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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon

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par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège - DEA Interuniversitaire en Développement, Environnement et Sociétés 2006
  

Disponible en mode multipage

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ULG (Université de Liège)
ULG-Arlon (Université de Liège - Campus d'Arlon)
FUSAGx (Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux)
FUCaM (Facultés universitaires catholiques de Mons)
UCL (Université catholique de Louvain)

DEA Interuniversitaire en Développement, Environnement et Sociétés

Dynamique des représentations sociales
de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du
vieillissement de la population :
Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon

Professeurs :
Promoteur : Marc MORMONT (ULG - Arlon)
Lecteur : Jean-Philippe PEEMANS (UCL)
Lecteur : Andreas THELE (ULG)

Kenjiro MURAMATSU

Mémoire du DEA

Première impression et dépôt officiel : le 20 août 2007
Deuxième impression (version révisée) : le 28 septembre 2007

Année académique 2006-2007

Remerciements

Je tiens tout d'abord à remercier le Professeur Marc MORMONT, promoteur de ce mémoire, pour ses engagement et intérêt vifs portés à la présente étude ainsi qu'au terrain étudié. Ses connaissances et rigueur scientifiques ont donné un corps solide à ce travail de réflexion. L'apport de ses sincères soutiens ne s'est pas limité au cadre formel du travail, mais a été une grande source de motivation et d'inspiration pour continuer et accomplir cette recherche.

Je tiens à remercier le Professeur Jean-Philippe PEEMANS, d'avoir accepté d'être lecteur de ce mémoire. Ses fins et profonds conseils et connaissances ont donné une inspiration décisive pour ce travail. Je remercie également le Professeur Andreas THELE, d'avoir accepté d'être lecteur de ce mémoire ainsi que pour ses encouragements.

C'est grâce à la Bourse pluriannuelle offerte par la Fondation Rotary au cours des années 2005-2006 et 2006-2007, que cette étude a pu être réalisée. Je tiens à exprimer ma sincère gratitude envers le Rotary Club de Seraing et à ses membres pour leur chaleureux accueil en Belgique. Je tiens particulièrement à remercier Willy ZORZI, mon conseiller hôte, pour ses incessants efforts de soutiens apportés à ma vie pour mener à bien cette étude. Je tiens également à remercier Okazaki Rotary Club et Shingo Kato, mon conseiller parrain, pour m'avoir donné l'opportunité de réaliser ces deux ans d'études en Belgique.

Je tiens à remercier le Professeur Yoshihito SHIMADA, d'avoir accepté cette tentative d'études euro-japonaises ainsi que pour ses soutiens et encouragements.

Je tiens à exprimer ma sincère gratitude à toutes les institutions et les personnes pour avoir répondu à mes questions et ainsi coopéré à cette recherche. Je tiens particulièrement à remercier le Centre pour la Création de Nô-Life de la Ville de Toyota (Toyota-shi Nô-Life Sôsei Center) et ses employés pour avoir accepté la réalisation de mes enquêtes sur leur terrain.

Je tiens à remercier la « Ful », à savoir le Département des sciences et gestion de l'environnement de l'ULG (ex-Fondation universitaire luxembourgeoise), ainsi que ses personnels qui m'ont donné un environnement utile et précieux pour mener à bien ce travail.

Enfin, je tiens à exprimer ma sincère gratitude à Sarah PIQUETTE pour avoir sans cesse lu et commenté mon travail. De nombreux ami(e)s ont apporté leurs soutiens d'une façon ou d'une autre à la réalisation de ce travail, et je tiens à les en remercier, plus particulièrement la famille PIQUETTE ainsi que ma famille pour leur solidarité.

A la mémoire de mes deux regrettés grands-pères décédés au cours de cette recherche.

Sommaire

REMERCIEMENTS 3

INTRODUCTION : PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE 7

1. PROBLÉMATIQUE 7

Situation de crise permanente de l'agriculture et de la ruralité au Japon : quelle solution possible ? 7

Contexte particulier : Vieillissement de la population 8

Tendance du « retour à la terre (kinô) » 8

Implication de la question d'Ikigai 9

Représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité 10

Importance de l'histoire 10

2. MÉTHODOLOGIE 11

Méthode empirique : enquêtes de terrain 11

Méthode théorique : étude des représentations sociales 13

RÉFÉRENCES 16

CHAPITRE I : EVOLUTION URBAINE ET RURALE DANS LA VILLE DE TOYOTA APRÈS 1945 18

INTRODUCTION 18

Périodisation en trois décennies après 1945 19

1 INDUSTRIALISATION : NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT DE L' « AUTOMOBILE TOYOTA » 20

1937 - 1955 : Implantation et développement de l'Automobile Toyota 20

1955 - 1965 (et après) : Développement de l'Automobile Toyota 22

2 URBANISATION : NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT DE LA « VILLE DE TOYOTA » 23

Avant 1945 - 1955 : mutation du Bourg de Koromo et de ses environs 23

1955 - 1965 : Agrandissement du territoire de la Ville 24

1965 - 1975 : Essor économique et démographique 27

3 EVOLUTION AGRICOLE ET RURALE DANS LA VILLE DE TOYOTA 31

1945-1955 : période de la réforme de l'après-guerre 31

1955-1965 : Naissance et formation de la Ville de Toyota 35

1965-1975 : période de la Haute croissance économique 40

4. RÉFLEXIONS 47

RÉFÉRENCES 50

CHAPITRE II : PROCESSUS DE LA CONSTRUCTION DU PROJET NÔ-LIFE : ÉMERGENCE DE L'AGRICULTURE DE TYPE IKIGAI 52

1. REPRÉSENTATIONS, MODES D'ACTIONS ET PRISE DE POSITION DES ACTEURS 52

Acteur 1 : Bureau de la Politique Agricole de la Municipalité de la Ville de Toyota (BPA) 53

Acteur 2 : Section de la Création d'Ikigai dans le Bureau Education permanente de la Municipalité de la Ville

de Toyota (SCI) 78

Acteur 3 : Direction des Activités agricoles de la Coopérative agricole de Toyota (CAT) 95

Acteur 4 : Bureau Départemental de la Politique Agricole (BDPA) 111

Acteur 5 : Section Amélioration - Vulgarisation du Bureau départemental de l'agriculture, de la forêt et de la pêche de Toyota-Kamo (Ex-Centre pour l'Orientation et la Vulgarisation agricoles de Toyota-Kamo : ECV) 122

Acteur 6 : Conseil Local de Toyota de la Fédération des Syndicats Ouvriers du Département d 'Aichi (CLFS : Rengô Aichi Toyota Chikyô) 133

Acteur 7 : Groupement d'Arboriculteurs de Sanage pour l'Aide aux Travaux Agricoles (GA SA TA) 140

2. RÉPONSES AUX QUESTIONS : ANALYSE DU PROCESSUS ENTRE ACTEURS INSTITUTIONNELS 150

Elaboration de l'ensemble des actions concrètes pour la construction du Projet Nô -L ife 151

Transformations des représentations de l'agriculture et de la ruralité 169

L'origine de l'idée centrale du projet : « `Nô '(l 'agriculture ou la ruralité) en tant qu 'Ikigai (sens de la vie) » 175

Relation établie entre acteurs 183

RÉFÉRENCES 193

Ouvrages et articles 193

Documentation 194

CHAPITRE III : PROJET NÔ-LIFE À L'ÉPREUVE DE LA VIE DES STAGIAIRES 198

1 PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES ACTIVITÉS DU CENTRE NÔ-LIFE 198

1 Formations Nô-Life : « porteur » et « culture maraîchère de saison » 198

2 Entremise de terrains agricoles 201

3 Entremise d'emplois agricoles 201

4 Recherche et développement 201

2 STAGIAIRES DE LA FORMATION NÔ-LIFE : TYPOLOGIE ET REPRÉSENTATIONS 201

Typologie et tendances générales des stagiaires 202

Diversité et dynamique des représentations 213

3 RÉPONSES AUX QUESTIONS 241

1 Quel lien entre les différents types de stagiaires et les représentations ? 241

2 Positions des stagiaires vis-à-vis de l'idée du Projet Nô -L ife sur l'agriculture de type Ikigai ? 245

3 Conséquences pour les stagiaires, du compromis entre les agents gestionnaires 247

4 Compatibilité des éléments de l'agriculture de type Ikigai aux yeux des acteurs 249

RÉFÉRENCES 256

Ouvrages et articles 256

Documentation 256

CONCLUSION 257

RAPPEL DES ANALYSES 257

Chapitre 1 257

Chapitre 2 259

Chapitre 3 260

PERSPECTIVES 263

Agriculture de type Ikigai dans le contexte général : un indice de transformation 263

Importance de la dimension territoriale 264

Projet Nô -Life : possibilités et limites 264

Généralisation ou particularisation ? 265

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE 266

ANNEXES 269

Introduction : Problématique et méthodologie

1. Problématique

Situation de crise permanente de l'agriculture et de la ruralité au Japon : quelle solution possible ?

Situation de crise permanente de l'agriculture et de la ruralité au Japon. Par quoi peut-on commencer ?

Du point de vue historique. Le capitalisme industriel écrasant l'agriculture et absorbant la paysannerie ? L'exode ? La montée en puissance de l'économie de marché privilégiant les propriétaires terriens et renforçant l'écart entre ceux-ci et les fermiers avant la Réforme agraire ? Nous pouvons au moins remonter jusqu'en 1868, l'industrialisation et la montée en puissance de l'économie de marché1 : la Restauration de Meiji a ouvert le pays au système-monde après 260 ans de Fermeture du pays (Sakoku), face à la grande menace de puissances occidentales. Certes, la paupérisation de la campagne et la prolétarisation des paysans ont bien eu lieu dans une longue durée de l'histoire moderne du pays.

En bref, ce phénomène a dû durer au moins jusqu'à la réalisation de la Haute croissance économique entre 1955 et 1975 où la disparité économique entre les couches urbaines et rurales fut stabilisée via une transformation de la main-d'oeuvre agricole en une population agricole en majorité pluriactive et « stable » au sens des revenus des ménages. Mais, le paradoxe est bien connu : la grande majorité des agriculteurs japonais gagnent une grande partie de leur revenu en travaillant en tant que salarié non agricole2. Cette situation de pluriactivité généralisée depuis les années 60, rend la situation de l'agriculture japonaise ainsi que notre problématique tout-à-fait ambigües.

Du point de vue géographique, la situation de crise de l'agriculture est avant tout due à sa condition naturelle défavorable, à la modernisation telle qu'elle est toujours préconisée par la politique agricole par référence à la logique de marché, à la productivité équivalente de celle de l'industrie etc3.

1 Tout ceci en sachant que le progrès économique était de 1639 à 1868 (époque d'Edo) assez constant et considérable au Japon : ainsi F. Braudel met l'accent sur le fait que, dans cette période, « (...) augmentation de la population, évidente montée de la production du riz, mise en place de nouvelles cultures... Les villes s'agrandissent. Au XVIIIème siècle, Yédo compte au moins un million d'habitants. Cette accélération générale de l'économie ne serait pas possible sans un surplus de production agricole, notamment de riz, à jeter sur le marché citadin, sans la facilité avec laquelle le grain se conserve et se transporte, sans la possibilité de mettre à la disposition des villes un combustible, le charbon de bois, en quantité suffisante. » (Braudel, 1993 : 334) Enfin, il conclut que « (...), avant 1868, un mouvement vif de la vie japonaise, une relance économique qui a créé, dès le XVIIIème siècle, un pré-capitalisme actif, prêt à s'épanouir. Avec le XIXème siècle, le mouvement se précipite encore : l'ère de Meiji serait incompréhensible sans ces transferts et ces mises en place antérieurs, sans cette préalable accumulation de moyens économiques et de capitaux, sans les milles tensions sociales qui en résultent. » (Ibid. : 335).

2 Selon la statistique officielle, en 2005, il y avait au Japon 2 840 000 « foyers agricoles (Nôka) » possédant plus de 0.1ha de terrains agricoles et dégageant un chiffre d'affaires annuel de 150 000 yens (près de 1000 euros) au Japon. Dont 1 950 000 « foyers agricoles vendeurs » possédant plus de 0.3ha de terrains agricoles et dégageant un chiffre d'affaires annuel de 500 000 yens (près de 3333 euros). Et il y avait également 430 000 « foyers agricoles dont l'agriculture est le métier principal », soit 15% du nombre total des foyers agricoles, qui obtiennent leur revenu principal via leur production agricole et dans lesquels plus d'un membre de moins de 65ans travaille plus de 60j ours par an pour leur production agricole (Nôrinsuisan-shô, 2005).

3 Citons encore la remarque générale de F. Braudel sur l'agriculture japonaise qui fait « obstacle » à son capitalisme : « (...) il ne faut pas oublier aussi que la réforme agraire a créé une nuée de micro-propriétaires, les plus petits asservis aux moins défavorisés, et tous sont incapables de se grouper et surtout de laisser la place libre à une agriculture moderne et scientifique » ; « (...), le Japon qui vit avec une population à peu près double de celle de la France sur un territoire, en gros, moitié moins étendu (300 000 contre 550 000 km2) et où la terre arable représente 15% de la surface contre 84% chez nous, le Japon n 'a que de misérables

Du point de vue sociologique au sens classique, nous semble-t-il, les communautés rurales basées sur les petites productions familiales s'opposant au mode de production capitaliste ou à la logique de l'urbanisation ne constituent plus un objet pertinent de recherche. Ceci rien qu'en raison de la situation de pluriactivité généralisée où les agriculteurs assimilent bien le système industriel et urbain tout en restant responsables de leurs petites productions familiales. Dans ce contexte, plutôt devrait-on parler du dilemme de cette population : il doit être complexe avec les aspects familiaux (transmission), fonciers (impôt) et de la production agricole qui peuvent être à la fois des contraintes et des opportunités, en fonction des façons individuelles d'articuler toutes ces préoccupations de type différent pour gérer leurs biens agricoles familiaux. Un exemple simple : la transmission des terrains agricoles peut être une bonne chose du point de vue de la valeur familiale, mais ceci risque d'imposer des contraintes économiques lourdes aux générations futures avec l'obligation du paiement des taxes foncières. Ainsi, la vente de ces terrains ou une mise en valeur de manière non agricole (exemples fréquents : location d'appartements ou de parkings) de ces terrains peuvent constituer un bon choix pour la famille.

En tout cas, à partir du moment où la question doit se poser au niveau de la vie individuelle, notre perspective doit être renversée : au lieu de se poser la question sur la crise de l'agriculture et de la ruralité de manière générale, il faut repenser les apports spécifiques de celles-ci pour chaque individu et les groupes sociaux diversifiés auxquels cet individu appartient dans des contextes contemporains qui sont de plus en plus complexes, multiples et particuliers. Ce qui nous oblige à mettre entre parenthèse la question et le problème généraux sur la situation de crise, et ensuite à aborder des contextes particuliers où la signification de l'agriculture ou de la ruralité peut avoir un certain poids au sein de divers acteurs et de leurs objets.

Contexte particulier : Vieillissement de la population

C'est pouquoi notre présente étude va s'intéresser à un cas particulier du Japon contemporain, qui nous semble intéressant à étudier en terme de nouvelles formes d'articulation de l'agriculture et de la ruralité dans un cadre à la fois individuel et collectif, mais également politique et économique, qui s'inscrit dans un contexte nouveau et marquant la société japonaise actuelle : celui du vieillissement de la population.

Ne recommençons pas à parler des crises ou des risques que ce phénomène peut impliquer dans la société de manière générale4 - ce qui nous amènera au même raisonnement que ce que nous venons de faire plus haut -. Mais, ce contexte nous intéresse dans la mesure où il impose aux individus et à la société d'adopter de nouveaux modes de penser, d'agir et de communiquer dans la vie réelle. Ceci touche, face à l'affaiblissement du corps humain qui est le premier symptôme du vieillissement, les multiples niveaux de la vie qui sont liés les uns aux autres de manière complexe - en tout cas dans la société japonaise industrialisée et post-industrielle -, soit individuel, soit collectif, soit politique, soit économique, soit local, soit régional, soit national etc. Nous aborderons donc dans les prochains chapitres les diverses problématisations concrètes du vieillessement opérées par les différents types d'acteurs concernés par le cas étudié.

Tendance du « retour à la terre (kinô) »

ressources naturelles. L'industrie ne travaille qu'avec la laine, le coton, le charbon, le minerai de fer, le pétrole importés. » (Braudel, 1993 : 341.)

4 Certes, intégrer le vieillissement pèse aujourd'hui au Japon comme un grand défi à la vie des japonais à tous les niveaux de la société : au niveau national, perte de la main-d'oeuvre pour la croissance économique et augmentation du coût de la redistribution : sécurités sociales et services publics ; au niveau régional, gestion publique de la redistribution de plus en plus

décentralisée, crise de transmission d'activités économiques à faible rentabilité (PME, petits commerçants et artisans, agriculteurs, forestiers, pêcheurs etc.) ; niveau de la vie locale, santé, habitation, changements dans les liens sociaux, communautaires, familiaux etc.) D'ailleurs, l'agriculture et la ruralité ont déjà connu ce problème bien avant la population urbaine.

Ici, nous évoquons juste un aspect général dans lequel notre présente étude de cas peut s'inscrire : celui d'une vague du « retour à la terre des retraités salariés (teinen kinô) » qui s'est de plus en plus accentuée au cours de ces dernières années au Japon. Ce phénomène concerne à la fois le monde agricole et le monde des citoyens en général.

Concernant le monde agricole, il est en rapport avec la situation de pluriactivité généralisée. Il s'agit de retraités salariés dont le nombre est grandissant surtout pour ceux de la génération baby-boom, qui étaient soit déjà en réalité des agriculteurs pluriactifs (quelque soit le niveau de leur production), soit des fils d'agriculteurs, partis travailler puis s'installer dans d'autres régions (autres que leur région natale), tout en restant successeurs de leurs terrains agricoles familiaux, soit les épouses de ces derniers qu'elles aient auparavant été femmes au foyer ou non. Aujourd'hui, ce type de population est de plus en plus considérée comme « porteur » de l'agriculture potentiellement importants dans une situation de crise agricole permanente où la diminution du nombre d''agriculteurs continue, en s'accompagant d'un manque permanent d'installation de jeunes agriculteurs5. Du moins, ceci est présent dans les discours officiels de la politique agricole actuelle6. Ceci malgré l'incertitude que cette population implique, car la motivation et la compétence des individus peuvent varier chez les uns et les autres. (Faut-il ici rappeler la question de la vie individuelle ?)

Du côté du monde des citoyens en général, il s'agit également des retraités de la génération baby-boom qui sont à la recherche de nouveaux modes de vie différents de celui du type salarial et urbain. L'acte de cultiver la terre peut, bien au-delà d'un simple loisir, avoir des effets et des intérêts multiples pour la population essentiellement non agricole et rurale, tels que : plaisir de récolter et de consommer sa propre production ; vie au rythme de la nature ; santé physique et mentale ; sociabilité ; possibilité éventuelle d'avoir un revenu supplémentaire etc. C'est en fait dans ce sens-là que la notion d' « Ikigai » (nous l'expliquerons plus bas) est pleinement employée dans notre cas du « Projet Nô-Life », une action publique organisée par la Municipalité de la Ville de Toyota depuis 2004 en collaboration avec la Coopérative agricole de Toyota, qui consiste à promouvoir une nouvelle installation agricole des citoyens en majorité salariale et urbaine et notamment les nouveaux retraités salariés de la génération baby-boom. Là, la visée est de développer un nouveau type d'activités agricoles s'inscrivant dans ce contexte expliqué plus haut du vieillissement et de la tendance de retour à la terre de nouveaux retraités, qui concerne à la fois le vieillissement de la population générale et le problème du monde agricole japonais, et ainsi de faire face à la crise agricole locale représentée par le manque de producteurs et l'augmentation de friches agricoles (délabrement).

Implication de la question d'Ikigai

Ikigai est un terme japonais spécifique désignant littéralement le « sens de la vie » qui imprègne fortement le sens commun des japonais. Ceci pouvant aller tant au niveau de l'interrogation philosophique individuelle « Pourquoi vis-je ? » ou « A quoi sert ma vie ? », qu'au niveau politique et économique « Pourquoi travaille-t-on ? » ou « A quoi sert de l'argent si on n'a pas d'Ikigai ? »7.

5 De 2000 à 2005, la population agricole active a diminué de 14.2% (de 3 890 000 à 3 338 000). (Source : Livre Blanc de l'Agriculture de 2005)

6 L'Etat japonais prête attention aujourd'hui à cette tendance en terme de main-d'oeurve agricole : « Ces dernières années, la question est de plus en plus grandissante sur l'influence socio-économique de la retraite massive de la génération baby-boom qui constitue la plus grande partie dans la structure démographique japonaise. Concernant les membres des foyers agricoles, c'est la génération des 50-54 ans qui constitue la plus grande partie de la population. (...) Désormais, nous nous attacherons au mouvement de cette population ainsi qu'aux personnes originaires d'un foyer agricole travaillant en s'installant ailleurs que leur foyer natal. »

7 Cependant, il est difficile de trouver de terme équivalent dans les autres langues : Kôken SASAKI, sociologue japonais et grand spécialiste de E. Durkheim, relève ainsi dans un récent ouvrage collectif franco-japonais sur le vieillissement (publié en français) « (...) il ne semble pas exister de terme équivalent dans les langues occidentales ou les autres langues asiatiques. Bien que les expressions françaises `joie de vivre' ou `raison d'être' soient assez proches du point de vue du sens, elles appartiennent à un registre philosophique et abstrait et sont ainsi dénuées des connotations d' `ikigai', qui se réfère directement à la vie

quotidienne. ». Selon lui, « ce terme est utilisé dans des contextes où l'on souligne le lien entre l'individu et la société » (Sasaki, 2004 : 119).

Le terme Ikigai apparaît dans notre étude du processus du Projet Nô-Life comme un outil par excellence de penser, d'agir et de communiquer tant pour les acteurs individuels que pour les acteurs institutionnels gestionnaires du Projet. Par exemple, au niveau politique, ce terme apparaît tantôt comme une thématique légitime de la politique municipale pour les personnes âgées avec une approche intégrant le thème du « vieillissement actif », tantôt, pour la politique agricole locale, comme une catégorie de producteurs/trices agricoles qui sont dynamiques mais ne s'inscrivent pas dans la catégorie des agriculteurs professionnels, comme par exemple des femmes ou des hommes âgés de foyers agricoles pluriactifs « dynamiques » qui arrivent à commercialiser leur production à court circuit en dehors du grand marché. Concernant le niveau individuel, les approches deviennent évidemment plus diverses, et le contenu du terme est beaucoup moins clairement défini qu'au niveau politique.

L'intérêt de la présente étude est d'étudier les représentations, les actions et les pratiques qui sont mises en relation au travers de cette notion d'Ikigai ainsi mobilisée dans le contexte du vieillissement, à l'égard de l'agriculture et de la ruralité. Quelles nouvelles significations de l'agriculture et de la ruralité peuvent naître dans un tel contexte particulier ? Telle est donc notre question de recherche de départ.

Représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité

Pour répondre à cette question, nous ne pouvons pas dissocier les représentations, les actions et les pratiques des acteurs individuels et institutionnels, de leur relation sociale dans laquelle ils doivent ou veulent jouer. Autrement dit, nous ne pouvons pas les isoler en les juxtaposant les uns aux autres, pour analyser la signification collective et le processus d'émergence ou de construction de celle-ci.

C'est dans ce sens-là que nous introduisons d'abord comme approche analytique de base la notion des « représentations sociales » qui nous permettront d'étudier les réprésentations dans la relation sociale que tisse les différents types d'acteurs au travers de leurs propres actions et pratiques. Nous présenterons plus bas cette approche en essayant d'articuler ces quelques éléments théoriques pour la rendre « opérationnelle » dans notre analyse.

Ensuite, dans les chapitres 3 et 4, nous mobiliserons quelques points de vue anthropologiques et sociologiques tels que le « bricolage », la « transaction sociale » et d'autres, dans notre analyse des modes d'actions et la dynamique des relations sociales au sein de différents types d'acteurs, à partir desquels nous essaierons d'éclairer le processus des représentations, et inversement.

L'articulation possible de ces différents concepts sera à l'épreuve de la réalité décrite dans notre étude de cas. Ensuite, nous ne limitons pas la portée de notre approche théorique au côté explicatif et compréhensif qui nous permettrait d' « éclairer » la réalité sociale et locale en réorganisant les éléments de faits, mais également d'une approche d'intervention qui nous permetterait de revenir à cette réalité faisant l'objet de notre compréhension, au cours de laquelle nous essaierons de relever de nouveaux problèmes et solutions. C'est pourquoi, à la fin du chapitre 3, nous avons essayé de formuler quelques propositions concrètes pour améliorer la situation du Projet étudié.

Importance de l'histoire

Dans cette étude, nous accordons une grande importance à l'histoire. A notre égard, le point de vue historique est important dans deux sens. D'abord, dans le sens de la « longue durée » telle qu'elle fut proposée par F. Braudel. Ceci d'autant plus que notre recherche basée sur l'observation de terrain ethnographique et sociologique risque toujours d'ignorer le temps long de la réalité sociale et locale à force de s'intéresser au

« papillottement » de faits vifs que nous pouvons observer sur l'instant ou le court terme8. Notre objectif de recherche n'est pas de relever la particularité historique et culturelle de notre objet de recherche, mais un tel point de vue nous permettra d'éviter de recourrir à la généralisation immédiate de nos analyses et réflexions sur un cas particulier, et ensuite d'avoir davantage de possibilités de mieux comprendre l'objet, ainsi que de le comparer ultérieurement à d'autres cas particuliers9. Ainsi, dans le chapitre 1, nous essaierons par recontextualiser le cas étudié, en l'inscrivant dans une longue durée de l'histoire locale de la Ville de Toyota. Il s'agit de l'histoire du développement de la Ville de Toyota après 1945, qui est marquée par un mode d'évolution spécifique et complexe entre l'industrialisation, l'urbanisation et la mutation agricole et rurale.

Puis, l'histoire nous préoccupe également au niveau des acteurs et de leur relation. Il s'agit de la « trajectoire sociale » ou de l' « ancrage » des représentations qui donne toujours un sens important à la dynamique actuelle. Ceci rien qu'au niveau des connaissances et des expériences antérieures qui déterminent toujours les éléments de moyens disponibles et « présents » pour un acteur. De ce point de vue-là, nous pourrons mieux comprendre les spécificités des représentations, actions et relations sociales au sein de différents types d'acteurs. Nous devrons ainsi comprendre pourquoi et comment les acteurs essaient de produire ou reproduire leurs objets. Ainsi, dans les chapitres 2 et 3, nous nous attacherons à décrire les trajectoires de chacun des acteurs institutionnels (chapitre 2) et individuels (chapitre 3).

2. Méthodologie

Nous présenterons ici notre méthodologie à deux niveaux : empirique et théorique. Au niveau empirique, nous expliquerons brièvement le déroulement des deux enquêtes de terrain, dont le première a consisté en une observation participante à long terme (six mois) effectuée sur les formations agricoles données dans le Projet Nô-Life. La deuxième a consisté en des entretiens intensifs et individuels effectués auprès d'une trentaine d'acteurs institutionnels et individuels concernés par le Projet Nô-Life.

Au niveau théorique, nous présenterons comment nous appliquerons l'approche des représentations sociales comme démarche d'analyse. Dans la présente étude, nous essaierons d'articuler l'approche des représentations sociales avec d'autres approches conceptuelles en anthropologie et en sociologie. Chacune de ces approches sera présentée dans le chapitre 2 en sorte qu'elles soient mieux adaptées à leurs contextes d'application.

Méthode empirique : enquêtes de terrain

L'enquête de terrain a été effectuée en deux phases. La première enquête, de mars à septembre 2005, a consisté en une observation participante de la formation offerte par le Projet. Et la deuxième, durant un mois en

8 Braudel a ainsi préconisé : « les autres sciences sociales sont assez mal informées et leur tendance est de méconnaître, en même temps que les autres travaux des historiens, un aspect de la réalité sociale dont l'histoire est bonne servante, sinon toujours habile vendeuse : cette durée sociale, ces temps multiples et contradictoires de la vie des hommes, qui n'osent pas seulement la substance du passé, mais aussi l'étoffe de la vie sociale actuelle. (...) ; rien n'étant plus important, d'après nous, au centre de la réalité sociale, que cette opposition vive, intime, répétée indéfiniment, entre l'instant et le temps lent à s'écouler. Qu'il s'agisse du passé ou de l'actualité, une conscience nette de cette pluralité du temps social est indispenable à une méthodologie commune des sciences de l'homme. » (Braudel, 1969 : 43)

9 Par exemple, les agricultures française et japonaise. Il serait vain de les comparer uniquement sur la base d'une observation sur le présent ou le court terme sans se référer au temp long dans lequel s'inscrivant ces deux objets. Déjà, en Europe occidentale, pouvons-nous trouver une situation de pluriactivité généralisée telle qu'elle existe déjà au Japon ? De plus, dans ce cas précis s'ajoute la notion d'Ikigai qui est spécifiquement japonaise.

2006, a consisté en des entretiens intensifs et individuels avec des acteurs institutionnels et individuels concernés par le Projet.

Première enquête : observation participante

Dans la première enquête, l'enquêteur (rédacteur du présent mémoire), a pleinement participé aux formations offertes par le Projet en tant que stagiaire et individu ayant le même statut que les autres stagiaires. Les principaux enquêtés, objets directs de l'observation, étaient une trentaine de stagiaires des années 2005-2007. Les stagiaires des années 2004-2006, premiers stagiaires de la formation Nô-Life, sont exclus de notre observation directe. La période de cette enquête correspond au premier quart de la totalité de la formation des stagiaires des années 2005-2007. L'enquêteur a suivi toutes les formations divisées en trois filières : culture maraîchère ; cultures maraîchère et rizicole ; culture fruitirère. Une trentaine de stagiaires étaient répartis dans ces trois filières. Les cours théoriques et pratiques sont donnés par filière une fois par semaine de 9h à 12h (sauf les cours exceptionnels donnés par exemple lors des périodes des récoltes).

Cette participation avait préalablement été autorisée par l'organisme gestionnaire du Projet, le « Centre Nô-Life », dont le nom officiel est « Toyota-shi Nô-Life Sôsei Center (Centre pour la Création de la Vie rurale de la Ville de Toyota) », auquel l'enquêteur avait présenté son objectif de recherche.

Par ailleurs, l'enquêteur a effectué une enquête par questionnaire auprès des stagiaires des années 2004-2006 et 2005-2007. Le questionnaire a été distribué au total à 69 stagiaires de manière anonyme. 50 réponses, soit un taux de récupération de 72 %, ont été récoltées. Ce questionnaire contenait 24 points visant à saisir le profil, les motifs pour la participation à la formation, les perspectives des stagiaires pendant et après la formation etc10.

Apports de la première enquête

Cette première enquête nous a permis d'avoir un certain degré d'interconnaissance, d'intimité et de confiance avec les enquêtés(es) ainsi que les personnels du Centre Nô-Life (trois permanents et deux temporaires, pour certains employés de la Municipalité de Toyota et pour d'autres employés de la Coopérative agricole de Toyota). Cette enquête nous a également permis d'observer concrètement la situation intérieure du Projet. Puis, le caractère personnalisé de la relation enquêteur - enquêté(e) mentionné nous a permis d'aborder certains aspects subjectifs et personnels des acteurs.

Limites de la première enquête

Cependant, nous pouvons relever certaines limites de cette enquête en deux points suivants : le premier est dû au caractère « clos » du déroulement de l'enquête. En effet, l'enquêteur se cantonnait aux activités de la formation offertes par le projet, ce qui a limité la portée de notre observation aux acteurs intérieurs du Projet : stagiaires et personnels du Centre Nô-Life. Les acteurs extérieurs au projet, comme les agents concernés au sein des autres institutions n'ont pas été recensés ; le second point réside dans le caractère collectif de l'enquête. En fait, la participation de l'enquêteur au Projet et la distribution du questionnaire de manière anonyme ne nous ont pas permis d'aborder de manière approfondie les aspects individuels et personnels des acteurs. Notamment le cas des stagiaires dont le profil et les motifs de participation au Projet se sont avérés très divers suite au résultat de l'enquête par questionnaire.

La deuxième enquête : entretiens intensifs et individuels

Afin de pallier à ces deux défauts, la deuxième enquête à court terme (pendant un mois) a été effectuée en octobre 2006 auprès des divers acteurs intérieurs et extérieurs concernés par le Projet. Cette enquête a été menée sous forme d'entretiens intensifs et individuels auprès d'une trentraine d'acteurs institutionnels et individuels.

10 Pour le détail du questionnaire, voir l'annexe 1. L'analyse du résultat de cette enquête sera présentée dans le chapitre 3.

Ces entretiens ont été enregistrés et dactylographiés en intégralité. Deux types de questions ont été posées aux acteurs : questions communes à tous les acteurs ; questions particulières à certains acteurs spécifiques. Nous avons intégré dans les annexe 2 et 3, la liste des questions posées lors des entretiens ainsi que la synthèse du résultat de cette enquête par entretiens.

Méthode théorique : étude des représentations sociales

L'intérêt de la présente étude est d'étudier les représentations, les actions et les pratiques à l'égard de l'agriculture et de la ruralité, dans un contexte particulier qui est celui du vieillissement.

Notre approche globale est interdisciplinaire en articulant notamment l'hitoire, l'anthropologie et la sociologie. Donc notre éventail de concepts d'analyse ne relève ni d'une seule discipline, ni d'une seule théorie, ni d'un seul courant. L'approche des « représentations sociales », relevant de la phychologie sociale francophone, se situe à notre égard « à la croisée » de l'histoire, de l'anthropologie, de la sociologie et de la phychologie. Nous l'appliquons dans cette étude comme démarche d'analyse susceptible d'englober ces différentes approches disciplinaires.

Représentations et dynamiques sociales dans un contexte spécifique

Pour éclairer les caractéristiques de l'approche des représentations sociales, nous pouvons nous référer à quelques articles montrant des appplications concrètes sur des contextes spécifiques de cette approche.

L'article de C. Garnier et L. Sauvé11 montre un mode d'application de la théorie des représentations sociales dans une recherche empirique sur un contexte spécifique qui est celui de l'éducation de l'environnement. Par contre, celui de B. Fraysse12 cherche des liens entre l'identité et les représentations chez les élèves de la formation professionnelle d'ingénieurs. Ces deux articles portent sur l'application de cette approche sur des contextes spécifiques et concrets. Si le premier porte un intérêt à la fois compréhensif et pragmatique en essayant de montrer dans quelle mesure l'approche des représentations sociales pent être pertinente pour décrire, expliquer (ou comprendre) son objet de recherche et ensuite élaborer une stratégie d'intervention, le second porte plutôt un intérêt purement analytique sur son objet de recherche et s'attache à montrer sa compéhension de cet objet.

Notre démarche rejoint surtout l'approche présentée par le premier article, qui nous semble plus adaptée et opérationnelle pour notre étude de cas du Projet Nô-Life. Car dans notre recherche, en partant d'une description historique et ethnographique des enjeux des acteurs, nous nous attacherons également à donner une analyse compréhensive et à en relever les problèmes et contradictions, et ensuite à proposer des solutions possibles.

La théorie des représentations sociales a été développée « en Europe francophone au cours des trois dernières décennies13 » par de nombreux phychologues sociaux dont notamment S. Moscovici, D. Jodelet, W. Doise et J-Cl. Albric etc. Mais elle ne constitue pas pour autant « une théorie unifiée », mais « un ensemble de perspectives théoriques qui sont apparues à la croisée de la sociologie et de la phychologie14 ».

Soulignons quelques caractéristiques de la notion des représentations sociales. D'abord, une représentation peut déjà comprendre des éléments de types extrêmement divers et complexes. Ainsi, étant un « phénomène mental », elle « correspond à un ensemble plus ou moins conscient, organisé et cohérent, d'éléments cognitifs, affectifs et du domaine des valeurs concernant un objectif particulier appréhendé par un sujet15 ». Et la notion

11 Garnier et Sauvé, 1998.

12 Fraysse, 2000.

13 Garnier et Sauvé, 1998 : 66.

14 Ibid.

15 Ibid. : 66. Et on peut même y trouver « des éléments conceptuels, des attitudes, des valeurs, des images mentales, des connotations, des associations, etc. C'est un univers symbolique, culturellement déterminé, où se forgent les théories spontanées, les opinions, les préjugés, les décisions d'actions, etc. » (Ibid.)

des représentations sociales est non seulement de simples représentations produites par un sujet à l'égard d'un objet, mais également des éléments constitutifs de « processus sociocognitifs16 ».

En fait, l'approche des représentations sociales est d'étudier les représentations en relation avec les objets sociaux et la dynamique des rapports sociaux dans lesquels les sujets agissent, interagissent et se communiquent. Et la relation entre une représentation, son objet, son sujet et ses rapports sociaux n'est pas figée, mais interactive voire interdépendante. Ainsi, « une représentation se construit, se déconstruit, se reconstruit, se structure et évolue au coeur de l'interaction avec l'objet appréhendé, alors même que l'interaction avec l'objet est déterminée par la représentation que le sujet en construit17». W. Doise souligne ainsi que « la dynamique d'élaboration des représentations est intimement entremêlée à la dynamique des rapports sociaux18 ».

L'approche devient donc nécessairement systèmique mais non causale, c'est-à-dire que les représentations sociales sont indissociables du discours et de la pratique, et qu'ils forment un « tout19 ».

S'agissant d'un contexte spécifique (comme l'environnement et la santé chez C. Garnier et L. Sauvé), cette approche éclaire le « caractère socialement construit des représentations20 » dans ce contexte donné. Autrement dit, selon la théorie des représentations sociales, « toute représentation portée par un individu est socialement construite21 ».

Représentations comme instruments cognitifs et intellectuels

Selon B. Fraisse, qui s'attache surtout à la dimension individuelle en recherchant la relation entre les représentations et le processus d'apprentisage individuel et interindividuel ainsi que la construction identitaire, les représentations sont définies comme des « modes spécifiques de connaissances du réel qui permettent aux individus d'agir et de communiquer22 ».

Les représentations sociales peuvent être de véritables instruments congnitifs et intellectuels pour l'acteur. Ensuite, celui-ci s'en sert pour communiquer à partir des réalités « ayant le statut de représentations », et ainsi reconstruit le lien entre ses représentations et les réalités23. Donc, dans la dimension individuelle, les représentations peuvent se comprendre comme éléments du processus particulier de construction - reconstruction des connaissances de la réalité24.

Objectivation et ancrage : deux processus fondamentaux

L'approche des représentations sociales ne se contente pas d'étudier les contenus représentationnels, mais consiste à analyser la structure génératrice de ceux-ci à travers l'action, la communication et la relation sociale des sujets25.

Deux processus fondamentaux initialement définis par S. Moscovici marquent l'approche des représentations sociales : objectivation et ancrage26. Selon nous, ces deux processus désignent la relation réciproque entre les représentations et la réalité sociale et spatio-temporelle. D. Jodelet caractérise ces deux processus ainsi :

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Doise et al. (1992), cité par Garnier et Sauvé, 1997 : 67

19 Ibid. : 67.

20 Ibid.

21 Ibid.

22 Fraysse, 2000 : 651.

23 Ibid.

24 Sur ce point, la notion du bricolage semble avoir une proximité, dans le sens où le bricoleur construit son oeuvre

(représentation) à partir d'un objet existant (réalité et en reconstruit une autre au moyen de sa construction antérieure. Nous emploierons ce terme dans les chapitres 2 et 3 dans notre analyse du mode d'action des acteurs.

25 « la théorie des représentations sociales a été construite autour de la notion de système. Bien au-delà de l'étude des contenus représentationnels, la recherche sur les représentations sociales vise à mettre en évidence les structures organisatrices de ces

contenus » (Garnier et Sauvé, 1997 : 68)

26 Moscovici, 1961 ; 1976, cité par Garnier et Sauvé, 1997 : 69.

Schéma : mondes représentationnel et réel

Monde réel

: Interaction

Monde représentationnel

Ancrage

Objectivation

Objet (réel)

Objet (réel)

Objet (réel)

Relation sociale

Représentation Représentation Représentation Représentation

Sujet Sujet Sujet Sujet

- « l'objectivation correspond à une sélection d'éléments d'un objet appréhendé et à la construction d'un schéma organisationnel de ces éléments (remodelage) en une image concrète, préhensible, qui facilite la communication au sein du groupe à propos de l'objet en question. »

- « l'ancrage enracine la représentation de l'objet dans un réseau de savoirs antérieurs et de significations au sein du groupe, et permet de le situer par rapport aux valeurs sociales ; l'ancrage confère également une valeur fonctionnelle à la représentation pour l'interprétation et la gestion de l'environnement27 ».

Notre cadre d'analyse va donc se baser sur le schéma ci-dessus. La relation (ou la frontière) entre le monde réel et le monde représentationnel ne peut pas être figée ni séparée, mais est indissociable et cyclique. Car nous avons dit plus haut que la représentation n'est pas seulement un produit figé, mais un processus. Avec ce schéma, nous avons essayé de présupposer la relation dialectique entre les représentations, les actions et la relation sociale.

Ce présent schéma n'est ni un modèle théorique figé, ni définitif. Il n'est qu'un cadre d'analyse de base que nous supposons comme point de départ, à partir duquel nous devrons explorer et appréhender la complexité et la diversité de la réalité sociale et locale.

Démarche : description, explication et stratégie d'intervention

Ensuite, la perspective de recherche présentée par C. Garnier et L. Sauvé va plus loin avec l'approche des représentations sociales en inscrivant celle-ci dans une démarche constituée par les trois étapes suivantes : description - explication - stratégie d'intervention.

Si c'est l'environnement qui constitue un objet social et politique dans la recherche de ces auteurs28, dans notre recherche, il s'agit de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte local et japonais du vieillissement de la population, qui constituent également un objet social et politique. Et l'intérêt fondamental de la théorie des représentations sociales pour l'intervention, est que les représentations « orientent la communication sociale et

27 Jodelet, 1989 cité par Garnier et Sauvé, 1997 : 69

28 Ibid. ; 69.

servent de guide pour l'action29 » comme « processus de décodage et grille de lecture de la réalité30 ».

Et l'étude des représentations sociales peut contribuer à éclairer « la dynamique des rapports entre la personne, le groupe social31 » et son objet. Et « elle peut aider à saisir le caractère systèmique et complexe des enjeux liés aux questions », et « à mieux comprendre les dynamiques menant à la prise de position des différents acteurs et celles qui régissent les conflits entre groupes sociaux32 ». Les auteurs soulignent qu'« une telle compréhension est indispensable pour planifier des interventions visant à résoudre des problèmes ou pour concevoir des projets socialement viables33 ».

En rejoignant cette position à la fois compréhensive et pragmatique de ces auteurs, notre analyse procèdera d'abord à une description basée sur une enquête historique, ethnographique et sociologique de la réalité complexe dans laquelle agissent, interagissent, communiquent et se positionnent les acteurs qui se différencient tant au niveau de l'échelle (institutionnel, groupe, individuel) qu'au niveau des champs sociaux. Et ceci dans un contexte particulier au Projet Nô-Life.

Ensuite, nous essaierons de dégager un ensemble représentationnel dans lequel divers types de représentations se situent autour d'un objet en question dans le contexte étudié. Il s'agit d'étudier l' « ensemble que constitue le réseau représentationnel dans lequel s'insère une représentation particulière ». C. Garnier et L. Sauvé évoquent que cette représentation particulière d'un objet (ex. environnement) entretient des liens avec celles de différents types d'objets (ex. santé et corps chez les jeunes enfants)34. Dans notre recherche, nous le verrons dans le Chapitre 2, nous avons relevé trois objets qui entrent dans l'ensemble représentationnel dans le processus de la construction du Projet Nô-Life. Il s'agit de la qualité de vie, du lien social et territorial et la production matérielle qui sont mis en relation avec l'objet en question, qui est celui de l'agriculture de type Ikigai.

Puis, nous avons essayé de repérer les prises de position des acteurs concernés, lesquelles ancrent des éléments constitutifs de cet ensemble représentationnel, et ainsi de mettre en évidence la convergence et la divergence dans leur relation sociale.

Enfin, à partir de ces analyses compréhensives et explicatives, nous avons essayé de donner des réponses à une série de questions que nous avons posées préalablement au début des chapitres 2 et 3, sur les enjeux des acteurs observés. Et par là, nous avons essayé de relever des problèmes et des contradictions qui sont tantôt visibles tantôt invisibles dans la réalité objective, mais qui nous ont paru exister au niveau de la situation complexe de représentation, de pratique et de pouvoir.

Et dans la réponse pour la dernière question du Chapitre 3, nous avons essayé de formuler quelques propositions destinées aux acteurs du Projet. Ceci en portant un double intérêt d'un côté celui des acteurs pour une meilleure régulation de cette situation, de l'autre celui de montrer sa pertinence et sa perspective à l'épreuve de la réalité faisant l'objet de cette étude.

Références

BRAUDEL, F. (1969), Ecrits sur l'histoire, Paris, Flammarion.

BRAUDEL, F. (1993), Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion.

FRAYSSE, B. (2000), « La saisie des représentations pour comprendre la construction des identités », Revue

29 Abric, 1994 cité par Garnier et Sauvé, 1997 : 69.

30 Ibid.

31 Ibid.

32 Ibid.

33 Ibid.

34 Ibid. 70.

des sciences de l'éducation, Vol. XXVI, n°3, 2000, p.65 1-676.

GARNIER, C., SAUVE, L. (1998), « Apport de la théorie des représentations sociales à l'éducation relative à l'environnement : Conditions pour un design de recherche », Education relative à l'environnement, Vol. 1, 1998-1999, p.65-77.

Nôrin-suisan-shô (Ministère de l'agriculture, de la pêche et de la forêt) (2005), « Heisei 17 nendo Shokuryô - nôgyô - nôson no dôkô » ainsi que « Heisei 18 nendo Shokuryô - nôgyô - nôson shisaku » (« Tendances de l'alimentation - agriculture - ruralité de l'année 2005 » et « Mesures pour l'alimentation - agriculture - ruralité de l'année 2006 »), http://www.maff.go.jp/hakusyo/nou/h17/html/index.htm (site officiel)

SASAKI, K. (2004), « Suicide et `ikigai' chez les personnes âgées », in Quand la vie s'allonge : France-Japon, Paris, L'Harmattan : p.99-123.

Chapitre I : Evolution urbaine et rurale dans la Ville de Toyota après 1945

Introduction

Quel est le facteur historique de temps long de la politique municipale de la Ville de Toyota qui, pour construire le Projet Nô-Life, a problématisé ensemble le vieillissement de la population en majorité salariale, le manque de main-d'oeuvre agricole et le délabrement des terrains agricoles ? Et quelle était la place de la question d'Ikigai dans l'histoire de la Ville de Toyota après 1945 ? Ce présent chapitre vise une recontextualisation historique de ces questions croisées ayant engendré le Projet Nô-Life.

Comme notre présente étude porte principalement sur les facteurs et le processus du développement du Projet Nô-Life démarré en 2004, notre approche doit inévitablement se baser sur l'observation directe ou indirecte de faits sur l'instant ou la courte durée qui touchent ce projet. Mais ceci risque d'ignorer une durée beaucoup plus longue dans laquelle s'inscrit la dynamique du présent que nous pouvons observer directement.

C'est pourquoi Garnier et Sauvé avertissent, dans la conclusion de leur article, que « le processus de transformation des représentations et des pratiques est éminemment complexe et demeure un vaste champs d'investigation35 » Selon eux, il n'y aurait pas d' « influence directe » entre les pratiques et les représentations « qui aboutissent à des transformations »36. Et c'est le « contexte » qui « pourrait intervenir » comme « élément intermédiaire » entre ces deux éléments37.

Dans ce présent chapitre, notre tentative consistera donc à une recontextualisation historique de notre objet de recherche, visant à éclairer l'ancrage socio-historique des représentations et des pratiques qui sont en question dans le processus du Projet Nô-Life, sur un temps plus long que la portée de notre « étude des acteurs du Projet » que nous présenterons dans les deux chapitres suivants.

Nous délimitons l'unité spatio-temporelle de notre examen au territoire de la ville de Toyota dans la période de 1945 à 1975. C'est-à-dire, l'évolution de cette ville pendant une trentaine d'années après la deuxième guerre mondiale. En effet, c'est après 1945 que les agents institutionnels principaux du Projet Nô-Life tels que la municipalité, la coopérative agricole, se sont entièrement décomposés et recomposés, et que la vie de la population locale fut presque entièrement réorganisée au travers du passage du régime national de la guerre d'avant 1945 à celui de la démocratie pacifique (après 1945) instaurée sous l'occupation américaine (1945-195 1).

L'objectif de notre examen ici n'est pas de décrire trente ans d'histoire urbaine et rurale de la Ville de Toyota après 1945, mais de resituer le contexte du Projet Nô-Life marqué par les trois thématiques évoquées plus haut (vieillissement de la population générale ; manque de main-d'oeuvre agricole ; délabrement des terrains agricoles), dans une longue durée de la réalité sociale et locale de la Ville de Toyota.

Ce chapitre sera composé des quatre parties suivantes : 1 Industrialisation : naissance et développement de

l' « Automobile Toyota » ; 2 Urbanisation : naissance et développement de la « Ville de Toyota » ; 3 Evolution agricole et rurale dans la Ville de Toyota ; 4 Réflexions.

Nous nous baserons sur la lecture des ouvrages collectifs intitulés « Histoire de la Ville de Toyota (toyota

35 Garnier et Sauvé, 1998 : 73.

36 Ibid.

37 Ibid.

shishi) » publiées successivement de 1976 à 1987 par la Ville de Toyota, pour toutes les parties descriptives38.

Périodisation en trois décennies après 1945

Dans le tome 4 de ces ouvrages collectifs publié en 1977 qui concerne la période contemporaine, la description de l'histoire se base sur une périodisation en trois décennies suivantes : 1945-1954 (les années 20 de Shôwa) ; 1955-1964 (les années 30 de Shôwa) ; 1965-1974 (les années 40 de Shôwa).

Selon l'explication donnée par les membres du comité de rédaction dans la postface de ce tome, les auteurs essaient, par cette périodisation, de mettre l'accent sur les « caractéristiques de l'époque de chaque décennie39 ». De là, ils essaient de mettre en évidence les caractéristiques « totales (sôgô-teki) » de chacune de ces époques, en se concentrant sur les « choses qui se mettent en parallèle avec chaque époque »40. Et ceci, à la différence de la manière dont sont souvent éditées les histoires des collectivités territoriales japonaises (shi-chô-son shi), lesquelles découpent verticalement l'histoire moderne et contemporaine en différents domaines tels que l'administration, l'agriculture, l'industrie, le commerce, l'éducation41.

Citons un paragraphe de cette postface, qui exprime l'esprit de la rédaction de ce tome portant sur « trente ans de turbulence42 » de la Ville de Toyota :

« Nous ne nous satisfaisons pas d'une histoire de la ville qui n'a que pour objectif d'enregistrer le changement et de le suivre de manière statistique. Si on n'y trouve pas d'expressions de la vie et Ikigai des citoyens, cette histoire sera insignifiante. Nous voulons aborder l'action et la conscience des citoyens concernant le changement du nom de la Ville, les fusions des villages et les mouvements ouvriers etc. Ceci également sur le devenir des paysans ecrasés par l'urbanisation, les instituteurs s'étant efforcés, avec des changements de courants de pensée pour l'éducation, à s'occuper des enfants et des élèves dont l'augmentation du nombre était brutal. Autrement dit, nous avons voulu toucher les efforts et les sentiments des citoyens qui ont subi chacun les distorsions depuis l'époque d'après la défaite de la grande guerre, marquée par la confusion, l'angoisse et la difficulté, jusqu'à nos jours de prospérité sous la Haute croissance. Nous avons également pensé à laisser comme archives de la Ville les états réels de chaque époque. Cependant, nous ne pouvons pas effacer les affaires, les résistances et les critiques en decrivant l'histoire de la ville, comme si celle-ci s'était déroulée sans aucun problème et inconvénient. Il serait également inacceptable que l'on decrive les oppositions et les concurrences entre les fermes et les usines, la terre agricole et l'habitat urbain, uniquement de manière à raconter la gloire des gens qui l'ont emporté dans ces confrontations. Le problème est dans quelle mesure celles-ci ont été exprimées dans cette histoire. Sur ce point, nous devrons attendre l'appréciation des lecteurs. »

Dans cette explication, nous pouvons aisément apercevoir à quel point les préoccupations des auteurs ainsi que l'histoire de la Ville de Toyota après 1945 sont marquées par les turbulences suite à l'industrialisation automobile et les drames qui l'ont suivie dans la « vie des citoyens ».

L'existence de la ville de Toyota est d'abord marquée - à la fois réellement et symboliquement - par son nom

38 Cette série d'ouvrages collectifs est éditée en dix tomes : le premier porte sur la nature, la période primitive, l'antiquité, le moyen âge ; le second sur la période pré-moderne (kinsei) ; le troisième sur la période moderne (kindai : 1868-1945, de l'ère Meiji à la fin de la grande guerre) ; le quatrième sur la période contemporaine (gendai : 1945-aujourd'hui) ; le cinquième sur le folklore ; les tomes 6-10 constituent l'ensemble des annexes présentant respectivement les données concernant chacun des cinq premiers tomes. Ces ouvrages sont édités par la Commission de l'éducation de la Ville de Toyota (Toyota-shi Kyôiku Iinkai) ainsi que le Comité spécial de rédaction de l'histoire de la Ville de Toyota (Toyota-shi-shi Hensan Senmon Iinkai). Chacun des cinq premiers tomes est rédigé par une dizaine de rédacteurs couvrant différentes disciplines (histoire, géographie, politique, économie, sociologie, folklore, administration, éducation etc). Chaque rédacteur est chargé d'un ou plusieurs chapitres. En général, les auteurs mobilisés pour la rédation sont, soit des instituteurs d'écoles primaires ou de collèges ou de lycées situés dans la Ville de Toyota, soit des professeurs d'université présents dans la région.

39 Matsui, Itô et Miyakawa, 1977 : 881

40 Ibid.

41 Ibid.

42 Ibid. : 882.

emprunté depuis 1959 à celui d'une célèbre société constructrice d'automobiles japonaise qui s'est implantée dans les années 30 dans le territoire de cette ville, et y a constitué une concentration industrielle dominante. En fait, avant l'implantation et le développement de l'industrie automobile à la fin des années 30, cette ville était un petit bourg rural qui avant 1959 s'appelait « Koromo ». Au Japon, cette ville de taille moyenne constitue un exemple typique des villes généralement appelées, avec une connotation ironique, par sa forte dépendance à une seule industrie, sous le nom de « bourg fortifié par l'entreprise (kigyô jôka-machi) ».

Dans les deux premières parties, nous allons esquisser des aspects généraux de l'histoire de l'industrialisation et de l'urbanisation de cette ville d'avant 1945 à 1975. Ensuite, dans la troisième partie, nous décrirons l'évolution du monde agricole et rural dans la même période.

1 Industrialisation : naissance et développement de

l' « Automobile Toyota »

1937 - 1955 : Implantation et développement de l'Automobile Toyota

Démarrage de l'Automobile Toyota et changement territorial avant 1945

La construction de la première usine de la Société Anonyme de l'Industrie Automobile de Toyota (Toyota Jidôsha Kôgyô Kabushiki Gaisha)43 en 1935 au Bourg de Koromo fut l'occasion pour celui-ci de faire son premier pas vers sa grande transformation en une « ville industrielle moderne »44.

L'origine de cette société remonte à l'établissement de l'Industrie Textile Toyota (Toyota Bôseki) en 1922 (Taishô 11) à Kariya45 par Sakichi TOYODA (1867-1930), inventeur de nombreux métiers à tisser automatiques et père fondateur de la société46. Dès qu'il a monté par la suite la Société de Métiers à tisser automatiques Toyota (Toyota Jidôshokki) en 1926 (Taishô 15), il avait déjà l'intention de développer ultérieurement une industrie automobile. Ensuite, c'est Kiichiro TOYODA, son fils aîné, qui a repris la volonté de son père après le décès de celui-ci en 1930, en déposant en 1933 une demande de rachat d'un terrain de près de 200ha situé au Bourg de Koromo, auprès de la mairie de celui-ci, pour y construire sa première usine automobile47.

Ce terrain était une vaste colline non cultivée, mais bien située du point de vue des moyens de transport ferroviaire et de l'alimentation en électricité48.

Le maire du Bourg de Koromo (Juichi Nakamura) a trouvé que cette proposition était une très bonne opportunité de sortir de la crise, amorcée depuis 1930, les industries et commerces locaux amorcée depuis 1930 : cocons de vers à soie et produits textiles49. Malgré des difficultés pour convaincre les 180 propriétaires

43 Nous l'appelons Automobile Toyota. Dans le langage courant de la région de la Ville de Toyota, on l'appelle également de

manière plus courte soit « Industrie-auto Toyota (Toyota jikô) », soit « Industrie - auto(jikô) ».

44 Takahashi, 1978 : 753.

45 Un bourg situé au sud-ouest de Koromo.

46 Sakichi TOYODA est né fils d'un pauvre paysan-charpentier dans le département de Shizuoka situé au sud-est d'Aichi. Il

inventa un célèbre métier à tisser automatique en bois « Toyota-shiki Mokusei Jinriki Shokki (Machine à tisser manuelle du style Toyota) » en 1897, pour lequel il a utilisé le plus possible de bois qui étaient moins coûteux que les métaux. L'efficacité, le bon rapport qualité-prix et la qualité du tissu étaient les grands atouts de cette invention.

47 Ibid. : 753.

48 Ibid. : 754.

49 Ibid. : 755. Le Bourg de Koromo constituait un centre régional de distribution de soies brutes et de produits textiles cotonniers ainsi qu'en soie.

terriens concernés par ce rachat, le maire y parvint. L'usine fut construite en 1935 en plein champs à Koromo, et l'Automobile Toyota fut ainsi établie en 193750.

Puis, l'Automobile Toyota s'est développée en produisant essentiellement des camions pour l'armée japonaise dans le régime de guerre, renforcé à partir de 1937, avec le début de la Guerre sino-japonaise.

Métamorphose des industries locales

L'implantation de la première usine et du siège de l'Automobile Toyota à Koromo a apporté quelques changements brutaux à sa structure démographique et industrielle. Au niveau démographique, l'effet de l'implantation était déjà net : si, de 1920 à 1935, l'augmentation du nombre d'habitants restait douce (de 11924 à 14256, soit 19.5%), celle de 1935 à 1940 était de 44.7% (de 14256 à 20629)51.

Puis, alors qu'entre 1933 et 1938, le poids du nombre des foyers agricoles sur le nombre total des foyers dans le Bourg a diminué de 52.1% à 42.5%, à l'année suivante, il diminua rapidement jusqu'à 33.7%52. Tandis que le poids des foyers dont des membres sont employés dans l'industrie est passé de 3.6% à 20.5% de 1933 à 193953. Par ailleurs, l'implantation de l'Automobile Toyota a stimulé le secteur commercial du Bourg : le poids des foyers dont des membres travaillent dans ce secteur, a augmenté entre 1937 et 1939 de 68.8% (de 916 à 1 546)54.

Au niveau du chiffre d'affaires de tous les secteurs, l'évolution était encore plus nette autour de 1938 : de 1933 à 1937, l'augmentation totale chaque année était inférieure à 11%, mais en 1938, l'augmentation fut quarante fois supérieure à celle de l'année précédente (on passa alors de moins de 400 000 yens à 15 400 000 yens)55. Il en résulta que le poids du secteur industriel dans le chiffre d'affaires de tous les secteurs est atteint plus de 80% en 1938, puis 94% en 1939, alors qu'il était de 10.7% en 193756.

Par contre, à partir de 1936, le déclin du secteur des vers à soie fut amorcé : diminution du chiffre d'affaires de 50% entre1936 et 1939, alors que son poids sur le chiffre d'affaires total de tous les secteurs dans le Bourg de Koromo passa de 53.3% à 1.8% entre 1936 et 193957! Cette chute du secteur des vers à soie est non seulement liée à la crise permanente depuis 1929, mais également au régime national de guerre qui contrôlait l'économie en restreignant les « industries pacifiques (heiwa sangyô) », à savoir celles non militaires58.

Reconstruction de l'Automobile Toyota dans la décennie de 1945 à 1955

De 1937 à 1945, l'Automobile Toyota s'est d'abord développée en tant qu'une industrie militaire dans le régime national de guerre dans lequel la production des voitures non militaires était contrôlée par l'Etat impérial59. Ceci malgré le fait que l'Automobile Toyota avait toujours l'intention de se spécialiser dans la production de voitures normales depuis le début de ses activités de recherche vers 193360. Puis, après la défaite du Japon de la guerre, elle dut se reconvertir en une « industrie pacifique ». A cet effet, elle s'est d'abord spécialisée dans le domaine de l'automobile en se séparant notamment du secteur de la construction aéronautique auquel elle participait également pendant la guerre61. Mais, dans la bonne conjoncture économique japonaise grâce à la Guerre de Corée (1950-1953), elle continua à produire des camions pour les troupes des Nations Unies essentiellement composées de l'armée américaine62. En fait, après la fin de la guerre en 1945,

50 Ibid. : 756.

51 Ibid. : 757.

52 Ibid. : 758.

53 Ibid.

54 Ibid.

55 Ibid. Ceci a encore augmenté à 53 000 000 yens l'année suivante.

56 Ibid. On ne compte pas le prix de production du secteur des vers à soie dans le secteur industriel.

57 Ibid.

58 Ibid.

59 Miyakawa, 1977 : 109.

60 Ibid. : 109.

61 Ibid. : 108.

62 Ibid. Appelé « Chôsen tokuju (Demande spéciale de la Guerre de Corée) », c'était cette bonne conjoncture qui, du moins au

l'Automobile Toyota a toujours continué à produire des camions pour la reconstruction du pays, grâce à l'autorisation donnée par l'armée américaine d'occupation63.

De 1945 à 1950, le déploiement de l'industrie automobile était encore limité au territoire du Bourg de Koromo qui était entouré de collectivités rurales avec lesquelles il fusionna lors des décennies suivantes64. Dans des collectivités rurales de moyenne montagne autour de Koromo, quelques industries artisanales telles que la poterie, le tissage au moulin à eau réalisèrent leur relèvement65.

Une des caractéristiques de l'Automobile Toyota est la concentration industrielle régionale de ses unités de production qui ont d'abord été centrées sur le Bourg de Koromo, et ensuite étendues aux collectivités rurales environnantes. Ce choix ne relève pas seulement de la stratégie de cette entreprise, mais plutôt de la situation politico-économique au niveau macro dans le contexte de la guerre et de l'impérialisme japonais.

En effet, dès 1922, l'Industrie textile Toyota s'était déjà implantée à Shanghai, en Chine. Puis, des usines automobiles de Toyota s'implantèrent à Shanghai et à Tianjin en 1938. Ceci à peu près dans la même période que la construction de la première usine à Koromo en 1937. Elle avait ainsi établi ses capitaux étrangers et son système de production international en Asie de l'Est, dans les zones de la « Sphère de co-prospérité de la grande Asie orientale (Daitôa Kyôei-ken) » construite par le Japon impérial pendant la guerre66. Mais elle perdit tous ses capitaux étrangers suite à la défaite du Japon, et dut accueillir la population rapatriée de l'étranger67.

Après la guerre, la politique économique de rigueur édictée par l'occupation américaine68 imposa aux entreprises japonaises une rationalisation rigoureuse de leur gestion. Une rationnalisation a ainsi été réalisée dans l'Automobile Toyota suite à deux mois de conflits sociaux brûlants en 1949, ce qui conduit au licenciement de 2146 employés69. Puis, le « GHQ70 » a abolit le contrôle de la production automobile, l'année du déclenchement de la Guerre de Corée71. Le Japon a joué le rôle d'une base stratégique et militaire pour les forces des Nations-Unies, et a créé entre-temps ses propres troupes qui deviendront plus tard les « Forces d'auto-défense (Jieitai) »72. Le soutien des forces des Nations-Unies ainsi que des troupes japonaises ainsi réorganisées pendant la Guerre de Corée ouvrirent de grands débouchés aux camions de l'Automobile Toyota.

1955 - 1965 (et après) : Développement de l'Automobile Toyota

De 1955 à 1965, la zone industrielle de la Ville de Toyota s'est développée à l'initiative de l'Automobile Toyota qui établit son système de production de masse de voitures normales. La Ville de Toyota s'est ainsi constituée en une « ville de l'entreprise unique (tanitsu kigyô toshi) » avec l'effondrement d'industries artisanales locales.

Quelques chiffres nous permettent de constater un développement brutal et considérable de la production automobile de l'industrie automobile dans le territoire de la Ville de Toyota : de 1955 à 1964, le nombre d'entreprises a augmenté de 634 à 875 dans l'ensemble du territoire de la Ville de Toyota73 ; le nombre des usines a augmenté de 208 à 313 dans le Bourg de Koromo ainsi que deux villages voisins (Takahashi et Kamigô)74 ; le nombre des employés dans l'ensemble du territoire de la Ville de Toyota : passa de 9901 en 1956

départ, permit au Japon de réaliser sa Haute croissance lors de la vingtaine d'années qui ont suivies.

63 Ibid. : 110 La production totale japonaise autorisée était de 1500 camions par mois.

64 Ibid. : 116.

65 Ibid. : 117.

66 Ibid. : 120.

67 Ibid.

68 Ceci avec les fameurses mesures de « Dodge line » appliquées en 1949.

69 Ibid. : 124. Le « Syndicat ouvrier de l'Automobile Toyota de Koromo » était organisé dès 1946.

70 GHQ : General Headquarters/ Supreme Commander for the Allied Powers. L'appellation du centre de décision de l'occupation américaine au Japon.

71 Ibid. : 126.

72 Ibid.

73 Ce territoire compte également les collextivités environnantes qui ont fusionnés avec la Ville de Toyota jusqu'en 1970.

74 Ibid. : 214.

à 38817 en 196475. Rien que dans le Bourg de Koromo et le Village de Kamigô, le nombre d'employés passa de 7784 à 3203376 ; le chiffre d'affaires de la production industrielle dans le Bourg de Koromo et le Village de Kamigô a augmenté de près de 21 fois (11 600 000 000 yens à 249 400 000 000 yens) de 1956 à 196477.

Concentration industrielle autour du Bourg de Koromo

A partir de 1958, la concentration considérable d'entreprises filiales et sous-traitantes de l'Automobile Toyota commença. Les collectivités rurales voisines du Bourg de Koromo établirent chacune leurs lois municipales pour l'installation d'entreprises sur leur territoire78. Jusqu'en 1970, trois collectivités (Takahashi, Kamigô, Takaoka) ont ainsi fusionné avec la Ville de Toyota79.

L'essor de l'Automobile Toyota lors de cette période est d'abord le fruit de la construction de sa deuxième usine en 1959 à Motomachi dans le Bourg de Koromo, et de la concentration d'entreprises filiales et sous-traitantes dans la région environnante du Bourg de Koromo80. Pendant cette décennie, la population du territoire de la Ville de Toyota a triplé (de 33418 à 107037)81. Et ainsi le Bourg de Koromo se transforma d'un « bourg rural (nôson-toshi) » en une « ville de l'entreprise (kigyô-toshi) ».

2 Urbanisation : naissance et développement de la « Ville de Toyota »

Avant 1945 - 1955 : mutation du Bourg de Koromo et de ses environs

Evolution démographique avant 1945

La population du Bourg de Koromo a, nous l'avons vu, augmenté de près de 50% entre 1935 et 1940. Ceci alors qu'entre 1920 et 1940, l'évolution démographique était encore douce dans les collectivités rurales environnantes soit une augmentation de 10-20% dans les zones en plaine (Kamigô et Sanagé), soit la stagnation ou une diminution dans les zones de moyenne montagne (Homi, Ishino, Takahashi et Matsudaira)82

Naissance de la « Ville de Koromo » et évolution des collectivités environnantes de 1945 à 1955

La bonne conjoncture économique suite à la Guerre de Corée en 1950 fut l'occasion du développement de la Ville de Toyota, en tant que ville industrielle83.

En 1951, le Bourg de Koromo est devenu la « Ville de Koromo » au niveau administratif en atteignant le

75 Ibid. : 215.

76 Ibid.

77 Ibid. : 216.

78 Matsui, 1977 : 201.

79 Ibid.

80 Ibid.

81 Ibid.

82 Takahashi, 1978 : 773.

83 Itô, 1977 : 12.

nombre d'habitants nécessaire fixé par l'Etat : 30 000 habitants84. Cette transformation administrative lui permit de réaliser un ensemble de nouvelles mesures pour développer ses infrastructures urbaines (routes, trains, places, établissements commerciaux et socio-culturels etc).

Cette transformation administrative était une grande attente de la part de la population du Bourg de Koromo depuis déjà 1937, l'année de la construction de la première usine de l'Automobile Toyota, et cette naissance de la Ville de Koromo fut grandement été célébrée par la population.

Quelques discours représentatifs de l'administration municipale ainsi que de la population prononcés à cette occasion, montrent une représentation naissante et particulière qui apparaît comme un leitmotiv commun sur le développement de cette ville, au sein de la politique municipale et de la population. Il s'agit de la coexistence entre la grande industrie automobile, les petits commerces locaux, l'agriculture et la ruralité. En effet, à l'occasion de ce changement du statut administratif du Bourg de Koromo, la mairie a organisé un concours d'essais sur la « Perspective de la construction de la grande Ville de Koromo (Dai-koromo-shi Kensetsu Kôsô) » auprès des habitants du Bourg85. Dans tous les essais choisis par la mairie, l'avenir de la ville était identifié à celui d'une ville industrielle en espérant son élargissement futur ainsi que le développement des infrastructures urbaines intégrant les zones rurales environnantes86. Le discours du maire du Bourg de Koromo lors du vote final au sein du Conseil municipal en 1950 pour ce changement de nom, mettait bien l'accent sur la coopération entre les trois zones de types différents dans la nouvelle Ville de Koromo : zone industrielle ; zone commerciale ; zone agricole87.

Certes, depuis le Moyen Âge, le Bourg de Koromo avait la fonction d'un centre régional de distribution de produits agricoles, ainsi que de cocons des vers à soie et de produits textiles dans les années 20. Ainsi, le transport ferroviaire était-il déjà plus ou moins développé avant l'implantation de l'Automobile Toyota. Mais à partir de 1937, il devint presque entièrement dépendant des activités de l'Automobile Toyota.

Pendant cette première décennie, les collectivités environnantes restaient encore à dominante rurale, et la naissance de la Ville de Koromo ne les intéressait pas directement88. Mais, après 1945, plusieurs fusions entre des collectivités voisines parmi elles furent effectuées sous l'implusion nationale de la fusion massive des collectivités rurales dans le cadre la modernisation de l'administration locale sous l'occupation américaine89.

1955 - 1965 : Agrandissement du territoire de la Ville

La deuxième décennie de la Ville de Toyota était marquée par l'évolution de la structure démographique et industrielle, le changement du nom de la Ville de Koromo à Toyota, des fusions successives avec les collectivités environnantes et l'aménagement d'infrastructures urbaines.

Au Japon, la grande croissance économique a commencé vers 1952 à partir de l'augmentation des investissements dans le secteur des industries chimique et lourde. Suite à la bonne conjoncture économique des années 56-5790, les médias ont nommé cette époque avec des termes tels que la « fin de l'après-guerre » ; « aube du nouveau Japon » ; « décollage économique »91. Cette croissance consistait en une série de changements de la société industrielle indiqués par : la triomphe de l'industrie lourde sur l'industrie légère ; la diminution rapide du secteur primaire ; le développement des secteurs secondaire et tertiaire etc92.

Dans la Ville de Toyota, l'augmentation démographique s'accélèra dès 1960, le caractère rural du territoire

84 Ibid. : 13.

85 Ibid. : 15.

86 Ibid.

87 Ibid. : 16.

88 Ibid. : 20.

89 Ibid. : 20. Cette politique nationale était également dictée par la politique américaine d'occupation : « Recommendation Shoup »

en 1949 concernant le système de la finance publique japonaise.

90 Cette conjoncture est nommée « Jinmu keiki (conjoncture de Jinmu) ».

91 Itô, 1977 : 289.

92 Ibid. : 290.

de la Ville cèda la place à celui d'une ville industrielle et jeune. Et ce caractère se renforça avec des actes symboliques de la politique municipale marquant cette transformation : changement du nom de la Ville de Koromo à Toyota ; acte de jumelage entre la Ville de Toyota et la Ville de Detroit93. Puis la Municipalité de Toyota développa son aménagement urbain de manière à coopérer avec l'Automobile Toyota en construisant une canalisation pour l'industrie automobile, des résidences publiques pour ses employés etc94.

Evolution de la structure démographique

Dans la Ville de Toyota, le taux d'augmentation démographique entre 1950 et 1975 fut le plus élevé du Japon : 777.5%, de 30 000 à 250 000 habitants. En 25ans, cette ville s'est transformée d'un bourg rural inconnu à une ville industrielle de taille moyenne95.

A partir de 1960, l'augmentation démographique de la Ville de Toyota s'est considérablement accélérée. Nous pouvons constater les conséquences caractéristiques de cet essor démographique au niveau du sexe, de l'âge, des secteurs industriels et des occupations professionnelles.

Au niveau du sexe, le nombre des hommes a dépassé celui des femmes en 196096. Cette tendance a duré jusque vers 1 96597. La population jeune augmenta davantage.

Le nombre de personnes employées dans le secteur secondaire (20 551) égala en 1960 celui du secteur primaire (20799). En 1965 Le poids de la population employée dans le secteur primaire devint plus faible par rapport aux secteurs secondaire et tertiaire: 21.5% dans le secteur primaire ; 53.5% dans le secteur secondaire98.

Au niveau des occupations professionnelles, la structure démographique est marquée par le taux de plus en plus dominant de la population de la couche ouvrière : en 1960, parmi la population active et masculine, 45.5% étaient des ouvriers (qualifiés et non qualifiés) et 26.7% des travailleurs agricoles. Tandis que, pour la même année, parmi la population active et féminine, 56.4% étaient encore des travailleuses agricoles et 19.2% était des ouvrières99. En 1970, 61.7% de la population active et masculine étaient des ouvriers, et 6.2% des travailleurs agricoles. Les employés dans le domaine administratif (8.0%) et le domaine technique spécialisé (7.0%) ont chacun devancé le nombre des travailleurs agricoles100. Parmi la population active et féminine, le nombre des ouvrières a égalé celui des travailleuses agricoles. Le nombre des employées dans le domaine administratif et le domaine technique spécialisé a également augmenté101. Au total, en 1970, 51.3% de la population active étaient des ouvriers.

Naissance de la Ville de Toyota

Le changement du nom de la Ville de Koromo à celui de Toyota a eu lieu en 1959, suite à la demande officielle déposée en 1958 par la Chambre du commerce et de l'industrie de Koromo102. Malgré quelques mouvements de résistance de la population locale, ce changement fut opéré sept mois après le dépôt de cette demande103.

L'auteur qualifie cet évènement d'un « fait symbolique et historique » qui est caractérisé par le début de la période de la Haute croissance économique, et qui s'inscrit dans l'histoire du Japon de l'ère de Shôwa (1926 à 1989)104. Cet acte de changement du nom de la ville était important notamment dans le sens où il a redéfini le

93 Dès lors, la mairie de la Ville de Toyota se présente souvent dans ses communications publiques comme « Detroit de

l'Orient (Tôyô no Detroit) ».

94 Ibid.

95 Ibid. : 294.

96 Ibid. : 291.

97 Ibid.

98 Ibid. : 298.

99 Ibid. : 299.

100 Ibid.

101 Ibid.

102 Ibid. : 343.

103 Ibid.

104 Ibid. : 344

principe de la politique municipale de cette ville : développer la Ville en coopération avec l'Automobile Toyota. Ceci a favorisé, en sacrifiant les 2000 ans d'histoire du nom de Koromo, le développement de l'Automobile Toyota, ainsi que le processus de fusions successives avec les collectivités environnantes avec la Ville de Toyota grâce à sa politique industrielle davantage orientée par ce changement de nom105.

Fusions des collectivités environnantes

Comme nous l'avons dit plus haut, le mouvement de fusion des collectivités rurales au Japon était poussé par l'Etat au nom de la rationalisation de la gestion financière des collectivités locales, dictée par la « Recommendation de Shoup », une des mesures imposées par la politique d'occupation américaine, qui consistait à l'élargissement de l'échelle des collectivités ainsi qu'à l'augmentation de l'efficacité économique de l'administration locale106.

Selon cette politique, l'Etat voulait réduire le nombre des collectivités locales au Japon jusqu'au tiers du nombre total, en fusionnant notamment la grande majorité des collectivités ayant moins de 8000 habitants (7833 sur 8245 collectivités, soit 95%)107 . Ceci alors que la population moyenne par collectivité était à cette époque de 5200 habitants108. Une série de lois pour avancer le processus des fusions ont été adoptées (en 1953, 1956 et 1965)109.

Dans le territoire de la Ville de Toyota, la répartition démographique par collectivité en 1948 était la suivante: 30564 hab. au Bourg de Koromo ; 7626 hab. au Village de Takahashi ; 10539 hab. au Village de Kamigô ; 15921 hab. au Village de Takaoka ; 20580 hab. au Village de Sanage (y compris Homi et Ishino) ; 7306 hab. au Bourg de Matsudaira. 92538 habitants au total dont la population du Bourg de Koromo occupait 33%110

Les fusions de ces collectivités ont donc eu lieu en fonction de l'élargissement accéléré de l'industrie automobile, ainsi que de la nécessité de l'aménagement urbain suite à ce développement industriel111. Le tableau ci-dessous montre le processus de l'avancement de ces fusions112.

Suite à ces fusions, Un nouvau plan d'urbanisme fut conçu en 1966, afin de rééquilibrer le rapport entre les nouvelles zones industrielles et résidentielles et l'ancien centre du Bourg de Koromo. Puis, les zones de moyenne montagne au Nord (Sanage) et à l'Est (Matsudaira) ont été désignées comme « zones résidentielles de pleine nature » et « zones de recréation » dans lesquelles le tourisme et le loisir sont à développer113.

105 Ibid. Dans la lettre officielle pour la demande de ce changement, déposée par la Changre du Commerce et de l'Industrie de Koromo, l'intérêt propre à l'Automobile Toyota par ce changement était clairement explicité. Ceci à la fois pour la promotion (le

nom de Koromo était quasiment inconnu dans le Japon) et le principe de l'aménagement urbain favorable au développement de l'Automobile Toyota. (Ibid.: 345)

106 Ibid. : 329.

107 Ibid.

108 Ibid.

109 Avant l'ère de Meiji, il y avait plus de 70 000 villes, bourgs et villages au Japon. Mais depuis l'instauration des collectivités territoriales (shi-chô-son : ville - bourg - village) comme unité administrative, le nombre de collectivités a été réduit à environ 25% du début via la fusion des collectivités en 1889 (71314 à 15859 dont 39 bourgs). Puis, entre 1945 et 1961, le nombre de

collectivités a davantage été réduit à un tiers : 10520 à 3472 (dont 556 villes, 1935 bourgs et 981 villages). (Source : Sômu-shô, http://www.soumu.go.jp/gapei/)

110 Ibid.

111 Ibid. 328.

112 Ces fusions ont été accomplies jusqu'en 1974 malgré quelques conflits d'intérêts territoriaux complexes (cas de Kamigô et de Takaoka) (Ibid. : 334-342)

113 Ibid. 339.

Schéma : Généalogie des fusions des collectivités pour la formation de la Ville de Toyota

Bourg de

Sanage (1955)

Ville de
Toyota (1967)

Ville de
Koromo (1956)

Ville de

Toyota (1959)

Ville de
Toyota (1964)

Ville de
Toyota (1965)

Ville de
Toyota (1970)

Bourg de Sanage Village de Homi Village de Ishino Ville de Koromo Village de Takahashi Bourg de Kamigô Bourg de Takaoka Bourg de Matsudaira

(Ibid. : 328)

Takahashi (2899ha)

Takaoka (3897ha)

Sanage (11759ha)

Koromo

(3865ha)

Matsudaira (4384ha)

Kamigô (21 65ha)

Carte : Territoire de la Ville de Toyota après 1970

(Ibid. : 342.)

1965 - 1975 : Essor économique et démographique

Au Japon, la décennie de 1965 à 1975 est marquée par la Haute croissance économique et l'urbanisation explosive114. Pendant cette période, le PNB a été multiplié par 3.7115 . Et le revenu annuel par personne a été multiplié par 3.3 (de 255 000 yens à 834 000 yens)116 En dépassant les niveaux de l'Angleterre et de l'Italie, le

114 Itô, 1977 : 630.

115 Ibid.

116 Ibid.

Japon est devenu le seul pays développé en Asie117.

Une série de chiffres nous permet de réaliser l'ampleur de l'essor économique de la Ville de Toyota entre 1965 et 1975: nombre des voitures produites par l'Automobile Toyota : 470 000 en 1965, 2 230 000 en 1975 (4.7 fois plus) ; chiffre d'affaires total des industries : 295 400 000 000 yens en 1965 ; 1 945 500 000 000 yens en 1974 (6.6 fois plus) ; surface totale du territoire de la Ville : 28 969ha après la fusion avec Matsudaira (deuxième ville après Nagoya dans le Département) ; population : 107 445 hab. en 1965, 248 774 hab. en 1975 (2.3 fois plus) ; financement municipal (dépenses annuelles) : 2 600 000 000 yens en 1965, 21 800 000 000 (8.4 fois plus) ; financement municipal (Impôts) :1 700 000 000 en 1965, 12 700 000 000 en 1975 (7.5 fois plus)118 .

Suite à cette grande croissance économique, la Ville de Toyota a lancé un nouveau slogan de l'aménagement urbain dans le nouveau plan d'urbanisme conçu en 1966. Ce slogan est « Ville industrielle et culturelle (Sangyô-bunka-toshi)119 », mettant l'accent sur le développement de : l'infrastructure urbaine ; l'éducation ; la culture ; le cadre de vie ; l'économie industrielle120. Puis, en 1971, un nouveau plan d'urbanisme a redéfini la qualité de la Ville de Toyota comme « lieu de la vie sociale et humaine » plutôt qu'un simple « lieu de production » en prévoyant un élargissement futur de la démographie de la Ville de 300 000 habitants pour 1985121.

Pendant cette troisième décennie, trois nouvelles usines de l'Automobile Toyota ont été construites : Kamigô (moteurs) en 1965 ; Takaoka (assemblage) en 1966 ; Tsutsumi (assemblage) en 1970.

A partir des 1970, quelques magasins de grande surface furent ouverts dans le centre-ville situé au centre de l'ex-bourg de Koromo122. Puis, une série d'établissements publics furent construits grâce à la grande augmentation des recettes publiques réalisées par l'essor de l'industrie automobile (routes ; résidences publiques ; écoles, centres sociaux et culturels ; centres sportifs ; musées ; bibliothèque etc123.

Structure territoriale de la Ville de Toyota

Dans la réorganisation du territoire de la nouvelle Ville de Toyota, chaque ancienne collectivité se transforme de plus en plus en une zone dotée de fonctions spécifiques dans l'ensemble du territoire de cette ville industrielle « moderne » telles que : commerce et administration ; industrie ; agriculture ; résidence ; tourisme et récréation etc124.

- L'ex-Bourg de Koromo devient le centre-ville où les commerces, les entreprises et les fonctions administratives se réunissent125 : - autour de l'ex-Bourg de Koromo, près de 1000 usines se sont concentrées vers l'ouest et le sud. Puis, une urbanisation résidentielle se développe autour de ces usines;

- dans le sud (ex-Village de Kamigô et ex-Village de Takaoka), 70% de la surface totale est agricole, où de grandes usines et de nouvelles zones résidentielles se construisent de manière dispersée;

- dans le nord (ex-Bourg de Sanage) où la montagne et la forêt occupent 65% de la surface totale, une urbanisation résidentielle avance à côté de quelques zones de production spécialisées dans l'arboriculture et la culture maraîchère ;

- à l'est de l'ex-Bourg de Koromo, le quartier de l'ex-Village de Takahashi constitue une zone industrielle et résidentielle ;

- plus à l'est, l'ex-Bourg de Matsudaira, où une grande partie du territoire est occupée par la montagne et la forêt, constitue un atout pour le tourisme et le loisir.

Après la fusion avec le Bourg de Matsudaira en 1970, sur 28969ha du territoire de la Ville de Toyota, la

117 Ibid.

118 Matsui, 1977 : 491.

119 Ibid. : 492.

120 Ibid.

121 Ibid.

122 Ibid. : 493.

123 Ibid.

124 Ibid. : 495.

125 Ibid. Ceci y compris le siège de la Coopérative agricole de Toyota ayant également annexé les coopératives agricoles des collectivités environnantes (nous le verrons plus bas)

montagne et la forêt occupent 34%, les terrains agricoles occupent 33% et la zone résidentielle occupe moins de 10%. Ce qui constraste fortement avec la grandeur du chiffre d'affaires de l'industrie de la Ville. D'où la coexistence entre les deux slogans publiquement manifestés par la Ville : « Ville de voiture (kuruma no machi) » et « Ville du vert et de l'eau (midori to mizu no machi) ».

Ensuite, nous pouvons relever quelques traits particuliers de la vie locale de la population de la Ville de Toyota, qui sont fortement liés à l'histoire de l'industrialisation de cette ville. En fait, il y a très peu de contacts ou d'échanges parmi la population locale dont la majorité habite dans des zones résidentielles nouvellement construites, mais éloignées du centre-ville et des centres des anciens bourgs. En plus, le développement considérable de la Coopérative de consommation de Toyota implantée dans chacune de ces nouvelles zones résidentielles (19 magasins) permet à cette population dispersée de s'approvisionner pour ses besoins quotidiens sans devoir aller au centre-ville126. Ces aspects défavorisent le développement et l'animation du centre-ville127.

De ce fait, rééquilibrer le rapport entre les anciens et les nouveaux habitants constitue un thème permanent de la politique de la Municipalité de Toyota128. L'identité de la Ville de Toyota est ainsi mise en question. D'où l'importance accordée à l'organisation d'évènements d'animation et de sports129.

Emigration rurale japonaise vers la Ville de Toyota

Enfin, nous aborderons quelques aspects généraux de l'émigration de la population japonaise vers la Ville de Toyota, une des plus grandes caractéristiques de l'évolution démograhique de la Ville de Toyota.

Au fur et à mesure qu'augmente le nombre des personnes s'installant dans la Ville de Toyota, la zone où se situe leur lieu de naissance, s'est de plus en plus élargie, partant de l'intérieur du département d'Aichi jusqu'aux départements environnants d'abord, et allant ensuite jusqu'à tout le territoire japonais130.

Le tableau suivant montre l'évolution des lieux d'origine de la population installée dans la Ville de Toyota entre 1956 et 1960, et entre 1966 à 1970131.

De 1956 à 1960, 35% de la population issue de l'extérieur du département d'Aichi était originaires de départements voisins132. De 1966 à 1970, le nombre de personnes venant de tous les départements japonais, installées dans la Ville de Toyota augmenta. Les personnes venaient notamment du centre (Chûbu) (où se situe le département d'Aichi), de l'ouest (Kinki), du sud (Kyûshû) et du nord (Hokkaidô). Du coup, les personnes venant des départements voisins ne représentaient plus que 16.1% des personnes venant de l'extérieur du département d'Aichi.

126 Ibid. : 497.

127 Ibid.

128 Ibid.

129 Ibid.

130 Itô, 1977 : 647.

131 Ibid.

132 Ibid. Sinon, il y avait déjà ceux venant de Tôkyô ; Niigata (un département rural au Nord) ; Fukuoka et Saga (anciennes

régions charbonnières de Kyûshû).

2000 pers.

Ville de Toyota

1000 pers.

2000 pers.
1000 pers.

Ville de Toyota

Carte : Répartition des lieux d'origine de la population intallée
dans la Ville de Toyota (Haut : 1956-1960, Bas : 1965-1970)

(Ibid. : 648)

Evolution des lieux d'origine de la population installée
dans la Ville de Toyota 1956-1 960 et 1966-1 970

 

1956-1960

1966-1970

 

Nbre. effectif

%

Nbre. Effectif.

%

Dép. Aichi

13457

70.7

36665

36.9

4 dép.
voisins

Dép. Nagano

401

2.1

1466

1.5

Dép. Shizuoka

565

3.0

2592

2.6

Dép. Gifu

555

2.9

3386

3.4

Dép. Mie

432

432

2685

2.7

Les autres dép.

3631

19.1

52503

52.9

Total

19041

100

99297

100

(Ibid. : 649.)

Par ailleurs, le nombre de départs de la population vers l'intérieur de la Ville de Toyota augmenta de manière considérable133.

Si la population installée venant de départements moins avancés (économiquement) a tendance à plus

133 Ibid. : 649.

s'installer définitivement dans la Ville de Toyota, celle venant de départements plus avancés a tendance à équilibrer le rapport entre les nombres de départ et d'installation. Ces aspects sont liés au fait qu'existent les deux types suivants de motivation d'installation : installation définitive pour l'emploi et le mariage ; installation à court terme pour des emplois saisonniers134.

Problème du maintien de la main-d'oeuvre industrielle

Une des raisons pour lesquelles l'Automobile Toyota s'est implantée dans le Bourg de Koromo était également la facilité d'obtenir la main-d'oeuvre à partir de la population rurale environnante135. Mais, la mobilisation de la population des environs du Bourg de Koromo était peu suffisante face à l'essor de l'ensemble de l'industrie automobile pendant la Haute croissance136. En 1969, le nombre d'installation a atteint plus de 22 500 personnes en un an137. Mais, le maintien de la main-d'oeuvre consitituait de plus en plus un grand problème pour les entreprises du secteur de l'industrie automobile dans la Ville de Toyota138. Ceci a ainsi constitué une thématique importante pour la politique municipale de Toyota139.

En fait, le départ de la main-d'oeuvre industrielle n'est pas seulement dû à l'emploi saisonnier, mais également à la caractéristique du mode de travail à la chaîne dans les usines : peu de valorisation des compétences individuelles démotivant souvent les employés140. Ainsi, si de 1973 à 1974, 21 000 personnes ont été embauchées dans l'industrie automobile, 18 700 personnes ont quitté leur travail141. Pour faire face à ce problème, les entreprises et la Municipalité devaient élaborer des mesures pour maintenir la main-d'oeuvre industrielle dans la Ville de Toyota142.

3 Evolution agricole et rurale dans la Ville de Toyota

1945-1955 : période de la réforme de l'après-guerre

La première période de la « réforme de l'après-guerre (sengo kaikaku) » est caractérisée par les trois thèmes suivants : augmentation de la production destinée au rationnement (lutte contre la faim) ; Réforme agraire (décomposition du système proriétaire-fermier « jinusi-kosaku seido ») ; politique de défrichement (« nôchi-kaitaku jigyô »)143.

Les procédures de la Réforme agraire (nôchi-kaikaku) ont été amorcées en 1945 et ont été accomplies vers 1950. D'un côté, les propriétaires terriens ont perdu leur statut privilégié suite au rachat coercitif et à la redistribution exercés par l'Etat des terrains mis en fermage, ainsi qu'à la baisse du prix du fermage et au paiement du fermage en argent. De l'autre côté, le statut des cultivateurs s'est élevé en raison de l'agrandissement de terrains en leur possession. Cette réforme a apporté un changement révolutionnaire à l'ordre

134 Ibid. : 649.

135 Ibid. : 655.

136 Ibid.

137 Ibid.

138 Ibid. Ceci était surtout le cas pour les petites entreprises sous-traitantes.

139 Ibid. : 655.

140 Ibid. : 656.

141 Ibid. : 656.

142 Ibid. Nous le verrons dans le chapitre suivant, mais nous pouvons déjà comprendre pourquoi le terme d'Ikigai était largement
employé à cette époque tant dans la politique des entreprises que dans celle des syndicats ouvriers, en essayant de donner le sens

au travail des salariés.

143 Matsui, 1977 : 76.

social déjà établi en milieu rural144.

Ensuite, dans le prolongement de la Réforme agraire, la politique de défrichement a été mise en oeuvre par la vente et le rachat nationaux de terrains cultivables antérieurement possédés par l'Etat impérial ou les propriétaires terriens absentéistes145. Ces terrains ont été défrichés par de nouveaux cultivateurs appelés « nyûshôku-sha (littéralement parlant, `colons') ». Les terrains ainsi défrichés ont atteint 22% de la surface agricole totale utilisée auparavant146.

Ces nouveaux cultivateurs ont souffert du manque de denrées alimentaires et de mauvaises conditions de leurs terrains jusque vers 1952 - 1953147. Les anciens foyers agricoles n'ont pas connu une situation de famine aussi grave que celle que subissait la population en général. Au contraire, ils ont bénéficié de l'« inflation rurale (nôson inhule) » en raison d'une hausse du prix des denrées alimentaires de base telles que le riz, le blé et la patate douce.

Cette décennie était une époque marquée par l'augmentation de la production pour le rationnement et le contraste entre la souffrance et la pauvreté des nouveaux cultivateurs, habitants des nouveaux quartiers, et le bénéfice des anciens foyers agricoles, habitants des anciens villages, grâce à leur production pour le rationnement148.

Réforme agraire

La politique de la Réforme agraire fut mise en oeuvre au niveau municipal par un système complexe de régulation avec l'instauration d'une « commission agraire (nôchi iinkai) » composée par des propriétaires, des fermiers élus par suffrage communal, ainsi que des villageois et des fonctionnaires locaux etc. Puis, l'Etat a racheté et redistribué aux cultivateurs les terrains dont la disponibilité avait été réglée par cette commission.

Dans le cas de la Ville de Toyota, cette réforme a eu un très bon résultat. La surface totale des terrains rachetés par l'Etat dans la réforme est de 1756.7ha, soit 32.7% de la surface agricole totale de la Ville, et 6578 foyers agricoles ont reçu ces terrains ainsi libérés149. En moyenne, 79.8% des terrains cultivés en fermage ont été rachetés par l'Etat et revendus aux fermiers150. En 1950, le taux des terrains en fermage est passé de 38% à 9%. (Au niveau national, il est passé de 46.2% à 13.1%) Dans la Ville de Toyota, malgré quelques résistances de la part de propriétaires, l'objectif de la création des cultivateurs propriétaires a été presque atteint par la coopération de la majorité des fermiers et des propriétaires151.

Mais, l'auteur relève un point de paradoxe de cette réforme à partir du cas de la Ville de Toyota. En réalité, la plupart des propriétaires terriens qui ont dû libérer leurs terrains, n'en avaient que de petite taille. Les propriétaires ayant libéré moins de 0.5ha occupaient 64.4% du nombre total des propriétaires ayant libéré des

144 Ibid.

145 Ibid.

146 Ibid.

147 Ibid. : 76-77.

148 Ibid. : 77.

149 Ibid. 84

150 Ibid. 88 Les fermiers cultivant à plus grande échelle avaient tendance à recevoir plus de terrains.

151 Ibid. La « réussite » générale de la Réforme agraire japonaise dans l'immédiat après-guerre suscite diverses interprétations
possibles et de nombreux débats intellectuels chez les historiens, les politologues et les économistes etc. Certains rejoignent la

position de la politique américaine dominante en attribuant la cause de la réussite à l'initiative de MacArthur ayant voulu abolir le système agraire basé sur la relation propriétaire terrien - fermier en interprétant celle-ci comme subsistance du système féodal, et

ainsi le « démocratiser ». D'autres les contredisent en l'attribuant à la cause « culturelle » (ou plutôt « civilisationnelle ») en

insistant sur le fait que l'idéal de la réforme agraire existait déjà dans l'antiquité japonaise au 7ème siècle où fut réalisée, selon le

modèle de la dynastie chinoise Tang, une politique étatique de la distribution égalitaire des terrains agricoles au peuple (Calvet,

2002 : 71). Sur ce point, R. Calvet propose récemment divers points de vue historiques approfondis qui nous permettent de

relativiser ces deux points de vue extrèmistes. (Calvet, 2002) A notre égard, ces deux points de vue ne semblent ni basés sur la

réalité sociale et locale de la mise en oeuvre de cette politique au Japon, ni sur les besoins et l'initiative réels de la population

locale de l'époque. Pour comprendre la « réussite » de cette mise en oeuvre politique, nous devrions du moins prendre en compte

les besoins, les comportements et les représentations spécifiques et la relation sociale au sein des agents ayant participé aux

procédures dans lesquelles le rôle la Commission agraire était notamment important. Nous n'aborderons pas ici ce débat, mais nous
interrogeons plutôt les conséquences de cette mise en oeuvre politique sur la réalité sociale et locale, tant sur le court terme que sur

le long terme.

terrains, et ceux ayant libéré moins d'un hectare occupaient 86.7%. Puis, si les « propriétaires absentéistes » occupaient 40.6% de tous les propriétaires touchés par cette réforme, la plupart d'entre eux habitaient, en réalité, dans un village ou un bourg voisin de celui où se situaient leurs terrains, qui est aujourd'hui situé dans le même territoire de la Ville de Toyota. C'est pouquoi cette réforme a été mal reçue par ces petits propriétaires terriens. Et l'auteur ajoute qu'une bonne partie de ces terrains ainsi libérés ont dû être vendus lors du processus d'urbanisation après 1955. C'est pourquoi l'Etat a décidé en 1965 d'indémniser ces anciens propriétaires.

Après les procédures de la Réforme agraire, la « Commision agraire » s'est reconstituée, en 1951, en « Commision agricole (nôgyô iinkai) », chargée jusqu'à nos jours des procédures de la mobilisation des terrains agricoles telle que le remembrement, l'achat et le contrat de fermage. C'est elle qui donne aux particuliers l'autorisation finale au sein de l'administration municipale pour l'aquisition ou la location de terrains agricoles152.

Politique de défrichement

La politique de défrichement était promue par l'Etat dans le cadre de la Réforme agraire pour faire directement face à la crise alimentaire ainsi qu'au chômage causé par la défaite lors de la guerre153. En effet, les problèmes pour le Japon de cette époque étaient en premier la crise alimentaire, et en second le chômage causé par la défaite de la guerre ainsi que les soldats et les habitants de l'étranger rapatriés au Japon154. Ils ont été encouragés à être de nouveaux cultivateurs en recevant des terrains libérés par l'Etat qui appartenaient auparavant soit à des propriétaires terriens, soit à l'Etat impérial.

Dans la Ville de Toyota, en 1947, 434 nouveaux cultivateurs et 2588 anciens foyers agricoles au total ont participé au défrichement pour cultiver nouvellement 151 5.4ha soit 22% de la surface totale agricole du territoire de la Ville155. Ce fut donc un grand défrichement.

Les conditions d'admission des nouveaux cultivateurs étaient dans un premier temps, d'être chômeur, soldat ou habitant rapatrié. Mais au fur et à mesure que la crise alimentaire se stabilisa, la politique favorisa davantage les ex-agriculteurs revenants de l'étranger, les cadets ou les troisièmes garçons des fermes et les petits foyers agricoles etc156. Du coup, la moitié des participants au défrichement était des personnes originaires d'anciens foyers agricoles locaux, 41% étaient des chômeurs urbains et 9% étaient des soldats et des habitants rapatriés157. Les nouveaux cultivateurs étaient généralement jeunes : les personnes d'une vingtaine d'années occupaient 10.3% ; celles d'une vingtaine à une quarantaine d'années 78%158. 44.9% des nouveaux cultivateurs étaient originaires du territoire de la Ville de Toyota, et 22.8% originaires de l'extérieur du département d'Aichi. Si cette mesure avait tendance à être destinée aux cadets ou troisièmes garçons des foyers agricoles locaux ou aux petits exploitants, chaque quartier de cultivateurs appelé « frontière (kaitaku-chi) » était composé de personnes d'origines géographiques hétérogènes159.

Les nouveaux cultivateurs ont tous défriché sans recours aux machines agricoles. Leurs conditions de vie et celles des terrains agricoles étaient souvent défavorables jusque vers 1952, 1953 où la vie a commencé à se stabiliser. Mais, jusqu'en 1969, 151 .8ha des terrains défrichés ont été reconvertis pour la construction d'usines et d'habitats urbains, et 175 foyers de nouveaux cultivateurs ont quitté leurs quartiers pour aller travailler en tant que salarié non agricole160. Les terrains remis en friche augmentèrent également161.

152 Ainsi, la Commission agricole joue également un rôle important dans les procédures de l'entremise de terrains agricoles

assurée par le Centre Nô-Life.

153 Ibid. : 89

154 Ibid.

155 Ibid. : 90.

156 Ibid. : 95.

157 Ibid.

158 Ibid.

159 Ibid.

160 Ibid. : 93.

161 Ibid. Enfin, de notre point de vue, il serait intéressant de mettre en parallèle cette politique du « retour à la terre » des citoyens,

avec le Projet Nô-Life. Ces deux politiques s'inscrivent dans deux contextes sociaux extrêmement différents (famine et chômage

de masse d'un côté, crise agricole et retraite de masse de l'autre). Mais nous pouvons trouver une coïncidence entre ces deux

Augmentation de la production alimentaire

Si, à la fin des années 40, les nouveaux cultivateurs ont vécu la souffrance de la crise alimentaire pendant leur défrichement, la population des anciens foyers agricoles s'est efforcée à augmenter sa production pour le rationnement à la demande urgente de l'Etat162. Ces foyers ont largement pu bénéficier de l' « inflation rurale » suite à la grande hausse des prix alimentaires ainsi qu'à la montée des marchés noirs urbains163. Mais, dès que la crise alimentaire s'est stabilisée dans les années 50, les agriculteurs ont dû convertir leur production destinée rationnement en de nouvelles denrées commerciales164. D'où l'appellation de la période du début des années 50 « tournant de l'agriculture (nôgyô no magarikado)».

En fait, dès 1948, un journal local de la région de la Ville de Toyota annonça que le montant d'épargne des foyers agricoles de la région avait cessé de croître165. Et jusque vers 1953 - 1954, les foyers agricoles se contentèrent d'augmenter la production des mêmes denrées alimentaires de base pour le rationnement, dont le prix était assuré par l'Etat, et ne cherchèrent ni à introduire de nouveaux produits, ni à innover dans leur mode de production166. Cependant, dès que la crise alimentaire s'est stabilisée au début des années 50, et que l'Etat a cessé de contrôler la production du blé en 1952, que le prix des denrées alimentaires de base a cessé de monter, on commença à parler du « tournant » dans le monde agricole167. Des mouvements vers la spécialisation et la diversification des productions agricoles ont ainsi été amorcés avec la riziculture, les cultures maraîchère et fruitière, les vers à soie, les élevages (aviculture, porcs, vaches laitières etc).

Rapport important mais implicite entre ce « tournant » et la stratégie américaine

Relevons ici un point que l'auteur ne mentionne pas, mais qui nous semble important : il s'agit du rapport implicite, entre ce discours du « tournant de l'agriculture » et la conjoncture internationale de cette époque. En fait, le gouvernement japonais a commencé à importer le blé américain à partir de 1954, fameuse période de la surproduction mondiale de blé. C'est dans le cadre de l'accord MSA (U.S. and Japan Mutual Defense Assistance Agreement) que le Japon a accepté cette « aide alimentaire » en échange de l'acceptation de l'aide militaire américaine au Japon ainsi qu'au nom de la reconstruction économique du Japon168.

Ce tournant n'était donc pas sans rapport avec la stratégie mondiale de la politique américaine de cette époque. Selon Cl. Servolin, économiste agricole français, le blé et le maïs constituaient le plus important des marchés internationaux de produits agricoles, « tant par son volume que par son rôle stratégique169 ». Et l'origine de ce marché se trouve dans « le système de régulation agricole des Etats-Unis tel qu'il fut mis en place sous Roosvelt lors de la crise des années 30 et renforcé après la guerre et surtout après la Public law 480 de 1954170 ».

Dès les années 50, les excédents américains de céréales ainsi que ceux de soja ont été « impossibles à contrôler171 ». Dès lors, « le gouvernement américain a adopté une politique d'exportations massives à bas prix qui a été employée délibérément à des fins de stratégie politique générale en direction des pays en voie de

politiques dans le sens de la combinaison de la politique sociale urbaine et et de la politique agricole territoriale, en faisant appel

aux citoyens volontaires...

162 Ibid.

163 Ibid.

164 Ibid.

165 Ibid. : 107.

166 Ibid.

167 Ibid.

168 Suzuki, 2003 : 17.

169 Servolin, 1989 : 101.

170 Ibid. Servolin relève que le système américain de la régulation agricole ne ressemble pas à celui préconisé par le

« libéralisme », mais plutôt à celui du protectionnisme européen : « Contrairement à un préjugé tenace, l'agriculture américaine

n'obéit pas aux règles du « libéralisme » et est gouvernée par un système de gestion étatique très semblable à ce que nous

connaissons de ce côté de l'Atlantique »(Ibid.)

171 Ibid.

développement »172.

Et le Japon a accepté en 1954, en renouvellant l'accord MSA, les conditions fixées par le Public law 480 américain dont l'appellation officielle est « Agriculture Trade Developpement and Assistance Act »173 Une de ces conditions voulaient permettre au Japon d'utiliser une partie du bénéfice de la vente des produits américains effectuée à l'intérieur du pays, pour la reconstruction économique. Mais d'autres conditions permettaient également aux Etats-Unis d'utiliser une partie de ce bénéfice au profit de la campagne des produits américains dans le pays bénéficiaire, ainsi que d'offrir les produits américains sans contrepartie aux cantines scolaires174. Les pays qui ont conclu l'accord dans le cadre de cette loi avec les Etats-Unis, étaient l'Italie, l'Ex-Yougoslavie, la Turquie, le Pakistan, le Japon, la Corée, Taïwan etc175.

Selon cet accord, le gouvernement japonais a fait, avec l'aide américaine, une campagne massive pour « moderniser » et « améliorer » la vie alimentaire de la population japonaise en promouvant le style de vie alimentaire occidental par l'introduction du pain et du lait combinés avec les viandes, les oeufs cuisinés à l'huile, ainsi que les produits laitiers. Ce qui va radicalement changer le style de vie alimentaire des japonais de l'après-guerre. En effet, dans cette décennie de la « réforme de l'après-guerre », la vie alimentaire de la grande majorité de la population japonaise était encore basée sur le riz, les céréales, les produits végétaux et les poissons176.

1955-1965 : Naissance et formation de la Ville de Toyota

La deuxième décennie de l'évolution agricole et rurale est marquée par le passage de la production pour le rationnement dans le contexte de la crise alimentaire, à celle pour la commercialisation après la sortie de cette crise. Ce « tournant » du mode de production agricole a impliqué la diversification et la spécialisation de production agricoles vers le domaine de la riziculture, des légumes, des fruits et des élevages. Pour promouvoir ce nouveau type de production, l'Etat a également lancé une politique intitulée « mesures pour la nouvelle construction rurale (shin nôson kensetsu jigyô) » qui consistait à créer une série d'établissements dotés d'équipements pour la production et la distribution agricoles en commun au niveau des villages et des quartiers.

En même temps, la Ville de Toyota a commencé à connaître une grande concentration industrielle dans cette période. Ce qui a provoqué une absorption massive de la main-d'oeuvre agricole dans le secteur non agricole, et a ensuite généralisé la pluriactivité des foyers agricoles.

Si les contenus des productions ont changé de destination en s'orientant vers la commercialisation de manière de plus en plus spécialisée, les foyers agricoles ont parallèlement connu un affaiblissement important de leur main-d'oeuvre. En effet, la situation de pluriactivité s'est généralisée au sein des foyers agricoles quelle que soit la taille de leur exploitation et leur ancienneté. Ainsi, ils ont rapidement perdu leur main-d'oeuvre masculine et jeune, et les femmes et les hommes âgés sont alors devenus majoritaires au sein de la main-d'oeuvre agricole.

Et la modernisation agricole consistant en l'utilisation des machines agricoles (tracteur, moissonneur, batteur, pulvérisateur de pesticides etc) et des produits chimiques (engrais, pesticides), a favorisé à la fois le développement de la production de type marchand et l'avancement de la situation de pluriactivité grâce à cette simplification des travaux agricoles.

172 « C'est ce qu'on a appelé `l'arme alimentaire'. Ces bas prix sont rendus possibles par les faibles coûts de production, mais aussi

par les subventions versées par l'Etat fédéral aux producteurs » (Ibid.)

173 Suzuki, 2003 : 22.

174 Ibid. : 23.

175 Ibid. : 25.

176 Ibid. : 13-42.

Politique pour la production de type marchand : mesures pour la « Nouvelle construction rurale »

Les mesures pour la « Nouvelle construction rurale » a duré de 1956 à 1960 avant l'établissement de la Loi fondamentale de l'agriculture (Nôgyô-kihon hô) adoptée en 1961 177.

Les zones d'application ayant fait l'objet de cette politique, étaient dispercées de manière exhaustive dans le territoire de la Ville de Toyota178. Ceci à la différence des mesures pour l'Amélioration de la structure agricole qui visera, après 1963, des zones d'application de manière plus intensive et sélective. Ainsi, dans le cadre de cette politique, dans la Ville de Toyota, 65 projets ont été mis en oeuvre sur 45 quartiers dans le cadre de cette politique179. D'après l'auteur, cette politique avait non seulement pour objectif d'augmenter la production, mais également d'améliorer le système de la distribution, la gestion de production et les conditions de vie de la population agricole tout en renforçant leurs activités communes pour la production180. Parmi ces 65 projets, on peut noter la mise en place de centres de calibrage sur 29 quartiers, celle de centres de production en commun sur 27 quartiers et celle de machines à l'utilisation commune sur 4 quartiers181.

Mais l'échelle de cette politique était relativement basse au niveau financier182. Et cette politique restait « incitative » pour changer la production agricole destinée au rationnement. C'est pouquoi la réalisation de l'objetif de cette politique était finalement incomplet183.

Pluriactivité généralisée et affaiblissement de la main-d'oeuvre agricole

La concentration industrielle qui a commencé dans la Ville de Toyota à partir de 1955, a rapidement élargi son marché d'emploi. La population agricole a de plus en plus été absorbée dans les entreprises ou les travaux de construction comme journalier ou « homme de peine (ninpu) »184.

Evolution du nombre des foyers agricoles pluriactifs entre 1960 et 1965

 

1960 (Shôwa 30)

1965 (Shôwa 35)

Foyers agricoles au total

10 629

10 092

Foyers agricoles professionnels

2 932

877

Foyers agricoles pluriactifs
de la première catégorie

4 038

3 695

Foyers agricoles pluriactifs
de la deuxième catégorie

3 659

5 520

Foyers agricoles pluriactifs au total

7 697

9 215

(Ibid. : 427)

L'avancement de la situation de pluriactivité était considérable entre 1960 et 1965 : le nombre des foyers agricoles professionnels ayant diminué de 70.1% (de 2932 à 877), soit de 27.6% à 8.7% en pourcentage sur le nombre total des exploitations185. Alors que le nombre des « foyers agricoles pluriactifs de la première catégorie » a diminué de 8% (de 4038 à 3695), le nombre des « foyers agricoles pluriactifs de la deuxième catégorie » a augmenté de 50.9%, et passa de 34.4% à 54.7%186 . A savoir que les foyers agricoles pluriactifs de

177 Matsui, 1977 : 429.

178 Ibid.

179 Ibid.

180 Ibid.

181 Ibid.

182 Ibid. : 430.

183 Ibid. : 431.

184 Ibid. : 433.

185 Ibid. : 427.

186 Ibid. Le « foyer agricole de la première catégorie » et « [celui] de la deuxième catégorie » sont des termes spécifiques de la
statistique japonaise. Le premier désigne un foyer agricole où plus d'une personne parmi ses membres travaille à l'extérieur du

la deuxième catégorie sont devenus majoritaires à cette période. Et le pourcentage du nombre de tous les foyers agricoles pluriactifs sur le nombre total des foyers agricoles est passé de 72.4% à 91.3% (de 7697 à 9215)187.

Evolution des professions occupées par
les foyers agricoles pluriactifs entre 1960 et 1965

 
 

1960 (Shôwa 30)

1965 (Shôwa 35)

Foyers agricoles
pluriactifs salariés

Total

6 072

8 003

Employés permanents

1 562

2 236

Ouvriers permanents

3 593

4 040

Dekasegi

6

155

Hommes de peine
et journaliers

911

1 572

Foyers agricoles
Pluriactifs non salariés

Total

1 625

1 212

(Ibid. : 427)

En 1965, parmi les professions occupées par ces foyers pluriactifs, 86.8% sont des salariés188. La plupart de ces salariés pluriactifs vont au travail en résidant dans leur foyer agricole189. Pour le reste de la population agricole pluriactive, il existait en moyenne montagne des petites activités artisanales (ex. tissage aux moulins à eau) et forestières, ainsi que de petits commerces à la périphérie du centre-ville190.

Entre 1960 et 1965, le nombre total des foyers pluriactifs salariés a augmenté de 31% (de 6072 à 8003). Dans cette période, le nombre de foyers pluriactifs travaillant comme homme de peine ou journaliers augmenta considérablement (de 911 à 1572) ainsi que celui travaillant comme « employé permanent » (1562 à 2236), et celui tavaillant comme « ouvrier permanent » (3593 à 4040)191. Donc, parmi les foyers agricoles pluriactifs salariés, ceux qui travaillaient comme « employé ou ouvrier permanent » représentaient 68.1%. Ce qui montre un élargissement important du marché de l'emploi par la concentration industrielle192.

Par contre, le nombre des foyers dont des membres allaient travailler dans d'autres régions en tant que saisonniers, connus sous l'appellation fameuse de « dekasegi (travailleurs immigrants) », resta très bas dans la Ville de Toyota, même si nous constatons une augmentation nette du nombre de ce type de foyers entre 1960 et 1965 (de 9 à 155)193

Si en 1950, le taux de pluriactivité atteignait déjà 60% dans une zone de moyenne montagne, ce taux restait pour le reste du territoire de la Ville de Toyota, ce taux restait en moyenne d'environ 45%194. Mais en 1960, le taux moyen attint 70% sauf pour la zone du sud propice à la grande riziculture195. En 1965, l'avancement de la

foyer, et dont le revenu provenant des travaux à l'extérieur est inférieur au revenu agricole du foyer. Le second désigne donc les

foyers agricoles pluriactifs mais dont le revenu provenant des travaux à l'extérieur est supérieur au revenu agricole du foyer.

187 Ibid.

188 Ibid.

189 Ibid.

190 Ibid.

191 Ibid.

192 Ibid.

193 Ibid. A. Berque explique ainsi en 1973 le phénomène de « dekasegi » au Japon : « En chiffre absolus, ce sont les régions peu urbanisées qui faute d'emplois sur place, dépêchent vers les villes la plus grosse masse d'alternants ; c'est-à-dire qu'il s'agit pour beaucoup d'entre eux (le cinquième dans le Tôhoku) d'une migration à longue distance et d'une absence de six mois et plus. C'est

ce qu'on appelle le dékasegi, partir gagner sa vie ». D'où la situation de l'époque, qualifiée de la « prolétarisation du paysan

japonais » : « Si (...) on considère que les conditions dans lesquelles sont employés les alternants sont beaucoup plus mauvaises

que celles que l'action syndicale peut assurer aux ouvriers ou employés à part entière, et que leur milieu de vie est totalement

déficient (logement en hanba [bidonville en japonais], baraques sans eau, sans chauffage...), la prolétarisation du paysan

japonais apparaîtra incomparablement plus grave que chez nous : sans parler d'éventuels actes de piraterie (prélèvements d'intermédiaires marrons, etc.), il est inévitable que les foules qui se présentent régulièrement à l'embauche inévitable que les

foules qui se présentent régulièrement à l'embauche à la fin de la saison agricole soient employées au rabais. » (Berque, 1973 :

336)

194 Ibid. : 428.

195 Ibid.

situation de pluriactivité s'est généralisé : le taux moyen a atteint plus de 90% sans exception géographique196.

Concernant cette généralisation du taux de pluriactivité, nous le verrons plus bas, la mécanisation agricole de la riziculture a joué un rôle important. Ainsi, le taux moyen de pluriactivité de la Ville de Toyota (91.3%) a dépassé celui du département d'Aichi (86.2%) en 1965197.

Modernisation agricole et réorganisation territoriale de la production

Parallèlement à la politique nationale pour la promotion de la production destinée à la commercialisation, les trois types suivants de réaction des foyers agricoles sont apparus dans la situation de pluriactivité avancée198.

1 Avancement de l'état de pluriactivité \u8594æ diminution de la production agricole \u8594æ déprise agricole (datsunô-ka)

2 Exploitations familiales qui se lancent dans une production de type marchand comme une entreprise

3 Réorganisation territoriale de la production entre les foyers professionnels et pluriactifs

Le premier type d'évolution est le plus général. Le deuxième type d'évolution concerne des foyers agricoles qui gèrent leurs activités de manière autonome. Les foyers agricoles de ce type sont présents de manière dispersée sur le territoire de la Ville de Toyota. Le troisième type d'évolution s'inscrit dans la politique de la modernisation agricole axée sur la mécanisation et la simplification des travaux rizicoles.

Mécanisation agricole rapidement généralisée

Entre 1960 et 1965, la mécanisation agricole s'est rapidement diffusée dans le domaine de la riziculture. Pendant la guerre, sous la forme de l'utilisation communale, la batteuse à moteur (dakkoku-ki) et la machine à monder le riz à moteur (momizuri) avaient déjà remplacé la batteuse à pédale et l'urne pour monder le riz199. Ensuite, un herbicide dénommé « 24D » s'est diffusé dès la fin de la guerre200. Puis vers 1960-1963, un nouvel herbicide appelé « PCP » a remplacé le précédent vers 1960-1963201. Ce qui a libéré les paysans du travail le plus pénible dans la riziculture : le désherbage estival202.

Puis, la machine à sécher le riz s'est diffusée vers 1960, ce qui a causé la disparition du travail de séchage des grains de riz en hiver dans les cours de fermes203.

Vers 1963, le pulvérisateur de pesticides pour la prévention des maladies s'est généralisé204. Ceci en même temps que le remplacement du boeuf de labour par le tracteur, ainsi que celui du fumier par les engrais chimiques205. Ce qui a presque complètement libéré les paysans des travaux estivaux de la rizière206. Puis, vers 1965, le désherbage des bords des rizières a commencé à s'effectuer par la machine à faucher207.

Le tableau ci-après montre l'état d'avancement de la diffusion de la mécanisation agricole dans la Ville de Toyota. En 1960, si la possession individuelle du moteur et de la batteurse à moteur s'est diffusée au sein de 40 à 45% des foyers agricoles, l'utilisation du tracteur était encore minoritaire. Mais en 1965, la diffusion du tracteur était massive et rapide : 46.8% des foyers agricoles possèdaient soit un motoculteur, soit un tracteur.

La mécanisation agricole pour la riziculture diffusée entre 1955 à 1965 a favorisé à la fois l'avancement de la situation de pluriactivité, la production de type marchand et la réorganisation territoriale de la production

196 Ibid.

197 Ibid.

198 Ibid. : 445.

199 Ibid. : 446.

200 Ibid.

201 Ibid.

202 Ibid.

203 Ibid. Ce qui a, en même temps, fait disparaître le rôle de la cour de ferme.

204 Ibid.

205 Ibid.

206 Ibid.

207 Ibid.

agricole208

Situation de l'introduction des machines agricoles

1960

 
 
 

1965

Motoculteur, tracteur

Possession individuelle

667

4 725

Possession collective

14

126

Pulvérisateur à moteur
(en liquide)

Possession individuelle

271

1 108

Possession collective

62

96

Pulvérisateur à moteur
(en poudre)

Possession individuelle

70

99

Possession collective

67

9

Camionnette,
voiture à troie roues

Possession individuelle

267

827

Possession collective

6

32

Nombre total des foyers agricoles

10 629

10 092

(Ibid. : 447)

Riziculture collective

En 1957, la « riziculture collective (shûdan-suitô-saibai) » a été promue par un ingénieur agricole de l'Institut départemental de la recherche agronomique d'Aichi (Aichi Nôgyô Shiken Jô), dans le but d'augmenter la production rizicole209. Il s'agissait d'unifier les variétés de riz et les méthodes de culture, et ainsi d'uniformiser le calendrier agricole et de collectiviser les activités de production (fertilisation, traitements chimiques, irrigation etc)210.

Dans la Ville de Toyota, la riziculture collective s'est répandue dans la situation de pluriactivité généralisée211. Ceci de sorte à confier aux foyers professionnels la gestion de production et les travaux pénibles (labours, pulvérisations etc), alors que les femmes au sein de foyers agricoles pluriactifs ont uniquement fourni une aide pour la plantation du riz qui n'était pas encore mécanisée à cette époque212.

Mais au fur et à mesure que la situation de pluriactivité se généralisa, même dans les foyers agricoles professionels qui jouaient le rôle de « leader » parmi les producteurs locaux participant à la riziculture collective, ce type d'organisation de la production rizicole s'est rapidement effondré213.

Production commerciale à l'initiative de femmes au foyer agricole

A côté des rizicultures collectives, un type d'organisation de production particulier est apparu vers 1955. Il s'agit de femmes au sein de petits foyers agricoles pluriactifs qui se sont organisées au sein de la Coopérative agricole de Koromo,214 pour produire des légumes à la demande de la Coopérative de consommation de Toyota (Toyota seikyô), qui voulait les utiliser pour les cantines des ouvriers de l'Automobile Toyota215. En 1963, 30 000 plats par jour étaient préparés par la Coopérative de consommation de Toyota. Et la même année, 15 groupes composés par 184 foyers agricoles ont participé à cette production légumière216. A partir de cette année-là, alors que le nombre de foyers participants a progressivement diminué (120 foyers en 1968 ; 54 personnes en 1975), l'échelle de production par foyer a été agrandi.

208 Ibid. : 448.

209 Ibid.

210 Ibid.

211 Ibid.

212 Ibid.

213 Ibid. : 450-451.

214 L'ancien nom de la Coopérative agricole de Toyota.

215 Ibid. : 451.

216 Ibid. : 452.

Cette organisation de production montre une forme d'agriculture spécifique née dans le processus de l'avancement de la situation de pluriactivité dû au contexte de la concentration industrielle dans la Ville de Toyota entre 1955 et 1965.

