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Dualité du marché du travail, état social et sécurité économique en Tunisie


par Mokhtar ABIDI
Université Paris 13 - Master 2 Economie et Finance Internationales 2006
  

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SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE.....................................................3

CHAPITRE I : INSTABILITÉ CONTRACTUELLE, PRÉCARITÉ DE L'EMPLOI : PLAIDOYER POUR LA CONSTRUCTION D'UN INDICE DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE..............................................................................10

CHAPITRE II : MARCHÉ DE TRAVAIL EN TUNISIE : INFORMEL, DUALISME : DESTRUCTION DU SALARIAT ET ÉMERGENCE DES GROUPES A INSÉRER...................................................................35

CHAPITRE III : CALCUL DU TAUX DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE EN TUNISIE ET ESSAI D'INTERPRÉTATION...................................................58

CONCLUSION GÉNÉRALE........................................................75

RÉFÉERENCES BIBLIOGRAPHIQUES......................................79

TABLE DES MATIÈRES.............................................................82

INTRODUCTION GÉNÉRALE

La sécurité est, aujourd'hui, ce à quoi aspirent le plus souvent les personnes. Dans un monde perpétuellement changeant, l'insécurité gagne du terrain. En effet, l'exacerbation de la concurrence internationale entraîne, dans beaucoup de pays, des pertes d'emploi ; elle conduit aussi à privilégier la flexibilité, d'où des emplois qui, souvent, offrent moins de sécurité et s'accompagnent de moins de prestations sociales que les emplois classiques. Tous ces facteurs contribuent à l'accroissement du sentiment d'insécurité des travailleurs.

La sécurité présente de multiples facettes : sécurité et protection de la santé au travail, stabilité de l'emploi, aptitudes et qualifications pouvant être exploités de façon productive, garanties concernant le revenu et l'accès aux services publics, revenus suffisants pour les personnes âgées et pour les malades, protection contre toute sorte d'aléas. Elle suppose aussi le droit de s'organiser pour défendre ses intérêts, le droit d'être à l'abri de la violence et de l'oppression. La sécurité est en effet le socle même d'une société décente et aussi la base d'une économie dynamique car elle est une source fondamentale de légitimité sociale.

Or, dans le monde, la majorité des gens ne jouissent pas d'une sécurité suffisante. Les systèmes de protection sociale du type de ceux qui ont vu le jour dans les pays industrialisés au cours des cent dernières années ne profitent qu'à une partie de la population, excluant généralement les pauvres et les travailleurs informels.

Notre objectif consiste à souligner l'importance de la sécurité économique dans la vie des individus et des groupes sociaux et plus particulièrement les formes de protection sociale propres à la garantir. On essayera donc d'accorder beaucoup d'attention aux notions d'emploi, de contrat de travail mais aussi aux institutions politiques du marché du travail qui peuvent favoriser, ou au contraire contrarier, l'accès à des activités rémunératrices. Assurer un travail décent à tous, hommes et femmes, reste la clef d'une sécurité économique si, par travail décent on entend un travail qui, non seulement garantit un revenu décent aujourd'hui mais s'assortit d'une sécurité de revenu à long terme.

L'édification d'un monde dans lequel tous les travailleurs bénéficient d'un minimum de sécurité, d'une société décente, exige la conjugaison des forces des institutions représentatives des travailleurs, des employeurs, de l'Etat et de la société civile.

Cet objectif, de grande ampleur, devrait permettre d'examiner les orientations à donner aux politiques économiques afin de promouvoir la sécurité économique de tous. Ainsi, un nouveau regard devrait être jeté sur les différentes dimensions de la sécurité économique directement liées au marché de travail - sécurité de l'emploi, sécurité du travail - et leurs interactions avec d'autres formes de protection sociale et de sécurité du revenu.

Certaines catégories sociales se trouvent plus exposées que d'autres à l'insécurité économique. Un enfant, une femme, une personne âgée risque davantage d'être exposé à la pauvreté qu'un homme adulte en âge de travailler. De même, les travailleurs du secteur informel y sont plus exposés que les salariés du secteur formel. Ainsi, le problème concerne non seulement les pauvres ou ceux qui se trouvent à la limite de la pauvreté, mais s'étend à tous ceux qui tirent leur revenu de leur travail qu'ils soient salariés ou travailleurs indépendant ou qu'ils aient un statut mal défini, comme c'est souvent le cas dans le secteur rural ou informel.

La sécurité économique peut être assurée de bien de façons. Dans les pays développés, les transferts en faveur de ceux qui ont besoin d'une aide leur ont permis d'éviter de sombrer dans la misère. Mais malgré ses excellents résultats, ce modèle ne saurait s'appliquer aux pays en voie de développement. Dans ces derniers, une grande partie de la main d'oeuvre travaille dans le secteur informel, et beaucoup de travailleurs sont "sous employé" plutôt qu'au chômage. En plus, les mécanismes nécessaires à une bonne gouvernance restent fragiles et les lois concernant l'impôt et la sécurité sociale ne sont guère respectées, ce qui réduit les recettes fiscales et cotisations sociales.

La sécurité économique se base, pour l'essentiel, sur la sécurité du revenu. Cette dernière se trouve menacée par la montée d'un mouvement général de précarisation de l'emploi, d'extension du travail temporaire et des activités informelles. En effet, le chômage de longue durée et la précarisation croissante de la relation de travail ont laissé apparaître des formes atypiques d'emploi (travail à durée déterminée, à temps partiel, intermittent, temporaire, etc.). Parmi leurs formes d'emploi juridiquement reconnues en France, on trouve le Contrat à Durée Déterminée (CDD), le travail intérimaire, le travail à temps partiel, les stages de formation et les contrats aidés.

Comment peut-on expliquer une telle tendance du marché de travail et quelles sont ses conséquences en matière de sécurité/insécurité économique des groupes sociaux ?

L'analyse d'une relation de travail (ou d'absence de travail ou de relation aléatoire au travail) représente un facteur déterminant pour replacer cette nouvelle tendance du marché de travail dans la dynamique sociale qui la constitue. En effet, la montée de l'incertitude de l'emploi a conduit à une redéfinition des conditions dans lesquelles la stabilité de la relation d'emploi pouvait être assurée. Ainsi, le salarié serait de plus en plus amené à partager l'incertitude de l'emploi pour assurer la pérennité de son emploi ou, du moins, sa sauvegarde. De plus, l'instabilité de la relation d'emploi a amené certain à exercer plus qu'une activité. On se trouve de plus en plus dans un contexte de diversité et de chevauchement des formes de travail et d'activité. D'où, des savoirs et compétences plus ou moins visibles qui surgissent : des savoirs, de l'expérience liés à la gestion de situations d'urgence où il faut inventer des solutions rapides pour vivre ; des compétences à recréer du lien social ; des compétences liées à la lutte contre les inégalités et la pauvreté.

La vie sociale est ainsi, du moins tendanciellement, assimilable à un certain nombre de risques (sociaux) et c'est autour du statut du salariat que tourne l'essentiel de la problématique de la protection sociale. La consolidation du statut du salariat permet l'épanouissement des protections, tandis que sa précarisation mène à l'insécurité sociale. Le problème de la continuité de la protection sociale, et, de façon plus générale, de la sécurité économique des personnes renvoie plutôt à la question des modalités d'accès des différents citoyens aux ressources. Trois modalités de répartition peuvent être distinguées. Qualifiée d'économique, la première modalité renvoie aux revenus que les individus tirent de leur participation à l'activité productive. La répartition sociale, de son côté, renvoie aux transferts, dont vont bénéficier les individus, en provenance d'institutions qui prélèvent et redistribuent des revenus. La répartition domestique, enfin, regroupe tous les transferts fondés sur un lien personnel entre l'émetteur et le receveur, et renvoie donc principalement à la solidarité familiale. Loin de s'exclure, les trois sphères de la répartition se superposent en partie pour de nombreux individus.

Ainsi, la prise en compte de la sécurité matérielle des citoyens, ou encore leur insécurité, nous permet de déceler les nouvelles missions de l'État social qui ont accompagné l'avènement du salariat. À l'instar de Castel, l'État social prend acte des effets pervers des régulations purement économiques et de l'insuffisance des régulations morales. De son côté, et en s'inspirant de l'idée que la citoyenneté sociale constitue le coeur et la pierre angulaire de l'idée de l'État providence, Gøsta Esping-Andersen a cherché à mettre en avant la notion de "démarchandisation" (decommodification) qui renvoie à l'idée d'un détachement progressif du sort des individus vis à-vis de la logique du marché.

Donc, à côté des revenus issus des activités rémunérées, ces deux auteurs ont souligné l'importance des ressources issues des régimes collectifs de protection sociale ainsi que ceux en provenance des liens de proximité entre autres la famille qui permettent une certaine dépendance des individus à l'égard du marché, d'où la possibilité de construire ce que Castel appelle des "zones de cohésion sociale". Pour cet auteur, l'association travail stable - insertion relationnelle solide caractérise une "zone d'intégration". A l'inverse, l'absence de participation à toute activité productive et l'isolement relationnel conjuguent leurs effets négatifs pour produire la "désaffiliation". Enfin, la vulnérabilité sociale reste une zone intermédiaire, instable conjuguant précarité du travail et fragilité des supports de proximité. La composition des équilibres entre ces zones peut ainsi servir d'indicateur privilégié pour évaluer la cohésion d'un ensemble social à moment donné.

Pour comprendre les liens entre ces mouvements de la société, leurs impacts sur les populations et les réformes qui visent à les maîtriser, il est alors utile de disposer de concepts et d'outils statistiques permettant de distinguer les systèmes sociaux selon leurs conséquences en matière de sécurité des populations contre le risque d'insuffisance des revenus. L'instabilité et le caractère variable des revenus issus de la répartition économique aboutissent fréquemment à une mise en cause des capacités des populations de disposer régulièrement des moyens pour se nourrir, se loger, se vêtir et subvenir à leurs besoins fondamentaux. Comment évaluer alors les résultats des politiques des Etats sociaux en ce qui concerne la protection qu'ils assurent à leurs ressortissants contre les problèmes découlant des divers aléas de l'existence ? Car les outils synthétiques que fournissent les comptes nationaux s'avèrent insuffisants pour évaluer aussi bien les insécurités économiques que les sécurités, divers indicateurs statistiques alternatifs ont été proposés depuis les années quatre-vingt pour suppléer aux insuffisances du PNB par habitant.

Essayant d'apporter des remèdes à ces insuffisances, Menahem et Cherilova (2005) ont opté pour la construction d'un ratio, appelé Taux de Sécurité Economique (TSE), qui permet d'apporter une appréciation du degré de sécurité économique des populations dans un territoire donné. Son principe consiste à rapporter, dans un même indicateur, l'ensemble des revenus que les individus touchent tout au long de leur vie adulte dans le pays considéré à un dénominateur commun représentant le niveau de vie moyen des actifs ayant un emploi.

Prenant en compte à la fois des revenus directs du travail et des ressources indirectes issues des transferts sociaux, le TSE permet de comparer les contributions de chaque type de répartition à la sécurité économique des personnes dans le pays en question. Il agrège les revenus de l'activité professionnelle nets des impôts sur le revenu ; les revenus de remplacement du travail associés aux risques vieillesse et chômage nets de prélèvements fiscaux ; les remboursements et les aides en nature associés aux frais de maladie et d'invalidité ; les aides à la famille et aux démunis correspondant aux mesures de lutte contre l'exclusion.

La mise en oeuvre d'instruments d'évaluation d'une des missions de l'État social, a permis le développement de tentatives de calcul de la sécurité démarchandisée dont disposent les populations qui reflète un détachement, du moins en partie, le sort des citoyens de la logique du marché

Un premier essai résulte des travaux réalisés par un sociologue suédois, Gøsta Esping-Andersen. Centrant son analyse autour du concept de « démarchandisation », cet auteur a crée un « indicateur de démarchandisation » qui devrait permettre de quantifier jusqu'à quel point un Etat permet à ses ressortissants de ne pas dépendre des valorisations du marché. Son principe consiste à calculer la moyenne pondérée par les pourcentages des populations concernées couvertes entre trois scores relatifs à trois domaines différents : ceux relatifs aux pensions de retraite, aux prestations d'assurances maladie et à l'assurance chômage.

Une deuxième tentative découle des travaux de deux chercheurs canadiens, Osberg et Sharpe, qui ont élaboré à la fin des années 1990 un « indicateur de bien être économique » dont un des objectifs est de mettre en cause la domination du PNB par habitant en tant que principal indicateur du bien être économique des populations. Le principe de cet indicateur consiste à faire la moyenne de quatre indicateurs synthétiques portant respectivement sur les flux de consommation, les stocks de richesse (économique, humaine et environnementale), les inégalités et la pauvreté économiques, et l'insécurité économique (risques économiques liés au chômage, à la maladie, à la vieillesse, et à ceux des familles monoparentales).

Résultant des travaux de Menahem, la troisième approche consiste à mettre évaluer les performances relatives des différents États sociaux en matière de lutte contre l'insécurité économique des populations à travers la mise en place d'un Taux de Sécurité Démarchandisée (TSD). Ayant pour principe l'estimation des volumes globaux des revenus disponibles dont disposent les populations, la démarche de Menahem permettra d'en apprécier la part ne disposant pas de revenus suffisants pour assurer de nombreuses sécurités primordiales telles que la capacité à disposer des moyens de se nourrir, se loger, ou se vêtir.

Certes l'Etat social joue un rôle primordial dans la mise en oeuvre de filets de sécurité économique pour ceux qui se trouvent dans le besoin. Néanmoins, la montée en puissance des formes atypiques d'emploi (CDD, stages, intérim) afin de répondre à une demande accrue de flexibilité de la part des entreprises et parfois aussi des travailleurs a mis à mal des régimes de protection sociale fondés sur l'emploi stable. Par exemple les rubriques « assurance chômage » et « retraite », conçues selon un modèle de plein emploi stable, répondent mal à un régime de flexibilité, de mobilité et des changements de statut tout au long de la vie active.

L'instabilité des personnes face à l'emploi a accentué, surtout dans les pays sous développés, l'informalisation du travail, la pluriactivité et la mobilité vers l'emploi à son propre compte, en particulier dans les zones urbaines.

Parmi les questions autour desquelles s'articule le débat sur le secteur informel, on peut évoquer celles relatives à la définition du secteur, à la délimitation de son contour, aux tentatives de quantification de certains de ses aspects, à la possibilité de l'intégrer dans la comptabilité nationale. Se posent également des interrogations ayant trait au rôle que peut jouer ce secteur dans un schéma de développement et de croissance économique dans les pays en voie de développement, rôle que les organisations internationales comme le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale semblent considérer comme déterminant. En plus, le secteur informel peut se trouve en position duale par rapport au secteur formel. Une extension de cette conception dualiste peut aller jusqu'à l'opposition privé/public tout en passant par l'opposition traditionnelle rural/urbain.

Dans le cadre d'un marché de travail de plus en plus segmenté et précarisé, la mise en place de régimes de sécurité sociale est certes un élément essentiel de l'extension de la protection sociale, mais cette dernière demeurera inopérante si les personnes visées n'adhèrent pas à ses régimes (ou n'y cotisent pas) d'où l'importance d'évaluer la couverture réelle des catégories de la population concernées par les régimes de sécurité sociale.

Le contour général de cet édifice intellectuel qui vient d'être dessiné aboutit aux trois séries de questionnements suivants : la première porte sur la sécurité (ou insécurité) économique comme concept central du débat, la seconde sur la relation entre stabilité de la relation contractuelle et sécurité économique et la troisième portera sur le rôle de l'Etat social dans l'atténuation de cette insécurité.

Pour mener à bien l'objectif d'un examen du concept « sécurité économique » et d'une réflexion sur l'interprétation de ses principaux enjeux (i.e. son lien avec la précarisation de la relation de travail), un premier chapitre formera un support conceptuel dans le souci d'essayer de définir la stabilité contractuelle sur le marché de travail, notion à distinguer d'une notion voisine, stabilité de l'emploi, et à confronter à d'autres notions comme la flexibilité ou la précarité de l'emploi. Un second chapitre mettra l'accent sur la définition de nouveaux contours de l'activité productive (en intégrant le secteur informel) et montre à quel point l'approfondissement des approches de l'emploi contribue à une redéfinition des relations entre revenu de travail et sécurité économique. Le troisième chapitre aura pour but la concrétisation des enseignements tirés de l'évaluation du taux de sécurité économique associés à l'Etat social Tunisien.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery