuel

Hebdomadaire

Journalier

Forfaitaire

81%

4%

13%

2%

96.4%

1.8%

0.9%

0.9%

18.6%

11.5%

65.2%

4.7%

82.2%

3.6%

12.6%

1.6%

CSP

- Artisan

- Ouvrier non qualifié

222.303

163.106

221.825

146.620

20%

11.24%

Total

100%

81.7%11(*)

18.3%12(*)

100%

Tableau 4 : Marché de travail en Tunisie : Description et stratification des écarts salariaux. Source : d'après Sboui. F12(*).

b. Résultats et commentaires

L'examen des données du tableau 1 nous permet d'identifier les secteurs d'emploi qui dualisent le marché du travail en Tunisie.

Le secteur protégé occupe, d'après l'échantillon étudié, près de 82% du total de l'emploi en Tunisie. Il est composé par des occupations majoritairement localisées dans le milieu urbain (80%). Le sexe féminin y est relativement fortement représenté dans la mesure où les femmes occupent 28% des postes dans ce secteur, ce qui est supérieur à leur taux de présence dans l'échantillon des salariés dans son ensemble (24%). Une part relativement importante de salariés, soit 14%, a atteint le niveau supérieur. En revanche, le niveau d'instruction dominant est celui du secondaire (41%). La totalité des cadres supérieurs, qui constitue une part de 3% des emplois de l'échantillon, est occupée par le secteur protégé. Le secteur agriculture et pêche se trouve à son tour à la tête des employeurs dans ce premier segment de travail (22% des emplois), suivi par l'administration publique et les établissements financiers qui détiennent chacun 18% des emplois. Les salariés de ce groupe bénéficient d'une stabilité de l'emploi dans la mesure où près de 99% exercent des activités permanentes et 96% touchent des salaires en mensualité.

Les caractéristiques de ces emplois, notamment la stabilité, légitiment leur qualificatif de protégés.

En contrepartie, le secteur non protégé occupe 18,3% des emplois de l'échantillon étudié. Il concerne surtout les hommes (94%) dans le milieu rural (64%), avec un niveau d'instruction, souvent, inférieur ou égal à un niveau primaire (87%). Les ouvriers non qualifiés et les artisans occupent ensemble la majorité écrasante des emplois dans ce secteur, soit (92%). Les emplois de ce secteur sont relativement moins stables. En effet, 61% d'entre eux s'exercent à titre conjoncturel ou saisonnier et 70% des paies de ce secteur s'effectuent à la journée ou forfaitairement.

Ce secteur d'emploi, vraisemblablement plus vulnérablement exposé aux forces de la concurrence, mérite le qualificatif de non protégé.

2.3- Panorama des écarts salariaux inter-sectoriels

Afin de mieux approcher la dimension dualiste, au sein du marché de travail tunisien, évoquée plus haut, il s'avère crucial de mettre l'accent sur la question de la différence de rémunération entre les catégories socio-professionnelles. Le tableau ci-dessus présente les résultats d'une comparaison des salaires moyens pour certains critères tel que le d'instruction, le rythme de travail et le statut professionnel pour des groupes d'emploi ayant les mêmes caractéristiques. La distinction urbain/rural et homme/femme a été établie pour les critères niveau d'instruction et rythme de travail.

Premièrement, l'écart salarial moyen entre les emplois protégés et ceux non protégés s'accroît avec le niveau d'instruction. Il est respectivement, en moyenne, de 111%, 67% et 21% pour, respectivement les salariés à niveau d'enseignement supérieur, secondaire et primaire. Cette observation reste vraie pour les milieux rural et urbain ainsi que pour les deux sexes. Par ailleurs, l'avantage relatif des salariés du secteur protégé par rapport à ceux du secteur non protégé s'avère plus important dans le milieu urbain que le rural pour le niveau d'instruction primaire alors qu'il est plus important dans le milieu rural pour le niveau secondaire. Cette inversion de tendance reste valable dans la distinction Homme-femme. Ainsi, l'avantage salarial des femmes appartenant au secteur d'activité protégé entretient une corrélation positive avec le niveau d'instruction par rapport à leurs homologues affiliés au secteur non protégé.

Deuxièmement, les salariés permanents du secteur protégé jouissent d'un avantage salarial moyen de 53% par rapport à leurs homologues non protégés. Cette information est d'un grand apport dans le sens où elle conforte l'existence d'écarts salariaux intersectoriels.

2.4- L'emploi en Tunisie : croissance ou vertus polémiques d'un constat statistique

En dépit des limites générées par la nature des données à la base de cette étude, l'investigation empirique tentée a, dans certaines mesures, permis d'établir un certain diagnostic du marché du travail en Tunisie. En effet, plusieurs éléments retenus dans l'analyse convergent pour confirmer son caractère segmenté et dual. Mis à part la technique ayant permis de regrouper les salariés selon les caractéristiques des emplois occupés, le choix occupationnel qui s'est révélé l'oeuvre des employeurs, ainsi que les écarts de salaire qui s'expliquent largement par une discrimination sectorielle augmentent manifestement la vulnérabilité de certains salariés sur le marché du travail.

Dans un contexte plus récent, caractérisé par un choix résolu d'insertion accentuée de la Tunisie dans l'économie internationale, les aspects de vulnérabilité que génère le processus d'ouverture sont de nature à renforcer les barrières à l'accès aux emplois protégés et à réduire le poids du secteur de cette catégorie d'emplois. Cette présomption est d'autant plus inquiétante lorsqu'elle s'associe à une période où l'output du système éducatif est en forte croissance.

Ainsi, les micro-entreprises, qui fonctionnent plus ou moins dans le cadre légal, jouent, dans le pays, un rôle de plus en plus important, étant donné la croissance très rapide de la population active dans les villes et les capacités d'embauche limitées des moyennes ou grandes entreprises. Alors qu'on avait longtemps négligé le développement de ces micro-entreprises, on s'en soucie de plus en plus parce qu'elles représentent désormais le principal moyen d'alléger le problème de chômage. Evidemment l'Etat, par les réglementations et la fiscalité, peut freiner ou favoriser l'activité de ces entreprises.

Parmi les politiques actives de l'Etat, on peut trouver celles relatives aux systèmes de protection sociale qui peuvent avoir une incidence directe sur le marché de l'emploi. C'est ce qui fera l'objet de notre section suivante.

SECTION 3 : LE SYSTÈME TUNISIEN DE PROTECTION SOCIALE

3.1- Système de protection sociale en Tunisie : les rouages

Ce système s'articule autour de deux grands volets : le premier concerne les régimes légaux de la sécurité sociale qui prend de plus en plus d'importance et qui couvre actuellement 83% de la population occupée et plus des deux tiers de la population active (Chaabane, 2003). Le second volet concerne les programmes de promotion sociale qui s`adressent à ceux qui ne bénéficient pas de la sécurité sociale.

a. Régimes légaux de sécurité sociale

Les régimes légaux de sécurité sociale couvrent actuellement la majeure partie de la population active occupée. Ils s'appliquent aux catégories socioprofessionnelles suivantes :

ü Les agents du secteur public qu'ils soient employés par l'Etat, les collectivités locales ou les établissements publics.

ü Les salariés du secteur privé non agricole régis par le code de travail : il s'agit des salariés de l'industrie, du commerce, des services, des professions libérales et des associations ainsi que les catégories assimilées aux salariés tels que les coopérateurs ou les représentants du commerce.

ü Les salariés du secteur agricole exception faite de ceux employés moins de 45 jours par trimestre chez le même employeur.

ü Les travailleurs non salariés du secteur agricole et non agricole : la notion est très large et couvre toute personne qui travaille pour son propre compte. Elle va du chef d'entreprise au petit vendeur, du médecin libéral à l'artisan.

ü Les étudiants : auxquels s'applique un régime particulier leur permettant, en contrepartie d'une cotisation symbolique, de bénéficier des prestations de soin de santé et des prestations de santé et des prestations familiales pour ceux d'entre eux qui ont des enfants.

ü Les travailleurs tunisiens à l'étranger exerçant une activité à l'étranger et qui ne sont pas couverts en matière de sécurité sociale, ni dans le cadre d'une convention de sécurité sociale ni d'un régime particulier. l'adhésion à ce régime, contrairement aux autres régimes précités reste facultative et couvre les soins de santé reçus en Tunisie ainsi que la branche assurance invalidité, vieillesse et décès.

Il faut signaler, par ailleurs, que le bénéfice des droits au titre de ces régimes est ouvert, outre à l'assuré lui-même, au conjoint et aux enfants à charge (pour ce qui est des pensions de survie, des indemnités en cas de décès et des soins de santé) ainsi qu'aux ascendants à condition qu'ils ne soient pas couverts par un autre régime de sécurité sociale et qu'ils soient à la charge effective du salarié.

La notion d'enfant à charge couvre les enfants mineurs (jusqu'à l'âge de 20 ans), les enfants qui poursuivent des études supérieures (jusqu'à 25 ans) ainsi que les enfants handicapés et les filles pour autant qu'elles n'aient pas de revenus propres ou qu'elles ne soient pas mariés indépendamment de leur âge.

· Cadre administratif

L'administration du système tunisien de sécurité sociale est essentiellement publique. Deux caisses placées sous tutelle de l'Etat assurent la gestion des régimes légaux de sécurité sociale : la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) pour le secteur public et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) pour le secteur privé.

L'intervention du secteur privé (assurances et mutuelles) demeure, en dépit des encouragements fiscaux, très limitée et se traduit par une gestion, à titre complémentaire et facultatif, d'une couverture en matière de soins de santé.

· Champ matériel d'application

Il y a lieu de distinguer entre deux catégories de branches : premièrement, les branches qu'on retrouve dans tous les régimes, à savoir : la branche assurance maladie, maternité qui comporte des prestations en espèces (indemnités de maladie et de maternité) et des prestations en nature (octroi des soins de santé). Deuxièmement, la branche assurance à partie limitée, qui recouvre des prestations familiales de divers types, des prestations supplémentaires et l'allocation décès.

Il est important de noter que les prestations offertes par ces différents régimes obéissent en règle générale au principe de correspondance entre le niveau et la durée de cotisations versées et le niveau des prestations. Toutefois, ce principe connaît des exceptions liées à la volonté de préserver une solidarité entre les assurés.

b. Les programmes de promotion et d'assistance sociale

Ce sont des programmes essentiellement administrés par l'Etat ainsi que par le cadre associatif. Ils se traduisent, dans le cadre de l'action de l'Etat, notamment par :

Un programme d'aide aux familles nécessiteuses : qui vise les familles vivant au dessous du seuil de pauvreté.

Un programme analogue vise les personnes âgées et les handicapés dans le besoin.

Assistance médicale gratuite s'adressant aux groupes défavorisés de la population non couverte par un régime de sécurité sociale (personnes âgées sans soutien, chômeurs, travailleurs agricoles saisonniers ...).

Le secteur associatif, de son côté, prend de plus en plus d'importance dans la promotion et la gestion des programmes d'assistance sociale. Il intervient dans des domaines aussi divers que la distribution d'aide aux nécessiteux, la protection des personnes âgées, la prise en charge de malades à revenus modestes obligés de se déplacer pour recevoir des soins spécialisés, la formation et la rééducation des handicapés.

Plus généralement, la mise en place de régimes de sécurité sociale est certes un élément essentiel de l'extension de la protection sociale, mais peut demeurer inopérante si les personnes visées n'adhèrent pas à ces régimes (ou n'y cotisent pas) d'où l'importance d'évaluer la couverture réelle des catégories de la population concernée par les régimes de sécurité sociale.

3.2- Le degré d'affiliation aux régimes de protection sociale

Sur ce plan, les résultats enregistrés par la Tunisie restent mitigés. Si des performances ont été réalisées au niveau du secteur protégé, les résultats, dans d'autres secteurs, sont restés en deçà de ce qui est attendu.

a. Couverture sociale dans le secteur organisé

Les deux régimes de sécurité sociale régissant le secteur organisé à savoir ceux du secteur public et du secteur privé non agricole, ont enregistré les meilleurs résultats en matière de couverture sociale. En effet, la quasi-totalité des agents du secteur public, y compris les contractuels, les occasionnels et les détachés, sont réellement inscrits dans le régime qui leur est applicable. De même, d'après la CNSS, le taux de couverture dans le régime des salariés du secteur privé non agricole a atteint 97% en 1999 alors qu'il n'était que de 73% en 1989.

De telles performances sont dues à une série de facteurs, notamment l'évolution des mentalités des citoyens quant aux risques des maladies ainsi q'aux campagnes de sensibilisation dans les médias et sur le milieu de travail.

Ceci étant pour les mesures incitatives, la coercition consiste à la mise en place au sein de la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS) de deux systèmes de contrôle : les contrôles sur place (sur le lieu de travail) et les contrôles comptables (pour les grandes entreprises) afin de déceler les sous déclarations ainsi que les fraudes. Il est d'autant plus opérant que la législation en vigueur prévoit de lourdes sanctions financières contre les employeurs en infraction.

b. La couverture dans les autres secteurs

En dépit des progrès réalisés ces dernières années, les résultats enregistrées au niveau des secteurs autres que le secteur organisé restent mitigées. En effet, seulement 51% des travailleurs indépendants dans le secteur non agricole concernés par la législation de sécurité sociale, sont réellement affiliés en 1999 après avoir été 15% en 1989. Pour les travailleurs indépendants dans le secteur agricole, le taux de couverture a passé de 14% en 1989 à 56% en 1999.

Pour les salariés agricoles, ce taux a passé de 21% en 1989 à 47% en 1999 mais avec un taux très bas pour les salariés chez les petits agriculteurs (21%) et les pêcheurs employés sur des petits bateaux (31%).

Pour améliorer le taux de couverture, des mesures ont été prises tout au long de ces dernières années avec plus ou moins de succès. Ces mesures ont permis l'octroi de pensions de retraite aux personnes dépassant un certain âge (50 ou 55 ans) au bout d'un nombre réduit d'années de cotisation (à partir de deux ans pour les plus âgés) ; ceci a généré une affiliation massive des personnes proches de l'âge de retraite sans pour autant de suivie de ce mouvement de la part des plus jeunes.

Il est important de noter que le recours aux procédures de contrôle et d'affiliation forcée trouve ses limites dans la dispersion géographique des populations concernées par les régions rendant toute opération de contrôle systématique coûteuse et aux résultats incertains. Par ailleurs, une opération de contrôle systématique peut avoir un impact négatif et renforcer, chez les intéressés, le sentiment que l'affiliation à la sécurité sociale s'apparente beaucoup plus à une collecte forcée d'impôt qu'à un mécanisme de sécurité sociale.

L'extension de la protection sociale, notamment dans le cadre de la sécurité sociale, constitue une composante déterminante de la sécurité économique des personnes car elle permet de satisfaire, dans la dignité, leurs besoins essentiels et d'éviter leur retour à la pauvreté. Certes nécessaire, la mise en place d'un cadre législatif doit être complétée par des conditions pour que la protection soit effective. Ceci exige un effort d'adaptation aux réalités de la société qui permet une avancée de la protection sociale.

Un autre aspect mérité aussi d'être mentionné, c'est celui de la viabilité financière des régimes de sécurité sociale, actuels ou à instituer. Les ressources nécessaires au financement de ces régimes, à moyen et long terme doivent être identifiées dès le début, sinon on risquerait d'avoir, au bout de quelques années, des régimes qu'il est difficile de soutenir.

Très alarmante comme réalité, surtout avec les tendances de l'évolution de la population tunisienne. En effet, la projection de la population de la Tunisie à l'horizon 2030 montre que la tranche d'âge, 60 ans et plus, va doubler entre l'an 2000 et l'an 2030 en passant de 8% à 16% de la population totale (tableau annexe 1). Ceci est dû, entre autres, à l'amélioration des conditions de vie en Tunisie qui expliquent l'augmentation de l'espérance de vie, mais aussi à la politique de limitation des naissances. En effet, la tranche d'âge [0 - 4 ans] va nettement diminuer entre 2000 et 2030 selon les projection de l'Institut National de la Statistique (INS) en passant de près de 10% à 6%.

Dans un contexte de vieillissement de la population tunisienne, comment se pose la question de soutenabilité financière du système légal de pensions basé sur le principe de répartition ?

3.3- Quel avenir du système de sécurité sociale tunisien

L'augmentation du taux de dépendance des personnes âgées, en Tunisie, dans les quelques décennies à venir pourra sérieusement mettre en péril un système de retraite fonctionnant par répartition pure. En effet, dans un tel système, la population active affiliée du moment finance, par les cotisations prélevées (et/ou par l'impôt), les prestations versées à la population pensionnée du même moment. Les générations à venir devraient à leur tour, toutes choses égales par ailleurs, financer les pensions de la population active d'aujourd'hui.

En plus de l'influence des facteurs démographiques sur système de protection social tunisien, ce dernier peut aussi être affecté par d'autres éléments tel que l'intégration de la femme au marché de travail (Houssi, 2005). Du point de vue du régime de retraite, le nombre accru de femmes mariées ayant un emploi améliore à court terme le budget du système. En effet, les femmes cotisent sur leurs revenus au lieu d'être seulement assurées par le biais de leurs maries affiliés. Ces dernières vont par conséquent bénéficier d'une pension au lieu de dépendre de celle de leurs maris en devenant veuves et en recevant uniquement une pension de survivant à laquelle elles n'ont pas contribué. Ainsi, l'emploi de plus en plus élevé des femmes observé sera certainement bénéfique actuellement pour le régime de retraite de la Tunisie. Néanmoins, il ne faut pas négliger le fait qu'à long terme, cela se traduira par une hausse de la proportion des personnes pensionnées.

Donc concernant les dépenses de pensions en corrélation positive avec le vieillissement de la population, si le nombre de pensionnés augmente plus que proportionnellement à celui des personnes actives, il va y avoir automatiquement des difficultés de financement des régimes de retraite. L'étude faite par (Houssi, 2005), en termes de rapport démographique13(*) se veut pertinente. Car, en raison du vieillissement de la population, ce rapport diminuera inévitablement, ce qui, toutes choses égales par ailleurs, entraînera soit une hausse dans les taux de cotisation pour équilibrer le système financier de pensions, soit une baisse dans les taux de remplacement, se traduisant par des systèmes moins généreux.

Mais il ne faut pas oublier que les facteurs démographiques ne sont pas les seules variables qui affectent l'équilibre des régimes de retraite. D'autres facteurs jouent également un rôle important, par exemple l'élargissement du champ de couverture du système en question (comme c'est le cas pour certaines catégories du secteur informel), l'amélioration des prestations, la formule d'indexation des pensions, etc.

Se basant sur une projection jusqu'à l'horizon 2050 de la population totale de la Tunisie afin de simuler les populations active occupée et pensionnée, l'étude de Houssi (2005) montre que les régimes de pension en Tunisie subiront une très forte hausse dans la population des personnes nécessitant le versement de pensions et plus précisément les personnes retraitées.

Le passage d'une vision absolue (chaque cohorte14(*) à part) à une vision plus relativiste (simulation du rapport démographique) éclairera beaucoup plus les choses. Ainsi, cette dernière montre qu'à la fin de la période de la projection et pour le cas de la CNRPS, il y aura moins d'une personne et demie pour financer les prestations d'une personne pensionnée. A la CNSS, la situation est à peine meilleure avec un rapport démographique de 1,66. Ce qui va se répercuter négativement sur l'équilibre financier des deux caisses.

Ce résultat confirme le risque sérieux et imminent de déséquilibre financier des régimes de retraite tunisiens qui est susceptible de menacer la viabilité même des systèmes actuels. Certaines réformes envisageables sont très largement critiquées. En effet, la proposition d'une hausse dans les taux de cotisation ou celle d'un allongement de l'âge de départ à la retraite, sont difficiles à mettre en oeuvre pour résoudre le problème du déséquilibre financier. D'une part, un accroissement des taux de cotisation pouvant équilibrer les recettes et les dépenses des caisses donnera lieu à un taux très élevé atteignant un niveau inconcevable et impossible à imposer (Houssi, 2003). D'autre part, l'allongement de l'âge de départ à la retraite entraînera la fixation d'un âge très élevé difficile à instaurer et impliquant des distorsions au niveau du marché de travail.

De plus et selon une étude faite par Vittas (1993) sur le régime des pensions dans le secteur privé et plus spécialement celui des salariés non agricoles montre que ce régime souffre d'un manque à gagner au niveau des recettes. Ceci est essentiellement dû aux trois problèmes suivants : la sous déclaration des salariés, la sous affiliation des travailleurs au régime et le sous recouvrement (problème des trois « sous »)15(*) qui forment des sources de manque à gagner au niveaux des recettes de cotisation.

Quant à la sous déclaration des salariés, elle consiste en une optimisation, de la part des salariés, du montant des prestations à percevoir avec celui des cotisation versées, ce qui amène les personnes ayant des salaires relativement élevés à ne pas les déclarer en totalité.

La sous-affiliation est induite par une adhésion insuffisante des travailleurs opérant surtout dans les secteurs informels de l'économie.

Le troisième facteur est lié au sous recouvrement au sein même du régime de sécurité sociale, dû à l'affiliation de certains assurés sociaux sans que le régime ne perçoive des cotisations de leur part ce qui se traduit par une augmentation des dépenses de la caisse sans qu'il y ait de compensation au niveau des recettes. Cette logique traduit la volonté des autorités tunisiennes d'étendre la couverture sociale à toutes les catégories de la population active de manière à les protéger contre les risques inhérents à la nature humaine susceptibles d'affecter les conditions matérielles et morales de leur existence, d'où le qualificatif des caisses tunisiennes de protection sociale de « généreuses ».

CHAPITRE III

CALCUL DU TAUX DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE EN TUNISIE ET ESSAI D'INTERPRÉTATION

L'évaluation de la sécurité économique des citoyens en Tunisie nous permet de déceler d'importantes conséquences en matière de garantie de revenus pour les ressortissants de ce pays. On sera ainsi en mesure d'isoler la sécurité démarchandisée (associée à des droits indépendants du marché de travail), qui se répercute sur les résultats parallèles en matière de pauvreté, de la sécurité marchandisée (découlant des revenus associés à la participation à l'activité professionnelle).

En effet, dans un pays donné, plus les revenus sont indépendants du marché (parce que les politiques sociales y visent davantage à l'intégration des personnes du fait des droits issus de leur citoyenneté, surtout les populations dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté), plus les personnes se sentent économiquement sécurisées. En revanche, là où la sécurité dépend plus du marché du travail et où les prestations sociales se limitent plus à un filet de sécurité, les pénalisations correspondant à l'insécurité économique seront plus importantes.

Concrètement, afin de procéder à une évaluation de la sécurité globale que la Tunisie procure à ses ressortissants, on se base sur la notion du Taux de Sécurité Economique (TSE), développée par Menahem et Cherilova (2005) et qui agglomère la sécurité démarchandisée et celle marchandisée.

Le TSE fait la somme des revenus que les individus touchent tout au long de leur cycle de vie et les divise par un dénominateur représentant le niveau de vie moyen des actifs ayant un emploi en Tunisie (leur revenu disponible net d'impôts et de cotisations après transferts sociaux, comprenant donc les prestations famille, logement, maladie).

Ainsi, le TSE permet en prendre en compte à la fois l'influence des revenus de remplacement sur la sécurité des personnes sans emploi et l'impact des divers revenus socialisés sur le revenu de pauvreté.

Ayant pour objectif le calcul du Taux de Sécurité Economique (TSE) pour le cas tunisien, instrument d'évaluation d'une des missions importantes de l'Etat social, le maintient et le développement de la sécurité économique des citoyens, ce troisième chapitre s'articule comme suit :

Une première section intitulée « Environnement Socioéconomique en Tunisie : état des lieux » se propose d'exposer l'évolution historique de certains indicateurs économiques et sociaux au cours des dernières décennies et de conclure quant aux résultats enregistrés en Tunisie en termes de performance économique mais aussi en termes d'amélioration de la qualité de vie des ressortissants tunisiens.

Une deuxième section procédera en un calcul du Taux de Sécurité Economique (TSE) comme outil méthodologique permettant d'avancer vers une compréhension plus raisonnée des liens entre sécurité économique et développement des missions de l'État social, concrétisée, enfin, dans l'exposé des enseignements à tirer d'une première évaluation du taux de sécurité économique des travailleurs du secteur privé en Tunisie.

Vu les évolutions des indicateurs socio-économiques de la population tunisienne, nous avons jugé utile et adéquat d'exposer, au préalable, un éventail des évolutions de certains indicateurs économiques et sociaux de base afin d'essayer de déceler, d'une part, l'évolution de la sécurité/insécurité économique des personnes et des groupes sociaux en Tunisie au cours des dernières années ainsi que, d'autres part, les instruments et les politiques socioéconomiques mise en oeuvre pour combattre l'extrême pauvreté et l'exclusion en Tunisie.

SECTION 1 : ENVIRONNEMENT SOCIOÉCONOMIQUE EN TUNISIE : ÉTAT DES LIEUX

La situation économique et sociale de la population tunisienne s'est nettement améliorée au cours de ces dernières années. En effet, l'observation de l'évolution historique de certains indicateurs économiques et sociaux, nous permet de conclure que la Tunisie n'a cessé d'enregistrer de bons résultats en termes de performance économique mais aussi en termes d'amélioration de la qualité de la vie des citoyens.

La Tunisie a enregistré, dans l'espace des quarante dernières années, une croissance annuelle moyenne du PIB de 5% entre 1961 et 2001. En plus, le revenu par unité de capital a fait plus que tripler dans un espace de quinze ans en passant de 953 Dinars en 1986 à près de 3000 Dinars en 200116(*).

Le défi qui reste à relever par l'économie tunisienne est le taux de chômage relativement élevé. En effet, il a culminé aux alentours des 15% au cours des vingt dernières années. Ceci étant, le rythme de création d'emplois s'est accéléré en passant d'une moyenne annuelle de 48000 nouveaux emplois crées sur la période 1966-1984 à 53000 durant la période 1984-1994, pour atteindre 61000 nouveaux emplois sur la période 1994-1997 et enfin culminer aux alentours de 66000 au cours de la période 1997-1999. En même temps, il y a eu une amélioration dans la qualité des emplois offerts. Ainsi, entre 1975 et 1984 seulement 8% des nouveaux emplois offerts ont été adressés à des personnes de niveau d'instruction supérieur. Durant la période 1984-1994, ce taux avait atteint 17% pour continuer son augmentation et aller rejoindre les 18% durant la période 1994-1997.

Concernant les performances sociales, il y a eu une substantielle amélioration dans les domaines d'enseignement, de santé, et des programmes sociaux de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

Le domaine éducatif représente l'un des plus importants exploits de l'Etat tunisien depuis l'indépendance, domaine qui a, non seulement conforté les efforts de réduction de la pauvreté, mais aussi permis une amélioration de la qualité de la main d'oeuvre. En effet, l'enseignement primaire couvre maintenant la quasi-totalité des enfants en âge de scolarisation, en plus il ne reste qu'une différence infinitésimale entre les taux de scolarisation des filles et des garçons. Cependant, des disparités entre les taux de scolarisation persistent entre les milieux rural et urbain malgré la chute importante de ce différentiel entre 1975 et 1994 où il a passé de 35,7% à 14,3%.

En effet, le pourcentage des personnes qui ont eu un niveau d'enseignement primaire a passé de 14% en 1960 à 42% en 1997. Celui des personnes qui ont eu un niveau secondaire d'enseignement, a été multiplié par 5 sur la même période en passant de 6% à 31%. Une hausse concomitante du taux de personnes ayant atteint un niveau d'étude supérieur a été constatée qui avait quadruplé dans un espace de moins de deux décennies en passant de 6% en 1984 à 12% en 1994 pour atteindre 24% en 2001 (Tableau 5).

L'état de santé de la population tunisienne continue son amélioration avec le développement des services de santé préventive et curative ainsi que la décroissance du taux de natalité. Les indicateurs d'espérance de vie à la naissance, de mortalité infantile, et la malnutrition ont aussi continué leurs améliorations. En effet, tout au long des trois dernières décennies, la Tunisie a développé un système de services de soin qui couvre la quasi-totalité de la population et qui reste relativement avancé par rapport à plusieurs pays au même stade de développement. Le secteur public reste le premier fournisseur de services sanitaires, offrant près de 90% du nombre de lits hospitaliers et plus que 55% du personnel médical. En 1998, le secteur sanitaire public a représenté 35% du total des dépenses de santé, les fonds d'assurance de santé obligatoires 17%, et le financement direct des ménages a représenté de son côté 47%.

L'amélioration du niveau d'encadrement sanitaire a permis de réduire le taux de mortalité infantile qui a nettement baissé en passant de 138%o en 1966 à 51%o en 1984 pour atteindre les 26%o en 2000. Le taux de croissance démographique, de son côté, a considérablement baissé entre 1966 et 2000 en passant de 3% en 1966 à 1,09% en 2000 résultant de la politique active de planification familiale.

Ces résultats enregistrés sont largement imputables aux énormes dépenses publiques dans les programmes sociaux dans les domaines d'éducation, de santé, les transferts directs ainsi que les opérations de subvention des denrées alimentaires de base aux ménages à bas revenu, formant ainsi une sorte de filet de sécurité au profit des classes sociales défavorisées.

1.1- Evolution de la pauvreté en Tunisie

L'observation de l'évolution de la pauvreté en Tunisie au cours des trois dernières décennies montre que les politiques économiques et sociales menées depuis l'indépendance (1956) ont été très déterminantes dans la réduction de la pauvreté. En effet, le taux de personnes pauvres est passé de 22% en 1975 à 4% en 2000, en d'autres termes, de près de 1,2 millions de personnes pauvres à 0,4 millions sur cette période (Tableau 6). Pourtant, les statistiques montrent qu'entre 1990 et 1995 le nombre de pauvres avait augmenté de 15000 à cause de la période prolongée de sécheresse entre 1993 et 1995 qui a négativement porté atteinte au secteur agricole. Ainsi, l'observation de l'évolution du coefficient de Gini entre 1990 et 1995 confirme cette explication (il est passé de 0,401 en 1990 à 0,417 en 1995) (Tableau 8). Ghali et Mohnen (2004) ont montré dans leur analyse du profil type d'un pauvre en 2000 que :

· Il est au chômage ou issu d'une famille dont le chef est sans travail ou un travailleur non qualifié.

· Il est issu d'un ménage de plus de huit personnes.

· L'âge moyen du chef de famille est de plus de 49 ans.

Comment les institutions publiques peuvent-elles agir afin de combattre la pauvreté?

1.2- L'action de l'Etat: privilégier l'autonomie individuelle ou renforcer les attentes envers l'Etat?

Afin de combattre les deux maux, pauvreté et chômage, les autorités publiques ont adopté trois types d'instruments. Le premier est lié à la promotion du travail indépendant et des micro-entreprises, le second type d'instruments est lié à la mise en place de programmes de lutte contre la pauvreté et le troisième est lié à l'utilisation des instruments de politique publique comme la promotion de l'emploi dans le secteur public, les subventions des produits de consommation de première nécessité, et les efforts d'éducation et de santé.

Premier instrument: une politique active de l'emploi: aide au développement du travail indépendant

Pour l'essentiel, l'action des autorités publiques s'effectue via la constitution de fonds dont on peut citer:

- Le « Fonds National de Promotion de l'Artisanat et des petits métiers » (FONAPRAM) : Crée en 1981, ce fonds s'adresse en premier lieu aux artisans. Il a permis, jusqu'à l'an 2000, de financer, selon des statistiques gouvernementales, près de 22000 projets permettant ainsi la création de 89000 emplois.

- La « Banque Tunisienne de Solidarité » (BTS) : créée en 1997, cette banque a pour mission la finance de petits projets pour des particuliers ne disposant pas de garantie. Jusqu'à la fin de 2001, 49000 prêts ont été contractés permettant la création de 69000 emplois.

- Le « Fonds National de l'Emploi » (FNE 21-21) : crée en 2000, ce fonds a pour mission le développement des qualifications des chercheurs d'emploi.

- Le micro-crédit institué en 1999.

Deuxième instrument: l'organisation de la coopération des organismes et des programmes étatiques en vue d'un soutien des classes défavorisées

- Le «Fonds de Solidarité Nationale 26-26» (FSN): destiné au début de sa création au développement des infrastructures dans les régions défavorisées en leur fournissant les équipements publics de base : habitats décents, des dispensaires de santé de base, des routes, des ponts, de l'électricité, et de l'eau potable. A ces programmes sont consacrées près de 90% des ressources du fonds. Le reste a été consacré à l'aide des personnes nécessiteuses dans l'installation de projets leur permettant de générer des ressources financières, qui ont permis la création, entre 1994 et 2000, près de 58837 projets, distribués sur les foyers de pauvreté à travers les régions. Il finance de petits projets d'industrie artisanale et agricole. Entre 1997 et 2001, ce fonds en a financé 3473 projets pour un montant total d'investissement de près de cinq millions de dinars.

- Le « Programme National d'Aide aux Familles Nécessiteuses » (PNAFN). Ce programme a pour mission l'octroi d'aide en espèce tout les trois mois (122 dinars) aux individus sans soutien et/ou à revenu insuffisant. Une telle aide est accordée à près de 114000 d'entre eux.

- Le « Programme Régional de Développement » (PRD) : il est en action depuis 1989 dans les régions et il a pour cible les personnes pauvres dans les milieux ruraux et urbains.

- Le « Programme de Développement Rural Intégré » (PDRI) : entre 1988 et 2000 ce programme avait financé 1642 projets des petits métiers d'artisanat, permettant ainsi la création de 3850 emplois permanents.

- Le « Programme de Développement Urbain Intégré » (PDUI).

Troisième instrument: lutte contre la pauvreté et l'exclusion par les actions gouvernementales dans les domaines sanitaires, d'enseignement, et d'emploi des populations pauvres

Dans ce cadre, l'Etat permet aux groupes sociaux à bas revenus d'accéder gratuitement aux services de soin via deux canaux. Le premier est celui de l'« Assistance Médicale Gratuite type I » (AMG I) qui couvre près de 117000 familles répertoriées selon leurs besoins ; le second s'attache à l'«Assistance Médicale Gratuite type II » (AMG II) qui permet à ses affiliés d'accéder aux services de santé sur la base d'un « carnet de soin » leur permettant de payer les services médicaux à tarif réduit (ticket modérateur) qui est d'une moyenne de 20% du tarif médical normal. A présent, approximativement près de 700000 ménages bénéficient de services de soin subventionnés gratuits ou payants.

Dans le domaine d'enseignement, bien que l'Etat tunisien reste le majeur fournisseur, quasi gratuitement, du service d'enseignement à tous ses niveaux, l'enquête INS sur la population pour l'an 2000 montre que les ménages supportent des coûts non négligeables (livres, cahiers, manger à l'école, cours privés ...). L'enquête indique aussi que le coût financier des fournitures scolaires est négativement corrélé aux revenus des familles. Ainsi, ces coûts représentent 4,1% du total des dépenses de consommation pour les niveaux bas de la société et près de 2,6% les niveaux du haut de la fourchette.

Dans le domaine de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, l'emploi dans des chantiers de travaux publics (des chantiers de nettoyage de la voie publique, maintenance et installation des canalisation de distribution des eaux dans les milieux urbains, tandis que dans le milieu rural, les "chantiers" consistent surtout en des travaux de protection des sols et des surfaces forestières) reste une importante source d'emploi pour les pauvres en Tunisie. Cherchant à réduire les phénomènes de sous-emploi et de chômage, ces programmes donnent lieu, généralement, à des emplois temporaires et saisonniers et forment ainsi des voies de transfert de ressources en faveur des pauvres.

Les programmes de travaux publics représentent une importante source d'emplois saisonniers, et ceci surtout pendant les mauvaises saisons agricoles qui affectent négativement les revenus agricoles.

Dans le cadre de la subvention de certaines denrées alimentaires de base, la Tunisie a introduit en 1970 la "Caisse Générale de Compensation" (CGC) où certains produits alimentaires de base (céréales, huile à manger, lait, et sucre) sont disponibles dans des quantités illimitées, à des prix inférieurs à ceux du marché, pour toute personne qui veut les acquérir. Cette façon de procéder s'est avérée coûteuse et malgré son ciblage des populations pauvres, elle leur profite peu.

En effet, le programme de subvention de la consommation est basé sur le principe de redistribution au profit des pauvres pour motif de préserver leur pouvoir d'achat ainsi que leur état nutritionnel. Dans certaines mesures, ce programme avait relativement réussi dans l'accomplissement de sa mission. Il a permis, en termes relatifs, l'amélioration du pouvoir d'achat surtout des pauvres par rapport à celui des riches. Mais en termes absolus, le programme a beaucoup plus profité aux riches par rapport aux pauvres (plus deux fois en 1985 et 1,2 fois en 1990). En 1990, les subventions ont contribué de presque 9% au total des dépenses du plus bas quintile des ménages. Les subventions ont aussi substantiellement contribué à l'amélioration de la ration calorique parmi les gens à bas revenus car, en moyenne, les aliments subventionnés fournissent plus de 70% du total de la ration calorique et renferment près de 80% du total de la consommation de protéines des pauvres en 1990.

Mais les coûts élevés et en hausse du programme, se sont combinés avec sa relative inefficience suite à sa substantielle fuite vers les non pauvres, faisant de la révision du système universel une urgente priorité. En effet, en 1990-1991, le gouvernement avait lancé un programme de moyen terme (soutenu par la Banque Mondiale et le prêt d'ajustement structurel de 1988) pour augmenter le prix en détail, réduire les coûts de production des marchandises subventionnées et introduire un mécanisme de self-targeting17(*) (Ghali et Mohnen, 2004) pour le consommateur des produits subventionnés afin de minimiser la privation des pauvres suite à la hausse des prix. La particularité innovante du nouveau système réside dans sa confiance au mécanisme de self-targeting le rôle du perfectionnement du ciblage des subventions en utilisant la différenciation des produits en termes de qualité comme moyen de ciblage des populations concernées. Ainsi, les biens « inférieurs » qui auront plus tendance à être achetés par des consommateurs à bas revenu seront subventionnés, mais ceux de « qualité supérieure », qui auront plus tendance à être demandés par des non pauvres, ne seront pas subventionnés et leurs prix sont plutôt régis par la loi du marché. Ainsi, l'introduction du mécanisme du self-targeting a permis de réduire les dépenses du programme de subvention de près de 3% du PIB et de plus que 7% des dépenses gouvernementales en 1990 à, respectivement, près de 2% et 6% en 1993.

Dans le domaine de logement, et selon l'enquête faite par l'Institut National de la Statistique (INS) pour l'an 2000 sur la consommation des ménages, plus de 87% de la population tunisienne possède sa propre habitation. En effet, afin de faciliter l'accès des citoyens à un habitat décent, l'Etat a mis en oeuvre, depuis l'indépendance, beaucoup de programmes publics. Ces derniers comprennent ceux relatifs à réhabilitation de l'habitat (Fonds National d'Amélioration de l'Habitat, FNAH; et le Fonds National de Résorption des Logements Rudimentaires, FNRLR), le Fonds pour la Promotion des Logements Sociaux pour les fonctionnaires à Bas Salaire, FOPROLOS). Ces programmes de réhabilitation ont absorbé près de 25% des dépenses budgétaires allouées à l'habitat tout en ayant pour cible les populations pauvres rurales (FNRLR) et urbaines (FNAH).

Le reste des fonds fût alloué aux projets d'habitat sous forme de prêts subventionnés de la FOPROLOS, au profit des familles des salariés à revenus modestes (deux fois plus bas que le salaire minimum industriel - SMIG) leur facilitant l'accès à leurs maisons propres surtout dans les milieux urbains. Le programme est réalisé par des promoteurs immobiliers tunisiens (Société Nationale Immobilière de Tunisie - SNIT, et la Société de Promotion des Logements Sociaux - SPROLS), les lotisseurs du secteur privé, et la Banque de l'Habitat (BH).

1.3- Facteurs clef de la réussite

Ces performances sont attribuables, d'un côté, à la priorité accordée par la Tunisie aux politiques sociales : grands efforts dans les domaines d'éducation et de protection sociale des populations et, d'un autre côté, à un facteur démographique qui consiste surtout en un taux d'accroissement de la population en baisse depuis les années 1970. En effet, le contrôle de l'accroissement de la population a permis à la Tunisie d'entrer dans une sorte de "cercle vertueux" où la réglementation des natalités a contribué à l'amélioration du niveau de vie moyen des populations (Tableau 7), et ce dernier, à son tour, a permis plus de contrôle de l'accroissement démographique de la population (Bechri et Naccache, 2003). En effet, en baissant sa croissance démographique à 1,2%, la Tunisie a gagné deux points de pourcentage en termes de croissance annuelle du revenu par unité de capital durant la récente période. De plus, l'abondance d'une main d'oeuvre éduquée, dans laquelle la femme est de plus en plus omniprésente, permet d'augmenter la distribution du revenu ce qui constitue un facteur de stabilité politique et sociale.

L'observation de l'évolution de l'activité formelle, en Tunisie, au cours des deux dernières décennies confirme l'hypothèse d'une amélioration des performances économiques et sociales de la Tunisie, particulièrement depuis la mise en oeuvre des programmes de stabilisation et d'ajustement structurel vers la moitié des années 1980. En effet, la pauvreté a significativement décliné (4,2% de la population qui vit en deçà du seuil de pauvreté). Ceci a été le fruit de trois types de politiques anti-pauvreté : le premier type est lié à la promotion de l'emploi indépendant et des micro-entreprises, le second fait référence à la promotion de projets générateurs de revenus dans le cadre des programmes de lutte contre la pauvreté, et enfin le troisième type est lié aux instruments indirects de transferts de revenus comme l'emploi dans des chantiers de travaux publics, les subventions des produits alimentaires de base ainsi que celles accordées aux agriculteurs, et la quasi gratuité de certains services tels que l'éducation et la santé.

Le relatif succès du modèle de développement Tunisien est, en grande partie, imputable aux efforts catalyseurs du secteur éducatif, à l'amélioration de la protection sociale surtout des populations pauvres, au développement de l'aide à la fraction la plus pauvre de la société, à l'élargissement de la place de la femme dans la scène économique, et à l'investissement dans l'amélioration des infrastructures de base. Un tel effort des autorités tunisiennes sera évalué par le biais d'un essai de calcul du Taux de Sécurité Economique (TSE) au cours des deux dernières décennies et c'est ce qui fera l'objet de la deuxième section.

Tableau 5: Stratification de la population active, en Tunisie, par niveau d'instruction

 

Aucun

Primaire

Secondaire

Supérieur

1966

1975

1984

1994

1997

73,9%

53,7%

42,0%

24,2%

19,0%

17,8%

32,0%

34,8%

41,7%

44,2%

7,1%

12,8%

19,9%

28,1%

29,7%

1,2%

1,5%

3,3%

6,0%

7,1%

Source: I.N.S: Recensement général de la population et de l'habitat (1966, 1975), Enquêtes sur l'emploi (1980, 1989, 1997)

Tableau 6: Évolution du seuil et du taux de pauvreté en Tunisie

Niveau

Années

Part de la population (%)

Seuil de pauvreté (TND/personne/année)

Taux de pauvreté (%)

Nombre de pauvres

National

1975

1980

1985

1990

1995

2000

100

100

100

100

100

100

64

102

161

225

298

302

21.9

12.9

7.7

6.7

4.2

4.2

1.223

0.823

0.554

0.554

0.559

0.399

Urbain

1975

1980

1985

1990

1995

2000

47.5

50.4

54.1

59.6

61.4

62.2

87

120

190

278

362

428

26.4

11.8

8.4

7.3

7.1

4.9

0.700

0.393

0.325

0.354

0.389

0.296

Rural

1975

1980

1985

1990

1995

2000

52.5

49.6

45.9

40.4

38.6

37.4

43

60

95

139

181

221

17.8

14.1

7.0

5.7

4.9

2.9

0.523

0.430

0.229

0.190

0.170

0.103

Source : I.N.S, Enquêtes nationales sur les ménages : 1975, 1980, 1985, 1990, 1995 et 2000.

Tableau 7: Population pauvre et taux de pauvreté par taille de ménage (an 2000)

Taille du ménage

Population pauvre (en milliers)

Taux de pauvreté (en%)

1 à 2 personnes

3 à 4 personnes

5 à 7 personnes

8 personnes et plus

TOTAL

4

29

178

188

399

0,8

1,4

3,6

9,5

4,2

Source: INS, Enquête nationale sur la population, 2000

Tableau 8: Évolution du coefficient de Gini entre 1975 et 2000

Milieu

1975

1980

1985

1990

1995

2000

Urbain

Rural

TOTAL

-

-

0,440

0,396

0,375

0,430

0,411

0,364

0,434

0,374

0,354

0,401

0,389

0,353

0,417

0,391

0,358

0,409

Source: INS, Enquêtes nationales sur la population: 1975, 1980, 1985, 1990, 1995 et 2000

SECTION 2 : ESSAI DE CALCUL DU TAUX DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE (TSE) EN TUNISIE

Cette section introduit le "Taux de Sécurité Economique" (TSE) comme instrument d'évaluation d'une des missions importantes de l'Etat social qui est le maintien et le développement de la sécurité économique des ressortissants d'un pays donné. Elle en illustre la portée à travers l'évaluation du TSE des ressortissants de la Tunisie. Pour ce faire, on s'est appuyé sur une série d'hypothèses nous permettant d'approcher notre étude du cas tunisien du fait des données statistiques insuffisantes sur ce pays. La présente étude avance un outil méthodologique permettant une compréhension plus raisonnée des liens entre sécurité économique et développement des missions de l'Etat "social" en Tunisie.

2.1- Etude du cas tunisien

a. Corpus d'hypothèses

Concrètement, afin d'étudier la sécurité économique que procure la Tunisie à ses ressortissants, nous nous sommes basés dans nos calculs du Taux de Sécurité Economique Brut, précédemment défini, sur des données statistiques qui proviennent de l'enquête population-emploi réalisée par l'Institut National de la Statistique (INS) en 1999 et reportée plus haut lors de notre étude de la dimension duale de l'économie tunisienne. Il s'agit d'un échantillon de 5979 salariés tiré d'une base nationale couvrant des individus des deux sexes, âgés de 15 ans et plus, de 125 000 ménages. Tout le territoire tunisien est représenté par ses deux milieux urbain et rural. Cette étude montre que le secteur privé accapare 18,3% du total des salariés de l'échantillon représentatif parmi lesquels 38,4% travaillent de façon permanente, 57,6% de façon conjoncturelle et seulement 4% sont occupés de façon saisonnière. Ceci nous servira de base pour étudier la corrélation: stabilité/précarité de l'emploi et sécurité/insécurité économique. Il est aussi important de noter que ces pourcentages vont nous servir à l'élaboration des données statistiques manquantes pour étudier l'évolution du Taux de Sécurité Economique relatif à l'Etat "social" tunisien durant la période 1999 - 2004.

Ainsi, on a tenté d'élaborer les statistiques qui retracent l'évolution de l'ensemble des composantes du TSE associées aux revenus de l'activité professionnelle, les prestations sociales, les aides, les remboursements, et le nombre d'actifs occupés) tout en les adaptant au cas tunisien selon la disponibilité de données statistiques.

En effet, notre étude se concentre, pour le cas tunisien, sur l'étude de l'évolution du taux de sécurité économique des travailleurs du secteur privé et plus particulièrement ceux affiliés à la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS) sous le Régime des Salariés Non Agricoles (RSNA) qui représentent près de 75% des affiliés. En plus, on a conservé les proportions relatives aux parts des travailleurs permanents, conjoncturels et saisonniers dans le total du secteur privé qu'on suppose constants tout au long de la période de l'étude, soit 1999 - 2004.

Concernant l'évolution des revenus salariaux sur la période concernée, on suppose que leur poids total (12% du PIB en 2004)18(*) reste constant pour la période de notre étude, soit 1999 - 2004. De plus, on suppose que la part de chaque secteur d'activité reste pondérée par son poids dans l'emploi du secteur d'activité. Ainsi, la masse salariale touchée par les travailleurs du secteur privé sera de l'ordre de 18,3% de la masse salariale totale en Tunisie dont 75% qui sera allouée aux affiliés à la CNSS sous le RSNA.

En ce qui concerne le montant des transferts et subventions et faute de données sur leur volume qui profite aux travailleurs du secteur privé, on prend l'hypothèse d'homogénéité de leur répartition sur toute la population tunisienne. Les parts de chacun des secteurs d'activité (privé et public) seront donc pondérées par leurs poids respectifs en termes de population active occupée. Selon les estimations annuelles faites par le FMI sur la période allant de 2001 à 2005 et les projections effectuées à l'horizon 200819(*), on remarque que le ratio (Transferts & Subventions /PIB) décroît à un rythme annuel de l'ordre de 0,1%. Une telle tendance sera prise en compte pour évaluer les calculs de ce ratio jusqu'à 1999.

En se basant sur le rapport du budget de l'Etat tunisien pour l'année 200520(*), qui donne le montant annuel global des prestations accordées par les organismes de protection sociales tunisiens pour les années 2002, 2003 et 2004 ainsi que celles par individu assuré qui sont respectivement de 722 Dinars, 758 Dinars et 799 Dinars. On a essayé ensuite d'approcher le nombre de personnes assurées pour les années en question. Ceci nous donne un taux de croissance annuel moyen du montant global du montant des prestations de l'ordre de 11%, taux qu'on suppose constant, toutes choses égales par ailleurs (point de vue législatif, démographique ...), tout au long de la période de notre d'étude, soit (1999 - 2004). En plus, l'observation du montant global des prestations offertes ainsi que celles par individu nous permet d'en déduire un taux moyen de croissance annuelle de la population couverte qui est de l'ordre de 5,2%, taux qui évoluera de la façon même que le montant global des prestations durant la période considérée.

Le montant global des prestations sociales est supposé aussi équitablement réparti entre les pensionnés deux caisses publiques de protection sociale (CNSS et CNRPS). En plus, selon Chtioui (2005), le nombre de pensionnés de la CNSS représente, pour l'année 2004, près des deux tiers du total des pensionnés des deux caisses. Un tel rapport sera appliqué sur la période 1999 - 2004 et ce pour le montant total des prestations offertes par les caisses publiques de protection sociale en Tunisie. Il est important de noter que ces prestations ne tiennent compte que des rubriques maladie, invalidité, vieillesse, famille ainsi que celles des retraites.

Ce corpus d'hypothèses nous permet de dresser un schéma de l'évolution des différentes composantes qui interviennent dans le calcul du Taux de Sécurité Economique (TSE) en Tunisie.

b. Interprétation des résultats

En commençant par les revenus salariaux bruts des affiliés au RSNA, on remarque qu'ils se sont accrus entre 1999 et 2004 en passant de 406 Millions de Dinars à près de 578 Millions.

Concernant le taux des cotisations sociales salariales, pour le Régime des Salariés Non Agricoles (RSNA), 7,75%, il est supposé constant au cours de la période de notre étude. Ceci donne un montant global de cotisations (salariales et patronales) qui a augmenté entre 1999 et 2004 en passant de près de 31 Millions de dinars à 44 millions de dinars.

Les transferts et les subventions, qui comprennent soit des apports en numéraire et en nature en faveur des plus démunis, soit des subventions de produits de première nécessité, ont connu une baisse annuelle constante de 0,1%, en termes de pourcentage du PIB, au cours de la période 1999 - 2004, période où la part des travailleurs affiliés au RSNA a augmenté de près de 6 millions de dinars entre 1999 et 2004 en passant de 24 Millions dinars à près de 30 MD21(*).

Ce qui précède nous permet de dresser un panorama de l'évolution du Taux de Sécurité Economique Brut (TSE B) pour l'Etat "social" tunisien ainsi que la décomposition du TSE B global en des TSE B partiels relatifs aux revenus d'activité, transferts et subventions, et aux prestations de la CNSS. De plus on a essayé de voir la participation de chacun de ces TSE B "partiels" en termes de pourcentage du TSE B global.

2.2- La sécurité économique des ressortissants de la Tunisie: quelle portée du message ?

a. Résultats des estimations

L'estimation réalisée, relative au TSE B pour la Tunisie, nous permet de dresser un schéma quant à son évolution sur la période 1999 - 2004. Cet indicateur a passé de près de 49% en 1999 à près de 62% en 2004. L'examen de la décomposition du TSE Brut en 1999 montre que la participation des revenus issus de l'activité productive sont de l'ordre de 44%, celle issue des transferts et des subventions représente, à son tour, près de 2,5% du TSE brut global alors que la sécurité issue des prestations offertes par la CNSS aux affiliés du RSNA s'élève à près de 53% du TSE brut global. En 2004, la hausse du TSE Brut global par rapport à son niveau de 1999 a été soutenue par l'augmentation de la participation des prestations offertes par la CNSS qui, avec son augmentation, a fait plus que compenser la baisse de la participation des revenus issus de l'activité productive et celle des transferts et subventions. En effet, le TSE issu des prestations offertes par la CNSS représente en 2004 près de 57% du TSE global, celui des revenus issus de l'activité productive près de 41% alors que la participation des transferts et subventions n'est que de l'ordre de 2% du TSE Brut global.

b. Interprétation des résultats

L'observation de l'évolution du TSE brut de la Tunisie ainsi que celle de l'ensemble de ses composantes nous permet de dresser un panorama de l'évolution de la mission de l'Etat "social" tunisien au fil de la période sur laquelle porte notre étude. En effet, l'examen de l'évolution de la participation des revenus de l'activité productive au Taux de Sécurité Economique (TSE) montre qu'elle est en décroissance continue avec son passage de 44% en 1999 à 40% en 2004. Cette baisse peut être imputable, en partie, à un taux de chômage relativement élevé, de l'ordre de 15% de la population active au cours des deux dernières décennies. La conjugaison d'un taux de chômage constant durant la période en question à une augmentation de la population active fait en sorte que les chômeurs sont en nombre croissant. Sachant qu'on a pris une masse salariale constante en termes de pourcentage du PIB, le TSE relatif au revenu de travail se trouve détérioré au cours de la période en question. Donc, l'effet de l'augmentation de la population active occupée a fait plus que compenser celle du PIB.

En plus, le TSE relatif aux prestations accordées par la CNSS à ses affiliées du RSNA a passé de près de 53% en 1999 à 57% en 2004. Cette augmentation est, en partie, imputable à l'augmentation du nombre de retraités suite au "vieillissement" de la population tunisienne ce qui exige plus de concours de la part de la CNSS à cette catégorie sociale.

Ceci étant pour l'estimation du TSE relatif à l'Etat "social" tunisien, quelles sont alors les limites d'une telle approches ?

SECTION 3: LIMITES DE L'APPROCHE DU TAUX DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE

Certaines incertitudes des tableaux correspondent aux inadéquations des données qu'on a essayé d'élaborer sur la base d'un ensemble d'hypothèses afin de surmonter le manque de données statistiques sur la Tunisie. De plus, Alors que celui qu'on a essayé de calculer, dans le cas de la Tunisie, se réfère uniquement aux travailleurs du secteur privé et en particulier ceux affiliés au Régime des Salariés Non Agricoles sous l'égide de la CNSS, ce qui donne une vision relativement restrictive quant à la sécurité économique de l'ensemble des ressortissants de la Tunisie.

Au-delà de ces problèmes aux conséquences directes sur la signification du TSE, objet de notre étude, d'autres limites correspondent à la répartition structurelle de l'emploi qui est associée aux choix du pays: entre générations (activité plus ou moins tardive des jeunes, inactivité plus ou moins précoce des personnes âgées), entre femmes et hommes et entre temps partiel et temps plein. Ces trois critères, largement interdépendants, pèsent de manière considérable sur le niveau de revenu moyen dans un pays en raison des différences de rémunérations entre femmes et hommes, jeunes et personnes âgées, temps plein ou partiel. Par exemple, des proportions plus importantes de femmes actives et d'actifs âgés dans un pays donné se traduisent par deux facteurs contribuant à un niveau de sécurité économique plus élevé: un plus important taux global d'activité et une rémunération moyenne plus faibles des actifs, d'où un dénominateur plus faible du TSE brut.

Par ailleurs, un phénomène de forte ampleur correspond à la part du « travail souterrain » non déclaré dans un pays comme la Tunisie. Ce phénomène, non négligeable, se traduit par une incertitude importante en ce qui concerne le taux de la population active occupée ainsi que les revenus qu'ils perçoivent. Même si ce flou implique une sous-estimation variable du TSE qu'il n'est pas possible d'évaluer, on peut supposer qu'elle tend davantage à sous-estimer la sécurité économique en Tunisie.

Enfin, un taux élevé de propriété du logement principal, important en Tunisie, concerne davantage les personnes âgées que les jeunes ménages. Ce taux entraîne donc une sous-estimation plus importante des revenus des inactifs en Tunisie, ce qui contribue à une minoration plus importante du TSE.

La non-prise en compte de ces revenus issus de la propriété correspond à des choix méthodologiques de départ privilégiant les ressources issues du travail et des prestations sociales. Choisir d'adopter une approche intégrant un éventail plus large de revenus permettrait certes de prendre en compte les différences considérables entre actifs et inactifs, du point de vue de leurs rétributions tirées de leurs ressources patrimoniales. Rien n'interdit, bien sûr, d'entreprendre ultérieurement des évaluations, comparaisons et interprétations de la diversité des sécurités économiques des ménages liées par possession d'actifs mobiliers et immobiliers.

CONCLUSION GÉNÉRALE

L'insécurité, derrière la multitude de domaines auxquels le terme s'associe ou s'applique, peut être interprétée comme le fait de ne pas accéder à un ensemble de droits définis à un moment donné, dans une société donnée, garantissant à une personne de mener à bien sa vie dans cette société.

Dans une société où le travail reste une valeur centrale, mais où chômage et précarité gagnent du terrain, le sentiment d'insécurité est évidemment compréhensible. Dans cette optique, la politique sociale est un complément nécessaire de la politique économique.

Comment combattre l'insécurité économique ?

La mise en mobilité généralisée des situations de travail et des trajectoires professionnelles place l'incertitude au coeur de l'avenir dans le monde du travail. Dans cette optique, il faut réinterroger aujourd'hui le statut de l'emploi. Dans la société salariale, c'est aux caractéristiques et à la permanence de l'emploi qu'ont été attachées les garanties dont bénéficie le travailleur. Ce dernier occupe un emploi et il en tire à la fois des obligations et des protections. Cette situation correspondait à la permanence des conditions de travail dans la durée (hégémonie des Contrats à Durée Indéterminée) et dans la définition des tâches qu'elle impliquait (grilles de qualifications strictement définies, homogénéité des catégories professionnelles et des salaires, stabilité des postes de travail...). Aujourd'hui, on assiste de plus en plus à une fragmentation des emplois, non seulement au niveau des contrats de travail proprement dits (multiplication des formes dites « atypiques » d'emploi par rapport au CDI), mais à travers la flexibilisation des tâches de travail. Il en résulte une multiplication de situations de hors droit ou de situations faiblement couvertes par le droit, ce qu'appelle Supiot (1999) « les zones grises de l'emploi ». En même temps, le chômage s'est creusé et les alternances de périodes d'activité et d'inactivité se sont multipliées. Il semble donc que la structure de l'emploi, dans un nombre croissant de cas, ne soit plus un support suffisamment stable pour accrocher des droits et des protections qui soient, eux, permanents.

L'insécurité du travail est sans doute devenue la grande pourvoyeuse d'incertitude pour la majorité des membres de la société. Il reste à savoir si elle doit être acceptée comme un destin inéluctablement enclenché par l'hégémonie du capitalisme de marché.

Les voies d'une nouvelle régulation: Reconfiguration des relations de travail et de répartition des risques

Une révision de la construction juridique de la relation employé/employeur paraît primordiale pour comprendre comment sont répartis aujourd'hui les différents risques économiques et sociaux, c'est à dire les différents aléas, l'incertitude, dont le contrat de travail et le statut qui lui est lié assurent la prise en charge.

Quels sont précisément ces risques ou aléa ?

A qui sont-ils imputables, c'est-à-dire qui peut en répondre ?

Dans la mesure où ces risques se réalisent, qui en supporte le coût, ou plutôt, comment sont-ils répartis?

La notion de "risque" renoue avec la naissance du droit de travail qui a cherché à assurer la sécurité des personnes et la sécurité de l'emploi face aux risques sociaux et aux aléas de la relation d'emploi.

Dans cette problématique, l'acquisition des droits qui forment le statut du travailleur et autorisent telle ou telle trajectoire, n'est pas seulement liée à l'existence du contrat de travail, elle résultent également de la façon dont le contrat de travail place le salarié dans un réseau de relations individuelles, collectives et sociales, qui permet de définir les responsabilités et de répartir les risques ou aléa. Dans la relation d'emploi, l'aléa peut avoir deux origines : économique (risque entrepreneurial et d'emploi); personnelle (perte des capacités de travail de la personne liée au travail - risque de sécurité - soit au hors travail - retraite, santé).

Mais ce sont, en particulier, les institutions et les mécanismes intervenant dans les relations industrielles nationales qui subissent une sérieuse contrainte de transformation. La crise de la société de travail a, par ailleurs, des effets considérables sur la stabilité des institutions de l'assurance sociale. Ses piliers les plus importants (assurance chômage, assurance maladie, accident et retraite) sont liés aux caractéristiques de l'activité professionnelle. La stabilité de ces systèmes ne posait pas de problème aussi longtemps que le nombre des actifs, en chiffre absolu ou en pourcentage, augmentait dans la population.

Notre étude, qui a essayé d'appliquer l'approche du Taux de Sécurité Economique (TSE) au cas tunisien, en dépit des limites générées par la nature des données à la base de cette étude, l'investigation empirique tentée a, dans certaines mesures, permis d'établir un certain diagnostic du marché du travail en Tunisie. En effet, plusieurs éléments retenus dans l'analyse convergent pour confirmer son caractère segmenté et dual. Mis à part la technique ayant permis de regrouper les salariés selon les caractéristiques des emplois occupés, le choix occupationnel qui s'est révélé l'oeuvre des employeurs, ainsi que les écarts de salaire qui s'expliquent largement par une discrimination sectorielle augmentent manifestement la vulnérabilité de certains salariés sur le marché du travail.

Dans un contexte plus récent, caractérisé par un choix résolu d'insertion accentuée de la Tunisie dans l'économie internationale, les aspects de vulnérabilité que génère le processus d'ouverture sont de nature à renforcer les barrières à l'accès aux emplois protégés et à réduire le poids du secteur de cette catégorie d'emplois. Cette présomption est d'autant plus inquiétante lorsqu'elle s'associe à une période où l'output du système éducatif est en forte croissance.

Cette tendance s'est inversée : un nombre toujours plus réduit d'actifs doit financer un nombre toujours croissant de chômeurs. Outre l'augmentation du chômage, les causes de cette situation résident dans l'évolution démographique, avec l'inversion tendancielle de la pyramide des âges (recul des naissances, espérance de vie à la naissance accrue), dans l'intégration des femmes à la vie professionnelle (demande croissante d'emplois).

En dépit de l'extension continue de la couverture assurantielle de la sécurité sociale, une partie non négligeable de la population demeure hors de sa protection. Formellement, le système de sécurité sociale se heurte au problème de l'intégration des catégories non couvertes légalement, notamment les non actifs; et des ménages dont la capacité contributive est insuffisante pour s'acquitter de leurs cotisations, a fortiori lorsqu'il s'agit de travailleurs indépendants ou très irréguliers. L'assistance est conçue essentiellement comme un levier devant conduire à l'intégration progressive de l'ensemble de la population dans l'emploi protégé. Elle affiche comme finalité principale le développement économique et social des personnes et des régions. L'assistance couvre des domaines variés : l'éducation, la santé, le chômage, le logement et plus généralement la pauvreté et l'exclusion (Destremau, 2006).

Les dynamiques démographiques et d'urbanisation ont fait peser une forte pression sur le marché de travail tunisien, qui se caractérise par un taux de chômage et un poids des activités informelles relativement élevés. Si jusqu'aux années 1990, les travailleurs non qualifiés étaient largement absorbés par le secteur industriel et les petites activités artisanales et marchandes urbaines, depuis une quinzaine d'années, le profil des qualifications requises se modifie et le chômage croît. Bien que plusieurs travaux aient porté sur le secteur informel tunisien, il est difficile de chiffrer l'interconnexion, ou de pénétration, du chômage et de l'informel : entre les chômeurs vivant d'expédient, et les travailleurs informels se déclarant comme chômeurs, les mobilités entre emploi formel, chômage et petits boulots, un grand nombre de variantes dessinent les figures du travail irrégulier, précaire, d'insertion...

Même si l'horizon d'universalisation n'est pas totalement atteint, le succès de l'extension de la protection sociale en Tunisie est peu contestable, si l'on compare à d'autres pays de la région MENA. Le système se porte bien et a toutes les apparences d'un cercle vertueux : forte croissance économique couplée avec un processus de développement social : amélioration du bien-être et de la sécurité économique des travailleurs, performances satisfaisantes du système de santé et décrue marquée du taux de pauvreté, même en plein ajustement structurel.

Certes, un certain nombre de difficultés sont prévisibles. L'évolution démographique va mettre à mal l'équilibre financier des caisses : vieillissement de la population et réduction de la part des actifs. En outre, l'augmentation du nombre des chômeurs, les freins à la salarisation et les tendances à la précarisation de l'emploi qui alimentent l'informel peuvent constituer une frontière à l'extension de la couverture sociale, pérennisant la dualité du statut des travailleurs.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrages

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Sites Internet

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· www.imf.org

· www.ins.nat.tn

· www.tunisie.com

· www.tunisieinfo.com

TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE............ .........................................................................2

INTRODUCTION GÉNÉRALE 3

CHAPITRE I: INSTABILITE CONTRACTUELLE, PRECARITE DE L'EMPLOI: PLAIDOYER POUR LA CONSTRUCTION D'UN INDICE DE SECURITE ECONOMIQUE 10

SECTION 1 : STABILITÉ CONTRACTUELLE ET EMPLOI : LES ENJEUX 11

1.1- Stabilité contractuelle et emploi 11

a. Stabilité contractuelle et flexibilité de l'emploi 11

b. Stabilité contractuelle et précarité 12

c. Stabilité contractuelle et stabilité de l'emploi 12

1.2- Les enjeux de la stabilité 13

a. la stabilité, un enjeu politique 13

b. La stabilité, un enjeu économique 14

c. La stabilité, un enjeu social 15

SECTION 2 : L'ÉPREUVE DE PRÉCARITÉ : VECTEUR DE CRISE DU SALARIAT 16

2.1- Crise de la relation de travail 16

a. Transformation des relations contractuelle et partage des risques 17

· Incertitude de l'emploi et flexibilité du contrat de travail 17

· Incertitude de l'emploi et développement du travail indépendant 18

2.2-De la multiplication des contrats de travail à l'enchevêtrement des formes de travail 19

a. Epreuve de la précarité et cultures de l'aléatoire 19

b. Crise du travail salarié : quelle mission pour l'État social ? 21

SECTION 3. À LA RECHERCHE D'UNE ÉVALUATION DE LA SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE DES CITOYENS : INDICATEURS DE LA SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE 22

3.1- L'indicateur de démarchandisation de Gøsta Esping-Andersen 24

3.2- L'indicateur de sécurité de l'indice de bien-être économique de Osberg et Sharpe 24

3.3- Le Taux de Sécurité Démarchandisée (TSD) 25

a. Les principes de construction du Taux de Sécurité Démarchandisée 25

b. Construction du Taux de Sécurité Economique 27

· Principes fondateurs 27

· Etapes de calcul du Taux de Sécurité Economique (TSE) 28

· Prise en compte de l'insécurité des populations à faibles ressources 30

3.4- Au-delà de l'insécurité économique : de la précarité à l'exclusion 31

a. Catégories des situations vis-à-vis de l'emploi et du revenu 31

b. Commentaires 32

CHAPITRE II : MARCHÉ DE TRAVAIL EN TUNSIE : INFORMEL, DUALISME : DESTRUCTION DU SALARIAT ET ÉMERGENCE DES GROUPES À INSÉRER 35

SECTION 1 : LE SECTEUR INFORMEL, QUELLE ÉTENDUE EN TUNISIE ? 36

1.1- Secteur informel : définition et motifs de développement 36

a. Définition 36

b. Motifs du développement du secteur informel 37

· Cas général des pays sous développés 37

· Cas particulier de la Tunisie 38

1.2- Cadrage institutionnel du secteur informel en Tunisie 39

a. La législation du travail 39

b. Tendances du travail informel en Tunisie 40

c. Quelle est la relation entre les secteurs d'activité formels et informels ? 43

SECTION 2 : MARCHE DE TRAVAIL EN TUNISIE, QUELLE AMPLEUR DU DUALISME ? 43

2.1- Présentation du phénomène : Enseignements de la théorie 43

2.2- Marché du travail en Tunisie : de la segmentation à la stratification 44

a. Mode opératoire de l'étude 44

b. Commentaires et résultats 48

2.3- Panorama des écarts salariaux inter-sectoriels 48

2.4- L'emploi en Tunisie : croissance ou vertus polémiques d'un constat statistique 49

SECTION 3 : LE SYSTÈME TUNISIEN DE PROTECTION SOCIALE 50

3.1- Système de protection sociale en Tunisie : les rouages 50

a. Régimes légaux de sécurité sociale 50

· Cadre administratif 51

· Champ matériel d'application 52

b. Les programmes de promotion et d'assistance sociale 52

3.2- Le degré d'affiliation aux régimes de protection sociale 53

a. Couverture sociale dans le secteur organisé 53

b. La couverture dans les autres secteurs 53

3.3- Quel avenir du système de sécurité sociale 55

CHAPITRE III : CALCUL DU TAUX DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE EN TUNISIE ET ESSAI D'INTERPRÉTATION 58

SECTION 1 : ENVIRONNEMENT SOCIOÉCONOMIQUE EN TUNISIE : ÉTAT DES LIEUX 59

1.1- Evolution de la pauvreté en Tunisie 61

1.2- L'action de l'Etat: privilégier l'autonomie individuelle ou renforcer les attentes envers l'Etat? 62

1.3- Facteurs clef de la réussite 66

SECTION 2 : ESSAI DE CALCUL DU TAUX DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE (TSE) EN TUNISIE 69

2.1- Etude du cas tunisien 69

a. Corpus d'hypothèses 69

b. Interprétation des résultats 71

2.2- La sécurité économique des ressortissants de la Tunisie: quelle portée du message ? 72

a. Résultats des estimations 72

b. Interprétation des résultats 73

SECTION 3: LIMITES DE L'APPROCHE DU TAUX DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE 73

CONCLUSION GÉNÉRALE 75

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 79

TABLEAUX ANNEXES

Tableau 1 : Projection de la population tunisienne par tranche d'âge (en milliers)

Source : Institue National de la statistique : projection de la population tunisienne 2000 - 2030 (Niveau national)

Tableau 2 : Comparaison des régimes de sécurité sociale

* 1 La stabilité réduit les risques... elle ne les neutralise pas : la stabilité dans l'emploi est une condition nécessaire mais pas suffisante de l'intégration sociale. En ce sens : S. Paugam, le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l'intégration professionnelle : PUF 2000, p. 26, selon lequel « on associe presque toujours, au moins implicitement, l'emploi à statut précaire à l'impossibilité d'épanouissement dans le travail tant on a intériorisé la norme de l'emploi stable comme condition du statut social. Peut-on affirmer pourtant que toutes les personnes ayant un statut précaire sot insatisfaites dans leur travail ? De même on laisse souvent entendre que ceux qui ont un emploi stable sont des privilégiés sans prendre la précaution d'ajouter que la stabilité de l'emploi n'assure pas en elle-même l'intégration professionnelle. N'existe-t-il pas de cas de personnes en emploi stable qui donnent leur démission tout simplement parce qu'elles se sentent méprisées dans l'entreprise et qu'elles ne supportent pas leur travail ».

* 2 Avis du conseil économique et social français du 11 février 1987, rapport "Grande pauvreté et précarité économique et sociale"

* 3 Menahem, G., (2006), « Un outil d'analyse du rôle de l'Etat social en matière de sécurité économique », Colloque International : Etat et régulation sociale, comment penser la cohérence de l'intervention publique ?

* 4 La même logique peut être étendue à l'ensemble des décompositions des taux de sécurité économique brut et net.

* 5 RDMAAE : abréviation du Revenu Disponible Moyen des Actifs Ayant un Emploi.

* 6 On prend ici le même seuil de pauvreté que celui pris dans le cas du TSD, soit 60% du revenu médian par unité de consommation après prestations dans la définition de Eurostat.

* 7 Ballet J. (2001), L'exclusion : Définitions et mécanismes, Collection Logiques Sociales, Paris, L'Harmattan, p. 38.

* 8 Sboui, F., « Le dualisme du marché de travail en Tunisie : choix occupationnel et écart salarial », Unité de Recherche en Economie appliquée (UREA), FSEG de Sfax - Tunisie.

* 9 BIT, (2006), «  Changements dans le monde de travail », Conférence Internationale Du Travail, Genève, BIT.

* 10 D'après Adair et Hamed, la productivité apparente du secteur informel est approximée par le ratio : part du secteur informel dans le PIB non agricole / taux d'emploi informel dans l'emploi non agricole.

* 11 et 28 sont respectivement les parts des secteurs protégés et non protégés dans le total des emplois de l'échantillon.

* 12 Sboui. F, « Le dualisme du marché de travail en Tunisie : choix occupationnel et écart salarial », Unité de Recherche en Economie Appliquée (UREA), FSEG de Sfax - Tunisie

* 13 C'est-à-dire le nombre de pensionnés en pourcentage de l'effectif des personnes actives affiliées au régime.

* 14 Chaque génération découpée par âge et par sexe est appelée « cohorte ».

* 15 Houssi, C., Proposition d'une réforme de pension pour la Tunisie : Le cas de la RSNA

* 16 1 Dinars Tunisien (TND) = 0,7580 USD = 0,5896 Euros (au 04/09/2006)

* 17 Il s'agit d'un mécanisme de subvention des denrées alimentaires de base ciblant les populations nécessiteuses par voie de différenciation qualitative des produits.

* 18 Fonds Monétaire International : Tunisie - conclusions préliminaires de la mission de consultation au titre de l'article IV pour l'année 2004.

* 19 Selon cette source, ce ratio évolue comme suit :

Année

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Ratio :

Transfe&Sub/PIB

2,6

2,7

2,5

2,5

2,3

2,2

2,1

2

* 20 Budget économique 2005, Ministère du Développement et de la Coopération Internationale, Novembre 2004.

* 21 La baisse, en termes de pourcentage du PIB courant, des transferts et subventions peut être attribuée, entre autres, à la réforme du self-targeting introduite en 1990 - 1991 concernant le système de subvention des denrées alimentaires de base.






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