1965-1975 : période de la Haute croissance économique

Pendant la troisième décennie, l'élargissement de la production industrielle a continué à absorber la main-d'oeuvre agricole217. Puis, l'urbanisation explosive qui l'a suivie, a dégradé des terrains agricoles218. Le nombre des foyers agricoles pluriactifs de la deuxième catégorie a augmenté de manière spectaculaire, et la production agricole a stagné219.

L'Etat a alors mis en place une série de nouvelles mesures de la modernisation agricole dictées par la Loi fondamentale de l'agriculture établie en 1961. Cette loi a déterminé l'objectif de la politique agricole centré sur l'accroisement de la productivité et du revenu agricole, afin que l'agriculture et les agriculteurs s'adaptent à la Haute croissance économique220, ainsi qu'au niveau de la productivité et du revenu des autres secteurs industriels221. Ses applications consistaient surtout à l' « agrandissement sélectif (sentaku-teki kakudai) ». Il s'agissait de la spécialisation de la production et de l'accroisement de la productivité, adaptés aux demandes du marché.

La mécanisation de la production rizicole s'est de plus en plus développée. Mais le domaine rizicole s'est rapidement heurté à la surproduction, et à la politique du contrôle de la production mise en place par la suite222.

Des productions agricoles à grande échelle apparurent de plus en plus dans les domaines de la culture maraîchère, de l'horticulture, des élevages et de l'arboriculture. On les considère généralement comme des « formes d'agriculture adaptées à la période de la Haute croissance223 »

Urbanisation et dégradation de la situation agricole Diminution des terrains agricoles

Les terrains agricoles de la Ville de Toyota fut considérablement détruits et réduits par la concentration industrielle entre 1960 et 1965 ainsi que par la construction des trois usines de l'Automobile Toyota entre 1965 et 1970224, puis par l'urbanisation résidentielle qui a suivi ce développement de l'industrie automobile225.

Si, depuis l'époque de la réforme de l'immédiat après-guerre jusqu'en 1960, la surface agricole a augmenté de près de 700ha (de 8000ha à 8700ha) dans la Ville de Toyota, elle a diminué de près de 3 100ha (soit 35.7% de diminution) au cours des quinze années de l'urbanisation qui ont suivi cette période226.

217 Ibid. : 551.

218 Ibid.

219 Ibid.

220 La période de la Haute croissance économique japonaise (Kôdo keizai seichô jidai) couvre généralement les vingt années

allant de 1955 à 1975.

221 Ibid. Voici l'article premier de cette loi: « L'objectif de la politique nationale relative à l'agriculture est, compte tenu de l'importance de la mission que l'agriculture et les agriculteurs ont pour notre industrie, notre économie et notre société : adapter immédiatement l'agriculture et les agriculteurs à la croissance de l'économie nationale ainsi qu'au progrès de la vie sociale de la nation ; ajuster ses désavantages dus à ses contraintes naturelle, économique et sociale ; accroître la productivité agricole afin de réguler son écart avec les autres industries ; augmenter le revenu des agriculteurs afin de l'équilibrer au niveau de celui des travailleurs dans les autres secteurs industriels. Cette politique envisage ainsi le développement agricole et l'élevation du statut

des travailleurs agricoles. » (traduit par le rédacteur)

222 Cette politique du Contrôle de production (seisan chôsei) est généralement appelée, avec une connotation négative, « politique

de réduction de la surface rizicole (gentan seisaku) ».

223 Ibid.

224 Usine de Kamigô en 1965 ; celle de Takaoka en 1966 ; celle de Tsutsumi en 1970.

225 Ibid. : 551.

226 Ibid.

Evolution de la surface agricole et du nombre des foyers agricoles
dans la Ville de Toyota entre 1950 et 1975

 

Surface totale
agricole

Surface
rizicole

Foyers agricoles
au total

Foyers agricoles
professionnels

Foyers pluriactifs
de la
deuxième catégorie

1950 (Shôwa 25)

7947

5153

10933

5696

2462

1960 (Shôwa 35)

8716

5682

10629

2932

3659

1965 (Shôwa 40)

8138

5584

10092

877

5520

1970 (Shôwa 45)

7191

5209

9529

648

6547

1975 (Shôwa 50)

5604

4227

8608

406

7565

(Matsui, 1977 : 552)

Aggravation de la situation de pluriactivité

Cette diminution de la surface agricole est non seulement due à l'industrialisation et à l'urbanisation, mais également liée à la diminution du nombre des foyers agricoles ainsi qu'à l'aggravation de la situation de pluriactivité227. Le nombre des foyers agricoles de la Ville de Toyota a diminué de 2325 foyers, soit 21.3% du nombre total, au cours de 25 années (entre 1950 et 1975), et de 1484 foyers au cours de dix années (entre 1965 et 1975)228. En même temps, le nombre des foyers agricoles professionnels ne comptait que 406 foyers, soit 4.7% du nombre total, alors que 87.9% des foyers étaient des pluriactifs de la deuxième catégorie229.

Dans la Ville de Toyota, de 1965 à 1975, la diminution du nombre des foyers agricoles et l'aggravation de la situation de pluriactivité accompagnées par la mécanisation et la simplification des travaux agricoles, sont allés de pair avec le processus de l'urbanisation.

La main-d'oeuvre agricole a diminué et vieilli, et s'est de plus en plus féminisée. Le nombre des « agriculeurs principaux (kikanteki nôgyô jyûjisha)230 » a diminué de près de 77.1% entre 1960 et 1975 (passant de près de 20 000 à seulement 4572)231. Alors que le nombre des agricultrices avait peu diminué entre 1960 et 1965, il a considérablement diminué entre 1965 et 1975232. Ainsi, si nous pouvions compter en 1960 un homme et une femme dans un foyer agricole comme « agriculteurs principaux », nous n'avions en 1975 que 0.2 homme et 0.3 femme de cette catégorie dans un foyer233.

Il s'agit de la féminisation et du vieillissement de la main d'oeuvre agricole. Près de 70% de la main-d'oeuvre agricole était féminine, et 53.3% des hommes avait plus de 60ans234. En bref, la main-d'oeuvre agricole de plus de 60ans occupait 35.4% du nombre total de la main-d'oeuvre agricole, et celle féminine de moins de 59ans occupait 50.7%. En fin de compte, dans la Ville de Toyota en 1975, 86.1% de la main-d'oeuvre agricole était âgée de plus de 60ans ou féminine235.

227 Ibid. : 553.

228 Ibid. Voir le tableau ci-dessus.

229 Ibid. Voir le tableau ci-dessus.

230 Terme spécifique de la statistique japonaise. Il désigne les membres des foyers agricoles qui travaillent constamment pour la production agricole.

231 Ibid.

232 Ibid.

233 Ibid.

234 Ibid. : 554.

235 Ibid. Ce phènomène de la féminisation et du vieillissement aigus de la population agricole a été appelé au Japon « agriculture

de trois-chan (3 chan nôgyô) ». Les « trois-chan » désignant : papie (oji-chan), mamie (oba-chan) et maman (oka-chan). Et A.

Berque explique également ce phénomène en 1973 : « si le vieillissement est commun à bien de nos compagnes [françaises], la féminisation est plus remarquablement japonaise : c'est ce qu'amèrement désigne l'expression de kâchan nôgyô « l'agriculture de maman ». Cette féminisation est particulièrement prononcée pour les couches d'âges de 30 à 60 ans, c'est-à-dire celles qui ont la charge d'un foyer. » (Berque, 1973 : 339)

Diffusion de l'extensification-simplification (shôryoku) des travaux rizicoles et du travail en entreprise (ukeoi)

En fonction de l'aggravation de la situation de pluriactivité, le mode de production rizicole a eu tendance à davantage se simplifier et s'extensifier236.

En 1975, le taux de possession du motoculteur ou du tracteur dans les foyers agricoles, était de 79.5% et le taux d'utilisation de 86.3%237. Cette diffusion du motoculteur et du tracteur a complètement mis fin à l'utilisation de boeufs de labour. Dans la même année, toutes les exploitations rizicoles de plus de 30ares possédaient au moins un motoculteur ou un tracteur238.

Suite à cette diffusion du motoculteur et du tracteur, les agriculteurs pluriactifs ont eu tendance à finir leurs travaux agricoles en peu de temps pour pouvoir aller travailler constamment à l'extérieur en tant que salarié permanent239. La machine à planter le riz, la moisonneuse et la moisonneuse-batteuse se sont diffusées quelques années plus tard. Ainsi, en 1975, il était rare de voir les agriculteurs faucher et planter le riz à la main.

Cette transformation du mode de production rizicole a été rendue possible par le développement de l'industrie mécanique réalisé pendant la Haute croissance, alors que l'extensification du désherbage et des traitements au cours de la décennie de 1955-1965, a été rendue possible par le développement de l'industrie chimique240.

La politique agricole nationale après 1970 a renforcé cette tendance de mécanisation en promouvant l'agrandissement d'échelle de production et l'introduction de grandes machines agricoles. Ainsi, nous le verrons plus bas, sont apparues des entreprises gérées par les coopératives agricoles, qui se chargent des travaux agricoles confiés par les foyers agricoles pluriactifs241. Et les silos et les grandes machines à monder et sécher le riz au sein des coopératives ont commencé leurs activités242.

Par ailleurs, dans les zones de moyenne montagne de la région de Mikawa243, les paysans menaient généralement une riziculture avec l'élevage de quelques boeufs pour le labour et la viande, en la combinant à l'élevage de vers à soies244. Puis, ils effectuaient leurs travaux forestiers et la production du charbon de bois pendant la période creuse d'hiver245. Mais face à la grande disparité apparue pendant la période de la Haute croissance entre l'agriculture et l'industrie, le déclin de l'élevage de boeufs et de vers à soie fut amorcé en raison de leur faible productivité246. L'agriculture traditionnelle en moyenne montagne de la région s'est ainsi effondrée247.

Transformation de la production agricole

Dans la troisième décennie, au niveau du prix de production, les élevages occupaient de plus en plus de place dans l'agriculture par rapport aux cultures végétales : élevages 34% ; cultures végétales 63.7%248. Parmi les cultures végétales, le poids du riz augmenta alors que celui de la production légumière baissa249. Le poids des cultures fruitières (kaki, pêche, poire, raisin) et de la culture spéciale (thé vert) n'était pas important250. Le

236 Ibid. Ici, l'extensification désigne celle du travail dite « rôdô no sohôka », mais non du capital (moyen de production).

237 Ibid. : 555.

238 Ibid.

239 Ibid. : 556.

240 Ibid.

241 Ibid.

242 Ibid.

243 Le nom de l'ancienne province qui couvre la Ville de Toyota et ses environs.

244 Ibid. : 558.

245 Ibid.

246 Ibid.

247 Ibid.

248 Ibid. : 564.

249 Ibid. Voici le poids du prix de production par domaine de production en 1975 dans la Ville de Toyota : riz 41.5% ; élevages

34.0% dont l'aviculture 20.2% ; légumes 13.2%.

250 Ibid.

poids des élevages de vaches laitières et de porcs était beaucoup moins important que celui de l'aviculture251.

En bref, mise à part les productions spécialisées et limitées à certains foyers professionnels (élevages, arboriculture, horticulture, légumes), l'agriculture de la Ville de Toyota était caractérisée par le fait que le poids de la riziculture était important grâce à la simplification du mode de production252.

Sinon, les productions qui connurent un important déclin ou la disparition sont : millets ; colza ; tabac ; racines comestibles (patates douces, taro etc) ; blé ; pois (soja, haricot etc)253. Puis, les cultures alternées avec le riz ont disparu254. De 1950 à 1975, si le taux de diminution des terrains agricoles était de 29.5%, celui de la surface récoltée était de 58.6%255.

Quant à la répartition géographique des productions, la zone du sud (Kamigô et Takaoka) était à dominante rizicole. D'autant plus que le nombre de foyers agricoles pluriactifs était important dans cette zone, se développèrent des entreprises agricoles qui se chargeaient des travaux agricoles confiés par ces foyers256. Il existait de manière dispersée des éleveurs, producteurs de thé, de fruits et de légumes257.

Dans une zone du Nord (Sanage), l'arboriculture spécialisée dans la pêche, le Kaki et la poire s'est développée258. Il existait également des zones d'élevages dans des quartiers défrichés pendant la période de l'immédiat après-guerre259.

Contrairement à ces deux zones, aux alentours de l'usine - siège de l'Automobile de Toyota à Koromo (construction en 1938) et de celle de Motomachi (construction en 1959), l'agriculture s'est effondrée suite à l'industrialisation et à l'urbanisation. Ceci malgré le fait que ces zones ont été défrichées par de nouveaux cultivateurs au cours de la période de l'immédiat après-guerre260.

Mais, entre les zones du Nord et du Sud, il y a des zones de caractère intermédiaire où des cultures rizicoles et légumières pour la commercialisation se sont développées de manière dispersée et individuelle261.

En moyenne montagne, comme nous l'avons dit plus haut, la situation des foyers agricoles a été rapidement envahie par la pluriactivité en raison de la faible productivité de leurs activités traditionnelles (petite riziculture, vers à soie, charbon de bois et bois)262 C'est pourquoi l'agriculture de type marchand ne s'est pas développée dans ces zones, et qu'une bonne partie de terrains agricoles de moyenne montagne se sont délabrés avec l'aggravation de la situation de pluriactivité263.

Ainsi, dans la Ville de Toyota, alors que généralement, l'agriculture a été dérangée par l'industrialisation et l'urbanisation, il y a une coexistence entre, d'un côté, des zones où se sont développées des productions de type marchand ou celles organisées de façon à s'adapter à la situation de pluriactivité, et de l'autre côté, des zones où l'agriculture s'est délabrée comme c'est généralement le cas dans des zones rurales dépeuplées264.

Politiques de la modernisation agricole

Dans la troisième décennie, l'agriculture de la Ville de Toyota a connu des dérangements et des transformations considérables. Face à cette situation, loin de les ignorer, l'administration a positivement accepté la politique nationale265. Il s'agissait de former des exploitations agricoles autonomes aptes à s'adapter à la

251 Ibid.

252 Ibid.

253 Ibid. : 565. Pour ce qui concerne le blé et le soja, ils ont évidemment été remplacés par le blé et le soja américains importés, auxquels s'ajoute également le maïs...

254 Ibid.

255 Ibid.

256 Ibid. : 568.

257 Ibid.

258 Ibid.

259 Ibid.

260 Ibid.

261 Ibid.

262 Ibid.

263 Ibid.

264 Ibid.

265 Ibid. : 589.

disparité entre l'agriculture et l'industrie, ainsi que d'aménager l'infrastructure de la production agricole266. Mesures de l'amélioration de la structure agricole

Comme nous l'avons vu, la Loi fondamentale de l'agriculture adoptée en 1961, visait l'accroisement de la productivité et l'augmentation du revenu agricole via la rationalisation de l'agriculture prétendant l'agrandissement d'échelle et à la spécialisation de la production agricole. Les Mesures pour l'Amélioration de la structure agricole (Nôgyô Kôzô Kaizen Jigyô) sont celles qui incarnent le plus l'esprit de cette loi. Elles consistaient à aménager l'infrastructure qui permettrait l'aggrandissement d'échelle et la spécialisation de la production agricole, ainsi qu'à construire des établissements modernes ayant pour objectif de collectiviser et d'organiser la production auprès de la coopérative agricole267.

Dans la Ville de Toyota, après 1963, ces mesures ont été réalisées dans six quartiers, en y construisant des établissements disposant de grandes machines et équipements agricoles (tracteurs, moisonneuse-batteuses, pulvérisateurs, centres de machines à sécher et monder le riz appelés « Rice center », silos appelés « contry elevator » etc.)268 La riziculture a fait l'objet principal de ces mesures. L'aménagement des terrains agricoles appelé « aménagement de l'infrastructure (kiban seibi) » consistant à remembrer les terrains agricoles auparavant morcelés, en sorte qu'une parcelle compte uniformément 0.3 ares. 325.6ha de rizières (soit 6.3% de la surface rizicole totale) ont ainsi été aménagés269.

A partir du moment où la coopérative a commencé à produire les plants de riz avec de nouveaux équipements, la machine à planter le riz s'est rapidement diffusée parmi les foyers agricoles. C'est-à-dire que, les agriculteurs désormais achetaient les plants de riz à la coopérative, plants préadaptés au dispositif de la machine, et ainsi ne produisaient plus leurs propres plants. Et le système des travaux rizicoles à forfait a encore plus libéré les foyers agricoles des travaux agricoles, ce qui les a davantage poussé à être pluriactifs.

Quelques critiques ont été émises sur ces mesures à propos de leur effet d'accélération de la situation de pluriactivité, ainsi que de l'aménagement de terrains rizicoles uniformisés au détriment des conditions naturelles du sol. Mais malgré toutes ces critiques, dans une situation de pluriactivité déjà généralisée et approfondie, cette politique de modernisation a eu sa légitimité au nom de la « conservation des terrains agricoles (nôchi hozen) » qui sont menacés de délabrement dans l'avenir270.

Suite à l'application de ces mesures, une nouvelle forme de gestion de production rizicole est apparue : système où les foyers agricoles confiaient leurs travaux rizicoles à des groupes d' « opérateurs » formés par la coopérative agricole disposant d'un ensemble d'équipements modernes pour la production, introduits dans le cadre des mesures de l'amélioration de la structure agricole271.

Dans la Ville de Toyota, onze opérateurs ont été formés au sein de la coopérative agricole de Toyota en 1963272. Mais l'organisation du groupe de ces opérateurs a eu des difficultés pour continuer ses activités. En effet, en 1975, neufs opérateurs ont quitté l'agriculture pour devenir salariés non agricole273. Du coup, la coopérative a dû recourrir à l'emploi temporaire de travailleurs agricoles pour organiser les activités de ce groupe.

Par ailleurs, en 1972, deux groupes d'opérateurs, composés par des agriculteurs professionnels locaux, sont apparus dans la zone rizicole du sud274. En collaboration avec la coopérative agricole de ce quartier ainsi que le Centre pour la vulgarisation agricole, ces deux groupes ont géré de manière autonome leurs travaux pour la production, en confiant la gestion financière à la coopérative275. En 1974, l'un des groupes composé de cinq

266 Ibid.

267 Ibid. : 590.

268 Ibid. : 591.

269 Ibid.

270 Ibid.

271 Ibid. : 592.

272 Ibid.

273 Ibid. : 593.

274 Ibid. : 594.

275 Ibid.

agriculteurs possédant individuellement 9.3ha de rizières au total, s'est chargé de la gestion de production entière de 39ha de rizières appartenant à d'autres foyers agricoles locaux276. Il s'est également chargé de travaux agricoles de manière partielle tels que le labour, le traitement, la récolte, la préparation de plantes etc277. Et l'autre groupe composé de sept agriculteurs possédant individuellement au total 11 ha de rizières, s'est chargé de la gestion entière de 33ha de rizières d'autres foyers agricoles, en effectuant des travaux partiels comme le groupe précédent278. L'échelle des activités de ces deux groupes a doublé en deux ans de 1972 à 1974279. Et leur slogan de départ pour lancer ces entreprises agricoles vers 1965, était « mouvement pour conserver la terre agricole (nôchi wo mamoru undô) » face à la situation aggravée de pluriactivité280.

Ces entreprises continuent leurs activités jusqu'à aujourd'hui (en 2006), et sont toujours considérées comme un célèbre modèle historique de la modernisation agricole dans la Ville de Toyota.

Mesures pour la formation des « ensembles » pour la modernisation agricole

Depuis 1970, le département d'Aichi a élargi la politique de la réorganisation territoriale de la production agricole dans d'autres domaines de production que la riziculture, tels que l'élevage, l'arboriculture, les cultures spéciales etc281. Il s'agissait de cibler des zones de production spécialisée comme des « ensembles (danchi) » voués à la modernisation agricole, et concentrer dans ces zones les infrastructures de production, de transformation et de distribution. Ceci consistait donc à construire des établissements dotés d'équipements modernes pour la production, la transformation et la distribution dans des zones où une production spécilalisée est particulièrement développée, telle que la pêche et la poire dans la zone du nord282. Cette direction du développement agricole appelée « structuration et systèmatisation de l'agriculture (nôgyô no sôchi-ka to shisutemu-ka) », est basée sur la considération suivante : la capacité d'adaptation des foyers agricoles individuels à la demande du marché, est limitée face au renforcement de la concurrence entre différentes régions à l'intérieur du Japon283.

De 1970 à 1972, dans la Ville de Toyota, sept zones de production ont ainsi été désignées comme « ensembles » pour la modernisation agricole284. Ces zones de production se spécialiseront chacune dans un type de production tel que : poulet ; vers à soie ; légumes (pastèque et chou chinois) ; oeuf ; poire ; pêche ; lait etc285.

Contrôle de la production du riz

Après 1965, la politique de la modernisation agricole « adaptée à la Haute croissance », et notamment destinée au domaine de la riziculture, s'est rapidement heurtée au problème de la surprodution du riz286. Ceci à la fois en raison de la baisse de la consommation du riz parmi la population japonaise, liée au changement de style de vie alimentaire, et du maintien du prix du riz assuré par l'Etat qui accepta la revendication agricole pour ce maintien du prix287. L'Etat a donc décidé de contrôler la production de riz dès 1970 par l'imposition de quotas de production288.

Dans la Ville de Toyota, 1 123.9ha de rizières au total (soit 22.5%) ont été mis en jachère par l'application de

276 Ibid.

277 Ibid.

278 Ibid.

279 Ibid. : 595.

280 Ibid. : 594.

281 Ibid. : 596.

282 Ibid. : 597.

283 Ibid.

284 Ibid.

285 Ibid.

286 Ibid. : 608.

287 Ibid.

288 Ibid.

cette politique en 1975289.

Cette politique a certainement accéléré la tendance de l'abandon de l'agriculture au sein des foyers agricoles, ainsi que celle de l'aggravation de la situation de pluriactivité. Elle a particulièrement eu pour effet de diminuer le sentiment de réticence vis-à-vis de l'abandon de la terre agricole au sein de la population agricole qui était liée au respect de l'acte de transmission du patrimoine familial assuré par leurs ancêtres290. A cette époque, il était déjà estimé que près de 850 ha de terrains rizicoles mis en jachère avaient peu de possibilités d'être recultivés plus tard291.

Désignation des zones réservées pour le développement agricole

En contraste avec l'ambition de la politique de la modernisation agricole lancée par la Loi fondamentale de l'agricultutre, comme nous l'avons vu, la surface agricole diminue de plus en plus dans le processus acceléré de l'urbanisation292.

La Nouvelle Loi de l'Urbanisme (Shin toshi keikaku hô), entrée en vigueur en 1969, a introduit la désignation de la « zone à urbaniser (shigaika kuiki) » et de la « zone d'urbanisation contrôlée (shigaika chôsei kuiki) »293 . Un nouveau plan d'urbanisme de la Ville de Toyota fut établi selon cette loi en 1973. De 1961 à 1974, 1225.8ha de terrains agricoles ont été convertis soit pour l'industrialisation, soit pour l'urbanisation. Cette tendance de conversion urbaine de terrains agricoles eut tendance à s'accélerer294.

Simultanèment à cette institutionalisation de l'urbanisation, l'Etat adopta en 1969 la « Loi pour les Zones réservées pour le développement agricole (Nôgyô chiiki seibi hô) ». Avec cette loi, chaque collectivité territoriale désigna, dans la zone d'urbanisation contrôlée, des « zones réservées pour le développement agricole (nôgyô shinkô chiiki) » afin d'y préserver les terrains agricoles et d'y développer l'agriculture. Et à l'intérieur de ces zones, la collectivité délimita des « zones vouées à l'utilisation agricole (nôyôchi kuiki) » dans lesquelles le type d'utilisation était limité à la production agricole au cours des dix années à venir295.

En 1975, la Ville de Toyota a ainsi désigné 5991ha de terrains agricoles comme « zones réservées pour le développement agricole » sur la surface totale des terrains agricoles de 7190 ha, et délimité 372 1ha (soit 51.8% de la surface totale) comme « zones vouées à l'utilisation agricole »296

Cette politique de zonage est effectivement articulée avec la politique de la modernisation agricole. En effet, les zones ainsi désignées par la collectivité correspondent à celles où s'appliquent les Mesures pour l'Amélioration de la structure agricole et la formation des ensembles pour la modernisation agricole.

Diverses formes d'agriculture : exemple de femmes de foyers agricoles pluriactifs, archétype de l'agriculture de type Ikigai ?

En dehors de la politique de la modernisation agricole axée sur la réorganisation territoriale et collective de la production, il existe divers types de foyers agricoles qui s'efforcèrent à développer des productions agricoles de type marchand en résistant à l'urbanisation brutale au cours de cette troisième décennie. L'auteur présente en

289 Les quotas étaient d'abord imposés par l'Etat à chaque département, et ensuite ils ont été imposés au niveau des collectivités territoriales (Ibid. : 611). L'Etat a attribué des subsides aux foyers agricoles pour l'application de cette mesure, afin d'indemniser la diminution de production (Ibid.). Le montant des subsides était de 25000 yens pour 0.1ares de jachère, 30000 yens pour 0.1ares de conversion de culture ordinaire et individuelle, 35000 yens pour 0.1 ares de conversion de culture spécialisée et collective (Ibid.). Cependant, les subsides pour la jachère furent supprimés en 1973(Ibid.).

290 Ibid. : 612.

291 Ibid. Ce chiffre correspond à la surface agricole en friche et en jachère d'aujourd'hui annoncée par la Municipalité de Toyota.

292 Ibid. : 618.

293 La désignation de terrains comme « zone à urbaniser » permet aux propriétaires de ces terrains de les convertir ou de les vendre via une demande auprès de l'administration municipale.

294 Pendant la période de la concentration industrielle (vers 1958 - 1961) le but des conversions de terrains agricoles était principalement industriel. Mais à partir de 1964, ceci a commencé à être de plus en plus résidentiel. Et après 1968, d'autres buts de conversions sont apparus de manière diverse tels que parking, chantier (Ibid. : 618).

295 Ibid.

296 Ibid. : 621.

détails huit exemples de tentatives agricoles individuelles. Il s'agit de diverses organisations de production agricole dont la plupart sont familiales et professionnelles (non pluriactives), plus ou moins spécialisées dans un certain domaine de production (légumes, fruits, thé vert, vaches laitières, poulets et porcs etc).

Sans tous les présenter, nous allons montrer un exemple particulier parmi ces huit exemples, qui nous semble lié à l'émergence d'une forme d'agriculture ni professionnelle, ni personnelle, mais dynamique. En fait, cet exemple nous renvoie à une forme d'agriculture « de type Ikigai » que nous mettrons en question dans notre étude de cas du Projet Nô-Life.

Nous l'avons vu plus haut, cet exemple est, en fait, le prolongement de la production légumière développée à l'initiative de femmes de petits foyers agricoles pluriactifs depuis 1955. Cette production légumière était organisée au sein de la coopérative agricole de Toyota avec 15 groupes composés par 184 foyers agricoles pluriactifs, à la demande de la Coopérative de consommation de Toyota qui géraient les cantines des ouvriers de l'Automobile Toyota. En 1975, 54 personnes continuaient à organiser cette production.

Dans le cas du quartier U, six femmes au foyer dont les maris étaient tous des salariés non agricoles, cultivaient chacune des légumes avec en moyenne 0.76ares de terrains de manière à alterner plusieurs cultures dans une année297. Les produits principaux étaient les radis blancs, les poireaux, les choux et les carottes, mais elles cultivaient également les pommes de terre, les choux chinois, les laitues, le persil, les courges etc298. Ces cultures étaient organisées en rotation complexe afin de pouvoir distribuer régulièrement des récoltes variées à la coopérative de consommation299. Les prix des produits étaient stablement fixés par la coordination entre la Coopérative de consommation de Toyota et la Coopérative agricole de Toyota300.

Les semences et les engrais étaient achetés en commun à la coopérative301. Et dans certains foyers, les paiements étaient prélevés sur le compte d'épargne des maris, alors que le revenu était versé à leurs femmes302. Ce qui fait que ces femmes pouvaient pleinement profiter du bénéfice de leur propre production ! Grâce à ce bénéfice, les femmes au foyer de ce groupe partaient en voyage une fois par an, ce qui renforçait leur lien de solidarité303. Elles pouvaient ainsi obtenir un revenu supplémentaire plus élevé que celui que l'on pouvait obtenir par un emploi à temps partiel non agricole. C'est ainsi que l'on a qualifié cette tentative agricole d'« agriculture de maman complètement gagnante (kâchan nôgyô marumouke) »304. Selon l'auteur, une « agriculture pour le plaisir (tanoshimi nôgyô) » a ainsi été organisée305.

Si cet exemple s'inscrit dans la situation généralisée de féminisation de la main-d'oeuvre agricole japonaise, il nous montre également une forme de production née de la situation spécifique à la Ville de Toyota. A savoir, une situation socio-économiquement hybride avec l'industrialialisation massive et rapide d'un côté et l'avancement de la situation de pluriactivité des foyers agricoles de l'autre. Et cette forme de production n'est ni traditionnelle, ni modernisée en fonction de la seule logique du marché, mais articulée avec un certain lien social et territorial ainsi qu'avec une cetraine qualité de vie des producteurs. Nous pourrions la considérer soit comme un « archétype » de l'agriculture de type Ikigai dont nous allons étudier l'émergence dans le processus de la construction du Projet Nô-Life dans le chapitre suivant, soit comme un « indice » de cette émergence.

4. Réflexions

297 Ibid. : 600.

298 Ibid.

299 Ibid.

300 Ibid.

301 Ibid. : 601.

302 Ibid.

303 Ibid.

304 Ibid.

305 Ibid.

Essayons de répondre aux questions posées au début du présent chapitre : Quel est le facteur historique de temps long de la politique municipale de la Ville de Toyota qui, pour construire le Projet Nô-Life, a problématisé ensemble le vieillissement de la population en majorité salariale, le manque de main-d'oeuvre agricole et le délabrement des terrains agricoles ?

Questions du vieillissement de la population et de la crise agricole

Concernant le vieillissement, il s'agit de la masse de population ainsi installée dans la Ville de Toyota pendant la Haute croissance qui atteint aujourd'hui l'âge de la retraite. Et la population de cette génération est particulièrement importante dans cette ville. Le vieillissement étant une thématique généralement mise en avant au Japon, elle prend un sens encore plus fort dans la Ville de Toyota. Mais ceci n'est pas sans rapport avec la question proprement posée à cette ville : celle de l'identité de la Ville. Nous reprendrons plus bas ce point en abordant la place de la question d'Ikigai.

Concernant la crise agricole, la préoccupation de la conservation des terrains agricoles face à la situation de délabrement, était également présente. Et nous avons constaté que cette préoccupation imprégnée de la situation de crise était même présente au coeur de la mise en oeuvre de la politique de la modernisation agricole après la Loi fondamentale de l'agriculture de 1961. Il s'agissait notamment des entreprises agricoles chargées de la gestion de terrains rizicoles confiés par les foyers agricoles pluriactifs dans la zone du sud de la Ville de Toyota. Le slogan que les agriculteurs de ces entreprises lancèrent à cette époque était déjà le « mouvement pour conserver la terre agricole (nôchi wo mamoru undô) ».

Cette situation est tout-à-fait compréhensible par rapport à la situation de pluriactivité profondément généralisée au sein des foyers agricoles dans la Ville de Toyota, à cette époque. Comme nous l'avons vu, de 1965 à 1975, le nombre des foyers agricoles pluriactifs de la deuxième catégorie, qui se cantonnaient beaucoup moins aux activités agricoles qu'à leur travail salarial, a atteint plus de 80% du nombre total des foyers agricoles. En plus, à cette même époque, le phénomène du vieillissement et de la féminisation fut dépassé : les jeunes femmes également commencèrent à aller travailler en dehors de l'exploitation familiale. D'où, à partir de cette période, le vieillissement total de la main-d'oeuvre agricole qui était déjà affaiblie auparavant. Le manque de porteurs de l'agriculture constitue également une préoccupation permanente de la politique agricole.

Mais, pour aller plus loin que ce constat de lien entre les faits, nous devons peut- être nous demander si les solutions apportées par la politique de la modernisation agricole étaient appropriées. Il s'agit des conséquences de cette politique productiviste instaurée depuis les années 60. Nous avons déjà vu que cette politique a eu pour effet d'aggraver la situation agricole derrière certains « succès » apparents comme la tentative des entreprises rizicoles à grand échelle et la spécialisation - agrandissement de l'arboriculture dans la zone du nord. Il s'agit de l'accélération de la situation de pluriactivité au profit de certaines productions agricoles « adaptées à la Haute croissance » et, d'ailleurs, de la Haute croissance économique elle-même. Conformément à ce que la Loi de 1961 dictait : l'adaptation impérative de l'agriculture et des agriculteurs à la Haute croissance économique japonaise.

En fait, à force de relégitimer son principe productiviste par référence à la Haute croissance économique, la politique agricole japonaise après les années 65-75 a eu pour effet de marginaliser les producteurs agricoles à faible productivité et rentabilité. Et cette marginalisation est au niveau « représentatif » au sens politique et théatral du terme. Autrement dit, la situation agricole a été représentée par cette politique de façon dualiste entre les producteurs forts et faibles (ou bons et mauvais) au cours de sa mise en oeuvre306.

Et cette politique, n'a-t-elle pas dénigré les fruits et les efforts apportés par la population agricole et locale dans l'immédiat après-guerre, pour la Réforme agraire et la politique de défrichement, au profit de la grande force de la Haute croissance donnnant la priorité aux industries fortes, à la grande urbanisation ainsi qu'à l'économie de marché ? Notre tâche n'étant pas d'évaluer l'effet de cette politique agricole, nous nous garderons

306 D'où, nous le verrons dans le chapitre suivant, le caractère très élitiste et sélectif de la politique préconisée par l'Ex-Centre pour la Vulgarisation agricole (acteur 5), tout en restant dans la vision productiviste instaurée par la Loi de 1961.

de répondre à cette question. Mais nous pouvons tenir compte de l'héritage de cette politique de la modernisation agricole pour nos analyses ultérieures dans les chapitres suivants.

Place de la question d'Ikigai

Par ailleurs, concernant la question d'Ikigai, autrement dit la mise en question du « sens de la vie » ou du lien entre l'individu et la société, même si elle n'était pas explicite dans notre illustration historique de 1945 à 1975, nous pouvons trouver certains « germes » dans l'histoire de la politique de la Ville de Toyota fortement ancrée dans la réalité de sa population. Il s'agissait toujours du rapport entre l'industrie automobile et la vie de la population ».

Déjà depuis 1950, lors du changement de statut du Bourg de Koromo en Ville de Koromo, le maire, dans son discours officiel, avait mis l'accent sur la « coopération » entre la zone industrielle, la zone commerciale et la zone agricole qui se trouvaient dans le territoire de la Ville de Koromo. Et en 1966, à l'époque où l'essor de l'industrie automobile et l'agransissement de la Ville étaient à leur apogée, la municipalité a choisi comme slogan « ville industrielle et culturelle » axée sur une politique locale de redistribution. Et en 1971, après toutes les fusions avec les collectivités environnantes amorcées depuis les années 50, son nouveau plan d'urbanisme a redéfini la qualité de la Ville de Toyota comme un « lieu de vie social et humain » plutôt qu'un « lieu de production .

Ne rejetons pas ces discours en les considérant comme simple rhétorique de la part des agents de la politique dominante se montrant favorable à leur population en majorité ouvrière - même si ceci est vrai -, l'imporant à notre égard est de trouver dans ces représentations de la Ville un « ancrage » ou une « signification » particulière à la réalité sociale et locale de cette ville.

Par là, nous pouvons évoquer les caractéristiques de la population de la Ville de Toyota qui ont émergé notamment dans les années 65-75 : habitations dispercées de la population nouvelle dans des résidences publiques construites autour des zones industrielles, mais éloignées des zones des anciennes villes et bourgs ; peu de lien territorial parmi cette nouvelle population et entre celle-ci et l'ancienne population ; diversité d'origines géographiques qui implique, dans une certaine mesure, un déracinement identitaire et une instabilité de vie. Nous l'avons vu, le nombre des départs de population était aussi important que celui des installations, notamment en raison de l'arrêt du travail dans le secteur automobile, en partie à cause du travail à la chaîne dévalorisant la qualité individuelle des employés.

Là nous comprenons la tentative incessante de la politique municipale de donner un sens ou une identité entre la vie de la population et la ville elle-même. Et cet acte visait toujours à combler le fossé entre l'intérêt de l'industrie automobile avec laquelle la Municipalité coopérait, et celui de la population. Nous pouvons dire que telle est la spécificité de la politique redistributive de la Ville de Toyota. Et la question d'Ikigai n'en est pas loin même explicitement, car, nous le verrons dans le chapitre suivant, ce terme était largement employé dans la revendication menée par le syndicat ouvrier de Toyota depuis le début des années 70.

La question d'Ikigai a donc une signification particulière entre la réalité et la représentation propres à la Ville de Toyota, qui implique nécessairement une dimension identitaire. Et par là, nous comprenons également que la question d'Ikigai qui est mise en avant aujourd'hui au Japon dans le contexte du vieillissement de la population, sera si aisément réappropriée et appliquée dans la politique municipale de Toyota. Ce qui aboutira, en fait, à la mise en oeuvre du Projet Nô-Life.

Et nous ne pouvons pas exclure de notre réflexion sur la question d'Ikigai, l'évolution du monde agricole et rural dans le territoire de la Ville de Toyota. Nous avons bien constaté que, parmi la population agricole pluriactive et affaiblie par le vieillissement et la féminisation, il y avait une nouvelle dynamique émergeante et constante : dans les années 50, plus d'une cinquantaine de femmes de foyers agricoles pluriactifs, s'organisèrent pour cultiver plusieurs sortes de légumes par rotation, et ensuite les distribuer aux cantines des ouvriers de l'Automobile Toyota, par l'intermédiaire de la Coopérative agricole de Toyota et de la Coopérative de consommation de Toyota. Elles réussirent à réaliser le lien entre leur solidarité menacée par la déprise agricole, le plaisir et une production agricole de type marchand. Nous verrons également dans le chapitre suivant que ce

type de production « dynamique » menée par la couche de population des foyers agricoles pluriactifs, essentiellement vieillie et féminine, sera progressivement prise en compte, dès les années 80, par la politique agricole locale comme « agriculture de type Ikigai » à valoriser dans une certaine mesure. Et dans le processus de la construction du Projet Nô-Life, nous verrons que cette « agriculture de type Ikigai » ainsi pratiquée et représentée, rejoindra la politique municipale d'Ikigai sur le vieillissement de la population. Par là, nous trouvons déjà que ce Projet n'est pas un simple produit de combinaison entre la politique du vieillissement et la politique agricole, mais également ancré dans une signification particulière qui est construite dans l'histoire de la Ville de Toyota après 1945, qui renvoie à l'identité de cette ville elle-même mise en question sans cesse au sein de sa population et sa politique.

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Chapitre II : Processus de la construction du Projet Nô-Life : émergence de l'agriculture de type Ikigai

Dans ce chapitre, nous allons analyser le processus de la construction du Projet Nô-Life aux niveaux des représentations et actions des acteurs concernés. C'est pourquoi nous posons les quatre questions suivantes.

1 Comment l'ensemble des actions concrètes pour la construction du projet a-t-il été élaboré par différents types d'acteurs locaux ?

2 Y-a-t-il eu, ces dix dernières années, des transformations des représentations de l'agriculture et de la ruralité dans le contexte de la construction du projet, dont notamment le vieillissement de la population urbaine et rurale ?

3 L'origine de l'idée centrale du projet, celle de « `Nô'(l'agriculture ou la ruralité) en tant qu'Ikigai (sens de la vie) » qui relie le problème du vieillissement à celui de l'agriculture et de la ruralité, est-elle plutôt descendante ou ascendante par rapport à la position des acteurs impliqués dans le processus concret de la construction du projet ?

4 Quelle relation fut établie entre acteurs à travers ce processus de la construction du Projet ?

Pour répondre à ces questions, nous allons analyser les comportements des différents types d'acteurs locaux impliqués dans le processus de la construction du Projet.

A cet effet, il faut tenir compte de plusieurs niveaux d'échelle comme l'Etat, le département, la municipalité etc. dans lesquels les différents acteurs peuvent s'influencer et interagir en jouant leur rôle dans ce processus. En se basant sur l'examen des discours et énoncés de ces acteurs recueillis lors de notre enquête de terrain, nous allons étudier leurs représentations, leurs modes d'actions d'implication et leur prise de position par rapport au Projet Nô-Life. La relation sociale entre ces acteurs, construite et mise en jeu à travers ce processus de la construction du Projet Nô-Life, va être mise en évidence à partir de cet examen, celle qui déterminera également la situation préstructurée du jeu d'acteurs à analyser dans le chapitre suivant.

1. Représentations, modes d'actions et prise de position des acteurs

Ici, nous allons retenir les 7 acteurs suivants qui étaient directement impliqués dans le processus de la construction du Projet Nô-Life :

1. Bureau de la Politique Agricole de la Municipalité de la Ville de Toyota (BPA)

2. Section de la Création d'Ikigai dans le Bureau Education permanente de la Municipalité de la Ville de Toyota (SCI)

3. Direction des Activités agricoles de la Coopérative Agricole de Toyota (CAT)

4. Bureau Départemental de la Politique Agricole (BDPA)

5. Section Amélioration - Vulgarisation du Bureau Départemental de l'Agriculture, de la Forêt et de la Pêche de Toyota-Kamo (Ex-Centre pour l'Orientation et la Vulgarisation agricoles de Toyota-Kamo : ECV)

6. Conseil Local de Toyota de la Fédération des Syndicats Ouvriers du Département d'Aichi (CLFS : Rengô Aichi Toyota Chikyô)

7. Groupement d'Arboriculteurs de Sanage pour l'Aide des Travaux Agricoles (GASATA)

Ensuite, pour chacun de ces acteurs, nous allons mettre en évidence le caractère général de l'acteur, celui des données examinées, les représentations de l'agriculture et de la ruralité dans le contexte du vieillissement au travers de leur propre mission, leur mode d'implication (actions) et leur prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life.

Acteur 1 : Bureau de la Politique Agricole de la Municipalité de la Ville de Toyota (BPA)

Caractère général de l'acteur

Le Bureau de la Politique agricole « Nô-Sei ka » en japonais, nous l'appellerons le BPA, attaché à la Direction de l'Industrie (Sangyô bu) au sein de la Municipalité de Toyota, est acteur principal du Projet Nô-Life en tant que co-gestionnaire officiel du Centre Nô-Life avec la Coopérative Agricole de Toyota (CAT). Si la Municipalité est initiatrice et titulaire de ce projet, le BPA est gestionnaire direct de ce projet.

Domaines de compétences

Le BPA est chargé de divers types de services administratifs locaux concernant l'agriculture dans le territoire de la Ville de Toyota.

Au sein la Municipalité de Toyota, il se divise en trois domaines de compétences internes en 2006 : Terrains agricoles (Nô-chi) ; Politique agricole (Nô-Sei) ; Administration agricole (Nô-mu). D'après de brèves explications données par Monsieur N, employé et responsable du Plan fondamental de l'Agriculture (Nô-gyô Kihon Keikaku, on l'abordera plus loin), les tâches concernant ces trois domaines sont comme les suivantes :

- Terrains agricoles : tâches relatives à la « Commission agricole (Nôgyô iinkai)307 »; Plan d'aménagement des « Zones réservées pour le développement agricole (Nôgyô Shinkô Chiiki) » ; Pensions agricoles (nôgyôsha nenkin) etc.

- Politique agricole : « Plan fondamental de l'Agriculture (Nôgyô Kihon Keikaku) » ; « Animaux nuisibles (Yûgai Chôjû) » aux activités agricoles ; « Système des Aides directes pour les Zones de montagnes (Chûsankan chiiki Chokusetsu Shiharai Seido) » ; « Echanges Urbain - Rural (Toshi sanson kôryû) » etc.

- Administration agricole : Soutien d'organisations agricoles ; régulation de la production (Seisan chôsei) etc308.

307 La Comission agricole (nôgyô iinkai) est un organe qui a pour fonction de donner une authorisation pour l'acquisition ou la location des terrains agricoles aux demanders de ces droits. Elle est principalement constituée par des agriculteurs représentants de la Ville et des administrateurs du BPA.

308 Puis, à ces trois domaines de compétences constituant le BPA, s'ajoute un autre bureau s'appellant le « Bureau de l'Aménagement des terrains agricoles (nôchi-seibi ka) » chargé de : chemins et canaux agricoles ; remembrement (men-seibi) ; enquête cadastrale (chiseki chôsa).

Sans entrer dans le détail de toutes ces fonctions, retenons que la caractéristique plus essentielle du BPA est que celui-ci est gestionnaire administratif et public des biens et des services agricoles. Il est notamment chargé de la gestion de tout ce qui concerne l'économie publique dans les domaines agricole et rural du territoire de la Ville (impôts, subsides, aménagements des biens fonciers etc)309.

Le BPA a, notamment en rapport avec les tâches relatives aux subsides, des rapports de collaboration avec une série d'agents administratifs et publics de plusieurs niveaux : Ministère de l'Agriculture, de la Fôrêt et de la Pêche (Nô-rin-Suisan Shô : niveau national) ; Bureau départemental de l'Agriculture, de la Fôrêt et de la Pêche se divisant en deux domaines de compétences : Politique agricole (BDPA : Bureau Départemental de la Politique Agricole) et Soutiens techniques (ECV : Ex-Centre départemental pour la Vulgarisation et l'Amélioration de l'agriculture). Puis, dans le secteur privé, le BPA est en collaboration avec la CAT et les agriculteurs qui constituent de nombreux « Groupements de producteurs (seisan bukai) » au sein de la Coopérative, spécialisés souvent à un produit agricole, et « Syndicats des affaires agricoles (nô-ji kumiai) » au sein des villages310.

Le Centre Nô-Life étant attaché au BPA, il y constitue un nouveau domaine de compétences indépendant depuis son inauguration en 2004. En effet, lors de l'établissement du Centre Nô-Life, le BPA l'a doté d'une nouvelle compétence nidépendante des trois domaines de compétences du BPA expliqués plus haut. Dans le Centre Nô-Life, les trois personnels suivants travaillent comme employés permanents et responsables des activités : Président, Monsieur K, employé du BPA qui était chargé de l'élaboration du Projet Nô-Life depuis le début en 2001 ; Vice-président, Monsieur KH, également employé du BPA sous la direction de Monsieur K ; Vice-président, Monsieur KM, employé de la CAT, sous la direction de Monsieur S, directeur de la Direction des Activités agricoles311.

Bref historique de l'établissement du Centre Nô -Life

Le Centre Nô-Life s'est constitué en plusieurs étapes successives depuis cette dernière décennie. La vision d'origine de son projet remonte au 1996, l'établissement d'un premier plan décennal de la politique agricole municipale de Toyota : « Premier Plan fondamental de l'Agriculture de Toyota (Daiichiji Toyota-shi Nôgyô Kihon Keikaku) » (nous l'appelons ici le `Plan de 96'). Ce plan décennal est susceptible d'être en vigueur jusqu'à l'année 2005-2006312. L'idée qui a fondé la conception du Projet Nô-Life, provient d'une nouvelle catégorie d'agriculture qui a été établie par ce Plan de 96 : celle de l'« Agriculture de type Ikigai (Ikigai-gata Nôgyô) » contrastant avec l'autre catégorie de l'« Agriculture de type industriel (Sangyô-gata Nôgyô) ». L'introduction de cette nouvelle catégorie d'agriculture a fait que la politique agricole de la Municipalité de Toyota se focalise sur une série de types de producteurs considérés, jusqu'alors, comme marginaux et surtout à faible productivité. Il s'agissait surtout des personnes âgées, femmes et salariés des foyers agricoles pluriactifs constituant une grande majorité de la population agricole de la région. Puis, le Plan de 96 propose, comme une mesure pour un développement de ce type d'agriculture, la « Conception de l'Ecole rurale (Nôson-juku Kôsô) »313. Nous examinerons plus loin pourquoi et comment ce Plan a formulé un tel nouveau projet.

309 Ces fonctions ont toutes un caractère historique qui dépasse largement le cadre administratif de l'époque moderne. En effet, il suffit de suggérer qu'au Japon, le système sur l'impôt immobilier sur les terrains agricoles existe depuis le Moyen âge, et surtout, qu'il a été réunifié et réorganisé au niveau national par le premier plan cadastral japonais instauré à la fin du 16ème siècleIl s'agit de la célèbre politique de l'« enquête foncière (kenchi) » de Hideyoshi TOYOTOMI, seigneur qui unifia le territoire japonais à l'époque féodale, appliquée pour que l'Etat réorganise et unifie le système de redevances annuelles basé sur le riz. Ce système s'est élaboré et perfectionné au cours de l'ère du Gouvernement d'Edo (Edo bakuhu) qui a duré de 1603 à 1867. Puis, l'administration « moderne » du Gouvernement de Meiji a rendu monétaire ce système de redevances. Aujourd'hui, ce sont les municipalités qui s'en chargent sous forme d'impôts immobiliers.

310 En milieu rural, un village, souvent appelé comme « Buraku (hameau) », constitue l'unité minimum de l'organisation territoriale. Il organise des mesures à appliquer collectivement aux foyers agricoles d'un même village par exemple celles pour le contrôle de la production rizicole.

311 Il s'agit de l'acteur 3. Nous avons interrogé Monsieur S.

312 Actuellement, le BPA et d'autres acteurs concernés sont en train d'évaluer l'évolution de l'agriculture de la région de la décennie déroulée après ce Plan et la situation d'aujoud'hui par rapport aux perspectives de ce plan, afin d'élaborer le deuxième plan fondamental qui remplacera ce premier plan dès l'année 2007.

313 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 17.

Puis, de 1998 à 2003, plusieurs nouvelles mesures ont été réalisées à l'initiative du BPA et d'autres acteurs partenaires dans le cadre de cette politique pour l'agricuture de de type Ikigai. D'abord, en se référant au modèle européan des « jardins familiaux » connu au Japon sous le nom allemand « Klein garten », se sont développées une série de mesures de « Jardins familiaux (Katei saien) » et « Jardins citoyens (Shimin Nôen) » à l'initiative de la Municipalité et de la CAT. En 2003, le nombre total de ces jardins était 24, et celui de parcelles 985 (dont 968 utilisées)314, dans la Ville de Toyota aussi bien dans les zones à urbaniser que dans les zones d'urbanisation contrôlée315. Puis, en 2000, en se basant sur les idées formulées dans la « Conception de l'Ecole rurale (Nôson-juku Kôsô) » formulée dans le Plan de 96, la Municipalité a commencé l'« Ecole de l'agriculture vivante de Toyota (Toyota Iki-iki Nôgyô-juku) » (on l'analysera dans la partie de l'acteur 3) en collaboration avec la CAT. Ce projet de la formation agricole était non seulement destinée aux producteurs agricoles de la nouvelle catégorie formulée par le Plan de 96, mais aussi aux personnes des foyers non agricoles, c'est-à-dire le public en général, dont notamment les retraités salariés du secteur automobile dans la Ville de Toyota.

Parallèlement, depuis 2000, un autre type d'initiative « non agricole » a rejoint ce nouveau mouvement de la politique agricole : l'initiative de mesures relatives aux problèmes dûs au vieillissement de la population. Cela notamment dans le cadre de mesures pour développer les activités d'Ikigai des personnes âgées parmi lesquelles comptent des activités de type agricole comme « Ferme-école pour les personnes agées (Kônensha Taiken Nôjô) » (Nous la verrons dans la partie de l'Acteur 2). Monsieur K, le président du Centre Nô-Life, a également participé dans l'élaboration de ce projet. Cette approche, à caractère urbain et engendrée par la thématique du vieillissement de la population, a poussé le processus de l'élaboration du Projet Nô-Life à partir de 2001316.

En s'appuyant sur ces initiatives antérieures, en 2001, le processus du démarrage du projet a officiellement été amorcé à l'initiative du BPA dans le cadre d'une politique agricole municipale pour la « Recherche et formation de nouveaux porteurs (aratana ninaite hakkutsu-ikusei) »317. Ensuite, à partir de la fin 2002, un plan pour la réalisation concrète du Projet Nô-Life a été ébauché, en concertation avec divers acteurs institutionnels agricoles et non agricoles au sein de la Ville de Toyota, sous un nom provisoire comme ceci : « Centre pour le soutien aux activités agricoles (Einô Shien Center) ».

Par la suite, en 2003, le BPA a effectué une enquête auprès de la population de la Ville sur la « Conscience sur l'agriculture de Toyota », afin de recencer le degré d'attentes au sein de la population de la Ville aussi bien agricoles que non agricoles, vis-à-vis des mesures de la politique agricole municipale. Cette enquête donna un résultat positif, ce qui apporta ainsi un élément de justification au Projet Nô-Life.

Enfin, comme dernière étape importante de démarrage du Projet Nô-Life, la Municipalité de Toyota a lancé plusieurs propositions de déréglementations juridiques au niveau foncier dans le cadre de la politique des « Zones spéciales pour la Réforme structurelle (Kôzô Kaikaku Tokku Seisaku) que nous appellerons ici la `Politique des Zones spéciales', politique nationale de déréglementation commencée depuis 2003 par le Gouvernement de M. Koizumi afin de relancer l'économie japonaise318.

Les propositions de la Municipalité consistaient notamment à la réduction de la « Surface minimum d'installation agricole (Shûnô Kagen Menseki) » de 0.4ha à 0. 1ha, une norme qui était imposée au Japon par la Loi agraire (Nôchi Hô) depuis son entrée en vigueur en 1952319. Cette déréglementation avait pour but de permettre aux personnes non agriculteurs / agricultrices d'utiliser (louant ou en achetant) plus facilement des terrains agricoles à partir de 0. 1ha dont leur surface dépasse largement le niveau de surface ordinaire de jardins familiaux ou citoyens où une parcelle ne compte généralement que 0.00 1ha à 0.01ha (0. 1a à 1a)

314 Ville de Toyota, 2003b.

315 Deux catégories foncières principales dans l'urbanisme japonais depuis les années 70.

316 Dans la partie de l'Acteur 2 de ce chapitre, on analysera comment ont été mises en relation l'idée d'Ikigai et des éléments de l'agriculture et de la ruralité dans l'évolution de la politique du viellissement mise en oeuvre à Toyota.

317 Bureau de la Politique Agricole de la Ville de Toyota, 2006.

318 Une nouvelle politique nationale de déréglementation de l'économie japonaise lancée par le gouvernement japonais depuis 2003. La méthode est originale : ce sont diverses organisations locales (collectivités, associations, entreprises, hôpitaux et même individus) qui peuvent librement proposer à l'Etat leur programme contenant des mesures de déréglementations. Les domaines d'application sont également divers : industries ; commerces ; services ; agriculture ; éducation ; médecine etc. Après avoir approuvé chaque programme, l'Etat effectue des déréglementations possibles selon ceux que propose le programme. Mais l'Etat ne donne pas de subside à l'organisme chargé d'exécuter le programme.

319 Ceci est juste après l'accomplissement de la Réforme agraire.

Caractère général des données

Afin d'étudier les représentations portées par le BPA pour démarrer le Projet Nô-Life, nous allons examiner quatre documents qui ont constitué les étapes préalables du démarrage du Projet Nô-Life320.

Premièrement, nous allons analyser le texte intégral du « Premier Plan fondamental de l'Agriculture de Toyota », le Plan de 96321.

Deuxièmement, on passera à l'analyse du texte intégral de l' « enquête sur la conscience sur l'agriculture de Toyota » que le BPA a réalisé auprès de 2500 propriétaires des foyers agricoles localisés dans la Ville de Toyota ainsi que de 2050 personnes employées dans la Ville de Toyota. C'est un rapport public et complet rédigé par le BPA sur le résultat de cette enquête. Cette enquête fut réalisée en collaboration avec le Conseil Local de Toyota de la Fédération des Syndicats Ouvriers du Département d'Aichi (CLFS), acteur 6 que nous analyserons plus loin, qui s'est chargée de la distribution du questionnaire auprès des 2050 salariés dans la Ville de Toyota.

Troisièmement, nous verrons le texte élaboré par la Municipalité de Toyota pour postuler à la Politique des Zones spéciales. Ce texte a principalement été préparé par le BPA en collaboration avec un agent du niveau départemental : Bureau Départementale de la Politique Agricole (BDPA), acteur 4 que nous analyseront également plus loin.

Par ailleurs, les brochures officielles du Centre Nô-Life distribuées chaque année au public, nous montreront la façon dont le Projet se présente au public322. Puis, nous nous servirons d'appui quelques explications données sur ces documents par Monsieur K, Président du Centre Nô-Life, Monsieur KH, vice-président du Centre-Nô-Life, ainsi que Monsieur N, employé du BPA, avec lesquels nous avons effectué nos entretiens individuels.

Représentations

« 2005 Toyota Agri-bility Plan »

Contextes d'apparition : imbrication de niveaux global et local, et bricolage d'idées et d'actions

D'après Monsieur N, avant l'apparition du Plan de 96, n'existait pas au sein de la Municipalité de Toyota, un tel plan qui présente une vision globale sur l'ensemble des mesures appliquées par la politique agricole municipale de Toyota. Selon l'explication ci-dessous donnée par ce plan, les contextes de son établissement sont marqués par une série de changements politiques nationaux suite aux « Accords relatif à l'agriculture » de l'Uruguay Round du GATT323 d'un côté, et de l'autre par l'aggravation de la situation locale de l'agriculture tels que le vieillissement de la main-d'oeuvre agricole, l'avancement de la situation de pluriactivité, la pression foncière urbaine de plus en plus accrue etc324.

320 Direction de l'Agriculture et de la Forêt (1996) ; Bureau de l'Agriculture et de la Forêt (2003) ; Ville de Toyota (2003a) ; Ville de Toyota (2003b).

321 Ce texte est produit par le BPA dont le nom était à cette époque « Direction de l'Agriculture et de la Forêt (Nô-rin bu) » de la Municipalité de Toyota.

322 Brochures officielles du Centre Nô-Life : Centre pour la Création de Nô-Life de Toyota, 2004 ; 2005 ; 2006a ; 2006b.

323 La négociation du GATT s'est déroulée entre 1986 et 1994.

324 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 1. « L'objectif du Plan : Le Plan fondamental de l'Agriculture de Toyota détermine les orientations de base du développement agricole et de la conservation des terrains agricoles de la futur Ville de Toyota, et ainsi systématise ces orientations comme mesures à développer d'ici pendant dix ans. On définit ces orientations comme principe des mesures de notre politique agricole. Ceci en tenant compte des changements interne et externe de l'environnement de l'agriculture comme l'opération de l'accès minimal du riz imposé par l'Uruguay Round du GATT et l'entrée en vigueur de la Nouvelle loi alimentaire, puis des problèmes comme le vieillissement de la population agricole, la situation où les foyers agricoles

Ensuite, le Plan indique deux changements politiques nationaux qui, suite à ces accords internationaux, étaient en cours au Japon à cette époque, en matière d'agriculture et de distribution alimentaire à l'intérieur du Japon. Il s'agit des deux éléments suivants : « Nouvelle direction des Politiques de l'Alimentation, l'Agriculture et de la Ruralité » présentée par le Ministère de l'Agriculture, de la Forêt et de la Pêche en 1992 ; « Lois sur l'Offre et la Demande des Alimentations principales et sur la Stabilité des prix : Nouvelle loi alimentaire » entrée en vigueur en 1994325. Le premier élément est une direction qui marqua un des premiers pas politiques visant la réalisation d'une réforme globale de la politique agricole japonaise qui va aboutir, en 1999, à l'étabilissement d'une nouvelle loi de la politique agricole : « Loi fondamentale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Ruralité (Shokuryô - Nôgyô - Nôson Kihonhô) ». Le deuxième élément est une loi adoptée en 1994 visant la libéralisation progressive du marché du riz à l'intérieur du Japon326.

Cependant, comme Monsieur N nous l'a suggéré comme ci-dessous, malgré les influences apportées par ces politiques, le Plan de 96 avait un caractère « anticipatif » de ce changement de la politique agricole nationale dans le sens où il mettait déjà l'accent sur des aspects se rapportant à la « multifonctionalité » et au « développement rural » qui ne sont pas uniquement préoccupés par le côté productif de l'agriculture. Monsieur N explique ainsi :

« A cette époque, petit à petit, il y avait des jardins citoyens et des jardins familiaux [dans le territoire de la Ville de Toyota]. Puis, émergeait une partie qui ne pouvait pas être déterminée uniquement par le côté productif de l'agriculture. Puis, c'était encore avant l'établissement de la nouvelle loi agricole : l'époque où l'approche du « développement rural » n'existait pas encore. A Toyota, dans un sens, on l'avait anticipé un peu... »

D'ailleurs, d'après Monsieur N, l'établissement d'un tel plan de la politique agricole au sein d'une municipalité n'est pas obligatoire. L'établissement du Plan de 96 nous semble être d'un côté une action encadrée par des cadres politiques supérieurs (international et national), mais d'un autre côté, une réaction spontanée à l'initiative de la Municipalité de Toyota et d'autres agents locaux en colloboration avec elle. Cet aspect d'anticipation nous évoque déjà la présence d'un certain contexte territorial où la Municipalité de Toyota avait besoin d'élaborer sa propre politique agricole à son initiative.

Eléments imposés par les Accords de l'Uruguay Round du GATT

Avant d'entrer dans le contenu du Plan de 96, parcourrons quelques éléments essentiels apportés par les politiques internationales et nationales citées plus haut, qui marquèrent une influence importante à la politique agricole de l'Etat japonais et celle des collectivités territoriales.

Les accords de l'Uruguay Round du GATT ont trois principes sur lesquels les accords entre pays membres portent : Accès aux marchés ; Soutien interne ; Subventions à l'exportation327. Et l'objectif principal consiste à orienter davantage le commerce des produits agricoles vers le marché. C'est ce qui nous semble renforcer davantage, au niveau mondial, la légitimité politique du principe de la recherche de la productivité dans le domaine agricole. Et cette recherche vise toujours à demander à l'agriculture d'être concurrentielle sur le marché.

Les accords sur l'Accès aux marchés ont d'abord imposé au Japon l'« accès minimal » au marché du riz. Ce qui poussa la politique japonaise à avancer la libéralisation (déréglementation) progressive du marché du riz à

sont de plus en plus pluriactifs, et l'augmentation de demandes foncières de type urbain suite au développement de l'urbanisation. Ce Plan tient également compte du Plan supérieur de la Ville de Toyota « Plan de la future Ville de Toyota du 21ème siècle (Toyota-shi 21seiki Mirai Keikaku) » et des autres plans concernés ».

325 Ibid. Il s'agit de « Atarashii Shokuryô - Nôgyô - Nôson Seisaku no Hôkô » et « Shuyô Shokuryô no Jukyû oyobi Kakaku no Antei ni kansuru Hôritsu : Shin Shokuryô Hô ».

326 Par cette libéralisation, les producteurs rizicoles ont eu le droit de distribuer leur riz par eux-même sans devoir les apporter à la coopérative agricole. En même temps, l'Etat est en train d'abolir sa politique du contrôle de la production rizicole ainsi que son soutien du prix de riz. Mais actuellement, au lieu d'inciter la réduction de production rizicole et la conversion de cultures avec des primes, les quotas de production sont imposés aux producteurs par l'Etat et la coopérative agricole.

327 OMC : http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/ursum_f.htm (site officiel)

l'intérieur du pays.

Tout en renforçant le principe de l'orientation du commerce des produits agricoles vers le marché international, les accords sur le Soutien interne ont également engendré certains types de mesures agricoles ayant le moins d'impacts possibles au commerce international dites mesures de la « Catégorie verte ». Cette partie des accords, exclue des objets de la « réduction » des mesures protectrices des Etats membres, laissa une place légitime aux mesures apportées par les « services publics de caractère général » dans les domaines concernant la recherche, la lutte contre les maladies, l'infrastructure et la sécurité alimentaire328.

A la différence des pays occidentaux, concernant le Japon, le domaine des subventions à l'exportation ne semble pas avoir beaucoup d'importance, car le Japon n'exporte guère ses produits agricoles.

Enfin, en prenant en considération le cadre des accords de l'Uruguay Round du GATT, nous pouvons considérer que le Plan de 1996 s'inscrit également dans le contexte de restructuration de « services publics » dans le domaine agricole comme mesures du « soutien interne relatif à l'agriculture ».

Eléments imposés par les réformes de la politique agricole nationale

La nouvelle loi agricole adoptée en 1999 au Japon mit en avant comme piliers les quatre éléments suivants : développement durable de l'agriculture ; développement rural ; distribution stable de l'alimentation ; multifonctionalité de l'agriculture et de la ruralité.

Elle est d'un côté axée sur l'aspect productif de l'agriculture, c'est-à-dire le renforcement de la compétitivité des producteurs japonais face aux internationalisation et libéralisation progressives du marché, d'un autre, axée sur les aspects non productifs de l'agriculture, encadrés par les termes comme « le développement rural » et la « multifonctionalité ».

D'autant plus que le Plan de 1996 a été conçu plus tôt que cette nouvelle loi de l'Etat, ce sont, nous semble-t-il, les reflets de la situation locale et spécifique à la Ville de Toyota sur ce Plan qui ont plus d'importance que les influences directes des contextes globaux. Nous relèverons plus bas les éléments de représentation spécifiques dans le contenu du Plan de 96.

Puis, on abordera notamment la question de l'origine du Projet Nô-Life : comme on l'a déjà évoqué plus haut, il s'agit de l'étabilissement d'une nouvelle catégorie d'agriculture par ce Plan de 96 : celle de l'« Agriculture de type Ikigai (Ikigai-gata Nôgyô) » contrastant avec l'autre catégorie de l'« Agriculture de type industriel (Sangyô-gata Nôgyô) » et celui de la « Conception de l'Ecole rurale (Nôson-juku Kôsô) » qui donnèrent des idées de base au Projet Nô-Life. Quels éléments de représentations de l'agriculture et de la ruralité peut-on trouver dans ces nouvelles catégories d'agriculture ainsi que cette conception d'un nouveau projet pour développer ce type d'agriculture ? Sont-elles liées aux idées relevant de la politique agricole globale (compétitivité ou multifonctionalité), ou à d'autres idées spécifiques à la politique agricole municipale de Toyota ?

Constat de la situation locale de l'agriculture

Le Plan de 96 présente d'abord un constat de la situation locale de l'agriculture de Toyota en terme de ses spécificités et problèmes. Puis, à partir de ce constat, il développe un ensemble de thématiques de l'agriculture de Toyota. Les spécificités de la situation locale sont présentées en quatre points suivants :

1 Développement d'une agriculture extensive basée sur la riziculture

2 Présence de diverses cultures spéciales (légumes, fruits, fleurs)

3 Composition des foyers agricoles dont la grande majorité pluriactive de la deuxième catégorie

4 Présence d'un grand bassin de consommation dans la ville et ses alentours329

328 Il nous restera à demander la position du Japon qui est à la fois un « pays développé » et « importateur net de produits alimentaires » à la différence des pays occidentaux, dans la négociation relative à l'agriculture au sein de l'OMC.

329 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 2.

Le premier et deuxième points montrent les types représentatifs de production agricole dans le territoire de la Ville de Toyota. Le premier point designe, en réalité, la riziculture à grande échelle gérée par des entreprises agricoles situées dans le sud de la Ville de Toyota330. Cette production rizicole est citée comme un rare exemple de la production agricole « compétitive » existant dans le territoire de la Ville de Toyota. Le deuxième point concerne également la présence de cultures spéciales qui sont compétitives sur le marché dont notamment la pêche et la poire produites dans une zone du Nord de la Ville de Toyota. Ce sont des produits « phares » de Toyota dont la spécialisation des cultures est très avancée, par rapport aux autres zones où la petite production rizicole reste souvent dominante. Ces productions fruitières ont développé et maintenu leur compétitivité sur le marché régional depuis les années 70331.

Contrairement à ces deux rares et « bons » exemples de l'agriculture modernisée de Toyota, le troisième point designe un aspect négatif mais dominant de la situation locale de l'agriculture de Toyota332. Ici, il faut remarquer que le Plan de 96 essaie d'accorder une valeur positive aux « femmes et personnes âgées » qui composent la plupart de la population de ces foyers agricoles pluriactifs en soulignant qu' « ils jouent un grand rôle en tant que porteurs de notre agriculture »333. Cette affirmation montre déjà une représentation particulière que la Municipalité porte de l'agriculture de son territoire. En effet, comme on le verra dans la partie de l'acteur

5 : ECV qui est un agent technique et agricole du département, les foyers agricoles pluriactifs, dont la majorité des personnes qui les composent sont des femmes et des personnes âgées, n'avaient pas grande importance dans le cadre de la politique agricole de « porteurs » généralement appliquée dans le secteur agricole au Japon. En fait, ils y sont ignorés et presque exclus des catégories cibles de cette politique334.

Puis, dans le quatrième point, le Plan repère la population urbaine de la Ville de Toyota et de ses alentours comme un bassin de consommation « potentiel » et important pour l'agriculture de Toyota. En évoquant la montée d'intérêts de consommateurs sur les produits agricoles et sur l'agriculture, il suggère que la Ville de Toyota a « des possibilités de développer une nouvelle agriculture qui sera directement liée aux consommateurs »335. Ce point montre également une tendance particulière de préoccupations portées par la Municipalité, qui visent, comme de nouveaux débouchés de produits agricoles de Toyota, des marchés à court circuit avec des produits diversifiés, plutôt que des marchés à longue distance avec des produits dont la spécialisation est très avancée comme le cas de la pêche et de la poire dans le nord de la Ville de Toyota. Cela marque également une différence par rapport à la politique agricole des agents de l'Etat ou du département, appliquée de manière sectorielle et généralisée.

Ensuite, les problèmes sont présentés en quatre points suivants :

1 Manque de successeurs et de nouveaux porteurs

2 Dispersion de terrains agricoles mis en location et augmentation de friches

3 Dimunition de la surface agricole due à l'avancement de l'urbanisation

4 Retard de la mobilisation des terrains agricoles, concentration de droits d'usage336

330 Nous avons vu dans le chapitre 1 l'historique de ces deux entreprises agricoles montées à l'aide de la coopérative agricole de Toyota les années 70. Aujourd'hui, elles gèrent au total plus de 200 ha de rizières.

331 Sur la couverture du Plan, on peut ainsi trouver des images de ces produits. Nous aborderons l'implication d'arboriculteurs professionnels de cette zone de production fruitière dans le Projet Nô-Life dans la partie de l'acteur 7.

332 Nous avons vu dans le chapitre 2 la situation généralisée de pluriactivité des foyers agricoles de la Ville de Toyota entre 1955 et 1975.

333 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 2.

334 Pourtant, si les femmes et les personnes âgées sont ignorées dans les catégories cibles d'agriculteurs à développer dans le cadre de la politique agricole sectorielle, on accorde de plus en plus d'importance, au cours de cette décennie, à ce type de personnes surtout dans le cadre des activités symboliques mais efficaces comme la vente directe de produits du terroir, animation locale etc. Et plus récemment, comme on le voit dans le Projet Nô-Life, les agents du secteur agricole comme la Coopérative agricole et l'Ex-centre pour la vulgarisation essaient de former les personnes d'origine non agricole comme les jeunes retraités du secteur automobile de la région. Sur cette évolution, voir la partie de l'Acteur 3, 5.

335 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 2.

336 Ibid. : 3

Le premier élément constitue un des thèmes majeurs du Projet Nô-Life (formation de nouveaux porteurs). Le Plan de 96 attribue la cause du manque de successeurs au fait que « diverses opportunités de travail existent pour les jeunes des foyers agricoles » et à « l'instabilité des revenus des agriculteurs due à la fluctuation de prix agricoles »337.

Le deuxième élément montre également que le Plan met en cause la dispersion de petits terrains mis en location sous forme de l'ancien fermage et l'augmentation de friches qui « empèchent la rationalisation de la gestion (agricole) », ce qui constitue également l'autre thème majeur du Projet Nô-Life (prévention et mise en valeur des friches agricoles). Il va de soi que ce problème d'abandon de terrains agricoles est lié au premier point : baisse de motivation des agriculteurs pour leur production agricole338.

Puis, dans le troisième point, le Plan met en cause non seulement la diminution de terrains agricoles dû à l'avancement de l'urbanisation, mais aussi le mode d'urbanisation qui est souvent du type « sprawl (en anglais) »339. Nous pouvons également y trouver une spécificité du Plan de 96 ainsi que celle de la politique agricole de la Ville de Toyota : il s'agit de place la politique agricole dans le cadre de la politique globale de la « Ville » - c'est-à-dire son urbanisme au sens large du terme - dont la majorité de la population non agricole. D'où la nouveauté de ce plan, et la spécificité de l'approche de la Municipalité qui réside à être un agent des services publics locaux.

Le quatrième point montre un aspect général de stagnation de la modernisation de l'agriculture qui consiste à tenter toujours de « rationaliser » les terrains agricoles via concentration de terrains par les producteurs à haute productivité340.

En tenant compte du constat précédent des spécificités et des problèmes, le Plan de 96 présente les thématiques en huit points suivants :

1 Soutiens aux porteurs (producteurs) à haute motivation

2 Développement d'une nouvelle agriculture péri-urbaine

3 Un développement agricole répondant aux demandes de consommateurs et exploration de nouveaux débouchés

4 Mesures sur les taxes successorales sur les terrains agricoles et les terrains destinés aux établissements agricoles

5 Avancement de la mobilisation de terrains agricoles et du droit d'usage, et du remembrement

6 Examen des mesures de la conservation de terrains agricoles mettant en avant leur multifonctionalité

7 Régulation efficace entre la conservation de terrains agricoles et l'usage urbain de terrains

8 Examen des mesures de la conservation de terrains agricoles face à la recomposition des foyers agricoles pluriactifs

Nous pouvons remarquer que ces huit points impliquent une série de nouvelles thématiques de la politique agricole de la Municipalité de Toyota :

- une nouvelle agriculture « péri-urbaine » liée aux demandes de consommateurs, et ses nouveaux débouchés (liées aux deuxième et troisième points)

- multifonctionalité (liée au sixième point)

- régulation entre la conservation des terrains agricoles et le mode d'urbanisme (liée au septième point) - mesures alternatives face à la recomposition des foyers agricoles pluriactifs (lié au huitième point)

Chacune de ces thématiques semble chercher d'autres types de solutions que les solutions de type productiviste et technique, face à l'aggravation de la crise agricole341.

337 Ibid. : 2

338 L'objectif principal du Projet Nô-Life est de lutter contre la friche via le contrat de fermage déréglementé. En effet, cela implique une mise en cause indirecte du système agraire japonais d'après la deuxième guerre mondiale : le système imposé par la Loi agraire (Nôchi hô) établie selon l'esprit de « jisaku nô shugi » que l'occupation américaine avait instauré. A expliquer dans le chapitre de l'histoire.

339 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 2.

340 Nous pouvons constater, dans la partie de l'acteur 5, cet aspect modernisateur de la politique agricole sectorielle.

341 Nous avons vu dans le chapitre 1 l'esprit productiviste de la modernisation agricole dans la Loi fondamentale de l'Agriculture (nôgyô kihon hô).

Enfin, le Plan de 96 résume en six points suivants les valeurs que l'on peut accorder aux deux thèmes majeurs : « développement agricole (Nôgyô Shinkô) » et à la « conservation des terrains agricoles (Nôchi Hozen) ».

1 Alimentation (Shoku) : lieux de l'offre de l'alimentation de bonne qualité dont la fraîcheur et la sécurité sont assurées pour les citoyens

2 Travail (Gyô) : importance en tant qu'une « industrie » en terme de l'emploi et de l'économie régionale

3 Environnement naturel (Shizen-kankyô) : espaces pour le maintien et la conservation de l'é co-système ; fonction de la conservationn de l'eau pour la prévention des désastres naturels, et pour atténuer le dégât des inondations

4 Environnement urbain (Toshi-kankyô) : lieux de l'offre d'un environnement agréable pour la ville ; espace ouvert(open space) en cas de désastres ; lieux de l'offre alimentaire en cas d'urgence

5 Ikigai - loisir (Ikigai - Yoka) : lieux de l'éducation sociale ; lieux dikigai et de la maintien de la santé des personnes âgées ; offrir des lieux d'activités de loisirs des citoyens pour un développement urbain équilibré

6 Sol (Tochi) : fonction d'un bassin pour une orientation organisée de futures demandes urbaines de biens fonciers

Là, on voit très clairement l'intention de la Municipalité de rejustifier sa politique agricole dans le cadre des services publics tout en essayant de redéfinir les valeurs de sa politique du développement agricole. Ainsi, y sont explicitées une série de nouvelles dimensions de la politique agricole comme indiquent les termes suivants, : « citoyen », « environnement », « urbain », « sociale », « santé et Ikgai des personnes âgées » et « loisir » etc. Et ces nouvelles dimensions s'inscrivent dans l'idée de la multifonctionalité.

« Grande ville rurale, Toyota » : thème fondamental. Une mise en relation entre la multifonctionalité et la ville.

Après le constat de la situation, le Plan présente son thème fondamental comme une nouvelle proclamation. Quelque peu ambitieux et idéaliste, il prononce audacieusement ses nouvelles idées. Citons ci-dessous le texte entier dont le titre est « Une grande ville rurale de Toyota soutenue par les agriculteurs de divers types à haute motivation, ainsi que les citoyens (Iyokuaru Tayô na Nôgyôsha to Shimin ni Sasaerareta Ooinaru Inakamachi-Toyota ) ».

« En se basant sur le point de vue de `Penser globalement, agir localement`, nous avons pour but de développer une agriculture contribuant au maintien et à l'amélioration de l'autosuffisance alimentaire, puis, une agriculture respectant les multifonctions d'intérêt public de l'agriculture et des terrains agricoles, qui s'ajoutent à la fonction de la production et de l'offre alimentaire stables, tels que l'environnement, le paysage, l'éducation, la culture, le bien-être et la santé-repos. A cet effet, nous allons rechercher et former les divers types d'agriculteurs à haute motivation comme les « agriculteurs de type industriel » et les « agriculteurs de type Ikigai » tels que les personnes âgées, les femmes des foyers agricoles, les retraités des salariés originaires des foyers pluriactifs. Puis, via diverses occasions d'échanges avec les citoyens qui sont susceptibles d'être supporteurs de l'agriculture, nous allons créer une perception commune sur le fait que l'agriculture et les terrains agricoles sont des biens communs qui fondent la vie prospère de l'ensemble des citoyens de Toyota y compris les agriculteurs. En s'appuyant sur la compréhension et la coopération mutuelles entre les agriculteurs et les citoyens, nous allons aider à faire développer, le plus possible, les diverses 'ability (compétences potentielles)' de notre agriculture et de nos terrains agricoles. Par ce plan, nous proposons la forme souhaitable de l'agriculture de Toyota pour 2005, c'est-à-dire la vision de notre future agriculture. »342

Relevons ici les trois dimensions suivantes marquant cette proclamation du thème fondamental du Plan de

96 :

342 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 4.

- idées provenant des niveaux internationaux et nationaux : autosuffisance alimentaire (sécurité alimentaire) et multifonctionalité

- nouvelles catégories d'agriculteurs / agricultrices : industriel et ikigai

- participation des citoyens aux activités agricoles : approche « bien commun »

Nous pouvons également, dans le « Schéma conceptuel » du Plan de 96 (voir l'annexe 4) présenté avec ce thème fondamental, que le Plan redéfinit sa politique agricole en interprétant les thèmes de la sécurité alimentaire et de la multifonctionalité d'un point de vue qui implique manifestement les dimensions locales des services publics, l'urbanisme et de la participation citoyenne. Et cette interprétation est exercée par une mobilisation d'idées émanantes de la situation locale et spécifique à la Municipalité de Toyota. Nous considérons ainsi ce type de réflexion qui intègre des idées imposées de niveaux supérieurs (globaux) et des idées émanantes de la situation locale et spécifique à l'agent concerné, comme une sorte de « bricolage » d'idées.

D'ailleurs, le fait d'intégrer les multifonctions de l'agriculture et de la ruralité, y compris la fonction de l'offre alimentaire, dans les dimensions de l'intérêt public (services publics), de l'urbanité et de tous les citoyens, semble y constituer une nouvelle identité de la politique agricole menée par la Municipalité de Toyota.

Agriculture de type industriel et celle de type Ikigai

Le Plan définit ainsi les deux catégories d'agriculture à développer comme piliers de sa politique.

- Agriculture de type industriel (sangyô-gata nôgyô) : agriculture de type entrepreneurial visant l'offre alimentaire

- Agriculture de type Ikigai (Ikigai-gata nôgyô) : (1) agriculture de type Ikigai visant l'offre alimentaire ; (2) agriculture de type Ikigai visant la protection de l'environnement plutôt que l'offre alimentaire.

Puis, sur base de la réalisation de ces piliers, il présente en cinq points suivants ses visions concrètes sur le développement agricole et de la conservation de terrains agricoles.

1 Un développement agricole mettant en valeur les fonctions d'intérêt public de l'agriculture et des terrains agricoles

2 Un développement agricole basé sur les diverses localités

3 Un développement agricole soutenu par les porteurs de divers types

4 Un développement agricole mettant en valeur les possibilités apportées par l'urbanisation

5 Aménagement de l'environnement des beaux villages ruraux et revalorisation et diffusion de styles de vie (Life style) enrichis par le « rural (nô) »

Le premier point réaffirme d'abord l'intérêt public que le développement agricole porte en se référant à l'idée de la multifonctionalité. Il s'agit là surtout de conserver les terrains rizicoles qui occupent 80% de la surface agricole totale du territoire de Toyota. Nous y trouvons une image montrant un paysage rizicole à grande échelle où une grande moisonneuse-batteuse effectue la récolte. Et le deuxième point affirme l'intention de développer une agriculture basée sur sa diversité régionale en montrant une image de paysage rizicole mais montagnard, qui fait contraste avec l'image précédente de la riziculture extensive. Le troisième point réaffirme l'idée de « divers types de porteurs (tayô na ninaite) » qui s'impliquent dans les activités agricoles. Il s'agit du principe que « non seulement des exploitations de type entrepreneurial et des foyers agricoles professionnels, tous les types de populations concernées par la production agricole s'impliquent dans l'agriculture avec Ikigai et plaisir »343 . Le quatrième point suggère la nécessité de s'adapter à la future urbanisation visant le développement d'une grande agglomération344. Le cinquième point affirme une intention de développer un aménagement rural mettant en valeur les « charmes et rêves (miryoku ya akogare) » que le public ressent de

343 L'image qui accompagne cette partie est une scène où des jeunes font leur stage chez une éléveuse de vaches laitières.

344 L'image montre un grand nouveau pont qui fut construit autour d'un champs maraicher.

plus en plus vis-à-vis de la ruralité tels que « beaux paysages ruraux, environnement non artificiel, une vie basée sur l'auto-production et l'auto-consommation, un style de vie accompagné par la nature ».

De ces points de vue là, le Plan développe davantage un autre schéma conceptuel du développement agricole dans le cadre de l' « aménagement de la ville (machi-zukuri) » pour une concrétisation de l' « harmonie entre les fonctions d'intérêt public et l'aménagement de la ville »345. Ainsi, un « sous-thème (sub theme) » est formulée comme suit avec le titre « Tranquilité et aménité dans l'aménagement de la Ville !! (Machi-zukuri ni Nodokasa to Kokochiyosa wo !!)

« Pour le futur aménagement de la Ville, est indispensable la création d'un environnement plein de tranquilité et d'aménité avec l'« eau » et le « vert ». Le fait de conserver les terrains agricoles de manière appropriée et de développer une agriculture saine selon ce Plan fondamental, va créer également un environnement valable pour les citadins avec l' « eau » et le « vert ». Il est attendu que cela va largement offrir une quiètude à nos citoyens. Ainsi, du point de vue du « rural (nô) », nous constituons ce sous-thème du Plan afin de contribuer à créer un bon environnement ainsi qu'à l'aménagement de la Ville de Toyota. »

Mesures concrètes de l'agriculture de type Ikigai et de l'« école rurale (nôson juku) »

Jusqu'ici, on a parcouru les idées que le Plan de 96 développe pour organiser les mesures pour le développement agricole. Ensuite, le Plan présente les mesures concrètes sur cinq points suivants qui reprennent les deux nouvelles catégories d'agriculture et les visions sur le développement agricole :

1 Développement de l'« agriculture de type industriel » adaptée à la nouvelle ère

2 Formation de porteurs à haute motivation pour le développement de l' « agriculture de type industriel »

3 Développement de l' « agriculture de type Ikigai » pour l'offre alimentaire

4 Développement de l' « agriculture de type Ikigai » pour la protection de l'environnement

5 Aménagement de l'environnement de la vie rurale

Sans entrer dans le détail de tous ces points, nous allons se centrer sur les mesures pour l' « agriculture de type ikigai », et notamment les mesures qui vont aboutir plus tard à la réalisation du Projet Nô-Life.

En fait, à cette époque-là, l'idée du Projet Nô-Life n'existait pas en tant que tel. Mais des idées ou des intentions se trouvent déjà concrètement dans les deuxième et troisième points. Il s'agit de l'établissement d'un système de formations de nouveaux agriculteurs aussi bien de type industriel que de type Ikigai. C'est là que se situe la « Conception de l'Ecole rurale (Nôson-juku Kôsô) » que le Plan de 96 présente dans la partie suivante. En fait, dans ce plan, l'ensemble du système de formation était envisagé plutôt dans le cadre de la formation de porteurs de l'agriculture de type industriel, avec une série de services pour les nouveaux agriculteurs tel que la consultation, l'information, l'aide aux investissements, l'entremise de terrains, l'apprentisage technique etc. Par contre, dans le cadre de l'agriculture de type Ikigai, on envisageait seulement d'établir un système d'apprentisage agricole destinés aux foyers agricoles pluriactifs y compris les retraités salariés de ces foyers. C'est pourquoi le Plan de 96 envisage d'« aménager les conditions et l'environnement qui permetteront aux agriculteurs âgés et retraités des foyers agricoles pluriactif de se mettre aux activités agricoles en pleine motivation »346. En effet, à cette époque, on ne ciblait pratiquement que la population des foyers agricoles (pluriactifs ) comme porteurs de l'agriculture de type Ikigai mais non les personnes des foyers non agricoles. Parce que, en raison de la réglementation de la surface minimum d'installation agricole, il était encore difficile de considérer comme porteurs de l'agriculture les personnes des foyers non agricoles qui ne possèdent pas de terrains agricoles. C'est pourquoi le Projet Nô-Life envisagera plus tard de mettre en place un nouveau système de formation agricole pour la population non agricole non seulement avec l'apprentisage technique mais également l'entremise de terrains, l'entremise d'emplois agricoles, la consultation etc.

345 Voir l'annexe.5.

346 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 12.

Puis, la différence entre l'agriculture de type industriel et l'agriculture de type Ikigai résidait, dans leur définition, aux filières qu'elles visaient. L'agriculture de type industriel désigne les productions spécialisées destinées au grand marché, tels que le riz, la pastèque, le chou chinois, certains fruits (poire et pèche), cetrtaines fleurs, le thé vert, les élevages et le bois. Tandis que l'agriculture de type ikigai vise essentiellement des productions polyculture dont les débouchés sont des marchés locaux, ce qui correspond à la « nouvelle agriculture péri-urbaine » que le Plan de 96 envisageait au début. C'est pourquoi le Plan de 96 envisage également un nouveau système de filière locale adaptée aux divers produits locaux, en collaboration avec diverses organisations locales telles que la coopérative agricole ; organisation de nouveaux groupements de producteurs de type Ikigai ; points de vente directe ; création d'un réseau de coopération avec les commerces de détail ; les consommateurs etc.

Cependant, pour que puisse se réaliser un système de formation de l'agriculture de type Ikigai destiné au public, cela devait prendre encore huit ans, c'est-à-dire jusqu'en 2004 où le Centre Nô-Life fut inauguré. Comme on l'a évoqué plus haut, pour arriver à cette inauguration, il fallait connaître plusieurs expériences tentées en colloboration avec la Coopérative agricole (« jardins citoyens » depuis 1998, « école vivante de l'agriculture » depuis 2000) et avec la Section de la Création d'Ikigai (« Ferme école des Personnes âgées » depuis 2002). Puis, une réforme de la Loi agraire qui réglementait, depuis son entrée en vigueur en 1952, l'usage des terrains agricoles avec la surface minimum d'installation de 0.4 ha347, ce qui constituait, surtout pour la population des foyers non agricoles, un grand obstacle pour envisager une utilisation formelle de terrains agricoles.

Quelques projets concrets

Par ailleurs, le Plan a prévu quatre projets concrèts suivants dont l'Ecole rurale faisait partie.

1. Aménagement d'un Parc rural (Nôson Kôen) par la méthode de Zonage (Zoning hôshiki ni yoru Nôson Kôen no Seibi)

2. Etablissement de l' Ecole rurale (Nôson Juku)

3. Développement d'un système de filière localisée pour la production polyculture (Jiba-ryûtsu-gata Tahinmoku-seisan-nôgyô no Tenkai)

4. Développement d'un système local et complexe de la gestion agricole respectueuse de l'environnement (Kankyô ni Yasashii Junkan-gata-chiiki-hukugô-keiei-nôgyô no Tenkai)348

En s'inscrivant au sous-thème du Plan de 96 consistant à un développement de l'aménité rurale, le premier projet envisageait d'établir un « Parc rural (Nôson Kôen) » censé intégrer les trois éléments suivants : jardins citoyens ; aménagement de l'environnement de la vie rurale ; Aménagement de l'environnement des beaux paysages ruraux349.

Monsieur K, président du Centre Nô-Life, était impliqué dans l'élaboration de ce projet jusqu'en 1999. Cependant, ce projet n'a finalement pas vu le jour pour des raisons que l'on n'a pas pu clairement vérifier au cours de nos enquêtes350. Pourtant, on a obtenu des informations dans nos entretiens, concernant une période creuse qu'ont connu des projets du Plan de 96 pendant quelques années après l'établissement du Plan en 1996.

En effet, d'après Monsieur KH, employé du BPA et vice-président du Centre Nô-Life travaillant avec Monsieur K dans le Centre Nô-Life, le Plan de 96 a dû se modifier, notamment par rapport à son premier slogan « Grande ville rurale, Toyota (Ooinaru Inakamachi-Toyota) » suite à une réclamation provenant du secteur

347 La surface minimu d'installation est fixé à 0.4 ha dans le cas de Toyota. En général, dans le territoire japonais, cette surface est fixée à 0.5ha sauf Hokkaidô où la surface est fixée à 2ha.

348 Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 16-18.

349 Voir l'annexe 6.

350 Monsieur K et d'autres acteurs qui étaient impliqués dans le projet, n'avaient pas voulu nous expliquer les causes de la suspension de ce projet. Autrement, à cette époque, Monsieur K pensait à réaliser ce projet par une méthode de coopération entre secteurs public et privé appellée « PFI (Private\u-243£Finance \u-243£Initiative) ».

automobile portant sur ce slogan. Des représentants du secteur de l'industrie automobile a réclamé que ce slogan proclamé par le Plan risquait d'aller à l'encontre du slogan permanent de la Ville de Toyota : celui de la « Ville de la voiture (kuruma no machi) ». Nous n'avons pas obtenu plus d'informations pour vérifier si la suspension du projet du Parc rural est liée à ce retrait du slogan du Plan fondamental 96. Sinon, il paraît que le maire de Toyota de cette époque n'était pas, en réalité, forcément favorable à l'égard de nouvelles mesures en matière de l'agriculture et de la ruralité, à la différence du maire actuel de Toyota, élu en 2004. Il s'exprime souvent son intérêt vif à l'égard de l'agriculture et de la ruralité dans ses discours, et encouragea ainsi le BPA à réaliser une série de mesures concernées. Bon nombre de personnes dont les employés du BPA et Monsieur K, ont reconnu que l'initiative de ce nouveau maire était importante pour pouvoir démarrer le Projet Nô-Life.

Puis, c'est après la suspension du Projet Parc rural que Monsieur K a commencé à s'impliquer dans d'autres projets qui seront liés au Projet Nô-Life notamment avec la CAT et la Section de la Création d'Ikigai (SCI).

Cependant, d'après Monsieur K, il prévoyait déjà, dans le cadre du Projet Parc rural, d'éventuelles possibilités de réaliser un système de formation agricole pour les citoyens. L'idée que les citoyens s'intègrent à la ruralité en se mettent réellement à des activités agricoles, était déjà présente chez lui à cette époque-là. Dans le Plan de 96, une grande image du Parc rural est présentée (voir l'annexe 7). Nous pouvons trouver dans cette image dessinée en double page, un ensemble d'éléments représentant l'agriculture et la ruralité de Toyota que la Municipalité de Toyota imaginait dans le cadre du projet du Parc rural. Cette image semble fortement marquée par l'idée de la multifonctionalité où la nature, les cultures diverses, les agriculteurs et le public s'intègrent dans un espace rural351.

Puis, le deuxième projet est l'Etablissement d'une Ecole rurale. En fait, ce projet avait été conçu par Monsieur S, directeur actuel de la Direction des Activités agricoles de la CAT, que l'on a également intérrogé. Il l'avait proposé, au début, sous le nom de « Second Life Academy Plan ». Nous allons aborder le contenu de ce plan dans la partie de l'Acteur 2 (Section de la Création d'Ikigai de la Municipalité) et l'acteur 3 (Direction des Activités agricoles de la Coopérative agricole). Son intention initiale était de créer de petites écoles où les femmes et retraités des foyers agricoles pluriactifs pourraient apprendre des méthodes culturales, afin de faire face au problème de manque de successeurs d'exploitations agricoles du territoire de Toyota. Monsieur S envisageait ce projet de formation uniquement pour les personnes originaires des foyers agricoles, à la différence de la Municipalité qui voulait orienter le Projet vers le « public » en général, c'est-à-dire tous les « citoyens (shimin) » de Toyota, quelque soit son origine (agricole ou non). C'est pourquoi dans le cadre de ce Plan, la Municipalité met l'accent non seulement sur la formation agricole, mais également sur d'autres thématiques susceptibles d'intéresser le public telles que l'échange entre citoyens et agriculteurs, et la sensibilisation aux thématiques de la politique agricole de la Municipalité (développement agricole et conservation des terrains agricoles). Un shéma conceptuel de l'Ecole rurale est ainsi établi par le Plan (voir l'annexe 8)

En se basant sur cette conception, plusieurs initiatives ont collaboré avec le BPA, comme on avait déjà évoqué plus haut : la CAT pour réaliser l'Ecole de l'agriculture vivante en 2000 et la Section de la Création d'Ikigai de la Municipalité pour réaliser la Ferme-école des Personnes âgées en 2002. Et Monsieur K, président du Centre Nô-Life, étaient impliqué dans la réalisation de ces deux projets.

Le troisième point concernant le projet pour le développement d'une filière locale de divers produits du terroir, envisageait de créer un réseau de coopération entre de nouveaux groupements de producteurs de type Ikigai, la coopérative agricole et ses points de vente directe, la Municipalité, les consommateurs et les

351 Nous trouvons dans cette image : riziculture en plaine où travaillent un couple et plusieurs personnes travaillent pour la moisson avec une petite moisonneuse-batteuse (gauche en haut) ; foyer rural et traditionnel où habite une grande famille (centre en haut) ; rizières en étage de moyenne montagne (droite en haut) ; vergers où le public vient en famille pour récolter les fruits (gauche en bas) ; ruisseau à la campagne où des enfants jouent à attraper les poissons (centre en bas) ; champs de thé vert où le public vient en famille aider la récolte (gauche en bas) ; grand panorama d'un paysage rural où sont intégrés tous les éléments des autres images, avec les montagnes, les forêts, les petites rizières, les habitations dispersées etc. (au centre).

commerçants de détail352. Le quatrième point concerne la création d'un système de « filière » de fumier via recyclage, réalisé dans un nouveau Centre de compostage, des déchets ménagers, vannure de riz provenant de la Coopérative agricole et déjections animales provenant des élevages353.

Principe de partenariat

Par ailleurs, le Plan établit comme ci-dessous, en vue de sa réalisation, un principe de partenariat public et privé notamment avec la Coopérative agricole, le Centre pour la Vulgaristaion, les agriculteurs et les citoyens.

Distribution des rôles dans l'application des mesures

Municipalité

: Saisir les contextes larges des niveaux national et international et présentation des visions du développement agricole de Toyota ; Saisir les projets départementaux et nationaux et examin des mesures propres comme compléments de ces projets ; Offre des informations sur les menus des mesures et des projets aux agriculteurs ; Sensibilisation du public à l'agriculture

 
 

CAT

: Jouer le rôle de coodinateur et producteur qui promeuvent les mesures et projets, en collaboration avec les agriculteurs et l'administration ; Soutiens directes aux agriculteurs du côté technique et économique

; Jouer le rôle de leader dans le développement agricole ; Jouer le rôle de coordinateur dans la mobilisation et la concentration de terrains agricoles ; Construction d'un système de distribution de l'alimentation, à la demande des consommateurs, dans lequel sont assurés la sécurité, la traçabilité et le bon prix.

 

ECV

: Saisir les projets départementaux et nationaux ; Divers soutiens concernant les domaines : technique, gestion, formation de porteurs, amélioration des conditions de vie et développement agricole

 
 
 
 

Niveau
territorial

: Agriculteurs (groupes liés par le lien au sol, dont les exploitations - porteurs sont principales). En tenant compte du fait que les acteurs du développement agricole et de la conservation de terrains agricoles sont toujours les agriculteurs, ils s'efforcent, positivement et spontanément, à stabiliser leur gestion agricole et améliorer leur productivité agricole.

Citoyens

: Compréhension de la nécessité de l'agriculture et de ses fonctions d'intérêt public ; Jouer le rôle de supporteurs de l'agriculture de Toyota en tant qu'aidants de travaux agricoles, ou consommateurs ; Jouer le rôle d'acteurs de la gestion de l'environnement territorial, de l'aménagement du territoire et de la ville

(Direction de l'Agriculture et de la Forêt, 1996 : 20)

Il est caractéristique que le schéma accorde la plus grande importance à la Coopérative agricole, en explicitant qu'elle est susceptible de jouer à la fois les rôles de « coordinateur », « producteur » et « leader » dans le développement agricole. Le rôle explicite de la Municipalité reste complémentaire dans ce schéma par rapport à la Coopérative agricole ainsi qu'aux agriculteurs, c'est-à-dire les acteurs du secteur agricole.

De ce fait, on peut remarquer un fort ancrage de la politique agricole de la Municipalité dans le secteur agricole, d'où son caractère à la fois public et sectoriel (économique, spécialisé et privé).

Quelques analyses du Plan de 96

L'établissement du Plan de 96 a joué un rôle primordial dans le processus de la construction du Projet Nô-Life. Il a d'abord établi un bilan de situation locale et historique de l'agriculture de Toyota, et à partir de ce bilan, formulé de nouvelles idées qui permettent au BPA (Municipalité) d'apporter des changements à leur politique agricole de façon à s'adapter, stratégiquement, à des facteurs externes et internes. Notamment, en anticipant même l'initiative de l'Etat, il a réussi à constituer, de façon légitime, deux grands cadres de la

352 Egalement, ce projet est progressivement réalisé par plusieurs initiatives avec un slogan qui est conjoint à la thématique de l'autosuffisance alimentaire. Ce slogan est : « produire et consommer localement (chisan-chishô) ». Depuis ces dernières années, ce terme est à l'air du temps au Japon. Ainsi, depuis lors, une série de projets ont été réalisé à Toyota. (ex. ouverture d'un magasin géré par la Coopérative agricole, qui est spécialisé aux produits du terroir de Toyota ; un nouveau groupement de producteurs d'Ikigai organisé par des anciens stagiaires de « l'Ecole de l'agriculture vivante » ; lancement du thé vert de marque Toyota en cannette etc.).

353 Cependant, la réalisation de ce projet n'a pas été non plus finalisée en tant que tel. (ex. Le centre de compostage n'a pas été construit.) Cependant, la Municipalité a établi une liste d'adresses d'éleveurs localisés dans la Ville de Toyota, qui produisent leur fumier à base de déjections animales de leurs bétails, qui est disponible au public depuis 2002.

politique agricole, qui sont propres à la Municipalité de Toyota :

- Intégration des thématiques globales dans les contextes locaux : autosuffisance alimentaire et multifonctionalité par l'introduction des nouvelles catégories d'agriculture : industriel / ikigai. Ces catégories sont susceptible d'intégrer non seulement toutes les couches de la population agricole, mais également la population non agricole.

- Paticipation citoyenne aux activités agricoles et rurales

Puis, on pouvait trouver, dans les représentations manifestées par le Plan de 96, un principe qui marque sa conhérence, et qui est inhérent au BPA (Municipalité) en tant qu'un agent du secteur public : logique des services publics qui poursuit toujours l'intérêt public (d'où l'autosuffisance alimentaire et la multifonctionalité), et qui est toujours « au service de tous » (d'où le recours à la participation citoyenne).

Ainsi, vers 2001, le BPA a amorcé le processus de démarrage du Projet Nô-Life selon le principe de partenariat, également établi par le Plan de 96, reliant la Municipalité à d'autres agents publics et privés. L'enquête réalisée par le BPA en 2003, auprès de la population de la Ville de Toyota, agricole et non agricole, va ainsi rejustifier ce processus de démarrage en tant qu'une politique publique.

Enquête sur la conscience sur l'agriculture de Toyota (Toyota-shi Nôgyô ni kansuru Ishiki Chôsa)

Contextes de la réalisation de l'Enquête

En 2001, la thématique de la construction d'un système de « Recherche et formation de nouveaux porteurs (aratana ninaite hakkutsu-ikusei) » fut mise en discussion. Et les trois années qui l'ont suivi, constituèrent la plus importante période dans les étapes pour la réalisation du Projet Nô-Life. Dans ce cadre de discussion, fut entamé l'examen des mesures relatives aux friches agricoles (Yûkyû nôchi) et à l'installation des agriculteurs de type Ikigai354. En 2002, plusieurs réunions officielles ont eu lieu sur cette thématique entre le BPA et des agents attachés au Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de la Forêt tant au niveau départemental qu'au niveau national355. Ces discussions portaient notamment sur l'application de la nouvelle politique nationale de déréglementation, la Politique des Zones spéciales, lancée en 2002 par le Gouvernement de M. Koizumi. Pour y procéder, le BPA devait surtout collaborer avec la Préfecture d'Aichi (dont le Bureau départemental de la Politique Agricole) qui est en charge des dossiers pour l'application de ce programme à toutes les collectivités territoriales du département. C'est en janvier 2003 que fut remise au Secrétariat du Gouvernement la première proposition de déréglementation de la Ville de Toyota pour le Projet Nô-Life à titre consultatif. Puis, c'est un an après la remise de cette demande (janvier 2004) que la « Zone spéciale pour la Création de Nô-Life (Nô-Life Sôsei Tokku) » fut approuvé avec les programmes complets du Projet Nô-Life.

Ensuite, en juin 2003 et janvier 2004, la réunion officielle pour l'établissement du Centre Nô-Life356 coordonnée par la Municipalité (BPA) et la CAT, et également avec la participation de divers agents locaux concernés tels que : entreprises locales ; syndicat ouvrier ; agriculteurs ; organisations agricoles ; chambre du commerce et de l'industrie ; associaion des chefs des quartiers ; Agence publique de l'Emploi ; Bureau régional du Ministère de l'Agriculture de Tôkai ; Département ; CAT ; Municipalité etc357.

Puis, l'« Enquête sur la conscience sur l'agriculture de Toyota » a été réalisée par le BPA, en collaboration avec un organisme local représentant des syndicats ouvriers du Département (Conseil local de la région de Toyota attaché à la Fédération des Syndicats ouvriers du Département d'Aichi). Cette enquête a été effectuée de juin à août 2003, en plein lancement du processus concret du démarrage du Projet Nô-Life. De ce fait, on peut d'ailleurs clairement voir, dans les explications de l'objectif de cette enquête, une série d'idées qui sous-tendent

354 Bureau de la Politique Agricole de la Ville de Toyota, 2006 : 2.

355 Ibid.

356 Sous le nom provisoire de ce Centre « Centre pour le soutien aux activités agricoles (Einô Shien Center) ».

357 Bureau de la Politique Agricole de la Ville de Toyota, 2006 : 2.

le Projet Nô-Life.

Objectifs de l'Enquête : idées héritées du Plan de 96. Vers une approche du « bien commun »...

Comme on l'a déjà expliqué plus haut, l'enquête a été effectuée auprès de deux types de population : 2500 chefs de foyers agricoles (Nôka no setai nushi) et 2050 travailleurs résidants dans la Ville de Toyota. Deux questionnaires différents ont été distribués à chacun de ces deux types de population358.

Le contexte et l'objectif sont expliqués de la manière suivante pour ces deux types de population :

« Objectif de l'Enquête : L'agriculture et les terrains agricoles ont un rôle important pour l'offre alimentaire. Et ces dernières années, il est reconnu qu'ils remplissent des fonctions multiples dans l'éducation, la santé, les échanges (communication), le paysage et l'aménagement de la Ville. Cependant, dans notre ville, la population agricole et les friches agricoles augmentent en raison du vieillissement de cette population et du manque de successeurs. Pour freiner l'aggravation d'une telle situation, il est nécessaire d'avoir un mécanisme de formation de nouveaux porteurs, et de mise en valeur des friches agricoles. Cette enquête a pour but d'étudier le mécanisme, les systèmes, les établissements nécessaires pour les personnes non agriculteurs qui se mettent réellement à des activités agricoles. Par ailleurs, sont mentionnés dans les questionnaires les éléments suivants : la forme de distribution des produits agricoles ; la conscience des consommateurs sur la traçabilité et la sécurité alimentaire ; l'idée de `produire et consommer localement' susceptible de augmenter le taux de l'autosuffisance alimentaire. Nous avons pour but de faire du résultat de cette enquête une donnée de base pour examiner le mode de développement agricole d'une nouvelle ère359. »

Puis, pour les chefs des foyers agricoles, l'objectif spécifique du questionnaire est « de saisir ce que pensent et souhaitent les foyers agricoles possédant les terrains agricoles et de se servir de ces données pour élaborer des mesures efficaces à la prévention des friches agricoles360». Et concernant les travailleurs : l'objectif est de « rechercher des possibilités où les salariés d'entreprises n'ayant pas actuellement de rapport avec l'agriculture, deviennent de nouveaux porteurs de l'agriculture après leur retraite361 ».

Là, on voit clairement que cette enquête s'inspire de l'essence des idées qui ont été développées dans le Plan de 96 : lier les thématiques globales de l'agriculture et de la ruralité (autosuffisance et multifonctionalité) aux mesures concrètes de prévention des crises locales de l'agriculture (friche et manque de successeurs - porteurs), par l'introduction de deux nouvelles catégories d'agriculture : industrielle et ikigai. Et cette enquête recherche également les degrés d'attentes vis-à-vis de ces mesures de prévention, des deux côtés des populations agricole et urbaine (dont les foyers agricoles pluriactifs peuvent faire partie de ces deux catégories de population, en même temps).

Enfin, il est intéressant d'ajouter que, dans la couverture utilisée pour le questionnaire destiné aux travailleurs, on explicite l'idée de considérer l'agriculture et les terrains agricoles comme bien commun. Ainsi, après l'explication sur la multifonctionnalité de l'agriculture et l'aggravation de la situation agricole, il est noté comme suit : « ... pour freiner une telle aggravation de la situation, et développer l'agriculture de notre ville pour les générations futures, il est nécessaire d'avoir la coopération et un haut degré d'intérêt de chacun de vous les citoyens, basés sur une perception que l'agriculture et les terrains agricoles constituent un bien précieux pour l'ensemble des citoyens »362.

Analyses du résultat et conclusions faites par le BPA

358 Pour les chefs des foyers agricoles, 1432 réponses ont été récupérées (soit 57.3% de taux de récupération) et pour les

travailleurs 1470 réponses récupérées soit 71.7% de taux de récupération). (Bureau de l'Agriculture et de la Forêt, 2003 : 2 ; 39)

359 Ibid. : 2.

360 Ibid.

361 Ibid. : 39.

362 Ibid. : 70.

Du côté des foyers agricoles, 21 questions ont été posées363. Les analyses du résultat faites dans le rapport portent sur les cinq points suivants : état de gestion d'exploitation agricole ; continuation des activités agricoles ; état des friches ; possibilités de location de terrains ; attentes sur les mesures de soutien.

L'état de gestion des exploitations agricoles est d'abord marqué par l'avancement du vieillissement de la population agricole : les personnes de plus de 65 ans représentent 53.7% du nombre total des enquêtés, et celles de plus de 75 ans soit 20.8%364 . Ensuite, le taux de foyers agricoles pluriactifs est de 59 % du nombre total et les foyers agricoles pluriactifs de la deuxième catégorie de 42.7% 365. Puis, 57.2% des foyers cultivent principalement du riz366. Ceci « est en contraste avec l'image généralement diffusée de l'agriculture de Toyota, qui est marquée par des cultures spéciales comme la pêche, la poire, le thé, les fleurs etc367 »

Les réponses concernant la continuation des activités agricoles reflètent un « résultat très grave » : 44.3% des enquêtés ne sont « pas sûrs de continuer après un certains temps » et 26.6% ne sont « pas dans un état où il est possible de continuer » pour cause de : « surcharges d'investissement dans les machines » (3 8.8%) ; « manque de successeurs - porteurs » (34.5%)368.

Sur l'état des friches agricoles, 25.1% « ont des friches » et 21.6% « ont des champs mis en jachère369 ». Et ceci pour cause de : « productivité insuffisante en raison de mauvaises conditions géographique et topographique » (26.6%) ; « manque de porteurs » (20.2%)370. Le rapport explique qu'il y a là un problème sur le rapport déséquilibré entre efforts humains et retours économiques371.

A côté de ces aspects négatifs de la situation des foyers agricoles, les réponses sur les possibilités de location de terrains agricoles montrent, malgré 3 0.7% qui « ne pensent pas louer aux particuliers », des intentions potentiellement positives : 5.2% « en louent déjà pour des jardins familiaux et citoyens » ; 19.8% « veulent en louer sous conditions » ; 22.8% sont « prêts à en louer s'il n'y a pas de problèmes juridiques » ; 19.6% « peuvent louer les terrains non cultivés » ; 12.4% « peuvent louer si les locataires se mettent à l'agriculture sérieusement et non pour leur loisir ». C'est-à-dire que 79.6% des foyers agricoles sont prêts à louer leurs terrains en fonction de conditions de location (profil de locataires, durée, frais, entremise etc) !.

Concernant les mesures de soutien, 35 % attendent des « soutiens à la prévention des friches ». Le rapport ajoute les risques que les friches peuvent provoquer, à savoir des éléments d'aggravation de l'environnement agricole comme la « prolifération de mauvaises herbes et d'insectes nuisibles » et les « dépôts illégaux de déchets »372. Puis, les travaux d'entretien dont surtout le désherbage constituent des charges lourdes pour les personnes âgées373.

Dans la conclusion sur les foyers agricoles, le rapport constate qu'il y a une aggravation du problème du vieillissement de la population agricole et du manque de porteurs, et que, surtout dans les zones de moyenne montagne, la situation devient de plus en plus critique avec une augmentation nette des friches. Puis, il est également constaté qu'il y a un dilemme pour la continuation des activités agricoles : d'un côté, il est nécessaire de rationaliser la production agricole via mécanisation, remembrement etc, mais de l'autre côté, le coût d'investissement pour les machines agricoles pèse trop lourd pour la plupart des exploitations qui sont

363 Ibid. : 5. Les points abordés par chacune de ces questions sont : 1 Sexe ; 2 Age ; 3 Localisation des foyers (adresse du

domicile) ; 4 Situation de l'exploitation agricole (professionnelle ou pluriactive ;, 5 Types de cultures ; 6 Présence de successeurs ;

7 Continuation des activités agricoles ; 8 Types de problèmes pour la continuation ; 9 Orientation ultérieure de gestion

d'exploitation ; 10 Surface des terrains agricoles possédés ; 11 Modes d'utilisation et de gestion ultérieurs; 12 Présence de friches ;

13 Raisons de ces friches (ne pas cultiver) ; 14 Locations de terrains agricoles aux particuliers (envisagées ou pas) ; 15 Conditions possibles de location ; 16 Types de personnes auxquelles louer des terrains agricoles ; 17 Surface possible de terrains agricoles à

mettre en location ; 18 Frais possible de location ; 19 Durée possible de location ; 20 Types de besoins d'aides agricoles apportées

par les particuliers ; 21 Types de mesures de soutien.

364 Ibid. : 6.

365 Ibid.

366 Ibid.

367 Ibid.

368 Ibid.

369 Ibid.

370 Ibid.

371 Ibid.

372 Ibid.

373 Ibid. Le désherbage constitue un travail important dans l'agriculture japonaise.

pluriactives.

Par ailleurs, la présence d'une attente potentielle à l'égard de la location de terrains agricoles aux particuliers a été constatée chez la grande majorité des foyers agricoles. C'est ce qui pousse le BPA à réaliser des projets qui établissent des conditions nécessaires pour que ces foyers puissent procéder à ces locations. Le Projet Nô-Life a pour but de répondre à cette attente réelle des foyers agricoles.

Du côté des travailleurs, 17 questions ont été posées concernant les points suivants par l'intermédiare du Conseil local de la région de Toyota attaché à la Fédération des Syndicats ouvriers du Département d'Aichi374. Les analyses du résultat faites dans le rapport portent sur les quatre points suivants : profils, motifs et modes de participation dans le domaine agricole ; importances mises sur les produits agricoles ; possibilités de location de terrains ; attentes sur les mesures agricoles ultérieures.

D'abord, 45.9% des enquêtés ayant répondu à cette enquête, dont 89% sont des hommes, avaient moins de 39 ans. Ce sont donc des hommes « dans la force de l'âge (hataraki zakari) »375. Puis, 62.7% des enquêtés ont exprimé une envie de mener des activités agricoles d'une manière quelconque : 3 5.5% veuleut faire « un jardin potager comme un loisir », 24.5% « pour l'auto-consommation » et 2.7% « pour vendre des produits et en tirer un revenu »376. En effet, 41.6% des enquêtés « veuleut manger ou faire manger des produits cultivés par eux-même »377. Le rapport ajoute qu'il y a un effet d' « images et de rêves sur la terre » qui amènent le public à penser comme ceci378.

Ensuite, le rapport trouve remarquable que la grande majorité des enquêtés accordent plus d'importance à la qualité des produits qu'à leur apparence : 61.4% accorde plus d'importance au « goût » ; 56.3% à la « sécurité » plutôt qu'à l'apparence (5.0% seulement)379.

Concernant la location de terrains agricoles, seulement 24% des enquêtés « veuleut louer »380. Le rapport explique que, du fait qu'ils sont pleinement actifs, l'idée de louer un terrain peut être irréaliste pour eux381. Cependant, en tenant compte du fait que 22.7% des enquêtés veuleut mener des activités agricoles « pour bien profiter du temps libre après la retraite », le rapport ajoute que l'attente pour la location est potentiellement grande382. Ainsi, il est confirmé que les retraités peuvent être considérés comme de « nouveaux porteurs de l'agriculture »383.

Concernant les attentes sur les mesures agricoles ultérieures, les enquêtés se sont exprimés sur les domaines suivants : « Offre de l'alimentation dont la sécurité est assurée » (57.1%) ; « Système de production et de distribution directement lié aux consommateurs » (33.5%) ; « Occasions où les enfants peuvent connaître l'agriculture » (3 0.8%) ; « Promotion de l'agriculture biologique ou sans traitement chimique » (24.4%)384.

Enfin, dans la conclusion sur les travailleurs, le rapport remet d'abord l'accent sur le fait que 62.7% des enquêtés veulent mener des activités agricoles d'une manière quelconque. Il est également confirmé que les attentes sur la sécurité alimentaire et un nouveau système de filière alimentaire sont élevées. Concernant des possibilités de considérer le public comme nouveau porteur de l'agriculture, le rapport conclut que, même s'il est impossible d'attendre des personnes actuellement actives ce rôle, il sera possible de les orienter dans le

374 Bureau de l'Agriculture et de la Forêt, 2003 : 42. Les points abordés par chacune de ces questions sont : 1 Sexe ; 2 Age ; 3 Localisation des foyers (adresse du domicile) ; 4 Possession de terrains agricoles ; 5 Expériences agricoles ; 6 Usages de jardin

familial ; 7 Types d'établissements agricoles souhaités dans l'aménagement ; 8 Types de participation souhaités dans le domaine agricole ; 9 Motifs pour cette participation ; 10 Eléments importants dans le domaine agricole ; 11 Formes possibles de

participation ; 12 Location de terrains agricoles ; 13 Conditions possibles de location (surface, frais, durée, localisation) ; 14

Soutiens souhaités pour commencer des activités agricoles ; 15 Raisons de ne pas vouloir faire des activités agricoles ; 16 Types d'échanges souhaités avec les gens des fermes ; 17 Mesures agricoles ultérieures souhaitées

375 Ibid. : 43

376 Ibid.

377 Ibid.

378 Ibid.

379 Ibid.

380 Ibid.

381 Ibid.

382 Ibid.

383 Ibid.

384 Ibid.

domaine agricole après leur retraite, à condition d'établir des conditions nécessaires pour la location de terrains et un système de formation suffisant.

La réalisation de cette enquête a pour conséquence de réaffirmer, de manière neutre, légitime voire publique, l'importance de fonctions que remplissent l'agriculture et de la ruralité dans la société, surtout au niveau local. Les analyses du résultat et les conclusion faites par le BPA vont préciser l'orientation des mesures de la Municipalité dans de nouveaux cadres émergents de la politique agricole (multifonctionalité, participation citoyenne, agriculture de type Ikigai etc). Ce qui permet à la Municipalité de mener sa politique destinée au public dans une convergence d'intérêts entre sa politique et le public, à savoir l'intérêt public.

Puis, cette procédure nous semble avoir été efficace pour atténuer des éléments d'incertitudes qu'un nouveau type de projet comme le Projet Nô-Life implique dans sa dimension locale. C'est-à-dire, les incertitudes au niveau des attentes vis-à-vis du Projet, et des valeurs que le public loal accorde au Projet, malgré la légitimité des idées générales qui sous-tendent le Projet.

Zone spéciale de la Création du Nô-Life (Nô-Life Sôsei Tokku)

Comme on l'a déjà évoqué plus haut, c'est à partir de la fin 2002 et au cours de l'année 2003 qu'une série de procédures se sont effectuées au sein de divers acteurs vers la réalisation du Projet Nô-Life, sous le nom provisiore du Centre Nô-Life « Centre pour le soutien aux activités agricoles (Einô Shien Center) ». Et parmi ces procédures, le fait de poser la candidature pour la Politqiue des Zones spéciales au nom de la Municipalité, et d'appliquer ses propositions de déréglementations concernant la Loi agraire (Nô-chi hô), ont constitué une étape finale et déterminante de la concrétisation du Projet Nô-Life.

Procédures des « Zones spéciales »

Dans le cadre de la politique des Zones spéciales, en janvier 2003, la Municipalité de Toyota remit au Gouvernement, à titre consultatif, quatre propositions de déréglementations concernant la Loi agraire lors de la « Deuxième appel à candidature de propositions (dainiji teian boshû) » lancé par le Gouvernement. Ensuite, le Gouvernement a donné ses réponses à la Municipalité de Toyota, sur la faisabilité de chacune de ces propositions. C'est un an après cela que la Municipalité effectua une « demande commune (kyôdô teian) » avec le Département d'Aichi pour faire qualifier la Ville de Toyota par l'Etat comme « Zone spéciale pour la Création du Nô-Life (Nô-Life Sôsei Tokku) » où des déréglementations sont authorisées en deux points suivants :

1 Elargissement du droit d'ouverture de jardins citoyens (shimin nôen no kaisetsusha no hani kakudai)

2 Baisse de la surface minimum d'installation (nôchi shutoku go no nôchi no kagen-menseki yôken kanwa)385

Le premier point consiste à élargir le droit d'ouverture de jardins citoyens aux personnes morales privées louant des terrains agricoles ainsi qu'aux propriétaires de terrains agricoles en friche ou en jachère. En effet, auparavant, ce droit était limité à la collectivité territoriale et à la coopérative agricole. Celles-ci géraient déjà dans le territoire de la Ville de Toyota, en 2002, 24 jardins familiaux et citoyens composés par 985 parcelles, dont 968 sont utilisées. Et il était constaté que la demande de jardins était de plus en plus importante. Cette mesure de déréglementation était ainsi appliquée afin de répondre davantage à cette demande.

Le deuxième point consiste à baisser la « surface minimum d'installation (shûnô kagen menseki) » de 0.4ha à 0. 1ha. En effet, cette surface minimum était fixée par la Loi agraire pour l'obtention du droit d'utilisation ou d'achat de terrains agricoles destinés aux activités agricoles.

L'établissement du Centre Nô-Life est défini dans le cadre du programme de la « Zone spéciale » de la Ville de Toyota comme un « projet qui peut être considéré comme nécessaire pour promouvoir l'application de son

385 Bureau de la Politique Agricole de la Ville de Toyota, 2006 : 2.

pragramme de la Zone spécilale par la collectivité territoriale concernée »386.

Ainsi, dans cette étape de la qualification de la Ville de Toyota, pour la première fois, le mot « Nô-Life » est officiellement apparu387. Et le contenu des acivités principales du Centre Nô-Life est également déterminé.

Les quatre activités principales du Centre Nô-Life ainsi déterminées sont :

1 Formation (Stages de techniques culturales)

2 Entremise de terrains agricoles

3 Entremise de possibilités d'emplois agricoles chez des exploitations agricoles

4 Recherche de nouvelles variétés de produits agricoles, de nouveaux produits transoformés etc388.

Premièrement, les formations Nô-Life sont composées de deux types de formation dont l'un s'appellant « Formation Porteur (Ninaite-zukuri Co-su) », est destineé aux « citoyens ayant pour objetcif d'avoir un revenu via leur agriculture », et l'autre s'appellant « Formation Culture des Légumes de saison (Shun no Yasai-zukuri co-su) » aux « citoyens souhaitant cultiver des légumes dans un jardin citoyen quelconque comme loisir ou pour la santé »389.

Deuxièmement, le service de l'entremise est directement lié aux éléments de déréglementation expliqués plus haut (Elargissement du droit d'ouverture de jardins citoyens, Baisse de la surface minimum d'installation). Le Centre Nô-Life est notamment chargé d'entremettre des terrains agricoles disponibles à chacun/chacune des personnes ayant terminé la « Formation Porteur », qui souhaite en louer dans le territoire de la Ville de Toyota. Puis, le Centre assume également le service d'aides aux propriétaires de terrains agricoles souhaitant ouvrir des jardins citoyens dans leurs terrains.

Troisièmement, le Centre Nô-Life assume un rôle comme s'il était un « agence d'emplois agricoles ». En fait, ce domaine d'activités concerne également un des objets de déréglementation dans le cadre de la Zone spéciale de Nô-Life. Il concerne la Loi de la Stabilité de l'Emploi (Shokugyô antei hô). Cette déréglementation permet au Centre Nô-Life de proposer gratuitement aux particuliers un emploi agricole consistant à aider des travaux agricoles d'une exploitation agricole.

Quatrièmement, dans le cadre de la Formation Porteur, le Centre Nô-Life effectue, avec la CAT, des recherches de nouvelles variétés de produits agricoles ou de nouveaux types de produits transformés. Ce domaine d'activités semble surtout être lié à l'intérêt économique de la CAT.

Ainsi, le Centre Nô-Life prend un caractère multiforme, à la fois en tant qu'une école (formation agricole), un agence immobilier (entremise de terrains agricoles ), un agence d'emplois (entremise de possibilités d'emplois agricoles) et enfin un laboratoire (recherche nouveaux produits agricoles).

386 Ville de Toyota, 2003b : 5.

387 Le mot « Nô-Life » est un terme inventé par la Municipalité. Nous anlyserons sa terminologie plus bas. C'est une combinaison originale du terme « Nô = \u-28750ÒÜ en kanji (caractère chinois) » qui signifie le « rural » ou l' « agricole » , avec le « Life (en anglais) = \u12521«é« \u12501«Õ (laihu) » En employant ainsi un tel nouveau mot dont on peut facilement percevoir le sens comme « une vie de type agricole ou rural », mais qui n'a jamais existé ailleurs au Japon, au lieu d'utiliser simplement des termes japonais courants comme « vie agricole (Nôgyô seikatsu) » ou « vie rurale (Nôson seikatsu) », le nom de « Nô-Life » évoque une sensation nouvelle pour le public. Et ce terme évoque non seulement une sensation nouvelle et moderne voire urbaine avec le terme « Life » en anglais (plutôt que « Seikatsu » en japonais), mais également une connotation d'« activités agricoles » avec le terme « Nô ». Ce qui distingue notamment ce terme de la simple image de « vivre à la campagne » dans la tranquilité et l'aménité...

388 Ville de Toyota, 2003b : 5. Nous présenterons les activités du Centre Nô-Life dans la première partie du chapitre 3.

389 Voici, les explications générales données sur ces deux filières dans ce « Plan pour les Zones spéciales de la Réforme structurelle » : Formation Porteur : La durée de formation est deux ans (les cours sont donnés une fois par semaine). Les quatres matières suivantes sont organisées : « champs sec (hata-ka) : légumes (yasai) »; « rizière - champs sec (tahata-kaà : légumes, riz (yasai, suitô)» ; « rizière (tanbo-ka) : riz, blé, soja (suitô, mugi, daizu) » ; « fruitière (kaju-ka) ». Le nombre de stagiaires est environ 10 par matière. Les personnes ayant terminé cette formation ont le droit de bénéficier du service d'entremise de terrains agricoles et d'emplois agricoles proposé par le Centre Nô-Life (activités 2 et 3).

- Flière Culture des Légumes de saison : La durée de formation est six mois (les cours sont donnés une fois par mois). Les matières sont : celle de Légumes du printemps - été et celle de Légumes de l'automne - hiver. Le nombre de stagiaires est environ 50 par matière.

Un processus stratégique...

Ce processus nous montre, du point de vue de rapports entre représentations que le BPA mobilisent pour le Projet Nô-Life et ses actions de ce projet, non seulement un processus politique et pragmatique vers la réalisation concrète du Projet, mais également un processus complexe de mobilisation de différents types de moyens déterminants des actions du Projet Nô-Life. En effet, ont été mobilisé de différents types de moyens qui impliquent à la fois des éléments culturels (dans le sens de valeurs, par exemple « Ikigai » ; « agriculture comme bien commun » etc), juridiques (opérations juridiques via déréglementation), économiques (financement public) et sociaux (mobilisation de divers acteurs et du public). Et tous ces moyens sont orientés vers la réalisation de l'objectif du Projet.

Ce processus de la Ville de Toyota pour la qualification comme « Zone spéciale », fut amorcé suite au constat d'un problème juridique qui faisait obstacle à la réalisation de l'objectif de la politique agricole du BPA (installation agricole à petite échelle : plus de 0. 1ha mais moins que 0.4ha). Et c'était une action de type spontané de la part du BPA et de la Municipalité, puisque cette déréglementation lui paraîssait logique et évidente par rapport à la démarche historique de sa politique de la dernière décennie (étapes progressives pour la promotion de l'agriculture de type ikigai), plutôt que par rapport à la stratégie de l'Etat dans sa politique des « Zones spéciales de la Réforme structurelle » amorcée depuis 2002. C'était par nécessité et pour saisir l'opportunité offerte par l'Etat que la Municipalité a « réagit » à l'action de l'Etat.

Puis, cette action de la Municipalité était une adaptation par rapport à un nouveau contexte socio-économique qui est le vieillissement de la population non seulement rurale mais également urbaine : arrivée massive de nouveaux retraités du secteur industriel, et notamment ceux de la génération baby-boom nés entre 1947-1952390. Au cours des années 90, cette thématique n'attirait pas autant d'attention qu'au début des années 2000 ni au sein de la municipalité ni parmi la population.

Quels éléments de représentations ont-ils alors été mobilisés dans ces procédures pour la « Zone spéciale » ? Dans une présentation officielle de la « Zone spéciale pour la Création de Nô-Life »391, on voit d'abord deux éléments en situation de crise être mis en avant : l'aggravation de la situation agricole et le vieillissement massif de la population urbaine. Ensuite, l'idée d'Ikigai des personnes âgées est ajoutée aux deux mesures de la politique agricole (prévention des friches et conservation de terrains).

Plan de la Zone spéciale

Ensuite, en se centrant sur ces deux éléments de situation de crise d'un côté rural et de l'autre urbain, le Plan de la Zone spéciale est expliqué en trois points suivants : Spécificité spatio-historique de la Ville ; Valeurs du Plan de la Zone spéciale ; Effets socio-économique du Plan de la Zone spéciale sur la zone concernée. Ces explications nous montrent un travail de contextualisation, effectué du point de la Municipalité de Toyota, des éléments préparatoires du Projet Nô-Life.

Dans la partie sur la spécificité spatio-historique de la Ville de Toyota, en montrant d'abord l'importance de la superficie naturelle et agricole dans le territoire de la Ville de Toyota (forêt-montagne soit 3 6.8%, champs agricoles soit 21.9% sur 29 012ha de la superficie totale de la Ville), le Plan met l'accent sur la richesse de la nature et de l'agriculture, ce qui est en contraste avec la richesse de l'industrie très dévelpppée de la Ville.

390 Le nombre de population de cette génération est 30721 soit 8.6% par rapport à la population totale de la Ville en 2003 (Ville de Toyota, 2003b : 7.).

391 Ville de Toyota, 2003a : 1. « Dans la Ville de Toyota, nous commençons le `Projet du Centre pour le soutien aux activités agricoles (Einô Shien Center Jigyô) ' (nom provisoire) qui a pour but d'effectuer des stages de techniques culturales, l'entremise des terrains que d'emplois agricoles dans des exploitations agricoles aux citoyens de tendance agricole. Ceci en tant qu'un système qui a l'intention de fusionner les `ressources foncières' qui sont les terrains agricoles dont constitue un souci une augmentation de terrains en friche ou en jachère, avec les `ressources humaines' qui sont les citoyens de tendance agricole parmi lesquels le nombre de retraités va rapidement augmenter dans les prochaines années à venir. A cet effet, suite aux deux

applications de déréglementation, à savoir la baisse de la surface minimum d'installation et le droit d'ouverture de jardins citoyens, nous metterons en place des systèmes d'entremise de terrains agricoles adaptés aux compétences physiques de retraités, et également d'entremise d'aidants d'exploitations agricoles. Ceci afin de les contribuer à la prévention des friches, à la conservation de terrains agricoles et aux mesures pour Ikigai des personnes âgées »

Ensuite, le Plan retrace brièvement l'évolution du développement industriel de la Ville de Toyota depuis l'ère de Meiji (1868-1912) : développement de l'industrie textile et du commerce des cocons des vers à soie produits par les foyers ruraux depuis l'ère de Meiji dans le Bourg de Koromo ; déclin de cette industrie à partir de l'ère de Shôwa (1926-1989) suite à une stagnation du marché de cocons des vers à soie ; arrivée de l'industrie automobile des années 30... Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, ce plan fait un rappel historique de la Ville de Toyota : changement du statut du « Bourg (machi) » à celui de la « Ville (shi) » en 1951 ; changement du nom de Koromo à celui de Toyota en 1959, un des plus grands évènements historiques de la Ville de Toyota392. D'où le slogan de la Ville de Toyota qui est permanent jusqu'à aujourd'hui : « Ville de la Voiture (Kuruma no Machi) ». Puis, le Plan de la Zone spéciale explique l'évolution de la Ville de Toyota suite à l'essor de l'industrie automobile entre 1955 et 1975 qui a abouti à une série de fusions avec les collectivités environnantes. La Ville de Toyota est ainsi devenu 7.5 fois plus grande que la superficie initiale du Bourg de Koromo. Le Plan de la Zone spéciale met l'accent sur le fait que la prochaine fusion aura lieu en 2005 avec six communes rurales et montagnardes. Ce qui va, cette fois-ci, agrandir la superficie de la Ville trois fois grande393.

Et le Plan de la Zone spéciale explique également que la population de la Ville de Toyota augmenta non seulement avec la fusion des collectivités rurales mais plutôt avec l'arrivée massive d'émigrants ruraux de partout dans le Japon à partir des années 60394. Puis, à partir des années 90, le rythme de l'augmentation démographique de la Ville de Toyota s'est adouci. Aujourd'hui, elle est ainsi confrontée au vieillissement de la population dû à l'arrivée massive de retraités du secteur industriel dont beaucoup d'entre eux étaient, justement, les émigrants ruraux des années 65-75.

Enfin, le Plan de la Zone spéciale aborde la situation agricole de Toyota, notamment son évolution de la dernière décennie marquée par une série d'aspects de crise qui ont déjà été mis en cause depuis le Plan de 96. En donnant des chiffres de la statistique agricole, le Plan réexplique cette situation de crise en quatre points suivants : diminution progressive de la surface agricole utilisée dû à l'urbanisation, l'industrialisation et l'abondon de terrains agricoles (friches et jachère) ; diminution de la population agricole ; fragilisation de la structure d'exploitations agricoles ; manque de porteurs de l'agriculture.

Concernant la diminution progressive de la surface agricole utilisée, de 1995 à 2000, la surface a diminué de 548ha soit 14.3% de la surface totale de 1995 (3845ha à 3297ha). Et cette tendance est commune à tous les quartiers de la Ville. La surface en friche (kôsaku hôkichi) augmente, de 1995 à 2000, pour 32ha soit 9.9% de la surface totale en friche en 1995 (322ha à 354ha), puis la surface en jachère (husakutsuke chi) augmente davantage, 1995 à 2000, pour 1 03ha soit 43.2% de la surface totale en jachère (238ha à 34 1ha)395.

Puis, la diminution de la population agricole se traduit par la diminution du nombre des foyers agricoles pour 10.2% de 1995 à 2000 (5474 à 4918). Et la population agricole active 9.9% (5822 à 5246).

Cependant, la pluriactivité des foyers agricoles s'accentue de plus en plus : les foyers de la catégorie de la « ferme auto-productive (jikyû teki nôka) » et des foyers agricoles pluriactifs de la deuxième catégorie sont 90.7% du nombre total des foyers agricoles396. En plus, le nombre des foyers qui n'ont moins de 0.3ha de la surface agricole utilisée augmente, 1995 à 2000, pour 96 foyers soit 6% (1611 à 1707). Et la population agricole vieillit : le taux de vieillissement est de 25.1% parmi elle397.

Concernant le manque de porteurs, l'explication du Plan montre l'aspect extrèmement stagnant de la

392 Voir le détail dans le chapitre 1.

393 La superficie totale de la Ville est ainsi 91 847ha aujourd'hui.

394 Voir le détail dans le chapitre 1.

395 Selon les définitions données par la statistique nationale, les Friches (kôsaku hôki-chi) désignent les terrains non cultivé depuis plus d'un an, et dont leurs cultivateurs (husakutsuke-chi) n'ont pas l'intention de les cultiver dans quelques années. Les jachères désignent également les terrains non cultivés depuis plus d'un an, mais dont leurs cultivateurs ont l'intention de les cultiver dans quelques années (Nôrinsuisan-shô, 2005)

396 Selon la statistique nationale, « foyers agricoles auto-productifs (jikyû teki nôka) » désignent les foyers agricoles possédant

moins de 0.3ha de terrains agricoles et dégageant un chiffre d'affaires annuel de moins de 500 000 yens (près de 3333 euros) (Nôrinsuisan-shô, 2005)

397 Ce taux de vieillissement est celui de la population de plus de 65ans sur la population totale concernée. Nous ajoutons que le

taux de vieillissement parmi la population totale de la Ville de Toyota est encore de 11.1% en 2000, ce qui est relativement bas en comparaison avec les chiffres national et départemental : 17.3% et 14.5%

politique de la modernisation agricole : en 2003, le nombre d' « agriculteurs qualifiés (nintei nôgyô sha) »398 est 66, et le nombre d'entreprises agricoles est 18. Cependant, le nombre de ces deux types d'exploitations agricoles n'augmentait guère depuis 2000. D'ailleurs, il n'y a eu que 4 nouveaux agriculteurs en 2002 dont l'un a déjà quitté son exploitation l'année suivante.

Ensuite, dans la partie sur les valeurs du Plan de la Zone spéciale, le Plan reprend des éléments historiques sur d'autres projets liés au Projet Nô-Life pour montrer qu'existent déjà des actions et des pratiques liées à la construction du Projet Nô-Life, à savoir l'Ecole de l'agriculture vivante (Ikiiki nôgyô juku) amorcée en 2000 ; la Ferme école des Personnes âgées (kônen daigaku taiken nôjô) amorcée en 2002.

L'Ecole de l'agriculture vivante étant co-gérée par la Municipalité et la Coopérative agricole, elle a 41 stagiaires en 2004. Il y a déjà 23 personnes sur 112 anciens stagiaires qui se sont organisées comme un groupement de producteurs dans la Ville de Toyota. Puis, il y a 30 élèves dans la Ferme-école des Personnes âgées en 2004.

Puis, le Plan explique quelques éléments du résultat de L' « Enquête de la Conscience sur l'Agriculture de Toyota » montrant des attentes élevées sur des possibilités de location de terrains agricoles, aussi bien au sein des foyers agricoles qu'au sein des travailleurs. La réussite de jardins familiaux et citoyens y est également citée.

Tous ces éléments permettent au Plan de montrer une nécessité de créer un nouveau système pour une mise en valeur des friches et une formation de porteurs de l'agriculture d'un nouveau type en tenant compte du contexte du vieillissement de la population rurale comme urbaine.

Dans la partie sur les « Effets socio-économique du Plan de la Zone spéciale sur la zone concernée », le Plan tente surtout de mettre l'accent sur des aspects quantitatifs et économiques du Projet Nô-Life. Cette partie se divise en deux points suivants : formation de nouveaux agriculteurs ; réalisation de la création d'Ikigai.

D'abord, dans le premier point, le Plan compte, le nombre de nouveaux agriculteur susceptibles d'être formés par le Projet Nô-Life ainsi que la surface agricole susceptible d'être cultivée suite au lancement du Projet Nô-Life, dans les cinq années à venir à partir de l'année 2004 dont l'inauguration du Centre Nô-Life.

Plusieurs types de nouveaux agriculteurs sont attendus : stagiaires du Centre Nô-Life (environ 90 sur 200 stagiaires en cinq ans), anciens stagiaires de l'Ecole de l'agriculture vivante et usagers de jardins citoyens (environ 5 personnes par an). Finalement, l'arrivée d'environ 100 nouveaux agriculteurs est escomptée jusqu'en 2009. Puis, la surface agricole susceptible d'être cultivée par ces nouveaux agriculteurs pour 0. 1ha par personne, soit 1 0ha au total jusqu'en 2009.

Ensuite, il est à noter que, par la suite, un nouvel élément économique du Projet Nô-Life apparaît dans cette partie : il s'agit de l'objectif d'avoir un revenu agricole d'un million de yens399 par an au moyen de la vente de produits agricoles avec 0. 1ha de terrains. A cet effet, le Plan envisage d'introduire de nouveaux produits aptes à dégager ce chiffre-là. Ainsi, est escomptée une augmentation de 225 000 000 yens400 pour le revenu total des nouveaux agriculteurs jusqu'en 2009. En plus, s'y ajoute une prévision de 102 500 000 yens401 de côuts d'investissement (achat de machines agricoles, plantes etc) comme effet économique direct.

Ce dernier élément n'ayant pas été prévu jusqu'alors402, semble être quelque peu opportuniste. D'ailleurs, Monsieur K a dit à l'enquêteur (rédacteur) qu'il était, lors de l'élaboration du projet, contre cette idée d'établir un tel critère économique. En effet, il pensait que l'objectif final du Projet Nô-Life est après tout la satisfaction individuelle de chaque participant via ses propres pratiques agricoles. D'après lui, fixer une telle norme économique aux stagiaires ne correspondrait pas à ce besoin de satifaction individuelle.

398 La politique d' « agriculteurs qualifiés » est la politique nationale pour les « poeteurs ». Dans la partie de l'Acteur 5, l'ex-centre départemental pour la vulgarisation agricole, on verra le travail de cet acteur pour cette politique de la modernisation.

399 Un million de yens soit environ de 6666.6 euros (150 yens fait environ de 150-160 euros aujourd'hui) Le revenu agricole (nôgyô shotoku) est le montant dont on enlève le montant du coût pour la gestion agricole du revenu agricole total.

400 Près de 1 500 000 euros.

401 Près de 683 333 euros

402 En tous cas, il n'est pas explicité dans les documents officiels et disponibles au public.

Cependant, cet élément semble paradoxalement constituer un élément convergent non seulement avec l'intérêt économique du secteur agricole dont la Coopérative agricole fait partie, mais également avec l'objectif de la Politique des Zones spéciales de la Réforme structurelle de l'Etat : relance économique du pays via déréglementation.

Le deuxième point sur la réalisation de la création d'Ikigai ne concerne, en fait, que la promotion d'ouverture de jardins citoyens via déréglementation du droit d'ouverture. Le Plan prévoit 6.5ha de jardins citoyens ouverts par des propriétaires de terrains agricoles jusqu'en 2009. Le nombre d'usagers est également escompté pour 1950 personnes jusqu'en 2009 en créant 30 parcelles par 0. 1ha.

Le plan escompte pour l'utilisation de ces jardins citoyens non seulement des éléments non productifs comme la santé et Ikigai, mais également la possibilité d'avoir de futurs producteurs susceptibles de rejoindre les nouveaux agriculteurs, engendré par le premier point, qui pourront utiliser ainsi plus de 0. 1ha par personne.

Certains effets économiques sont également escomptés comme les frais d'utilisation des jardins versés aux propriétaires constituant 3000yens de revenu par parcelle en un an, cela fait donc 90 000 yens pour 0. 1ha403, et la consommation de matériels agricoles par les usagers des jardins, ce qui profitera également la coopérative agricole qui vend ces matériels.

Autrement, en terme d'Ikigai, est également escompté l'effet de l'ouverture de jardins citoyens suscitant des échanges entre les usagers urbains et les propriétaires ruraux.

Vision du Projet Nô-Life

Enfin, le Plan de la Zone spéciale nous montre une vision définitive du Projet Nô-Life qui a préparé son inauguration en 2004. En parcourant ce plan, on a repéré, comme ci-dessous, la détermination des objectifs et des moyens par cette vision pour la réalisation du Projet Nô-Life :

Objectifs : prévention des crises agricole (vieillissement de la population agricole et manque de porteurs) et urbaine (vieillissement de la population, manque d'Ikigai)

Moyens : juridique (déréglementation) ; économique (nouveau financement public pour le Centre Nô-Life) ; social (mobilisation de divers agents institutionnels et citoyens) ; culturel (valeurs de l'agriculture pour tous les citoyens ; Ikigai des personnes âgées)

Suite à cette détermination du contenu du Projet, une valeur officielle et publique est accordée au Projet : une nécessité répondant aux attentes historiques et grandissantes au sein de l'ensemble des citoyens.

Puis, on a pu entrevoir que ce projet implique non seulement des thématiques croisées de la crise agricole et de celle urbaine, mais également une imbrication de différents types d'intérêts au sein d'agents concernés. C'est-à-dire, les intérêts des secteurs public (Municipalité dont le BPA) et privé (Coopérative agricole). D'autant plus que ce sont la Municipalité et la Coopérative agricole qui gèrent en commun le Projet selon un consensus minimum sur le contenu du Projet Nô-Life, cette imbrication d'intérêts différents constituera un espace flou dans le jeu d'acteurs autour du Projet Nô-Life. Concrètement parlant, cette divergence d'intérêts sera particulièrement visible sur la question d'argent : il se sera avéré que, pour la plupart de participants de la Formation Porteur du Centre Nô-Life, il serait quasiment impossible de dégager un revenu agricole d'un million de yens par an après deux ans de la formation Nô-Life tel qu'il est défini dans la vision officiel du Projet Nô-Life404.

D'ailleurs, dans le Plan de la Zone spéciale, les aspects non productifs de la multifonctionalité sur lesquels le Plan de 96 ainsi que l'Enquête de la Conscience dans le cadre du mode d'aménagement de la Ville de Toyota mettaient le plus d'accent, apparaissent beaucoup moins. Le terme de la Multifonctionalité y est carrément absent alors que le Plan de la Zone spéciale s'incline plutôt sur la recherche de la productivité, marqué

403 3000 yens soit d'environ 20 euros, 90000 yens soit d'environ 600 euros.

404 Ce qui va causer un certain nombre de soucis parmi ces stagiaires. Sur ce point, nous verrons en détail dans le chapitre 3.

notamment par son objectif de « gagner un million de yens après la retraite ».

Mode d'actions

Le mode d'actions du BPA, en tant qu'un agent local des services publics, est marqué par son côté basé sur la situation locale et spécifique (celle de la Ville de Toyota). Puis, on a constaté qu'il pouvait bien être « bricoleur » d'idées à la fois descendantes de la situation globale mais égalament ascendantes de la situation locale405. Quels facteurs déterminent alors cette caractéristique apparement indéfinissable ? Il nous semble que l'on peut attribuer un de ces facteurs à la neutralité qui est spécifique au BPA, celle d'un agent local des services publics. Sa manière d'être est d'abord déterminée par le principe des services publics qui est d'« être au service de tous ». Puis, cette neutralité n'est pas celle qui se présente comme transcendante et universelle comme celle de l'Etat mais plus spécifique et limitée par sa situation locale. Et on peut ajouter que cette neutralité est beaucoup plus fragile et incertaine.

Puis, on a trouvé dans les actes de représentation du BPA comme caractéristique de son mode d'actions, d'un côté une grande flexibilité en tant que coordinateur local de différents agents (réseaux de coopération), mais de l'autre quelque peu incohérente et coincé entre de différents principes d'actions : notamment les deux principes sectoriels suivants : celui du secteur agricole qui est privée et économiquement spécialisé (gestion et technique) et celui du secteur public qui se base sur l'intérêt public et qui est administratif.

Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life

Nous pouvons également parler de sa dynamique qui est stratégique dans le sens où il a commencé à chercher à acquérir de nouveaux rôles dans le domaine agricole comme on l'a vu dans le Plan de 96 face au grand changement extérieur de la situation agricole (comme les Accords du GATT). Ainsi, le Plan de 96 mettait fortement l'accent sur la multifonctionalité et l'intérêt public inhérents à l'agriculture et la ruralité, d'où l'importance de la participation citoyenne dans ce domaine. Le BPA a ainsi trouvé une nouvelle place où il pourra jouer un rôle important en tant qu'un agent public dans le domaine agricole.

Sur ce point, Monsieur K nous a expliqué en répondant à la question de l'enquêteur concernant une série de projets en rapport avec le public comme l' « Ecole de l'agriculture vivante » et la « Feme-école des Personnes âgées » dans lesquels Monsieur K était impliqué depuis vers 2000406. Après le Plan de 96, c'est notamment à partir de l'année 2000-2001 que le BPA s'est progressivement adressé au public en le considérant comme un des objets principaux de sa politique agricole. Ainsi, en 2000, les jardins citoyens gérés par la Coopérative agricole ont été ouverts hors la zone à urbaniser c'est-à-dire la zone d'urbanisation contrôlée. Et également l'inauguration de l' « Ecole de l'agriculture vivante » en 2000 et celle de la « Ferme-école des Personnes âgées » en 2002. Puis, c'est à partir de l'apparition du problème de l'utilisation de terrains agricoles à petite échelle en raison de la Loi agraire que le BPA, qui est chargé de l'administration foncière, a commencé à envisager de créer un système qui permettra aux citoyens de continuer leur activité agricole en utilisant des terrains agricoles de manière légale : d'où la conception du Projet Nô-Life.

Par contre, on peut remarquer, malgré ses démarches stratégiques, le côté toujours mitigé et ambïgu dans les

405 Nous examinerons plus bas la conception du « bricolage » de Cl. Lévi-Strauss.

406 Voici la réponse de Monsieur K : « [Enquêteur : (...) Depuis quand êtes-vous impliqué dans des projets de type `Ikigai ' comme l'Ecole de l'agriculture vivante ou les jardins citoyens etc ?] C'est à partir de l'année 2001 que je suis directement concerné. [Enquêteur : Ce type de mesures d'Ikigai existaient déjà avant le Projet Nô -Life. Le début était-il alors l'Ecole de l'agriculture vivante ?] C'est ça. J'y suis entré un an après que ceci avait commencé. [Enquêteur : Avant cela, pour vous, le domaine agricole appartenait quasiment aux agriculteurs ?] Donc, on ne regardait que les agriculteurs. Le public, c'était les gens qui faisaient seulement les jardins familiaux, en fait. [Enquêteur : Et maintenant, on va vers les citoyens ?] Oui. »

actes de représentations du BPA.

Nous pouvons déjà évoquer la suspension du Projet du « Parc rural » qui était envisagé en priorité dans le Plan de 96, et également le retrait de l'audace slogan « Grande ville rurale : Toyota » au profit de l'intérêt du slogan permanent de la Ville « Ville de la Voiture ». Certes, entre 1996 à 2000, on n'a pas constaté, dans le cadre de notre enquête, un évènement remarquable par rapport à l'établissement du Projet Nô-Life. D'ailleurs, on peut également rappeller que les représentations manifestées dans le Plan de 96 avaient un caractère quelque peu idéaliste avec un éventail extrèmement large de ses visions. Le caractère quelque peu flou et opportuniste de la vision du Projet Nô-Life semble également être lié à cette ambïguité de la position du BPA.

Acteur 2 : Section de la Création d'Ikigai dans le Bureau Education permanente de la Municipalité de la Ville de Toyota (SCI)

Nous allons ici étudier l'implication, dans la construction du Projet Nô-Life, de la SCI (Section de la Création d'Ikigai (Ikigai zukuri tantô) du Bureau Education Permanente (Shougai-kyôiku ka) de la Municipalité de Toyota). Etant un acteur non-agricole, cette section a joué un rôle important dans le processus du démarrage du Projet Nô-Life. Cette section a une originalité du fait de son contexte d'apparition récent et lié au phénomène irreversible du vieillissement de la population marquant aujourd'hui la société japonaise aussi bien globalement que localement.

D'abord, un examen de quelques documents de la politique du vieillissement de la Municipalité de Toyota nous permettra d'analyser les caractères généraux de cette section. Puis, nous allons nous baser sur nos entretiens effectués avec deux responsables de la section : Monsieur A, président du 'Toyota Young Old Support Center (Centre pour les Jeunes Vieux de Toyota)' créé en 2002, et géré par la SCI, ainsi que Madame S, chargé de projet de la même section et « disciple de Monsieur A » d'après elle-même. Ils nous montreront comment ils ont effectué leurs travaux de coordination des mesures de la création d'Ikigai en tant qu'un agent de la politique publique de la Municipalité de Toyota dans ce nouveau contexte du vieillissement.

Caractère général de l'acteur

Contexte d'apparition récent : réformes suite à la Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées en 2000.

Son contexte d'apparition est marqué, d'un côté par l'émergence d'une nouvelle situation globale du vieillissement caractérisé par l'aspect de « aged society (kôrei-shakai) »407 et de l'autre côté par des traits spécifiques de la situation locale.

L'origine de cette section remonte à 2000 l'année de l'établissement du « Comité pour la promotion de la Création d'Ikigai (Ikigai-zukuri Suishin Kaigi : CPCI) » dans la Direction du Bien-être - Santé (Hoken-fukushi bu). Ce comité fut créé dans le cadre d'une restructuration administrative exigée par l'entrée en vigueur en 2000 de la « Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes (Kaigo-Hoken Hô) » au niveau national. Cette restructuration devait s'effectuer au niveau de diverses dispositions locales dans le cadre des mesures des aides aux personnes âgées dépendantes. Nous allons voir ci-dessous la portée politique et sociale de cette loi.

407 D'après la définition des Nations Unies, une société où le taux de la population agée de plus de 65 ans est de plus de 14% sur la population totale est « aged society (société vieillie : kôrei shakai) » alors que « aging society (société en vieillissement : kôreika-shakai) » est de plus de 7% sur la population totale. Le taux de la population âgée au Japon a dépassé 20% en 2005.

L'objectif principal de l'établissement de ce comité était d'étudier les possibilités de mesures pour la « prévention de la dépendance (kaigo yobô) », une des thématiques prévues dans la Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées. Puis, cette thématique impliquait l'introduction d'une nouvelle manière de la catégorisation des personnes âgées dans le cadre des mesures pour la santé des personnes âgées : personnes âges dites « en bonne santé (genki na) » et potentiellement actives malgré leur âge de la retraite et celles « non en forme » c'est-à-dire celles qui sont malades ou qui ont besoin d'aides pour leur autonomie ou qui sont dépendantes. Et l'objectif de la prévention est principalement et nécessairement destiné aux personnes âgées qui ne sont pas encore dépendantes. Nous le verrons plus bas, l'idée d'Ikigai s'inscrit dans ce cadre de la prévention de la dépendance.

Le CPCI, ayant cette nouvelle catégorie « cible » pour ces mesures, introduisit également une nouvelle forme d'organisation : participation des citoyens. En 2000, la municipalité a effectué un concours général auprès des habitants et a sélectionné 12 citoyens qui participeront pleinement aux activités de ce comité en tant que ses membres principaux. Ainsi, la composition du CPCI sera ces 12 citoyens et 7 administrateurs dont Monsieur A, responsable général de ce comité, ainsi que Monsieur K, président du Centre Nô-Life et employé du Bureau de la Politique agricole (BPA) de cette époque. Ensuite, ils ont effectué, pendant un an, 14 réunions générales et 25 réunions thématiques qui ont abouti au « rapport de propositions » rendu au maire en 2001. Nous verrons en détail plus bas, ce rapport a proposé trois idées finales dont l'une d'entre elles a donné l'idée de base pour le Projet Nô-Life.

Enfin, suite à la réception de ce rapport par le maire, la SCI fut mise en place en 2001. Mais la SCI a d'abord été créée sous un autre nom et dans une autre direction que celle de la Santé - Bien-être : la « Section du Vieillissement - Diminution de la Jeunesse (Shôshi-Kôrei ka) » dans le bureau de l' « Echange intergénérationel (jisedai kôryû-ka) » attachée à la « Direction sociale (shakai-bu) ». En effet, cette restructuration était liée à la fois à la nouvelle division de la catégorie des personnes âgées expliquée plus haut : celles actives et non-actives, et à une série de réformes de la structure administrative liée au nouveau contexte du vieilissement. Du coup, une série de sections chargées des services aux personnes âgées « en bonne santé » et actives sont séparées de la Direction de la Santé - Bien-être qui est principalement chargée des soins aux personnes âgées. Ainsi, d'après Monsieur A qui était à la fois responsable du CPCI, lors de la mise en place de la SCI dans la Direction sociale, elle a « amené » avec elle dans cette direction un ensemble de Sections liées aux activités des personnes âgées : « Clubs des Personnes âgées (rôjin club) »408 ; « Centre des Ressources humaines âgées (Silver Jinzai Haken Center) »409. Ceux-ci étaient auparavent attachés à la Direction Santé - Bien-être. Ainsi, de 2001, la SCI a pris ses fonctions410.

Puis, en 2005, suite à une autre réforme, le Bureau de l' « Echange intergénérationnel » a été dissout en séparant la Section de la Jeunesse et celle des Personnes âgées (actives) en tenant compte des charges de plus en plus importantes du domaine de la Jeunesse. D'après Madame S, le Bureau de l'Echange intergénérationnel travaillait pour les trois thématiques suivants : vieillissement - diminution de la jeunesse (shôshi kôrei ka) ; participation sociale des femmes (danjo kyôdô sankaku shakai) ; éducation morale de la jeunesse (seishônen no kenzen ikusei). Ainsi, la SCI, accompagnée par les domaines des Clubs des Personnes âgées, Centre des Ressources humaines âgées et Participation sociale des femmes, s'est installée dans sa place actuelle (en 2006) :

408 Le Club des Personnes âgées (Rôjin Club) a été créé sous forme d'une association de personnes âgées vers 1950 dans une circonstance de crise sociale et économique de cette époque. Ensuite, il a été généralisé au niveau des collectivités territoriales. Il a été reconnu en 1963 par la Loi sur le Bien-être des Personnes âgées. Puis, depuis 1994, il est considéré comme une organisation ayant pour but de promouvoir la politique de la participation sociale et Ikigai des personnes âgées dans le cadre d'une nouvelle stratégie nationale pour la politique des personnes âgées. Source : Fédération nationale des Club des Personnes âgées (Zenkoku Rôjin Club Rengôkai) : http://www4.ocn.ne.jp/~zenrou/ (site officiel)

409 Le Centre des Ressources humaines âgées (Silver Jinzai Haken Center) a été créé en 1975 à Tôkyô sous forme d'une association indépendante ayant pour objectif de mettre en valeur les compétences et expériences des personnes âgées dont le nombre était grandissant. L'esprit de l'association est : « autonomie, indépedance, coopération et entraide (jishu - jiritsu - kyôdô - kyôjo) ». Ensuite, en 1980, l'association a été généralisé à l'aide de l'Etat dans tout le Japon au sein des collectivités territoriales. C'est en 1986 que l'association est devenue une affaire nationale par l'adoption de la « Loi sur la Stabilité de l'emploi des personnes âgées (kôreisha nado no koyô no antei nado ni kansuru hôritsu) ». Source : Association nationale des Centres des ressources humaines âgées (Zenkoku Silver Jinzai Center Jigyô Kyôkai) : http://www.zsjc.or.jp/rhx/index.jsp (site officiel)

410 Ceci était sous le nom de la « Section Vieillissement - Diminution de la Jeunesse (Shôshi kôrei tantô-ka) ».

le Bureau de l'Education Permanente.

Enfin, nous pouvons remarquer que, malgré un changement extérieur et supérieur déterminant le contexte d'apparition de la SCI (Entrée en vigueur de la Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées), l'établissement de cette Section est marqué, dans son intérieur, par une sorte de « bricolage » qui n'est pas forcément défini par le haut et qui invente ses propres idées en combinant de différents éléments accessibles. Et ceci tant au niveau de ses compétences qu'au niveau de sa forme d'organisation. Ses compétences sont marquées par une intersectorialité complexe (santé mentale et physique, éducation permanente, travail, participation sociale, agriculture et ruralité). Et sa forme d'organisation est également marquée par ses aspects localisé et hétérogène (participation citoyenne, déplacements successif d'un bureau à l'autre, présence d'administrateurs de différents domaines etc).

Caractère général des données

Notre examen de l'implication de la SCI dans le Projet Nô-Life se base, sur trois plans de la politique du vieillissement de la Ville411. Ces trois documents sont publiés et successivement révisés depuis 2000 (l'année de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes).

Au niveau de l'intérieur de la SCI, nous avons le rapport produit et rendu au maire de Toyota en 2001 (expliqué plus haut) par le CPCI (Ikigai-zukuri Suishin kaigi)412. Il montre non seulement des travaux de réflexion portant sur l'élaboration de nouvelles mesures sur le vieillissement, mais également ceux ayant élaboré, en terme de la création d'Ikigai, de nouveaux représentations et mode d'actions liés à la thématique du vieillissement.

Représentations : mise en relation de Ikigai et la ruralité (Nô)

Pourquoi et comment la place de l'idée d'Ikigai a été accordée et légitimée par la politique de la municipalité de Toyota ? Pour répondre à cette question, nous allons d'abord constater une portée politique et sociale de l'entrée en vigueur en 2000 de la Loi sur l'Assurance des Personnes âgées dépendantes, qui marque, au niveau politique, un grand changement des représentations du vieillissement au Japon. Ensuite nous allons examiner l'évolution récente des représentations portées par la politique municipale de Toyota sur le vieillissement. Il s'agit d'une approche généalogique sur l'émergence de l'idée d'Ikigai en tant qu'un projet politique légitime aussi bien qu'au niveau national qu'au niveau local.

Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes (Kaigo-hoken hô)

La Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes adoptée en 1997 semble marquer un grand tournant politique et sociétal au Japon. C'est un tournant pour le Japon en tant qu'Etat-providence. L'objectif de notre analyse ici n'est pas d'étudier l'évolution de la politique sociale du vieillissement au Japon dans son détail. Cependant, il nous serait utile de survoler cette évolution pour comprendre le changement qui s'est opéré sur les représentations objectives du vieillissement au Japon de ces dernières décennies, ainsi que les contextes d'apparition de l'établissement de la SCI de la Ville de Toyota, et ensuite le processus de la construction du Projet Nô-Life. C'est pourquoi nous allons nous baser sur des explications générales données

411 Direction Santé et Bien-être, 2000 ; Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être, 2003 ; Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être de la Ville de Toyota, 2006.

412 Comité pour la promotion de la création d'Ikigai, 2001.

dans un ouvrage japonais publié en 2001, intitulé « Introduction à la Sécurité sociale (Shakai Hoshô Nyûmon) » et ecrit par Zenji TAKEMOTO, expert de la sécurité sociale japonaise413.

L'apparition de la Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes est liée, d'une part, au vieillissement de la population accéléré414 par rapport aux autres pays développés, d'autre part, au changement du style de vie de la population japonaise lié à l'urbanisation et à la rapide industrialisation réalisée à l'époque de la Haute croissance japonaise (Kôdo keizai seichô jidai)415.

Quant au vieillissement, d'après une estimation nationale, le taux de la population âgée de plus de 65 ans va dépasser 25% en 2015 au Japon. Cette phase du vieillissement est appelé « société hyper âgée (chô-kôrei shakai) ». En général, l'augmentation du taux de population âgée dans une société fait augmenter celui de la population malade ou handicapée, parmi laquelle le risque de dépendance s'impose à long terme. Ce risque de dépendance à long terme est présent, surtout chez les personnes âgées de plus de 75 ans, dû aux affections chroniques comme le diabète, les rhumatismes, les troubles des organes de la digestion plutôt qu'aux affections aiguës416. Et ceci constitue la plus grande cause de l'augmentation du coût médical417. Ce risque de dépendance nécessite non seulement des services médicaux mais surtout des aides aux personnes âgées dépendantes (kaigo) et de divers services pour le "bien-être (hukushi)" à long terme418.

Le nombre des personnes qui ont besoin d'aides aux personnes âgées dépendantes au Japon était de 2 627 675 en 2001419. Le Ministère du Travail et du Bien-être (Kôsei Rôdô shô) estime qu'en 2010, il y aura, parmi la population âgée de plus de 65 ans, 1 900 000 personnes affaiblies (kyo-jaku), 300 000 personnes démentielles (chihô) et 1 700 000 personnes grabataires (netakiri), soit 3 900 000 personnes au total. Puis, pour l'an 2025, on estime 2 600 000 personnes affaiblies, 400000 personnes démentielles et 2300000 personnes grabataires, soit 5200000 personnes au total420.

Par alilleurs, le principal changement du style de vie de la population japonaise est au niveau famillial. En effet, la rapide industrialisation de l'époque de la Haute croissance et l'urbanisation qui s'est développé parallèlement, ont fait augmenter le nombre des familles nucléaires ainsi que les foyers constitués uniquement par des personnes âgées421. Ce qui fait diminuer considérablement la capacité de la prise en charge des personnes âgées dépendantes au sein des familles422.

Le phénomène appelé l' « hospitalisation sociale (shakai-teki nyûin) » explique bien une des conséquences de ces derniers constats de la société japonaise. Il s'agit de bon nombre de gens ayant des maladies inguérrisables par des traitements médicaux, qui restent hospitalisés pour des raisons "sociales" dues notamment à la situation familliale et ensuite au manque de systèmes de aides aux personnes âgées dépendantes et du bien-être dans leur territoire. Ce phénomène est vu de manière négative dans la société japonaise. De plus, au niveau familial, la surcharge que constitue la prise en charge des personnes âgées dépendantes imposée aux autres membres de la famille, souvent des femmes au foyer, peut même conduire, de manière critique, à la détérioration des relations familiales.

Tous ces contextes sociaux ont fait apparaitre l'idée de la « socialisation des aides aux personnes âgées dépendantes (kaigo no shakai-ka) » qui consiste d'abord à séparer le travail des aides aux personnes âgées dépendantes de celui des services médicaux, puis, à financer ces services par l'introduction d'une nouvelle assurance sociale et ensuite à les assurer avec divers acteurs publics et privés.

En fait, cette introduction de la nouvelle assurance sociale en matière des aides aux personnes âgées dépendantes implique un important changement au niveau des représentations politiques du vieillissement au Japon : il s'agit du rôle de l'Etat centralisé et de celui de la famille. En effet, auparavant, les aides aux personnes

413 Takemoto, 2001 : 145-166.

414 Naikaku-hu, 2006 : 9.

415 Takemoto, 2001: 146-147.

416 Takemoto : 148.

417 Ibid.

418 Ibid.

419 Ibid. : 160.

420 Ibid. : 147.

421 Ibid. ; Naikaku-hu, 2006 : 9.

422 Ibid. : 147.

âgées et les services de bien-être des personnes âgées étaient financés par l'impôt centralisé et assurés par certains organismes limités (collectivités territoriales et « personnes morales pour le bien-être public (shakai-hukushi hôjin) »)423 . Puis, les familles et les hôpitaux complétaient le manque de services généré par ces organismes limités. Toutefois, la situation du vieillissement accéléré a rendu insuffisante la capacité des prises en charge assurées par ce système centralisé de l'Etat et complétée par les familles.

L'application du système de l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes introduit une série de nouveaux principes : choix des individus-usagers vis-à-vis des aides aux personnes âgées dépendantes ; nouveaux rôles des collectivités territoriales en tant qu' « assureur (hokensha) » ; rôle complémentaire de l'Etat ; services centrés sur ceux à domicile ; divers services offerts par les organismes publics et privés.

Le paiement de cotisations est obligatoire à partir de l'âge de 40 ans424. Les cotisants ont le droit de demander une aide aux personnes âgées dépendantes à partir de l'âge de 65 ans. L'Etat (c'est-à-dire l'impôt) finance les collectivités territorriales pour la moitié du coût de ces services pour compléter le financement assuré par cette assurance425.

Changement des représentations du vieillissement dans la politique japonaise

Sans entrer dans le détail du fonctionnement de ce système, retenons les aspects essetiels du changement : il s'agit d'une hausse de responsablités de la part des organismes locaux (dont notamment les collectivités territoriales) et de celle des individus.

Pour les organismes locaux, leurs responsabilités sont grandissantes et considérables aussi bien quantitativement que qualitativent. La quantité absolue de la demande en la matière et sa hausse prévue à long terme sont importantes. Puis, le contenu et la qualité des offres des services doivent être différenciés et surtout individualisés en fonction des degrés de risque de dépendance de chaque usager de ces services. A cet effet, les degrés de dépendance (yô-kaigo do) sont fixés à six niveaux. Puis, le montant de l'assurance dont les usagers peuvent bénéficier est très différent selon ces degrés. L'inégalité éventuelle de la quantité et de la qualité de services offerts paraît d'autant plus accentuée que deviennent sensibles et difficiles les travaux pour l'évaluation de ces degrés effectués par les collectivités territoriales.

Pour les individus, le poids financier pèse davantage lourd pour les cotisants de moins de 65 ans, du fait qu'ils n'ont pas le droit de bénéficier de cette assurance à la différence de l'Assurance Nationale Santé (Kenkô hoken) où chaque cotisant, quelque soit son âge, peut en bénéficier. De plus, l'augmentation du montant de cotisation est fort probable dans le futur.

Par ailleurs, cette série d'augmentation de responsablités locales et individuelles face aux risques dus au vieillisement induit la nécessité de renforcer la capacité d'autonomie des personnes âgées au sein de la société. « Développer des systèmes sociaux où les personnes âgées peuvent exercer leurs compétences » est de plus en plus exigé426. Puis, « agir en sorte que les personnes âgées puissent retrouver leur Ikigai dans la société va contribuer à augmenter le nombre des pesonnes âgées en bonne santé »427. Enfin, « cela va produire de bons effets secondaires comme une rationalisation de la sécurité sociale grâce au freinage des coûts des aides aux personnes âgées dépendantes et de ceux médicaux »428.

La Ville de Toyota ne fait pas exception à ce type de raisonnement général sur l'autonomie des personnes âgées. D'ailleurs, c'est ce raisonnement qui a fait apparaître la SCI dans la Municipalité de Toyota. Les mesures pour la « Création d'Ikigai (Ikigai zukuri) » destinées aux « personnes âgées en bonne santé (genki na kôrei-sha) » sont ici considérées comme efficaces pour la « prévention de la dépendance (Kaigo-yobô) ». D'ailleurs, en 2005, une réforme nationale de la Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes

423 Ibid. D'où le phénomène de l' «hospitalisation sociale» et l'augmentation d'attentes pour l'entrée dans les organismes d'aide-soignante dont le nombre était limité.

424 La moyenne nationale du montant de cette cotisation par personne est de 2500 yens soit environ 17 euros par mois (Ibid. :

158).

425 Ibid. : 150.

426 Ibid. : 146.

427 Ibid.

428 Ibid.

a accordé davantage d'importance à cette prévention429. Nous examinerons d'abord la situation locale de la Ville de Toyota à l'égard du vieillissement de la population, et ensuite les travaux de la SCI.

Situation du vieillissement de la population dans la Ville de Toyota

Dans la Ville de Toyota, le taux de vieillissement430 est de 11.1% en 2000. C'est relativement bas en comparaison avec les chiffres national et départemental (17.3% et 14.5%). C'est pourquoi on qualifie cette ville d'une « ville jeune »431. Toutefois, ce taux va augmenter de manière accélérée d'ici 10-15 ans du fait de l'importance démographique de la génération baby-boom432. En effet, dans la Ville de Toyota, le nombre de la population de cette tranche d'âge est particulièrement important en raison de l'histoire de son développement réalisé grâce à l'essor de l'industrie automobile depuis les années soixante433. Selon l'estimation faite par la Ville, le taux de vieillissement sera de 13.4% en 2005, de 16.7% en 2010, de 19.8% en 2014434. Et la Municipalité estime que, dans la Ville de Toyota, l'augmentation du taux de vieillissement continura à s'accélérer jusqu'en 2020.

Le nombre des personnes âgées de la première catégorie (zenki kôrei-sha : personnes de 65 ans à 74 ans) est de 26 745 et celle de la deuxième catégorie (Kôki Kôreisha : personnes de plus de 75 ans) est de 17 204, soit au total 43 949 sur une population totale de 394 467 en 2000. Cependant, la Ville estime qu'en 2018, le nombre des personnes âgées de la deuxième catégorie va dépasser le nombre de celles de la première catégorie.

Rapport implicite avec la décentralisation en cours

Ajoutons que cette dynamique politique du vieillissement n'est pas sans rapport avec le processus de la décentralisation actuellement en cours au Japon. Takemoto relève ce point : « Les assureurs de l'Assurance des Aides aux personnes âgées sont les municipalités (shi-chô-son). Le système est ainsi construit de manière décentralisée pour que les services propres à leur localité puissent être offerts »435. Mais cette diversité de services est « à double tranchant » : « certaines collectivités motivées font de grands efforts, mais d'autres pas, en réduisent les tarifs des cotisations. D'où une inévitable disparité régionale. »436. D'ailleurs, l'offre de ces services peut dépendre de la demande locale : « Soit les services à domicile, soit les services en institution, sans avoir plus de certaine quantité de demandes, il est impossible d'offrir les services efficaces. »437 D'où un inévitable lien avec le mouvement massif de la fusion des collectivités au Japon : « La mise en vigueur de la Loi sur l'Assurance des Aides aux personnes âgées dépendantes constitue une des causes de la fusion des collectivités actuellement en discussion »438.

Dans le mouvement massif de la fusion des collectivités appelée « grande fusion de l'ère de Heisei (Heisei no daigappei) »439, qui s'est amorcée à la fin des années 90, les collectivités à faible capacité financière dont les collectivités rurales dépeuplées (kaso jichitai)440 notamment, risquent de perdre leur entité administrative en

429 Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être de la Ville de Toyota, 2006 : 1-2.

430 Le taux du nombre des personnes âgées de plus de 65 ans sur la population totale.

431 Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être de la Ville de Toyota, 2006 : 13.

432 La génération baby-boom designe la population née entre 1946-1949. Cette génération est appellée au Japon « dankai no sedai (génération de cohorte) ». Ce terme provient d'un romain du même titre publié en 1976 traitant ce sujet, dont l'auteur est Taichi SAKAIYA, ecrivain et économiste japonais. Ce terme implique que cette génération a toute une particularité commune au niveau des expériences et des caractères et par rapport aux autres générations antérieures et ultérieures (Sakaiya, 2005 : 11-16)

433 Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être de la Ville de Toyota, 2006 : 12.

434 Ibid. : 17.

435 Takemoto, 2001 : p. 162.

436 Ibid. : 162 - 163.

437 Ibid. : 163.

438 Ibid.

439 Sur l'historique des fusions des collectivités locales au Japon, voir le Chapitre 1.

440 En 1970, l'Etat a adopté une loi visant à établir un ensemble de mesures visant à relever les collectivités dépeuplées. A cette époque, il y avait près de 1000 collectivités dépeuplées. Et en 2000, il y en a près de 1200 collectivités concernées par ces mesures. Aujourd'hui, si ces collectivités occupent la moitié de tout le Japon au niveau de la surface, le nombre total d'habitants dans ces collectivités occupent que près de 6% sur la population totale japonaise. Aujourd'hui, si ces collectivités occupent la moitié de tout le Japon au niveau de la surface, le nombre total d'habitants dans ces collectivités occupent que près de 6% sur la population totale

fusionnant avec d'autres collectivités voisinantes.

La Ville de Toyota s'inscrit pleinement dans ce contexte. Elle a fusionné, en 2005, avec six collectivités rurales dont cinq étaient désignées jusqu'alors comme « collectivités dépeuplées (kasoka) » et situées dans des zones de moyenne montagne. La nouvelle Ville de Toyota a ainsi adopté un nouvel réglement municipale (jôrei) sur l'aménagement du territoire intitulé « Règlement fondamental de l'aménagement de la Ville (machizukuri kihon jôrei) » dont le préambule ci-dessous est marqué par la nécessité de faire face aux problèmes liés à la relation urbain - rural émergente et inévitable ainsi qu'au vieillissement de la population. Tous les projets exercés au sein de la municipalité doivent respecter le contenu de ce Règlement.

« Tout en mettant en valeur nos diverses localités irremplaçables que nous avions développées, notre ville de Toyota travaille pour créer une ville où vivent ensemble la ville et les campagnes rurales et montagnardes. Orienté par la Charte communale de Toyota, nous souhaitons apprendre, travailler et vivre riche et en toute sécurité. Ici, nous établissons le Règlement fondamental de l'aménagement de la Ville de Toyota, avec l'idée de base que, pour notre futur, tout le monde, les enfants et les personnes âgées inclus, s'efforce à l'aménagement de la ville via la coopération en tant que porteurs de cet aménagement, et a pour objectif de réaliser une société locale et autonome. »441

Représentations du vieillissement dans la politique municipale : une généalogie de l'idée d'Ikigai

Une idée centrale de la politique de la ville à l'égard du vieillissement fut formulée comme ci-dessous dans un plan intitulé « Perspective pour une société longévitale de la Ville de Toyota (Toyota-shi Chôju Shakai Kihon Kôsô) » créée en 1989 :

« Viser une société de coexistence où chaque citoyen joue son rôle et, sur la base des principes de jijo (aide par soi-même ou self help) et de gojo (entraide ou mutual help), tout le monde devient autonome et peut partager le plaisir de vivre »442

Ensuite, les trois idées de base furent formulées comme ci-dessous en 1993 dans le « Plan municipal de la Santé et du Bien-être des personnes âgées (Toyota-shi Kôrei-sha Hoken Hukushi Keikaku) »443 :

1 Une société de coexistence qui nous permet de maintenir une vie sociale et d'avoir Ikigai même si l'on devient grabataire.

2 Une société longé vitale et saine où tout le monde peut se soutenir et peut être soutenu.

3 Soutiens à l'autonomie en tant qu'objectif fondamental du bien-être social

Le Plan municipal de la Santé et du Bien-être des personnes âgées pour les années 2000-2004, résume ainsi ces idées : « l'idée que l'ensemble des citoyens se soutiennent pour que l'on puisse passer une vie autonome avec Ikigai même si on devient grabataire »444. Puis, « cette idée est conjointe avec les idées fondamentales des mesures de la Santé et du Bien-être (Hoken-hukushi) de la Ville de Toyota, c'est-à-dire, le jijo (efforts personnels et familiaux), le gojo (entraide entre habitants locaux) et le kôjo (aides publiques : larges soutiens institutionnels réalisés par l'administration et des organismes privés etc.) »445. C'est pour cela que ces idées ont été reprises par ce plan pour les années 2000-2004.

Le Plan pour les années 2000-2004 formule son objectif fondamental comme ceci : « Une ville de longévité et de santé où l'on passe une vie vivante et en toute sécurité (anshin shite ikiiki to kuraseru kenkô chôju no

japonaise. (Source : Site officiel de la Préfecture d'Aichi. : http://www.pref.aichi.jp/chiiki/kaso1/index-frmpg.htm)

441 Selon « Toyota-shi Machizukuri Kihon Jôrei (Règlement fondamental sur la Production de la Ville de Toyota) ».

442 Direction Santé et Bien-être, 2000 : 80.

443 Ibid.

444 Ibid.

445 Ibid.

machi) »446. En fait, cette formule est fruit d'un changement apporté, dans le contexte de l'introduction du Système de l'Assurance des Aides aux personnes âgées dépendantes, à la formule faite en 1991 dans un plan global de l'aménagement de la Ville de Toyota qui était comme celui-ci : « une ville du bien-être où l'on peut passer toute la vie en toute sécurité (anshin shite shôgai wo sugoseru hukushi no machi) »447. En remplaçant le mot « bien-être » par les mots « longévité et santé », le Plan pour les années 2000-2004 met l'accent sur l'élément de la « vie vivante (Ikiiki to kurasu) » qui implique le sens d'Ikigai. Pour expliquer ce changement de formule, le Plan pour les années 2000-2004 fait une mise en relation avec l'introduction de la Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes :

« La Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes est un système `où l'on soutient les aides aux personnes âgées dépendantes par l'ensemble de la société en se basant sur l'idée de la solidarité' et également un système `où les usagers décident leurs services de santé (hoken), de médecine (iryô) et de bien-être (hukushi)' et en bénéficient de manière englobante et cohérente.'. C'est un nouveau système de la sécurité sociale ayant pour objectif de soutenir les aides aux personnes âgées dépendantes sans polariser les charges de ces aides qu'à certaines personnes particulières. De ce fait, il est nécessaire d'inclure une orientation où chacun continue sa propre vie de manière autonome en bénéficiant des services. Une vie autonome et indépendante se réalise dans un cadre de vie où la bonne santé et Ikigai sont présents, et qui permet de pouvoir vivre en toute sécurité »448.

Suite à cet objectif fondamental, les deux piliers suivants sont formulés pour l'application des mesures concrètes : « production de la santé vivante par chacun de nos citoyens (shimin hitori-hitori no ikiiki kenkô-zukuri) » ; « établissement d'un système local de soins chaleureux (omoiyari ahureru chiiki `care-system' no kakuritsu) »449. Ensuite, le Plan se donne trois thématiques des points de vue suivants : « santé - ikigai » ; « soutien à autonomie » ; « environnement sécurisant »450.

En fait, c'est à ce niveau-là que l'idée d'Ikigai a vu le jour dans le cadre de la politique du vieillissement de la Ville de Toyota. C'est dans la première thématique qu'elle est clairement définie et située. Dans la première thématique, l'idée d'Ikigai est clairement liée à la longévité et à la santé. Et la santé étant un élément universel comme « ce que tout le monde souhaite »451. Et l'idée de la « prévention de la dépendance (kaigo-yobô) » est clairement formulée comme suit « nous allons susciter une prise de conscience au sein du public sur la gestion de santé, via une mise en valeur de diverses affaires de santé, pour son maintien de la bonne santé et sa prévention des risques de dépendance »452.

Donc, l'idée d'Ikigai est non seulement située dans le cadre de la sensibilisation à la santé, mais précisément dans le cadre de la prévention de la dépendance. Elle est destinée aux personnes qui ne sont pas encore dans la phase de dépendance. D'où l'apparition de la nouvelle catégorie de la population cible de la politique du vieillissement : personnes âgées en bonne santé (genki na kôreisha).

La première thématique va encore plus loin en terme de définition de l'idée d'Ikigai. Elle la met en relation avec une série de nouveaux éléments : « santé mentale (kokoro no kenkô) » liée à la « participation sociale » et l'« apprentisage à vie ou l'éducation permanente (shôgai gakushû) » et ensuite « travail d'Ikigai (ikigai shûrô) ». Elle explique ainsi ces mises en relation :

- « Concernant la santé, il est nécessaire de tenir compte non seulement de la santé physique mais aussi de la santé
mentale. Il sera ainsi nécessaire de mettre en place des soutiens pour construire une vie pleine d'Ikigai par le biais de la

446 Ibid : 81.

447 Ibid.

448 Ibid.

449 Ibid.

450 Ibid. « 1 Soutien pour la réalisation d'une vie avec la bonne santé et Ikigai (santé - ikigai) ; 2 Soutien pour la réalisation d'une

vie autonome des personnes âgées (soutien à l'autonomie) ; 3 Aménagement d'un environnement où l'on peut vivre

indépendamment en toute sécurité (environnement sécurisant). » (Ibid.)

451 Ibid. : 82.

452 Ibid.

participation sociale et de la promotion de l'apprentisage à vie »453

- « Près de 90% des personnes âgées sont en bonne santé et ils ont une haute motivation pour le travail. Le travail des personnes âgées peut être lié à Ikigai et constituer une grande puissance qui soutient l'ensemble de la société dans le contexte du vieillissement - diminution accélérée de la population jeune (shôshi-kôreika). De ce fait, le soutien au travail des personnes âgées sera davantage nécessaire. »

L'idée d'Ikigai est ainsi située et plus structurée dans une des trois thématiques de la politique du vieilissement, en relation avec la promotion de la santé mentale qui est suceptible d'avoir un effet positif sur celle physique. Puis, ceci est destiné aux personnes âgées en bonne santé plutôt que celles qui ont besoin d'aide, et cette promotion est encouragée, par le biais des : participation sociale ; éducation permanente; travail454.

En même temps, l'idée d'Ikigai se sépare, de fait, des deux autres thématiques concernant la mise en place et le développement d'une série de nouvelles infrastructures pour les aides aux personnes âgées dépendantes comme les services à domicile, services en institution, informations sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes, main-d'oeuvre dans les aides aux personnes âgées dépendantes etc.

Mise en place du Comité pour la Création d'Ikigai (Ikigai-zukuri Suishin Kaigi) dans la Direction Santé et Bien-être

Dans le Plan pour les années 2000-2004, l'établissement du CPCI est prévu dans le cadre de la première thématique « Soutien pour la réalisation d'une vie avec la bonne santé et Ikigai (santé - ikigai) » qui se divise en trois domaines suivants : 1 Promotion Santé (Kenkô-zukuri no Suishin) ; 2 Soutien aux Participation sociale et Création d 'Ikigai (Shakai-sanka ya Ikigai-zukuri heno Shien) ; 3 Soutien au travail (Shûrô heno Shien) 455. L'étabilissement du CPCI est explicité dans le deuxième domaine indiqué ci-dessus avec un ensemble de projets concréts à réaliser dont l'agriculture est abordée pour la première fois. Les projets principaux prévus dans ce domaine sont ainsi les suivants :

- Enrichissement des cours dans les centres cummunaux (université des personnes âgées, cours sur les hobbies etc) - Enrichissement des opportunités de présentations des fruits de l'éducation (exposition, compétition etc)

- Etablissement de centres pour un usage multigénérationel

- Examen de l'étabisssement d'un centre complexe de l'Education permanente « maison pour l'échange intergénérationel »

- Etablissement du Comité pour la Promotion de la Création d'Ikigai

- Réunion pour la formation des leaders des personnes âgées

- Promotion des Activités pour la communication et l'échange avec l'agriculture456

(souligné par le rédacteur)

Comme il l'a été expliqué plus haut, en 2000, le CPCI a été organisé par la participation de 12 citoyens sélectionnés par un concours général et 7 administrateurs de la Municipalité dont Monsieur A, responsable du CPCI et Monsieur K, président actuel du Centre Nô-Life et employé du BPA de l'époque. Ensuite, en aôut 2001, ce comité a abouti à rendre au maire de Toyota un rapport de propositions sur les mesures pour la création d'Ikigai. Il formula les trois propositions suivantes qui vont déterminer les piliers des mesures de la création d'Ikigai au sein de la municipalité de Toyota et dont la première sera l'idée qui va précéder le Projet Nô-Life457.

- « Travail d'Ikigai valorisant le `Nô' (ruralité) (`Nô' wo ikashita Ikigai shûrô) » : projet d'une Ferme école des personnes âgées (Kônenreisha Taiken Nôjo Jigyô)

453 Ibid.

454 Ici, le contexte est clairement lié à la thématique internationale du « vieillissement actif ».

455 Direction Santé et Bien-être, 2000 : 85.

456 Ibid. : 89.

457 Comité pour la promotion de la création d'Ikigai, 2001 : 1.

- « Enrichissement d'un lieu de création d'Ikigai par le biais d'apprentisage de techniques et de connaissances (gijutsu - chishiki wo shûtoku shi Ikigai zukuri no ba no jûjitsu) » : Inauguration de l'Université du Trosième âge (Kônen daigaku no kaikô)

- « Mise en place d'une fonction de coordination des demandes diverses d'Ikigai (Tayô na Ikigai needs no Coodinate Kinô no Secchi » : Ouverture du « Young Old Support Center (Centre du soutien des jeunes vieux) » (souligné par le rédacteur)

Le lien entre l'idée d'Ikigai et la ruralité (Nô) a ainsi été établi par ces propositions du CPCI. La mise en relation de ces deux éléments a été réalisée par des réflexions faites au sein du CPCI et de travaux de coordination effectués par la SCI. Pour éclairer les éléments de représentations mobilisés dans cette mise en relation, nous examinerons le contenu de ce rapport de propositions et des explications données par Monsieur A, Madame S et Monsieur K, président du Nô-Life.

Relation entre Ikigai et Nô (ruralité) avec la dimension sociale et territoriale

Dans le Plan pour les années 2003-2007, version révisée du Plan précédent, la SCI présente un schéma mettant en relation les idées de la participation sociale (shakai sanka) et de la Création d'Ikigai et les différents types d'acteurs locaux concernés dont les acteurs ruraux (foyers et organisations agricoles) sont mentionnés (Voir l'annexe 9)458.

Dans ce schéma, autour d'une série d'institutions coordonnées par le CPCI (Young Old Support Center, Université du Troisième âge, Ferme école des Personnes âgées, Centre des Ressources humaines âgées, Clubs des Personnes âgées etc), les thématiques de la Participation sociale et de la Création d'Ikigai met en relation en réseau sous la forme d'un cercle quatres types d'acteurs territoriaux : les « communautés locales » ; les « foyers et organisations agricoles » ; les « bénévolats et NPOs (Non Profit Organisation) » ; les « entreprises ».

Ici, nous pouvons remarquer une intention, de la part de la SCI, de lier les acteurs territoriaux de différents niveaux et secteurs par l'intermédiaire des thématiques de la participation sociale et d'Ikigai autour des activités coordonnées par le CPCI. Monsieur A nous a expliqué comme ci-dessous son intention pour cette coordination intersectorielle en répondant à une question de l'enquêteur :

« [L'enquêteur : Quelles sont les autres structures extérieures avec lesquelles vous êtes en collaboration depuis l'établissement du Comité ?] Euh, dès le départ, la thématique que l'on a choisie pour démarrer le Comité était la `Création d'Ikigai par le biais du travail (Shûrô ni yoru Ikigai zukuri)'. C'est le CPCI. C'était de ce point de vue-là que l'on a intégré des employés de Hellowork459 chargés des personnes âgées qui étaient dans la Direction de la Politique de l'Industrie et du Travail (sangyô- rôsei ka) (de la Municipalité), et le Centre pour les Ressources humaines âgées. On a intégré ces deux organismes dans notre comité du point de vue d'Ikigai des personnes âgées en tant qu'un centre doté de la fonction du centre dans son ensemble. »

Et le Projet Nô-Life, qui s'organise en collaboration entre la Municipalité de Toyota et la CAT, se situe, d'après Madame S, dans la partie indiquant le rapport avec « les foyers et organisations agricoles » et les mesures de la Création d'Ikigai. Puis, l'explication donnée dans le Plan sur ce schéma, en redéfinissant les contextes et les objectifs de l'application des mesures, met l'accent sur les liens sociaux au niveau territorial.

« Vu la tendance d'affaiblissement des communautés locales liée à la mobilité démographique, le changement de la structure des foyers, la diversification de Life Style, il devient important d'avoir des objectifs de la vie et Ikigai pour que chacun puisse passer sa vie comme il le souhaite en maintenant une relation avec la société. A cet effet, nous commençons la promotion de l'éducation permanente tout en intégrant les niveaux locaux, et nos soutiens au travail dans lequel les personnes âgées peuvent mettre en valeur leurs techniques et compétences qu'ils avaient acquis au

458 Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être, 2003 : 61.

459 Le Hellowork est le nom d'un agence public pour l'emploi au Japon comme l'ANPE en France.

cours de leur carrière (professionnelle). Puis, nous nous efforçons à assurer les diverses occasions et lieux qui permetteront aux personnes âgées de valoriser leurs énergies comme les activités bénévoles, récréatives et l'échange intergénérationnel460. »

Là, on peut voir une intention manifeste de la SCI de mettre en relation des liens sociaux et leurs thématiques de la participation sociale et d'Ikigai tout en mettant l'accent sur le problème d'un affaiblissement de liens sociaux de type « communautaire » et « locaux », du à l'individualisation et l'urbanisation des modes de vie de la population locale comme indiquent les termes suivants « mobilié démographique », le « changement de la structure des foyers » et la « diversification de Life Style ».

Pourquoi une telle mise en relation ? : Réponses de Madame S

Pourquoi alors un tel raisonnement autour de l'idée d'Ikigai ? Madame S explique le principe de sa mission comme ci-dessous en définissant d'abord l'idée d'Ikigai comme étant avant tout « subjective » et pouvant différer chez les uns ches les autres :

« ..., en fait, Ikigai n'a pas de limite d'âges, dès la naissance jusqu'à la mort, chacun peut l'avoir en fonction de sa période de vie. Il peut y en avoir 10 chez 10 personnes, 100 chez 100 personnes. C'est une histoire très subjective, je pense. La question est : comment l'administration peut s'y impliquer ? De notre part, on se spécialise aux personnes qui vont être âgées et qui sont âgées d'à peu près 55 ans jusqu'à leur fin de la vie, ce qui peut durer à peu près 40 ans. (...) On leur propose un menu et après, c'est à chacun de trouver un Ikigai ou pas. On présente une telle chose, et le choix de l'utiliser ou de ne pas l'utiliser, c'est à la liberté de chaque citoyen. Puis, ce dont l'on s'occupe, ce n'est pas des loisirs personnels - c'est à chacun d'en chercher - mais, ce que l'on appelle la `contribution territoriale ou sociale', ou la `participation sociale', de faire trouver Ikigai [à chacun], en ayant un lien avec la société ou le territoire où il habite. C'est par là que l'administration pourrait apporter une aide, je pense. »

Puis, elle a expliqué des traits spécifiques de la population de la Ville de Toyota et son vieillissement en abordant le problème de la retraite massive de la génération du baby-boom (dankai no sedai) et l'histoire urbaine de Toyota marquée par l'essor industriel avec l'Automobile Toyota depuis les années 65-75 :

« (...) Quant au problème de 2007 où la génération du baby-boom née après 1947 va massivement prendre leur retraite, c'est sois disant `happy retire'. Cependant, avec la prolongation d'emploi lié au problème de la pension461, cela ne serait pas si massif et brutal que l'on le croyait. Mais vers 2012 où ils auront 65 ans, il y aura des problèmes quelques part. Le changement sera un peu plus doux plutôt que brutal. De toute façon, c'est la même chose, je pense. (...) Il s'agit du système urbain de la Ville de Toyota, l'impact de l'Automobile Toyota vers les années 65 - 75 est grand. La ville a grandi, physiquement et démographiquement. Bien entendu, il y a des fusions des collectivités, non celle de Heisei mais... (...). Vers le début des années 65 - 75, l'époque où l'Automobile Toyota s'est développée, il y a eu de plus en plus d'arrivants de l'extérieur de la ville ou plutôt du département. Et à cette époque, la génération du baby-boom choisit, pour leur travail après l'école, l'Automobile Toyota ou ses filiales. Ces gens-là, qui ne sont pas originaires de Toyota au niveau ancestral, disons que ce sont des `immigrants de la première génération'. Il se marient et créent leur famille et leur maison ici. C'est ces gens-là qui vont être à la retraite. Bien sûr, avec le problème de 2007, le babyboom est important au niveau national, mais à Toyota, c'est particulièrement significatif. Puis, comment puis-je dire, pour ces gens-là qui ont leur maison, mais n'ont pas de rizière ni de champs chez eux dont ils pourront s'occuper après leur retraite, qu'est-ce qu'ils vont faire après avoir quitté leur entreprise ? De le départ, ils n'ont pas de lien d'enfance entre eux, et sont devenus citoyens de Toyota après être adultes. Leur lien territorial est donc très faible. On dit, plus on est « homme d'entreprise (kaisha ningen) », plus cela a tendance à être le cas. C'est par rapport à ces gens

460 Ibid.

461 Il s'agit de la réforme politique actuelle de la sécurité sociale au Japon. Le début du paiement des pensions sera progressivement repoussé de 60 ans à 65 ans. L'accomplissement de cette réforme est prévue pour 2025.

là qu'il y a le rapport avec les mesures d'Ikigai, c'est pareil dans le cas de Nô-Life. Le président K disait que, il y en a beaucoup qui sont originaires de Kyûshû qui sont deuxième ou troisième fils de fermes. En fait, ce sont des gens qui ne sont pas totalement urbains. »

De ces explications, nous pouvons comprendre le poids de la dimension historique et spécifique à la Ville de Toyota, concernant la relation entre l'idée d'Ikigai et la ruralité dans ces représentations que Madame S nous a exprimé ci-dessus par rapport au problème du vieillissement. Il s'agit d'un « déracinement », oserait-on dire, de la population toyotaienne de la génération baby-boom à majorité ouvrière et non-originaire de cette région462. Pourtant, ce déracinement, il ne faudrait pas le confondre avec la prolétarisation des paysans des années 60-70, à savoir la fameuse émigration saisonnière des paysans japonais qui subissaient des conditions de vie extrèmement défavorables dans les grandes villes, appellée comme « dekasegi ». En effet, dans le cas de Toyota que nous étudions ici, il s'agit, en général, de problèmes de la « retraite heureuse ». Cela comme Madame S nous l'a évoqué avec le mot `happy retire', de manière quelque peu ironique, au début de ces explications citées ci-dessus. Ainsi, la question d'Ikigai de la population de la Ville de Toyota n'est pas direcrement liée à celle du déracinement des paysans prolétarisés, mais plutôt à la faiblesse du lien social et territorial au sein d'une population locale qui a pu bénéficier d'un grand essor économique réalisé dans la période de la Haute croissance.

Rapport de propositions de 2001

Le rapport de propositions qui a été rendu au maire en 2001 par le CPCI, a développé un ensemble d'idées pour démarrer l'ensemble des mesures de la Ville de Toyota pour la création d'Ikigai. Comme on l'a déjà souligné plus haut, sa forme d'organisation était marquée à la fois par sa méthode participative et l'intersectorialité au niveau de son domaine de compétences, ce que l'on pourrait appeller une sorte de « bricolage » plutôt que des travaux effectués de manière spécialisée et purement administrative. Sur ce point, Monsieur A nous a répondu comme ci-dessous en expliquant que le CPCI était organisé, lors de la discussion entre 2000 - 2001, de manière spontanée et même anticipante de la situation englobante comme celle de la tendance à la décentralisation.

« [Enquêteur : (...), là, il y a des organismes qui sont de différents domaines de compétences qui s'impliquent...] Ici, c'était avec le Bureau de l'Education permanente qui était attachée à la Commission de l'Education à l'époque. On faisait déjà des discussions où on se disait `tiens, nous, on faisait ceci et cela à l'université populaire ou aux centres communaux...'. Ensuite, c'était avec le Musée de l'art populaire, le Musée du pays, le Bureau de l'Industrie et du Travail, le Bureau de l'Echange intergénérationel etc. On développait par là nos communications vis-à-vis de diverses propositions. Là [concernant la ruralité], c'était beaucoup avec le Bureau de la Politique agricole, sur la culture légumière, le jardinage etc. On examinait, thématique par thématique, la faisabilité et la responsabilité pour divers projets. Il était également possible de dire `ça, c'est aux habitants à le faire par eux-même'. Désormais, peut-être on fera davantage de cette manière... On l'a fait comme une tentative qui a précédé la décentralisation de nos jours. [Enquêteur : c'est intéressant. Mais cette tentative n'était-elle pas commandée par le haut comme l'Etat ? Ou bien, était-ce un fruit d'interactions entre divers acteurs locaux ? Ben, sans doute était-ce l'initiative locale qui a dû anticiper, je suppose.] Oui. En fait, du côté de l'administration, on a une limite d'intervention malgré nos diverses tentatives de soutiens pour répondre aux demandes locales. Si on saisit bien la demande, le projet va se développer, sinon, il va décliner. Si on essaie d'avancer un projet uniquement par la motivation de la part de responsables administratifs, on aura des inconvénients. Dans un tel cas, on pourrait immédiatement arrêter le projet. Mais, tant qu'à faire, avant de commencer un projet si difficile et compliqué, pourquoi pas demander les avis des citoyens ! C'est plus rapide. C'était une telle idée si simple. »

462 Nous avons vu dans le chapire 1 le phénomène de l'émigration rurale massive vers la Ville de Toyota accélérée entre 1965 et 1975 depuis toute l'archipel du Japon.

Donc, l'idée d'appliquer la concertation au public avec une telle coordination intersectorielle au sein du Comité pour développer ses projets, était pour avoir une meilleure efficacité de l'intervention publique afin de mieux répondre aux demandes locales. Et Monsieur A tient toujours son intérêt sur les idées qui ont été développées dans ce rapport établi en 2001 :

« Donc, on a diverses propositions politiques (dans le rapport) pour les activités possibiles des personnes âgées, que l'on a pas encore entreprises. Mais si on réétudie là-dedans, il serait possible de développer de nouveaux projets. Il peut y avoir une concentration d'idées là-dedans qui sont encore possibles à réaliser. »

Ce rapport a développé au total 13 propositions particulières qui ont convergé aux trois propositions finales suivantes :

1 « Travail d'Ikigai valorisant le `Nô' (ruralité) (`Nô' wo ikashita Ikigai shûrô) » : projet d'une Ferme école des personnes âgées (Kônenreisha Taiken Nôjo Jigyô)

2 « Enrichissement d'un lieu de création d'Ikigai par le biais d'apprentisage de techniques et de connaissances (gijutsu - chishiki wo shûtoku shi Ikigai zukuri no ba no jûjitsu) » : Inauguration de l'Université du Trosième âge (Kônen daigaku no kaikô)

3 « Mise en place d'une fonction de coordination des demandes diverses d'Ikigai (Tayô na Ikigai needs no Coodinate Kinô no Secchi » : Ouverture du « Young Old Support Center (Centre du soutien des Jeunes vieux) »463

Sans détailler le contenu de toutes les 13 propositions particulières, voyons ci-dessous les titres de ces propositions liés chacun à une des trois propositions finales indiqués ci-dessus. Les thématiques abordées par ces 13 propositions sont très diversifiées :

- Plan de Second Life Academy : 1

- Mise en valeur de friches agricoles (jardin horticole ; location de jardins potagers ; ferme école ; culture de légumes biologiques ; fertilisation du sol pour le jardinage) : 1

- Plan de Second Life Academy (recité) : 2

- Etablissement de l'Université du Troisième âge : 2

- Penser le `Travail d'Ikigai pour la production matérielle (mono-zukuri ikigai shûrô wo kangaeru)' (restauration du tissu artisanal de coton de Mikawa464) : 2

- Mise en place d'un système éducatif pour la réinsertion et les activités bénévoles des personnes âgées : 2

- Projet de soutiens aux travaux ménagers (services à domicile par les personnes âgées, services de soins à domicile aux foyers composés de personnes âgées ou de personnes handicapées) : 2

- Projet de recyclage, réparation des matériels non utilisés (réparation et vente de matériels non utilisés par un atelier ; service de réparation à domicile de jouets) : 2

- Projet de soutiens à la garde et à l'éducation d'enfants (ouverture de crèches et de classes d'enfants ; projet de vente de matériels recyclés pour les enfants) : 2

- Construction d'un réseau dont le centre est la Ville de Toyota : 3

- Mise en place d'un système d'enregistrement de ressources humaines âgées : 3

- Création d'un système d'épargne - points pour les activités bénévoles des personnes âgées : 3

- Mesures pour le bien-être des personnes âgées : école des adultes ; établissement d'une piscine pour la réhabilitation ; construction d'un logement public pour les personnes âgées : autre465

Parmi ces propositions, ici, nous allons s'intéresser au contenu des deux premières propositions liées à la

463 Comité pour la promotion de la création d'Ikigai, 2001 : 1.

464 Le Mikawa est le nom ancien de la région de Toyota et ses alentours. L'industrie textile du coton étaient fleurissantes dans cette région jusque vers les années 20. C'était justement après la crise économique que cette industrie était au déclin continu et c'est l'industrie automobile qui a remplacé l'industrie principale de la région après la deuxième guerre mondiale.

465 Ibid.

première proposition finale du « projet d'une Ferme école des personnes âgées » qui va donner l'idée de base au Projet Nô-Life. Le BPA est pleinement concerté pour élaborer ces propositions et il y a donné des opinions, de son point de vue, pour la réalisation de chaque projet proposé.

Proposition 1: « Second Life Accademy Plan ». Son origine agricole et rurale.

D'abord, concernant la première proposition intitulée de manière quelque peu originale « Second Life Academy Plan », il s'agit d'une proposition de créer un système de formation destiné aux pensionnés pour qu'ils puissent passer leur vie après la retraite avec Ikigai par le biais « des contribution productive, sociale et culturelle (Sangyô-kôken, shakai-kôken, bunka-kôken »466 . Cette idée correspond largement à l'idée fondatrice de la SCI, à savoir la contribution sociale et Ikigai des personnes âgées. En consultant des documents détaillés de cette proposition qui étaient utilisés sur la table de discussion du CPCI en 2001 et 2002, citons ci-dessous les formulations de l'idée de base, la définition donnée au terme « Second Life Academy ».

Conception du Second Life Academy (Second Life Academy Kôsô)

1. L'idée de base : Au 21ème siècle, dans la Ville de Toyota, il est estimé qu'une augmentation du nombre de citoyens qui passent leur vie dans un sentiment d'inquiétude et de désolation en raison de l'accroissement du nombre de familles nucléaires et du vieillissement des gens qui ont contribué au développement de la Ville. S'il y a un moyen de les apaiser, cela serait le rôle en tant qu'une personne active pendant toute sa vie et un sentimenet d'être sûr de son existence. Nous définissons les mesures visant à leur offrir de tels éléments, ainsi que les soutiens à la vieillesse riche comme une des plus importantes thématiques de la Ville.

2. Qu'est-ce que `Second Life Academy' ?

Pour vivre une deuxième vie (= vie à la retraite) avec Ikigai, il est indispensable de monter une conscience de la participation de soi-même aux contributions productive, sociale et culturelle. Nous inaugurons ainsi ce Second Life Academy en tant qu'un organisme d'éducation afin de former des ressources humaines qui seraient susceptibles de jouer le rôle de leader dans leur territoire467.

Tout en se focalisant sur un risque que la vieillesse pourrait provoquer dans la vie comme « vie dans un sentiment d'inquiétude et de désolation », il cite également le développement de familles nucléaires comme une des causes de ce risque. Cette problématique semble particulièrement marquer la Ville de Toyota, en rapport avec son histoire urbaine qui est « jeune », c'est-à-dire, une ville développée par une seule industrie nouvelle après la guerre et peuplée par des arrivants de l'extérieur. Cette représentation rejoint la préoccupation de la SCI qui mettait l'accent sur l'affaiblissement de liens sociaux et territoriaux dans son plan.

Par ailleurs, cette « conception » est marquée par une importance accordée à une série d'activités agricoles dans sa filière « productive ». Pourquoi alors un tel attachement aux activités agricoles ? En effet, on peut remonter la source du contenu de cette première proposition jusqu'au Plan de 96. Le CPCI a donc repris cette idée, en concertant des employés du BPA de l'époque dont notamment Monsieur K, président du Projet Nô-Life, pour élaborer ses propres discussions.

En plus, concernant cette « conception du Second Life Academy », c'était Monsieur S, le directeur actuel de la Direction des Activités agricoles de la CAT (acteur 3 que nous aborderons plus bas) qui avait proposé cette conception à la Municipalité de Toyota lors de l'élaboration du Plan de 96. Au début, cette conception était formulée pour la CAT. Avec le nom de « conception de l'école rurale (nôson-juku kôsô) », elle avait été

466 Ibid. : 2.

467 Comité pour la promotion de la création d'Ikigai, 2002 : 1. Après la présentation des idées de base, le programme est proposé ainsi : i. Condition d'admission : les habitants pensionnés de la Ville de Toyota qui sont capable de venir à l'école sans aide de quelqu'un ; ii. Programmes : Filière obigatoire (cours sur les problèmes de la société contemporaine) ; Filière agricole (production légumière et fruitière ; élaboration et fabrication de produits dérivés dans un atelier de transformation ; vente des produits transformés dans un point de vente ; distribution de légumes à la cantine scolaire ; un restaurant de déjeuner mettant en valeur les produits récoltés et transformés) ; Filière artisanale (expositions des oeuvres ; vente des oeuvres) ; Filière Service (tour des foyers des personnes âgées glabataires et isolées ; aides comme nettoyage, consultation etc ; autres activités répondant aux demandes sociales) (Ibid.)

proposée afin de répondre au problème du manque de successeurs d'exploitations agricoles de la région de Toyota dans le contexte du vieillissement démographique. Ainsi, d'après Monsieur S, le CPCI a carrément remplacé le terme de la « Coopérative agricole de Toyota » par celui de la « Ville de Toyota » dans la formulation de l'idée de base de ce plan !

Puis, cette conception avait déjà été mise en pratique en 2000, au sein de la Coopérative agricole, sous la forme d'une formation agricole destinée uniquement aux personnes des foyers agricoles et pluriactifs dont l'importance est notamment accordée aux femmes et pensionnés. Cette école, s'appellant l'« Ecole de l'agriculture vivante de Toyota (Toyota Iki-iki Nôgyô-juku) », continue encore ses activités aujourd'hui. Et la Municipalité a également pris leurs expériences comme exemple pour démarrer le Projet Nô-Life. Dans la partie de l'acteur 3, nous verrons les explications données par Monsieur S sur ces projets.

Enfin, le BPA donne ses avis favorables vis-à-vis de cette proposition du « point de vue agricole » en tenant compte de l' « aggravation d'abandon de terrains agricoles due au manque de porteurs »468. Puis, en évoquant des problèmes juridiques concernant l'utilisation de terrains agricoles par les personnes des foyers non-agricoles, et des problèmes du coût d'investissement aux équipements), il suggère déjà la nécessité de la mise en place d'un nouvel établissement susceptible d'accueillir les personnes, surtout celles des foyers non agricoles, qui ont l'intention de suivre une formation agricole plus élaborée. Ainsi, sera envisagé plus tard le Projet Nô-Life donnant deux ans de formation agricole à ses stagiaires et ainsi de suite les qualifie d'être agriculteur susceptible de louer un terrain agricole à partir de 10 ares.

Proposition 2 : « Mise en valeur de friches agricoles ». Un objectif commun entre les mesures d'Ikigai et celle agricoles - rurales.

En comparaison avec la proposition 1 qui avait un côté conceptuel pour établir une nouvelle vision globale de la vie à la retraite, la proposition 2 apporte des idées plus concrètes sur des projets proposant diverses activités agricoles et rurales. Voici le motif de cette proposition et les aperçus de quatre projets proposés :

Motif

« Il est regrettable de laisser les jachères rendues en friche que l'on trouve beaucoup dans la ville. C'est pourquoi nous allons les louer afin d'en créer des projets concernant le `vert (midori)' »

 
 
 
 

Projet 1 : Jardin
horticole

- Réaliser comme une entreprise, une production horticole (du semi à la vente) semblable à celle de `Maison des Fleurs'469

Projet 2 : Location de
jardins potagers -
ferme école470

- Afin d'offrir des lieux d'échange avec les habitants locaux et des occasions pour communiquer avec la nature, créer des jardins potagers de petite taille utilisables pour les amateurs et en développer les projets d'une location de jardins potagers et d'une ferme école.

- Réaliser comme une entreprise, des cultures légumières par la méthode biologique jusqu'à la vente des produits récoltés.

Projet 3 : Culture de
légumes biologiques471

Projet 4 : Fertilisation
du sol pour le
jardinage472

- Réaliser comme une entreprise, la fertilisation du sol pour le jardinage et la vente de ce sol : utiliser des arbres dans les rues et les feuilles mortes dans les parcs ; utilisation de déchets végétaux, en collaboration avec le Centre des Ressources humaines âgées, comme branches d'arbres coupées et morceaux d'arbres ; acheter les pailles auprès des fermes et les utiliser pour la fertilisation du sol ; rammasser les déchets ménagers biologiques et les utiliser pour la fabrication du fumier. - Effet : réduction des déchets

(Comité pour la promotion de la création d'Ikigai, 2001 : 10 - 12.)

468 Ibid., 2001 : 2.

469 La « Maison des Fleurs (yamamuro hana house) » est un établissement horticole créé dans la Ville de Toyota en 1997 par le Centre des Ressources humaines âgées. Ayant pour l'objectif d'être un établissement du travail d'Ikigai, il emploie des personnes âgées pour sa production horticole (Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être, 2003 : 72). Pour cet établissement, le CFLS (acteur 6) a pris l'initiative (nous verrons plus bas).

470 Kashi nôen - nôen gakkô jigyô.

471 Yûki saibai no yasai zukuri jigyô.

472 Gardening yô `tsuchi' zukuri jigyô.

Pour cette proposition, le BPA donne, projet par projet, ses avis portant sur la faisabilité, les problèmes de moyen de réalisation, des propositions alternatives etc. L'idée formulée dans le motif, de remettre en valeur les friches agricoles en s'appuyant sur divers moyens possibles, semble devenir un objectif commun entre le CPCI et le BPA autour de la double thématique de valorisation, à savoir : valorisation du travail d'Ikigai des personnes âgées et celle de l'agriculture et de la ruralité en crise.

Mode d'actions

Après la remise du rapport de propositions du CPCI au maire en 2001, les trois propositions finales du rapport ont été mises en oeuvre en 2002 : à savoir : Ferme école pour les personnes âgées (kônensha taiken nôjô) ; Université du Troisième âge (kônen daigaku) ; Young Old Support Center.

La Ferme école a été intégrée, lors de son inauguration, dans une des filières de l'Université du Troisième âge sous le nom du `Département de l'Agronomie environnementale (Kankyô nôgaku ka)'. En 2005, elle loue deux terrains agricoles dans la Ville de Toyota (dont la suface est 1.1 ares et 1are) et le nombre de ses étudiants est 32 personnes473. En 2005, l'Université du Troisième âge a quatre « départements » : vie vivante (Iki-iki seikatsu gakka) ; culture-artisanat (bunka-kôgei gakka) ; agronomie - environnement ; échange sympathique (waku-waku kôryû gakka). Et le nombre d'étudiants est 117 personnes (y compris celui de la Ferme école)474. Le Young Old Support Center, centre d'accueil pour le public, il fonctionne comme un centre d'informations et de coordination. Le nombre de visiteurs de cet établissement était, en 2005, 18100 personnes475.

Et le CPCI continue ses activités de réunions de réflexion depuis 2000. Les membres du CPCI se renouvellent tous les deux ans par un concours citoyen ouvert aux personnes âgées de plus de 18 ans (donc, elles ne sont pas limitées aux personnes âgées.) Lors de l'entretien avec Madame S et Monsieur A, c'était donc la fin de la troisième période du CPCI (les années 2005-2006 et 2006-2007). Il joue toujours un rôle important comme lieu privilégié de réflexion sur l'ensemble des mesures pour la Participation sociale et Ikigai des personnes âgées, en interaction entre des participants citoyens et des administrateurs municipaux.

Son mode d'actions est, dès le début du CPCI en 2000, toujours marqué par une insectorialité, une flexibilité, une reflexibilité et enfin une multiplicité de rôles (coordination des acteurs en réseaux, gestion des mesures d'Ikigai, point d'accueil au public etc). Cela nous laisse entrevoir sa grande capacité, en tant qu'un agent public, d'invention d'idées, de modes d'actions et de mesures concrètes. Etant structurée dans le secteur administratif et public, la SCI et la relation de réseau coordonnée par elle, montrent un nouveau mode d'action publique et territoriale émergent. Et cette émergence est marquée à la fois par la nouvelle situation globale et locale du vieillissement de la population au Japon, et par la dimension historique et spécifique de son territoire.

Cependant, on peut mentionner quelques faiblesses qui résident dans son mode d'actions. D'abord, un manque de spécialisation dans ses actions, car il n'y a pas d' « experts » d'Ikigai. Comme Madame S nous l'a expliqué, « le bien-être et le soin doivent être chargés par l'administration, mais l'idée d 'Ikigai des individus impliquant une telle subjectivité individuelle, n'existaient pas auparavant dans les domaines de l'administration ». C'est sans doute pour cela que l'administration doit faire le recours à une approche participative. De plus, il y a une ambiguîté dans sa fonction concernant Ikigai des individus : elle est d'abord liée à la subjectivité des individus ayant chacun ses interprétations d'Ikigai. D'où la difficulté d'évaluation de ses activités. Comment quantifier la valeur d'Ikigai qui est tout d'abord définie comme élément de la santé mentale ? Dans la politique du vieillissement, son ambiguîté est marquante par rapport l'importance plus évidente de la fonction des soins aux personnes âgées dépendantes.

473 Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être de la Ville de Toyota, 2006 : 60 ; Young Old Support Center de la Ville de Toyota, 2006 : 13.

474 Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être de la Ville de Toyota 2006 : 58.

475 Ibid. : 57.

Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life : un rapport d'entente, mais un décalage d'intérêts sectoriaux.

Quant à la position de la SCI vis-à-vis du Projet Nô-Life, un rapport d'entente ou de coopération semble être établi surtout en se basant sur l'idée de la combinaison Ikigai - ruralité.

Un rapport d'entente et de coopération

A travers le processus de l'élaboration du projet de la Ferme école au sein du CPCI, un consensus de base avait été établi entre la SCI et le BPA. Et ce consensus, tant au niveau des représentations sur la relation entre l'idée d'Ikigai, l'agriculture et la ruralité, qu'au niveau de modes d'actions au niveau de la mise en oeuvre politique.

En effet, le rapport de coopération entre la SCI et le BPA était étroit pour démarrer la Ferme école. C'est Monsieur K, responsable du côté du BPA pour le CPCI depuis 2001 et président actuel du Centre de Nô-Life, qui a donné un avis favorable au projet de la Ferme école et entamé la discussion entre le CPCI et le BPA vers la mise en oeuvre du projet476. Il explique ainsi : « Lorsque Monsieur A et d'autres collègues ont démarré l'Université du Troisième âge et commencé la Ferme école, ils nous ont demandé à louer des terrains agricoles. C'est à ce moment-là qu'il fallait que le BPA obtienne une authorisation et régler des choses pour cela. C'était encore le moment où le plan de notre projet (Nô-Life) n'était pas clarifié, puis, j'ai négocié avec le BPA pour réaliser ce projet de la Ferme école et élaborer les programmes par la suite etc. Ces expériences-là nous ont servi à commencer ici (Nô-Life) 477»

Depuis, un rapport de bonne entente continue entre la SCI et le BPA au travers la relation entre la Ferme école et le Projet Nô-Life. En effet, la Ferme école fonctionne comme une « porte d'entrée » pour des stagiaires qui veulent commencer des activités agricoles à partir d'un niveau de petit jardins potagers. Puis, la Ferme école donne à ses stagiaires des renseignements sur le Centre Nô-Life pour qu'ils puissent aller plus loin dans leur pratique agricole, s'ils veulent : il s'agit de continuer et progresser dans leur activité agricole après un an de formation de la Ferme école, et finalement de pouvoir louer des terrains agricoles après avoir terminé la formation Nô-Life. Monsieur A explique ainsi cette liaison entre la Ferme école et le Centre Nô-Life : « L'important, c'est de pouvoir saisir l'occasion ou pas. Essayer d'abord ici (Ferme école) est une chose. Et c'est un an de période d'essai comme une étape avant d'aller au Centre Nô-Life. Et si on a le sentiment de pouvoir continuer là, on ira au Centre Nô-Life. Il y en a beaucoup qui pensent comme ça, en fait. Donc, le Centre Nô-Life et la Ferme école sont liés. » Donc, la liaison entre la Ferme école et le Nô-Life fonctionne comme un réseau, un réseau de formations de l'agriculture de type Ikigai à différentes échelles, qui sont destinées aux citoyens.

Une distance d'intérêts sectoriaux

Cependant, il y a une distance nette entre la SCI et le Projet Nô-Life malgré leur relation de coopération. Cette distance n'est pas celle entre la SCI et le BPA, mais celle entre la SCI et la CAT (coopérative agricole) qui est co-gestionnaire du Projet Nô-Life avec le BPA depuis le démarrage du Projet Nô-Life. Ces deux agents, la SCI et la CAT, relèvent des deux secteurs différents : l'un du secteur des services du vieillissement, et l'autre du

476 Une des plus grandes préoccupation du côté du BPA était un problème foncier et jufidique dans le cadre de la Loi agraire sur l'utilisation de terrains agricoles par une personne non agriculteur.

477 Puis, c'était une membre citoyenne du Comité qui voulait faire un programme d'activités agricoles dans le cadre de mesures d'Ikigai, ce qui a fait entrer un employé du Bureau de la Politique agricole dans les discussions du Comité. Mais, mais la personne qui était responsable du côté du Bureau pour le Comité en 2000 avant Monsieur K, avait refusé la réalisation de la proposition de cette Ferme école en raison d'obstacles imposés par le droit rural. En effet, il n'avait pas la même idée que Monsieur K qui avait l'esprit de « essayer d'abord, et régler des problèmes après »...

secteur agricole qui est privé et économique. Donc il y a déjà une divergence d'intérêts de nature entre ces deux agents : d'un côté le service pour le bien-être de tous, et de l'autre le développement agricole.

Et dans les procédures de la mise en oeuvre du Projet Nô-Life, la SCI était absente. Les procédures de la réalisation du Projet Nô-Life ont été assurées par le BPA et une série d'agents du secteur agricole qui étaient concertés et coordonnés par le BPA478. D'ailleurs, la préoccupation propre aux agents de ce secteur est bien représentée dans une des thématiques principales du Projet Nô-Life : celle de la « formation de porteurs de l'agriculture (Nôgyô no ninaite no ikusei) », relevant de la politique agricole nationale du moment actuel. Et le terme d'Ikigai est également employé par la politique agricole locale depuis un moment pour designer une catégorie de producteurs agricoles qui sont à faible productivité479. Mais l'emploi de ce terme dans la politique agricole est plutôt marquée par le sens économique que celui socio-culturel que vise la SCI au travers de la thématique de la « participation sociale et travail d'Ikigai des personnes âgées ».

Sur ce point, Monsieur A, responsable de la SCI, nous a expliqué en parlant du rapport entre le Projet Nô-Life et le développement local. Même si la SCI n'est pas directement impliqué dans le Projet Nô-Life, sa vison sur celui-ci semble être celle du développement local de la Ville de Toyota dans le sens de l'idée de la « ville rurale480 » qui met en lien l'agriculture et la ruralité au cadre de vie et au lien social et territorial des habitants, plutôt qu'un simple développement agricole dans le sens économique. Selon lui, « L'idée d'introduire le `Nô (agriculture et rural)' dans un cadre de vie est synonyme d'un aménagement de la ville intégrant l'agriculture et la ruralité»481 .

A la différence de la coopérative agricole qui a tendance de viser une « agriculture intensive », la vision que Monsieur A a du Projet Nô-Life est orientée vers l'image d'une « ville rurale » intégrant des éléments de ruralité, dans le cadre d'un aménagement urbain-rural, dans le cadre de vie des habitants qui n'en disposent pas forcément. Même s'il ne suggère pas une situation de conflit entre la SCI et les agents du secteur agricole dont notamment la CAT, un écart de représentations sur le Projet Nô-Life et l'agriculture de type Ikigai entre ces deux agents nous semble assez net.

Acteur 3 : Direction des Activités agricoles de la Coopérative agricole de Toyota (CAT)

Caractère général de l'acteur

478 Il s'agit des : la coopérative agricole (CAT, acteur 3), l'administration agricole départementale (BDPA, acteur 4), l'organisme de vulgarisation (ECV, acteur 5), la Commission agricole etc. Les connaissances mutuelles entre ces agents du secteur agricole sont historiquement constituées dans le cadre des activités pour le « développement agricole » ayant une connotation économique et sectorielle.

479 Voir la partie de l'acteur 5.

480 `Inaka toshi' en japonais.

481 Voici la question - réponse entre l'enquêteur et Monsieur A : « [ L'enquêteur : La caractéristique du Projet Nô-Life me semble être liée à l'originalité de la Ville de Toyota : caractère non mégalopole comme Tokyo où la hausse de prix fonciers est extrème avec la speculation, mais une ville moyenne et rurale, qui est riche grâce à ses industries... Y-a-t-il des rapports possibles avec le Projet Nô-Life et l'aménagement urbain ?] C'est bien ça, c'est une 'ville rurale'. Sans avoir un cadre de vie comme base, on ne peut rien faire. L'idée d'introduire la 'ruralité (nô)' dans un cadre de vie est égale à un aménagement de la ville intégrant cette ruralité. Toutefois, - si ça peut être une contradiction politique - pour faire une agriculture intensive, et pour un développement agricole, il est nécessaire de baisser le coût et développer une agriculture à grande échelle, je pense. (...) Mais après tout, sans base de vie, pas de tentatives d'activités agricoles. Pour les habitants de grands ensembles (= 'danchi' en japonais), il n'y en a nulle part (moyens pour faire des activités agricoles). En bref, leur environnement ne leur permet pas de le faire. Alors, par où on doit ouvrir des portes pour eux ? Les jardins potagers et familiaux sont là, mais ce n'est pas encore suffisant. L'idée de les élargir seulement au niveau administratif est perverse. Il serait plus important que les gens de foyers agricoles créent un environnement favorable, puisqu'ils ont des moyens de le faire au niveau institutionnel. Donc, l'important est de donner des méthodes à ces gens-là, par exemple des subsides, comme par exemple 'on aide 20% pour aménager vos terrains agricoles et pouvez-vous en faire des jardins familiaux ?' etc. Ca serait une idée, même si l'on ne l'a pas encore étudiée... ».

Présentation générale des Coopératives agricoles japonaises (JA) : un peu d'histoire

L'établissement des « Coopératives agricoles japonaises (Nôgyô kyôdô kumiai : Nôkyô ; Japan Agriculural Cooperatives : JA » remonte en 1948. L'origine de cette organisation remonte à l' « Union agricole (Nôgyô kai) » établie en 1943 par le régime totalitaire pendant la guerre pacifique dans le but de centraliser, sous l'égide de l'Etat, la distribution des denrées alimentaires.

Une coopérative, mais également une grande firme...

Le JA est un organisme représentant l'immense majorité des foyers agricoles japonais, en 2004, le nombre d'adhérents était environ 5 050 000 membres officiels (foyers agricoles) et 4 090 000 membres associés (foyers non agricoles) au Japon482. Et le nombre total de coopératives agricoles était de 813 en 2004 alors qu'en 1993, il était de 3012. Ce qui correspondait à peu près au nombre de collectivités au Japon à cette époque. Depuis lors, accompagné par le changement de son appellation générale de « Nôkyô » à « JA », le mouvement massif de fusions intercommunales de coopératives fut très rapidement procédé jusqu'à aujourd'hui. Ce qui reflète le déclin de la population agricole japonaise, notamment accentué dans les petites collectivités rurales dépeuplées. Le nombre de membres officiels, c'est-à-dire les agriculteurs, a également diminué de 720 000 depuis 1975 (5 770 000 en 1975 à 5 050 000 en 2004) en raison de la diminution du nombre des foyers agricoles483.

Etant une coopérative agricole, elle est également un grand organisme financier : la Banque de JA (Nôrin chûo kinko : The Norinchukin Bank) est une grande banque à l'échelle mondiale484.

Les fonctions des JA sont diverses. Quatre fonctions générales sont : achat commun des matériels agricoles (engrais, pesticides, machines etc) ; vente commune des produits agricoles ; crédits (épargne, prêt etc) ; mutualité (assurances de vie, de logement, auto etc). Puis s'y ajoutent l'offre de divers services pour la vie quotidienne des membres (supermarchés, santé, aides aux personnes âgées, tourisme, organisation de cérémonies funéraires etc.)

Coopérative agricole de Toyota (CAT)

La CAT avait, en 2005, 15352 membres agriculteurs composant 15132 foyers agricoles485. D'après la brève explication de Monsieur S, directeur de la Direction des Activités Agricoles (Einôbu) de la CAT, cette direction a quatre domaines d'activités : achat commun des matériels agricoles (kôbai), vente commune des produits agricoles (hanbai), utilisation d'établissements (riyô : silo, locaux pour le calibrage etc.) ; orientation agricole (shidô : stages agricoles, conseils techniques etc).

Pour la CAT, le Projet Nô-Life relève du domaine de l'Orientation agricole. Si le domaine de la vente constitue une des prémières préoccupations de la Direction des activités, les activités de l'orientation agricole ne produisent pas directement de profits économiques pour les membres. Le domaine de la vente constitue ainsi le « visage de la Coopérative (nôkyô no kao) », « C'est, dit Monsieur S, de là que l'argent vient pour les membres ». C'est pourquoi Monsieur S souhaite également faire le lien entre l'investissement au Projet Nô-Life et un développement de la vente de produits agricoles. Ces dernières années, le chiffre d'affaires de la CAT a tendance à baisser en raison de la baisse des prix agricoles comme celui du riz notamment dans le contexte de la libéralisation du marché.

Partenaires institutionnels

482 Zenkoku Nôgyô kyôdô kumiai chûou kai : Zen-chû (Fédération centrale des Coopératives agricoles japonaises) : http://www.zenchu-ja.or.jp/profile/b.html (site officiel).

483 Ibid.

484 En 1995, elle était dans les dix premiers rangs des plus grandes banques dans le monde.

485 Aichi Toyota Nôgyô Kyôdô Kumiai (2005) : 25.

Les partenaires avec lesquels la CAT collabore régulièrement sont : les municipalités situées au territoire concerné (dont notamment celle de Toyota) ; le département (BDPA : Bureau Départemental de la Politique Agricole) ; l'organisme de vulgarisation (ECV : Ex-Centre pour la Vulgarisation, attaché au département). Les municipalités et le département concernent notamment le domaine administratif : la gestion des subsides, et celle des biens fonciers avec la Commission agricole486 etc. Puis, l'ECV est chargé du domaine d'orientation agricole au niveau technique et économique.

Bref historique de l'implication de la CAT dans l'élaboration du Projet Nô -Life

L'évènement marquant la première implication de la CAT dans le processus de l'élaboration du Projet Nô-Life fut la proposition de « la Conception de l'Ecole rurale (nôson juku kôsô) » par Monsieur S, dans le cadre du Plan de 96 de la Municipalité de Toyota

En fait, cette conception contenait les idées qui influençèrent le plus une série d'actions concernées qui ont précédé le Projet Nô-Life depuis la fin des années 90 jusqu'en 2004 : Jardins citoyens ; Ecole de l'agriculture vivante ; Ferme-école des Personnes âgées etc. Et comme on l'a vu dans la partie précédente sur la SCI, la proposition était initialement faite par Monsieur S sous un titre différent : « Conception du Second Life Academy ». Monsieur S, qui était soucieux de la situation du manque de successeurs des activités agricoles au sein des foyers agricoles, du au vieillissement de la population agricole, a eu l'idée d'ouvrir une école afin de donner un enseignement agricole pour les retraités salariés des foyers agricoles n'ayant très peu d'expériences agricoles. Ensuite, la Municipalité de Toyota voulut prendre cette idée comme un projet pour le public en général en majorité salariale pour lequel le problème du vieillissement démographique était de plus en plus considéré comme important. C'est ainsi que, nous l'avons vu, le CPCI coordonné par la SCI, a repris cette conception comme idée de base pour élaborer leur proposition remise au maire en 2001.

Suite au lancement du Plan de 96, et à la suspension du projet du Parc rural en 1999, la CAT commença à mener ses actions, en collaboration avec le BPA et l'ECV, pour réaliser une série de projets qui étaient prévus dans le cadre de la Conception de l'Ecole rurale. Les Jardins citoyens (1998-) et l'Ecole de l'agriculture vivante (2000-2003) furent ainsi mis en oeuvre, afin d'encourager le public à mener des activités agricoles dans le territoire de la Ville de Toyota.

Jardins citoyens (1998-)

L'ouverture des « Jardins citoyens (shimin nôen) » consistait à aménager plusieurs ensembles de terrains agricoles comme des jardins potagers disponibles au public dont chaque parcelle fait 70-100 \u13217§(0.7-1 are). Ces jardins sont situés en milieu rural (zone d'urbanisation contrôlée) à la différence des jardins appelés « jardins familiaux (katei saien) » qui étaient déjà aménagé à l'intérieur de la zone urbaine (zone à urbaniser), dont chaque parcelle compte 20-30 \u13217§(0.2-0.3 are). En aménageant ces nouveaux jardins potagers à une échelle plus grande, la CAT et la Municipalité de Toyota escomptaient que les usagers puissent développer leur pratique de jardinage au delà d'un simple loisir, et ainsi mettre en valeur plus de terrains agricoles qui étaient laissés en jachère ou en friche.

Ecole de l'agriculture vivante (2000-2003)

Puis, l' « Ecole de l'agriculture vivante (Ikiiki nôgyô juku) » a été lancée en 2000 par une coopération entre la Municipalité de Toyota (BPA), la CAT et l'ECV. Elle est considérée comme une forme de mise en oeuvre de l' Ecole rurale telle qu'elle était conçue dans le Plan de 96.

Ce projet consistait à donner une formation agricole à une quarantaine de stagiaires pendant un an. D'après

486 La Commission agricole dont l'origine remonte, nous l'avons vu dans le chapitre 1, à la Commission agraire organisée pour la Réforme agraire, est attachée à la Municipalité, qui donne l'autorisation à l'acquision des droits (location ou achat) d'utilisation de terrains agricoles.

Monsieur S, seulement deux jours après le lancement de l'appel à candidature pour ce stage, le nombre de personnes ayant posé leur candidature avait déjà dépassé le nombre de stagiares prévu. En utilisant des terrains agricoles gérés par la CAT, six agriculteurs de la région ont enseigné leur méthode culturale à ces stagiaires. Le projet a duré quatre ans avec succés. En plus, après la formation, un bon nombre de stagiaires (23 sur 112 anciens stagiaires en 2004) se sont organisés en un nouveau groupement de producteurs de l'agriculture biologique au sein de la CAT pour continuer leurs production et distribution de leurs produits en circuits courts.

Ce projet était destiné au public, dont les femmes et les retraités salariés des foyers agricoles pluriactifs ainsi que les retraités des foyers non agricoles. Il constitua ainsi une référence importante dans l'élaboration du Projet Nô-Life.

Puis, c'est à partir du moment où les stagiaires ont voulu continuer leur activité agricole dans leur propre terrain, que fut mis en question le problème de la Loi agraire qui réglementait le droit d'utilisation de terrains agricoles avec la surface minimum d'installation de 0.4ha. Cette régle constituait une barrière pour les stagiaires qui voulaient utiliser formellement des terrains agricoles. D'où l'élaboration du Projet Nô-Life visant à créer un système d'entremise des terrains agricoles au public, en appliquant une déréglementation de la surface minimum d'installation dans le cadre de la Politique des Zones spéciales.

Projet Nô-Life (2004-)

Enfin, le Projet Nô-Life a vu le jour en 2004, en succédant pratiquement aux activités de formation de l'Ecole de l'agriculture vivante487. Le Centre Nô-Life a été construit par la Municipalité de Toyota avec un budget municipal dont le montant est de près de 30 millions de yens488, à côté d'un centre local de la CAT en louant environ 2.3 ha de terrains agricoles destinés aux activités des formations agricoles du Projet Nô-Life. La CAT, étant co-gestionnaire du Projet Nô-Life, s'investit également en envoyant trois employés permanents dont notamment Monsieur KM, vice-président du Centre Nô-Life, chargé des activités des formations avec Monsieur KH, vice-président du côté du BPA. Puis, la CAT loue des locaux et des équipements pour les activités de formation (salles de cours, machines etc) à la Municipalité de Toyota.

Caractère général des données

Dans cette partie, l'analyse est basée sur l'entretien effectué avec Monsieur S, directeur de la Direction des Activités agricoles de la CAT. Il a accueilli l'enquêteur (rédacteur) dans son bureau de la CAT pour répondre à nos questions, pendant près d'une heure et demi489.

Représentations

Consensus de base avec la Municipalité sur le développement de l'agriculture de type Ikigai Problèmatique de base : manque de producteurs et mise en valeur de retraités salariés

Le manque de producteurs dû au vieillissement de la population agricole, et à la baisse des prix agricoles,

487 Pourtant, l'Ecole de l'agriculture vivante continue encore ses activités de formation dans certains centres locaux de la CAT.

488 Soit environ 200 000 euros.

489 Des renseignements utiles peuvent être récoltés dans les sites internet des organisations des Coopératives agricoles japonaises (JA) comme Zenkoku Nôgyô kyôdô kumiai chûou kai : Zen-chû (Fédération centrale des Coopératives agricoles japonaises) : http://www.zenchu-ja.or.jp/profile/b.html, ainsi que Nôrin chûo kinko : The Norinchukin Bank : http://www.nochubank.or.jp/outline/index.shtml et la CAT http://www.ja-aichitoyota.com/.

constitue une préoccupation prioritaire pour la CAT. D'où le motif principal de la CAT pour s'impliquer dans le Projet Nô-Life afin de « former des agriculteurs (nôka wo tsukuru) 490 ». D'après l'explication de Monsieur S, le manque de porteurs dû au vieillissement est surtout aggravé chez les producteurs maraîchers dont la structure est familiale et non sous forme d'entreprises, et qui subissent le plus la fluctuation des prix agricoles.

Ensuite, pour faire face à cette situation de crise, un point de consensus se constitua entre la CAT et la Municipalité de Toyota : une nécessité de mettre en valeur les retraités salariés des foyers agricoles et non agricoles. Voici l'explication de Monsieur S :

« ... Cependant, on ne peut pas demander aux jeunes de faire le paysan. Mais si ce sont des retraités, comme ils ont leur pension, ça pourrait être possible. C'est pour cela que l'on a demandé au maire de faire quelque chose. On leur dit donc `faites le paysan !' 491»

Idées de Monsieur S pour la Conception de l'Ecole rurale : « Ils ont un milieu pour jouer, un lieu d'existence »

Puis, Monsieur S nous a expliqué comme ci-dessous les idées qu'il avait lorsqu'il a proposé la « Conception de l'Ecole rurale » à la Municipalité de Toyota lors de l'élaboration du Plan de 96 :

« En fait, les gens autour de la génération baby-boom se sont souvent passés de faire le paysan. Par exemple, quand ils rentrent à la maison, leur grand-mère travaille aux champs. Mais eux, ils ne savent pas comment entretenir les champs et la ferme. Puis, est-ce qu'ils peuvent demander à leur mère comment le faire ? La réponse est non. Quant à l'épouse également, on fait rarement de conversation pour demander à sa belle mère comment cultiver les légumes etc. Dans ce cas, les savoir-faires de ces grand-mères n'ont qu'à disparaître. Si c'est comme cela, ça serait bien d'organiser des formations et de faire apprendre... D'où l'idée de l'Ecole rurale. Il y en a beaucoup qui ne connaissent pas l'agriculture alors qu'ils sont nés à la ferme. Eux, après leur retraite, ils ont des terrains agricoles chez eux. Puis, il y en a qui n'en ont même pas. Ils n'ont rien, en plus, s'ils doivent aller à l'hôpital tous les jours ? [Il est possible quj ils vont tous les jours à l'hôpital, sinon à Pachinko. Il y en a qui font comme ça. Mais quant aux foyers agricoles, la montagne est là, les champs sont là. Ils ont un milieu pour jouer, ce qui constitue également un lieu d'existence pour eux. Ensuite, y être tout simplement ne suffit pas, il faut faire quelque chose. Alors, il faut apprendre un petit peu l'agriculture. Mais ils ne la connaissent pas, donc on la leur apprend. Pour la coopérative agricole, s'ils peuvent ainsi devenir successeurs, c'est suffisant pour nous de s'adresser uniquement aux foyers agricoles. Mais si on travaille avec la Municipalité, elle veut s'adresser également au public, c'est-à-dire à ceux qui n'ont pas de terrains agricoles. C'est ainsi que l'on a fait appel aux personnes non agricoles pour lancer l'Ecole de l'agriculture vivante, il y a déjà 6-7 ans. »

Dans cette explication, il decrit la réalité du vieillissement des populations tant rurale qu'urbaine (ceux qui ont des terrains et ceux qui n'en ont pas). Quant aux foyers agricoles, c'est la grand-mère (ou le grand-père) qui entretient tout seul les champs, et alors que leur fils et son épouse ne s'en occupent pas.

La situation des foyers agricoles pluriactifs telle qu'elle a été decrite par Monsieur S, semble s'éloigner encore plus de l'image stéréotypée sur la pluriactivité des foyers agricoles au Japon, qui a été largement diffusée depuis l'époque de la Haute croissance : nous l'avons vu dans le chapitre 1, celle de « san chan nôgyô (agriculture de 3 chan) », il s'agit de l'agriculture de papie, de mamie et de maman. Cette désignation suppose que ces trois personnes s'occupent des champs, alors que le père (fils) va travailler tout seul à l'extérieur de la ferme. Dans la description de Monsieur S, on peut sentir que le temps a passé et que la situation des foyers agricoles pluriactifs a encore évolué aujourd'hui : les femmes vont davantage travailler en dehors de leur foyer et les grands parents n'arrivent plus à travailler aux champs en raison de leur vieilliesse, et enfin le père va

490 Le terme Nôka a un double sens : d'abord la « ferme », c'est-à-dire le foyer agricole, ensuite il designe également quelqu'un est spécialisé dans le métier agricole, donc l'agriculteur. Ceci est le même usage de « ka » que « judô ka » ou « karate ka ».

491 « Faire le paysan (hyakushô yaru) » est une exprésssion couramment utilisée parmi la population japonaise pour signifier

« travailler aux champs » ou « se mettre à des activités agricoles ». Le mot Hyakushô est un terme qui signifiait, depuis le Moyen âge, le statut général du peuple appartenant à la paysannerie japonaise.

bientôt prendre sa retraite...

Pour mieux comprendre cette explication de la situation des foyers agricoles pluriactifs, prenons la trajectoire personnelle de Monsieur S ayant un lien fort avec cette situation. En fait, Monsieur S est lui-même issu d'un foyer agricole dans une zone de moyenne montagne situé dans le territoire de Toyota. Son pays natal, s'appellant Matsudaira, avait fusionné avec la Ville de Toyota en 1970492. Puis, étant fils ainé, il n'a pas repris les activités agricoles de ses parents. Ceci afin d'aller travailler, après avoir fini ses études universitaires à Tôkyô, en tant qu'employé de la Coopérative agricole de Matsudaira qui fusionna également avec la CAT plus tard. Une telle trajectoire semble influencer la façon dont il perçoit la situation des foyers agricoles pluriactifs, puisque qu'il vit lui-même cette situation.

Dans son explictaion, les champs et la montagne constituent les plus importants capitaux pour les foyers agricoles. Ils représentent « un milieu pour jouer » et « un lieu d'existence » pour ces retraités qui n'ont pas travaillé la terre pendant qu'ils étaient salariés. Cette explication montre un élément essentiel des idées de Monsieur S qui établit clairement le lien entre le vieillissement de la population et la ruralité pour concevoir sa « Conception de l'Ecole rurale ».

Par ailleurs, il met l'accent sur le fait que c'était la Municipalité (et non la CAT) qui voulait s'adresser à la population non agricole pour lancer le projet de l'Ecole de l'agriculture vivante, et qu'il suffisait, pour la coopérative, d'avoir plus de successeurs d'activités agricoles au sein des foyers agricoles par ce projet. De cette explication, on peut remarquer qu'il y a un intérêt particulier que la CAT porte pour son implication dans le Projet Nô-Life en tant qu'un organisme représentant des agriculteurs mais non le public en général.

Vision de l'Agriculture de type Ikigai chez Monsieur S

Nous avons constaté un point de consensus entre la CAT et la Municipalité sur le problème et l'objectif généraux pour mener une coopération pour le Projet Nô-Life. Cependant, la vision que la CAT porte pour mettre en oeuvre le Projet Nô-Life, notamment celle de l'agriculture de type Ikigai, n'a-t-elle pas un trait spécifique en raison de son propre intérêt ? D'autant plus que la place de cette idée de l'agriculture de type Ikigai est centrale dans le Plan de 96 ainsi que dans le Projet Nô-Life, et que c'était Monsieur S qui a apporté, avec ses propres idées (fortement liées à sa trajectoire), une contribution importante pour l'élaboration du Plan de 96, il nous serait plus éclairant de mettre en évidence les éléments de représentations sous-tendant la vision de Monsieur S sur l'agriculture de type Ikigai.

Expériences antérieures de Monsieur S : une généalogie de ses idées sur l'agriculture de type Ikigai...

« Marché du mardi soir » à la Coopérative de Matsudaira vers 1984 : l'idée de « pouvoir gagner de l'argent avec un plaisir » dans une situation ambivalente

Plusieurs expériences que Monsieur S a antérieurement vécues dans son travail au sein de la Coopérative agricole de Matsudaira (son pays natale) et la CAT, et qu'il nous a racontées, nous apportent certains éléments importants pour comprendre sa propre vision de l'agriculture de type Ikigai. Ces expériences nous montrent qu'il y a une continuité historique dans son approche, voire une généaologie de ses idées sur l'agriculture de type Ikigai.

Vers 1984, il a eu l'expérience d'avoir réussi à organiser un marché de la vente directe à la Coopérative
agricole de Matsudaira dans laquelle il était employé à cette époque. Ce marché s'appellant le « Marché du
Mardi soir (kayô yû-ichi) », fut organisé par des femmes de 40-50 ans, et des personnes âgées des foyers
agricoles pluriactifs de Matsudaira. S'ouvrant chaque mardi vers 16h à 18h, devant la porte du supermarché de
la Coopérative de Matsudaira avec une gamme de produits du terroir, ce marché fonctionne jusqu'à aujourd'hui.
En mettant l'accent sur les femmes et les personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs, l'action anticipait

492 Le pays de Matsudaira était la seule commune situé en zone de montagne et la dernière commune parmi les cinq communes qui ont fusionné avec la Ville de Toyota à entre 1956 - 1970.

bien la mode de la « vente directe des produits agricoles », une idée largement diffusée et reconnue au Japon aujourd'hui sous le terme de « Sanchoku », notamment avec le slogan de « produire et consommer localement (chisan chishô) »493. Puis, cette anticipation était liée à la situation spécifique et locale de son pays : à Matsudaira situé dans une zone de moyenne montagne, la situation de pluriactivité, du vieillissement et de la stagnation agricole étaient fortement accentué par rapport aux autres zones situées en plaine dans le territoire de la Ville de Toyota où les conditions pour la modernisation étaient relativement favorables (facilité pour effectuer le remembrement, proximité à la zone urbaine, possibilité plus grande pour la spécialisation de la production tel que l'arboriculture etc).

D'ailleurs, à cette époque, il n'y avait pas encore de points de vente directe gérés par la CAT dans chaque quartier de la Ville de Toyota comme aujourd'hui. Ainsi Monsieur S explique comme ci-dessous ses idées qu'il avait à cette époque pour mener cette action :

« Quand j'ai créé le Marché du Mardi soir, en fait, j'avais vu beaucoup de choux chinois laissés aux champs. Et je me suis dit, `Sans doute, il y aurait des gens qui voudront tout ça...' Puis, j'ai fait le tour des mères des fermes et discuté avec elles pour commencer un marché. A cette époque, la vente directe n'exsistait quasiment pas. Le mot de `Vente directe (Sanchoku)' n'existait même pas. Les points de la vente directe comme 'Green center' de la Coopérative n'existaient pas encore non plus. (...) Il fallait le faire de manière 'face-à-face' en sorte que les gens fassent leur achat en parlant avec ces mères. On a commencé ce marché une fois par semaine. Ensuite, dans un certain temps, on a même commencé une livraison de panier avec une coopérative de consommation de Nagoya. (...) Aujourd'hui, il y en a beaucoup qui font comme ça avec e-mail... Mais cela n'existait pas à cette époque. Mais on l'a fait. Et ça continue encore. »

Comme il l'a expliqué ci-dessus, il a conçu l'idée de lancer ce marché en tenant compte de légumes qui restaient aux fermes sans être distribués au marché (« j'avais vu beaucoup de choux chinois laissés aux champs »). Puis, il a mis en oeuvre ce marché de façon à se baser sur sa localité en faisant « le tour des mères des fermes » pour organiser les gens des foyers agricoles pluriactifs de son pays. Quelle était alors la préoccupation de Monsieur S pour cette action ? Il l'explique ainsi :

« [Enquêteur : Est-ce que vous pensiez déjà au problème du manque de successeurs à cette époque ?] Non, c'était plutôt pour la vente. Je me demandais comment pouvoir faire gagner de l'argent, et comment pouvoir faire gagner de l'argent avec un plaisir. Cela en me disant comme ceci : s'il y a des légumes là, ça arrangera ceux qui en veulent'. Quelque chose comme ça. »

Donc, la préoccupation n'était même pas le problème du manque de successeurs, mais la question de « comment pouvoir gagner de l'argent avec un plaisir (tanoshimi nagara kasegu niha dôshitara yoi ka) ». Il nous faut éclaicir les nuances de cette explication. « Gagner de l'argent », il s'agit de la vente de produits agricoles, que la plupart des gens des foyers agricoles pluriactifs ne pouvaient pas effectuer au travers le grand marché (comme chez les grossistes). Puis, l'expression d' « avec un plaisir » semble impliquer une nuance plus particulière. Pour comprendre cette nuance, il faut tenir compte des diffucultés et des contraintes auxquelles les foyers agricoles étaient confrontés pour pouvoir rendre viable leur exploitation face à l'exigence du grand marché qui était établi pendant la Haute croissance économique entre 1955 et 1975. Et la plupart des foyers agricoles sont devenus pluriactifs en raison de l'impossibilité d'adapter à cette logique économique avec la structure défavorable de leur production familiale face à l'exigence du marché. Le mot de « plaisir » doit être interprété dans un tel contexte socio-économique.

493 Au Japon, depuis la période de la Haute croissance, le mouvement de « Teikei-sanchoku (vente directe contractuelle) » était déjà né entre des groupes de consommateurs de grandes villes et des groupes de producteurs agricoles. D'ailleurs, un mouvement récemment paru en France s'y réfère. Voir l'AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture paysanne) : http://alliancepec.free.fr/Webamap/index1.php (site officiel)

Situation spécifique des foyers agricoles pluriactifs japonais

En fait, cela suppose également une situation socio-économique ambivalente des femmes et des personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs. En effet, leur situation ne peut pas être interprêtée ni en terme de la misère de la paysannerie japonaise, ni en terme de l'aisance économique réalisée grâce à la Haute croissance. D'abord, les foyers agricoles japonais sont tous devenus propriétaires privés de terrains agricoles après la Réforme agraire494. Ce qui apporta à la majorité de foyers agricoles une richesse économique de base à laquelle les citadins (salariat urbain) n'avaient pas d'accès facile495. Puis, d'un côté, l'avancement de la situation de pluriactivité a fragilisé la structure d'exploitation agricole au sein de la majorité des foyers, de l'autre côté, cette situation pouvait permettre aux foyers agricoles pluriactifs d'avoir un revenu équivalent de celui des salariés du secteur industriel. Ceci pouvait surtout être le cas dans les régions industrielles dont la Ville de Toyota constitue un bon exemple, tandis que les régions plus reculées et éloignées des zones commerciales et industrielles ont subi un exode rural massif et critique496.

En tenant compte d'une telle situation ambivalente après la Haute croissance économique, qu'est-ce que représentait l'idée de « gagner de l'argent avec un plaisir » aux femmes des foyers agricoles pluriactifs ? C'était sans doute ni pour gagner de l'argent pour sa subsistance dans une situation de pauvreté critique, ni simplement pour un loisir dans une situation économiquement aisée. Sans pouvoir répondre ici de manière complète à cette question, nous pouvons évoquer, quoique hypothétique, trois éléments suivants : besoin d'autonomie socio-économique ; motivation pour continuer la production agricole ; maintien de l'identité relevant de la profession agricole en tant que « nô-ka (foyer agricole ou agriculteur / trice) ».

Le fait qu'un foyer agricole devient pluriactif dans une situation où son chef (père) travaille à l'extérieur en tant que salarié pour gagner la majeure partie des revenus de son foyer, est de commencer à perdre plus ou moins son autonomie socio-économique en tant qu'une exploitation agricole. Et ceci malgré la richesse économique apportée par son salaire. Dans ce contexte, la place des activités agricoles devenait économiquement secondaire au sein d'un foyer agricole, par rapport au travail salarial du père. Mais, les épouses de ces pères, qui restaient aux foyers, devaient, de leur côté, jouer un rôle plus important pour maintenir les activités agricoles dans leur foyer pour combler l'absence de leur mari. Mais ceci alors que ces activités agricoles n'avaient plus de performance économique pour rendre viable leur exploitation. D'où un déséquilibre de leur position socio-économique. L'idée de se lancer dans une activité de vente directe avec des femmes des autres foyers de son pays ne pouvait-elle pas rééquilibrer leur position en tant que femmes des foyers agricoles et renforcer leur autonomie ? Puis, cela pouvait leur redonner une motivation pour leur production agricole familiale à petite échelle ? Ensuite, leur identité relevant de la profession agricole devaient être assurée par ces activités ?

Si on n'employait peut-être pas encore le mot Ikigai pour designer leurs activités de vente directe, la notion d'Ikigai semble bien pouvoir correspondre à un tel contexte ambivalent. Car la notion d'Ikigai qui signifie littéralement « le sens de la vie », implique une connotation à la fois productiviste et anti-utilitariste qui favorise le sens du travail (économique), de la morale (social) et du moral (mental). Ceci alors que cette notion refuse la connotation purement lucrative.

« Mouvement de deux ou trois produits » : l'argent nécessaire pour avoir Ikigai

Monsieur S met l'accent sur l'importance d'avoir un but lucatif pour l'agriculture de type Ikigai en donnant l'exemple de l'application d'une mesure d'animation de zones de montagne lancée par la CAT, qui est

494 Voir le chapitre 1.

495 Nous avons vu dans le chapitre 1, dans l'immédiat après-guerre, il y a eu une « inflation rurale » grâce à la crise alimentaire. Puis, après la crise alimentaire, les foyers agricoles sont des possédant d'importants biens fonciers qui peuvent faire l'objet d'investissements urbains. En plus, l'impôt foncier est fixé extrèmement bas pour les montagnes et les terrains agricoles.

496 Il ne faut tout de même pas ignorer la présence de zones montagnardes fortement reculées et dépeuplées, qui sont situées dans le même département que la Ville de Toyota, dans une fourchette de 20-40 km depuis la zone industrielle de Toyota. Au Japon, la montagne occupe un immence espace à l'intérieur des îles par rapport aux plaines situées dans les zones côtières.

actuellement en cours dans le territoire de Toyota (il s'appelle « mouvement de deux ou trois produits (ni san hinmoku undô) ») :

« Dans les zones de montagne, il n'y a rien comme produit. Mais pour animer la montagne et la campagne, les gens de montagne n'ont que leur montagne et leur terrain agricole comme ressource. Il n'ont qu'à les mettre en valeur. C'est cette mise en valeur que la Coopérative doit organiser. Et maintenant, dans le Mouvement de deux ou trois produits, on dit `faisons de tel ou tel produits dans notre localité...' par exemple, l'igname japonaise (jinen jo) au quartier A. D'ailleurs des mouvements comme ça existent depuis longtemps. Ainsi, on fait produire quelque chose. Et si on le fait une fois, et gagne 100 yens (équivalent près de 0.66 euros) grâce à ça, on commence à s'y mettre. Et de l'argent y vient. Au début, les gens sont réticents en disant `Mais, ça n'ira pas...' Mais dès que de l'argent vient, ils commencent à bouger »

D'après cette explication, de l'argent est considéré comme indispensable pour faire « bouger » la population locale. Telle est la conviction de Monsieur S sur le rapport entre la Coopérative et ses membres ? Il continue son explication comme ci-dessous en établissant un lien entre l'argent et Ikigai :

« Si on arrive à faire produire jusqu'à ce niveau-là, ça serait vraiment d'avoir Ikigai (rire). Ikigai doit s'accompagner de l'argent. Je pense que c'est comme cela que l'on peut bouger. Cela donne également une fierté à la localité. Et s'y impliquer par soi-même est très important pour ces gens. Cela créé un lieu d'existance précieux. Bientôt, nous, les retraités - moi aussi - la question de `quoi faire ?' et de `où faire ?' est très importante. Si on reste toute la journée à la maison, on gènera tout le monde de la famille (rire). Alors, qu'est-ce que l'on fait en allant à l'extérieur ? D'où les choix variés... Ainsi, faire le paysan est un de ces choix »

D'après cette explication, d'avoir un but lucratif ne se réduit pas seulement à la recherche de profit, mais il est en rapport avec une série de conditions pour avoir Ikigai tels que : l'identité locale (« fierté à la localité (chiiki no hokori) »), le lien social (« s'y impliquer par soi-même (jibunra ga sore ni kakawaru to iukoto) ») et l'existance sociale (« lieu d'existance précieux (arigatai ibasho ga dekiru) »).

De là, nous pouvons comprendre le rapport entre la question d'Ikigai des retraités salariés et leurs petites activités agricoles : « faire le paysan » donne aux retraités ces conditions socio-économiques nécessaires pour avoir Ikigai.

Agriculture de type Ikigai pour les retraités : valeur ambivalente

Ensuite, Monsieur S réexplique le rapport ambivalent entre la situation économique des retraités et leur activité agricole de type Ikigai.

« Eux [retraités salariés], ils ont des pensions. Donc, même s'ils ne gagnent pas d'argent en faisant le paysan, ils n'ont pas de problèmes pour leur vie. D'un côté, s'ils arrivent à gagner des sous pour payer leur saké pour une année, mettons un ou deux millions de yens, il n'y a pas trop de problèmes plus tard. Mais de l'autre côté, comme ils ont des pensions, ils n'ont pas besoin de s'y mettre sérieusement. D'ailleurs, pour ceux qui reçoivent beaucoup de pensions, ce n'est même la peine de faire le paysan. »

Il constate que, après tout, l'ambivalence subsiste chez les retraités qui « font le paysan » entre les valeurs sociale et économique : « faire le paysan » pour les retraités ne vaut que les faire gagner de l'argent de poche pour « payer leur saké pendant une année ».

Importance de l'organisation économique : un intérêt sectoriel

Puis, au delà de la recherche d'Ikigai, un autre élément plus objectif s'ajoute dans la vision de l'agriculture de type Ikigai chez Monsieur S : le principe de l'organisation économique qui dépasse le niveau individuel et

subjectif. Pour faire face à la diminution du nombre d'agriculteurs, pour Monsieur S, il faut que la production agricole s'organise sous une forme collective et formelle tel que l'entreprise agricole ou le groupement de producteurs etc. Voici son explication :

« (...) Puis, l'important, c'est la forme entrepreneuriale de production agricole (hôjin-ka). Quant aux individus, s'ils décèdent, c'est fini. Si leur fils refuse de reprendre les activités, c'est fini. C'est ça, le paysan. En bref, si on créé une organisation, même si le représentant de cette organisation décède, quelqu'un d'autres peut le remplacer, ou bien on peut accueillir de nouveaux membres. On peut faire comme ça. Créer une 'organisation est donc important. Plus tard, une société anonyme serait également possible. Même si on ne le commence pas facilement. Si c'est rentable, cela peut commencer... »

Cette explication montre que la CAT veut accorder, en principe, plus d'importance à l'organisation collective et formelle de la production agricole comme une entreprise, plutôt qu'à la production qui reste au niveau individuel et purement familial. Et ceci afin de rendre la production plus permanente dans un cadre du secteur économique et formel. C'est ce qui semble différencier l'approche de la CAT de celle de la Municipalité qui veut d'abord mettre l'accent sur la satification individuelle pour répondre aux diverses demandes de la population en tant qu'un agent des services publics.

Passage des Jardins citoyens et de l'Ecole de l'agriculture vivante au Projet Nô -Life

Quand la CAT s'est mise en action pour les lancements des Jardins citoyens en 1998 et de l'Ecole de l'agriculture vivante en 2000, Monsieur S a mené certain nombre de réflexions face aux réussites et problèmes rencontrés au cours du processus de la mise en oeuvre de ces projets.

Avant de créer les Jardins citoyens, Monsieur S et d'autres personnels concernés (y compris des députés locaux) ont effectué une visite des Jardins familiaux en Europe afin d'étudier la mise en oeuvre de ces jardins. Cette visite leur a plu. Mais après le retour au Japon, ils ont rencontré tout de suite un problème juridique par rapport à la Loi agraire sur l'interdiction de construction de batîments à l'usage non agricole dans les terrains agricoles. Ce qui les empêcha de construire des cabanes dans les jardins de la manière européenne. Donc, ils ont dû lancer les jardins sans y construire de batîments dont chaque parcelle fait 100 \u13217§, ce qui est plus grand que les parcelles des jardins familiaux auparavant mis en place dans la Ville de Toyota. Monsieur S escomptait alors, qu' « il y aura [it] plus de personnes qui voudr [aient] se mettre vraiment dans l'agriculture plus tard ».

Mais il rencontra un autre problème dans la gestion de ces jardins citoyens : beaucoup de citoyens qui n'arrivaient pas à continuer leur activité de jardinage sur leur parcelle attribuée en raison de sa trop grande surface. Monsieur S attribue la cause de ce problème à l' « effet de mode » sur l'agriculture parmi les usagers urbains.

Puis, dans le projet de l'Ecole de l'agriculture vivante, Monsieur S a expliqué la réussite de ce projet notamment au niveau de l'organisation d'anciens stagiaires. En effet, nous l'avons expliqué plus haut, bon nombre d'anciens stagiaires de ce projet se sont organisés en un groupement de producteurs de l'agriculture biologique au sein de la CAT. Ce type d'organisation de nouveaux producteurs est un des éléments auxquels Monsieur S accordait de l'importance dans sa vision de l'agriculture de type Ikigai.

Ensuite, Monsieur S avait tenté d'essayer une autre idée pour aller plus loin avec ces anciens stagiaires. Il aurait souhaité que ces stagiaires gèrent collectivement leur terrain (il est loué par la CAT) et ensuite le faire utiliser par des écoles. Il s'agissait d'accueillir des élèves d'une école primaire et de les faire expérimenter l'agriculture sur ce terrain agricole, et faire utiliser dans leur cantine scolaire les produits que ces élèves auraient récoltés. Cependant, cette tentative n'a pas connu le succès escompté, en raison de l'exigence du centre municipal de la distribution alimentaire pour les cantines scolaires (kyûshoku center). En fait, ce centre, gestionnaire de la distribution alimentaire des repas scolaires, refusa catégoriquement d'utiliser les produits crus (surtout non surgelés) et non standardisés (ex. concombres courbées, pommes de terre de taille hétérogène etc). Ceci en raison du maintien de l'efficacité de leur travail (découpe, stockage etc).

Puis, après quatre ans d'expériences, l'Ecole de l'agriculture vivante s'est retrouvée, lorsque les anciens stagiaires ont voulu davantage développer leur production agricole, avec le problème de la surface minimum d'installation imposée par la Loi agraire. Ce qui conduisit la CAT et la Municipalité de Toyota à élaborer le Projet Nô-Life plus tard.

Idées de base du Projet Nô -Life

Nous allons analyser les idées de Monsieur S sur l'élaboration du Projet Nô-Life, en tant que responsable du Projet Nô-Life du côté de la CAT. Le consensus est d'abord établi avec la Municipalité et les autres agents concernés, sur le problème du manque de producteurs ainsi que l'objectif de formation de nouveaux producteurs de type Ikigai en s'appuyant sur les retraités salariés dont on estimait que le nombre allait augmenter dans la Ville de Toyota. Mais en plus de ces deux éléments fondant le contexte du Projet Nô-Life, Monsieur S met davantage l'accent sur le fait que les stagiaires sont encouragé à dégager un revenu agricole après leur formation497. Ensuite, Monsieur S réaffirme le principe des activités de l'Orientation agricole de la CAT en parlant de la situation du Projet Nô-Life où les stagiaires risquent de quitter leur activité agricole quand ils ne pourront plus la continuer...

« (...) On pensait au début 's'il y aura une ou deux personnes qui se mettront à l'installation agricole, ça serait bien'. Mais il y en a plus que prévu pour l'instant... Mais, faire le paysan ne fait pas gagner de l'argent ! Donc on peut se demander jusqu'à quand ils pourront continuer.(...) Après tout, c'est une des missions de la Coopérative. Créer les agriculteurs, former les successeurs, c'est le rôle de la Coopérative. »

Nous voyons ainsi que le rôle officiel de la Coopérative est identifié au souhait affirmé par Monsieur S pour la continuation permanente des activités agricoles par les stagiaires du Projet Nô-Life, ainsi que le fait que ces stagiaires puissent dégager un revenu agricole.

Puis, le consensus entre la CAT et la Municipalité de Toyota est renforcé quant au vieillissement de la population dont le souci augmentait de plus en plus face à la retraite massive de la génération baby-boom notamment prévue à partir de 2007498. Ainsi, Monsieur S reconnaît également le problème du vieillissement comme ci-dessous, mais ceci surtout en rapport avec la ruralité... :

« Et pour la Municipalité, si le nombre des retraités de la génération baby-boom augmente de plus en plus, et ils font que fréquenter Pachinko et l'hôpital, ça coûte trop cher. Peut-être vous le savez, le département de Nagano499 est le dépatement où il y a le moins de papis et mamies qui fréquentent l'hôpital. Pourquoi ? Parce qu'ils travaillent aux champs. Ça, c'est aussi notre but. Dans les villages de Nagano, on peut trouver des papis et mamies qui sont même prêts à mourrir sur leurs champs ! En plus, ils tombent rarement malades, et sont toujours en forme. On espère avoir une telle situation. »

Monsieur S a également soulevé le problème du dépeuplement des zones de moyenne montagne situées dans le territoire de la Ville de Toyota comme ci-dessous :

« Il y a encore une chose, notre Matsudaira et d'autres zones comme Fujioka et Asahi dans la Ville de Toyota, la population diminue. Car les jeunes sont partis. C'est pour cela que la localité décline, sans avoir assez de gens. Surtout le travail comme le désherbage, il faut le faire trois ou quatre fois par an. Et s'il n'y a pas assez de gens, on n'y peut rien. On espère que les gens viennent s'installer dans la montagne. Mais ça serait difficile... »

497 « Ce que nous voulons, dit Monsieur S, en bref, c'est que, parmi ces stagiaires, il y en ait qui deviennent agriculteurs / agricultrices. Ikigai, c'est bien, mais on espère que les gens auront Ikigai en dégageant un revenu agricole ».

498 Ce problème est souvent traité dans les médias au Japon avec une appellation spéciale comme « Problème de 2007 (2007nen mondai) ». (Voir la partie de l'acteur 2)

499 Le département de Nagono est une grande région montagnarde à dominante rurale, située au nord du Département d'Aichi.

Dans cette explication, on voit que, derrière le rôle officiel de la CAT affimé plus haut (formation agricole), d'autres problèmes plus fondamentaux et ancrés dans la situation territoriale préoccupent Monsieur S : déclin des zones rurales dû au vieillissement de la population agricole et au dépeuplement. Et son intention exprimée ici est de lier, via le Projet Nô-Life, les solutions des problèmes du vieillissement de la population urbaine et de celui de la population rurale dont le dépeuplement constitue un facteur décisif d'aggravation.

Vision concrète sur les porteurs de l'agriculture

La formation des producteurs censés être porteurs de l'agriculture de type Ikigai est l'objectif principal du Projet Nô-Life, et également une des missions de la Coopérative agricole. Mais en réalité, quel type de producteurs la CAT veut-elle former ? A-t-elle une vision concrète de ceux-ci ?

Plus haut, on a soulevé, dans les représentations que Monsieur S a de l'agriculture de type Ikigai, les dimensions suivantes : économique (objectif d'avoir un revenu agricole d'un million de yens par an); institutionnel (maintien d'une relation avec l'organisation de la coopérative) ; social (implication) et moral (mental).

Cependant, la valeur de l'agriculture de type Ikigai pour Monsieur S impliquait une ambivalence qui était non seulement liée à la situation objective des retraités (pas nécessaire de vendre les produits, car leur pension leur assure une vie stable), mais également au sens de la notion d'Ikigai elle-même (productiviste mais anti-utilitariste) Face à cette ambivalence, comment la CAT envisage-t-elle la réalisation de la formation dans le Projet Nô-Life ? Quelles conditions concrètes la CAT veut-elle proposer aux stagiaires via la formation ? Et quelle place accorde-t-elle à ces producteurs par rapport au modèle productiviste des agriculteurs tel qu'il est promu dans la politique agricole japonaise ? Il s'agit de la question de la finalité à laquelle elle veut faire aboutir le Projet Nô-Life...

Intérêt de l'organisation

D'abord, pour Monsieur S, la distance est nette entre la visée de la formation du Projet Nô-Life et le modèle productiviste de la politique agricole, promu aujourd'hui avec le système de l' « agriculteur qualifié (nintei nôgyô-sha) »500. Il considère qu'il sera « difficile » pour les stagiaires du Projet Nô-Life de suivre ce modèle. Il souhaiterait pouvoir accorder aux stagiaires du Projet Nô-Life au minimum une intégration (ou une participation) de manière quelconque dans une organisation à l'intérieur de la Coopérative agricole. Voici l'explication de Monsieur S :

« D'abord, il nous faut saisir qui fait quoi dans tel ou tel endroit. Notre organisation - la coopérative - et la Municipalité sont en train de s'efforcer à former des gens. Et si on ne peut pas identifier leur activité et leur relation, on ne saura plus où ils vont ! S'ils vont partir seuls et se contenter de vendre leurs produits par eux-même sans acheter nos matériels, sans vendre avec nous, on se demandera pourquoi on leur a fait apprendre. Ca n'ira pas pour nous, si ça se passe comme ça. On voudrait qu'ils adhèrent à la Coopérative, et qu'ils participent à telle ou telle organisation en bénéficiant ou gérant nos affaires. Sur ce point-là, ce n'est pas encore clair dans ce projet. »

L'importance de l'organisation est le point que l'on a déjà soulevé plus haut sur la vision de l'agriculture de type Ikigai de Monsieur S. La CAT souhaite que les stagiaires du Projet Nô-Life mènent leur activité agricole de manière à s'intégrer à l'organisation de la coopérative agricole. Et ceci sans pour autant exiger des stagiaires de suivre le modèle productiviste d'agriculture. Cela confirme de nouveau l'exigence de la CAT, basée sur son intérêt particulier qui se distingue de l'intérêt public de la Municipalité, dans leur implication dans le Projet Nô-Life.

Et dans l'explication ci-dessous, Monsieur S met surtout l'accent sur l'importance de l'aspect collectif dans

500 C'est un modèle de producteurs agricoles promu par la politique agricole japonaise. Par cette politique, il est recommendé aux agriculteurs de suivre ce modèle via la qualification. Voir la partie de l'acteur 5.

les organisations de la coopérative agricole. Il n'est surtout pas souhaité par la CAT, que les stagiaires ne mènent leur activité qu'individuellement en dehors d'une organisation formelle. La participation dans un groupement de producteurs (seisan bukai) est ainsi recommandée aux stagiaires du Projet Nô-Life501.

Jeu d'intérêts réciproques : source de l'ambiguïté de la finalité du Projet

D'ailleurs, Monsieur S suggère comme ci-dessous que le fait que les stagiaires s'organisent au sein de la CAT intéressera également la Municipalité de Toyota.

« L'administration sera aussi contente s'il y aura un tel mouvement. En effet, l'administration, elle veut aussi avoir un mérite (jisseki). Si on ne dit que `tout le monde est content dans notre projet', ça n'ira pas trop... »

Le fait que le mot de « mérite (jisseki) » a été énoncé par Monsieur S nous paraît significatif dans la mesure où ce fait suggère l'existence d'un intérêt particulier de la part de la Municipalité de Toyota. En effet, cela implique que la position officiellement déintéressée de la Municipalité de Toyota, tout en respectant l'intérêt public, veut et doit également être reconnue comme un mérite (comme par exemple celui du maire). Et la CAT tient compte, quoique implicitement, de cet intérêt de la Municipalité de Toyota, pour mener ses actions.

Puis, l'intérêt que porte la Municipalité de Toyota vu par la CAT prend nécessairement un caractère plutôt « symbolique » que matériel, comme Monsieur S l'explique ci-dessous, de manière quelque peu ironique, sur les valeurs que l'administation peut accorder aux activités des stagiaires du Projet Nô-Life :

« Si des nouvelles comme 'd'anciens stagiaires de Nô-Life font leur contribution locale en faisant telles ou telles activités' paraissaient, ça serait une très bonne chose. C'est ce qui ferait le plus plaisir à l'administration. Mais il faut constituer un enchaînement avec quelques résultats, même si c'est une histoire pas facile à réaliser. Par exemple, 'tel ou tel nombre de personnes sont entrés dans un groupement de producteurs', 'la capacité de la vente a augmenté à tel ou tel degré'. C'est ce qui va créer les fruits du Projet. (...) Donc, s'il y aura des nouvelles comme 'des élèves d'une école primaire font quelque chose', ça serait très bien. »

L'expression de Monsieur S « cela fera le plus plaisir à l'administration » révèle bien l'existence de la relation d'intérêts réciproques entre la CAT et la Municipalité de Toyota dans leur coopération pour le Projet Nô-Life. C'est dans le cadre d'une telle relation d'intérêts réciproques, que le caractère symbolique de leur jeu prend son sens et influence la vision « concrète » de leur projet. Du coup, la finalité du Projet Nô-Life apparaît nécessairement floue en étant coincé entre l'intérêt privé et concret de la CAT et l'intérêt public et symbolique de la Municipalité de Toyota, qui sont situés dans leur propre jeu réciproque. De ce fait, on pourrait rendre compte de l'ambivalence de l'idée d'Ikigai qui a été mise dans ce jeu.

Place résiduelle du Projet Nô -Life au sein de la CAT : fragilité du Projet Nô -Life

Dans quelle mesure la CAT peut-elle s'intéresser au Projet Nô-Life face à une telle ambiguïté complexe qui entoure ce projet (situation des retraités, valeur d'Ikigai, finalité du Projet) ? Et pourquoi la CAT s'intéresse à ce projet ? Quelle est l'attente de la CAT vis-à-vis du Projet Nô-Life ? La réponse de Monsieur S pour cette question montre bien la réalité paradoxale de la relation entre la structure interne de la CAT et l'intérêt qu'il porte pour s'impliquer dans le Projet Nô-Life. Comment la CAT, étant représentant des intérêts des agriculteurs membres, reconnaît-elle l'apport du Projet Nô-Life de ses membres ? Monsieur S exprime comme ci-dessous,

501 « Ce qui sera bien pour nous, dit Monsieur S, c'est que les stagiaires participent à un groupement de producteurs. Ainsi on pourrait les organiser. (...) Avant tout, la Coopérative est elle-même une organisation. Et il y a des organisations à l'intérieur de cette organisation. On fonctionne comme ça. Donc, si on se focalise sur les individus, ça sera trop difficile de s'en charger. Le plus important, c'est la participation dans notre organisation. L'objectif est donc d'organiser les stagiaires. Mais ce n'est pas forcément dans une organisation déjà existante, ils peuvent bien en créer une nouvelle. Organiser c'est une des tâches de la Coopérative. Tout seul, ça ne marchera pas. Même s 'il en a qui font comme ça... »

un regard généralement peu enthousiaste des agriculteurs sur le Projet Nô-Life...

« Pour les gens des foyers agricoles, ils n'attendent pas grand chose du Centre Nô-Life. [Enquêteur : l'apport du Projet n'est pas encore reconnu...?] Ce qui leur plairait le plus, ça serait de créer des organisations pour les aider le travail. Par exemple, des organisations qui viennent aider leur travail quand l'agriculteur tombe malade. Une telle nouvelle sera très bien appréciée. Mais dans ce cas, cette aide sera payante... »

D'après cette explication, le simple fait que les citadins mènent des activités agricoles n'intéresse pas trop les agriculteurs, sauf s'ils arriveront à jouer un rôle utile pour eux, comme une organisation d'aides de travaux agricoles en cas d'urgence502, que Monsieur S a expliqué.

Sinon, pour la CAT elle-même, la reconnaissance interne de l'importance de son investissement dans le Projet Nô-Life est encore faible. Voici les explications de Monsieur S :

« Si je n'allais pas voir ce qui se passe là-dedans (dans le Projet Nô-Life), il n'y aurait personne qui s'y intéresserait. Il n'y a pas de membre qui s'intéresse à ce qui se passe à l'intérieur du Projet. [Enquêteur : Il s'agit de la reconnaissance de l'importance du Projet Nô-Life dans l'ensemble de la Coopérative...] Il n'y a pas trop de reconnaissance à ce niveau-là. Donc, s'il y aura de nouveaux agriculteurs parmi les stagiaires, on leur dira à peine `vous avez bien réussi'. Mais le processus du Projet lui-même ne les intéresse guère. »

Le fait que « le processus du projet lui-même n'intéresse guère » les agriculteurs, comme Monsieur S l'a évoqué, montre bien la façon des agents du monde agricole de percevoir ce qui se passe dans le Projet Nô-Life. C'est le point de vue sectoriel de la part de la CAT qui n'apprécie pas la valeur du Projet tant qu'il n'y a pas de résultat visible pour le secteur agricole. Mais, si, au sein de la CAT, il n'y a peu de reconnaissance pour son investissement dans le Projet Nô-Life, qu'est-ce que ce projet pourrait représenter pour elle ?

« On n'ignore pas le Projet, on le connaît quand même. Mais les effets concrets du Projet vis-à-vis de la Coopérative n'existent pas pour l'instant. (...) On se dit plutôt 'pourquoi on y envoie nos trois employés ?' Alors, je leur dis, 'nous coopérons avec la Ville.' Mais s'il n'y a pas de retour pour nous par rapport au temps que nous y consacrons, on devra dire 'on a été obligé de leur envoyer nos employés [par la Municipalité] !' »

En plus, le domaine de l'Orientation agricole dans la coopérative agricole est considéré comme un domaine « non productif » à la différence des autres domaines d'activités (achat, vente, utilisation etc). De ce fait, la CAT n'accorde, déjà, pas beaucoup d'importance à ce domaine. Et d'après l'explication suivante, le « mérite » de la Municipalité de Toyota pour le Projet Nô-Life a l'air de déranger l'intérêt de la CAT.

« Dans le domaine de l'orientation agricole, chez nous, on ne veut pas trop mettre les gens là-dedans. Nous sommes quand même une entreprise, même si nous nous appelons coopérative, nous devons gérer nos affaires. De ce point de vue là, l'orientation ou la formation des agriculteurs ne sont pas trop rentables. Du coup, on ne s'y investit pas trop. Et pour la création du Centre de Nô-Life, d'abord on a envoyé nos deux employés. Et le travail de ces deux employés devra être reconnu par le haut de la Coopérative. Maintenant, tout le mérite appartient au maire, alors... »

Pour la CAT, il faut quelques retours concrets et matériels par rapport à son investissement dans le Projet Nô-Life. Et cela est d'autant plus vrai que la Municipalité de Toyota semble attachée à son « mérite » qui implique un profit symbolique, comme celui donné au maire503.

502 Un stagiaire du Projet Nô-Life envisage d'organiser avec d'autres stagiaires pour aider les agriculteurs. Cette tentative vise à apporter à la fois à la Municipalité, à la Coopérative, aux agriculteurs et aux stagiaires, des possibilités de mise en valeur de la formation du Projet Nô-Life. Nous l'aborderons dans le Chapitre 3.

503 Cependant, ce profit n'exclut pas les aspects matériels et concrets, comme une série de chiffres économiques donnés que nous avons vu dans leur formulation du Projet dans le cadre de la politique de la Zone spéciale.

Ecart de points de vue entre la CAT et la Municipalité de Toyota Organisation ou individus ?

Enfin, Monsieur S affirme son souci comme ci-dessous sur l'intention de la Municipalité de Toyota d'accorder de l'importance plus à la satisfaction individuelle de chaque stagiaire qu'à leur organisation collective. Du coup, le Centre Nô-Life paraît à la CAT accueillir trop de stagiaires.

« Comme c'est une organisation, il faut saisir les personnes. L'essentiel est de connaître chacun des stagiaires et savoir comment les organiser. (...) Il faut donner la réponse à chacun pour son débouché. C'est pour cela, qu'il est impossible de s'occuper de beaucoup de gens. Chaque année, il y a de nombreux stagiaires qui finissent leur formation504. Ca sera alors impossible. (...)Sinon, le résultat sera mitigé. Au pire, il n'y aura plus de mérite, et la Municipalité voudra nous déléguer le Projet. Alors, on lui dira que l'on ne saura pas le faire... »

Ikigai pour le bien-être public ou pour le développement du secteur agricole ? : Question sur la finalité du Projet : une ambiguïté qui dérange la CAT

Pour Monsieur S, la question cruciale est donc la finalité du Projet Nô-Life. La position ambigüe de la Municipalité de Toyota dérange la CAT qui vise après tout le « développement agricole » comme expliqué ci-dessous :

« Donc, il s'agit de la question de la finalité. Si on continue le Projet comme maintenant de manière à satisfaire tout le monde, ça ne changera pas. Pourtant, l'administration a également l'intention de former les agriculteurs et faire le développement agricole. Mais le Projet tel qu'il est maintenant n'est pas destiné au développement agricole. Si on tombe au niveau du simple loisir, des jardins familiaux, ça n'ira pas... Du point de vue du développement agricole, il faut former les agriculteurs. Et si on accueille trop de personnes, je pense que la finalité risque d'être floue. A fortiori, nous sommes la coopérative, et si on travaille ensemble, nous, on veut former les agriculteurs ! »

En plus, pour Monsieur S, cet écart de position entre la CAT et la Municipalité de Toyota se posait déjà comme problème depuis le lancement de l'Ecole de l'agriculture vivante...

« Quant à l'Ecole de l'agriculture vivante, nous voulions que l'on vise uniquement les personnes des foyers agricoles. Mais la Municipalité nous a dit 'Ne dites-pas comme ça, c'est mieux de faire avec le public'. Pourtant, ce n'est pas la peine d'avoir quarante personnes, mais seulement dix suffiront. Et on fera la formation face-à-face avec chacun. Mais on ne peut pas s'occuper de vingt personnes en même temps. (...) C'est finalement pour continuer la formation à long terme, que je pense comme ça (...) Il faut continuer le Projet, mais la finalité doit être claire. »

Mode d'actions

D'abord, le mode d'actions de la CAT est, comme les deux agents précédents analysés plus haut, marqué par son côté « bricoleur », c'est-à-dire son mode d'actions flexible et spontané qui mobilise les éléments humains, matériels et même symboliques dans sa dimension territoriale. Comme nous l'avons constaté dans les expériences de Monsieur S, pour le « Marché du mardi soir » au sein de la Coopérative de Matsudaira, ainsi que dans sa proposition de « Second Life Academy » qui a anticipé et inspiré le fondement des idées non seulement du Plan de 96 (dirigé par le BPA), mais également celui du rapport de propositions remis au maire en 2001 par le CPCI. Et ce mode d'action que l'on peut qualifier de celui de bricoleur est basé sur son ancrage territorial et

504 Jusqu'à l'année 2006-2007, il y a environ 150 anciens et nouveaux stagiaires, au total.

social qui est lié à l'organisation de la CAT. En plus, comme nous l'avons constaté dans le cas de Monsieur S, cet ancrage territorial est également lié au niveau de sa propre trajectoire505.

Toutfois, cette caractéristique de l'agent en tant que bricoleur de la CAT ne doit pas, comme c'était le cas chez les agents publics que l'on a analysés précédemment, être considérée comme étant séparée de la logique institutionnelle de la coopérative agricole. Au contraire, les actions de la CAT obéissent plutôt au principe du secteur agricole intégré dans l'économie marchande. Cette logique se distingue de celle du secteur des services publics qui suit, en principe, la logique de la politique de redistribution.

L'explication suivante de Monsieur S « le domaine de la vente constitue le visage de la Coopérative. (...) C'est de là que l'argent vient pour les membres », met bien en évidence le principe marchand des activités de la coopérative agricole. De ce fait, le domaine de l'orientation agricole où est placé la coopération de la CAT dans le Projet Nô-Life, est considéré comme un domaine « non productif » et secondaire par rapport au domaine de la vente. D'où une réticence pour s'engager et s'investir davantage dans le Projet Nô-Life.

En raison de ce caractère marchand, la CAT s'intéresse moins au « mérite » dans le sens symbolique que la Municipalité cherche souvent à obtenir, mais plus au profit concret et matériel reconnaissable du point de vue économique. D'ailleurs, pour elle, c'est ce côté concret et matériel qui « mérite » d'être reconnu. De ce fait, la CAT a tendance à chercher en priorité à obtenir son propre profit concret et matériel506. D'où un décalage par rapport à l'intérêt « altruiste » de la Municipalité de Toyota qui travaille d'abord « au service de tous » et qui doit chercher la reconnaissance pour le fait qu'elle travaille effectivement pour cette finalité. Et ce principe, en fait, n'exclut ou ne doit pas exclure pour autant le fait de travailler « avec » et même « pour » le profit des autres agents privés507 à la différence de la coopérative agricole qui a tendance à poursuivre uniquement son propre profit. Cependant, il ne faut pas non plus qu'elle serve exclusivement le seul profit de la coopérative agricole, ce qui risque d'aller à l'encontre de l'intérêt public. Ceci constitue un dilemme pour la Municipalité de Toyota dans la conduite du Projet Nô-Life, tant que la CAT reste dans son propre principe sectoriel, même dans le cadre de sa coopération avec la Municipalité de Toyota. Et la CAT, de son côté, en poursuivant toujours exclusivement sa propre logique d'actions, a moins de dilemme de ce type, auquel l'autre est confrontée. D'où une relation d'intérêts décalés...

Monsieur K, président du Centre Nô-Life, nous a bien suggéré, de manière quelque peu ironique, ce caractère exclusiviste de la CAT en expliquant à l'enquêteur le caractère général du comportement de la coopérative agricole comme ci-dessous :

« Quand on fait un appel quelconque à la Coopérative, s'ils disent 'non' à notre demande, l'histoire est finie pour nous. D'ailleurs, c'est plus facile de dire 'non' que dire 'oui' pour eux, n'est-ce pas ? »

Cette exclusivité qui fait une des caractéristiques du mode d'actions de la coopérative agricole, constitue une cause du manque d'intersectorialité dans ses actes de coopération avec la Municipalité de Toyota. Monsieur A, président du « Toyota Young Old Support Center », nous a expliqué cet aspect en relevant comme ci-dessous l'insuffisance de la prise de consciense de la part de la coopérative agricole pour la thématique de l'aménagement de la ville.

« Si la Coopérative avait un point de vue de l'aménagement de la ville dans ses actions... (...) Maintenant, ce n'est que le côté des producteurs et du développement agricole. Mais si on partage ce point de vue de l'aménagement de la ville, on pourrait développer plus de choses... »

505 Sans doute c'est le cas chez beaucoup d'employés dans les unités locales des Coopératives agricoles au Japon. En effet, des fils d'agriculeteurs sont souvent employé dans la Coopérative de la même localité. Ce qui sembe être une des caractéristiques des branches locales des Coopératives agricoles.

506 Le profit pour la CAT est d'ailleurs censé, au nom du principe de la coopérative, représenter le profit de tous ses membres.

507 Le Projet Nô-Life s'inscrit dans la logique du « Partenariat » entres les acteurs pubics et privés.

Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life

Le caractère exclusiviste et sectoriel des actions de la CAT rend partielle et même réticente sa coopération avec la Municipalité pour le Projet Nô-Life. Cette position de la CAT implique et conserve inévitablement la divergence d'intérêts entre les secteurs privé et public entre la Municipalité, l'écart de points de vue et enfin l'ambiguïté de la vision centrale du Projet Nô-Life.

Ce désaccord implicite derrière la relation officielle de coopération entre la CAT et la Municipalité, constitue une source d'incertitude et de fragilisation du Projet Nô-Life avec une série de problèmes concrets auxquels le Centre Nô-Life est confronté508. Ce qui risque de déranger non seulement les agents gestionnaires du Projet Nô-Life, mais encore plus les stagiaires du Projet Nô-Life. Nous aborderons ce problème touchant les stagiaires dans le chapitre suivant.

Acteur 4 : Bureau Départemental de la Politique Agricole (BDPA)

Caractère général de l'acteur

Le Bureau Départemental de la Politique Agricole (BDPA) est le bureau administratif délégué du Bureau Départemental de l'Agriculture, de la Forêt et de la Pêche de Toyota-Kamo509.

Il a notamment coopéré avec la Municipalité de Toyota pour le Projet Nô-Life depuis la fin 2002 où la procédure de la réalisation concrète du Projet Nô-Life fut amorcée en concertation avec divers acteurs institutionnels sous le nom provisoire du Centre Nô-Life : « Centre pour le soutien aux activités agricoles (Einô Shien Center) ». Dans cette procédure, il contribua notamment à la préparation du Plan de la Zone spéciale au cours de l'année 2003-2004, la dernière étape avant l'inauguration du Centre Nô-Life au printemps 2004.

Domaines de compétences

D'après la brève explication de Monsieur M, responsable actuel du Projet Nô-Life, les domaines de compétences du BDPA sont les suivants :

- Tâches administratives relatives à la Loi agraire (Nôchi-hô) ainsi qu'à la Loi relative à l'Aménagement des Zones réservées pour le développement agricole (Nôgyô Shinkô Chiiki no Seibi ni Kansuru Hôritsu)

- Travaux publics agricoles dirigés par les municipalités et par la coopérative agricole

- Aides directes pour les Zones de montagne

- Développement des cultures spéciales (thé, fleurs, fruits, pêche, élevages etc)

- Orientation de l'information des produits alimentaires (étiquetage, traçabilité etc)

Le BDPA partage les domaines de compétences relatifs à l'agriculture et à la ruralité avec l'ECV (acteur 5)

508 Nous pouvons évoquer trois problèmes suivants : non intention de la Coopérative d'envoyer plus d'employés pour le Centre Nô-Life, malgré le problème d'un manque d'employés posé au Centre Nô-Life notamment suite à la construction de deux centres Nô-Life supplémentaires dans le territoire de la Ville de Toyota en 2006 ; peu de faisabilité de l'objectif d'un million de yens du revenu agricole pour la plupart de stagiaires ; Opposition de la Coopérative à l'élargissement du Centre Nô-Life de 2006. Nous les aborderons dans le Chapitre 3.

509 Son territoire de compétence s'étend au territoire de la Ville de Toyota (y compris les collectivités fuisionnées en 2005) ainsi qu'à celui de la Ville de Miyoshi, ville vosine de Toyota située à l'ouest de celle-ci.

au sein du Bureau Départemental de l'Agriculture, de la Forêt et de la Pêche de Toyota-Kamo. Le BDPA est chargé de l'administration tandis que l'ECV est chargé de l'orientation technique et économique des producteurs agricoles.

Si l'ECV travaille souvent de manière face-à-face avec les producteurs sur le terrain, le BDPA n'a pas ce rapport direct et individuel avec les producteurs et travaille « toujours à l'intérieur du bureau » (d'après Monsieur M).

Thématiques récentes

La thématique qui était la plus importante pour le BDPA était justement, jusqu'en 2005, la préparation du dossier de candidature pour l'application de la politique nationale de la Zone spéciale à la Ville de Toyota510. Cette candidature fut posée suite à la coopération entre la Municipalité de Toyota et la Préfecture d'Aichi. Monsier M a coopéré avec le BPA pour l'élaboration de ce dossier de candidature (nous avons analysé le contenu de ce dossier dans la partie de l'acteur 1) en jouant le rôle de l'intermédiaire entre la Municipalité de Toyota et le gouvernement japonais.

La thématique actuellement la plus importante pour le BDPA est la politique des « porteurs » de l'agriculture de la région Toyota-Kamo, notamment avec le système de l' « agriculteur qualifié (nintei nôgyôsha)511 » Cette politique pour la modernisation agricole constitue actuellement une des thématiques « plus urgentes » pour le BDPA.

Partenaires principaux

Les partenaires institutionnels du BDPA sont les suivants : la Municipalité de Toyota (le bureau du BDPA se trouve à côté du bâtiment de la Municipalité) ; la CAT (CAT). Et comme expliqué plus haut, le BDPA et l'ECV se partagent respectivement les tâches administratives et technico-économiques.

Le BDPA intervient dans l'élaboration des Plans fondamentaux de l'Agriculture de la Ville de Toyota512. Le BDPA donne ses avis à la Municipalité de Toyota en sorte que les plans de celle-ci soient convergents avec les plans départementaux concernés. Puis, il effectue également l'évaluation de l'état d'avancement des projets municipaux.

La position du BDPA est marquée par un lien fort avec les structures administratives supérieures dont notamment le Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de la Forêt. Sa mission principale consiste donc à exercer les tâches administratives attribuées par l'Etat, vis-à-vis des organismes locaux concernés tels que les municipalités et les coopératives agricoles.

C'est pourquoi le BDPA a très peu de relations directes avec la population locale dans sa mission. Ce qui le différencie de la municipalité ainsi que de la coopérative agricole qui travaillent plutôt au service de la population locale (les « membres » pour la coopérative agricole). C'est pourquoi le travail de Monsieur M se déroule toujours à l'intérieur de son bureau, comme évoqué plus haut.

Relation avec le Projet Nô -Life

Après 2005, le BDPA n'a plus d'implication régulière dans le Projet Nô-Life, à la différence de l'ECV qui participe aux activités de la formation Nô-Life dans le cadre de l'orientation technique et économique des producteurs.

Il assume une tutelle administrative a posteriori de la Municipalité qui « peut venir en aide en cas de problème », d'après Monsieur M. Il n'intervient donc pas dans l'élaboration des activités du Centre Nô-Life.

510 En effet, en 2005, les déréglementations appliquées par le programme de la Zone spéciale de Toyota furent généralisées dans toutes les collectivités territoriales au Japon. Dès lors, la qualification de la Ville de Toyota pour la Zone spéciale fut annulée.

511 Pour l'analyse du contenu de cette politique, voir la partie de l'Acteur 5.

512 L'élaboration du deuxième plan décénal pour les années 2006-2015 est actuellement en cours (en 2006).

Par ailleurs, le BDPA examine la synthèse annuelle des activités du Centre Nô-Life notamment en terme financier afin de la présenter au sein du Conseil général (départemental).

Caractère général des données

Notre analyse du BDPA se base sur l'entretien effectué par l'enquêteur (rédacteur) avec Monsieur M, vice-chef du Bureau Départemental de la Politique Agricole et responsable actuel (en 2006) des affaires administratives concernant le Projet Nô-Life. Il nous a accueilli dans son bureau pour répondre à nos questions pendant près de deux heures.

Représentations

Le BDPA est un agent administratif qui exerce ses fonctions juridiquement déterminées, et dont les actions sont fortement régies par les structures supérieures comme la préfecture et le Ministère de l'agriculture, de la Pêche et de la Forêt. C'est pourquoi il ne doit pas normalement avoir un point de vue particulier ni une position particulière.

Cependant, lorsque le BDPA s'implique dans le Projet Nô-Life, qui est un nouveau type de politique publique locale inspirée par de nouvelles idées, de quelle façon saisit-il la situation et le problème de l'agriculture de la région de Toyota et le Projet Nô-Life ? A-t-il un point de vue particulier sur le Projet, basé sur son propre intérêt et sa propre position ?

Son point de vue particulier : calcul économique et foncier

Telles étaient nos interrogations de base pour mener notre entretien avec Monsier M. Pour répondre à nos questions, Monsieur M, lui-même surpris de la visite de l'enquêteur (rédacteur) qui lui était quelque chose d'inhabituelle, s'est interrogé sur la pertinence du fait que ce soit lui qui soit choisi pour répondre aux questions de l'enquêteur. Ce qui fait déjà un grand contraste avec les employés de la municipalité qui ont l'habitude de prendre contact et de recevoir le public513.

En évoquant la complexité pour mesurer l'efficacité des mesures de la politique agricole en disant « l'agriculture est un domaine tellement grand » (une phrase que Monsieur M a répété plusieurs fois lors de l'entretien), il nous confirme qu'il ne peut nous parler que de « calculs économiques ». Ceci suggère déjà un caractère délibérément objectiviste de son point de vue. Il pense le problème agricole et rural et le Projet Nô-Life notamment en relation avec les conditions générées par le montant de la taxe sur les biens fonciers (kotei-shisan zei) sur les terrains agricoles concernés.

Il nous a d'abord expliqué les points qui l'intéressaient lorsqu'il a participé, en septembre 2006, au « contrôle du stage individuel (jisshû hantei) » des stagiaires des années 2005-2007 de la filière rizicole, en tant que l'un des contrôleurs514.

513 Monsieur M : « Donc, le point clé, ce que vous voulez savoir le plus, vous vous focalisez sur le travail de l'administration départementale dans le domaine de la politique agricole pour cette nouvelle activité sociale de personnes âgées... (Projet Nô -Life) L'essentiel pour les domaines administratifs comme la politique agricole, est de mener une politique ayant un effet net ou pas... Euh, il s'agirait du détail, je risque de me tromper... En fait, l'agriculture est un domaine tellement grand que je risque de ne pas pouvoir vous répondre exactement. (...) Ce que je peux vous répondre, ce n'est que des calculs économiques, en fait. Par exemple, 'combien coûte le coût de production agricole avec tel ou tel bien foncier loué, avec tels ou tels membres de la famille ?' etc... »

514 Le contrôle du stage individuel s'effectue à la fin du programme de la formation Nô-Life. Il s'agissait d'évaluer les pratiques agricoles que chaque stagiaire mène sur son terrain. Le stage individuel s'effectue, soit dans leur propre terrain agricole (dans le cas des stagiaires déjà possédants ou locataires de terrains agricoles), soit dans une parcelle attribuée par le Centre Nô-Life (dans le cas des stagiaires qui n'ont pas de terrains à leur disposition ou qui ont voulu utiliser une parcelle du Centre Nô-Life). Voir la

En nous montrant le rapport officiel sur les trois stagiaires qu'il avait contrôlé, il nous a expliqué les éléments qu'il avait essayé de repérer chez les stagiaires lors du contrôle : profils (sexe, âge, parcours professionnel etc) ; objectif de chaque stagiaire pour leurs activités agricoles ; évaluation des valeurs et taxes foncières des terrains agricoles concernés ; rapport entre le coût et le profit pour la production concernée ; rapport avec le coût de la vie etc.

Il a d'abord établi un constat commun sur ces trois personnes : il leur est impossible de gagner leur vie avec leur seule activité agricole, tandis que cette activité leur permet de « bien vivre (ikiiki) » en leur donnant un « deuxième emploi (daini no shûshoku) » et que leur motivation pour la production agricole est très haute.

Par contre, il relève une difficulté pour évaluer chacun des stagiaires, car chacun a son propre objectif différent de celui des autres. Voici un bilan résumé de la situation de ces trois stagiaires.

1 Salarié retraité ayant 0.3 ha de terrains agricoles. Il souhaite plus tard élargir l'échelle de sa production jusqu'à 1 ha

2 Salarié de l'âge mur, d'un foyer agricole pluriactif. Il cultive 0.2ha de terrains rizicoles qui lui appartiennent.

3 Salarié retraité ayant plus de 0.5 hectares de terrains agricoles dont une partie est mise en location sous forme d'appartements. Il mène sa production agricole sur ses terrains pour gérer ses biens immobiliers en tenant compte du montant de la taxe foncière qui s'impose sur ces biens.

Ces trois stagiaires avaient d'abord un point commun : ils sont tous chefs d'un foyer agricole pluriactif. Et le premier stagiaire retraité souhaite agrandir sa production en louant davantage de terrains ; le deuxième, actuellement salarié, cultive son terrain, dont il a hérité, pour lui-même et sa famille ; le troisième cultive son terrain pour la gestion économique de ses biens fonciers. Dans le cas du troisième stagiaire, en raison de la localisation d'une grande partie de ses terrains agricoles 0.25ha au bord de la « zone à urbaniser », il est confronté au problème de l'élevation de la taxe foncière. Si à l'avenir ses terrains seront intégrés dans la zone à urbaniser, la taxe foncière appliquée à ces terrains va radicalement s'élever. C'est pour cela qu'il choisit de maintenir des activités agricoles sur ces terrains (au lieu de les laisser en friche) pour garder le statut agricole de ces terrains.

Monsieur M constate que la succession familiale des terrains agricoles préoccupe beaucoup les producteurs agricoles en terme de gestion des biens immobiliers. Ce à quoi il accorde le plus d'importance en tant qu'enjeu de la conservation des terrains agricoles.

Rapport avec le thème majeur de la Ville de Toyota : la relation urbain - rural

L'aspect foncier marque fortement la vision exprimée par Monsieur M, en tant qu'agent de l'administration agricole du département. L'enquêteur lui a posé une question sur la relation du BDPA avec la politique de la Municipalité de Toyota marquée par son nouveau « Règlement fondamental sur l'Aménagement de la Ville (machizukuri kihon jôrei) » (voir la partie de l'acteur 2) adopté suite à la grande fusion avec six collectivités rurales en 2005, qui prône l'idée de la « ville où vivent ensemble la ville et les campagnes rurales et montagnardes (toshi to nôsanson no kyôsei) ». Monsieur M a alors relevé un problème fondamental de la structure foncière de l'agriculture dans le territoire de la Ville de Toyota. Cela tout en affirmant que le BDPA s'implique dans ce thème majeur de la Municipalité de Toyota dans le cadre de sa mission départementale, et que le Projet Nô-Life constitue également une thématique importante dans ce thème.

Problème fondamental 1 : structure foncière urbain-rural de Toyota « visible d'un seul coup d'oeil (hitome de wakaru) »

En nous montrant une carte de la Ville de Toyota, il nous a expliqué un problème fondamental qui est « visible d'un seul coup d'oeil (hitome de wakaru) » selon lui du point de vue foncier, sur l'agriculture dans le

présentation générale des activités de formation Nô-Life dans le chapitre suivant.

territoire de la Ville de Toyota.

Inégalité de la valeur foncière des terrains agricoles

D'après lui, la structure foncière du territoire de la Ville de Toyota après la fusion de 2005, se divise en trois zones géographiques : plaine de la rive droite du fleuve Yahagi (zone 1) ; plaine de la rive gauche du fleuve Yahagi jusqu'au bord de la zone de moyenne montagne (zone 2) ; zone de moyenne montagne (zone 3).

Puis, il nous a fait remarquer une inégalité nette de la valeur foncière des terrains agricoles entre ces trois zones. Dans la zone 1, la valeur foncière des terrains agricoles est environ de 3000 yens à 4000 yens par \u13217§ soit environ 3 - 4 millions de yens pour 10 ares. Dans la zone 2, elle est environ 900 à 1000 yens par \u13217§, soit environ 1 millions de yens pour 10 ares, et dans la zone 3, environ 200 yens par \u13217§, soit environ 200 000 yens pour 10 ares. Et le montant de la taxe foncière sur ces terrains agricoles est de 0.014% de leur valeur foncière.

Tableau : chiffres approximatifs sur les valeur et taxe fonciers des terrains agricoles

 

VF (par \u13217§)

VF (pour 10ares)

Taxe (\u13217§)

Taxe (pour 10ares)

Zone 1

3000 - 4000

3 - 4 millions

42 - 56

42 000 - 56 000

Zone 2

900 - 1000

90 0000 - 1 million

12.6 - 14

12 600 - 14 000

Zone 3

200

200 000

2.8

2800

Unité monétaire : yen (150-160 yens soit 1euro) Ces chiffres sont calculés par l'enquêteur.

En moyenne montagne, dépeuplement et vieillissement

Puis, s'ajoute à une telle inégalité des valeurs foncières, un mécanisme du dépeuplement et du vieillissement de la population rurale, comme Monsieur M l'explique ci-dessous :

« Voici les trois différentes zones. Et dans la zone de moyenne montagne, imaginez que vous avez une famille où les parents ont un enfant qui est susceptible de reprendre leur métier de l'agriculture. Et si cet enfant est employé dans le secteur automobile et peut gagner plus que le revenu de ses parents qui habitent dans la montagne, il s'installera en ville. Car il pourra ainsi avoir un niveau de vie plus élevé. Et dans la montagne, il n'y a plus de porteurs. D 'où l'avancement du vieillissement et du dépeuplement. »

En plus du mécanisme de l'émigration rurale tel qu'il est expliqué ci-dessus, on peut ajouter qu'en plaine, sur le prix de vente du riz pour 10 ares (environ 10 5000 - 12 0000 yens515), le montant de la taxe équivaut à la moitié de ce prix ! Dans la zone de moyenne montagne, malgré le faible taux de la taxe foncière imposée, la quantité des récoltes et la surface de terrains sont réduites par rapport à la plaine. Et si, en plus, on tient compte du coût de production, on constate qu'il est effectivement « impossible de gagner sa vie » avec la seule production rizicole.

En plaine, pression foncière urbaine

Puis, Monsieur M explique que le problème se pose également dans les foyers agricoles situés en plaine confrontés à une forte pression foncière urbaine.

« (...) Et par cette zone intermédiaire située entre la ville et les zones rurales, dont la valeur foncière peut s'élèver jusqu'à 10 millions de yens pour 10 ares, si les frères ou soeurs veulent partager les biens de la famille pour les vendre, le repreneur n'a qu'à l'accepter... »

515 Le prix de vente du riz est environ 15000 yens pour 60 kg (1pyô) au Japon. Nous pouvons récolter environ 420 kg - 480kg (7-8 pyô) de riz pour 10 ares.

Cette explication indique le dilemme des foyers agricoles face à l'antinomie des logiques de l'économie patrimoniale et de celle du marché. Et ceci implique le risque du morcellement parcellaire et ainsi la fragilisation de la structure d'exploitation agricole. Puis, on peut ajouter que c'est en plaine que les conditions géographiques sont généralement favorables pour la modernisation agricole (mécanisation et remembrement), alors que les agriculteurs y sont confrontés à la pression foncière de l'urbanisation plus forte que dans la zone de moyenne montagne. Par contre, dans la zone de moyenne montagne, même si la pression de la taxe foncière est beaucoup moins importante qu'en plaine, cette zone est marquée par des conditions géographiques défaborables à la modernisation et la main d'oeuvre agricole affablie par le vieillissement et le dépeuplement.

Système de l'exonération de l'impôt foncier : seul moyen pour la conservation agricole

En tenant compte de ces problèmes liés à la structure foncière, Monsieur M met l'accent sur l'importance de l'utilisation du système de l'exonération de l'impôt sur les terrains agricoles pour la conservation des terrains agricoles. En effet, en observant les stagiaires de Nô-Life, il avait constaté que ce problème de la gestion foncière constitue pour eux l'une des plus importantes préoccupations. Ce système de l'exonération de l'impôt foncier permet aux agriculteurs, qui continuent leur activité agricole en héritant les terrains de leur famille via donation entre vifs, d'être dispensés de payer les droits de succession. Cela constitue ainsi le seul moyen pour permettre la conservation des terrains agricoles par les agriculteurs. Sinon, d'après Monsieur M, « la taxe va tout prendre » chez les agriculteurs. Mais l'utilisation de ce système devient de plus en plus rare au sein des foyers agricoles, face au dilemme au sein du foyer agricole entre les logiques patrimoniale et marchandes. D'ailleurs, quand on applique ce système, le contrôle administratif de l'utilisation des terrains agricoles devient beaucoup plus strict pour le successeur afin qu'il continue effectivement de mener par lui-même une activité agricole sur ses terrains.

Contradiction entre la politique agricole nationale et la vie « réelle » des foyers agricoles

Ensuite, Monsieur M a continué à nous expliquer la grande contradiction entre ce dilemme imposé aux foyers agricoles pluriactifs et la politique agricole de l'Etat sur les « porteurs » qui recherche toujours l'agrandissement d'échelle de production. Monsieur M l'explique comme ci-dessous :

« Pourtant, la politique nationale d'aujourd'hui qui essaie de concentrer les terrains par les porteurs, entre en contradiction avec ce mécanisme foncier. Il y a un grand problème entre la vie réelle des agriculteurs et la politique agricole de l'Etat qui veut toujours former des exploitations de grande échelle. C'est ça, le point pénible de la politique agricole. Dans la zone de moyenne montagne, même si on reçoit des aides directes, comment un porteur peut-il gérer un hectare de terrain avec une main d'oeuvre affaiblie par le vieillissement ? Franchement parlant, il n 'y a pas de solutions C'est pourquoi dans la mesure où la base de l'agriculture reste avant tout quelque chose de social. Même si les agriculteurs font des efforts, cette base est limitée. C'est pourquoi même si la ville souhaite développer l'agriculture, il n'est même pas possible de concevoir une perspective, dans une telle réalité... »

Cela souligne la contradiction fondamentale entre la situation des foyers agricoles pluriactifs et et l'orientation de la politique agricole nationale visant la concentration des terrains entre les mains d'un petit nombre de « porteurs » sélectionnés (souvent sous forme d'entreprises agricoles soutenues par la coopérative agricole) avec des « opérateurs » qui disposent des grandes machines agricoles516.

En faisant ce constat de la réalité objective de l'économie agraire, Monsieur M explique les éléments objectifs de la crise agricole et rurale qui fondent les thématiques du Projet Nô-Life, sous un regard objectiviste

516 Sur l'orientation de la politique agricole nationale, voir la partie de l'acteur 5. Nous avons également vu dans le chapitre 1 l'évolution de cette politique dans les années 65-75 avec les entreprises agricoles à grande échelle chargées des travaux rizicoles des autres foyers agricoles pluriactifs dans la zone du sud.

et plus distancié que les autres vis-à-vis de la situation (« il n'est même pas possible de concevoir une perspective, dans une telle réalité »).

Place du Projet Nô -L ife

Face à un tel constat de la crise fondamentale de l'agriculture et de la ruralité, quelle est la place du Projet Nô-Life dans la politique agricole, du point de vue du BDPA ? Quelles valeurs sont accordées au Projet ? Les réponses de Monsieur M restent bien objectivistes et justificatrices du Projet du point de vue « administratif (gyôsei-teki) » et « social (shakai-teki) », ce qui reflète sa position toujours basée sur le principe de l'intérêt public (ou bien-être public : kokyô no hukushi)

Valeurs du Projet Nô-Life

Le thème majeur du Projet Nô-Life est « la réduction et la prévention des friches agricoles (yûkyû-nôchi no kaishô) ». Il y a environ 700ha de friches agricoles dans le territoire de la Ville de Toyota sur 10120.3ha de la zone réservée pour le développement agricole qui occupe un tiers de la surface totale de la Ville de Toyota (29012ha)517. Et Monsieur M confirme que « le plus grand fruit » du Projet Nô-Life serait le fait que les stagiaires du Projet Nô-Life mènent leur activité agricole sur ces friches, et que « les retraités prennent plaisir à leur activité agricole et rurale ». Cela veut dire que ces deux demandes de pair, constituent un consensus public sur le Projet Nô-Life.

Place accordée à l'Agriculture de type Ikigai : terrains échappant à la politique de la modernisation agricole

Quelle relation est-elle établie entre l'agriculture de type Ikigai et la politique agricole de porteurs ? Monsieur M nous a expliqué que ces terrains faisant environ 700ha constituent les terrains qu'il est impossible de concentrer par les grandes exploitations agricoles ou les opérateurs de la coopérative agricole, considérés comme « porteurs » de l'agriculture de type industriel, qui cultivent le riz, le soja et les céréales en rotation à grande échelle. Ces 700ha de terrains sont « ceux qui échappent » à la politique agricole de porteurs à grande échelle et également « ceux qui sont abondonnés par leurs propriétaires ». Et le maire de Toyota promeut le Projet Nô-Life, parce que « laisser abondonner ces friches peut constituer un problème social ».

L'importance de cet enjeu de la conservation des terrains agricoles par les petits producteurs est « une mission du Bureau de la Politique Agricole et une tâche de la Loi agraire ». Ici, il faut noter que l'urbanisation, d'après Monsieur M, n'est pas non plus exclue de la future utilisation de ces terrains, bien au contraire, elle constitue l' « objectif ultime » dans la vision normative de l'administration... Toutefois, dans la mesure où l'agriculture de Toyota est constituée d'« un secteur industriel » avec un chiffre d'affaires important (près d'un milliard de yens soit environ 6 666 666.6 euros, d'après Monsieur M), « la prévention des friches agricoles constitue un thème de la société ».

Quels sont les problèmes rencontrés dans le Projet Nô-Life ?

Monsieur M confirme d'abord qu' « il n'y a pas de problème » dans le Projet. Ce qui veut dire que le Projet se déroule comme « un projet avec un budget (yosan jigyô) » et qu'il fonctionne comme « le maire le pensait »

517 Ce chiffre est celui d'avant la fusion de 2005. Après la fusion de 2005, la surface total de la Villle de Toyota a triplé : 91 847ha. Mais nous n'avons pas pu obtenir les données sur le territoire élargi, concernant la zone réservée pour le développement agricole ni celles concernant les friches. En 2000, dans le terriotoire de la Ville de Toyota, il y a 354ha des terrains en friche, 341ha des terrains mis en jachère. Si on se base sur la « surface agricole utilisée (nôyôchi) » dans la « zone réservée pour le développement agricole (nôgyô shinkô chiiki) », la surface totale des terrains agricoles sont 5113.4 ha en 2003. Cependant, il faudrait estimer un peu plus pour compter plus réellement la surface agricole, car ce chiffre ne contient pas la surface agricole située hors cette zone, à savoir : la zone à l'urbanisation contrôlée qui n'appartient pas à la zone réservée pour le développement agrciole, et la zone à urbaniser. Ainsi, il n'est pas facile de repérer la surface agricole réelle dans les statistiques officielles...

en répondant à « une demande stable de la part des stagiaires ». Donc, c'est administrativement qu' « il n'y a pas de problème » dans le Projet.

Par contre, Monsieur M a évoqué la difficulté d' « analyser les facteurs de la réussite » de ce projet. Les facteurs de la réussite du Projet Nô-Life sont d'abord « le cycle où les stagiaires apprennnent bien (l'agriculture) et obtiennent leur terrain agricole pour prévenir les friches, et deviennent ainsi porteurs de l'agriculture en y prennant plaisir ». Et ce thème prôné par le maire « a bien réussi à avoir le droit de cité (shimin ken) ». Cependant, il est « difficile d'expliquer ses résultats et effets (seika) », compte tenu du problème de la structure foncière « visible d'un coup d'oeil » que l'on a constaté plus haut.

Les facteurs d'Ikigai ? : « Ce qu'ils n'ont pas socialement, c'est Ikigai »

Quels sont les facteurs d'Ikigai pour Monsieur M ? Un des objectifs du Projet Nô-Life d'avoir un million de yens de revenu agricole constitue-t-il un de ces facteurs déterminant ? Ou y en a-t-il d'autres ? D'abord, le fait d'aboir un revenu avec des activités agricoles constitue « un point de départ qu'il ne faut pas oublier », et que « le revenu constitue la base de vie ». Toutefois, ce n'est pas défini comme un « objectif de l'administration ».

En fait, la question de revenu est « vraiement difficile à cerner » pour Monsieur M, et il « ne voit pas la direction » quand il analyse, dans le cadre de son travail, les différents types des revenus agricoles tels que le salaire agricole, la vente des produits, le chiffre d'affaires etc., qui sont différemment définis en fonction des types d'organisation agricole tels que coopératives, entreprises, exploitations familiales, individus etc.

Malgré tout, chez Monsieur M, la thématique d'Ikigai est indispensable dans le Projet, étant avant tout une « motivation de la part du maire, qu'il ne faut pas ignorer ». Voici son explication :

« Non, non. Une des motivations du maire pour le Projet Nô-Life est le 'Nô-Life pour Ikigai'. Comme le montre l'enquête que le Syndicat ouvrier de Toyota avait effectuée, il y aura 2000-3000 retraités chaque année. Ils pourront mener leur vie avec leur pension. Donc ce qu'ils n'ont pas socialement, c'est Ikigai. Mener une production agricole dans la société, établit une relation avec la société, et ainsi permet d'avoir un Ikigai. »

Donc, l'idée d'Ikigai dans le Projet Nô-Life est avant tout d'avoir « une relation avec la société » via des activités agricoles. Puis, le Projet Nô-Life tente de lier l'idée d'Ikigai à la réalité sociale locale où « les propriétaires ruraux sont embarrassés » par le problème de leur friche agricole. Car l'absence d'activité agricole sur ces terrains définis comme « agricoles » fera disparaître l'exonération de l'impôt foncier (taxe de succession) dont bénéficient les propriétaires qui en ont hérités. Donc, si ces propriétaires peuvent louer leurs terrains aux particuliers qui mènent une production agricole sur ces terrains, cela « constituera réellement une prévention positive » selon Monsieur M. Cela constitue non seulement un « mérite pour l'administration » mais également un « mérite social » dans le sens où cela donne Ikigai pour les retraités, « cela enrichit leur vie ».

Donc, l'essentiel de la vision officielle du Projet Nô-Life n'est pas économique. Et vu la réponse que Monsieur M nous a donnée sur la question de l'objectif de dégager un million de yens de revenu agricole, la pertinence de cet objectif dépendra, finalement, des réponses de chacun des stagiaires.

Problème fondamental 2 : difficulté de la production agricole « c'est comme si on traitait un malade qui est dans un stade irrémédiable »

Monsieur M a de nouveau relevé un problème fondamental de l'agriculture lorsque l'enquêteur lui a posé la question sur les conséquences escomptées du Projet Nô-Life vis-à-vis des localités (ou sociétés locales : chiiki shakai) de la Ville de Toyota. Cette fois-ci, il a exprimé son point de vue économique en commençant par l'interrogation suivante : « Pourquoi, aujourd'hui, la production agricole connaît-elle une telle difficulté, alors qu'elle était autrefois une activité communautaire au sein de la population ? »

Monsieur M attribue la cause des difficultés pour la production agricole au système étatique du contrôle

alimentaire, où l'Etat soutenait le marché du riz, un système où l'Etat « payait cher et vendait pas cher »518. Et la nouvelle loi alimentaire entrée en vigueur en 1994 est venue bouleverser ce système du soutien national au marché du riz qui fonctionnait par l'intermédiaire de la coopérative agricole. Citons l'explication de Monsieur M :

« On gérait le prix en amont avec le financement de l'Etat. Et si on bouleverse le taux de prix entre l'amont et l'aval, ce qui fait que le prix versé aux producteurs est moins élevé que le prix à la distribution, du coup, les agriculteurs produisent moins. Et ils commencent à vouloir vendre leurs produits par eux-même. La distribution devient ainsi moins réglée. Donc, le point de départ était que le marché du riz était soutenu par l'Etat, ce qui venait compléter le revenu des agriculteurs. Et maintenant, on essaie de les faire produire et vendre librement. Du coup, c'est la Coopérative agricole qui est obligée de gérer la distribution par elle-même. Mais cela ne peut pas marcher... L'Etat n'a plus de financement maintenant. C'est pour cela que l'agriculture est tragique. Puis, dans un tel contexte, l'administration vient en aide pour combler cette absence des aides du gouvernement qui étaient mises en place auparavant. C'est l'état actuel de l'administration qui est douloureux. Franchement dit, c'est comme si on traitait un malade qui est dans un stade irrémédiable... »

Il s'agit du contexte de la libéralisation du marché du riz au Japon via la déréglementation de la distribution, l'abolition du principe de l'intervention étatique avant l'entrée des produits dans le marché, et la priorité donnée au principe du marché. Monsieur M continue son explication en abordant le problème de la surproduction que cette politique a provoqué.

« (...) La conséquence du soutien national au marché du riz ne concerne pas seulement les agriculteurs individuels, mais la surprodution du riz que tous les agriculteurs avaient produit. Cette surprodution coûte extrèment cher à l'Etat pour la gérer. Aujourd'hui, l'Etat est obligé de modifier cette politique. C'est la position actuelle de la politique agricole nationale. Et du côté des agriculteurs, aujourd'hui, c'est eux qui sont responsables d'eux-même. Il faut produire du riz ou d'autres produits, de manière concurrentielle. La situation est ainsi défavorable pour les agriculteurs aujourd'hui. Leur revenu est réduit de moitié par rapport à l'époque où le marché était soutenu. Donc ils n'ont plus de travail et quittent l'agriculture. Les opérateurs de la Coopérative s'occupent de plus en plus de la production, mais ils sont obligés de tenter d'élargir leur échelle de production en fonction du coût de production qui augmente de plus en plus. Ainsi, ils ne deviennent pas riches pour autant. Du côté des propriétaires ruraux, leurs terrains sont conservés grâce à ces opérateurs et à la Coopérative, sinon, ils les laisseraient en friche. Et finalement, si on ne conserve pas les terrains agricoles, l'agriculture n'a plus besoin d'exister! Ce n'est pas bien de dire comme ça, mais la base de la politique agricole est avant tout la base économique et le sol... »

Dans cette explication, Monsieur M nous montre que le mécanisme économique de l'agriculture japonaise qui est bloqué. Et là, l'enquêteur lui a posé la question suivante « Dans un tel contexte, qu'est-ce qu'apporteraient au niveau local l'idée de `produire et consommer localement' et de la `vente directe' ? » Pour Monsieur M, ce type d'approches « d'en bas » ne viennent pas pour autant relever l'agriculture japonaise.

« C'est le contraire. Il est impossible de relever l'agriculture japonaise par ce type d'approches d'en bas. 'Produire et consommer localement' ou la `renaissance de la communauté (community no saisei)' etc., c'est impossible. La base, c'est le calcul économique. On vous ordonne de récolter et vendre par vous-même alors que l'on vous avait empêché de les gérer par vous-même. Telle est la réalité. Donc, on n'a qu'à s'en aller... »

D'après Monsieur M, la structure politico-économique s'impose irréversiblement à l'agriculture avec une nouvelle politique de la libéralisation du marché... Et le Projet Nô-Life ne semble pas pouvoir apporter une solution décisive face à ce problème déterminé par la structure du haut. Quelle pourrait alors être la clé de la future réussite du Projet ? La réponse finale de Monsieur M est bien basée sur le principe du « bien-être public »,

518 Au Japon, on appelle ce système du soutien national au marché avec l'expression « gyaku-zaya (marge à l'inverse) ».

mais la finalité reste toujours « insaisissable » pour l'administration publique... Consensus de base sur le Projet Nô -L ife : lien social

Monsieur M reconfirme que le consensus de base sur le Projet Nô-Life est de permettre aux retraités d'avoir des « camarades (nakama) » via leur activité agricole, donc d'avoir des liens sociaux. Mais pour pouvoir continuer le Projet plus tard, quels seront les « résultats et effets » davantage requis ? Actuellement (en 2006), cette question est de plus en plus posée au sein du Centre Nô-Life, car à mesure que le nombre de stagiaires augmente depuis 2004, un financement plus important et un plus grand nombre d'employés sont requis. Il s'agit d'un besoin de justifier le Projet Nô-Life, au sein de la Municipalité de Toyota, avec plus d'éléments susceptibles de fonder le consensus sur la finalité du Projet.

Valeurs publiques de l'agriculture et de la ruralité : avec le « sens de l'intérêt public », mais le fruit est « insaisissable »...

« L'idée d'Ikigai peut-elle faire partie de celle de la multifonctionalité de l'agriculture et de la ruralité qui était présente dans la politique agricole de la Ville de Toyota depuis une dizaine d'années ? » Monsieur M a répondu à cette question en mettant l'accent sur la finalité de l'administration publique, qui n'est pas celle d'une entreprise qui suit le principe de la recherche du profit, mais celle du « sens de l'intérêt public (kôkyô no hukushi to iu kankaku) ». Cependant, il nous explique comme ci-dessous que c'est une mission extrèmement difficile à réaliser face à l'ambiguïté des « effets » que la politique agricole apporte à son public.

« Du point de vue fondamental de l'administration, la raison d'être de la politique agricole est trop difficile à prononcer. C'est insaisissable ! Il y a énormément de gens qui entourent les foyers agricoles, même si on essaie de leur donner une orientation nécéssaire, et qu'on s'efforce de les orienter, on ne voit pas les effets concrets ! Un travail aussi difficile n'existe pas ailleurs... »

L'administration est actuellement confrontée à la situation où elle doit de nouveau rendre compte du « Profit » du Projet Nô-Life par rapport à son coût financier. Ceci devrait s'effectuer par la réflexion des gestionnaires du Centre Nô-Life (BPA et CAT) et le maire de la Ville de Toyota qui justifiera la finalité du Projet.

Mode d'actions

Le mode d'actions du BDPA semble rester strictement administratif en tant qu'un agent administratif du département : certains cadres juridiques précèdent toujours les cadres de ses actions. Son exercice est ainsi dicté par les lois concernées (Loi agraire, Loi pour l'aménagement de la zone reservée pour le développement agricole) et les structures administratives supérieures (préfecture, le ministère de l'agriculture, de la pêche et de la forêt).

Position de l'adminisation basée sur le principe de l'intérêt public

Le BDPA partage plus son intérêt avec le BPA de la Municipalité de Toyota qu'avec la CAT. Ceci d'autant plus que la division des domaines de compétences est nette entre le BDPA et l'ECV qui, étant régulièrement en coopération avec la CAT, travaille directement avec les agriculteurs pour améliorer leur gestion d'exploitation. Ainsi, il n'est pas forcément attaché au principe productiviste de la modernisation agricole, à la différence de l'ECV.

Puis, dans le cadre du processus de la construction du Projet Nô-Life, il semble qu'il est le moins marqué par la divergence d'intérêts entre agents concernés en raison de sa position neutre et distanciée.

Regard neutre et distancié

Cette position rend également son propre regard neutre et distancié, à la fois sur la situation locale et la structure externe et globale.

La difficulté de définir clairement une direction dans le domaine de la politique agricole face à la compléxité des données réelles (« le domaine agricole est tellement grand... », « on ne voit la direction », « [la finalité du Projet est] insaissisable »), souvent soulignée par Monsieur M, montre bien sa position située au milieu entre la situation locale complexe et les structures externes qui l'entourent (juridique, institutionnelle, foncière, économique et politique). Et en même temps, il essaie de suivre strictement le principe administratif (exercice des missions par rapport aux lois concernées) en définissant prioritairement son rôle par rapport à ces lois, et non par rapport à la situation locale.

Et c'est ce regard neutre et distancié du BDPA qui a permis à Monsieur M de nous montrer la situation objective de l'agriculture de Toyota de son point de vue économique et foncier, en allant jusqu'à relever les grandes contradictions entre la situation réelle de l'agriculture japonaise et l'orientation de la politique agricole. Nous pourrions même considérer que, malgré le caractère personnel de ses avis, c'est sa position sociale particulière qui lui permet d'avouer une défaillance du système agricole au Japon (« cela ne peut pas marcher » ; « c'est pour cela que l'agriculture est tragique » ; « l'agriculture japonaise est dans un stade irrémédiable »)

Peu d'interaction dans sa position

Il ne se mêle pas de la relation d'interaction entre agents locaux tandis que c'était souvent le cas entre le BPA, la SCI et la CAT dans le processus de l'élaboration du Projet Nô-Life.

Il est intéressant d'ajouter, à titre anecdotique, que Monsieur M était même étonné et un peu gêné de la visite de l'enquêteur519. En effet, il ne savait pas bien comment répondre à nos questions, parce que, dans son travail, il n'a pas l'habitude de recevoir le public de manière plus ou moins imprévue et informelle, comme lorsque nous avons effectué notre entretien. Monsieur K, président du Centre Nô-Life, m'a également confirmé que cela lui est déjà souvent arrivé : « Les gens de la préfecture sont toujours comme ça. Quand on leur rend visite directement dans leur bureau, ils ont toujours l'air d'être embêté en se demandant pourquoi on vient chez eux (rire) »

Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life

Pour comprendre sa position vis-à-vis du Projet Nô-Life, il faut d'abord tenir compte de la différence de son mode d'actions par rapport à la municipalité ou à la coopérative. Le BDPA a peu d'interaction, peu d'acceptation de ce qui est imprévu et ainsi peu de « bricolage » dans ses idées et actions. C'est pourquoi il n'a pas été concerné par l'histoire de la construction du Projet Nô-Life qui était marquée par une série de bricolages d'idées et d'échanges intersectoriels entre différents agents locaux concernés. En fait, il n'est impliqué dans le Projet que dans la mesure où le Projet touche ses fonctions administratives (lois, relais avec le département et l'Etat etc).

Après la fin de la procédure pour le programme de la Zone spéciale, dans la conduite du Projet Nô-Life, il n'a que des rôles minimums à jouer sans implication directe et régulière. Ainsi Monsieur M a défini sa position vis-à-vis du Centre Nô-Life comme « soutien en arrière » qui peut venir en aide en cas de problèmes.

519 C'est Monsieur K, président du Centre Nô-Life, qui nous l'a dit certain temps après que l'on avait effectué notre entretien avec Monsieur M.

Autrement, la relation de coopération entre le BDPA et le BPA de la Municipalité de Toyota nous paraît favorable, vu qu'ils partagent le même principe de représentations et d'actions qui obéit à celui de l'intérêt public.

Egalement, sa vision de l'agriculture de type Ikigai ou de la finalité du Projet Nô-Life était d'abord orientée vers la dimension sociale plutôt qu'économique, ce qui rejoint la position du BPA de la Municipalité de Toyota. (Sur ce sujet, il ne nous a pas parlé non plus de la coopérative agricole.)

Acteur 5 : Section Amélioration - Vulgarisation du Bureau départemental de l'agriculture, de la forêt et de la pêche de Toyota-Kamo (Ex-Centre pour l'Orientation et la Vulgarisation agricoles de Toyota-Kamo : ECV)

Nous allons ici examiner l'implication, dans la construction du Projet Nô-Life, de la Section Amélioration - Vulgarisation du Bureau Départemental de l'Agriculture, de la Forêt et de la Pêche de Toyota-Kamo que nous appellerons par la suite l'« ECV : Ex-Centre pour la Vulgarisation ». En effet, jusqu'aux années 90, son nom était l'Ex-Centre pour l'Orientation et la Vulgarisation agricoles de Toyota-Kamo (Toyota Kamo Nôgyô Fukyû Sidô Center).

L'examen sera principalement basé sur les documents officiels intitulés « Plan fondamental pour la Vulgarisation et l'Orientation (Fukyû Shidô Kihon Keikaku) » ainsi que l'entretien effectué avec Monsieur N, un conseiller agricole (nôgyô kairyô fukyû-in) chargé de l'accompagnement de « Porteurs (notamment les jeunes agriculteurs) et Gestion d'exploitation agricole ». Il est également responsable de la coopération avec le Centre Nô-Life au sein de l'ECV520.

Caractère général de l'acteur

Un agent technique et local du département et de l'Etat dans le secteur de l'agriculture et de la ruralité

Le territoire dont s'occupe l'ECV est celui de la Ville de Toyota et du Bourg de Miyoshi521 dont la surface totale est de 9505 8ha occupant 18.4% de la surface du territoire du département (en 2003). La surface agricole dans ce territoire est de 8035ha, soit 8.4% de la surface totale, dont les rizières occupent 5904ha (73% de la surface agricole), les cultures maraîchères 1343ha (16%) et l'arboriculture 788ha (9%)522 . Le nombre total des foyers agricoles est de 9481 dont 562 foyers sont des « exploitations professionelles (Sengyô Nôka) », 341 sont des « exploitations pluriactives de la première catégorie » et 4922 sont des « exploitations pluriactives de la deuxième catégorie »(Idem.)523.

Concernant le reste du territoire, la forêt de montagne occupe 6323 3ha soit 66.5% de la surface totale et la surface de l'habitat est de 6797ha soit 7.1% de la surface totale en 2003524.

520 Cependant, Monsieur N n'était pas dans son poste actuel lors de l'élaboration du Projet Nô-Life.

521 Le bourg (chô) de Miyoshi est une ville voisine dont le nombre d'habitants est 55570 en 2007.

522 Section Amélioration - Vulgarisation du Bureau départemental de l'agriculture, de la forêt et de la pêche de Toyota-Kamo (Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo), 2005 : 3.

523 Ces catégories d'exploitations agricoles sont basées sur celles définies par la statistique agricole nationale (Nôgyô Census). La catégorie des foyers agricoles dont le nombre n'est pas cité dans ce plan (celui de 2005-20 10) peuvent inclure, en majeure partie, les « exploitations auto-productives (jikyû nôka) ». Pour les définitions de ces catégories, voir le chapitre I.

524 Bureau départemental de l'Agriculture, de la Forêt et de la Pêche de Toyota-Kamo, 2005 : 2. Ce taux de répartition spatiale des zones agricole, forêstière et de l'habitation correspond à peu près à celui du Japon même si, au niveau national, la surface agricole

L'établissement de l'ECV dans chaque département remonte à 1948, année de l'adoption de la Loi pour l'Incitation à l'Amélioration de l'Agriculture (Nôgyô Kairyô Jochô Hô). Cette loi obligea l'établissement de l'ECV dans chaque département525. D'après Monsieur N, cette loi incarnait « l'initiative de l'Etat de prendre la direction pour la protection et le développement de l'agriculture japonaise ». Et sa visée est notamment l'orientation des agriculteurs en terme technique et économique. A cet effet, les 11 ECVs présents dans le Département d'Aichi entretienent une relation étroite et verticale avec l'Institut Départemental de la Recherche Agronomique (Nôgyô Sôgô Shikenjô). Les conseillers dans les ECVs sont ainsi dirigés « d'en haut » par les ingénieurs de cet Institut dont chacun a une qualification de l'Etat526. Cette institution est un « agent » de ces institutions supérieures comme le département et l'Etat qui prennent leur direction de manière centralisée dans le cadre de la politique agricole nationale.

Les fonctions de Monsieur N sont d'accompagner les agriculteurs cibles designés comme « porteurs (ninaite) » dans les Plans pour l'Orientation et la Vulgarisation (expliqués plus bas). Parmi ces agriculteurs cibles, il accompagne notamment les jeunes agriculteurs pour améliorer leurs techniques agricoles et gestion d'exploitation tout en essayant de leur appliquer les nouvelles techniques provenant de l'Institut du Département de la Recherche Agronomique, et de les diffuser au sein de tous les producteurs agricoles de la région.

Ses partenaires : coopérative agricole et municipalité

L'ECV a une forte relation de partenariat avec les coopératives agricoles situées dans le territoire dont il se charge. Il s'agit ici de la CAT et du BPA de la Municipalité de la Ville de Toyota. Les plans fondamentaux de l'ECV sont ainsi élaborés en sorte qu'ils soient cohérents avec les plans globaux que la CAT et le BPA établissent respectivement.

Conseil et soutien techniques aux formations du Projet Nô -Life

Dans le cadre du Projet Nô-Life, d'après Monsieur N, l'ECV a participé à l'élaboration des programmes des formations Nô-Life notamment dans le domaine de la technique agricole. L'ECV participa à la discussion qui commença en 2003 pour la préparation de l'établissement du Centre Nô-Life. Depuis l'année 2004, l'année de l'inauguration du Centre Nô-Life, il envoie certains de ses employés en tant qu'enseignants pour les formations de Nô-Life.

Caractère général des données

Notre analyse se base principalement sur les deux plans quinquenaux les plus récents, publiés par l'ECV intitulé « Plan Fondamental pour la Vulgarisation et l'Orientation (Fukyû Shidô Kihon Keikaku) », dont l'un porte sur les années 200 1-2005 et l'autre sur les années 2006-20 10. Nous les appellerons par la suite le « Plan fondamental 2001-2005 » et le « Plan fondamental 2006-2010 ».

Ces plans déterminent la ligne directrice de l'ensemble des activités de l'ECV en montrant la « Direction de guidance (Yûdô hôkô) » de l'agriculture et de la ruralité du territoire concerné527. Et ils sont orientés par les

occupe un peu plus et la zone d'habitation un peu moins : 12.7% (agricole), 66.4% (forêt) et 4.4% (habitations) en 2003. Source : Statistics Bureau & Statistical Research and Training Institute, http://www.stat.go.jp/data/nenkan/01.htm

525 L'établissement de ce type d'institution par département n'est plus obligatoire suite à des modification de cette loi en 2004. Cependant, d'après Monsieur N, aucun organisme créé par cette loi n'est disparu dans tous les départements japonais aujourd'hui.

526 Nous avons également intérrogé Monsieur O qui était justement ingénieur de cet Institut, et qui est actuellement à la retraite et invité comme enseignant pour la formation Nô-Life. Pour devenir ingénieur dans un Institut Départemental de la Recherche Agronomique, il faut passer un concours national dans un domaine spécialisé (ex. riziculture, culture légumière etc.) après avoir eu des expériences en tant que conseiller agricole dans des Centres pour la Vulgarisation. Il en était ainsi pour le parcours de Monsieur O.

527 Section Amélioration - Vulgarisation du Bureau départemental de l'agriculture, de la forêt et de la pêche de Toyota-Kamo

plans officiels émanants de la politique agricole de l'Etat (Ministère de l'Agriculture, de la forêt et de la Pêche) et ensuite de celle du département528. Ils orientent l'ensemble des activités de l'ECV, et servent de critères pour les auto-évaluations de ces activités effectuées chaque année529 par l'ECV lui-même.

Nous pouvons examiner dans ces plans une série de discours de l'ECV qui représentent l'agriculture et la ruralité de son territoire, du point de vue de sa propre mission pour le développement technico-économique de l'agriculture.

Représentations

Sa politique générale d'orientation

Dans l'introduction et le premier chapitre intitulé « Idées de base (Kihonteki na kangaekata) » du Plan fondamental 200 1-2005, nous pouvons trouver le constat fait par l'ECV sur la situation globale précisant une série d'atouts et de menaces de l'agriculture et de la ruralité de du territoire concerné, et la direction fondamentale pour l'orientation.

Constat de la situation : atouts et menaces

Nous pouvons déjà entrevoir les principales idées de la politique d'orientation de l'ECV dans son constat de la situation qui présente les atouts et les menaces pour l'agriculture du territoire concerné. Concernant les atouts, le Plan fondamental 2001-2005 indique que :

« L'agriculture dans notre territoire est celle du type de l'utilisation extensive des sols (Tochi-Riyô-gata) comme la riziculture à grande échelle dans le Sud de la Ville de Toyota, l'arboriculture principalement développée sur le Nord, les cultures maraîchères dans le Bourg de Miyoshi. Egalement, l'agriculture du type hors sol (Shisetsu-gata) comme l'horticulture et l'élevage dans la Ville de Toyota, le Bourg de Miyoshi et le Village de Shimoyama. Ensuite, dans les zones de moyenne montage, la production de produits du terroir comme l'igname japonaise (Jinen-jo), le Wasabi, le chrysanthème sur sol ainsi que des activités de vente directe sont développées par des personnes âgées et des femmes »530

Tout en mettant l'accent sur une série de types de productions à haute productivité présents dans certaines zones limitées (riziculture à grande échelle, l'arboriculture, l'horticulture et l'élevage intensif), les activités locales animées par des producteurs à faible productivité comme « des personnes âgées et des femmes » dans les zones de moyenne montagne sont présentées de manière contrastée. En même temps, les autres types de productions à productivité relativement faibles existants partout dans la région, dont notamment la riziculture située en plaine ainsi qu'en zone de moyenne montagne, n'y sont pas citées.

Concernant les menaces, à la suite des phrases citées plus haut, le Plan fondamental 2001-2005 précise que :

« Cependant, l'agriculture de cette région est submergée de problèmes : diminution du nombre de jeunes agriculteurs, vieillissement des porteurs, baisse du taux d'utilisation des terrains agricoles, urbanisation - avancement de la cohabitation des urbains et des ruraux (konjû-ka), montée de la concurrence interrégionale accompagnée par l'internationalisation, baisse des prix agricoles, problèmes envionnementaux etc. »531

(Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo), 2005 : 2.

528 Ibid. : 25.

529 Ibid.

530 Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo, 200 1a : 3.

531 Ibid.

Et c'est « pour résoudre ces problèmes » et pour « y faire face de manière cohérente avec des plans à long terme comme à court terme » que le Plan fondamental 200 1-2005 fut établi532.

Parmi les problèmes cités plus haut, le manque de main-d'oeuvre dû au vieillissement de la population agricole est accentué avec un constat particulier formulé comme ceci dans le début du premier chapitre :

« En 2000, le nombre total des foyers agricoles est de 9922, dont 495 foyers sont des exploitations professionnelles. Le taux de présence d'exploitations professionnelles est de 5-6% en plaine, tandis qu'il est de 7% dans les zones de moyenne montagne. Ce dernier dépasse le chiffre de la plaine. Cela est dû à l'installation agricole de personnes retraitées d'autres secteurs industriels, et ce sont des familles nucléaires principalement constituées par des personnes âgées qui provoquent ce phénomène. C'est-à-dire que ce sont des exploitations professionnelles temporaires héritées par des personnes âgées et des femmes sans successeurs »533

Dans cette explication, le Plan fondamental 200 1-2005 constate que le vieillissement et l'exode des jeunes des foyers ruraux sont irreversibles alors que, quoique marginalement, de nouvelles personnes s'installent et reprennent les activités agricoles de leurs foyers. Il s'agit de nouveaux retraités de secteurs industriels de la région. Le Plan résume ainsi la caractéristique de l'agriculture de sa région :

« L'agriculture de notre territoire est développée de diverses manières allant du type entrepreunarial mettant en valeur une main d'oeuvre salariale, au type d'Ikigai principalement menée par des personnes âgées et des femmes »534

Curieusement, le Plan emploie ici le terme « Ikigai » pour designer le type d'activités agricoles diverses qui sont menées par des personnes âgées et des femmes des foyers agricoles, et se distinguent du type de l'agriculture « entrepreneuriale». Ensuite, dans le Plan fondamental 2006-20 10, on mettra davantage l'accent sur des apports potentiels pour la main-d'oeuvre agricole grâce au vieillissement de la population d'autres secteurs : urbains et industriels.

Après ce constat de la situation, le Plan fondamental 2001-2005 affirme délibérément sa cible comme ci-dessous. Ce qui va déterminer la direction de sa politique de « porteurs (ninaite) » :

« L'objet auquel l'ECV accorde de l'importance est : les exploitations familiales visant un revenu annuel de 10 millions de yens et les exploitations de type entrepreneurial visant un revenu annuel de 18 millions de yens, soit 420 foyers au total. »535

Politique sélective d'orientation

Nous pouvons constater avec le discours de l'ECV cité plus haut, une caractéristique modernisatrice et sélective très prononcée : sa politique d'orientation vise prioritairement une ultra minorité de producteurs à haute productivité qui représentent à peine 2% du nombre total des foyers agricoles. Ainsi, dans le Plan fondamental 2001-2005, l'objectif à atteindre vers 2010 en terme du nombre des exploitations des foyers agricoles est : « de 115 exploitations familiales ayant un revenu annuel de 10 millions de yens et 150 exploitations de type entrepreneurial ayant un revenu annuel de 18 millions de yens »536.

Puis, le Plan fondamental 2006-20 10 mettra en avant l'idée de la gestion rationnelle d'exploitation agricole en définissant « les meilleures exploitations » qui « développent rationnellement leur gestion agricole selon le `management cycle' tout en analysant l'environnement socio-économique de leur gestion et leurs propres

532 Ibid.

533 Ibid.

534 Ibid.

535 Ibid. 10 millions yens soit équivalent à environ 66666 euros.

536 Ibid : 4. Ce chiffre à atteindre donné ici émane directement du plan départemental supérieur « Vision 2010 pour l'Agriculture,

la Forêt et la Pêche d'Aichi (Aichi Nôrin Suisan Vision 2010) » (Ibid : 46)

ressources disponibles pour la gestion »537. Il modifie ainsi son objectif à atteindre avec plus de précision : « 149 exploitations familiales ayant un revenu de 8 millions de yens pour 2.5 membres par famille » et « 87 exploitations entrepreneuriales ayant un revenu de 14 millions de yens dont 8 millions pour le gestionnaire et 6 millions pour 1.5 membres par famille »538.

« La direction de guidance » pour les années 2001-2005

Afin d'atteindre l'objectif cité plus haut pour la formation des exploitations, le Plan fondamental 200 1-2005 fixe « deux piliers pour la direction de guidance » :

- Formation des porteurs de divers types (tayô na ninaite no ikusei)

- Développement de l'agriculture locale à l'initiative des agriculteurs eux-même (Nôgyô-sha mizukara no torikumi ni yoru chiiki-nôgyô no kasseika)539

Dans le cadre du premier pilier sur « la formation des porteurs de divers types », les mesures sont résumées en trois points : « formation des exploitations dotées d'un meilleur sens de gestion (keiei kankaku ni sugureta keieitai no ikusei) » ; « formation des agriculteurs porteurs de la génération future (jidai wo ninau nôgyô-sha no ikusei) » ; « aménagement de localités attrayantes avec un déploiement des compétences des personnes âgées et des femmes (josei - kôreisha no nôryoku hakki ni yoru miryoku aru chiiki zukuri) »540.

Le premier point sur la « formation des exploitations dotées d'un meilleur sens de gestion » mentionne des problématiques pratiques à aborder en priorité sur les 420 exploitations professionnelles cible : « pratique de comptabilité » ; « détection des problèmes et amélioration » ; « pratique de consultation et de `counseling ' pour chaque exploitation, et participation des femmes à la gestion »541.

Le second point concerne les activités pour améliorer les compétences de gestion des jeunes agriculteurs qui font partie de l'association des jeunes agriculteurs « 4H Club542». L'importance est également accordée au rôle des femmes en tant que « partenaires des gestionnaires »543.

Le troisième point indique que « les femmes occupent 51.2% de la population agricole active, et les personnes âgées 22.8%. Ils sont d'importants porteurs de l'agriculture de notre région »544. « Les lieux où ils animent leurs activités » sont « des points de vente directe, groupes pour la mise en valeur des ressources agricoles (comme le groupe de la production de Shimenawa, conseillers de la vie rurale, groupe pour l'amélioration de la vie) »545. Le Plan indique qu'il est important de mettre en valeur dans les localités « les compétences individuelles des conseillers de la vie rurale et des personnes âgées pour créer des localités attrayantes »546.

Dans le cadre du deuxième pilier de l'orientation « développement de l'agriculture locale à l'initiative des agriculteurs eux-même », les quatres points suivants résument les mesures d'orientation : « formation des zones

537 Section Amélioration - Vulgarisation du Bureau départemental de l'agriculture, de la forêt et de la pêche de Toyota-Kamo

(Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo), 2005), p.6.

538 Ibid.

539 Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo, 200 1a : 4.

540 Ibid .

541 Ibid. La pratique de comtabilité n'est effectuée que par un peu plus de 20% d'exploitations professionnelles. (Ibid.)

542 26 jeunes agriculteurs de moins de 28 ans font partie de cette association et font l'objet de l'orientation de l'ECV. L'âge

maximum des jeunes agriculteurs cible de cette orientation est de 39ans. « 4H Club » est une association nationale des jeunes agriculteurs japonais crééé en 1948 selon le modèle américain de l'association des jeunes agriculteurs. Le nom officiel de

l'association est « Nôgyô Seinen Club ». Mais ce nom de l'association a changé plusieurs fois jusqu'à nos jours. « 4H » signifient «Head to clearer thinking ; Heart to greater loyalty; Hands to larger service; Health to better living». Le nombre de clubs et de members ne cessent de diminuer depuis la deuxième moitié des années 50 jusqu'à aujourd'hui. Référence : le site officiel de l'association : http://www.zenkyo4h.org/2004/main.htm

543 Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo, 200 1a : 4.

544 Ibid.

545 Ibid. Shimenawa est le produit d'une fablication traditionnelle fait d'une corde pour la décoration pour le Nouvel an au Japon.

« Conseillers de la vie rurale (Nôson-seikatsu adviser) », « Groupe pour l'amélioration de la vie (Seikatsu-kaizen group) » sont les noms d'associations d'agricultrices locales.

546 Ibid.

de production spécialisée (sanchi) à haute productivité avec innovation technique » ; « établissement d'une gestion rizicole mettant en valeur les spécificités locales » ; « promotion d'une agriculture locale respectueuse de la protection de l'environnement » ; « animation des zones de moyenne montagne» 547 .

Le premier point sur la « formation des zones de production spécialisée (sanchi) à haute productivité avec innovation technique » met l'accent sur le développement des zones de production spécialisée avec des innovations techniques pour « faire face à l'import de produits agricoles ainsi qu'à la concurrence interrégionale de l'intérieur du pays »548. Puis, des innovations concrètes à apporter sont précisées dans chaque production spécialisée à haute productivité visant « l'aggrandissement d'échelle (Kibo kakudai) », « la réduction du travail humain (Shô-ryoku) » et l'introduction de « techniques pour l'extensification des travaux (sagyô bunsan gijutsu)»549.

En poursuivant la ligne productiviste du premier point, le deuxième point sur l'« établissement d'une gestion rizicole mettant en valeur les spécificités locales » encourage la « mobilisation (ryûdô-ka) » et la « concentration (shûseki) » des terrains rizicoles par les « porteurs (entreprises agricoles de la riziculture) »550.

Concernant les zones de moyenne montagne, le Plan fondamental 2001-2005 affirme que « il est difficile de conserver les porteurs et d'utiliser efficacement des rizières via la concentration » en raison de « conditions défavorables aux niveaux naturel, économique et social, accompagnées par le vieillissement des gestionnaires »551. A cet effet, apparaît une volonté de soutenir l'application du « système d'aides directes aux zones de la moyenne montagne » via des « conventions villageoises »552.

Le troisième point sur la « promotion d'une agriculture locale respectueuse de la protection de l'environnement » affirme une volonté d'établir « une agriculture basée sur le recyclage, des techniques pour la réduction d'utilisation d'engrais chimiques et de pesticides »553. Et ceci « afin de se diriger vers la réalisation d'une agriculture susceptible de coexister avec sa localité (chiiki to kyôzon dekiru nôgyô wo mezasu tame) »554. Pourtant, les domaines d'application des mesures concrètes se limitent à certains types de productions spécialisées : « utilisation cyclique par les producteurs des cultures végétales du fumier issu des déjéctions du bétail » ; « réduction de l'utilisation des pesticides via l'emploi d'un produit empêchant la reproduction des insectes » ; « technique de réduction des engrais via l'emploi d'engrais à effet faible »555.

Le quatrième point sur l'« animation des zones de moyenne montagne » met l'accent sur la valorisation de produits du terroir destinés à la transformation et à la vente directe comme l'igname japonaise (jinenjo) et le wasabi etc556.

Enfin, quelles représentations pouvons-nous retenir dans l'ensemble du Plan fondamental 2001-2005 ? En fait, l'agriculture et la ruralité de la région de Toyota sont représentées de manière contrastée voire « dualiste ». Et cette approche fait suite au constat d'une série de crises agricoles (vieillissement de la main d'oeuvre agricole, baisse des prix agricoles). Son approche dualiste divise en deux, que ce soit de manière explicite ou

547 Ibid : 4-5.

548 Ibid : 4.

549 Ibid.

550 Ibid : 5. Ici, il nous faut évoquer que cette mesure semble tenir compte du fait qu'une grande partie des terrains rizicoles est détenue par une majorité de foyers agricoles pluriactifs, et que ces terrains sont pour la plupart de petite taille (20 a - 1ha),

morcelés et de plus en plus laissés en jachère ou en friche. Et nous pouvons également constater que, dans le domaine rizicole, ces foyers pluriactifs sont clairement exclus de la catégorie des producteurs-porteurs.

551 Ibid.

552 Ibid. « Système d'aides directes aux zones de la moyenne montagne (chûsankan-chiiki nado chokusetsu shiharai seido) » et

« conventions villageoises (shûraku kyôtei) » sont des systèmes nationaux de subvention lancés depuis 2000 pour les activités agricoles dans les zones de moyenne montagne.

553 Ibid.

554 Ibid.

555 Ibid. L'échange du fumier entre éleveurs et producteurs des cultures végétales est limité à certaines zones. L'utilisation du

produit empêchant la communication des insectes est pratiquée par le membre d'un groupement d'arboriculteurs spécialisés de la

poire et de la péche qualifiés de « ecofarmers », un label nationale récent créé pour qualifier les producteurs respectueux de l'environnement. 104 producteurs sont qualifiés de ce label en 2004, mais ceux dont 99 producteurs dans le domaine fruitier. Tous

les membres des groupements de producteurs de la Pêche et de la Poire ont été qualifiés. (Section Amélioration - Vulgarisation du Bureau départemental de l'agriculture, de la forêt et de la pêche de Toyota-Kamo (Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo), 2005 : 20.

556 Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo, 200 1a : 5.

implicite, les cibles d'orientation par le seul critère de la productivité (fort ou faible par rapport au marché) aux niveaux des producteurs, types des produits et zones de production (foyers professionnels cible ou non professionels ; jeunes agriculteurs ou personnes âgées et femmes ; quelques entreprises rizicoles dans la zone du sud ou nombreux riziculteurs pluriactifs non cités ; groupements de producteurs de la Poire et de la Pêche dans la zone du nord ou groupements de personnes âgées ou de femmes pour des produits artisanaux destinés à la vente directe ; plaine - moyenne montagne etc.)

Selon ces catégories dualistes multipliées, on constate que, d'une part, la politique d'orientation de l'ECV est d'emblée productiviste, sélective et orientée vers le marché. Et cette direction est justifiée pour « faire face à la concurrence interrégionale renforcée suite à l'internationalisation 557». D'autre part, l'ECV encourage une série d'activités productives ou animées des personnes âgées, des femmes des foyers pluriactifs, même s'ils sont rarement appellés « agriculteurs » ou « agricultrices ». Là, l'ECV a tendance à utiliser une série de termes « symboliques » plutôt qu'économiques dont il est difficile de critiquer les valeurs pour le public tels que : « agriculture d'Ikigai » ; « créer des localités attrayantes » ; « déploiement des compténces individuelles » etc.

« La direction de guidance » pour les années 2006-2010

Dans le Plan fondamental 2006-2010, le contenu de la « direction de guidance » ne change pas la nature de ses représentations dualistes de l'agriculture et de la ruralité du teritoire concerné, que nous avons constatée, sauf s'il y ajoute quelques éléments de nouveauté. Le Plan fondamental 2006-20 10 établit trois piliers suivants de l'orientation en y intégrant le contenu des deux piliers du plan précédent :

- Formation des exploitations et des zones à forte compétitivité via des innovations techniques - Assurer une production durable de l'alimentation de sécurité et de bonne qualité

- Aide des activités locales mettant en valeur les ressources de l'agriculture et de la ruralité »558

Rappelons que ce nouveau Plan fondamental 2006-2010 introduit une définition des « meilleures exploitations » basée sur l'idée de la gestion rationnelle, et modifie ainsi l'objectif à atteindre pour la formation des exploitations professionnelles : « 149 exploitations familiales ayant leur revenu de 8 millions yens pour 2.5 membres de la famille » et « 87 exploitations entrepreneuriales ayant leur revenu de 14 millions yens dont 8 millions pour le géstionnaire et 6 millions pour 1.5 membres de la famille » (recitée).

Le premier pilier sur la « formation des exploitations et des zones à forte compétitivité via des innovations techniques » est orienté vers les activités productives et entrepreneuriales. Le rôle des femmes accordé par ce pilier est le rôle d'entrepreneuses tandis que, dans le plan précédent, c'était le rôle de partenaires de gestionnaires qui était attendu par l'ECV. Ce changement semble se baser sur la présence de plus en plus importante de femmes exerçant la transformation artisanale et la vente directe de produits locaux559. 10 foyers individuels et 22 groupes développent leurs activités aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural de moyenne montagne560. L'attente de l'ECV vis-à-vis de ces femmes est affirmée du point de vue de la « valorisation des produits du terroir et de l'idée de `produire et consommer localement' (chisan-chishô) »561.

Ensuite, le Plan affirme son soutien aux nouveaux producteurs de légumes (fraise, igname, aubergine) et de fleurs (chrysanthème). En effet, pour la plupart ces produits sont destinés au marché local, dont le vieillissement des producteurs est relativement avancé562. Et dans le domaine des légumes, le Plan fondamental 2006-20 10 met l'accent notamment sur une nouvelle catégorie de producteurs qui s'installent de plus en plus : « retraités

557 Ibid. : 2.

558 Ibid. : 4.

559 Ibid. : 7.

560 Ibid.

561 Ibid. L'idée de « produire et consommer localement » est un slogan qui est à « l'ère du temps » au Japon aujourd'hui. Ce fait

est notamment lié au contexte de la préoccupation grandissante sur l'auto-suffisance alimentaire aussi bien au niveau pubic qu'au niveau politique. Cette idée est également promue dans la troisième pilier du Plan fondamental 2006-20 10.

562 Ibid : 12-15.

revenants à la terre (teinen kinô cha) ». Le Plan fondamental 2006-2010 constate que :

« Pour les légumes de notre territoire, de la plaine à la moyenne montagne, nous avons beaucoup de zones de productions spécifiques de petite taille sous diverses conditions environnementales : le chou chinois, l'aubergine pour les cultures sur sol en plaine ; la fraise, l'aubergine pour les cultures hors sol ; une série de légumes du terroir comme l'igname japonaise, l'asperge, l'aubergine en moyenne montagne etc. On peut constater un mouvement de nouvelles installations comme celui de retraités revenants à la terre. »563

Pour les légumes, le Plan fondamental 2006-20 10 envisage une série de soutiens à apporter vis-à-vis de ces nouveaux producteurs émergents (formation technique, introduction de nouvelles techniques et de nouvelles variétés des produits). Concernant les aubergines de l'été et de l'automne, il explicite même son intention de coopérer avec le Centre Nô-Life (inauguré en 2004) pour « recruter (boshû) et orienter (shidô) » de nouveaux producteurs au niveau de « l'ensemble des zones de productions spécialisées (sanchi zentai to shite) »564. Et ceci afin d'« élargir l'échelle des zones de productions spécialisées et les rendre plus compétitives »565

Cette attente est affirmée par l'ECV pour l'installation de nouveaux retraités alors que leur orientation de nature productiviste reste la même (« élargir et rendre compétitives les zones de productions spécilisées »)566.

Dans le deuxième pilier consistant à « assurer une production durable de l'alimentation de sécurité et de bonne qualité », le Plan fondamental 2006-20 10 intègre une préoccupation pour l'agriculture respectueuse de la protection de l'environnement. Le Plan fondamental 2006-20 10 y reprend et développe le contenu du troisième point du deuxième pilier du plan précédent qui était : « promotion d'une agriculture locale respectueuse de la protection de l'environnement ». Le Plan fondamental 2006-20 10 y ajoute des préoccupations en matière des sécurité et traçabilité alimentaires, de plus en plus grandissantes aujourd'hui au Japon 567.

La troisième pilier sur l'« aide aux activités locales mettant en valeur les ressources de l'agriculture et de la ruralité » est orienté vers les activités pour le développement local et rural. En y intégrant le quatrième point du deuxième pilier du plan précédent qui concernait l'« animation des zones de la moyenne montagne », le Plan fondamental 2006-2010 développe dans ce pilier ses mesures, plus diversifiées, orientées de manière générale vers le développement rural568. Les trois points de ce pilier sont : « formation des organisations agricoles mettant en valeur des spécificités locales (chiiki no tokuchô wo ikashita einô-soshiki no ikusei) » ; « soutien des diverses activités des agriculteurs pour la sensibilisation sur l'alimentation et la ruralité (shoku to nô heno rikai no zôshin ni muketa nôgyô-sha no tayô na torikumi shien) » ; « création des produits du terroir dans les zones de moyenne montagne (chûsankan chiiki no tokusan-hin zukuri) ».

Dans le premier point, le Plan fondamental 2006-20 10 exprime d'abord son constat de « la baisse de motivation (Iyoku ga teika shiteiru) » des producteurs vis-à-vis de l' « amélioration de la base de la production agricole et de l'environnement pour la gestion agricole » au sein des producteurs du territoire concerné569. Et ceci est dû à la « faible efficacité économique et au vieillissement »570. A cet effet, le Plan fondamental 2006-2010 accorde de l'importance à la « mise en valeur des terrains agricoles », la « formation de groupements agricoles susceptibles d'exercer avantageusement la vente et la distribution », le « développement de l'agriculture locale et du développement rural » et « aménagement de l'environnement confortable pour les travaux agricoles et de l'environnement rural »571. Et ceci « pour que les agriculteurs puissent travailler leur

563 Ibid : 12

564 Ibid.

565 Ibid.

566 Cependant, les réactions des stagiaires du Projet Nô-Life ne sont pas toujours conjointes ni homogènes par rapport à cette

attente de l'ECV. Nous allons les examiner dans le Chapitre IV.

567 Ibid : 20-2 1

568 Ibid : 22-23.

569 Ibid : 22.

570 Ibid.

571 Ibid.

agriculture en pleine motivation »572.

Dans le deuxième point, le Plan fondamental 2006-2010 affirme son soutien global aux diverses activités des agriculteurs non seulement du point de vue de la production agricole, mais aussi de celui de la multifoncionalité de l'agriculture (ce qui n'était pas mentionné dans le plan précédent)573. En se focalisant sur les zones de moyenne montagne, le Plan fondamental 2006-2010 affirme son soutien aux diverses activités des agriculteurs pour la « sensibilisation sur l'alimentation et la ruralité » représentée par les idées de «produire et consommer localement » et de l'« éducation alimentaire et rurale » etc574. Et ceci est dans le but de « développements agricole et local hamonieux valorisant les spécificités locales dans notre territoire où la ville et la campagne montagnarde voisinent »575.

Dans les mesures du troisième pilier, nous pouvons constater, d'une part, une volonté de l'ECV, qui semble être plus affirmée pour apporter ses soutiens aux acteurs qui étaient, considérés comme marginaux dans le plan précédent en raison de leur faible productivité. Et ces soutiens sont mis en relation avec une série de thématiques émergentes : multifonctionalité ; développement rural ; échage entre ville et campagne ; `produire et consommer localement' ; éducation alimentaire ; Ikigai pour les personnes âgées etc. Ces termes semblent contenir des définitions plus élaborées et complexes que les termes symboliques qui étaient employés dans le plan précédent, rappelons-en quelques-uns : « agriculture d'Ikigai », « créer des localités attrayantes », « déploiement des compténces individuelles » etc.

Complexification et ambiguïté de la politique d'orientation

Suite à notre examen des deux « direction[s] de guidance » de la politique d'orientation de l'ECV, nous pouvons constater une complexification des représentations de cette politique.

A travers des changements entre ces deux directions, nous pouvons remarquer que, dans le Plan fondamental 2006-2010, émergèrent une série de nouvelles thématiques dont les origines et les poids ne sont pas toujours les mêmes, et qui influencent les représentations de la politique d'orientation de l'ECV : renforcement de la force concurrentielle ; gestion rationnelle d'exploitation (management) ; agriculture respectueuse de l'environnement ; qualité et sécurité alimentaires ; renforcement de l'autosuffisance alimentaire ; multifonctionalité ; développement rural ; échange entre ville et campagne ; produire et consommer localement ; éducation alimentaire ; Ikigai pour les personnes âgées etc.

Ces nouvelles thématiques impliquent souvent des éléments dont la nature est différente de celle de la propre mission de l'ECV : le développement technico-écnomique de l'agriculture via la recherche de la productivité. Puis, ses intentions affirmées pour soutenir les divers producteurs étaient toujours accompagnées par un constat de la situation locale de plus en plus aggravée de l'agriculture et de la ruralité (vieillissement des producteurs porteurs même, aggravation de l'abondan de terrains etc).

Les représentations politiques de l'agriculture et de la ruralité de la région de Toyota qu'exprime l'ECV étaient, dans un premier temps, dualistes (fort ou faible par le seul critère de la productivité) et commandées par le haut (le département et l'Etat). Cependant, elles sont influencées, d'un côté, par une série de thématiques émergentes de plus en plus structurées émanantes de l'extérieur, de l'autre côté, par l'évolution de la situation locale où le vieillissement et l'exode marque décisivement un effet négatif. Ainsi, elles se complexifient et deviennent de plus en plus ambiguës.

Une forte attente vis-à-vis du Projet Nô-Life dans le cadre de la politique de « nouveaux porteurs »

Rappelons que l'ECV affirmait, dans le Plan fondamental 2006-20 10, son soutien pour les activités du

572 Ibid.

573 Ibid.

574 Ibid : 23 L'éducation alimentaire (Shokuiku) est une nouvelle thématique nationale. La Loi Fondamentale sur l'Education Alimentaire (Shokuiku Kihonhô) fut adoptée en 2005.

575 Ibid : 22.

Centre Nô-Life dans le cadre du « soutien de l'installation agricole des nouveaux participants » en vue de la « formation des porteurs de la génération future »576.

« Nouveaux participants » comme nouveaux porteurs ?

Le terme « nouveaux participants (shinki sannyû sha) » designe ici les personnes non originaires des exploitations professionnelles toujours considérées comme cibles de la politique sélective d'orientation depuis le Plan fondamental 2001-2005. Ce sont de nouveaux producteurs ou candidats producteurs dont le nombre est croissant et qui : « n'ont pas de base pour la gestion agricole (Nôgyô keieikiban wo motanai) » ; « ne font pas partie de l'association des jeunes agriculteurs (4H Club) » ; « sont âgés de plus de 30 ans » ; « n'ont pas de connaissances agricoles ni d'expériences »577. Quelle place est alors accordée par l'ECV à ces nouveaux venus dans le domaine agricole ?

Rappelons que le premier objectif de la politique d'orientation de l'ECV était formulé, dans le Plan fondamental 2006-2010, par un nombre d'exploitations professionnelles à former qui correspondait à seulement 2% du nombre total des foyers agricoles du territoire concerné (236 sur 9481). Et le type d'exploitations agricoles cibles de cette politique sélective était uniquement celui des exploitations professionnelles dont le nombre est de 426. Dans le Plan fondamental 2006-2010, la catégorie des « nouveaux participants » en tant que « porteurs » est clairement distinguée de celle des « successeurs des exploitations cibles (jûten shigô taishô keiei-tai nô sitei) »578. Donc, la place des nouveaux participants d'origine « non agricole », cités plus haut, reste secondaire du point de vue de la politique sélective de l'ECV. Et comme nous avons pu le constater dans l'examen du Plan fondamental 2006-2010, l'attente affirmée par l'ECV pour l'installation de nouveaux retraités est attaché au fait qu'ils suivent leur orientation de nature productiviste dans le domaine de légumes. Autrement dit, ce nouveau type de « participants » a simplement été ajouté dans la cartégorie des porteurs de l'agriculture selon le même critère de jugement de la production agricole. Monsieur N nous a répondu à ce propos lors de notre entretien en répondant à la question formulée ainsi « Que pensez-vous de l'objectif principal579 du Projet Nô-Life ? » :

« Euh, je pense qu'il est quand même important de former de nouveaux porteurs. Jusqu'à maintenant, on essayait d'assurer les porteurs en faisant que les successeurs reprennent les fermes (les activités agricoles). Mais il est inévitable de trouver des porteurs à partir d'autres personnes. `Non originaire des foyers agricoles (hi-nôka)', puis-je dire ? Mon idée est qu'il faut mettre en valeur de tels porteurs. »

Et il trouve qu'il y a un avantage particulier chez ces nouveaux porteurs grâce aux « bonnes images » de l'agriculture qu'ils ont, par rapport aux « mauvaises images » présentes chez les « gens originaires des fermes » :

« Par exemple, en discutant avec différentes personnes, je me suis rendu compte que, comme les personnes originaires des fermes connaissent trop l'amertume de l'agriculture et les grandes difficultés que leurs parents ont, certains en ont marre de l'agriculture. Puis, il y a pas mal de gens originaires des fermes qui étaient salariés et qui ont pris leur retraite. Eux, ils n' ont pas envie de faire de l'agriculture, je pense. Mais, au contraire, les gens qui ne se sont jamais occupés de l'agriculture jusqu'à maintenant, n'ont pas de telles mauvaises images. Ils pensent plutôt même que l'on peut travailler agréablement dans la montagne, quoique un peu naïvement, infuencés par la télé etc. (rire). Pourtant, ce n'est pas souvent la réalité...»

576 Ibid : 8.

577 Ibid : 9.

578 Ibid : 8.

579 Les objectifs principaux : inciter les habitants de se mettre à l'agriculture compte tenu des problèmes liés au vieillissement de population à venir (deuxième vie, Ikigai, santé etc) ainsi que des problèmes agricole et rural aggravés (augmentation de friches agricoles, diminution du nombre d'agriculteurs). Et ainsi contribuer à la diminution de friches puis au maintien de porteurs.

[Enquêteur : La `liberté' etc...]

« Une bonne image où il n'y plus de contraintes (shigarami) comme à l'intérieur d'une entreprise (kaisha), je crois. C'est pourquoi mon idée personelle est de bien mettre en valeur de telles personnes. Je pense que c'est également un travail dont il faut bien se charger en tant que conseiller. »

[Enquêteur : Pensez-vous uniquement aux personnes âgées ?]

« Non. Si je parlais des retraités,en fait, il y a aussi quelques jeunes dans Nô-Life, »

[Enquêteur : Ce qui est caractéristique dans Nô-Life, c'est qu'il y a divers types de personnes. En réalité, pas mal de personnes qui ne pensent pas forcément à la `deuxième vie' etc.]

«Oui, il y en a qui essaient de gagner leur croûte avec l'agriculture. Mais, surtout pour les jeunes personnes, on ne leur apporte que de bonnes images, lorsque ils essaient de s'installer et nous allons les orienter (rire jaune). Pour ceux qui vont gagner leur croûte, on les oriente en disant que ce n'est pas si heureux que ça. S'ils viennent uniquement avec de bonnes images comme ` il sera facile de gagner de l'argent 'ou ` on me prêtera facilement de l'argent et je pourrai facilement trouver des terrains' (rire jaune). Puis, s'ils n'ont que l'image où l'on peut travailler en liberté et que c'est bien, cela mettra en question notre responsablilié. Cela nous dérange s'ils viennent avec une telle facilité. Donc, on les oriente comme il faut. On les prévient même avant qu'ils y entrent. »

Là, on entrevoit qu'existe un décalage réel entre des perceptions générales de l'agriculture chez les nouveaux participants, qui sont « bonnes » mais souvent opportunistes d'après Monsieur N, et celles qui sont normatives et productivistes de l'ECV. Si Monsieur N s'exprime en faveur des nouveaux participants, il affirme clairement que les principes d'orientation de l'ECV ne vont pas changer vis-à-vis de ce type de personnes.

Mode d'actions

D'abord, le mode d'actions de L'ECV est fortement régi « par le haut » aux niveaux juridique et institutionnel. En effet, la Loi pour l'Incitation de l'Amélioration de l'Agriculture (Nôgyô Kairyô Jochô Hô) définit la place de l'ECV de façon à centraliser le pouvoir de décision au niveau départemental, et définit également l'objectif de l'établissement de l'ECV comme centré sur la diffusion des « techniques et connaissances scientifiques sur la gestion agricole et la vie rurale580 ».

En plus, Monsieur N nous a affirmé que l'ECV « n'effectue que les travaux liés au Plan fondamental quinquenal » dans lequel la coopération au Projet Nô-Life est prévue dans le Plan fondamental 2006-2010. De ce fait, le mode d'actions de l'ECV est, à la différence de la Municipalité ou de la Coopérative agricole, moins marqué par la manière du bricolage d'idées ou d'actions, ainsi que par la relation d'interaction avec les autres agents concernés. En fait, le principe des idées et du modes d'actions de l'ECV garde une forte autonomie assurée à la fois par son rôle privilégié en tant qu' « expert » technique, économique et scientifique, et par son statut institutionnel régi par le département et l'Etat. D'où sa politique à caractère productiviste et selectif qui persiste et même a tendance à se renforcer malgré son constat de la situation locale aggravée dû à la baisse de prix, au vieillissement de la population agricole etc.

580 L'article 1 défini l'objectif principal de de cette loi comme suit : « Cette loi incite les recherches et les activités de vulgarisation relatives à l'agriculture afin que les agriculteurs obtiennent les connaissances effectives et pratiques sur la gestion agricole et la vie rurale, et puissent les diffuser et les échanger. A cet effet, cette loi a pour l'objectif de développer : la méthode agricole optimale et harmonieuse avec l'environnement; la gestion agricole efficace et stable ; l'agriculture adaptée à la spécificité locale, et ainsi de contribuer à l'amélioration de la vie rurale. » Et l'Article 12 défini les trois tâches suivantes de l'ECV : « synthèse des découvertes obtenues par les activités » des Conseillers pour la Vulgarisation (Fukyû shidôin) au sein des instituts de la recherche ; « mener des activités visant à intégrer la vulgarisation et l'orientation des techniques et connaissances scientifiques relatives à la gestion agricole et à l'amélioration de la vie rurale » ; « donner aux agriculteurs les renseignements relatifs à l'amélioration de la gestion agricole et de la vie rurale » ; « afin de promouvoir la nouvelle installation agricole, mener les activités du renseignement et de la consulation etc. »

Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life

L'ECV affirme son soutien au Projet Nô-Life en raison de son attente vis-à-vis de ce projet dans sa capacité de former les porteurs « non originaires des foyers agricoles (hinôka) » que le Plan fondamental 2006-2010 appelle « nouveaux participants (shinki sannyû sha) ».

Cependant, comme nous l'avons constaté dans l'examen du Plan fondamental 2006-2010 ainsi que lors de l'entretien avec Monsieur N, son implication dans le Projet s'effectue de manière à continuer le principe productiviste et sélectif. (« Cela nous dérange, s'ils viennent avec une telle facilité. Donc, on les oriente comme il faut. On les prévient même avant qu'ils y entrent. »)

D'ailleurs, dans un cours de la formation Nô-Life donné par un conseiller de l'ECV à tous les stagiaires des années 2005-2007 (l'enquêteur l'a observé en 2006), qui porte sur la nouvelle installation agricole, ce conseiller n'a expliqué le système de la nouvelle installation agricole qu'en terme de système d'aides à l'investissement agricole qui est disponible pour les « agriculteurs qualifiés (nintei nôgyô sha) ». Dans la définition de ce type d'agriculteurs, le revenu agricole annuel doit s'élever au minimum à 2 500 000 yens, ce qui dépasse largement l'objectif du Projet Nô-Life de « 1 000 000 yens de revenu agricole annuel ». Ce qui paraît à la grande majorité des stagiaires difficile à réaliser, et peu disponible pour eux.

Enfin, cette tendance « professionaliste » de la part de l'ECV ne semble pas forcément correspondre aux attentes des stagiaires de Nô-Life et également à l'objectif d'Ikigai des personnes âgées.

Acteur 6 : Conseil Local de Toyota de la Fédération des Syndicats Ouvriers du Département d'Aichi (CLFS : Rengô Aichi Toyota Chikyô)

Caractère général de l'acteur

La Fédération des Syndicats Ouvriers (Rengô) est aujoud'hui l'organisation majoritaire dans le monde syndical japonais581. Le CLFS est une branche locale chargée du territoire de la Ville de Toyota, qui regroupe une grande majorité des syndicats présents dans ce territoire appartenant au Rengô d'Aichi. Il fédère ainsi une grande majorité des syndicats ouvriers présents dans la Ville de Toyota en formant la plus grande organisation dans la Ville de Toyota ayant près de 70 000 adhérents. (Cf. Le nombre d'adhérents de la CAT est de 25623 personnes en 2005)

Missions du CLFS : niveaux global et local

Le CLFS a deux types de missions : l'une est globale et l'autre locale. Sa mission globale est principalement l'implication politique via notamment les activités électorales. Il a pour but d'augmenter aux niveaux municipal,

581 C'est en 1989, que quatre grandes fédérations syndicales dont Sôhyô qui représentait principalement les syndicats du secteur public, et Dômei, Shinsanbetsu et Chûritsu qui représentaient également les syndicats du secteur privé dans les différents secteurs industriels, se fédérènt pour former Rengô. Aujourd'hui, elle soutient manifestement leParti démocrate japonais (Minshu-tô). Le nombre d'adhérents est 6 726 000 en 2004, ce qui fait 19.2 % des employés au Japon en 2004 (selon le Ministère de la Santé

publique et du Travail (Kôsei rôdôshô) : http://www.jtuc-rengo.or.jp/news/weekly/no669/print.html). Par ailleurs, les syndicats plus radicaux n'ayant pas rejoint le mouvement de la fédération de Rengô en 1989, ont formé deux fédérations minoritaires des syndicats ouvriers (zen-rôkyô; zen-rôren) liées respectivement au parti communiste japonais (Kyôsan-tô) et au partis socio-démocrate japonais (Shamin-tô : l'ex-parti socialiste japonais). Leur nombre d'adhérents est environ 300 000 (zen-rôkyô) et 1 000 000 (zen-rôren).

départemental et national, le nombre des députés représentant l'intérêt du Rengo582, afin de renforcer l'influence de leurs opinions dans le monde politique. Et c'est via ces activités électorales que le CLFS est intégré aux structures supérieures du Rengô (départemental et national) tant au niveau institutionnel qu'au niveau de ses représentations et de ses actions.

Sa mission locale concerne la coopération avec les collectivités territoriales dont notamment la Municipalité de Toyota, dans divers domaines y compris la politique agricole. Dans le cadre de cette coopération, Monsieur Y, vice-directeur (jichô) du secrétariat du CLFS, participe, en tant que représentant du monde syndical de la Ville de Toyota, au comité pour l'élaboration du Plan fondamental de l'agriculture depuis 2006583. Il s'implique également dans le domaine de l'Aménagement de la Ville (machizukuri) telle que l'organisation du Festival estival de la Ville de Toyota.

Au travers de toutes ces activités locales, le CLFS essaie ainsi de renforcer ses rapports avec les petite localités de la Ville de Toyota et la population locale. Monsieur Y nous a expliqué comme ci-dessous cette intention du CLFS :

« [Enquêteur : Essayez-vous ainsi de renforcer notamment votre rapport avec les localités ?] Oui. Même si cela n'a pas encore atteint le niveau suffisant, on exerce toujours nos activités avec ce sentiment-là. J'imagine la scène où nos camarades mènent leurs activités non seulement au niveau global de la `Ville de Toyota Ç mais aussi au niveau des plus petites localités comme les quartiers ou les villages. Il s'agit de ne pas enfermer la vie de nos salariés dans leur entreprise, mais d'essayer de pouvoir mieux communiquer avec la population locale via diverses occasions possibles ».

Cette intention de renforcer le rapport entre les adhérents (salariés de la Ville de Toyota) et les petites localités ainsi que la population locale, est liée à la thématique d'Ikigai aussi bien pour les salariés que pour les retraités salariés. Ainsi, une des grandes thématiques actuelles du CFLS est d' « élargir la variété d'activités d'Ikigai pour les retraités salariés ». C'est également cette thématique qui a conduit le CLFS à collaborer avec la Municipalité pour le Projet Nô-Life. Nous l'aborderons plus bas en détail.

Changement de l'orientation des missions du CLFS : du national au local

En fait, dans le CLFS, ce type d'activités impliquées dans divers domaines de la politique publique locale, n'existait pas auparavant. D'après Monsieur Y, les activités du CLFS consistaient notamment à la revendication pour l'augmentation des salaires en réunissant les syndicats de différents secteurs et « en hissant les drapeaux rouges ». Mais aujourd'hui, face à une diminution radicale du nombre d'adhérents du Rengô dans la dernière décennie584 et à l'augmentation du nombre de salariés non organisés585. Ce qui risque de réduire inévitablement l'influence des syndicats vis-à-vis des entreprises. Actuellement, le CLFS se préoccupe de plus en plus d'intégrer ces couches de salariés non organisées dans le Rengô.

D'un côté, le CLFS continue à mener, vis-à-vis des entreprises, la revendication pour l'augmentation de salaire et l'amélioration des conditions de vie des salariés, mais de l'autre côté, le CLFS a progressivement diversifié son mode d'implication directe dans la politique publique locale en coopérant avec les collectivités territoriales dans divers domaines. Ceci afin de transmettre plus largement ses opinions dans la société. L'influence du CLFS est considérable dans la politique publique de la Ville de Toyota, vu qu'il constitue le plus grand organisme dans cette dernière avec plus de 70 000 adhérents.

Bref historique de la relation entre le CLFS et le Projet Nô-Life : démarche réciproque pour

582 Ces députés appartiennent aujourd'hui au Parti Démocrate Japonais : Minshu-tô.

583 La première réunion générale a eu lieu le 1er août 2006, et la deuxième réunion générale le 29 novembre 2006 où l'enquêteur (rédacteur) a été présent en tant que public.

584 Depuis 1994, le nombre des adhérents du Rengô ne cessa de diminuer. Rengô a perdu près d'un million d'adhérents pendant la dernière décennie. ( http://www.jtuc-rengo.or.jp/news/weekly/no669/print.html)

585 Par exemple, ceux qui travaillent à temps partiel ou avec un contrat à durée détermnée.

la promotion d'Ikigai des personnes âgées

L'établissement du premier rapport de coopération entre le BPA (de la Municipalité de Toyota) et le CLFS remonte à une date récente : nous l'avons vu dans la partie de l'acteur 1, en 2003, lorsque la Municipalité effectua en collaboration avec le CLFS, l' « Enquête sur la conscience sur l'agriculture de Toyota (Toyota-shi Nôgyô ni kansuru Ishiki Chôsa) » afin de recenser les attentes des salariés de la Ville de Toyota vis-à-vis de l'agriculture et de la ruralité de leur région. Cette enquête fut effectuée en pleine période de l'élaboration concrète du Projet Nô-Life et juste avant la remise, au gouvernement japonais en 2004, du dossier de candidature pour l'application de la Politique de la Zone spéciale (voir la partie de l'acteur 1). Donc, c'est à travers le Projet Nô-Life que ce lien entre le BPA et le CLFS est né.

Par ailleurs, le CLFS avait déjà, bien avant le Projet Nô-Life, une expérience antérieure dans le cadre d'un projet pour la promotion d'Ikigai des personnes âgées. Il s'agit de l'établissement de la « Maison des fleurs (Hana house) » en 1997 : La Maison des fleurs est un ensemble de serres dédiées à la culture horticole dont la gestion est actuellement confiée au Centre des Ressources humaines âgées (Silver Jinzai Haken Center). Elle a été créée par la Municipalité de Toyota « pour promouvoir la participation sociale des personnes âgées via leur travail de la production horticole et en développer leur Ikigai et améliorer leur santé 586». Monsieur Y, de son côté, ajoute que :

« (...) C'était aussi dans le cadre de la créaction dikigai. Les retraités produisent des fleurs, non pour gagner leur vie, mais dans le prolongement du loisir. En produisant les fleurs, ils décorent la Ville avec ces fleurs. Avant l'étape du Centre Nô-Life, il y avait donc cela. »

En fait, c'était le CLFS qui avait pris l'intiative pour pousser la Municipalité à créer La Maison des fleurs. Il avait conçu l'idée de construire celle-ci dans le résultat d'une enquête par questionnaire qu'il avait effectuée auprès de ses adhérents. Puis, il a mené son action auprès de la Municipalité de Toyota pour l'établir au moyen de l'influence de députés appartenant à Rengô.

Cet établissement devint ainsi un modèle précurseur qui inspira plus tard le CPCI qui développa un ensemble de mesures pour Ikigai depuis 2000 (voir l'acteur 2). Ainsi, dit Monsieur Y, l'implication du CLFS dans l'élaboration du Projet Nô-Life était « naturellement née, de manière réciproque ».

Caractère général des données

Notre analyse du CLFS se base sur l'entretien effectué par l'enquêteur (rédacteur) avec Monsieur Y, vice-chef du secrétariat du CLFS (en 2006). Il est également adhérent du Syndicat ouvrier de l'automobile Toyota (Toyota Rôso).

Il n'occupait pas son poste actuel lors de la distribution de l' « Enquête sur la conscience sur l'agriculture de Toyota (Toyota-shi Nôgyô ni kansuru Ishiki Chôsa) » en 2003 (car le personnel de ce poste change chaque année). Depuis 2006, il est membre du Comité pour l'élaboration du Deuxième Plan fondamental de l'agriculture de Toyota au sein de la Municipalité. Il nous a accueilli dans le Bureau du CLFS pour répondre à nos questions pendant près d'une heure.

Représentations

586 Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être, 2003 : 72. En 2004, 2684 personnes âgées ont été usagers de cet établissement. Pour le mois d'avril 2005, il y a près de 35 adhérents dont 6 travaillent par jours en alternance. (Section Bien-être et Vieillissement de la Direction Santé et Bien-être de la Ville de Toyota, 2006 : 66.)

Les représentations de l'agriculture et de la ruralité chez Monsieur Y porte sur des préoccupations dont les deux niveaux s'imposent : global et local, ce qui correspond à la caractéristique des missions du CLFS que l'on a constaté plus haut.

Au niveau global, deux thématiques sur l'agriculture sont énoncées en les mettant en relation avec les thématiques du Projet Nô-Life : l'une sur l'auto-suffisance alimentaire au Japon ; l'autre sur le manque de main-d'oeuvre agricole.

Préoccupations globales sur l'agriculture

Concernant l'auto-suffisance alimentaire, quoique personnelle, Monsieur Y « a une forte prise en conscience » de ce problème. Il s'agit de la forte dépendance alimentaire du Japon587, qu'il la considère en rapport avec la thématique du Projet Nô-Life : la prévention des friches agricoles. Puis, il a évoqué la conjoncture internationale actuelle où la grande croissance économique de nouveaux pays émergents désignés sous l'acronyme « BRICs » (Brésil, Russie, Inde, Chine) risque de rendre de plus en plus difficile la condition du Japon pour assurer (importer) son alimentation. Monsieur Y ajoute « déjà en réalité, la Chine a commencé à manger le thon. Notre alimentation sera de plus en plus menacée »588.

Puis, Monsieur Y établit le lien entre sa préoccupation à propos de l'auto-suffisance alimentaire et du manque de la main-d'oeuvre agricole au Japon, c'est-à-dire du manque de « porteurs » de l'agriculture qui est également une des thématiques du Projet Nô-Life. Cependant, Monsieur Y considère ce problème de manière plus globale que dans le cadre limité du Projet Nô-Life. Ceci notamment en suggérant la nécessité d'introduire de la main-d'oeuvre étrangère non seulement dans le secteur industriel mais également dans le secteur agricole au Japon. En fait, il avait suggéré ce point lors de la deuxième réunion officielle du Comité pour l'élaboration du Deuxième Plan fondamental de l'agriculture de Toyota qui eut lieu en novembre 2006. Ainsi, sur ce point, il explique comme ci-dessous :

« (...) On est dans une situation où il est difficile de compter sur les jeunes comme porteurs. Ce que j'avais un peu dit lors de la dernière réunion, c'est qu'il faudrait que plus d'immigrants étrangers installent pour nous aider. C'est d'ailleurs, ce qui se passe déjà dans le secteur industriel. Dans la région de Toyota, à peu près 5% des employés sont déjà des étrangers, je crois. (...) Pour l'agriculture ou la forêt, les jeunes ne se forment plus comme agriculteur, et on n'habite plus dans la zone de moyenne montagne. Pour soutenir l'agriculture et la forêt, la politique nationale doit réagir également, mais l'essentiel, c'est de s'assurer d'abord, de quelque part, de la main-d'oeuvre. (...) »

Et Monsieur Y en attribue la cause au fait que les jeunes ne reprennent plus les activités agricoles, au fait que le développement industriel est bien supérieur à celui de l'agriculture dans la région de Toyota, comme une condition « indéniable ».

Quel rapport établit-il entre ces préoccupations globales et le Projet Nô-Life ? Pour lui, ce rapport est plutôt problématique que positif, car les thématiques de l'auto-suffisance et de la formation de porteurs de l'agriculture et celle d'Ikigai sont presque incompatibles : « Les retraités salariés ne pourront continuer à mener leur activité agricole qu'au maximum dix ans. Après tout, il est impossible de les considérer comme porteurs, à mon avis »

Cependant, les mesures pour l'infrastructure d'Ikigai sont considérées comme nécessaire par le CLFS, mais elles ne peuvent correspondre ni aux mesures pour les porteurs, et ni à celles pour l'auto-suffisance alimentaire.

Puis, en rapport avec la thématique de la Politique de la Municipalité de Toyota : « ville où vivent ensemble la ville et les campagnes rurales et montagnardes », ainsi que la grande thématique du Projet Nô-Life : Conservation des terrains agricoles, Monsieur Y porte un regard plus global. En terme de multifonctionalité -

587 Le taux d'autosuffisance alimentaire au Japon est actuellement 40% en terme des calories, 70% en terme de chiffre d'affaires. (Nôrinsuisan-shô, 2005).

588 Dans les médias également, ces dernières années, on parle beaucoup de ce sujet au Japon. D'ailleurs, un bon nombre de stagiaires du Projet Nô-Life ont également évoqué ce problème en parlant du futur risque de la « crise alimenaire au Japon »...

quoique implicitement -, il pense non seulement à la conservation des terrains agricoles, mais également à celle des forêts de montagne. Et il considère que c'est un « très grand problème ». Mais il ajoute également qu' « il faudrait le traiter avec une politique de portée nationale ».

Préoccupations locales

Comme nous l'avons expliqué plus haut, la thématique d'Ikigai (« élargir la variété d'activités d'Ikigai pour les retraités salariés ») pour les retraités constitue actuellement une des thématiques les plus importantes pour le CLFS dans le cadre de ses activités pour renforcer le rapport entre ses adhérents et leur localité. Et le CLFS diversifie les domaines de ses activités au niveau local, au delà de ses activités traditionnelles comme la revendication de l'augmentation des salaires, mais en s'impliquant, à diverses occasions, dans la politique publique locale tels que l'aménagement de la ville, la santé des personnes âgées, la politique agricole de la Municipalité etc.

Et cette forme d'implication locale du CLFS ne peut pas être considérée sans tenir compte de son propre intérêt global en tant qu'un organisme appartenant à la plus grande fédération syndicale au Japon : Rengô. Notamment, la diminution radicale du nombre d'adhérents du Rengô au cours de cette dernière décennie, reflète une série de mutations du monde salarial contemporain (vieillissement, tertialisation, précarisation, diversification de mode de vie etc.), ce qui constitue un facteur déterminant du changement de comportement des organisations syndicales au Japon. Aujourd'hui, comme le disait Monsieur Y plus haut, le mouvement du CLFS ne consiste plus seulement à « hisser les drapeaux rouges » pour revendiquer l'augmentation des salaires, mais également à s'impliquer dans les divers domaines de la vie de la population locale dont pour une grande partie sont des adhérents. Et ceci en renforçant notamment le rapport avec la politique municipale. C'est de cette manière-là qu'aujourd'hui, le CLFS essaie de valoriser son existence dans la société.

Pour la thématique d'Ikigai des personnes âgées, comme nous l'avons expliqué plus haut, le CLFS avait déjà pris l'initiative de créer la Maison des fleurs en 1997. Et d'après Monsieur Y, la coopération entre le CLFS et la Municipalité en matière du vieillissement, peut remonter encore plus avant, si on parle d'une série d'actions menées par le CLFS en collaboration avec la Municipalité telles que la quête (bokin), la visite de maisons de retraite etc.

Cependant, l'idée de lier la thématique d'Ikigai ou de la santé des personnes âgées à l'agriculture ou à la ruralité, reste encore une nouveauté pour le CLFS. En effet, la relation concrète entre le CLFS et un agent public du secteur agricole de la Ville de Toyota, existe à peine depuis 2003 où il a collaboré avec le BPA de la Municipalité de Toyota, pour effectuer l' « Enquête sur la conscience sur l'agriculture de Toyota ». La motivation du CLFS pour son implication dans les domaines agricole et rural semble rester encore partielle et limitée. Malgré les attentes potentielles exprimées par la couche salariale de la Ville de Toyota au travers de l'enquête de 2003, l'intérêt réel de la part des salariés vis-à-vis de l'agriculture et de la ruralité ainsi que du Projet Nô-Life, n'est pas si enthousiaste parmi la majorité de cette population. Ainsi, la motivation de type Ikigai pour les activités agricoles ne peut pas correspondre facilement à l'objectif du Projet Nô-Life tel qu'il est conçu par le BPA et la CAT à savoir : la conservation des terrains agricoles et la formation de porteurs de l'agriculture, via les activités agricoles de type Ikigai par les retraités salariés.

Intérêt du côté des travailleurs : jardinage, loisir, auto-consommation. Ecart avec l'objectif du Projet Nô-Life

Il avait été constaté dans le résultat de l'enquête de 2003, que 62.7% des enquêtés ont exprimé une envie de mener des activités agricoles d'une manière quelconque, et que 3 5.5% veuleut faire « un jardin potager pour le loisir », 24.5% « pour l'auto-consommation » et 2.7% « pour vendre des produits et en tirer un revenu ». Comme on le voit dans ce résultat, si un bon nombre de salariés étaient intéréssés par l'activité du jardinage à titre de loisir ou d'auto-consommation, il y avait encore très peu de gens qui imaginaient vendre leurs propres produits agricoles.

Nous pouvons rappeler ici un trait spécifique de la population de Toyota : elle est constituée pour une grande partie, par les « émigrants ruraux » venant d'autres régions rurales pour travailler à Toyota dans le secteur automobile au cours des années 65-75. D'un côté, ces émigrants gardent souvent un certain attachement à la vie rurale qu'ils ont connu dans leur enfance, et de l'autre ils ont peu de rapports sociaux dans leur localité de la Ville de Toyota589.

En fait, Monsieur Y est lui-même ce type d'émigrant rural : né dans une ferme d'une autre région, il s'est installé à Toyota pour travailler dans l'usine automobile Toyota, en raison de l'absence de travail dans son pays. Et il loue actuellement une parcelle et cultive son jardin avec son épouse dans la Ville de Toyota. Il affirme également qu'il connaît beaucoup de gens autour de lui qui louent une parcelle et jardinent, et qu'ils ont une haute motivation pour leur auto-consommation alimentaire. Pourtant, il affirme également que lui-même « n'est pas si passionné par la ruralité (nô) » et que sa motivation est dans le prolongement du loisir. Ce qui ne le conduit pas à avoir une prise de conscience concernant la conservation des terrains agricoles de la Ville.

Il trouve également « non réaliste » l'objectif prôné par le Projet Nô-Life de gagner un million de yens de revenu agricole. « Il faut, dit Monsieur Y, le considérer séparémment. Ce qu'il faut faire pour la conservation des terrains agricoles et la promotion d'Ikigai. » Puis, il trouve qu'il est difficile pour les personnes âgées de s'investir autant dans les activités agricoles : « En investissant dix millions de yens et achetant des machines, combien d'années faut-il pour que tout cela paie ? Il n'est même pas sûr que cela paie en dix ans. »

Rapport avec la ruralité

Le CFLS a également une approche réaliste et modeste vis-à-vis du principe de la politique municipale de Toyota : « ville où vivent ensemble la ville et les campagnes rurales et montagnardes ». En fait, Le CFLS mène des activités de promotion vis-à-vis de ses adhérents pour leur participation à des évènements d'animation rurale telle que la randonnée dans une région montagnarde. Mais la participation des adhérents n'est pas encore massive. D'après Monsieur Y, « il n'y a pas de potion magique » pour promouvoir l'échange entre la ville et la campagne. Mais il faut le faire « pas à pas »...

Attentes vis-à-vis du Projet Nô-Life

Monsieur Y est pour l'idée d'élargir les zones d'activités du Centre Nô-Life590 afin de faciliter la participation de la population au Projet Nô-Life. Et pour Monsieur Y, le Projet Nô-Life n'est pas encore suffisamment connu par la population.

Puis, lors de la réunion du Comité pour l'élaboration du Deuxième Plan de l'agriculture de Toyota, il avait proposé à la Municipalité de s'intéresser non seulement aux retraités salariés mais également à la jeunesse, notamment aux jeunes qui sont dans une situation précaire, catégorisés aujourd'hui soit comme « NIET » soit comme « Freeter »591. Par cette proposition, Monsieur Y pense à la possibilité d' « éveiller ces jeunes à la ruralité (nô) » avec le Projet Nô-Life, quoique cela soit difficile à réaliser, ajoute-t-il...

Limite de l'implication locale de la part du Syndicat vis-à-vis des grands problèmes agricole et ruraux : pas au delà de la promotion d'Ikigai

Tout en accordant de l'importance à la promotion des activités d'Ikigai, et en affirmant l'initiative du syndicat ouvrier dans ce domaine, Monsieur Y relève la limite des approches de type local pour pouvoir faire

589 Monsieur K, président du Centre Nô-Life, et Madame S de la Section de la Création d'Ikigai ont évoqué cette caractéristique de la population de Toyota.

590 Comme cet élargissement a été effectué en 2006 avec deux établissements supplémentaires dont l'un dans une zone de moyenne montagne et l'autre dans une zone agricole de plaine.

591 `NIET' est une catégorie anglaise signifiant `Not in Education, Employment or Training' pour désigner une couche de population qui n'est ni dans le travail ni dans l'éducation. Elle est largement employée auj oud'hui au Japon tant par les médias que par la politique.

face aux crises agricole et rurale via notamment la conservation des forêts de montagne et des terrains agricoles. Car celles-ci nécessitent une approche portant plus sur le long terme que la promotion d'Ikigai pour les personnes âgées. Elles impliquent également une problèmatique plus complexe entre les domaines public et privé compte tenu que les propriétaires des forêts de montagne et des terrains agricoles sont, pour la plupart, des individus592. Ce qui exige, d'après lui, une approche plus globale de la politique publique, à savoir la politique nationale.

Mode d'actions

Comme nous l'avons constaté plus haut dans la caractéristique des missions du CLFS, ainsi que celle de ses représentations, les deux niveaux d'approche coexistent dans son mode d'actions : global et local. Son approche du niveau global est directement liée à la politique nationale via les activités électorales et l'élaboration de ses programmes politiques etc.

Au niveau local, même si le CLFS veut renforcer son rapport avec la population locale, son approche n'a pas encore réellement d'ancrage local sur les petites localités. Ceci à la différence de la Municipalité de Toyota qui a des centres locaux dans chaque quartier, car ce dernier, ayant été une commune indépendante avant sa fusion avec la Ville de Toyota, reutilisa son ancienne mairie après la fusion593. Et également il se différencie, au niveau de son mode d'organisation, de la coopérative agricole dont les organisations sont historiquement ancrées dans les petites unités locales qui peuvent aller jusqu'au niveau des petits hameaux ruraux dits « buraku ». De ce fait, l'approche de type local du CLFS est limitée à la coopération qu'il mène de manière formelle et institutionnelle notamment avec la Municipalité.

Rapport avec la politique de la Municipalité de Toyota

Son implication dans le domaine de la politique agricole de la Municipalité de Toyota n'a marqué qu'au début de sa coopération avec cellc-ci. Et sa participation du CLFS dans l'élaboration du Deuxième Plan de l'agriculture de Toyota, reste encore individuelle594. De ce fait, il n'y a pas encore de discussion dans l'ensemble du CLFS sur la thématique de la politique agricole.

Approche événementielle

Par rapport à la relation avec la ruralité, l'approche du CLFS reste après tout évènementielle dans le cadre de l'aménagement du territoire de la Ville de Toyota (comme la journée de la randonnée). Si Monsieur Y met l'accent sur l'importance de mener ce type d'actions « pas-à-pas » pour intéresser réellement les adhérents à la ruralité, le CLFS n'a pas d'autres types d'approches à mener de manière plus permanente et basée sur les localités.

Tendance de l'action politique vers l'Etat plutôt que vers la municipalité : peu de possibilité de bricolage et d'interaction

Le CLFS a toujours tendance à recourrir à s'adresser au niveau national plutôt qu'au niveau local, pour les grandes thématiques comme la crise agricole. Monsieur Y affirme ainsi la difficulté de s'impliquer de manière plus approfondie dans le Projet Nô-Life, « car il faut faire face à des thématiques plus grandes que la

592 Monsieur Y participe également à un projet municipal de Toyota pour la conservation des forêts de montagne.

593 Chaque centre dont le nom est "community center", dispose non seulement un ensemble de fonctions administratives, mais également des locaux pour les activités culturelles. Une grande partie des activités dans le domaine de l'éducation permanente se passe dans ces centres locaux de la Municipalité.

594 Elle dépend de la volonté de la personne qui en est responsable. C'était ainsi le tour de Monsieur Y en été 2006.

promotion d'Ikigai ». Du coup, on peut remarquer que le CLFS a peu de possibilité de s'impliquer de manière à interagir avec les autres agents ou à mener des actions flexibles en « bricolant » des idées globales et locales...

Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life

Vu toutes les tendances du mode d'actions du CLFS, son implication dans le Projet Nô-Life reste distanciée. Si Monsieur Y affirme son « soutien » au Projet, cela reste uniquement dans le sens de la promotion d'Ikigai, mais ceci sans essayer d'aller plus loin...

Acteur 7 : Groupement d'Arboriculteurs de Sanage pour l'Aide aux Travaux Agricoles (GASATA)

Le processus de la construction du Projet Nô-Life n'a pas été mené seulement par des grands agents institutionnels, mais également par des agriculteurs locaux concernés. Le Groupement d'Arboriculteurs de Sanage pour l'Aide aux Travaux Agricoles (GASATA : Sanage Nô-sagyô Jutaku Kumiai) a ainsi joué un rôle décisif pour concrétiser le Projet Nô-Life en tant que collaborateur du BPA de la Municipalité de Toyota.

Caractère général de l'acteur

Historique de l'organisation

Le GASATA est une association d'arboriculteurs du pays de Sanage qui a pour but d'aider les arboriculteurs du même pays dans leurs travaux agricoles. Constituée de 17 arboriculteurs professionnels, elle fut créée au printemps 2003 à l'initiative de trois arboriculteurs professionnels du pays de Sanage, dont le chef est Monsieur N que nous avons intérrogé, et qui étaient soucieux de l'aggravation de la situation de leur zone de production spécialisée de pêches et de poires, en raison du vieillissement des producteurs, du manque de successeurs, de l'augmentation progressive des friches etc.

En effet, dans le territoire de la Ville de Toyota, certains quartiers du Pays de Sanage constituent une « zone de production (sanchi) » par excellence qui s'est développée depuis les années 70 en se spécialisant dans la production de la pêche et de la poire. Une centaine de producteurs constitue la grande majorité des membres des deux groupements de producteurs au sein de la CAT dont l'un est spécialisé dans la pêche et l'autre dans la poire. Et la CAT dispose, à l'usage de ces groupements, d'un centre de calibrage des fruits doté d'une série d'équipements modernes récemment introduits (transporteur à rouleaux pour le calibrage, machine à mesurer le degré de sucre par laser, réfrigérateur et congélateur pour le stockage des fruits etc).

Puis, face à la situation aggravée de cette zone de production, Monsieur N a eu l'idée de créer une association de producteurs ayant pour but d'aider les travaux agricoles des arboriculteurs qui sont en difficulté pour continuer leur activité. A cet effet, il avait d'abord commencé à discuter de cette idée avec deux jeunes arboriculteurs et un jeune conseiller agricole de l'ECV avec lesquels il « était de plain-pied » pour lancer officiellement cette association.

Ensuite, c'est dans le cadre de la discussion pour l'établissement du GASATA en 2002 que fut établi le lien entre le GASATA et le BPA. En effet, à un certain moment après le début des réunions pour le lancement du

projet de cette association, le BPA ainsi que la CAT, intéressés par ce projet, ont pris contact avec les trois arboriculteurs qui étaient les principaux organisateurs de l'association, pour se renseigner sur le projet. Et six mois après le début des réunions pour l'établissement du GASATA, le président du Centre Nô-Life (Monsieur K) qui, à cette époque, travaillait pour l'élaboration du Projet Nô-Life, a rejoint ces réunions. Ceci en vue de coopérer avec cette association pour leur objectif commun : faire face au vieillissement de la population rurale et prévenir les friches agricoles.

Fonctionnement du GA SA TA

Le GASATA fournit des aides aux travaux agricoles en répondant à la commande de chaque arboriculteur. Le contenu de ces aides est varié : désinsectisation, fumage, taille des arbres, désherbage, plantation etc. Une liste précisant le frais de chaque travail est établie en prenant compte de la surface concernée, du coût de travail et du coût de l'utilisation des machines etc. Pour la première année, le GASATA a effectué des travaux pour 28 arboriculteurs soit 0.1 8ha au total.

Historique du rapport avec Nô -Life

Après le lancement officiel du GASATA au printemps 2003, la collaboration entre le Centre Nô-Life qui préparait son inauguration pour l'année suivante, et le GASATA, a commencé pour élaborer le programme de la filière de l'arboriculture de la formation du Centre Nô-Life.

Le GASATA participe ainsi au Projet Nô-Life depuis son inauguration au printemps 2004. Les 17 arboriculteurs professionnels membres accompagnant les stagiaires, en tant qu'enseignants de la filière de l'arboriculture, pour les exercices pratiques de terrain. Monsieur N, a également proposé quelques parcelles de ses vergers de poirier à l'usage des exercices pratiques de cette filière.

Caractère général des données

Notre analyse du GASATA se base sur l'entretien effectué par l'enquêteur (rédacteur) avec Monsieur N, chef du GASATA. Il nous a accueilli dans sa maison pour répondre à nos questions pendant près d'une heure et demi.

Depuis près de 35 ans, dès la fin du lycée, Monsieur N a repris l'exploitation de ses parents qui, à cette époque, produisaient du riz, des tomates et des concombres, mais pas encore des fruits. Depuis son installation au début des années 70, il a progressivement converti les rizières et les champs en vergers de pêchers et de poiriers. Il gère actuellement 2.3ha de vergers dont 1 .7ha de pêchers et 0.6ha de poiriers.

Il travaille principalement avec son épouse sur son exploitation, et son père de 80 ans leur vient de temps en temps en aide pour les travaux. Ayant quatre enfants dont trois travaillent déjà à l'extérieur de l'exploitation, Monsieur N travaille aujourd'hui comme arboriculteur professionnel.

Représentations

Monsieur N est l'un des arboriculteurs les plus dynamiques du pays de Sanage tant au niveau économique que social. Et ses engagements pour le GASATA et pour la coopération au Projet Nô-Life semblent manifestes tout en dépassant la dimension personnelle de son intérêt pour la gestion de sa propre exploitation. Pour quelles motivations s'implique-t-il dans le Projet Nô-Life ? Et quelles sont ses attentes vis-à-vis du Projet Nô-Life ? Quelles idées sous-tendent ses actions ?

Préoccupations primordiales : risque du délabrement de la zone de production

La préoccupation qui marquait le plus l'action de Monsieur N pour le lancement du GASATA était d'éviter que sa « zone de production se délabre (sanchi ga areru) ». Et l'accord entre Monsieur N et Monsieur K, président du Centre No-Life, pour mener leur coopération, se base sur l'objectif de réagir contre ce risque du délabrement de la zone de production.

Cette préoccupation reflète la conscience à la fois collective et historique que Monsier N a de sa zone de production fruitière dont il a vécu le développement depuis plus de trente ans.

Puis, Monsieur N insiste fortement sur l'importance d'établir le rapport entre sa zone de production et le public. Et ceci constitue, d'après lui, un élément crucial dans la préoccupation de tous les producteurs du pays : « En fait, dit Monsieur N, y compris mes enfants, pour l'agriculture de demain, il faut qu'un maximum de gens s'y impliquent, sinon cela ne marchera absolument pas. Tout le monde pense comme ça. Donc, on ne pense pas du tout à faire reprendre son exploitation par ses enfants. Quiconque s'y intéresse sera le bienvenu. C'est comme ça, chez tout le monde. »

Monsieur N avait ce sentiment depuis bien avant le lancement du Projet Nô-Life. C'est ainsi qu'il a lancé vers 1992 - 1993 la « Journée de la peinture des fleurs de pêcher (momo no hana shasei taikai) » qui est un évènement pour l'animation locale consistant à ouvrir certains vergers de pêcher au public pendant une journée vers le début avril où les pêchers fleurissent (on l'abordera plus bas).

Enfin, il met également l'accent sur le fait que l'établissement du GASATA et l'organisation de la journée de la peinture ont renforcé la relation d'entraide entre arboriculteurs qui avaient auparavant l'habitude de travailler individuellement.

Hisorique de la formation de la zone de production

Pourquoi et comment est-il parvenu à avoir une telle prise de conscience pour réagir contre l'urgence du délabrement de sa zone de production non de manière à mener à bien seulement sa propre production individuelle, mais de manière à renforcer l'entraide entre arboriculteur et même à intéresser le public ?

Pour répondre à cette question, rappelons ici l'historique de la « réussite » collective du Pays de Sanage qui s'est constitué en une zone de production de la pêche et de la poire, en suivant l'explication de Monsieur N.

Situé dans une zone ensoleillée au piéd du Mont de Sanage595, le pays de Sanage était au début un pays où étaient plantés beaucoup d'arbres de Kaki. Mais ils furent dévastés par le Typhon du Golf d'Ise (Isewan Taihû) de 1959596. Puis, depuis vers 1965, les agriculteurs commençaient petit à petit à planter, à titre expérimental, les pêchers dans la montagne. Et depuis 1970, la conversion aux autres cultures (légumes ou fruits) était suscitée par la « politique de la réduction de la surface rizicole (gentan seisaku) » de l'Etat, avec des subsides. C'est dans ce contexte que les « pêchers sont descendus de la montagne ». Au début, plusieurs petits groupes de producteurs dont chacun était constitués par 4-5 personnes, réunissaient par eux-même leurs fruits pour les distribuer au marché. Vers 1975, lorsque les arbres plantés sur le terrain des rizières avaient bien grandi, les groupes de producteurs professionnels (non des foyers pluriactifs) ont mis en place un système de calibrage collectif dans un local commun. Ensuite, les gens (« papis et mamies ») des foyers agricoles pluriactifs ont commencé à y participer. Enfin, en 1997, à l'initiative de la CAT, un grand centre de calibrage fut construit avec une série d'équipements modernes pour rationnaliser la distribution des produits de ces arboriculteurs. Aujourd'hui, le Pays de Sanage constitue la plus grande zone de production de pêches et de poires dans le Département d'Aichi, avec leur propre marque comme « Pêche de Toyota (Toyota no Momo) » et « Poire de Toyota (Toyota no Nashi) ».

La pêche et la poire constituent ainsi les atouts décisifs dans le développement historique de l'agriculture de l'après-guerre au Pays de Sanage. D'un côté, celles-ci constituent, aujourd'hui, plus ou moins des symboles de l'identité collective et historique des arboriculteurs de ce pays. Ceci est non seulement dû à leur réussite

595 Sanage-san situé au nord du Pays de Sanage, dont le point culminant est 628.9m.

596 Un des trois grands typhons historiques au Japon de l'ère de Shôwa.

économique, mais également dû à l'organisation collective des arboriculteurs autour de ces produits depuis une quarantaine d'années. Mais de l'autre côté, cette identité collective et historique a un caractère éphémère : elle ne peut pas être confondue avec l'identité traditionnelle ou communautaire, car l'introduction de ces produits était liée à la politique nationale des années 70, et on ne peut pas ignorer le fait que sa réussite était clairement due à la haute croissance économique japonaise.

D'ailleurs, la pêche et la poire ne sont pas considérées, chez Monsieur N, comme des produits à être transmis de génération en génération. Tout d'abord, les parents de Monsieur N ne faisaient pas de pêches ni de poires avant que Monsieur N ait commencé à les planter. Puis, d'après Monsieur N, « tous » les arboriculteurs du Pays de Sanage, ne pensent pas forcément à faire reprendre leurs vergers par leur fils: « Cela m'est égal, dit Monsieur N, si mes enfants reprennent mes vergers ou pas. Pour moi, je l'ai fait jusqu'à aujourd'hui, parce que il n'y avait que ça à faire. Mais s'il y a d'autres façons de vivre pour mes enfants, ce serait bien aussi, je pense. » Et ses enfants n'ont jamais participé au travail de Monsieur N lorsqu'ils étaient petits : « Aide ? dit Monsieur N, Ils n'ont jamais fait. Mon fils ainé et le troisième ont fait un lycée agricole, mais ils ne m'ont jamais aidé. D'ailleurs, je ne leur ai même pas demandé. Ils ne pensent peut-être même pas que je me donne beaucoup de peines pour mes vergers. D'ailleurs je ne travaillais pas non plus de manière extrèmement dure. Au contraire, ils se demandaient peut-être 'pourquoi notre père reste tout le temps à la maison ?'(rire) »

Par contre, le sentiment du refus du délabrement des vergers de Monsieur N peut s'expliquer par le fait que le délabrement risque de dévaloriser la relation sociale historiquement constituée entre arboriculteurs dont l'oeuvre est la zone de production elle-même. Mais l'intention de ne pas perpétuer forcément ses vergers via une succession familiale, mais de recourir au public pour valoriser ses vergers, semble être liée à un raisonnement plus particulier de la part de Monsieur N et des autres arboriculteurs professionnels. Nous pouvons supposer que Monsieur N et les autres arboriculteurs professionnels reconnaissent bien que leur réussite de la production de la pêche et de la poire n'est pas seulement l'oeuvre de leur propre travail à eux, mais également celle de la situation historique impliquant une dimension plus globale (politique de la réduction de la surface rizicole, haute croissance économique etc). C'est sans doute pour cela qu'il ne considère pas forcément ses vergers (en tout cas, sa production de la pêche et de la poire) comme des biens à transmettre absolument à ses fils.

Puis, l'idée de rendre public la gestion de ses vergers et sa zone de production lui permet de concilier son intérêt de maintenir la zone de production comme étant l'oeuvre de sa relation sociale et historique, et son renoncement à la perpétuation de ses vergers comme biens de sa famille (ceci contrairement à ce que les chercheurs imaginent souvent concernant la gestion de patrimoine familial chez les agriculteurs).

C'est ce qui pourra expliquer pourquoi - on abordera plus bas - Monsieur N accorde davantage de l'importance à la continuation des activités agricoles des foyers agricoles pluriactifs dont ce sont souvent des personnes âgées qui entretiennent les vergers en l'absence de leurs enfants qui travaillent à l'extérieur. En effet, le GASATA est créé notamment afin d'aider ce type d'arboriculteurs et de rendre possible la continuation de leur production. Il s'agit des arboriculteurs du pays de Sanage de la « première génération » qui précède la génération de Monsieur N. Le problème que Monsieur N a relevé est qu'il n'arrive pas à proposer à ces gens de la première génération, de nouvelles démarches associatives comme le GASATA ou la Journée de la peinture ou le Projet Nô-Life. Car ils ont tendance à « suivre les autres » qui sont plus jeunes et plus dynamiques et ne considèrent les groupements de producteurs ou la coopérative agricole que comme un moyen pour la vente de leurs propres produits. Du coup, ce fut toujours avec des arboriculteurs plus jeunes de la « troisième génération » (30 - 40 ans) que Monsieur N a mené ses démarches associatives. Mais l'incertitude de la continuation des activités agricoles pèse le plus sur ces foyers de la première génération597.

597 D'après Monsieur N, environ 20 arboriculteurs professionnels et « un quart » des foyers agricoles de son village sont pluriactifs et gérés par les grands parents. Et environ 60 membres au total font partie des groupements de producteurs de la pêche et de la poire. Par ailleurs, d'après la statistique de la Ville de Toyota pour l'an 2000, dans le village de Monsieur N, il y a 56.22ha de vergers sur 66.33ha de la surface totale. Et 42 foyers dont 12 professionnels, 13 pluriactifs de la première catégorie (qui gagnent plus que la moitié des revenus de leur foyer avec leurs activités agricoles) et 17 pluriactifs de la deuxième catégorie (qui gagnent moins que la moitié des revenus de leur foyer avec des activités agricoles.) Au pays de Sanage, grâce à sa production fruitière, le pourcentage du nombre des foyers professionnels sur le nombre total des foyers agricoles est le plus élevé : 15% (62 sur 412) par

Journée de la peinture de 1993-2003 : première action pour établir un rapport entre la zone de production et le public

Comme nous l'avons expliqué ci-dessus, la « Journée de la peinture des fleurs de pêcher (momo no hana shasei taikai) » fut la première action menée à l'initiative de Monsieur N qui était alors le président du Groupement de producteurs de la pêche de Toyota (JA Toyota- shi momo bukai). Ceci consistait à ouvrir les vergers au public et en faire une « contribution sociale (shakai kôken) ». Monsieur N l'explique ainsi avec enthousiasme :

« [ Enquêteur : Depuis quand vouliez-vous établir un rapport avec le public qui n'a pas de lien avec l'agriculture ?] Depuis toujours. Vers 1993, 1994, lorsqu'il n'y avait pas encore le grand centre de calibrage là-bas, on se disait 'on ne peut pas rester comme ça. Il faut faire une contribution sociale !' et ainsi on a fait la journée de la peinture. (...) C'est ce que l'on a fait d'abord. Ensuite, on a fait appel à tout le monde, le président de la coopérative et compagnie. En parlant avec des jeunes arboriculteurs, on se disait 'nous le commençons enfin...!'. Puis, cela a duré 11 ans. Quelques milliers personnes sont venues. Et du coup, si on parle de cet évènement, tout le monde en est au courant. C'est important. Si on compte que sur nous, cela ne marchera vraiment pas. »

Dans cette explication, on voit ce qui était essentiel pour Monsieur N pour lancer la journée de la peinture : faire connaître au public la zone de production de la pêche et de la poire du Pays de Sanage (« si on parle de cet évènement, tout le monde en est au courant. C'est important ») Puis, à travers cette action, il pensait amener la gestion de la zone de production de manière à intégrer le « public » (« Si on compte que sur nous, cela ne marchera vraiment pas »)598.

L'établissement du GASATA en 2003 : besoins internes des arboriculteurs

Ensuite, Monsieur N a mené son action pour monter le GASATA en 2002. L'initiative fut prise par Monsieur N et d'autres jeunes arboriculteurs de manière spontanée et indépendante des grands organismes comme la municipalité et la coopérative agricole. Ceci en tenant compte des deux aspects suivants : la nécessité de renforcer l'entraide entre arboriculteurs de manière formelle ; vieillissement des arboriculteurs (y compris lui-même). Sur le premier point, Monsieur N s'explique ainsi :

« En fait, quand on est paysan, on est `almighty' en faisant tout, quelques soit les échelles, grande ou petite. Puis, on n'a pas de limite au niveau du temps. Et si on répond à une demande d'aide de quelqu'un, on finirait par dire que l'on est seulement gentil. Mais pour pouvoir passer à une époque suivante, je me disais, il faudrait valoriser en monnaie nos compétences, quoiqu'une idée réaliste »

Dans cette explication, on voit bien que l'intention de Monsieur N était de conserver les vergers pour le futur (« pour pouvoir passer à une époque suivante »), et ensuite d'organiser formellement l'entraide entre arboriculteurs via une monnaitarisation des aides aux travaux agricoles. En appliquant cette méthode, il avait l'intention de résoudre à la fois les problèmes existants chez les arboriculteurs professionnels membre du GASATA, et chez les demandeurs d'aides aux travaux agricoles : Du côté des membres du GASATA, il y avait une difficulté pour répondre « sans être prévenu »aux demandes d'aides aux travaux agricoles, et de manière à devoir « tout faire », alors qu'ils avaient leur travail à faire dans leur exploitation. Du côté des demandeurs d'aides, ils ne pouvaient s'adresser qu'aux gens qu'ils connaissaient bien, et ils étaient gênés de demander des aides aux autres arboriculteurs pour de grands travaux. Le fait d'établir une liste des contenus des aides aux travaux agricoles avec les frais précis, allait donc régler ces problèmes qui existaient implicitement entre

rapport à 8% pour l'ensemble de la Ville de Toyota (269 sur 3238) (Toyota-shi, 2004 : 150-154)

598 Et cela n'exclut pas, bien évidemment, que Monsieur N escomptait un effet de la promotion de leurs produits sur le marché.

arboriculteurs.

Puis, deuxièmement, la préoccupation de Monsieur N concernait le problème de son propre vieillissement. Il l'explique ainsi :

« Puis, lorsque j'ai commencé à avoir plus de 50ans, je me suis dit, si je ne peux plus continuer à travailler, la vie de ma famille ne marchera plus. Et si, dans une telle situation, quelques collègues à moi étaient là pour prendre le relais pour un ou deux mois pendant lesquels j'ai une fracture ou d'autres problèmes, je pourrais reprendre mon travail après, n'est-ce pas ? Et je me suis dit que les personnes âgées devaient penser la même chose, encore plus fort que moi, d'ailleurs. Je pensais comme cela depuis longtemps à travers mes activités de la gestion de mon exploitation. »

D'après cette explication, il a eu l'idée de monter le GASATA, par sa propre réflexion, de manière à répondre à la fois à son propre besoin ressenti par lui-même et à celui des autres producteurs âgés.

Actuellement, trois ans après le lancement du GASATA, les avantages du projet sont nets : « Il y a, dit Monsieur N, des gens qui nous disent ' Brusquement, le papi a eu une fracture et il ne peut pas travailler pendant deux mois. Vous pouvez faire tel ou tel travail ?' Et après, ils sont très contents ! Car, ces papis ne veulent pas arrêter leur travail, mais ils veulent continuer. C'est seulement pendant un moment qu'ils ne peuvent pas travailler ».

Puis, les activités du GASATA ont également permis aux arboriculteurs de mieux communiquer (échanger des opinions, apprendre des techniques des uns et des autres etc)

Préoccupation actuelle : une stratégie pour subsister...

Quelles sont les préoccupations actuelles de Monsieur N ? C'est bien son propre avenir à lui-même, ainsi que celui des autres arboriculteurs du Pays de Sanage. Ce qui est primordial dans ses préoccupations, c'est de « garder l'attention du public sur [sa] zone de production » avec l'implication du public, à savoir : les « gens des autres secteurs industriels » ; la municipalité ; la coopérative agricole. C'est pour cela que le GASATA s'est fortement impliqué dans le Projet Nô-Life.

Il s'agit également d'une stratégie pour subsister. C'est pourquoi Monsieur N met l'accent sur l'importance de la continuation des activités du GASATA afin de maintenir une cohésion plus solide entre arboriculteurs. Pour lui, il est plus difficile de prendre des décisions collectives au niveau des groupements de producteurs, dans lesquels chaque arboriculteur ne se préoccupe que de vendre ses produits. Et d'après Monsieur N, c'est via le GASATA que les arboriculteurs pourraint se soutenir, même avec les producteurs âgés, et c'est avec lui qu'il faut maintenir la relation avec la municipalité et la coopérative agricole.

Rapport avec les producteurs âgés des foyers pluriactifs

Comme nous l'avons suggéré plus haut, l'objectif réel du GASATA consistait à aider notamment les arboricultuers âgés de la couche des foyers agricoles pluriactifs afin de leur faire continuer leurs activités de la production pour éviter le délabrement de la zone de production. Et le problème pour Monsieur N était l'absence d'« occasion » de discuter de ses idées pour mener de nouvelles actions avec ces producteurs âgés, car il était difficile pour lui d'en discuter dans le seul cadre des groupements de producteurs pour la vente. Ces groupements ont uniquement pour objectif la vente commune, et Monsieur N les trouvent « trop grands » pour mener de nouvelles actions599 C'est pour cela que Monsieur N a entrepris le GASATA avec des jeunes arboriculteurs pour d'abord « montrer » aux producteurs âgés, telles ou telles idées et actions concrètes. Ceci pour que ces producteurs âgés puissent ainsi les « suivre »...

599 D'après Monsieur N, il y a « à peu près soixantaine » de producteurs dans ces groupements de producteurs. Par ailleurs, d'après une statistique de l'Ex-Centre pour la Vulgarisation, 53 membres dans le groupement de producteurs de la pêche et 85 membres sont dans le groupement de producteurs de la poire. Centre pour la Vulgarisation et l'Orientation de Toyota-Kamo, 2001b : 9.

Arboriculteurs du Pays de Sanage vus par génération

D'après Monsieur N, les arboriculteurs du Pays de Sanage sont composés de trois générations. La première génération est celle correspondant au père de Monsieur N, c'est-à-dire les arboriculteurs de la génération nés dans les années 20 et 30 qui ont commencé leur production de pêches et de poires dès les années 70. Selon ce schéma, Monsieur N est considéré comme l'aîné des arboriculteurs de la deuxième génération600. Parmi les arboriculteurs de la troisième génération, ceux qui ont la quarantaine sont les plus nombreux. Ceux qui ont la trentaine ne représentent qu'un petit nombre. Et il n'y a personne de la vingtaine (sauf un qui aide son père en tant que futur successeur)

Et parmi ces trois générations, Monsieur N prête particulièrement attention à la génération « de son père ou de sa tante », il s'agit de la première génération. « Il faut, dit Monsieur N, bien prêter attention à la génération de mon père ou de ma tante. C'est parce que si ces gens-là continuent à bien mener leur production malgré la petite échelle de production, leur fils qui travaille à l'extérieur voudra la reprendre plus tard. Comme ça, il n'y aura pas de délabrement, n'est-ce pas ? ». Et quel regard a-t-il sur les producteurs professionnels ? : « Pour nous, dit Monsieur N, c'est pas la peine. De toute façon, les professionnels n'ont qu'à produire ». Pour Monsieur N, c'est chez les producteurs âgés des foyers pluriactifs que réside le facteur déterminant du délabrement de la zone de production et qu'il faut y faire face en tenant compte des conditions dans lesquelles leurs fils, actuellement salariés, peuvent reprendre la production de leurs parents après leur retraite.

Et Monsieur N constate déjà qu'il y a actuellement quelques salariés originaires des foyers agricoles pluriactifs qui ont l'intention de reprendre la production de leurs parents, et qu'ils s'intéressent au Projet Nô-Life. Nous pouvons également rappeler qu'il y a déjà une femme d'un âge moyen qui a commencé à produire la poire et la pêche chez elle dès la fin de sa formation Nô-Life en 2005 !

Rapport avec le Projet Nô -Life

Le GASATA s'implique directement dans l'exercice du Projet Nô-Life dans le cadre de la « filière fruitière (kaju-ka) » de la formation Nô-Life.

Nous avons constaté que l'intérêt propre du GASATA pour participer au Projet Nô-Life est manifeste : développer son rapport avec le public en collaboration avec la Municipalité de Toyota dans le but de conserver sa zone de production fruitière en évitant ainsi le risque du délabrement de cette zone de production dont les facteurs sont l'abandon et la mise en friche de vergers par les producteurs en difficulté (âge, maladie, pluriactivité, manque de successeurs etc). Quelles idées le GASATA applique-t-il alors pour travailler dans le Projet Nô-Life ? Quels avis a-t-il sur ce projet à travers son implication ?

Problèmes rencontrés dans le stage pratique au verger : « vraies techniques » difficiles à transmettre...

Depuis le printemps 2004, l'année de l'inauguration du Centre Nô-Life, le GASATA participe aux activités de la filière fruitière de la formation Nô-Life. 17 arboriculteurs professionnels du GASATA jouent le rôle d'accompagnateur des stagiaires en tant qu'enseignants pour leur stage pratique au verger. Le nombre de stagiaires de la filière fruitière est de : 14 pour les années 2004-2006 ; 12 pour les années 2005-2007 ; 9 pour les années 2006-2008. Dans leur programme, la deuxième année de la formation est principalement consacrée au stage pratique au verger dans lequel les stagiaires gèrent par eux-même pendant toute l'année un verger de pêchers et un verger de poiriers dont l'échelle est environ de 10-20a pour chacun de ces vergers. Dans ce stage pratique, les stagiaires sont censés appliquer les connaissances qu'ils ont acquises dans les cours théoriques et pratiques qu'ils ont suivis la première année601.

600 Ceci alors que, dans son cas, c'est lui-même qui s'est lancé à la pêche et à la poire en reprenant l'exploitation de son père.

601 Sur la présentation générale des activités de formation Nô-Life, voir le chapitre 3.

En fait, la filière fruitière, par rapport aux autres filières (culture maraîchère ; cultures maraîchère et rizicole'), a connu plus de problèmes dans le déroulement de son programme de formation. Il s'agit d'une discordance entre le comportement des stagiaires et la condition de stage donnée par le Centre Nô-Life et le GASATA. Nous pouvons donner ici un exemple de l'échec du stage pratique au verger des stagiaires des années 2004-2006 qui s'est déroulé en 2005.

Le stage pratique des stagiaires des années 2004-2006 a été effectué sur 1 5ares de vergers de pêchers appartenant à Monsieur N. Un certain nombre d'arbres ont été attribués à chaque stagiaire, chacun étant chargé de l'entretien de ces arbres pendant toute une année. Cependant, les stagiaires ont mal entretenu les arbres, et cela a eu pour conséquence l'apparition de maladies et la prolifération d'insectes nuisibles qui se sont répandus jusqu'aux vergers environnants. Puis, Monsieur N a finalement dû abattre les arbres entretenus par ces stagiaires en raison de la dégradation de la viabilité de ces arbres. De ce fait, les stagiaires des années 2005-2007 n'ont plus eu l'opportunité d'avoir des arbres individuels pour leur stage pratique.

De cette expérience, Monsieur N relève la difficulté de transmettre aux stagiaires les « vraies techniques (hontô no gijutsu)» pour entretenir les vergers, qu'il ne peut pas oralement expliquer. D'après lui, les stagiaires avaient tendance à ne pas prêter attention au devenir des arbres qu'ils ont entretenus pour l'année suivante602. Et ils n'ont pas effectué tous les traitements nécessaires pour la prévention des maladies et des insectes.

Par ailleurs, un autre problème s'est posé au niveau des débouchés des stagiaires : il y a très peu de stagiaires qui peuvent se mettre à la production de pêches ou de poires après leur stage, en raison du manque de connaissances techniques, du coût d'investissment élevé, de la difficulté de trouver un terrain disponible pour eux etc. Du coup, la plupart de stagiaires souhaitent continuer leurs activités en tant qu' « aide agricole (ennô) » chez des arboriculteurs. Cependant, ce type de demande de la part des stagiaires est peu acceptable pour les arboriculteurs. Monsieur N relève notamment la difficulté d'employer les gens qui ne veulent effectuer que des travaux simples n'exigeant pas de réflexion (ex. réduire le nombre de boutons, et de fleurs ; mettre des sachets sur les fruits pour les protéger avant la récolte etc.). Pour lui, au lieu d'accepter des aides temporaires quoique bénévole, il est préférable d'accepter un ou deux stagiaires qui suivent à long terme un même verger et apprennent les « vraie techniques » sur tout le processus de l'entretien d'un verger.

Actuellement, face à ces difficultés rencontrées avec les stagiaires des années 2004-2006, le Centre Nô-Life et le GASATA sont en train de réviser le programme du stage pratique pour la deuxième année des stagiaires de la filière fruitière.

Et les membres du GASATA sont également en train de discuter pour proposer une nouvelle solution. Par exemple, ils discutent de l'idée d'organiser un grand verger faisant plusieurs hectares, qui est actuellement en friche, de manière à le gérer en commun entre arboriculteurs sous forme d'une personne morale. Il s'agit de créer un grand verger qui servirait aux usages multiples du public : la location de parcelles aux ex-stagiaires de Nô-Life ; agri-tourisme etc. Monsieur N a suggéré qu'il serait possible de faire une sorte de « parc rural (Nôson kôen) » dans ce verger. Pour lui, quel ques soit les usages, si on arrive à éviter le délabrement, un tel projet peut « mériter » d'être réalisé. Il dit également que la future coopération avec la Municipalité pour réaliser cette idée est également souhaitable...

Attentes vis-à-vis du Projet Nô-Life : renforcement du rapport avec le public pour la main-d'oeuvre et la reconnaisance de la zone de production

Malgré ces problèmes rencontrés au cours du stage pratique, Monsieur N insiste sur la valeur du Projet Nô-Life du point de vue de la « main-d'oeuvre (hitode) » agricole que ce projet peut générer sur le long terme :

« [Enquêteur : Attendez-vous quelque chose du Projet Nô-Life ?] Oui, absolument. Il s'agit de la main-d'oeuvre. C'est
très important. C'est déjà super qu'autant de gens soient venus se rassembler, n'est-ce pas ? Puis, chacun des
stagiaires dit à son épouse et l'épouse dira à quelqu'un d'autre. Et ainsi ça va se diffuser. Désormais, pour l'agriculture,

602 Par exemple, ils ont trop taillé les arbres sans penser à la future conséquence de leur opération.

il faut que le plus de gens possibles provenant des autres secteurs s'y impliquent. Il suffit même de venir voir, aussi. Donc, il y a vraiment une très bonne chose dans Nô-Life. Il y a déjà 36-37 stagiaires au total et ils parleront de leur activité à leur épouse et l'épouse en parlera quelque part et ainsi de suite... De ce point de vue là, c'est super. Il y a un grand mérite. Ainsi, les gens vont davantage s'intéresser à la pêche ou à la poire et essayer d'en manger une. En fait, la pêche et la poire, c'est quelque chose dont on peut se passer pendant toute l'année ! Ce n'est pas la peine de les manger, n'est-ce pas ? Mais avec Nô-Life, par exemple, les enfants s'intéresseront à la pêche que leur père a produite, et également, cela peut aller jusque chez les petits enfants... Ca, c'est vraiment important. »

Cette attente confirmée par Monsieur N vis-à-vis du Projet Nô-Life reflète fortement son souci sur le problème du manque de ressources humaines pour sa zone de production à venir, notamment en raison du vieillissement et du manque de successeurs des activités agricoles. Et il ne souhaite pas seulement s'assurer la main-d'oeuvre agricole, mais également faire reconnaître sa zone de production par le public.

Par ailleurs, il constate également que, « grâce au Nô-Life et aux activités du GASATA » qu'il y a des retraités salariés qui ont l'intention de reprendre l'arboriculture fruitière de leurs parents dans son village, et que l'on peut trouver cette tendance même en dehors du Projet Nô-Life.

Exemple de Monsieur YM, un stagiaire : cas idéal pour la main d'oeuvre et la sociabilité...

Parmi les stagiaires des années 2004-2006, Monsieur YM est le seul à avoir commencé la production fruitière, dans un verger de poiriers de 1 5ares appartenant à Monsieur N603. Pour Monsieur N, le cas de Monsieur YM est idéal en terme de débouchés pour les stagiaires.

Monsieur YM, que nous avons également intérrogé, étant troisième enfant d'une ferme de Shikoku produisant la clémentine (mikan), s'est installé dans la Ville de Toyota pour travailler dans une usine de l'Automobile Toyota. Et il est actuellement salarié retraité après avoir travaillé pendant 40 ans dans le secteur automobile. Ayant fini les deux ans de la formation Nô-Life dans la filière frutière en 2005, il a commencé à mener la production de poires sur 1 5ares de vergers qu'il loue actuellement à Monsieur N. Il travaille tous les week-ends au verger. Il insiste qu'il ne mène pas ses activités agricoles dans le but de gagner de l'argent, mais dans le but de « s'assurer son lieu d'existence (jibun no ibasho wo kakuho shitakatta) ». Il distribue la moitié de sa récolte à ses voisins et vend le reste au marché de grossiste. Ses activités agricoles lui coûtent 300 000 yens (soit environ 2000 euros) par an. Et il trouve « décevant » la performance économique de ses activités agricoles par rapport à ses anciens collègues qui continuent à être employés dans leur entreprise en gagnant près de 600 000 yens (environ 4000 euros) par an604. Cependant, il met l'accent sur la relation qu'il a pu créer, grâce à la distribution de sa récolte, avec ses voisins avec lesquels il n'avait pas de contacts auparavant. Et il se réjouit de « pouvoir vivre dans la nature » et de « sentir toutes les saisons » à la différence de la vie de salarié qu'il était, dans laquelle on ne peut pas sentir le changement de saison et où « il n'y a que le chaud ou le froid là-bas ».

Monsieur N espère également qu'il y aura davantage de stagiaires comme Monsieur YM. Ceci dans le sens où la présence de stagiaires dans les vergers réanime la sociabilité parmi les habitants des foyers agricoles dont notamment les femmes et les personnes âgées. Il y a effectivement des habitants des foyers agricoles qui ont rencontré Monsieur YM sur leurs vergers et ils se sont communiqués : « Ces papis, leurs épouses et belles filles, dit Monsieur N, ne sont que des papis et leurs épouses et belles filles du quartier. Mais pour les stagiaires de Nô-Life, ce sont des 'enseignants' comme nous ! » Ainsi, ils apprennent souvent à Monsieur YM leur méthode de l'arboriculture au travers de leur communication. Telle est un des souhaits de Monsieur N pour le Projet Nô-Life. Et il met également l'accent sur le fait que cela peut influencer la relation entre habitants des foyers agricoles qui ont tendance à se considérer les uns les autres comme des « concurrents »605. Le fait que Monsieur YM communique avec des habitants du quartier, créé « une bonne ambiance » pour Monsieur N. Monsieur N

603 A part ceux qui ont commencé les figues (ichidiku).

604 Suite à la réforme des pensions où l'âge de réception des pensions sera progressivement repoussé de 60ans à 65 ans, les entreprises japonaises sont actuellement encouragées à continuer à employer les personnes âgées de plus de 60 ans. Il s'agit de la politique du « Prolongement de la période d'emploi (Koyô-enchô) ».

605 Monsieur N : « Quant aux voisins, mamies, en fait, les paysans ont tendance à se considèrer comme des concurrents ».

souhaite également que les stagiaires de Nô-Life mènent leur activité non de manière « trop professionnelle » mais familiale avec leurs épouses ou leurs enfants.

Quelle agriculture de type Ikigai ? : Objectif lucratif « difficile » mais nécessaire.

Concernant l'objectif de Nô-Life de gagner un million de yens de revenu agricole par an, Monsieur N le trouve difficile à réaliser et même « impossible ». Cela tout en connaissant la difficulté de rentabliser une production agricole dans ses expériences agricoles. Puis, tout en constatant qu'il y a un décalage entre la réalité du côté des stagiaires et cet objectif lucratif du Projet Nô-Life, il insiste sur la nécessite d'avoir un « matériel (tane) » avec lequel on peut se motiver, et que l'on peut viser comme objectif. Pour Monsieur N, si on n'a pas un but commecial pour mener les activités agricoles, et si on n'a seulement l'intention de distribuer le surplus, « le commerce ne se constitue pas ». Il accorde ainsi de l'importance à l'aspect lucratif des activités agricoles des stagiaires de Nô-Life, dans la mesure où cela donne un objectif et rend les gens plus « sérieux » dans leur activité.

Cela concerne également le souci de Monsieur N que l'on a constaté plus haut, sur la demande de la part de beaucoup de stagiaires de la filière fruitière qui veulent exercer une aide agricole chez les arboriculteurs. Ce qui était peu acceptable pour lui en raison du manque de techniques des stagiaires. C'est pour cela que, le cas de Monsieur YM paraît idéal à Monsieur N, et qu'il souhaite qu'il y ait plus de stagiaires comme Monsieur YM « qui peut être responsable » de sa production, même si l'échelle de production est petite. Le fait que les stagiaires procurent une aide agricole ne leur donnera pas la « responsabilité » et cela risque de devenir un « passe-temps » pour ces stagiaires, d'après Monsieur N.

Idée pour une meilleure continuation du stage : proposition d'un « compagnonnage »

Enfin, Monsieur N souhaite que les stagiaires continuent leur apprentisage plus à long terme au delà de la durée de deux ans, alors que le Centre Nô-Life leur fait automatiquement terminer leur stage en deux ans.

De ce fait, Monsieur N propose au Centre Nô-Life de prolonger le stage pour ceux qui souhaitent continuer, à la manière d'un « compagnonnage (decchi bôkô) » : le stage sera individuellement effectué à long terme chez un arboriculteur en sorte que le stagiaire se spécialise dans la production d'un produit spécifique.

Sur ce point-là, il y a une différence du point de vue entre le GASATA et le Centre Nô-Life sur la durée d'apprentisage. Actuellement, le Centre Nô-Life considère que la première année de la formation est le tronc commun, et que la deuxième année est la spécialisation. Tandis que pour Monsieur N, deux ans de formation Nô-Life peuvent servir aux stagiaires pour avoir les connaisances générales et pour « s'habituer à la vie des paysans (hyakushô no seikatsu) », et la spécialisation pourra s'effectuer après la formation via un stage individualisé chez un arboriculteur, donc à manière d'une « compagnonnage ».

Mode d'actions

Le mode d'actions du GASATA est d'abord marqué par une grande flexibilité que ses membres peuvent accorder à cette organisation malgré leur occupation professionnelle et individuelle (« quand on est paysan, on est `almighty' en faisant tout, quelques soit les échelles, grande ou petite. Puis, on n'a pas de limite au niveau du temps »)606.

Le GASATA est considéré par Monsieur N comme un lieu privilégié de réflexion et d'actions pour les arboriculteurs du Pays de Sanage. En effet, ceci est lié à l'intention de Monsieur N d'établir cette association non de manière à englober sectoriellement tous les arboriculteurs de la région de Toyota, mais de manière à

606 C'est Monsieur N qui est chargé de la distribution du temps de travail à chaque membre en concertation avec celui-ci pour les activités du GASATA.

pouvoir se réunir régulièrement et discuter des problèmes entre arboriculteurs disponibles et motivés à y participer. En effet, comme nous l'avons constaté plus haut, Monsieur N trouvait « trop grands » les groupements de producteurs de pêches et de poires, pour y avoir une occasion de discuter entre arboriculteurs. Il a ainsi eu l'idée de « montrer » d'abord des actions concrètes pour que les autres producteurs, dont notamment ceux qui sont âgés au sein des foyers agricoles pluriactifs, puissent « suivre » les actions du GASATA.

Ensuite, les actions du GASATA sont basées sur leur propre intérêt professionnel constitué par le souci sur l'avenir de leur exploitation individuelle et celui de leur zone de production. Cependant, cet intérêt ne peut pas être confondu avec les intérêts institutionnels tels que celui de caractère sectoriel de la part de la coopérative agricole et l'autre de caractère public de la part de la municipalité. En effet, Monsieur N prend l'initiative de ses actions collectives pour l'arboriculture de son pays en tentant de chercher un autre appui que l'économie sectorielle (le marché, les groupements de producteurs pour la vente) pour maintenir leur production.

Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life

La volonté du GASATA de s'investir dans le Projet Nô-Life est basée sur une prise de conscience de la nécessité d'ouverture de leur zone de production au public. Cette volonté est manifeste et conjointe à leur propre intérêt de conserver cette zone de production. Puis, il prend conscience d'ouvrir la zone de production au public tout en reconnaissant que le renforcement de l'intérêt public vis-à-vis de celle-ci, pourra également servir à maintenir sa durabilité. Ceci en suscitant l'introduction de la nouvelle main-d'oeuvre dans la zone de production, la communication entre habitants et la motivation de ces habitants pour leur production etc. Et la conservation de leur zone de production est liée non seulement à la base de leur économie mais à celle de leur relation sociale historiquement constituée avec le développement de cette zone.

Toutefois, l'intérêt du GASATA ne correspond pas tout à fait à celui du Centre Nô-Life qui cherche à répondre le plus largement possible à l'intérêt de tout le public. Sur ce point, la position du GASATA rejoint celle de la CAT exprimée plus haut par Monsieur S, directeur de la direction des activités agricoles de la CAT, qui mettait l'accent sur l'importance d'intégrer les stagiaires de Nô-Life dans leur organisation, au lieu de satisfaire simplement le public via la formation Nô-Life. Ainsi, Monsieur N n'est pas d'accord avec la politique de l'élargissement du Centre Nô-Life de 2006. Pour lui, c'était « trop tôt » pour le moment actuel où la méthode de la filière fruitière de la formation Nô-Life n'est même pas encore établie. D'ailleurs, il pensait « depuis le début » qu'il faudrait 5-6 ans pour établir le système de la formation Nô-Life dans cette filière607.

2. Réponses aux questions : analyse du processus entre acteurs institutionnels

Le processus de la construction du Projet Nô-Life ne peut pas être considéré comme un procédé résultant de simples opérations administratives, juridiques, techniques ou politiques, mais comme un processus émergent et complexe qui implique les dimensions historique, sociale et culturelle des acteurs impliqués dans ce processus, que nous avons étudiés plus haut.

Rappelons-nous ici les trois éléments déterminants de l'objecif du Projet Nô-Life tels qu'ils ont officiellement été définis par la Municipalité de Toyota.

607 En plus, Monsieur N n'a pas été prévenu par le Centre Nô-Life de cette politique de l'élargissement...

1 Conservation des terrains agricoles (prévention de friches)

2 Conservation de la main-d'oeuvre agricole (formation agricole)

3 Proposition de nouvelles activités aux personnes âgées pour assurer leur Ikigai

Ces trois éléments déterminent l'objectif du Projet Nô-Life à savoir : le développement de l'agriculture de type Ikigai.

Cependant, ces éléments officiellement présentés par le Projet ne nous permettent pas immédiatement de répondre à une série de questions générales que nous pouvons supposer telles que : quel est l'objectif initial du projet ? (développement agricole ou mesure sur le vieillissement de la population ?) ; de quel domaine ou secteur le Projet relève-t-il ? (politique agricole ou Ikigai des personnes âgées, mais quelle définition opérationnelle du terme d'Ikigai ?) ; dans quel contexte le Projet a-t-il été établi ? (il semble être multiple...) ; quel est le contenu des actions du projet ? (formation agricole ni professionnelle ni amatrice, mais de quel type ? Et location de terrains agricoles, mais cela relève du domaine privé...) ; quelle finalité le Projet se donne-t-il ? (y a-t-il une fin à ce projet ?)

Vu la complexité et le flou que l'objectif officiel du projet implique, il nous paraît quasiment impossible de répondre à ces questions d'un point de vue objectif ou général, ce qui nécessite de recourrir à d'autres types d'explications capables d'appréhender les dimensions plus concrètes et substantielles des choses. C'est pourquoi nous avons pris un « détour » qui, afin de comprendre plus sociologiquement le Projet comme une action, va mettre en évidence les éléments déterminants les représentations et actions de chaque acteur dans son enjeu, et nous permettera finalement d'analyser la relation sociale entre ces acteurs qui est à la fois construite autour du projet et mis en jeu par le Projet.

En sa basant sur les éléménts de l'analyse des acteurs effectuée plus haut, nous allons répondre aux quatre questions posées au début de ce chapitre.

Elaboration de l'ensemble des actions concrètes pour la construction du Projet Nô-Life

Comment l'ensemble des actions concrètes pour la construction du projet a-t-il été élaboré par différents types d'acteurs locaux ? Le Projet Nô-Life n'a pas été construit de manière isolée des autres projets précédemment menés soit par le BPA lui-même, soit par d'autres acteurs du territoire de la Ville de Toyota, dont les thématiques ont des points communs avec celles du Projet Nô-Life. Mais il se situe dans la continuité d'idées et d'actions qui l'ont précédée au sein des 7 acteurs étudiés plus haut. Chacun de ces acteurs avait construit ses propres actions, anticipant d'une manière ou d'une autre, les thématiques du Projet Nô-Life. Nous avons établi ci-dessous un tableau chronologique les situant à la fois par période (année) et par acteur afin de mettre en évidence la relation entre ces actions historiques liées au Projet Nô-Life.

Ce tableau chronologique nous permet de réorganiser les actions constitutives du processus de la construction du Projet Nô-Life. C'est pourquoi il est intéressant de retracer l'itinéraire que le BPA, notamment Monsieur K président du Centre Nô-Life, a pris pour arriver à la réalisation de son but : réalisation du Projet Nô-Life. En fait, cet itinéraire nous montre tout un emsemble d'actions du type du bricolage qui combine plusieurs types de ressources disponibles aux yeux de l'acteur (BPA et Monsieur K) Puis, cette démarche, dont l'oeuvre est la réalisation du Projet Nô-Life, n'a pas exclu la réalisation d'un certain nombre de transactions sociales entre les agents concernés de champs sociaux différents à base territoriale.

 

Tableau chronologique des actions dans le processus de l'élaboration du Projet Nô-Life

Act. 1
BPA

Act. 2
SCI

Act. 3
CAT

Act. 4
BDPA

Act. 5
ECV

Act. 6
CLFS

Act. 7
GASATA

Avant
1996

Jardins Familiaux
(- aujourd'hui)

 

Marché du Marrdi Soir
(vers 1984-
aujourd'hui)

 
 
 

Journée de la Peinture
des Fleurs de pêcher
(1 993-2003)

1996

Plan fondamental de
l'Agriculture
(-2005)

 
 
 
 
 
 

1997

 
 
 
 

Maison des fleurs
(-aujourd'hui)

 

1998

Jardins Citoyens
(- aujourd'hui)

 

Jardins Citoyens
(- aujourd'hui)

 
 
 

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Plan fondamental
2001-2005

Projet Nô-Life
(- aujourd'hui)

Ecole Vivante de
l'Agriculture
(-2003)

Discussion pour la
« Recherche et
formation
de nouveaux porteurs
»
(-2002)

Ferme-Ecole pour les
Personnes agées
(-aujourd'hui)

Comité pour le
« Centre pour le
soutien aux activités
agricoles »
(-2004)

Enquête sur la
Conscience sur
l'agriculture de Toyota

Zone spéciale pour la
Création de Nô-Life

Projet Nô-Life
(- aujourd'hui)

Comité pour la
Promotion de la
Création d' Ikigai :
CPCI
(- aujourd'hui)

Dépôt du "Rapport de
propositions"
au Maire de la Ville de
Toyota

Ferme-Ecole pour les
Personnes agées
(-aujourd'hui)

Ecole Vivante de
l'Agriculture
(-2003)

Discussion pour la
« Recherche et
formation
de nouveaux porteurs
»
(-2002)

Comité pour le
« Centre pour le
soutien aux activités
agricoles »
(-2004)

Projet Nô-Life
(- aujourd'hui)

Comité pour le
« Centre pour le
soutien aux activités
agricoles »
(-2004)

Zone spéciale pour la
Création de Nô-Life

Projet Nô-Life
(- aujourd'hui)

Comité pour le
« Centre pour le
soutien aux activités
agricoles »
(-2004)

Projet Nô-Life
(- aujourd'hui)

Plan fondamental
2006-2010

Comité pour le
« Centre pour le
soutien aux activités
agricoles »
(-2004)

Enquête sur la
Conscience sur
l'agriculture de Toyota

Discussion pour
l'établissement du
GASATA

Etablissement du
GASATA
(-aujourd'hui)

Itinéraire des actions du BPA pour la construction du Projet Nô-Life

Nous illustrons ici les manières dont ont été mises en place les six actions suivantes, dont les trois premières se sont déroulées avant que le Projet Nô-Life ait été mis en discussion en 2001, et les trois autres se sont déroulées après 2001.

Avant la mise en discussion du Projet Nô-Life :

1 Mise en place des Jardins citoyens avec la CAT(acteur 3) en 1998

2 Etablissement de l'Ecole de l'agriculture vivante avec la CAT en 2000

3 Etablissement de la Ferme école des Personnes âgées avec la SCI(acteur 2) en 2001 (inauguration en 2002) Après la mise en discussion du Projet Nô-Life :

4 Etablissement du GASATA(acteur 7) avec des arboriculteurs de Sanage en 2003

5 Réalisation de l'Enquête sur la Conscience sur l'agriculture de Toyota avec le CFLS(acteur 6 ) en 2003

6 Application de la politique de la Zone spéciale pour la Création de Nô-Life avec le BDPA(acteur 4) et l'ECV(acteur 5) en 2003

1 Mise en place des Jardins citoyens avec la CAT(acteur 3) en 1998

Les Jardins citoyens ont été réalisés à l'initiative de la CAT mais à la demande plus ou moins informelle du BPA qui voulait les réaliser dans le prolongement de la conception du « Parc rural » présentée dans le Plan de 96 (voir la partie de l'acteur 1).

L'idée des Jardins citoyens est importée de l'idée des « Jardins familiaux » en Europe, connue au Japon sous le nom du « Klein garten », alors que la construction des cabanes était interdite par la Loi agraire au Japon, ce qui a contraint la CAT à aménager les jardins sans cabane. Et pour la création des Jardins citoyens, il y avaient deux intérêts différents croisés : faire du bien au public (pour la Municipalité), mais également profiter des usagers de ces jardins pour s'assurer de futurs producteurs agricoles (pour la CAT).

L'intérêt de la CAT était de conserver les terrains agricoles et de s'assurer de futurs producteurs au sein des usagers de ces jardins pour un développement durable du secteur agricole. C'est pour cela que la taille d'une parcelle est plus grande (100 \u13217§) que celle des « Jardins familiaux » (20 - 30 \u13217§). Et si les Jardins citoyens sont aménagés à l'extérieur de la zone à urbaniser, les Jardins familiaux sont aménagés à l'intérieur de cette zone.

Puis, l'intérêt du BPA était de réaliser l'idée de la multifonctionalité qui était pronée par le Plan de 96 en incitant les citoyens à se mettre aux activités agricoles. Ce qui est considéré par le Plan comme une approche « bien commun » vis-à-vis de l'agriculture et de la ruralité. Cette idée est conforme à la position de la Municipalité orientée vers le bien-être public.

Malgré quelques insatisfactions de la part de la CAT(voir la partie de l'acteur 3), le fait qu'il y ait constamment des usagers constitue un élément de succès des Jardins citoyens.

2 Etablissement de l'Ecole de l'agriculture vivante avec la CAT en 2000

Ensuite, l'Ecole de l'agriculture vivante fut réalisée à l'initiative de la CAT en coopération avec le BPA comme un projet qui était également prévu dans la conception de l' « Ecole rurale » conçue dans le Plan de 96.

L'intérêt de la CAT portait toujours sur la conservation des terrains agricoles et les porteurs de l'agriculture face à la situation de crise (pluriactivité démotivant les producteurs pour leur production agricole ; vieillissement de la population rurale etc). D'ailleurs, c'était Monsieur S qui avait conçu cette idée afin d'animer les activités agricoles de la population des foyers agricoles pluriactifs, dont notamment les femmes et les retraités salariés. C'est pourquoi il voulait destiner ce projet uniquement à cette population.

Mais l'intérêt du BPA était de destiner le projet au public y compris la population non agricole. Finalement, un compromis entre ces deux agents aboutit à la réalisation d'une formation agricole destinée au public. (« Pour la Coopérative, dit Monsieur S de la CAT, s'ils deviennent ainsi successeurs, c'est suffisant pour nous de s'adresser uniquement aux foyers agricoles. Mais si on travaille avec la Municipalité, elle veut s'adresser également au public, c'est-à-dire à ceux qui n'ont pas de terrains agricoles. C'est ainsi que l'on a fait appel aux personnes non agricoles pour lancer l'Ecole de l'agriculture vivante »)

A travers les tentatives des Jardins citoyens et de l'Ecole de l'agriculture vivante, le BPA a réellement commencé à mener sa politique de manière à s'orienter vers le public, c'est-à-dire la population générale à majorité urbaine.

Un facteur de la réussite de ce projet réside dans le grand nombre de stagiaires qui ont participé à la formation du projet, et l'établissement d'un groupement de producteurs de l'agriculture biologique au sein de la CAT.

Enfin, l'expérience de ce projet a relevé la nécessité d'établir un nouveau système de location de terrains agricoles pour que les stagiaires puissent continuer et développer leur activité agricole après leur formation. C'est ainsi que, par la suite, le Projet Nô-Life fut envisagé par le BPA et la CAT.

3 Etablissement de la Ferme école des Personnes âgées avec la SCI(acteur 2) en 2001 (inauguration en 2002)

La Ferme école des Personnes âgées fut réalisée à l'initiative de la SCI à l'aide du BPA dans le cadre des mesures pour la création d'Ikigai des personnes âgées dans le contexte du vieillissement de la population générale (urbaine comme rurale). Ce fut la première approche dans la Ville de Toyota combinant la thématique d'Ikigai des personnes âgées et l'agriculture.

Si l'idée de ce projet a été énoncée par une citoyenne participant au Comité pour la Promotion de la Création d'Ikigai (CPCI), lequel a rendu le « Rapport de propositions » au maire de Toyota en 2001, le CPCI a également « recyclé » l'idée du « Second Life Academy » qui avait été proposée par Monsieur S de la CAT pour le Plan de 96, pour formuler son idée dans ce rapport remis au maire en 2001.

Monsieur K, en tant que délégué du BPA, avait participé au CPCI et coopéré pour l'élaboration et la réalisation de ce projet. En effet, Monsieur K s'est impliqué dans ce projet à la fois afin de « servir » à sa réalisation avec les compétences qu'il a en tant qu'agent de la politique agricole, et également « s'en servir » pour chercher à valoriser autrement les biens agricoles et ruraux.

Les intérêts étaient donc conjoints entre ces deux agents de la Municipalité pour valoriser des éléments de « nô (l'agricole et le rural) » pour le bien-être public.

Pour le BPA (Monsieur K), les procédures pratiques pour monter ce projet de formation agricole destinée au public (élaboration des programmes, location de terrains par la Municipalité etc) furent un bon apprentisage. (« C'était, dit Monsieur K, encore le moment où le plan de notre projet (Nô-Life) n'était pas clair, puis, j'ai négocié avec le [BPA] pour réaliser cette Ferme école et ainsi de suite, faire les programmes etc. Ces expériences-là nous ont servi à commencer ici (Nô-Life) »)

Après 2001 où le Projet Nô-Life était mis en discussion, le BPA dont le responsable était Monsieur K, mena les trois actions suivantes vers la réalisation du Projet Nô-Life.

4 Etablissement du GASATA avec des arboriculteurs de Sanage (acteur 7) en 2003

L'établissement du GASATA en 2003 était un acte réalisé à l'initiative d'arboriculteurs de Sanage. Monsieur K a participé à des réunions pour cet établissement en vue de mener une coopération avec eux dans le Projet Nô-Life. La filière frutière est ainsi réalisée avec la coopération avec les membres du GASATA.

L'intérêt des arboriculteurs membres du GASATA pour l'établissement de ce groupement portait sur le maintien de leur zone de production via un renforcement de : l'entraide entre arboriculteurs ; la reconnaissance publique de cette zone de production et de ses produits fruitiers ; l'augmentation de la motivation des autres arboriculteurs âgés des foyers pluriactifs pour leur production.

En fait, la coopération avec le GASATA fut tout à fait occasionnelle aussi bien pour le BPA que pour le GASATA. Le BPA est intervenu dans son établissement pour réaliser son propre objectif à lui : Projet Nô-Life. Mais cette intervention du BPA fut effectuée de manière à intéresser son objet d'intervention (GASATA) au Projet Nô-Life.

5 Réalisation de l'Enquête sur la Conscience sur l'agriculture de Toyota avec le CFLS(acteur

6 )en 2003

Puis, l'Enquête sur la Conscience sur l'agriculture de Toyota fut réalisée à l'initiative du BPA en coopération avec le CFLS. Cette enquête avait, avant le lancement du Projet Nô-Life, pour but de confirmer les types et les degrés des attentes de la population locale (urbaine et rurale) de la Ville de Toyota, vis-à-vis de l'agriculture et de la ruralité. Puis, cet acte a permis au BPA d'avoir, pour la première fois, un rapport de coopération avec le CFLS qui représente la grande majorité des syndicats ouvriers présents dans la Ville de Toyota, et constitue ainsi la plus grande organisation sociale dans cette Ville.

L'intérêt du CFLS pour la coopération dans le Projet Nô-Life était également lié à sa propre position

sociale : contribuer à la politique municipale lui permet de renforcer l'ancrage local de son organisation. Ainsi, la promotion d'Ikigai des personnes âgées constitue, aujourd'hui, un pilier de sa politique locale.

Le rapport établi entre le BPA et le CFLS se situe spécifiquement dans le contexte de la construction du Projet Nô-Life. Ces deux agents appartenant à deux champs sociaux habituellement opposés (secteurs agricole et industriel), ont ouvert un espace de discussion sur le thème du Projet Nô-Life, celui croisé vieillissement / agriculture et ruralité. Et ce rapport est construit de manière à ne pas se baser sur les effets du Projet à court terme. En effet, en réalité, le rapport entre l'idée d'Ikigai et l'idée de la conservation des terrains agricoles ou de s'assurer de futurs producteurs agricoles paraît peu compatible pour le CFLS.

6 Application de la politique de la Zone spéciale pour la Création de Nô-Life avec le BDPA (acteur 4) et l'ECV(acteur 5) en 2003

Enfin, en 2003, la procédure pour l'application de la politique de la « Zone spéciale pour la Création de Nô-Life » fut réalisée en coopération avec les agents agricoles du département d'Aichi : le BDPA et l'ECV.

Cet acte avait pour la Municipalité, d'un côté, pour but pragmatique de la dérèglementation de la Loi agraire, et de l'autre pour but politique et stratégique : renforcement de la valeur officielle du Projet Nô-Life au delà du niveau local via une reconnaisance dans le cadre de cette politique gouvernementale qui était bien « en vogue ».

En fait, l'objectif officiel de la politique nationale de la Zone spéciale de la Réforme structurelle est la relance économique de l'Etat. Mais en réalité, la Municipalité de Toyota « s'en est servi » afin d'avancer le processus qui était déjà en marche dans son territoire, à savoir le processus de la participation citoyenne aux activités agricoles avec une série de projets antérieurs expliqués plus haut. Et ceci malgré le fait que le Projet Nô-Life ne servirait pas forcément - objectivement parlant - à contribuer à l'objectif de la relance économique de l'Etat...

Bricolage et transaction

En survolant l'itinéraire des actions et les oeuvres du BPA dont Monsieur K était responsable, nous permet de voir une forme de l'action publique locale qui s'est effectuée sous forme de « bricolage » agencé par une série de transactions sociales qui sont des compromis entre agents de champs sociaux différents à base territoriale. Nous utilisons le concept du « bricolage », célébre notion anthropologique employée par Cl. Lévi-Strauss, et le concept sociologique de la « transaction sociale » et du « compromis » pour analyser le processus de la construction du Projet Nô-Life. Ceci dans la mesure où le BPA agit comme un « donneur de sens » vis-à-vis des ressources disponibles à ses yeux afin de « s'en servir » pour la réalisation de son projet, tout en effectuant des communications entre ses propres projet et la structure de ces ressources humaines (personnelles, institutionnelles et représentationnelles) et non-humaines (juridiques et économiques : matérielles, foncières et financières).

Concept du « bricolage » chez Lévi-strauss : ses caractéristiques et possibilité

Nous relevons ici les caractéristiques du concept du « bricolage » proposé par Lévi-Strauss dans une partie de son ouvrage « la pensée sauvage » publié en 1962, dans laquelle il essaie d'expliquer la nature de la pensée mythique et établit le lien entre celle-ci et la pensée scientifique608.

D'abord la caractéristique du bricoleur réside dans ses rapports avec les moyens qu'il utilise pour son acte créateur. A la différence de l'ingénieur, le bricoleur effectue son acte créateur non pas à partir de ses projets déterminés par des concepts, mais à partir de moyens disponibles qui lui sont des occasions de réaliser « un ensemble » qui est son oeuvre. Ensuite, il donne des sens à ces moyens pour que ceux-ci puissent effectivement jouer le rôle d' « opérateur » pour la réalisation de son oeuvre.

Or, de ce fait, le bricoleur et l'ensemble ainsi réalisé (oeuvre) sont forcément dépendants de la nature des

608 Lévi-Strauss, 1962 : 30-36.

moyens utilisés, c'est-à-dire, leurs fins antérieures. Les moyens du bricoleur ne sont donc pas définissables par les fins proprements conçues par le bricoleur, autrement dit, la structure de son projet.

A partir de cette explication de Lévi-strauss que nous avons résumée, nous pouvons relever la qualité, le défaut et la possibilité de l'action et de l'oeuvre de type bricolage.

D'abord, la qualité de l'action et de l'oeuvre de type bricolage est son approche ascendante (d'en bas). Il s'agit, comme dit Lévi-strauss, de celle « première »609 qui est originale et non standardisée par des critères descendants (d'en haut) donnés par des « savants ». Et ceci surtout dans la mesure où l'action et l'oeuvre de type bricolage sont « libéralisatrices » des objets quelconques mobilisés par cette action, car le bricoleur leur donne une nouvelle signification.

Ensuite, son défaut réside dans l'incertitude du résultat de son action, car cette action est limitée par la nature de ses ressources. Il s'agit, comme nous l'avons dit plus haut, de sa dépendance à la structure des moyens qui impliquent toujours des fins antérieures.

Lévi-strauss relève ainsi la capacité limitée du « signe » donné par le bricoleur par opposition à la capacité illimitée du « concept » qui donne une « ouverture » vers la généralisation610. D'après lui, si l'ingénieur peut toujours aller « au-delà » de ses moyens pour créer un « autre message » par le biais de son projet, de ses concepts et de ses fins, le bricoleur reste « en deçà » de ses moyens611.

Mais, en complément à la proposition de Lévi-strauss, nous pouvons relever que la possibilité du développement « réel » et non théorique de l'action et de l'oeuvre de type bricolage est illimitée : puisque le processus de l'acte créateur du bricoleur est un processus de « reconstruction incessante à l'aide des même matériaux »612 dont le cycle de la fin et du moyen des objets mobilisés est le moteur.

Et d'ailleurs, aujourd'hui, est-ce que les matériaux et les savoirs sur ceux-ci doivent toujours être « limités » ou « mêmes » en réalité, comme Lévi-strauss entend le dire ? La réponse peut clairement être non. D'ailleurs Lévi-strauss reconnaît lui-même que la différence entre l'ingénieur et le bricoleur n'est jamais absolue en réalité, en disant que le pouvoir créteur de l'ingénieur est également limité par ses ressources qui sont ses « interlocuteur[s] » avec lesquels il doit toujours dialoguer et transiger. Et il doit souvent recourrir à des moyens dont les fins sont antérieurement déterminées613.

En plus, vu que la circulation des savoirs est aujourd'hui explosive au niveau mondial, on peut souvent avoir accès à des oeuvres données par des « savants » et des savoirs généraux diffusés sur celles-ci. Ainsi, tout en étant bricoleur, on pourrait bien « détourner » la fin de ces oeuvres scientiques en les « inventoriant » et les transformant en des moyens pour réaliser une nouvelle oeuvre. Et le résultat de cet acte créateur du bricoleur implique toujours, comme dit Lévi-strauss, « un compromis entre la structure de l'ensemble instrumental et celle du projet » du bricoleur.

Du bricolage à la transaction sociale...

Ici, les types des ressources mobilisées dans ce processus sont divers et complexes tels que les types humains et sociaux (personnel, organisation, relation sociale et représentations), économiques (matériel, foncier, financier) et politiques (décision politique, législations).

Et l'ensemble des actions s'est effectué en relation avec des agents de champs sociaux différents à base territoriale, aux niveaux des contextes, des secteurs et même des échelles institutionnelles. D'où la nécessité de la réalisation d'une série de transactions sociales entre agents intersectoriaux.

D'ailleurs, comme nous l'avons vu avec en nous référant à Lévi-Strauss, le bricolage s'effectue par le biais d'un « compromis entre les structures de l'ensemble instrumental et du projet ». La transaction sociale nous semble ainsi constituer, avec le bricolage, le moteur de l'ensemble des actions temporelles (processus) de la

609 Ibid. : 35.

610 Ibid. : 34.

611 Ibid. : 33.

612 Ibid. : 35.

613 Ibid : 33. « lui aussi devra commencer par inventorier un ensemble prédéterminé de connaissances théoriques et pratiques, de moyens techniques, qui restreignent les solutions possibles »

construction du Projet Nô-Life614. Paradigme de transaction sociale

La transaction sociale n'est pas un concept bien défini, mais celui qui est suscetible d'être un « paradigme » qui permet d'appréhender la vie sociale comme « une forme de séquence d'ajustements successifs »615. En se référant à quelques recherches récentes s'inscrivant dans ce cadre616, sans toutefois être exhaustif, nous pouvons relever un certains nombre de traits caractéristiques de ce cadre d'analyse. Ensuite, nous allons montrer, selon l'approche proposée par Mormont (1994), dans quelle mesure ce cadre pourrait être pertinent comme grille d'analyse pour comprendre le processus du Projet Nô-Life.

Caractéristiques du paradigme de la transaction sociale Vers un dépassement de la dichotomie holisme - individualisme ?

Le cadre de la transaction sociale semble vouloir dépasser une série de concepts dichotomiques régissant la pensée sociologique tels que : individuel / collectif ; liberté / contrainte ; stratégie / norme ; rationnel / irrationnel ; formel / informel, négociation / imposition etc.

Et l'approche nous semble marquer une attitude scientifique « non réductionniste » qui s'attache à articuler la complexité et la diversité des situations et comportements des acteurs.

Notons que cette notion est d'origine belge et qu'on trouve sa source dans l'ouvrage « Produire ou reproduire ? » de Jean REMY et Lilianne VOYE paru en 1978617. Selon l'explication donnée par M. Blanc618, ces auteurs ont nettement pris leurs distances avec les principaux courants dominants de la sociologie « française » contemporaine, c'est-à-dire à l'égard de la position structuraliste de P. Bourdieu, de celle des mouvements sociaux de A. Touraine et de celle de l'individualisme méthodologique de R. Boudon619. Notons brièvement les différences marquées par le paradigme de la transaction sociale par rapport à ces trois courants.

Par rapport à la position structuraliste qui s'attache à démontrer le mécanisme de la reproduction des structures dominantes ainsi que des relations de type dominant-dominé entre les agents, le paradigme de la

614 D'ailleurs si la notion du bricolage peut nous servir comme point de vue de « base » pour analyser l'acte créateur des agents, elle a une certaine limite pour appéhender le processus entre les êtres humains ayant des natures sociales différentes. Ceci nous semble dû au fait que la notion du bricolage est conçue par Lévi-strauss par sa réflexion sur la relation entre la culture et la nature, et que Lévi-strauss présuppose toujours dans son approche structuraliste l' « esprit humain » qui est la structure inconsciente et universelle de l'homme : dans son ouvrage « Anthropologie structurale » (1958), l'universalité de l' « esprit humain » est ainsi présupposée : « l'activité inconsciente de l'esprit consiste à imposer des formes à un contenu, et si ces formes sont fondamentalement les mêmes pour tous les esprits, anciens et modernes, primitifs et civilisés - (...) - il faut et il suffit d'atteindre la structure inconsciente, sous-jacente à chaque institution ou chaque coutume, pour obtenir un principe d'interprétation valide pour d'autres institutions et d'autres coutumes » (Lévi-strauss, 1958 : 28) D'où notre distance à l'égard d'un tel présupposé spécifique à l'anthropologie structurale, et la nécessite de prendre un passage, dans nos points de vue de recherche, de l'anthropologie (telle qu'elle est construite par Lévi-strauss) à une approche sociologique.

615 « La transaction sociale n'est pas un concept rigoureux », « mais elle est un paradigme » (Blanc, 1994 : 10). La définition du paradigme donnée J. Rémy et L Voyé est ainsi (citée par M. Blanc) : « plus qu'une somme de concepts, le paradigme est l'image de base à partir de laquelle s'imagine une interprétation de la réalité. Le paradigme est ainsi le principe organisateur et inducteur de la construction d'hypothèses et d'interprétations théoriques » (Rémy et Voyé, 1978, cité par Blanc, 1994 : 10)

616 L'ensemble des ouvrages collectifs suivants nous fournissent divers points de vue fondamentaux pour construire cette approche : Blanc, 1992 ; Blanc et al., 1994.

617 Nous pouvons évoquer que la recherche menée par ces auteurs porte sur le contexte particulier à la société belge marquée par le fameux conflit complexe entre les flamands et les wallons. Cette origine belge du concept de transaction sociale n'est pas « un hasard », comme le commente M. Blanc : « Déchirée par des conflits linguistiques, religieux, politiques et économiques qui se superposent sans coïncider, la Belgique devrait être une société bloquée et pourtant elle ne fonctionne pas trop mal ! Il fallait donc inventer le concept de transatcion pour `lire' ces compromis pratiques entre acteurs qui sont contraints à cohabiter alors qu'ils restent en conflit. » (Blanc, 1992 : 13.)

618 Blanc, 1992 : 7-9.

619 Curieusement, ces trois courants théoriques constituent chacun un des quatre cadres principaux de la sociologie française contemporaine après la Seconde Guerre mondiale, expliqués par P. Ansart : structuralisme génétique (Bourdieu) ; sociologie dynamique (Balandier et Touraine) ; approche fonctionnaliste et stratégique (Crozier) ; individualisme méthodologique (Boudon) (Ansart, 1990).

transaction sociale postule que les acteurs dominés produisent également des structures sociales, et qu'ils sont capables d'élaborer des projets620.

Par rapport à la position des mouvements sociaux, « la logique d'opposition frontale entre les mouvements sociaux et l'Etat est très simplificatrice621 ». Et elle ne permet pas de comprendre les situations qui se situent entre les deux comme celle de la coopération conflictuelle.

Par rapport à la position de l'individualisme méthodologique, il s'agit d'une prise de distance par rapport à son approche utilitariste consistant au souci individuel de compatibiliser les bénéfices et les coûts. A côté de celle-ci, l'approche de la transaction sociale admet également l'action des individus de se contraindre, car la contrainte peut servir de cadre stabilisateur.

Place de la transaction sociale à proximité de la sociologie de l'organisation

Puis, l'approche de la transaction se situe à proximité de la sociologie de l'organisation. Selon J. Rémy, « la transaction sociale présuppose que l'on se mette dans la perspective d'un système d'action concret » de Crozier et Friedberg, qui implique « une mise à distance de la perspective fonctionnaliste pour qui l'organisation est considérée comme une solution objective aux problèmes posés par un contexte aux caractéristiques objectivement donnés622 ». Et la sociologie de l'organisation adopte « une perspective plus politique où l'organisation apparaît comme un construit social résultat de stratégies et de jeux d'acteurs623 ».

Mais la transaction sociale marque également une distance vis-à-vis de la sociologie de l'organisation. Ceci dans la mesure où « la transaction sociale met au centre le jeu des acteurs », et « il découle des enjeux multiples et liés à la vie quotidienne » qui sont « transposables à diverses échelles, qui vont de la vie domestique au pouvoir local et aux institutions »624.

Et la différence entre les deux approches réside dans la place de la « règle explicite ». Selon J. Rémy, dans le cadre de la transaction, la formalisation ou règle explicite n'est pas au centre de l'analyse, mais « une des composantes de la régulation d'un échange »625.

Si la sociologie de l'organisation s'attache généralement au processus de la négociation autour d'une réglè explicite entre des acteurs stratégiques ayant leurs propres intérêts, l'approche de la transaction sociale essaie d'aller au-delà d'un simple cadre d'échange d'intérêts, en abordant la « coopération ».

La distanction entre la négociation et la coopération : si la négociation s'effectue lorsque « le contrat repose sur l'équilibre des intérêts », la coopération « associe au contrat par intérêt une dimension plus directement culturelle et plus existentielle »626.

Selon M. Blanc, la coopération « fait intervenir des normes et des valeurs qui renvoient peut être à un intérêt général et à long terme », mais dans la négociation, « seuls les intérêts immédiats peuvent étre approximativement mesurés et équilibrés627 ».

Donc, si le « système d'action concret » tel qu'il est supposé par la sociologie de l'organisation, « est apte à rendre compte de la négociation mais pas la coopération ainsi définie628 ». Mais « il y a une combinaison des deux », « la transaction sociale s'applique à la fois aux situations de négociation et de coopération629. »

La position de la transaction est ainsi nette par rapport au problème de la « régulation », selon Rémy, « au lieu de faire de la régulation le noeud à démêler, la transaction sociale est centrée sur la genène de la relation ou sur les effets du compromis, sur les étapes de l'évolution du rapport social, sur la transformation des termes

620 Blanc, 1992 : 8.

621 Ibid.

622 Rémy, 1994 : 293.

623 Ibid. Il est intéressant d'évoquer que l'approche stratégique de M. Crozier constitue le quatrième courant de la sociologie contemporaine selon P. Ansart !

624 Ibid. : 294.

625 Ibid.

626 Bourdin, 1992, cité par Blanc, 1994 : 37.

627 Blanc, 1994 : 37 « Et la coopéation ne supprime pas tout calcul d'intérêts mais elle l'inclut dans une logique plus complexe et

elle déborde le paradigme utilitariste. »

628 Ibid.

629 Ibid.

d'échange et sur la modification des priorités. La transaction s'intéresse surtout au processus de métissage résultant de l'interférence entre pouvoir et contre-pouvoir630 ».

Revenons ici à notre cas du Projet Nô-Life. L'analyse du processus de la construction du Projet Nô-Life, ainsi que celle du processus du jeu des acteurs institutionnels (gestionnaires du Projet et leurs partenaires) et individuels (stagiaires) (dans le chapitre 3), concerne non seulement certaines règles explicites de l'organisation officielle du Projet, mais implique largement la vie quotidienne (y compris la routine du travail) propre aux différents acteurs. Autrement dit, le jeu des acteurs ne se déroule pas seulement « dans » le Projet, mais également « autour » ou « avec » le Projet. C'est pourquoi nous rejoignons l'approche de la transaction sociale apte à intégrer la négociation définie par rapport à une règle explicite ou officielle, dans le cadre plus large de la coopération.

Et l'approche de la transaction sociale nous paraît tout à fait appropriée pour analyser le processus du Projet Nô-Life où la transaction sociale se prolonge à partir du compromis institutionnel (entre la BPA et la CAT) à d'autres échanges entre ses usagers (stagiaires) et les institutions partenaires, en terme de « métissage » de représentations et d'actions dans une interférence entre les acteurs ainsi dotés de pouvoirs de différents niveaux et types.

Transaction sociale et processus de la construction du Projet Nô -Life

Ensuite, nous allons essayer de réorganiser le processus de la construction du Projet Nô-Life selon le cadre de transaction proposé par Mormont631 développé selon le contexte de sa recherche en matière de gestion de l'environnement. Nous allons voir les quatre points de vue qu'il propose dans sa conclusion pour penser le paradigme de transaction : 1 Interdépendances et incertitudes entre objet d'intervention (nature ou environnement) et dispositifs politiques et sociaux ; 2 Redéfinition des règles du jeu ; 3 Modèles transactionnels : cadres institutionnalisés d'engagement et d'anticipation ; 4 Transaction : grille d'analyse des interdépendances.

Puis, nous verrons entre le point 2 et le point 3, la notion du transcodage que nous considererons comme outil pertinent pour comprendre la mise en relation de divers acteurs d'une action publique. Situer cette notion dans le paradigme de transaction sociale nous paraît également pertinent pour éclairer celui-ci dans son processus concret.

1 Interdépendances et incertitudes entre objet d'intervention (nature ou environnement) et dispositifs politiques et sociaux

D'abord, selon Mormont, le problème de l'environnement suppose deux niveaux d'incertitudes naturelle et sociale enchevêtrées dues aux interdépendances contextuelle et sociale. C'est-à-dire que, la validité des connaissances scientifiques concernant l'environnement dépend fortement des contextes variés en termes naturel et social auxquels elles s'appliquent632. En l'occurence, on doit recourrir à une mise en place de systèmes incitatifs : codes de bonne pratique agricole, diffusion et vulgarisation technique, incitants économiques à utiliser des matériels plus sûrs etc633. Puis, l'efficacité de toutes ces mesures dépend largement de dispositifs sociaux qui acceptent ces mesures634.

Notre contexte ne concerne pas directement le problème de l'environnement, mais celui du vieillissement de

630 REMY, 1992, cité par Blanc, 1994 : 37.

631 MORMONT, M. (1994), Incertitude et engagement. Les agriculteurs et l'environnement : une situation de transaction (Chapitre

10), in Vie quodienne et démocratie : Pour une sociologie de la transaction sociale (suite), L'Harmattan : p.209-234.

632 Ex 1 : Mesures des pesticides en agriculture dans la toxicologie. Les mesures sont difficiles à réaliser exactement en raison d'incertitudes résidant dans l'environnement réel. D'où une situation où le risque est supposé comme potentiel (Mormont, 1994 :

219) Ex 2 : Rejets de pesticides dans les milieux auquatiques. Des normes juridiques sont très difficiles à imposer en raison de la diversité des modes d'usages de ces pesticides selon les cultures, les sols, et les conditions climatiques (Ibid. : 220)

633 Ibid.

634 Ibid.

la population. Autrement dit, c'est le problème du monde « humain » mais au niveau « bio-physique », car la population vieillit naturellement.

En fait, l'interdépendance et l'incertitude aux niveaux contextuel et social sont également grandissantes dans ce domaine.

Du côté de la population vieillie ou en vieillissement, la catégorie « bio-physique » des personnes âgées de moins en moins homogènes est difficile à identifier face à l'augmentation du nombre des personnes âgées en bonne santé. Mais le risque existe toujours ou au moins potentiellement (surtout les affections chroniques comme le diabète, les rhumatismes, les troubles des organes de la digestion). En plus, les frontières entre les personnes âgées en bonne santé, celles qui sont dépendantes, et celles qui sont malades sont de plus en plus floues. Ce qui pose un grand problème pour la « gestion » du vieillissement635.

Du côté de la politique sociale, les coûts économiques sont grandissants et menaçants pour les régimes de retraite et la sécurité sociale. Un trait significatif : il y a de plus en plus de jeunes qui ne côtisent plus pour le régime national de pension, ce qui menace la viabilité du système du régime. Ce phénomène semble lié à la méfiance à l'égard du système national et à l'instabilité potentielle ou présente dans leur situation économique636.

Puis, l'interdépendance sociale est effectivement grande. La politique du vieillissement doit de plus en plus compter sur l'autonomie individuelle et le lien social et territorial pour assurer son efficacité. Surtout depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'Assurance des aides aux personnes âgées dépendantes en 2000, la gestion des affaires relatives à cette loi est confiée aux agents locaux concernés dont les collectivités territoriales combinées avec les acteurs publics et privés concernés. D'où la thématique du vieillissement actif au niveau international, ainsi que la thématique d'Ikigai légitimée comme une politique locale du vieillissement au Japon.

Donc, sur le contexte contemporain du vieillissement au Japon, nous pouvons également dire que, comme le mentionne Mormont sur la mise en place de systèmes incitatifs agri-environnementaux, « l'efficacité [des mesures] dépend largement de dispositifs sociaux qui acceptent ces mesures637 ».

D'ailleurs, nous devons ajouter que le contexte du Projet Nô-Life ne s'inscrit pas seulement dans le contexte du vieillissement de la population générale, mais également dans celui de la crise de la politique agricole. Elle se traduit par la diminution et le vieillissement de la population agricole et le délabrement des terrains agricoles, dont la politique de la modernisation agricole amorcée dans les années 60 n'a pas pu régler la situation, face à la logique de plus en plus puissante du marché et du monde industriel dans le contexte de la Haute croissance économique. Loin d'améliorer la situation, cette politique a très vite causé un effet suicidaire tant pour l'appareil politique que pour la population agricole : surproduction du riz et réglementation de la production rizicole (réduction de la surface rizicole) depuis 1970638.

635 Comme nous l'avons vu dans la partie 2, l'évaluation des degrés de dépendance (yô-kaigo do) d'une personne âgée est sensible, d'autant plus qu'elle déterminera la qualité et la quantité des services dont cette personne dépandante pourra bénéficier.

636 En ce moment, le régime de pensions est un des sujets politiques les plus sensibles au Japon.

637 Mormont, 1994 : 220.

638 De ces constats, nous pouvons également évoquer des éléments explicatifs pour la question suivante : pourquoi au Japon (du moins au niveau local de manière dispercée), met-on en relation la crise agricole avec le vieillissement de la population générale, alors que l'environnement n'est pas pris en compte, nous semble-t-il en tout cas, avec autant d'importance et de sensibilité qu'en Europe ?

- L'agriculture japonaise, telle qu'elle est historiquement constituée dans la civilisation japonaise, dérange moins l'environnement naturel que celle occidentale qui est beaucoup plus extensive et historiquement basée sur un défrichement massif de la forêt (grandes cultures, élevage extensif, raisins...). Au Japon, il est impossible de défricher de la même manière qu'en Europe, car la forêt est essentiellement montagnarde et très dense. Et cette forêt a toujours géré, directement et effectivement, la ressource en eau et les désatres naturels (pluies, érosion, typhons, innondation etc). Et ceci tout en coexistant avec les rizières montagnardes à petite échelle qui constituent elle-mêmes également des réservoirs d'eau : ce qui n'est pas le cas pour les cultures céréalières en Europe ! - En matière de la ressource en eau, au Japon, la qualité et la quantité en ressource en eau sont considérables. Au Japon, la riziculture extensive et « chimique » ne pollue pas l'eau souterraine autant qu'en Europe occidentale. Car les engrais et les pesticides sont filtrés par l'eau des rizières. S'y ajoute l'abondance du flux de l'eau et de la pluie (pluviométrie japonaise trois fois plus importante qu'en Europe !) De plus, au Japon, l'eau potable provient essentiellement de l'amont des rivières, et pas des nappes phréatiques comme en Europe occidentale. Du coup, la pollution de l'eau souterainne par l'agriculture est moins mise en cause. Si l'élevage intensif a été très fortement contesté par la population urbaine au Japon depuis les années 60, c'était à cause de dérangements humain et urbain (odeurs) plutôt que du dérangement écologique.

- Enfin, nous pouvons évoquer l'accéssibilité importante de la population urbaine à la production agricole au Japon. Car la petitesse naturelle et historique de l'agriculture japonaise et la situation de pluriactivité développée par l'industrialisaton, ont

2 Redéfinition des règles du jeu

Revenons au cadre de transaction proposé par Mormont. Deuxièmement, pour faire face aux incertitutdes complexes aux niveaux contextuel et social, la gestion de l'environnement doit effectuer dans son application une mise en relation de différents domaines socio-économiques. Il s'agit de la nécessité d'une « articulation concrète de données physiques et socio-économiques »639. En se référant à la sociologie de l'innovation (Latour, Callon), cette démarche de l'articulation concrète « `invente' une mise en relation nouvelle, et modifie l'un ou l'autre domaine afin de les rendre compatibles640 ».

Cette démarche est techniquement « un arragnement local entre des données biophysiques et sociales (contraintes juridiques, rapports économiques, demandes sociales), de manière à former un dispositif qui les harmonise provisoirement au moins, mais avec assez de stabilité pour que la technique puisse fonctionner et répondre à des `besoins`641 ».

Puis, les effets causés par l'ensemble de ces processus sont en question. En effet, ils sont imprévus et non maîtrisés, et surtout difficiles à analyser en terme des causalités car « elles sont à la fois écologiques, techniques, économiques, culturelles et juridiques642 ». Ce qui spécifie le problème de l'environnement, et « à tel point qu'il devient nécessaire, d'intégrer dans l'analyse sociologique l'ensemble de ces processus643 ».

Enfin, Mormont relève, comme problème dans la redéfinition des règles du jeu pour la gestion de l'environnement, le « conflit de légitimité »644. Il s'agit non seulemnt des demandes de différents types d'acteurs, mais de « questions de fait ou d'évaluation de la réalité et de l'avenir645 ».

Essayons de transposer dans notre contexte de la gestion du vieillissement, les enjeux relevés par Mormont sur la redéfinition des régles du jeu en matière de gestion de l'environnement. D'abord, nous savons que la gestion du veillissement nécessite également une mise en relation de différents domaines socio-économiques, comme dans la gestion de l'environnement.

Nous avons ensuite vu dans la partie de l'acteur 2, l'évolution du rapport entre acteurs du vieillissement : du rapport auparavant limité par celui de l'Etat (établissements publics gérés par l'Etat centralisé) et la famille, aux rapports multipliés de manière décentralisée concernant plusieurs domaines diversifiés : économique, santé physique (dépendance et maladie), santé mentale, diverses activités de personnes âgées. Et à plusieurs échelles institutionnelles : Etat, entreprises, syndicats, collectivités territoriales, hôpitaux, établissements publics et privés pour les aides aux personnes âgées dépendantes, diverses organisations pour les activités des personnes

fortement hybridé la population agricole avec la population et le système urbains. Berque explique ainsi la configuration

urbaine-rurale en comparaison avec celle française, ainsi en 1973 « (...) une imbrication des franges urbaines et de la campagne,

dont la banlieue parisienne ne donne pas idée ; là, antinomie entre la grande culture et le résidentiel, opposition accusée par le

relief ; ici, que ce soit autour d'Osaka, de Nagoya ou de Tôkyô, rien d'abord qui rappelle les espaces découverts des plateaux de grande culture de la région parisienne ; puis, la rizière comme l'habitat ont la même prédilection pour les mêmes espaces plans ;

enfin, l'habitat ne diffère pas sensiblement de la ville à sa couronne et à la grande banlieue, à ceci près qu'il se desserre

relativement : c'est mutatis mutandis comme si l'on trouvait le même habitat pavillonnaire du plateau de Saclay à la plaine d'Issy-les-Moulineaux et à Montparnasse. » (Berque, 1973 : 324)

- Toutefois, nous pouvons également évoquer l'impact que peut avoir le vieillisement de la population générale dans la campagne française par rapport à la mobilité des personnes âgées. « Les mobilités de retraites vers les espaces ruraux ont un peu contribué à

leur regain démographique au cours des dernières décennies (...). L'accroissement de cette population dans les vingt prochaines années est une donnée (en 2020, un Français sur trois aura plus de 60 ans) ». Mais ce facteur implique beaucoup d'incertitudes

sur les comportements et modes de vie futurs des personnes âgées. « Mais il y a beaucoup d'incertitutdes sur les facteurs ou

variables explicatifs des comportements et modes de vie futurs des personnes âgées : les ressources et contraintes budgétaires des retraités, la répartition territoriale de l'offre d'équipements et de services d'accompagnement en matière de soins et de santé, les

types d'activités que les seniors pratiqueront dans l'avenir sont par exemple objet d'incertitudes, et pour certains aspects de controverses. »(Perrier-Cornet, 2000, 39-40) N'est-il pas aisé d'y ajouter comme facteur explicatif, soit le contexte du

« vieillissement actif », soit, pourquoi pas, celui d'Ikigai à la française ?

639 Ibid. : 213.

640 Ibid.

641 Ibid.

642 Ibid. : 214

643 Ibid. : 214

644 Ibid.

645 Ibid.

âgées (Centre des ressources humaines âgées, Clubs des Personnes âgées, éducation permanente) et enfin familles etc.

S'agissant du contexte du Projet Nô-Life, nous pouvons dire que le rapport établi entre les acteurs concernés, est une des variables locales de la forme multiple et complexe des rapports entre acteurs du vieillissement mentionnée ci-dessus. Dans le cas du Projet Nô-Life, nous avons donc : collectivités territoriales (administration agricole : BPA, BDPA, services pour les activités des personnes âgées : SCI) ; organismes du secteur agricole (coopérative agricole : CAT, vulgarisatition agricole : ECV) ; syndicat ouvrier : CLFS ; agriculteurs professionnels : GASATA, et individus variés : stagiaires de la formation Nô-Life.

Transcodage : un outil pertinent pour le processus bricolage - transaction

Dans ce contexte, nous pourrions parler d'une « technique » de mise en relation des acteurs de politique publique, opérée dans le processus de la construction du Projet Nô-Life : celle du « transcodage ».

Cette notion est proposée par P. Lascoumes pour comprendre les choses qui se traduisent au sein d'acteurs en réseaux d'action publique646. Pour élaborer cette notion, Lascoumes a adapté la notion de « traduction » de la sociologie des sciences (B. Latour, M. Callon), qui implique l'idée de donner aux autres une interprétation de leurs idées et intérêts par le langage de ce qui interpréte (traducteur), dans le but de mieux réaliser la stratégie du traducteur647.

Nous allons repérer ici les caractéristiques de la notion du transcodage sur les quatre points suivants : 1 Equilibrage ; 2 Situation de pouvoir ; 3 Inégalité de pouvoirs ; 4 Concurrence et luttes.

1 Equilibrage. Premièrement, le transcodage, à la différence de la traduction qui essaie d'intégrer à la stratégie du traducteur, les stratégies des autres acteurs de types différents, essaie d'équilibrer les différentes traductions en présence dans l'élaboration des politiques publiques648.

Dans ce sens, l'approche du transcodage nous semble plus relativiste que la traduction, et plus éclairant pour comprendre une relation de compromis qui met en relation des acteurs en conservant leurs intérêts divergeants.

Ensuite, Lascoumes met l'accent sur le "recyclage" d'idées et de pratiques déjà établies au sein des acteurs concernés649.

A partir de là, nous pouvons considérer que le transcodage est une technique spécifique d'arrangement ou de coordination qui permet au « transcodeur » de respecter le processus de bricolages effectués en interaction avec différents types d'acteurs.

Cela pourrait entrer dans le paradigme de transaction que nous allons évoquer plus bas, à savoir un cadre pour le développement d'une politique publique, dans lequel l'anticipation et l'engagement des acteurs sont primordiaux. Car le transcodage permet aux acteurs de conserver leur propre manière d'agir et de communiquer sous forme de réseaux dans le cadre d'une action publique.

2 Situation de pouvoir. Selon Lascoumes, l'opération de transcodage ne fait pas qu'équilibrer les positions des
uns et des autres, mais elle implique aussi un rapport de pouvoir : « être en situation de pouvoir ». Donc, cela

646 LASCOUMES, P.(1996),"Rendre gouvernable : de la "traduction" au "transcodage" L'analyse des processus de changement dans les réseaux d'action publique", p.325-338 in La Gouvernabilité, PUF.

647 « J'appellerai traduction l'interprétation donnée, par ceux qui construisent les faits, de leurs intérêts et de ceux des gens qu'ils recrutent » LATOUR, Br. (1989), Science en action : p.172.

648 « La signification que nous donnons à la notion de `transcodage' s'inspire de celle de 'traduction' utilisée par Michel Callon, dans la mesure où ce processus concerne une activité de production de sens par mise en relation d'acteurs autonomes et transaction entre des perspectives hétérogènes. La traduction est ainsi une activité spécifique aux réseaux socio-techniques et technico-économiques étudiés par la sociologie des sciences ; mais des activités de même type s'observent dans les réseaux d'action publique, 'polity' ou 'community network'. » (Lascoumes, 1998 : 336) ; « Les oprérations de transcodage sont celles de l'agrégation de positions diffuses, le recyclage de pratiques établies, la diffusion élargie des constructions effectuées, le tracé d'un cadre d'évaluation des actions entreprises » (Ibid.)

649 « Tous les discours portants sur la 'nouveauté' des problèmes et des politiques sont d'abord là pour occulter l'essntiel, à savoir qu'il s'agit en grande partie d'entreprises de recyclage. C'est-à-dire de conversion-adaptation du 'déjà-là' de l'action publique, de ses données préexistantes, de ses catégories d'analyse, de ses découpages institutionnels, de ses pratiques routinisées » (Ibid. : 335)

implique le fait de s'imposer aux autres, et de les rendre dépendants650.

3 Inégalité de pouvoirs. Le transcodage suppose ensuite l'inégalité des capacités d'agir des acteurs concernés dans leur situation objective qui précontraignent leurs espaces d'interactions651.

4 Concurrence et luttes. En tenant compte de cette inégalité de pouvoirs des acteurs prélimités, le transcodage ne peut pas s'effectuer dans une condition égale pour tous les acteurs. Du coup, le jeu des acteurs concernés doit se dérouler dans un « univers conccurentiel » dans lequel « tous les acteurs et actants ne disposent pas des mêmes pouvoirs performatifs652 ».

Dans un tel contexte, selon Lascoumes, le transcodage devient une sorte de « lutte » pour maîtriser les réseaux eux-mêmes d'action publique653.

Enfin, étant une manière d'arrangement local dans une action publique, le transcodage implique l'équilibre et la tension de pouvoirs d'agir entre différents types d'acteurs impliqués.

Il nous permet d'envisager de mettre en relation différents types d'acteurs concernés dans une relation d'équilibre qui leur permettra d'anticiper et d'engager dans le processus de construction d'une politique publique.

Puis, il nous permet également d'envisager un rapport de forces inégal donné, de façon à ne pas l'interpréter ou le réduire à celui dominant-dominé, mais de l'accepter comme une structure possible à restructurer via des actions constructives.

Transcodage dans le processus du Projet Nô-Life

Le transcodage a joué un rôle important au cours du processus de coopération entre les agents du secteur agricole et ceux du secteur des services publics qui ont abouti à créer le Projet Nô-Life autour de l'idée de promouvoir l'agriculture de type Ikigai en s'appuyant sur la population locale âgée mais potentiellement active (baby-boomers), et ainsi de mettre en valeur les terrains agricoles menacés de délabrement.

Le transcodage s'est opéré entre les deux thématiques suivantes relevant chacune d'un domaine politique : la politique agricole de la conservation (ou développement) agricole ; la politique sociale du vieillissement du la promotion (ou développement) d'Ikigai des personnes âgées contribuant à la prévention de la dépendance.

Ces deux politiques se sont retrouvées autour d'un référentiel commun pour construire le Projet Nô-Life : Ikigai. Mais comment ?

Le BPA (Bureau de La politique agricole) de la Municipalité de Toyota plutôt ancrée dans le secteur agricole, essayait de trouver des moyens de résoudre le problème du développement agricole (crise) via une approche du « bien commun » sous l'implusion de l'idée de la multifonctionalité de l'agriculture et de la ruralité depuis l'établissement de son premier plan agricole décennal nommé « Toyota agri-bility plan 2005 » en 1996. Depuis lors, elle a tenté de trouver non uniquement dans le secteur agricole, mais davantage dans le public général, de nouveaux appuis (partenaire) et une nouvelle destination (client) de sa politique agricole.

Nous l'avons vu dans la partie de l'acteur 1 (BPA : Bureau de la politique agricole), ce plan s'inscrivait explicitement dans le contexte de la restructuration de la politique agricole nationale suite au contexte de la libéralisation du marché extérieur et intérieur (mondialisation économique) marqué par les accords du GATT

650 « Transcoder, c'est rendre gouvernable. (...) Etre en situation de pouvoir dans un réseau d'action publique, c'est avoir une forte capacité d'intégration de l'hétérogène, de recyclage des pratiques discursives et matérielles routinisées, de développement d'alliances stabilisantes et de production de principes de jugement des actions entreprises. Etre en situation de dépendance, c'est au contraire se voir imposer des qualifications, des mises en relations, des reconversions, c'est subir des alliances forcées et des principes de jugement » (Ibid.: 338)

651 « rappeler que les capacités performatives des actants (humains et objets) varient selon un ensemble de déterminants économiques et sociaux qui structurent les espaces dans lesquels s'accomplissent les interactions ». (Ibid. :328)

652 Ibid. : 338.

653 « Face aux changements sociaux, le transcodage est en quelque sorte la lutte pour la maîtrise des réseaux d'action publique, de leurs frontières, de leur acteurs, de leurs intermédiaires, de leurs productions et des significations communes données aux interactions qui en assurent la cohésion » (Ibid.)

relatifs à l'agriculture en 1994.

Puis, le BPA a progressivement dirigé sa politique agricole vers le public dans ce contexte en établissant le lien entre celui-ci et l'agriculture dans l'optique de la multifonctionalité. Mais dans un premier temps, son approche penchait plutôt vers le loisir, le repos et la santé (Parc rural qui a échoué, Jardins familiaux et citoyens).

Puis, la CAT (Coopérative agricole de Toyota), agent principal du secteur agricole privé et partenaire traditionnel du BPA, a rejoint, quoique partiellement, l'approche basée sur l'« intérêt général » du BPA en lançant en 2000 l'Ecole de l'agriculture vivante destinée au public. Mais en réalité, cette école était plutôt destinée aux personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs. Et l'idée de promouvoir une production agricole à petite échelle avec les femmes (épouses et grand-mères) et les hommes âgés des foyers agricoles pluriactifs, était déjà présente tant dans les pratiques de ce type de population agricole que dans la politique agricole de la modernisation depuis les années 60 (nous l'avons vu en partie dans le chapitre 1, et le constaterons également plus bas dans la généalogie de l'agriculture de type Ikigai).

Et parallèlement à cela, le BPA a coopéré avec le SCI (Service pour la Création d'Ikigai) de la Municipalité, relevant du domaine de l'éducation permanente mais à l'origine du domaine du bien-être - vieillissement, pour lancer en 2002 la Ferme-école des personnes âgées destinée au public dont essentiellement la population non agricole âgée.

Le cadre de coopération s'est ainsi établi entre les agents du secteur agricole et les services publics en matière de vieillissement, en se basant sur leurs activités préétablies, savoirs et intérêts réciproques. Ceci par l'intermédiaire de l'intervention du BPA et du référentiel commun d'Ikigai des personnes âgées.

Le Projet Nô-Life fut ainsi construit par la coordination du BPA tout en effectuant un transcodage par ce référentiel commun d'Ikigai, entre une série d'acteurs relevant de secteurs différents, dont notamment le secteur agricole (CAT : co-gestionnaire ; BDPA : administration agricole ; ECV : vulgarisation agricole ; GASATA : groupement d'arboriculteurs professionnels), le secteur des services publics en matière de vieillissement (SCI) et le secteur industriel et « salarial » (CFLS : syndicat ouvrier). En plus, nous avons vu qu'une déréglementation de la Loi agraire relative à la surface minimum d'installation fut effectuée en profitant du cadre national des « Zones spéciales pour la réforme structurelle ».

Nous pouvons éclairer cette opération de transcodage, en schématisant ci-dessus la structure de l'échange effectué entre ces acteurs dans lequel le cyclique fin - moyen constitue un procédé crucial654.

654 Rappelons - nous ici la définition du bricolage de Lévi-Strauss : le bricolage défini par l'univers instrumental (structure des moyens) en reconstruction incessante par le cyclique de sens donnés aux objets mobilisés, entre la fin et le moyen. Et son résultat est toujours « un compromis entre la structure de l'ensemble instrumental et celle du projet. » (cité plus haut)

Schéma : structure de l'échange fin - moyen

Secteur services publiques
vieillissement

Secteur agricole

Fin

Fin

et développement agricoles

Conservation

Promotion d'Ikigai
des personnes âgées

Moyen

BPA

Agriculture
de type Ikigai

Moyen

Dispofitifs
socio-économiques

Dispositifs
socio-économiques

Pour le secteur agricole, Ikigai des personnes âgées (de la population générale) est interprété comme moyen susceptible de servir à la conservation et au développement agricoles. Et inversement pour le secteur des services publics du vieillissement : conservation et développement agricoles comme moyen de servir à la promotion d'Ikigai des personnes âgées.

Puis, pour le secteur agricole, les personnes âgées actives dont la majorité salariale et les dispositifs socio-économiques des services publics ayant un certain niveau de capacité de financer le Projet et de mobiliser cette population, sont également interprétés comme utiles pour la réalisation de la conservation et du développement agricoles. Et inversement pour le secteur des services publics du vieillissement : la population agricole et les dispositifs socio-économiques, comme utiles pour la réalisation de la promotion d'Ikigai des personnes âgées.

Autrement dit, dans ce transcodage, elles se sont réciproquement « instrumentalisées » en opérérant un transcodage entre leurs fins respectives (conservation et développement agricole - promotion d'Ikigai des personnes âgées).

D'un côté, depuis les années 70, la politique agricole donnait, à la notion d'Ikigai le statut de « moyen » de réaliser sa fin qui est la conservation et le développement agricoles, dans un sens incitatif vis-à-vis des producteurs cibles et marginalisés (femmes au foyer et hommes âgés des foyers agricoles pluriactifs) dans un contexte de crise permanente depuis les années 60-70.

De l'autre côté, pour la politique sociale du vieillissement, l'agriculture a été retrouvée comme un bon moyen de réaliser sa fin de la promotion d'Ikigai liée à la prévention de la dépendance (qui est un élément émergeant dans la structure de son projet en pleine « restructuration »). Mais dans ce contexte, l'agriculture était interprétée, au moins au début du processus, plutôt dans le prolongement du loisir et du moyen de prévenir la santé.

Cependant, il nous reste à poser une autre question : cet échange effectué par un transcodage, est-il équilibré en terme de pouvoirs ? Comme nous l'avons vu plus haut, P. Lascoumes relevait que transcoder implique d'« être en situation de pouvoir ». Ce transcodage alimentant un compromis entre les agents gestionnaires en coopération (BPA et CAT : coopérative agricole de Toyota), il nous semble nécessairement impliquer un rapport de pouvoirs inégal tant au niveau matériel et technique qu'au niveau symbolique. Nous aborderons cette question dans la réponse à la quatrième question de ce chapitre sur la relation établie entre acteurs.

3 Modèles de transaction - cadres institutionnalisés d'anticipation et d'engagement

Reprenons de nouveau le cadre proposé par Mormont. Troisièmement, les cadres d'anticipation et d'engagement des acteurs et leur institutionalisation sont supposés comme être constitutifs des modèles de transaction.

Concernant la notion d'anticipation, Mormont insiste sur le fait qu'elle est « cruciale pour saisir la complexité des problèmes d'environnement », pour que ceux-ci puissent apparaître « comme une situation dans laquelle différents scénarios d'anticipation sont possibles, se référant chacun à la fois à des prévisions ou des extrapolations scientifiques et à des revendications en termes de valeurs ou d'identité655 ».

En se basant sur sa réflexion sur les comportements anticipatifs des agriculteurs vis-à-vis de mesures préventives pour l'environnement, ils conclut que « les rationalités immédiates de l'agriculteur n'obéissent pas nécessairement aux représentations que les théories expertes s'en font et ceci constitue un problème essentiel pour la mise en oeuvre de politiques préventives656 ». Puis, le comportement anticipatif est également imposé du côté des acteurs politiques comme les experts : ils sont en fait « obligés de mobiliser des modèles par lesquels ils anticipent à la fois sur des processus naturels et sur des comportements sociaux, ainsi que sur leur relation657 ». Ce qui fait que « les experts mobilisent nécessairement une sociologie spontanée à propos des acteurs, qu'ils soient auteurs ou victimes du risque, sociologie qui leur permet de formuler leurs propres anticipations658 »).

Suite à cette réflexion portant sur les comportements des agents institutionnels (experts) et individuels (agriculteurs), il postule l'hypothèse que l'efficacité de la mise en oeuvre de ces politiques environnementales dépend de la correspondance entre les modèles d'anticipation des agents de ces deux niveaux (« l'efficacité des mesures de prévention est fortement soumise à une contrainte de correspondance entre les modèles d'anticipation des experts (auteurs de normes et des conseils) et les modèles d'anticipation des agents eux-mêmes659 »).

De ce fait, l' « appréhension des problèmes de pollution par les agriculteurs ne se fait pas [toujours] de manière technique, et l'ouverture même d'un espace de discussion avec eux (agriculteurs) sur la question suppose que soient mis en place des cadres plus larges d'anticipation qui concernent l'avenir de la profession ou au moins le devenir de tels ou tels systèmes de production, qui concernent aussi le statut des objets naturels, comme l'eau ou la faune sauvage660 ».

Il s'agit donc d'ouvrir un « espace de discussion » qui permet aux agents concernés de mettre en place les conditions plus larges de leur anticipation.

Mormont conclut que cette mise en place d'un « espace de discussion » est finalement « de la capacité de la politique agricole à proposer des cadres d'expérimentation cohérents et crédibles pour une redéfinition du métier agricole que peuvent émerger ces cadres d'anticipation qui assurent des perspectives à long terme à des catégories d'agriculteurs661 ».

Pour aborder la notion d'engagement, Mormont s'interroge d'abord sur la « manière dont le long terme peut se stabiliser dans un jeu d'anticipation662 ».

Il s'agit de penser les modèles d'anticipation des acteurs non seulement à partir de leur intérêt sur le court terme, mais également à partir de celui sur le long terme qui peut même relever de leur identité.

Et pour que ces intérêts puissent se mettre en place (se stabiliser) dans la politique environnementale, quels dispositifs institutionnels faut-t-il appeller ?

Pour répondre à cette question, Mormont nous rappelle d'abord qu'il existe un « immense appareil de règles » qui forme, en fait, un ensemble d'agents dominants dans le monde agricole (politique agricole, encadrement agricole, vulgarisateurs, organisations professionnelles etc), et porte « une définition légitime de

655 Ibid. : 225.

656 Ibid. : 227.

657 Ibid.

658 Ibid. : 228.

659 Ibid.

660 Ibid.

661 Ibid.

662 Ibid. : 229.

l'agriculteur et de son métier663 ». Il considère ensuite cet ensemble « non seulement comme appareil de domination, mais comme un cadre stabilisateur permettant des anticipations », et que cet ensemble a « un rôle dans la diminution des incertitudes », en plus qu'il est « soumis, au moins en partie, à des épreuves de vérification de leur validité pour les agents664 ».

Suite à cette considération, Mormont propose que « la possibilité de développer des mesures préventives pour réguler les pollutions agricoles suppose de déveloper d'autres dispositifs institutionnels dans lesquels puissent être élaborés et testés d'autres modèles d'anticipation, ces dispositifs ayant à inclure aussi bien des éléments identitaires que des éléments techniques et des connaissances quant à la nature665 ».

C'est dans le cadre de la construction de ces dispositifs institutionnels alternatifs que Mormont situe la notion d'engagements qui « peut être mobilisée pour comprendre comment les individus peuvent entrer dans des processus de transformation qui concernent, dans des contextes d'incertitudes, aussi bien les outils techniques qu'ils utilisent que les représentations qu'ils se font de la réalité, des objets naturels comme des réalités sociales666. »

Schéma : modèle de transaction de Mormont

Construction
Dispositifs
institutionnels

alternatifs

Appareil de règles
(agents agricoles dominants)

Définition légitime du métier (agriculteur)

Individus (agriculteurs)

Anticipation Engagement

Anticipation Engagement

Politique
environnement

Enfin, Mormont considère qu'il faut reconstruire ces dispositifs institutionnels alternatifs pour que les agriculteurs ayant perdu confiance à l'égard de la politique agricole dominante en raison de la situation de crise, puissent à nouveau s'y engager « en accordant suffisamment de crédibilité à de nouveaux experts et assez de confiance à leur devenir professionnel667 ». Et « ces dispositifs institutionnels doivent être vus comme des dispositifs d'échange, consititués de transactions c'est-à-dire de combinaison de règles, dans lesquelles sont reconnus à la fois des intérêts sectoriels et dans des intérêts généraux, des identités professionnelles et des légitimités sociétales668 ».

Cet appel à la reconstruction de nouveaux dispositifs de la politique agricole tient compte du fait que la politique agricole (de l'Europe occidentale) reposait bien sur un type de dispositif depuis les années 50 basé sur un compromis entre le productivisme agricole orienté vers le marché et l'indépendance des exploitations

663 Ibid. : 230.

664 Ibid.

665 Ibid.

666 Ibid.

667 Ibid : 231.

668 Ibid. : 231-232. Sur ce point, Mormont se réfère à Jobert et Muller. Ouvrage cité : JOBERT, B., MULLER, P. (1990), L'Etat en action, Paris, PUF.

familiales, ce qui fonctionnait également comme un cadre transactionnel669 entre les agriculteurs et l'appareil de régles du monde agricole.

Dans le contexte d'incertitudes, le paradigme de la transaction devient ainsi « éclairant pour essayer d'identifier les modes d'élaboration possibles de nouveaux dispositifs institutionnels susceptibles d'intégrer progressivement la protection de l'environnement670 ».

Enfin, nos analyses du processus de la construction du Projet Nô-Life portent également sur à la fois des agents politiques et individuels, à savoir :

- agents institutionnels du secteur agricole (administration agricole, coopérative agricole, vulgarisation agricole) - agents institutionnels de la politique sociale du vieillissement

- agents individuels ou collectifs du secteurs agricole (groupement de producteurs, producteurs professionnels) - divers individus usagers (stagiaires ayant diverses trajectoires)

Et c'est une politique relevant à la fois de la crise agricole et d'une nouvelle politique du vieillissement, nous pouvons également supposer comme le schéma ci-dessous une construction de nouveaux dispositifs alternatifs de la politique agricole dans le paradigme de transaction selon le schéma de modèles de transaction que nous avons établi ci-dessus :

Schéma : modèle hypothétique de transaction pour le Projet Nô-Life

Appareil de règles
(agents agricoles dominants)

Définition légitime du métier (agriculteur)

Individus
(agriculteurs)

Individus (stagiaires)

Anticipation Engagement

Projet Nô-Life

Anticipation Engagement

Anticipation Engagement

Agents institutionnels
non agricoles

Public

Construction Dispositifs institutionnels alternatifs ?

4 Transaction : grille d'analyse des interdépendances

Nous tentons d'analyser dans notre lecture du processus de la construction du Projet Nô-Life la dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité an sein de divers acteurs concernés, d'une part, au niveau des rapports institutionnels apparement stabilisés mais impliquant des désaccords sous-jacents, et d'autre part, au niveau des rapports entre ces agents institutionnels et ceux individuels portant différents types de représentations et pratiques.

Sur ce point, comme Mormont l'indique en quatrième point, le paradigme de la transaction sociale nous apparaît également utile « comme une grille d'analyse des interdépendances soit sous la forme de rapports stabiliés (qui impliquent de lire dans les institutions les rapports sous-jacents qu'elles entretiennent entre elles), soit sous la forme de situations d'invention sociale de nouvelles régulations de ces interdépendances671 ».

669 Ibid. : 232

670 Ibid.

671 Ibid. : 234.

Et nous le verrons dans le Chapitre 3, les intérêts des stagiaires du Projet Nô-Life portent non seulement sur le court terme mais également sur le long terme qui peut relever de leur identité et de valeurs à respecter dans leur vie individuelle et sociale. Nous pouvons donc rejoindre le paradigme de la transaction sociale dans le sens de Mormont qui la différencie de la négociation par le fait que la transaction sociale « porte sur les principes de base des identités sociales et sur les représentations des objets qui ne peuvent donner lieu à négociation qu'à partir du moment où ils sont suffisamment stabilisés pour constitutuer des cadres d'anticipation où des intérêts peuvent être identifiés et calculés672 ».

Transformations des représentations de l'agriculture et de la ruralité

Y-a-t-il eu, ces dix dernières années, des transformations des représentations de l'agriculture et de la ruralité dans le contexte de la construction du Projet Nô-Life, dont notamment le vieillissement de la population urbaine et rurale ?

Pour répondre à cette question, nous allons tenter de simplifier dans un tableau de synthèse les représentations des sept acteurs que nous venons d'étudier (ce tableau se trouve à la page suivante). Pour établir ce tableau nous avons retenu quatre éléments constitutifs des représentations : contextualisation (constat de la situation) ; problématisation (problèmes et solutions) ; intention (motivation) ; intérêt.

Ensuite, nous pouvons distinguer les trois groupes suivants catégorisant les sept acteurs étudiés : 1 Service public agricole (BPA, BDPA) ; 2 Secteur agricole (CAT, ECV, GASATA) ; 3 Public en général (SCI, CLFS) Ces trois groupes montrent trois types distincts d'évolution des représentations de l'agriculture et de la ruralité.

1 Service public agricole Contexte de la restructuration

D'abord, concernant les acteurs du service public agricole, les accords du GATT eurent une influence décisive de manière à imposer d'en haut les décisions de la politique internationale sur le commerce des produits agricoles aux politiques nationale et locale. Parmi ces accords, la « catégorie verte » dans le cadre du Soutien interne semble importante dans la mesure où elle a encadré la restructuration des services publics agricoles. Comme nous l'avons constaté dans la partie de l'analyse de l'acteur 1, cette catégorie laissa une place légitime aux services publics « de caractère général » dans les domaines concernant la recherche, la lutte contre les maladies, de l'infrastructure et de la sécurité alimentaire, tout en les excluant des objets de la « réduction » des mesures protectrices des Etats membres. C'est dans ce contexte politico-historique que fut conçu par la Municipalité de Toyota le Plan de 96 qui apporta une nouvelle direction de la politique agricole dans le territoire de la Ville de Toyota.

672 Ibid.

Tableau des représentations de l'agriculture et de la ruralité

Contextualisation Problématisation Intention Intérêt

Act. 1 BPA

Situation globale : Concurrences internationale et nationale renforcée et restructuation services publics (Accords GATT)

Situation locale : Types d'agriculture locale (compétitif / non compétitif) ; Aspect dominant (pluriactivité et vieillissement de la population agricole)

Problèmes : Manque de producteurs et de valorisation des terrains agricoles ;

Pression urbaine ; Retard rationalisation de la structure des terrains agricoles Solutions : Une nouvelle agriculture de type « péri-urbain » (demandes consommateurs, nouveaux débouchés) ; D éveloppement multifonctionalité ; Ré gulation entre urbanisme et agriculture ; Mesure face à la recomposition des foyers pluriactifs

Redéfinition valeurs de la Politique agricole :

Interprétation des idées globales : autosuffisance alimentaire (sécurité alimentaire) et multifonctionalité, par l'introduction des nouvelles catégories d'agriculture locales : industriele et ikigai Participation citoyenne : approche « bien commun »

Nouveau type de service public local de l'agriculture et de la ruralité mis en relation avec l'urbanisme et le public (participation citoyenne)

Act. 2
SCI

Situation globale : Restructuration des services publics locaux face au vieillissement de la population ; Nécessité de nouvelles mesures pour la prévention de la dépendance

Situation locale : Retraite massive de la génération baby-boom à majorité salariale du secteur automobile

Problèmes : Manque de lien social et territorial parmi la population locale, lié à l'histoire du développement de la Ville de Toyota `immigrants de la première géné ration'

Solutions : Aider la population à trouver Ikigai via participation sociale ; éducation permanente; travail. D'où l'idée « Travail d' Ikigai valorisant le `Nô' »...

Amélioration environnement de vie, lien social et territorial entre habitants

Mise en valeur du 'Nô' du point de vue de la "Ville rurale" pour un développement local de la Ville de Toyota

Service public local dans le domaine du vieillissement

Eléments de 'nô' donnent nouvelles possibilités pour développer les mesures pour Ikigai des personnes âgées

Act. 3
CAT

Situation globale : Baisse prix agricoles ; Affaiblissement secteur agricole

Situation locale : Manque de

producteurs dû au vieillissement de la population agricole ; Situation aggravée de la pluriactivité : Retraite génération baby- boom au sein des foyers agricoles pluriactifs, mais sans expérience agricole

Problèmes : Connaissances des personnes âgées menacées de disparition ; Risque de désolation des salariés retraités après la retraite ; Déclin zones rurales dû aux vieillissement et dépeuplement Solutions : Mettre en valeur salariés retraités des foyers agricoles et non- agricole ; Vie agricole et rurale comme rem ède au vieillissement ; Combinaison

solutions aux problèmes du vieillissement de la population urbaine / rurale

Formation agriculteurs : augmentation de successeurs des activités agricoles au sein des foyers agricoles

Développement agriculture de type Ikigai, mais avec un but lucatif en rapport avec : identité locale ; lien social ; existence sociale

Organisation collective et formelle (sectorielle) de la production agricole Mais importance du domaine de

l'Orientation agricole (formation, Nô-Life) est économiquement faible dans l'ensemble de la Coopérative. D'où limitation de la capacité d'investissement et de la

motivation à la coopération au Projet NôLife...

Act. 4
BDPA

Situation globale : Contradiction entre politique agricole nationale / vie « réelle » des foyers agricoles ; Difficulté structurelle de la production agricole : "stade irrémé diable" (conetxte du passage du contrôle é tatique à la libéralisation du marché) Situation locale : Inégalité valeur fonciè re des terrains agricoles : urbain/rural ; plaine - montagne ; Enjeu conservation des terrains agricoles : gestion biens
immobiliers au sein des foyers agricoles ; 700ha de friches agricoles

Problèmes : 700ha de terrains échappant à la politique agricole de porteurs à grande échelle et "abondonnés par [les] proprié taires". La prévention des friches constituant "thème de la société" Solutions : Impossibilité d'avoir la solution face à la réalité objective ; Des approches politiques d'"en bas"ne relèveront pas l'agriculture japonaise. Mais l'objectif du Projet Nô-Life (Ikigai des personnes âgées et prévention des friches) est légitime.

Tentative du Projet Nô-Life : Lier Ikigai à la réalité sociale locale où « les propriétaires ruraux sont embarrassés » par le problème de leur friche agricole en terme de gestion des biens fonciers.

Mais "résultats et effets" restent difficiles à définir compte tenu du problème globale de l'agriculture.

Intérêt public. Mais la finalité reste difficile à définir face à la complexité de la réalité de l'agriculture.

Importance de l'agriculture de type Ikigai ou de la finalité du Projet Nô-Life est plutôt sociale qu'économique.

Act. 5
ECV

Situation globale : Concurrence internationale et nationale renforcée ; Baisse prix agricoles

Situation locale : Situation de plus en plus aggravée ; Types d'agriculture à productivité forte/faible c-à-d : type entrepreunarial / type Ikigai menée par les personnes âgées et les femmes (des foyers pluriactifs)

Problèmes : Manque de producteurs ; Baisse de motivation des producteurs dû à la « faible efficacité économique et vieillissement »

Solutions : Formation divers types de porteurs ; Développement des activités locales ; Soutien nouveaux producteurs de produits locaux (légumes, fleurs) dont notamment les salariés retraités revenants à la terre via coopération avec le Centre N ô-Life.

Orienter nouveaux producteurs au niveau des zones de production spécialisée afin de les élargir et de les rendre plus compé titives. Mais la place des nouveaux participants d'origine « non agricole » reste secondaire du point de vue de la productivité par rapport aux porteurs de type industriel et entrepreneurial.

Continuation et réussite de sa politique productiviste, sélective, en se basant sur son rôle de modernisateur et son statut privilégié d'expert technique, économique et scientifique

Act. 6
CFLS

Situation globale : Crise autosuffisance alimentaire au Japon (forte dépendance alimentaire) ; Manque main-d'oeuvre agricole

Situation locale : Supériorité de l'industrie par rapport à l'agriculture est une condition "indéniable" ; Thématique d'Ikigai pour les retraités est importante pour les activités locales du CLFS. Ceci pour renforcer le rapport entre syndicat et localités.

Problèmes : Conservation terrains agricoles et forêts de montagne

Solutions : Introduction de nouveaux types de main-d'oeuvre : immigrants ou jeunes. Mais la thématique d'Ikigai est incompatible avec celles de l'agriculture et de la ruralité : autosuffisance et main- d'oeuvre. Il faut "une politique de portée nationale"

Implication dans la politique municipale et dans les divers domaines de la vie de la population locale

« élargir la variété d'activités d'Ikigai pour salariés retraités »

Domaine d'implication limitée à la promotion d'Ikigai Mais non dans les thématiques de l'agriculture et de la ruralité.

Intérêt de l'organisme : renforcer l'ancrage local en coopérant avec la politique municipale et la population locale.

Motivation encore partielle et limitée pour l'implication dans le Projet Nô-Life, malgré les attentes potentielles des salariés vis-àvis de l'agriculture et de la ruralité : Intérêt limité des travailleurs : jardinage, loisir, auto-consommation. Mais non la conservation des terrains agricoles et de la formation de porteurs de l'agriculture.

Act. 7
GASATA

Situation locale : Crise délabrement de la zone de production face au vieillissement

Problèmes : Délabrement zone de production ; Difficulté de discuter des probl èmes avec les gens des foyers agricoles pluriactifs ("papis et mamies")

Solutions : Prévention des friches. Renforcement du rapport d'entraide entre arboriculteurs et du rapport avec le public.

Conservation vergers pour le futur ; aider et encourager la "première génération" à continuer sa production agricole Renforcement intérêt public vis-à-vis de la zone de production afin de maintenir sa durabilité

Conservetion de la relation sociale des arboriculteurs

Avoir plus de main-d'oeuvre et de reconnaissance publique avec le Projet Nô -Life

Un but lucratif nécessaire pour développer l'agriculture de type Ikigai

Propre intérêt professionnel : souci sur l'avenir des exploitations individuelles et leur zone de production

Recherche d'un autre appui que l'économie sectorielle (marché, coopérative) pour le maintien de leur production.

Toutefois, aux yeux des acteurs concernés, cette restructuration n'est pas seulement le reflet du contexte dicté par la politque internationale de la libéralisation du marché : Monsieur M du BDPA a bien souligné l'état « irrémédiable » de l'agriculture japonaise suite au passage historique de la politique : de la protection du marché du riz à la libéralisation de celui-ci. Pour lui, la position de l'administration est de « [venir] en aide pour combler cette absence des aides du gouvernement qui étaient mises en place auparavant », et cet état actuel de l'administration est qualifié de « douloureux ». Cette remarque témoigne du point de vue de Monsieur M, qui est

un acteur de l'intérieur de l'administration locale subissant le contexte de cette restructuration. En fait, selon lui, la situation de l'administration locale vis-à-vis de l'agriculture est aujourd'hui comme si elle « traitait un malade qui est dans un stade irrémédiable », c'est-à-dire, l'administration (service public) locale doit payer les pots cassés de la politique agricole nationale qui était mise en place auparavant. Mais quels pots cassés ? Nous pouvons rappeller deux défaillances historiques de la politique agricole japonaise : Selon Monsieur N, la politique agricole japonaise impliquait une contradiction dans sa tentative permanente de la modernisation agricole consistant à favoriser l'aggrandissement d'échelle et la spécialisation au detriment des conditions de la réalité locale faisant obstacle à ce type de modernisation (petite structure des exploitations familiales, zones en plaine subissant la forte pression urbaine, zones en moyenne montagne condamnée à subir l'exode et le vieillissement de la population rurale critique etc). Puis, s'y ajoute la politique du soutien au marché du riz qui a provoqué la surproduction dès les années 70.

Nous devons resituer la nouvelle politique menée par la Municipalité de Toyota dans ce contexte paradoxal dans le sens où cette politique paraît ambitieuse du point de vue du marché, mais désespérante du point de vue « objectif » de Monsieur M, un acteur de terrain qui vit et opère par lui-même les mesures de cette politique au niveau local.

Redéfinition de l'agriculture locale

C'est ainsi que le Plan de 96 vint redéfinir la place de l'agriculture et de la ruralité en pronant les valeurs de celles-ci du point de vue de l'autosuffisance alimentaire et de la multifonctionalité, et les définissant comme "bien commun" des citoyens de la Ville.

Par ailleurs, les démarches de la politique de la Municipalité de Toyota se sont déroulées de manière à se baser sur la situation locale, où le côté non productif de l'agriculture était de plus en plus apprécié parmi les habitants comme le montre le succès des jardins familiaux qui connaissaient déjà à cette époque un développement remarquable en utilisant des parcelles appartenant aux foyers agricoles pluriactifs, situées en zone à urbaniser. De plus, dans notre analyse, nous avons bien constaté que le Plan de 96 avait un caractère anticipatif de la politique de la multifonctionalité ou du développement rural qui n'était pas encore mise en place par l'Etat à cette époque. Selon notre analyse, l'établissement du Plan de 96 était d'un côté encadré par la politique globale, mais d'un autre côté, une réaction spontanée à la propre initiative de la Municipalité de Toyota et d'autres agents locaux en collaboration avec elle, tout en effectuant un travail de « bricolage » d'idées d'origines hétérogènes.

Enfin, la politique pour le développement de l'agriculture de type Ikigai a vu une convergence d'intérêts avec la nouvelle politique du vieillissement qui émergea depuis 2001 par l'établissement du CPCI (Comité pour la Promotiona de la Création d'Ikigai) suite à l'entrée en vigueur de la Loi de l'Assurance des Aides pour les personnes âgées dépendantes en 2000. Le CPCI s'est intéressé aux éléments de 'nô (agricole et rural)' en vue de les intégrer dans l'élaboration des nouvelles mesures pour développer les activités d'Ikigai des personnes âgées du point de vue de la prévention de la dépendance. C'est ainsi que l'idée de l'agriculture de type Ikigai a véritablement eu son « droit de cité » dans la Ville de Toyota, et que le Projet Nô-Life a vu le jour en 2004 en mettant en avant cette idée dans le cadre de la politique agricole de la Ville de Toyota.

2 Secteur agricole

Au sein des acteurs du secteur agricole, le constat de la situation de crise s'est renforcé au cours de cette décennie, d'un côté en rapport avec la situation historique et interne comme le dépeuplement, la pluriactivité, le manque de producteurs et le vieillissement de la population agricole, de l'autre côté en rapport avec la conjoncture globale comme la baisse des prix agricoles due au renforcement de la concurrence internationale.

En même temps, l'approche politique de l'ECV reste toujours dualiste entre celle modernisatrice favorisant la plus haute productivité qui met l'accent sur une ultra minorité des producteurs compétitifs sur le marché, et celle mettant l'accent sur les producteurs marginaux dont notamment les femmes et les personnes âgées des

foyers agricoles pluriactifs qui constituent la majorité de la population agricole.

Puis, l'approche menée par la CAT avec des femmes et des personnes âgées promouvant la vente directe, de petites productions de produits du terroir est bien présente depuis les années 80, et ce type d'approche se renforce de plus en plus. Ceci est lié à la situation ambivalente des foyers pluriactifs qui ont d'un côté subi l'essor du développement industriel, mais de l'autre côté, en ont bénéficié en en retirant un revenu stable. Puis, cette couche des producteurs agricoles a également subi la politique du contrôle de la surproduction qui, depuis 1970, lui a imposé une réduction de la surface rizicole. A l'exception de quelques zones de production qui ont réussi à se spécialiser collectivement dans un type de produits (comme dans le cas de la poire et la pêche de Sanage), la plupart des foyers agricoles n'ont pas pu s'adapter à cette politique de manière positive. D'où la pluriactivité et la petite structure de la plupart des foyers agricoles faisant le trait dominant de la situation agricole au Japon jusqu'à aujourd'hui.

Enfin, nous pouvons remarquer que la conception de « Second Life Academy » de Monsieur S de la CAT reflétait la situation urbanisée des foyers agricoles pluriactifs, en se préoccupant du risque de « désolation » (ennui, inertie, isolation etc) des retraités salariés des foyers agricoles pluriactifs. Puis, cette idée a rejoint la politique agricole de la Municipalité de Toyota lors de l'établissement du Plan de 96, et déterminé le projet de l'Ecole rurale. Ce qui a fait le compromis entre l'approche destinée au public de la Municipalité et l'approche sectorielle de la CAT afin de mener leur coopération.

Par ailleurs, les jeunes arboriculteurs de Sanage dont Monsieur N était leader, ont également montré une nouvelle approche destinée au public dès le début des années 90 en commençant la « Journée de la peinture des fleurs de pêcher ». Cette tentative était liée au souci de Monsieur N sur le futur délabrement de la zone de production. Ce qui montre que même ces arboriculteurs professionnels de Sanage qui ont réussi la modernisation agricole, ont également commencé à s'intéresser à une autre approche que la politique sectorielle de la modernisation en se dirigeant vers le public. La coopération entre le GASATA et le Projet Nô-Life est un mouvement recherchant à la fois un développement de l'agriculture de type Ikigai intégrant la participation citoyenne, et le mode futur de développement de la zone de production de la poire et de la pêche de Sanage.

3 Public en général (citoyens)

Au côté du public en général, nous avons pu constater qu'il y a de plus en plus de prise de conscience des éléments de la qualité de vie comme nous pouvons le constater dans la tendance des jardins familiaux et citoyens.

Monsieur Y, vice-chef du secrétariat du CLFS, lui-même loue également un petit jardin potager pour son autoconsommation. Et selon lui, il y a beaucoup de salariés autour de lui qui pratiquent le jardinage.

L'idée d'Ikigai n'est pas sans rapport avec cette tendance. Monsieur Y nous a expliqué que la valeur d'Ikigai peut changer en fonction des périodes de vie : périodes active et retraitée. La différence des valeurs d'Ikigai entre ces deux générations est que la génération active a tendance à rechercher la richesse économique tandis que la génération retraitée veut retrouver le sens de la richesse dans l' « usage du temps ».

Le Projet de la Maison des Fleurs réalisé en 1997 par la coopération entre le CLFS et la Municipalité de Toyota montre une interprétation originale de l'idée d'Ikigai en combinant la production horticole et la contribution sociale des personnes âgées. Une tentative d'aller plus loin que le niveau d'un simple loisir.

Et cette approche a rejoint l'approche de la SCI qui, à l'initiative citoyenne du CPCI, a développé les nouvelles mesures d'Ikigai en se centrant sur l'éducation permanente (apprentisage), la contribution sociale (participation, lien social) et le travail d'Ikigai (production).

Puis, le Projet Nô-Life s'est inspiré de cette idée pour démarrer. Monsieur YM qui, après la formation Nô-Life, continue à produire la poire chez Monsieur N à Sanage, releva ainsi comme éléments de sa motivation pour ses activités agricoles, les éléments introuvables dans la vie des salariés urbains tel que le lien de sociabilité et le contact avec la nature.

D'ailleurs, dans le cas des stagiaires du Projet Nô-Life, nous l'aborderons dans le chapitre 3, la racine rurale dans leur trajectoire semble fortement jouer. Il s'agit notamment d'émigrants ruraux originaires d'autres régions

et de fils des foyers agricoles pluriactifs locaux. En fait, c'est déjà le cas chez Monsieur YM qui est le troisième enfant d'une ferme de Shikoku, et qui a émigré à Toyota afin de travailler pendant quarante ans dans une usine automobile...

Eléments de représentation de l'agriculture de type Ikigai

Enfin, en survolant ces trois types d'évolution, quels éléments de représentations pouvons-nous retenir ? D'abord, ces représentations n'appartiennent ni uniquement à la profession agricole (productivisme), ni au monde rural représenté par les communautés villageoises telles qu'elles ont longtemps été l'objet de la sociologie rurale japonaise avec le concept de « Ie - Mura (famille - village) »673. Puis, elles ne se définissent pas non plus par opposition à la ville. Elles ne sont pas non plus le simple reflet du point de vue urbain détaché des traits agricole et rural que nous venons d'évoquer, à savoir le cadre de vie, le paysage et la nature...674

Il faut tenir compte des trois contextes suivants marquant les représentations émergentes dans le processus de la construction du Projet Nô-Life. Premièrement, la situation historique de crise de l'agriculture et de la ruralité s'aggrave de plus en plus malgré les efforts politiques de la modernisation agricole. Deuxièmement, l'évolution de la société salariale (ou post-industrialisation) vient de changer le comportement de la population urbaine675. Troisièmement, le changement de la conjoncture économique globale (ou mondialisation) vient restructurer la politique nationale et locale ainsi que le rapport entre acteurs.

Ces trois contextes font émerger, dans le contexte de la Ville de Toyota, une hybridation de la relation urbain-rural. Cette hybridation résulte à la fois de l'émigration rurale massive dans les années 60-70 et du développement de la pluriactivité des foyers agricoles locaux. Ces deux phénomènes, historiquement engendrés par l'industrialisation et l'urbanisation, ont radicalement bouleversé la population agricole et rurale au Japon depuis ce dernier demi-siècle.

En plus de cette hybridation au niveau de la situation, une autre hybridation a eu lieu au niveau des représentations autour de celle de l'agriculture de type Ikigai. Pour identifier cette hybridation de représentations, nous pouvons retenir les trois éléments suivants : qualité de vie (priorité à la satisfaction individuelle, consommation, style de vie etc.) ; lien social et territorial (contribution sociale, sociabilité) ; production matérielle (travail, lucrativité).

L'idée de la qualité de vie relève de la vie urbaine et individualisée. Et les éléments de 'nô' (agricole et rural) servent de référence pour la recherche de cette qualité, en terme de santé physique et mentale, de l'alimentation, du cadre de vie (aménité, paysage), du contact avec la nature et éventuellement de l'identité culturelle (racine rurale) etc.

673 Dans un récent ouvrage d'un grand sociologue rural japonais, qui traite le devenir de l'agriculture et de la ruralité au Japon, ce concept tient toujours le coeur de l'analyse. Dans cet ouvrage, le combinaison « famille - village » est défini en relation avec la production agricole à petite échelle ancrée dans l'ensemble de la production matérielle et la reproduction du travail qui se distingue de la production de type capitaliste basée sur la seule recherche du profit. (Hosoya, 1998 : 9-17)

674 D'après un récent ouvrage collectif sous la direction de Ph. Perrier-Cornet, en France, trois éléments suivants « ressource », « cadre de vie », « nature » font les figures de la campagne. Ce point de vue est précédé par les contextes historiques de la désertification (avant 90) et de la rennaissance des campagnes (après 90). Puis, pour les années 2000, de nouveau enjeux sont suscités par l'évolution des espaces ruraux tel que la prise en compte de la nature dans les différents usages de l'espace rural, le développement durable dans l'aménagament du territoire, la multifonctionalité dans l'action publique etc. « Les tensions et agencements entre ces trois figures sont à notre sens une clé de lecture pour comprendre la physionomie actuelle et les perspectives des espaces ruraux en France dans les années 2000. » (Perrier-cornet, Hervieu, 2002 : 9-31).

675 En citant Daniel BELL, H. Mendras explique des traits caractéristiques de la transformation dans la société post-industrielle avec trois logiques suivantes qui entrent en tension « L'économique obéit à la rationalité comptable, à la logique weberienne, elle est mue par la demande des consommateurs et par l'innovation technique. Elle crée les inégalités ; La politique organise la participation de tous les citoyens, elle est fondée sur l'inégalité et obéit à la loi tocquevillienne : plus l'égalité progresse, plus les inégalités deviennent insupportables ; Le culturel donne un sens à la vie des individus qui cherchent à construire leur identité en s'exprimant : c'est un domaine de liberté discrétionnaire qui pousse à la diversité. » (Mendras, 2002 : 158) Les trois logiques économique - social - culturel doivent donc s'articuler. La question que Ikigai (sens de la vie) pose dans le sens commun, aborde également ces trois logiques complexes. Car tenir compte d'Ikigai dans la vie contemporaine, implique de mettre en question le

« sens de la richesse » (Hamaguchi, 1994 : 236), ce qui implique le sens soit économique, soit social, soit culturel.

Schéma représentationnel de l'agriculture de type Ikigai

Lien social et territorial

Agriculture de type Ikigai

Qualité de vie

Production matérielle

Puis, l'idée de rechercher le lien social et territorial relève à la fois de l'absence de ce lien entre habitants de la Ville de Toyota dû à l'histoire jeune de l'urbanisation et de l'industrialisation, et de la présence du lien des communautés rurales subsistantes dans cette ville entre anciens habitants. Et les éléments de 'nô' (agricole et rural) viennent également servir de référence pour cette recherche notamment en terme de sociabilité676.

Enfin, l'idée de la production matérielle constitue également une condition pour réaliser Ikigai. Et ceci n'exclut pas d'avoir un but lucratif. Nous pouvons considérer qu'une sorte d'esprit productiviste marque également l'idée de l'agriculture de type Ikigai dans un prolongement du professionalisme agricole ou industriel677.

Ces trois éléments regroupent diverses représentations de l'agriculture de type Ikigai qui ont émergé cette dernière décennie dans le processus de la construction du Projet Nô-Life.

Toutefois, il ne faut pas considérer ce schéma comme un modèle figé de l'agriculture de type Ikigai, ni l'objectif formel du Projet Nô-Life. En effet, la définition de l'agriculture de type Ikigai est fluctuante, car ces éléments de représentation sont entre les mains des acteurs qui les portent dans leurs actions et ensuite les mettent en jeu. Autrement dit, l'agriculture de type Ikigai peut avoir des significations différentes pour chaque acteur. Pour appréhender l'articulation de ces différentes significations, il faut notamment tenir compte de la divergence d'intérêts et des prises de position au sein de ces acteurs. Ce qui nous renvoie à la quatrième question sur la relation sociale établie dans le processus entre acteurs.

Nous pouvons supposer que, pour les acteurs des services publics agricoles (BPA et BDPA), l'idéal serait que, du point de vue de l'intérêt général, tous les trois éléments de représentation se combinent de manière compatible dans la réalisation de leur politique publique de l'agriculture de type Ikigai. Par contre, pour les acteurs du secteur agricole (CAT, ECV et GASATA), c'est à la production matérielle et sa rentabilité que l'on accorde le plus d'importance. Le lien social et territorial peut également compter pour ces acteurs, mais ceci dans la mesure où il sert à mieux organiser la production agricole, notamment dans le cadre d'une organisation quelconque au sein de la CAT. Et la recherche de la qualité de vie des individus n'est pas la priorité pour ces acteurs.

Puis, pour les acteurs concernant le public en général (SCI et CLFS), les éléments prioritaires pour réaliser l'agriculture de type Ikigai sont notamment l'amélioration de la qualité de vie des individus, et le développement du lien social et territorial de ces individus. La production avec but lucratif n'est pas exclue des conditions prévues par ces acteurs, mais l'absence éventuelle de cet élément ne les dérangerait pas.

A partir de cette analyse, nous pouvons établir dans le tableau suivant les quatre variantes possibles de la composition de l'agriculture de type Ikigai en relation avec les représentations de chaque acteur concerné.

676 Cette mixité entre habitants nouveaux et anciens constitue depuis longtemps une des thématiques les plus importantes de la politique municipale de la Ville de Toyota qui s'est développée en fusionnant successivement avec les villages des alentours, et brassant ainsi les émigrants et les anciens habitants.

677 Nous aborderons ce point plus bas la réflexion critique apportée par Umesao. Il relève le lien entre la mode de la notion d'Ikigai au Japon vers la fin des années 60 et l'intérêt des entreprises qui voulaient monter la motivation des salariés pour le travail via cette idée... (Umesao, 1985 : p.82)

Tableau : Variantes de la composition des éléments de l'agriculture de type Ikigai

 

Qualité de vie

Lien social et territorial

Production matériele

Acteurs intéressés

Variante 1

o

o

o

BPA, BDPA
(tous les autres)

Variante 2

o

o

×

SCI et CLFS
(BPA, BDPA)

Variante 3

o

×

o

(tous)

Variante 4

×

o

o

CAT, ECV
Et GASATA
(BPA, BDPA)

Ajoutons quelques explications sur ce tableau. D'abord, ce tableau est une construction théorique. En effet, en réalité, les trois éléments sont interdépendants en fonction des significations que donnent les acteurs qui réalisent l'agriculture de type Ikigai. Cela est notamment le cas en ce qui concerne les critères de la qualité de vie.

Toutefois, ce modèle peut nous eclaircir la frontière entre l'agriculture de type Ikigai, l'agriculture de type loisir (jardinage) et l'agriculture de type professionnel (industriel). C'est pourquoi un seul élément ne semble pas pouvoir constituer l'agriculture de type Ikigai telle qu'elle est conçue par le Projet Nô-Life : car cela deviendrait soit un simple loisir (pour la qualité de vie), soit une production agricole de type industriel. Puis, il est supposable de réaliser l'agriculture de type Ikigai uniquement dans le but d'avoir le lien social et territorial. Par exemple, dans le cas des personnes qui cultivent leurs terrains par obligation en terme de gestions foncière (nous l'avons vu dans la partie de l'acteur 4 : BDPA), ou de celles qui essaie de s'impliquer dans le monde agricole ou d'avoir une activité relevant de l'agriculture ou de la ruralité dans le but d'une contribution sociale. Nous verrons divers types de représentations portées par les stagiaires dans le Chapitre 3.

Quant à la variante 3, elle n'est réalisable que si le critère de la qualité de vie (satififaction individuelle) et la production matérielle vont parfaitement de pair.

Si ce tableau n'est pas construit pour établir une définition objective et figée de l'agriculture de type Ikigai, il pourra nous servir comme outil analytique des représentations sous-tendant sa construction au sein des acteurs « porteurs » de ces représentations.

L'origine de l'idée centrale du projet : « `Nô'(l'agriculture ou la ruralité) en tant qu'Ikigai (sens de la vie) »

L'origine de l'idée centrale du projet, celle de « `Nô'(l'agriculture ou la ruralité) en tant qu'Ikigai (sens de la vie) » qui relie le problème du vieillissement à celui de la ruralité, est-elle plutôt descendante ou ascendante par rapport à la position des acteurs impliqués dans le processus concret de la construction du projet ?

Terminologie : « Nô » et « Ikigai »

Avant de répondre à cette question, nous essayons d'examiner la définition des notions en question : « Nô » et « Ikigai », dont chacun a des traits spécifiques au niveau de l'origine, des idées et de l'usage.

« Nô : \u-28750ÒÜ »

L'usage du terme « nô » est relativement récent et peu habituel dans le langage courant en japonais. En effet, comme nous l'avons déjà évoqué, le « nô » ne constitue pas un mot à lui seul, il ne constitue un mot qu'en combinaison avec « gyô (métier ; affaire) » : « nôgyô (agriculture) » ; avec « son (village) » : « nôson (ruralité ; villages ruraux) » ; avec « ka (personne exerçant un métier ; professionnel » « nôka (ferme ; agriculteur) » et avec « min (peuple) » : « nômin (paysan) ».

Donc, le terme « nô » est souvent utilisé entre parenthèse tel que « `nô' teki na mono (quelque chose de `nô') » signifiant « quelque chose d'agricole ou de rural ». Ainsi, Hamaguchi et Sagaza, sociologues japonais, tentent de définir ce terme en abordant le phénomène du « teinen kinô (retour à la terre après la retraite) » qui est un sujet d'actualité très animé par les médias au Japon ces dernières années678.

D'après Hamaguchi et Sagaza, la signification du « kinô (retour à la terre) » tel qu'il peut s'observer aujourd'hui au Japon, ne se limite pas à mener des activités agricoles comme profession. Ils relèvent que, selon un résultat d'enquête, la majorité des personnes qui veulent mener une vie rurale après la retraite ne souhaitent que mener des activités comme un prolongement du jardinage (tout comme nous l'avons constaté dans le résultat de l'enquête effectuée par le BPA et le CLFS auprès des salariés de la Ville de Toyota en 2003)679. Ils donnent comme exemple : la location de terrains de près de 10 ares chacun pour les cultiver ; la location d'une parcelle de jardin citoyen. Puis, ils donnent d'autres exemples en dehors du milieu des retraités : élèves de l'école primaire apprennant à planter le riz ; établissements pour les soins aux personnes âgées dépendantes appliquant le jardinage comme méthode de soin aux personnes âgées ; développement du tourisme vert etc. Hamaguchi et Sagaza entendent par l'expression de « s'impliquer dans `nô' (nô to kakawaru) » cette diversité des manières d'aborder l'agriculture680.

Par ailleurs, d'après la définition de Katsuo OTSUKA qui a publié en 1997 un ouvrage intitulé « L'ère de vivre de manière `nô' (nô-teki ni ikiru jidai) », la « vie de `nô' (nô-teki seikatsu) », ne signifiant pas la vie agricole ni la vie en milieu rural, cela siginife « une manière de vivre respectueuse de la nature, protectrice de l'éco-système, respectueuse de la vie même, et non artificialisée681 ». Et ceci est « un style de vie qui, en reconsidérant la destruction de la nature, la dégradation de l'environnement, l'anthropo-centrisme, le technocrato-opportunisme et le matérialisme dépendant des valeurs matérielle et monétaire, accorde de l'importance à la cohabitation entre la nature et l'homme, la conservation de l'alimentation et de l'environnement et à la vrai richesse, puis, tente d'introduire le plus possible les éléments de `nô ' dans la vie quotidienne682. »

Enfin, Hamaguchi est Sagaza établissent le lien entre le « nô » et l'idée de la multifonctionalité. La montée d'une prise de conscience de l'idée de « nô » parmi la population japonaise relève du fait que « non seulement les habitants locaux concernés, mais toute la population ont commencé davantage à comprendre l'impact de la multifonctionalité de l'agriculture sur elle-même »683. Selon eux, « nô » est une condition nécessaire afin que la population puisse bénéficier de la multifonctionalité. (« c'est à travers nos diverses implications à `nô ' que nous pouvons bénéficier de cette multifonctionalité684 ».)

En bref, après ce survol de la réflexion menée par Hamaguchi et Sagaza, nous pouvons retenir que le `nô' est un terme récemment employé au Japon afin de redéfinir l'agriculture et la ruralité, dans une dimension de la relation entre la multifonctionalité de celles-ci et toute la population.

678 D'ailleurs, le « teinen kinô » est un terme inventé par un journaliste dans la revue « gendai nôgyô (agriculture

contemporaine) » en 1998. Depuis lors, ce terme fut rapidement diffusé dans les médias japonais et reconnu comme terme courant

pour désignier le fait que les retraités salariés commencent à mener des activités agricoles ou à s'installer en milieu rural pour

passer leur vie à la retraite (Hamaguchi, Sagaza , 1994 : p.95)

679 Ibid.: p.95.

680 Ibid. : p.95-96

681 Otsuka (1997) cité par Hamaguchi et Sagaza, Ibid. : p.109

682 Ibid.

683 Ibid : p.108.

684 Ibid.

« Ikigai : \u29983ßæ#172; »

Le terme d'Ikigai signifie litéralement le « sens de la vie » ou la « valeur de la vie ». Etant un terme courant dans la langue japonaise, ce terme implique diverses interprétations en sciences sociales, et peut éventuellement provoquer des débats épistémologique pour sa définition. Sans entrer dans les détails dans ces débats, nous allons essayer de clarifier les contours de sa définition en se référant à deux auteurs japonais qui ont mené des réflexions sur cette notion d'Ikigai.

Ikigai en sociologie

D'abord, le sociologue Hamaguchi (le même auteur que celui que nous avons vu plus haut) relève les trois conditions pour la réalisation d'Ikigai dans la société contemporaine et quatre variantes de cette réalisation, dans son ouvrage intitulé « Ikigai sagashi : taishû chôju shakai no jilenma (Recherche d'Ikigai : dilemme de l'ère de la longévité de masse) ».

Les trois conditions pour la rélisation d'Ikigai sont déterminées par les facteurs objectifs et subjectifs (voir le tableau ci-dessous)

Tableau : conditions d'Ikigai685

Conditions objectives Conditions subjectives

Première
condition

Manque : maladie, pauvreté
ignorance, contrainte

Insatisfaction : solitude, souci,
futilité, inertie

Deuxième
condition

Suffisance

Satisfaction

Troisième
condition

Abondance : santé, richesse,
culture, liberté

Volonté : création, service,
réalisation de soi, accomplissement,
spotanéité, plénitude

La première condition d'Ikigai est la « sortie du malheur » consistant notamment à surmonter le manque ou l'insatifaction686. En réalité, il s'agit d'une réalisation appropriée de l'élevation de la productivité et de l'établissement du système de la sécurité sociale.

La deuxième condition est le « maintien de la stabilité » consistant à la tentative incessante du développement sans se satisfaire de l'état présent687.

La troisième condition est la « réalisation de la possibilité plus grande » comme l'innovation dans les styles de vie et des modes de pensée688. Il s'agit de l'amélioration de la qualité de vie.

Puis, ce qui caractèrise Ikigai dans la société contemporaine est la variabilité selon les couches sociales, l'âge, la composition familiale, la profession et le sexe etc689. Hamaguchi distingue la forme d'Ikigai dans la société contemporaine, de celle dans la société traditionelle. Dans la société traditionnelle, Ikigai ne peut pas être choisi, et il est déterminé par le statut (féodal) de la personne dès la naissance tels que paysan et fils de samourai etc690. Dans une telle société où les gens n'envient pas les autres, Ikigai est invariant et prédéterminé selon les statuts sociaux.

Dans la société contemporaine, Ikigai est marqué par le choix de style de vie et par la mobilité, ce qui fait sa variabilité691. Et l'écart entre individus s'agrandit en fonction des compétences et des chances, et les gens

685 AOI, K. (1970), Seikatsu kôzô no riron (Théorie de la structure de la vie), Yûikaku : p.69, cité par Hamaguchi, 1999 : p 235.

686 Hamaguchi, 1999 : p.235

687 Ibid.

688 Ibid.

689 Ibid. : p.236.

690 Ibid.

691 Ibid.

s'envient de plus en plus les uns les autres. Dans une telle société, il y a plus de risques, car les gens peuvent mettre en question le sens de la richesse, et ainsi la perdre. La réponse que l'individu donne à cette question détermine son style de vie, ce qui déterminera finalement son Ikigai.

Ensuite, Hamaguchi présente quatre variantes de la réalisation d'Ikigai dans la société contemporaine. Concernant ces variantes, il donne les quatre facteurs suivants : direction de l'action orientée vers l'intérieur (valeur de la satisfaction) ; direction de l'action orientée vers l'extéiruer (valeur de la contribution) ; sentiment (kibun) ; foi (shinen)692. Voici les quatres types de la réalisation d'Ikigai dans le tableau ci-dessous.

Tableau : quatre types de l'expérience d'Ikigai693

Direction

 
 

Valeur de la satisfaction

Valeur de la contribution

Psychologie

Sentiment

Type I

Type II

Foi

Type II

Type IV

Le type I consiste à la satisfaction dans la vie privée694. Un grand nombre de personnes correspondent à ce type. Le type II consiste à déployer la compétence individuelle dans le travail (ou le ménage) afin de se mettre en valeur pour soi-même695. Le type III correspond aux personnes qui mènent leur vie de manière indépendante des appréciations faites par les autres (comme une vie purement spéculative ou conservatrice)696. Le type IV consiste à s'orienter vers l'avenir ou le progrès avec des objecifs ambitieux de vie. Et les gens combinent ainsi quelques unes de ces quatres variantes pour leurs expériences d'Ikigai697.

Enfin, Hamaguchi relève que l'argumentation sur Ikigai grandissante dans la société japonaise est le reflet du dilemme de la population entre le bonheur et le malheur qu'elle a vécus dans la société contemporaine. Et la recherche d'Ikigai consiste à se poser la question sur le sens de la vie.

Cette conceptualisation sociologique d'Ikigai apportée par Hamaguchi montre bien l'idée qu'implique la notion d'Ikigai dans la société moderne et contemporaine. Dans son approche, le terme d'Ikigai est d'abord marqué par le stade post-industriel où la société contemporaine (japonaise) est centrée sur le choix du style de vie et l'amélioration de la qualité de vie, à condition de passer les deux stades antérieurs (sortie du malheur, maintien de la stabilité).

Nous pouvons mettre en parallèle l'approche de Hamaguchi et l'approche de la SCI qui, tout en reconnaissant l'importance de la subjectivité jouant sur les critères d'Ikigai, définissait les types des mesures pour la création d'Ikigai des personnes âgées par l'éducation permanente (apprentisage), la contribution sociale (participation) et le travail (production). Les quatres variantes de l'expérience d'Ikigai montrées par Hamaguchi semblent avoir notamment des points communs avec les types II et IV dont le facteur est la « direction de l'action orientée vers l'extérieur ».

Ikigai en anthropologie

Ensuite, nous allons voir brièvement une réflexion critique sur la notion d'Ikigai menée par le célèbre anthropologue japonais Tadao UMESAO. Tout en reconnaissant avoir contribué à « produire la mode du débat sur Ikigai » vers la fin des années 60 dans les médias japonais, il mena une réflexion critique sur le fondement épistémologique des débats sur la notion d'Ikigai tel qu'ils étaient menés à cette époque au Japon, dans une conférence qu'il a donnée en 1970698.

692 Ibid. : p.238

693 Ibid. : p.239.

694 Ibid. : p.238.

695 Ibid.

696 Ibid. : p.239

697 Ibid.

698 Umesao, 1985 : p.87

En fait, il relève deux approches extrèmes pour l'argumentation sur Ikigai, lesquelles sont dangereuses, car porteuses de l' « irresponsabilité » vis-à-vis de l'accumulation future des résulats de la recherche d'Ikigai699.

D'une part, il y a la tendance ultra-subjectiviste et relativiste qui prétend accorder la valeur absolue à l'aspect mental d'Ikigai. Selon lui, cette approche est inconvéniente pour aborder Ikigai comme problème de l'être-humain constituant une existence totale dotée du corps et de l'esprit ou, comme problème du mode de vie des individus dans la société réelle700. Si on refoule tous les facteurs déterminants d'Ikigai à la satisfaction mentale ou à la subjectivité, cela peut être tout et n'importe quoi au détriment de la situation objective.

D'autre part, il y a la tendance ultra-structuraliste qui accorde la valeur absolue à l'utilité de la vie (utilitarisme) ou à la production matérielle (productivisme industriel ou agricole).

Pour expliquer ceci, Umesao évoque, par exemple, qu'à l'époque féodale au Japon, les samouraï avaient tous « shini gai (sens de la mort) » pour mener leurs batailles, ce qui constitue l'inverse d' « Ikigai (sens de la vie) »701. Ils se battaient pour ensuite avoir une récompense (fief) de la part de leur seigneur après. Et la mort d'un samouraï sur un champ de bataille avait une grande valeur, et permettait à ses fils de recevoir la plus grande récompense comme l'accession à un statut plus supérieur. Dans le monde contemporain, il évoque le contexte où les entreprises japonaises veulent augmenter la motivation de leurs salariés par le biais de l'idée d'Ikigai702. Le fait de se motiver pour le travail et le fait de trouver Ikigai dans ce travail sont très proches selon Umesao. Cette logique où une organisation organise les individus en leur distribuant une série d'objectifs différents, risque de mener la société jusqu'à une sorte de système totalitaire de fait703.

Et le productivisme relève non seulement de l'industrialisme japonais, mais également de l'agriculture comme dans l'idéologie agrarienne (Nôhon shugi) apparue lors du régime totalitaire qui revendiqua que le fondement de l'Etat résidait dans l'agriculture704. Il avertit notamment du danger écologique que ce type de pensées risque de provoquer en donnant de nombreux exemples.

Umesao qualifie ces deux types d'approches constitutives des débats sur Ikigai de « hiérarchisation des objectifs de la vie (jinsei no mokuteki taikeika) ». Pour Umesao, ces approches viennent donner un objectif à ce qui n'a pas d'objectif en soi, par exemple la famille705.

Enfin, en défendant la nécessité de sortir de ce type de pensée, il nous propose de passer à la pensée de Lao-Tseu (taoisme) qui dépasse totalement de ce type d'approches, en rejetant l'idée de devoir être utile dans la société ou de devoir achever un objectif dans la vie...

Sans entrer dans les débats profonds sur la définition d'Ikigai, il est intéressant de retenir la critique d'Umesao sur la dichotomie constituant une sorte de continuum (« hierarchisation des objectifs »), qu'implique la pensée d'Ikigai. Car, dans le contexte du Projet Nô-Life, nous pouvons mettre en parallèle les deux extrémités de l'approche d'Ikigai relevées par Umesao, le subjectivisme (mental) et le structuralisme (utilitarisme ou productivisme), appraissent d'un côté sous la forme d'une recherche de l'intérêt général mettant l'accent sur la satifsaction individuelle (ou la santé mentale), d'un autre côté sous la forme de la recherche de l'intérêt des acteurs du secteur agricole. Ce qui constitue l'ambivalence ou la contradiction interne de la définition de l'agriculture de type Ikigai dans le Projet Nô-Life.

« Nô -Life »

699 Ibid. : .p.84-88

700 Ibid. : p.74-78.

701 Ibid. : p.66-74

702 Ibid. : p.81-84.

703 Ibid. Là, nous pouvons évoquer le régime totalitaire japonais qui permettait aux soldats de faire Kamikaze lors de la guerre pacifique...

704 Ibid. : p. 128-13 3 Pour Umesao, l'industrialisme japonais qui donne la plus grande valeur à la production matérielle est

également une pensée « réactionnaire (handô) » due à la situation de la société post-industrielle où la valeur centrale est de plus en

plus accordée à l'information, plutôt qu'aux produits industriels.

705 Cela renvoie à la notion de la sociologie allemande « Gemeinschaft » comme les organisations humaines qui existent

naturellement dans la société, par opposition à la « Geselleschaft » déterminé par les objectifs artificiels (Ibid. : p.301-302)

Quant au terme « Nô-Life » qui est inventé par la Municipalité de Toyota pour monter le Projet Nô-Life, nous pouvons supposer que la partie de `nô' a été reprise dans le sens du terme que nous avons étudié plus haut, c'est-à-dire les éléments de l'agriculture et la ruralité impliquant les diverses manières d'établir des rapports entre la population et ces éléments. Puis, la définition de Otsuka qui établit le rapport entre la réalisation de la multifonctionalité et le `nô' a également un trait commun avec le contexte du Projet Nô-Life : le Plan de 96 était avant tout marqué par l'idée de la multifonctionalité. Et l'agriculture de type d'Ikigai était considérée comme un moyen de la réalisation de la multifonctionalité.

Puis, la partie de « Life » semble être liée au terme de « Life style » qui évoque la caractéristique donnée par Hamaguchi sur Ikigai dans la société contemporaine. Ce terme implique également l'importance du choix individuel comme déterminant de ce Life style (style de vie)

Enfin, à partir de ces analyses, nous pouvons supposer la nuance que le terme « Nô-Life » implique dans l'idée : les individus s'impliquent de diverses manières dans l'agriculture et la ruralité tout en choissisant leur style de vie individuel.

Généalogie de l'idée de l'agriculture de type Ikigai

Revenons sur le contexte de la construction du Projet Nô-Life. Nous allons maintenant tenter de rechercher l'origine de l'idée de l'agriculture de type Ikigai au sein des acteurs concernés.

Racine agricole et rurale

Dans le milieu agricole et rural, nous pouvons trouver des formes initiales de l'agriculture de type Ikigai en remontant à la période bien antérieure à l'établissement du Plan de 96.

Sur ce point, nous avons interrogé Monsieur O qui est ingénieur retraité de l'Institut Départemental de la Recherche Agronomique (IDRA), et actuellement invité comme enseignant dans la formation Nô-Life. Il a commencé sa carrière en tant que conseiller agricole pendant trois ans dans la coopérative agricole d'Inabu706. Il a ensuite été conseiller agricole dans un Centre pour l'Amélioration et la Vulgarisation agricole (ECV) dans le département d'Aichi. Puis, après avoir passé un coucours national pour devenir ingénieur spécialisé dans la production du riz, il est devenu ingénieur agricole dans l'IDRA qui dirige les conseillers agricoles au sein des Centres pour l'Amélioration et la Vulgarisation situés dans le département d'Aichi. Il a pris sa retraite à l'âge de 60 ans en 1997. Ainsi, il a travaillé au total pendant 40 ans comme conseiller et ingénieur agricole dans le département d'Aichi.

Il nous a expliqué que dans un projet qu'il a dirigé dans le cadre d'un projet qu'il a dirigé dans le cadre d'un projet d'un ECV de la Ville d'Anjô707 à la fin des années 80, les deux types d'agriculture : industriel et ikigai étaient déjà définis. La thématique principale de ce projet était de créer une « agriculture qui peut payer le salaire (hôshû no shiharaeru nôgyô) ». A cet effet, dans un Plan fondamental de l'ECV, il a divisé les zones agricoles situées dans le territoire concerné, en ces deux type d'agriculture, par le critère de la rentabilité potentielle.

Concernant l'agriculture de type industriel, la thématique était notamment de payer suffisamment de salaire au partenaire du gestionnaire de l'exploitation, c'est-à-dire l'épouse. Le montant du salaire visé pour un partenaire que Monsieur O nous a donné, était de 150 000 - 200 000 yens (environ 1000 - 1333 euros) par mois. Par contre, la catégorie de la population agricole ciblée pour l'agriculture de type d'Ikigai était bien les femmes et les personnes âgées au sein des foyers agricoles pluriactifs. Le montant de revenu varie selon les cas, mais il était au minimum de 800 000 - 1 000 000 yens (environ 5333 - 6666 euros) par an. Ceci, d'après l'expression de Monsieur O, en sorte que les personnes âgées « puissent offrir de l'argent de poche à leurs petits enfants ». Derrière ce projet, il y avait également un contexte où la revendication de la participation sociale des femmes était grandissante. Ce projet a connu un grand succès si bien que plus tard le « modèle d'Anjô » fut diffusé dans

706 Inabu est un village situé dans la zone de moyenne montagne ayant fusionné avec la Ville de Toyota en 2005.

707 La ville d'Anjô est une région agricole en plaine située au Sud-est de Toyota.

tout le Japon plus tard. « Pour cette époque-là, dit Monsieur O, ça a vraiment fait date ».

Nous pouvons situer cette histoire de Monsieur O dans la continuité avec le contexte du Projet Nô-Life. D'abord, nous pouvons la mettre en parallèle avec l'expérience du « Marché du mardi soir » que Monsieur S a connu depuis le début des années 80 dans la Coopérative agricole de Matsudaira située dans une zone de moyenne montagne. L'objectif était également de permettre aux femmes et aux personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs de gagner un revenu agricole708.

Donc, dans les années 80, l'idée de l'agriculture de type Ikigai était déjà bien présente dans les actions menées par les agents du secteur agricole afin de développer la production agricole par les femmes et les personnes âgées des foyers agricoles qui étaient marginaux par rapport aux exploitations professionnelles. Puis, il faut remarquer que, dans ces deux tentatives, l'importance était bien accordée au but lucratif de la production agricole. Et la valeur d'Ikigai était présente dans le sens où elle sert à motiver cette population à bien mener leur production agricole.

Le concept de « Second Life Academy » que Monsieur S a proposé plus tard pour le Plan de 96, était également adressé aux personnes des foyers agricoles pluriactifs (dans l'idée de Monsieur S), mais cette fois-ci, les retraités salariés, à savoir les hommes.

Nous pouvons ensuite remarquer que l'objectif du montant de revenu agricole annuel fixé par le Projet Nô-Life pour les stagiaires est le même montant que celui qui était fixé dans le projet que Monsieur O avait dirigé à Anjô : environ 100 000 yens (6666 euros). Est-ce une coincidence ? Nous n'avons pas posé cette question aux acteurs, mais nous pouvons constater un trait commun entre le Projet Nô-Life et ces approches historiquement menées par les agents du secteur agricole. De ce point de vue, nous pouvons considérer que l'agriculture de type Ikigai telle qu'elle est conçue par le Projet Nô-Life se situe dans la même ligne que la politique de la modernisation agricole, dans le sens où le seul critère de la productivité (rentablilité) détermine le type de production agricole.

Il faut admettre que, si nous pouvons entendre la « crise » agricole par la stagnation de la production agricole due au problème de la surproduction (réduction de la surface rizicole), et à l'avancement du phénomène de la pluriactivité dans les territoires de la Ville de Toyota ou de la Ville d'Anjô, les tentatives du développement de l'agriculture de type Ikigai venaient compléter la politique de la modernisation productiviste qui s'avérait en partie défaillante, plutôt que pour la mettre en cause ou la changer. Et le terme d'Ikigai semble avoir bien été efficace pour engendrer cette politique aussi bien du côté des agents (une valeur morale et productiviste) que du côté des producteurs cibles (motivation).

Cependant, il ne faut pas oublier que, du côté des producteurs cibles (foyers agricoles pluriactis à faible productivité), nous avons supposé trois éléments qui pouvaient également être facteurs de leurs actions : besoin d'autonomie socio-économique ; motivation pour continuer la production agricole ; maintien de l'identité professionnelle en tant que Nôka (agriculteurs / agricultrice ou foyer agricole). (voir la partie de l'acteur 3)

Enfin, la politique de l'agriculture de type Ikigai s'est ainsi effectuée donc par l'interaction entre les agents du secteur agricole (ECV, CAT) et les producteurs cibles. Et l'idée de l'agriculture d'Ikigai a pu se constituer dans ce jeu d'interaction, un outil symbolique très subtil et efficace pour gérer une situation d'incertitude du secteur agricole ou une crise agricole. Ceci tout en permettant à la politique de la modernisation agricole antérieure de réparer sa « panne » constituant la cause de l'incertitude ou la crise, et de se rejustifier ainsi pour pouvoir poursuivre une politique de même nature qu'avant.

Racine urbaine

Du côté du milieu urbain, comme nous l'avons vu, le terme d'Ikigai était déjà en vogue dans les médias japonais dès la fin des années 60 : époque de la haute croissance économique où commençait à grandir l'interrogation sur l'amélioration de la qualité de vie des salariés ou sur la motivation pour le travail.

708 Dans le cas du Marché du mardi soir, l'activité suscitée était la vente directe des produits du terroir.

Ikigai dans le milieu syndical japonais des années 70

Pour mieux appréhender le contexte social où le terme Ikigai prenait un sens particulier dans son usage, nous pouvons évoquer que ce terme était massivement employé dans le milieu syndical japonais dès les années 70. Citons le célèbre reportage de Satoshi KAMATA qui nous le confirme. Ce reportage, intitulé « Jidôsha zetsubôkôjô (Usine automobile du désespoir) » a decrit, en se basant sur sa propre expérience d'ouvrier saisonnier de 1972 à 1973 dans une usine de l'Automobile Toyota dans la ville de Toyota, la réalité des conditions du travail et la vie des ouvriers des usines de l'Automobile Toyota709.

Dans ce reportage, Kamata cite une annonce publiée dans « Shûkan toyota (Toyota hebdomadaire) » qu'il a trouvé par lui-même le 9 octobre 1972 dans l'usine où il était employé710. Cette annonce montre, dans le contexte du mouvement de la réunification des syndicats ouvriers du secteur automobile dans la « Fédération générale automobile (Jidôsha sôren) » en 1972, le slogan de cette Fédération, qui était le suivant « Par l'établissement d'une organisation sectorielle, réalisons une société de providence où sont présents Ikigai et le Sens du travail (hataraki gai) (sangyô betu soshiki wo kakuritsu si, hatarakigai ikigai no aru fukushi shakai no jitsugen wo hakarô) »71 1 . Puis, quatre « bases de mouvement (undô no kichô) » et deux « principes des activités concrètes (gutaiteki katsudô hôshin) » sont présentés de la manière suivante :

« Bases de mouvement » : a. Réalisation de la société de providence ; b. Recherche du Sens du travail (hatarakigai) et Ikigai ; c. Etablissement d'une organisation sectorielle puissante ; d. Démocratisation de l'industrie.

« Principes des activités concrètes » : a. Elevation du niveau de vie ; b. Renforcement des activités pour la politique industrielle712

La politique des syndicats ouvriers de Toyota et de la Fédération générale automobile était marquée par sa position de « Coopération (kyôchô) » et non par la lutte de classe. Pour eux, la relation employeur-employé était officiellement considérée comme « une relation humaine »713. Ainsi, la grève n'a été effectuée qu'une seule fois (en 1949) jusqu'à nos jours par les syndicats de l'Automobile Toyota. Plus tard, la Fédération générale automobile jouera un rôle central pour créer Rengô en 1989.

Selon la description de Kamata, à l'époque où il était employé, le syndicat ouvrier de Toyota mettait de plus en plus l'accent dans sa revendication sur la « restauration d'Ikigai » par le biais de l'augmentation du loisir des employés, au lieu de mettre en cause le problème du travail même, comme le mode de production et les conditions de travail714.

A partir de cette illustration, nous avons pu constater un mode d'emploi du terme Ikigai qui sert d'outil symbolique bien efficace pour une meilleure intégration du salariat dans l'entreprise japonaise. Et ceci sans remettre en cause le productivisme capitaliste. De là, nous pouvons également comprendre le contexte sur lequel Umesao basait sa critique de la notion d'Ikigai.

Ikigai et politique du vieillissement

Puis, dans la politique à l'égard du vieillissement de la population, la Municipalité de Toyota a formulé en 1989 comme ci-après dans son plan intitulé « Perspective pour une société longévitale de la Ville de Toyota (Toyota-shi Chôju Shakai Kihon Kôsô) » : « Viser une société de coexistence où (...), tout le monde devient autonome et peut partager le plaisir de vivre ».(voir la partie de l'acteur 2) Et en 1993, elle a employé le terme

709 Kamata, 1983. Cet ouvrage a été traduit en français par Jean-Louis FOLGOET comme Toyota : l'Unine du désespoire. Journal

d'un ouvrier saisonnier (1976), Les éditions ouvrières.

710 Kamata, 1983 : p.77-78.

711 Ibid.

712 Ibid.

713 Ibid. : p.253

714 Ibid. : p.171; 223.

Ikigai ainsi : « Une société de coexistence qui nous permet de maintenir une vie sociale et d'avoir Ikigai même si l'on devient grabataire. » (idem)

L'idée pour cette formulation est basée sur le renforcement de l'autonomie et le maintien du lien social face aux risques du vieillissement comme la dépendance et l'isolement.

La mise en relation de cette idée avec les éléments de `nô' était progressivement apparue par des pratiques fragmentaires comme le succès des jardins familiaux. Et la proposition de Monsieur S de « Second Life Academy » pour le Plan de 96 a fait date dans le sens où il a établit le lien entre la thématique du vieillissement de la population et celle de la crise agricole (foyers agricoles pluriactifs de plus en plus âgés). Ainsi, le Plan de 96 accorda une nouvelle valeur aux thématiques de la politique agricole (développement agricole et conservation des terrains agricoles) : « Ikigai - loisir (Ikigai - Yoka) : lieux de l'éducation sociale ; lieux d'Ikigai et de maintien de la santé des personnes âgées ; offrir des lieux d'activités de loisirs des citoyens pour un développement urbain équilibré ».

La politique d'Ikigai pour les personnes âgées et la politique agricole se sont ainsi croisées sous la forme de l'idée de l'agriculture de type Ikigai.

Nous pouvons d'abord considérer, comme il a déjà été dit plus haut, cette hybridation d'idées comme l'oeuvre d'un brilolage effectué par des agents de la politique publique locale basée sur sa situation locale et concrète (voir plus haut la partie de « Elaboration de l'ensemble des actions concrètes pour la construction du Projet Nô-Life »). Dans ce sens-là, nous ne pouvons pas parler de cette politique en terme de l'imposition directe d'une politique quelconque d'en haut.

Cependant, cette oeuvre politique est également le fruit d'une série de transactions effectuées entre agents de différents champs sociaux à base territoriale. Nous n'allons pas répéter ici tous les agents qui étaient impliqués dans le processus de la construction du Projet Nô-Life. (voir également plus haut la même partie)

Concernant le Projet Nô-Life, nous avons constaté qu'une idée constitutive du Projet Nô-Life (production avec but lucatif à l'aide d'une motivation d'Ikigai) s'enracine dans la politique historique des agents du secteur agricole. Dans ce sens, le Projet Nô-Life assume indirectement un poids de l'idée productiviste provenant de la politique de la modernisation agricole.

De ce fait, nous pouvons comprendre pourquoi, dans le document final définissant la forme et le contenu du Projet Nô-Life dans le cadre des politiques des Zones spéciales (nous l'avons étudié dans la partie de l'acteur 1), le mot de la multifonctionalité était carrément disparu en mettant fortement l'accent sur l' « effet économique » 715 du Projet Nô-Life indicant l'objectif donné aux stagiaires de dégager un million de revenu agricole annuel.

En tenant compte de ce poids, les trois éléments constitutifs de l'agriculture de type Ikigai que nous avons illustré dans un schéma plus haut (Qualité de vie ; Lien social et territorial ; Production matérielle) pourront-elles être compatibles non seulement aux yeux des agents gestionnaires du Projet ou concernés, mais également à l'épreuve des divers intérêts des stagiaires de la formation Nô-Life ? Telle sera notre question centrale du Chapitre 3...

Relation établie entre acteurs

Quelle relation fut établie entre les acteurs à travers ce processus de la construction du Projet ? Pour répondre à cette question, nous allons d'abord constater les positions des sept acteurs institutionnels telles qu'elles ont été établies au niveau représentationnel dans le processus de la construction de l'agriculture de type Ikigai.

Plus haut, nous avons déjà spécifié les variantes correspondantes à chacun des septs acteurs institutionnels dans le schéma représentationnel de l'agriculture de type Ikigai que nous avons établi. Ce schéma ci-dessous montre leurs prises de position dans le processus de la construction du Projet Nô-Life.

715 Ville de Toyota (2003) « Plan pour les Zones spéciales de la Réforme structurelle » : P.4.

Dans ce schéma, nous repérons donc les trois positions suivantes parmi ces sept acteurs institutionnels :

1. Intérêt général et agricole cherchant à rendre compatible les trois éléments (BPA et BDPA)

2. Intérêt du secteur agricole cherchant à utiliser le lien social et territorial au profit de la production agricole (CAT, GASATA et ECV). Parmi eux, l'ECV (vulgarisateur agricole) penche plus du côté de la production matérielle. Tandis que le GASATA (groupement d'arboriculteurs professionnels) cherche plus à développer et diversifier le lien social et territorial pour maintenir leur zone de production frutière dans une situation de crise.

3. Intérêt général mais avec peu de lien avec l'agriculture, cherchant à améliorer la qualité de vie de la population locale âgée via le développement du lien social et territorial. L'agriculture de type Ikigai peut

Schéma : positions des acteurs institutionnels dans le
schéma représentationnel de l'agriculture de type Ikigai

Lien social et

V. 4 Production matérielle

territorial

SCI

CLFS

V. 2

Qualité de vie

BPA* BDPA

CAT* ECV GASATA

V. 1

V. 3

*BPA et CAT sont les co-gestionnaires du Projet Nô-Life.

partiellement servir à cet intérêt. (SCI et CFLS)

Cette divergence d'intérêts des acteurs institutionnels n'est évidemment pas sans rapport avec la différence ou la division objective de leurs rôles institutionnels respectifs. Mais cela n'est ni figé ni mécanique, quand nous les situons dans un processus socio-local d'une politique spécifique. Cela est vrai d'autant plus que la situation de l'agriculture de type Ikigai est émergente ces dix dernières années et qu'elle est encore en train de se transformer dans le contexte du vieillissement acceléré de la population. Autrement dit, nous sommes amenés à voir ce processus comme un systéme dans un contexte spatio-temporellement limitée, dans lequel chaque acteur peut agir et communiquer en interaction avec les éléments extérieurs et intérieurs y compris ces acteurs eux-mêmes et les objets concernés716.

Nous reprérons là une relation de « coopération » mais basée sur une telle divergence de positions représentationnelles. Nous essaierons d'abord d'eclairer cette relation en terme de « compromis », dont la définition est élaborée notamment par Boltanski et Thévenot de manière à le traiter comme un concept sociologique par exellence tout en dépassant le sens habituel du terme comme un simple acte d'arrangement basé sur des concessions mutuelles.

716 Dans ce sens, l'introduction suivante de P. Bourdieu pour parler du « champ des pouvoirs locaux » est eclairante : « De même que la `politique du logement' est au niveau central, le produit d'une longue suite d'interactions accomplies sous contraintes structurales, de même, les mesures réglementaires qui sont constitutives de cette politique seront elles-mêmes réinterprétées et redéfinies au travers d'une nouvelle série d'interactions entre des agents qui, en fonction de leur position dans des structures objectives de pouvoir définies à l'échelle d'une unité territoriale, région ou département, poursuivent des stratégies différentes ou antagonistes. » (Bourdieu, 2000 : 155)

Relation de compromis

Pour comprendre la relation établie entre les acteurs institutionnels du Projet Nô-Life, la notion de compromis nous paraît pertinente. Sur cette notion, L. Boltanski et L. Thévenot donnent une définition claire à cette notion. Pour notre examen, nous suivrons l'explication donnée dans un ouvrage récent de M. Nachi qui nous apporte un bon éclaicissement sur la sociologie de Boltanski717. D'après M. Nachi, ce sont Boltanski et Thévenot qui donnèrent à la notion du compromis une place centrale dans la sociologie718.

Approche du Bien commun : construction d'accords contraignants

Le compromis constitue une des trois figures de l'accord avec l'arrangement et la relativisation. Le point commun de ces trois figures est qu' « ils se présentent comme une alternative lorsque la sortie de crise devient impossible719 ».

L'arrangement est défini comme un « accord contingent » qui n'a pas de justification en commun entre les personnes qui procèdent à cet arrangement. Il s'arrange uniquement sur la base de leurs intérêts respectifs. Il est donc relativiste720.

Puis, dans la relativisation, on suspend l'accord afin d'éviter le désaccord et de détendre la situation721.

A la différence de ces deux formes de l'accord, le compromis ne se base pas uniquement sur les intérêts particuliers des personnes qui entrent en compromis, mais il se base sur un « bien commun » qui ne relève ni de l'une ni de l'autre partie, mais comprend les deux722.

Donc, le compromis implique nécessairement une pluralité de grandeurs ayant chacune une part de justification dotée d'une généralité spécifique. La définition du compromis est ainsi donnée par Thévenot : « une action soumise à des contraintes plus fortes, cherchant à être justifiable - ou raisonnable - et à s'inscrire dans un équilibre global723 ». Puis, en visant un bien commun, le compromis a pour objectif de résoudre le conflit, la tension, le désaccord entre des personnes appartenant à différentes grandeurs. Donc, dans une situation de compromis, des contraintes et des conflits entre les parties sont indissociables724.

Puis, la situation du compromis est complexe et hybride, car elle est marquée par la présence d'objets hétérogènes725. Et ce bien commun suppose des motifs visant une construction et une manifestation d'accords plus ou moins durables726.

Ambiguïté : contraintes et question de compatibilité

Une des caractéristiques du compromis réside dans l'ambiguïté de son principe. Celle-ci du fait que les

717 NACHI, M. (2006), « D'une pragmatique du compromis à une phéoménologie de l'arrangement » (Chapitre IV), Introduction à la sociologie pragmatique : vers un nouveau « style » sociologique ?, Paris, Armand Colin : p.173-185. Dans cette partie sur le compromis, il se base principalement sur l'ouvrage suivant : BOLTANSKI, L., THEVENOT, L. (1991), De la justification. Les Economies de la grandeur, Paris, Gallimard.

718 Chez Boltanski et Thévenot, « il est même érigé au rang d'un concept central et bénéficie d'une réflexion de la plus grande importance » (Nachi, 2006 : 174). Ils sont « parmi les rares auteurs qui sont allés le plus loin dans la problématisation du compromis » (Ibid.).

719 Ibid.: 173.

720 Ibid. : 180-181.

721 Ibid. : 181-183.

722 Ibid. : 175.

723 Thévenot, 1989 : p177, cité par Nachi, 2006 : 174.

724 « C'est cette pluralité cosubstantielle au monde de la vie sociale qui véhicule en son sein les marques du compromis. Car, dans un tel monde, le bien commun ne peut être atteint par le recours à une grandeur unique. Il faut le concours de plusieurs principes d'équivalence, de plusieurs formes de généralités. Le compromis a pour objectif de résoudre des conflits et de régler des différends en mobilisant des principes et des objets relevant de mondes différents ». Nachi, 2006 : 174)

725 « la multiplication des objets composites qui se corroborent et leur identification à une forme commune contribuent ainsi à stabiliser, à frayer le compromis. Lorsqu'un compromis est frayé, les êtres qu'il rapproche deviennent difficilement détachables. » (BOLTANSKI, L., THEVENOT, L., 1991 : 340, cité par Nachi, 2006 : 175)

726 « Une telle figure sous-entend des relations interindividuelles animées par des motifs visant `à construire, à manifester et à sceller des accords plus ou moins durables' »( BOLTANSKI, L., THEVENOT, L., 1991 : 39, cité par Nachi, 2006 : 175)

personnes entrant en compromis renoncent à clarifier les principes sur lesquels se base leur compromis, sans pour autant exclure l'impératif de justification727.

Cette ambiguïté est en partie due aux contraintes du compromis, parce que celui-ci doit impliquer des « principes d'équivalence satisfaisant différents ordres de grandeur » ainsi que le « rapprochement de grandeurs a priori incompatibles »728. Dans le compromis, il suppose donc la question de compatibilité des objets relevant de mondes différents729.

Fragilité

L'ambiguïté des principes et les contraintes du compromis constituent également des sources de fragilité. Cette fragilité est inévitable car dans le compromis, l'identité des parties ne peut pas être mise en cause afin de maintenir le compromis730. C'est pourquoi le compromis nécessite que le bien commun (ou l'intérêt général) visé dépasse un simple arrangement basé uniquement sur les intérêts particuliers. Il s'agit de la constitution d'une « cité » par ce bien commun731. Dans cette optique, la dispute entre les parties n'est pas forcément réglée par une logique légitime d'un seul monde, mais suspendue en vue de constituer un compromis. Donc, un compromis risque toujours d'être déstabilisé ou mis en question par la critique ou la dénonciation732.

Possibilité de transformation ou de consolidation

Pour surmonter cette fragilité, il faut que le compromis fasse l'objet d'une transformation ou d'une consolidation « en faisant référence à des êtres et à des objets appartenant à divers mondes mais disposant d'une identité autonome733. Mais comment ? Selon Boltanski et Thévenot, il faut doter les éléments constitutifs du compromis d' « une identité propre » en mettant ces éléments « au service du bien commun734 ».

Mise en parallèle du concept de compromis avec les autres éléments théoriques

Après ce survol des caractéristiques du compromis tel qu'il est conceptualisé par Boltanski et Thévenot, essayons de mettre en parallèle ce concept avec les autres éléments théoriques mobilisés dans notre analyse : représentation sociale ; bricolage ; transaction sociale ; transcodage.

Représentation sociale

L'approche des représentations sociales que nous avons présenté dans le chapitre 1, consiste à comprendre comme un processus la relation dialectique entre les représentations portées par les acteurs concernés, leurs rapports sociaux et leurs actions. Surtout via la notion de l'objectivation et celle de l'ancrage, cette approche vise à articuler les éléments représentationnels et réels dans leur complexité.

Dans ce sens, cette approche, nous semble-t-il, peut être un outil pertinent pour éclairer la situation complexe de compromis. D'autant plus que celle-ci est marquée par la présence d'objets hétérogènes relevant de différents mondes qui, à notre égard, impliquent nécessairement des produits de représentations sociales. La

727 Nachi, 2006 : 175.

728 Ibid. : 175.

729 « (...) il [compromis] présume le dépassement des intérêts purement individuels ainsi que l'existence d'un bien supérieur

commun : `le compromis suggère l'éventualité d'un principe capable de rendre compatibles des jugements s'appuyant sur des objets relevant de mondes différents.(...)' » (Ibid. : 176)

730 Ibid. : 176.

731 Ibid.

732 Ibid.

733 Ibid. : 177.

734 « une façon de durcir le compromis est de mettre au service du bien commun des objets composés d'éléments relevant de

différents mondes et de les doter d'une identité propre en sorte que leur forme ne soit pas reconnaissable si on leur soustrait l'un ou l'autre des éléments d'origine disparate dont ils sont constitués » (BOLTANSKI, L., THEVENOT, L., 1991 : 339, cité par Nachi,

2006 : 177)

question de mode d'articulation de ces objets hétérogènes pour constituer un compromis nous renvoie directement à interroger celui des représentations sociales.

Bricolage

Nous appliquons le concept du bricolage tel qu'il a été défini par Lévi-Strauss, pour comprendre les manières dont les acteurs réalisent leurs projets, pas dans le sens d'une application mécanique de concepts selon des objectifs préétablis, mais celui d'inventions par appropriation et réappropriation des objets existants.

Nous pouvons situer le compromis dans le processus de bricolage, d'autant plus que, nous l'avons vu plus haut, celui-ci implique toujours « un compromis entre la structure de l'ensemble instrumental et celle du projet ». Autrement dit, quand on considère le processus de bricolage comme un processus social, on doit toujours tenir compte du compromis mis en place entre les acteurs concernés.

Autrement dit, l'oeuvre d'un bricolage collectif est celle d'un compromis effectué dans son processus. Dans ce sens, ce n'est pas, nous semble-t-il, un hasard que le caractère précaire et ambigu du compromis qui implique une possibilité ou une nécessité de s'appuyer sur un bien commun généralisable (constitution d'une cité), rejoint également une des caractéristiques de l'oeuvre du bricolage donnée par Lévi-strauss. Et comme nous l'avons vu plus haut, l'oeuvre du bricolage dépasse un résultat contingent d'une action humaine, mais celui apportant un « sens » qui n'exclut pas la possibilité de se généraliser et ainsi de généraliser.

Transaction sociale

Le compromis implique certainement un point commun fort avec le modèle de transaction de Mormont, d'autant plus que Mormont envisageait la transaction sociale, nous l'avons vu, comme cadre stabilisateur permettant l'anticipation et l'engagement des acteurs, qui ne se base pas uniquement sur leurs intérêts sur le court terme, mais qui permet d'engager leur identité.

La création de nouveaux dispositifs alternatifs proposée par Mormont du point de vue de la transaction sociale, et la constitution du bien commun dépassant les intérêts particuliers des parties, qui suppose de renforcer le compromis et de lui donner « une identité propre », peuvent, nous semble-il, être deux approches complémentaires. Le lien théorique entre le paradigme de la transaction sociale et la sociologie de Boltanski et de Thévenot nous reste à explorer735.

Transcodage

Enfin, la technique du transcodage pourrait également être un outil pertinent pour éclairer les conditions du compromis. Ceci d'autant plus que le transcodage vise à équilibrer les pratiques et les positions de différents types d'acteurs.

Cependant, il nous semble y avoir une distance de nuances entre les « visées » du compromis et du transcodage : En effet, le transcodage suppose que, dans une « situation d'être en pouvoir » que celui-ci implique, les acteurs peuvent se trouver soit dans une situation d'autonomie, soit dans une situation de dépendance. Ce qui amènent les acteurs à lutter pour la « maîtrise des réseaux d'action publique ». Le transcodage a donc pour objectif d'équilibrer cette situation. Sur ce point, nous avons une distance entre le transcodage et le compromis supposant de constituer un « bien commun » plus ou moins transcendant entre les les parties, relevant de différents mondes. Le lien théorique entre ces deux concepts nous reste également à explorer.

Compromis dans le processsus de la construction du Projet Nô -Life

Le concept du compromis peut, nous semble-t-il, éclairer la situation de la relation telle qu'elle a été établie

735

entre les agents dans le processus de la construction du Projet Nô-Life, en terme de l'approche du bien commun, l'ambiguïté du principe du compromis et la fragilité de celui-ci.

D'abord, le processus de la construction du Projet Nô-Life s'inscrit, au moins initialement, dans une approche du « bien commun » de manière explicite : il s'agit de valoriser l'agriculture et la ruralité non de manière sectorielle, mais via une « participation citoyenne » (surtout depuis le Plan de 96) en les considérant comme un bien commun appartenant aux citoyens mais non uniquement aux agriculteurs.

Cependant, nous l'avons relevé dans l'examen de la position respective des gestionnaires du Projet Nô-Life (BPA et CAT), l'ambiguïté du principe du Projet Nô-Life est en question en raison d'une divergence de leurs propres visions sectorielles tant sur le court terme que sur le long terme.

En principe, du côté du BPA, il est coincé entre l'intérêt général qu'il porte, et l'intérêt du secteur agricole porté par la CAT. Du côté de la CAT, en réalité, son intérêt porte exclusivement sur le profit du secteur agricole, malgré la complexité de son raisonnement.

Intéréts sur le court terme

Sur le court terme, le BPA, en tant qu'agent municipal, doit d'abord satisfaire le public en répondant le plus possible aux demandes immédiates des usagers (stagiaires) du Projet. Du coup, le critère de sélection des stagiaires doit être souple . C'est pourquoi le Centre Nô-Life accueille divers types de stagiaires qui ne correspondent pas souvent à l'objectif productiviste du Projet Nô-Life, (ce qui est d'ailleurs compréhensible en réalité, nous le verrons dans le Chapitre 3). Puis, quand il doit présenter le résultat ou la vertu concret du Projet auprès de la municipalité, il doit nécessairement recourrir aux éléments quantifiables et immédiats avec des chiffres concrets (surtout le nombre de stagiaires et la surface agricole mise en location avec les stagiaires ayant terminé la formation Nô-Life) plutôt qu'aux éléments non quantifiables qui dépendent beaucoup du long terme ou de la subjectivité (qualité de vie, lien social et territorial).

Face à cette exigence du BPA, l'engagement de la CAT reste mitigé à cause de la faible importance économique que le Projet Nô-Life pourrait apporter au secteur agricole : la CAT elle-même est en réalité un grand organisme financier et commercial dans lequel le domaine des activités agricoles est en permanence déficitaire736. Si bien que quelques points de désaccord étaient déjà apparents pour la conduite actuelle du Projet, sur l'élargissement du Centre Nô-Life effectué en 2006, à deux autres quartiers : l'un en plaine dans une zone fortement agricole, l'autre en moyenne montagne, dans une commune venant de fusionner avec la Ville de Toyota. Ce choix était pour favoriser la demande de la population locale et l'égalité de l'offre des services publics en terme géographique. D'après Monsieur K, président du Centre Nô-Life, la demande pour l'installation du Centre Nô-Life est surtout forte de la part des communes de moyenne montagne dépeuplées qui viennent de fusionner avec la Ville de Toyota, comme un « cadeau d'échange » de cette fusion. Mais la CAT n'était pas d'accord avec cette décision. Car ce qui compte pour la CAT, nous l'avons vu, est de « former les agriculteurs » au lieu de « satisfaire le plus possible le public ». A cet effet, le nombre des stagiaires accueillis par le Centre Nô-Life doit être minimum pour la CAT afin de pouvoir réaliser son objectif de la formation agricole, et l'élargissement de la taille du Projet Nô-Life n'est pas prioritaire pour elle.

Intérêts sur le long terme : question de l'identité agricole

La divergence d'intérêts sectoriaux porte également sur le long terme qui concerne directement la définition légitime du métier agricole. La seule référence légitime de la profession agricole renvoie, en fait, au montant de

736 Nous avons vu la structure interne de la coopérative : l'importance économique occupée par les activités agricoles à l'intérieur de la CAT (achat commun des matériels agricoles, vente commune des produits agricoles) est déjà extrèmement faible par rapport aux autres domaines d'activités. En tant que coopérative agricole, les coopératives agricoles japonaises effectuent surtout un ensemble de services financiers (crédits, mutualité, immobiliers, commerce de détail etc) et également ceux non agricoles (services immobiliers, divers services dans le domaine de la « vie » comme les supermarchés, les cérémonies funéraires et services de l'aide aux personnes âgées dépendantes). Surtout les services pour les personnes âgées ou leur décès sont aujourd'hui un marché à conquérir à l'ère du vieillissement...

revenu agricole annuel des « agriculteurs qualifiés » considérés comme « porteurs » de l'agriculture, dont la définition relève de la politique agricole nationale. Et ce sont ceux qui peuvent bénéficier du prêt agricole départemental contrôlé par l'ECV (vulgarisateur agricole). Pour en bénéficier, il faut déposer un plan planifiant une production agricole susceptible de dégager plus de 2 500 000 yens de revenu agricole annuel.

L'objectif du Projet Nô-Life semble être fixé par référence à ce critère économique. De plus, nous l'avons vu, le montant de revenu agricole annuel donné par le Projet Nô-Life (un million de yens) s'enracine également dans l'histoire de la modernisation agricole japonaise des années 70 comme un slogan national, ensuite dans les années 80 comme un objectif économique donné à l' « agriculture de type Ikigai » promue par la politique de la vulgarisation agricole dans la région proche de Toyota, pour les femmes et hommes âgés des foyers agricoles pluriactifs. Cet objectif est donc lui-même un référentiel historique de la modernisation agricole.

Donc, la définition légitime du métier agricole reste quasi-exclusivement dans le monde agricole, et elle se reflète même dans l'objectif du Projet Nô-Life qui a permis le compromis entre la CAT et le BPA.

Ainsi, nous pouvons comprendre plus ce que veut substantiellement dire l'intérêt de « former les agriculteurs » de la part de la CAT. Et du côté du BPA, il n'a qu'à se référer à la définition telle qu'elle est donnée dans le monde agricole, tant qu'il n'a pas d'autres définitions alternatives du métier agricole, à part la représentation ordinaire comme les « jardiniers pour le loisir ». Si bien que cet objectif lucratif du Projet Nô-Life a été décidé par une concession de la part du BPA qui n'était pas forcément favorable à cet objectif : il souhaitait donner plus de liberté aux stagiaires pour choisir un type d'activités agricoles quelconque.

Inégalité de l'effet symbolique du Projet

En plus, selon notre enquête, c'était apparement l'initiative du maire de la Ville de Toyota (élu en 2004) qui a le plus fortement poussé le Projet Nô-Life jusqu'à son démarrage en 2004 (la même année que son élection...). Ce qui amène Monsieur S, directeur de la Direction des activités agricoles de la CAT, à se plaindre de l'absence du « mérite » de la part de la CAT pour la réalisation du Projet Nô-Life. L'effet « symbolique » de la réussite du Projet compte ainsi dans leur relation de compromis.

Fragilité du compromis Nô-Life

Comme dit Boltanski, la fragilité du compromis est due au fait que le compromis ne peut pas mettre en cause des identités des parties et que la dispute entre elles reste non réglée. Ceci semble bien être le cas dans le Projet Nô-Life entre les parties appartenant au monde agricole et au monde des services publics locaux.

Selon notre observation, le compromis entre les agents co-gestionnaires du Projet Nô-Life, où un référentiel historique de la modernisation agricole productiviste se reflète fortement, contraindra, du moins dans l'immédiat, plus ces stagiaires de la formation Nô-Life que les agents institutionnels concernés, qui n'ont certainement pas fait partie de ce compromis initial. Dans le Chapitre 3, nous aborderons les conséquences de ce compromis en examinant les réactions de ces stagiaires. Il s'agira alors du compromis du Projet Nô-Life qui sera « à l'épreuve » de la vie des stagiaires. Là, la question de renforcer ce compromis en le dotant d'une « identité propre » sera envisageable par référence aux représentations relevants des acteurs appartenant à différents mondes autour de l'objet de l'agriculture de type Ikigai...

Rapport de pouvoirs entre les sept agents

Enfin, le compromis tel qu'il est constitué pour la construction du Projet Nô-Life, est-il équilibré ou déséquilibré ? Pour répondre à cette question, nous allons examiner le rapport de pouvoirs établi entre les sept acteurs institutionnels à partir du schéma ci-dessous.

Dans ce schéma, nous pouvons facilement repérer la forte emprise qu'ont des agents appartenant au monde agricole professionnel (BPA, CAT, BDPA, ECV, GASATA), sur la réalisation du Projet Nô-Life, par rapport aux deux autres agents (SCI, CFLS) qui n'y sont qu'indirectement impliqués.

Parmi les cinq agents appartenant au monde agricole professionnel, quatre agents (BPA ; CAT ; l'ECV : vulgarisateur agricole ; GASATA : groupement d'arboriculteurs professionnels) s'impliquent directement dans les activités de la formation Nô-Life. Le BDPA (administration agricole départementale) conserve un rôle de tutelle. Lors du contrôle final du stage individuel sur l'état d'entretien des cultures, quelques responsables de ces cinq agents sont présents pour donner leurs commentaires.

Puis, traditionnellement, ces cinq agents constituent entre eux des liens de partenariat. Si bien qu'ils sont constamment en contact dans leurs activités routinières liées au monde agricole professionnel. Ce qui renforce leur lien social.

En fait, les deux autres agents ne sont qu'indirectement impliqués dans les activités du Projet Nô-Life. Le SCI (agent des services publics locaux pour Ikigai des personnes âgées), maintient juste son rapport avec le Centre Nô-Life via son propre projet « Ferme-école des personnes âgées » qui joue le rôle médiateur entre les personnes âgées en général et le Centre Nô-Life. En effet, cette école peut être une première étape pour apprendre pendant un an les pratiques agricoles en tant que débutant, et ensuite s'inscrire éventuellement au Centre Nô-Life pour passer à l'étape suivante. Mais, nous l'avons vu, l'écart est net entre la position du SCI et le monde agricole professionnel. Pour le SCI, les activités agricoles pour les personnes âgées ne peuvent avoir de siginification qu'en relation avec l'amélioration de la qualité de vie ou de le lien social et territorial des personnes âgées. Et par là, l'agriculture peut avoir un lien avec l'aménagement de la Ville dans le sens du paysage ou de l'aménité, mais le développement agricole au sens sectoriel et productiviste n'entre pas dans l'approche du SCI.

Schéma : Rapport institutionnel dans le Projet Nô-Life

Monde syndical
et salarial

Monde services
publics locaux
(Municipalité)

Monde agricole
professionnel

BDPA

CFLS

SCI

BPA

CAT

ECV

GASATA

: Lien de partenariat direct pour le Projet

: Lien de partenariat indirect pour le Projet Nô-Life

: Lien de partenariat traditionnel

Si le CFLS joue le rôle de médiateur entre les retraités salariés résidant dans la Ville de Toyota et le Projet Nô-Life via une offre d'informations auprès de ses adhérents, il ne s'implique pas dans les activités de la formation Nô-Life. De même, ces dix dernières années, il a établi un lien de partenariat avec la Municipalité via diverses thématiques concernant la vie locale (aménagement urbain, animation etc) dans lesquelles la thématique de la promotion d'Ikigai des personnes âgées est abordée en terme de la qualité de vie et du lien social et territorial. La thématique de l'agriculture l'intéresse également, mais elle est traitée dans le cadre de sa politique syndicale à l'échelle nationale, soit pour l'autosuffisance alimentaire, soit pour la préservation de l'environnement naturel et rural.

Selon son point de vue (informellement énoncé lors de notre entretien), le Projet Nô-Life ne pourrait pas contribuer au développement agricole dans le sens sectoriel et productiviste. A cet effet, la mobilisation des personnes âgées actives sera incertaine et insuffisante. Ainsi, il n'a pas l'intention de plus s'impliquer dans le

Projet Nô-Life.

« Ambiguïté structurale » ?

Enfin, à partir de ce schéma, nous pouvons également repérer la position ambigüe du BPA marquée par sa double appartenance d'un côté au monde des services publics, de l'autre au monde agricole professionnel. Cette double appartenance traduit bien l'ambiguïté du principe du Projet Nô-Life.

Sur cette ambiguïté de la position du BPA, nous pouvons évoquer la notion de l' « ambiguïté structurale » que P. Bourdieu emploie dans un de ses derniers ouvrages737. Ceci pour analyser le comportement d'un agent public (ingénieurs du DDE : Direction départementale de l'équipement) occupant une position dominante dans l'application locale de la politique du logement dans le Val d'Oise. Selon Bourdieu, cette ambiguïté est due à la « double dépendance » de cet agent basé sur la situation de « champ local738 » où s'impose la double relation structurée, d'un côté verticale (hiérarchie bureaucratique et ministère de tutelle) et de l'autre horizontale (préfet et collectivités locales). Et cette ambiguïté de la position, déterminée non seulement par des champs structurés et complexes, lui permet de jouer stratégiquement pour « s'assurer une forme d'indépendance autorisant les compromis, les exceptions et les transactions et, par là, d'importants avantages matériels et symboliques »739. Ainsi, selon Bourdieu, malgré la possibilité de l'opération d'une transaction singulière dans un champ territorial, la position dominante des agents bureaucratiques et de leurs « protégés (notables) » sera assurée via une violence symbolique vis-à-vis des agents faibles (« les assujettis » et « les administrés »)740. Ce point de vue relève que des contraintes structurales peuvent même exister dans une situation de champ local où les agents peuvent s'arranger de manière flexible comme dans le cas du Projet Nô-Life. Cependant, nous nous gardons d'appliquer directement à notre cas l'analyse structuraliste de Bourdieu, car le Projet Nô-Life ne s'inscrit pas dans une politique générale comme la politique du logement. C'est d'abord un projet portant une thématique locale et nouvelle, spécifiquement élaboré entre des agents relevant de différents champs (bureaucratique, agricole). Si des contraintes structurales peuvent peser généralement sur ce processus tant sur les agents bureaucratiques que sur les agents du secteur agricole, elles ont été « mises en parenthèses » par un compromis initialement établi entre ces agents. Autrement dit, l'ambiguïté structurale de la position du BPA a « cédé » sa place pour que celui-ci entre en compromis institutionnel pour lancer le Projet Nô-Life, sans pour autant effacer son influence latente sur ce compromis.

Compromis et représentations

737 Bourdieu, 2000 : 166.

738 Le « champ » est un des concepts centraux élaborés par Bourdieu. Pour la définition générale, nous pouvons se référer à son ouvrage « Questions de sociologie » (1984) (« Quelques propriétés des champs »(p. 113-120). Il est d'abord un « état du rapport de force entre les agents ou les institutions engagées dans la lutte » (Bourdieu, 1984 : p.114). Et ils luttent dans l'enjeu du monopole de ces capitaux spécifiques. Ils sont ainsi dans une relation de concurrence en ayant chacun ses propres intérêts, stratégie et position. Nous pouvons généralement considérer le champ comme « structure de la distribution du capital spécifique »(Ibid.) dont l'accumulation s'effectue « au cours des luttes antérieures », et qui « oriente les stratégies ultérieures » des agents constitutifs du champ. Puis, ce rapport de forces entre les agents peut se traduire comme un rapport dominant - dominé déterminé par l'inégalité de la distribution du capital spécifique. A travers les luttes entre les agents y compris les nouveaux entrants qui essaient de « faire sauter les verrous du droit d'entrée » (Ibid. p.11 3) et entre souvent en opposition face aux dominants qui essaient « de défendre le monopole et d'exclure la concurrence » (Ibid.). La structure du champ est ainsi « au principe des stratégies destinées à la transformer, est elle-même toujours en jeu » (Ibid. : p.1 14).

739 Ibid.

740 Ibid. : 171-172.

Schéma : Rapport institutionnel dans le Projet Nô-Life
et représentations de l'agriculture de type Ikigai

Contribution sociale et locale ;
socioabilité locale ; vie
familiale ; éducation alimentaire

Lien social et

territorial Qualité de vie Production matérielle

CFLS

Santé ; loisir ; plaisir ; éducation permanente ; activités culturelles etc.

SCI

BPA CAT

BDPA

GASATA

Travail (de production) ; vente ; lucrativité ; développement agricole

ECV

Représentations :

CFLS (santé, loisir, plaisir, contribution sociale et territoriale etc)

SCI (santé physique et mentale, éducation permanente, contribution sociale et territoriale, activités culturelles etc)

BPA (santé, loisir, plaisir, contribution sociale et territoriale, éducation alimentaire, conservation et développement agricole)

BDPA (idem.)

CAT (contribution sociale et territoriale, conservation et développement agricole)

ECV (conservation et développement agricole)

GASATA (contribution sociale et territoriale, conservation et développement agricole)

Enfin, ce rapport de forces entre les sept agents et la position ambiguë du BPA pèsent inévitablement sur la relation entre les différentes représentations constitutives de l'agriculture de type Ikigai.

Dans ce schéma, nous pouvons percevoir une situation de déséquilibre entre les représentations de l'agriculture de type Ikigai basées sur les prises de position des agents concernés. Là, nous comprenons que, face à l'emprise des représentations liées au productivisme agricole, relevant de l'ensemble des institutions locales appartenant au monde agricole professionnel, les représentations relevant des autres agents, portant sur la qualité de vie et le lien social et territorial , sont beaucoup moins « représentées » (au sens politique du terme) dans la relation établie pour le Projet Nô-Life.

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Centre pour l'amélioration et la vulgarisation de l'agriculture de Toyota-kamo du Département d'Aichi (2001),
Données pour le Plan fondamental pour la Vulgarisation et l'Orientation : 2001-2005 (Hukyû-shidô

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Chapitre III : Projet Nô-Life à l'épreuve de la vie des stagiaires

Les stagiaires des formations Nô-Life sont non seulement des acteurs individuels du Projet Nô-Life mais également susceptibles d'être protagonistes du Projet. Dans ce présent chapitre, nous allons analyser leurs représentations, actions et pratiques de leur participation dans le Projet elle-même, et à travers celà, celles de l' « agriculture de type Ikigai ».

En première partie, nous présenterons brièvement les activités générale du Centre Nô-Life. Ensuite, en nous basant sur le résultat de nos enquêtes effectuées auprès de ces stagiaires des années 2005-2007, nous présenterons la typologie de ces stagiaires et leurs représentations de l'agriculture et de la ruralité dans le contexte du Projet Nô-Life. Ensuite, nous essaierons de répondre aux quatre questions suivantes.

1 Quel lien pouvons-nous établir entre les différents types de stagiaires et leurs représentations de l'agriculture et de la ruralité ?

2 Quelles positions les stagiaires constituent-ils vis-à-vis de l'idée du Projet Nô-Life (agriculture de type Ikigai) ? Divergence ou convergence des positions ?

3 Le compromis basé sur la divergence d'intérêts entre les agents gestionnaires produisant l'ambiguïté ou la contradiction de la finalité du Projet Nô-Life. Quelle conséquence aura-t-elle sur les stagiaires ?

4 En tenant compte de l'héritage de la modernisation agricole productiviste, les trois éléments constitutifs de l'agriculture de type Ikigai que nous avons établit dans le schéma représentationnel de celle-ci (Qualité de vie ; Lien social et territorial ; Production matérielle), pourront-elles être compatibles non seulement aux yeux des agents gestionnaires et partenaires du Projet, mais également à l'épreuve des divers intérêts des stagiaires de la formation Nô-Life ?

1 Présentation générale des activités du Centre Nô-Life

Nous allons présenter les quatre activités principales du Centre Nô-Life : 1 Formations Nô-Life (kenshû jigyô) ; 2 Entremise de terrains agricoles (nôchi chûkai) ; 3 Entremise d'emplois agricoles (nôka chûkai) ; 4 Recherche et développement (kenkyû kaihatsu)

1 Formations Nô-Life : « porteur » et « culture maraîchère de saison »

Les formations Nô-Life s'étendent à deux types de programmes : 1 Formation « porteur » ; 2 Formation « culture maraîchère de saison ».

Le premier constituant le pilier principal des activités du Centre Nô-Life, consiste à donner un programme de formation agricole de deux ans, afin de former les agriculteurs susceptibles de dégager un certain niveau de

revenu agricole dont le repère est un million de yens (environ 6666 euros) par an. Ce programme vise à l'acquisition d'une qualification professionnelle dans le domaine agricole qui permet aux stagiaires de bénéficier du service de l'entremise de terrains agricoles à partir de 0. 1ha, offert par le Centre Nô-Life.

Le second consiste à offrir une occasion d'avoir une expérience de la pratique d'une culture maraîchère de saison dans un jardin familial ou citoyen pour le plaisir. Le programme se déroulera une fois par mois pendant une moitié d'année. Deux sessions sont organisées l'une pour le printemps - été (avril - juillet) et l'autre pour l'automne - hiver (septembre - décembre). Ce programme est largement ouvert aux débutants.

Nous présenterons ici le programme de la formation « porteur » en se référant à une brochure officielle préparé pour l'appel à candidature des stagiaires des années 2005-2006 sur lesquels notre analyse porte principalement741. Puis, notre observation participante effectuée sur ce programme de mars à septembre 2005 complètera l'explication.

Objectif de la Formation « porteur »

Ce programme vise à l'acquisition d'une qualification professionnelle dans le domaine agricole qui permet aux stagiaires de bénéficier du service de l'entremise de terrains agricoles à partir de 0. 1ha, offert par le Centre Nô-Life.

Il a pour objectif le stage agricole de deux ans portant tant sur les techniques culturales que sur les connaissances de la gestion agricole. Il est destiné aux personnes de moins de 65 ans souhaitant dégager un certain niveau de revenu agricole dont le repère est un million de yens (environ 6666 euros) par an.

Structure du programme

Ce programme est constitué de cours théoriques (tronc commun et filière spécilisée), cours pratiques par filière spécialisée et d'un stage individuel final. Les cours auront lieu une ou deux fois par semaine, ce qui est environ de l'ordre de 40 jours par an (soit environ 120 heures).

Les enseignements s'étendent aux trois filières suivantes (culture maraîchère ; cultures marâichère et rizicole ; culture fruitirère) qui sont organisées au Centre Nô-Life en collaboration avec des agents agricoles impliqués (CAT : Coopérative agricole de Toyota ; ECV : Ex-Centre pour la Vulgarisation ; GASATA : Groupement d'arboriculteurs de Sanage pour l'Aide aux Travaux Agricoles). La formation se déroulera sur deux années.

Il comprend un tronc commun théorique à tous les stagiaires, et un ensemble de cours théoriques et pratiques à suivre dans l'une des trois filières. Un stage individuel, suivi d'un contrôle final, est prévu à la fin de la deuxième partie du programme. Le contrôle du résultat du stage est assuré par certain nombre de responsables des agents du secteur agricole, dont ceux du Centre Nô-Life font partie.

Le stage individuel se réalise soit dans une parcelle attribuée par le Centre Nô-Life (près de 170m), soit dans une parcelle privée, (sauf pour les stagiaires de la filière fruitière qui n'ont plus à effectuer un stage individuel depuis les stagiaires des années 2005-2007).

L'évaluation finale sera effectuée sur la base du taux de présence aux cours (plus de 80%) et du résultat du contrôle du stage individuel.

Activités du programme Trois filières au choix

Tous les stagiaires dans cette formation doivent choisir l'une des trois filières suivantes lors de leur candidature. Ensuite, lors de l'admisssion, le Centre Nô-Life désigne la filière où chaque stagiaire va s'inscrire.

741 Centre pour la Création de Nô-Life de Toyota, 2005.

Filière Contenu Produits

Culture maraîchère

Culture maraîchère en plein air et en serre

Légumes divers

Cultures maraîchère et rizicole

Riziculture et culture maraîchère en plein air

Riz et légumes divers

Culture fruitière

Productions de fruits du terroir

Pêche, poire, figue

Source : Centre pour la Création de Nô-Life de Toyota (2005).

Contenu des enseignements

Les cours du tronc commun portent sur l'agronomie générale, la biologie végétale, les techniques agricoles, la gestion agricole et la conjoncture agricole etc. Les cours spécialisés par filière consistent en l'apprentisage pratique des techniques culturales.

Dans la filière « culture maraîchère », les stagiaires suivent des enseignements et des cours pratiques sur la culture maraîchère en plein air et en serre et de son entretien en cultivant sur le terrain du Centre Nô-Life divers types de légumes tels que tomates, pommes de terre, radis blanc, poivrons, choux, carotes, fraises, maïs, soja etc.

Dans la filière « cultures maraîchère et rizicole », les stagiaires suivent des enseignements et des cours pratiques sur riziculture et culture maraîchère en plein air et de son entretien en cultivant sur le terrain du Centre Nô-Life du riz et divers types de légumes tels que pastèques, satoimo (taro), aubergines, oignons etc.

Dans la filière « Culture fruitière », les stagiaires suivent des enseignements et des cours pratiques sur la production de fruits du terroir à savoir la pêche, la poire, la figue. Les cours de terrain pour la pêche et la poire ont lieu dans la zone de production fruitière de Sanage. Les stagiaires suivent les enseignements organisés par des arboriculteurs membres du GASATA sur des terrains de leurs exploitations familiales. Une parcelle louée par le Centre Nô-Life dans cette zone est également utilisée pour l'apprentisage collectif de l'entretien d'un verger de pêches.

Tronc
commun

- Sol et engrais ; diagnostic des maladies et insectes nuisibles ; biologie des plantes ; utilisation des outils et des machines agricoles ; analyse du sol et planification de la fertilisation ; planification de l'installation agricole ; gestion agricole ; actualités de la politique agricole etc.

Cours
spécialisés
(par filière)

- Culture et entretien (préparation du sol ; fertilisation ; semis et plantation ; prévention des maladies et insectes nuisibles ; enlever les mauvaises herbes ; récoltes)

- Visite d'exploitations et d'établissements agricoles

- Les cours sont principalement basés sur les exercices pratiques. Le contenu est varié selon les filières.

Source : Centre pour la Création de Nô-Life de Toyota (2005).

Les enseignants

Les cours du tronc commun et des cours théoriques sont assurés par des conseillers ou ingénieurs retraités de l'ECV ou de l'Institut départemental de la recherche agronomique d'Aichi (institution supérieure des ECV) Les cours pratiques sur le terrain du Centre Nô-Life sont assurés par les deux vice-présidents du Centre Nô-Life (Monsieur KH, employé du BPA ; Monsieur KM, employé de la CAT). Les cours pratiques de la filière fruitière sur le terrain de la zone de production seront accompagnés par les vice-présidents du Centre Nô-Life et les arboriculteurs membres du GASATA.

Autrement, les stagiaires suivent occasionnellement des enseignements assurés par des agriculteurs professionnels retraités de la Ville de Toyota sur le terrain du Centre Nô-Life.

Stage individuel

Le stage individuel consiste à cultiver du riz (pour la filière "riziculture") ou plusieurs sortes de légumes pendant toute l'année de la deuxième année du programme, soit sur une parcelle individuelle attribuée par le

Centre Nô-Life (près de 1 70m2), soit sur une parcelle privée.

Les stagiaires de la filière fruitière n'effectuent plus de stage individuel depuis le programme 2005-2007. Cela est dû au fait que, comme nous l'avons vu dans le chapitre 2, un verger collectif loué à un arboriculteur professionnel (Monsiuer N) a été gravement dégradé suite au mauvais entretien effectué par les stagiaires des années 2004-2006 (premiers stagiaires de la formation Nô-Life) lors de leur stage individuel.

Un certain nombre de stagiaires ont choisi de faire leur stage individuel sur une parcelle attribuée par le Centre Nô-Life comme pour ceux des deux autres filières, d'autres ont continué à entretenir collectivement le verger de pêches loué par le Centre Nô-Life.

Sinon, une possibilité de stage dans une exploitation professionnelle est offerte par l'entremise du Centre Nô-Life (activité 3). Un jeune stagiaire de 28ans souhaitant devenir agriculteur professionnel a effectué son stage dans une exploitation professionnelle de l'agriculture biologique, en bénéficiant de l'entremise du Centre Nô-Life.

2 Entremise de terrains agricoles

Les stagiaires ayant acquis la qualification de la formation "porteur" ont le droit de bénéficier du service de l'entremise de terrains agricoles assuré par le Centre Nô-Life à partir de 0. 1ha.

Les terrains agricoles faisant l'objet de cette entremise sont limités à ceux situés dans la zone réservée au développement agricole (environ 5000 ha). Sur l'estimation générale annoncée par la Municipalité, environ 700ha de terrains agricoles sont soit mis en jachère, soit laissés en friche.

Les données complètes relatives à ces terrains agricoles (état des cultures, situation de propriété etc) sont à disposition du Centre Nô-Life, grâce à son statut institutionnel branche du BPA chargé de la gestion cadastrale.

Les stagiaires bénéficiaires de l'entremise concluent ensuite un contrat de fermage avec le propriétaire en se mettant d'accord avec celui-ci sur les conditions de location.

3 Entremise d'emplois agricoles

Le Centre Nô-Life effectue également l'entremise d'un emploi agricole, pour les stagiaires du Centre Nô-Life, dans une exploitation agricole . Ceci a principalement pour objectif d'assurer une aide aux travaux agricoles auprès des exploitations familiales qui manquent de main-d'oeuvre en raison du vieillissement de leurs membres.

4 Recherche et développement

Des expérimentations de nouvelles variétés de produits agricoles ou de nouveaux produits transformés seront effectuées via les cours pratiques au profit de l'agriculture de la Ville de Toyota.

2 Stagiaires de la formation Nô-Life : typologie et représentations

Typologie et tendances générales des stagiaires

Résultat de l'enquête par questionnaire

Cette enquête par questionnaire a été effectuée de mai à juin 2005 auprès des stagiaires des années 2004-2006 et 2005-2007 dont le nombre total était de 69 personnes. Le questionnaire a été distribués à tous ces stagiaires de manière anonyme, et nous avons pu récupérer 50 réponses (soit un taux de récupération de 72 %). Ce questionnaire contenait 24 points visant à saisir le profil(sexe, âge, expériences passées etc), les motifs pour la participation à la formation, les perspectives des stagiaires pendant et après la formation etc742.

L'analyse de son résultat nous servira à établir les catégories objectives (âge ; sexe ; lieu d'origine ; expériences professionnelles), et à analyser les tendances générales des représentations que les stagiaires ont de leur participation à la formation, du Projet Nô-Life, de l'agriculture et de la ruralité.

Approche objectiviste de cette enquête

Ici, nous devons avertir que nous n'avons pas recherché les liens entre chaque catégorie objective et certaines représentations spécifiques exprimées dans les réponses pour cette enquête. Cela est finalement notre choix de l'analyse : en effet, à un moment donné de notre examen du résultat de cette enquête par questionnaire, il nous a paru plus pertinent et approprié d'en analyser les catégories objectives des stagiaires et les tendances générales des représentations plutôt que les particularités de chaque enquêté individuel.

D'une part, ceci est dû à la caractéristique de cette enquête par questionnaire qui, avec certain nombre de ces questions de type dites « fermé », c'est-à-dire celles proposant aux enquêtés certain nombre de choix préalables de leurs réponses, risque d'aller réduire les réponses personnellement données par les enquêtés, à la déduction préalablement et « objectivement » établie par l'enquêteur.

D'autre part, c'est l'enquête par entretien dont nous allons analyser le résultat plus bas, qui va mettre en avant les liens entre les traits particuliers individuels des enquêtés et leurs représentations. Le lien entre nos deux enquêtes est donc complémentaire : l'une (par questionnaire) plus objectiviste et l'autre (par entretien) plus subjectiviste (pour cette dernière, voir plus bas la partie du « Caractérisgiques des données : représentations sociales en jeu »).

Catégories objectives des stagiaires

Sexe, âge et lieu d'origine

Plus de 80% des enquêtés sont des hommes (42 sur 50), dont les personnes de 50 ans à 60 ans occupent 40% du nombre total (20 personnes dont 17 hommes et 3 femmes) et les personnes de 60 ans à 65 ans occupent 30% du nombre total (15 personnes dont 13 hommes et 2 femmes). Ce qui fait que 70% des enquêtés ont plus de 50 ans. Ensuite, les personnes de 40 à 50 ans occupent 16% du nombre total (8 personnes dont 6 hommes et 2 femmes).

Si la grande majorité des enquêtés sont des résidents de la Ville de Toyota (42 personnes soit 84%) ou ceux de villes environnantes (5 personnes soit 10%), les lieux d'origine des enquêtés sont, par contre, extrèmement diversifiés. Les plus nombreux sont originaires de la Ville de Toyota (19 personnes soit 38% du nombre total),

742 Pour le questionnaire de cette enquête traduit en français, voir l'annexe 1.

mais si on regroupe toutes les personnes originaires de l'extérieur de la Ville de Toyota, c'est-à-dire celles venant d'une ville du département d'Aichi hors la Ville de Toyota (12 personnes soit 24%) et celles venant de l'extérieur du département d'Aichi (14 personnes soit 28%), ces personnes constituent la majorité des enquêtés (26 personnes soit 52%) Les lieux d'origine des personnes venant de l'extérieur du département d'Aichi couvrent toutes les régions de l'archipel japonais : Kyshû (Kagoshima ; Kumamoto) ; Shikoku (Kôchi) ; Kinki (Osaka ; Hyôgo) ; Hokuriku (Toyama) ; Tôkai (Gifu ; Mie ; Shizuoka) ; Hokkaidô et même Tôkyô743. Ce qui reflète une des spécificités historiques de la population de la Ville de Toyota que nous avons constaté dans le chapitre 1 : rapide développement de l'industrie automobile qui a absorbé la main-d'oeuvre de tout le Japon, dont notamment les régions rurales, pendant la haute croissance économique (1955-1975). C'est pourquoi nous pouvons constater que presque toutes ces personnes se sont installées dans la Ville de Toyota entre 1961 et 1980 (14 personnes).

Expériences professionnelles

Grâce aux réponses aux questions concernant le parcours scolaire (questions 4 et 5), les expériences professionnelles (6, 7 et 8) et les expériences agricoles (9, 10 et 11), nous pouvons saisir les éléments socio-professionnels des stagiaires. Ceux qui n'ont pas suivi un enseignement universitaire constituent à peu près la moitié du nombre total (23 personnes soit 46%), alors que 30% (15 personnes) ont suivi des cursus universitaires (11 licenciés et 4 master).

Quant à la situation professionnelle actuelle, 62% des enquêtés (31 personnes) sont inactives, dont 17 personnes (soit 34% du nombre total) se sont présentées comme retraitées et 5 personnes sont femmes au foyer. Cependant, si nous tenons compte des personnes s'étant présentées comme « sans emploi » (9 personnes) ou « agriculteurs » (4 personnes) ou « [employés] à temps partiel » (2 personnes), une immense majorité des enquêtés (46 personnes, si on les additionne toutes) pourront être considérés comme déjà en retraite ou qui le seront potentiellement, ou inactifs.

Puis, le nombre des enquêtés ayant répondu à la question 7 sur la profession antérieure est au total de 25 personnes (50% du nombre total), ce que nous pouvons considérer comme le nombre des retraités le plus proche de la réalité.

Parmi ces retraités, presque tous ont occupé une profession parmi les catégories des ouvriers (8 personnes) ou des employés (1 personne) ou des professions intermédiaires (14 personnes). Et au moins la moitié de ces professions sont dans le secteur automobile744.

Dans la question 9, 19 enquêtés ont présenté plusieurs professions qu'ils ont expérimentées au cours de leur période active. Sur 32 professions présentées, 30 sont parmi les catégories des ouvriers ou des employés ou des professions intermédiaires. La majorité de ces professions appartient au secteur industriel.

743 Le département d'Aichi se trouve dans la région Tôkai située au centre du Japon.

744 Pour les catégories professionnells, nous avons utilisé les PCS(Professions et Catégories Socioprofessionnelles) dont la nomenclature a été renouvellée en 1982 par l'INSEE. Source : http://www.insee.fr/fr/nom_def_met/nomenclatures/prof_cat_soc/pages/pcs.htm. Il faut préciser quelques défauts résidant dans le résultat sur les parties concernant les expériences professionnelles (Question 6, 7, 8) D'abord, vu l'ambiguïté de la situation des retraités ou de celle des personnes des foyers agricoles pluriactifs, la description de chaque profession devient approximative. Par exemple, un bon nombre de personnes de 60 ans à 65 ans travaillent à temp partiel comme « conseiller à temps partiel dans une usine » ou « employé à temps partiel » dans le cadre des mesures du « prolongement de l'emploi (koyô enchô) » appliquées par leurs entreprises. Il s'agit de permettre aux salariés de continuer à travailler après l'âge de 60 ans jusqu'à l'âge de 65 ans (ou 63 ans) où les salariés pourront toucher leur pension. Il y a également des retraités qui peuvent se trouver dans une situation de chômage temporaire sans pouvoir toucher leur pension avant d'avoir l'âge de 63 ans ou 65 ans. Puis, la réponse comme « agriculteur » ne designe pas forcément un statut professionnel, car on peut être à la fois salarié retraité et agriculteur non professionnel. Ensuite, un autre défaut de cette partie de l'enquête réside dans la manière dont les questions ont été posées. En effet, nous avons demandé aux stagiaires de présenter la profession par « métier ou secteur », ce qui entraîne un manque de précision dans la façon dont les enquêtés ont présenté leur profession. Cetrains ont mis un métier, mais d'autres un secteur dans lequel ils travaillent, comme par exemple « commerce » dont on ne voit pas le statut exact du travail. C'est pourquoi l'enquêteur a dû réorganiser ce type de réponses de manière plus ou moins arbitraire.

Expériences agricoles

Quant aux expériences agricoles, il n'est pas facile de distinguer les populations agricoles ou non agricole vu la situation marquée par la pluriactivité des foyers agricoles. Mais nous pouvons effectuer des estimations plus ou moins justes à partir des réponses aux questions sur la durée et le contenu des expériences agricoles.

D'abord, 72% des enquêtés (36 personnes) ont une expérience agricole quelconque. Parmi eux, deux tiers (24 personnes, soit 48% du nombre total) ont plus de cinq ans d'expériences agricoles. Parmi les expérimentés, 20 personnes (40% du nombre total) ont cultivé un jardin potager, et 16 personnes tirent leurs expériences du travail sur les terrains de leur ferme natale. Nous pouvons considérer ces dernières comme venant d'un foyer agricole situé dans la Ville de Toyota. Puis, 5 personnes se sont présentées comme étant déjà agriculteur. A partir de ce constat, au moins 30% des enquêtés viennent d'un foyer agricole de la région, alors que 38% des enquêtés étaient les habitants de la Ville de Toyota. Là, nous pouvons constater une autre spécificité des habitants de la Ville de Toyota : la pluriactivité des foyers agricoles.

Puis, nous pouvons également estimer que, parmi la population « non agricole » (environ 70% des enquêtés), la grande majorité est originaire de régions rurales de l'extérieur de la région de Toyota. D'ailleurs, la plupart de ces personnes peuvent déjà avoir cultivé un jardin potager ou un jardin citoyen dans la Ville de Toyota.

A partir de ce résultat sur les expériences agricoles des enquêtés, nous pouvons constater une tendance fortement agricole et rurale chez les stagiaires tant au niveau de l'expérience qu'au niveau de la trajectoire, malgré le fait que le Projet Nô-Life est destiné au public en grande majorité non agricole et urbain,

Types de production souhaités : production de type polyculture à petite échelle Echelle de la surface agricole déjà utilisée

Parmi 15 personnes ayant répondu à la question 11 sur la surface agricole utilisée et le temps du travail agricole par semaine745, la moitié (7 personnes) utilise moins de 0.3ha et l'autre moitié utilise de 0.3ha à 1ha. Quant à l'échelle des activités agricoles envisagées (question 19), la plupart des enquêtés ont répondu en terme de surface . En effet, la moitié des personnes ayant répondu à cette question (19 sur 39 personnes) envisage de cultiver moins de 0.3ha (dont 7 personnes moins de 0. 1ha) après leur formation Nô-Life. Puis, 10 personnes veulent cultiver plus de 0.3ha jusqu'à 1ha. Seulement 4 personnes ont répondu en terme de revenu.

Les perspectives sur la surface agricole qu'ont les stagiaires pour leurs activités agricoles peuvent se catégoriser selon les trois niveaux approximatifs suivants : moins de 0.1ha ; de 0.1 à 0.3ha ; de 0.3ha à 1ha. En tenant compte du fait que le nombre des personnes envisageant de cultiver plus de 0.3ha de terrains correspond au nombre des agriculteurs pluriactifs qui utilisaient déjà plus de 0.3ha de terrains (nous venons de le constater plus haut), nous pouvons estimer que la surface que la grande majorité des stagiaires (plus de 80%) souhaitent cultiver après la formation Nô-Life est moins de 0.3ha.

Types de production envisagée après la formation

Sur les personnes ayant répondu à la question 17 sur les produits envisagés après la formation (42 personnes au total), sauf 9 personnes voulant cultiver les fruits (figues, poire, pêche et kaki etc), presque tous les stagiaires veulent cultiver plus de 5 sortes de produits allant jusqu'à 30 sortes de produits dont les légumes sont majoritaires.

De ce fait, nous pouvons esquisser le type de production que la grande majorité des stagiaires souhaitent mener comme la suivante : production à petite échelle (moins de 0.3ha) de type polyculture (à dominante maraîchère, plus des céréales (riz, soja, maïs) et des pommes de terre).

745 Ce chiffre correspond presque à notre constat sur les réponses obtenues pour la question 10 : 16 personnes tirent leurs expériences du travail sur les terrains de leur ferme natale parmi les stagiaires.

Tendances générales des représentations

A partir des réponses obtenues aux 7 questions (13 ; 15 ; 20-24), nous pouvons saisir les tendances générales des représentations qu'ont les stagiaires de leur participation à la formation, du Projet Nô-Life, de l'agriculture et de la ruralité. Ces 7 questions portent sur les catégories suivantes : motivations pour la participation (Q. 13) ; intérêts sur les domaines d'apprentisage (Q.1 5) ; intention de la réalisation concrète à moyen terme après la formation (Q.20) ; intention de la réalisation concrète à long terme après la formation (Q.21) ; place de l'agriculture dans la vie future (Q.22) ; vision idéale de la réalisation du « Nô-Life » (Q.23) ; problèmes agricole et alimentaire au Japon (Q.24).

Les enquêtés ont répondu à toutes ces questions par ecrit. Ce qui a permis à chaque enquêté de s'exprimer de manière personnelle. C'est aussi pourquoi la quantité et la qualité des réponses sont variables selon les enquêtés.

Ici, nous avons tenté de saisir les tendances générales de leurs représentations en analysant les différents éléments que les réponses contiennent.

Motivations pour la participation (Q. 13)

Pour la question 13 sur la motivation pour la participation à la formation du Centre Nô-Life, nous avons obtenu 28 réponses.

La plupart des réponses ont reflété des intérêts plutôt immédiats et concrets des stagiaires pour la participation à la formation Nô-Life. Ainsi, la majorité des réponses (16 personnes) ont mentionné l'apprentissage des techniques et des connaissances agricoles. Puis, ont suivi une série d'éléments concernant la production : la conservation ou la succession de la production agricole familiale (9 personnes), le développement de la production agricole individuelle (6 personnes) et la location ou l'achat des terrains agricoles (5 personnes).

Q.13 : Motivation pour la participation à la formation Nô-Life

Eléments

Nombre des réponses

Apprentissage techniques (connaissance)

16

Conservation (succession)
production agricole familiale

9

Développement production agricole individuelle

6

Location (ou achat) terrains agricoles

5

Ikigai après la retraite

3

Revenu (rentabilité)

3

Santé

3

Auto-consommation

3

Relation familiale

3 (parent-enfant 1; conjugale 2)

Qualification agricole

2

Installation agricole(professionnelle)

2

Plaisir, loisir

2

Installation (vie) à la campagne

2

Devenir agriculteur

1

Porteur de l'agriculture

1

Nature (sol, terre)

1

Auto-suffisance alimentaire japonaise

1

Sécurité alimentaire

1

Consommation

1

Contribution sociale et territoriale

1

Paysage

1

Vieillissement de la population

1

Futur mode de vie

1

Prévention de la friche

1

Une autre vie que la vie salariale

1

Autres

2 (nostalgie de l'agriculture 1; nouveau type de service publics

Total (Nombre des réponses)

28

Intérêts sur les domaines d'apprentisage (Q. 15)

Pour la question 15 « Que vous voulez le plus apprendre dans la formation Nô-Life ? », nous avons obtenu 33 réponses. La grande majorité des réponses (26 personnes) ont exprimé l'intérêt focalisé sur les divers aspects techniques de la production agricole tantôt sur les produits spécifiques (légumes, riz, fruits etc), tantôt sur les modes de production (utilisation réduite des pesticides, rotation, amendement etc). Et beaucoup d'entre elles (9 personnes) ont insisté sur les connaissances de « base ».

Q. 15 : Intérêts sur les domaines d'apprentisage

Eléments

Nombre des réponses

Apprentisage technique

26

Gestion d'exploitation

2

Distribution des produits agricoles

1

Rentabilité

1

Caractéristiques des plantes

1

Légumes sans traitements chimiques

1

Communication avec les gens

1

Possibilité du business agricole

1

Procédures administratives

1

Total (Nombre des réponses)

28

Intention de la réalisation concrète après la formation à moyen terme (Q.20)

Pour la question 20 « Quelle réalisation concrète envisagez-vous à travers vos activités agricoles à moyen terme (d'un à cinq ans) ? », nous avons obtenu 46 réponses.

En comparant les éléments de ces réponses aux trois catégories constitutives de l'agriculture de type Ikigai que nous avons analysé dans le chapitre 2, nous pouvons faire un schéma comme ci-dessous. Si le nombre des réponses exprimant le souci sur le revenu agricole était le plus nombreux (12 personnes), les aspects non productifs ont été mis en avant tels que le lien social et territorial (11 personnes), le style de vie (7 personnes), la santé (6 personnes), l'auto-consommation (6 personnes), la relation familiale (6 personnes), la consommation (5 personnes) etc. Ceci à la différence des réponses pour la question sur la motivation pour la participation, et à celle sur l'intérêt sur les domaines d'apprentisage, qui ont presque exclusivement porté sur l'aspect productif et technique.

Le nombre des réponses exprimant le souci sur le revenu agricole était le plus nombreux, mais les contenus des intentions sur le revenu agricole sont variés. il y a tantôt des personnes qui souhaitent avoir un revenu

agricole minimum « pour pouvoir vivre » ou « si possible », tantôt celles qui souhaitent avoir un revenu agricole annuel de 300 000 à 1 000 000 yens ou plus.

Nous pouvons remarquer que l'importance accordée aux objectifs officiels du Projet Nô-Life est relativement basse : porteur de l'agriculture (1 personne) ; prévention de la friche (1 personne) ; Ikigai après la retraite (2 personnes) ; vieillissement (1 personne).

Q.20 : Réalisation concrète envisagée à moyen terme (de 1 à 5 ans)

Qualité de vie

Nbre

Lien social et territorial

Nbre

Production matérielle

Nbre

Style de vie

 

Sociabilité ;

 
 
 

(cadre de vie ;
vie individuelle)

7

vie de la localité ;
relation humaine

11

Revenu (rentabilité)

12

Santé

6

Relation familiale

6

Vente

5

 
 

Contribution sociale et

 
 
 

Auto-consommation

6

territoriale

1

Techniques

2

Consommation

 
 
 
 
 

(vie alimentaire)

5

Education alimentaire

1

Porteur de l'agriculture

1

 
 
 
 

Agriculture

 

Plaisir, loisir

3

Vieillissement

1

respectueuse
de l'environnement

1

Ikigai après la retraite

 
 

Prévention de la friche (mise en valeur des

 

(life work)

2

 

terrains agricoles)

1

Nature (sol, terre)

2

 

Business

1

Habitat

1

 
 

Liberté

1

 
 

Sécurité alimentaire
(moins de
produits chimiques)

1

 
 

Nbre total

46

des réponse

Intention de la réalisation concrète après la formation à long terme (Q.21)

Pour la question 21 « Quelle réalisation concrète envisagez-vous à travers vos activités agricoles à long terme (de cinq à dix ans) ? », nous avons obtenu 36 réponses. Nous avons également établi un schéma comparant les éléments de ces réponses aux trois catégories constitutives de l'agriculture de type Ikigai.

D'abord, à la différence des réponses à la question précédente, plus d'intentions ont été exprimées sur le lien social et territorial (7 personnes) avant le revenu (6 personnes). Et l'autoproduction - autoconsommation (5 personnes) et le développement de la production agricole individuelle (5 personnes) les ont suivis.

Puis, dans les intentions sur le style de vie, des termes évoquant certains types de vie rurale comme « Seikô-udoku » ou « Slow life » sont apparus. Le terme de « Seikô-Udoku », étant une expression japonaise signifiant « cultiver la terre quand il fait beau, lire quant il pleut », designe un type de vie rural, calme et libre.

Dans la production matérielle, le nombre d'intentions exprimées sur l'agriculture respectueuse de l'environnement (4 personnes) a dépassé celui sur la vente (3 personnes).

Il est intéressant de voir qu'un même type de réflexion a été exprimé par deux stagiaires concernant l'autosuffisance alimentaire japonaise en rapport avec l'évolution de la conjoncture internationale, dont notamment la montée en puissance des pays émergents comme la Chine et l'Inde. La logique expliquée est la suivante : si ces pays, qui étaient auparavant exportateurs de l'alimentation, se développent économiquement, ils deviendront de plus en plus consommateurs et importateurs de l'alimentation. A ce moment-là, une crise alimentaire touchera le Japon en l'empêchant de plus en plus d'importer l'alimentation à bas prix. Tout comme le

cas du pétrole. Puis, c'est à cette occasion-là que l'agriculture japonaise prendra plus d'importance à l'intérieur du Japon...

Q.21 : Réalisation concrète envisagée à long terme (de 5 à 10 ans)

Qualité de vie

Nbre

Lien social et
territorial

Nbre

Production matérielle

Nbre

Autoproduction-
autoconsommation

5

Sociabilité ;
vie de la localité ;
relation humaine

7

Revenu (rentabilité)

6

Style de vie (cadre de vie ;
vie individuelle)

3

Relation familiale

2

Développement
production agricole individuelle

5

Habitat

2

Vieillissement

1

Agriculture
respectueuse de
l'environnement

4

Consommation (vie alimentaire)

2

 

Vente

2

Santé

1

Auto-suffisance alimentaire
japonaise

2

Nature (sol, terre)

1

Techniques

1

Installation (vie) à la campagne

1

Conservation
(succession) production agricole
familiale

1

 

Entreprise, business

1

Nbre total des réponses 36

Place de l'agriculture dans la vie future (Q. 22)

Pour la question 22 « Quelle place accorderez-vous à l'agriculture dans votre vie future ? », les enquêtés ont choisi une ou plusieurs réponses parmi les dix choix suivants que l'enquêteur leur a proposés : a. Profession principale ; b. Moyen d'obtenir un revenu supplémentaire ; c. Loisir ; d. Moyen de se maintenir en bonne santé ; e. Nouveau métier de la famille à transmettre de génération en génération ; f. Moyen de vivre avec la famille ; g. Moyen de s'enraciner dans la localité ; h. Moyen de se suffire à soi-même ; i. Moyen de créer des camarades ; j. Ikigai)

Le nombre de réponses était le plus important dans les trois éléments suivants : « h. moyen de se suffire à soi-même » (21 personnes), « d. Moyen de se maintenir en bonne santé » (20 personnes) et « Ikigai » (20 personnes). Puis, les trois réponses suivantes les ont suivies « a. profession principale » (14 personnes), « i. Moyen de créer des camarades » (14 personnes), « Moyen d'obtenir un revenu supplémentaire » (13 personnes). Ensuite, « c. Loisir » (10 personnes), « f. Moyen de vivre avec la famille » (9 personnes) et « g. Moyen de s'enraciner dans la localité » (8 personnes).

Ce résultat montre fortement quels types d'importances sont accordées à l'agriculture dans la vie des stagiaires. Il est remarquable que les trois éléments choisis avec le plus d'importance sont tous liés à la qualité de vie.

Q.22 : Place de l'agriculture dans la vie future

Eléments

Nombre des réponses

 
 

h. Moyen de se suffire à soi-même

21

d. Moyen de se maintenir en bonne santé

20

j. Ikigai

20

 
 

14

a.Profession principale

i. Moyen de créer des camarades

14

b. Moyen d'obtenir un revenu supplémentaire

13

c. Loisir

10

f. Moyen de vivre avec la famille

9

g. Moyen de s'enraciner dans la localité

8

e. Nouveau métier de la famille

5

k. Autres

2

Vision idéale de la réalisation du « Nô-Life » (Q. 23)

Pour la question 23 « Decrivez librement votre vision idéale de `Nô-Life' », nous avons obtenu 41 réponses. Nous avons également établi ci-dessous un schéma comparant les éléments de ces réponses aux trois catégories constitutives de l'agriculture de type Ikigai.

Cette question a eu comme caractéristique de faire s'exprimer les stagiaires sur leur désir ou intérêt fondamental sur l'agriculture et la ruralité.

Une importance plus ou moins égale été accordée aux éléments de la qualité de vie (autoproduction - autoconsommation, plaisir, loisir, style de vie, nature, liberté etc), du lien social et territorial (sociabilité, vie de la localité, relation humaine, camarades, relation familiale etc) et de la production matérielle (revenu agricole, autres professions non agricoles, agriculture respectueuse de l'environnement, vente etc).

Parmi ces éléments-là, ceux de la qualité de vie ont pris le plus d'importance. Surtout l'autoproduction - autoconsommation semble avoir une place privilégiée.

Nous pouvons également remarquer que les enquêtés sont davantage attachés aux éléments liés à la nature ou à l'environnement. En terme de la qualité de vie, quatre réponses ont mentionné le Seikô-udoku, et cinq réponses ont évoqué la nature comme élément de vie (sol, terre, rythme de vie) soit à intégrer, soit à protéger. Puis, en terme de la production, cinq réponses ont mentionné l'agriculture respectueuse de l'environnement tels que « culture biologique », « sans traitement chimique ».

Par ailleurs, curieusement, cette question a fait exprimer des idées conciliatrices avec la réalité en évoquant la nécessité d'avoir d'autres professions non agricoles (5 personnes) pour pouvoir continuer le style de vie de « nô » (avoir un rapport avec la ruralité de diverses manières).

Enfin, nous constatons également que les éléments liés aux objectifs officiels du Projet Nô-Life (porteur de l'agriculture, prévention des friches, Ikigai et vieillissement) ont relativement moins d'importance dans les expressions des enquêtés.

Q.23 : Vision idéale de « Nô-Life »

Qualité de vie

Nbre

Lien social et territorial

Nbre

Production matérielle

Nbre

Autoproduction -
autoconsommation

10

Sociabilité ;
vie de la localité ;
relation humaine ;
camarades

7

Revenu agricole (rentabilité)

6

Plaisir, loisir

8

Relation (vie) familiale

5

Avoir d'autres professions (non
agricoles)

5

Style de vie
(cadre de vie ;
vie individuelle)

6

Contribution sociale et
territoriale

2

Agriculture respectueuse de
l'environnement

5

Nature (sol, terre)

5

Vieillissement

1

Vente

4

Liberté

4

 

Prévention de la friche
(mise en valeur des terrains
agricoles)

3

Santé

2

Techniques (apprentisage)

3

Installation (vie) à la campagne

2

 

Entreprise, Business

2

Ikigai après la retraite (life work)

1

Développement production
agricole individuelle

1

Paysage

1

Revenus non agricoles

1

Maintien de la vie

1

Durabilité

1

Nbre total des réponses

41

Problèmes agricole et alimentaire au Japon (Q.24)

Pour laquestion 24 « Mettez vos opinions ou avis sur la situation contemporaine de l'agriculture et des produits agricoles au Japon », nous avons obtenu 30 réponses.

Cette question a comme caractéristique d'inviter les enquêtés à s'exprimer sur leurs prise de conscience et réflexions tantôt sur les problèmes de l'agriculture et de l'alimentation, tantôt sur les possibilités d'avoir des solutions.

Bon nombre de réponses sont marquées par une forte prise de conscience sur les crises agricole et alimentaire de manière à aborder des thématiques très larges. Ceci soit sur la main-d'oeuvre, soit sur les terrains agricoles, soit sur la production à petite échelle en difficulté, soit sur la contradiction de la politique agricole japonaise, soit l'autosuffisance alimentaire basse, soit la sécurité alimentaire inquiétante, soit la libéralisation... Surtout nous constatons qu'il n'y a aucune opinion optimiste parmi les réponses.

A partir des réponses proposant des possibilités d'avoir des solutions de la situation de crise, nous pouvons synthétiser les éléments exprimées par les enquêtés en trois idées communes comme ci-dessous :

- Afin d'améliorer l'autosuffisance et la sécurité alimentaire, il faut développer au niveau local la production et la consommation.

- Ceci sera également efficace pour d'autres thématiques de la société globale comme l'amélioration du cadre de vie, la lutte contre le réchauffement climatique et l'éducation des enfants etc.

- Pour réaliser cela, il faut plus ouvrir l'accès à l'agriculture pour les citoyens.

Finalement, ces trois idées semblent bien rejoindre l'idée principale de la politique de la Municipalité de Toyota. Rappellons - nous le fil rouge du Plan fondamental de 96 : intégration des thématiques globales de l'autosuffisance alimentaire et de la multifonctionalité ; développement des deux type d'agriculture industriel et ikigai ; participation citoyenne aux activités agricoles et rurales.

Nous constatons là que les stagiaires sont loins d'être privés des problématiques globales de l'agriculture et de la ruralité dans leurs représentations, mais au contraire, ils peuvent bien les penser activement, les réflechir et les mettre en cause.

D'ailleurs, ces idées peuvent se retrouver au niveau pratique des stagiaires : nous l'avons constaté plus haut, ils souhaitent généralement mener la production de type polyculture à petite échelle, ainsi que la distribution à court circuit (agriculture périurbaine).

Q.24 : Opinions sur l'agriculture et les produits agricoles au Japon

Thèmes abordés

Nombre des réponses

Auto-suffisance alimentaire au Japon

6

Mise en valeur des friches

5

Sécurité alimentaire

4

Ouverture de l'agriculture au public

3

Difficulté de l'agriculture à petite échelle
(grande agriculture industrielle / petite agriculture individuelle)

3

Echec de la politique agricole japonaise

3

"Agriculture réjouissante"

2

Semences hybrides et indigènes

2

Réglementations agricoles

2

Conjoncture internationale et agriculture japonase

2

Manque de porteurs

1

Revenu agricole instable

1

Libéralisation du marché agricole

1

OGM

1

Agriculture adaptée
à la spécificité régionale

1

Agriculture respectueuse
de l'environnement

1

Agriculture périurbaine

1

Total (Nombre des réponses)

30

Analyse : trois niveaux des représentations

A partir des réponses obtenues pour les septs questions dont nous venons d'exposer le résultat, nous pouvons distinguer trois différents niveaux de représentations qui sont indissociablement liées à la dimension de l'action des stagiaires : niveau stratégique ; niveau idéal ; niveau réflexif. Pour les expliquer, nous synthétisons ce que nous avons constaté dans les réponses obtenus pour les septs questions.

Niveau stratégique des représentations : demandes instrumentales

D'abord, pour la question 13 sur la motivation pour la participation à la formation Nô-Life, ainsi que la question 15 sur l'intérêt sur les domaines d'apprentisage, les enquêtés ont surtout mis l'accent sur les demandes instrumentales tant théoriques que techniques qu'ils veulent obtenir lors de cette formation dans l'immédiat. Cependant ils souhaitent également aborder, via la formation, l'aspect productif et matériel tels que la conservation de la production agricole familiale, le développement de la production agricole individuelle et la location ou l'achat de terrains agricoles qu'ils veulent envisager via la formation. Et ceci alors que peu de réponses ont évoqué les objectifs officiels du Projet Nô-Life comme la formation de porteurs de l'agriculture, la prévention des friches agricoles, Ikigai pour les personnes âgées et la prévention de la dépendance dûe au vieillissement.

C'est par là que nous entendons le niveau stratégique des représentations au sein des stagiaires : la formation Nô-Life est intrumentalisée par les stagiaires afin de réaliser leurs propres intérêts. Du moins les activités de l'apprentisage technique (ou théorique) dans le Centre Nô-Life ne constituent pas un obejctif en soi. Ce qui distinguerait d'emblée la caractéristique du Projet Nô-Life de l'optique du point de vue stardard d'Ikigai, tel qu'il est adopté par le SCI (Section pour la Création d'Ikigai) de la Municipalité : elle défini d'abord Ikigai par l'éducation permanente, bien qu'elle essaie, de sa part, de développer leur vision en y ajoutant l'idée de la contribution sociale et du travail. (Voir la partie de l'acteur 2 du Chapitre 2).

Entre le stratégique et l'idéal : intérêt fondamental...

Ensuite, pour la question 20 sur l'intention de la réalisation concrète à moyen terme (1-5 ans), ainsi que la question 21 sur la même chose mais qui porte sur le long terme (5-10 ans), les enquêtés ont exprimé leurs objectifs à atteindre (ou à réaliser) mais de manière quelque peu différente selon les deux dimensions temporelles que ces questions ont introduites.

Nous avons vu que, dans ces réponses, les enquêtés avaient mis l'accent sur les éléments liés à tous les trois

éléments constitutifs de l'agriculture d'Ikigai, c'est-à-dire, la qualité de vie (style de vie, santé, autoconsommation etc), le lien social et territorial (sociabilité, vie de la localité, relation familiale etc) et la production matérielle (revenu, vente, techniques etc). Mais nous avons également constaté une différence relative des tendances entre les réponses pour les deux questions : pour la question 20, le revenu avait le plus d'importance en devançant les éléments des deux autres catégories, tandis que pour la question 21, l'importance accordée au revenu a un peu baissé et le lien social et territorial l'a devancé. Puis, s'y sont ajouté de nouveaux éléments qui étaient marginaux dans les réponses pour la question précédente : autoconsommation, Seikô-udoku (et slow life également) et l'agriculture respectueuse de l'environnement. Le point commun qu'impliquent ces éléments-ci est - évidemment - le côté non-productif de l'agriculture et de la ruralité (ou vie rurale).

Pourquoi cette différence ? Ceci peut s'expliquer par la différence de la dimension temporelle : moyen terme (1-5 ans) et long terme (5-10ans). Ces deux dimensions temporelles introduites dans les questions ont fait que les enquêtés ont distingué leurs intérêts à court terme et à long terme, ce qui nous permet d'établir la distinction des intérêts selon ces deux niveaux temporels. Et c'est également par là que nous entendons le niveau idéal ou plus statique des représentations au sein des stagiaires. Mais ce niveau dite idéale ou statique n'exclut évidemment pas la dimension temporelle et stratégique. Là, nous pouvons parler de l'intérêt qui est fondamental et recherché à long terme par les stagiaires qui sont toujours ancrés dans la dimension réelle, à savoir spatio-temporelle et sociale.

Niveau idéal de représentations : projets de vie ou intérêts sur le long terme

Et la question 22 sur la place de l'agriculture dans la vie future, ainsi que la question 23 ont cette fois-ci , directement abordé cette dimension exclusivement idéale et plus statique des représentations par l'utilisation des terme « place de l'agriculture » et « vision idéale du 'Nô-Life' ». Le résultat a curieusement montré un prolongement (ou renforcement) de la distinction représentative que nous venons de constater entre les intérêts sur le court terme et sur le long terme.

En effet, dans les réponses obtenues pour la question 22, les éléments de la qualité de vie ont largement devancé les éléments des deux autres catégories : selon ces réponses, l'agriculture était d'abord considérée comme un moyen pour l'autoconsommation (« se suffire à soi-même ») et pour la santé (« se maintenir en bonne santé »). Puis, s'y ajoute la définition objective de l'agriculture comme « Ikigai ». Et après ces trois éléments, les définitions en rapport avec le lien social (« moyen de créer des camarades ») et la production matérielle (« moyen d'obtenir un revenu supplémentaire ») ont été choisies, accompagnées par la définition objective telle que la « profession principale ». Ensuite, dans les réponses obtenues pour la question 23, ce prolongement a été plus accentué : les éléments de la qualité de vie et du lien social et territorial ont largement devancé les éléments de la production matérielle. Surtout l'autoconsommation-autoproduction (jikyû-jisoku) a eu le plus d'importances. Puis, les éléments liés à la nature ont également eu plus d'importances tant en terme de qualité de vie qu'en terme de production matérielle (agriculture respectueuse de l'environnement).

Ce résultat implique les deux manières de définir l'agriculture, ainsi que des actions dans le Projet Nô-Life, qui vont de pair dans les représentations des stagiaires : d'un côté subjectif, car le prolongement de la stratégie sur le long terme dans l'action des stagiaires, de l'autre objectif car c'est la valeur statique et la vision idéale qu'ils ont tenté d'exprimer.

Niveau réflexif de représentations : pensée sur la politique collective

Enfin, les réponses obtenues pour la question 24 confirment le troisième niveau des représentations : réflexive. Nous avons constaté qu'en somme, les enquêtés ont des connaissances remarquables du mécanisme de la réalité objective qui les entoure, et sont capables d'y réfléchir. Et ils peuvent également mettre ces connaissances en rapport avec des solutions à la situation de crise agricole et alimentaire qui ne sont pas contradictoires avec leurs actions dans la participation au Projet Nô-Life.

Nous avons vu la correspondance entre la vision commune des stagiaires que nous avons induite à partir de

leurs idées exprimées en réponse à la question 24, et la vision de base de la politique agricole de la Municipalité de Toyota formulée dans le Plan fondamental de 96. Il s'agit de renforcer l'autosuffisance alimentaire, la sécurité alimentaire et la multifonctionalité ; développer au niveau local la production et la consommation des produits de bonne qualité ; faire participer les citoyens dans les activités agricoles. Nous entendons par là, une convergence entre les raisonnements des agents institutionnels du Projet Nô-Life et des stagiaires qui sont des acteurs individuels. Puis, curieusement, cette vision pouvait bien se retrouver au niveau pratique des stagiaires : souhait de mener une production à petite échelle, et de réaliser une distribution à court circuit (agriculture périurbaine).

Coexistance de représentations à plusieurs niveaux

En induisant les trois niveaux des représentations à partir du résultat de l'enquête par questionnaire, nous trouvons une coexistance de représentations à plusieurs niveaux. D'un côté, les stagiaires veulent réaliser d'autres choses (autoproduction - consommation ; vie avec la nature ; agriculture non productiviste ; c'est-à-dire respectueuse de l'environnement) que ce que le Projet souhaite réaliser officiellement746, tout en profitant des capitaux offerts par le Projet. Cette stratégie des stagiaires est non seulement pensée sur le court terme, mais distinguée sur le long terme, en se renforçant même au niveau de leur vision idéale des choses.

Cependant, de l'autre côté, nous avons vu apparaître, au niveau de la réflexion des stagiaires, une convergence entre l'idée générale sous-tendant le Projet Nô-Life et la politique agricole de la Ville de Toyota et l'idée des stagiaires, qui peut finalement se retrouver dans les pratiques des stagiaires eux-même.

Diversité et dynamique des représentations

Résultat de l'enquête par entretien

Notre enquête par entretien individuels a été effectuée auprès de 16 stagiaires des années 2005-2007. Chaque entretien fut effectué de manière intensive durant 30minutes à 1heure et demi par personne. Cette enquête a été accomplie pendant tout le mois d'octobre 2006, période où les stagiaires des années 2005-2007 avaient accompli les trois quarts des activités de leur formation.

Les questions ont été posées sur les sept points suivants à travers un an et demi d'expérience de la formation Nô-Life747 : a. changements d'idées qui se sont opérés au travers de la participation au Projet Nô-Life ; b. différences entre leurs activités (mode de vie) antérieures et actuelles, et leurs activités ultérieures ; c. changement de vision sur l'agriculture, le type de production envisagé après la formation et le problème auquel ils sont confrontés concernant leurs activités agricoles ; d. points de vue sur la vision de l'« agriculture de type Ikigai » telle qu'elle est promue par le Centre Nô-Life ; e. points de vue sur le rapport entre le Projet Nô-Life et le développement local (ou la vie de la localité) ; f. bilan des activités de la formation Nô-Life ; g. avis sur l'avenir (ou la continuation) du Projet Nô-Life.

Cette enquête a été effectuée dans le but de rechercher les enjeux des stagiaires à travers leur participation à la formation Nô-Life non seulement au niveau de l'action, mais également de la représentation des éléments relevant de l'idée de l'agriculture de type Ikigai promue dans le Projet Nô-Life.

Pour organiser nos entretiens, nous avons d'abord établi 9 catégories comme ci-dessous pour repérer les différents types de stagiaires selon les catégories objectives de profils (sexe, âge, lieu d'origine et expérience agricole : agriculteur ou non), ceci afin de rendre compte de la diversité des enjeux au sein des stagiaires.

746 Nous mettons de côté maintenant la divergence d'intérêts entre le BPA et la CAT : général (bien-être de tous) et particulier - sectoriel (production agricole avec but lucratif).

747 Liste des questions posées dans les entretiens se trouve dans l'annexe 2.

Les 9 catégories objectives de profils des stagiaires

Suite au constat du résultat de l'enquête par questionnaire sur les catégories objectives de profils des stagiaires, nous avons établi neuf catégories des stagiaires des années 2005-2007 indiquées dans le tableau ci-dessous, selon les quatre critères suivants : sexe (homme, femme) ; âge (jeune : 20 - 40 ans, âge moyen : 40 - 55 ans, âgé 55 - 65 ans) ; lieu d'origine (Ville de Toyota ou non) ; foyer agricole ou non748. Ainsi, nous avons intérrogé les 16 stagiaires dont chacun correspond à une de ces catégories.

Tableau : 9 catégories des stagiaires (années 2005-2007)

 

Sexe
( H/F)

Age

Lieu d'origine

Foyer agricole
ou non

Nbre de pers
intérrogées

1

H

Age moyen

Toyota

non agricole

3

2

H

Agé

Toyota

agricole

5

3

H

Agé

Toyota

non agricole

1

4

H

Agé

Non Toyota

non agricole

2

5

F

Jeune

Toyota

agricole

1

6

F

Age moyen

Toyota

non agricole

1

7

F

Age moyen

Non Toyota

non agricole

1

8

F

Agée

Toyota

agricole

1

9

F

Agée

Non Toyota

non agricole

1

Caractéristiques des données : représentations sociales en jeu

Approche subjectiviste

Le résultat de l'enquête par entretien nous permettra surtout de comprendre les représentations portées par les stagiaires, qui peuvent souvent échapper aux tendances générales. Et ceci non dans le sens du détail des faits, mais dans celui de la diversité des enjeux.

Si l'enquête par questionnaire nous a montré les attentes potentielles et plutôt initiales des stagiaires vis-à-vis du Projet Nô-Life, l'enquête par entretien va nous montrer les changements de ces attentes « en action » à travers leur vécu du Projet, c'est-à-dire leur expérience de la formation Nô-Life. Et ces changements nous permettront d'analyser les représenations en jeu portées par les stagiaires dans le déroulement du Projet Nô-Life.

Relevons ici une série de caractéristiques dont il faut tenir compte dans notre analyse des données recueillies par cette enquête par entretien.

D'abord, la description du passé des stagiaires que nous effectuerons plus bas, peut prendre la forme d'un récit de vie (ou histoire de vie) rendu intelligible par ordre chronologique, mais l'objectif de notre analyse n'est pas d'appréhender la vie des enquêtés comme fin (ou aboutissement, accomplissement) de leur histoire de vie construite de manière uniquement linéaire. Comme P. Bourdieu a établi la notion de « trajectoire », nous pouvons concevoir cette approche comme une « série de positions successivement occupées par un même agent

748 En raison de l'absence ou de la présence faible de stagiaires correspondants, les types suivants ont été exclus de nos catégories : homme jeune ; homme d'âge moyen originaire de la Ville de Toyota venant d'un foyer agricole ; Homme d'âge moyen non originaire de la Ville de Toyota ; femme jeune originaire de la Ville de Toyota venant d'un foyer agricole ; femme jeune non originaire de la Ville de Toyota ; femme d'âge moyen non originaire de la Ville de Toyota venant d'un foyer agricole ; femme âgée

originaire de la Ville de Toyota venant d'un foyer non agricole ; femme âgée non originaire de la Ville de Toyota venant d'un foyer agricole.

(ou un même groupe) dans un espace lui-même en devenir et soumis à d'incessantes transformations749 ».

A partir de ce point de vue-là, notre analyse vise à atteindre l' « ancrage » social des individus, ce qui nous permettra d'appréhender les représentations sociales au sein des stagiaires enquêtés sur leur participation au Projet Nô-Life, le Projet Nô-Life, et l'agriculture et la ruralité.

Puis, en contraste avec l'analyse précédente du résultat de l'enquête par questionaires, l'analyse du résultat de l'enquête par entretien mettra davantage en avant la subjectivité des enquêtés qui peut être à la fois inscrite dans l'interactivité par rapport à la situation locale du Projet Nô-Life, et influencée par la contingence comme des évènements extérieurs ou imprévus pour les enquêtés.

Compte tenu de ces aspects que nous venons de relever comme caractéristiques du résultat de l'enquête par entretien (trajectoire, subjectivité, interactivité, situation locale, contingence), il faudra donc analyser les représentations ni à partir des catégories objectives ni à partir de leurs tendances générales, mais à partir de leurs catégories subjectives et des tendances spécifiques. Et ceci nous demandera ensuite d'appréhender ces représentations sans les dissocier de leurs propres contextes socio-spatio-temporels.

Statut des catégories objectives : non représentatif, mais descriptif

Nous devons alors expliquer pourquoi nous avons ici intégré les neufs catégories objectives des stagiaires dans cet examen du résultat de l'enquête par entretien. Ceci d'abord non pas en les considérant comme facteurs déterminants des représentations des stagiaires, mais pour une raison pratique dans le cadre de la réalisation de cette enquête par entretien : il s'agissait de repérer et d'interroger le plus possible les différents types de stagiaires parmi ceux des années 2005-2007.

Autrement dit, nous avons utilisé ces catégories préétablies à partir de notre constat de la situation en place avec le résultat de l'enquête par questionnaire et l'observation-participante effectuée par l'enquêteur, comme prétexte pour intégrer le plus possible la diversité des traits des stagiaires dans notre description.

Ce qui nous amène à dire que nous ne présupposons pas nos 16 enquêtés comme représentatifs de tous les stagiaires correspondants chacun à leurs catégories objectives. Par exemple, une personne de la catégorie 5 ne représente pas forcément toutes les autres personnes correspondantes à cette catégorie.

En plus, nous devons relever une limite de notre enquête par entretien : les neufs catégories dont nous nous sommes servis pour mener nos entretiens, n'ont pas pu être tout-à-fait exhaustives.

Par exemple, nous savons qu'il y avait un homme de 28ans parmi les stagiaires des années 2005-2007, qui avait pour objectif de devenir agriculteur professionnel après la formation Nô-Life. Ce qui échappe déjà à nos neuf catégories objectives. Même s'il est le seul stagiaire de moins de 30 ans parmi ceux des années 2005-2007, cela nous aurait intéressé de l'interroger. Cependant, nous n'avons malheureusement pas eu la chance de le joindre, en raison de sa disponibilité qui était relativement moins importante que les autres. Pourquoi ? Parce que, dès sa première année dans la formation Nô-Life, par l'intermédiaire du Centre Nô-Life, il a trouvé une exploitation en agriculture biologique dans la Ville de Toyota qui l'a accepté comme employé - stagiaire à temps plein. Du coup, il n'a pas eu besoin d'effectuer son stage individuel dans une parcelle attribuée par le Centre Nô-Life, ce qui fait qu'il fréquentait moins souvent le Centre. De plus, il était habitant de la Ville de Nagoya (30 - 40 km de la Ville de Toyota)750.

Quatre grilles de lecture des entretiens

L'examen des réponses pour les questions a., b., et c. nous permettra de voir les trajectoires et les choix

749 Selon P. Bourdieu, « les évènements biographiques se définissent, comme autant de placements et de déplacements dans l'espace social, c'est-à-dire, plus précisément, dans les différents états successifs de la structure de la distribution des différentes espèces de capital qui sont en jeu dans le champ considéré. Le sens des mouvements conduisant d'une position à une autre (...) se définit, de toute évidence, dans la relation objective entre le sens au moment considéré de ces positions au sein d'un espace orienté ». (Bourdieu, 1994 : 88-89)

750 D'ailleurs, en théorie, les profils des stagiaires peuvent différer d'une année sur l'autre : un jour, peut-être, un jeune étudiant d'une faculté d'agronomie viendra-t-il participer à la formation Nô-Life ? Ou bien, un immigré japono-brésilien travaillant dans une usine de sous-traitance de l'Automobile Toyota ? Ou encore, un médecin, un avocat, un cadre retraité de l'Automobile Toyota ?

d'activités opérés par les stagiaires. Puis, l'examen des réponses pour la question d. nous permettra de voir la prise de position des stagiaires vis-à-vis de la vision de l'agriculture de type Ikigai proposée par le Projet Nô-Life. Enfin, l'examen des réponse les questions e. f. g. va montrer les réflexions des stagiaires sur le devenir du Projet Nô-Life lui-même en terme de : sa place dans le développement local (e); le bilan des activités de la formation Nô-Life (f); l'avenir du Projet Nô-Life751. Nous présenterons ci-dessous en quatre tableaux suivants la synthèse du résultat des entretiens.

Tableaux de la synthèse des entretiens

Tableau de la synthèse 1 : catégorie 1

M. Nichizawa M. Katô M. Itô

Catégories
objectives

1 : homme d'âge moyen, originaire de la Ville de Toyota - foyer non agricole

Trajectoire et
motivation
principale

Traj. : 43 ans ; situation précaire ; exp. agri. : culture légumes en pot, pr ès de 10 ans.

Motiv.: passion ; objectif professionnel

Traj. : 40 ans ; situation précaire ; exp. agri. : un peu de jardin potager ; problème mental

Motiv.: passion (riziculture) ; auto- consommation

Traj. : 43 ans ; carrières diverses (salarié, petit entrepreneur)

Motiv.: s'impliquer dans le monde agricole et rural ; prod. figues ; contribution au dév. rural.

Changement didé
es, activités et mode
de vie

Idées : pas de grand changem. ; motiv. identitaire (toute sa vie) ; choix prod. fraises pour revenu ; contraintes économ. pour invest..

Vie : santé améliorée.

Idées : pas de changem. ; plaisir d'autoconsom. ; chaleur humaine ; liberté ; souhait achat terrains ; souhait culture sans traitement chimique ; contrainte économ. (chert é de terrain)

Vie : pas de changem. ; problème de dépression (été 2006)

Idées : pas de prod. figues ; constat crise agricole (vieillissem., durabilité) ; volonté monter une association de stagiaires Nô-Life ; passion ; intérêt à long terme

Prise de position vis-à-vis de

l'agricult. de type Ikigai

Objectif d'un million de yens :

accord.

Idée Ikigai : accord (passion, intérêt à long terme)

Objectif d'un million de yens : relativiste ("chacun son objectif").

Vieillissem. : Projet est lié à son problème de 10-15 ans après.

Idée Ikigai : accord (motiv. identitaire et sociale, intérêt à long terme)

Réflexions sur le devenir du Projet Nô -Life

Bilan : cela dépend des résultats (devenir professionnel ou pas) ; insuffisance de la format. (quantité de cours).

Rapport au dév. local : souhaitable ; Projet pas assez connu par le public. Avenir du Projet : continuation né

cessaire.

Rapport au dév. local : Projet doit constituer un réseau ; insuffisance format. (connaissance approfondies).

Avenir du Projet : continuation né cessaire ; pour cela, il faut créer un r éseau de coopération.

751 Dans l'annexe 3, nous avons présenté la synthèse des entretiens effectués avec les stagiaires des dix catégories selon quatre grilles de lecture suivantes : 1 Trajectoire et motivation initiale ; 2 Changement d'idées, activités et mode de vie (questions a. ; b. ; c.) ; 3 Prise de position vis-à-vis de l'agriculture de type Ikigai (question d.) ; 4 Réflexions sur le devenir du Projet Nô-Life (question e. ; f ; g.).

Tableau de la synthèse 2 : catégorie 2

M. Shimizu

M. Kobayashi

M. Imai

M. Shioya

M. Isomura

2 : homme âgé - originaire de la Ville de Toyota - foyer agricole

Changement
d'idées, activité
s et mode de
vie

Idées : pas de grand

changem. ; constat difficulté de vente ; plaisir de produire. Vie : pas de grand changem. ; santé améliorée.

Catégories
objectives

Trajectoire et
motivation
principale

Traj. : 66 ans ; fils aîné d'agriculteur ; exp. agri. : très peu dans la jeunesse ; culture Kaki commencée à l'âge de 58ans) ; salariés (18-60ans) ; retraite ; succession obligée Motiv.: recherche de successeurs de ses activ. agricoles ; maintien de biens familiaux.

Traj.: 54 ans ; fils aîné d'agriculteur ; salarié (-53ans) ; exp. agri. : aide des parents ; perte de l'épouse ; incendie (perte des parents) ; pré retraite et succession obligée. Motiv.: maintien et transmission des biens agricoles familiaux.

Idées : pas de changem. de vision ; étre plus sûr de sa compétence ; forme de prod. ne changera pas : autoconsom. sans vendre les produits (sauf du riz) ; problè me : liberté limitée par la politique agricole (ex. réduction de la surface rizicole)

Vie : activ. agricoles devenues principales ; nouveaux loisirs li és aux activ. agricoles (ex. soba)

Traj. : 57 ans ; fils aîné d'agriculteur pluriactif ; exp. agri. : aide des parents ; salari é (poste) ; préretraite obligée (maladie de son père) ; succession obligée (décès de son beau frère)

Motiv.: maintien de biens agricoles familiaux.

Idées : être plus sûr de sa compétence ; encouragé par d'autres stagiaires "de même type" que lui ; pas de grand changem. de vision ; autoconsom. sans vendre les produits (sauf du riz) ; intention réduction - simplification de traitements chimiques.

Vie : activ. agricoles devenues principales.

Traj.: 61ans ; fils cadet d'agriculteur ; héritage partiel de biens agricoles familiaux ; arrêt de prod. depuis une trentaine d'années ; salarié

(1 8-60ans, Automobile Toyota) ; exp. agri. : un peu ; retraite. Motiv.: maintien de biens familiaux ; pour loisir.

Idées : agricult. comme loisir, non prioritaire par rapport à d'autres loisirs ; plaisir de cultiver ; style de vie ; pas de grand changem. de vision ; multifonctionalité de l'espace agricole ; forme de prod. ne changera pas ; contrainte é conom. (pression foncière). Vie : pas de grand changem.. Plaisir de cultiver et autoconsommer avec son é pouse.

Traj.: 56 ans ; originaire d'un village moyenne montagne ; gendre dans un foyer agricole ; salarié (caserne de pompiers) ; exp. agri. : un peu d'aide de son beau père ; préretraite (54ans)

Motiv.: maintien de biens agricoles familiaux.

Idées : étre plus sûr de sa compétence ; intérêt à l'é ducation alimentaire ; constat importance des connaissances scientifiques ; forme de prod. adaptée aux terroirs ; remarque critique sur le système l'entremise de terrains (il faut tenir compte de l'attitude égoïste de proprié taires ruraux qui risque de faire obstacle au système)

Vie : activ. agricoles devenues principales ; distrib. de lé gumes à la vente directe ; un autre rythme de vie que la vie salariale.

Prise de
position vis-à-
vis de
l'agriculture de
type Ikigai

Réflexions sur
le devenir du
Projet Nô-Life

Vieillissem. : problème succession de ses activ. s'imposera.

Objectif un million de yens : impossible et inacceptable Idée Ikigai : accord (qch indé finissable, ni pour loisir ni pour santé)

Rapport au dév. local : bons effets sûrs (identité agricole de la Ville).

Bilan : il a bien appris les techniques ; il était bien

assidu.

Avenir du Projet : continuation nécessaire avec un é largissement du Centre NôLife.

Vieillissem. : problème de succession de ses activ. s'imposera.

Objectif un million de yens : accord (former les porteurs) Idée Ikigai : accord. (pour la transmission des biens

agricoles familiaux, l'agricult. ne constitue pas Ikigai en lui-m ême)

Rapport au dév. local : décisif. Car l'agricult. est basée sur sa localité, bon impact sur l'urbanisation

Bilan : il a bien appris les techniques ; trop de

traitements chimiques coûteux dans la format. ; intérrogation sur la recherche de rentabilité ; douteux que beaucoup de stagiaires deviennent porteurs.

Objectif Nô-Life : il ne correspond pas au type "porteur" de l'agricult. Objectif un million de yens : trop contraignant.

Idée Ikigai : agricult. n'est pas Ikigai, mais plutôt une obligation par rapport aux biens familiaux.

Rapport au dév. local : Autour de lui, très peu de personnes continuent leurs activ. agricoles. Les gens de foyers non agricoles sont plus motivé es que ceux de foyers agricoles. Projet doit se focaliser sur les personnes ayant les marges économ. et temporelle pour développer l'agricult. de type Ikigai.

Avenir du Projet : continuation nécessaire ; il serait bien d'ajouter des enseignements sur l'agricult. biologique.

Objectif Nô-Life : c'est bien pour animer les personnes âg ées ; lui-même ne correspond pas au type de producteurs d'Ikigai ayant pour but de dé gager un revenu agricole

Idée Ikigai : faire ce que l'on aime ; loisirs variés selon les â ges.

Rapport au dév. local : Pas de réputation sérieuse du Projet au sein de la population locale Bilan : manque

d'enseignements sur l'entretien des cultures

Avenir du Projet : il risque d'ê tre éphémère, cela dépend des attentes des citoyens.

Objectif un million de yens : trop contraignant ; difficulté de faire appel aux salariés retraité s, lié à leur tendance d'être dé pendant de l'entreprise et de la vie salariale.

Idée Ikigai : une préoccupation importante pour sa vie. ("pourquoi vivre ?")

Rapport au dév. local : il faudrait créer une zone réserv ée aux paysans.

Bilan : manque d'enseignements sur l'entretien des cultures.

Avenir du Projet : continuation nécessaire. Il faudrait créer un rapport de confiance avec les propriétaires ruraux.

Tableau de la synthèse 3 : catégorie 3 - 4

 

M. Naruse

M. Suzuki M. Kamihata

Catégories
objectives

3 : homme âgé - originaire de la
Ville de Toyota - foyer non
agricole

4 : homme âgé - non originaire de la Ville de Toyota - foyer non
agricole

Trajectoire et
motivation
principale

Traj.: 55 ans ; ingénieur informatique à Yokohama ; préretraite (maladie de ses parents) ; exp. agri. : un peu de jardin potager ; aller à Tôkyô une fois par mois pour un travail temporaire Motiv. : autoconsom. ; plaisir.

Traj.: 63 ans ; fils d'agriculteur à Shizuoka, installation à Toyota pour son travail (18ans - aujourd'hui, Automobile Toyota) ; construction maison individuelle à Toyota (25 ans) ; perte de son épouse (42 ans) ; rêve de la vie paysanne à l'âge de 50 ans (autoprod. - consommat. dans la montagne) ; demi-retraite (60ans) Motiv. : "faire qch" pour faire face à la crise de l'arboricult. de Toyota.

Traj.: 60 ans ; fils aîné d'agriculteur à Kagoshima ; reprise exploitation parentale (18ans) ; divers boulots à l'extérieur ; réussite "agricult. de sept chiffres" les années 60 ; trois ans de maladie suite au surtravail (25ans) ; travailler à Tôkyô dans une épicerie (quelques années) ; ouverture supermarché indépendant à Nagoya (trois ans) ; salarié une chaîne locale de supermarché (pour régime pension d'entreprise) ; demi-retraite (60ans).

Motiv : réalisation objectif "agricult. de sept chiffres" après sa retraite.

Changement d'idé
es, activités et mode
de vie

Idées : hésitation entre vente et autoconsom., liée aux contraintes marché ; souhait d'apprendre mé thode bio ; continuation méthode enseignée par la format. ; plaisir de produire.

Vie : pas de grand changem. d'activ. ; activ. agricoles devenues de plus en plus dominantes ; sa famille favorable à la coopération à ses activ. agricoles ; le fait d'aller à Tôkyô une fois pas mois lui permet de "ne pas trop s'attacher à la campagne"

Idées : envie d'"arrêter" la format., lié e à trop grandes contraintes de l'arboricult. ; discussion avec M.Itô sur l'idée de monter une association de stagiaires de Nô-Life ; hésitation sur ses activ. après la format. ; soucieux de l'avenir de l'agricult. japonaise.

Vie : il trouve une "plénitude" dans sa vie ; d'autres occupations (loisirs, responsabilité pour sa localité)

Idées : objectif réalisation "agricult. de sept chiffres" ; plan entreprise agricole familiale ; il appelle sa tentative agricole "agricult. réflexive (kangaeru nôgyô)" par opposition à l'agricult. de type industriel et élitiste ; après la format., louer plus de 0.1ha en plaine et entrer dans le groupement de producteurs d'aubergines.

Vie : travailler tous les jours ; 0.05ha de terrains déjà loués dans une zone de moyenne montagne ; il a distribué ses légumes (ses familles, amis et connaissances, vente directe à Toyota).

Prise de position vis-à-vis de

l'agricult. de type Ikigai

Objectif Nô-Life : "une bonne chose" pour lui, qui lui permi une activité à long terme

Idée Ikigai : Il la pense en terme de ses activ. agricoles à long terme.

Objectif un million de yens : c'est une idée pour les professionnels, pas pour les retraités ; ne plus croire à l'idée initiale du Projet Nô-Life ; inté rrogation : "comment aller plus loin que le niveau de jardin potager (dans la pratique agricole après la retraite) ?"

Idée Ikigai : important (une vie diffé rente que la vie salariale).

Objectif un million de yens : cela correspond au sien. Mais constat diff érence par rapport à beaucoup d'autres stagiaires intéressés par l'autoconsom..

Idée Ikigai : important (contribution au dév. local via ses activ. agricoles)

Réflexions sur le devenir du Projet Nô -Life

Rapport au dév. local : il dépendra de la motiv. des salariés retraités ; continuité urbain-rural et intérêt de la population à la prod. font caracté ristiques de la Ville de Toyota

Bilan : il a bien obtenu les

techniques et des camalades.

Avenir du Projet : continuation né cessaire ; il faudrait plus de choix de catégories dans la format..

Avenir du Projet : il faut clarifier la vision de fond du Projet, sinon il risque de décliner.

Bilan : très satisfait de la format..

Tableau de la synthèse 4 : catégorie 5 - 9

Mme. Konno Mme. Tsuzuki Mme. Kawamura Mme. Katô Mme. Mizutani

Catégories
objectives

5 : femme jeune - originaire
de la Ville de Toyota - foyer
non agricole

6 : femme d'âge moyen -
originaire de la Ville de
Toyota - foyer agricole

7 : femme d'âge moyen, non
originaire de la Ville de
Toyota, foyer non agricole

8 : femme agée, originaire
de la Ville de Toyota, foyer
agricole

9 : femme agée, non
originaire de la Ville de
Toyota, foyer non agricole

Trajectoire et
motivation
principale

Traj.: 35 ans ; travail (après lycée) ; mariage ; accouchement enfants ; refus de devenir "bonne femme à temps partiel, afin d'"avoir un territoire de soi-même"; réfé rence aux "mères des années 55-65"

Motiv.: volonté de faire l'agricult. son "métier pour toute la vie".

Traj.: 48 ans ; mariage avec un agriculteur pluriactif (27ans) ; femme au foyer ; exp. agri. : un peu d'aide de sa belle mère ; chargé du ménage et de ses trois enfants (dont l'un est parti pour aller à l'univ.)

Motiv .: pas de raison particuliè re ; circonstanciel : "comme il y a des rizières et des champs (chez elle)"

Traj.: 55 ans ; originaire d'une famille grossiste de bois jardinage à Inazawa ; travail chez un fleuriste, installation à Toyota ; mariage avec un salarié de l'Automobile Toyota (28, 9ans) ; ouverture d'un magasin de fleurs indépendant (pendant 25ans) ; divorce et fermeture magasin (il y a

5ans) ; exp. agri. : jardins potagers (depuis une dizaine d'années) ; employée à temps partiel (usine de mayonnaise) ; arrêt de travail (maladie de sa mère) ; chômage ; chargée par sa fille ; "prête à commencer" ses activ. agricoles.

Motiv .: passion (culture maraî chère) ; obtention de revenu supplémentaire ("argent de poche de tous les jours") ; prod. de figues.

Traj.: 60 ans ; fille aînée d'une famille agricole pluriactive ; exp. agri. : un peu d'aide des parents ; salarié (éducation permanente) ; mariage avec un fils d'une famille non agricole à proximité de chez elle ; son mari était fonctionnaire (préfecture) ; retraite (60ans). Son petit frère a hérité les biens agricoles familiaux. prod. confiée à une entreprise agricole.

Motiv .: occupations après la retraite ; soit une grande prod. de fraises en serre avec son fils en chômage, soit une prod. maraîchère avec son mari pour le plaisir.

Traj. : 63 ans ; fille d'une

famille de pêcheur à Mie ; rêve d'une vie rurale et montagnarde ; installation dans la Ville de Toyota après son mariage avec un technicien du secteur automobile ; travail en tant qu'aide familiale ; problème de la relation humaine ; exp. agri. : jardin potager depuis la retraite du mari ; problème du chômage de son fils cadet Motiv. : souhait de retrourner au pays natal pour mener des activ. agricoles avec sa

famille.

Changement
d'idées, activité
s et mode de
vie

Idées : de la prod. de pêches à celle de légumes ; pas sûr de conditions de terrains agricoles à louer.

Vie : grand changem. (vie bas ée sur "cycle de la nature") ; beaucoup plus de temps libre qu'avant (quand elle travaillait) ; son mari et ses enfants peuvent l'aider ; grand changem. de vision : "tout a changé", auparavant, l'agricult. n'avait aucun sens pour elle.

Idées : pas de grand changem. ; motiv. relativement faible pour les activ. agricoles, liée à d'autres occupations ; non intention de s'investir plus dans le domaine agricole, liée au manque de temps ; pas de changem. de vision ; autoconsom. sans vendre les produits (sauf du riz) ; forme de prod. ne changera pas.

Vie : pas de changem..

Idées : intention de cultiver les aubergines au lieu de figues, li ée à la difficulté du traitement maladie de figues ; distinguer la méthode enseignée dans le Centre Nô-Life, et la méthode de type écologique ; condition de la suface minimum de la

location (0.1 ha) est contraignante ; souci sur la main-d'oeuvre.

Vie : pas de grand changem. : activ. agricoles étaient déjà principales quand elle travaillait à l'usine ; apprentisage et tentative de pratiques

agricoles de type écologique.

Idées : utilisation prévue de terrains de sa famille natale, pour la prod. de fraises en serre ; constat difficulté d'obtenir un revenu agricole ; utilisation du prêt agricole dé partemental paraît très risquée : d'où son hésitation (prod. commeciale ou prod. pour autoconsom.).

Vie : sa relation conjugale am éliorée via ses activ. de la format. (activ. communes)

Idées : épargne pour son invest. futur dans l'agricult. ; location de terrains envisagée à Toyota ; changem. de vision : rapport avec le temps qu'il fait ; difficulté de cultiver du riz sans traitement chimique ; forme de prodution : prod. diversifiée (riz et légumes), transformat. variée et vente ; problème de financement ; son fils n'est pas motivé par les activ. agricoles.

Vie : amélioration santé physique (ménopause) et mentale (relation humaine) ; animation de la relation du voisinage.

Prise de position vis-à- vis de l'agricult. de type Ikigai

Objectif Nô-Life : "trop tard" de s'y investir après 60ans, car contraintes économ. et physique ; succession des activités en question ; place privilégiée pour les jeunes mè res.

Idée Ikigai : important (trouver le plaisir et l'occupation à long terme pour les mères)

Objectif Nô-Life : son objectif n'est pas la vente

Idée Ikigai : sa participation à la format. n'est pas pour Ikigai, mais "par hasard".

Objectif d'un million de yens : impossible à réaliser.

Idée Ikigai : Accord (agricult. est un des choix pour cela).

Objectif un milion de yens : impossible à réaliser. Le prêt agricole départemental est une grande contrainte.

Idée Ikigai : accord (occupations après la retraite)

Objectif Nô-Life : vieillissem. (population) et délabrement (agricult.) sont très présents dans sa vie

Objectif un milion de yens : impossible à réaliser.

Réflexions sur le devenir du Projet Nô-Life

Rapport au dév. local : il n'est pas facile à penser : car en ré alité, les femmes au foyer sont pas assez sensibles à ce

sujet (crise agricole, consommation de produits de terroir etc)

Rapport au dév. local : Projet est objectivement "une bonne chose" pour la Ville de Toyota (vieillissem. de la population et délabrement de l'agricult.) ; sa participation au Projet

n'influencera pas les autres foyers agricoles, car l'atitude de la population des ces

foyers est relativiste.

Bilan : elle a bien appris dans la format., et elle veut encore la continuer.

Avenir du Projet : continuation nécessaire ; s'il se dé veloppera petit à petit, c'est bien.

Rapport au dév. local : bon effet. Toyota est un

"magnifique lieu" comme campagne.

Bilan : très satisfait de la format. ; elle lui a permi des "r êves" pour réaliser de

nouvelles choses basées sur la réalité du monde agricole. Avenir du Projet : continuation nécessaire ; il manque dans le Projet le dialogue entre les amateurs et les experts de l'agricult. ; il faut concerter plus les stagiaires.

Rapport au dév. local : amé lioration de la communication entre habitants locaux.

Bilan : sa relation conjugale améliorée ; insuffisante de la format. pour s'investir dans une grande prod. ; d'où l'ambiguïté de la format. entre le professionalisme et le amateurisme

Avenir du Projet ; il faut clarifier la cible du Projet en ré pondant aux diverses demandes des stagiaires ; il faut que les stagiaires donnent plus d'avis au Centre Nô-Life.

Rapport au dév. local : le nbre de personnes intéressées par ce Projet est insuffisante par rapport à la taille de la Ville. Bilan : très satisfaite de la format..

Avenir du Projet : continuation nécessaire ; il faut intensifier plus la format. ; il faut que les salariés retraités se mettent le plus tôt possible à cultiver la terre pour la durabilité. Il faut contribuer à renforcer l'autosuffisance alimentaire au niveau local.

(La liste d'abréviations. activ. : activités. ; agricult. : agriculture ; arboricult. : arboriculture ; autoconsom. : autoconsommation ;
changem. : changement ; dév. : développement ; distrib. : distribution ; économ. : économique ; exp. agri. expériences agricoles ;
format.: formation ; invest. : investissement ; motiv. : motivation ; traj. : trajectoire ; prod. production ; vieillissem. :

vieillissement)

Analyse des entretiens

Dans notre anlalyse du résultat de l'enquête par entretien, nous allons tenter, à partir de la synthèse des entretiens présentée plus haut, de mettre en évidence les ressemblances et les dissemblances entre les réponses obtenues. Et cette analyse se répartira sur les cinq niveaux suivants qui reprennent, en fait, les quatre grilles de lecture utilisées dans la synthèse des entretiens : trajectoire ; motivation initiale ; changement d'idées, d'activités et de mode de vie ; prise de position vis-à-vis de l'agriculture de type Ikigai ; réflexion sur le devenir du Projet Nô-Life.

Ces cinq niveaux impliquent également les moments diachroniques de la vie des stagiaires dans le Projet Nô-Life, à savoir : 1 trajectoire désigne les expériences passées qui précèdent la participation à la formation Nô-Life ; 2 motivation initiale se traduit par l'intention ou l'objectif initial pour la participation ; 3 changement d'idées montre comment les stagiaires ont vécu le Projet Nô-Life ; 4 prise de position de chaque stagiaire est le reflet de leurs points de vue plus ou moins déterminé de l'intérieur sur les principes du Projet ; enfin, 5 réflexion sur le devenir du Projet Nô-Life montre le point de vue distancié et final sur l'ensemble du Projet.

Cinq moments de la vie des stagiaires dans le Projet Nô-Life

Avant la
formation

Avant et pendant
la formation

Pendant la formation

Pendant et Après
la formation

Trajectoire

Motivation initiale

Changement
d'idées

Prise de position

Réflexion

Expériences
passées

Objectif initial

Vécu du Projet

Point de vue
déterminé de
l'intérieur

Point de vue
distancié et final

Quels liens pouvons-nous établir entre les répartitions des éléments des réponses se trouvant sur ces cinq niveaux ? Y a-t-il des groupes porteurs de représentations spécifiques ? Pouvons-nous trouver dans ces représentations une convergence ou une divergence ?

1 Trajectoires : au delà des catégories socio-professionnelles objectives... Complexité derrière une ressemblance générale

Concernant les trajectoires des enquêtés, nous pouvons trouver une ressemblance au niveau socio-professionnel. Sans pouvoir clarifier en détails les couches socio-professionnelles des enquêtés, faute d'avoir les données précises sur certains aspects déterminants (revenus, statuts etc), nous pouvons dire qu'il n'y a pas de grands écarts entre les enquêtés au niveau des couches socio-économiques. D'ailleurs, nous avons constaté cette caractéristique dans l'analyse du résultat de l'enquête par entretien sur les expériences professionnelles de tous les stagiaires de Nô-Life.

En effet, sauf M. Naruse qui était ingénieur informatique dans une grande entreprise électronique (Mitsubishi) à Yokohama, la plupart des personnes ont occupé des professions du niveau moyen comme salariés moyens, fonctionnaires et petits indépendants. Cependant, deux hommes d'âge moyen font exception : M. Nichizawa et M. Katô étaient des ouvriers, et ces dernières années ils sont dans une situation précaire (quatre ans pour M. Nichizawa, un an pour M. Katô). A part ces trois enquêtés, personne n'a occupé de manière permanente des professions, tels que : agriculteur professionnel, ouvrier, cadre, profession intellectuelle supérieure et profession libérale etc.

Toutefois, les aspects ont tendances à être plus complexes en terme de la pluriactivité présente parmi les enquêtés des deux types suivants : (ex-) agriculteurs pluriactifs ; femmes.

Quant aux cinq hommes originaires d'un foyer agricole de la Ville de Toyota, c'est-à-dire ceux qui étaient des « agriculteurs pluriactifs », deux étaient fonctionnaires locaux (M. Shimizu, M. Isomura), deux autres postiers (M. Kobayashi et M. Imai) et l'un salarié de l'Automobile Toyota (M. Shioya). Ces cinq hommes ont mené une vie salariale, sans devoir se consacrer pour la majeure partie de leur vie aux travaux agricoles.

Quant aux cinq femmes, leurs maris étaient (ou sont encore) des salariés du niveau moyen. Parmi elles, une femme au foyer (Mme. Tsuzuki), une salariée retraitée (Mme. Katô), deux qui ont travaillé à temps partiel tout en étant femme au foyer (Mme. Konno, Mme. Mizutani), et l'une a connu le divorce et perdu son métier de fleuriste il y a cinq ans à l'âge de 50 ans, et s'est ensuite retrouvée dans une situation précaire (Mme. Kawamura).

Puis, nous devons également tenir compte de l'impact de la prise de retraite sur la vie des enquêtés retraités (ou en semi-retraite). Bien entendu, le contexte du Projet Nô-Life s'inscrit dans celui du vieillissement actif752 où la retraite ne signifie plus immédiatement la vieillesse ou le retrait de la société ou le « repos », mais, comme le propose récemment M. Legrand, sociologue française du vieillissement, la « question de l'identité individuelle et collective » posée par un « vide » dans un contexte de « dévaluation de l'âge »753. Ce qui nous conduit à accorder une place importante au « mode de recomposition identitaire » qui passe par « un long cheminement fait d'essais et erreurs, de tâtonnements, qui renvoie à la question du sens du vieillir »754. Nous pouvons partager ce point de vue européen pour notre analyse du processus du Projet Nô-Life dans lequel, les « jeunes retraités » sont censés jouer un rôle important, et puis, comme nous l'avons vu dans le Chapitre 2 avec l'acteur 2 : SCI (Section de la Création d'Ikigai), la thématique d'Ikigai fut introduite comme un domaine légitime de la politique du vieillissement dans les collectivités territoriales japonaises avec l'entrée en vigueur de la « Loi sur l'Assurance des Aides aux Personnes âgées dépendantes (Kaigo-Hoken Hô) » en 2000 au niveau national.

En bref, chaque enquêté a ses traits particuliers dans sa trajectoire dont on ne peut nier les liens avec les quatre catégories objectives que nous avons établies (homme/femme ; âge ; lieu d'origine ; foyer agricole ou non). Ce qui nous oblige à prendre en compte la complexité de l'histoire et la circonstance de la vie de chacun.

Pour nous éclaircir sur ce point, nous pouvons ici rappeler l'histoire turbulente de la vie de M. Kamihata dans ces quarante dernières années : vie en tant qu'exploitant agricole pluriactif à Kagoshima (1962-1969) ; réussite de son exploitation familiale ; trois ans de maladie ; installation à Tôkyô pour travailler dans une épicerie (1972-) ; ouverture d'un supermarché indépendant à Nagoya ; fermeture volontaire de son supermarché trois ans après l'ouverture ; employé dans une chaîne locale de supermarché ; semi-retraite (2005-) ; participation à la formation Nô-Life...

Tout d'abord, la trajectoire de M. Kamihata échappe à nos catégories stéréotypées : points de vue, soit misérabilistes sur la paysannerie (misère, émigration, prolétarisation etc.), soit généraux sur la modernisation agricole (entrepreneur agricole) qui sont marqués par de simples visions économiques réductrices à l'idée de la « réussite » ou de l' « échec ».

Pour dépasser ce type de compréhension stéréotypée, il nous faut tenir compte de l'aspect de la construction sociale de la personne. Dans le cas de M. Kamihata, il s'agit de la construction de sa propre famille en milieu urbain. Après son départ à Tôkyô au début des années 70, il s'est marié avec une femme originaire de Shikoku qui n'avait jamais connu le monde agricole. Il a ensuite constitué avec elle sa vie et sa famille. Et sa décision de redevenir salarié dans une chaîne locale de supermarché en fermant son supermarché indépendant, a été prise afin d'établir une vie plus stable, car le régime de la pension d'entreprise lui a paru plus avantageux à long terme ! A Nagoya, il a mené sa vie dans un environnement tout-à-fait urbain avec son épouse et ses enfants sans avoir un jardin potager. Et après leurs études universitaires, ses enfants travaillent tous dans le domaine financier. Puis, en participant au Projet Nô-Life, M. Kamihata se réfère à toutes ses expériences antérieures

752 Voir la note de bas de page 145 dans le Chapitre 2 sur le contexte international du vieillissement actif.

753 LEGRAND, M. (2001), La retraite : une révolution silencieuse, Ramonville, Erès : p.12.

754 Ibid.

(agriculture, distribution alimentaire, réussite, échec etc) et à l'évolution de la société japonaise qu'il a vécue (pauvreté, haute croissance, basse croissance, incertitude après la bulle économique...). Il essaie ainsi de redevenir paysan dans la Ville de Toyota, une ville dans laquelle, il n'a pas encore vécu !

Enfin, l'exemple de M. Kamihata nous permet de constater que, pour saisir l'évolution de la vie d'une personne, nous devons avoir à la fois les deux points de vue : point de vue constructiviste qui prend en considération la stratégie et le jeu d'interaction de circonstance en vue d'intégrer dans l'action des éléments circonstanciels tout-à-fait divers et hybrides. Mais le point de vue de type stracturaliste (reproduction sociale) qui prend en considération l'ancrage d'un acteur dans ses expériences et positions sociales antérieures. Ces deux types d'aspects peuvent bien faire partie intégrante de cette évolution.

Sans pour autant reprendre ici les histoires de vie de tous les enquêtés, nous retenons que leurs trajectoires peuvent avoir une influence sur l'action des enquêtés de participer à la formation et de se mettre chacun à leurs activités ultérieures. Et cette influence va prendre forme, soit de façon à donner aux acteurs un facteur qui les conduit à construire un nouveau type de vie pour eux dans une nouvelle circonstance socio-spatio-temporelle, soit de façon à donner aux acteurs un facteur qui les oriente à reproduire un type de vie qu'ils ont déjà connu dans le passé, mais ceci en renouvelant leurs expériences antérieures dans un nouveau type de circonstance donnée.

A partir de ce constat, nous construisons un modèle pour comprendre cette influence complexe de la trajectoire sur l'action des enquêtés comme dans le schéma ci-dessous, en terme de la « crise » et de la « stabilité » de la vie du passé proche au niveau de différentes espèces de capitaux. Ici, nous prenons deux types de capitaux : capital économique ; capital socio-culturel755.

Modèle des trajectoires

capital économique

stabilité (suffisance) / crise (insuffisance)

capital socio-culturel

stabilité (suffisance) / crise (insuffisance)

A partir de ce schéma, nous pouvons concevoir quatre types suivants de variantes :

Variation du modèle des trajectoires

 

1

2

3

4

cap. éco

sta.

sta.

crise.

crise.

cap. socio-cult.

sta.

crise.

sta.

crise.

Puis, nous pouvons supposer, comme ci-dessous, une sorte spécifique d'influence qu'ont ces quatre types de trajectoire sur l'action :

- Type 1 : capitaux économique et socio-culturel suffisants : reconstruction vers le maintien, ou l'accumulation des deux types de capitaux existants. Ou bien, la création libre ou la contribution sociale basées sur la stabilité de ces deux types de capitaux sont possibles à supposer.

- Type 2 : capital économique suffisant et capital socio-culturel insuffisant : en maintenant ou accumulant le capital économique existant, on essaie de construire un nouveau capital socio-culturel ;

- Type 3 : capital économique insuffisant et capital socio-culturel suffisant : on essaie d'abord de construire un nouveau capital économique, en maintenant ou accumulant le capital socio-culturel existant ;

- Type 4 : capital économique et socio-économique insuffisant : on essaie de construire de nouveaux capitaux économiques et socio-culturels

Essayons ensuite d'analyser la trajectoire de chaque enquêté par ces quatre modèles dans le tableau suivant :

755 Nous entendons par le terme du capital socio-culturel, les éléments susceptibles de couvrir le lien social et territorial et la qualité de vie.

Typologie des trajectoires

 

M.
Nichi

M. Katô

M. Itô

M.
Shimizu

M.
Kobayashi

M. Imai

M.
Shioya

M.
Isomura

Cap.éco

Crise

Stab./crise

Stab. ?

Stab.

Stab.

Stab. ?

Stab.

Stab.

Indic. détermin.

Chôm. et
célib.

Revenu épouse /
chôm.

Revenu

épouse /

préc. ?

Pension

Pension et
revenu immo.

Pension (en
attente)

Pension

Pension

Cap.
socio-cult.

Crise ?

Crise ?

Stab.

Stab.

Crise

Crise ?

Stab.

Stab.

Indic.
détermin.

Célib.

Dépression.

Bonne relat.
fam.

Bonne relat.
fam.

Perte famille
(incendie)

Perte famille
(maladie,
âge)

Richesse
loisirs

Bonne relat.
fam.

Type traj.

4

2 / 4

1

1

2

2

1

1

 

M.
Naruse

M. Suzuki

M.
Kamihata

Mme.
Konno

Mme.
Tsuzuki

Mme.
Kawamura

Mme. Katô

Mme.
Mizutani

Cap.éco

Stab.

Stab.

Stab.

Stab.

Stab.

Crise

Stab.

Stab. ?

Indic.
détermin.

Pension

Pension et trav.
temp.

Pension et trav.
temp.

Revenu
mari

Revenu
mari

Divorce,
chômage

Pension

Pension
mari

Cap.
socio-cult.

Stab. ?

Stab./crise

Stab. / crise

Crise

Stab.

Crise

Crise

Crise

Indic.
détermin.

Maladie
parents

Veuf / loisirs,

richesse relat.
hum.

Bonne relat.
fam. / identité
agricole

Perte
occup.
Indiv.

Bonne
relat. fam.

Divorce,
chômage

Mauvaise
relat. conjug. ;
Chôm. e Fils

Chôm. Fils

Type traj.

1

1 / 2

1 / 2

2

1

4

2

2

(Liste d'abréviation : Cap. éco. : Capital économique ; Indic. détermin : Indicateurs déterminants ; Cap. socio-cult : Capital socio-culturel ; Type traj. : Type des trajectoires ; Stab. : Stabilité. : Préc. : Précarité ; Chôm. : Chômage ; Célib. : Célibataire ; Relat. fam. : Relation familiale ; Immo. : Immobilier ; Trav. temp. : Travail temporaire ; Relat. Hum. : Relation humaine ; Occup. Indiv. : occupation individuelle ; Relat. conjug. : Relation conjugale)

Pour établir ce schéma, il faut d'abord considérer qu'il n'y a pas de coupure totale entre ces critères Stabilité/Crise, et qu'ils sont plutôt relatifs. Puis, nous sommes toujours confrontés à l'ambiguïté et la complexité de la situation de chacun, sans oublier notamment celles des retraités, femmes, (ex-)agriculteurs pluriactifs, que nous avons relevées plus haut. C'est pour cela que nous avons mis dans les parties les éléments des indicateurs déterminants dont nous avons pris en compte pour cette analyse. Nous pourrons prendre en considération le résultat de cette analyse dans les analyses suivantes756.

Reprise du Schéma de l'agriculture de type Ikigai : qualité de vie ; lien social et territorial ; production matérielle

Pour l'analyse des réponses correspondant aux quatre niveaux suivants (motivation initiale ; changement d'idées, d'activités et de mode de vie ; prise de position vis-à-vis de l'agriculture de type Ikigai), certains

756 Nous pouvons nous rappeller ici les trois conditions pour la réalisation d'Ikigai citées par Hamaguchi que nous avons vues dans le Chapitre 2 : première condition « sortie du malheur » surmonter le manque ou l'insatifaction ; deuxième condition « maintien de la stabilité » tentative incessante du développement sans se satisfaire de l'état présent ; troisième condition « réalisation de la possibilité plus grande » comme l'innovation dans les styles de vie et des modes de pensée (Hamaguchi, 1999). Nous pouvons mettre en parallèle le type de trajectoire 1 à la deuxième ou la troisième condition, le type de trajectoire 2, 3, 4 à la première ou deuxième condition.

nombres d'éléments communs composent le schéma des représentations tels que : autoconsommation, plaisir, loisir, style de vie, santé, relation familiale, obligation familiale, contribution sociale, revenu supplémentaire, revenu principal etc.

Là, nous pouvons situer ces éléments dans le schéma des trois éléments d'idées constitutives de l'agriculture de type Ikigai, que nous avons relevé à partir de l'analyse du processus de l'émergence du Projet Nô-Life : qualité de vie (priorité à la satisfaction individuelle, consommation, style de vie etc.) ; lien social et territorial (contribution sociale, sociabilité) ; production matérielle (travail, profits). A partir de cette analyse, nous pouvons mettre en relation les positions de 16 stagiaires enquêtés avec les trois pôles d'idées de l'agriculture d'Ikigai.

Nous considérons ici que ces trois pôles constituent un nouveau monde émergeant dans le processus du Projet Nô-Life. Cette approche va d'ailleurs nous permettre de faire confronter directement les positions de ces enquêtés à celles des agents institutionnels dans le Projet Nô-Life que nous avons analysé à la fin du Chapitre 2, et ainsi de répondre à nos questions finales de ce chapitre.

2 Motivation initiale

Le schéma montre la place de la motivation initiale de chaque enquêté par rapport aux trois éléments du processus de l'agriculture de type Ikigai. Nous avons repéré six groupes qui se situent chacun à une place commune.

Dans le groupe 1, le plus proche du pôle Lien social et territorial, nous avons M. Shimizu, M. Kobayashi, M. Imai, M. Shioya et Mme. Tsuzuki. Ils ont comme motivation commune le maintien de biens agricoles familiaux, dont le degré est varié de l'un à l'autre. Puis, ils attachent peu d'importance en rapport avec leurs activités agricoles à l'exigence individuelle de la qualité de vie, et la production matérielle avec but lucratif. Ils ont un trait commun marquant : être originaire d'un foyer agricole local et salariés retraités (c'est-à-dire la catégorie objective 2, sauf Mme. Tsuzuki qui est femme au foyer).

Et leurs types de trajectoire sont tous 1 (stable au niveau des capitaux économique et socio-culturel) sauf M. Kobayashi qui a perdu son épouse et ses parents dans la même année en 2003 (nous lui avons mis le type 2, stable au niveau du capital économique, mais crise au niveau du capital socio-culturel). Dans ce sens, le maintien de biens agricoles familiaux peut à la fois correspondre à celui des capitaux économique (immobilier) et socio-culturel (familial et ancestral). Chez M. Kobayashi, comme il nous l'a affirmé, sa motivation pour le maintien de biens a plus de sens constructif en raison de sa situation de crise au niveau du capital socio-culturel : le maintien et la transmission des biens familiaux sont son Ikigai.

Schéma : Motivation initiale

Qualité de vie
(individuelle)

G.2

M. Katô : 2 / 4

M. Naruse : 1

G.5

G.3

Mme. Kawamura : 4

Mme. Konno : 2

Mme. Katô : 2

G.1

M. Nichizawa : 4

Mme. Mizutani : 2

G.6

Lien social et
territorial

M. Shimizu : 1 M. Kobayashi : 2

M. Imai : 2 M. Suzuki : 1 / 2

M. Shioya : 1

M. Itô : 1

M.Isomura : 1

M. Kamihata : 1 /2

Production
matérielle
(lucrative)

Mme. Tsuzuki : 1

G.4

Les numéros 1- 4 sont les types des trajectoires.

Dans le groupe 2, le plus proche du pôle Qualité de vie (individuelle), nous avons M. Katô, M. Naruse. Ils ont comme motivation commune l'autoconsommation et le plaisir. Ils attachent peu d'importance en rapport avec leurs activités agricoles à l'exigence sur le lien social et territorial, et la production matérielle avec but lucratif. S'ils ont des traits différents en terme de trajectoire (M. Katô, 40ans, ouvrier - situation précaire ; M. Naruse, 55ans, ingénieur informatique - préretraité), ils sont tous les deux mariés et originaire d'un foyer non agricole de la Ville de Toyota.

Le type de trajectoire de M. Katô peut être 2 ou 4 (crise au niveau du capital économique en raison de sa situation précaire, stabilité ou crise au niveau du capital socio-culturel liée à son problème de dépression). Mais chez lui, il faut relativiser sa situation individuelle, car sa situation économique peut être stable grâce au travail de son épouse et au fait qu'il habite toujours avec ses parents. Puis, il n'a pas l'intention de répondre à son besoin économique par ses activités agricoles (il cherche un travail ailleurs). Le type de trajectoire de M. Naruse peut être 1, et l'autoconsommation et le plaisir peuvent être considérés comme l'accumulation ou la jouissance du bien-être assuré par sa situation stable au niveau des capitaux économique et socio-culturel.

Dans le groupe 3 situé au coeur du triangle du schéma, nous avons Mme. Konno, Mme. Katô et Mme. Mizutani. Elle ont comme motivation commune de combiner, de manière équilibrée, leurs exigences sur la qualité de vie individuelle, le lien familial et la production matérielle avec un but lucratif. Si Mme. Konno est la seule jeune (35ans) parmi ces trois femmes et leurs trajectoires sont différentes, elles ont toutes les trois mis l'accent sur l'importance de leurs rôles familiaux : mère et épouse. Si Mme. Konno insiste sur la compatibilité de ces deux rôles et son propre « territoire » individuel, les deux autres se préoccupent fortement d'un problème commun: les difficultés d'insertion de leurs fils qui ont la trentaine, et n'ont pas d'activités publiques.

Nous avons considéré leurs types de trajectoire comme 2 en raison de leur situation stable au niveau du capital économique mais en crise au niveau du capital socio-culturel (territoire individuel dans la sphère

familiale chez Mme. Konno, précarité des fils de Mme Katô et Mme. Mizutani). C'est pourquoi leurs activités agricoles peuvent avoir un sens constructif au niveau du capital socio-culturel.

Dans le groupe 4 situé entre les deux pôles Lien social et territorial, et Production matérielle (lucrative), nous avons M. Itô, M. Suzuki et M. Isomura. Ils ont comme motivation commune la combinaison des aspects sociaux et économiques. La motivation est commune entre M. Itô et M. Suzuki : contribution sociale au travers d'activités de la production fruitière, au monde agricole notamment celui de l'arboriculture. Et M. Isomura, salarié retraité et gendre d'une famille agricole locale, s'attache, comme les enquêtés du groupe 1, au maintien de biens agricoles familiaux. Il a pour but la vente de ses produits et s'intéresse à divers domaines concernés comme l'éducation alimentaire, la préservation de l'environnement etc. Leurs trajectoires sont toutes différentes : M. Itô : originaire de la Ville voisine de Toyota - salarié Automobile Toyota - petit entrepreneur - chômeur (?) ; M. Suzuki : originaire d'un foyer agricole du département Shizuoka - salarié Automobile Toyota - semi-retraite ; M. Isomura : originaire d'un village moyenne montagne ayant fusionné avec la Ville de Toyota - fonctionnaire de la Ville - préretraite.

Nous avons considéré les types de trajectoire de ces trois hommes comme 1 (sauf celui de M. Suzuki peut-être 1 ou 2 en raison du fait qu'il est veuf et habite seul avec sa belle-mère âgée). Les motivations de M. Suzuki et M. Itô sont orientées vers la contribution sociale basée sur leur situation stable au niveau des capitaux économique et socio-culturel. Mais nous ne pouvons jamais ignorer que le côté constructif peut toujours avoir une importance dans leur action, vu que l'incertitude est présente dans leurs situations (passage de la semi-retraite à la retraite chez M. Suzuki, travail et revenu apparemment instables chez M. Itô)

Dans le groupe 5 situé entre les deux pôles Qualité de vie (individuelle) et Production matérielle (lucrative), nous avons Mme. Kawamura. Elle a comme motivation à la fois la passion pour la culture maraîchère et le but de gagner « de l'argent de poche de tous les jours ». En effet, elle était fleuriste et a un fort attachement pour les plantes. Puis, elle est dans une situation précaire depuis l'âge de 50 ans où elle a dû fermé son propre magasin de fleurs suite à son divorce. Elle a maintenant 55 ans, et est à la charge de sa fille. Les activités agricoles constituent une de ses occupations personnelles importantes, qui peuvent lui permettre de répondre à sa situation de crise au niveau des capitaux économique et socio-culturel (son type de trajectoire : 4).

Dans le groupe 6, le plus proche du pôle de la Production matérielle (lucrative), nous avons M. Kamihata et M. Nichizawa. Ils ont comme motivation commune l'obtention d'un revenu agricole de plus d'un million de yens. Mais leurs situations et trajectoires sont tout-à-fait différentes. M. Kamihata, 60ans, bientôt retraité et pensionné ; M. Nichizawa, 43ans, célibataire et chômeur depuis quatre ans. Si M. Kamihata essaie de réaliser une entreprise agricole familiale avec son épouse et son fils, tout en remobilisant ses expériences professsionnelles passées (agriculteur professionnel à Kagoshima, employé de supermarché), M. Nichizawa veut devenir agriculteur prodessionnel individuel. C'est pourquoi il doit, en fait, dégager un revenu agricole dont le montant est beaucoup plus important qu'un million de yens : au moins deux millions et demi de yens757), ce qui constitue une grande contrainte en terme de l'investissement et du travail.

Le type de trajectoire de M. Kamihata peut-être 1 ou 2, car, alors qu'il a une condition socio-économique qui est stable, il est toujours en quête de son identité agricole et paysanne dans sa trajectoire turbulente. Par contre, nous avons considéré celui de M. Nichizawa comme 4 en raison de sa précarité économique et de sa situation du célibat prolongé (il a 43ans).

3 Changement d'idées, d'activités et de mode de vie

Groupe 1 : M. Shioya ; M. Shimizu ; M. Kobayashi ; M. Imai ; Mme. Tsuzuki

Le schéma (voir la page suivante) montre les mode de changements que les enquêtés ont connu pendant leur formation Nô-Life. Nous avons mis quatre types de flèches pour designer ces changements : changement ; intention ; hésitation ; contrainte, difficulté.

Bien que quatre personnes sur cinq (sauf M. Shioya) situées dans le groupe 1, n'aient pas radicalement

757 Environ 16 666 euros.

Schéma : Changement d'idée, d'activités et de mode de vie

: changement

: intention

: hésitation

: contrainte, difficulté

Les numéros 1- 4 sont les types des trajectoires.

Qualité de vie
(individuelle)

G.2

M. Shioya : 1

M. Katô : 2 / 4

M. Naruse : 1

Mme. Kawamura : 4

G.5

Mme. Konno : 2

M. Itô : 1

G.3

M. Suzuki : 1 / 2

Mme. Katô : 2

M. Nichizawa : 4

Mme. Mizutani : 2

Lien social et
territorial

M. Shimizu : 1

M. Kobayashi : 2 M. Imai : 2

M. Kamihata : 1 / 2

G.6

Production
matérielle
(lucrative)

Gi

M.Isomura : 1

G.4

Mme. Tsuzuki : 1

changé d'idées, nous constatons que chacun a connu des réactions de types différents.

M. Shimizu a toujours l'intention de vendre ses produits (kaki), mais constate fortement la difficulté pour cela en raison de la rentabilité extrèmement faible.

M. Kobayashi hésite d'un côté à développer sa vente face à la contrainte pour mener la production de type lucratif (normes de quantité, qualité, régularité pour la distribution), de l'autre, il trouve sa passion dans un nouveau loisir lié à sa production : soba (nouilles de sarrasin)

M. Imai et Mme. Tsuzuki ne constatent pas de changement dans leur vie depuis le début de la formation. Mais M. Imai, lui aussi, constate une contrainte vis-à-vis du pôle de la production matérielle dans le sens où la formation Nô-Life n'a pas satisfait sa demande de vouloir réduire l'utilisation de produits chimiques dans sa production.

M. Shioya a connu un changement radical d'idées : il a pris conscience que ses activités agricoles ne constituent qu'un de ses loisirs, mais pas plus. En effet, il a beaucoup d'autres loisirs qui ont la priorité sur l'agriculture.Il n'a pas l'intention de développer sa culture maraîchère par manque de temps.

Groupe 2 : M. Katô ; M. Naruse

Si les deux hommes situé dans le groupe 2 ne partagent pas un même type de trajectoire ni un même type de

changement d'idées au cours de la formation Nô-Life, tous les deux constatent des contraintes économiques pour mener une production lucrative.

M. Katô n'a pas connu un grand changement d'idées. S'il découvre davantage de valeur sentimentale dans l'agriculture (chaleur humaine, plaisir d'autoconsommation), ceci est lié au problème de dépression qu'il a connu en été 2006, qui l'a forcé à arrêter son travail dans une usine de mayonnaise.

M. Naruse hésite à décider quoi et comment vendre ses produits. Son souhait initial était de faire du riz avec 0.1 ha de rizière, mais à présent il hésite compte tenu de la faible rentabilité de la production rizicole et de la contrainte en terme de l'investissement notamment pour les machines. Du coup, il s'intéresse à produire et vendre des figues pour sa rentabilité. Mais il n'a pas pour autant l'intention d'entrer dans un groupement de producteurs à cause de la contrainte du marché qui s'impose à la production.

Groupe 3 : Mme. Konno ; Mme Katô ; Mme. Mizutani

Les trois femmes situées du groupe 3, constatent des contraintes pour la production de type lucratif. Mais leur intention de lier la vente à l'aspect social (familial) en tant que mère reste toujours un point commun parmi elles.

Si le souhait initial de Mme. Konno était de faire des pêches ou des figues pour les vendre, elle a décidé de développer d'abord sa culture maraîchère pour l'autoconsommation et ensuite la vente. Car la production de pêches ou de figues demande un investissement plus important. Si elle n'a pas changé d'idées en principe, elle a connu un « grand impact » en terme de son rythme de vie et de sa vie alimentaire basés sur le « cycle de la nature ». Elle garde sa grande motivation pour continuer ses activités agricoles avec sa famille.

Mme. Katô a du mal à décider si elle va suivre son objectif initial de produire des fraises en serre face à la grande contrainte économique en terme d'investissement (prêt agricole départemental, construction de serres, travail etc). Cette hésitation est également liée à son âge (60ans) et sa préoccupation concernant son fils qui est au chômage. En effet, elle n'est pas sûre que son fils voudra la rejoindre pour la production de fraises. Par contre, elle met l'accent sur le fait que ses activités agricoles ont amélioré sa relation avec son mari.

Puis, Mme. Mizutani constate également la contrainte pour la production rizicole en terme de l'utilisation de produits chimiques. Mais elle a l'intention de s'investir tant au niveau du travail, qu'au niveau financier pour développer une production agricole familiale et diversifiée,. Mais tout comme le cas de Mme Katô, son fils qui est au chômage n'a pas l'air d'être intéressé par ses activités agricoles.

Groupe 4 : M. Itô ; M. Suzuki ; M. Isomura

Les trois hommes situés dans le groupe 4 cherchent chacun à sa manière leur implication dans le monde agricole. Notamment M. Itô et M. Suzuki ont radicalement changé d'idées. Si ces deux enquêtés s'inscrivent dans la filière fruitière, chacun a son propre raisonnement.

M. Itô s'intéressait au début à produire des figues, tout en ayant l'intention de chercher des possibilités de s'impliquer dans le monde agricole afin de contribuer à un nouveau type de développement agricole et rural. Puis, dans la formation Nô-Life de la filière fruitière qui s'est déroulée dans la zone de production de la poire et de la pêche de Sanage, il a trouvé qu'il y a de sérieux problèmes dans ce monde, liés au vieillissement de la population agricole, au manque de porteurs etc. Par ailleurs, il trouvait également la difficulté d'apprendre les techniques agricoles dans ce domaine par la seule formation Nô-Life, car la production de la pêche et de la poire nécessite un investissement important et une expérience professionnelle plus longue. C'est ainsi qu'il a eu l'idée de monter une association de stagiaires de Nô-Life dans le but de non seulement organiser une aide pour les travaux agricoles, mais également de s'entraider entre stagiaires de Nô-Life, y compris les stagiaires des autres filières. Ceci en considérant qu'il est bien placé pour jouer le rôle d'organisateur en raison de son âge plus jeune que les autres (43ans).

M. Suzuki voulait au début « faire quelque chose » pour faire face au risque du délabrement de la zone de production de la poire et de la pêche de Sanage. Mais après un an et demi d'expérience de la formation de la

filière fruitière, il est fortement déçu de cette formation. C'est pourquoi il met en cause un manque de perspectives de la part du Centre Nô-Life pour l'organisation de cette filière. En effet, comme nous l'avons vu dans la partie de l'acteur 7 (Monsieur N du GASATA) du Chapitre 2, la plupart des stagiaires (y compris ceux des années 2004-2006) de cette filière ont du mal à se lancer dans la production de la pêche ou de la poire après leur formation, en raison des contraintes économiques très élevées (investissement, travail, technique) par rapport à leur âge. M. Suzuki est ainsi confronté au dilemme de ne pas pouvoir se lancer dans ce domaine, ni en tant que producteur, ni en tant qu'aide aux travaux agricoles. Ceci alors qu'il était l'un des stagiaires qui s'engageait le plus fortement dans les activités de la formation. C'est pourquoi il rejoint M. Itô pour élaborer l'idée de monter une association de stagiaires pour chercher d'autres moyens alternatifs de développer ses activités ultérieures et celles des stagiaires de Nô-Life. Et ceci avec une remise en cause du fondement du Projet Nô-Life qui relève de la combinaison d'Ikigai des personnes âgées et de la prévention des friches agricoles. Il trouve que l'approche actuelle du Centre Nô-Life est insuffisante pour réaliser cet objectif. A cet effet, il a déjà donné son avis au Centre Nô-Life en disant que, si la Ville a vraiment l'intention de préserver les terrains agricoles en s'appuyant sur la main-d'oeuvre de nouveaux salariés retraités, il vaudrait mieux qu'elle loue directement ces terrains agricoles à son initiative, et y embaucher les retraités...

M. Isomura ne change pas radicalement d'idées à l'inverse de ces deux derniers, en s'inscrivant à la filière maraîchère. A la différence des autres stagiaires originaires d'un foyer agricole local, il s'intéresse à la fois à la vente de ses produits, à l'aspect social de la production agricole comme l'éducation alimentaire et au changement de son rythme de vie qui implique un changement radical par rapport à la vie salariale. Et il pense que le système du Projet Nô-Life ne se diffusera pas facilement par l'entremise du Centre Nô-Life, face à l'attitude égoïste de propriétaires fonciers. C'est pourquoi il rejoint en partie l'idée de M. Suzuki que la Ville doit prendre plus d'initiative pour préserver les terrains agricoles.

Groupe 5 : Mme. Kawamura

Quant au groupe 5, Mme. Kawamura voulait, au début, produire des figues pour les vendre, mais elle est en train de changer son idée, face à la contrainte technique pour l'entretien des figues (maladie, traitement). C'est pourquoi elle envisage de cultiver les aubergines pour gagner « de l'argent de poche de tous les jours ». Sinon, étant une des rares pratiquant la méthode de l'agriculture biologique dans le stage individuel de la formation Nô-Life, elle distingue fortement la méthode enseignée dans la formation Nô-Life qui est conventionnelle et la sienne qui est de type écologique.

Groupe 6 : M. Nichizawa ; M. Kamihata

Même si les deux hommes situés dans le groupe 6 ne changent pas leur objectif initial de mener une production lucrative pour un revenu agricole de plus d'un million de yens, ils présentent chacun une approche contrastant avec l'autre, en ayant deux trajectoires totalement différentes.

D'un côté, l'approche de M. Nichizawa (43 ans) est individuelle. Etant originaire d'un foyer non agricole de la Ville de Toyota, célibataire et actuellement au chômage, il a pour but de devenir agriculteur professionnel après la formation Nô-Life. Il envisage une production de fraises en serre en raison de sa haute rentabilité. Cependant, la contrainte économique (investissement avec le prêt agricole départemental, travail) constitue déjà un souci pour lui. Malgré cela, il s'appuie sur sa passion pour l'agriculture et mener les activités agricoles pour toute sa vie.

De l'autre côté, l'approche de M. Kamihata est familiale et entrepreneuriale. Etant ex-agriculteur professionnel de Kagoshima et salarié en semi-retraite, essaie de créer une entreprise agricole familiale après la formation Nô-Life. Il envisage une « agriculture réflexive (kangaeru nôgyô) » (d'après son expression) qui consiste à trouver des créneaux avec des produits qui ne se trouvent pas ailleurs (saisons décalées, mais de bonne qualité), afin de ne pas subir la baisse des prix due à la surproduction. C'est pourquoi il n'envisage pas la monoculture de fraises comme M. Nichizawa, même si elle est fortement recommandée par le Centre Nô-Life et

la CAT (Coopérative agricole de Toyota). Constat commun : contraintes économiques

D'un côté, nous constatons que chacun a sa manière de réagir dans la situation de leur formation Nô-Life en relation avec les trois pôles du processus de l'agriculture de type Ikigai, de l'autre côté, nous trouvons un point commun fort parmi les stagiaires : contrainte fortement ressentie vis-à-vis du pôle de la production matérielle.

Ce point implique diverses formes d'attitudes négatives : hésitation entre le maintien de bien familiaux, l'autoconsommation et la vente ; attitude distanciée ou indifférente ; souci sur la faisabilité ; dilemme entre l'engagement et la déception vis-à-vis de la réalité ; critiques sur le fondement du Projet ; tentative de démarches alternatives avec une initiative associative etc.

D'autant que cette tendance est commune à la plupart des stagiaires, nous pouvons supposer qu'elle n'est pas seulement liée aux trajectoires et motivations initiales de chaque stagiaire qui sont très différentes de l'un à l'autre. Quel facteur constitue cette situation ? Nous pouvons attribuer cette tendance à des facteurs extérieurs à la vie des stagiaires en rapport avec le pôle de la production matérielle. Dans ce cas, nous devrons prendre en considération l'interaction entre les comportements des stagiaires et le principe de la formation Nô-Life elle-même derrière lequel les agents concernés qui s'imposent dans ce pôle, ou d'autres circonstances extérieures.

Nous verrons plus bas que cette tendance s'exprimera plus clairement par les points de vue plus ou moins manifestes de la majorité des stagiaires, qui détermineront leurs prises de position vis-à-vis de la vision officielle de l'agriculture de type Ikigai notamment avec l'objectif d'un million de yens de revenu agricole annuel.

4 Prise de position vis-à-vis de l'agriculture de type Ikigai

Pour ce schéma, nous avons essayé de déterminer la position des enquêtés en rapport avec leurs positions occupées dans les deux derniers schémas, ainsi que les réponses obtenues pour la question d. sur la vision de l'« agriculture de type Ikigai » telle qu'elle est proposée par le Centre Nô-Life : combinaison d'Ikigai des personnes âgées et l'agriculture avec l'objectif d'un million de yens de revenu agricole.

Le résultat, c'est que la plupart des enquêtés (sauf M. Nichizawa et M. Kamihata qui poursuivent cet objectif) ont finalement pris leurs distances avec le pôle de la production matérielle à but lucratif en répondant « impossible » ou « trop contraignant » sur l'objectif d'un million de yens de revenu agricole.

Sinon, sur l'idée de considérer l'agriculture comme Ikigai, la plupart des enquêtés ont donné chacun une réponse positive à leur manière. Puis, nous avons réuni dans le « Groupe distancié » quatre personnes qui ne considèrent pas forcément l'agriculture comme leur Ikigai, ou mettant fortement en doute cette idée. Il s'agit de M. Shioya, M. Suzuki, Mme. Tsuzuki et M. Imai.

Groupe distancié

Pourquoi ces quatre personnes se sont retrouvées en dehors du cercle de l'agriculture de type Ikigai au travers de la formation Nô-Life ? Sont-ils totalement désintéressés par le Projet Nô-Life ? Quels sont finalement les facteurs de ce décalage entre la vision officielle de l'agriculture de type Ikigai et leurs visions personnelles ? Ces facteurs sont-ils extérieurs et généraux liés au Projet Nô-Life ou intérieurs et particuliers aux contextes individuels de ces enquêtés ?

Parmi ces quatre enquêtés, à part M. Suzuki, trois enquêtés sont originaires d'un foyer agricole local qui avaient, au départ, comme motivation le maintien de leurs biens agricoles familiaux. Mais leurs raisonnements sont variés en rapport avec leur trajectoire, leur ancrage social et leur construction de la vie.

Schéma : prises de position visà-vis de l'agriculture de type Ikigai

: Position claire

Les numéros 1- 4 sont les types des trajectoires.

: Indifférent, relativiste, interrogation

Mme. Tsuzuki : 1

Groupe distancié

M. Imai : 2

Lien social et
territorial

M. Suzuki : 1 / 2

M. Shioya : 1

M. Shimizu : 1

M. Itô : 1

M. Kobayashi : 2

M.Isomura : 1

Mme. Katô : 2

Mme. Mizutani : 2

Qualité de vie (individuelle)

M. Katô : 2 / 4

Mme. Konno : 2

M. Kamihata : 1 / 2

M. Naruse : 1

Mme. Kawamura : 4

Groupe neutre

M. Nichizawa : 4

Groupe productiviste

Production
matérielle
(lucrative)

M. Shioya reconnaît « ne pas faire partie des gens de ce type » (agriculteurs de type Ikigai) promu par le Centre Nô-Life, dans le sens où il n'a pas l'intention de mener ses activités agricoles dans le but de dégager un million de yens de revenu agricole. Il considère ses activités agricoles comme un « loisir » tout en mettant l'accent sur le fait qu'il prend plaisir à aller tous les jours aux champs s'occuper de légumes, ce qui constitue son nouveau « rythme de vie » après la retraite. Puis, il met en doute notamment l'idée du Projet Nô-Life de faire s'investir les salariés retraités dans les activités agricoles avec un but lucratif. Pour lui, ce n'est pas une idée raisonnable tant que « cela ne paiera pas ».

D'une part, sa réflexion vis-à-vis de l'investissement économique dans les activités agricoles est liée à sa trajectoire : il a déjà arrêté sa production rizicole il y a 20 ans en raison de la politique de la réduction de la surface agricole ayant donné des subsides pour la mise en jachère des rizières. Il a ainsi mis en jachère ses 0.3ha de rizières. Depuis cela, il n'a plus jamais cultivé du riz. Il souligne que la production rizicole à petite échelle n'est pas rentable par rapport à l'investissement nécessaire pour les plantes, les machines, les engrais etc. Maintenant, il a seulement un tracteur datant de plus de trente ans pour labourer seulement les terrains pour les « gérer ».

D'autre part, son raisonnement se base sur le fait qu'il a construit un style de vie qui est très riche en terme de loisirs : voyage à l'étranger dans des milieux de type « non exploré » (ex. le profond de montagnes en Chine, la Patagonie en Argentine, voir l'aurore etc. ; nombreuses activités d'apprentissage : Shamisen, Minyô (chant populaire japonais), Kîkô et la conversation en anglais etc. Devant ces loisirs, l'agriculture n'a pas la priorité. Et

il « n'[a] pas de temps » de se consacrer à cela. D'ailleurs, ce qui constitue Ikigai pour lui est « faire ce que l'on aime ».

Mme. Tsuzuki montre une attitude indifférente vis-à-vis de l'idée de considérer l'agriculture comme Ikigai. Elle n'est pas venue suivre la formation Nô-Life pour cela, mais c'était parce que « par hasard », « il y avait des rizières et des champs » chez elle.

Pourtant, cela ne veut pas dire qu'elle est indifférente à l'égard du Projet Nô-Life par sa propre volonté. Cette attitude est d'abord liée à son ancrage familial. Chez elle, il y a 0.65ha de rizières, 0.2ha de champs secs. Et c'est sa belle-mère qui s'occupe encore de la plupart des cultures principales. Donc, Mme. Tsuzuki, qui est d'abord femme au foyer dans sa famille, n'a pas encore la responsabilité de s'occuper des cultures. Si bien qu'elle vient aider sa belle-mère avec son mari qui est salarié, uniquement pour les périodes chargées comme la plantation et la récolte du riz. C'est pourquoi elle n'avait jamais cultivé des légumes avant la formation Nô-Life.

Puis, comme elle habite à six avec ses beaux-parents, son mari, ses deux enfants lycéens, elle doit remplir beaucoup de tâches en tant que mère (repas scolaires des enfants) et femme au foyer (repas de la famille, ménage etc). En plus de cela, elle a beaucoup d'autres occupations personnelles et sociales qui dépassent largement le niveau domestique : tennis comme loisir et plusieurs activités bénévoles : membre de l'association des parents des élèves ; membre d'une commission de la santé des parents-enfants au lycée ; chargée de la communication dans une coopérative de consommation etc.

Cependant, elle suggère que, plus sa belle-mère sera âgée, plus elle aura de « choses à faire ». De ce fait, nous pouvons dire que, comme elle n'a que 48ans, il est encore trop tôt pour qu'elle puisse consacrer beaucoup de temps aux activités agricoles familiales. De ce point de vue-là, son acte de participer à la formation Nô-Life peut être considéré plutôt comme positif car c'est une anticipation de sa future occupation familiale.

Pour M. Imai, l'agriculture n'est pas Ikigai, mais une obligation familiale à l'égard de biens agricoles familiaux.

Ceci est lié à la circonstance défavorable de son foyer agricole. D'abord, il a été obligé de reprendre les travaux agricoles de sa famille suite à la perte de son père (il y a cinq ans) et son beau-frère (il y a un an). Et ceci alors qu'il a pris sa préretraite à la poste il y a trois ans (à l'âge de 54ans). En plus, l'échelle des terrains agricoles de sa famille est petite depuis la génération de son père qui était pour cela déjà pluriactif dans sa jeunesse. Maintenant, il cultive du riz sur 0.2ha de terrains et des légumes seulement sur 0.03-0.04ha. M. Imai n'arrive pas encore à cultiver tous ses terrains et laisse 0.05ha en jachère, ou en friches qui sont « pleines de mauvaises herbes (kusa bôbô) ».

C'était dans une telle circonstance qu'au début, il avait trouvé une sympathie pour le slogan de « former les porteurs de l'agriculture » du Projet Nô-Life. Mais, au cours de la formation Nô-Life, il s'est vite rendu compte qu'il n'était pas le type d'agriculteurs que le Projet voulait former. Pourquoi finalement est-il arrivé à cette réflexion ?

En effet, il n'a pas vraiment l'intention de vendre ses produits (sauf du riz), parce que cela nécessite plus de temps et de techniques. Pour lui, dégager plus d'un million de yens de revenu agricole imposera trop de contraintes.

Pourtant, cela ne veut pas dire qu'il n'a pas de motivation pour produire : la preuve est que cela fait plus de dix ans qu'il est abonné à une revue agricole intitulée l' « agriculture contemporaine (gendai nôgyô)758 », et qu'il les « lisai[t] toutes » auparavant, lorsqu'il ne consacrait pas beaucoup de temps à s'occuper des terrains de la famille comme ces dernières années. Ceci était afin de connaître les moyens les plus économes d'entretenir ses cultures à petite échelle.

Mais la méthode que la formation Nô-Life lui a enseignée est celle de l'agriculture conventionnelle qui demande une utilisation standardisée de produits chimiques. Et c'est à ce niveau-là que M. Imai ressent un décalage avec le Projet Nô-Life.

Autrement, s'il n'arrive pas à développer plus ses activités agricoles, c'est parce qu'il travaille tout seul en ce moment, alors que sa femme continue à travailler de son côté. Ce qui peut physiquement et psychologiquement constituer un poids pour M. Imai. C'est pourquoi il suggère que, quand elle prendra sa retraite, ils pourront

758 Revue mensuelle japonaise publiée par Nôbunkyô depuis les années 1940 (après la fin de la deuxième guerre mondiale).

peut-être travailler la terre ensemble et s'y investir plus... D'ailleurs, il a souligné qu'il était encouragé par le fait que le même type de personnes que lui se réunissent dans le Projet Nô-Life. Cela montre qu'il a une motivation potentiellement importante pour développer ses activités agricoles plus tard.

M. Suzuki est, comme nous l'avons vu dans le schéma du changement d'idées, fortement déçu par la formation Nô-Life dans la filière de l'arboriculture. Il n'arrive plus à « croire à l'idée du maire » qui a lancé le Projet Nô-Life. Il est confronté au dilemme entre la contrainte économique trop grande pour s'investir dans l'arboriculture et son engagement fort pour le monde agricole. Ce dilemme est pour lui douloureux, d'autant plus qu'il était un des stagiaires les plus engagés dans les activités de la filière de l'arboriculture, alors que beaucoup de stagiaires de cette filière se sont désintéressés de leur stage dans les vergers, en s'intéressant à d'autres cultures comme les figues ou cultiver des légumes. (cas de Mme. Konno et Mme Kawamura)

Sinon, il considère Ikigai dans le sens de la construction d'un autre type de vie que la vie salariale. D'ailleurs, il rêvait de mener une vie basée sur l'autoproduction et l'autoconsommation dans la montagne depuis l'âge de 50ans (il est originaire d'un foyer agricole de Shizuoka).

Sa volonté de monter une association de stagiaires avec M. Itô est révélatrice de son engagement pour le monde agricole. Et cet acte montre également qu'il trouve des problèmes dans le Projet Nô-Life et essaie de chercher des solutions à sa propre initiative.

Pour M. Shioya, M. Imai et M. Suzuki, leur éloignement du monde de l'agriculture de type Ikigai semble être lié à l'orientation de la formation Nô-Life formulée par l'objectif d'un million de yens de revenu agricole. Certes, chacun perçoit toujours les choses à sa manière dans son ancrage particulier. Mais la contradiction, semble moins se trouver dans l'histoire ou la convenance personnelles de chacun, que dans le fait même que ces trois hommes correspondants le plus au type de personnes visé par le Projet Nô-Life (jeunes salariés retraités), n'ont pas été convaincus par l'orientation de la formation Nô-Life.

Ceci nous semble vrai d'autant plus qu'ils continuent chacun à leur manière à s'intéresser aux activités agricoles. Et M. Imai et Mme. Tsuzuki, eux aussi, pourront être plus dynamiques en terme des activités agricoles en fonction de changements ultérieurs de leur situation familiale (retraite de l'épouse pour M. Imai, vieillissement de la belle-mère pour Mme. Tsuzuki).

Groupe neutre

Ensuite, parmi les enquêtés situés dans le cercle de l'agriculture de type Ikigai, nous avons encerclé dans le « Groupe neutre » dix personnes considérant l'agriculture comme Ikigai, mais conservant une distance avec l'orientation productiviste du Projet Nô-Life traduite par l'objectif d'un million de yens de revenu agricole.

Un bon nombre parmi eux ont exprimé un doute manifeste sur l'objectif d'un million de yens de revenu agricole (M. Shimizu, M. Isomura, Mme. Katô, Mme. Konno, Mme Mizutani, Mme Kawamura) ou sur la méthode enseignée par la formation qui est trop productiviste et pas très économe (M. Itô, M. Kobayashi, M. Naruse et M. Katô). Parmi eux, Mme Kawamura, M. Naruse et M. Katô ont surtout l'intention de mener une production de type plus écologique.

Ce qui caractérise ce groupe est qu'ils ont l'intention de garder un rapport économique dans leur prise de position (sauf M. Itô qui n'a plus l'intention de mener une production quelconque et M. Katô qui reconnaît devoir chercher un travail en dehors de ses activités agricoles pour vivre)

Parmi ces enquêtés nous pouvons remarquer que les personnes du type de trajectoire 2 (ou 2/4 ou 4) impliquant une situation de crise (insuffisance) au niveau du capital socio-culturel, ont tendance à prendre position plus proche du pôle de la production matérielle (Mme. Kawamura, Mme Katô, Mme Konno, Mme Mizutani, M. Kobayashi). C'est qu'ils ont l'intention d'établir le lien entre leur construction de capitaux socio-culturels et un certain niveau d'activités économiques. Nous allons voir les raisonnements de chacun au cas par cas.

Mme Kawamura, suite à son divorce et sa situation précaire depuis cinq ans, a besoin de construire à la fois de nouveaux capitaux économiques et socio-culturels. Mais son exigence économique n'est pas pour autant de gagner sa vie, mais de maintenir son autonomie relative à sa situation familiale (être chargée par sa fille). C'est

ainsi qu'elle a l'intention de gagner « de l'argent de poche de tous les jours ».

Puis, Mme. Katô qui a un capital économique suffisant pour elle-même, essaie de construire un capital économique pour répondre à une situation de crise de sa famille : fils au chômage et mauvaise relation conjugale. Mais elle est confrontée au risque trop élevé qu'implique un investissement économique à faire dans la production de fraises en serre. En fait, le prêt agricole départemental que le Centre Nô-Life propose aux stagiaires, est un système plutôt destiné aux agriculteurs professionnels qu'aux salariés retraités qui n'ont ni assez d'expériences pour cela, ni un objectif purement professionnel ou économique.

Mme. Konno est en quête d'un certain niveau de capital économique pour faire face à la crise au niveau du capital socio-culturel dans le sens où elle risquait de perdre l'équilibre entre les trois aspects personnels en tant qu'individu (« territoire de soi-même »), épouse et mère de trois enfants. C'est pour répondre à cette crise qu'elle a choisi de mener à son initiative une production agricole avec sa famille à long terme, pour s'assurer à la fois une économie domestique plus stable, une meilleure relation familiale (épouse et mère) et une occupation personnelle pour son autonomie individuelle. Et elle trouve qu'elle est bien placée pour mener cette activité en raison de son âge encore jeune (35ans).

Sa prise de position nous apparaît, en fait, bouleversante par rapport à la position officielle du Centre Nô-Life qui vise d'abord les salariés retraités majoritairement à dominante masculine dans son approche de l'agriculture de type Ikigai. En effet, elle s'affirme comme une seule personne placée dans une position idéale par rapport aux trois pôles de l'agriculture de type Ikigai, alorsqu'elle constitue un type de stagiaire de Nô-Life tout-à-fait imprévu par les agents gestionnaires du Projet Nô-Life ! (jeune femme, originaire d'un foyer non agricole, sans aucune expérience agricole)

Mme. Mizutani, confrontée à une situation précaire de son fils comme Mme. Katô, essaie de construire un capital économique avec de nouvelles activités agricoles avec sa famille. Mais elle se retrouve dans sa situation personnelle avec une série de conditions incertaines (motivation incertaine de son fils, financement, difficulté pour réaliser la rentabilité etc)

M. Kobayashi a connu deux pertes successives de membres de sa famille en 2003 (décès de l'épouse suite au cancer du poumon, celui des parents suite à un incendie). C'est pourquoi il a pris sa préretraite à la même année, et a hérité des biens agricoles de sa famille. Dans le but de maintenir et transmettre les biens agricoles familiaux qui étaient auparavant entretenus par ses parents, il participa à la formation Nô-Life depuis 2005. Et il affirme finalement que cet objectif du maintien et de la transmission est son Ikigai.

Il est potentiellement motivé pour développer ses cultures sur 1 .2ha de rizières et de champs secs qu'il a hérité de ses parents, même s'il n'arrive pas encore à tous les cultiver tous en raison de sa compétence encore insuffisante. S'il hésite encore à exercer la vente de ses produits en raison de contraintes du marché qui seront imposées à la production, il a quand même l'intention d'entrer dans un groupement de producteurs dans deux ou trois ans, quand sa compétence sera plus grande.

En même temps, il trouve la méthode enseignée par la formation Nô-Life trop coûteuse en terme de l'utilisation de machines et de produits chimiques, et surtout non adaptée aux besoins réels des stagiaires. Il pense qu'il vaut mieux que le Centre Nô-Life enseigne également des méthodes sans traitement chimique.

Sinon, pour le reste de personnes du Groupe neutre ayant le type de trajectoire 1(sauf M. Katô), chacun a son engagement à sa manière dans la vision de l'agriculture de type Ikigai, même si dans une situation relativement stable au niveau des capitaux économique et socio-culturel.

M. Katô reste relativiste vis-à-vis de l'objectif d'un million de yens de revenu agricole. Cette attitude n'est pas simplement due au fait qu'il s'intéresse uniquement à l'autoconsommation. Mais elle est liée au fait qu'il est dans une situation de crise au niveau des capitaux économique et socio-économique (chômeur, dépression) : Comme il sait qu'il faut maintenant avoir un autre travail en dehors des activités agricoles pour pouvoir vivre économiquement, il n'a pas l'intention de se consacrer davantage à ses activités agricoles. Puis, comme il a encore un fils allant au collège avec lequel il faut passer du temps dans sa famille, il envisage de s'investir davantage dans ses activités agricoles après que son fils aura grandi.

M. Naruse porte un intérêt à long terme concernant ses activités agricoles comme une occupation principale

après sa retraite. Sinon, il hésite entre l'autoconsommation et la vente en raison de contraintes liées au marché.

M. Itô, 43 ans, porte également un intérêt à long terme pour l'agriculture en pensant au problème qu'il rencontrera dans 10-1 5ans : celui d'Ikigai. Il montre une motivation identitaire et sociale pour son implication dans le monde agricole à travers l'idée de monter une association de stagiaires dont il discute avec M. Suzuki. Son acte est comme le cas de M. Suzuki, révélateur de son engagement qui pourrait être porteur de perspectives à l'initiative de stagiaires eux-mêmes, c'est-à-dire non à l'initiative d' « en haut » émanant d'agents institutionnels, pour l'avenir du Projet Nô-Life.

M. Shimizu est très critique vis-à-vis de l'objectif d'un million de yens de revenu agricole. Pour lui, c'est un objectif qu'il ne faut pas annoncer aux stagiaires, car il est absolument impossible à réaliser. Ce sentiment contestataire se base sur ses expériences de la vente de Kaki ainsi que celles du passé liées à son foyer agricole qui n'a pas pu continuer sa production agricole depuis une quarantaine d'années.

Son intérêt pour la participation à la formation Nô-Life porte aussi sur le long terme : il pense à son futur successeur auquel il pourra confier la gestion de ses terrains agricoles. Il considère ses activités agricoles comme quelque chose de différent d'un simple loisir mais indéfinissable.

Pour M. Isomura, la question d'Ikigai est également une préoccupation importante. Il a rapidement opéré un changement radical de son mode de vie : celui de type salarial à celui de type « paysan » qui implique un mode d'utilisation du temps complètement différent. D'après lui, c'est ce que beaucoup de salariés retraités n'arrivent pas à réaliser en général, à cause de leur tendance d'être dépendant de l'entreprise, dite l' « homme de l'entreprise (kaisha ningen) ».

S'il a une position plutôt équilibrée vis-à-vis des trois pôles de l'agriculture de type Ikigai, mais il pense néanmoins que trop de contraintes imposées à la production par le marché risquent d'empêcher beaucoup de stagiaires de Nô-Life de continuer leurs activités agricoles.

Groupe productiviste

Concernant deux hommes de ce groupe, loin de se mettre à la simple recherche de la rentabilité, l'un essaie de construire sa vie économique et sociale dans une situation de crise, l'autre essaie de construire après sa retraite une vie fortement liée à son identité agricole et paysanne du passé, qui n'a jamais été oubliée dans sa trajectoire, tout en mobilisant ses expériences passées et sa relation sociale.

M. Nichizawa poursuit toujours son objectif professionnel dans la formation Nô-Life, tout en s'appuyant sur sa passion, son intérêt à long terme (« jusqu'à la mort »). C'est également une urgence par rapport à ses crises au niveau des capitaux économique et socio-culturel : il est célibataire et chômeur à l'âge de 43 ans.

Pourtant, les contraintes lourdes pour l'investissement dans la production de fraises en serre, constituent un grand souci pour lui.

M. Kamihata poursuit, de manière persistante, son objectif économique (plus d'un million de yens de revenu agricole). Ceci malgré sa situation relativement stable en terme économique et socio-culturel. Sa tentative d'une nouvelle installation agricole avec la formation Nô-Life semble être, en quelque sorte, une quête identitaire liée à ses expériences passées en tant qu'agriculteur.

Au travers de sa nouvelle installation agricole, il a l'intention de contribuer au développement local et rural notamment dans une zone de moyenne montagne. Il veut notamment avoir le lien avec la population locale surtout des rapports de coopération avec les gens de sa génération : baby-boomers qui avaient quitté leur terre pour travailler dans le secteur automobile, et qui vont prendre leur retraite comme M. Kamihata.

Par ailleurs, la mobilisation et la compréhention de sa famille sont indispensables pour lui. Il travaille par ses activités agricoles avec son épouse, son fils et d'autres personnes de sa famille (ex. famille de sa soeur). Avec ses activités agricoles, il a également l'intention d'éviter d'être dépendant de ses enfants lorsqu'il sera âgé. Au contraire, avec sa tentative d'une entreprise agricole familiale, il souhaite pouvoir laisser à ses enfants un « chemin » pour leur avenir. Donc, son engagement s'inscrit également dans le contexte social du vieillissement.

Poids lourd de l'orientation productiviste du Projet Nô-Life

Dans notre analyse des prises de position des stagiaires enquêtés vis-à-vis de la vision de l'agriculture de type Ikigai proposée par le Centre Nô-Life, nous avons constaté une influence lourde de l'orientation productiviste de la formation Nô-Life imposée sur les raisonnements des enquêtés.

En effet, l'objectif d'un million de yens de revenu agricole et la formation Nô-Life orientée par cet objectif constituant les facteurs généraux et extérieurs aux contextes individuels des enquêtés, font obstacle à leur accès au pôle de la production matérielle à but lucratif dans leur prise de position. Car cet objectif paraît trop productiviste, contraignant voire irréaliste pour beaucoup de stagiaires. Ce qui provoqua comme résultat leur éloignement général du pôle de la production matérielle à but lucratif.

En plus, cette situation n'est pas seulement due au fait que le niveau économique de l'objectif du Projet Nô-Life est trop haut, mais plutôt au fait que cette orientation productiviste ne donne pas la place aux autres espèces des capitaux dont les stagiaires ont besoin, liées à leurs propres contextes économique et socio-culturel. Et ces contextes, impliquant soit une situation de crise, soit celle de stabilité à la suite de la trajectoire de chacun, donnent aux stagiaires leurs propres motivations qui font ainsi la diversité de leurs enjeux et représentations.

Dans notre analyse, on constate que l'agriculture de type Ikigai donne souvent un sens aux stagiaires, dans la mesure où elle est mise en relation avec leurs besoins du niveau socio-culturel. Et le pôle de la production matérielle à but lucratif peut également avoir un sens pour les stagiaires, mais à condition qu'il soit mis en relation avec ce type de besoins. Sinon, l'agriculture de type Ikigai risque de perdre sa propre valeur légitime au sein des représentations des stagiaires.

En fait, ce constat-là nous permet de dépasser l'interprétation générale que l'on donne souvent à l'agriculture de type Ikigai d'un seul point de vue économique, comme étant une activité économique qui dépasse le niveau de loisir, mais moins important que le niveau professionnel (ex. « agriculture qui permet de gagner de l'argent de poche »)

Il faut dire que notre constat peut être dans le cas rare chez des deux stagiaires du groupe productiviste. Leurs raisonnements particuliers ancrés dans leurs contextes économique et socio-culturel jouent fortement dans la détermination de leurs actions économiques.

Dans le cas de M. Nichizawa, il paraît logique qu'il poursuive du moins formellement un objectif purement économique, à la différence des autres stagiaires plus âgés, car il essaie de devenir agriculteur professionnel « pour gagner [sa] croûte » dans une situation de crise assez urgente qui nécessite une construction importante tant en terme de capital économique qu'en terme de capital socio-culturel. D'ailleurs, dans son cas, il lui faudrait dégager un revenu beaucoup plus élevé que le niveau donné par l'objectif du Projet Nô-Life pour réaliser son objectif professionnel. Dans ce cas, la formation Nô-Life sera même inadaptée à ce besoin, car sa production devra être celle de type plus industriel orienté vers le marché. C'est pour cela qu'il s'intéresse à la production de fraises en serre recommendé par le Centre Nô-Life et la CAT (Coopérative agricole de Toyota).

Dans le cas de M. Kamihata, il essaie de réaliser l'objectif donné par le Projet Nô-Life, par une approche familiale et quasi professionnelle. En effet, il n'a pas comme motivation dans sa tentative, à la différence des autres stagiaires, l'autoconsommation de ses produits, mais plutôt la reconstruction de son identité après sa retraite en tant qu'un agriculteur professionnel qui a connu à la fois une réussite et un échec dans les années 60 à Kagoshima. Et cette identité se distingue nettement de celle d'un agriculteur pluriactif ordinaire. C'est pour cela que sa prise de position est finalement éloignée des autres stagiaires originaires d'un foyer agricole local de la Ville de Toyota.

Ensuite, nous allons voir les réflexions données par les points de vue des stagiaires sur l'ensemble du Projet Nô-Life. Elles vont constituer une sorte de réponses finales au Projet Nô-Life qu'ils ont vécu.

5 Réflexion sur le devenir du Projet Nô -Life

D'abord, il faut relever une limite imposée pour l'analyse de cette partie. Les données analysées ici sont

beaucoup moins complètes que les données analysées dans les parties précédentes. Ceci est dû au fait qu'avec cette enquête par entretien, la possibilité laissée aux enquêtés de développer leurs réflexions était beaucoup plus limitée que dans l'enquête par questionnaire, notamment en raison du manque de temps et d'un rapport d'interaction enquêteur - enquêté qui s'impose dans les entretiens.

Pour dégager les éléments des réflexions menées par les enquêtés, nous avons repris les trois groupes identifiés dans notre analyse de la prise de position : groupe distancié ; groupe neutre ; groupe productiviste. Nous présenterons notre analyse en groupant les avis positifs et négatifs des enquêtés sur les trois thématiques abordées : Rapport du Projet au développement local ; Bilan des activités de la formation Nô-Life ; Avenir du Projet Nô-Life. Bien que nous ne trouvions pas toujours de relation forte entre ce groupement et les réflexions des enquêtés sur l'ensemble du Projet Nô-Life, la division des enquêtés en ces trois groupes nous permet de repérer certaines tendances de leurs réflexions.

La thématique sur le Rapport du Projet Nô-Life au développement local a recherché les avis des enquêtés sur l'impact extérieur des activités du Projet Nô-Life. Puis, la thématique sur le bilan des activités de la formation Nô-Life a recherché l' appréciation interne des activités du Projet Nô-Life par les enquêtés. Enfin, la thématique sur l'avenir du Projet Nô-Life, en demandant aux enquêtés s'il faut continuer le Projet à l'avenir, a recherché la légitimité et la valeur générale du Projet et les propres avis des enquêtés sur les problèmes qui résident dans l'orientation du Projet pour sa continuation future.

Rapport du Projet au développement local

Tableau : Avis des enquêtés sur le Rapport du Projet Nô-Life au développement local

 

Avis positif

Avis négatifs

Avis pragmatiques

Groupe
distancié

- Motiv. souvent plus forte chez la pop.

non agri. que chez la pop. agri.. Il
faudrait que le Projet se focalise + sur
les salariés retraités aisés (M. Imai)

- Attente faible de la pop.
loc. ou agri. (M. Shioya;
Mme. Tsuzuki; M. Imai)

 

Groupe
neutre

- Positif du pdv de l'identité agri. et rur.
de la Ville de Toyota (Mme. Kawamura,
M.Naruse, M. Shimizu)
- Positif du pdv de la communic. entre
hab. loc. (Mme. Katô)
- Positif du pdv de l'agricult. basée sur
la localité. Influence possib. sur
l'urbanisation (M. Kobayashi)
- Positif, j'espère (M. Katô)

- Sceptique du pdv fem. au
foyer encore insensibles à
ce sujet (Mme. Konno)
- Pourquoi le nbre. de
stagiaires n'est pas très
élevé par rap. taille de la
Ville ?(Mme Mizutani)
- Négatif car motiv. des
salariés retraités restera
incertaine (M. Naruse ; M.
Isomura)

- Cela pourra être positif avec

un réseau Nô-Life (M. Itô)
- Pour que cela puisse être

positif, il faudrait créer un

zonage spécial pour les
activités Nô-Life (M. Isomura)

Groupe
productiviste

- Pas d'avis

- Pas d'avis

 

(Liste d'abréviation. Motiv. : motivation ; pop. : population ; agri. agricole ; loc. : local ; pdv : point de vue ; rur. : rural ; communic. : communication ; hab. : habitant ; agricult. : agriculture ; possib. : possibilité ; fem. : femmes ; nbre. : nombre)

Dans le groupe distancié, les trois enquêtés originaires d'un foyer agricole local (M. Shioya, Mme. Tsuzuki, M. Imai) ont souligné que le Projet Nô-Life a peu de répercutions sur la population agricole, et qu'en réalité, il est plutôt rare de trouver des personnes qui continuent leurs activités agricoles parmi cette population dont la majorité est pluriactive. D'ailleurs, M. Imai trouve qu'aujourd'hui, la population non agricole est souvent plus motivée que la population agricole.

Dans le groupe neutre, les avis positifs et négatifs coexistent avec des points de vue variés.

Concernant les avis positifs, les trois points de vue suivants sont relevés par plusieurs personnes.

- Identité agricole et rurale de la Ville de Toyota (Mme. Kawamura, M. Naruse, M. Shimizu) - Communication entre habitants locaux (Mme. Katô)

- Rapport entre l'agriculture et la localité (M. Kobayashi)

Mme. Kawamura, M. Naruse et M. Shimizu ont parlé, chacun à sa manière, l'identité agricole et rurale de la Ville de Toyota comme caractéristique du Projet Nô-Life et quelque chose que le Projet Nô-Life essaie de mettre en avant. Pour Mme. Kawamura, la Ville de Toyota est un cadre idéal de la campagne où il y a la montagne, la moyenne montagne, la plaine et la Ville. Puis, M. Naruse considère la Ville de Toyota comme une ville rurale qui se distingue fortement des grandes villes comme Tôkyô où il a fait sa carrière professionnelle. Et pour M. Shimizu, les produits agricoles font, à côté des voitures de l'Automobile Toyota, également partie de l'identité de la Ville de Toyota.

Mme. Katô qui a connu une amélioration de sa relation conjugale via ses activités agricoles, souligne que le Projet Nô-Life pourra animer la communication entre habitants locaux de la Ville.

Pour M. Kobayashi, ayant hérité 1 .2ha de terrains agricoles de ses parents, l'agriculture est un moyen par excellence d'établir le lien social et territorial et de contribuer à sa localité.

Concernant les avis négatifs, l'incertitude des attentes vis-à-vis du Projet Nô-Life ainsi que de l'agriculture et de la ruralité, du côté des femmes au foyer et du côté des salariés a été relevée par Mme. Konno, M. Naruse et M. Isomura.

Pour Mme. Konno, envisager le rapport du Projet Nô-Life au développement local est difficile face au grand décalage existant entre le mode de vie réel de la population locale et les discours de plus en plus fréquents au niveaux politique et médiatique sur l'alimentation comme la consommation de produits de terroir ou la vente directe. Elle souligne, en se basant sur ce qu'elle constate au quotidien, les femmes au foyer ne sont pas assez sensibles, en réalité, à ce type de thématiques. Car elles vont plutôt au supermarché acheter des plats préparés pour économiser leur temps et leur travail de ménage. Et surtout dans les foyers où le père travaille comme ouvrier en deux fois huit dans le secteur automobile, il est rare que les pères se mettent à table avec leur familles en raison de leurs emplois du temps décalés. Cela ne permet pas à leurs épouses de préparer des repas de famille de manière élaborée.

M. Isomura, qui était fonctionnaire local dans la Ville de Toyota, souligne, que les salariés retraités n'arrivent pas changer facilement de mode de vie après leur retraite à cause de leur tendance à être dépendants de leur travail à l'entreprise. M. Naruse met en doute également l'attente réelle du côté des salariés retraités.

Puis, M.Itô et M. Isomura pensent chacun à une solution alternative. M. Itô pense qu'il faudrait créer un réseau d'acteurs pour que le Projet puisse se développer à long terme. C'est pourquoi il pense à organiser une association de stagiaires. M. Isomura pense que l'entremise assurée par le Centre Nô-Life ne sera pas suffisante pour réduire les friches agricoles. Il pense qu'il faut que la Ville loue directement les friches agricoles, et les gère en faisant appel au public pour leur participation à cette gestion. Sinon, le Centre Nô-Life sera confronté à des difficultés face à l'attitude égoïste des propriétaires.

Bilan des activités de la formation Nô-Life

Concernant les avis positifs sur le bilan des activités de la formation Nô-Life, la satisfaction sur l'apprentissage technique a été exprimée dans chacun des trois groupes.

Concernant les avis négatifs, les trois points suivants sont relevés par plusieurs enquêtés dans le groupe distancié et le groupe neutre.

- Manque d'enseignement sur l'entretien des cultures (M. Shioya, M. Isomura) - Méthode trop coûteuse (M. Imai, M. Kobayashi)

- Ambiguïté entre l'amateurisme et le professionnalisme (Mme. Katô, M. Nichizawa)

En effet, dans les cours pratiques de la formation Nô-Life, ce sont souvent les employés qui se chargent de l'entretien quotidien des cultures, alors que les stagiaires, au moment des cours se déroulant une fois par semaine, n'assistent que partiellement au déroulement des procédés agricoles (labour, semis, fumage, récolte etc.). C'est pourquoi les stagiaires ne peuvent pas connaître des techniques importantes pour l'entretien quotidien des cultures. Un bon nombre de stagiaires semblent partager cet avis.

Dans la formation Nô-Life, on n'enseigne principalement que les méthodes culturales conventionnelles avec l'utilisation, de manière spécialisée et standardisée, de machines agricoles, d'engrais chimiques, de pesticides et d'herbicides.

Mais cette méthode est adaptée plutôt à la production à grande échelle destinée à la distribution au marché, plutôt qu'à la production à petite échelle que les stagiaires Nô-Life sont censés exercer après la formation. Là, il y a donc un rapport certain à l'objectif d'un million de yens de revenu agricole. Et l'intérêt économique de la part de la Coopérative agricole est également présent sur ce point (vente de matériels agricoles)759.

Tableau : Avis des enquêtés sur le Bilan des activités de la formation Nô-Life

 

Avis positif

Avis négatifs

Autres

Groupe
distancié

- Bon apprent. tech.(Mme
Tsuzuki)

- Manque d'enseig. sur l'entretien

cultures(M. Shioya)

- Méthode trop conventionnelle,

compliquée et coûteuse (M. Imai)

 

Groupe
neutre

- Projet m'a donné des rêves à réaliser (Mme. Kawamura)

- Très satisfait de la format. Bon accueil et enseignement (Mme. Mizutani)

- Bon apprent. tech. (M.

Kobayashi, M. Naruse, M.
Shimizu)

- Camarades (M. Naruse)

- Apprent.connais. gén. (M. Itô)

- Enseignement inadapté à la

prod.profes., d'où l'ambiguïté entre l'amateurisme et le professionnalisme (Mme. Katô)

- Méthode trop coûteuse (M.

Kobayashi)

- Manque d'enseig. sur l'entretien

cultures (M. Isomura)

 

Groupe
productiviste

- Très satisfait de la format., avec bons accueil et personnels, j'en ai très bien profité (M. Kamihata)

- Quantité cours insuffisante (M.

Nichizawa)

Cela dépendra du résultat (si je vais devenir professionnel ou pas) (M. Nichizawa)

(Liste d'abréviation. Apprent. : apprentisage ; tech. : technique ; enseig. : enseignement ; format. : formation : connais. : connaissances : gén. : général ; prod. : production ; profes. : professionnels)

M. Imai, M. Kobayashi le soulignent parce qu'ils savent dans leurs expériences qu'une telle méthode est trop coûteuse et irréaliste pour beaucoup de foyers agricoles pluriactifs.

Mme. Katô se persuade que la formation Nô-Life n'est adaptée ni aux amateurs de l'agriculture, ni aux professionnels de l'agriculture. Elle avait l'intention de mener une production de fraises en serre après la formation, mais elle s'est rendue compte qu'il faudrait pour cela beaucoup plus d'investissements écoomiques qu'elle ne l'imaginait. D'après elle, deux ans de formation Nô-Life ne suffisent pas pour gérer une production à grande échelle.

C'est ainsi que M. Nichizawa trouve, lui aussi, que le nombre de cours de la formation est insuffisant pour devenir agriculteur professionnel.

759 Comme nous l'avons vu dans le Chaitre 3, ce point est même explicité dans le plan politique de la « Zone spéciale de la Création de Nô-Life » en terme des effets économiques de la politique de la Zone spéciale de la Création Nô-Life.

Avenir du Projet Nô-Life

Si la grande majorité des enquêtés justifient la nécessité de la continuation et la valeur générale du Projet, ils forment souvent un certain nombre de demandes pour sa continuation ultérieure. Ce qui montre qu'un grand nombre des stagiaires prennent conscience que le Projet est encore dans un stade de tâtonnement, et qu'ils ne sont pas totalement satisfaits de l'état actuel du Projet.

Tableau : Avis des enquêtés sur l'Avenir du Projet Nô-Life

Avis positif Avis négatifs

- Je justifie le Proj. avec optimisme (Mme Tsuzuki)

- Je justifie le Proj., mais demande d'ajouter un enseig. sur la
méth. de l'agricult. bio (M. Imai)

- Je justifie le Proj., mais demande d'avoir + de concertation entre les amateurs et les professionnels de l'agricult. (Mme. Kawamura)

- Je justifie le Proj., mais demande d'intensifier + la format. avec + de stagiaires. Retraités doivent commencer (activ. agri.) le plus tôt possible, car ils n'auront pas beaucoup de temps (au max 10 ans) (M. Mizutani)

- Je justifie le Proj., mais demande d'avoir + de choix de type de formation (M. Naruse)

- Je justifie le Projet (M. Katô)

- Je justifie le Proj., mais demande d'avoir un réseau de coopération (M. Itô)

- Je justifie le Proj., mais demande d'un élargissement du Centre Nô-Life à d'autres quartiers (M. Shimizu)

- Je justifie le Proj., mais demande de créer un rap. de confiance entre le Proj. Nô-Life et les propriétaires ruraux (M. Isomura)

Groupe
distancié

Groupe neutre

- Pessimiste sur la continuat. Proj. en raison de l'incertitude attentes citoyens(M. Shioya)

- Critique sur la vision du fond du Proj. Si on ne la change pas, il risque de décliner(M. Suzuki)

- Critique sur l'ambiguïté de la vision du Projet. Il faut la clarifier en concertant + les stagiaires (Mme. Katô)

Groupe - Pas d'avis - Pas d'avis

productiviste

(Liste d'abréviation. Proj. : projet ; méth. : méthode ; continuat. : continuation ; rap. : rapport)

Concernant les avis positifs, les demandes sont variées dans le groupe distancié et le groupe neutre.

M. Imai, à la recherche d'une méthode économe pour maintenir ses terrains agricoles familiaux, il demende un enseignement de l'agriculture biologique. Mme. Kawamura, elle aussi, pratiquante d'une méthode de la culture de type écologique, demande à avoir plus de communication entre les amateurs et les professionnels dans la formation Nô-Life, car elle trouve déséquilibrée la situation actuelle de la formation sur ce point. Mme. Mizutani, désireuse d'augmenter sa compétence pour développer à son initiative une production familiale, demande à intensifier plus le contenu de la formation Nô-Life. M. Naruse, également intéressé par la méthode de type écologique, demande à avoir plus de choix dans la formation. M. Shimizu, le plus âgé parmi les stagiaires de Nô-Life, fils d'agriculteur et salarié retraité, souhaite que le Projet Nô-Life se développe davantage en élargissant ses aires géographiques dans la Ville de Toyota. Il veut chercher parmi les stagiaires de Nô-Life le futur successeur à la gestion de ses terains agricoles. M. Isomura, lui-même propriétaire de terrains agricoles et loueur d'une partie de ses terrains à des particuliers comme jardin potager, relève la nécessité de créer un rapport de confiance entre le Projet Nô-Life et les propriétaires ruraux pour que le système de l'entremise de

terrains agricoles puisse fonctionner.

Concernant les avis négatifs, dans le groupe distancié, M. Shioya reste pessimiste sur la continuation du Projet, car l'attente des citoyens vis-à-vis de ce Projet lui paraît incertaine. Et M. Suzuki, comme nous l'avons vu plus haut, met en doute le fondement du Projet Nô-Life : combinaison entre Ikigai des personnes âgées et la préservation des terrains agricoles.

Dans le groupe neutre, Mme. Katô considère l'ambiguïté de la vision du Projet comme un danger : par exemple, pour les jeunes voulant devenir agriculteur professionnel avec la formation Nô-Life. Pour elle, si la vision reste ambiguë entre l'amateurisme et le professionalisme, il ne faut pas accueillir les jeunes gens qui ont encore un avenir à construire sur le long terme. Sinon, il faudrait clarifier la vision du Projet en concertant plus les stagiaires.

3 Réponses aux questions

1 Quel lien entre les différents types de stagiaires et les représentations ?

Catégories objectives et subjectives, et représentations

Quel lien entre les différents types de stagiaires et les représentations ? Pour répondre à cette question, nous allons d'abord mettre à plat la terminologie de notre recherche. La typologie des stagiaires relève des deux types de catégories suivantes : catégories objectives ; catégories subjectives.

Les catégories objectives sont les éléments possibles à déterminer de l'extérieur du sujet concerné comme : âge, sexe, lieu d'origine, expériences professionnelles etc. Mais que désignent les catégories subjectives ?

Nous entendons par ces catégories les sens donnés et raisonnés par le sujet vis-à-vis d'un objet donné. Pour l'expliquer, prenons un exemple : quelqu'un qui aime le vin : nous pouvons objectivement le considérer comme « amateur de vin ». Mais suite à cette catégorie objective, nous pouvons nous poser la question suivante pour en savoir plus : « amateur de vin, d'accord, mais dans quel sens ? Et pourquoi ? »

Cette question peut conduire le sujet concerné à mener des raisonnement particuliers sur le fait qu'il est amateur du vin dans divers sens, soit politique, soit économique, soit philosophique, soit religieux, soit gastronomique, soit par tradition familiale ou locale, soit personnel etc.

C'est ce type de raisonnements ou de sens donnés par le sujet concerné que nous entendons par les catégories subjectives. Autrement dit, ceux qui peuvent relever de la question de « pourquoi » donnant une raison ou un sens à une catégorie objective attribuée à la personne. Et c'est dans cette dimension-là que nous mettons en question les représentations : nous entendons par celles-ci les éléments subjectivement mis en relation avec une catégorie objective ou un objet donné. Autrement dit, les représentations sont des éléments d'idées donnant des liens significatifs entre un sujet et un objet.

Dans ce sens-là, nous pouvons rejoindre la définition suivante des représentations sociales données par B. Fraysse : « modes spécifiques de connaissances du réel qui permettent aux individus d'agir et de communiquer760 »

Prenons le cas du Projet Nô-Life. Pour Mme. Konno, l'agriculture n'avait pas de sens pour elle avant de participer à la formation Nô-Life, même si elle la connaissait certainement de manière générale. A partir du moment où ses trois petits enfants sont tous entrés à l'école maternelle, elle est arrivée à faire le lien entre sa vie et l'agriculture dans le sens où celle-ci s'est avérée utile pour rendre compatible le maintien de son « territoire

760 Fraysse, 2000 : 651.

d'(elle)-même » et ses rôles d'épouse et de mère de trois enfants.

Sans reprende toute son histoire de suite, nous pouvons soulever au moins les éléments suivants comme éléments de représentation de l'agriculture chez Mme. Konno : territoire individuel (« territoire de soi-même ») ; rôles domestiques en tant que femme (épouse et mère). Et ces représentations relèvent de son choix opéré entre un travail à temps partiel quelconque et la production agricole à petite échelle susceptible de dégager un revenu supplémentaire (figues ou pêche dans sa motivation initiale) Puis, c'est son intention plus stratégique et idéale pour construire sa vie qui détermine le sens de ces représentations.

Schéma : Représentations de l'agriculture dans la vie de Mme. Konno

Rôle épouse

Mme. Konno

Agriculture

Territoire individuel

Rôle mère de trois enfants

Représentations en action

Ensuite, suite à l'exemple de Mme. Konno, nous pouvons considérer que les représentations peuvent fortement dépendre des actions concrètes du sujet. Autrement dit, nous présupposons ici que nous ne pourrons pas parler de ses représentations sans parler de son acte de participation à la formation Nô-Life suivi d'une série de pratiques, activités et mises en oeuvre concernées.

Il s'agit là de poser la question de « comment » : comment les sujets (acteurs) mettent en action, pratiquent ou mettent en oeuvre leurs représentations ? Nous parlons ici des représentations vécues par les sujets.

Et nous devons prendre en considération les possibilités de changements des représentations au cours de cette expérience chez le sujet concerné, il s'agit des représentations mises en relation avec la réalité objective et d'autres représentations extérieures au sujet.

Par rapport à la réalité objective, les représentations peuvent inévitablement être confrontées aux catégories objectives attribuées au sujet.

Schéma : Représentations en action dans une situation réelle

Catégorie objective A

Rep.A

Sujet A

Rep.B

Objet

Catégorie objective B

Rep.C

Rep.D

Rep.E

Sujet B

Chez Mme. Konno, malgré ses représentations spécifiques quelconques, d'un côté, elle devra rester femme, avoir un certain âge et un certain niveau de vie économique, et tenir compte de tous ces éléments qui entrent dans la situation réelle de son action de la participation à la formation Nô-Life.

Puis, de l'autre côté, il est inévitable pour les représentations d'être confrontées à d'autres représentations données de l'extérieur qui touchent le même objet dans la dimension de l'action du sujet.

Les représentations de Mme. Konno peuvent être confrontées aux représentations préalablement données au Projet Nô-Life par les agents gestionnaires, comme par exemple l'agriculture de type Ikigai avec un certain nombre d'éléments de définition attribués par ces agents (nous les avons étudié dans le chapitre 2).

Les réalités objectives et les représentations extérieures peuvent ainsi constituer des facteurs de dynamiques de représentations.

Représentations dans la temporalité de l'action

Etudier les représentations qui sont en action dans une situation réelle nous amène également à les situer dans la temporalité. Via cette introduction de la temporalité dans notre analyse, nous pouvons appréhender les catégories objectives et subjectives des sujets en terme de leur trajectoire.

D'où les cinq moments de la vie des stagiaires dans le Projet Nô-Life que nous avons établi, à partir desquels nous avons essayé de saisir les représentations en action au sein des stagiaires de la formation Nô-Life : trajectoire (antérieure) ; motivation initiale ; changement d'idées, d'activités et de mode de vie ; prise de position vis-à-vis de l'agriculture de type Ikigai ; réflexions sur le devenir du Projet Nô-Life.

Et les représentations situées dans ces cinq moments peuvent interagir, se construire ou se reconstruire, ce qui peut finalement permettre aux sujets de changer (conserver ou transformer) la trajectoire ultérieure. Ce qui nous permet de voir la construction possible d'une nouvelle typologie du sujet dans le temps ultérieur.

Etude des dynamiques de représentations de l'agriculture et de la ruralité dans le « jeu » du Projet Nô-Life

Suite à notre réflexion théorique menée plus haut, reformulons notre recherche du Projet Nô-Life avec l'exemple de Mme. Konno.

Quant à sa participation à la formation Nô-Life, nous avons d'abord essayé de saisir les éléments de représentations qui entrent dans l'esprit de cette participation, que nous traitons comme parties des catégories subjectives de Mme. Konno. Pour désigner ces parties, nous avons employé le terme de la « motivation initiale » de sa participation.

Ici, notre question se porte sur les dynamiques des représentations de l'agriculture et de la ruralité à travers le Projet Nô-Life. Et comme nous l'avons analysé, le Projet Nô-Life lui-même porte certaines représentations de l'agriculture et de la ruralité en tant qu'une politique publique, qui constituent également la motivation initiale et « officielle » du projet Nô-Life de la part des agents gestionnaires du Projet (BPA et CAT761) et d'autres agents institutionnels concernés.

Du côté des stagiaires, les éléments de représentations constitutifs de la motivation initiale de la participation à la formation Nô-Life, entrent en relation à la fois avec le devenir de cette action-même et les représentations du Projet Nô-Life données par les sujets extérieurs dont principalement les agents gestionnaires, qui impliquent celles de l'agriculture et de la ruralité.

Nous entendons par cette relation un « jeu » des représentations de l'agriculture et de la ruralité à travers le processus du Projet Nô-Life au sein de différents types d'acteurs concernés. Ensuite, nous avons analysé les aspects de confrontation entre les représentations portées par les stagiaires (usagers du Projet), et les agents institutionnels (gestionnaires du Projet) dans les différents moments de ce jeu : changements d'idées, d'activités et de mode de vie ; prise de position vis-à-vis de l'agriculture de type Ikigai ; réflexions sur le devenir du Projet Nô-Life.

Processus du Projet Nô-Life : un nouveau monde émergeant de l'agriculture de type Ikigai

Ce jeu du Projet Nô-Life se situe dans les temporalités des différents types d'acteurs. Ces temporalités constituent un monde particulier et émergeant de ce Projet constitué par les trois pôles de l'agriculture de type Ikigai que nous avons établi dans l'analyse du processus de l'émergence du Projet Nô-Life au Chapitre 2 : qualité de vie ; lien social et territorial ; production matérielle. Ici, nous ne confondons donc pas ces trois pôles avec les représentations officiellement données par les gestionnaires du Projet. Car les porteurs des représentations de l'agriculture de type Ikigai ne sont ni seulement ces gestionnaires, ni le Projet Nô-Life (nous avons vu dans le processus d'autres projets qui sont en relation avec le Projet Nô-Life). Donc, les agents gestionnaires du Projet Nô-Life ne sont que quelques-uns parmi d'autres porteurs des représentations, mais avec leur spécificité en tant qu'agent singulier, leur mode d'action (ou mode de vie du Projet), et leur prise de position dans ce jeu.

Typologie et représentations

Dans ce monde émergeant, la typologie des acteurs peut être à la fois comme déterminant et déterminé par rapport à leurs représentations suite aux conséquences du jeu. Autrement dit, les catégories objectives ou subjectives des acteurs deviennent elles-mêmes des objets de changement (transformation ou conservation) en entrant dans les trajectoires spécifiques des acteurs qui sont « en cours ».

La relation entre la typologie des stagiaires et leurs représentations est donc cyclique et évolutive, par l'intermédiaire du jeu de ces représentations, dans la temporalité du monde émergeant avec le processus du Projet Nô-Life762.

761 BPA : Bureau de la Politique Agricole de la Municipalité de Toyota ; CAT : Coopérative agricole de Toyota.

762 Nous pouvons mettre en parallèle cette relation avec la fameuse question de la relation dialectique et évolutive entre la poule et l'oeuf : « qu'est-ce qui est apparu en premier, l'oeuf ou la poule ? »

Schéma : Relation entre la typologie et les représentations

Catégorie objective

Jeu dans la temporalité

Typologie

Catégorie subjective

Représentations

2 Positions des stagiaires vis-à-vis de l'idée du Projet Nô-Life sur l'agriculture de type Ikigai ?

Quelles positions les stagiaires établissent-ils vis-à-vis de l'idée du Projet Nô-Life (agriculture de type Ikigai) ? Divergence ou convergence des positions ?

Nous pouvons répondre à cette question en nous basant sur nos analyses des changements d'idées, d'activités et de mode de vie, ainsi que des prises de position vis-à-vis de l'agriculture de type Ikigai, effectuées plus haut.

Dans l'analyse des changements d'idées, et d'activités et de mode de vie au cours de leur formation Nô-Life, les six groupes d'enquêtés que nous avons établi à partir de leurs motivations initiales ont montré leurs diverses manières d'agir (ou réagir) dans la situation de la formation Nô-Life, en relation avec leurs circonstances et trajectoires individuelles que nous considérons comme facteurs intérieurs de leurs actions.

Puis, comme facteur extérieur et général aux stagiaires, nous pouvons soulever des contraintes économiques que les activités agricoles peuvent entraîner en terme d'investissement (équipements, travail, exigences du marché). Elles sont ressenties de manière négative, mais différemment chez les uns chez les autres, ce qui provoque tantôt des changements d'idées qui éloignent les positions des stagiaires du pôle de la production matérielle, tantôt une hésitation entre ce pôle et les deux autres pôles, tantôt un dilemme entre l'engagement fort aux activités du Projet Nô-Life et les contraintes ressenties pour mener ces activités. Ceci constitue un point commun parmi la plupart des enquêtés763.

Puis, dans l'analyse des prises de position des stagiaires vis-à-vis de l'agriculture de type Ikigai, nous avons repérés trois groupes parmi les stagiaires enquêtés : groupe distancié, groupe neutre et groupe productiviste.

Si d'un côté, il y a une divergence des positions entre les enquêtés, elle est liée aux circonstances individuelles du présent ou à court terme, qui s'inscrivent dans leurs trajectoires impliquant, comme nous l'avons analysé, quatre variantes de situation (crise ou stabilité au niveau des capitaux économique et socio-culturel). Ces facteurs intérieurs constituent finalement la diversité des enjeux et des représentations au sein de nos enquêtés. Et par là, cette diversité sous-tend la divergence de positions.

Mais de l'autre côté, nous trouvons une convergence forte ou un point commun susceptible de constituer une source de convergence : ceci peut s'expliquer par les deux points suivants négatif et positif.

Le point négatif est, comme nous l'avons constaté dans la partie des Changements d'idées, que la plupart des enquêtés se retrouvent confrontés à la difficulté liée aux contraintes économiques que risquent d'entraîner une production agricole à but lucatif. D'où une série de critiques et de doutes chez les enquêtés vis-à-vis de l'objectif productiviste de la formation Nô-Life représenté par celui d'un million de yens de revenu agricole

763 Cette tendance est commune sauf pour Mme. Tsuzuki et M. Kamihata. Car Mme Tsuzuki n'a en ce moment l'intention ni de développer sa production agricole dans ses terrains familiaux, ni de s'occuper de la production à son initiative car sa belle-mère est encore active. Puis, M.Kamihata poursuit de manière persistante son objectif économique pour une raison identitaire et particulièrement forte par rapport aux autres stagiaires.

annuel.

Trois enquêtés du groupe distancié (sauf Mme. Tsuzuki dont la raison est expliquée plus haut) et tous les enquêtés du groupe neutre critiquent ou mettent en doute soit cet objectif productiviste, soit le contenu de la formation Nô-Life trop orienté par ce dernier imposant une méthode d'agriculture conventionnelle trop coûteuse et non rentable. Et ce point éloigne comme résultat les positions de ces enquêtés du pôle de la production matérielle.

Ensuite, nous pouvons soulever un point positif qui pourrait constituer une source de convergence : ils considèrent tous (sauf trois personnes du groupe distancié, M. Shioya, Mme. Tsuzuki, M. Imai) l'agriculture comme Ikigai. Et ceci pour divers besoins socio-culturels qui portent souvent sur un intérêt sur le long terme, plutôt que pour des besoins économiques sur le court terme. En plus, ces besoins socio-culturels ne sont pas dissociés du pôle de la production matérielle.

Nous avons pu trouver plus clairement ces aspects dans le groupe neutre dont cinq enquêtés du type de trajectoire 2, marqués par une situation de crise au niveau du capital socio-culturel (cas de Mme. Kawamura, Mme. Katô, Mme. Konno, Mme Mizutani et M. Kobayashi). Puis, cela va de même chez les autres enquêtés de ce groupe, mais de manière plus individuelle dans une situation stable (type de trajectoire 1), et ensuite chez les deux hommes du groupe productiviste de manière différente de l'un à l'autre, en raison de deux trajectoires totalement différentes (M. Nichizawa et M. Kamihata). Et même chez les quatre enquêtés du groupe distancié, nous avons constaté que leurs motivations ou engagement restent potentiellement forts, malgré leur éloignement des trois pôles de l'agriculture de type Ikigai pour diverses circonstances individuelles (cas de M. Imai et Mme. Tsuzuki) et obstacles ressentis par rapport à l'orientation actuelle du Projet Nô-Life (cas de M. Suzuki). Ils sont donc en réalité loin d'être totalement désintéressés du monde de l'agriculture de type Ikigai, mais potentiellement motivés ou engagés par celle-ci.

Suite à notre constat de ces points négatifs (obstacle posé par l'orientation productiste du Projet Nô-Life) et positifs (motivation pour Ikigai dans le sens socio-culturel), nous pouvons dire qu'un point de convergence entre les enquêtés est qu'ils sont confrontés au même dilemme : la difficulté de rendre compatible ces deux exigences économique et socio-culturel.

D'ailleurs, un certain nombre d'avis positifs et négatifs exprimés dans les réflexions sur le devenir du Projet Nô-Life nous ont confirmé ce dilemme auquel les enquêtés sont confronté, et auquel le Projet lui-même n'arrive pas encore encore à faire face.

Nous pouvons nous référer notamment à ceux portant sur le Bilan des activités de la formation Nô-Life et l'Avenir du Projet Nô-Life.

Sur le Bilan, si nous avons constaté la satisfaction généralement exprimée par un bon nombre d'enquêtés dans les trois groupes (dix personnes), cela se limitait au niveau de l'apprentissage de la technique de base qui est, en fait une demande instrumentale générale et un intérêt sur le court terme présente chez tous les enquêtés (ce point a été confirmé par le résultat de l'enquête par questionnaire)

Puis, les trois points relevant des avis négatifs sur le Bilan sont révélateurs de l'ambiguïté résidant dans le principe et le contenu de la formation Nô-Life : ambiguïté de l'objectif entre l'amateurisme et le professionnalisme qui implique d'un côté, un manque d'enseignement sur l'entretien des cultures (amateurisme), de l'autre une méthode agricole trop coûteuse relevant de l'agriculture conventionnelle (professionnalisme).

Sur l'Avenir, si un grand nombre d'enquêtés justifient la légitimité et la valeur générale du Projet Nô-Life, ils ont toujours exprimé différents points d'insatisfactions sur le Projet Nô-Life, soit sur la concertation entre stagiaires et gestionnaires, soit sur le contenu de la formation (plus de quantité et de qualité), soit sur la forme de l'organisation du Projet sur le long terme (élargissement institutionnel ou transformation à un réseau de coopération). Puis, n'oublions pas des réflexions critiques sévères portant sur le fond du Projet (ambiguïté du principe du Projet d'un côté, incertitude des attentes du public de l'autre).

3 Conséquences pour les stagiaires, du compromis entre les agents gestionnaires

Le compromis basé sur la divergence d'intérêts entre les agents gestionnaires produisant l'ambiguïté ou la contradiction de la finalité du Projet Nô-Life. Quelles conséquences aura-t-il pour les stagiaires ?

Pour répondre à cette question, rappelons-nous d'abord l'analyse que nous avons effectuée dans la chapitre précédent sur la relation de compromis établie entre les acteurs institutionnels au travers du processus de la construction du Projet Nô-Life.

Compromis précontraint

Ce compromis institutionnel est d'abord le produit d'un processus historique marqué par une série de bricolages intersectoriaux qui se sont successivement opérés ces dix dernières années. Par là, nous pouvons relever une des caractéristiques de ce processus : la dépendance de celui-ci vis-à-vis des instruments existants. Le principe du compromis ainsi établi pour le Projet Nô-Life implique donc nécessairement une certaine incertitude ou imprévisibilité de son résultat, de sa finalité voire de sa vertu.

Concrètement parlant, le Projet Nô-Life, ses gestionnaires et agents partenaires dépendent de ceux qu'ils intrumentalisent pour la mise en oeuvre du Projet. D'un côté, il s'agit notamment des réactions de ces agents eux-mêmes qui s'instrumentalisent, ainsi que de leurs instruments non-humains qui sont disponibles, de l'autre, des réactions des stagiaires ainsi que de leurs instruments humains et non-humains qui sont disponibles.

Comme le relève Lévi-Strauss, un tel processus est caractéristique du bricolage comme étant un processus de « reconstruction incessante à l'aide des même matériaux ». Cette remarque est intéressante pour voir plusieurs actions constructives comme un processus, mais non comme une série de simples contingences. Ceci, bien que nous nous gardions de rejoindre totalement le point de vue de Lévi-strauss : comme nous l'avons déjà dit, aujourd'hui rien qu'en tenant compte de la mobilité physique, sociale et informative764, il est très difficile de déterminer réellement (non théoriquement) la structure invariante des instruments tel que Lévi-Strauss entend la conceptualiser. Ces éléments interagissants765qui sont à la fois instrumentalisés et instrumentalisant, se constituent réciproquement comme « interlocuteurs » et « bricoleurs »766.

Puis, comme relève encore Lévi-Strauss, chaque instrument (actant) a sa structure déterminée par ses fins (ou raison d'existence) antérieures767, et le processus et le résultat du bricolage sont ainsi précontraints par une telle structure instrumentale.

Concrètement parlant, le processus de la construction du Projet Nô-Life et son résultat (sa finalité et sa vertu), sont précontraints par les structures des acteurs mobilisés, à savoir leurs identités antérieures ou

764 D'ailleurs, cette conception semble fortement se baser sur un présuposé théorique particulier que nous ne rejoignons pas forcément : celui de l'universalité de l'esprit humain. Une telle vision ne produit-elle pas la dichotomie absolue entre « la culture et la nature » sur laquelle se base, en fait, la réflexion de Lévi-strauss ? Ainsi, dit-il : « Sur l'axe de l'opposition entre nature et culture, les ensembles dont ils [l'ingénieur et le bricoleur] se servent sont perceptiblement décalés. En effet, une des façons au moins dont le signe s'oppose au concept tient à ce que le second [bricoleur] se veut intégralement transparent à la réalité, tandis que le premier [ingénieur] accepte, et même exige, qu'une épaisseur d'humanité soit incorporée à cette réalité. » (Lévi-Strauss, 1962 : 34) S'il faut dépasser cette dichotomie dans notre épistémologie, il suffit de se référer à la pensée de « Fûdo » de T. Watsuji (1889-1960), philosophe japonais. Pour lui, la nature telle qu'elle est conceptualisée de façon à l'opposer à l'être humain, n'est qu'un produit d' « objectivation » humaine qui est, en fait, elle-même déjà déterminée par Fûdo dont la définition possible du terme est une condition écologique de l'existence humaine (Watsuji, 1979 : 3).

765 Ceci renvoit à la notion d' « actant », terme désignant les êtres humains et leurs objets interagissants dans la société. Depuis que B. Latour a employé ce terme, certains sociologues francophones préfèrent l'employer comme terme au lieu d'utiliser les termes habituels comme acteur, agent, individuel. Cela va ainsi chez Boltanski et Thévenot : « Boltanski et Thévenot se montrent critique à l'égard de l'usage des catégories sociologiques habituelles : individus, groupe, classe, culture, société, etc. L'enjeu essentiel est, pour eux, de se débarasser de toutes les formes de catégorisation a priori afin de pouvoir élucider les processus, dynamiques sociales et opérations cognitives qui sont à l'oeuvre chez les personnes ordinaires. Pour ce faire, ils se servent notamment du concept d'actant, d'être, d'état... » (Nachi, 2006 : 49).

766 Pour Lévi-Strauss, la structure instrumentale est également considérée comme limitant le pouvoir de l'ingénieur, une fois que celui-ci est obligé d'entrer dans un rapport de « dialogue » avec son objet (Ibid. 33)

767 Lévi-Strauss, 1962 : 35.

trajectoires, ainsi que leurs ressources disponibles, relations préétablies voire les circonstances intégrées à leurs actions.

Ambiguïté du compromis Nô-Life : situation déséquilibrée

Puis, nous avons mis en évidence les dispositifs construits pour lancer le Projet Nô-Life au travers d'une série d'actions et de communications, que nous avons tenté d'interpréter en terme de la transaction sociale pour désigner le type de dynamique de la relation sociale entre acteurs dans le processus de la construction du Projet Nô-Life, ainsi que du transcodage pour repérer la technique opérée pour la mise en relation des acteurs institutionnels dans ce processus ; et ensuite du compromis pour spécifier l'état de la relation sociale ainsi établie entre ces acteurs.

Et nous avons constaté la présence de l'idée du bien commun dans ce compromis. Bien commun dont la signification donnée par les acteurs institutionnels est : agriculture et ruralité ; les objets du Projet. Cette idée constitua la base du compromis en supposant d'abord, selon Boltanski, l'impossibilité de la sortie de crise à laquelle les parties sont confrontées : crise agricole d'un côté, vieillisement accéléré de la population de l'autre. Cette relation implique qu'elle ne se base pas uniquement sur les intérêts particuliers de chacune des parties, mais sur une idée qui les comprend. Et cette idée, formulée comme « promotion de l'agriculture de type Ikigai », implique inévitablement des contraintes relevant de « grandeurs » de mondes dans lesquels appartient chacun des parties, à savoir : monde agricole professionnel d'un côté, monde des services publics locaux du vieillissement.

Puis, comme le définit Thévenot, ce compromis « cherche à être justifiable » dans son principe en tant qu'une politique publique dans son application réelle face à l'épreuve de la vie de ses usagers (stagiaires), et essaie d'atteindre un « équilibre global ».

Par là, nous pouvons rejoindre l'approche de la transaction sociale de M. Mormont, qui consiste également à créer de nouveaux dispositifs alternatifs comme « cadre stabilisateur » des anticipations des agents concernés, sur lesquelles se basent leurs identités et intérêts sur le long terme. Et ceci tout en dépassant les conflits dus aux intérêts particuliers sur le court terme. Puis, il en est de même du transcodage de P. Lascoumes, qui consiste à « équilibrer » les dispositions divergentes des agents.

Ce compromis implique nécessairement une ambiguïté de son principe dans la mesure où il ne peut pas mettre en cause les identités des parties. D'où la présence de : contraintes liées à des grandeurs incompatibles a priopri, objets hétérognènes relevant de différents mondes, situation de de représentation et de pouvoir déséquilibrée. Nous avons ainsi constaté une situation de pouvoir déséquilibrée entre deux mondes divergents (monde agricole professionnel et services publics locaux du vieillissement), marquée par l'emprise réelle de l'ensemble des agents du monde agricole professionnel, ainsi que par la position ambiguë du gestionnaire principal du Projet (BPA) coincé entre ces deux mondes divergents.

Et cette situation de pouvoir se reflète dans les représentations sociales ancrées dans les positions de ces acteurs. Du coup, les représentations portant sur la qualité de vie et le lien social et territorial sont très faiblement représentées (au sens politique du terme) par rapport à la forte présence des représentations portant sur la production matérielle relevant du productivisme agricole hérité de l'histoire de la modernisation agricole japonaise. Ainsi, les pratiques établies dans la formation Nô-Life sont également orientées par cette vision.

Sources de fragilité : effet de marginalisation

Là, nous pouvons nous poser la question de la fragilité du compromis établi dans le Projet Nô-Life : cette situation de pouvoir, de représentation et de pratique déséquilibrée, constitue-t-elle des sources de fragilité du Projet Nô-Life ?

Nous pouvons répondre à cette question en nous référant à la réponse que nous avons donné à la question précédente concernant les positions des stagiaires vis-à-vis de l'idée de l'agriculture de type Ikigai telle qu'elle est présentée par le Projet Nô-Life. Ce sont les stagiaires qui mettent réellement à l'épreuve la légitimité du

Projet Nô-Life. Autrement dit, le résultat du Projet (ou la finalité ou la vertu), voire la justification du compromis entre les agents gestionnaires et partenaires du Projet, dépendent de cette épreuve.

Reprenons brièvement les constats faits dans notre réponse précédente. D'abord, la divergence des positions des enquêtés dépend de la diversité de leurs enjeux individuels qui sont en grande partie déterminés par leurs trajectoires tant sur le court terme que sur le long terme. Ensuite, la convergence des positions des enquêtés se trouve d'abord dans leurs représentations de l'agriculture de type Ikigai signifiant les divers besoins socio-culturels portant souvent sur leurs intérêts sur le long terme ou leurs identités. Et ces besoins exigent souvent d'être compatibles avec des éléments économiques relevant de la production matérielle. Ceci pour que les personnes puissent mieux répondre à ces besoins. Puis, la difficulté de compatibiliser dans la réalité ces besoins socio-culturels et économiques, constitue également un point de convergence parmi ces enquêtés. Ceci notamment face aux contraintes liées à la production matérielle.

Pourquoi alors la difficulté ? Nous pouvons relever que celle-ci n'est pas due à la diversité des comportements des enquêtés, d'autant qu'ils ont en commun une motivation ou un engagement stable basé sur leurs propres besoins, pour l'agriculture de type Ikigai qui est l'objet central du Projet Nô-Life. Cette difficulté est plutôt due à l'orientation productiviste du Projet ainsi que de sa formation, qui est le reflet du déséquilibre des représentations sociales ancrées dans la relation de compromis entre les agents gestionnaires et partenaires. Finalement, cette orientation constitue elle-même une source de fragilité, en provoquant souvent des réticences dans l'engagement des stagiaires ou parfois même démotivant ceux-ci.

Autrement dit, ce compromis déséquilibré marginalise les stagiaires au niveau des dispositifs de la mise en oeuvre du Projet Nô-Life. Ce que nous pouvons considérer comme un effet pervers provoqué par le Projet, car ce sont ces stagiaires, du moins officiellement, qui sont censés être protagonistes du Projet Nô-Life.

Cet effet de marginalisation est d'abord relationnel entre les agents institutionnels (gestionnaires et partenaires) et les usagers individuels (stagiaires). Mais cette relation sociale ancre à la fois les dispositifs pratiques et représentationnels du Projet Nô-Life. Ce qui joue toujours pour reproduire cet effet.

Enfin, ne nous trompons pas, ces stagiaires ne sons pas pour autant « dominés » dans l'esprit. Au contraire, ne sont-ils pas de vrais connaisseurs de la cause de cette situation contradictoire ? Nous l'avons vu, ils relèvent déjà par leur réflexion certains points faibles du principe du Projet qui touche directement l'ambiguïté du compromis institutionnel en question. (orientation mitigée entre l'amateurisme et le professionnalisme, insuffisance d'enseignements pour l'entretien, méthode trop coûteuse de l'agriculture conventionnelle qui ne correspond pas à la réalité, absence d'enseignements pour l'agriculture respectueuse de l'environnement etc) Et ceci tout en reconnaissant la valeur générale de l'existence du Projet sur le long terme. Ce qui donne d'ailleurs une garantie de légitimité au Projet. Autrement dit, l'agriculture de type Ikigai est, au moins de manière générale, approuvée comme bien commun de façon à ne pas mettre en cause les identités des parties au compromis. Mais ceci à condition de mettre entre paranthèses l'ambiguïté, le dilemme et la contradiction présents dans la réalité.

4 Compatibilité des éléments de l'agriculture de type Ikigai aux yeux des acteurs

En tenant compte de l'héritage de la modernisation agricole productiviste, les trois éléments constitutifs de l'agriculture de type Ikigai que nous avons établi dans le schéma représentationnel de celle-ci (Qualité de vie ; Lien social et territorial ; Production matérielle), pourront-elles être compatibles non seulement aux yeux des agents gestionnaires et partenaires du Projet, mais également à l'épreuve des divers intérêts des stagiaires de la formation Nô-Life ?

Question de rééquilibrage global et d'identité du bien commun

D'abord, cette question de compatibilité des éléments représentationnels de l'agriculture de type Ikigai nous amène directement à reprendre la direction proposée par Boltanski pour surmonter la fragilité du compromis : il s'agit justement de la nécessité d'envisager la compatibilité des « êtres et objets » hétérogènes relevant de mondes différents afin de consolider le compromis. A cet effet, il faut doter le compromis d' « une identité propre » tout en mettant au service du bien commun ces élements hétérogènes a priori incompatibles. Et ceci de sorte que la forme de ces éléments hétérogènes ne soit pas reconnaissables, sous une nouvelle identité.

Concernant le contexte du Projet Nô-Life, il s'agit de doter l'agriculture (bien commun) d'une nouvelle identité, à savoir Ikigai, afin de renforcer l'agriculture comme un bien commun. Et afin de consolider ce bien commun face à la fragilité du compromis basé sur celui-ci, nous devrons envisager un rééquilibrage (ou ajustement) global de la relation déséquilibrée de représentation, de pratique et de pouvoir qui constitue la source de cette fragilité. Et ceci au travers d'une revalorisation des éléments dévalués dans cette situation.

Pour des propositions concrètes...

Mais comment s'y prendre ? Revenons ici à notre dernier constat de la réalité pour repérer les éléments en question : du côté des agents gestionnaires et partenaires, c'est l'orientation productiviste du Projet Nô-Life qui reflétait leur rapport de forces déséquilibré dans le dispositif de la mise en oeuvre du Projet, à savoir l'emprise de l'ensemble des agents du monde agricole professionnel. Et derrière cette orientation, nous avons constaté une certaine divergence de points de vue entre les agents appartenant au secteur agricole (CAT, ECV), l'agent gestionnaire principal (BPA) ayant une double appartenance au monde agricole professionnel et à celui des services publics locaux, et les agents appartenant au monde plus public (ou civil), l'un au monde des services publics locaux du vieillissement (SCI) et l'autre au monde syndical et salarial (CFLS).

Du côté des stagiaires, non seulement cette orientation s'avérait techniquement et économiquement inadaptée à la capacité productive des stagiaires, mais surtout elle ne tenait pas compte de leurs divers besoins complexes aux niveaux socio-culturel et économique représentés dans leurs motivation et engagement. D'où l'effet de marginalisation de cette orientation à l'égard des stagiaires sur les plans représentationnel (idées qui n'ont pas pris sens), pratique (activités de la formation inadaptées) et relationnel (perte éventuelle de confiance dans les gestionnaires).

En suivant la direction de Boltanski sur le bien commun, il serait intéressant d'envisager ici quelques propositions concrètes destinées aux acteurs du Projet Nô-Life vers une redéfinition de l'agriculture de type Ikigai qui serait possible et pertinente aux yeux de ces acteurs. Et ces propositions visent à modifier l'orientation du Projet Nô-Life qui sera susceptible de régler la situation de marginalisation, et ainsi de rendre réellement compatible les éléments représentationnels de l'agriculture de type Ikigai.

Rappel d'apports théoriques

Transaction sociale : pour une création de nouveaux dispositifs alternatifs...

Avant de formuler ces propositions, il serait utile de tenir compte des apports de l'approche de la transaction sociale proposée par M. Mormont, et celle du transcodage de P. Lascoumes.

Dans l'optique de la transaction sociale, M. Mormont insiste sur la nécessité de créer de nouveaux dispositifs alternatifs permettant aux agents d'anticiper et de s'engager pour mettre en oeuvre une politique publique tout en maintenant leurs perspectives identitaires respectives. Et ceci s'accompagnant d'une complète reconsidération de « l'appareil de règles » du monde professionnel portés par un ensemble d'agents dominants, comme porteur de cadre stabilisateur des anticipations de tous les agents concernés.

La création de tels nouveaux dispositifs apparaît nécessaire, d'autant plus que cette proposition de M. Mormont se base sur le contexte d'une politique agricole européenne en matière d'environnement, qui risque toujours de mettre en cause l'identité de la profession agricole basée sur le productivisme historiquement constitué depuis les années 50, dont la définition légitime est portée par le monde agricole professionnel.

Concernant le cas du Projet Nô-Life, bien que le contexte soit fort différent de la politique européenne, nous pouvons rejointre la direction de M. Mormont dans la mesure où la définition de la profession agricole et de l'agriculture est mise en question, tout en tenant compte également de la présence de « l'appreil de règles » porté par les agents principaux du monde agricole professionnel.

Il faudrait donc envisager, dans nos propositions, de nouveaux dispositifs alternatifs dans lesquels les agents gestionnaires et partenaires du Projet Nô-Life mettent en place un cadre stabilisateur des anticipations de tous les acteurs concernés pour que les stagiaires marginalisés et les agents institutionnels faiblement représentés puissent s'y engager pleinement.

Redéfinition de l'agriculture par rapport à sa définition historiquement légitimée

Puis, concernant la redéfinition de la profession agricole et de l'agriculture, pour en trouver une alternative, il faudrait d'abord dépasser la définition officielle de l'agriculture de type Ikigai, telle qu'elle est présentée par la Municipalité de Toyota et le Projet Nô-Life, qui est basée sur la dichotomie entre l'agriculture de type industriel et celle de type Ikigai (nous l'avons examiné dans le chapitre 2 avec le Plan de 96).

En effet, comme nous l'avons vu, dans le Projet Nô-Life, l'agriculture de type Ikigai est officiellement promue par un ancien slogan (un million de yens de revenu agricole annuel) repris de l'histoire de la modernisation agricole japonaise datant de l'époque de la Haute croissance économique des années 60-70 au cours de laquelle le problème de la disparité économique entre les couches agricole et salariale était important, et où le rattrapage du retard économique constituait un thème global de la politique agricole au Japon (Comme M. Kamihata, un stagiaire et ex-agriculteur de Kagoshima, se le remémorait lors de notre entretien ). On a alors réduit le critère de la définition de l'agriculture au seul critère économique. Ce qui risque d'ignorer les autres types d'éléments représentationnels de l'agriculture : la qualité de vie et le lien social et territorial. Ceux dans lesquels l'aspect environnemental peut également être pris en considération tant au niveau de la production qu'au niveau de la consommation et du style de vie.

Pourquoi cette reproduction de la définition dominante et historique de la profession agricole dans la définition de l'agriculture de type Ikigai est-elle promue par le Projet Nô-Life ? Cela est non seulement dû à l'emprise de l'ensemble des agents institutionnels du monde agricole professionnel, mais également à l'absence de critère alternatif pour définir l'agriculture d'un nouveau type qui porterait une identité propre. Dans le sens de Boltanski, cette identité devrait se référer aux représentations présentes au sein des acteurs concernés, et être justifiable dans le cadre de la politique du Projet Nô-Life.

D'ailleurs, le Centre Nô-Life est déjà doté de nouveaux dispositifs pour pouvoir développer les agriculteurs et l'agriculture d'un nouveau type. Les quatres activités principales du Projet déjà établies (formation, entremise de terrains, entremise d'emplois agricoles, recherche de nouveaux produits) seront peut-être à réarticuler avec des idées alternatives pour régler la situation déséquilibrée. A cet effet, il peut toujours s'appuyer sur les dispositifs de l'administration agricole, ainsi que ceux du secteur agricole qui est en coopération avec lui. Mais ceci tout en cherchant à les valoriser autrement que dans l'orientation actuelle...

Transcodage à opérer

Et pour pouvoir maintenir une nouvelle identité agricole, la technique du transcodage pourrait être pertinente : il s'agit de « rendre gouvernable » l'agriculture de type Ikigai émergeante au travers d'incessants efforts de concertations et de traductions réciproques des représentations et pratiques des acteurs concernés, afin de les « rééquilibrer ».

Cette approche nous semble importante d'autant plus que, depuis l'inauguration du Centre Nô-Life en 2004, les activités du Centre Nô-Life sont exclusivement gérées par celui-ci sans concertation, ni des autres agents partenaires et extérieurs, ni des stagiaires. Monsieur S, directeur des activités agricoles de la CAT, nous a confirmé que ceci est encore actuellement le cas avec la CAT qui est co-gestionnaire du Projet Nô-Life. Ceci alors que, comme nous l'avons vu, la communication et la coopération intersectorielle étaient très riches dans le

processus de la construction du Projet Nô-Life avant 2004.

Cette situation est liée au fait que le Projet est encore dans un stade de tatônnement, et qu'il est débordé par ses tâches quotidiennes ou la gestion de ses activités à court terme. Mais nous avons constaté lors de notre entretien que, Monsieur K, président du Centre Nô-Life, était déjà conscient de ce problème de manque de communication. Il regrettait d'ailleurs un peu l'engagement faible de la part de la CAT. Voici sur ce point un décalage d'engagement entre les cogestionnaires.

En plus, au fur et à mesure que le nombre des stagiaires et ex-stagiaires augmente, il manquera de plus en plus d'employés, soit venant de la Municipalité de Toyota, soit venant de la CAT, pour gérer les activités du Centre Nô-Life.

Pour régler cette situation, pour les gestionnaires, il faudrait avoir plus d'éléments justificateurs du Projet dans les prochaines années à venir, surtout auprès de la Municipalité et de la CAT en tant qu'une politique légitime pour ces deux organismes. Mais, nous l'avons vu avec le propos de Monsieur S, directeur des activités agricoles de la CAT, il est difficile pour la CAT de s'investir plus dans le Projet Nô-Life en raison de sa faible importance économique pour la structure interne de la CAT, de l'ambiguïté de la finalité du Projet et de l'effet symbolique (mérite) du Projet résidant plutôt du côté de la Municipalité (maire).

Nous devrons donc envisager dans nos propositions, de « traduire » ces préoccupations internes de la CAT en sorte qu'elles soient « transcodables » pour celle-ci et compatibles avec les autres éléments susceptibles de constituer un nouveau compromis consolidé du Projet Nô-Life...

En tenant compte de ces apports théoriques et réflexions préalables, nous essaierons de formuler quatre propositions destinées non seulement aux agents gestionnaires, mais à tous les acteurs concernés en vue d'améliorer la situation du Projet Nô-Life sur le court terme, et de consolider le compromis entre tous les acteurs du Projet Nô-Life, et ainsi de rendre plus durable, gouvernable et rejustifiable la politique de l'agriculture de type Ikigai dans la Ville de Toyota sur le long terme.

Quatre propositions pour une restructuration des activités Nô-Life : vers une redéfinition de l'agriculture de type Ikigai

Nos quatre propositions portent sur : 1 Etablissement de nouveaux cadres de concertation sur la gestion des activités du Centre Nô-Life ; 2 Modification de l'orientation globale du Projet Nô-Life ; 3 Ajustement du programme de la formation Nô-Life ; 4 Etablissement d'une association de stagiaires Nô-Life

1 Etablissement de nouveaux cadres de concertation sur la gestion des activités du Centre Nô -Life

Premièrement, nous proposerons de créer de nouveaux cadres de concertation sur la gestion des activités du Centre Nô-Life. Sur ce point, le Centre Nô-Life organise déjà des occasions de concertation des avis des stagiaires pour améliorer les activités du Centre Nô-Life dont notamment le programme de la formation, via des réunions irrégulières (deux ou trois fois par an) intitulées « réunion d'échange d'avis (Iken kôkan kai) » ou des enquêtes par questionnaire etc. Nous pouvons rejoindre cette pratique déjà mise en place avec notre première proposition. Cependant, ce cadre de concertation tel qu'il est actuellement mis en place par le Centre Nô-Life, reste seulement consultatif au service des gestionnaires du Centre Nô-Life, avec pour objectif de prendre en compte les avis des stagiaires pour améliorer leurs activités. Mais dans ce cadre, on ne remet pas en question les cadres principaux de ces activités, et les avis énoncés par les stagiaires risquent d'être dispercés et limités à ceux, plutôt rares, qui osent exprimer clairement leurs opinions.

Donc, nous proposerons de continuer cette réunion d'échange d'avis mais de façon à la développer de manière plus réflexive et interactive. Cette proposition entend mettre en place des cadres de discussion que la simple consultation des stagiaires, en mettant en question (pas forcément « en cause ») les cadres principaux du Projet qui ne semblent pas bien fonctionner ou ceux qui semblent inadaptés aux conditions réelles des stagiaires

etc. Autrement dit, il s'agit de discuter ensemble d'un problème quelconque tant du côté des gestionnaires que du côté des stagiaires.

Puis, nous proposerons, en ajoutant à ce cadre de concertation « interne » du Centre Nô-Life, un autre cadre externe sur la gestion du Projet qui prendra la forme d'un « comité (iinkai) » intersectoriel. Cette proposition se référe aux expériences du CPCI (Comité pour la Promotion de la Création d'Ikigai) organisé par le SCI (Section pour la Création d'Ikigai : Acteur 2) depuis 2000, dans lequel des membres citoyens volontaires ont joué un rôle important pour élaborer un rapport de propositions remis au maire concernant les nouveaux services et activités dans le domaine d'Ikigai des personnes âgées au sein de la Municipalité de Toyota. Monsieur K, président du Centre Nô-Life, y a lui-même participé dans la première période (2000-2002) pour élaborer le projet de la « Ferme-école des personnes âgées » (voir la partie de l'Acteur 2 du chapitre 2).

Nous envisageons ce comité intersectoriel, en faisant appel à tous les agents locaux partenaires et intéressés (appartenant à différents « mondes ») afin de discuter librement de possibilités de développer les activités nouvelles ou déjà existantes au sein du Centre Nô-Life. Une participation volontaire de stagiaires de la formation Nô-Life y sera également bienvenue. Nous prévoyons le lien entre ce comité et l'association de stagiaires Nô-Life dont nous proposons l'établissement dans la proposition 4.

Cette première proposition de la création de cadres de concertation vise à renforcer mutuellement la compréhension et la réflexion entre les acteurs concernés afin de rééquilibrer leurs représentations, pratiques et positions.

2 Modification de l'orientation globale du Projet Nô -Life

Deuxièmement, nous proposerons une modification de l'orientation globale du Projet Nô-Life via une baisse du montant du revenu agricole annuel visé dans l'objectif de la formation Nô-Life. Ce montant sera précisément baissé d'un million de yens à trois cent milles yens (environ deux milles euros).

En effet, nous avons choisi ce chiffre par référence à un exemple dont nous avons pu vérifier la pertinence lors de notre enquête de terrain. En fait, ce chiffre provient du monde dit « vieillissement actif » dans la Ville de Toyota : nous avons découvert ce chiffre avec Madame S, responsable du SCI lors de notre entretien, pour connaître le montant moyen annuel de rémunération par personne versé aux personnes âgées inscrites dans le Centre des Ressources humaines âgées (Silver Jinzai Center) de la Ville de Toyota : un agence pour l'emploi semi-publique pour les personnes âgées (plus de 60 ans) mise en place dans les collectivités territoriales au Japon depuis les années 70768 . Les personnes âgées peuvent s'inscrire dans ce centre pour répondre aux diverses demandes de la vie quotidienne de la population locale comme par exemple arrachage des mauvaises herbes dans le jardin, surveillance de parkings à vélos conte le vol, réparation de la maison etc.

Nous trouvons ce montant mieux adapté à la réalité ainsi qu'à la motivation des personnes âgées inscrites dans la formation Nô-Life, que le montant actuellement présenté provenant exclusivement de l'histoire du monde agricole (nous l'avons vu). Avec Madame S, nous avons également vérifié que, dans une enquête officielle réalisée auprès des personnes inscrites dans le Centre des ressources humaines âgées de la Ville de Toyota, la majorité de ces personnes âgées s'engagent dans les activités de ce centre pour une raison socio-culturelle (santé, maintien du lien social après la retraite, contribution sociale et territoriale etc) plutôt qu'économique. Cet aspect correspond largement aux représentations au sein des stagiaires de la formation Nô-Life.

Le montant de revenu agricole annuel que nous proposons ici pour les stagiaires de Nô-Life, pourrait même être un repère dit « objectif à atteindre » au niveau quantitatif de la production agricole, qui sera accessible à la grande majorité d'entre eux y compris ceux qui sont jeunes. Pour ceux qui veulent aller plus loin en visant un chiffre plus élevé dans leur production agricole, ce montant leur donnera, dans ce cas, une première étape à

768 Le montant total des rémunérations verséers aux membres est de 7 000 000 000 yens (environ 46 666 666euros) et nous avons divisé ce montant par 2016 (nombre total des membres du Centre des ressources humaines âgées de la Ville de Toyota). Le chiffre ainsi calculé est de 350 000 yens (environ 2333 euros). Nous pouvons en déduire que les membres de ce centre gagnent en moyenne à peu près 30 000 yens par mois (200 euros) en travaillant deux ou trois fois par semaine.

franchir.

Cette deuxième proposition d'une modification du montant de l'objectif économique du Projet Nô-Life, vise d'un côté à constituer un « incitatif » économique plus adapté aux conditions objectives et subjectives des stagiaires, qui est même susceptible de correspondre à l'intérêt productiviste du secteur agricole (car plus faisable pour plus de personnes), de l'autre côté, à rééquilibrer les représentations de l'agriculture de type Ikigai au sein de tous les acteurs du Projet Nô-Life entre les trois pôles : qualité de vie ; lien social et territorial ; production matérielle. Ce rééquilibrage afin de ne pas sacrifier certains éléments représentationnels pour d'autres, mais de les compatibiliser dans un objectif réalisable.

Nous pourrons même escompter un effet de solidarité entre les personnes âgées inscrites dans le Centre Nô-Life et celles dans le Centre des ressources humaines âgées en leur faisant partager un même objectif dans leurs différentes activités d'Ikigai. Ce qui serait idéal pour la politique publique d'Ikigai des personnes âgées de la Ville de Toyota.

3 Ajustement du programme de la formation Nô -Life

Troisièment, suite à la modification de l'orientation globale du Projet Nô-Life proposée précédemment, nous proposerons de réorienter le programme de la formation Nô-Life. Il s'agirait de proposer un mode de production propre à l'agriculture de type Ikigai à promouvoir dans le cadre du Projet Nô-Life.

L'objectif de revenu annuel dont le montant sera baissé à trois cent milles yens permettra aux agriculteurs de type Ikigai de se distinguer plus substantiellement, d'un côté du modèle de l'agriculture de type Industriel destiné au grand marché organisé, de l'autre côté, de celle de type « jardinage » destinée exclusivement à l'autoconsommation ou au loisir.

Pour ce faire, se distinguer des modèles dominants de l'agriculture de manière exclusivement quantitative sera insuffisant - car leur vision est fondamentalement économique - mais il faut introduire d'autres types de repères plus qualititatifs. A cet effet, nous proposerons d'introduire une référence environnementale dans la méthode agricole enseignée dans la formation Nô-Life. Parce qu'actuellement c'est de ce type de référence que le programme de la formation manque dans le Projet, alors que la politique agricole de la Municipalité de Toyota l'abordait fortement en terme de la multifonctionnalité de l'agriculture dans le Plan 96. Et, jusqu'à aujourd'hui, nous ne constatons pas de réalisations remarquables dans les mises en oeuvre de la politique agricole de la Municipalité769. De plus, un bon nombre de stagiaires ont montré leurs intérêts potentiels sur un style de vie ou un mode de production agricole respectueux de l'environnement.

A cet effet, nous avons déjà un exemple de « réussite » des anciens élèves de l' « Ecole de l'agriculture vivante » (lancée en 2000 par la CAT à la demande du BPA) qui se sont constitués en groupement de producteurs de l'agriculture biologique au sein de la CAT. Les membres de ce groupement n'ont pas seulement pour objectif d'exercer la vente commune de leurs produits mais également d'organiser un apprentisage collectif de la méthode de l'agriculture biologique via des réunions régulières. Ce groupement est essentiellement composé de personnes âgées féminines comme masculines originaires de foyers agricoles pluriactifs.

Il serait intéressant pour les stagiaires de la formation Nô-Life, de prendre contact et avoir un rapport d'échange et de coopération avec ce groupement dans le cadre du programme de la formation Nô-Life. Ce qui pourrait davantage inspirer les stagiaires. Et ceci sera même efficace pour rétablir le décalage entre le Centre Nô-Life et la CAT, d'autant plus que c'était Monsieur S, directeur des activités agricoles de la CAT, qui était responsable de l'Ecole de l'agriculture vivante et de sa « réussite » !

Nous savons même qu'il y a quelques agriculteurs biologiques célèbres dans le territoire de la Ville de Toyota qui, nous semble-t-il, pourraient apporter des contributions à la formation Nô-Life. Par exemple, organiser une visite collective de leurs exploitations serait intéressant.

Puis, le recours réduit aux traitements chimiques hautement spécialisés permettrait d'intensifier et d'enrichir

769 Ce point est expliqué dans l'évaluation finale faite en 2006 par les responsables du BPA sur les projets réalisés dans le cadre du Plan 96. L'agriculture de type Ikigai telle qu'elle était prévue dans ce plan prévoyait deux types de production : production destinée au marché local ; production susceptible de contribuer à la préservation de l'environnement.

les activités des stagiaires dans le programme. Car avec moins de traitements chimiques, ils devront effectuer par eux-mêmes plus de soins alternatifs pour les cultures, et ainsi avoir plus de connaissances en la matière. L'intensification des activités dans le programme est l'une des demandes des stagiaires les plus fréquentes que nous avons constaté dans le résultat de l'enquête par entretien. Ceci nous semble important d'autant plus qu'actuellement, ce sont souvent les personnels du Centre Nô-Life, lorsque les stagiaires sont absents, qui effectuent les traitements chimiques préventifs sur les cultures gérées pour les cours pratiques. Mais nous pouvons évoquer qu'il y a déjà quelques stagiaires qui s'engagent pleinement à une pratique culturale de type écologique en employant des produits naturels pour la fertilisation, la prévention des maladies et des insectes nuisibles (comme Mme. Kawamura)

Cette proposition d'ajustement de la formation Nô-Life vise à envisager l'agriculture de type Ikigai dotée d'une identité propre dépassant les catégories dichotomiques de l'amateurisme et du professionnalisme.

4 Etablissement d'une association de stagiaires Nô -Life

Enfin, quatrièmement, nous proposerons l'établissement d'une association constituée par les stagiaires et ex-stagiaires de la formation Nô-Life. Ceci d'abord en nous référant à l'idée de M. Itô et M. Suzuki de monter une association de stagiaires ayant pour objectif d'organiser une aide aux travaux agricoles des exploitaions fruitières en difficulté pour cause de maladies, vieillissement des exploitants, manque de main-d'oeuvre etc. Selon eux, cette association vise également à organiser des entraides entre les stagiaires ainsi que les ex-stagiaires qui auront besoin d'échange d'infos, d'aides aux travaux (ex. installation d'une serre, labour).

Cette proposition implique des intérêts sur plusieurs niveaux. D'abord, sur le plan pratique, l'association permettrait aux stagiaires d'avoir plus de sociabilité entre eux. Ce qui est également l'une des attentes les plus fréquentes des stagiaires constatées dans le résultat de l'enquête par entretien : garder le lien avec les camarades de la formation Nô-Life. Puis, cela va de même pour l'apprentissage collectif, l'entraide et l'organisation éventuelle d'une vente commune comme un groupement de producteurs « Nô-Life ». Puis, sur le plan représentationel, l'association susciterait une prise de conscience des points communs entre les stagiaires, et par là, le renforcement de leur identité collective. Et sur le plan de la politique collective, l'association permettrait aux stagiaires de regrouper leurs avis inviduels sur la gestion des activités du Centre Nô-Life et de les proposer aux gestionnaires. A cet effet, ils pourront participer au Comité que nous avons proposé dans la proposition 1.

Cependant, il reste certaines difficultés à surmonter pour organiser cette association avec succès. Il s'agit de la nécessité de tenir compte de la diversité des trajectoires et des enjeux de chacun des stagiaires. En effet, l'association risque d'être confrontée à une attitude de type « chacun pour soi » de ses membres. Ainsi, nous ne pourrons pas l'envisager de manière traditionnelle comme par exemple de petits groupements de producteurs locaux qui sont souvent basés soit sur le lien de type « communautaire », à savoir celui d'interconnaissance lié au sol (ex. habitants du même village), soit sur une condition sociale partagée (ex. femmes âgées de foyers agricoles pluriactifs)

Les circonstances et les enjeux individuels des membres de l'association devront être hétérogènes et « urbains » à la différence des exemples mentionnés ci-dessus. C'est pouquoi nous proposerons de doter cette association d'un caractère « multifonctionnel » ou « multiforme », et dont les visées possibles seraient les suivantes:

- économique : production (apprentissage de méthodes agricoles alternatives ; aide aux travaux agricoles des exploitations agricoles en difficulté ; entraides ; échange de semances etc.) ; distribution (vente commune à court circuit)

- social : sociabilité (échange d'infos, fêtes etc) ; constitution d'un réseau de stagiaires Nô-Life

- politique collective : communication - coopération avec le Centre Nô-Life, la CAT et les agriculteurs locaux etc.

Par ailleurs, nous avons constaté que l'établissement d'une association de stagiaires de ce type est fortement

attendu par les agents institutionnels : du côté du monde agricole, dans la mesure où une organisation formelle de nouveaux producteurs dans le cadre du Projet Nô-Life aura un bon effet d'incitation pour le secteur, tant au niveau socio-économique, qu'au niveau symbolique ; du côté du monde des services publics locaux (BPA, SCI, CFLS), dans la mesure où l'association renforcera l'autonomie et le lien social et territorial parmi la population locale âgée. Puis, cela va de même pour divers domaines de la politique publique locale comme le développement local, l'aménagement du territoire, car la Municipalité essaie actuellement de promouvoir l'initiative de type associatif (comme NPO : Non profit organisation) dans le contexte de la décentralisation. En tous cas, la réalisation d'une telle association serait une « bonne nouvelle » pour la ville.

Ainsi, cette idée nous semble tout-à-fait envisageable sur le terrain. D'ailleurs, Monsieur K, président du Centre Nô-Life, a déjà informellement donné un avis favorable à M. Itô qui lui a parlé de cette idée lors de la « fête de la récolte », qui a eu lieu en octobre 2006 dans le Centre Nô-Life et qui a réuni une grande partie des acteurs concernés.

Références

Ouvrages et articles

BOURDIEU, P. (1994), Raisons pratiques, Paris, Seuil.

FRAYSSE, B. (2000), « La saisie des représentations pour comprendre la construction des identités », Revue des sciences de l'éducation, Vol. XXVI, nP 3, 2000, p.651-676.

HAMAGUCHI, H (1999), Ikigai sagashi : taishû chôju shakai no jilenma (Recherche d'Ikigai : dillemme de l'ère de la longévité de masse), Kyôtô, Mineruva Shobô.

LEGRAND, M. (2001), La retraite : une révolution silencieuse, Ramonville, Erès.

LÉVI-STRAUSS, Cl. (1962), La pensée sauvage, Paris, Librairie Plon.

Documentation

Centre pour la Création de Nô-Life de Toyota (2005), Stage techinique de la culture des produits agricoles : Champs; Champs - Rizière; Vergers, Ville de Toyota. (Brochure pour la candidature des stagiaires des années 2005-2007).

Conclusion

Pour conclure la présente étude, reprenons nos questions de départ : à travers le Projet Nô-Life, quelle dynamique des représentations, des actions et des pratiques sur l'agriculture et la ruralité constatons-nous ? ; le Projet Nô-Life peut-il être une solution ou un remède vis-à-vis de la situation de crise permanente de l'agriculture et de la ruralité au Japon ? Est-il généralisable ou reste-il un cas local et particulier ? Afin de répondre à ces questions, rappelons d'abord les apports de chacun des trois chapitres précédents.

Rappel des analyses

Chapitre 1

Interdépendance socio-politique, rapport de forces, jeu de représentations dans la Ville de Toyota

Industrialisation dans le territoire de la Ville de Toyota : crise du marché des cocons des vers à soie, implantation de l'Automobile Toyota avant la guerre, défaite de l'Empire japonais, reconstruction sous l'occupation américaine, bonne conjoncture grâce à la Guerre de Corée, concentration industrielle, changement du nom de la Ville de Koromo à celle de Toyota, et l'essor pendant la Haute croissance...

En parcourant une quarantaine d'années d'évolution de l'industrie automobile dans la Ville de Toyota, nous constatons que son développement fait partie intégrante de l'histoire politique et sociale du monde, du Japon et de sa région. Ainsi, sans l'accumulation antérieure des capitaux par les petits commerces du Bourg de Koromo et la production paysanne des vers à soie, puis sans la crise économique ayant fait chuter la distribution des cocons, cette industrie n'aurait pas pu s'implanter dans le territoire de la Ville de Toyota dans les années 30. De même, sans l'impérialisme japonais, la montée en puissance de sa force militaire, sa défaite, la réforme par l'occupation américaine et la Guerre de Corée, cette industrie n'aurait pas pu se relever en s'enracinant dans le territoire de la Ville de Toyota. Ensuite, la réalisation de son essor économique n'aurait pas non plus été possible sans pleinement profiter de la Haute croissance nationale garantie par la paix qui fut le produit de la Guerre froide, ainsi que par la politique locale de redistribution assurée par la Ville de Toyota que cette industrie s'est appropriée en accord avec les pouvoirs locaux.

Finalement, l'histoire du développement de cette industrie automobile est marquée par une interdépendance complexe avec plusieurs systèmes et circonstances socio-politiques dans lesquels elle a toujours stratégiquement joué. Et cette interdépendance est également synonyme d'un certain rapport de forces. L'emprise politique de cette industrie tant au niveau de la Ville de Toyota qu'au niveau du Japon reste toujours incontestable.

Par contre, il a toujours existé un fossé qu'elle a laissé dans la réalité sociale et locale de la population et de sa ville. Sur ce point, un responsable de la politique agricole de la Ville de Toyota a bien insisté sur le fait que, les problèmes mis en discussion dans la politique municipale de Toyota sont toujours d'autres domaines que l'industrie, soit les services, soit l'urbanisme, soit les petits commerces locaux, soit l'agriculture, soit le bien-être.

Si cet aspect est un des privilèges de cette ville de ne pas avoir de souci économique grâce à cette industrie, ce privilège pose toujours d'autres problèmes renvoyant à l'identité de la Ville. C'est pourquoi, à chaque époque, les représentations de la Ville constituent implicitement un enjeu important pour sa politique. « Ville de la voiture » fut le premier slogan, mais à côté de ce slogan, il y eut mille tentatives de donner d'autres sens à l'existence de la Ville : « coopération entre les zones industrielle, commerciale et agricole », « ville industrielle et culturelle », « lieu de vie sociale plutôt qu'un simple lieu de production », « ville de l'eau et du vert » etc. Enfin, évoquons un fait marquant : dans le contexte de la politique agricole municipale des années 90, le nouveau slogan formulé par le Plan de 96 « Grande ville rurale (ooinaru inaka-machi) » a été rejeté suite à une plainte déposée par des représentants du secteur industriel, car jugé incohérent par rapport au premier slogan favorable à l'industrie. Cet épisode montre bien l'existence de jeux implicites de représentations, impliquant toujours une interdépendance sociale et un rapport de forces présents dans la politique de cette Ville. Puis, ces jeux renvoient toujours directement aux problèmes socio-culturels de sa population. D'où la place centrale de la question d'Ikigai dans ce jeu identitaire de la Ville.

Monde agricole et rural déchiré, mais avec une nouvelle dynamique émergeante...

Du côté du monde agricole et rural, depuis la Réforme agraire, l'agriculture et la ruralité ont beaucoup évolué afin de se relever de la paupérisation et la défaite de la guerre. Mais, malgré un « succès » de la Réforme agraire et de grands efforts fournis par les nouveaux cultivateurs et les anciens foyers agricoles pour le défrichement, dès les années 50, face au contexte dominant du « tournant de l'agriculture » à la sortie de la crise alimentaire et l'avènement de la Haute croissance économique de 1955 à 1975, la tendance d'évolution a dû céder sa place à la déprise agricole et ainsi à la situation de pluriactivité. Depuis lors, l'écart de productivité entre l'agriculture et les industries n'a pas cessé de croître. Le style de vie alimentaire des japonais a rapidement changé avec l'import des excédents agricoles américains ainsi que la campagne nationale massive pour la « modernisation » de la vie alimentaire japonaise populaire vers le style occidental, à l'aide de la politique américaine. Puis, promu par la politique agricole nationale et tout en s'alimentant largement de ces excédents agricoles américains, le développement des élevages intensifs et spécialisés (oeufs, poulets de chair, porcs, lait, boeufs) accompagna ce changement. Toutefois, comme la possibilité de se lancer dans ce type d'élevages « modernes » ou d'autres types de spécialisation (légumes et fruits) était extrèmement limitée en terme d'investissement et par les contraintes du marché, la majorité des foyers agricoles ont recourru à la pluriactivité et à la simplification de leurs travaux agricoles par la mécanisation et l'utilisation des intrants chimiques dont la diffusion massive et rapide fut assurée par les industries mécanique et chimique qui étaient alors en plein essor.

Puis, dans les années 60, la politique agricole nationale a prétendu adapter l'agriculture et les agriculteurs à la réalité des autres industries en pleine croissance. Cette politique a renforcé d'un côté la tendance vers l'agrandissement et la spécialisation de la production agricole, de façon à limiter ses applications à un petit nombre d'exploitations ou d'entreprises agricoles ou à certaines zones de productions, de l'autre côté la tendance à la simplification et la mécanisation des travaux rizicoles via l'instauration de quelques entreprises agricoles locales à grande échelle et des remembrements. Cette politique a eu pour effet d'accélérer la situation de pluriactivité et l'affaiblissement de la main-d'oeuvre agricole, et surtout de dualiser la structure agricole entre une minorité de producteurs individuels et organisés à forte rentabilité et la majorité, à faible rentabilité, pluriactive dépendante des revenus non agricoles.

Toutefois, nous avons souligné qu'un type d'agriculture a eu une place pour se développer tout en résistant à cette dualité imposée au cours des années 50-70 : comme par exemple, une cinquantaine de femmes de foyers agricoles pluriactifs qui ont produit et distribué leurs légumes dans des cantines des ouvriers de l'Automobile Toyota, en collaboration avec la coopérative agricole et la coopérative de consommation. Ceci est un indice d'une autre forme possible de développement agricole et rural, basée sur la réalité territoriale contenant à la fois les circonstances urbaine et rurale. Ce type de dynamiques agricoles menées avec la population rurale, féminine et âgée, sera bientôt nommé dans le monde agricole « agriculture de type Ikigai » au cours des années 80. Elle va ensuite faire l'objet d'une promotion dans la politique agricole locale afin de pallier le fossé de la

modernisation agricole dualiste.

Dans cette évolution, nous trouvons une « étoffe » de la dynamique actuelle du Projet Nô-Life, qui se situe en continuité du temps long de l'histoire de la Ville de Toyota. Autrement dit, dans cette analyse historique de la Ville de Toyota après 1945, nous avons trouvé une « raison » historique, territoriale et identitaire, pour laquelle la politique locale de redistribution de la Ville de Toyota a fait le lien entre l'agriculture de type Ikigai et la question d'Ikigai pour sa population urbaine en vieillissement.

Chapitre 2

Emergence de l'agriculture de type Ikigai

Dans le chapitre 2, nous avons mis en évidence le processus de la construction du Projet Nô-Life entre les acteurs institutionnels ou organisés. Et à travers cela, nous avons analysé pourquoi et comment ont émergé dans ce processus, les éléments représentationnels de l'agriculture de type Ikigai. Ces éléments s'organisent autour des trois pôles suivants : qualité de vie ; lien social et territorial ; production matérielle. Nous avons considéré ces trois pôles représentationnels de l'agriculture et de la ruralité en tant que produit de l'hybridation de la relation urbain-rural dans le territoire de la Ville de Toyota. Cette hybridation résulte à la fois de l'émigration rurale massive pendant la Haute croissance économique (1955-1975) et de la généralisation de la situation de pluriactivité des foyers agricoles locaux. Ces deux phénomènes, historiquement engendrés par l'industrialisation et l'urbanisation, ont radicalement bouleversé la population agricole et rurale depuis ce dernier demi-siècle au Japon.

Puis, le terme « Nô-Life », inventé par la Municipalité de Toyota, a une connotation nouvelle : concernant la partie « Nô » designant « agri- » ou « rural », l'apparition de l'utilisation de cette seule partie est relativement récente (dans les années 90). « Nô » implique diverses manières d'aborder l'agriculture et la ruralité en terme de style de vie tout en tenant compte des aspects non productifs de l'agriculture et de la ruralité, dits multifonctionnels. Puis, la partie « Life », provenant du terme anglais, a notamment la connotation urbaine et post-industrielle du « life style », style de vie comme étant choisi par les individus.

Construction du Projet

Dans ce processus, nous avons d'abord repéré une série d'opérations réalisées comme des « bricolages collectifs » entre des agents locaux appartenant à différents champs sociaux. Il s'agit d'un ensemble d'opérations de transcodage entre les principaux agents du monde agricole (coopérative agricole : CAT ; vulgarisateur : ECV ; groupement de producteurs professionnels : GASATA ; administrateur départemental agricole : BDPA ; administrateur municipal agricole : BPA) et des agents du monde public et civil (agent municipal de la politique du vieillissement : SCI ; représentant local des syndicats ouvriers : CLFS). C'est-à-dire qu'ils se sont réciproquement instrumentalisés tout en échangeant leurs propres objectifs et moyens afin d'élaborer leurs propres actions. Et ces oprérations, par l'intermédiaire du Bureau de la Politique agricole de la Municipalité de Toyota, ont abouti à un compromis qui constitue la clef de voûte du Projet Nô-Life : accord entre la politique agricole locale et celle du vieillissement autour de la question commune d'Ikigai. L'idée de base de ce compromis était de relier les mesures pour l'agriculture de type Ikigai, qui existait déjà dans le monde agricole sous diverses formes, et celles pour les activités et services pour Ikigai des personnes âgées, et ainsi de former de nouveaux agriculteurs et faire face au délabrement de l'agriculture.

Contradiction du Projet

Mais ce compromis impliquait une ambiguïté de principe basée sur une divergence d'intérêts entre les agents

de ces deux secteurs, dont notamment les gestionnaires du Projet : adminisrateur municipal agricole (BPA) et coopérative agricole (CAT). D'un côté, le BPA essaie de valoriser l'agriculture en sorte qu'elle soit vouée à l'intérêt public en s'inscrivant dans l'approche de la multifonctionalité apparue au cours des années 90 dans le contexte de restructuration après les Accords du GATT. De l'autre côté, la CAT essaie d'imposer une norme productiviste pour la réalisation du Projet, qui se reflète dans le slogan de « gagner un million de yens de revenu agricole annuel » donné à la formation agricole organisée par le Centre Nô-Life. Mais en même temps, l'engagement de la part de la CAT dans le Projet s'avère faible par rapport au BPA en raison de l'apport économiquement faible de ce projet : la coopérative agricole japonaise est en réalité un grand organisme financier et commercial, plutôt qu'une organisation agricole et sociale. Ce qui est largement du à la situation de pluriactivité généralisée pendant la Haute croissance.

Selon L. Boltanski, un compromis est un accord impliquant l'approche du bien commun entre plusieurs mondes différents ayant chacun sa nécessité de justification. Si le compromis a pour objectif de résoudre des conflits et de régler des différends en mobilisant des principes et des objets relevant de ces différents mondes, toutefois, le compromis doit sa fragilité à cette divergence d'identités entre les parties en présence, ainsi qu'à l'impossibilité de mettre en cause ces identités.

Sur la base d'un tel compromis, dans le cas du Projet Nô-Life, nous avons constaté un rapport de pouvoir désquilibré dans le dispositif de la mise en oeuvre du Projet, lié à l'emprise des agents du secteur agricole. Et ce rapport de pouvoir désquilibré ancre fortement les éléments de représentation donnés à l'agriculture de type d'Ikigai que le Projet Nô-Life doit promouvoir : priorité donnée à la production matérielle avec la reprise du slogan présenté plus haut. Or ce slogan provient implicitement (que ce soit inconsciemment ou consciemment) de l'histoire de la modernisation agricole des années 60 au Japon, dont le référentiel était le rattrapage de la Haute croissance économique du pays.

Chapitre 3

Typologie des stagiaires et tendances générales de représentation

Dans le chapitre 3, nous avons analysé les représentations de l'agriculture et l'« agriculture de type Ikigai » chez les stagiaires de la formation Nô-Life, à travers leur participation dans le Projet.

A partir de l'analyse du résultat de l'enquête par questionnaire, nous avons relevé que la typologie objective des stagiaires correspond à la fois au contexte contemporain du vieillissement (70% ont plus de 50ans, sont déjà en retraite ou proches de la retraite), mais également à la spécificité historique de la Ville de Toyota : parcours professionnel en majorité salariale (ouvriers et employés) dans le secteur industriel ; diverses origines géographiques (moitié des stagiaires originaires de l'extérieur de la Ville de Toyota) ; situation généralisée de pluriactivité des foyers agricoles (un tiers des stagiaires sont des agriculteurs pluriactifs locaux). Puis, l'expérience agricole prend une importance considérable parmi ces stagiaires : un tiers étant déjà cultivateurs d'un terrain agricole de leur foyer natal, ce qui correspond au nombre des agriculteurs pluriactifs parmi eux ; un tiers ayant cultivé un jardin potager depuis plus de cinq ans.

Ensuite, nous avons repéré les tendances générales de représentations de l'agriculture en rapport avec leur participation dans la formation Nô-Life. Nous avons relevé les trois niveaux suivants de représentations qui sont indissociables de la dimension actionnelle des stagiaires : stratégique ; idéal ; réflexif. Le premier, le niveau stratégique, en se basant sur les divers intérêts à court terme, montre la dimension de demande instrumentale de la part des stagiaires vis-à-vis du Projet. A ce niveau-là, nous avons trouvé plus d'éléments de représentation relevant de la dimension économique (ex. acquisition de techniques ; obtention de revenus), et moins des dimensions socio-culturelles. Mais le second, le niveau idéal, en se basant sur les intérêts à long terme, montre la dimension du projet de vie des stagiaires. A ce niveau-là, nous avons trouvé plus d'éléments relevant des dimensions socio-culturelles (autoconsommation, plaisir, style de vie, sociabilité etc) et moins de la dimension

économique. Puis, le troisième, le niveau réflexif, en se basant sur des préoccupations sur la crise agricole et alimentaire en général, montre la dimension politique et collective. A ce niveau-là, nous avons trouvé un certain nombre d'idées articulées telles que : développement de la production et de la consommation des produits locaux, afin d'améliorer l'autosuffisance et la sécurité alimentaire ; lien entre la production agricole avec d'autres thématiques de la vie des citoyens (cadre de vie, environnement, éducation etc) ; participation citoyenne dans le domaine agricole. En fait, nous avons trouvé une large correspondance entre ces visions exprimées par les stagiaires et la problématique formulée par la politique agricole de la Municipalité de Toyota depuis les années 90 notamment par leur Plan décennal de 1996 : intégration des thématiques globales de l'autosuffisance alimentaire et de la multifonctionalité ; développement des deux types d'agriculture industriel et ikigai ; participation citoyenne aux activités agricoles et rurales. Et cette correspondance se trouve même au niveau des visions pratiques des stagiaires : souhait de mener une agriculture périurbaine avec une production de type polyculture à petite échelle et la distribution des produits à court circuit. Ces trois niveaux de représentations nous semblent possibles à articuler entre eux, puis à renforcer au niveau de la mise en pratique.

Dynamique des représentations dans les moments du Projet

Puis, à partir de l'analyse du résultat de l'enquête par entretien, nous avons essayé de repérer les catégories subjectives et les tendances spécifiques des représentations des stagiaires en rapport avec leurs divers enjeux personnels. Notre démarche d'analyse était la suivante :

- d'abord, nous avons distingué les cinq niveaux suivants de représentations correspondant aux moments diachroniques de la vie des stagiaires dans le Projet Nô-Life, à savoir : 1 trajectoire qui désigne les expériences passées qui précèdent la participation à la formation Nô-Life ; 2 motivation initiale qui se traduit par l'intention ou l'objectif initial pour la participation ; 3 changement d'idées montrant comment les stagiaires ont vécu le Projet ; 4 prise de position de chaque stagiaire, qui est le reflet de leurs points de vue plus ou moins déterminé de l'intérieur sur les principes du Projet ; 5 réflexion sur le devenir du Projet, montrant le point de vue distancié et final sur l'ensemble du Projet.

- ensuite, sur chacun de ces cinq niveaux, nous avons tenté de trouver les ressemblances et les dissemblances entre les éléments de représentation portés par chaque stagiaire. A partir de là, nous avons repéré les groupes porteurs de représentations spécifiques, afin d'y voir finalement les relations de divergence et de convergence au sein des représentations portées par les stagiaires.

Au niveau de la trajectoire, nous avons pris en compte la complexité de l'histoire et de la circonstance de la vie de chacun, qui se base sur une articulation complexe des catégories objectives (homme/femme ; âge ; lieu d'origine ; foyer agricole ou non) Il s'agit de comprendre le processus de construction socio-historique de la personne tout en dépassant nos stéréotypes objectivistes et réductionnistes.

Nous avons supposé que les influences de la trajectoire sur l'action des enquêtés sont complexes, mais saisissables dans les deux sens suivants : soit à construire un nouveau type de vie pour chacun dans une nouvelle circonstance socio-spatio-temporelle ; soit à reproduire un type de vie antérieurement connu, mais tout en renouvelant les expériences passées dans un nouveau type de circonstance donnée. Ensuite, nous avons construit un modèle de compréhension de ces influences complexes de trajectoire sur l'action des enquêtés en terme de « crise (insuffisance) » et de « stabilité (suffisance) » de leur vie du passé proche au niveau de deux espèces de capitaux : économique et socio-culturel. Nous avons ainsi établi les quatre types d'influences de trajectoire (1 capitaux économique et socio-culturel suffisants ; 2 capital économique suffisant et capital socio-culturel insuffisant ; 3 capital économique insuffisant et capital socio-culturel suffisant ; 4 capital économique et socio-économique insuffisants) supposant certain nombre d'explications possibles sur la dynamique actuelle des individus770.

Puis, pour analyser les réponses correspondant à ces quatres niveaux, nous avons repris le schéma

770 Tout en sachant que ces critères « crise (insuffisance) » et de « stabilité (suffisance) » n'ont pas de coupure totale entre eux, mais sont relatifs, et également que la situation de la vie individuelle est souvent marquée par l'ambiguïté et la complexité, cette typologie et les explications ainsi supposées ont constitué un outil de compréhension de la situation individuelle des enquêtés.

représentationnel de l'agriculture de type Ikigai établi dans le chapitre précédent. Les trois pôles constitutifs de ce schéma (qualité de vie, lien social et territorial, production matérielle) pouvant correspondre aux éléments de représentation portés par nos enquêtés, nous permettent ainsi d'éclairer leurs positions. Et nous avons également comparé ces positions avec celles des acteurs institutionnels analysées dans le chapitre précédent, en les confrontant dans dans ce même schéma.

A partir de l'examen des représentations des enquêtés sur quatre niveaux (motivation initiale ; changement d'idées ; prise de position ; réflexion sur le devenir du Projet Nô-Life), nous avons analysé les positions des enquêtés en terme de divergence et de convergence.

D'abord, la divergence des positions entre les enquêtés, est liée aux circonstances individuelles du présent ou à court terme, qui s'inscrivent dans leurs trajectoires impliquant les quatres types d'influences expliqués plus haut. Ces facteurs intérieurs constituent finalement la diversité des enjeux et des représentations au sein de nos enquêtés.

Puis, en terme de convergence des positions des enquêtés, nous avons relevé les points positif et négatif. Le point positif de convergence réside dans le fait que la plupart des enquêtés considèrent l'agriculture comme Ikigai en ayant chez eux divers besoins socio-culturels portant sur le long terme qui sont associables à la production matérielle.

Le point négatif de convergence réside dans le fait que la plupart des enquêtés ressentent des contraintes économiques pour mener une production agricole à but lucratif. D'où une série de critiques et de mise en doute par les enquêtés à l'égard de l'orientation productiviste donnée par le Projet Nô-Life, représentée par l'objectif de gagner un million de yens de revenu agricole annuel, ainsi que des activités de formation Nô-Life orientées par cet objectif. C'est pourquoi les prises de position des enquêtés ont eu tendance à s'éloigner du pôle de la production matérielle. Ces deux points de convergence montrent que les enquêtés sont confrontés au même dilemme : la difficulté de rendre compatibles leurs besoins économique et socio-culturels.

D'ailleurs, un certain nombre de réflexions sur le devenir du Projet Nô-Life nous ont confirmé l'existence de ce dilemme commun aux enquêtés, et que le Projet Nô-Life lui-même n'arrive pas encore à résoudre.

Conséquence du compromis institutionnel du Projet Nô-Life : effet de marginalisation

Puis, nous avons considéré cette situation de dilemme à laquelle les enquêtés sont confrontés, comme un effet de marginalisation par le compromis réalisé entre les agents gestionnaires du Projet Nô-Life. Autrement dit, une marginalisation des demandes de la part des stagiaires par rapport à l'offre proposé par le Projet. En effet, ce compromis, comme nous l'avons relevé dans le chapitre précédent, reflète fortement une vision productiviste héritée de l'histoire de la modernisation agricole japonaise. Cette orientation est le reflet du déséquilibre de situation de représentations, de pratiques et de pouvoirs dans les relations sociales constitutives de ce compromis entre les agents gestionnaires et partenaires. Finalement, cet effet de marginalisation aggrave la fragilité du compromis en risquant de désangager ou de démotiver ces stagiaires. Cette situation peut être considérée comme un effet pervers du Projet Nô-Life, car les protagonistes du Projet ne sont pas les gestionnaires mais ces stagiaires qui mettront à l'épreuve la légitimité du Projet.

Propositions critiques et pragmatiques

Suite à ce constat, en guise de réflexion finale de ce chapitre, nous avons formulé quatre propositions destinées aux acteurs du Projet Nô-Life en vue de consolider le compromis non seulement entre les acteurs institutionnels mais entre tous les acteurs du Projet, en dotant le bien commun constituant ce compromis, qui est l'agriculture elle-même, d'une nouvelle identite dans le sens de l'idée de la « cité » de L. Boltanski. Il s'agit d'une définition alternative de la profession agricole, en l'occurence une tentative de redéfinition de l'agriculture de type Ikigai dans le contexte du Projet Nô-Life.

Pour procéder à ces propositions, nous avons repris des éléments théoriques de la transaction sociale proposés par M. Mormont ainsi que du transcodage de P. Lascoumes.

L'approche de la transaction sociale proposée par M. Mormont consiste à supposer une création de nouveaux dispositifs alternatifs pour la mise en oeuvre politique qui permet aux agents concernés d'anticiper et de s'engager tout en maintenant leurs identités et intérêts sur le court terme et le long terme. Et ceci implique une complète reconsidération de « l'appareil de règles » du monde professionnel portés par un ensemble d'agents, non seulement comme structure dominante, mais comme porteur de cadre stabilisateur de ces anticipations et engagements des agents concernés en vue de mettre en oeuvre une nouvelle politique publique. Ce point de vue implique dans notre contexte une redéfinition alternative de la profession agricole qui est susceptible de dépasser la définition de l'agriculture de type Ikigai, telle qu'elle a été faite dans le Projet Nô-Life sur la base du seul critère économique et réductionniste qui ne tient pas compte des autres espèces de représentations, à savoir celles relevant des critères de la qualité de vie et du lien social et territorial.

L'approche du transcodage de P. Lascoumes consiste à « rendre gouvernable » une nouvelle identité de l'agriculture de type Ikigai qui constitue un monde émergeant dans le contexte du Projet Nô-Life. Ceci au travers d'incessants efforts de concertations et de traductions réciproques des dispositions des acteurs concernés, et ainsi de « rééquilibrer » celles-ci pour un meilleur maintien de ce monde fluctuant et conflictuel.

Sans reprendre les contenus de ces quatre propositions (1 Etablissement de nouveaux cadres de concertation sur la gestion des activités du Centre Nô-Life ; 2 Modification de l'orientation globale du Projet Nô-Life ; 3 Ajustement du programme de la formation Nô-Life ; 4 Etablissement d'une association de stagiaires Nô-Life), notons que nous avons voulu montrer qu'à travers ces propositions, tout en remettant en question les défauts du Projet selon notre observation, il y a des possibilités pour développer durablement une agriculture alternative dans ce contexte du Projet Nô-Life, avec les acteurs en place et leurs moyens disponibles, malgré le déséquilibre de leur situation de représentations, de pratiques et de pouvoirs.

Perspectives

Agriculture de type Ikigai dans le contexte général : un indice de transformation

Pour répondre à notre question générale sur la crise permanente de l'agriculture et de la ruralité au Japon, nous devons d'abord réinterroger la vision productiviste de la politique de la modernisation agricole japonaise. Nous avons vu que le référentiel de cette modernisation était la Haute croissance économique de 1955 à 1975. Ce référentiel a permis à cette politique d'avoir une légitimité, malgré ses défaillances avérées dans ses conséquences : accélération de la situation de pluriactivité, surproduction du riz etc. Mais, de nos jours, est-ce que cette légitimité continue à se baser sur ce même référentiel ?

Sur ce point, le cas de l'émergence de l'agriculture de type Ikigai dans la Ville de Toyota montre effectivement un indice de transformation des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité. Comme nous l'avons relevé, cette agriculture était composée des trois pôles des représentations socio-culturelles et économique (qualité de vie ; lien social et territorial ; production matérielle). Mais tout comme la notion des représentations sociales, cette agriculture est elle-même en devenir, à savoir un processus. Il doit toujours être mis en jeu ou à l'épreuve dans son contexte d'émergence, qui est territorial et socio-politique.

Dans le contexte général de l'agriculture japonaise, ce qui caractérise l'agriculture de type Ikigai dans la Ville de Toyota, c'est que la problématique du vieillissement de la population a été ajoutée, quoique partiellement et localement, dans les référentiels de la politique agricole. Ceci grâce à la légitimité générale de l'idée d'Ikigai mise en relation avec la prévention de la dépendance des personnes âgées dans la politique du vieillissement au Japon. Et ceci était également possible dans le contexte prolongé de restructuration après les

accords du GATT qui a accordé de l'importance à la multifonctionalité de l'agriculture et de la ruralité, ainsi qu'au rôle de la politique publique pour la sécurité alimentaire. Mais, bien entendu, la vision productiviste y reste dominante et plutôt renforcée avec le référentiel de marché et de concurrence. Dans ce sens-là, le cas de l'agriculture de type Ikigai ne montre pas un vrai changement, mais plutôt une situation de contradiction accrue. La contradiction parce que, vu que le contexte général du vieillissement de la population japonaise où la population a même commencé à diminuer depuis 2005, et en plus, dans le contexte économique actuel du pays, le revenu moyen des ménages n'augmente plus depuis ces dernières années771, il nous paraît même inadapté d'adopter la vision productiviste aujourd'hui avec le référentiel de l'époque de la Haute croissance.

Importance de la dimension territoriale

Néanmoins, le cas du Projet Nô-Life nous tient à coeur, rien que par son utilisation d'une approche originale et réaliste de mise en oeuvre de la multifonctionalité. Mais au-delà de cela, le plus remarquable dans ce projet est que son processus de construction dépendait fortement de son contexte territorial : un des facteurs importants du développement de ce projet est l'importance de la question d'Ikigai qui est fortement liée à la question territoriale propre à l'histoire de la Ville de Toyota. Il s'agit de l'identité territoriale de la Ville de Toyota, qui a dû fortement jouer dans le processus de construction du Projet ainsi que dans celui de l'émergence de l'agriculture de type Ikigai. En effet, la qualité de vie et le lien social et territorial constituent une demande permanente de la population de cette ville, et ainsi une sorte de leitmotiv de la politique locale de redistribution de la Ville de Toyota depuis les années 50 dans sa situation d'emprise par l'industrie automobile. Dans ce sens-là, la question d'Ikigai est presque synonyme de celle de l'identité de la Ville. Autrement dit, ces deux thèmes constituent une dialectique territoriale propre à cette ville.

Et l'identité de la ville n'est pas un produit figé, mais un processus tout comme une représentation. Elle est donc, en permanence, et parallèlement à l'émergence de l'agriculture de type Ikigai et la construction du Projet Nô-Life, en devenir et en jeu. Elle a ses propres besoins, problèmes et conflits en elle-même. C'est ainsi qu'elle compose ses objets et s'en recompose. La réappropriation croisée de la question agricole et de celle du vieillissement effectuée par les agents locaux de cette ville pour construire le Projet Nô-Life, peut donc se comprendre dans le cadre de cette dynamique identitaire inhérente au territoire de la Ville de Toyota. Que sont alors les possibilités et limites du cas du Projet Nô-Life ?

Projet Nô-Life : possibilités et limites

Nous avons voulu montrer les possibilités et limites du Projet Nô-Life de manière concrète, avec nos quatre propositions à la fois critiques et pragmatiques portant sur : le mode de communication (manque de concertation) ; la représentation (slogan productiviste inadapté à la situation) ; la pratique (méthode trop conventionnelle) ; la relation sociale (manque de lien plus autonome parmi les stagiaires).

Malgré toutes les critiques et propositions possibles, le développement ultérieur du Projet Nô-Life et de l'agriculture de type Ikigai dépendra de la dynamique identitaire propre au territoire de la Ville de Toyota. Cette dynamique constitue la première condition pour ce développement, à laquelle on devrait toujours se référer, et dans laquelle on devrait jouer. Les possibilités et limites se trouveront également dans cette dynamique territoriale où se trouvera également le processus de transaction sociale avec des compromis, des tensions et la domination qui ancrent les représentations sociales.

771 Ainsi les problèmes de la sécurité sociale et de la disparité économique parmi la population et entre les régions constituent actuellement deux des thèmes politiques les plus importants au Japon.

Généralisation ou particularisation ?

Pour la question de la possibilité de généralisation de la leçon de cette étude de cas, nous insistons d'abord sur l'importance de replacer dans une dimension territoriale la question qu'elle soit générale, comme celle de la crise agricole et rurale, ou locale, comme celle du dilemme individuel. C'est là qu'elles pourront être réellement posées et mises en jeu et à l'épreuve. Et c'est là où la priorité des choses peut se renverser et se recomposer autour d'une problématique identitaire et inhérente au territoire. Ainsi nous devrions articuler une redéfinition et une solution alternative, avec les acteurs et les objets territoriaux, tout en prenant conscience que le conflit entre ceux-ci fera également partie intégrante du processus en question.

Enfin, c'est à partir de cette dimension territoriale que nous pourrons procéder à la comparaison avec d'autres cas pour améliorer nos connaissances sur une question donnée. Ensuite, nous pourrons mieux examiner la pertinence des questions générales ou locales en les mettant à l'épreuve de plusieurs dynamiques territoriales différentes. Puis, les possibilités et limites des réponses devront être relevées à partir des enjeux propres dans ces dynamiques.

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Annexes
1 Questionnaire

2 Liste des questions posées dans les entretiens

3 Synthèse du résultat de l'enquête par entretien

4 Schéma global du Plan de 96

5 Schéma global sur la nouvelle place de l'agriculture
dans l'aménagement urbain dans le Plan de 96

6 Schéma des fonctions du Parc rural dans le Plan de 96

7 Image du Parc rural dans le Plan de 96

8 Schéma des fonctions de l'Ecole rurale dans le Plan de 96

9 Schéma conceptuel du réseau sur
la participation sociale et la création d'Ikigai

10 Localisation de la Ville de Toyota dans le Japon






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld