WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La migration andine, rapport à la terre et conquête de la ville. Entre Huancavelica et la Vizcachera. De la Sierra à Lima.

( Télécharger le fichier original )
par Tiphaine POULAIN
Université Paris VII - Denis Diderot - Maitrise Ethnologie 2005
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

La, migration andine

Rapport à la terre et conquête de la ville

Entre Kuancavelltn et la eicachera.

De la sierra à Lima

Gilda Nicolau Patrick Deshayes

« L'objet d étude que l'on choisi est un aveu biographique. » Bonis (Sn lnik

En janvier 2000, je partais au Pérou, rejoindre l'association Gabriela Mistral, à Lima. Participant à l'un de leurs projets avec les enfants et les jeunes, je me rendais quotidiennement dans un quartier de San Juan de Lurigancho, district de la Lima périurbaine, dans le "cône"1 Est. Je réalisais très vite que la population était majoritairement d'origine andine, sans pour autant savoir exactement d'où venaient les uns et les autres. J'étais indignée également de la réaction de certains liméniens lorsqu'ils s'étonnaient avec dédain de me voir aller là-bas. J'ai d'abord été interpellée par cette dynamique de "débrouille" que les migrants ont développé, une sorte d' « endodéveloppement ». Inventifs dans un milieu hostile grâce à des réseaux de liens importants, ils semblaient conquérir la ville et construire de nouveaux univers de vie. Les femmes semblaient particulièrement actives par le biais de cantine populaire --par exemple, et de petites organisations ; leur lutte quotidienne était saisissante.

Dans les collines auparavant désertes, toute une vie se déployait ; de nouvelles demeures apparaissaient. On entendait souvent parler d'invasions ; j'ai moi-même assisté à l'implantation d'un groupe de maisons, au petit matin sur une dune de Lima ; c'est ainsi que naissait un nouveau quartier !

De profondes amitiés se sont forgées au fil des différents séjours que j'y ai effectués. C'est ainsi que j'ai décidé de retourner dans ce pays, de nouveau pour quelques mois. Je souhaitais, tout en retrouvant le plaisir d'y séjourner et d'y mener diverses expériences, approfondir ce thème qui me tenait à coeur, rencontrer des personnes susceptibles d'apporter des éléments de réponse à mes questions et surtout découvrir l'inattendu...

Quelle migration ?

Ce mouvement migratoire s'est produit pour différentes raisons. D'importants changements socio-économiques et démographiques ont conditionné et intensifié ce phénomène. Il a été exacerbé par des crises importantes telles les grandes sécheresses et les séismes mais aussi et surtout le terrorisme, obligeant les paysans à chercher d'autres terres.

Peut-on parler de la migration de la même façon lorsqu'il a fallu choisir entre fuir ou mourir, ou lorsque l'on part pour trouver du travail ou encore étudier à la ville ? On ne peut comparer les migrants en quête d'« une amélioration » avec les déplacés du terrorisme, venus malgré eux. Les désirs d'adaptation ne sont pas les mêmes, ni les possibilités.

J'ai rencontré beaucoup de réfugiés sur le terrain de mes investigations (à la Vizcachera et dans la Sierra) et je les évoquerai.

Néanmoins, je me suis intéressée quand cela était possible, aux derniers arrivés, aux derniers migrants qui continuent à venir dans cette Lima « explosante », où seuls les flancs des collines les plus hostiles offrent un espace d'habitat. Aujourd'hui, ces gens continuent à. quitter leur village, ces paysans « abandonnent » leurs terres pour un univers plus prometteur (ils l'espèrent et pensent pouvoir "avancer" plus rapidement et exhaustivement à la ville).

Quels sont leurs lieux de vie qui les poussent à chercher ailleurs une certaine forme de progrès
ou un « meilleur » qui s'impose et qu'ils s'approprient. Est-ce le mode de vie andin "mobile"

1 Lima est divisée en trois « cônes » : "cono forte", "cono este", "cono sur" (l'ouest étant l'apanage du Pacifique...) qui sont la périphérie de l'ancienne Lima et se sont constitués au gré des migrations, intensifiées depuis les années 40.

(on parle de « mobilité »), qui a toujours mené ses habitants vers une quête de « terres meilleures » face aux obstacles ?

« Costa, Sierra y Selva »

Pour les péruviens, les trois espaces géographiques du pays : Costa, Sierra et Selva, semblent représenter non seulement trois espaces, mais aussi trois univers, et presque trois "cultures", qui sont pourtant en interrelation. La côte (désertique), les Andes, l'Amazonie. Ils semblent attacher beaucoup d'importance à cette division tant pour vanter la diversité du pays que pour se différencier les uns des autres.

Je n'ai pas choisi d'appréhender la migration d'une communauté en particulier, mais celles qui s'entrecroisent et s'enchevêtrent dans un même quartier de Lima et à travers une région. J'ai donc centré mes recherches sur les migrations depuis la Sierra vers Lima, et du département de Huancavelica.

Il faut se perdre dans les différents "cônes", districts et recoins de Lima pour réaliser toute l'ampleur du phénomène mais aussi observer quelques endroits de l'intérieur. J'ai choisi le quartier de la Vizcacbera pour centrer cette étude sur l'aspect communautaire et territorial. C'est un lieu à la fois atypique et caractéristique, qui s'est peuplé progressivement autour de l'élevage porcin, à ses débuts, et il s'étend de jours en jours.

Huancavelica est « un des départements les plus pauvres du Pérou ». Caractéristique de la vie paysanne (la majeure partie de la population vie en milieu rural), de la vie minière et des changements (migratoire et impact sur l'espace) qu'elle entraîne, c'est en outre une région éloignée des routes touristiques. Le terrorisme y a été très intense par sa présence et sa violence, marquant profondément la population, ses victimes et ses déplacés.

Un regard dans la Sierra permet de réaliser la dissémination des familles et les réseaux qui y existent, et se refont à la ville. Territoire agropastoral, son mode vie y est communautaire et souvent paysan, il influence l'adaptation sur la côte. C'est aussi une réalité du pays, aujourd'hui oubliée par une partie de la population, mais qui transforme le monde urbain et entretient, par ses « diasporas », un rapport important avec la ville.

Un abîme paraît se creuser entre la Côte et la Sierra mais à Lima, ces mondes se rencontrent. Problématique

Si je n'ai pas choisi de m'intéresser aux hautes sphères de migration, je n'ai pas non plus opté pour suivre l'orientation d'un certain nombre d'études qui montrent le lien permanent entre la Sierra et ses émigrés de Lima, ou la reproduction des "traditions" à Lima. Ou bien, celles qui démontrent le potentiel "capitaliste" des émigrés andins, tels des petits entrepreneurs... J'ai plutôt rencontré des gens qui me paraissaient s'être "coupés" de leur lieu d'origine, confrontés à un quotidien difficile. La lutte pour la propriété ou la défense commune du territoire s'est révélée importante pour la conquête de la ville. Le rapport au sol est donc l'élément central sur lequel mes "ethnographies" ont été orientées.

J'ai accordé une place particulière aux histoires de vie, qui oscillent entre mémoire et soucis du quotidien. Elles permettent de s'interroger sur l'identité qui se reconstruit en ville et les nouvelles appartenances qui se dessinent.

Chez tous les migrants, on constate cette quête pour la propriété, qu'est-ce donc qui anime ce combat ? Celui-ci semble également s'inscrire dans la lutte d'un groupe, d'une communauté sur un territoire.

J'ai donc essayé de traiter la question de la migration dans toute sa complexité entre départ et retour, mémoire et la quête qu'elle suscite. Le phénomène de la migration ne commence pas dans un lieu de départ pour se terminer dans un lieu d'arrivée... Elle concerne toute la famille, son passé, son présent, ses projections futures, et ses espaces de mobilité.

Je m'intéresse aux histoires de vie et du quotidien d'un quartier de la périphérie de Lima, j'essaie de comprendre comment il s'est peuplé et comment s'y constituent les rapports et l'appartenance.

Un voyage dans les Andes permettra de mieux comprendre la réalité et les raisons de ceux qui partent. La terre y joue un rôle prépondérant.

Quels sont les liens entre le rapport à la terre, l'attachement qu'elle suscite et la lutte des migrants à Lima pour la propriété ? Quel est son sens symbolique, social et juridique ? Quel est l'impact de l'émigration dans son évolution ?

Méthodes et écritures...

Mon "terrain" --comme il est communément appelé en ethnologie, ne se limite pas en un lieu ; il est à l'image de la migration, en de multiples lieux. Ce "terrain", je le côtoyais au quotidien; en étant à Lima --puisque la ville a été constituée par ces migrations, ce qui permettait de sortir de la seule posture d'ethnologue, jusqu'à l'en oublier. Je rendais régulièrement visite aux gens rencontrés à la Vizcachera. Je retrouvais Leoncio, dans le quartier de Zapallal dont il est dirigeant. Nous allions à la rencontre des habitants de tous les quartiers qui le composent.

reprit presque à son compte mes questions et interrogations ! 11 s'enquérait auprès des gens de leurs origines et de leur valorisation ainsi que des problèmes qui lui tenaient à coeur, liés au statut d'occupation des sols et à la lutte des habitants. C'est ainsi (et en allant à travers la ville) que j'ai pu connaître les autres formations de quartiers à Lima, peut-être différentes de la Vizcachera. Dans la Sierra, des rencontres et évènements (festifs et associatifs) m'ont amenée dans divers villages du département de Huancavelica. Des gens me proposaient de me faire connaître leur terre, de rencontrer tel groupe ; une amie de participer à son projet d'alimentation, des entrevues avec des autorités (qui pouvaient se conclure autour d'un déjeuner), des travailleurs sociaux, et surtout des habitants, des amis d'amis, etc. Cela a abouti dans quelques cas à des entretiens trop formels, mais fort heureusement par des naissances de liens, des échanges, des témoignages de vie, et des fêtes aussi ! L'ethnologie réside dans la rencontre et le rapport établi, celle d'un moment impromptu, celle de rendez-vous répétés, selon les désirs de chacun, de dire et de faire... Ce que l'on voit, n'est-ce pas aussi ce que l'on choisit de regarder et ce que l'on aura bien voulu nous montrer ?

Sans pourtant enregistrer aucun "entretien", j'ai choisi de laisser une place importante aux discours des gens, à leurs mots, à leur voix. Je les ai retranscrits sous la forme de citations et de récits de vie. D'une part, il me semble que l'on prend trop souvent la parole à leur place (à travers les écrits) au risque d'interpréter trop hâtivement et de ne plus savoir "qui dit quoi" (entre les protagonistes, les visions exogènes, les auteurs et moi-même...). D'autre part, afin

de traduire fidèlement le « discours authentique qui mobilise toutes les ressources d'une culture et d'une langue originale pour exprimer et expliquer des expériences qu'une autre langue ignore [..12 » --notons que la pratique du quechua aurait été bien plus adaptée avec les populations andines ; les termes employés, de par leur récurrences ou leurs connotations, ont toute une résonance impossible à exprimer. Je voulais surtout rester fidèle à leurs propos, leurs voix, leurs témoignages, sans les trahir, tout en laissant transparaître ma propre sensibilité.

Reste à trier dans le "fatras des faits", entre vécu et « imaginaire », entre vie personnelle et "recherches"... L'écriture n'en est pas aisée, il faut faire des choix et accepter ses postulats. Mais surtout à qui s'adresser. Qui sera le lecteur de ce récit ? Les protagonistes ? Des "spécialistes" en ethnologie ? Des proches ? Des inconnus ?... Je me suis souvent remise en question avant d'écrire, ou après avoir porté une forme de "jugement". Les intéressés seraient- ils vraiment d'accord ? Qui partage cette vision ? Raconter cela comme une histoire ? Mener une "démonstration" ?... Il m'a fallu accepter le fait que le travail réalisé (en tant qu'écriture uniquement) devait s'inclure tout d'abord dans le contexte qui m'était fixé tout en conservant mes intentions de réciprocité avec les habitants, sur d'autres plans.

Et puis, subsiste toujours le risque de la solitude de l'écriture. On peut très vite s'emporter, interpréter, en oubliant que la réalité telle que les gens la vivent et l'appréhendent, est autre. J'ai tenté de rester mesurée. Si l'ethnologie est une rencontre, l'écriture quand à elle, mériterait d'être partagée, interactive. J'ai cependant pu échanger au sujet de mon terrain avec d'autres personnes, ce qui me semble fondamental, mais insuffisant.

Posture et réciprocité

Les jugements de valeurs demeurent incontournables : admiration devant la lutte des habitants et leur imagination provoquée par l'émigration ; et consternation devant la domination d'une société discriminante et l'apparente indifférence devant la réalité des Andes. En deçà, interviennent les meurtrissures du passé, engendrées par la terreur du Sentier Lumineux3, sans parler des campagnes de stérilisation forcée'.

Les ethnologues ne sont pas tous d'accord sur le fait de prendre parti ou pas. Au nom de quelle superbe devrait-on être l'observateur insensible de situations parfois si consternantes ? La rencontre, à la base de cette discipline, n'incite-t-elle pas à vous détacher de toute objectivité ?

Il est néanmoins difficile de traiter certains thèmes qui engagent l'observateur et lui seul, à considérer le bien fondé de son discours, la véracité des ses écrits et surtout la légitimité de ses réflexions. Il convient de ne pas juger hâtivement à partir d'un regard trop fugace, et de se détacher de tout ethnocentrisme. Je me suis d'ailleurs souvent remise en question devant des

2 Sayad, Abdelmalek. La double absence.

3 20 années de violence, depuis 1980 où commença la violence armée, dans la Sierra. Un pays en conflit où les Forces années et la police s'affrontèrent aux subversifs... Le Sentier lumineux, mouvement d'inspiration maoïste, voulait imposer un nouvel ordre politique, social et économique. C'était le principal groupe subversif, mais d'autres mouvements s'ajoutèrent et leurs actes, comme ceux commis par les Forces Armées, relèvent d'une indescriptible ignominie.

4 Durant le gouvernement de Fujimori, des campagnes de stérilisation forcée, menées dans des conditions déplorables, ont été conduites dans des communautés de la Sierra et de la Selva, ainsi que dans quelques quartiers pauvres de Lima. De l'ethnocide en passant par le génocide...

hypothèses que je formulais, de peur de ne pas respecter les points de vue des uns et des autres.

D'autre part, lorsqu'il se crée un rapport relativement profond avec les gens, comment ne pas prendre parti dans leur combat ? En outre, la discrimination dont ils sont parfois victimes amène se positionner de leur côté. Il est naturel de se préoccuper de leur combat et d'échanger sur des plans plus personnels.

En rencontrant les déplacés du terrorisme, j'ai été saisie par leur cause et surtout consternée par leur isolement. Ils m'ont quelque peu prise à témoin, espérant être compris et orientés. Je me suis donc informée des éventuelles aides à leur disposition et de leurs droits. On se trouve bien souvent seul et incapable devant de telles situations.

Si la rencontre est le lieu de l'ethnologie, l'hospitalité est sa condition sine qua non.

Les gens se montrent généralement (mais pas toujours, à raison) disponibles ; à la fin de la première rencontre, il s'inquiétait : «j'espère que j'ai pu vous apporter quelque chose ». Par la suite, cette disposition pouvait se traduire par des rencontres plus personnelles, m'invitant à revenir chez eux.

L'accueil passe toujours par un digne « excuse-nous de la pauvreté ou du peu que je puisse t'oeir », sans manquer de proposer une boisson ou de manger quelque chose même si ce n'était pas l'heure. Alors que certaines paraissent toujours indisponibles, la plupart m'invitaient volontiers à leur rendre visite.

C'est finalement la rencontre que l'on cherche au-delà des critères objectifs. Une rencontre, souvent fortuite, mais aussi provoquée par ces réseaux de liens auxquels on accède très vite et que l'on utilise. Ce que l'on comprend et interprète, résulte du fruit de cette rencontre, de cet instant d'échange, de l'hospitalité de l'autre, de sa propre volonté et de la disponibilité de l'un et de l'autre.

***

Historique de la migration à Lima

Les villes d'Amérique latine, de part leur formation et leur évolution, diffèrent grandement du modèle urbain européen auquel nous sommes habitués. D'ailleurs au sein même de l'Amérique latine on distingue deux grandes familles de villes : celles issues de la colonisation hispanique, el les villes brésiliennes, issues de la colonisation lusophone, qui ont eu une formation sensiblement différente.

Lima est l'une des villes emblématiques de la colonisation Espagnole, avec son centre ville classé par l'UNESCO depuis 1991. La description de son histoire urbaine va nous permettre de mieux nous plonger dans cet ancien idéal d'urbanisme pétri des idées de la renaissance, qui est aujourd'hui devenu un monstre urbain de 7 millions d'habitants, saturé de bidonvilles...

Au début, il n'y avait rien, du moins rien de signifiant pour les conquistadors espagnols, puisque l'on sait maintenant que la zone regroupait un ensemble de villages cultivant les terres fertiles des environs du rio Rimac, le fleuve qui coule actuellement au centre de Lima. La population s'élevait alors à 50 000 habitants, la plupart décimés lors de la construction de la ville. On avait en premier lieu pensé situer la capitale Péruvienne dans les Andes, à Jauja, près d'une immense mine d'argent, mais les zones montagneuses étaient encore contrôlées par la résistance Inca, et il fallait de toute façon une ville au bord du Pacifique pour charger les galions de sa majesté Charles Quint, roi d'Espagne... Alors il fallut se décider à installer la capitale au coeur de l'inhospitalier désert côtier Péruvien, qui court de l'équateur jusqu'au nord du Chili, et l'oasis du rio Rimac s'est imposée.

les règles précises de

La « Ciudad de los Reyes » (ville des rois) naquit donc le 18 janvier 1535, fondée par Francisco Pizarro, légèrement avant la publication des « ordonnances royales » de Philippe II (successeur de Charles Quint), qui dictaient formation d'une ville dans le nouveau monde.

Le plan de base, très imprégné du rationalisme propre à la renaissance européenne, prévoyait une ville sans fortifications, pour lui permettre de s'étendre suivant son module de « manzanas » (sortes d'îlots, carrés, et de 100m de coté).

La ville d'alors est la plus importante du continent sud américain, capitale de tout le vice royaume, couvrant l'ensemble de l'Amérique du sud à l'exception du Brésil. En 1551 elle se dota de la première université du nouveau monde, San Marcos, et atteint son apogée économique et culturelle au XVIIème siècle. C'est à cette époque que se construisirent de nombreux palais aux balcons somptuaires, presque tous détruits par le tremblement de terre de 1746.

En 1919 Lima est une ville de 173 007 habitants et qui entre dans l'économie de marché avec l'émergence d'une classe moyenne, qui se développe suivant deux axes principaux: l'un en direction de Miraflores, à travers l'avenue Arequipa pour les classes moyennes élevées et les classes aisées, l'autre plus dirigé vers le Callao pour les classes moyennes et ouvrières, à travers l'avenue Brasil.

Mais déjà dans les années 1930 la ville doit faire face à des soulèvements populaires ouvriers, qui réclament des logements, et le gouvernement va mener une politique de construction de quartiers ouvriers, pour calmer la situation. Malgré cette volonté de « limiter les dégâts », le gouvernement va payer le prix d'une réforme agraire bâclée, qui engendre des famines chez les indiens des Andes : chaque jour les immigrants sont plus nombreux, et le gouvernement ne peut pas suivre la cadence : les « cerros » (colline) de Laeticia, San Cosme et El pino, presque dans le centre de Lima, commencent à se couvrir d' « indios », en attente de logement...

En 1946 se met en place le « plan de développement métropolitain » sur le modèle du « zoning » américain, mais celui-ci est dépassé par la croissance des quartiers irréguliers : devant l'afflux toujours croissant de paysans venant des Andes, les « zones d'attente » où l'on

avait fini par tolérer leur présence deviennent définitives. Ainsi la ville traditionnelle se développe vers le sud du Rimac, pour rejoindre peu à peu le Callao et Miraflores, tandis que la rive nord devient très populaire et s'y développent de plus en plus de « barriadas » ("bidonvilles").

Dans les années 70 et 80 le phénomène empire, car en plus de la pauvreté extrême des Andes, le « sentier lumineux », groupe révolutionnaire terroriste, massacre et terrorise les campagnes andines, provoquant un exode d'autant plus fort. Les nouveaux quartiers se développent par énormes poches, au sud, à l'est et au nord de la ville, pendant que les maisons du centre ville, de plus en plus dégradées, se

transforment en taudis. Pour l'état il n'est plus question d'essayer de reloger ces migrants, mais plutôt seulement de les empêcher d'envahir les terrains qui ont une forte valeur foncière. Ainsi les "bidonvilles" se retrouvent relégués en de lointaines périphéries, loin de l'oasis qu'était Lima, en plein désert. C'est aussi l'époque des immenses opérations d'auto construction, tel Villa el Salvador au sud.

t.

En 1993 Lima couvrait une superficie de ,741

2812km2, et aujourd'hui la ville compte près de
8 000 000 d'habitants, avec un toujours très fort
taux de croissance, bien que moins important. Il

. 1

n'est plus dû seulement à l'exode rural, mais

tout simplement aux 2èm" et même 3" générations des premiers arrivants devenus citadins, toujours confrontés à la même crise du logement. La situation actuelle dépeint les cinquante ans d'« invasion ». La ville, assez peu dense dans ses périphéries, occupe un espace très important, et le centre ville de Lima se trouve maintenant à 50 Kms des derniers quartiers. Ceux-ci connaissent toujours de terribles problèmes d'adduction d'eau, d'évacuation des eaux usées, de circulation, et l'invasion actuelle des dunes les plus éloignées promet des nouvelles problématiques.

Aujourd'hui, les migrations continuent à Lima, mais il semble se développer une nouvelle dynamique de déplacement vers la Selva, où les petites villes s'accroissent notablement.

Les migrations vers l'étranger, qui se sont d'abord dirigées vers les Etats-Unis commencent à s'intensifier vers l'Europe. Quitter le pays à la rechercher de « meilleures possibilités » continue d'être le rêve de beaucoup, surtout les jeunes...

1ERE PARTIE

LA V Z('ACHERA. --I NTRoleecrioN

DE CAMPOY A « LA VIZCACHERA » 1

L'ARRIVER A LA VIZCACHERA 3

LES HABITATIONS. CONSTRUCTION. IMPORTANCE DE L'EMPLACEMENT. 6

SPECIFICITE DU QUARTIER 7

TERRES RURBAINES ? 8

L'ORGANISATION POLITIQUE 9

COMMUNAUTE CAMPESINA VERSUS COMMUNAUTE URBAINE ? 9

HISTOIRES DE LA VIZCACHERA 9

LA VIE A LA VTA,'AC'ElEIL, UN CAS PARTICULIER i. MORS » LIMA ?,.... ,,,,, ,... ......... ,. ... .. ..

UNE VIE ENDOGENE? RAPPORT AVEC L' EXTERIEUR. VIE INTERNE 11

De l'élevage au recyclage... de la chancheria au hueco 11

De la lessive au comedor... De l'intendance familiale à la gestion communautaire 13

Et la chancheria 2 17

De l'élevage 17

ORGANISATION DE LA COMMUNAUTE 18

Origine et fonctionnement de la communauté 18

Les noeuds juridiques au sein de la communauté 19

LA REPARTITION / LA RECOMMANDATION / LA PARTICIPATION COMMUNAUTAIRE 20

LES RESEAUX 22

HISTOIRE DU PEUPLEMENT DE LA VIZCACIIERA........ ..................................... ..,...,.. ...... 24

D'UNE COMMUNAUTE D'ELEVEURS DE COCHONS A UNE « INVASION » REGULEE ET CONTROLEE PAR LA

COMMUNAUTE... 24

La fondation et ses fondateurs, des éleveurs 24

Phase Huancayo dans les années 90 (Vicso, Orcotuna --Akko) 26

« El ano pasado se Ileno » - L'explosion de ces dernières années. Les nouveaux arrivés 28

DE LA FORMATION D'UN QUARTIER A L'EXPLOSION LES CHANGEMENTS D'AUJOURD'HUI POUR DEMAIN. LES MOUVEMENTS : NOUVELLES ARRIVEES ET RELOGEMENT 29

LES NIEMOIRE DE LA VIZCACIIERAIlli R ECU D'ARRITvrEE AUX SOUVENIRS EPISODIQUESP

LES SOUVENIRS DE LA VIZCACHERA 32

Souvenirs d'antan... ou les temps mythiques 32

L 'âge d'or de la Vizcachera 32

SOUVENIRS DE L'ARRIVER A LA. VIZCACHERA 34

L'historique subjectif selon le moment de l'arrivée de chacun 34

POURQUOI LA VIZCACHERA 7 37

Buscaba un lote, un terreno (Je cherchais un lot, un terrain) 38

Parcours liméniens 38

Pourquoi la Vizcachera ? 42

Que viennent-ils chercher à travers la casa propia? 43

HISTOIRES DE VIE I

I/ LES LIEUX DE LA MEMOIRE 46

ENTRE PRATIQUES, DISCOURS ET REPRESENTATIONS ... QUELS ESPACES POUR LA MEMOIRE ? 46

TEMOIGNAGES... 48

Chez Cirila et Marcelino... des « antiguos » ou des andahuaylinos. 49

Genobeba... seule dans la montée 54

Milagro et la maison disparue ! 63

Meche loin (et liberée 1?) de la chacra 66

II/ Du SOUVENIR A LA MEMOIRE 70

« L 'épreuve de la mémoire ou la mémoire éprouvée » 70

De l'idéalisation au négativisme, entre discours et discrimination 71

1111 « VAMOS AMI TIERRA » 74

Du discours idéal à la coupure : le non retour 74

Discours et représentation. Transfert de valeurs ? 78

Quelle rupture ? 83

Quelle transmission ? La mémoire par les enfants ou la transmission de la mémoire 84

DE: É,' I I ISTOIRE 1H VIE A LA VIE la SES IIISIO I RES

A/ LA COMMUNAUTE : IDENTITE ET APPARTENANCES 88

1/ DE L'ADAPTATION EN VILLE : IDENTITE ET APPARTENANCE. 88

Les rapports sociaux dans la ville 88

Des étapes d'intégration'? 89

La communauté vers le K nous » 89

Le quartier au pueblo, la communauté dans la ville 90

Vivre en communauté 90

2/ TERRITOIRE ET APPARTENANCES... LES RAPPORTS ENTRE LES HABITANTS 93

Le nouveau tissu social de la communauté 93

Les enfants de migrés (parfois de fondateurs) et "liméniens" 95

Les anciens/les nouveaux : fondateurs versus intégrés 9 97

3/ LA COMMUNAUTE ET LES RAPPORTS SOCIAUX, VERS LES CONFLITS 98

Union/désunion 99

Participation / démission 99

L'association contre la communauté 100

B/ LES TENSIONS, OU L'EXEMPLE DE LA FETE DE LA CROIX OU PROCESSION DANS LA CHANCHERIA 102

LE RAPPORT A LA TERRE COMME VECTEUR DES APPARTENANCES ET REGULATEUR DES RELATIONS SOCIALES 108

Comment se positionne-t-on 7 108

Des positionnements au jugement : la lutte 111

Du conflit aux expectatives 111

CI LES CONFLITS OU LE LIEN A LA TERRE. HISTOIRES DE POSSESSION 113

RAPPORT A LA TERRE ET DEFENSE CONTRE L'INVASION 113

LES RAPPORTS AU SOL : BASE DES RAPPORTS SOCIAUX ? 114

AUTONOMIE ET COFIESION DE LA COMMUNAUTE 114

LE SENS SYMBOLIQUE DE LA TERRE : PROPRIETE ET COMMUNAUTE 115

EVOLUTION ET AVENIR DE LA COMMUNAUTE 116

La Vizcachera --introduction

tri

[.1

De Campos à « La Vizcachera »

Ltint! ?MU i)jcifilet

.111h'.% CS.tifhtlif NifitCoN

liàfiGIS en la ,\7erta
·

Paroles ( un \. ied hacendacIo..

fi

0

J'étais allée plusieurs fois à Campoy --quartier qui se trouve aux confins du district de San Juan de Lurigancho, (district le plus peuplé de la ville, principalement issu des migrations à Lima avec près d'un million d'habitants) dans le Cône Este. Derechef je m'y rendais parce qu'en février, c'était l'époque des carnavals et beaucoup de provinces péruviennes réorganisent cortamontes ou jalapatos3, à la mode de leur communauté, dans Lima. En l'occurrence c'était la fête d'une communauté d'origine andine, de la province de Churcampa dont je revenais !

Campoy fait en quelque sorte figure de « siège » de nombreuses associations de « provincianos »4, un certain nombre de districts ou de provinces du Pérou y ont acheté un « local », à. toit ouvert... probablement en raison du coût moins onéreux des terrains quand le quartier était encore peu habité... (Il y avait encore des champs jusque dans les années 85 grâce à une bonne irrigation). A ce niveau de Campoy, je pensais être au bout. Là où, enfin, on peut voir que la ville s'arrête, pour laisser place au relief...Au loin, on ne voyait plus que des collines arides. Nues. L'habitat semblait s'arrêter en haut de cette grande avenue sans asphalte, pollué par le constant défilé de bus qui l'empruntaient, arrivant à leur terminal, en haut de la rue. Aurait-on imaginé que d'autres lieux de vie existaient encore là-derrière ?

Plus tard, en m'informant sur les différents quartiers de Campoy, j'apprenais l'existence de l'un d'eux, avec des maisons assez récentes, qui vivait en partie du recyclage des déchets. On me donna alors le contact d'une soeur (Francesca), habillée en civile, qui y vivait.

A priori, c'était ce que je pensais chercher : des gens venant surtout de la partie centrale du Pérou (sur laquelle je tentais de me spécialiser !?) en l'occurrence des gens arrivés depuis peu, et notamment primo-arrivants (qui ne soient pas des enfants d'immigrés), même si le quartier ne venait pas de « naître », et avait déjà plus de 25 ans. Francesca travaillait au comedor popular5 et m'emmena voir les femmes qu'elle connaissait par le biais de ce lieu de partage entre femmes, et ainsi de suite.

Extrait d'une nouvelle de Jaune Bailv. auteur péruvien. Lima est un terrible et épouvantable mélange,

Avant. les blancs étaient à Lima et les indiens dans la Sierra »J

2 Lima est divisée en 3 cônes, pour ses parties périphériques (le cône nord, le cône est et le cône sud) ce sont les immigrés qui sont venus peu à peu s'installer aux alentours de la ville, en bordant ses collines, puis en s'éloignant de plus en plus, formant ces « cônes » entre les trop hautes collines

Cortainonte et lalapato sont deux sortes de rituels ludiques, toujours accompagnés de boissons alcoolisées (chicha-boisson fermentée à base de maïs, cadi'', et bière pour les plus aisés...) La finalité étant de désigner, par le jeu, les prochains organisateurs de la fête, les « mmywdomos »

4 On enregistre des centaines d'associations de provinciaux. Elles regroupent des émigrés d'une province ou d'un district du Pérou (les associations régionales --soit départementales, étant plus aisée et ayant leur siège dans les quartiers centraux...) et organisent surtout les fêtes du lieu (carnavals, fêtes patronales, fêtes coutumières, rencontres sportives (foot), etc.)

5 Cantine populaire. organisation de base, féminine et communautaire. présente dans de nombreux quartiers. C'est à partir d'elle que naît une certaine cohésion et organisation, et elle permet

J

1

« Buenos dias hermanita6 »

C'est ainsi que quelques-unes m'appelèrent « hermanita7 », par analogie avec la soeur, puisque, de surcroît, nous étions du même pays. Cette connotation quelque peu affective, permettait de pas entrer dans des relations trop instrumentalisées (j'ai vite renoncé à expliquer que je n'étais pas soeur, là n'était finalement pas la raison de cette appellation...), les autres s'en tinrent à « setiorita », et pour les plus vaillantes, à prononcer mon prénom ! Cette drôle d'appellation8, malgré une présentation en tant qu' « étudiante en anthropologie, française, faisant une investigation sur les migrations et les origines des gens venus à Lima », me permettait peut-être de gagner plus vite la confiance des gens, parce qu'il y avait un certain rapprochement avec quelqu'un de connu et apprécié faisant union avec les femmes, une sorte de recommandation, comme elle fonctionne si bien au Pérou.

Peut-être mes rencontres, dans un premier temps, dépendraient de cette approche et, on pouvait le croire, se feraient avec (et de manière exclusive) la communauté chrétienne (communauté parmi d'autres --évangélique, paysanne, association d'acheteurs...certaines pouvant s'enchevêtrer, s'allier ; d'autres, en plein affront... !) Ce ne ffit pas le cas et peu à peu, on me commentait des problèmes latents qui semblaient être le centre de leur préoccupation ; j'entrais alors dans un jeu de conflits et d'alliances qui paraissait presque sournois, aux débuts, mais me révéla le lien fondamental qui influençait les rapports sociaux...

C'est à travers de ce que j'ai pu voir, mais surtout échanger, et donc à partir des propos des
gens, que je comprendrais les rouages qui font et défont la Vizcachera. Discours qui sont
autant de manières de dépeindre leur réalité et celle des autres, et de livrer un regard
rétrospectif sur leur vie, de commenter le quotidien empli d'espoirs et de questions
prospectives sur la communauté. Il n'est pourtant pas aisé de prendre en compte ces dires, en
cela qu'ils paraissent parfois se contredire (regards qui évoluent au fil des entretiens ?)
Adaptation de l'image que l'on veut montrer. Des rencontres, parfois, trop succinctes... Mais
c'est dans ces discours, aux

apparences paradoxales, que

demeuraient peut-être les

représentations et manières de se dire, selon l'intérêt de la situation et l'interlocuteur qui se trouve en face, discours à l'aune de la confiance qui peut naître et, a fortiori, du temps qui passe...

« Petite soeur ». littéralement

s J'étais, selon le cas, lors de mes rencontres au Pérou. serwrita, « gringuita « vecina » (voisine). et, heureusement « amiga » (amie)

L'arrivée à la Vizcachera

C'est donc après bien des détours (finalement pas si inopportuns) que je suis arrivée à la Vizcachera. J'ai été séduite par cet endroit presque invisible, flanqué derrière les collines qui entourent Campoy Chemin faisant, je suis aussitôt saisie : le « cobrador9 » de la « combi » de l'une des seules lignes qui vont au-delà du terminal des bus (au fin fond de Campoy) pour monter s'aventurer à la Vizcachera, m'exonère des 50 centimes (de Sol- la monnaie) qui lui sont dus ! Quel accueil : ne pas faire payer à une « gringall »!! (Peu de gens y montent --ils, à mon instar ? Ce monde serait-il régi par d'autres codes ?!...) Ce sera d'ailleurs la seule fois que cela arrivera... un signe de bienvenue ?

En bas : le quartier de Campoy et sa longue avenue qui mène à l'entrée de la Vizcachera. Sur la droite, se déploie à travers les collines la porcherie, qui a fait naître le quartier

En allant vers la gauche, on en sort pour aller vers les habitations qui vinrent jouxter la porcherie

La route qui s'introduit dans les collines terreuses de la porcherie croise celle qui mène à la partie habitée, fondée après. Nous sommes à l'Est de Lima, dans la formation des Andes. C'est pour cela qu'il ne s'agit pas, comme dans les quartiers longeant le littoral, de dunes de sable.

9 « Cobrador » je n'ai pas vraiment de traduction. C'est « celui qui fait payer ». Mais c'est surtout un sacré roersonnage dans la folie des transports au Pérou I

Dans la hiérarchie des «bus c'est le plus petit (et inconfortable I) et souvent le plus informel.

A la base, les « gringos » sont les nord-américains... mais l'amalgame du fait de la couleur de peau (et sûrement du côté « occidental » et nanti) inclut désormais tous les «blancs », européens comme nord-américain. On peut d'ailleurs appeler quelqu'un de la sorte (au même titre que « ehino » (chinois), « gordo » (gros), etc.) sans que ce soit (trop !) insultant, en y ajoutant le diminutif --ito : gringuito/a....

A1-4 11;:o1:1,Li 1"(In

(1)r1 po.r4:1-1,-...1-3)4 11%

I,ors de la montée, on s'arrêtera en chemin afin d'emprunter la « bretelle » conduisant dans la soue si l'on veut s'y rendre. A la fin de l'ascension, on arrive sur un grand plateau... des habitations sont dispatchées sur différents flancs, et sur la pampa qui s'étend jusqu'à donner, à l'autre bout, sur une autre vallée que l'on entraperçoit... Qui aurait soupçonné l'existence d'habitants derrière les collines...

Où sommes nous ? La frontière de « Lima Metropolitana » est franchie, il s'agit déjà de la province de Huarochiri qui se trouve à la sortie, fond de toile verdoyant grâce à ses cours d'eau qui alimentent la vallée encore un peu agricole et, notamment, « Campo Fé », un des cimetières les plus grands et luxueux (les plus grands espaces verts de Lima seraient-ils ces cimetières ?!) : c'est un peu le poumon de ce quartier ce quartier des plus arides, sans eau.

1 L

ri

n

n

Un mur sépare la Vizcachera de cette vallée ; la séparation physique et sociale entre les riches et les pauvres ? Mais avant ce mur se trouve le « hueco 12 » qui reçoit les déchets (de construction - précisions-le) de toute la ville. La population se réjouit de recevoir l'air pur venu de ces aires verdoyantes (en sautant le hueco, probablement contaminé ...

On peut y voir des gens affairés au tri...

1.

- a .."-lea . ' .l. -
· "...:-

. :,.... .
· . "....y. ri,i;
7-7, . . e). . ..

11;
· le .11ker, eV r i .. e

_,-.. _ .1.-- ::11'..... . -
·.::'..

:: : --
·'1. .. ,

Iiii..
· - ...
·

. - ii- ... - .-1- - '.--.-- F----
·--

Les arbres ne font pas partie du quartier...

.
·::t.71..
·

De l'autre côté du trou....on peut


·

. .
·
· ! '
·! .
·
·

voir le remplissage qui s'y opère... On fond, le long, entre cerro et hueco, quelques habitations...Certains viennent d'en bas, dans le trou, mais le

· ,..
·
·%
· ..
·

%-",.
·
·
·
·
·'

.
· .

remplissage faisant, ils ont du

remonter la pente...

J

12 « El hueco » : le trou, ancienne mine de sable. Au fond du quartier, bordé par des habitations, qui recule peu à peu car on l'utilise comme réceptacle lucratif des déchets de construction....

Les habitations. Construction. Importance de l'emplacement.

Loin s'en faut, la Vizcachera n'est plus une porcherie. Quoique. Son développement est assez sui generis, puisqu'il s'est déroulé par phases et n'a pas commencé de la même façon que dans d'autres quartiers. Pour les étrangers, mais surtout pour les voisins d'en bas, de Campoy, elle était et reste encore une porcherie, parfois vilipendée par les autres... Il semble planer entre ces deux quartiers de vieilles réprimandes, jamais vraiment oubliées... d'où les quelques railleries qui pourraient s'ouïr...

Ceux d'en haut (« de los cerros », « los de arriba »)13 sont toujours les plus maudits...Même à l'intérieur de la Vizcachera, je suis sûre que l'on note cette différence entre los de arriba (flanqués sur les cerros) et los de abajo, sur la pampa...(rien qu'en raison de l'emplacement des anciens --«en bas», sur la pampa, par rapport aux nouveaux --«en haut», dans les cerros...1 ça doit aussi avoir une connotation sociale...).Ces différenciations existent dans la sierra, entre les gens de la Puna14, et ceux de la vallée...Se retrouvent-t-elles d'une forme ou d'une autre dans les rapports entre les gens dans le quartier ? Ou seulement dans la configuration physique des quartiers (ceux des cerros...) ? Venir à Lima n'est il pas un moyen d'en effacer certaines pour en reconstituer d'autres, selon les rapports dans la ville ?

Mais là n'est pas encore la question. Ce qui nous intéresse présentement, ce sont les habitations. Des terres, vierges... Des hommes y ont amené les cochons. La soue a appelé les hommes à vivre et à poser leur maison. La communauté ainsi fondée, a ramené encore des hommes. Et leurs amis et leurs familles... et d'autres bétails... Beaucoup sont venu bâtir. Puis d'autres ont suivis, se passant le mot, à la famille surtout, mais aussi aux amis, aux proches...

Généralement, la première installation sur un terrain se fait avec le matériau de base (les esteras), très peu onéreux, pour pouvoir loger sur les lieux dès qu'on en dispose. Puis les économies viendront, on renforcera les murs de la masure avec des plastiques, des cartons ; on trouvera des morceaux de bois pour consolider tel endroit, ou prolonger la pièce... On mettra un toit de tôle... Puis viendront les sous sous...Et nous passerons les galons... un mur en bois, d'autres parois... Il s'agit presque pour tous d'une autoconstruction, aidée de quelque amis ou parents... On voit souvent dans la cour des gens, ou devant chez eux, dans la rue, un tas de brique, que l'on entasse peu à peu jusqu'à obtenir la quantité nécessaire... Un jour viendra le temps de « /evantar » (lever)... Celui de la faire monter, depuis la terre, cette demeure ! Avec du noble matériel (« material noble » Sic.), la brique. Le dur. Le fixe... Quand celui de la techada viendra, ô nous festoierons...Le fait de poser le toit est l'étape ultime dans la structure d'une maison. Elle est aussi la plus symboliquement importante. Le toit qui protège. Ce toit qui est nôtre. L'accomplissement, après des années de sacrifices pour réunir tant d'argent... La techa casai.' dans la Sierra est un moment primordial, accompagné de longues festivités, bien arrosées.... A Lima, l'importance de cette étape dans la maison mais aussi dans la vie est saillante Il s'agit sûrement d'un accomplissement, encore plus grand lorsqu'il va de pair avec la conquête de terres étrangères et l'acquisition d'un lieu dans un territoire nouveau devenu commun.

Aussi à la Vizcachera : on voit toute sorte de maison. Elle ne ressemble pas à une invasion où
tout a été envahi en même temps, et habité d'esteras un certains temps. Elle ne ressemble pas

13 Jose Luis Arguedas. El zorro de arriba y el zorro de abajo.

14 La puna est la partie andine qu se trouve au-delà des 4000m d'altitude et dédie à l'élevage principalement...

15 Techa-casa ou "Sala casa" ou "wasi qatay", en quechua de wasi : maison, qatay couvrir

à l'évolution d'autre district car elle s'est peuplée par phase. Bien qu'ancien, le quartier est loin d'être consolidé. Bien que récemment peuplé, il n'a rien d'un quartier fraîchement sorti de terre... De l' esteras à la brique enduite et peinte. Du « une pièce » à la grande maison mastoc. Ces dernières sont cependant éparses... mais elles existent ci et là... Ailleurs ce sont des « cabanes » avec leurs latrines un peu plus hautes perchées...

Bien que l'évolution des uns et des autres soient différentes, on peut noter l'ancienneté de certaines demeures ou du non avancement d'autres, qui sont toujours faites de matériaux premiers...Une grande disparité, donc, entre des maisons voisines...Disparité dans les moments d'arrivée mais aussi socio-économiques...

Etapes de l'évolution d'une maison.

Esteras, bois, matériel noble...

L'eau. Les bidons. Les seaux... (Maison en bois ou contre plaqué -- comme 2)

 
 

Spécificité du quartier

Mais ce n'est pas en cela que ce quartier est si atypique et à la fois si caractéristique du phénomène d'installation de migrants.

En le comparant à d'autres quartiers de Lima, on peut bien sûr faire beaucoup de recoupements qui sont autant de phénomènes intéressants de la migration et de l'installation en ville. Mais des divergences sont prégnantes du fait de son caractère « hors les murs » c'est- à-dire « campesino » et non pas citadin, a priori.

Il s'agit donc d'une migration en milieu urbain qui s'est inspirée du système -aujourd'hui
bancal dans le dit contexte-- de la communauté paysanne, avec ses schémas d'organisation,
d'occupation et de répartition des sols. Elle concerne, pour la majorité, des gens venus des

Andes (donc provenant de diverses communautés, paysannes en général) mais dont l'installation --provisoire au départ-- directement au coeur de la ville a pu durer quelques années. En effet, le premier endroit où l'on s'établit est souvent fonction de celui de « réseau » qui a permis l'arrivée : proches, familles, connaissances...et cetera.

Comment la rencontre de tous ces profils peut former une sorte de tout, une appartenance propre, en même temps en même temps qu'il forme un maillage de conflits et d'intérêts divergents, vers une évolution de plus en plus urbaine du quartier...

Terres rurbaines ?

"Aqui es coma en la Sierra" - Ici c'est comme dans la Sierra...

DLA VCACHERAG DISTer0 SAN deIZm) PE (M'UA !OOMO LIMA

1111,`,.

CiferS

DE J1CAMARCA

âNEXr COMIMAL 3.02

171E4P0 E! 4 te JUIN 1982-REGISTRA00 EL lellFRUCTO EN EL
·ASIENTO-13-

FAMS-531- TOM011"1-0EL neleSTRO DE PROPIelit 6.0E. JUNIO DE I986

,

_ .zra`?,

Tout a commencé avec la chancheria ou le développement de l'élevage porcin

La Vizcachera a déjà plus de 25 ans d'existence. C'est une sorte de composition au gré des arrivées. Tout a commencé par une porcherie, on le sait. C'est ainsi qu'aurait été fondée la communauté par « los fundadores » (les fondateurs). Et, peu à peu, les lieux se sont peuplés. Certains sont là depuis les débuts de la porcherie (los antiguos), et se sont organisés pour que la «chancheria» devienne un lieu de vie, avec les services nécessaires à la vie d'un lieu devenu quartier, et non plus un endroit lié à la seule activité d'élevage. Puis le nombre de pobladores16 a augmenté dans les années 90, notamment lorsque le président [de la communauté] d'alors a fait venir ses paisanos (compatriote de la région) de

16 Pobladores, ce sont ceux qui peuplent. Les «peupleurs »...En d'autres termes les habitants !

Huancayo...Enfin, il semblerait que le nombre de pobladores en quête de terrain ait été en augmentation ces 2 dernières années.

L'organisation politique

Elle appartient, par sa seule paroisse, au quartier qui lui fait frontière et par où il faut passer pour s'y rendre (Cainpoy), et parait intégrer le district de San Juan de Lurigancho. Mais elle appartient administrativement à la « Comunidad campesina de Jicamarca », dont elle est l'annexe 217, et dont « la » se situe, paradoxalement, loin de la ville, dans les hauteurs du département de Lima, "en la Pitual9 ". Elle est le centre des décisions malgré la distance et surtout le fait qu'il n'y résident de manière permanente, pas plus de 2 familles (sur 32 maisons 11). Cette incongruité a bien l'air d'être un poids pour la « Junta Directiva » (assemblée directive) de la Vizcachera... « Como falta agua, van a Lima » (comme ils [leur] manquent l'eau, ils vont [migrent] à Lima), explique Feliciano, le président de la Junta Directiva...

Communauté campesina versus communauté urbaine ?

A priori, la Vizcachera n'est pas une communauté urbaine, bien qu'elle soit peuplée de migrants venus s'installer à la capitale. Elle n'appartient plus à la capitale, bien qu'elle semble aspirer au même genre de développement et d'intégration (quoique.) que ses autres quartiers, et qu'elle lui soit reliée pour tout (échanges, transports, travail, marchés, etc....).

C'est une communauté paysanne, avec son système d'organisation de comunidad campesina (communauté paysanne) et d'usufruit de la terre lui appartenant. Mais c'est un système en conflit interne avec un désir de propriété chez certains. C'est une communauté paysanne bien que l'on n'y cultive rien, et que l'élevage de porc ne soit pas le lot de tous mais de quelques anciens membres de la communauté --« los antiguos », quelques récents habitants et quelques liméniens (qui ne s'y rendent que pour entretenir leurs cochons.

Histoires de la Vizcachera

C'est à travers les récits des uns et des autres que je tenterai de tracer l'histoire de ce quartier, faite de tant d' « histoires », dans lesquelles j'ai été plongée, presque immiscée...

I Plusieurs annexes se situent également (d'après la représentation que j'aiTive à en avoir) aux confins du district liménien de San Juan de Lurigancho, dans les collines qui le bordent, et sont bien plus liés avec le district voisin qu'avec cette matrice !...

te La matrice, soit la « communauté-mère », celle qui en est le « chef lieu »...

1') Elle se situe clans le début des _Andes. mais cette formation andine montent très vite jusqu'à plus de 5000m avant de redescendre autour de 3300m d'altitude dans le département de Huancayo... Aussi. la matrice se trouverai non loin de là. vers cette Puna. terme qui revêt une certaine connotation.

C'est le schéma inverse de ce qui se passe dans les Andes. on les annexes, éloignés de la « matrice » se dépeuplent pour venir habiter au Centro PohJcido ou capitale de district... Dans le cas de Jicamarca. c'est une conummatité dont les annexes les plus éloignées et basses se trouvent aux abords de la ville {Lima} et qui donc se développent au détriment du village matrice

Ils viennent d'Apurimac, de Cusco ou de Huancayo. Petits, ils ont quitté Andahuaylas, La Oroya, ou Churcampa parce que la vie ne leur promettait rien... Ils sont venus en masse de Akko parce que l'un d'eux leur a ouvert la voie. Ils ont été chassés d'Ayacucho ou de Huancavelica, le terrorisme a disséminé les leurs et a usurpé tous leurs biens. Ils ont parcouru des terres ou ont traversé la Selva. Un jour, ô quel jour, ils sont arrivés à Lima. Certains sont nés d'émigrés dans un quartier de la ville et ont préféré recommencer ailleurs. Et c'est à la. Vizcachera qu'ils ont trouvé refuge; des terres, des possibilités et une communauté ....

Ils ne vont plus aux champs, mais élèvent des cochons, ou des poules et des canards, et des cuves (cochon d'inde des Andes). Ils n'ont plus de vaches ou de moutons qu'ils doivent emmener pâturer. Ils ont juste à trouver quelques aliments pour les leurs et parfois pour les porcs, car de cette terre rien ne sort.

Ils ont laissé la polleran , et parfois gardé la rnarua22 . Ils ont laissé une maison, et aujourd'hui n'en sont qu'aux fondations. Ils n'ont plus l'aliment, ici tout est argent. Ils ont quitté leurs terres, ou les ont perdues ; aujourd'hui ils en conquièrent de nouvelles. Ils n'attendent plus la pluie qui vient en sa saison, simplement l'eau qui ne coule pas. Ils ne sont plus dans leur communauté d'interconnaissance, avec ses ancêtres, ses lieux, ses rites, mais créent de nouvelles appartenances qu'ils imbriquent dans les réseaux d'hier et de demain...Ils ne sont pas à Lima, juste à quelques pas... Ce sont ces quelques pas qui permettent de créer un "nous" dans un territoire fait leur (ou en voie de le devenir!) sans se faire dévorer par la chaos de la foule urbaine. Un "nous" qui se décompose, se déchire et s'unit au gré des aspirations... Une terre à laquelle on s'attache... ?

Où est la Sierra? Dans leurs rêves, leurs souvenirs, leurs pratiques quotidiennes, leurs inventions de vivre, leur imaginaire... Mais ne l'ont-ils pas quitté cette Sierra de leurs ancêtres en laquelle ils ont perdu la foi, pour aller chercher ailleurs ce qui là-bas ne fonctionnait plus ? N'ont-ils pas choisi de l'oublier en un nouveau vivre ici, pour construire et s'y faire valoir. N'en ont-ils pas gardé ce qui leur rend service, ce qui les fait rêver, ce qui les garde liés...Mais qui sont-ils, des migrants parmi tant d'autres dans la capitale?

Tous n'ont pas choisi. Certains ont été "envoyés" petits. Certains n'ont pas pu revenir. Certains ont tout perdu. Mais certains ont ici réussi... Est-ce une sorte de modèle qui donne cette foi en une vie meilleure ? Est-ce une nouvelle vogue qui circule et s'exacerbe dans les Andes depuis déjà. un certain temps, qui montre un ailleurs possible et préférable, dont on fait sien le désir ? Un bien être dans un ailleurs.

2! Poilera : jupe que porte les femmes dans la Sierra. Très ample, arrivant en genoux. Lorsqu'il fait froid, elle mette en dessous un caleçon long en laine...

22 Alanta : tissu que l'on met sur le dos pour transporter l'enfant, des affaires, ou les deux. On peut aussi l'étaler sur le sol pour poser son étal, sur le marché, par exemple...

La vie à la Vizcachera, un cas particulier « hors » Lima ?

Une vie endogène? Rapport avec l'extérieur. Vie interne De l'élevage au recyclage...de la chancheria au hueco...

Après le passage aux abords de la chancheria, rien de plus surprenant en arrivant à la Vizcachera que ce « hueco », ce trou au fond du quartier, prépondérant, au milieu, entre deux cerros habités... fi s'agit d'une ancienne « mine », d'où l'on venait s'approvisionner en matériau pour la construction. Ce trou démarrait dans la partie donnant sur le mur qui sépare la Vizcachera de la plaine verdoyante et arrivait jusqu'à la partie « pampa » où ont été construits collège, dispensaire et église... Aujourd'hui, il est devenu en partie « relleno », c'est-à-dire « rempli » dans la partie qui a servi de réceptacle aux déchets dits de construction. C'est un bon gagne-pain pour la communauté qui fait payer un droit de dépôt en son trou. Mais c'est aussi une mine d'or à l'assaut des habitants. Répartis dans la pente, hommes, femmes et enfants (et chiens) semblent être à raft t des déchets qu'ils trient et peuvent revendre ou recycler. Des personnes sont également engagées pour contrôler l'entrée des camions qui s'y déversent. Rien ne se perd : tout se recycle ! Il n'est pas rare de voir des plastiques, tels du linge fraîchement lavé, suspendus ci et là, dans la rue ou dans les cours intérieures, ou encore des bouteilles de plastique stockées en arrière cour...

Milagro, lorsqu'elle a fait de sa maison un tas de pierre et de restes, en vue de la re-construire ou simplement de la construire, a amoncelé tous les morceaux de bois au devant : en vente La chasse aux déchets recyclables mise en scène dans toute la ville (chez soi, à Gamarra23, ou dans les poubelles des quartiers plus nantis...) semble exacerbée à la Vizcachera par le biais de ce trou.

 
 

Le relleno se substitue peu à peu au hueco dans l'espace et le verbe. Il est un nouvel espace de vie et de projections pour un futur à bâtir. On s'imagine déjà un parc (l'eau ne saurait

attendre !), d'autres prétendent que l'association compte construire dessus --ce qui n'est topologiquement pas possible Un néophyte qui y passerait ne saurait pas qu'il se trouve sur le relleno. Tout un langage I

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

ents-qui ellen:hem (k(lletS

 
 
 
 
 

23 Gamarra est la grande fabrique de vêtement de Lima. Faute d'être une usine, il s'agit d'un quartier, entièrement spécialisé dans la confection, avec des ateliers pour chaque étapes de fabrication. Activité intense...

Autre détail saillant : les incontournables combis ! Naguère, les bus ne montaient pas à la

Vizcachera : il fallait y monter à pied. Depuis lors, deux lignes se sont prolongées pour en

faire leur terminal (ce qui est, soit dit en passant, l'objet de désaccord quant à la tarification ou 9 autre entre Lima et Huarochiri, me semble- t-il) et leur garage... Certains habitants en sont les propriétaires. Aussi les métiers de chauffeur et de cobrador 'Fane sont assez courants,

r,,,.
·
notamment chez les

jeunes (certains y vont de manière rotative).

De la lessive au comedor...De l'intendance familiale à la gestion communautaire

Les femmes, quant à elles, sont nombreuses à être affairées à la lessive à tout moment de la journée, devant chez elles: la lutte contre le polvo (la poussière du sol, si sec) s'y déploie ! Un quelconque tour de la Vizcachera permettra d'aller à la rencontre des femmes qui lavent le linge, encore que c'est souvent un moment de grande occupation, voir d'indisponibilité pour certaines...

Autant de bassines pour autant d'utilisation et stockage de Peau. La lessive est abondante dans ces procédés...

Le laver du linge est une activité socialement marquée dans la Sierra.

14

Souvent, ces sont souvent les personnes les plus démunies qui lavent le linge des autres. Laver son linge semble être un avilissement : mieux vaut le faire laver. Avoir cette activité comme gagne pain n'a rien de valorisant, au contraire, c'est signe que l'on est au plus bas de l'échelle sociale24. A la Vizcachera, pratiquement toutes les femmes lavent elles-mêmes leur linge. Et si souvent ! Il n'y a une dame que je trouvais toujours devant chez elle en train d'assister méticuleusement sa voisine d'en face qui accomplissait cette tâche pour elle. Celle-ci semblait avoir un certain niveau socio-économique, conservé depuis la Sierra, et l'on voyait bien que la dame qu'elle engageait n'était pas du même rang. Il ne m'est pas agréable de parler en ces termes, mais les rapports sociaux sont prégnants et la classe sociale au Pérou est très ancrée, à travers les rapports de domination et les activités... La fille de Cirila, qui peine à nourrir ses enfants, s'en va toute la journée laver du linge chez les gens, loin de là...Rosa semble être la plus connue pour sa difficile situation de jeune maman seule avec trois très jeunes enfants, sans ressources. Un des labeurs qu'elle réalise occasionnellement est aussi le lavage de vêtements, entre l'abattage de porcs et la préparation du maïs en mote25 pour accompagner les chicharron

Sans aucun doute, le comedor est le lieu des femmes par excellence : nombreuses sont celles qui « en sortent » le repas familial quotidiennement ou très régulièrement. Le fonctionnement, de manière tournante, en fait travailler un certain nombre d'entre elles... C'est tôt le matin que commence l'épluchage des patates de chaque jour ! Cela peut se prolonger aussi l'après- midi : j'ai déjà eu le loisir d'accompagner à l'épluchage de seau entier de fèves chez une dame avec sa belle soeur venue en renfort I D'autres doivent gérer l'intendance, les courses, la direction... Restent les membres sans participation particulière si ce n'est d'y acheter la nourriture cuisinée et de participer aux décisions, lors du vote pour la présidence par exemple...Bien au-delà, le comedor est un lieu de cohésion allant vers d'autres prérogatives : à travers un réseau de femmes qui s'organisent, s'esquisse une interconnaissance intégrante et une relative solidarité, ainsi que la mise en place d'autres événements au sein de la communauté...

Un marché a vu le jour lors de mes pérégrinations à la Vizcachera. Des stands s'installent chaque matin le long d'un mur donnant sur le collège. On y vend des fruits et légumes, de l'épicerie, des plats cuisinés, parfois du poisson, etc. Ce n'est pas le premier qui s'y établit et son fonctionnement semble toujours menacé par des habitudes et rapports particuliers entre les gens. En effet, beaucoup ont l'habitude d'acheter dans telle épicerie, selon la localisation de leur habitat, et en cela qu'elles sont plus « garnies », diraient certains. En outre, comment choisir à qui l'on va acheter, que dira la voisine qui vendait la même chose ?!

Activité interne, elle dépend du fournisseur qui n'est autre que La Parada26 où il faut se rendre tous les jours, aux aurores.. Mais certaines femmes vont y faire leurs courses hebdomadaires (ce qui ne va pas dans le sens d'un essor du marché...). Nombre d'hommes ont un travail à la Parada. On dit même qu'un bus part tous les matins, à 4 heures, de là-haut, faisant le ramassage de tous les travailleurs (une dame qui habite en bas de sa route l'entend chaque jour).

24 Elles deviennent souvent les « borrachitas », petites alcooliques, parce que les mains dans l'eau glaciale tout le temps nécessite un petit réchauffant...

25 Graine de maïs qui accompagne de nombreux plats dans la Sierra...

26 La parada, le Rungis de Lima. Y arrivent quotidiennement tous les fruits et légumes du pays, c'est le

terminal pesquero, bref, un grossiste en tout. Les prix y sont très très bas. Une activité quotidienne démente s'y déploie ; et une odeur sympathique, de ses déchets... C'est d'ailleurs le lieu du désordre absolu tel que le classifie les liméniens.

 

Fraîchement arrivés du terminal pesquero (la parada, aussi)...

C'est l'un des kiosques du marché, les autres s'étendent sur sa droite...

Nous sommes sur la partie pampa de la Vizcachera.

Derrière, un mur de brique encercle le bleu collège....

 

Moins visibles, les ateliers de menuiserie en casa --chez soi, fonctionnent ci et là, certains peinant à obtenir un marché.... ou autres artisans : bois (pour construction de maison), peinture sur verre, etc....

Gamarra, concentration d'ateliers de vêtements et vente en gros est aussi un lieu de travail pour quelques couturiers de la Vizcachera. Il existe aussi quelques ateliers plus ou moins familiaux, dans Campoy par exemple, c'est le cas d'un cordonnier qui fabrique des chaussures pour un parent. . mais le salaire reste très bas...

Enfin, combien ne diront pas qu'ils sont albaiiil (maçon) ou qu'ils travaillent dans la construction... ils attendent alors qu'une connaissance leur passe le mot pour un chantier quelque part, un toit à faire... Dans tous ces lieux, beaucoup de cachuelos (petits boulots) finalement...qui n'ira pas un jour de temps en temps travailler à la Parada, ou venir en renfort quelques temps à un ami... etc. Comme nous le savons, le marché du travail est relativement fictif, il est à la mesure de leurs relations et inventivité....

Et la chancheria ?

Fi

i

Les chanchos rythment la journée de certains habitants. Aller chercher leurs aliments, et -w= surtout les leur porter, parfois même

hmb

leur cuisiner quelque chose...

Augusta en possède trois, mais l'enclos

?

r

se trouve tout au fond de la porcherie, il lui faut 45 minutes de marche pour s'y rendre...elle doit caler ce labeur 1' après- midi, une fois le marché clôturé, et la famille nourrie...Elle les vend au fur et à mesure et en tue parfois pour faire une ehicharronada (activité où l'on vend de le porc cuisiné). En revenant, elle aura peut-être encore « un peu » de lessive à faire, ou devra aller gérer l'intendance du comedor (faute de préparer des aliments, elle s'occupe de préparer les menus, etc...) ou se rendra à une réunion à l'association du collège... Et, 41 r avant l'aube, elle s'en ira faire ses
·

emplettes à la Parada pour garnir son

,

-MI

à

-14

UL,

 

iii!

 
 

petit stand de fruits et légumes. En dépit de toutes ses activités, et du travail de son mari comme aide cordonnier dans un atelier à Campoy (si toutefois la demande exige travail : parfois, il n'y a rien I) de dire, en montrant sa maison, qu'elle ne voudrait pas vivre dans ça mais, pour « levantar » son logis avec du matériel noble, ce n'est pas suffisant. Ils ont dû faire un sacrifice pour obtenir le terrain, quoiqu'ils soient en dette envers la communauté : ils n'ont pas encore pu payer la totalité des « frais » dus pour en avoir l'usufruit : « C'est juste pour pouvoir manger... ».

C'est aussi un va-et-vient de gens venant de l'extérieur, qui s'arrêtent à l'entrée de la chancheria avec de grands seaux...

LI

u

De l'élevage...

A la Vizcachera, comme dans la majeure partie des nouveaux quartiers de Lima, l'élevage est partout de rigueur... Derrière les maisons, sur les flancs de collines, des petits enclos abritent des canards, des lapins, ou dans la cour de la maison courent. poules

 
 

et poulets...Parfois même, dans les demeures, de petits élevages de cochons d'Inde, animal très prisé dans les Andes. On peut parfois voir d'autres bêtes se promener... Comme ici, ce mouton devant une maison...

Même à la ville, il est bon de pouvoir élever ses petits animaux...

Une vie endogène semble se développer à la Vizcachera, notamment par l'organisation des femmes, par le comedor et par les activités qui se développent en interne. Certains sortent manifestement très peu du quartier.

Néanmoins, beaucoup de choses ne sont pas encore prêtes à y fonctionner ; diverses expériences ont été tentées mais ont échoué...Une femme me commentait tous les non avancements de la Vizcachera....

« Ici, le commerce est 171011... regarde, il y a eu une polleria [restaurant où l'on mange chi poule] et elle a *fermer... Rosa

Le quartier, le pueblo --à vrai dire comment devrions-nous le qualifier ? Les jeunes qui traînent toujours à un coin de rue l'appellent barriada, terme assez réducteur... En fait que dire d'autre que la Vizcachera... ?! La Vizcachera est très liée avec Campoy, son voisin, et Zarate, la zone urbanisée, avec ses commerces, son marché. Certains vont y chercher les restes de restaurant ou de marché pour nourrir les chanchos. Enfin, la parada semble être le point le plus éloigné où les gens se rendent très régulièrement.

Organisation de la communauté

D'après le président actuel de la comunidad campesina, Feliciano, d'Ayacucho...

Nous nous retrouvons au local communal, dont il a oublié les clés. Nous allons donc en face, dans une quelconque guinguette l'on nous laisse nous installer volontiers sur de grandes tables de cantine, avec quelques mouches pour compagnie. Alors que je m'apprête à partir, il m'invite à y boire l'incontournable Inca Kola27, pour discuter un moment de plus. Mon intérêt pour son quartier l'a peut être interpellé... D'ailleurs, mes questions quant à l'organisation, au fonctionnement du quartier et aux lois qui s'y rapportent lui font penser que je suis étudiante en droit... Ce sont pourtant des éléments dont on entend beaucoup parler par les gens, sans jamais précisément comprendre.

Origine et fonctionnement de la communauté

La communauté a été créée en 82, ou 83, bien qu'il y eut une présence due aux porcs depuis 75. Les premiers habitants (fundadore.$) avait prévu d'utiliser cet espace pour leurs enfants et petits-enfants. Or, des gens sont venus de l'extérieur, comme lui même, C'est pour cela que l'on parle de comuneros integrados ("nosotros! "), à la différence des comuneros natos28 (comuneros de plein droit) et de leurs enfants (132 comuneros seulement). Sur les terres de la Vizcachera, les gens en ont l'usufruit --possession des terres attribuées par la communauté, pour un temps indéfini (c'est pour cette raison qu'il y a une forme d'héritage, par la transmission des terres de génération en génération).

La boisson nationale! Gazeuse, .jaune flua. au gofit chimique... mais on finit par l'apprécier...

Ils possèdent des terrains plus grands (400m2). et d'autres. de 200m2 destinés aux enfants. Tandis que les habitants, aujourd'hui ne jouissent que de II0m2

"Nous, nous sommes l'annexe de la province". Or la loi qui incombe à ces annexes leur reconnaît l'autonomie mais ne leur permet pas de s'inscrire dans les registres publiques (je ne comprends pas très bien, mais il me semble que c'est pour faire reconnaître la propriété et en user pour se défendre). En effet, le problème, c'est qu'ils n'ont pas, et ne peuvent avoir, de "personne juridique", la matrice en ayant l'exclusivité...Cela pose problème pour les titres de propriété (Ils semblent donc vouloir la propriété en se rendant plus autonome et maître de celle-ci). "Nous voulons une loi pour que les annexes aient leur registre". Et de voir ça

ry directement avec les congressistes.

Les noeuds juridiques au sein de la communauté

Il me parle naturellement des problèmes inhérents à la communauté, dus au "litige" qui y a eu lieu. C'est se trouve le terrain des revendications. Les dirigeants (d'ici ou de la matrice? Ou d'un compromis des deux...) ont vendu toutes les terres de la communauté, pour une somme dérisoire29, à l'époque où une nouvelle loi, concernant les terres communales de la Costa30, a été adoptée (en 97, semble-t-il...). Celle-ci autorisait à vendre les terres agricoles et d'élevage à condition qu'elle garde cette même finalité. Or, les terres de la Vizcachera ne sont aucunement cultivées (ni cultivables!) et seulement une partie est destinée à l'élevage. C'est pour cette raison qu'il y a litige: ils n'étaient pas en leur droit et ont abusé de cette loi : "cela ne convient pas ! ". Et d'ajouter que la proximité à Lima fait entrer dans les problèmes de trafics de terres, si précieuses...Il y a eu 84 achats-ventes et "pas le moindre sous pour la communauté!"

L'entreprise qui a acheté les terres, ne représenterait que 5 personnes. Mais, alléchées par les promesses émancipatoires, certaines personnes "se sont identifiées31" (une trentaine), cette aubaine promettant le titre de propriété à des gens qui n'en ont que la possession.

A cela s'ajoute le problème, primordial, de l'eau. Ils sont en "pelea" (combat/ dispute) avec la firme distributrice, Cedapal, "pour un problème de juridiction". Et les problèmes de l'eau: "a cuantas cosas nos exponen" (à combien de problèmes ils nous exposent...). Selon lui, les problèmes avec l'entreprise acheteuse sont surpassés pour ce qui est de l'installation de l'eau32. Les habitants, quant à eux, insistent encore sur la responsabilité de "l'association" -- nom du collectif qui a opté pour la propriété, aux cotés de l'entreprise-- qui empêche le développement du quartier.

Il en sait long sur les procédés juridiques et les façons d'administrer. Heureusement! Serions- nous tenté de dire, à en voir toutes les démarches qu'il doit mener pour régulariser la situation, l'actualiser, la faire avancer et régler les problèmes judiciaires auxquels il doit faire face pour le procès qui oppose la communauté et l'association...

En tant que dirigeant, il se sent politiquement très impliqué et espère pouvoir avancer dans ce monde dans lequel on ne peut rien faire si l'on arrive pas à un niveau donné.

29 10 000 soles, ce qui équivaut à moins de 20 000 francs.

30 Il faut savoir que les lois relatives à la propriété et aux droits sur la terre sont différentes sur la Costa et dans la Sierra.

31 Ce qui veut dire qu'elles se sont appropriées l'idée et en ont fait une cohésion, en se ralliant au groupe.

32 Le tank a été monté par les habitants (lors de faenas, ou travaux communaux). Reste l'accord de Cedapal pour distribuer l'eau et le financement, mais celui-ci aurait déjà été déposé par la princesse de Suède. Comme dirait le dirigeant, pour se justifier : "l'aide social est plus facile de l'extérieur quand on est une communauté paysanne"

"La loi ne s'applique pas !"

« On dirait qu'elle est faite pour la corruption et que tout le capital part dans les formalités et la bureaucratie. Ici, la loi ne correspond pas aux faits ; en Suède au moins, ils partent des faits pour élaborer une loi. Le président du pays n'a pas réussi ce qu'il a promis, même s'il est cholo comme moi!"

La répartition / la recommandation / la participation communautaire « Compre un terreno » ('l'ai acheté un terrain)

Pour être accepté en tant que comuneros dans la communauté, il faut présenter une requête pour prétendre obtenir l'usufruit d'un terrain, moyennant un « achat » de la parcelle, même s'il ne s'agit pas d'un achat à proprement parler... Plutôt qu'un achat, il s'agit d'un montant à verser à la communauté pour les frais administratifs....Alors qu'il était assez insignifiant dans les premiers temps, il augmente notablement depuis quelques années.

C'est d'ailleurs souvent, aux dires des habitants, une des raisons de leur venue ici le fait qu'il y avait des terrains disponibles certes, mais surtout accessibles, en terme de coût I! (Même si certains sont encore en dette vis-à-vis de la communauté...) Cette somme semble « modique » au regard du prix en vigueur des terrains à Lima. Même si, très souvent, les terrains de Lima sont l'objet d'un « trafic de terrain » en raison de leur acquisition informelle (invasion, par exemple) faite à dessein, suivie d'une revente (bien qu'il n'y ait jamais eu d'achat !), alors qu'il n'y a ni titres ni même propriété... Même en ces cas, le coût peut être relativement important, sans aucune sécurité une fois la passation., .

Tandis qu'à la Vizcachera, les terres font l'objet d'une certaine protection : la communauté campesina est le seul « propriétaire » (ou plutôt sa matrice !!) ; ses terres sont, de droit, inaliénables...Cela protège outre mesure l'usufruit qu'en ont les habitants, bien que la première expectative ne semble pas être la lutte pour la reconnaissance de la propriété, et l'acquisition de titres qui l'accompagne, comme on peut le voir partout !

De même, il ne devrait pas y avoir, à l'instar de nombre de quartiers de Lima, de discorde quant à la propriété ou de propriétaires multiples qui réclament leur bien, preuve d'achat- vente des plus informelles à l'appui33...

--> Mais c'est là que nous touchons à tout le dilemme du quartier... Cette même quête de terrain que l'on retrouve chez les migrants, mais ici, une propriété communautaire accessible et, a priori, sure...Cet acharnement pour la défendre, mais en ce cas contre les acheteurs sournois et les envahisseurs à l'affût, par le biais de cette appartenance commune...Mais, à moyen terme, ne cachent-ils pas les mêmes aspirations vers la propriété privée, allant de soi dans la réussite à la ville, permettant un essor économique plus fondé...Et d'entrer dans les jeux de revente et de possessions multiples ? Les désirs semblent variés et tacites entre des discours sur le communautaire et des aspirations personnelles...

33 Très souvent, sur un même territoire, de multiples « propriétaires » potentiel se disputent la véracité de celle

possession par des preuves d'achat en général assez informelle...

« Hernos luchado para esta tierra » (nous avons lutté pour cette terre)

Force est de constater que la Vizcachera n'a pas été protégée des trafics de terres en vigueur ci et là... et que la conquête du terrain, comme ailleurs, est l'objectif numéro un ; de la même manière que le défendre personnellement et communautairement va de soi. Au-delà, le rapport à la terre semble être le vecteur des appartenances et des rapports sociaux. Cela n'est pas exclusif à la Vizcachera, mais se manifeste dans d'autres quartiers de Lima, en fonction du mode d'acquisition du sol d'un groupe et du statut dont il jouit par rapport à celui-ci...Je développerai cela par la suite, un chapitre mérite d'y être consacré...

Pour en revenir à nos cochons, toute personne désirant résider à la Vizcachera est tenue de se présenter au dirigeant (après l'avoir longuement cherché...diraient certains!), une enquête sera faite pour s'assurer de la bonne foi de la personne: elle ne doit pas posséder de terrain ailleurs. On n'octroie pas un terrain à quelqu'un qui n'en a pas « besoin » dans le sens d'y vivre vraiment, avec sa famille --et pas d'en faire un négoce, ou une résidence secondaire, a priori... ( il y a quand même des habitations dont le "propriétaire" est peu présent... Des cas un peu farfelu, comme le montre cette maison nommée "el rancho" par son possesseur, habitants Campoy : "il vient le week-end" !)

L'investigation concerne aussi ses antécédents pénaux, à savoir s'il s'agit d'une personne « de mal vivir » (de mauvaise vie), parce qu'il faut que se soit « gente sana » (des gens sains). C'est d'ailleurs de cela que se vanteront certains habitants à propos de la population de leur quartier : « au moins ce sont des gens sains » à la différence de tant d'autres quartiers malfamés, alors... (on parle souvent de la délinquance à Lima...) Si tout est OK, et que la personne accepte ses devoirs au sein de la communauté, elle sera donc reconnue comme membre et recevra sa petite parcelle, ses 90 ou 100 m2, et libre à elle de construire sa maison comme elle l'entend, et comme elle le peut, sur les versants...

« C'était les parents... et les gens recommandés »

Autant dire que la recommandation joue un rôle charnière pour l'intégration de nouveaux comuneros dans la communauté. Chez les gens des Andes, la recommandation et le système en réseau montre l'importance de la parole et de la confiance qu'on lui attribue. L'un des codes culturels les plus facilement repérables est celui qui concerne l'organisation et la structure familiales. Recommander fonctionne à double sens... on peut recommander quelqu'un ou lui «passer Pie)» (pasar la voz)...

Dans une société où les codes sont informels, les règles adaptables, et où la précarité règne, ce sont les réseaux qui fonctionnent, les rapports, les relations...C'est la parole qui compte, la recommandation de quelqu'un à quelqu'un

Les réseaux

Différents réseaux s'enchevêtrent pour jouer ces rôles de « passage d'info » et de recommandation...D'abord le familial proche, puis éloigné, ensuite le réseau «origine culturelle», parfois professionnel, puis de voisinage. Mais celui de la famille semble être le plus important. De nouveaux peuvent se former peu à peu. C'est souvent, pour ne pas dire toujours, de cette manière que la Vizcachera s'est peuplée...

«Un schéma34 explicatif: un migrant s'installe à Lima, prépare l'arrivée d'un ou deux frères, puis d'une cousine, puis d'un voisin, puis d'un compadre quelconque venu étudier.»

Ces réseaux semblent montrer combien la solidarité est de rigueur entre les gens, dans des espaces d'appartenances (réseaux) et de vie commune. Elle est une condition indispensable de l'existence des habitants dans un nouvel environnement. Et elle fonctionne, même s'il existent des tensions, ces dernières renforcent la solidarité entre le gens du même «camp».

Comment savoir s'il s'agit de gens «sains» s'ils ne sont pas recommandés par d'autres? D'ailleurs, cela commence par la manière dont on est informé des possibilités en un lieu: c'est toujours par quelqu'un de connu qui a «passé la vo>... Autant de réseaux qui fonctionnent et se donnent à voir, a posteriori, à travers les liens entre les habitants. A commencer par le lien familial: d'aucun dira qu'il a un frère, un cousin.. ou quelqu'un de sa famille qui habite aussi là! Si ce n'est pas la sienne, alors c'est celle du conjoint...

Des liens familiaux...Une famille tout entière vient de la Choya (ville minière du département de Huancayo), les grands parents, quelques uns de leurs enfants (3/4) et la fille de l'une d'elle avec son mari et ses enfants. Chacun ayant bien sûr sa propre maison, même si elles ont toutes attenantes!

Maisons d' n'il', famine aargie de la ratoya.'

_free

01.1 !a maison

, éfl +,:.0111inisikm, on. UTiiivera

nra,.-...;,..11 de mariée à un frère de I.,enaïda. etc.

34 Christophe MARTIN. Ibid.


·

Le père de Zenaïda (veuf) venu de la Sierra après ses enfants, devant chez lui, non loin de là. (on peut noter que sa maison est encore faite d'esteras")

Consuelo est la dernière de sa famille à être arrivée à la Vizcachera, il y a environ 8 ans... Sept de ses frères et soeurs vivent ici, ainsi que sa maman. Ils viennent de El Agustino et se sont tous transférés par ici («il y avait beaucoup de pandilleros35, des gens de mauvais vie »). Et même: sa mère avait une casa propia al Agustino mais l'a vendue pour aller dans un endroit plus tranquille...Elle vient de la Sierra, de Huancavelica* --alors que Consuelo, sa fille (ainsi que tous ses enfants) est née à Lima; elle a donc vécu dans des endroits différents, mais comme pour beaucoup de migration assez ancienne, elle a eu sa casa à El Agustino.

(*Consuelo dira d'abord Huancayo... sans trop oser parler du réel département de sa maman... sentiment de honte par le simple fait de prononcer le mot de la région la plus connotée péjorativement ?)

Des liens géographiques, ou plutôt la cohésion d'un même lieu d'origine, sont patents. Certes, nombreux sont ceux qui viennent de la zone centrale/ centre-sud du Pérou, mais toute une "horde" venant du même district du département de Huancayo, c'est éloquent! En effet, il existe tout un groupe, venu au fur et à mesure mais à peu près au même moment, de gens venant d'un même district de la Sierra... (voir plus loin)

Il s'agit maintenant de retracer le peuplement de la Vizcachera et comment il s'est fait.

35 Les pandillas sont des bandes de jeunes et les pandilleros, ses membres, délinquants, qui défendent également leur territoire à l'intérieur d'un quartier. Cela peut entraîner de véritable affrontement entre pane/lila ...

Histoire du peuplement de la Vizeachera

D'une communauté d'éleveurs de cochons à une « invasion » régulée et contrôlée Dar la communauté...

"Vizcacha": du quechua wiskacha, rongeurs des punas...

ou lièvre des pampas...

Comment comprendre l'histoire de la Vizcachera si ce n'est par les discours des uns et des autres... Comment comprendre les accrochages entre les groupes si ce n'est en écoutant les changements qui ont marqué la vie à la Vizcachera... Comment remonter le passé, si ce n'est en évoquant les souvenirs contés par leurs protagonistes.

Je ne dispose pas de données formelles ni d'archives sur le quartier. Ce que je peux relater, provient de ce que les gens m'ont conté. A travers leurs récits, on peut détacher quelques phases ou étapes de l'évolution du quartier, depuis le moment, presque sublimé, de la fondation.

La fondation et ses fondateurs, des éleveurs...

Le territoire de la Vizeachera, comme l'a décrit le dirigeant actuel, ou d'anciens habitants, a commencé à être habité depuis les années 80, voir fin 70, par le biais de la présence porcine. Les cochons sont arrivés là parce que les gens de Campoy se sont mis à faire de l'élevage de cochons; un espace tout proche leur a été donné pour pouvoir les garder (et ne pas les élever chez eux). La fondation de la communauté campesina remonte à l'année 82 ou 83. Je ne saurais dire pourquoi une communauté en est née, si ce n'est en raison de la présence des éleveurs qui, bon gré mal gré, durent s'installer auprès des animaux... ? En outre, des gens vinrent y habiter en tant que « gardien » des cochons36.

C'est le cas de Marcelino, venu s'installer ici en 83, parce qu'il avait obtenu ce travail "dans les chanchos", tandis que sa femme Cirila restait dans leur casa du cerro "El Pino" --district de La Victoria. Elle le visitait régulièrement jusqu'à ce qu'elle revende sa maison37 et vienne le rejoindre, en 90. Leur parcelle se trouve donc au milieu du quartier, non loin de l'entrée de la chancheria (celle qui donne sur les habitations --

l' autre entrée se trouvant sur le chemin menant au quartier), sur la partie relativement
pampa. Leurs enfants ont grandi auprès de leurs parents et aucun d'eux n'est parti

36 A Lima le métier de gardien est très répandu. Faut-il toujours mettre quelqu'un pour protéger un lieu. un territoire. des biens ? On en trouve pour les maisons. pour les stades, pour les terrains, pour des magasins --dans ces cas. ils disposent d'une petite pièce dans laquelle ils vont vivre...

37 On utilise le terme "maison.' pour traduire le terme -casa-, qui dénote plutôt un "chez soi". un lieu ou l'on habite que ce soit une maison. un appartement, ou une cabane. etc.

s'installer en dehors du quartier, mais, ayant pu récupérer un terrain attribué subséquemment par les parents, ils s'y sont établis avec leur conjoint(e) (peut-être aussi de la Vizcachera)

Dominga : «Je suis arrivée il y a 18 ans (17ans ! corrigera sa fille de 11 ans...!) On vivait à 7 [foyer], au début... ». Elle a habité trois endroits différents de la Vizcachera, après un séjour de quelques années dans sa famille, dans le quartier de Caja de Agua. « J'ai eu un premier terrain : mais il était en bas, et la communauté m'a délogée...puis un autre mais c'était "muy cerro" (très pentu), alors ça n'allait pas pour construire ....j'ai donc acheté un autre terrain sur la pampa, plus grand ». Mais elle a dû le payer plus cher, avec ses quelques économies, fruit de son travail...

La vie a donc commencé avec les chanchos. Tous ceux qui en élevaient ont bénéficié de terrains, comme nous l'avons déjà dit, répartis entre eux, pour eux-mêmes, et pour le futur, pour leurs enfants et petits enfants (et des proches parents)... Il me semble même que certains fondateurs ont reçu des lots mais n'y résidaient pas. Ou bien, ils sont partis s'installer ailleurs au bout d'un certain temps, et parfois, leurs enfants sont revenus pour profiter des parcelles parentales38. On dit que beaucoup de fundadores sont désormais partis, qu'ils ont quitté les lieux, aujourd'hui. (C'est ce qui se redira lors de la fête de la Croix dans la chancheria : ceux qui viennent n'habitent plus ici... I)

Rien ne devait donc perturber l'ordre préétabli par les fondateurs ? Avaient-ils présagé la venue d'une telle « foule » au fil des années ?

Pourquoi avoir choisi ces terres arides et éloignées pour y mettre les cochons ? Simplement parce qu'elles étaient proches des habitants de Campoy, et pour ne pas faire l'élevage dans leurs habitations. A l'époque Campoy comptait encore des champs, grâce à une bonne irrigation et quelques petites usines s'y étaient installées... La Vizcachera était proche du quartier, mais bien éloignée du reste. Peut-être la juridiction des terres hors de la ville, en tant que terres paysannes, facilitait l'installation ?

Qui sont les premiers à être venus s'y installer ? Des gens vivant aux alentours ? Des migrés ? Les exemples dont je dispose, proviennent d'une part de personnes assez vieilles, y habitant depuis longtemps et d'autre part de quelques familles venues des Andes, et dont l'histoire m'a été contée par les enfants aujourd'hui revenus vivre dans les terres acquises par leurs parents- fondateurs. Un couple dont les parents sont originaires du département de Huancavelica (Churcampa pour les uns, Ancash (dans le nord) et Tayacaja pour les autres...) m'a expliqué son parcours et celui de ses parents, fondateurs de la communauté. Une autre jeune dame, Carine est dans le même cas. Ses parents viennent du département de Huanuco et ne vivaient guère plus à la Vizcachera, parce qu'ils étaient partis s'installer (plus dignement ?) dans la zone de Zarate avec toute la famille --hormis la soeur aînée qui est restée. Ils maintenaient un « contact » avec les lieux par les porcs en venant les nourrir quotidiennement. Carine, cherchant à s'installer avec sa famille hors du toit parental et pour éviter la location, est revenue, malgré elle, s'installer dans un de leurs lots, et y construire sa demeure... Ces personnes livraient une partie de l'histoire de leurs parents ; la mémoire à travers les enfants

38 Une pratique courante consiste à récupérer les terrains inoccupés... Or. les terres des fondateurs semblent inspirer le respect de tous. Personne ne les a reconquises. Encore que...1 Certains sont ventis dernièrement poser des murs d'enceinte alun de protéger leur lot d'éventuels gourmands. Est-ce une autoprotection par crainte de l'autre ou est-ce justifié par une réelle usurpation des terres inoccupées ?

Des émigrés de la Sierra à Lima redeviennent éleveurs

S'il s'agit bien en grande partie de migrants de la Sierra à Lima qui sont venus fonder la chancheria, on peut penser qu'il s'agit de paysans andins ayant cherché à retrouver une certaine forme d'élevage. Peut-être aussi parce qu'ils habitaient une zone encore assez "rurale" (Campoy). Faute d'être reproduite, cette pratique a dû être adaptée à un nouveau type de bétail (les porcs ne sont pas les animaux élevé en priorité...), mais surtout une nouvelle forme ! Il ne s'agit plus d'emmener pâturer les animaux, il faut leur apporter à manger...Cette nourriture ne vient plus de la production familiale et des terres, il faut se la procurer, l'acheter...En outre, cet élevage s'est développé à travers une organisation nouvelle, tout en l'insérant dans des cadres paysans...

 

Le peuplement de la Vizcachera a dû se faire progressivement, par la suite, avec quelques phases que l'on peut relever. Les années 90 semblent avoir attiré plus de monde...Nombreuses sont les personnes que j'ai rencontrées qui sont là depuis une huitaine d'années, ce qui correspondrait aux années 97/98... Mais souvent, la durée depuis laquelle ils sont là et l'année d'arrivée ne se corrèlent pas exactement...

Phase Huancayo dans les années 90 (Vieso, Orcotuna --Akko)

"Dans la manzana39, ce sont surtout des Huancaynose ...ils se connaissent tous... ils sont arrivés il y a ... 7 ans". En 98 seulement?! --Vilma, qui habitent dans leur coin...

"Le dirigeant était de Huancayo...c'est pour ça qu'il y a beaucoup de monde de là- bas! "-Lila, de Huancayo!

"Trajd a su gente" : il a ramené les gens de chez lui, ses connaissances, ses proches...

On parle en effet beaucoup des gens qui viennent d'un même district du département de Huancayo, en raison de leur proéminence à côté des autres habitants. C'est un peu comme si le dirigeant de l'époque (dans les années 90) avait fait venir sa horde à la Vizeachera...même si, ethnologiquement parlant, le terme est évidemment inexact. U correspond pourtant bien à ce que tout le monde dit de ce groupe de paisanos41 venant tous de Akko. Ils semblent être plus nombreux dans une zone du quartier...une rue qui monte (et ne cesse de se prolonger) à travers les cerros (une « manzana »). On dit qu'ils se connaissent tous ; ils semblent former un groupe très lié...

Comment ce peuplement de toute une communauté --celle des gens de cette province s'est-il effectué ? Les gens sont-ils venus directement de leur province, ou étaient-ils à Lima ? Peut- être les deux ; d'abord ceux qui étaient déjà à Lima et peu à peu, les migrants potentiels dans la Sierra, à qui l'on a "passé l'info" ? Parfois, on a l'impression que quelques personnes de la communauté migrent et ainsi tâtent le terrain, et le préparent, pour que les suivants qui

Mauzana, c'est un secteur dans tm quartier, un îlot.

4e) Habitants de la région de Huancayo. Sierra. Centrai

41 Le terme « paisanos » correspond aux rapport entre des gens venant d'un même endroit. 11 peut s'agir de compatriote lorsque Fou parle d'une origine nationale commune. En l'occurrence, il s'agit de personnes venant de la même région ou sous région...

hésitaient à partir, puissent les suivre... Parfois, ils suivent le chemin de leurs compatriotes, se rendant compte des possibilités à travers ces derniers.

Il serait intéressant de voir qui part... Sont-ce des familles entières, ou quelques uns des enfants de la famille ; les célibataires, ou les couples... ? En ce cas, ils ramènent parfois leurs vieux parents à la ville... pour ne pas les laisser seuls, même si ces derniers n'ont pas réellement "choisi" cette migration.

Faute de les avoir vraiment rencontré, j'ai plutôt entendu parler d'eux, par leur voisin de la montée... ( qui habitent l'îlot), ou par d'autre Huancainos de la Vizcachera.

Cette petite vieille, de Huancayo nous dit- elle, habite tout en haut de la montée. Elle s'adresse à nous par quelques petites tirades en quechua... Elle vit fort probablement chez ses enfants... Peut-être de passage, en visite à.

ses enfants... mais

sûrement résidente

maintenant...

En effet, il arrive souvent que les parents, un peu âgés, viennent habiter avec leurs enfants, tout en

retournant régulièrement là-bas, dans leur village d'origine. Ainsi, les enfants peuvent s'en occuper. Parfois aussi, ils viennent pour se faire soigner à Lima. Mais très souvent, ils n'aiment guère être à Lima. Certains racontent que leurs parents sont tombés malades parce qu'ils ne s'habituaient pas à Lima. Le lien entre la maladie et la non adaptation est assez fort chez les plus anciens... Signe d'un mal être... Ce sont eux aussi, qui le plus souvent expriment leur désir à être enterrés dans leurs terres... C'est ce qu'a fait la famille de Zenaida : réaliser la volonté de sa maman défunte, venue les rejoindre à Lima depuis quelques temps, en l'enterrant dans sa terre...

« El ano pasado se lleno » - L'explosion de ces dernières années. Les nouveaux arrivés...

« C'est l'année dernière que ça s'est rempli ...en 2004-2003. Avant, on était peu nombreux, phis ou moins 1000, maintenant on est à 2000. Ils [la communauté] ont vendus beaucoup [de terres]. Tous les cerros grandissent, tous cherchent [à avoir! leurs terrains_ »

« Le nouveau président a vendu pas mal de lots. Aux nouveaux. Comme ça c'est eux qui participent... »

Ils ne sont pas les seuls à constater cette « invasion » (on expliquera par la suite comment se manifeste ce moyen informel d'occuper la terre), bien que ce n'en soit pas une au sens qu'a cette pratique courante à Lima. L'invasion est informelle, c'est une occupation de fait sur un terrain, par un groupe. C'est souvent comme cela que naissent des quartiers. Ici, il ne s'agit point de cela, d'autant plus que la Vizcachera se protège de ce genre d'incursion. Il s'agit plutôt du grand nombre de gens qui viennent peser dans le quartier, parce que nombreux. Simplement, la communauté se sent sûrement moins unie, moins reliée : elle n'est plus ce qu'elle était...

Durant la relativement courte durée pendant laquelle je m'y suis rendue, j'ai pu voir de nouvelles maisons apparaître...Et des gens, hommes, femmes et enfants en train de rompre les cerros, de plus en plus pentus, de plus en plus haut, afin d'incruster une maison dans les collines abruptes... Peut être qu'il s'agit des enfants qui sortent de chez leur parents, non loin de là., et qui s'y installent ? Pas sûr, étant donné le nombre de "nouveaux" dont on entend parler.

On les voit nombreux pour la construction --ou plutôt l'aplanissement préalable--, aidés par des proches qui sont aussi à Lima (photo ci-dessous)

« Les nouveaux, dans les latéraux... »

Ils semblent même y avoir une représentation spatiale des habitants. En effet, tout comme les Huancaïnos sont dans la montée (la rue montante qui s'enfile dans les cerros), les nouveaux, sont « éparpillés » dans les parties latérales (flancs des cerros, ou à l'intérieur de ceux-ci). La partie centrale est historiquement habitée par les plus anciens. Ces espaces sont aussi des espaces d'appartenances intermédiaires...

Pourquoi tant d'arrivées ces dernières années? Serait-ce parce que Lima arrive à saturation? Les migrants en quête d'installation seraient-ils toujours plus nombreux? La Vizcachera ne serait-elle plus un endroit "mal vu"...ou serait-elle en train d'acquérir une certaine réputation, offrant un accès facile pour acquérir des terrains ?...C'est peut-être aussi la Julie Directiva actuelle qui cherche à "vendre" plus de lots, et renforcer son nombre de comuneros, pour avoir plus de poids?

De la formation d'un quartier à l'explosion : les changements d'aujourd'hui pour demain. Les mouvements : nouvelles arrivées et relogement

Voir des collines en cours d'aplanissement ou des maisons en cours de fabrication ne veut pas seulement dire que de nouveaux habitants s'installent... Un déplacement à l'intérieur de la communauté est généré par des comuneros, en raison de changement à venir des espaces... Ce sont de nouveaux emplacements octroyés aux habitants en vue de les reloger.

La route du futur

Sur une partie de la pampa et d'un coté des cerros, on parle d'un projet dont il est question depuis des années. Il semblerait que la construction de la route qui doit contourner la grande Lima d'aujourd'hui verra sa réalisation une fois menés à terme les travaux de la terrible et chaotique avenida Grau, dans le centre de la ville. On en parle depuis des années et aujourd'hui cela semble imminent. COFOPRI42 serait même venu dans les demeures en cause pour y faire un état de lieux...Avec pour consigne: plus de travaux, ils ne seront plus pris en compte dans le dédommagement... Cette route traverserait TOUT le quartier, depuis la chancheria jusqu'au hueco, empruntant de manière transversale, le long des cerros, toute une étendue d'habitations...

Cette route est un poids pour tout ceux qui ont construit, au prix de longs sacrifices, les parois, parfois le toit, d'une maison qui se dessine au gré des années. Elle est un bulldozer sur ces années d'installation à la Vizcachera, qui anéantit l'âme de ces lieux, tout comme l'importance du toit établi, avec ses voisins, dans la réalisation personnelle, etc. mais...

r

fl

Cette route est aussi le terrain de projection quant à l'avenir de ce quartier, même si l'on se vante de sa tranquillité, loin du bruit et de la délinquance urbaine, toutes ces calamités urbaines que tous semblent soulagés d'avoir quittées...Il s'agit des fruits que portera cette route qui va changer tout le cours de la vie à la Vizcachera... Autant d'espoirs et de possibilités d'essor d'un quartier qui ne se suffit peut être pas à lui même .Et d'imaginer quel négoce (negocio) on pourra y faire quand le commerce battra son plein, grâce au brassage des gens de passage, à la circulation... Une dame parle de ses terrains à la porcherie, en se disant qu'ils acquerront de la valeur, puisqu'à terme, la chancheria disparaîtra au regard du développement futur et les terres seront le lieu de spéculations, étant donné la rareté...

Certains, comme la famille de Lila, viennent de construire la toiture (on ne manquera pas de redire l'importance de cet acte) et voit déjà leur maison tomber en ruines...D'autres avaient déjà arrêté la construction en cours devant cet anéantissement à venir...

riLa communauté campesina a prévu un espace pour reloger tous les habitants avertis. Un tirage au sort a été réalisé pour leur attribuer des lots. Tardivement, j'ai découvert que la situation était vraisemblablement gérée, les gens montraient leur inquiétude, sans pourtant être si alarmés, étrangement. Comme il ne semble pas y avoir de terrains pour tous, seuls ceux qui se sont manifestés dès à présent seront "sauvés", dans un premier temps.... Lila m'avait emmenée visiter son "autre terrain" qui était en cours d'aplanissement et sur lequel elle prévoyait un bel avenir pour ses enfants43. Mais elle ne m'avait pas encore informée de l'existence de ces lots nouvellement attribués et de la construction en cours, alors que nous discutions souvent du moment où ils devraient partir et ce qu'ils deviendraient... Néanmoins, elle me parlait d'un arbre qu'elle faisait pousser « en face ». Je pensais qu'il s'agissait de l'"autre" terrain (celui où elle m'avait toujours emmenée). Peut-être était-ce l'arbre, le symbole de cette future maison. Lorsque finalement Lila m'y emmena, par hasard, je vis les constructions en cours des uns et des autres. Son frère, qui aujourd'hui habite presque en face de chez elle serait désormais son voisin. Sa voisine allait être Rosa qui vivait de l'autre coté, en bordure du Hueco, au milieu de sa « horde » de La Oroya...

42 COFOPRI, commission de formalisation de la propriété informelle.

43 « On fait un étage pour les enfants, puis c'est eux qui construiront les autres pour leur, famille »... Une autre fois, elle me dira : « on pense faire au l" [RIX7 une salle de billard fils ont effectivement des billards dans la cour J, et eux s'installeront au second La maison pourra faire 4 étages... »). Que de projections

Cette partie ne dispose pas encore d'électricité.. Mais, les futurs "habitants" de cet îlot préparent déjà les "activités"44 qui permettront de réunir les fonds pour l'installation de la lumière... C'est toujours ensemble, entre voisins, entre comuneros, que l'on organise les choses et qu'on se soutient. C'est aussi, parfois, ce qui établit des sous appartenances...

Ensevelis dans le hueco...Quand le relleno avance...

Le Hueco, cette ancienne carrière de sable, ici appelée "mine", a été peuplé sur ses pourtours, toujours sur les versants de collines... Certains ont même eu l'audace de l'installer dedans : à l'intérieur du trou ! Sur le côté certes, mais dans la partie susceptible d'être prochainement ensevelie par les décombres de bâtiments. C'est pour cette raison qu'on les voit « remonter la pente », c'est-à-dire transposer leur habitat dans les hauteurs du trou... Toute une ligne transversale rend compte, par ses constructions en cours, de ce repositionnement des gens vivant dans le hueco. Les concernés semblent ne pas encore vouloir y emménager, mais s'y préparent...

En voyant l'endroit où ils vont se déplacer, on peut se demander si la route ne va pas passer par là, où se redessinent des maisons ? Peut être ne fera-t-elle que longer les habitations...

Le paysage de la Vizcachera change très vite. Le relleno avance, les habitations se déplacent. De nouvelles se forment. Sans cesse. Le trou un jour ne sera plus, une route passera. Je serais sûrement très surprise par l'évolution du quartier lorsque j'y retournerai... !!

Le fait de se réapproprier un passé commun, de lui donner du sens, permet sûrement de souder l'appartenance commune, si nécessaire dans cette conquête du nouveau ; et de créer, ce qui est si nécessaire à la vie, une cohésion entre les membres, une réalité avec laquelle on interagit, dans laquelle on est co-acteur. Une sécurité sur laquelle s'asseoir, loin d'un passé aux semblants de reniement.

 

Préparation de chicharron : le porc frit dans sa propre

graisse...

 

44 On appelle activité cc qu'on organise pour réunir des fonds pour une cause commune, on l'on va inviter les
gens, et quelque par les "obliger" à participer (ça peut être une chicharronada, poilacia . comme nous l'avons

déjà expliqué..)

1 1

1

Les mémoire de la Vizcachera du récit d'arrivée aux souvenirs
épisodiques

Les souvenirs de la Vizcachera

Souvenirs d'antan... ou les temps mythiques

Converser avec certains des premiers temps de la Vizcachera, des temps anciens, laisse imaginer une époque presque mythique, qui ne semble pas appartenir à leur vécu. (ni crédible étant donnée la sécheresse du lieu... mais qui sait ce que les profondes mémoires ont pu transmettre ?!)

Les temps premiers...

« Avant, tout était vert. Il y avait des moutons, des animaux... et des pâtures pour qu'ils mangent... etc. Puis, tout est devenu sec, de la roche partout... et ce _frirent ces animaux : les viscaches45 ...puis ils créèrent la porcherie entre comuneros...»

Teresa, une vieille dame là depuis les débuts de la communauté, s'est aussi égarée dans ces récits d'animaux, de verdure et de pacage.....lorsque je l'ai interrogée sur ses débuts dans ce lieu.

Cette idée de verte prairie en des temps lointains... ce mythe d'un passé verdoyant... d'où viennent-ils ? Est-elle transmise dans une mémoire commune sur la Vizcachera ? Telle une félicité que l'on espérerait recouvrer ? Un passé idéal à retrouver ? Est-ce cet espoir de revoir le quartier comme un lieu verdoyant, où coule l'eau et où les hommes à leur tour pourront s'abreuver ? Ou bien n'est-ce qu'une réalité, certes disparue, embellissant ces terres ingrates ? Ou une façon de les valoriser... ?

L'âge d'or de la Vizcachera

Il plane sur la Vizcachera un souvenir d'union. _ Parfois, il voyage dans le présent, comme si cette vertu était toujours de rigueur, dans les bons discours sur la communauté...Mais souvent, on en reparle avec nostalgie, en souvenir d'un époque fertile mais révolue...Une époque mise à mal par ces venues intempestives, mise en péril par ces conflits entre statuts et appartenances dans les histoires de terre de la Vizcachera.

Et toujours cette impression qu'avant c'était mieux. Qu'il y a eu un moment (malaisément repérable dans le temps) pendant lequel une belle communauté vivait des jours heureux... Autrement dit, une époque où, étant moins nombreux, ils purent et durent s'unir pour doter

le quartier du minimum dont il avait besoin....collège, route, accès pour l'eau, etc...

u

En cela, bien sûr, la fierté d'avoir construit soi-même ce qui fait que l'on peut vivre bien aujourd'hui, et qui fait cohésion entre les comuneros... Avant on construisait ensemble : « c'est nous les antiguos, qui avons fait ci et ça et ça... »

« Tout le travail a été fait par la communauté (avec aides étrangères), rien par l'état... »

45 Traduction de vizcacha, en espat.,mol, qui traduit lui-même le quechua wiskacha...(cf.début chapitre) d'où le nom de la communauté : « la Vizcachera », lieu où il y a des viscaches...

Selon Christophe Martin, la grande part de l'époque de fondation dans le souvenir collectif, est due aux efforts consentis pour la conquête et la construction d'un espace de vie. On doit nuancer ce propos en se rappelant que la conquête de la Vizcachera n'est pas une conquête au sens propre.... Le terme « conquête » peut être synonyme d' « invasion », forme collective et relativement synchronique d'occuper des lieux vierges, en vue d'en faire son lieu de vie...La Vizcachera a été peu à peu conquise, ou simplement peuplée périodes après périodes, mais elle n'a pas été envahie à proprement parler...C'est d'ailleurs cc qui donne une certaine fierté au lieu : ici, pas d'invasion, on lutte contre celle-ci! On assiste cependant à une force de cohésion dans cet effort pour la construction d'un espace de vie et à sa défense collective.

« On a fait le collège, les routes, avant, il n'y avait rien....

Cela montre le poids dans la mémoire de l'inscription physique et sociale d'un groupe d'homme qui communautairement, a effectué un travail reposant sur l'unique enjeu de leur présence en ces lieux se construire un endroit pour vivre. Les autres, les nouveaux, eux, sont arrivés dans un quartier déjà « construit », même si son développement est loin d'être achevé...Mais les tensions qui animent aujourd'hui les discours des gens obligent à accepter ces versions de souvenirs reconstruits autour d'un passé idyllique et prospère.

Dia de la Madre n'est rien d'autre que la fête des mères, à laquelle on donne beaucoup d'importance (comme toutes les fêtes!)...

«Et non, ce n'est plus ce que c'était...Avcmt tout la communauté se réunissait, il y avait à manger pour tout le monde...mais maintenant avec ce problème [de terres, de conflits, de divisions] ...Et puis, on est plus nombreux, avant on était peu...!

Souvenirs de l'arrivée à la Vizcachera...

L. aménauemem du territoire est

d'abord un amen4ement humain. h n:. ban- donc 'lamais de rien. il n'y a pas de table rase humaine prealable. on ne déménage pas un territoire, on l';.tménage, que les hommes y arrivent ou y soient deià R.Jauhn

L'historique subjectif, selon le moment de l'arrivée de chacun...

En écoutant leurs récits d'arrivée à la Vizcachera, les gens nous livrent une vision de ce qu'était le quartier quand eux-mêmes y ont posé le pied. L'évocation de leurs souvenirs peut être une façon de reconstituer certaines étapes...

On ne construit pas nécessairement le même passé commun selon le moment où l'on est venu...C'est peut-être ce qui fait ces divergences entre les habitants et leurs identifications... Même si l'on voit une certaine réappropriation de ce passé, qui fonde cette appartenance commune, on note aussi une différenciation qui fonde parfois les groupes... La proximité spatiale peut intervenir dans la constitution d'une interconnaissance plus rapprochée, toute comme le contenu d'un passé commun peut rapprocher les uns et séparer les autres. Néanmoins, il existe d'autres lieux de connaissance et de communion, et les habitants ont toujours eu l'habitude d'intégrer les nouveaux venus pour ne faire qu'une communauté, soudée, telle qu'il la voudrait...

« Era un empan, un arena4 lien° de piedra » --Lila

« C'était un immense plateau, un lieu sableux, rempli de pierres »

Toute installation commence par la lutte contre l'environnement, hostile. "Hay que romper cerro47". II s'agit d'aménager ex-nihilo un endroit pour le rendre habitable. Mais il est vrai que les serranos sont habitués à transfigurer un environnement difficile pour le rendre humainement viable48. Un regard étranger... ou tout simplement citadin ne verrait aucunement la possibilité de s'installer dans un environnement si peu humain, et s'en irait aussi vite qu'il est arrivé...ici, que des pierres et de la terre à perte de vue : pas d'eau, pas d'air, pas de lumière (électrique), et encore moins des égouts ou des routes... Il faut être vaillant mais surtout confiant en ce que l'on sera collectivement capable de transformer, et surtout, être patient... C'est cette foi en un lendemain meilleur qui doit rendre supportable la difficulté et l'incertitude du quotidien.

"Quand on est arrivé, il n'y avait ni route ni lumière. On n'avait pas d'argent, qu'importe!
On y est allé avec nos esterase *. Mais au début, je retournais chez ma mère, à Campoy (d'où

46 Robert TAULLN. Exercices d'ethnologie. « L'invention culturelle »

r Si l'on traduit par "casser la colline", c'est dur de se l'imaginer....les cerros sont durs, pierreux et nécessairement pentus. aussi faut-il creuser dedans pour établir une petite partie plate. en cassant la pierre... c'est pour cela que l'on parle de "romper cerro-

49 Esteras: nattes de paille, de forme carrée, qui au nombre de 4 ou 5 (pour le toit) sont les murs du premier stade d'habitat dans l'installation à Lima..

nous venions) tous les jours. La nuit, il n'y avait aucune lumière... et on entendait tout à travers les esteras...on avait l'impression d'être à l'air libre... On avait l'impression qu'elles allaient tomber... Dehors ce n'était que des pierres. Mais ils obligeaient à être là, sinon, ils nous retiraient les esteras, et reprenaient le terrain50 ...On est passé de logement construit à des esteras. On était la dernière maison de la rue, maintenant, on est à la moitié de la rue, ça faisait peur d'être tout au bout...C'était obscur...Et quand la batterie était morte, la télé se terminait.. Mais au bout de 8 mois, je suis vraiment venue m'installer, il le fallait."

Vilma, qui est née à La Victoria, Lima. Ses parents viennent de Cerro de Pasco. Après La Victoria, ils sont venus s'installer à Campoy_ Elle est arrivée avec son mari et sa fille il y a 10 ans.

*Typique de l'installation, les 4 ou 5 esteras pour occuper un lieu par cette habitation indigente mais habitable, et dès lors habitée...

Ils sont arrivés, aux abords de la chancheria dans un désert, sans eau, sans installation. Juste quelques maisons ci et là, des premiers habitants, liés à l'élevage porcin.

« No habia nada, ni colegio (de estera), solamente la posta » --dame rencontrée dans une épicerie (celle que tiennent trois soeurs venant d'une province de Huancayo, l'aînée étant arrivée la première et Yulinda, la dernière).

Pas d'installations, pas d'électricité, pas de route...pas de combis au début...!

La lumière, ils ne l'ont que depuis dix ans... Or beaucoup sont venus de zone de Lima qui en était nantie, où ils ont parfois vécu pendant des années ! Il est vrai que l'on pourrait se dire qu'ils ont déjà vécu ça, quand ils vivaient dans la Sierra (même si un bon nombre de villages sont maintenant équipés). Mais ne sont-ils pas venus chercher ces services qui leur manquaient tant ? Leur quête va bien au-delà. Cela nous montre ce qu'ils sont prêts à

50 Si on n'occupe pas son terrain, on court le risque (où que ce soit) de se le faire usurper. Cela peut supposer

qu'on dispose d'un autre habitat, ce qui ne légitime pas le droit sur la parcelle octroyé par la communauté. Un

terrain doit être occupé à bon escient par des gens qui en ont besoin

affronter, à recommencer pour reconstruire, pour bâtir leur monde, en espérant qu'on les entendra.

Les gens arrivé il y a 7/8 ans...

« Devant chez moi [Elle habite au pied d'un cerro, dans la partie centrale], c'était une pampa... mais que des pierres... il n'y avait pas la route... » Agusta. Et pourtant, c'était en 98...il n'y a pas si longtemps, dans la partie centrale...

« On était la dernière maison, tout au bout... et là, devant la maison, c'était le vide, c'était le trou, il n'était pas encore relleno. Ça faisait peur... ! » Rosa

« Quand on est arrivé, on nous a donné ce lot... tout en haut de la rue f qui n'en était pas une I], il n'y avait aucune maison... On était les seuls, et il faisait noir... Ça faisait peur ! » Genobeba

« Il n'y avait pas de combis qui montaient à la Vizcachera... On devait monter à pieds depuis le bas des collines jusqu'ici ! »

« Il n'y avait pas de route qui venait devant les maisons, ici dans la montée... on devait descendre avec nos bassines pour aller chercher l'eau jusqu'où « aguatero » pouvait aller.. »

« Avant, il fallait aller chercher l'eau en bas à Carnpoy, à Zarate, elle ne venait pas jusqu'ici ... » Isabel

Pourquoi la Vizcachera ?

1h .clh
·rti

11`);'
· VïdJi
rini!2,4:, Cs r f.?0%-

CLii,\"ij

,"CtFilre' i !Min/.

Saim-Eupaz

En discutant avec les gens, j'essayais de remonter quelque part dans leur passé ; un lieu, un moment, une étape, ou peut être des personnes, des liens permettraient-ils de comprendre leur trajectoire migratoire, s'il en est une. M'amènerait-elle à comprendre ce qu'il s'était passé depuis leurs origines, presque mystérieuses, jusqu'à leur arrivée à Lima, et enfin à la Vizcachera?

Lors de nos premiers échanges, les questions inhérentes à leurs histoires de vie et de famille, si récurrentes et presque systématiques, finissaient par me lasser. Leur discours redondants rendait souvent leur monde inaccessible, tel un filtre sur le passé. Mais peu à peu, la relation s'installait et quelques moments forts ressurgissaient. Ces fragments d'histoires, ô combien précieux et décousus, permettaient, au mépris de maintes contradictions, de remonter dans leurs mémoires. Sortaient-elles d'un vieux grimoire qui n'aurait pas été ouvert depuis le départ de cette maison qui en était le gardien...?

Proie aux idéalisations dans les premières évocations, la mémoire du lointain se dessinait épisodiquement pour revenir à un présent plus clair et concret, lié aux combats d'hier et d'aujourd'hui, depuis l'arrivée dans les dédales de Lima. Pour évoquer leur installation à la Vizcachera et répondre aux attentes de l'interlocuteur, ils n'hésitaient pas à enjoliver leurs discours Cela semblait plus aisé de conter les étapes du parcours dans la ville qui amenaient aux souvenirs de l'installation à la Vizcachera. Aussi, la mise en scène de la mémoire se déployait dans des discours qui tentaient de dépeindre la réalité comme bon leur semblait, à l'aune des attentes de l'interlocuteur, telles qu'ils les pressentaient... Discours qui étaient autant de représentations d'une image que l'on donne de soi selon la personne avec qui on est en rapport, expressifs d'une identité à plusieurs visages...

Ces porteurs de mémoires qu'étaient les "migrants" --c'est ainsi que je les nommais... se reconnaissaient-ils dans cette catégorie? Ils partageaient un lieu de vie, mais un passé distinct, inscrit dans des zones géographiques diverses. Peut-être se retrouvaient-ils malgré la diversité de leurs origines multiples dans cette même quête, et dans la construction d'un vécu commun, qui peu à peu fondait une histoire commune...

Néanmoins, la constitution du quartier de la Vizcachera ne s'était pas faite, à l'instar d'autres "communautés" urbaines (appelées Pueblo Joven, Asentamiento Humano51 par une invasion de tout un groupe à un moment donné, mais s'était réalisée au fil des arrivées dans la "communauté campesina" à travers différentes étapes significatives. Les anciens auraient organisé l'arrivée des suivants jusqu'à ce que le nombre d'arrivants" augmente et soit régulé autrement (par la Junta Directiva52).

1

voir annexe

52 assemblée directive

C'est peut être pour cela qu'il existe des groupes qui s'opposent et s'affrontent de façon virulente. Les intérêts des "fondateurs", dotés de plus grands territoires, ne sont pas, vraisemblablement, ceux des derniers arrivés, protégés par un système communautaire.

Commençons par ce qui semble le plus clair dans l'esprit (ou le discours?) des gens, ces anecdotes et récits qui rappellent leurs "débuts" à la Vizcachera et qui les y a fait arriver.

Ces débuts-là, c'est l'installation dans le point d'arrivée. Il y a donc plusieurs débuts et plusieurs points d'arrivées dans le phénomène de migration. Le début de la migration n'est pas que le départ. Ni l'arrivée un point final...

Buscaba un lote, un terreno (Je cherchais un lot, un terrain)

"Une voisine m'a dit: "il y a des terrains". Pourquoi vous n'allez pas voir? Elle était au courant parce qu'elle avait des amis qui avait des cochons. Elle Mis l'a tant redit que la troisième fois, on s'est décidé à aller voir" Vilma

« Pourquoi être venu ici, sans eau, sans électricité ...c'est le besoin !! ("la necesidad"), on en peut pas rester dans un lieu en location, le travail n'est pas sûr ...Et, c'est plus sain ici ! » Feliciano

« On HOUS a dit qu'il y avait des terrains. Ça se sait toujours quand il y a des terrains ! » Lila

« por los chanchos » « es mas tranquilo »

Ils viennent de la Sierra, certes. Mais rares sont ceux qui n'ont pas suivi diverses pérégrinations à travers la ville avant d'entendre parler de venir s'installer "définitivement" à la Vizcachera. La plupart sont arrivés d'une autre partie de Lima.

Le peuplement ne se fait pas par hasard, on n'arrive pas entièrement néophyte en "terres inconnues"... D'ailleurs, on parle souvent de ceux qui "se font avoir" et exploiter, tels des innocents à leur arrivée. Ce sont les moins informés, les moins liés à Lima... C'est pour ça, entre autre, que les gens vont là où il y a « gente conocida53 ». Si l'arrivée ne conclut pas l'installation et entraîne un retour en leurs terres, c'est aussi dû au manque de réseau d'entraide à Lima.

Parcours liméniens

En général, comme si il y avait des axes géographiques de déplacement des gens et de diffusion de l'information, ils sont nombreux à venir d'autres districts: La Victoria et El Agustino. Le premier, ancien, a été reconquis par de nombreux migrants (parce que délaissés par ses habitants du fait de son insalubrité), et surtout envahi sur ses cerros inoccupés (cf. Cerro El Pino); le second est un des premiers districts nés de la migration. Aussi beaucoup sont venus s'installer dans un premier temps "d'attente", chez des membres de leur famille déjà là, puis en location, non loin... Mais ils sont surtout nombreux à venir du district de San Juan de Lurigancho qui s'ouvre de l'autre coté des eaux du Rimac54, après le Puente Nuevo

53 « Des gens connus », soit, des connaissances, des proches

54 Le fleuve qui traverse Lima en son centre...

(El Agustino), et précisément dans la petite partie Est qui est séparée du reste du district par des collines. Les quartiers qui composent ces axes sont, du plus éloigné au dernier, mitoyens: Caja de Agita (entre la partie Est et l'autre grande partie), Zàrate (quartier le plus urbanisé, qui a même une réputation de pituco55!), Campoy...! Certains racontent que lorsqu'ils sont arrivés aux débuts de Zàrate ou plus tard à Campoy, "era chacra", c'était des terres agricoles... Aujourd'hui, Urate est une des zones les plus urbanisées du district, avec un commerce très actif. Campoy l'est en grande partie, mais reste plus « résidentielle » et a conservé un certain nombres de ses fabriques .

Aussi, beaucoup de gens de la Vizcachera viennent de ces quartiers, tous sur un même axe, de plus en plus au fond, jusqu'à s'arrêter à la Vizcachera, celui qui propose encore des terrains...

Serait-ce parce que les gens "au courant" des terrains disponibles de la Vizcachera sont ceux qui, reliés à l'élevage des porcs, résident non loin, donc dans ces quartiers tout proches ?

C'est peut-être aussi que les réseaux sont de proximité...Les habitants de la Vizcachera ont pour beaucoup, habité dans ces quartiers avant, donc de fil en aiguille, la voisine sait que le voisin a trouvé terres à bâtir et donc "passe l'info"... Enfin, la voisine a bon dos... Elle est de "ce quelqu'un qui m'a dit que"...

Les réseaux fonctionnent bien. Ils sont d'autant plus prégnants que le nombre de rapport de parenté ou d'origines communes parmi les habitants, est important...

Pituco. Selon Arguedas : « bourgeois, dans le langage oral de le côte. Ça se réfère plus à un style de vie qu'à une position sociale précise... » (in Arguedas, José_ el zorro de arriba y el zorro de abajo)

Peut-être plutôt dans un comportement d'ostentation et d'un relative opulence, dans des pratiques de la ville (fréquenter tel endroit...)

Chaque district a presque ses npitucos"? Dans le cône nord : les pitucos de « los Olivos » ; à San Juan de L., c'est Zarate, etc. ; pour Lima moderne/centrale, c'est Miraflorés, Surco... A l'Ultérieur d'une entité (groupe d lonune/territoire), il y a des référence et façon de dénommer, désigner péjorativement. 11 est évident que pour quelqu'un de Lima Moderne -centre. il n'y pas de pinicas dans les cônes, puisque cela correspond à une classe plus « snob » dans son propre contexte...

----,.. . 7 ..........a .

l'
·'1% ti 1.

4 le '...

ail / e

7...... '.:.I.51..

F*

.,J I

"T:'

7
· 1.-. ' . '
· .- .

5`A xithe4,1 DE Lielg)t4 N V HP . i .----.::

.... e Eill poy

e-':-- iI 1 .... :6 :/
·

+1,. 9..9,

...e a 1,1 .I
·

.ryel ..
· .....;4

"

't eie.....0
·, :,,, I...,

· 4W. ''. \ L e -= ,.,...\.. ,,t,.... . 7.?

..,, . .P......... / . ,...,

.... f .: ;,.......
· , 7 ....,

.;

."z.1,..7`,.., . . 9 ..,_,../... .... ...e..-4...s.. .,,,-,:::, ..--,

. *m....Now. . ..,
·+
',...5.',.. ..>
·
· '' "iePeree ..'.1°1444Zr: "Nie fee.'i7
.

· :": n ....
· i!eii 2.'' 6-7,
·.. - ''''',0
........, . ...-. ,:ir é . ,.
· .
·

57 i ..11,;:kv
· /ie. ,.,;........:1"..1 drilleity»,.?

.......k.:

er 4
·
''' .
2" ....?!....
·
· '4,1
· milwa40e Y..É ..

1 d4........-..ii

! .....4..
·

% \ ...,.. / f

ic

'.o. 1 .. .11 .... ..'5, -.. / ') q

. .0
·
· - . '"I'.. Ç
·.%...
e.' _,

,, ,. E '".....'
· / ,,,. 15 j

.1.1., .

, ... "
·-

'4> ; '7''-'' 2 41 .---"
·
· .
Si j - -- - I .. ....

.
· ..i
·

-... i:i i . 'er
·9
-..:.* ,e.

,..i. ii-i..--100 i,-......,

Z.
·(..t- . -
·
·:
·
·
·
·,:7,

,

..e-'..i; q "ilrir.i."--7::71 ' 7
·;-.7 ', ,..e.' .1
r.,...... , a.rartie --


·
·
·... ... - ,"."...-,%zr..d -Ifff. ':;.:,`
· %,:e..e.
· ....1,-'..` le....,.

,,1p,

` - .%,

::-eee .s," '.'"."-> . . ,,, : ei lev,'

::
·:*
·'..
·
·
·
, ve

Irl
·-:
·:`
't..."1
·6' ''''''4'..6'. i

hY. . ,... . .76 ---. -} .. :. 4.,, if, ,... i tra ..,
·
· 7

."'''":
·'r''.
e.C\
·,
..e \\`-
· 1.'"..4 / " -6.1-'. 1 .0«. . "
·
%0: ..e.---

'.
·' .. .' . ..
·
·
·
·.:-. ...-1,eil'\:-.

? :pane . ,-.4,.
· 1,... .....; ,,,,,...e 1C ..... ,

.1..e.i
·
·..... .. i . ;,..,....... J' 1.'":. ,..

. . -

.." ..,-- ..7 ',.. % Il ' ...- ........_..

....... ,:e

........ ....... .'.- ..
·

caj LI, de

1.11 Id ,Il

. ... .
·.

Y7.7 ,./ "I. ;.... ...:..I .

.."2_ ......1% . I.

4.'-.W

41,....

i - I. '..77.,

....6, I .. . .

. I-
·

.11; ... . I

li} I . 5 ../,..e.. .,./..... _..;., -..e.....

p.,- ! 4 . ....
·
· i i _Li. e. r.,. . :

..., (.t - -...., 1.2 °f.'1....4.
·"eelp q ,
4 ; .

...-
·7e: . _ ... -

e'14%`,/..2.,
·eût,:%--- .1M
·2- I h,

... i i'i
·
· ,:`,,,-F..,.. -'''

.1.<1.9.4. ....kkb....IY; 5:"...'''k ....z... eu+ 1.4._
·....276. .
·4 .,

. IY
·
· :.

77)

....
· ''',... }à . ......

....y. "....6 li i .
·
·
·9"::Z: ""
·
·-..,.
·
· - - -7.
·
k.... . .... ' --- 7.,,.

.: '
· '' . ' 11'2,411-1111r.

.....i.01.."'-

b ' ..i. ..e il

i i .
· -.6
· i Leil.J.e.". 4'4;1-- ''.- e .......-r: l

1.'-'
·-edi

:
·
· il.,;,..%

i

i 44

.->>
· ` - ' ' .

à rf. ,L-r
· ' 7 - ..' - ' e "P. 4 ., 17.1t. e . . « . : \ . .,... .: ,

..... 1. 45: ... ....). 0 ..0.._- . ,...1. ne.. ...,.a. . ',....
·
i if/

...., . _..,,. .. e.," ..! .
·-
· r. IL

1 r. '-':1:-'. .1.'-*'"." n`k,4''''\'. i

.. . 1 ': .P ..e.4 Jet .:...- :4 .." /

-.0' ' 11,.-
·-
· - .

--
· --7....:4 .% ,..0e0. ''. ..4

0'
·
·--

' ......"
· :Le '''''. f
e. si /.., 1. .

,..'-e, ;1 ;die. ..-' 1: ...: ." . let.; ft 0h <0... . , 4:
·
·
!......_

JI

-.':

..._. . ""'e, ' ' ne 5. -.5.
·.401 :

.'e' 47 efil'i

:....., . 9.. %...

\ ... -.- ..,.. _.,..,,

- ' Vele 4......., .''. .." ..
· a .. .... ......

r- 'I'
· ....: -""Z.-- i

à ......:111 -

ye.,, 1 e '"'"' ..' e -
· .--,. ` N. 4.> \d, ''' e / -.4,, - ,-, r:;..-. ,;--

....
·
·

-,... .... -- ...... .---, ...-_,...? - .....
· -- ir.. .....,
·

.......

i--e......,..,,,i.... ...... . -....... .,.....

I 4,.! ...'1U7ieriti. i.i:
·
·
,e.e`l .
7 tiî ,:'

,i

it .e.;.7...., .2.,:L..
·.--.'`".r'-'7%

i.....,.......=:.e.

...... ,,.' je i.,
· . ...ir 4 ' .

-.0..... '.... ',!

e4.1.....,..,- ,,,,- ..,,...... -...4......,..

re..%*...
·\, fn... ...;",,-, ,..-

..... .....
· er-'
· 1 -
· - '
..1.79191.

.m.l.m \ ....I., li 2..2:44.> 11.e
·
· ..%- elii itlie

' .e.:' e 1 .
· . . ;..1:-.44 g' -r 6% .ee '

n:1"..V.,,e» kei-7 - ' ,'!.- ,... , __l-- ,...'...,...... ---ele'...., -e.C.../.'. 1 .,.4 "%
·.
--..-r, ...4

r....... ei

1.irço;./..14.- jp

ill 1,..........--
· ..., é.,.. ..... ..

... , .:,,,,,..1 ..,e.,-.--
·

/ . 4.... t ,.._-.<. t:,
·...k~

ii .k....,......1 -,.
·

-,,
·
·
· e". 1/4
...'''

i. ...t, .,...... >se- .......:,:';:
·:.9.e.-4,7

k.,.:-.-,.>..k.:.,kt ..._, ...
·,e7-. . . die' i ,,.'t _j 44". =__.-. e e
.

.......... ...._,.. .._

, - .6/...e,,,.....,..`,

...,e...,....,ti, , ...,,. --,..... ..3......, 7 .11}:-.14.,_
·...,.. y6.. r :'%.; ...... I:: .
e <4.-'7.4.,

,%\..---' \' 7er. ...i '''`, % 1 . .. -..-.4.. 7- /

...,

-e.
·

.1/4....e.:::- ....; , ..
·
·
· ,
·.-A. f
, 4..., .-1--
· ,... L..ie, ..
4
· ''-' ei,,21
·T
' ,r''''.-, t
·,,
y - , . ' pi... t / ,' ....2

.YJ1".1:

r-i

Li

Les espaces qui apparaissent inoccupés sont les plus hauts cerros, pas encore habités... (Le plan n'indique pas tous les cerros, moins haut, qui sont habités...) qui sont de véritables frontières entre les quartiers

........:.

.z..... ...;.

J 40

r

Des parcours hasardeux... ?

Agusta vient de Pacaritambo (prov. Paruro, département Cusco). Sa famille était pauvre, ils étaient 9 enfants, il fallait travailler. Dès 8 ans, son sort n'en fût pas autrement : dans la ville de Cusco, elle se rendit pour y accomplir les tâches d'empleada56. Elle est arrivée jeune, pour travailler. En d'autres termes, elle a été "envoyée" pour être empleada, à Pueblo Libre (à l'époque c'était des haciendas (avec leurs terres alentours), maintenant c'est un quartier relativement central --c'est là où j'habitais D. Après avoir cheminé de Zarate à Campoy (en location), elle s'est rendue à Santa Rosas 1, un quartier fermé (physiquement par des barrière et entrée contrôlée !!!), en quête d'un terrain enfin à elle. Comme il n'y a avait pas d'électricité, ça lui a déplu, elle est donc allée dans le quartier voisin...En plus, c'était un endroit fermé, coincé entre les collines alors que la Vizcachera, tout est ouvert. C'est à ce moment ( !) qu'une amie qui vivait à la Vizcachera, par hasard l'a informée. C'est ainsi qu'elle est allée voir le dirigeant, et ainsi de suite...ce ffit en 1997. Relativement nouvelle habitante, mais pas nouvellement immigrée.

Lila, qui a aussi une longue histoire de pérégrinations liméniennes, semble s'être retrouvée ici alors qu'elle en avait décidé autrement. De Vicso- Orcutuna (prov. Conception, dep. Huancayo), Lila et sa famille sont venus en 83. Mais c'est seulement dans les années 90 (pas réussi à retrouver la date !) qu'ils sont venus à La Vizcachera... Arrivée à Salamanca (dans le district de Ate, cône Est aussi) avec son mari ainsi que son frère et son épouse, probablement chez des membres de leur famille, ils sont ensuite partis vivre à Zarate, pour être plus près de son travail. A chaque fois, ils louaient, et pensaient: « nous ne pourrons pas nous développer (améliorer) en étant toujours dans cette situation ». Ils décidèrent d'acheter un lot dans le nord (le cono aorte), et procédèrent dans le cadre d'une association de vivienda58, donc à l'intérieur d'un groupe qui achète un ensemble de parcelles et le divise entre eux... mais que se passa-t-il ? Une invasion sur leurs terres... ! Ils ne purent rien faire : ce fut une occupation ! Depuis lors, le procès traînant est en cours entre eux, les banques et les envahisseurs !... C'est là qu'intervient le vecino (voisin), (qui tombe toujours à pic !), qui avait des chanchos là-bas et les y a emmenés (son frère, toujours dans la trajectoire, s'est installé en face de chez elle...), et tant pis, il n'y a pas d'eau ni d'électricité, mais on va essayer!

Les parents d'Isabel, qui font parti des anciens membres de la communauté, se sont eux aussi déplacés entre San Miguel (hacienda dans laquelle ils travaillaient), le cerro el Pino, San Luis, où ils construisirent leur maison... Après la perte d'un de ses enfants, la mère s'en fut vivre à Campoy, qui a l'époque, était chacra (peut-être que dans la campagne, elle allait se remettre mieux de cette tragédie)... elle y acheta donc un terrain de 2000m2... Aussi une partie de la famille vivait chez le père, l'autre, chez la mère... puis, ils rejoignirent la mère... et établirent la première boutique de Campoy...Un frère jusqu'à ce jour est resté dans la

' La figure de empleada est très caractéristique. La plupart du temps« ce sont des filles venant de la Sierra ou Selva qui sont empleadas à Lima, ou de petits villages pour les villes de provinces. Souvent, la futur enzpleada quitte sa famille et vient vivre sous le toit de son "patron". elle travaillera un nombre asservissant d'heures... Si elle tombe bien, elle ira peut être à l'école en même temps. Ou elle aura un salaire correct mais peu élevé, et pourra peu économiser pour un ,jour prendre le large et trouver son terrain, par exemple... C'est souvent l'ambition des empleadas adultes : avoir leur « casita » (leur petite maison).

5- Santa Rosa. qui ne se trouve plus à Lima, est un quartier à double statut ou plutôt bipartite. il y a une communauté (campesina ?) et une « asocacion de vivienda », soit un groupe de gens qui a acheté un ensemble de terres.

58 "Association de logement". C'est l'achat en association d'un terrain que l'on divise à l'intérieur du poupe d'acquéreur. On en reparlera davantage dans la partie sur les conflits.

Y.

j-] n

première maison pour y vivre...C'est là qu'intervient l' "ami", qui avait des chanchos à la Vizcachera et, de fil en aiguille, ils finissent achetèrent eux aussi un terrain pour y mettre leurs chanchos... C'est ainsi qu'ils connurent la communauté et demandèrent un permis sur les terres...Ils ouvrirent la première boutique de La Vizcachera... ! C'est donc un des frères qui est resté dans la maison de Campoy. Le reste de la famille, est venu s'installer dans le quartier des cochons... ! A cette époque, ils bénéficièrent de grandes parcelles et d'autres pour les enfants.. Une longue trajectoire... !

Ces gens sont arrivés presque par hasard. Mais jamais tout à fait par hasard. Des rencontres, des liens, les y ont amenés. Un besoin, un toit. Mais pourquoi choisir de s'installer à la Vizcachera ne cesserait-t-on de se demander ?

Pourquoi la Vizcachera ?

Il cherchait un lot, et c'est là qu'ils l'ont trouvé !

Ils n'avaient pas les moyens, et on leur demandait peu.

Ils n'avaient pas le coeur à l'invasion et ils n'avaient pas besoin d'envahir !

Quel recul en arrière, serait-on tenté de penser, pour des gens qui ont vécu dans des zones plus urbanisées de Lima et pour certains, avaient déjà acquis, dans leurs anciennes demeures, l'électricité (pas tous, certes) et autres services. Ils sont soi-disant venus (en partie) pour trouver plus de possibilités, infrastructures incluses et doivent revenir à la base, à l'avant base, par laquelle ils n'étaient peut-être jamais passés ; bref; à un degré très bas d'installation humaine (du moins pour les premiers arrivés). Et l'eau ne coule toujours pas à la Vizcachera...

Le choix de tout quitter, pour venir s'installer en ville, c'est déjà beaucoup. Mais celui de renoncer à tout « confort » est difficilement compréhensible, d'autant plus pour ceux qui viennent de Lima... Quoique ! Si tout ce que représente « lo suyo » en vaut la peine.

Là, réside la raison de l'installation en ces confins ingrats... D'aucun dira que c'est pour avoir son terrain à soi, sa propre maison. Parce qu'avoir une maison en location, ou plutôt une chambre, c'est onéreux, et ce n'est pas gratifiant... Au moins, avec la casa propia, on n'a plus à se préoccuper du loyer, ce qu'il manque c'est « juste pour manger »... Economique, certes. Mais l'acquisition d'un "chez soi" va bien au delà du simple critère pécuniaire.

Désir d'avoir son terrain, à soi. Volonté d'y faire sa maison, soi-même. Mais cette quête de quelque chose à soi, ici, à la Vizcachera...? Au regard des conditions de possessions, c'est étrange. Les terres sur lesquelles la communauté donne un permis individuel "s'achètent" mais ne s'acquièrent pas (cf coût pour les droits). L'usufruit est obtenu, mais la propriété reste communale... Or, si tant est que les pobladores recherchent quelque chose « à eux », dans un mode d'acquisition et une organisation communale, ils souhaitent aussi une reconnaissance à titre individuel (qui va souvent avec l'obtention collective de titres de propriété...), pourquoi aller chercher à la Vizcachera Io suyo qui n'est pas de rigueur 7

Peut-être reconnaissent-ils là un statut tel qu'ils l'avaient (pour certains) dans les Andes : un techo propio'', dans un usufruit communal (bien que les gens ont aussi leur(s) propres terres dont ils sont fiers)

59 Un toit à SOL "Techo propio" est aussi le nom d'un organisme qui aide les gens à l'obtenir.

Force est de constater que, dans la capitale, tous (les immigrants, de toutes générations...) visent cet apanage: la propriété! C'est un droit et une fin en vertu desquels les peuples luttent ! Certes, elle permet un développement plus rapide du quartier. Rappelons que la propriété est la condition sine qua non pour obtenir toute aide pour les droits élémentaires (électricité, eau...) Elle est aussi le garant d'une situation d'hypothèque, etc. bref !...

Propriété rimerait avec prospérité... Elle semble être une valeur désirable, un statut sûr, une position sociale, une étape du parcours. Ou encore, un réel attachement au sol, quelque chose de paysan tout en étant adapté à la modernité, qui se manifeste ou se transpose par cette quête de terrain et cette lutte pour l'obtenir, le cas échéant, sa défense...

A la Vizcachera, on peut croire qu'on est propriétaire. Parce qu'on ne paie pas de loyer, parce qu'on jouit d'une certaine possession', parce qu'on se permet presque de spéculer... Mais dans les faits, tout appartient à. la communauté. Encore que! Tout est plutôt à la matrice... Quoique ! La matrice --maudite matrice enrôlée dans la corruption, a tout vendu à l'entreprise --écrasante entreprise, qui prétend être propriétaire de toutes les terres ! Et aujourd'hui, un jugement de la firme trafiquante avec la communauté campesina qui n'en finit pas...Un litige où les intérêts des uns et des autres sont mis en évidence... Sous-jacent, l'appui de l'association qui prône la privatisation des terres par le rachat à titre individuel ! A la fin, peut-être, la même chose, la propriété.... Mais à quel prix ? La communauté cherchera à obtenir ses titres. Mais elle veut rester, de droit, mère de ses terres, et garder la cohésion communale... Ne pas subir cette usurpation... Entre temps, les problèmes, les tensions, (les traîtres !) les dissidences, la stagnation

Bref, quel regard non averti y comprendra quelque chose ?

Au bout d'un moment, partir à la Vizcachera à la rencontre des gens, revenait à aller m'enquérir des dernières infos pour saisir ce qu'il s'y passe, les conflits entre les gens, et d'en mesurer l'importance ! O combien ce conflit m'apparut fondamental dans la quête des habitants et dans ce qui fonde leur rapport ! Un lien, la terre.

Que viennent-ils chercher à travers la casa propia?

"Tener algo propio, algo suyo"

"Tener casa propia no es coma estar en casa ajena" "es feo estar en casa ajena"

« Être dans une maison à soi, ce n'est pas comme être dans la maison d'autrui, comme dans une maison étrangère... » « C'est nase d'être dans une maison étrangère... »

Est-ce une fin en soi dans ce parcours de migrant, en vertu de laquelle on cesserait de l'être?, Un statut? Un accomplissement? Un futur prometteur qui émane d'un désir commun et qu'il va falloir construire de ses mains? Peut-être tout cela et bien d'autres choses...

60 Au sens péruvien du terme, qui n'équivaut pas à propriété, mais au statut de possession sans être propriétaire... possession de fait, informelle, ou usufruit...

Que viennent-ils chercher à la Vizcachera? Un îlot de tranquillité loin du brouhaha urbain et pourtant si près de Lima? Un système communautaire qui protège la terre...? Ou la même évolution qu'ailleurs, à Lima...Un statut progressif vers la propriété, des terres où se rendre "indépendants", ou plutôt acteurs, car il n'est pas aisé de parler d'indépendance, en tant que «pueblo" , représentatif de ce "nous" qu'on construit ensemble... Et réclamer son lot de droits... Sont-ce les mêmes quartiers périphériques qui se développent dans tous les prolongements possibles de Lima?

Que viennent-ils chercher à Lima, si c'est pour aller se refondre dans un système communautaire et se confiner dans un "entre-soi" ? Ou ne serait-ce pas justement le moyen ? Cet ailleurs qu'est Lima n'est-il pas celui où l'on décide d'être maître de son destin, de s'affirmer, de moduler sa personnalité en fonction de ce que l'on veut montrer, mettre en évidence ou cacher ? Autrement dit, laisser la place à l'affirmation d'un soi avec de nouveaux visages, ou plutôt, une pluralité d'identités, que l'on peut faire valoir, ou dévaloir ? Et danser dans une autre ronde, celle d'un "nous" qui valorise une identité? Loin de moi l'idée d'effacement, ou de perte de l'identité "d'avant", dans le contexte culturel dans lequel on vivait. Il semblerait simplement que les gens en joue pour s'adapter, pour inventer...

Mais peut-être ne viennent-ils pas chercher quelque chose de précis ; à travers ces processus, ils cherchent à être, simplement. Et à ne pas être ce rejeton du monde criollo61, ou de vivre aux dépens des autres...

I:e symbolique de casa propia (Lo suyo I La ajeno)

L'acquisition d'un lot, c'est-à-dire d'un terrain à soi, semblerait mettre un terme à l'errance du migrant, et symboliquement à ce statut (de migrant). Mais où commence-t-il et où s' achèvent- il ? On cesse d'être étranger... On cherche à exister par son « indépendance », à être par "bo suyo", montrant une expression de soi, matériellement et symboliquement.

Lorsque l'on vit dans "bo ajeno", ce qui est le cas dans la migration, on ne peut se réaliser pleinement. La casa propia joue peut être ce rôle d'accomplissement personnel tout comme elle permet la construction collective d'une identité, recréée mais entremêlée...Un nous qui se dessine à travers l'affirmation de la suyo (qui va de pair avec la propriété). Avec ses transpositions : lo suyo n'est pas forcément fait de ce qui donnait sens à la vie d'avant. Cet avant du grand départ... Un nous que l'on construit ensemble, parce qu'on y participe... ?

"Lo suyo", c'est tout ce qui fait l'affirmation du soi, l'identité, après avoir été brimée dans 1' urbe°2 , d'où l'importance du chez soi qui reste à établir quand on n'est pas d'ici. On n'est pas sur ses terres, sur son territoire, on doit le conquérir. Conquête d'une place à la ville, d'un chez soi, de sa propre terre...

Et surtout, un statut, un certain prestige qui permettent la reconnaissance sociale. Voilà déjà un premier signe de réussite... Franchir un pas dans cette fameuse réussite, dans le possible aussi, pour assouvir cette soif d'ascension économique et sociale, qui se découvre à travers les dynamiques pour s'en sortir, mais va bien au-delà ("superarse" : se surpasser). Et à travers cela, un autre regard sur eux-mêmes. « J'ai ma maison à moi »

61 Les criollos sont les descendants d'espagnols, nés à Lima. Par extension, ce sont les gens de la côte.

62

ilrbe la ville

Il semble que l'installation (avec des velléités de pérennité) soit une véritable quête dans le parcours du migrant, une étape clé, peut-être un passage... Certes, elle permet d'améliorer une situation économique souvent précaire, en réduisant les dépenses ménagères... mais elle va bien au-delà. Acquérir un « techo propio », « algo suyo » revêt un caractère fondamental chez les migrants. Mais qui sont ces migrants ? Que signifie cette vaste catégorie ?!

Tous sont venus à la recherche d'un terrain, en vue d'y construire leur propre maison, semble-t-il, parce que la Vizcachera était un des rares endroits où il y en avait --et à ce prix ! Et, surtout, parce qu'ils connaissaient quelqu'un qui leur facilita l'accès, parce qu'il y habitait, de près ou de loin... Ils sont aussi venus construire du "commun", donner un sens à leur vie dans un ensemble, en s'inscrivant dans un nous. Ils sont venus habiter une communauté, un pueblo, au lieu de se perdre dans la jungle urbaine, sans liens de proximité...

La Vizcachera reste néanmoins un metting pot, fait de populations d'origines différentes, mais où chacun n'en est pas moins conscient de son visage...Malgré tout, ils créent une histoire comme, au gré des étapes de peuplement par différentes générations d'émigration (lère, 2ème génération --enfants de migrés, bien que la majorité ait été "primo-arrivant").

Cette situation diffère de celles des autres quartiers périurbains qui se constituent au rythme de l'immigration63, en un mouvement!

De la même manière qu'ils mythifiaient et idéalisaient leur passé dans leur premier discours, ils dépeignaient très souvent leur quartier de façon très idyllique (cf l'âge d'or..) et le présent avec son lot de problèmes et le reniement d'avant semble contredire leurs déclarations.

63 En effet, l'établissement en un lieu, devenu quartier. se fait généralement par un premier groupe de base, par des gens en attente de conquérir des terres pour s'y établir...Peu après s'ajouteront des familiers, et des connaissances de connaissances ...De là ils évolueront à peu près au même rythme...Généralement_ ce n'est que sur les flans des collines qui bordent la zone (où les collines les phis hostiles) que viendront se joindre_ fait accompli. d'autres groupes. aux abords. Mais une installation aussi étalée clans le temps : ça n'est si courant L'importante taille de la Vizcachera en est sûrement une explication, elle peut croître encore et encore, il semble toujours y avoir des lots, des parcelles disponibles. bien qu'ils soient de moins en moins confortables... Les quartiers. que je viens d-évoquer, sont de plus en plus entourés (de nouvelles habitations). mais ce sont d'autres « pueblas.» qui s'établissent autour... Les « puehlos » ainsi constitués (par invasions, achats..) gardent une -taille quelque peu communautaire...

Histoires de vie ?

-le /ne 1/(J/ft' .

1'.%/ Ëiitel(//le ,i)(tn

(1(.)111 cr,r cf v`A.ii Li les

1.,1

e'.;1

vivre Fc"I(MI"

Ces recueils sont des bribes d'histoires. Mais les discussions qui interrogeaient sur le passé revenaient toujours sur le présent, et sans cesse, dans la comparaison. Les récits devraient être enrichis d'histoires de famille. On remarquera très vite que la famille exprime mieux la vie des uns et des autres, depuis bien avant la migration et bien après. Bien sûr, cela n'était pas possible...ou j'aurais dû avoir pour objectif, voire pour sujet, l'histoire de famille! Cependant, j'ai rencontré des personnes, surtout des femmes, qui m'ont peu à peu emmenée dans des moments du passé, en livrant leur analyse de la réalité...

Les lieux de la mémoire

Entre pratiques, discours et représentations...quels espaces pour la mémoire ?

Où a-t-on le droit de parler du passé, où partage-t-on ce que l'on a en commun, qui n'appartient pas au lieu de vie... ?!

Les écrits

La littérature semble n'aborder que trop peu le thème de la mémoire... Oh, des histoires de vie, on en trouvera quelques unes, plutôt vues comme « portrait de nouveaux liméniens64 », dans un ouvrage où l'on cherche à trouver les caractéristiques des nouveaux habitants de Lima, ces cholos qui ont transformé le tissu social de la ville en scrutant leurs formes d'adaptation et leurs nouveaux codes de conduite, bref toute la nouvelle culture qui en découle et les changements qu'elle implique dans toute la ville. Gôlte65, quant à lui, tracera des parcours, douze études de cas, de communautés entières venant de différentes régions du Pérou, pour comprendre quelles sont les conditions préalables (« le passé rural ») qui orienteront le processus d'insertion dans la société urbaine. Son travail est surtout intéressant parce qu'enfin c'est l'histoire des réussites et du concert des pobladores qui construisent leur habitations et leur vie... Ce qui surgit de la diversité d'origines des communautés : c'est « cette capacité d'imprimer en une migration individuelle une cohérence de groupe ». Cette migration est-elle vraiment individuelle ? D'après mes observations elle s'inscrit davantage dans une logique familiale et communautaire, préalable, même si le migrant quitte les siens et s'ensuit parfois une certaine coupure... ll existe des écrits sur l'identité, sur les liens avec le lieu d'origine, et d'une certaine mythification de ceux-ci. On recherchera les valeurs andines,

64 Cuidad de los Reyes, de los Chaves, de los Quispe, Rolando ARELLANO C., David BURGOS A. 2004

65 Jurgen GOLTE. Norma ADAMS. Los caballlos de Troya de los invasores. Estrategias campesinas en la conquista de la Gran Lima.

qui, rationalisées pour la vie urbaine, permettent tel ou tel essor, cet esprit capitaliste des gens de la Sierra qui en fait de véritables entrepreneurs... Ces caractéristiques andines qui se déploient à la ville (la solidarité --réalisation des obligations sociales, l'éthique de travail, la cohésion familiale, et l'esprit d'économie, etc.66) et qui ont changé le Pérou d'aujourd'hui, internalisant l'informalité, le pragmatisme, le travail, le propre effort...67 On parlera des conditions préalables à la migration qui vont avoir telles ou telles conséquences sur l'adaptation en ville... Du folklore, de la Sierra à Lima, les anthropologues en disent long des associations de provinciaux68, aux fêtes et événements familiaux célébrés ci et là, ainsi que les rapports avec la Sierra... Mais peu diront qu'il s'agit, au-delà de cette impression de reproduction, de la création de quelque chose de nouveau, nouveaux rites, nouvelles coutumes, avec une racine andine, évidemment !...69. Pour Altamirano, si l'espace géographique se divise en deux chez les migrants, là où ils sont maintenant et là d'où ils viennent, la mémoire, elle, se décline en trois univers, à savoir : l'une plus lointaine, celle des ancêtres et des croyances qui leur sont liées (telle colline sacrée...) ; l'autre, la moyenne : le pueblo d'origine ; et enfin, la plus proche : celle de maintenant et d'hier... Il souligne l'importance des trois dans la façon de s'identifier. Il me semble que les deux dernières sont celles qui ont encore toute leur place... Au lieu de dire qu'ils vivent dans deux lieux géographiques, je préciserai qu'il existe un ici et un là-bas, avec lesquels la mémoire s'accorde.

Les discours

A Lima, beaucoup diront qu'ils renient leurs origines (honte), qu'ils se laissent « contaminer » par la ville, comme si ils étaient trop influençables, faibles ou trop soumis.... Ou au contraire, qu'ils ne se regroupent que pour reproduire « leurs fêtes »... Cela ne traduit pas exactement leurs sentiments. Cependant, on perçoit bien la représentation qu'ont les liméniens des autres (les citadins) ou de leurs congénères, ces migrants dont ils descendent parfois ou qu'ils ont été.

Les études sociologiques ou autres font rarement mention de la mémoire. Que dit-on de la place de la mémoire et de ce qu'elle représente dans la vie et l'imaginaire des migrants ? Le passé --surtout lié au vécu- ne se reflète-t-il pas dans les pratiques des migrants en dehors des fêtes liées au village ? La. question est complexe mais mérite d'être étayée.

Une délicate et profonde étude de la reconstruction de la mémoire a été réalisée ces dernières années par la Comision de la verdad y de la reconciliacion, afin de témoigner des maux et meurtrissure de vingt ans de terrorisme et de guerre. Ce travail de mémoire est allé rechercher très loin. Des témoignages abondants, (tant de gens avaient à témoigner des horreurs vécues) ont été recueillis pour exorciser les blessures et rendre hommage à tant de victimes... Force est de constater combien le poids du passé est toujours présent. La mémoire en est elle-même un témoignage.

Valorise-t-on ou non l'origine, la culture de « l'avant » (y a-t-il vraiment un « avant » et un « après » la migration ?)_afin d'en tirer meilleur profit ? C'est un jeu qui mérite d'en sonder les règles... La rencontre culturelle qui a eu lieu à. Lima, a joué un rôle essentiel pour définir les choix à faire par les migrants : le dire, le faire ou le montrer. Aussi est-il intéressant de

66 Maria MENDEZ GASTELUMENDI. Migracioa, ideritidad y desarrollo. Hacia ana vision die pais. 19997 Ibid.

Teofdio ALTAMIRA_NO RUA

69 Jurgen GOLTE. Cultura.. racionalidad inig.,racion andina. LEP. 2001.

repérer les discours traduisant une même façon de se raconter, d'agrémenter certains faits, et de les dénigrer, autant de raisons pour les choix et le changement. Que cachent ces non-dits et ces manières ostentatoires ? La difficulté de vivre, de s'adapter ? Une façon d'échapper aux jugements méprisants des autres ?

Dans leurs récits, chacun se raconte à sa manière, en ne livrant qu'une fraction de l'histoire et l'associant à sa vie d'aujourd'hui. Leurs vécus ne sont d'aucune façon des schémas de trajectoire migratoire. En conséquence, leurs discours apparaîtront, au premier abord, assez stéréotypés (réciprocités du dialogue, intentions : ce qu'ils savent des "interviewers", anthropologues et autres et de leurs attentes, selon l'image qu'ils veulent laisser d'eux)

Il m'a semblé légitime d'accorder une place importante aux récits dits de vie, de laisser part au témoignage, à l'expression de la mémoire, à la façon de se dire... Il faudra déceler sous les mots ce qui s'y cachent réellement...

Il manque une infinité de renseignements, sur leurs familles, sur eux-mêmes. Il faudrait pouvoir passer des heures e des heures sur une période assez longue, pour non seulement créer une plus grande confiance, mais aussi déverrouiller certaines portes de la mémoire... Tautologique, peut-être. La rencontre est toujours celle d'un instant partagé, qui construit une relation lorsque les occasions se multiplient... Elle est une confiance qui s'acquiert sur la durée. Mais les gens des Andes sont particulièrement doués pour s'exprimer de façon imagée, ou en périphrase... Sans jamais nous contredire, les gens s'expriment parfois par des acquiescements intempestifs -- ou incohérents (pour nous, extérieurs, exaspérés par l'éternel paradoxe des choses 1) Ils semblent garder en eux tout un univers, livrant à l'étranger ce qui pourrait le satisfaire, ou lui faire plaisir. Naturellement, les gens choisissent de montrer le visage qu'ils veulent se donner ! Tant de dimensions que les mots seuls ne permettent pas de comprendre, tant de gestes qui paraissent insignifiants, et pourtant. Comprendre à travers les non-dits, les expressions imagées, les allégories et les gestes excessifs le message qu'ils veulent nous transmettre est un challenge. Mais aussi le contraire, décrypter dans la banalité.

Après plusieurs conversations, le vernis posé sur le lieu d'origine commence à se s'estomper et révèle d'autres difficultés. Ils se livrent plus sincèrement en montrant les difficultés de « là- bas » et leur mieux-être d'aujourd'hui. Le présent ne doit-il pas triompher ?

Témoignages...

« Chaque maison, c'est tout une histoire... » Isabel

Trois générations, ou quatre. Quatre femmes. Quatre moments d'arrivée bien distincts...Cirila, la plus âgée, arrivée aux débuts de la communauté campesina, Genobeba dans les années 90, Milagro en 97 et Meche, toute jeunette, à peine arrivée, et directement installée à la Vizcachera... !

".; +1,1"; \:1Yen.r-i''.'`' fCli!'

I !:%Pi !1111,' )7 h»

cxup,n

Chez Cirila et Marcelino--des « antiguos » ou des andahuaylinos...

Depuis 90 et 83...à la Vizcachera

Chaque fois je m'y rendais, je cherchais des yeux du haut de la cour de la présence de Cirila. Sinon, les chiens -le leur ou les pensionnaires diurnes de leurs enfants, se jetaient sur cette étrangère qui mettait le pied dans le territoire à garder...

La cour était souvent encombrée d'une ou deux "combis", lorsqu'elles étaient revenues de leur folle épopée à travers la ville, ou qu'elles étaient en panne... Etre propriétaire d'une cote/ n'est pas très lucratif ; ce sont de vétustes camionnettes à réparer constamment. Et surtout parce que les gains se répartissent à. l'informel entre le chofer et le cobrador...Et, de cette course effrénée, aux passagers que reste-t-il ? Avec cette conduite qui a consommé son trop plein d'essence et a usé le moteur jusqu'à ce que panne s'en suive...

Les premières fois, il y avait des lapins, des cochons d'inde, des poulets...déjà dévorés ? Vendus ? Le deuxième cas est le plus courant. C'est un peu comme dans la Sierra ou le bétail représente un certain capital, et n'est mangé qu'en de rares occasions...

Quand elle me voyait arriver, elle installait presque mécaniquement une chaise sur le devant de la maison et nous nous asseyions côte à côte scrutant évasivement la cour et le cerro d'en face... Refaisant la vie et ses histoires. Et Cirila de continuer ses activités : tricoter, ou bercer le bébé dans la manta...

Marcelino travaillait dans la construction, il sait à peu près tout faire. Mais sa santé ne lui permet plus de travailler autant.

« J'ai appris moi-même la construction. Avant je travaillais à la chacra, mais c 'était trop mal payé, ça servait tout juste à manger. Alors je me suis mis à aller ci et là pour faire autre chose ...et peu à peu, j'ai su tout faire, les gars me gardaient avec eux

(.)

Parfois, il se joignait à nous, parfois il continuait ses activités... Inopinément, il s'embarquait dans des récits liés à la Sierra...I1 parlait avec un accent très "serrano" et en quechua avec sa femme.

"Pendant la semaine sainte dans la Sierra [on est peu de temps avant la semaine sainte], il y a cette danse où on fouette la jambe, et ils le font vraiment ! Une fois, deux

Tissu, en général très coloré dans lequel les femmes dans les Andes mettent des affaires ou portent leur bébé ou les deux sur le dos. Les hommes aussi l'y utilisent pour porter des affaires... A la Vizeachera, nombreuses sont celles qui l'utilisent encore pour porter leur enfant.

H

fois et plus fort la troisième fois...C'est la tradition qu'on avait...maintenant, ça a changé [ici ou là-bas ?]...

j "Une fois quand je suis allée, les gens se demandaient ce que je faisais là... alors ils

interrogent : "tu es le fils de qui ?" et tu lui dit "tal fulano" (un tel...) et c'est bon tu es reconnu, on sait qui tu es..."

"Quand on y retourne pour un negocio, les gens invitent à manger chez eux. Si tu

aimes c'est bien et sinon, on dit : "alti nomàs" et ils ne te resservent pas. Si ce n'est
1111 pas bon, tu demandes à mettre ce qui reste dans un sachet pour manger plus tard et tu

le donnes au chien..." Et de continuer sur les plats de là-bas : la menestra, etc.etc.

Parfois Moises, leur fils, passait par là et profitait de la présence d'une étrangère ("spécialiste
en migration") pour parler de ses rêves d'émigration dans le Vieux Monde : "et de là-bas, je

r.1 vous enverrai [de l'argent] ", en s'adressant à ses parents...Il a appris à tout faire (tout ce qui
tourne autour de la construction) c'est son "art" dira-t-il. Chez lui, il a installé son atelier.

Cirila était de celles (nombreuses, semble-t-il) qui ne sortent jamais du quartier, ou presque... A partir de 15h, Cirila était "en los chanchos" "dans les cochons" ( . Les nourrir chaque jour n'était pas mince labeur. Il fallait déjà que Marceline ait réussi à, récupérer (moyennant un Sol) des restes sur le marché (feuilles de maïs...) ou dans un restaurant. Et elle s'en allait dans la porcherie, enfant sur le dos, poussant le chariot de nourriture. Quand l'argent venait à manquer, elle tuait quelques cochons...

Parfois en passant le soir, ils m'invitaient à partager un caldo de galline ou un café ; "c'est la pauvreté", s'excusant toujours du peu qu'ils ont à offrir. Un jour, arrivant pendant le déjeuner, j'ai été invitée à goûter le plat tel qu'elle le préparait, bien que j'avais déjà le ventre plein : c'était du poulet au cacahuètes (adaptation du même plat préparé avec du cochon d'inde dans la Sierra). "Juste pour goûter la sauce !" Mais comment ne pas le servir avec ses pommes de terres et sa plâtrée de riz ?! En acceptant, je l'honorais certainement, et je mangeais fort probablement sa part de viande...

L Mis à part le petit dernier de ses six enfants, les autres avaient quitté le foyer parental. Installés dans la "maisonnette" de la cour (qui était la leur avant qu'ils ne construisent de l'autre côté de la petite cour), partis dans l'autre partie du terrain72, ou encore de l'autre côté

L de la rue sur la pente et sur le cerro opposé, à au moins trois minutes à pied ! Aucun n'a quitté
la Vizcachera.

Et elle me parlait des aléas du quotidien, comme la rareté et le manque d'argent pour nourrir tout le monde chaque jour --son dernier enfant, le premier fils de sa fille (du même âge) qui vit avec elle car elle l'a toujours élevé, sa nièce que son frère qui vit dans la Selva lui a envoyé (elle m'a beaucoup parlé de lui et de sa difficile situation là-bas), le petit dernier de sa fille, dont elle avait la garde toute la journée alors que sa fille s'en allait laver du linge à l'autre bout de la ville pour pouvoir acheter le lait quotidien... Ou quand vint cette rude période

LIqu'est la reprise du collège et l'achat du matériel scolaire... Ou des chanchos qu'il va falloir nourrir... Et des uns et des autres...Et du padre (qui les faisait souvent travailler), et de la hernzanita...

71 Bouillon de poule (avec des morceaux de poules, des pâtes, pommes de terre) dans laquelle on ajoute oignons, piments et oeuf dur.

72 En tant qu'anciens habitants, ils jouissent de plus grands terrains, et de plusieurs lots, pour leurs enfants

Mais toujours et encore, de ce problème de terres, redondant et intriqué mais captivant, en ce qu'il liait des gens et les obligeait à prendre parti. De cet achat incongru des terres de la Vizcachera, à propos duquel je n'ai rien saisi la première fois qu'elle l'a évoqué, dès le premier jour...C'était quelque chose qui était venu briser une unité, une cohésion qui aurait existé, dans un avant, avant cet événement... De ces gens qui leur font pression, de cette lutte de la communauté. De ces nous et ces autres, ceux qui sont "contre nous", les traîtres...

--> Cirila n'a jamais cessé de me parler de ses préoccupations et de m'en tenir avisée. Il m'était pourtant difficile de comprendre ses soucis, lorsqu'au début elle me parlait de "ceux qui ont acheté", "eux", "l'association", "nous", etc.

"Avant c'était mieux"

« Quand je travaillais à la parada73 , avec les pommes de terre, je laissais les enfants seuls ici, avec k repas prêt... Ils payaient pas cher, mais je repartais avec un sac entier de fèves pour quelques soles ...J'avais une amie qui vendait là-bas...Maintenant, il n'y pas d'argent »...

Et du là-bas... quelques évocations parfois vernies ; et par bribes, des passages, décousus, puis relus et revus... Tout un parcours qui oscille dans les moments du passé, sans ligne chronologique et ce, jusqu'à réveiller l'enfance...

J'en ferai une chronologie, mais telle qu'elle se donne à voir, de haut en bas, d'avant en arrière... Ah ! Occidentaux qui voulons un parcours, un fil, qui cherchons toujours ce qui a précédé et ce qui suit ! Tellement d'étapes, d'espaces transitoires, de moments à cheval dans leurs vies que rien ne se peut redire comme un temps linéaire avec son début, puis les causes qui font passer d'une étape à l'autre.

Ils viennent de Andahuaylas, dans le département d'Apurimac, de deux villages que l'on gagne par des routes différentes. Certainement deux provinces voisines. Cirila évoque avec effroi les routes dangereuses qu'il faut emprunter... "Es leeeejos" (c'est loin !). Sa maman est toujours là-bas : "elle y a ses terres". Mais ils n'y vont pas, parce qu'elle a peur. S'ils y sont allés récemment, en janvier, c'est parce que son frère lui avait laissé croire que sa maman était malade -"et elle allait bien !" dit-elle avec ressentiment... Cela faisait 35 ans qu'ils n'y étaient pas retournés. Ce qu'elle en conte, ce sont les difficultés : la dépense (dont ils subissent encore les conséquences -ils ont dû faire un emprunt), la peur, les maux, de cette pluie qu'ils ont dû affronter pour arriver au village, à pied...Puis il y a eu les "terrucos"74, alors ils ont cherché le premier bus pour retourner vers Andahuaylas et fuir ! Malades et encore plus terrorisés, ils sont vite revenus de ce lointain périple. Début janvier 2005, une abominable tuerie a eu lieu près d'Andahuaylas, perpétrée par les ethnocacéristes75. Comment revivre un tel drame (qui n'a d'aucune manière été perpétré par le même mouvement qu'autrefois), alors même que le souvenir est empli de ces années de terreur qu'avait semé le Sentier Lumineux

73 La parada est le marché des marchés, nous l'avons déjà explicité

74 Nom donné aux terroristes à l'époque du sentier Lumineux

75 Mouvement des ethnocacéristes dirigé par le commandant Humala... En janvier ils ont pris d'assaut un commissariat à Andahuaylas. C'est un mouvement armé qui veut la démission du président, que le quechua devienne la langue officielle, ultranationaliste... (Ethnocacéristes : de Avelino Caceres, il a été un héros de la guerre du Pacifique contre le Chili, dans les Andes centrales, il parlait quechua mais sa famille était des descendants d'Espagnols...)

Arrivant à la Vizcachera en 1983, c'était le désert, plein de cactus, il n'y avait personne ou presque...Quelques-uns qui vivaient non loin des chanchos desquels ils s'occupaient. C'est pour cette raison que Marceline est venu. "Et on a organisé les gens qui ont continué à arriver Bien que s:v rendant tous les jours, Cirila est restée vivre dans leur maison de la Victoria. Ce qu'elle évoque de ce lieu, c'est le souvenir de la délinquance (c'est un des quartiers les plus mal réputés, à raison...). Elle ne laissait pas les enfants sortir dans la rue ; se souvenant d'une parente : "elle traîne dans la rue, tourne mal et il lui sort un gros ventre ..." Oui, la Vizcachera, "es mas tranquilo" . En 1990, ils ont vendu leur maison del Pino (le cerro de la Victoria). "Au début, c'était une "chosa" (cabane), et peu à peu, on l'a améliorée". C'est à cette époque qu'elle a appris à vendre des patates, en travaillant à La Parada. Puis elle vendait des chicharrones : "tout le monde me connaissait...et venait...puis j'ai arrêté car ça m 'écoeurait ...j 'étais enceinte ..." En comparant Lima et la Selva (où, s'il n'y a pas de café, il n'y a rien !) elle constate qu'ici, on peut toujours trouver quelque chose à faire, quelque chose à vendre : "vendre des Salchipapas" . Avant, quand son mari n'avait pas de travail, elle envoyait ses enfants. Quand ils étaient petits, elle partait très tôt et allait se proposer à La Parada. Et de laisser ses petits, à côté d'elle dans la planta. C'est qu'à Lima, "s'il n'y a pas d'argent : il n'y a rien f "

La famille... Cirila a deux frères dans la Selva et un à Trujillo (au nord de Lima). Elle parle beaucoup de la situation de son frère dont elle accueille la fille : "parfois, il n'a rien à manger, parce qu'il ne cultive que le café et les années où ça ne donne pas, il n'y a rien d'autre (pas d'autres alternatives)"

Marceline a beaucoup de famille ici aussi, mais dans des quartiers éloignés, avec qui il ne semble plus tellement entretenir de rapport. Il m'explique un jour qu'il n'aime pas boire... et eux, c'est ce qu'ils font !

Cirila est arrivée à Lima de la Selva. Elle était partie y travailler avec son frère. C'est là-bas qu'elle a rencontré Marceline (qui, soit dit en passant, est de "son coin". C'est que beaucoup de gens de là-bas devaient s'y rendre en se "passant l'info"). Elle explique qu'ils sont venus à la recherche de meilleurs services de santé, étant sur le point d'accoucher. Ils sont ensuite repartis deux ans dans la Selva et, de nouveau, Lima.

"Tous les deux on travaillait à la récolte. Le travail était dur ...J'ai ensuite fait la cuisine pour les travailleurs. A 4h du matin, il fallait préparait leur petit déjeuner, puis le déjeuner ...En plus, on mange autrement. Il fallait faire du manioc, des bananes plantains ...etc. "

"Chez nous, il y avait le danger des terroristes, ils tuaient...C'était plus sûr de partir. On disait qu'il y avait du travail dans la Selva. Et maintenant qu'on est retourné là-bas [dans la Sierra], on est vite reparti ...on est tous revenus malades, on n'avait pas assez de vêtements. Le chemin, c'est une quebrada (pas loin du précipice...). C'est pour ça que je ne retournais pas, ça me faisait peur ..."

Et derechef, elle raconte l'épisode douloureux de leur seul retour...

"Je n'ai pas été beaucoup à l'école : juste un an... Parce que mon père est mort quand j'avais 8 ans. J'ai dû partir travailler à Huancayo. Je travaillais dur. Elle [la maîtresse de la maison dans laquelle elle travaillait] me faisait tout faire, laver, cuisiner, sans cesse ... Puis, je suis allée chez une autre...je devais garder les enfants.. finalement elle me faisait tout faire ...Alors je suis repartie au pueblo, mais je ne me suis plus habituée ...et la pluie ...Et je suis repartie [ _]"

C'est seulement après bien des rencontres qu'elle se mit à remonter dans l'enfance, ses départs pour travailler, la fuite du terrorisme... Je lui ai posé une question peut-être sur son parcours vers la Selva (dont on avait déjà parlé) et c'est là qu'elle s'est embarquée dans des récits lointains et ininterrompus, enchaînant les moments de cette époque de sa vie...Une vie dure, à travailler comme une forcenée et exploitée dès le plus jeune âge, et des années de vie dans la peur et la terreur de la présence de Sentier Lumineux et des atrocités commises sous leurs yeux...

Et toujours, les projets. Autant de projections qui paraissent saugrenues et qui pourtant parfois voient le jour...Ils veulent finir la construction de la maison. Et prolonger devant, sur la rue, pour "poney un negocio" (ouvrir un commerce). "Puisque nous avons un camion, on pourrait rapporter des légumes et les vendre 1" Qui sait quels projets font partie de leur esprit de projection et lesquels seront menés demain ! Et elle conclut : "mais on n'a pas d'argent pour construire .. "

La réelle raison de leur venue à Lima demeure non exprimée. Le travail, diraient-ils. Leurs liens quelque peu rompus, cachés derrière un passé accidenté et des vécus faisant leur route. La nouvelle génération n'est pas sortie de la communauté (tous leurs enfants se sont installés à la Vizcachera)... mais déjà plane une envie d'aller chercher ailleurs ce qui ici ne se trouve pas. Ce en quoi ici on ne croit plus... Le partir... I' ailleurs qui se fait européen...

Lors de notre première rencontre, ils ont beaucoup parlé de la communauté, un peu comme des « vétérans » avec leur ton de fierté, de ce qu'ils ont ici construits, de la défense qu'ils ont toujours menée contre les envahisseurs... Elle semble déconcertée devant les conflits qui existent ici, et dont déjà ils me font part, malgré l'allusion à une unité, une solidarité. Double discours ? Et, encore, cette comparaison entre "ici" et "là-bas", entre maintenant et avant...La nourriture et son abondance dans la Sierra sont des thèmes récurrents chez tous, qui s'expriment en de longues tirades alimentaires... Et de parler de ces traditions, ces fêtes, ces coutumes, même si « ça a changé, ça n'est plus comme avant ». Idéalisation ? Du reste, Cirila laisse plus ou moins transparaître qu'ils ont l'habitude d'y retourner. La réelle coupure ne se dévoile pas encore... Et pourtant, on comprend finalement que, bien qu'ils y soient allés dernièrement, cela faisait plus de trente ans qu'ils ne s'y étaient pas rendu...Trente années...

La pauvreté...et le constant manque d'argent aussi...Mais cette certitude qu'à Lima, on peut toujours trouver quelque chose, qu'il y a du travail...et cet engrenage : « s'il n'y a pas d'argent, il n'y a rien... »

Que faisaient-il là-bas ? Apparemment sa mère avait des terres... et son mari ? Est-ce que toute la famille serait partie de près ou de loin en raison du terrorisme, ou parce que la situation générale de la famille était critique (père décédé, peu de terres...) ou est-ce le hasard qui les a amené jusqu'à Lima ? Je ne pense pas, même si elle prétend être venue pour la maternité. Mais pourquoi ce choix de venir accoucher à Lima ? Peut-être le fait d'être venue une fois...

Li

Genobeba...seule dans la montée...

La Vizcachera en 1993

Zigzag. Le fil de son histoire changera au fil des rencontres, peut-être justement parce qu'elle ne laisse pas transparaître de fil... Au lieu de retracer l'histoire dans un ordre plausible, j'exposerai ses propres récits au fil de ce qu'elle m'a peu à peu révélé, pour mieux voir l'évolution de ses propos.

1/

Elle est plus timide que les autres, devance moins le dialogue, paraît plus distante et discrète...plus pudique peut-être. La première fois que je la rencontre, chez elle, son mari est présent, et sa vision permet de réaliser le rôle de la situation familiale (sur le phénomène de migration). Bien sûr le ton du discours en est conditionné par cette conversation à plusieurs... Si le mari est présent, c'est qu'il n'a pas de travail, ou que comme beaucoup, il n'a que des « cachuelos76 », c'est-à-dire du travail occasionnel, mal payé. Ils habitent dans « la montée » de la Vizcachera, longue rue qui démarre de la pampa et s'enfonce entre les cerros... Sa maison est encore faite d' esteras77 , matériau de la première étape de construction d'une maison. Quelques cartons et plastiques viennent consolider les parois ci et là. Néanmoins, la taille, en plusieurs pièces, montre déjà un certain avancement de leur maison et l'aplanissement du terrain, un fastidieux et rude travail. Dans la cour, où nous nous asseyons (j'ai le droit à une manta pour couvrir le banc...et m'asseoir !) : un tas de briques, que les gens, lorsqu'ils arrivent à juntar plata (réunir de l'argent) commencent à stocker, peu à peu, en vue d'obtenir la quantité pour levantar ("lever") au moins quelques murs, en « matériel noble ». C'est ce qui montre une certaine pérennisation de l'habitat... Pourtant, ils expriment, lors de la première discussion, leur désir d'éventuel retour, presque convaincant...

Genobeba travaille à la cuisine du Wawawasi78 tous les matins. Lui est maçon quand il y a du travail, et qu'on lui « passe l'info », mais c'est difficile parce que : «parfois il n'y a rien ». Ils ont arrêté les études au cours du primaire. Tous les deux âgés de quarante ans, ils ont trois enfants ; l'aîné s'est installé en face avec sa conjointe (il a arrêté le secondaire en « primario » parce qu'il ne voulait plus étudier) et les deux filles sont encore « en son pouvoir », elles n'ont que treize et quatre ans.

Ils viennent du département d'Apurimac, province d'Andahuaylas ; Genobeba du district de San Jerônimo, son mari de Talavera.

« Je suis venue à Lima parce que ma mère venait, je ne pouvais pas me séparer d'elle. Je suis venue avec mon frère. Tous mes frères et soeurs sont ici. Je suis d'abord allée chez ma soeur à «El Agustino » fun des premiers districts formés par les invasions, maintenant consolidé], mais on avait juste une petite chambre pour nous quatre. »

« On vient d'une autre province, ça nous manque, c'était mieux là-bas... on pense y retourner (elle parle même de la possibilité d'y ouvrir un magasin...1 [le mari insiste.. j. Ici,

Argot péruvien pour le travail occasionnel. précaire. De là. le verbe cachuelear » : vaquer de travail en

travail (souvent dans la construction), lorsque l'on entend parler de quelque chose...

7s Natte tressée en paille. chaque plaque permettant l'élaboration d'une paroi.

Terme venant du quechua wawa enfant, WaSi : maison. Organisation gouvernementale présente dans tous les quartiers pour assurer une garde (et l'éducation) d'enfants chez des mères cuidacloras. la nourriture est préparé dans un comedor spécial et distribuée dans les maisons.

maintenant, c'est définitif oui...Mais on voudrait retourner dans la Sierra. Oui, on voyage là- bas, on est allé avec les enfants en février... ».

Le mari : « Toute ma famille est encore là-bas, mes frères, mes oncles, mes parents.. »

A notre première rencontre, ils laissent transparaître un semblant d'idéalisation de leur terre d'origine... A la rencontre suivante, Genobeba oscille entre deux discours, celui où elle déclare s'être « acostumbrado » ("habituée", ce qui exprime une certaine distance par rapport au lieu d'origine, et une accoutumance dans l'être ici), et l'autre, du vivre dans la nostalgie et le désir de retour. Elle semble contente de me voir revenir. Nous commençons par parler du présent et remontons au fur et à mesure dans le passé, proche, puis, plus lointain, celui des origines, souvent un peu flou...

IIl

Nous nous connaissons tous ici à la Vizcachera. « Parce que nous faisons des réunions avec la communauté. Et aussi grâce au comedor j'allais y chercher la nourriture et peu à peu on se connaît. Et aussi au Faso de Leche7 9. Et puis, nous travaillons ensemble quand il y a des faenas80 (travail collectip de la communauté. Par exemple, quand on a fait le nettoyage du quartier des rues, ou les travaux pour le tank d'eau...

« Ça ne fait que dix ans qu'on a la lumière. Avant non, on s'éclairait avec des bougies pour tout. Il n'y avait personne dans la rue le soir, parce que tout était obscur...

« On a acheté à la Vizcachera, ça fait douze ans, depuis 1993. On est venu s'installer quand on était marié. Quand j'étais encore célibataire, je venais tout le temps ici, en visite, environ une fois par mois.

C'est mon frère qui m'a dit de venir pour travailler. « Alors on est venu, et on s'est mis à laver et peler de l'ail. D'ailleurs on a continué ici aussi. On habitait à El Agnelli° pendant un an et demi chez mon frère.

C'est un vecino81 qui nous a ramené ici à la Vizcachera, en nous disant qu'il vendait des terrains. Parce que « no es como casa propice » (ce n'est pas comme d'avoir une maison à soi -qu'on ne loue ou « squatte » pas). A l'époque, le terrain coûtait dix sacs de ciments. On a dû tout aplatir, c'était du cerro, il y avait des cactus...Il n'y avait pas de chemin pour que l'aguatero82 puisse passer : on devait aller en bas chercher de l'eau. Mais comme il y a eu de plus en plus de monde ils ouvrir un passage ("abrir camino"). Il n)' avait pas de lumière (elle en avait dans son village des Andes!). Alors on a dû collecter pour avoir leur propre lumière ("la luz propice) avec un conteur, par une convention de trois ans. Ça a vraiment changé [l'environnement, la vie]. Je ne connaissais personne, je restais seule. Je ne sortais pas de chez moi. Mais peu à peu par exemple, un véhicule apportait du lait, et' quand il en

7q

« Verre de lait ». Autre organisation de base, financée par l'Etat où les femmes travaillent par roulement, et bénéficient en échange de lait pour leurs enfants, qu'elles viennent chercher en fin d'après-midi.

8() La faena : travail conununautaire que l'on fait pour quelque chose qui profitera à la collectivité, on n'est pas rayé pour le faire.

`1 Trecino (voisin) fait partie des personnes "types qui "donne l'indic."(pasa la vol). entre una amigua. un fi7milrar, .. etc.

S'_ est la personne qui, avec son camion, vient distribuer l'eau de maison en maison, dans les

nombreux quartiers où elle est inexistante. Cette eau est plus contaminée et revient près de 10 fois plus chère que l'eau courante des quartiers qui en sont pourvus. De surcroît. ses venues sont irrégulières, il peut passer plusieurs fois dans une même journée connue omettre de passer. Les gens doivent donc avoir une gestion méticuleuse de leur eau. D'autant plus que c'est un réel coût et que le linge. si souvent lavé fait vite baisser les barils

restait, il l'offrait. Et puis, on m'a invitée à manger un menu à 1.50 S/ au comedor. Peu à peu, j'ai connu les gens...

« Au comedor, c'est moins cher. Mais à la maison, c'est à ton goût, mais on dépense plus...

Aujourd'hui, j'ai fait de la cuisine de la Sierra. «Je ne sais pas comment ça s'appelle, mais on y met ci... et ça... et c'est de couleur rouge, parfois jaune. Sinon, je fais des lentilles, ou de la "patita con marri" (patte --d'animal, avec des cacahuètes)... »

Le thème de la nourriture, de la cuisine est toujours un grand sujet de conversation...

Je lui demande à nouveau d'où vient chacun d'eux. Elle me reconstitue leur arrivée, dont la version diffère quelque peu de la première et sera affinée à nouveau à la rencontre suivante...

« J'étais chez mon frère, et mon mari travaillait avec/chez lui : c'est là-bas qu'on s'est rencontré... »

Je comprends donc qu'elle n'est pas arrivée ici avec son époux, mais qu'elle l'a rencontrée parce qu'il travaillait chez son frère, et elle aussi. Celui-ci vient de la même région qu'eux, ce n'est pas le plus grand des hasards qui a dû le faire arriver en ces lieux de paisanos83

Là-bas...

Nous abordons ainsi le thème de la Sierra. Ils (avec ses deux derniers enfants, mais pas son fils : « Il n'aime pas la boue " ») y sont retournés cette année, en février, après sept ans...

Ça a beaucoup changé. « Tout est modifié. Avant on allait à pied Maintenant, il y a de grands véhicules pour aller au pueblo qui est loin. Avant, c'était des camionnettes, maintenant, on peut aller en taxi, en combi, avant il n'y en avait pas... Et il y a des parce ...pour le commerce, c'est mieux, maintenant, il y a beaucoup de gens. »

« De mi, tengo una sobrina. De mi esposo, son bastantes? » « Ils vivent là-bas. Ils cultivent du maïs, papa, habas, frigo, cebada87 ... Et ils ont des animaux : obejas, vacas, caballo, conejo, patos bastantes88 ....et ils élèvent des chcmchos... On a vendu les chacras (champs).

On les appelle par téléphone...

«Mon époux dit que ça lui manque, qu'il va y aller ...mais en fait, il n'y va pas. »

« Là-bas, au moins, l'air est pur, ici on est toujours malade ... mais le problème là-bas, c'est que s'il y a du travail, ils payent vraiment pas cher... "Là-bas c'est mieux". Dans les cultures et les récoltes, il y a de tout. Il faut juste travailler pour [acheter] le lait89, le sucre, le riz90

,

les vêtements...

" Se dit de quelqu'un qui vient de la même région que soi. Que ce soit un village, un département ou un pays... Sil la saison des pluies. la terre devient boue et cause certains inconvénients (routes peu/pas praticables_
marche plus difficile...). A Lima. on Weil voit guère...

85 Se réfère-t-elle aux "places d'armes- aussi appelées parque? On peut effectivement voir une mode d'urbanisation et de "bétonisatioir des places de village, marque d'un certain développement de la part des alcaldes (maires) ?


· « De moi [de mon côté], j'ai [il y al une nièce...De mon époux [du côté de mon époux], ils sont nombreux... » s' Maïs, pomme de terre, fèves, blé, orge...

gs Des moutons, des vaches, des chevaux, du lapin, des canards beaucoup...

89 Le lait est bien plus souvent en boite, concentré, que fraîchement sorti du pis de la vache I

»' Le sucre et le riz sont les deux produits fortement consonunés qui ne proviennent pas de l'autoproduction. Lorsqu'ils viennent à manquer, c'est signe d'une certaine carence...

Si j'y retourne (-ais) ?

« Je vais à Andalmaylas91 , la ville. là-bas mon époux trouve du travail rapidement. Moi je pourrais vendre à manger... des anticucho, des salchipapa92 ... Je pourrais faire du négoce (commerce). »

« Il a pas mal de terrains, on pourrait les vendre pour acheter un lot à la ville. »

« Avec l'héritage aussi ...Mes parents, leurs terres, ils les ont répartis à leurs enfants : il vont semer jusqu'au jour où ils mourront... la culture, c'est pour manger ! Moi, chez moi, j'ai juste un petit potager..., je n'ai jamais semé, je ne sais pas. »

Avant...

« J'avais un commerce de fromage et d'oeue . Et à la lagune, j'achetais du perrejey (poisson) et je le revendais. J'aimais bien. Puis, ma mère et mon frère ont vendu la maison (lui, il était aide en construction, c'était dur de trouver du travail...) et comme j'étais séparée de ma mère, je suis venue moi aussi. »

Nous sommes dix frères et soeurs...

De ses dix frères, trois sont morts, un vit à Ica et les autres sont tous à Lima (l'un est à Canto Grande, trois autres sont à El Agustino).

Non, je ne vais pas les voir ...la dernière fois que j'y suis allée, il a fallu attendre que tout le monde arrive pour servir... (pour Noël...). » Eux se réunissent pour leurs anniversaires...Celui qui habite ici (qui est parti en bas parce qu'il n'aimait pas être sur le cerro, a déjà une maison construite dont il loue des chambres...) n'y va pas non plus.

Mon mari a quelques oncles vers La Molina-94. Mais lui n'y va pas, parce qu'ils s'y croient, ils le traitent avec dédain... »

A propos des coutumes...« Les paisanos95 ...ils ne fêtent plus... Et ici à la Vizcachera non plus ...Si, ça nous manque ...aux fêtes organisées, on ne va plus parce que ça coûte, ça fait dépenser. Et il y a pas mal de gens, c'est difficile avec les enfants. Mais on a été avec une de nos petites filles... Ceux de Andahuaylas se réunissent comme ça »

« On ne peut compter que sur soi-même .1 Il y a ma voisine, qui est de Lima, de Campoy, sa maman est de Cerro de Pasco, et une autre, de Cusco, elles me donnent des conseils...»

Dans le quartier ?

« Certains s'y croient, parce qu'ils ont plus d'argent. Plus ceux du nord ....ils sont entre « nortenos » (gens du nord)

Et toi, tu es du centre, du sud ? « Ç'a je ne sais pas... »

Je ne parle pas quechua avec mes enfants. « Ils nous demandent ce qu'on dit parce qu'ils ne comprennent pas ».

Entre eux, ça arrive qu'ils parlent quechua, mais peu apparemment...

Genobeba affirme qu'elle ne pense pas retourner dans la Sierra mais exprime ce qu'elle y ferait si elle y retournait...D'ailleurs, si je la réinterroge à ce sujet, c'est en raison de cette ambivalence du désir de retour. Elle répond cette fois-ci par le dénie en disant :

Andahuaylas est le nom d'une province du département d'Apurimac. et aussi de la ville principale.

92 Coeurs en brochette et pointues frites...

93 Ce qui peut tout à fait vouloir dire qu'elle les vendait à un coin de nie dans un petit panier... '' Un des districts de Lima les plus résidentiels et exclusifs...

95.gens de son « pays »

r « Je ne crois pas que mes enfants s'y habitueraient ; le climat, les rayons... etc. Mcifille me dit

que c'est joli, l'eau, les arbres, les champs, qu'elle aime les animaux, les chevaux, les vaches ; que la viande est meilleure... Mais ce ne serait plus pour y vivre... »

Comme beaucoup, Genobeba a suivi les autres membres de sa famille à Lima et c'est par eux qu'elle y a été intégrée, même si les liens aujourd'hui paraissent assez rompus parce qu'elle n'a pas grandi avec eux, étant donné qu'ils avaient déjà migré à Lima. Comme elle n'a plus personne là-bas, elle a beaucoup moins de raisons de vouloir y retourner que son mari qui y a laissé tous ses proches. Pourtant, même s'il exprime un manque, il semble avoir pris une distance qui déjà, marque la séparation et la faible probabilité du retour.

111/

La troisième fois, Genobeba m'accueille encore chez elle, dans sa petite cour, sur le banc le long du mur, couvert d'une manta à cet endroit où elle m'invite à m'asseoir. Ce n'est pas du linge mais des plastiques qui sont pendus au fil. Qui ne participe pas du recyclage... La petite dernière est toujours là, à se rouler partout et touche à tout ce qu'elle peut... ! La dernière fois que je suis venue, c'est avec sa fille Leila, que j'ai discuté; comme elle m'a raconté tout ses activités avec l'église "chrétienne" [évangélique] et que j'ai même pu aller l'y voir répéter le spectacle de danse pour la fête des mères, j'en profite pour le lui commenter...C'est ainsi que s'ouvre le thème religieux....

- Avant j'étais bien catholique. «Mon fils a été baptisé là-bas. Ici j'allais à la capilla quand elle était en esteras, que c'était une grande pampa. Quand il y avait des faenas aussi j'allais. Mais si, encore maintenant je collabore quand il y a une anticuchada96. Ils nous regardent de travers, parce que nous n'adorons pas les images97. Quand on fait une fête, ils viennent tous. On donne à manger à tout le monde de n'importe quelle religion. Mais au contraire les évangéliques ne vont pas aux catholiques. Parce qu'ils disent qu'ils viennent juste pour manger. »

Les différences... « On n'adore pas les images, ni Santa Rosa98. Pendant la semaine sainte, on ne fait que le vendredi saint. On fête Noël et le Nouvel An mais pas avec le Nii1o99. On n'utilise pas la croix comme arme pour Jésus. »

« On boit de la gaseosa, et même de la chicha de jorraice il Mais ils [en parlant de (y nous » les évangéliques] ne veulent pas boire (d'alcool). Pas du tout d'alcool. Nous, avant, on buvait beaucoup. Surtout dans la construction : mon mari, quand il allait techarle , il revenait ivre Il dépensait tout l'argent...Maintenant il ne boit plus. Ils l'appellent « hermano ». H y a des

96 On y vend des anticuchos (coeurs en brochette grillés). dans le cadre d'une « activité ». On fait une activité lorsque l'on organise une vente de nourriture cuisinée agrémentée d'une ambiance festive voire dansante.,. Ce peut être aussi une pollada : vente de poulet. ou une chicharrouada : vente de chicharrones, morceaux de porcs frits dans leur propre graisse. Cette dernière est souvent organisée à la Vizcachera compte tenu du nombre de porcs qui y sont élevés.... ou encore picaronada (picaro)? : beignet sucré) etc....

L'adoration des images est une pratique très importante chez les catholiques, d'autant plus chez les gens de la Sierra pour qui l'image de leur pueblo a même un certain pouvoir

98 Sainte patronne de Lima

99 Le enfant Jésus, est une figure adorée par les chrétiens.

100 La chicha de jarra est une boisson andine préparée à base de maïs fermenté.

lu' Techar : faire le toit. est un moment fondamental (symboliquement aussi) dans la construction d'une maison, La rechcula peut se faire quand une somme d'argent suffisante --pour acheter le matériel et surtout la boisson pour la fête, est réunie. Elle nécessite beaucoup de main d'oeuvre, aussi nombre de connaissances sont appelées à y participer et y festoyer...

évangéliques qui ne peuvent pas dominer leur corps. Quand il y a des faenas ou des repas, etc., ils se cachent pour boire mais reviennent bourrés...

« Mon fils, il a peur d'y aller (il a plus de péchés (1) ...Sa femme est de Ilueinuco. Il est d'abord parti dans une chambre, en location, ici. Puis chez sa belle-mère puis sa belle- soeur... » (il habite maintenant en face...)

- De Lima à la Vizcachera

« Moi j'ai été six ans à El Agustino, d'abord chez mon frère, mais on ne s'entendait plus, alors on a loué une chambre. Quand j'étais célibataire, je venais deux ou trois mois chez mes soeurs. L'aîné a ramené mon frère puis il est resté chez sa belle-mère. Il est revenu deux ans après. Moi j'étais déjà mariée, avec deux enfants. J'ai donc loué une chambre chez la belle- mère de mon frère. »

« Le fils de la voisine a un terrain à la Vizcachera, c'est lui qui nous a dit...Mon mari et mon frère sont allés voir le "dirigeant" [de la Vizcachera]. Il y avait du terrain ici et aussi plus bas. Il leur a dit de revenir le lendemain parce qu'il y a beaucoup de gens qui cherchent. Alors je suis revenue avec toutes mes affaires et quatre esteras sur le terrain qu'il nous laissait pour 1500 S/... Le dirigeant vivait à Caja de Agua [à l'entrée du district de San Juan de Luriganchoj. »

« Es fea vivir en casa aiena »

« C'est dur de vivre dans une maison qui n'est pas la sienne. Je ne pouvais pas faire marcher le bébé, je ne pouvais pas étendre mon linge, je ne pouvais pas.... Ça y est, j'en avais marre de vivre comme ça. J'ai dit : ou que ce soit je vais m'habituer. Quand je suis arrivée ici, je me suis sentie heureuse. J'ai respiré... »

Au début, « ma petite pleurait parce que c'était obscure...La nuit, on ne pouvait pas marcher ...

« Mon frère, trois ans après, est venu s'installer vraiment, il a vendu le terrain du haut et a acheté en bas et construit. II fait du negocio, il loue quatre chambres (2000 S/..il y a beaucoup de gens qui demandent), il élève des cochons (loue le terrain). Il a des connaissances à El Agustino qui lui mettent de côté des restes de nourriture... Lui est catholique... »

Ici, on est indépendant. « C'est plus tranquille ....Oui, je me vois bien vivre ici... Mes soeurs vivent toutes en maison construite (en dur) _elles me disent : 'pourquoi nt vis comme une traînée ? Misérablement ? " Elles ne viennent pas ici. Et moi non phis je n'y vais pas... »

- Des voyages de retour aux souvenirs lointains

Quand on retourne au pueblo, « on va chez ma belle-mère ou belle-soeur. Nos villages sont voisins comme ici Campoy et la Vizcachera... C'est ici qu'on s'est connu avec mon mari, parce qu'il travaillait avec mon .frère... A onze ans, j'ai travaillé chez un professeur de son village... Son mari avait connu son frère là-bas et il voulait connaître Lima. »

« Nous on s'est marié à l'église catholique. Après un an à Andahuaylas, on est venu ici. Il ne m'a pas dit qu'il était évangélique. Moi je n'y allais pas...puis j'ai été attirée ...Avec Vilma [sa voisine, collègue de travail et amie], j'allais à la chapelle ici. Maintenant, elle me critique ... »

De mon village, la majorité s'en vont travailler à la Selva, pour la récolte du café (ville de La Merced).

Elle était avec sa mère. « Uji an après, elle a vendu sa maison [là-bas!. Mes fières retournent et louent des chambres quand ils y vont. Mon deuxième frère a dit allait y acheter un terrain pour y vivre, parce que là-bas c'est plus tranquille, il en a marre d'être ici. Il est quand même retourné un an, en louant et il vendait des légumes au marché. »

« Quand j'avais huit ans, je suis partie pour travailler chez des gens (employée de maison, en général...). Ma mère ne nous a jamais éduqués. Elle n'a même pas franchi le seuil d'un collège. Il y avait des gens qui eux éduquaient leurs enfants. Nous, on nous a plutôt envoyé travailler chez des gens. Ma soeur, elle, vendait des marcianos (bâtons glacés aux fruits, faits maison). A huit ans elle est venue à Lima travailler avec une dame1°2 de La Victoria, c'est un quartier de voleurs... Ça a été un enfer, elle voulait partir. Elle était venue en avion. »

Mon père est mort quand j'avais un an. « On avait un champ, petit. Il vendait sur le marché. Quand il venait à Lima, il n'aimait pas, il voulait revenir... »

u

« Par contre mon mari a ses parents là-bas... ses frères se demandent comment on vit, parce qu'ils savent que « allà, todo es plata » (là-bas --Lima tout vaut du fric)... ils ont pas mal de champs...de ça ils mangent __parfois ils travaillentue. Il a des cousins qui sont dans la Selva. »

« Lui a plus envie d'y retourner que moi. Il y a des meilleurs collèges qu'icile Il y a phis de disciplines. Mais les enfants sont mal élevés : ils disent des gros mots, ils viennent « todo locas » (leur cheveux tout fous)

« Mon neveu, quand il vient, raconte l'anniversaire du collège là-bas, ils se déguisent tous, de tous les endroits : Puna, Juliaca, Cusco... Ici, maintenant c'est le perreo1°5 , « 11/lesa que mas aplauda (un des tubes du moment) et toutes ces choses là... »

« Mon fils est retourné voir son père deux jours il y a deux ans... il a dit que c'était moche, plein de boue ...I1 est revenu avec de la yuca, papa, pa1ta, limôn, guinda, nispero...todo del pueblol »

- Retour à la Vizcachera...

Les Rondas vecinales...pour se protéger ?...

L

«... de Coincol°7 on dit. Aqjourd'hui il y a un affrontement avec Coinco, ils se prennent des lotes vides (désoccupés). Une nuit ils sont venus envahir avec leur esteras, avec des bâtons...La sonnerie a sonné, tous ont été, ils ont brûlé...C'était vers le collège...les petits pleuraient ...Ils ont appris Coïnco ...Une autre fois, ça a été avec des bombes... »

102 Serait-elle venue directement sur place chercher une petite « serrana» pour travailler chez elle à Lima '? C'est une pratique....

lin Rapport à la notion de travail : bien que le travail apicole soit qualifié de très difficile et fatiguant, il est souvent mis hors de la catégorie "travail"... On dit souvent aussi que dans la Sierra, il n'y a pas de travail, qu'on ne travaille pas...

104 En général les collèges sont réputés pour être meilleurs à Lima que dans la Sierra, c'est d'ailleurs une des raisons véhiculées de la migration... Alors .?!

105 Style musical en plein boom au Pérou (sur la Côte), venant de Porto Rico

106 Manioc, pomme de terre, avocat, citron, des petites baies telles des cerises, et nispero (« nispero du Japon» : petit, orange, assez acide, avec des petits pépins gélatineux à l'intérieur), tout du village.

107 Entreprise qui a acheté l'ensemble des terres de La Vizcachera pour la modique somme de 10 000 soles...

«Il veut nous faire payer en dollars1°8 ...S 'ils ne paient pas, ils « délogent »... C'est ce qu'il se passe à Campoy, en el Chivo (un des cerros du quartier, le plus « réputé »), ils font du délogernent... ils se battent pendant deux, trois jours. Ça appartient à Huarochiri (la province), mais les gens de Campoy se l'approprient. Les trafiquants de terrains font envahir et la police vient aussi...

**

Je comprend finalement qu'elle doit avoir eu un autre mari, c'est pour cette raison qu'elle dit qu'elle l'a rencontré ici chez son frère et qu'elle est venue avec lui de là-bas... ! Et si son fils va voir son père là-bas, alors que l'époux de Genobeba est ici...c'est que c'est un autre ! Mais ça elle ne l'explicitera pas I Et parle toujours d'un « espaso »... lequel ?! Elle dit ça comme si c'était très cohérent...

Toute sa famille semble s'être rendue à Lima et c'est elle qui a permis l'arrivée des uns et des autres... Néanmoins, les signes de réussite semblent être distincts... Genobeba serait dénigrée par ses soeurs en raisons de son humble situation (ou a-t-elle honte ?). Mais elle sait quand même pas mal de choses sur les uns et les autres, alors, elle doit probablement être encore liée à eux... De la même manière, son mari n'est plus en lien avec ses frères de La Molina, parce qu'il se sent sûrement dédaigné, précisons que la Molina est un des grands quartiers résidentiels de la ville... Il semble même plus proche de sa famille qui est toujours dans la Sierra. Ils sont nombreux et c'est en cela que le manque peut être plus fort : la séparation d'avec les membres de sa famille ; il exprimera davantage ce lien profond. L'endroit où se trouvent les gens proches de la famille est très important pour tout un chacun. Ses liens à Lima ne semblent pas très bons, ou pas de « son niveau »... Si la famille semble primordiale dans la possibilité de venir, la position occupée dans la société semble jouer un rôle dans les rapports entre les membres de la famille... Famille et position sociale sont les éléments clés dans un "confort" migratoire...

Le fait d' « habiter sur le cerro » est souvent perçu comme quelque chose de peu flatteur

Comme beaucoup, elle raconte son arrivée à La Vizcachera, et exprime l'importance pour elle d'avoir une casa propia et son besoin d'indépendance au regard des autres, et de sa famille. A son tour, elle peut se réaliser.

Mais ce qui est pertinent dans mes rencontres avec Genobeba, c'est surtout l'évolution du discours. On a commencé avec cette incontournable idéalisation du lieu d'origine, en montrant le manque qu'ils pouvaient éprouver... Certes, le mari insistait plus..., il semblait plus lié, on sentait la présence de sa famille "là-bas" (ils ont d'ailleurs plus de terres...). Puis, nous nous sommes amusées (puisque cela s'est révélé être des projections de choses que l'on rêve sans vraiment désirer)...à évoquer ce que serait le retour. Genobeba racontait ce qui serait possible, avec ce qu'elle aimerait bien faire (vendre des terres, aller et acheter à ville, vendre à manger...). Mais elle terminera par souligner le non-retour : de toute façon, les enfants ne s'habitueraient pas... Elle parle de la possibilité du retour, et même de son désir d'y retourner, la première fois, puis vient à dire le contraire... Paradoxal ? Peut-être pas. Peut- être qu'il est des lieux de la mémoire où l'on s'autorise ce genre de rêveries...peut-être a-t-

1°8 Dès que l'on parle de dollars, ça veut dire que c'est une grande somme, dont on ne dispose pas.

Li

elle été influencée au début par cc drôle d'interlocuteur qu'elle avait en face d'elle, qui l'interrogeait sur ses origines...

Entre temps, elle est venue glisser que « ça y est », elle « s'était habitué »... Ces mots riment souvent avec adaptation, ou bien avec résignation...

Au bout d'un moment on arrive à remonter dans les souvenirs plus lointains, ceux de l'enfance, et des conditions de vie difficiles : un passé douloureux.

A propos du « là-bas »...

Certains diraient : « en mi tierra ». D'autre : « alla » là-bas... Des « chez moi », pour parler du lieu d'origine, on n'en entend guère...

Toujours cette vision, des gens de « là-bas », tout comme celle de ces « venants de là-bas », de cette Lima où « todo es plata » ... serait-ce parce que dans la Sierra, l'argent n'intervient que peu dans le quotidien (juste pour acheter quelques produits (non produits !) comme le sucre)? Ou parce que la réussite en ville ne peut pas passer par autre chose ?!

Les fêtes elle dit que ce sont des choses qui ne se fêtent plus... qu'elle n'y va pas, ça cofite...Y a-t-il vraiment cette rupture d'avec cette partie de « idiosyncrasie » de la communauté d'origine (c'est ainsi qu'ils le disent, pour se référer aux codes de conduites et tempéraments culturels de leur lieu d'origine... H), en raison d'une position économique s'agit-il d'une (auto?) marginalisation d'eux même, ou d'un réel coût (n'oublions pas la réciprocité : il faut collaborer !).

En plus de leurs raisons plus ou moins clairement énoncées, on pourrait penser qu'il s'agit d'une volonté de coupure avec ses origines...Ou plutôt que la conversion au pentecôtisme influence le détachement aux fêtes, qui sont intrinsèquement liées aux plaisirs de l'alcool L'interdiction de consommer ce type de breuvage est l'un des préceptes les plus stricts des règles de conduite chez les protestants...

Dans le même ordre d'idée, on peut noter que les gens qui se convertissent au protestantisme sont des "gente humildes" ou "de pocos recursos" (gens humbles, gens avec peu de ressources). Ainsi, ils deviennent "hermanos" (frère) et c'est peut-être pour cela qu'ils cherchent aussi d'autres gens qui les méprisent moins et cherchent davantage à les aider

Etrange, mais le terrain qui lui a été donné se situait dans renfoncement des collines, loin des premières maisons qui commencèrent à s'y installer...aussi, ils étaient seuls, tout au fond !? Stratégie de la Directiva de l'époque ? Aujourd'hui la partie vide qui la reliait aux premières habitations est complètement habitée et même les flancs qui la bordent. C'est la partie « latérale », ou la « montée ». Un des espaces désignés de la Vizcachera.

m a semble important de laisser ces commentaires sur le quartier, sur le présent et le passe Cu confrontant les problèmes d'intjourd'bui a cet du passé.. toujours enfle Viei" et là-bas"

Milagro et la maison disparue !

Ayacucho, Hunacayo, Huancavelica, Lima, Huanuco...

Puis, la Vizcachera...1997

Les apparitions de nouvelles maisons à la Vizcachera sont fulgurantes, on voit des trous dans la roche, et un jour, une maison éclot... Mais, on assiste aussi à des disparitions...

Milagro habitait dans sa petite masure. Lorsqu'elle m'a accueillie chez elle, nous sommes allées dans sa petite cour, à gauche de la pièce d'habitation... «Et maintenant, où on va converser ? », dit-elle en regardant le désordre de la courette... Des morceaux un peu partout : du bois, des plastiques, des ustensiles... Ici, c'est parfait.

Lorsque j'y retournai, à la recherche de sa cousine Rosa, qui filait toujours et visitait souvent sa cousine, si je trouvais la porte sans cadenas (pas de serrure, juste un cadenas pour l'accrocher à la paroi), tin de ses deux fils m'ouvrait la porte. Ils faisaient là leurs devoirs, trouvant un espace entre le lit superposé familial, et toutes les affaires entassées dans cette petite demeure, qui ne laisse pas entrer la lumière du jour... Peu d'espaces pour une famille ! La cuisine ne se fait pas dans la maison, mais dans la cour, sur un petit feu de bois... Cette manière de cuisiner, andine, est très habituelle tant à la Vizcachera que dans les quartiers récents de Lima, peu urbanisés. C'est d'ailleurs très pratique compte tenu de la taille de leurs demeures et de leur organisation... Au comedor de la Vizcachera : il en est ainsi ; des feux sont allumés tous les jours dans la grande cour pour faire chauffer les grandes marmites...

Mais un jour, le séisme. La maison de Milagro n'était plus qu'un tas de bois et de débris...et un gros rocher qui pointait le nez, il devait être caché par la façade et entrer complètement dans la maison...Milagro vivait presque à même le rocher, laissant très peu d'espace pour l'habitat. Non, elle n'était pas repartiel", ou simplement partie. Elle était toujours là, mais demeurait chez sa voisine, qui déjà avait construit une grande maison avec un deuxième étagera. Milagro allait construire, elle aussi, sa maison... Mais quand ? D'abord il fallait revendre le bois. Ensuite il faudrait trouver le matériel... Etait-ce pour qu'enfin son « mari », gardien dans un autre quartier, vienne s'installer avec elle ?...

Milagro ne travaille pas. Enfin si, elle va, quand vient son tour, "travailler" au comedor, Sinon, elle s'occupe de ses enfants.

Mon parcours ? Une longue histoire.

Son époux n'est jamais là. Il est vigile d'un stade de football. Il vit dans le kiosque, sur un matelas qu'il doit retirer lorsque les gens du club sont là. C'est donc elle qui va lui rendre visite. Et parfois, travailler, quand il faut vendre quelques produits lors des matchs.

De mi tierra ?

Jurcamarca- Ayacucho «Je suis partie de chez moi quand j'avais quatorze ans. Je n'ai pas terminé d'étudier parce que j'avais peur du terrorisme. Ils avaient emmené ma soeur [ils l'enlevèrent]. Je suis partie seule... »

109 Cela arrive parfois : une masurette est abandonnée... les gens sont repartis d'où ils venaient...

110 Le premier étage étant le RDC

r-

« D'abord à Jaufal I , j'ai travaillé avec une prof qui était la femme de mon oncle, pendant trois ans. Mais je suis revenue car je n'aimais plus.._Mais il y avait toujours les terroristes. Alors je suis venue ici, à Lima, pour travailler dans une maison [comme "empleadag pendant une demi année. Puis je suis retournée pour visiter ma famille... Dans la région de Huancavelica (voisine), j'avais des oncles, à Lircai112 (ils travaillent dans la mine). C'est là- bas que j'ai connu son père, de Jarbis [le papa de Jarbis, son fils] Je ne suis pas restée là- bas parce que c'était la chacra, je ne me suis pas habituée (« no me acostumbre »). Mes parents aussi avaient de l'argent. Pour en avoir, ils en avaient des terres ! « Tiene terreno como canchal 13 ». Alors, on est parti à Huancayo, chez un de mes frères, pendant trois-quatre ans. Là-bas, tu es obligé de te dédier à la chacra, il n'y a rien à faire. Alors on vendait sur le marché des chupetesi14. Puis j'ai eu des problèmes avec son papa... je suis restée toute seule. »

« Lima, j'y étais la première fois à dix-huit ans, à Chosica [alentours de Lima], chez des ondes. Puis le papa est venu. On est allée au Rimac [quartier dont une partie est ancienne -- coloniale, et l'autre, des premières invasions, sur le cerro], où on est resté sept ans; dans une chambre, louée. Mais quand mon fils avait sept ans, j'ai eu des problèmes avec le père, alors je me suis retirée, je suis repartie à Huancayo, seule, pendant huit mois, chez l'un de mes frères. »

Petit intermède dans le parcours, nous parlons des souvenirs de « là-bas », parce qu'elle me dit qu'elle est retournée l'année dernière, en août, avec ses enfants, après treize ans.

« C'était pour voir mes frères. Ça a bien changé. Il y a maintenant des véhicules qui passent tous les jours. Avant : on allait à pied, comme ici ! Et le bétail a été amélioré. Les vaches sont meilleures, ils en font du fromage, des yaourts, qu'ils vendent à Lima... »

«Mes frères ne veulent pas venir ici, ils sont habitués à la chacra racostumbrados a la chacra'). Et c'est sûr, ici, "todo es plata" (tout est argent), là-bas, tu as ta nourriture. La seule chose : c'est les vêtements. Et l'huile, le sucre et le riz... il manque ça aussi... »

Le retour. Parfois; l'idée me vient d'aller là-bas...mais je pense à mes fils..., ils ne s 'habitueront pas ... »

La nourriture. « Là-bas, on fait beaucoup la soupe de "nzoron", tous les jours, il n'y a pas beaucoup de plat de résistance ... Cancha, mote ... tu dois manger... (maïs) ! Ici, tu as des plats variés...Mon fils; là-bas, il s'est pris d'affection pour les vaches...II voulait ramener des chevaux, des canards... »

fis

u

Il ne va pas là-bas ? « Je vais l'envoyez désormais; en vacances, à Ayacucho ... »

«Mes frères sont tous revenus là-bas, ils étaient partis à Huancayo, mais maintenant sont revenus... Ils me disent : "regresate aca I" (Rentre toi ici !! Reviens I) ...Mais parfois, ce n'est pas bota d'être dans la famille ...ils te retirent des terrains... »

« Ici, du travail, pour en avoir, il y en a...mais avec les enfants, je ne peux pas... Préparer à manger, faire les devoirs... »

111 Pour info : Jauja a été la première capitale du Pérou. Elle se trouve dans le département de Junin /Huancayo, à 6h de Lima.

112 Capitale d'une des provinces, qui a subi une croissance remarquable, en raison notamment des déplacés du terrorisme

113 Expression Liménienne : « avoir quelque chose comme du maïs éclaté »...pour montrer l'abondance... en même temps, la cancha c'est bien serrano, du mot quechua "kancha", c'est l'aliment principal des voyageurs andins..

114

tétines

De Lima à la Vizcachera...

Son époux actuel est de Huancavelica. « Lui, il est tranquille ici. Sa soeur aussi est là. C'est lui (qui a travaillé dans la mine où travaillait l'époux de sa soeur) qui l'a ramenée... »

« C'est au Rime que j'ai connu le père de José Luis [son deuxième fils]. Puis, on est allé à Huanuco pour chercher du travail. A Ticlacayan, on est descendu...là-bas, on a rencontré un petit vieux qui avait un terrain ici. Il nous a dit : « vamos a mi fiera », on y a été trois-quatre jours, puis on est reparti à Lima. Le vieux avait une maison à Zarate. Il avait aussi un terrain à la Vizcachera. On l'aidait à peler les poulets. Il vendait de la viande. Puis, de là, je me suis acheté le terrain Mais je n'ai pas tout payé, et ils ne me font même pas payer ce qu'il manque »

« Parfois quand je vais là-bas (à Huancayo), je n'ai plus envie de revenir par ici "todo

es plata" ... »

Comparaisons...

« Je me suis attachée à mes voisines, aux gens ici... Ça fait huit ans que je suis ici, à la Vizcachera... C'est mieux que Lima. C'est plus tranquille. Il n'y a pas beaucoup de voitures. C'est comme d'être dans la Sierra... mais il manque des arbres ! »

« Avant, je portais des jupes avec des pantalonslls ...plus maintenant ! Je devais pacager ...et j'étudiais aussi (école), le week-end »

Elle commence à me montrer toutes ses "marques" sur le corps ; autant de cicatrices, autant de souvenirs de l'enfance... amusants. Mais, l'une, est une marque de quand elle est tombée...en s'échappant de la main des terroristes...

C'est là que nous réintroduisons le thème, douloureux, mais dont elle arrive à parler. Souvenirs douloureux...

« Mes parents sont morts en 1990 et1991. Ils ont été tués. »

«Ma soeur est /a « disparue », [elle a été enlevée] en même temps que le président du pueblo, qui lui est revenu après neuf mois... »

«A cause des chevaux, mon cousin avait parié, ils ont dit qu'il n'avait pas payé ...alors ils l'ont emmené ... »

«Ma maman était partie à Huancayo. Mais, "elle ne s'est pas habituée", elle avait de la peine pour le bétail, pour le maison, les chiens, alors elle est tombée malade ...puis elle est repartie ...Puis elle est morte ...Ma mère nous disait "il ne faut pas perdre le bétail, les vaches, il ne faut pas qu'elles meurent ...qu'est-ce que vont dire les gens...Il faut que vous ayez toujours... !" c'est pour ça que mon frère est retourné ...Maintenant, la situation s'est un peu améliorée. Mon frère a acheté une voiture, mais il faut avoir du capital, juste la chacra et la production, c'est peu...Ils cultivent de tout.... »

« J'ai aussi des cousins partis aux Etats-Unis. »

« Rosa, ma cousine est arrivée par moi. Elle est de Lircai. Elle s'est échappée car elle était enceinte... »

Milagro raconte son parcours de manière chronologique ! Elle se souvient bien de toutes les étapes qui l'on amenée d'un endroit à l'autre. Le terrorisme a été le déclencheur, mais les choix des lieux où elle s'est rendue ont toujours été en fonction de là où il y avait sa famille. Des oncles, un peu partout. Grande famille ? Peut-être ! Mais c'est aussi qu'au Pérou, les

115 La tenue « traditionnelle » des femmes andines est une jupe très ample appelée poilera, et en dessous, un pantalon --caleçon long... Bon moyen contre le froid...

rapports de parenté sont élargis : les cousins de ses parents sont aussi des oncles et ainsi de suite... Elle dit elle-même que son histoire est compliquée, mais elle sait en rendre compte... Toujours ce ballottement, entre un bien être ici, et un désir (réel ?) de retour là-bas. Disons qu'elle y pense. Sa famille la lie...mais elle est plutôt en train de trouver une nouvelle cohésion ici, de former un nouveau point d'attache. Et de pérenniser son habitat. Mais tout cela ne veut rien dire. On ne sait jamais où s'arrêtent les routes de la migration.

Meche loin (et liberée 1.?) de la chacra

Depuis moins de deux ans à la Vizcachera

Je ne trouve pas Meche là où elle me dit qu'elle passe sa journée parce qu'elle n'a rien à faire : assise sur une bassine devant chez elle. Je la rejoins donc derrière le comedor, elle y prépare dans une profonde marmite le Vaso de Leche : « il faut mélanger sinon elles vont dire que ça va pas... ». Et de continuer à ouvrir des boites de lait qu'elle agrège: il est rare de boire du lait frais au Pérou...

Meche est arrivée il y a peu à la Vizcachera. Elle vit en location, en « attente » d'un terrain à

« acheter », quand les économies le permettront. Mais Meche, puisqu'elle est locataire, n'est pas "comunera", c'est-à-dire membre de la communauté. Elle n'y appartient guère, c'est peut-être pour cela qu'elle semble distante lorsqu'il s'agit des conflits internes. Distante parce qu'extérieure ?

Rares sont les locataires à la Vizcachera, mais le frère de Genobeba a trouvé le filon : il a construit sur la pampa (comment a-t-il fait pour avoir un terrain sur la pampa alors qu'on lui en avait octroyé un dans la montée non loin de chez sa soeur ? et pour pouvoir construire assez vite et de taille ?) et il loue des chambres dans sa maison. Les loyers y sont très, très attractifs...C'est en cela que Meche explique sa résidence à la Vizcachera. C'est sans doute aussi stratégique. Son « époux » connaissait le quartier car il travaillait dans les batteries et devait en livrer par ici aux temps où la lumière n'était pas électrique. Il a aussi des tantes ici...

Elle vient de Cusco (oui cette cité qui en fait rêver plus d'un, et en fait fuir aussi... !), mais de la province de Anta, district de Huarocondo.... Elle précise son nom de famille : Cuci Supa, et de sa mère, Supa Reyes : ils sont très nombreux là-bas (les « Supa Reyes »). Elle est la deuxième de six enfants, son frère aîné (vint-six ans) habite déjà Lima. Elle n'a que vingt ans. Et un petit garçon.

Cela fait trois ans qu'elle connaît son époux et un an qu'ils cohabitent, depuis l'enfant, en d'autres termes. Avant elle venait en vacances ici : son frère l'emmenait. Il lui envoyait le billet. « C'est comme ça que j'ai connu mon époux ». Il est de la même province mais d'un autre district (Huayacocha). « C'est comme d'ici à Campoy ».

« C'est une tante qui habitait ici (à Canto Grande) qui a emmené mon frère pour travailler à Lima, dans la couture ; pour qu'on lui enseigne à travailler puisqu'il n'y a pas de travail en province ». Il est venu à dix ans (ou elle ?) et elle venait aussi aider sa tante qui lui apprenait : « j'ai appris des choses ».

Lima comme lieu où l'on apprend. « Ya me acostumbre acà » .

« Quand on est à Lima, on a envie de connaître pas mal de lieux et d'apprendre des choses. En arrivant à Lima, je ne savais pas préparer le petit déjeuner. Parce que là-bas, je ne le faisais pas, on cuisine peu ...Plein de choses je ne savais pas en fait... Ici tu dois apprendre,

on te conseille, ma tante m'enseignait...Au début je n'arrivais pas car j'étais plus nerveuse : je venais d'arriver... »

«En venant, je pensais que ça allait être facile en fait non !... Je pensais que c 'était facile comme là-bas, il y avait tout pour manger, pour se vêtir... »

« On ne trouve pas de travail ici parce qu'il demande des papiers. Des références. Et on n'en a pas beaucoup.... »

Elle ne sort pas beaucoup de la Vizcachera. «A peine tout près » dit-elle. Depuis un mois, la dernière fois que je l'ai vue, elle travaille au Wawawasi pour garder les enfants toute la journée.

«Mais ici, il y a beaucoup de poussière, c 'est pesant. »

Son homme a une soeur qui vit ici, et des tantes éloignées. « C'est la parenté, ça n'est plus la famille... »

« Oui, je dirais à mes frères et soeurs de venir. C'est mieux. Pour leur enseigner... là-bas, il n'y a personne pour ça. Comme mon frère, il travaille, il gagne de l'argent. La chacra, c'est juste bon pour se salir. Ici il est [tranquillement] assis à sa machine. Mon époux n'aime pas le travail de là-bas, c'est très fastidieux. Là-bas ça ne donne pas beaucoup, il n'y a pas beaucoup de champs. Et même, avec la papa (pomme de terre), on y perd116. Ici, on s'habitue à l'argent »

Le là-bas... «Ici, c'est différent Parce que là-bas, c'est la chacra, le pacage'17... »

« C'est différent » une fois, deux fois, trois fois... maintes fois le dira-t-elle...

« Avant, j'étais toujours débraillée. J'allais avec le troupeau. Maintenant ce sont mes soeurs qui sont plus jeunes. Avant tour à tour, on allait le faire brouter ou à l'école (elle a été jusqu'en quinto du Secondaire). Mes parents se consacraient à la chacra. Ma mère était à la maison et aux champs, mais ce n'est pas comme ici où travaillent et l'homme et la femme. Là- bas c'est surtout l'homme. Ils cultivaient du maïs, des feves, du blé ... mais il y avait peu de champs, alors ils répartissaient un peu de tout dans chacun. »

Maintenant que son père est mort, sa mère ne peut plus tout assumer : ils ont donc donné quelques terres à leurs oncles. Ils font moitié/moitié (pour la récolte ?).

« Là-bas, c'est les "chismoserias"I18 --commérages, sur ce qu'on a fait... On te critique...Ici on appelle les familles avec leurs noms et prénoms » (et donc là-bas ?)

« Maintenant, ça a changé un peu, il y a davantage de routes, de marchés, de collèges (depuis la maternelle maintenant). Le pueblo: il est petit. C'est maintenant qu'il commence à grandir. C'est maintenant que les familles s'agrandissent. »

« Il y a des familles qui rentrent... d'ici à là-bas pour construire leur maison, ils sont alors la moitié du temps ici, et l'autre là-bas, ou bien ils viennent juste pour récolter. »

116 Le cours de la papa --pomme de terre, est si bas que l'investissement pour la cultiver est tout juste compensé..D'ailleurs il est en chute depuis un certain temps, ce qui a entraîné de nombreuses émeutes dans la Sierra, dans la région d'Apurimac, notanunent.

117 Relatifs aux deux activités principales des paysans andins la chacra : le champ, et pastear : pâturer, l'élevage. « Là-bas, tout tourne autour des champs et des animaux »... ou « il n'y a rien que ça »...

118 Commérages.

«Il n'y a pas de travail ». Et s'il y en a à la ville (de Cusco), c'est de toute façon mal payé. La
province est toujours vue comme un lieu sans travail, mis à part les champs et les

k animaux... Si toutefois l'activité paysanne est considérée comme un « travail », parce que,
bien que décrite comme très pénible, elle ne semble pas entrer dans leur catégorie de travail.

A quelle altitude? Elle ne sait pas, mais "c'est pareil, d y a des cerros comme ici" WH

En arrivant à Lima...

« Certains changent. Ils sont plus basanés et ils deviennent plus blancs...ou le contraire. Ce serait le climat qui est plus contaminant ? Moi, avant, j'étais maigre et maintenant 11 Là-bas tout est naturel, il n'y a pas de graisse... »

La honte. Parfois. Quand on est vu différemment. Ils disent : « Elle se croit liménienne. Elle va et elle vient : d'où elle sort l'argent ? »

La nourriture. Son mari lui demande de faire de la nourriture de là-bas. De la quinua, de la soupe de blé...mais peu de choses d'ici, peu de riz par exemple...Mais du comedor saco », elle prend à manger. C'est de la cuisine de la Sierra aussi. Mais, « ici, on mange de la viande : pas là-bas parce qu'on ne veut pas "dépense "r les animaux ».

Retour. Elle n'y va pas, mais pense retourner cette année avec son conjoint. Quant à lui, il n'y est pas allé depuis huit ans qu'il est là mais s'y est rendu l'an dernier pour l'anniversaire de sa mère.

Elle dit qu'elle prend des nouvelles, mais il n'y a pas de téléphone là-bas, ou plutôt que c'est dur de converser parce qu'il y a la queue --ce qui signifie que le village dispose d'un seul téléphone, public. Il n'y a pas non plus de lumière.

Liens avec les autres -fêtes

«Mon époux est en rapport avec tout le monde, lui, il va toujours au football. Ici en bas, à Campoy se trouve le local [du club de son district]. J'y vais mais je ne me mêle pas, je suis timide. Parfois, on va à Canto Grande [où se trouve le club de son district, et où vit sa tante]. C'est là qu'on s'est rencontré, à une fete où m'a ramené ma tante. »

« Avec le temps, les choses s'améliorent ! »

Elle veut acheter un terrain à la Vizcachera, en économisant peu à peu. Rien d'autre pour le moment...

Meche est de celle qui était « envoyée » à Lima en vacances... Elle allait avec sa tante, ou chez son frère... Elle participait à ses fêtes provinciales avec sa tante et c'est là qu'elle y a rencontré le père de son fils... Elle a pu très vite se faire une image de Lima et se détacher de la Sierra...pour se dire que là-bas, tout est lié à la chacra et aux animaux...et que ce n'est plus de ça dont elle a envie... ses « valeurs » ont été quelque peu urbanisées (être mieux arrangée, faire des activités moins « terreuses »). Elle emploie souvent le terme "apprendre", comme si à Lima elle devait tout apprendre, d'un monde nouveau et si différent... (meilleur ?). Elle compare beaucoup la Sierra à Lima... et les changements qui se font... A peine arrivée, ses premières aspirations sont dirigées vers la "casa propia", le moment où enfin, ils pourront s'acheter un terrain, à eux... Et toujours, sous-jacent, cet espoir inéluctable, cette foi en le

lendemain, des choses qui s'améliorent avec le temps...On démarre de peu, mais on avancera

On peut très bien s'imaginer que ses petits frères et soeurs prendront le même chemin... A moins que... ! Il y en aura toujours quelques uns pour rester près de la chacra à aider ?

Sa vision du travail est très caractéristique : là-bas : il n'y a pas de travail, et s'il y en a, ce n'est pas du travail comme ici, etc.

A chaque histoire son témoignage. Des parcours si différents. Des thèmes si communs....

Il n'est pas aisé de comprendre ce qui semble banal et quotidien ; ou pis, à travers les ressentis, qui sont souvent expliqués très indirectement, avec toujours une façon imagée de parler.

III Du souvenir à la mémoire

« L'épreuve de la mémoire ou la mémoire éprouvée »

Douleurs. Peur. Rancoeur--

Souvent les femmes acceptent de me rencontrer, mais peu convaincues, il est arrivé que quelques unes fassent en sorte par la suite d'éviter la discussion alors que d'autres m'invitaient à revenir le plus possible... On se croisait, on se saluait, mais ça n'était jamais le moment de se rencontrer vraiment. Elles avaient très certainement peur ou ne le souhaitaient pas véritablement. Peur de ressasser la douleur, peur de devoir dire des choses peut-être tues depuis toujours (cf. terrorisme) ? Ou des conflits... Elles ne disaient jamais qu'elles ne voulaient pas parler, ne disant jamais non. Alors, elles s'échappaient...

Parler de soi, de son passé, c'est aussi revenir sur un choix (ou non choix parfois), sur le pourquoi. Celui du départ, celui d'un passé qui n'est plus, que sais-je... ! C'est devoir l'accepter. Ce n'est pas le moment qui importe mais le fait de devoir reformuler ce qui a provoqué un tel détachement, un si grand éloignement... C'est parler de ruptures, de manques et de souffrances. Mais c'est aussi faire resurgir le passé, peut-être encore très présent. C'est aussi redonner une place à ceux qui sont restés.

Une autre m'a questionnée sur ce que j'allais lui demander...elle était très méfiante et s'interrogeait sur mes attentes. (D'ailleurs, on se retrouve soi-même toujours confronté à ce genre de remise en question...mais c'est pour quoi, au juste, que je fais cela...?). Son parcours était en effet lourd, du poids de l'abandon, de l'errance, et de la souffrance. Son air était dur, le timbre de sa voix marqué. Elle a pourtant accepté de parler, peut-être plus pour se confier, et me livrant ce qui la tourmentai personnellement aujourd'hui.

Des bribes. Des discours identitaires ?

Pourquoi ces bribes d'histoires ? Pourquoi ce parcours raconté en filigrane ? Pourquoi des discours qui se ressemblent tous ?

Un détournement ? A travers ces discours (comme à travers une certaine conduite : ce que l'on « fait voir », ou comment on manifeste sciemment ou pas...) il s'agit de faire valoir ou dévaloir son identité, son origine, comme on le fait d'ailleurs dans la vie de tous les jours avec les uns ou les autres selon pour qui et pour quoi. Il s'agit de mettre en avant ce que l'on veut montrer, et aussi de répondre aux attentes de l'autre... (Moi !) On mesure ce que l'on dit, me semble-t-il, c'est sûrement en cela que les dires se ressemblent parfois...

Que cachent ces stéréotypes, ou ces redondances dans les discours sur les récits de vie ? Des difficultés qui existent toujours ?une difficile adaptation ? S'agit-il de voiler une certaine face de la réalité, tout en exposant certains aléas ?

S'intégrer dans la ville, faire sienne la réalité, recréer des liens est encore une épreuve aujourd'hui ?

On assiste à une idéalisation de l'origine, au début. Est-ce parce que c'est ce que cherche l'ethnologue, et qu'on lui livre d'abord ce qu'il est sensé vouloir entendre ? Ils pensent peut- être que c'est ce que je vais valoriser en eux, en tant que destinataire du récit, lors de la première rencontre. Peut-être aussi ont-ils une image lumineuse de leur lieu d'origine, qui peut leur procurer une certaine fierté... Mais en racontant leur vie, leur parcours...le discours change. C'est la phase de "négativisme". Reparler de ses origines est une occasion pour comparer, entre "ici" et "là-bas". Montrer que « c'est mieux ici » en dévalorisant le là-bas, justifie les raisons du départ et du non-retour, et les confirme peut-être eux-mêmes dans le bien-fondé de leur choix... Aisance pour raconter leur parcours dans Lima, mais discontinuité dans le discours sur ce qui s'est passé avant l'arrivée à Lima. Là, on perçoit la coupure et on perd le fil de l'histoire. Deux vies bien distinctes existent, qui s'enchevêtrent. A travers ces procédés, différents visages se définissent selon l'interlocuteur et ce qui est le plus opportun dans une situation donnée Enfin, une stratégie, ou un détour, pour ne pas vivre dans la nostalgie du passé, ne pas en souffrir...

De l'idéalisation au négativisme, entre discours et discrimination

Quand on parle des origines...

Le rapport aux origines semble avoir plusieurs facettes, telles des identités que l'on cherche à orienter... Parler de ses origines est souvent difficile, mais différentes pratiques assez ostentatoires les révèlent bien mieux : les fêtes par exemple où chacun est fier de se montrer, mais aussi le fait d' « avoir réussi » les incite à. ne plus renier leur ascendance.

Dans l'entre-soi, entre gens venant du même endroit, l'origine peut se manifester. A la Vizcachera, le cas des huancarnos119 est plus parlant : tous les gens extérieurs à ce groupe se rendent compte de leur cohésion... D'autres, ne semblent pas forcément chercher à se "rallier" avec leur paisanos, mais savent toujours qui vient de où. De là, quels rapports en découlent ? Je n'en sais que trop peu... Sûrement des rapprochements. Mais a contrario aussi, comme le soulignait Genobeba, des relations distantes, ou des rivalités (comme envers les gens du nord, les norte» os : qui "s'y croient" entre eux, parce qu'ils auraient plus d'argent...)...Lila montre, à sa manière, qu'elle n'est pas tellement liée aux gens de Huancayo, alors qu'elle vient aussi de là-bas. Elle prétend ne pas participer aux fêtes de sa terre... On aurait presque l'impression qu'elle n'est pas tout à fait du même monde qu'eux...une distinction sociale ? (Eux sont profesionales120, le mari est comptable, c qui est rare à la Vizcachera). Un jour, alors que nous allions allumer la lumière de son "autre" terrain (son rituel de tous les soirs), nous avons croisé un "paisano" qui s'est enquis de sa participation à la fête de leur province, ce week-end. Alors ?

Le sens. Pourquoi idéaliser les origines ? Pourquoi les dissimuler, pourquoi en avoir honte ? On constate l'idéalisation de la Vizcachera dans les discours initiaux (le fait d'être uni, d'être entre gens sains etc..) ; cela passe par une mythification du lieu d'origine, puis par une phase de dévalorisation afin de mieux justifier sa présence ici et se convaincre qu'ici c'est mieux. On dissimule certaines choses qui nous défavorisent (mais ne fera-t-on pas ?). Un jeu d'identités se déploie où l'autre dans sa différence, rappelle que même si l'on n'est pas issu du même endroit, les aspirations, le souci de construire sont identiques. L'appartenance à une communauté est primordiale pour ces gens qui s'organisent collectivement et solidairement.

119 Gens du département de Huancayo

120 On développera plus loin tout ce qu'on entend par le fait d'être «profesional », et non pas un eampesino ou quelqu'un sans éducation...

L

Cette nouvelle identité leur permet de s'affirmer en ville. Idéaliser ses origines permet peut- être de montrer son meilleur profil à l'interlocuteur intéressé.

Le sentiment de honte est aussi courant et ils adoptent alors une attitude de repli. On le comprend facilement quand on sait la discrimination dont sont victimes les « migrants » Habitués depuis la colonisation du Pérou à être dénigrés, dominés ou sous le joug, ne pratiquent-ils pas eux-mêmes l'auto-ségrégation ?

Les liméniens, ou autres migrants de la ville (qui constituent la majorité hétéroclite de la population) diraient qu'ils renient leur culture... S'agit-il vraiment de cela ? Ou ne serait-ce pas plutôt une stratégie d'adaptation, qui certes, ne passe pas directement par une pleine acceptation de soi, de son identité, mais par la recherche d'autres visages plus acceptés et surtout, de moyens qui permettront à la ville un meilleur essor. Ils en soutirent ce qui leur est nécessaire mais ils savent aussi lui tourner le dos... Faire valoir en soi et dans ses origines et ses particularités, ce qui mérite de l'être selon la situation.

La discrimination est un honteux spectacle que l'on peut voir à toutes les échelles... Venir de la Sierra, peu glorieux... Habiter à la Vizcachera, un peu arriéré !...même pour les proches habitants du quartier (des quartiers voisins) qui viennent eux aussi d'un "là-bas"... Certains ne pensent-ils pas, en leur for intérieur : mais qui sont ces campesinos qui vivent à côté de la chancheria ?! Les habitants de la Vizcachera disent ressentir ce dédain. En outre, certains en pâtissent, même de la part de membres de leur famille qui à ce jour, ont mieux "réussi" et en profitent pour asseoir une certaine supériorité... (Bien que les liens, à travers la ville, entre les gens d'une même famille soient très forts et constituent un réel soutien manifesté dès l'arrivée d'un membre et perpétué par une solidarité très vivace...). C'est le cas de Genobeba vis-à-vis de ses soeurs, et d'autres qui prétendent ne plus beaucoup voir leur fratrie « ils ne viennent pas ici », ou « eux se réunissent et font leurs fêtes »... Bref, des liens se dénouent, peut-être momentanément pour en construire de nouveaux ? Mais ces petites concurrences entre les membres d'une famille ne sont rien et n'empêchent pas cette vigoureuse solidarité de se manifester lorsque le besoin s'en fait ressentir. Cette discrimination se fait surtout du dehors, de la part des « autres », ceux qui ne sont pas "nous", pas comme nous.

B

E

r

L

Entre honte et reniement, on hésiterait. Et au deçà, vient l'idéalisation ?! Certes, ils sont victimes de cette discrimination qui leur inflige ce sentiment de honte et ce comportement de dissimulation...Mais cette attitude serait-elle tactique ? Peut-être pour ne pas subir cette "contamination", mais être acteur de sa vie, pour ne pas être « avalé » par la nouvelle société. La honte serait-elle due aux rapports sociaux qui régissent la capitale, ces facettes de reniement, plutôt à un choix d'adaptation pour mieux étayer les raisons de ce départ. Idéaliser, cela permet de rêver et de choisir comment donne rune place aux origines ?

Conquérir la ville, c'est s'investir soi-même et acquérir ce que l'on est venu chercher

Mais c'est aussi adopter ce qui permet de s'adapter. S'adapter ne signifiant pas s'oublier, mais peut-être savoir osciller entre le soi et l'autre... On ne peut vivre quelque part sans s'adapter, d'une façon ou d'une autre. Ou sinon, ce doit être la détresse, ou le repli sur soi...

Peut-être que les déplacés du terrorisme n'ont pas eu les clés pour s'adapter, car il n'y a pas eu de désir et une mémoire trop marquée, le temps fait néanmoins son oeuvre, quoique. Il y a l'habitude, le changement, la force des choses, et peut-être même, une rupture nécessaire (inconsciente ou pas) avec le passé ?

Les questions de mémoire et d'identité amènent nécessairement à celles de la transmission. Qu'ont transmis et que transmettront ces migrés à leurs enfants ? Selon les générations, la transmission se jonc différemment. Ceux qui ont migré il y a longtemps, semblent avoir transmis davantage de leur culture à leurs enfants. Les plus récentes migrations ont là-bas été touchées par la "criollizacionn (terme repris des liméniens). La télévision et le passage des tous ces migrants dans leurs terres ont déjà fait changer les habitudes.

L'identité, c'est celle du lieu d'origine, mais c'est aussi celle qui fait ce que l'on est, à quoi, à qui l'on se réfère et inversement

j

« Vamos a mi tierra121 »

Du discours idéal à la coupure : le non retour

Les propos agrémentés sont récurrents dans les premiers échanges. Mais en approfondissant, très vite j'ai pu y percevoir une certaine rupture avec leur lieu d'origine, et une absence de retour régulier.

Est-ce dû à un si profond changement ? Une impossibilité (économique notamment)? Un désir de rupture pour aller de l'avant ?

De la question du retour

Beaucoup d'auteurs décrivent les voyages de retour des migrants comme un phénomène inexorable et lourd de conséquences. Des liens étroits se nouent entre les communautés andines et leur "diaspora" liménienne ou internationale, et les retours des migrés leur apportent de nouvelles perspectives, de nouvelles images ou même de nouvelles valeurs ... Et ce, même si certains reviennent parfois « en visiteurs » chez eux, de manière plus détachée (en tant que membre à part entière de la communauté ou en tant qu'émigré, Sayad122 soulève la question pour le cas algérien, sur la façon ostentatoire dont les émigrés participent aux fêtes religieuses et travaux de la communauté) Mais surtout, ceux-ci influent sur le départ de nouveaux émigrés... Généralement, la migration n'interrompt pas les liens familiaux ni même communautaires parfois...

Les compagnies de bus abondent, et des véhicules circulent tous les jours, rarement vides... Pour se rendre dans la partie centrale des Andes, si l'on ne voyage pas avec une compagnie spécifique qui démarre du centre ville, il suffit de se rendre au terminal de l'est de Lima, le terminal Wanka, à El Agustino, déjà sur la carreterra centra1123, et, de monter dans un bus, jusqu'à ce qu'il se remplisse... et ce, à toute heure de la journée... ! Tant de gens transitent entre Lima et la Sierra / Selva (il en est de même pour le Nord, le Sud, qui ont leurs terminaux respectifs... et même chaque sous région...C'est d'ailleurs souvent sur la route que l'on arrête un bus en pleine lancée... !).

Le retour en tant que visite

Il est vrai que beaucoup retournent régulièrement dans leurs terres d'origine, une ou plusieurs fois dans l'année, pour les fêtes patronales, ou autres festivités locales. Certains participent même à l'organisation de celles-ci, en s'engageant à être mayordomo, lorsque leurs économies le permettent... (Ils dépenseront, mais gagneront en prestige !) D'autres vont régulièrement visiter leurs proches, "là-bas". Souvent, le retour est lié à des évènements : le décès ou la maladie d'un proche, l'anniversaire d'un parent, etc. Parfois, à l'âge de la retraite, certains retournent vivre là-bas, après tant d'années d'absence... Ils possèdent toujours des terres, des "chacras", et reviennent juste pour « sembrar y cosechar » (semer et cultiver). Ceux sont souvent les plus âgés !

121" Allons dans ma terre".ou "Allons chez moi !" et implicitement : "On y va 7!"

122 Sayad Abdelmalek, La double absence. De l'illusion de l'immigré aux souffrances de l'émigré. Seuil.

123Pour sortir de Lima, trois axes. La panamericana norte, la panarnericana sur, et la carreterra central... déterminent les cônes de Lima car les émigrés sont venus s'installer le long de ces routes. Ce sont donc des

d

routes-repères pour les quartiers (« j'habite au Km "tant" de la panaméricaine... »), et aussi pour la sortie vers la province... La carreterra centra/ est celle qui sort de Lima et s'en va vers l'est de Lima, soit vers le centre du Pérou.

Un enfant de la Vizcachera me contait ses voyages à Huancayo : « j'y vais pour accompagner ma grand-mère, quand elle va semer ». Une jeune femme racontait que sa maman allait tous les ans, pour la fête de « Tous les Saints » (la Toussaint 0, sur la tombe de sa mère. Il y a aussi tous ceux qui viennent étudier à Lima et repartent pour les vacances... Ou, inversement, d'autres sont "envoyés" pour les vacances chez des parents, à Lima... Parfois, ce sont les vieux parents qui vont à Lima rendre visite à leurs enfants, bien qu'ils ne restent que peu de temps car « no les gusta Lima » ("ils n'aiment pas Lima")... Retour de tout style, beaucoup de transit.

Cependant certains n'y retournent guère et la dernière fois remonte à très longtemps ; ils en rêvent, l'imaginent (un voyage dans la mémoire ?) ; seul un évènement exceptionnel le déclenche (par exemple le mauvais état de santé de la mère de Cirila).

Et puis certains qui jamais n'y sont retournés...

faut re',.er absolument. De importe quoi.

F.Yautre chose et d'autre part

Re\.er à nimporte quel priN

Rè-,'er, cest \ dejà

C'est pfri-tir un peu

Patrick Dederckl:''

La réalité du retour et des liens --A la Vizcachera

Lorsque je commence à introduire le thème (étant considérée comme un ethnologue assoiffé de culture ou un étranger curieux de connaître la richesse du pays!?) : « D'où venez-vous ? », leur regard s'illumine... « Varnos?! » (« On y va ? »). Comme si ce lieu d'origine était très proche, que l'envie d'y aller était vive et immédiate...Ou, comme s'il fallait un projet, une invitation, pour enfin y retourner...

Plusieurs fois, Dominga lançait un "vamos !?", à la fin de nos conversations, et nous évoquions la possibilité d'aller dans le département de Cusco, pour les fêtes du mois d'août... Mais entre temps, elle avouait, après avoir parlé de son lieu d'origine : « je n'y vais plus ». La dernière fois qu'elle y est allée remonte à 7 ans, lorsque son frère avait eu un accident, elle lui avait rendu visite à Cusco, mais n'était même pas allée jusqu'au village. La dernière visite dans son village remonte elle, à 13 ans, en raison du décès de sa mère... Je lui demande si elle irait ailleurs ou pourrait retourner vivre "là-bas". «Ailleurs ? ...si c 'était possible ! » mais là- bas : « Les enfants ne peuvent pas s'adapter... »

D'autres, bien sûr, n'ont pas coupé les ponts : « J'y vais quand l'envie me prend !!», dit cette dame de la Oroya125. Elle a des animaux chez elle qu'un parent lui a offert la dernière fois qu'elle y est allée...

Des gens n'y étant pas retournés depuis longtemps, il y en a, ô combien... ! Pourtant, ils ne
montrent pas la rupture d'emblée, laissant souvent imaginer que c'est "tout près" d'eux
(affectivement) et dans le temps. Cette attitude correspond finalement à ces premiers discours,

124 Patrick Declerck, Les naufragés. Plon, terres humaines.

125 La Oroya (département de Junin) est un important pôle minier, raffinerie des autres mines alentours. Elle se trouve à seulement 5 heures de Lima, à plus de 4000m d'altitude...

idéalisants. Comme quelque chose qui vit toujours, quelque part. Une rupture, que l'on occulte...

L'attache tend à s'estomper lorsque les liens ne sont plus. Lorsqu'ils ne s'entretiennent plus. Ou lorsqu'ils n'existent plus, car la majorité est partie « Pourquoi j'irais ? Il n'y a plus personne là-bas, je n'ai personne à aller voir... »

De multiples obstacles spatiaux, économiques et temporels ...

« Ça me manque parfois... parfois l'endroit, parfois la nourriture... Je n y suis pas encore retournée »

Rosa est à Lima depuis 8 ans après un petit périple dans la Sierra, après qu'elle et son époux aient quitté la zone minière, pour fermeture (toute sa famille semblait avoir un travail en relation avec la mine). Elle est très vite arrivée à la Vizcachera par l'intermédiaire de sa cousine Milagro... «Maintenant ça n'est ni mieux, ni pire ! »

La distance...

Il faut néanmoins tenter de reconstruire les conditions du retour.

Pour les gens qui venaient de loin, cela signifiait entreprendre un très grand voyage : peu de routes, des conditions climatiques rudes, des villages sans accès routier (il est important de rappeler que beaucoup de villages ne sont toujours pas accessibles par les routes...c'est à la force de ses jambes que l'on s'y rend I). De plus, aller dans une province assez retirée pouvait prendre bien plus de 2 jours... (Même encore maintenant).

C'est ce que Cirila évoque lors de son pénible retour au village, où elle ne s'était pas rendue depuis 30 ans, trente années ! La marche, la pluie, la difficulté, la maladie, ainsi que la peur s'y ajoutant... Un coût important. Aujourd'hui cela peut sembler plus facile, mais le temps est passé, le retour s'est éloigné... Augusta évoque cette difficulté qui renforce la distance... Douze ans qu'elle n'y était pas allée ! «Le billet de voyage était trop cher, il n'y avait pas de téléphone ni d'électricité [...] et l'argent qu'on a, c'est tout juste pour les déplacements et pour manger .1 » Quelle émotion en y allant, avec sa fille, dernièrement !

C'est un peu comme s'il s'agissait d'aller dans un autre pays ; ou comme pour nous, à une certaine époque où l'accès était plus difficile... L'éloignement est presque à l'aune de celui qui séparerait deux continents. Encore que : ceux-ci ont parfois plus de possibilité de communiquer s'ils possèdent les moyens multimédias d'aujourd'hui ! La distance géographique, le manque de routes et de moyens de communication peuvent s'avérer être un fossé trop profond... Et pourtant : oui, des gens retournent chez eux, malgré les pluies et glissements de terrains.

La pauvreté

Le manque d'argent est une raison souvent mentionnée...Les gens ne pensent pas au retour, il y a d'autres préoccupations ! Pour certains, c'est la pauvreté, le combat quotidien pour pouvoir manger. Peu à peu, une masure s'est construite, c'est d'abord ce qui importe. Le retour n'est pas envisageable...

Retour dans la mémoire. Peur et douleur.

Les souvenirs... Le terrorisme... La peur. Peur de retrouver des lieux que l'on a du fuir. Peur de se remémorer l'horreur et la souffrance.

La crainte du retour. Tout simplement liée à un là-bas, lointain. Un univers que l'on ne connaît plus. Des routes vertigineuses, dangereuses. Est-ce vraiment ce danger-là ? Où sont-ce leurs mots (excuses) pour dissimuler les raisons profondes de cette peur... ?

Le passé, les proches, qui ne le sont plus. Un choix de rupture pour ne pas revivre le passé ? Pour surmonter les maux peut-être ne faut-il pas regarder en arrière, et ne plus retourner dans le lieu de ce passé...

Anecdotique ? Le lien aux animaux...

Des enfants de migrés parlent de leurs parents qui y retournent. Pour revoir la communauté. Pour aller voir leurs terres, leurs animaux, dont d'autres s'occupent maintenant. «Mais ils reviennent très vite, pour leurs animaux d'ici ». Inversement ! Ce lien aux animaux, si fort dans la Sierra126 où il faut toujours être là pour s'en occuper et les nourrir, se transpose à Lima, par les chanchos. Une autre disait : «Mon père aime plus ses animaux que nous ! Il passe plus de temps avec eux Quand il part là-bas, il revient très vite, car ses animaux lui manquent. »

Retourner vivre là-bas ?

Quant au retour définitif, en vue de s'y installer de nouveau, il ne semble ni envisagé ni envisageable pour un grand nombre...Il en est tout de même qui diront, « parfois ça me manque... parfois, je pense à retourner là-bas, mais... ». Toujours ce "mais", qui anticipe et empêche ce retour... Si toutefois on évoque de beaux projets liés à un retour éventuel, ils n'en restent pas moins utopiques. Evoquer fait voyager... Et parfois des projets, concrets.

Mais enfin, pourquoi penser à revenir alors que l'on a décidé de partir, alors que l'on a emprunté une autre voie ?... Certains sont venus volontairement, d'autres accidentellement (en visite à un proche, puis restés...), certains n'ont pas eu le choix. Même pour eux, le retour n'est pas évident. Des programmes de "repeuplement" ont été mis en place. Outre les difficultés sur place ("là-bas"), il en est pour qui y retourner est une trop lourde épreuve, le passé reste trop marqué par les souffrances et les peurs, les pertes trop importantes et la construction du quotidien déjà bien établie à Lima même avec des conditions très difficiles (dues au manque d'aides allouées à ce jour.)

Les enfants, un leitmotiv ?

«Je reste pour mes enfants, ici. Pour qu'ils soient éduqués, yu 'ils puissent avoir leurs chances. Parce que là-bas, eux, ne s'habitueraient pas... »

Dans un quartier de Lima, un autre homme, d'âge moyen, venant de Canin --dans une province du département de Lima (dans la partie Sierra), expliquait comment ses parents avaient voulu que leurs enfants partent, pour qu'ils ne vivent pas les mêmes difficultés qu'eux dans le village... De la chacra, on ne pouvait plus rien espérer

La migration est, le plus souvent, un départ irréversible. Partir, c'est quitter, même si des liens
demeurent ici et là-bas. La migration n'a pas de lieu précis et délimité. En effet, elle ne

126 Les gens mettent le bétail aux premières places de leurs préoccupations. On entend souvent dire que c'est tout leur capital. L'activité d'élever en tant que tel, n'est pas si anodine non phis. Elle semble créer un rapport assez fort avec les animaux, une place importante dans le rapport au inonde et aux choses.

s'arrête pas dans le lieu d'arrivée, tout comme la mémoire ne s'est pas éteinte dans le lieu de départ. Elle n'est pas un clivage avec un avant et un après, les liens restent permanents, c'est la famille entière dans toute son histoire et ses territoires qui permet souvent ces ubiquités. D'ailleurs, il n'y a pas une arrivée, mais de multiples arrivées en divers lieux, des lieux de l'appartenance, des lieux de l'entre-deux, parfois du non sens. Des lieux de l'oubli, des lieux de la mémoire.... De multiples débuts, alors, s'amorcent. Et toujours, une quête, un but commun : s'installer, trouver un terrain. Construire son lieu de vie. Réussir... Trouvent-ils un terme à leur long périple par l'acquisition d'un chez soi ? Certaines étapes semblent générer des sentiments de satiété. Mais cela n'est-il qu'un étape ? Comment se construit l'identité et le sens au-delà ? Quels changements dans la vie, véhiculés par le discours ?

Discours et représentation. Transfert de valeurs ? Du changement.

« Là-bas, il faut marcher. Il faut se lever très tôt pour emmener les animaux. Le travail est dur. Il n'y a pas de transport... » Des conditions qui ont changé et une réalité avec laquelle on a coupé, que l'on n'est plus prêt à affronter... Mors, qu'y ont-ils gagné, quelles améliorations recherchées ? Mais surtout, qu'en disent-ils ?

La dichotomie "ici"-"là-bas" ou l'alternance des discours

Dominga «Je ne me réhabituerai pas, je crois ...Dans l'environnement d'ici, on ne sou e pas. Là-bas, de 4h du matin à 7 h du soir, on travaille ! Très vite, les affaires s'usent. A la campagne, nous semons, nous pacageons (faisons paître) ...Nous allons au collège tous les jours et nous nous occupons des animaux...Les conditions sont meilleures ici Mon fils m'a dit lorsqu'il en est revenu : « là-bas, oit souffre beaucoup... »

Son frère est encore là-bas et c'est lui qui s'occupe des terres. Là-bas, il n y a pas de téléphone. C'est seulement maintenant qu'ils vont mettre la lumière ».

Néanmoins, Dominga ici aussi se lève très tôt...à la même heure, pratiquement ! Elle doit se rendre à la Parada pour acheter les ingrédients qu'elle cuisinera le matin pour les vendre ensuite sur le marché : des plats cuisinés, chauds... L'après-midi, elle recommencera son rituel : laver, couper les herbes, éplucher les légumes, pré cuire... Et pour finalement déplorer : « on vend peu »...

Si l'on parle de la souffrance du passé, celle du présent est encore là, plus équivoque.

Les avatars de la situation, qui ne répondent toujours pas à l'eldorado espéré... : « Lima todo es plata »... « Là-bas, ils ont leurs produits... »

«A Lima, il y a beaucoup de pollution, ainsi que de poussière, de délinquance... Là- bas, l'air est pur, tout est vert ».

Pourtant, on se réfère toujours à ce qu'il y a de mieux, de plus attractif, de possible à Lima: « A Lima, au moins il y a chi travail... »

« On peut toujours faire quelque chose » « Il y a de tout f »

En effet, ils trouvent à Lima une diversité alimentaire qu'ils ne connaissaient pas, tout en
regrettant l'abondance des produits des terres de la Sierra... Toujours cette même

contradiction. Toujours, l'ambivalence. Dichotomie "ici", "là-bas", mais ambiguïté... Jeu de discours, probablement. Tout n'est pas noir ou blanc, l'une et l'autre se confondent, se rejettent, se méprisent et se désirent. On oscille entre les deux, se complait dans un certain « entre-deux »... Confusion ou stratégie. Celle qui peut arranger selon la situation. Mais aussi, peut-être, "l'univers de l'entre-deux", entre départ et retour, comme ouverture culturelle, mais aussi un sorte de déchirure, d'expulsion identitaire, témoignage d'un non lieu, d'un être en contradiction127.

A la Vizcachera, trouve-t-on une sorte de compromis entre la Sierra (certaine tranquillité, sorte d'entre-soi) et la ville (la ville est là : à deux pas, avec tout ce que l'on est venu y chercher !) ? Mais peuvent-ils accéder à ce qu'ils en attendaient ? Cela ne repose-t-il pas plutôt sur une foi en ce que demain sera meilleur, dans l'incertain du quotidien ? C'est probablement ce qui anime leur résistance et qui fait qu'ils parviennent à avancer, pas à pas...

"Là-bas, il n'y a pas de travail". Du rapport au travail

On considère qu'il n'y a pas de travail dans les Andes ; qu'être paysan, ce n'est pas "travailler", bien que le travail de la terre soit le plus "trabajoso", le plus pénible et fatiguant. Bourdieu128, évoque le changement du rapport au travail dans "le déracinement", celui des paysans (algériens) à leur terre... N'est-on pas face à un phénomène comparable ?

En effet, les discours sur la Sierra rappellent toujours que là-bas, les conditions sont difficiles, que l'on n'a plus rien, la terre ne donne plus rien. Pas de travail, alors c'est à Lima qu'on vient en chercher. Le travail de la chacra n'est plus. Il n'apporte que les produits nécessaires à la "survie". Pas de réelle rémunération. Pas de reconnaissance : paysans sous payés, exploités (pour ceux qui n'ont pas de terre)? Et puis, des attraits, des modèles qui changent. Un jour on se dit qu'on ne veut plus de cette "pauvreté" là, celle du champ et des rudes conditions de travail, et pour ceux pour qui ce n'est pas l'activité, celle de petits boulots tellement mal payés. Cette pauvreté, cette engrenage duquel il faut sortir : "salir adelante", "sobresalir" : s'en sortir, aller de l'avant... Pauvreté et idée de progrès. Avancer. Aller vers du mieux, du meilleur. Un lendemain prometteur ?

Notons qu'il n'y a pas réellement du marché du travail à Lima. C'est encore une fois le réseau qui fonctionne : les possibilités dépendent souvent des liens (parrainage, famille, voisins, etc.) qui permettent de « passer l'info » et de favoriser une connaissance.

127 Jaillit], Robert. Exercice d'ethnologie.

128 Bourdieu, Pierre. Le déracinement La mise de l'agriculture traditionnelle en Algérie. Editions de minuit. 2002

Des représentations ...

« Ils fies migrants] arrivent dans un style de vie violent, désordonné. Dans leur lieu d'origine, tout était très tranquille, très ordonné... Ici les gens sont "acriollisados129 ", les gens sont "vivos" »

n

Lima

 

Sierra

Monde criollo

Monde serrano

Possibilités (travail, éducation...)

Pas de possibilité / pauvreté

Education

Pas d'éducation

Travail

Pas de travail

 

-travail plus fastidieux

Supériorité --mieux

Honte / Fierté

"Todo es plata"

On a ce qu'on produit

Monnaie

Bétail -terres (abondance mais carence)

Désordre

Tranquillité

Pollution

Pureté

Délinquance

 

Présence de l'Etat

Absence de l'Etat ("I'Etat n'arrive pas ici")

Beauté

Triste

Anonymat

Chismes (commérage)

Dépensier

Ethique capitaliste 15° (investissement)

Viveza (attitude de profit) "être vivo"

Harmonie --

 

Famille

Pourquoi systématiser dans un tableau ? Pour illustrer cette dichotomie que les gens semblent inculquer, pour donner un sens au départ. La première partie représente plutôt les visions endogènes, qui sont souvent confirmées dans les représentations générales. Celles du dessous, les commentaires des autres liméniens. Mais c'est aussi la vision de ceux qui de loin posent leur regard : tantôt idéal, tantôt obscur... C'est aussi toute l'ambivalence ressentie. La fierté de ses origines, mais aussi la honte, selon les situations. On entend aussi beaucoup de jugement de valeur des uns et des autres sur leurs semblables. Selon le point de vue, on entendra dire que les paysans de la Sierra sont "fainéants" (par les gens des bourgades andines) ou très travailleurs (les gens extérieur au monde de la Sierra). Etc.

Il est évident que selon les protagonistes, et donc les rapports entretenus, la vision change.

129 Être «criollisé » : Assimiler cette façon d'être en ville._ Ces criollos, habitants de la côte et aussi façon
d'être sur la côte... et dans certaines conduites (d'arrogance, racisme, de diversion et dépenses...) déteignent sur

la forme d'être en ville ? On a souvent ce sentiment que les gens voient les gens de la Sierra comme des gens "purs" mais qui se pervertissent en ville (ou qui en souffrent). Soit parce qu'ils deviennent aussi "vivos"(profiteur), soit parce qu'ils vivent dans un monde de vivos, où l'on profite des autres sans pitié...

13° On dit souvent que le bétail représente le capital des gens de la Sierra, c'est la seule chose qui ait de la valeur. Ce serait pour cette raison qu'ils en mangent peu...

On dépeint souvent, dans la littérature socio-anthropologique, les qualités d'entrepreneurs des migrants d'origine andine, par l'émergence de capacités capitalistes andines (éthique de travail, capitalisation...), mais qui repose sur la richesse des liens sociaux.

Aussi leurs propres mécanismes culturels sont le point de départ de leur organisation. Cela correspond un peu à ce que développe S. Latouche"' au sujet de l'Afrique et de « liceconornie vernaculaire », forme d'économie qui a été "réenchâssée" dans le social ; s'il y crise du système, elle repose sur celui du lien social.

C'est à partir de cela qu'ils constituent de véritable réseaux entre ville et campagne : la Sierra se rend présente à Lima et ce mouvement a des conséquence sur les villages.

Le bien-être ou l'idée de « l'ailleurs »

Les modèles et la migration. Le rôle des retours.

Conquête de la ville. Quête de l'ailleurs, celui où demeure le bien-être ? Des changements de valeurs ont eu lieu, sans aucun doute en oeuvre "là-bas". Des influences optimisées par la télévision, les retours et visites de ces "conquérants" (les gens de la Sierra sont aussi déjà venus à Lima, de là, rejet ou illusion), et d'autres, pessimistes : la précarité dans la Sierra, la pauvreté, le manque, l'abandon... De plus, un monde qui change, évolue perpétuellement, et qui semblerait se paupériser. Mais aussi une population qui a toujours été habituée à aller chercher ailleurs ce qu'elle n'avait plus chez elle...

Déjà à l'époque des Incas, on peut lire qu'il existait une forme de migration forcée, sorte de palliation aux déséquilibres (alimentaires et hydriques), sorte de transfert de population d'une vallée à l'autre132 appelée "mitiniaq133" (en quechua) ou "minime" (terme hispanisant). On lit aussi que cette migration forcée était un déplacement organisé des populations pour coloniser des régions faiblement peuplées ou dévastées par la guerre ou une épidémie, ou pour assurer la défense dans des régions peu sûres et aux frontières de l'empire134.

Aujourd'hui, n'est-ce pas "la modernité", tout simplement, qui propose autre chose, parfois considérée comme meilleure, ce monde moderne qui attire ? Cependant, les choses ont nécessairement évolué, le temps passe vite, d'autres informations arrivent, des pratiques changent, des interactions s'actualisent...

En deçà de cette "adaptation" des représentations dans un discours montrant souvent que l'ici est meilleur, peut-être s'opère-t-il aussi un changement d'aspirations, par de nouveaux modèles, d'autres possibilités, devenues désirables. Ces références sont, sans aucun doute, véhiculées par la télévision, mais aussi par les "néo-liméniens135 qui ont réussi". Des gens comme soi, qui n'avaient rien, ou qui ne voyaient pas de meilleure issue, et sont finalement partis conquérir la ville. Une illusion, accompagnée d'une nouvelle perspective qui se fait évidente : c'est là-bas qu'il faut aller ; pour le moins il faut tenter

131 Serge Latouche. L'autre Afrique, emre don et marché. Khartala.

132 Oswald de Riveur. Le mythe du développement. Enjeux planète. 2003, p. 220

133 En quechua, mitimaq signifie aussi « migrant »

134 Carmen Salazar-Soler, Anthropologie des mineurs des Andes, L'H.armanan, 2002, p. 358

135 Rolando Arellano C., David Burgos A. Cuidad de los Reyes, de los Chaves, de los Quispe... EPENSA. 2004

L'argent, modèle ?

Largeni pro:21.cssi\ tuelli devicm tom. e-.Hr Eé cousutuc l'uniuéduock
· d(.' la5,:urvh:. e.N:lue de Id vie. il

e'..;{ Id 19C ifiente CI le amure du temps. I...argn1 dui, ,;Cul .11CIOF clora 011 5011 SUC .

1 L. 151 esCeliCliCe. litli attend cati quiy.it polics
Pan ici, D,:c1,2rei`.

Des visions qui s'opposent...

« Lima, todo es plata * » (A Lima, tout est fric!)

Et son corollaire : à Lima, rien sans argent. Serait-ce la dictature de l'argent en milieu urbain ? Répéter ces quelques mots devenus adage*, c'est réitérer ce que les habitants n'ont de cesse de rappeler. Ici. Et, là-bas136...

Cette idée est très répandue dans la Sierra. C'est pour cette raison que beaucoup rechignent à rejoindre leurs pairs à Lima... Ils rejettent cette vie matérialiste et pénible : ce monde n'est pas désirable

A Lima, tous s'expriment également en ces termes, bien qu'ils en aient, a priori, accepté le jeu. Sont-ils lassés de ce monde régi à outrance (relativement, si on le compare au Pérou non littoral/ urbain, mais d'aucune façon, avec nos sociétés du tout monétaire), par l'argent, ou dépassé par la quête qu'elle génère ? Peut-être cela exprime-t-il la difficulté quotidienne pour l'obtenir, pour s'émanciper en ville, la mesure de leur survie. Et de leur vie.

Sentiment de pauvreté ? Au regard de ce qui serait accessible, possible... Serait-ce un manque, dû à une certaine abondance que l'on a connu ? On entendra toujours : « l'argent qu'on a, c'est juste pour manger ». Alors qu'avant, manger était à la portée de tous, c'était la terre qui donnait, sa propre terre, ou sinon, la famille (« il y a tout de la chacra »). Alors on peut se sentir limité. Parce que l'argent, qu'on arrive péniblement à avoir, ne sert qu'à s'alimenter, et ce n'est pas ce que l'on est venu chercher ici...

De fait, thésauriser quelques pécules pour pouvoir obtenir un terrain, construire sa maison, devient plus compliqué. Mais cela se réalise ! Malgré les difficultés du quotidien tant déplorées, certains arrivent à "mettre de côté". Probablement un changement dans la façon d'obtenir ce qui est nécessaire à la vie, tant matériellement que moralement.

Lima vs. Sierra

Ne nous engluons pas dans les visions romantiques des indiens qui feraient mieux de rester sur leurs terres "sacrées" plutôt que de venir surpeupler la ville : la situation dans les Andes est critique, nul ne semble prendre en compte la population qui peuple la majeure partie du pays. Lima, le dos toujours tourné à sa Sierra, semble rester indolente aux besoins de celle-ci. Une situation andine qui semblerait s'aggraver. Pourtant, le gouvernement semble s'en soucier peu... Des "mesures" ont été prises, telle que la décentralisation (encore faudrait-il savoir l'appliquer et lui permettre de s'accomplir concrètement) ou le revenu contre l'extrême pauvreté, encore de l'assistance... Remplir les bouches pour faire taire ? Le monde urbain semble plus s'intéresser à la Sierra avantageuse pour les escapades touristiques et ainsi vanter les merveilles du pays. Et pourtant, tous savent déplorer la terrible situation des gens dans la Sierra. On peut constater une certaine indifférence des habitants de la capitale. Et parfois, un certain racisme...

136 Cette dichotomie "ici"/ "là-bas" a peut-être été intensifiée par mes questions...Entre ce qu'il racontait du présent et mes interrogations sur le lieu d'où ils venaient. Ce sont bien deux espaces distincts et séparés, mais plutôt dans la manière de dire. ils s'entremêlent néanmoins dans la mémoire et dans les faits...

Malgré ces jeux de discours et de représentation, on peut penser qu'ils portent leur "culture " ("leurs racines") en eux, la Sierra est présente en eux et se manifeste dans les rapports sociaux et certaines pratiques, dans les "traditions", même indirectement et involontairement « Alors... je suis toujours ce que je suis. Et puis ici, c'est la communauté campesina [c'est à dire, ce n'est pas comme si j'étais dans Lima]. » Loin du bruit, de la confusion, de l'anonymat... dans l'entre-soi

Mais jusqu'à quand la Vizcachera gardera ce caractère retiré? A quoi aspirent-ils ?? Devenir un vrai quartier urbanisé ? Rester un havre de tranquillité, avec la proximité des possibilités et les "avantages" de Lima ?

Quelle rupture ?

« Ya me acostumbre »

« Ça y est, je me suis habitué ».

Ces quelques mots, si redondants semblent lourds de signification...

Implicitement « J'ai eu du mal. Mais je m'y suis fait. Et maintenant, j'ai décidé de continuer comme ça. Je suis adapté ici. Je n'ai plus besoin de retourner là-bas. C'est trop tard maintenant... ».

Cela veut dire l'adaptation, ou la résignation. Cela veut dire la rupture, ou la coupure... Le pas est fait. Pas de retour en arrière ? Ce n'est pas pour autant que la migration s'arrête en un lieu. Elle est en de multiples endroits, rien ne peut laisser prévoir d'autres pérégrinations, d'autres projets, rien ne coupe complètement avec le passé. Toujours une oscillation...

Incapacité de revenir en arrière, et même si les conditions de vie à Lima sont aussi dures ; subsiste l'espoir de réussir et d'accéder à toutes les possibilités. Cette foi en demain permet d'accepter les incertitudes d'aujourd'hui et à supporter le poids du quotidien.

Mais s'ils disent s'être habitués, "enfin", ou "déjà", n'est-ce pas aussi pour avoir goûté à un certain confort : gain matériel (argent), transport, variété de la nourriture, etc. ? Autant de choses dont on peut devenir quelque part "dépendant" ? La question se pose, même s'ils lamentent sur le fait qu'ici tout soit contaminé, et là-bas tout soit à portée de main (aliments...), et que leur lot est la pauvreté : on a "juste de quoi manger"

De la coupure. Désirée ou subie ?

DESIR de couper avec le passé, en renouvelant les appartenances ; d'intégrer le changement parce que c'est un choix. Désir d'être dans un ici et maintenant, désir pour demain. Désir de construire, de créer. Désir de ne plus revenir en arrière mais de "se réaliser" jusqu'au bout, d'assumer ses choix ? Hier appartient au passé, ils doivent y renoncer.

Pour aller de l'avant, ne faut-il pas mettre un pied dans l'inconnu?

SUBIR la rupture, la coupure parce que c'est trop loin, dans le temps, dans l'espace, dans les
liens, dans les sentiments... Parce qu'on n'a plus les moyens (matériel --pas de téléphone etc.,
ou humain) de garder le contact, ni d'argent pour y retourner ou pour envoyer quelque

chose137. Parce que là-bas, on n'a plus de considération ou de raison d'être, donc d'y

r retourner... Parce que l'on a dû tout changer pour survivre ici, alors plus de retour en arrière. De la souffrance, on en parle aussi. D'être loin, d'être parti.... Parce que l'on a renoncé, bon gré, mal gré.

Parfois, les gens disent qu'ils n'ont plus de lien avec "là-bas", mais lorsque arrive un proche à Lima « mon dernier frère vient d'arriver de là-bas », ils sont au courant. L'information passe toujours ; les liens et les réseaux, peut-être moins ostensibles, sont toujours là.

Du reste, dans l'"entre-soi" de la communauté, chacun sait d'où vient l'autre, même si cela ne s'énonce pas directement (jusqu'à le dissimuler), les gens semblent le dire à propos... Des moments de valorisation, ou son revers, selon qui, selon quoi. Tout semble fonction de l'interaction 1 Ardu, pour l'oeil non averti, de l'appréhender. Des identités versatiles ? La constitution d'une nouvelle appartenance implique nécessairement d'autres rapports entre les habitants, en vertu d'autres critères ?

Quel réel lien existe-t-il avec la terre des origines ? Comment le maintenir ou le recréer sur ce nouveau territoire de vie ?

*

Discours sur pauvreté

ici h' vile de pitifurcié e. Élitit''rcift l'éle-% d'are.% :lit jijdn,*;.,1« lunes

lerres), niat.s 'E'illicÉ11101i. {,:(1 dierChc!Tli » uta, de C'otopri

"Ici, il y a beaucoup de pauvreté, d'enfants dénutris. On devrait faire un cornedor pour les petits enfants" Lila

Ces propos sur la pauvreté dépendent de la représentation que l'on s'en fait : on est pauvre, mais on peut sortir de sa condition, et il y a toujours plus pauvre que soi....On parle toujours de ces personnes, seules, avec des enfants et qui sont démunies de tout. Mais restent la solidarité, les liens et la communauté.

u

H

Au Pérou on est pauvre, mais on l'est surtout à l'aune de la pauvreté du lien social, du réseau. La solidarité sert à pallier la pauvreté. C'est quand on est seul que la pauvreté devient souffrance et vous isole, le vide. Le lien est leur réelle richesse, absent de notre monde occidental. Ce ne sont pas les différentes aides de nos pays industrialisés qui couvriront les carences de l'isolement ; qui rétablira ce lien ?

Quelle transmission ? La mémoire par les enfants ou la transmission de la mémoire

« Comme qui dirait je connais mes origines 1 » Carine.

Comme enfants d'immigrés, et donc déjà liméniens, on peut se demander quel rapport ils entretiennent avec leurs origines et la culture qui lui est propre.

Leur famille ont évidement véhiculé des pratiques, bien que parfois refoulées par l'arrivée en ville, ainsi qu'un regard sur le lieu d'origine.

Pour certains, c'est un peu le lieu des vacances, où l'on vient profiter des beautés du lieu.
Certains n'y vont que pour les fêtes, de temps en temps ou régulièrement : ce sont elles qui

137 Les encomiendas : beaucoup envoient des colis à leur famille restée là-bas, ou, inversement, la communauté envoie à ses migrés les produits locaux... moyen d'entretenir ce que l'on aime là-bas, moyen de faire découvrir Lima... (on en reparlera plus loin)

maintiennent le lieu d'avec l'origine des parents, par des retours, ou tout simplement dans les lieux de retrouvailles des migrants du lieu d'origine.

C'est en me racontant le parcours et la vie de leurs parents que j'ai pu réaliser une certaine "transmission de la mémoire".

Cette transmission n'est parfois pas évidente ; la langue est en générale mise de côté, par exemple, le lieu d'origine reste "lointain" et le rapport avec les autres habitants "primo- arrivants" (ou "lère génération") marque cette différence.

« Le quechua...parfois, on dirait que c'est une honte »

Le cas du quechua est éloquent. Langue maternelle, elle est souvent parlée en parallèle avec l'espagnol. Rares sont ceux qui ne connaissent pas l'idiome d'origine latine. Il arrive de croiser quelques vieilles personnes, à Lima (dans a Sierra, il en est encore beaucoup), qui sont venues très tardivement, ramenées par leurs enfants. Souvent, elles ne parlent que très peu l'espagnol. Parmi les autres générations, les deux langues étaient souvent pratiquées dans le lieu d'origine. A Lima, les gens ne parlent quechua qu'avec leurs vieux parents, ou avec leur famille ou quelques paisanos. Il est très rare de les voir parler à leurs enfants dans ce langage vernaculaire, et on voit vite les quelques tentatives d'enseignement abandonnées.

Certains diront que le quechua leur donne un sentiment de honte, les stigmatise. On peut se dire qu'il cherche à ne pas rester "trop serranos" dans leur existence citadine... ! Il est vrai que ce n'est plus la langue du lieu de vie... Ne leur sert-elle plus à rien ?! Ne sont-ils pas fiers de cette langue qui est la leur, qui est si riche, comme ils aiment à le dire ? A contrario, on peut s'aventurer avec les gens avec quelques termes en quechua, ils en sont toujours ravis (bien qu'ils prétendent avoir un peu "oublié" !)

Pourtant --et bien qu'ils aient une vision parfois négative des autres "moins avancés"-- ils partagent avec les autres (migrants) bon nombre de pratiques. Celles de la cuisine sont les plus patentes. Le comedor semble jouer un rôle important dans cette rencontre culturelle qu'est la préparation de plats (pour certaines, qui ne viennent pas de la Sierra : c'est une façon de partager avec cette culture), ceci dit, les pratiques culinaires s'adaptent également à la ville et aux produits accessibles. D'autres pratiques, de type communautaire et une certaine forme d'organisation sont aussi partagées. Cela est peut-être dû à l'environnement dans lequel les familles ayant migrées ont vécu : des quartiers constitués en intégralité par les protagonistes !? Il en est sûrement bien d'autres et il serait intéressant d'approfondir la question.

La façon d'imposer son habitat m'a particulièrement attirée l'attention chez ces "2ème génération", dans le contexte liménien. Si l'on constate que les "invasions" (voir détail dans le chapitre qui lui est consacré) sont toujours d'actualité, beaucoup sont organisées et par les descendants d'immigrés qui récupèrent cette pratique, cherchant à s'émanciper du foyer familiali38 et à recréer leur propre lieu de vie (en général ce sont de grandes fratries : tous ne peuvent pas rester). Ils semblent donc adopter ce mode d'occupation de l'espace, de construction du lieu de vie en repartant depuis les bases et de conquête de la propriété. Paradigme à élucider....

138 ll faut quand même noter que les enfants restent longtemps dans le domicile familial et construisent souvent leur foyer en rajoutant un étage à la maison des parents. En effet, les maisons (en dur) ont toujours un aspect inachevé : elles sont toujours en attente du prochain étage... I.

rj

r

Dans le chapitre qui suit, concernant les rapports sociaux au sein de la communauté, j'aborderai les différences qui se ressentent à travers leur discours sur les autres. (Accent, éducation...)

Le melting pot d'origine, d'identité et de statuts sociaux...

Des disparités d'origine géographique, sociale ainsi que des parcours uniques viennent composer le peuple de la Vizcachera et façonner la vie du quartier. Par delà, une histoire commune en train de se créer, celle qui assoit l'appartenance dans le groupe.

Néanmoins, selon des moments d'arrivée distincts, différents noyaux tendent à se créer, s'agrégeant dans ce « nous » en construction... Des générations différentes s'y entrecroisent : des immigrés de longue date, des provinciaux récemment arrivés, des enfants de migrés, et même quelque « liméniens » (mais qu'est-ce qu'un liménien aujourd'hui ?). Et toujours, de nouveaux venus.

La Vizcachera est (presque) un quartier de Lima. Mais à la Vizcachera, on construit à côté. On s'intègre à la ville, tout en s'éloignant, on prend ses distances pour créer du soi, à l'intérieur d'un « nous ».

La Vizcachera est un prodigieux mélange, presque harmonieux...

Et pourtant, la Vizcachera est mise en porte-à-faux par de nombreuses réprimandes et querelles... On entend parler de traîtres, d'une association contre la communauté, de conflits à propos de terres. Comme spécifié précédemment, l'attachement à la terre et à la propriété (communale et/ou privée) est tangible, voir, indubitable...

*

Les espaces de la mémoire sont difficiles à sonder, ils se manifestent par des discours parfois flous (pour l'interlocuteur ?).

Au-delà des quelques difficultés mentionnées réside une réelle volonté d'identité. Mais qu'en est-il de l'esprit "campesino" ? Probablement se manifeste-t-il dans d'autres manières de faire... On n'est pas de Lima, mais on n'est plus de "là-bas". Au delà d'une assimilation ou acculturation dans la ville, ou au contraire d'une pâle reproduction de l'identité andine (catégorie qui n'a pas forcément beaucoup de sens non plus...), ne s'agirait-il pas plutôt d'une culture spécifique du migrant139, qui se développe et s'invente entre ces pôles. Celle-ci s'inscrit peut-être dans l'appartenance à la communauté, sous un autre visage, parce qu'elle conquiert un nouveau lieu... La conquête d'un espace matériel et social nouveau est le point de départ d'une nouvelle identité, que l'on va valoriser, malgré les vicissitudes de la vie à la Vizcachera. Serait-ce en un lieu de l'"entre-deux", où oscillent des aspirations multiples... ?

Arriver à la Vizcachera, signifie une autre arrivée, et aussi un nouveau départ. Qu'apporte la communauté à la constitution d'une nouvelle identité ? Une appartenance sans doute moins floue que dans l'immersion en ville, et qui permet la constitution de nouveaux rapports, malgré la versatilité des discours et des alliances ...

139Il est important de noter que ceux que j'appelle les "migrants" ne se disent pas eux même "migrants" ou "immigrés", d'ailleurs peu. de gens les appellent ainsi. Mais il est difficile de trouver un terme qui convienne, et par ce terme, je prends en compte tout le mouvement. Les gens de la ville utilisent des termes plutôt péjoratifs ou des périphrases (voir analyse de vocabulaire dans la partie suivante)

Ainsi, si la communauté est constituée d'une pluralité d'identités (réunies dans celle d'être migrant, ou en quête de lieu ?), il semble se créer une identité plus spécifique à la Vizcachera, Et ce, même si (et d'autant plus !?) elle est altérée par les conflits sous jacents... En effet, si le peuple de la Vizcachera vante son unité, les uns et les autres expriment les différends qui hantent leur quotidien, en raison de problèmes de terrain. Mais ces dissensions sont peut-être le lieu d'exaltation du "nous" et des enjeux propres à la terre et à la propriété.

Les rapports au territoire et à la propriété sont autant de manières d'appréhender l'adaptation en ville et les rapports qu'ils suscitent entre les gens, ainsi que les conflits d'appartenances qu'ils génèrent.

De l'histoire de vie à la vie et ses histoires

AI La communauté : identité et appartenances

1/ De l'adaptation en ville : identité et appartenance.

L'arrivée à Lima, bien que facilitée par des réseaux fiables n'est évidemment pas si facile... Face aux préjugés défavorables des autres couches sociales (vis-à-vis de la façon d'être et de vivre des paysans et du monde andin), les migrants semblent développer des stratégies de comportement. Montrer ou dissimuler leur permet une meilleure intégration. Ils apparaissent alors sous différents visages selon l'interlocuteur et le contexte, et autant d'identités apparaissent dans leurs discours.

Les rapports sociaux dans la ville

On peut remarquer --je le ressens ainsi - qu'il existe des formes de ségrégation assez fortes vis à vis des "migrants", appelés péjorativement "cholos" ou "indios" (entre autre) par les classes supérieures. Entre eux, les gens utilisent souvent cette expression "el cholo cholea al otro140, (cholo n'est plus péjoratif s'il est dit dans l'"entre-soi" et même, beaucoup disent « nous les péruviens, on est tous des cholos ») qui veut finalement dire que les anciens migrés se sont appropriés un identité urbaine et "discriminent" le nouveau venu, celui qu'il a été à ses débuts. En réponse à cela, ils adoptent différents discours sur leurs origines, ceux-ci semblent passer par plusieurs phases.

Ternies pour qualifier et catégoriser les gens, avec toute la connotation affective ou dépréciative qu'ils peuvent revêtir.

Façons de dénomer

- serran, cholo, Jucha, indigenas, chuto / pituco, criollo, costereo...

- gente humilde, gente de pocos recursos, en la necesidad, gente de mal vivir... / gente de tener, gente decente....

"El Peur de iodas las sangres"- selon les "couleurs"

Achinado : aux traits asiatiques ou indigènes

Blanquinoso : péruvien (costeno-gens de la cote) qui parait européen.

Zambo descendant d'un noir avec une indienne ou inversement, ou personne avec des traits négroïde.

('huncho ternie dépréciatif qui s'utilise dans l'aire andine pour dénommer les Natifs d'Amazonie. (Dans les rites andins, c'est la personne ridicule qui représente l'indien d'Amazonie).

Etc....

140Chohl désigne l'individu d'origine indigène qui, par sa migration à la ville, pour son éducation ou son comportement social, cesse d'être considéré comme un « indio (indien) ». Cependant, pour les costetIos des couches supérieures, cholo devient dans son langage, synonyme de d' incita ». Par contre dans les secteurs populaires, cholo --et encore plus « cholito», le diminutif, devient un terme affectif. (d'après Arguedas)

C'est la rencontre d'une identité provinciale fortement ruralisée avec une culture urbaine moderne qui serait la configuration la plus caractéristique d'une « choledad », qui a changé la configuration de la ville du l'ail de cette migration devenue massive (la « cholification » de Lima). In Guillermo NUGENT, El laberinto de la choledad.

Des étapes d'"intégration"?

« Ils te marginalisent, ils te discriminent... On te dit "chola", "serran"... »

Être étranger. On peut se sentir méprisé, discriminé, exclu : ils n'ont pourtant suivi que l'exemple de ceux qui les ont précédés ! Ce sentiment de honte, de déconsidération ou d'exclusion, peut être compensé par les réseaux d'appartenances et de liens qui préexistent, et qui se construisent (et déconstruisent ?) au fur et à mesure. Dans un premier temps, ils sont donc dépendants de leurs « compatriotes » mais surtout des membres de leur famille, sur qui seuls, ils peuvent compter.... Ils échappent à cet isolement social et culturel en appartenant à un groupe, un territoire. Conquérir, construire de nouveaux liens, les difficultés sont toujours présentes, mais ils s'entraident et s'unissent Ils sont nouveaux mais nouveaux dans le quartier, dans la communauté d'appartenance et non plus dans la ville, impersonnelle.

Comment reprend-on à son compte les façons de faire, habitus, habitudes et codes qui y circulent... Comment les fait-on siens ? Se les approprier (tout en les adaptant..) paraît plus aisé pour une meilleure cohésion et la construction d'un sens commun

On entendra beaucoup dire à Lima qu'ils "se laissent contaminer" par la ville, par les autres, en dissimulant leurs origines et adoptant des comportements de pervertis --on parlera de « viveza141 »- de la ville (vision de l'"humble" paysan ?).

Mais comment rester soi tout en s'intégrant ? Faut-il adopter des stratégies pour conquérir une nouvelle place, en délaissant une partie de soi ? Il est nécessaire de donner un sens à l'univers qui nous entoure, mais surtout trouver son propre sens clans ce nouveau contexte.

Jusqu'à ce qu'un jour, on commence à "réussir", à avoir un chez soi. C'est peut-être aussi devenir quelqu'un, c'est aussi appartenir à un territoire, à un groupe ? Peut-être à cet instant disparaît la vergogne "des débuts", celle des migrants, grâce à la nouvelle cohésion. Après des moments d'errance, se cristallisent des appétences : acquisition d'un terrain pour la construction d'un habitat commun et le développement d'un espace de vie commun.

Ce qui semble être une sorte de recherche d'identité à travers la migration, ne se consolide-t- elle pas dans une volonté d'appartenance ? Celle-ci s'inscrit-elle dans le quartier, sorte de communauté dans la ville, et, en l'occurrence, communauté en tant que telle dans le cas de la Vizcachera ?

La communauté vers le « nous »

«Je suis d'ici, de tel quartier ».

Les origines ne sont pas prépondérantes. Dans le discours, on appartient à son quartier avant tout. On voit là une réelle volonté d'identification dans l'ici et maintenant, et d'affirmation dans l'appartenance à la communauté, le « nous » ; « nous, les comuneros » (membres de la communauté).

A la Vizcachera, les liens familiaux consolident les réseaux de circulation d'informations et d'entraide. S'ils semblent être à la base de l'adaptation, la communauté joue un rôle important pour souder les rapports entre les habitants et la construction du quotidien et peu à peu, du vécu commun. Faute d'exprimer ses origines par la parole, on le manifeste plus volontiers par ses manières de faire, notamment par l'organisation communautaire. Ce sont les anciennes

141 Comportement de profit de l'autre, de mesquinerie, caractéristique des gens de la côte. ("La viveza criolla")

pratiques qui implicitement se « reproduisent » tout en les adaptant au nouveau contexte spatial et social. Ne systématisons rien : il s'agit malgré tout de réinventer une organisation propre et de construire de nouveaux rapports.

Le quartier au pueblo, la communauté dans la ville

Les migrants (mais aussi les gens --enfants d'immigrés pour la plupart-, en quête de "casa propia" pour s'installer) semblent prêts à tout pour conquérir leur nouvel espace de vie, matérialisé par l'acquisition d'un terrain « à soi » et de leur propre chez eux, dans le but de « levcmtar » (dresser), plus tard une maison en matériau "noble". Pourtant, les terrains appartiennent réellement à la communauté (ils n'en sont que les usufruitiers), encore que, la communauté n'a qu'un certaine autonomie dessus : c'est la matrice qui en est "maître".

Aussi, ils semblent reprendre à leur compte l'identité d'un lieu -même lorsqu'ils ne l'ont pas "fondée" ou construit à la base, et l'appartenance communautaire, cohésion bien plus andine qu'urbaine.

Mais cette façon d'exister, dans un tel melting pot générationnel et régional, en un lieu de vie commun, n'est-elle pas devenue finalement, proprement liménienne ? (L'identité liménienne n'est pas tout à fait l'identité urbaine). S'interroger sur le sens de la communauté peut aussi nous éclairer sur le combat mené par les habitants pour défendre le territoire commun, et en deçà, son propre espace. La communauté est aussi un échafaudage de liens tiraillés par les personnalités...

Appartenir à la Vizcachera, c'est aussi asseoir son identité en un lieu, c'est passer de "pas grand-chose" à quelqu'un d'impliqué dans la grande ville142.

Vivre en communauté

II n'est pas vain de le répéter, la Vizcachera n'est plus la ville car des limites administratives l'ont jusqu'à présent déterminée ainsi (mais jusqu'à quand ? n'est-elle pas vouée à s'inscrire dans la ville, comme son voisin avec qui elle est étroitement liée --quartier de Campoy). Mais elle n'en est pas moins un quartier de la périphérie de Lima, réceptacle des migrants (en majorité) "du coin" en quête de lieu pour enfin s'établir. Avec cette différence : elle est régie par un système communal à proprement parler, tandis que les autres quartiers nouvellement constitués de Lima voient leurs terres gérées par le système urbain de la Côte143. Ils n'en fonctionnent pas moins comme des communautés, qui se fondent ensemble, travaillent pour un bien commun, luttent ensemble pour défendre leur territoire et conquérir leurs droits...

Les pratiques et l'organisation communautaires

C'est par la "possession" (droit d'usage) d'un terrain que l'on devient comunero (membre de la communauté). Celle-ci engage l'usufruitier à. participer à la vie de la collectivité.

142 Christophe Martin. Ibid.

143 Deux systèmes fonciers sur la Côte : celui des terres urbaines et celui des terres rurales (diffet eut de celui des

terres de la Sierra)

Il peut s'agir du travail communal : la faena, des tours de garde nocturnes : rondos vecinales (rondes vicinales), ou encore de la participation et du vote à l'assemblée directive (Junta directiva). Ces pratiques, d'origine communautaire et andine, se développent dans beaucoup de quartiers de Lima.

Elles permettent à la communauté de se souder et de construire ensemble un espace de vie qui, par leur seul travail au début, disposera du minimum d'installations. S'il faut se construire une maison soi-même, il faut aussi rendre habitable le quartier (autrement dit, les collines de terres et de pierres...). Néanmoins, l'électricité ne s'acquiert pas du jour au lendemain : la Vizcachera ne dispose de lumière électrique que depuis une dizaine d'années, et l'obtention de l'eau144 est encore un combat d'aujourd'hui. « Ça fait déjà dix ans que nous sommes sans eau », déplorait une dame (comme tant d'autres !) qui est là depuis autant d'années. Certains racontaient même qu'aux débuts, il fallait descendre à l'entrée pour aller chercher de l'eau.

· Lafaencii45

C'est le travail réalisé collectivement, par les habitants de la communauté pour une oeuvre qui profitera à l'ensemble de la communauté, ou du village, dans l'intérêt de tous et qui bien sûr, n'est pas rémunéré... C'est une pratique de la Sierra, peut-être un héritage des Incas, ou d'encore avant... On n'est pas obligé dans l'absolu d'y participer, mais si l'on est directement concerné, cela va de soi. Par exemple, si l'on habite dans la rue où les travaux vont être réalisés ; ou si l'on se sert de l'eau du canal qui va être nettoyé... En bref, dès que l'on se sent bénéficiaire (direct ou pas), on sent l'obligation sociale d'y participer.

A la Vizcachera (comme ailleurs), des faenas sont organisées pour réaliser les gros travaux du quartier. C'est ainsi que les gens ont rendu viable l'environnement : en dégageant les pierres et aplanissant le terrain pour faire une route, en frayant des accès pour que le marchand d'eau puisse passer dans le lotissement avec son camion... etc. Ce qui semble avoir été fait dernièrement, et dont les gens parlent, désespérés. Ils ont apporté un tank d'eau sur le sommet de la colline, en vue d'obtenir l'eau courante. Des canaux de distribution (et de tout à l'égout ?) ont été creusés (des tranchées longent toutes les rues !...) depuis déjà deux ans, et jusqu'à maintenant, pas une goutte d'eau, au plus grand découragement de tous, d'où la dérision de ceux qui ne participent pas aux travaux communautaires...

· L"activité"

Si un projet est onéreux, alors "une activité146" sera réalisée pour réunir des fonds... Les uns
et les autres se trouvent l'obligation sociale et la volonté de "collaborer", ou pas. Cela dépend

144 La ville aide parfois les quartiers à obtenir ces infrastructures, mais seulement au bout d'un certain nombre d'années, une fois la possession formalisée... En outre, la Vizcachera ne peut pas obtenir d'aide de Lima... c'est pour cela qu'elle a dû (pu ?) faire appel à l'aide extérieur : allemand et suédois semblent avoir collaboré pour le collège et le tank d'eau) -- N.B Ceci dit, l'allemand a la réputation d'être un sacré corrompu qui profite de ces actions pour « s'en mettre plein les poches »... )

145 En quechua de la zone centrale. "beim" se dit "vupanaco" du verbe « _vupanaku » qui veut dire « ayudarse uno al otro », c'est à dire, s'aider les uns les autres

146 Faire une activité » déjà explicité dans une autre partie : il s'agit de réaliser une fête oit Fon vendra un plat cuisiné (poulet, chicharron...)_ en y invitant tous ses réseaux et voisins. afin de réunir de l'argent pour une cause. Dans la Sierra, il s'agit souvent de "cuyadas". c'est-à-dire de préparation de cuv (cochon d'inde), animal de la sierra par excellence...Mais à Lima. bien que de nombreux habitants en élèvent dans leur maison et cour (oui, à la ville 1), leur nombre est trop limité...pour que cela devient aussi courant. (Le cuv est très connoté "serrano"...)

également du degré d'intérêt que l'on a, et aussi des relations entretenues avec les organisateurs et bénéficiaires... Cela peut-être pour un proche malade, une famille en deuil, mais aussi à dessein commun : des chicharronadas ont été réalisées dernièrement pour financer l'installation électrique d'une nouvelle partie du quartier (la partie où les gens vont être relogés le long du hueco). Ils préparent ensemble l'installation de la zone.

· Rondes vicinales / "lynchages"

« Les rondes vicinales, c'est à cause de ce problème d'invasion. Il y a eu celle-là et celle-là etc. Une fois, il avait des bombes, on respirait comme ça [elle me mime l'asphyxie], j'ai failli mourir ! C'était il y a 6 mois... Il faut être là, pour nous défendre... Qu'ils n'entrent plus !

La communauté se construit, mais elle se protège elle réalise des tours de garde, rondes de nuits, afin de se protéger contre les éventuels prédateurs et usurpateurs de terres, et aussi contre les délinquants... (Ces deux raisons expliquent la remise en route des rondes vicinales toutes les nuits)... C'est ainsi que la communauté se défend des éventuels "envahisseurs" (ceux qui viennent effectivement envahir leurs terres) et des drogués qui traîneraient là, la nuit. Tour à tour, 3 personnes d'un îlot vont faire des rondes pour surveiller le territoire. Cette pratique vient également de l'organisation communautaire usuelle dans la Sierra.

Le plus extrême, c'est la façon dont un délinquant est lynché ou renvoyé de la communauté, lorsqu'il est surpris à voler, ou à commettre un autre délit... Il semble que la Vizcachera traite également ces problèmes en s'en protégeant : « Et quand c'est le sifflet, tous nous allons attraper le voleur. Ils font ça aussi dans des lieux comme ça, des communautés... à Canto Grande, Puente Piedra ... [Quartiers de la périphérie de Lima] » (Vilma).

· Le comedor popular 147

La cantine populaire semble être le lieu d'organisation de la "communauté de femmes" par excellence. Non seulement, on y prépare les aliments communs, mais c'est aussi le moyen d'organiser des activités annexes. C'est aussi un lieu de grande sociabilité.

En revanche, cette pratique n'est pas si courante dans les Andes, elle existe certesiu, mais n'est pas le lot commun. La cuisine y est plutôt familiale. A Lima, les comedores populares pullulent dans tous ces quartiers. C'est qu'il a fallu communautariser la préparation de la nourriture pour pouvoir s'en sortir (manger est plus difficile à Lima que dans la Sierra où l'on a les produits de la chacra). Paradoxalement, on y cuisine des plats de la Sierra (adaptés aux aliments d'ici)! Les femmes mettent en oeuvre leurs savoirs culinaires du lieu d'origine. Cela semble faire cohésion dans tout le groupe, même pour les enfants d'immigrés qui connaissent cette alimentation, transmis par leurs parents.

Mais les pratiques communautaires ne s'arrêtent pas là, elles donnent sens au groupe sous différentes formes. Aux débuts de la communauté, une fête a été créée (j'imagine) : celle de la croix, à travers la chancheria. Les fîtes religieuses sont importantes dans les communautés (et parfois dans les quartiers) partout au Pérou. Elles sont toujours propres à un lieu.

La techa casa, safa casa149, ou techada, c'est à dire la "pose" du toit est un moment très important dans la sierra, accompagnée de festivités. Il marque une étape importante, le

147 Cantine populaire

148 Elle est appuyée financièrement par un le PRONAA, organisme de l'État.

149

safa casa, terme espagnol, "safar" c'est. comme "le terminé", soit terminer les finissions du toits. En quechua on dit "wasi qispi'

symbole du toit. Pour l'occasion, des proches viennent aider à la construction et participer aux festivités.

Même si je vais peut-être un peu loin dans mes interprétations, je voudrais soulever la question de savoir si l'on peut retrouver dans le vivre en communauté du cadre urbain, perturbé par la migration, certaines formes de services, de travail, en dehors de la faena, qui se réalisent entre deux ou trois personnes, comme l'ayni ou la minka. L'ayniI5° est un service rendu à une personne, qui en attend la réciprocité... Cela se passe généralement entre des personnes d'un même niveau social. Par exemple, quand quelqu'un apporte du sucre ou des fleurs pour une fête : c'est ayni ; le bénéficiaire devra faire la même offrande quand à son tour, il fera une activité. On peut penser que cela se fait lors des activités organisées par des gens de la communauté, car ils se sentent, ou pas l'obligation sociale (selon le lien) d'y aller, et de fait de « collaborer »... en ce sens !

Le minka est un service rémunéré ; on est employé pour un travail précis, et l'on perçoit un salaire. C'est plus généralement entre des gens de niveaux différents. Ce pourrait être le service que rend cette vieille voisine en lavant le linge et en recevant en échange quelques pécules. Ces pratiques peuvent se retrouver également lors des "techadas"...Mais à vrai dire : je n'en sais rien. J'émets l'hypothèse, puisque ce sont des rapports de réciprocités importants dans les communautés...

Ce serait des questions intéressantes à étudier afin de comprendre comment fonctionne le rapport entre les gens au-delà de la migration.

C'est donc dans l'espace communautaire que les migrants, d'une manière générale, semblent retrouver des pratiques bien connues de leur culture. La communauté d'origine n'a plus grand-chose à voir dans ce nouveau noyau en tant que culture locale, mais plutôt dans ses manières de s'organiser. C'est aussi ce nouveau rapport communautaire qui donne sens au nouvel univers commun et construit les relations entre les habitants.

La migration semble être un véritable enchevêtrement de la culture d'origine avec le nouveau cadre de vie, sous toutes ses manifestations, plus tacites, qu'ostentatoires... La volonté commune de reconstruire et de consolider de nouveaux liens y est fondamentale. Mais qu'en est-il des rapports ?

2/ Territoire et appartenances... les rapports entre les habitants

Le nouveau tissu social de la communauté

A l'intérieur de la Vizcachera (comme ailleurs !), diverses "sous appartenances" et différenciations sociales se laissent deviner. Entre "anciens" et "nouveaux", entre communauté et association (on le verra dans la partie suivante), ainsi que, selon les origines sociales des gens. Mais dans quelle mesure ?

150

Par exemple, deux personnes en aident une Sème - et ensuite. la Sème personne devra à son tour aider les 2 autres pour quelque chose de la même nature. Ou bien. les cadeaux de mariage ou les bandes et orchestres engagés. ils sont souvent fait sous la forme de awzi. ce qui fait que quand ceux qui ont donné la bande seront à leur tout "nuryordomos". ceux qui l'avait reçu devront la donner à leur tour.

JE

t.

n

il

Li

L

Il est perceptible que dans la Sierra, les rapports sociaux sont très hiérarchisés, même à l'intérieur d'une communauté. On dirait que les gens attestent de leur statut par ces rapports. Peut-être ne le conçoivent-ils pas ainsi, mais d'un regard extérieur, les positions sont bien marquées.

Par exemple dans la Sierra, les gens s'autodésignent comme « la gente decente » (les gens décents) par opposition aux autres, qualifiés comme la "gente humilde" --(les gens humbles), également par les gens de Lima (pour évoquer le côté "pauvre" économiquement et socialement --culturellement ?), qui diront aussi "les gens qui ont peu de ressources" (« gente de pocos recursos »), ou "dans la nécessité.", etc. Reste les "gens de mauvaise vie", qui sont les délinquants, mais selon les plus hautes sphères, il représente à peu près tout ce peuple des nouveaux districts (exagération ?). Aussi, les gens "décents" (désignation endogène) semblent respectés en tant que tel --c'est peut-être dans cette mesure que l'on petit parler de "hiérarchie' (cf tableau ci-dessus)

En dépit de cela, ils s'unissent dans la même lutte, parce qu'ils sont partie intégrante de la communauté.

Reste ceux qui n'ont rien, rien sur quoi s'appuyer pour se faire valoir, pour exister. Peut être à la ville peuvent-ils conquérir aussi un peu de statut. Peut-être que malgré un racisme assez consternant et la ségrégation inhérente --qui n'est pas, certes, exprimée en ces termes, mais se ressent dans la population citadine-, ils ont une chance Soit ils se perdent dans l'anonymat, soit ils y gagnent leur place... Alors ils peuvent tenter d'être, à l'image de leur aspiration. L'ascension sociale en ville est également un modèle de réussite.

L'exemple des églises évangéliques est intéressant : elles pullulent dans la ville, et d'autant plus dans ces quartiers (dans la Sierra également). Elles semblent être un nouveau "lieu" d'appartenance, un réseau de liens et donc de solidarité fortifiée Certains auteurs y voit une sorte de substitution à la "morale andine", comme un mode de vie andin idéal... Certes, c'est une communauté qui fonctionne, et qui se substitue à une appartenance de caractère communautaire (celle du village par exemple) mais je n'irais pas si loin dans le sens de leur interprétation... Simplement, comme un réseau et une appartenance forte, et une façon d'être considéré. A entendre Genobeba expliquant que les gens de réglise" appelait son mari "hermano" (frère), on peut se demander si ce n'est pas une façon d'égaliser les rapports, de se mettre tous au même niveau, on est tous "frères" et solidaires... contrecarrant les rapports de domination.

Mais, ne nous méprenons point : les apparences rappellent les positions : la couleur de peau, le style (tenue plus "relâchée"), l'accent (certains gardent un accent très andin), ou encore la façon de vivre...

E

Des rapports...

A la Vizcachera, comme ailleurs, la communauté ne dissout pas les rapports de domination qui peuvent exister, ou se constituer_ Mes propos vont peut-être un peu loin, mais si l'exceptionnelle solidarité entre les habitants et l'insatiable lutte qui l'accompagne surprennent agréablement, les différenciations sociales et la discrimination peuvent parfois être consternants.

On pourrait aller jusqu'à se demander si certaines distinctions se font, de manière plus implicite. Dans la sierra, on peut constater des différenciations importantes entre des gens qui habitent des zones (ou "étages") distinctes : particulièrement entre les gens venant des hauteurs (la "puna" --dans les 4000m d'altitude) et ceux de la vallée (étage "quechua"). Pour

illustrer, il m'a été conté que dans le village de Churcampa, un quartier s'est créé de toutes pièces pendant la période de terrorisme. Les gens des punas sont descendus se réfugier à Churcampa (parce qu'il y avait une base militaire). Ce quartier s'appelle normalement « Are° pampa» ("arc", et "surface plane") mais il est plus connu sous le nom de « chuto pata » (chuta Indio "indien"-- un nom connoté négativement qui est utilisé par les gens de l'étage quechua pour parler des gens de la puna, pata : petite altitude)

Celles-ci peuvent-elles encore se ressentir dans les rapports entre les gens de la nouvelle communauté ? Ont-ils des moyens de se distinguer en vertu de ces (anciens) rapports ? Ou cette distinction disparaît-elle avec les nouveaux noyaux d'appartenance qui valorisent chacun dans ce nouvel univers ?

On peut constater qu'a Lima, on parle des gens « du eerro » et « de l'invasion » (ils ont envahi le terrain sur lequel ils habitent) avec parfois un certain dédain. Ils sont presque des boucs émissaires, et reçoivent divers blâmes : d'envahisseurs et autres receveurs des maux dont on les accuse...

A la Vizcachera, on entend parler des gens des latéraux, ceux de la pampa et ceux des cerros. Sont-ce de simples localisations, comme des sous-divisions du quartier ? Ou y a-t-il là une reconnaissance de ceux qui, étant sur la pampa, sont là depuis le début, par opposition à ceux qui sont venus après et les ont quelque part « envahis » (sans que ce soit dans le cadre de ce mode d'accès au sol qu'est l'"invasion") ? « Los de arTiba y los de abajo... » (Ceux d'en haut et ceux d'en bas)...

Au-delà de l'appartenance à une province ou à un district d'origine commun, il existe des origines sociales qui influent probablement sur les rapports et activités. Néanmoins, les « professionnels » (gens qui ont fait des études et la profession qui leur correspond) semblent être assez rares à la Vizcachera.

C'est significatif dans le « laver du linge », faire laver le linge par quelqu'un d'autre par exemple. Une dame, d'une classe plus "professionnelle" (mais qui ne dénigre pas les autres dans ses discours et s'inclut dans une certaine pauvreté, même si elle la différencie- à raison, de celle, extrême, d'autres...) faisait laver son linge par sa voisine d'en face, « parce qu'elle avait mal au dos ».Elle l'assistait du début à la fin de la besogne... Sa voisine, évidemment n'était pas de la même classe (elle lui donnait des ordres --avec sympathie et respect) mais elles avaient l'air d'entretenir de bons rapports. Laver le linge des autres signifie dans les Andes, être au bas de l'échelle sociale. D'autres jeunes femmes s'en vont laver du linge dans divers quartiers de Lima, pour couvrir leurs besoins (la fille d'une dame le faisait pour « pouvoir acheter le lait pour son bébé »). Force est de constater qu'à la Vizcachera, peu nombreuses sont celles qui ne lavent pas leur linge elle même ! (voir chapitre « activités »)

Les enfants de migrés (parfois de fondateurs) et "liméniens"

Tous ne viennent pas directement de la sierra. D'une part, nombreux sont ceux qui ont vécu un certains temps à Lima avant de venir s'installer ici, et d'autre part certains sont des "deuxième génération" : autrement dit, des enfants d'immigrés --de parents de la Vizcachera pour certains_ Enfin, quelques personnes sont de Lima. Quoique, pas exactement, je n'en ai rencontré qu'une dans ce cas dont la famille vient de Chincha, sur la côte, au sud de Lima.

Ils semblent se distinguer des autres (qui viennent de la sierra), peut-être parce qu'ils ont un
certain niveau d'"éducation" (scolaire) alors que la majorité sont allés très peu à l'école. Ce

n'est pas en ces termes qu'ils l'expriment, mais plutôt dans la façon de remarquer les

ri "manques" et disparités.

Néanmoins, même s'ils se différencient (notamment sur l'éducation, le rapport au travail...),
ils partagent avec les autres une certaine façon de vivre, transmise par leurs parents, et
semblent pouvoir faire cohésion dans la communauté. Ils ne se séparent pas nécessairement

i. des autres, de la même manière qu'ils ne se groupent pas "entre eux", ils ne forment d'ailleurs pas une catégorie, c'est juste leur vision qui est particulière. Du reste, les uns et les autres ne se rangent pas forcément dans le même "camp", c'est donc davantage leurs expectatives --avec ou contre la communauté, qui les mettent en rapport avec les autres.

Parmi eux, certains sont des enfants d'antiguos ; ils ont vécu ici un certain temps, puis ils sont partis avec leurs parents habiter un autre quartier (Zarate ou Campoy). Ils y allaient toujours pour les cochons. Mais certains sont revenus, leurs parents jouissant d'un plus grand nombre de parcelles (en raison de leur statut de fondateurs), ils avaient donc la possibilité de s'y installer. D'autres enfants d'antiguos ont toujours vécu à la Vizeachera et jusqu'à présent, ne la quittent pas, s'étant installés en ménage.

D'autres enfants d'immigrés, sont venus s'installer, simplement parce qu'ils recherchaient eux aussi un terrain. Ils sont peu nombreux.

Aussi, ceux qui viennent de « Lima » parlent souvent avec compassion mais distance de la pauvreté des autres... Mais cette différenciation reste infime dans la cadre plus global de la communauté : ils s'incluent tous dans une certaine catégorie de « pauvreté » et les liens communautaires sont prégnants --pour ceux qui ne s'opposent pas à la communauté...

On parle facilement de ceux d'en dessous (les plaignant, mas pas de ceux qui discriminent ou dominent...)

« Ils ont des coutumes différentes. Leur éducation est différente, plus faible. Par exemple, "untelle", elle est différente... Il faut leur enseigner ...par exemple, ils ne peuvent pas aider [en parlant de sa belle famille] les enfants pour leurs devoirs. Il faudrait les aider eux : ils sont pires ! Par exemple mon mari, il ne peut pas enseigner... tu crois que ça pourrait être une maladie ?! Les gens d'ici ne peuvent pas aider leurs enfants... Rosa, une dame mariée à quelqu'un de la sierra, qui est ici avec toute sa famille. Elle a habité Lima et la côte sud...

« Ici, il y en a qui frappent leurs enfants. Parce qu'ils ont des manières de faire très différentes. Nos enfants sont très différents._ Vilma, fille d'immigré

« Les gens ont beaucoup d'enfants. Ils ne devraient pas...les études, c'est cher, ils ne vont pas pouvoir permettre à leurs enfants d'étudier...

L

H

j

« 1,es enfants des autres : ils sont sales... ils jouent toujours dans la rue. Ils disent des grossièretés... c'est pour ça que je ne veux pas que mes enfants sortent...

«Les gens de la Vizcachera... (avec un air désolé.._) il y a de tout. Certains n'aiment pas travailler. Ils ne veulent pas progresser. Ils sont habitués à ce qu'on leur donne. On ne peut rien faire avec ces gens-là... On lutte seul...

Elles [les femmes du comedor ?] sont soumises, elles ne te parlent pas... Juste pour parler mal. Alors qu'elles ne font rien ! Elles racontent par exemple : "j'ai entendu dire que mais au lieu de critiquer, il faut voir !! Parce qu'il y a beaucoup d'ignorance. Elles ne savent même pas écrire ...Il y a eu des ateliers : elles ny vont pas... Les mères n'aident pas...On a

96

fait une pachamanca151, elles mangent et elles s'en vont...elles n'aident pas...juste par intérêt... elles ne veulent pas s'intégrer au travail ...Par exemple au comedor, il faut toujours tourner152... il y en a qui viennent juste récupérer à manger I C'est de la paresse ... les gens ne veulent pas progresser, ni apprendre, sinon, vivre dans la même pauvreté. Moi je voulais faire quelque chose pour couper les cheveux. Il n'y en a pas ici [de salon de coiffure]. Mais elles ne veulent pas faire ces choses là parce qu'ils faut investir beaucoup ... ! Une dame, fille d'immigrés. Elle ajoutera plus tard qu'elle aussi, est paresseuse... ! Ne nous alarmons pas : s'ils avouent ces défauts, c'est parce que ils souhaitent poursuivre et intensifier cette lutte qui fait partie intégrante de leur vie.

« Le système communal, c'est moche... Là-bas, c'est plus avancé, en progrès. Ici, ça manque. Ici c'est derent, la majorité, ils sont de la Sierra ». Vilma. Ses parents viennent du département de Cerro de Pasco et habitent Campoy

Ceux qui ne viennent pas de la Sierra, mais y ont leurs origines, ont une vision plutôt "négative" des autres, surtout en ce qui concerne leur niveau d'éducation (scolaire) et envers leurs enfants (comportement, mais aussi rigueur du suivi). D'ailleurs, les mères mettent souvent leurs enfants dans d'autres collèges, en dehors de la Vizcachera, parce que le niveau serait très mauvais153. C'est un sujet de conversation qui revient souvent. Reste la vision du progrès et du développement humain154, ainsi que le rapport au travail qui semble divergent : discours ou réalité ?!

On parle souvent de désunion, du manque de participation. Peut-être cela correspond-t-il plus au discours d'un vision idéale qu'à une réalité des faits. Par exemple, certaines se plaignent que seulement la moitié des femmes participent au comedor. Pourtant, ces unités, malgré quelques zizanies, semblent faire cohésion, à l'instar de la communauté... Le seul conflit qui m'a paru prépondérant et exacerbé n'est autre que celui lié aux terres... En effet, les petites discordes s'effaceraient presque devant la nécessité de s'unir dans une même quête et une même appartenance.

Les anciens/les nouveaux : fondateurs versus intégrés ?

« Il y a peu d'antiguos... Ils ne se mettent pas dans les affaires de la Directivasont à part... ce sont eux qui ont acheté dans les parties latérales, les nouveaux... Isabel

« Il y a plus de gens nouveaux, oui...avec le nouveau président... » Consuelo

« Nous les anciens, on a toujours travaillé. C'est nous qui avons .fait le plus de travail... Carine

« Entre antiguos, les enfants, on se connaît, on sait qui est qui...qui est... »

« Les gens arrivés récemment, ils ignorent...Ils [la communauté] abusent d'eux, en les
menaçant de les jeter s'ils ne les soutiennent pas.
Isabel A l'intérieur de la communauté, des
oppositions existent, véhémentes. Par exemple, celles vis-à-vis des nouveaux, qui ne cessent

151 Plat traditionnel de la Sierra, à base de patates. maïs, fèves, et différentes viandes...cuit sur des pierres chauffées et enseveli dans la terre, puis recouvert.

15: "Tourner" c'est-à-dire travailler de manière tour à tour. en tant que membre. et en parallèle aller y chercher sa nourriture.

153 Tout comme dans la Sierra, les gens disent que le niveau dans les villages est mauvais, ils vont donc vers les villes (cf. chapitre suivant sur la Sierra)

1'4 Une daine me disait : rt et un jour je me suis dit qu'il fallait que je trouve 2m terrain, sinon jamais je ne pourrais me développe »r,

d'arriver. C'est un peu comme si les autres --ceux qui ne sont pas "les nouveaux"- avaient tout construit dans la communauté pour la rendre meilleure et qu'il était facile pour les autres d'arriver maintenant...Alors qu'ils fassent à leur tour quelque chose ! C'est peut être aussi pour échapper aux tâches qui incombent aux comuneros, et ainsi impliquer (et se décharger !) les derniers arrivés... En outre, c'est probablement parce que la communauté s'élargit beaucoup, selon les désirs du président (qui ferait rentrer beaucoup de monde en vendant beaucoup de terrains.. 1), et que la cohésion entre tous est désormais plus difficile. Il est plus naturel de s'asseoir sur un fions commun lorsque l'on a un vécu commun...

D'autre part, les "anciens" revendiquent la légitimité de leur présence attestée depuis les débuts... En effet, parmi ceux qui désapprouvent d'une manière ou d'une autre ces "nouveaux", tous ne sont pas des "anciens" dans le sens de tous premiers habitants. Ceux-là revendiquent leur présence depuis un certain temps, et tout ce qu'ils ont construit ensemble, mais pas de la même façon que les fondateurs de la communauté.

Leur statut de pionniers semble leur conférer un certain rôle d'autorité et de prestige. Ce sont les fondateurs, les "natos criadores", c'est à dire les "éleveurs de plein droit" ou plutôt, "les gens qui sont d'ici de plein droit, comme éleveurs". Ils sont aussi les antiguos (anciens), les "vrais" ! De cette catégorie naît celle des "hijos comuneros", soit les enfants des anciens communautaires, possesseurs légitimes...

Les autres antiguos semblent être ceux qui sont là depuis très longtemps, mais pas lors de la fondation. Enfin, restent ceux qui sont là depuis un temps plus court, mais ne sont pas "nouveaux". Tous sont des "intégrés"... !

Autrement dit, il y aurait les fondateurs (natos criadores), et leurs enfants (hijos comuneros), les anciens (là depuis les débuts, mais pas le début), les nouveaux et ceux qui se situent entre les deux... Mais ces rapports ne sont pas exclusifs comme ceux qui opposent la communauté et 1' "association".

« Ça fait 9 ans que je suis ici, et c'est toujours pareil...Et il y a plus de monde : c'est pire... Quand il y a une réunion, les gens disent, "qu'ils y aillent, les nouveaux" ...On ne s'en mêle plus... on ne participe plus... » Rosa

Beaucoup prôneront que ce sont davantage les nouveaux qui participent. Les uns diront que c'est parce qu' « on leur met la pression » en tant que nouveaux, en les menaçant de reprendre leurs terres, par exemple. D'autres accuseront le manque d'union qui fait que les comuneros agissent à leur guise ...Bref, à la louange d'une communauté plus unie, se substituera une communauté en discorde Une multiplicité de nous » s'inclut et s'exclut....

3/ La communauté et les rapports sociauxt vers les conflits ....

Etre comunero donne accès à un ensemble de droits, mais contraint à un certain nombre de devoirs, qui n'en restent pas moins souples... Si la communauté sait adapter ses exigences (certaines personnes n'ont payé que la moitié des droits sur leur terrain, sans que leur dû leur soit réclamé, depuis de nombreuses années), les comuneros offrent leur participation selon leur situation, selon ce qu'ils jugent nécessaire : soit au regard des devoirs envers les uns et

les autres, soit selon leur prise de position dans les conflits de la communauté, ou encore à partir de leur jugement personnel.

Union/désunion

"Ici, c'est bien, es gente sana. Il y a beaucoup d'union entre voisins. C'est nous, le pueblo qui avons tout fait ensemble"-Lila

« Ici, c'est loin, mais c'est plus tranquille. On est tous unis...Mais là où j'étais, à El augustine, il y avait l'eau, l'électricité ...plus de choses ...plus d'aides...

"On est unis, solidaires, c'est ce qui est bien ici"... Puis l'on parle des tensions latentes où les groupes se déchirent...Est-ce pour donner d'abord une bonne image? Ou plutôt en souvenir du temps où la communauté faisait cohésion avant que le nombre ne s'accroisse et surtout, que des groupes entrent en conflits...?

"Il manque de l'union entre les comuneros" --Agusta. C'était au début, je ne savais pas encore qu'elle se référait aux conflits sous-jacents, elle ne les évoquait pas encore. Pas d'union, sans expliquer ces importants conflits, réels responsables de ce constat peu réjouissant. Une fois que je serais au courant de l'histoire, ce sera notre principal sujet...

« //y a beaucoup de désunion et de conflits._ » Participation / démission

«Ici, à la communauté, on participe ...aux "rondes vicinales", aux assemblées... Consuelo

« Il n'y agas d'appui de la population. Ils critiquent, ceux qui ne participent pas !! » Le président' .

« Sur 10 personnes, disons que 4 participent à la communauté, et six, non... Mais nous, nous collaborons... Par exemple, quand il y a des chicharronadas ». Isabel et son mari, tous deux enfants d'antiguos. Ils ne participent pas à la vie de la communauté, ou plutôt ils ne "l'appuient" pas (ne la soutiennent pas), montrant que nombreux sont ceux qui s'en sont écartés. Ils savent quand même être solidaires, en apportant leur soutien aux gens lorsqu'ils font des activités...

« Comme on ne participe pas à la communauté et qu'on est brouillé avec la Directiva, on a un compte à part pour la lumière. Eux [les gens de la communauté], ont eu une convention de 13 ans, payée. C'est pour ça que lorsqu'ils ont installé la lumière, elle est passée juste devant nous, et ils ne nous l'ont pas installée !! » Isabel - fille d'antiguos, dont les parents ont un rôle clé à l'intérieur de l'association.

Mors, une communauté pas si unie et harmonieuse... Mais quoi de plus naturel dans la vie commune ? Dans les Andes deux principes importent particulièrement --nous l'avons vu en partie avec les rapports communautaires (faenas, ayni .) et la défense de celle-ci (rondes, lynchages...)- ce sont ceux de réciprocité et justice (qui ne veut pas nécessairement dire harmonie ou équilibre....)

155 J'emploie tantôt "président" tantôt "dirigeant", il s'agit de la même personne_ celle qui est à la tête de l' "assemblée directive" de la communauté paysanne. Les gens emploient généralement les deux termes. peut-être davantage celui de président (plus propre à la commtmauté). Les autres quartiers de Lima ont eux aussi leur "dirigeant" (plus que président)

L'association contre la communauté

Ces quelques discordes n'empêchent pas de cohabiter à la Vizcachera, elles font partie des rapports de la vie. Ce qui est primordial, c'est ce terrible conflit entre la communauté campesina et "l'association". Il oppose la communauté dans sa globalité avec les autres, "ceux qui sont contre nous". Il y a "nous", les habitants de la Vizcachera, de la communauté et "eux", les perfides, les fourbes, les imposteurs, les traîtres... Certains les méprisent parce qu'ils trahissent la communauté, et donc, chacun des membres...

On entend toujours parler de "eux", parfois sous le terme "l'association156". Il s'agirait du groupe qui soutient l'entreprise ayant racheté les terres de la Vizcachera, en contrant le fonctionnement et les droits sur la terre de la communauté.

Rappelons que lorsque la loi de 1995 permettant aux terres agricoles et d'élevage (sur la côte157) d'être vendues158 -à condition qu'elles conservent cette même finalité -, a été votée, le dirigeant de l'époque a vendu l'ensemble des terres à une firme immobilière bien connue. Non seulement pour une somme dérisoire, mais de surcroît, il n'en avait pas le droit --en principe, les terres appartiennent à la matrice et ne peuvent être destinées à l'agriculture (d'après le dirigeant actuel).Les acquéreurs n'avaient pas un tel dessein (cela serait utopique !) et depuis la communauté est en procès avec l'entreprise, cette dernière étant vraisemblablement appuyée par l'association.

Ce conflit entame-t-il les efforts remarquables d'union pour une construction commune ? Après les éloges de l'union, on met l'accent sur son antonyme. Contradictions ? Cette ambivalence montre peut-être qu'à l'intérieur de la communauté, c'est à dire tout ceux qui sont en sa faveur --la majorité-, les habitants s'unissent pour lutter contre tous les problèmes qui forment les dissidences et les désaccords à la Vizcachera... Les autres rapports et sous appartenances semblent ne plus avoir d'importance devant la gravité de ce conflit, terreau d'une nouvelle lutte commune... Il s'agit de défendre ses terres face à l'usurpation et à. la privatisation indue.

La désunion : ce sont ces tensions, permanentes, ces jeux d'appartenances (dans ces conflits !)

L'union, c'est la construction commune, et c'est aujourd'hui la lutte commune.

Si certains ne participent plus guère à la vie de la communauté, c'est parce qu'il y a quelques petites tensions, des mécontentements... Mais c'est aussi qu'ils ne "s'identifient" (terme qu'ils emploient) plus avec la communauté, et ont reporté leurs attentes vers l'association.

Ou bien, ils se positionnent entre les deux, sans vraiment savoir sur quel pied danser, parfois sans l'affirmer clairement, les traîtres sont très mal vus... Se mettre en marge des activités de la communauté n'est pas la même chose que de s'y opposer.

Aussi la plus virulente confrontation semble opposer la communauté et l'association, sur le statut d'occupation des sols convoités. En d'autres termes, les rapports sociaux deviennent tributaires de la terre et des désirs de propriété (communale, privée...) Nombre de conversations tournent autour de ces problèmes : avancement du procès propre à ce litige,

156 Diminutif « association de viviencia (logement) »

157 La législation quant aux terres de la côte diffère de celle de la sierra.

158 Les terres appartenant aux communautés, donc de propriété communale, étant inaliénables, ne pouvaient être vendues jusqu'au décret de cette loi.

délits commis ou même attitude des uns et les autres. La participation des habitants aux activités de la communauté en pâtit. Tout semble devenir fonction de "qui est avec qui"... C'est ce que l'on peut constater à travers l'exemple de la fête de la Vizcachera.

Pachamanca plat traditionnel de la Sierra

B/ Les tensions, ou l'exemple de la fête de la croix ou procession dans la
chancheria

Au Pérou, le mois de mai est celui de la croix. On peut assister dans tout Lima et dans toutes les provinces à des processions de la croix, de leur croix. Oh, pas n'importe quelle croix ! Elle symbolise pour le lieu auquel elle appartient ce que sont les images aux yeux des habitants. Aussi, chaque communauté possède une croix encastrée quelque part, qui sera déplacée lors des processions.

A titre d'exemple, Isabel, dont la maman vient de Pampas (prov. Tayacaja, dep.

-, Huancavelica) explique que si elle n'a pas besoin de retourner là-bas (elle ne va pas aux fêtes, sa mère s'y rend juste une fois par an pour « Todos los santos », le ler novembre), c'est parce qu'elle a ici, la croix de sa communauté. Cette croix semble vénérée, elle serait ancienne et originelle. Le 29 mai, chaque année, ils la sortent et organisent une fête pour perpétuer cette tradition de là-bas...

Chaque ler mai, depuis les débuts de la communauté (de la Vizcachera), une procession dans la chancheria est organisée par un membre de la communauté, appelé en cette occasion «mayordomo159 ». La croix se trouve d'ailleurs plantée dans un rocher, au fin fond de la porcherie : c'est de là que démarre la procession. Cette fête aurait été instaurée dès le début de la communauté par les éleveurs de cochons. C'est pour cette raison qu'elle se déroule sur leur lieu de vie/travail! La communauté a, dès lors, mise en place sa propre fête religieuse...

Il y toujours l'avant et l'après fête... C'est en fonction de cela que je présenterai les commentaires de quelques uns.

« On n' y va plus parce que ce n'est plus comme avant... »

[ Me dit Cirila. Avant que cette fête n'ait lieu, on en parlait déjà... : « On y va pas, parce que

c'est les "mayordomos" qui la font... ». Que veut-elle dire ? Son époux la reprend : « il faut
bien lui expliquer ! »...C'est en fait parce que c'est telle personne, le mayordomo, celui qui

1 I organise....et qu'il est un membre plus qu'actif de l'association... On ne va pas l'appuyer !!
Parce que l'on ne souhaite pas s'impliquer (dans le sens de partager une même fête) ou parce que la participation suppose une certaine réciprocité entre les membres (on collabore et en retour la personne fera de même), réciprocité qui n'a pas lieu d'être dans des rapports aussi antinomiques

Avant, ils y allaient toujours. La plupart d'entre eux ne semblent plus y participer, mais ils racontent avec fierté la fois où ils l'ont organisée personnellement.

« Il faut que ce soit bien ! Le groupe de musique, la nourriture, le "trago" (la boisson
alcoolisée).. jusqu'à aujourd'hui, tous se souviennent de ce qu'on avait organisé ! Ça
commence la nuit, la veille16°, on danse, on boit...et ça continue le lendemain avec la

159 Ce terme est largement diffusé dans la Sierra pour désigner la personne qui a en charge de préparer et d'organiser la fête de sa communauté. Il est désigné lors de la fête pour l'année suivante... Cest une tâche onéreuse et de grand prestige...

160 Toutes les fêtes patronales_ religieuses, commencent par une veillée festive... Il existe une trilogie festive : la veille, le jour central et la clôture...

procession... Et ça coûte cher d'organiser ! Maintenant, on ne peut plus. Ilfallait tuer 2 cochons ...Et il faut participer aussi ("collaborer") ... »

«Maintenant, il y a beaucoup de désunion. Avec les derniers arrivés ...et ils invitent seulement ceux qu'ils veulent ! Avant, c'était tout le monde I ».

Et de parler en quechua avec son mari...et des disputes dans la communauté...

Carine (fille de fondateur) chez qui j'allais souvent, reprend ces impressions :

« Avant c'était différent la fête de la Sanctissime croix. Maintenant, l'organisation est faite par un mayordomo. Les gens y vont pour manger. Les gens ne donnent plus, les gens n'aident plus. Avant, si... »

Quelque chose de plus communautaire ? Avec des services rendus les uns aux autres ? Une sorte d'ayni ?... C'est aussi la nostalgie des temps premiers qui apparaît. Celui où la communauté vivait en petit nombre... On regrette toujours la tradition d' "avant"

Et puis surtout, la réappropriation par le groupe antagoniste, cette année, de la fête

**

Le l' mai, jour de la procession

Elle ira d'étapes en étapes, là où quelqu'un a été désigné pour collaborer161, en offrant breuvages (boissons gazeuses, bières et chicha) et collations... Chaque étape étant l'occasion de danser aux rythmes de la banda, groupe de cuivre

Elle se poursuit ensuite dans les parties habitées, allant des maisons (idem : maisons de ceux qui collaborent) où une image est présentée, aux lieux publics comme le collège et la paroisse...La procession se disperse au fur et à mesure de la promenade, mais d'autres participants la rejoignent

161 il y a toujours des gens qui "collaborent" avec le mayordomo...

t I

t

i.

L

L

Vers les habitations...

A travers la chancheria.

ll

104

Arrêts... Une petite chela162, on se laisse prendre par une petite danse... ah ! La fameuse participation observante! !

Des images sont exposées à l'entrée d'une maison. C'est le moment de s'arrêter pour la vénérer, et de s'abreuver pour la énième fois.... E puis, quelques amuses gueules

de plus, pourquoi pas !

62 Chela : bière en argot péruvien...

 

Chicharronada : Préparation de chicharron dans une des rares habitations de la chancheria...

Ce jour là...

...Je ne pense pas rencontrer Cirila qui n'admet pas l'incursion de certains dans le groupe de la procession de cette année, "pro-association" (c'est mon terme).

Et pourtant, je l'y trouve, son petits fils sur le dos, et sa fille à ses côtés...

Elle y est allée juste « pour voir », parce que sa fille le lui a demandé.

Chismes163...d'après fêtes !

Commentaires de Cirila:

« Avant, c'était différent. Là, il n'y avait presque personne y en a qui sont venus de leur

pueblo [cf. les dames habillées « façon Sierra » -chemisier, chapeau et polleras16].en fait, beaucoup sont venus du dehors... ils ne sont pas d'ici... » Cirila me commente les différents endroits où ils se sont arrêtés.

163 Chisme : ragots, commérages, bavardages malveillants...

164 Poileras : jupe bouffante portée par les femmes andines

Et cet homme ? Cirila a demandé à Billie (photographe) de le prendre en photo au moment où il me parlait... pourquoi ?! « au cas où... » :

« Lui, il est contre nous... ils l'envoient de l'association... il vient, il s'immisce. Il est leur `sécurité', leur garde civil à eux...

« Oui, il y a beaucoup d'embrouilles. Avant, non, quand on était moins--mais depuis les histoires avec l'association et tout...si... »

« Il y a des trafics de terrains à Lima. C'est les gens qui ont acheté ici... (L'entreprise). Ils ont pu le faire, parce que les propriétaires sont la matrice [pas nous], qu'ils se sont aussi entremis dans tout çà...Et ces trafiquants, ils sont avec l'avocat de Montesinol 6 5, tu te rends compte ...I1 Pourquoi tous ces problèmes de jugement avec des gens corrompus ! »

Pour continuer dans les commérages, nous voici avec Lila en train de « chismosear166 », quelques jours plus tard, sur le même thème... Elle n'y est pas allée, et me dit qu'il n'y a dû y avoir que « 3 chats » (« pas un chat », dirions-nous !)...

« C'est le président de l'association qui était k Mayordomo. La plupart des gens n'étaient pas d'ici, mais de l'extérieur... L'année prochaine, ça sera Untel... qui à habite là... [en me montrant] Bon, il n'est 'pas tant" de l'association... même si... »

Tiens donc, comment sait-elle que ce n'était pas des gens d'ici si elle n'y était pas...!

Cette fête serait donc LA fête du pueblo. Mais plus maintenant. Il y a beaucoup de disputes, de conflits... (C'était la première à me parler de cette union dans le quartier !).

« Les gens qui se mettent dans l'association sont des traîtres ! On leur promet des choses, alors ils y croient et s'y joignent... »

Isabel me dira que ses parents m'ont vue à la procession (ils le lui ont rapporté parce qu'il pensait reconnaître la gringa de la vidéo faite lors de la fête de Churcampa ("capitale" de la province éponyme, département de Huancavelica) ; et maintenant, ils la voient traîner dans le quartier et se mêler aux festivités !? !)...Et elle m'affirme que si, ce sont des gens d'ici...

Que voulait dire Cirila par le fait que ce ne sont pas des gens de la Vizcachera ? Qu'ils sont des traîtres ? Qu'ils font partie de l'autre groupe ?...qu'ils ont certes des chanchos mais ne vivent pas ici ?!!! Ou bien les mayordomos ont effectivement fait venir des proches de l'extérieur ? Mais ces derniers sont d'ici et ceux qui "collaborent" aussi.

Cette fête semble en dire beaucoup sur les conflits de la Vizcachera, sur les groupes qui se divisent, sur les positions que l'on prend en commun, les gens que l'on appuie ou discrimine... Aussi, ce qui semble être le « fondement » de la communauté...tend à disparaître avec les enjeux d'aujourd'hui... Les terres de la Vizcachera semblent être le terrain de profonds désaccords. Les attentes semblent diverger, même si, au-delà des discours antagonistes, on s'oriente vers une reconnaissance de la propriété, les manières d'y accéder étant différentes. La communauté se défend, et bien qu'elle aspire à une formalisation de la propriété (individuelle ?), elle ne se laisse pas attaquer ni démantelerde l'extérieur.

1 Montesino est l'ancien chef du SIN, Service d'Intelligence Nationale (qui a changé de nom et a été restructuré depuis) il était le bras droit de Fnjimori. et dernier président avant Toledo. l'actuel. qui a été déchu de ses fonctions et « interdit de séjour », et Montesino, accusé pour détournement de tant d'argent !

166 Chismosear : cancaner. conunérer. Je laisse e ternie

Le flou des allusions de mes interlocuteurs ne permettait pas une explication cohérente et chacun y apportait son propre point de vue, le plus souvent obscur et controversé I

***

Le rapport à la terre comme vecteur des appartenances et régulateur des relations sociales

La confusion « On ne sait pas quelle est la vérité... Qui peut --on croire ?... Avec l'association, on ne sait plus qui dit la vérité... »

Situation « on ne sait plus qui croire ! » C'est un peu ce que chacun exprime ; ils virevoltent d'un groupe à l'autre selon les intérêts mis en avant. Des invectives plus ou moins soutenues sont proférées contre les différents protagonistes : les anciens, les nouveaux, les comuneros... Les plus prononcées s'adressant bien sûr à ce maudit acheteur des terres de la Vizcachera...On s'identifie à ceux-ci, à ceux-là, selon la place que l'on occupe, en fonction de son arrivée en les lieux, des rapports établis et des intérêts personnels...

Pour tout le monde c'est la confusion. Pour les habitants, pour moi, et pour le lecteur ... Comment rendre compréhensible cette situation ?! S'il est intéressant de le faire, c'est parce qu'elle nous éclaire sur les rapports entre les habitants, l'importance de la terre, et le sens de la communauté.

« Le problème, c'est qu'il y a deux "Directives167 ". Qui peut --on croire ?

Deux "directions" ...quelles sont-elles ?...La communauté et l'association ? La communauté et la matrice ?

Comment se positionne-t-on ?

La Vizcachera est en grande partie peuplée de gens venant de la Sierra. Et, les enfants de ces premiers habitants sont revenus ou continuent d'y habiter (21idè génération). En outre, quelques personnes de Lima sont venues s'y installer (pour la plupart enfants d'immigrés également). Pour eux, les conditions de la Vizcachera sont un peu "arriérées". Ils ont quand même choisi de venir s'y établir.

Ti y a cette distinction anciens! nouveaux dont on a parlé...

Et, constituée de quelques habitants, l'association. Elle semble composée d'anciens qui, peut- être, revendiquent leurs terres pour l'accès rapide à la propriété (face à tant de nouveaux habitants depuis ces années 0 et d'autres, plus ou moins nouveaux... Aux yeux des membres et défenseurs de la communauté : tous, des traîtres. Pourtant membres de la communauté, ils soutiennent ceux qui s'y opposent, c'est-à-dire ceux qui ont formé l'association. D'après les habitants, certains s'y sont ralliés, attirés par les promesses alléchantes de l'entreprise (relayées par l'association) obtenir des titres de propriété tant convoités à Lima. Promesses de propriété, d'émancipation... Serait-ce cela ? "Enquêteur" ou lecteur, on s'y perd

167 la "directive" c'est la « junta directiva » c'est-à-dire les « élus » qui dirigent le quartier, la communauté.

Les habitants, eux, ne semblent pas se perdre (heureusement 1) ; ils sont plutôt perplexes, ils ne savent plus qui croire et en qui avoir confiance : qui détient la vérité des faits ? Mais ils savent pertinemment quelles sont les alliances et la séparation n'en est que plus évidente... On ne joue pas les hypocrites. On se sépare et s'oppose... Sauf pour les quelques fourbes, qui n'avouent pas leur perfidie... Y a --t-il des attitudes de méfiance ?

Voyons comment se manifeste ce jeu de rapport et les prises de positions.

Certains enfants d'antiguos semblent n'avoir jamais quitté la Vizcachera. Mais d'autres sont revenus après un séjour dans une zone proche, plus urbanisée. Ils ont donc un autre regard... Ils témoignent de leur situation : ils jouissent des terrains prévus par leurs parents à la base pour leur famille uniquement. Chaque comunero disposait d'une grande parcelle -400m2, ainsi que divers terrains de bonne surface --environ 200m2 pour leurs enfants et petits enfants, alors que désormais les terrains octroyés ont une surface autour de 100m2.

Certains ne se reconnaissent guère dans les initiatives de la communauté, faite de nouvelles personnes et de nouveaux présidents défendant des intérêts toujours nouveaux et qui leur sont propres. Ils semblent se situer plutôt comme héritiers légitimes (du moins plus légitimes !) de ces terres... Ils ont foi en ce que leurs parents --les antiguos- ont fait (ce n'est pas pour autant qu'ils appuient tous le même groupe...).

« Les terrains appartiennent à la communauté... Elle est autonome et elle a l'usufruit, mais elle n'est pas propriétaire...c'est Jicamarca, Matacuna qui l'est ... Les problèmes sont légaux, déjà... Les Watos criadores" (Premiers commet-os éleveurs, de plein droit), ont donné à l'époque les terres aux 60 autres...

« L'entreprise dit qu'elle a acheté les terres à la matrice... Ça, c'est une autre histoire...

« Ça va s'agrandir...II ne va plus y avoir les cochons...Et donc les terrains sur lesquels ils sont regroupés, vont acquérir de la valeur ...et pourraient être vendus....... «Ah ! si c'était privatisé »

L'"histoire" de l'achat des terres, ne s'imbrique-t-elle pas dans les problèmes inhérents à la communauté ? Plusieurs dissensions se confondent... Isabel et son mari, tous deux enfants d'antiguos, aspirent à la propriété, de toute façon. Il sont un peu hésitants, car ils n'appuient pas complètement l'association (le père y est membre fervent 1), du moins c'est ce que laisse paraître leur discours. Néanmoins, ils se sont détachés de la communauté et à terme, espère la propriété... (au plus vite même !)

« Le problème avec les terrains ? ... Tout est en jugement... f On ne sait pas quelle est la vérité. Moi je sais que ces terres sont celles de mes parents, comme premiers comuneros, comme premiers fondateurs... Çà fait trois, quatre ans que nous sommes en jugement. Si on nous dit que l'on n'est plus comuneros [que la communauté disparaît], moi je sais que ces terres sont celles de mes parents. Et puis peut-être que personne des deux gagnera...parce qu'il y aura la route [elle est aussi sur le tracé de la route ...j. Malgré tout, je construis... »

Carine semble se considérer comme bénéficiaire légitime de ces terres : elles lui viennent de
ses parents, plus que de la communauté ou de l'acheteur...C'est la seule certitude sur laquelle
elle s'appuie... Quelle preuve en a-t-elle ? Des titres ? Il me semble que même le "certificat

de possession" (en tant qu'usufruitier d'un terrain de la communauté) n'est même pas validé, puisqu'une dame disait que c'était le minimum qu'ils espéraient de "cette histoire"...

Les organes principaux

La matrice : C'est elle qui est propriétaire de l'ensemble... c'est donc elle qui est en procès avec l'entreprise ? (où la communauté s'oppose également à sa matrice à cause ce litige ?)

L'entreprise se consacre à l'achat et à la vente de terrains. C'est elle qui a acheté les terres de la communauté campesina de la Vizcachera. A terme, au travers du trafic de terrains, l'entreprise immobilière veut vendre, et revendre les terres de la Vizcachera, les ayant achetés à un prix insignifiant. Construire et vendre (on entend parler de projets de construction sur le relleno, la partie consolidée du trou). Elles sont pourtant censées être vendues pour l'agriculture et l'élevage (conformément à la loi), si au moins elles en avaient les conditions...

L' association

En général, une association « de vivienda » (logement) est l'union juridique de différentes personnes autour du logement. En d'autres termes, il s'agit du groupe d'acheteurs d'un terrain qui s'associent, le collectif étant lui-même propriétaire des terres168. Les membres se répartissent ensuite les parcelles entre eux...

« L'association, on ne sait pas bien qui ils sont. Ils sont contre nous. Ils veulent nous déloger... » Dominga

Il est difficile de savoir qui en fait partie ; on dit souvent qu'ils sont peu nombreux... Mais, d'après les discordes manifestées lors de la fête de la croix --par leur boycott!- à laquelle auraient davantage participé des anciens de la porcherie et sympathisants de l'association, ils s'y trouve des antiguos, qui possèdent davantage de terres : ils ont donc plus de raison de vouloir les "privatiser", plus conscients des avantages de la propriété...

Ensuite, se joint tout un chacun, séduit par les attraits de la sécurité des titres de propriétés promis... Des gens empressés de voir leur lopin se titulariser, et qui sait, peut-être lassés par le système de la communauté ?...

«La propriété privée, au moins, ça donne un soutien à la maison [hypothèque], pour des prêts... » Isabel

On pourrait avoir la certitude d'obtenir la propriété, donc des garanties... et pour certains commencer à spéculer. Mais alors, pourquoi tant de gens doutent de cette promesse de propriété? La communauté étant attaquée, elle se défend. Pourquoi croirait-on des gens qui sont venus usurper nos terres ?

168

Selon COFOPRI (Commission de Formalisation --légalisation de la Propriété Informelle), une association de vivienda (A.V) étant une personne juridique, personne ne peut rien y posséder d'individuel, tout appartient à cette "personne". Mais avec des procédés juridiques, s'ils arrivent à 100 personnes, donc 100 lots, ils pourront faire ce qu'ils voudront d'individuel. Si ce procédé ne se fait pas, alors l'association reste personne juridique et ils font payer les gens, au nom de cette entité. Bref, on entend dire qu'"ils en profitent" C'est le mode de statut au sol, formel, par opposition à l'A.H (Asentamiento humano), possession de fait. "Asentamiento" : assise, colonie, implantation, installation. .."Asentarse" : s'établir, se fixer... Entre autres appellations, selon les époques. Par exemple, le 11..1 (Pueblo Joven) , "jeune village", ou "peuple jeune"... Voir annexe.

On parle même des problèmes avec Campoy, le quartier voisin

« Ici, pas d'invasion ! Mais il y a des problèmes avec l'association d'acheteurs de terrains de Campoy. Ils disent avoir tout acheté [toute la zone, Vizcachera incluse] alors que c 'était des chacras, ce n'était pas encore construit en bas [à Campoy] »

Le quartier prétendrait donc être aussi possesseur des terres de la Vizcachera ?

Des positionnements au jugement : la lutte !

Depuis plusieurs années déjà, le jugement est en cours. Alors on avance, progressivement, de date en date. Avant que je ne parte, la date butoir était fin mai. On attend. On espère. Et la proposition a la suivante :

Les habitants rachèteront les terres de la Vizcachera, à raison de 2000 soles par lopin, pour obtenir le titre de propriété. « Ce ne sont que des promesses et des mensonges ! ». Quelle aberration pour les comuneros. Tout d'abord, les gens n'ont pas les moyens. Ensuite, ils ne vont pas repayer quelque chose qui leur appartient fondamentalement. Enfin, qui leur certifie que c'est la fin de leurs problèmes ? Alors la communauté s'est rassemblée, et n'a pas accepté cette proposition : « Nous lutterons jusqu'aux ultimes conséquences ! »

Le jugement continue (il y a des quartiers de Lima qui sont en jugement depuis plus de 10 ans : un propriétaire --ou plusieurs sur un même terrain, ne veut pas céder le titre de propriété aux gens qui l'occupent depuis des années...) Le lendemain se déroula la réunion de l'entreprise en présence de la communauté, du juge et aussi de l'assemblée directive de la matrice. « Eux sont un peu comme nos pères », me disait un jeune, en parlant de la matrice. Elle est propriétaire de différentes annexes des zones limitrophes de Lima (dans les collines qui s'y avancent jusqu'aux dernières invasions) et elle a déjà vendu plusieurs annexes...

La lutte continue... Personne n'est prêt à céder.

La communauté semble renforcer son union dans un « nous » consolidé face à ce conflit. C'est autour de la terre qu'éclatent ou se reproduisent les conflits entre communauté et propriétaires individuels. Mais c'est aussi autour d'elle que s'expriment les rapports de solidarité interne à. la communauté169.

Du conflit aux expectatives :

«Nos venderan, nos botaran ? » I «Ils nous vendront? Ils nous jetteront ? »

« On n'est pas fixe... tout est instable pour le moment ...Nous les comuneros, on attend un résultat. Je ne suis pas seule, tous ! Le président, on ne tient plus compte de lui... » Rosa

« Ce qu'on veut, c 'est vivre tranquillement. Avec le système communal. Bon, s 'ils veulent nous donner le titre de propriété, tant mieux, sinon, on aura juste les certificats de possession. » Consuelo

169 Jacques MALENGREAU, structures identitaires et pratiques solidaires au Pérou. Gens du sang, gens de la terre et gens de bien.

« De toute façon, il va falloir (r)acheter les terrains ... et tout va aller en "titulacion de propriedad" ... (titularisation de propriété) Lila

« On espère une stabilisation... » Isabel

Les gens vivent dans l'espoir de voir une fin positive à ces conflits. Bien qu'ils soient prêts à lutter, ils sont "abattus" par ces histoires qui n'en finissent pas.

Outre les rapports antagonistes, les gens attendent-ils tous la même chose quant à la solution apportée vis-à-vis de la propriété ?

Les différentes générations aspirent-elles à la même chose ?

« La vie est dure, il faut lutter », cela est récurrent dans les Andes. La vie des gens serait-elle une lutte perpétuelle ?

Pourquoi tant de doutes ? S'il y a un jugement, c'est parce que chacun reste sur ses positions et en apporte les justifications. La communauté rappelle que ses terres lui sont propres, inaliénables, et qu'il y a eu litige : à réparer. L'association appuie l'entreprise qui prétend avoir acheté les terres et qu'elle distribuera par la suite des titres de propriété en revendant l'ensemble à la communauté, ou plutôt, à chaque habitant... Ainsi, l'entreprise pourra tirer profit de bénéfices certains et d'un nouveau commerce. Mais les habitants ne sont pas prêts à céder r

Je crois bien que c'est cela, mais peu importe, ce qui est significatif, c'est cette lutte de la communauté pour défendre ses terres et ne pas se les faire usurper par des trafiquants de terrain, même si au final, il en résultera peut-être la même chose...

Les ramions au sol : base des rapports sociaux ?

LI terre est k' support et le heu 1 auuabsation des r:ipporis soctau

On sent même que les gens sont fiers de dire : ici, pas d'invasion ! ». Leur territoire est précieux, ils savent le protéger et le garantir !

« C'est nous la communauté qui avons tout fait. Pas d'aide de l'extérieur, rien de lEtat -- mais des aides étrangères ». On ne peut rompre cette construction commune sur ces terres qu'on veut leur retirer, pour, de surcroît l'assimiler à un simple objet marchand... Il semble que ces terres soient d'autant plus "les leurs", "à eux", qu'ils les ont habitées de toute leur force, en y construisant tout eux-mêmes. A eux, parce qu'elles sont de la communauté et qu'ils sont la communauté. Tout un travail et une âme qui ne se laissera pas anéantir.

« L'eau, c 'est à cause de l'association » : s'ils ne peuvent pas se développer, c'est à cause de ces conflits qui les "bloquent". Tant que l'on n'a pas défini clairement les propriétaires des terres, il n'est pas légal de leur installer l'eau. Pour cette dame, "l'association" ets le bouc émissaire

Cette lutte traduit peut-être le sens profond de communauté, sur des terres communes, l'appartenance s'inscrivant dans un territoire.

Jacques Malengreau écrit", (à propos des communautés paysannes) que c'est dans la défense écologique, juridique et physique de son territoire que la communauté manifeste son existence, le plus spectaculairement mais aussi le plus durablement. Elle entretient un rapport exclusif avec son territoire.

Cette constatation andine semble tout à fait correspondre à l'attitude des migrants devenus habitants de la Vizcachera. En effet, le territoire de la communauté semble constituer à la fois un objet économique commun, un ciment social entre ses membres et surtout un symbole essentiel de son existence et de son identité.

Cette exclusivité du sol se retrouve dans divers quartiers de Lima, en dépit des invasions qui vont dans le sens inverse et de l'informalité d'une grande partie des occupations du sol, parfois tiraillées par des « co-propriétés », plusieurs "propriétaires" se réclamant le droit sur la terre.

Autonomie et cohésion de la communauté

Aussi, il semble important pour la communauté de garder sa propre gestion des terres et des « habitations » (du fait d'habiter), afin de contrôler et réguler les entrées, selon les besoins, et les choix qu'elle fait. Beaucoup d'arrivées fonctionnent par réseau ; autrement dit, certains ont judicieusement "passé l'info" : la recommandation est un judicieux passe-droit... Cela lui permet une meilleure cohésion, loin des spéculateurs.

D'autre part, les habitants doivent manifester qu'ils ont réellement besoin du terrain en l'occupant, sinon, la communauté pourrait les leur reprendre.

172 Norbert Rouland. Aux confins du droit.

173 Ibid.

CI Les conflits ou le lien à la terre. Histoires de possession

Rapport à la terre et défense contre l'invasion

d.

rappOri tbncier CSI un rappoTT social deternime par l'appropriation de l'espace

Tout lopin de terre semble sujet à des invasions --occupations informelles et illégales des sols,

impliquant une forme de possession "de fait"(illégale) (voir détail de la 3ème partie -

Depuis le début, on me racontait les invasions qui avaient eu lieu à la Vizcachera et la résistance inflexible des habitants. Je pensais que simplement, ils s'opposaient à ce que des individus prennent possession d'une partie de leurs terres, sans que leur installation passe par une décision de la communauté! Mais ces invasions étaient bien plus pernicieuses I

« La ronde nocturne, c'est pour protéger la zone. Ils veulent nous virer nous, ils veulent nous retirer ces terres...11 y a un type qui a acheté ici : il veut nous les enlever... Non il n 'habite pas ici. Il y a un jugement, et lui est avec le président de l 'association.

« Ori les empêche de s'installer. Quand ils arrivent et veulent envahir : on Tes vire, jusqu'à leur lancer des pierres. On fait la guerre ... Asqu 'à maintenant, aucun n'a réussi à envahir

Il y a un jugement, mais les terres communales, ils ne peuvent pas nous les enlever !... [Elle parle aussi des invasions à El ('hivo, un cerro de Campoy, qui a fait parler de lui : beaucoup de violence... presque une petite guérilla]

L]

« Tout le pueblo, nous avons lutté pour défendre nos terres. On les a jeté avec leurs esteras17 1, quand ils envahissent. Il y a 2 ans, ils sont venus envahir, ils sont arrivés tard, vers 20h... Il (le trafiquant) avait engagé des gens de mauvaise vie ("gente de mal vivir') pour nous virer... Dans ces cas, ils viennent en masse ! Un mois de repos, et de nouveau ils venaient ! Mais c'était dans un autre »

« .lis utilisent des innocents, en leur donnant 20 ou 30 Soles. On les arnaque. On leur dit qu'ils vont avoir leur terrain. C'est les gens de Mosquero (le trafiquant) qui lima ça, pour nous retirer le terrain. Mais on les a virés 111 y a eu des morts (un petit vieux). »

Nombreux sont ceux qui commentent la violence de ces affronts...Il. existe un certaine violence dans le rapport à l'espace, au sol et à la terre. Un rapport très exclusif (Voir paragraphe sur les "murailles" de Lima)

170

Etietme LE ROY : 1991 (cf txt analyse anthropo -juridique novatrice)

In « Avec leurs esteras » : figure typique de l'envahisseur qui vient à pied, traînant ses 5 nattes de paille qui permettent l'édification d'une cabane, 16' installation et occupation des lieux.

« On est venu parce qu'il fallait occuper le terrain de mon beau-père i« antiguo » qui est parti habiter ailleurs]. La communauté disait qu'ils allaient nous enlever le terrain. Il n'y avait pas de mur autour, rien. C'est pour ça qu'on est venu mettre un mur d'enceinte, puis y habiter. D'ailleurs, on me demande toujours de laisser l'autre moitié du terrain, qui sert de garage [son époux est chauffeur et y gare son conrbi ...mais il reste beaucoup de place bien sûr, on refuse... »

Une vieille dame m'interrogeait : « mais pourquoi tu ne t'achètes pas un terrain ici ? Quand tu ne seras pas là, je le surveillerai... ». Pourquoi pas ! Il me reste à construire la maison de mes mains... Comme quoi, il faut être sur place, ou faire garder ses terres

Le sens symbolique de la terre : Propriété et communauté

\Lur, --`

Ce conflit laisse entendre que les terres communales sont précieuses, vu cette défense acharnée. On s'en rend également compte par les prises de position qui provoquent des scissions entre les groupes --qui ont des effets conséquents sur la vie commune, n'oublions pas que la solidarité et la réciprocité comptent beaucoup dans les activités en tout genre --, c'est dire combien le statut d'occupation du sol et le rapport du « nous » à la terre sont importants.

Mais les terrains ne représentent-ils pas aussi, en raison de rusufruit" (rachat", dans les dires) d'un "lot", ce terrain propre, cette maison à soi, que chacun est venu chercher ? N'y a-t- il pas là une contradiction, entre un désir de "chez soi", qui passe par la propriété et ces terres dont ils jouissent mais qui appartiennent à la communauté ? Cela n'a-t-il que peu d'importance tant que les habitants ont "leur terrain", ou est-ce une première étape, en vue de pouvoir eux aussi "formaliser" leur statut foncier et obtenir les titres de propriété ? Le dirigeant a laissé entendre qu'évidemment, ils procéderaient à cette régularisation, une fois qu'ils auraient réussi à donner un terme à ce conflit.

Il peut sembler étrange de voir un tel attachement au sol commun... J'ai remarqué antérieurement que l'acquisition d'un « lot », d'une parcelle, d'un terrain était mis en avant par les habitants pour justifier leur venue et que cela semble être une réelle quête dans le parcours de migrant vers l'acquisition d'un "chez soi" et la construction d'une vie commune. Pourquoi les gens s'attachent autant à ces terres, à posséder "la leur", s'ils n'en sont pas réellement propriétaires ? Cela peut, peut-être, nous expliquer pourquoi certains rejoignent le groupe dissident.

En effet la propriété représente l'avenir de la communauté, puisqu'elle s"aligne"avec la tendance actuelle et peut prétendre elle aussi à ses avantages. On réalise aussi l'impact du système achat/vente, alors que tout est régi par des systèmes communaux, de possession (et ailleurs des possessions informelles).

Plus symboliquement, c'est peut-être un signe de réussite, d'ascension sociale, de stabilité
dans l'incertitude de la migration et une certaine « indépendance » vis à vis de la grande ville
et des rapports de domination qui peuvent devenir aliénants (se libérer de la "domination"

d'un autre - patron d'entreprise ou d'atelier, cousin, oncle ou compadre, maîtresse de maison pour les empleadas174, etc.), une sensation de liberté ?

Evolution et avenir de la communauté

Peut-on encore parler de communauté ? Certes, il s'agit encore d'une communauté campesina, mais la dimension qu'elle a prise ces dernières années ne lui réserve-t-elle pas une existence incertaine pour ces prochaines années... ? Elle n'est plus cette communauté de l'"entre-soi" peut-être prévue par les fondateurs, s'agrandissant tous les jours. Aujourd'hui elle est divisée par des intérêts divergents qui lui vouent peut-être un autre futur._ La lutte des comuneros saura nous le dire.

En outre, ne peut-on pas présager qu'elle appartiendra peut-être à Lima... Les habitants évoquent parfois cette possibilité...

Cela nous pose la question de l'avenir des terres communales, dans un tel contexte. Sont-elles vouées à être urbanisées ? Privatisées ?

***

Une identité entre campesino ou serrano, migrant, citadin ? La première semble désuète, ou latente, la seconde théorique (puisqu'ils ne se définissent pas eux-mêmes comme migrant en tant que tel --c'était une façon pour moi de désigner une situation vécue). Enfin celle de liménien semble primer sur celle de "citadin" mais c'est surtout celle de la communauté ou du quartier d'installation qui semble donner tout son sens. Ne peut-on pas penser qu'il s'agit plutôt d'un mélange du passé et du présent, et des aspirations propres avec les conditions qu'implique la migration ?

Nous allons voir comment cela peut s'appréhender dans les Andes.

En outre, ne peut-on pas se demander, au-delà des perceptions considérant qu'il s'agit d'une reproduction ou au contraire d'un effacement, si ce n'est pas plutôt une culture nouvelle qui se développe, une "culture de migrant" qui peu à peu s'assoit sur ses propres valeurs ?

174 Christophe MARTIN. Ibid.

I

i

I

I

I

I

I

I

2ème partie

VU DE LA SIERRA -- EXEMPLE DU DEPARTEMENT DE
HUANCAVELICA 5

CARACTERISTIQUES DE LA ZONE 7

Activités 7

Géographie 7

Structure agraire 7

Histoire 7

Démographie migration 8

TAYACAJA : REGARDS SUR. LES MIGRATIONS ET LES FAMILLES. 10

A Pampas et Akrakia 10

Pampas, ou le club de madresdu quartier de Chalampapa 10

Aller à Lima ? Une dame du district de Akrakia (village à côté de Pampas)

13

La question du départ 14

Salcabamba -- district de la province de Tayacaja 16

Avec Samuel, el tio de Lourdes 16

Avec le maire de Salcabamba 17

Efrain, de retour auprès de sa mère après un long périple... 17

Le chauffeur de "taxi" de Salcabamba 19

Des raisons de la migration aux modèles de l'ailleurs 20

Conquête d'un ailleurs : quête d'un futur ? 21

CHURCAMPA ET LA FETE. LIENS AVEC LIMA 23

La fête patronale - exemple des carnavals de Churcampa, dans la province

et à lima 23

De la tradition et du folklore dans la migration 26

Sapan waranwaychallay

sa pachallaykis

waqakullanki

chamana taya waqtakunapi

amaya

arna. chaynaqa waqakusunchu

wakcha lliki Ilikanchikta

imanchapa mayu jinam

wegenchik timpuy

timpukunqa!

iqaparikuspa!

iqayarikuspa!

ripukullasunfia

pasakullasunfia

iiiu llaqui

wakchakunata

a ysa rikuykuspa

chipay

chipaymi

ripukullasun

pasakullasun

kay maniapacha allpachallanchik

flogallanchikwan


·.K4.48,..&Da.tt.ttatiLea

îpasasunfia ripukusuntia

kuchpallafia ankallatia

timpukullaspal.

Lida Aguirrel, Arcilla, 1989

Née en 1953 à Pampas. Monolingue dans les premières années de sa vie (quechua). A 6 ans, elle part pour Salipo (selva de Junin) avec sa famille où elle reste 4 ans. Puis retour à Pampas et départ à Lima. Son père lui interdit de parler quechua, mais son grand père lui raconte des histoires et des blagues dans cette langue. A Lima,

Sonia estas liorando hierbita

r-

En la quebrada entre chaman y taya Ya no 'tores [no hay que llorar asi] Pobres...

Nuestra tela aralia

Como rio muy candeloso

Yanto hierbe (hervira]

Gritando gritando vamonos nos vamos

Jalando a todas nuestras penas

Nosotros bien envueltos latabiadosi nos iremos (bien ilenos / un montoni

Vantas y pasamos

Ay nuestra Madre tierra inuestar tierrita / pueblito] Con nosotros para que resucite

Nos vamos

Ya nos hemos ido / pasamos

Coma la galga rodando (volteandonos]

Como gavilan hirviendo Ibrotandof

Que (re)viva siempre con nosotros

Traduction orale et spontanée, par Maura (du quechua au castellano)

J'en ai reçu une traduction en français, et puis j'ai montrée la version quechua à une dame venant de la province de Churcampa qui habite à Lima (Sa mère l'a amenée à 13 ans pour travailler comme empleada, puis est repartie. Elle se rend là-bas, en général, lors de la fête des morts, pour sa mère défunte. Elle a 3 enfants, dont 2 aux Etats Unis). C'est avec émotion qu'elle me l'a traduit, en exprimant tout ce que pouvait exprimer et faire ressentir tel ou tel mot,

Le poème reprend le modèle du Huayno2 : on s'adresse à un végétal.

elle commence à écrire en espagnol, mais elle déchire tout. Elle entre à l'université San Marcos pour être assistante sociale puis se met à écrire en espagnol et en quechua. Elle enseigne actuellement à l'université de Cerro de Pasco.

2 Huayno : "C'est la "musique métisse" qui a accédé, au 20&''' siècle, à la diffusion massive à travers les fêtes populaires, les concerts dans les théâtres, les concours folkloriques et, depuis une cinquantaine d'années, les disques et les cassettes. Elle est très appréciée par les paysans des communautés indigènes et les maires de district s'efforcent généralement de faire venir un de ces groupes musicaux pour animer la fête patronale de la capitale du district, où affluent les membres de toutes les communautés environnantes. Le huayno [...] est le genre musical métis par excellence. Son origine est coloniale et on le danse en couple, sur le modèle des danses espagnoles, tandis que les danses d'origine précolombienne comme la qhashwa sont exécutées collectivement, avec des chorégraphies moins libres que celles du huayno. [...] Le huaylash est un genre de musique métisse spécifique à la sierra centrale du Pérou, en particulier à la vallée du Mantaro, mais dont la popularité s'étend à l'ensemble du pays. [...] Dans les concerts de huayno et de huaylash, les musiciens et les chanteurs arborent généralement le costume métis de leur région d'origine : jupe bouffante (poilera), chapeau et escarpins pour les femmes, bottes et ponchos pour les hommes. (D'après César Itier, Parlons quechua, L'Harmattan, 1997, p.145)

"Huayno : of ail the musical forms of the Andes, the huayno is the most common and widespread of ail. There are many local styles and instrumentations. It is danced by bath mestizos in the city and campesinos in rural areas. It is a dance for couples and is one of the few to have survived foret preColumbian times." (glossaire de "A survey of music in Peru", de Peter Cloudsley, British Museum, Department of ethnography, 1993, p 43)

Il n'est pas aisé de traduire ce poème. Le quechua est fait de métaphore qui n'ont pas un rapport figuré évident pour nous.

Argile (Thématique tellurique)

Petit Waranway3 solitaire

Solito nomas

Tu pleures

Sur les flancs couverts de chamana et de taypa4

Ne faisons pas ça

r

L

n

n

fl

r

Ne pleurons pas comme ça

[Sur] notre misères

Comme un épouvantable fleuve Nos larmes vont bouillir bouillir

En criant, en appelant

Allons nous-en maintenant Partons maintenant

En emmenant tout ces tristes pauvres6

Bien « empaquetés' » (serrés les uns contre les autres)

Allons nous-en

Partons

Pour que notre petite mère terre reprenne vie avec nous seulement.

Partons maintenant

Allons nous-en maintenant

Comme des galgal et comme des aigles en bouillant

Traduction de César Itier

(Professeur de quechua à l'INALCO), du quechua au français

Un peu contradictoire, sûrement parce qu'aujourd'hui, le Huayno a la connotation de ce qui est typiquement serrano, tout en se diffusant largement à la ville. Quand à l'origine ?...

3 Arbre épineux à fleurs jaunes. (Très nombreux à Pampas -- province de Tayacaja, département de Huancavelica)

4 chamana et taypa : des arbustes qui poussent à l'étage (écologique) de Pampas.

5 Lit : « Sur nos pauvres haillons déchirés »

6 « En prenant bien par le bras »

' Chipay chipaymi : c'est l'idée de quelque chose qui est très serré, où il y en a beaucoup. Par exemple, c'est la façon d'envelopper un paquet, quelque chose, avec des feuilles, des branches pour que ça ne s'écrase pas...

g C'est une grosse pierre qui peut tomber sur nous et nous écraser. C'est aussi ce que nous disait une vieille dame de Churcampa, comme menace, pour ne pas que l'on se rende dans un heu qu'elle considérait comme dangereux, ou indésirable.

Cheminement du poème :

De l'injustice à la colère, le départ s'annonce et au même moment se déclenche, et engendrant la solidarité.

En d'autres termes, on a trois phases dans ce poème qui représentent tout le mouvement. Tout d'abord, l'abandon dans lequel sont les paysans qui incite l'individu à la conquête des villes, puis, le refus de la passivité observée au départ du poème (quand ils pleuraient et se lamentaient...), qui exhorte les gens à agir tout de suite, sans hésiter ("vamonosya" ! Présence du présent (dans le fia = ya = déjà, tout de suite) et du futur dans le terme quechua : "npuicullasunfia"). Et, enfin le fait d'être solidaires entre pauvres.

Le départ a pour but la résurrection de la communauté

Structure du poème en un seul mouvement la force

Ce poème et son écrivain représentent au mieux le ressenti de la migration. Lida Aguirre a une vie ordinaire (c'est le chemin de beaucoup de gens de sa ville) : très jeune, avec sa famille, elle part dans la toute proche Selva, puis ils partent à Lima. Son père lui interdit de parler le quechua, c'est très mal vu dans la capitale : il faut mettre de son côté toutes les chances d'être "accepté" dans la cité. (Le quechua est la marque de l'infériorité, de la discrimination, de Pindianité". Honte ! Et pourtant, il peut tant exprimer !)

Regard sur la sierra et la migration

La structure de ce poème est aussi le cheminement de la réflexion que l'on peut mener. Se rendre compte des conditions dans la sierra, qui poussent les gens à partir, autrement dit, la « dépaysannisation » et l'attrait pour d'autres choses. C'est une culture vivante on ne se laisse pas dépérir et on va chercher ailleurs ce qu'il n'y a pas, pas de résignation devant la pauvreté et donc la décision du départ, avec un caractère conquérant !

On entre ensuite dans la dynamique de la conquête de l'ailleurs, de la ville. Elle a pour conséquence positive la résurrection de la communauté, on refait vivre la terre mère, celle d'origine (envoi à ceux qui restent, retour pour les fêtes...) et la nouvelle que l'on fait renaître sur une autre terre, c'est l'appartenance, le lien. C'est grâce à la solidarité et à la constitution en communauté que l'on va s'en sortir, en étant tous ensemble (« bien empaquetés, serrés les uns contre les autres »).

Vu de la sierra -- Exemple du département de Huancavelica

Il ne s'agit pas de comparer la façon de vivre de "là-bas" et d"ici" (Sierra/Lima ou LimalSierra, selon le point de vue), mais de transmettre le regard des habitants eux-mêmes, à travers leurs témoignages et leur vision et ce, par le biais de mes rencontres et de mes choix, inéluctablement. Cela est évidemment trop succinct et demanderait à être approfondi.

Par la suite, je propose d'articuler les deux facettes de la migration à travers l'attachement à la terre, dans deux mondes qui s'enchevêtrent, s'opposent et s'attirent. Enfin, je m'interroge, à travers ce processus migratoire, sur la notion de propriété, son sens et son évolution.

N.B : Je ferai, dans cette partie, quelques liens entre la Sierra et l'adaptation des migrants. Cependant, je laisse au lecteur la liberté de s'interroger et de faire des liens, de peur de systématiser ou d'interpréter trop hâtivement.

HUANCAYO

u

H

n

L

Pobiaclôn tota3
ee de habitantes)

35,030

17.000 3,500 7d

ICA

 

TAMCAJA

r
·

er
·
·

.1:1W5e1C.AVELLCA.:1 le":"'Çlh11-7

ei.r.f.
·:;;
·Inipa

FILIAt,iCAVEPCA

AC.Oi3Aryl6A

'"
·


·à.bobacilerit

Lit ây

..`,..-CASTROVIRREYNA

Castrovirreyna

. e

AYACUCHO

-I-Iuaytarà

HUAYTARÀ

Dei/M.:Fel publaitional
1.)). de habitantes / am')

114.6 43.2 23.0 7.6

0.8 *CALA Gle
·.1- ICA get..4

fl 20 40 BO

Nous voici donc dans la Sierra centrale, dans le département de Huancavelica, sur la partie proche de la ville de Huancayo (département voisin de Junin), grand carrefour au milieu de la Sierra, dont l'activité est incessante entre Lima et la proche Selva (de Junin).

Si l'on voulait s'intéresser à d'autres genres de migrations (pas si différentes, simplement qu'elles demeurent plus en lien direct avec la province dont les gens proviennent), la ville de Huancayo aurait été intéressante. En outre, nombre de personnes du nord du département de Huancavelica y ont choisi résidence. Bien que très dynamique sur le plan des échanges économiques, la ville n'en perd pas moins son caractère andin, en zone urbaine.

Les gens des provinces du Sud du département migrent plutôt vers les vallées et la côte de Ica. Et ceux de l'est, vers le département et la ville d'Ayacucho.

Parmi les gens que j'ai rencontrés dans les provinces dans lesquelles je me suis rendue, nombreux sont ceux qui ont séjourné à Huancayo et qui y ont des membres de leur famille.

Différentes coïncidences m'ont amenée dans ces provinces, des gens que je connaissais, qui y vivaient, qui s'y rendaient, qui connaissaient un tel, qui connaissaient un autre... et des choix pour lesquels j'ai opté.

Les carnavals...

Après un séjour lors des carnavals de Churcampa, j'ai rencontré Téotilio9, le spécialiste en la matière des migrations au Pérou, qui m'a proposé de le rejoindre dans de la vallée du Mantarow, pour les fêtes de carnaval, afin d'y "recueillir" des données (!!) et de connaître ces coutumes (et de danser prestigieusement à son bras --sauf que je n'étais pas une vraie anthropologue parce que je n'ai pas voulu me déguiser, mais ça va je me suis rattrapée parce que j'ai dansé, c'était pour l'anecdote !) Je suis donc allée dans la petite ville de Jaujail ainsi que dans d'autres villages alentour. La fête était partout présente, un quartier organisait son carnaval en même temps qu'un autre. On aurait presque dit que chacun devait se montrer le meilleur, une sorte de concours tacite... Certains dansaient élégamment autour de la place pendant que d'autres défilaient dans les rues et jetaient du talc ou de la farine sur les passants pourtant avertis... ! Quel mayordomon offrirait la plus belle fête... A la fin du défilé, c'était le grand moment du Cortamontel3 , et il fallait danser autour de l'arbre, malgré la pluie. Pas de déguisement : interdiction de participer Cette fête-là paraissait jouir de tous les prestiges, et la moitié des participants semblait venue de l'extérieur...

Dans les villages alentours, les festivités allaient bon train, selon les jours...Dans le petit village de Paca une dame me disait que cette année, il n'y avait pas beaucoup de monde. Beaucoup de gens étaient partis... Le mayordomo, lui aussi venait de Lima. Et tout autour de la placette, l'on s'abritait devant les maisons pour échapper à la canicule et "descendre" les caisses de bières...

Ce n'est donc pas dans la vallée du Mantaro que j'ai choisi de revenir, mais dans la province de Tayacaja, voisine de Churcampa... Je n'ai pas opté pour "faire l'étude" d'une communauté ou d'un village, puisque la migration ne se réduit pas à celle d'un point A à un point B. Aussi, après avoir présenté la région, je donnerai un aperçu des migrations depuis la province de Tayacaja et un district de celle-ci. C'est à travers les fêtes de Churcampa que l'on

9 Teoflio Altamirano Rua

10 C'est la vallée qui s'étend aux alentours de Huancayo, où passe le fleuve Mantaro

Première capitale du Pérou, créée par les colons, avant de se transférer dans l'oasis de la côte, Lima_

12 Le mayordomo est la personne élue pour organiser la fête.

13 Cortamonte : une tradition de carnaval, qui consiste à danser en couple autour d'un arbre et à lui donner un coup de hache quand vient son tour. C'est à ce moment là que l'on est invité à boire quelques breuvages... Celui qui fait tomber l'arbre sera le mayordomo pour l'année suivante.

n

L

s'intéressera aux liens entre la ville et ses migrés et le rôle du folklore. Ensuite, je soulèverai la question de la terre et du monde paysan, centrale dans la migration.

Caractéristiques de la zone

Activités

Bien que son activité économique principale soit agricole et pastorale, Huancavelica est
considérée comme un département minier. L'activité minière utilise peu de main d'oeuvre de
la zone et son impact négatif sur l'environnement est considérable : sur la transformation du

sol, la qualité de l'eau et de l'air. Néanmoins, d'importantes mines sont encore présentes.

Agriculture. Principalement cultivées, l'orge (cebada?), l'avoine, Volluco (tubercule andin), la pomme de terre 1 'oca et la mashua. (Prix de la pomme de terre : « 0.10 S/'4. /kg a.0.70 S/. /kg. en blanca y en la amarina de 0.40 S/. /kg a 1.00 SI. /kg ». Effectivement. le cours de la patate est très bas, ce que déplorent les paysans ces temps-ci).

Elevage. Etant donné ses hauteurs. la région a développé un important élevage, avec de manière décroissant, l'élevage ovin, bovin, l'alpe& les vigognes, les lamas et les guanacos (les 4 derniers étant des camélidés, 30%)

Géographie : La région présente 5 des huit sous régions naturelles du Pérou

- Zone Yunga : de 500 a 1500 mètre d'altitude (cultures de café, de canne à sucre, de fruits, cucurbitacées...)

- Zone quechua, de 1500 et 2500m (culture de maïs, légumineuses, cucurbitacées, fruits... et c'est une zone de pâtures naturelles)

- Zone Suni, de 2500 et 3500 m (maïs, pomme de terre, kiwicha, quinua, oca olluco, mashua (ces 5 dernières sont des cultures andines) fève, petits pois, haricots, et des fruits à noyau ; et des pâtures naturelles.

- Zone Puna, de 3500 à 4500, ce sont les pâtures naturelles qui prédominent. On cultive la pomme de terre native, oca, olluco, cebada, avena, mata. C'est dans cette région que résident les camélidés sud américains... C'est aussi l'habitat de faune sylvestre (comme les vizcacha... ).

- Zone cordillère, à partir de 4000m (jusqu'à 5200 !). Il n'y a que des pâturages naturels et des déserts sur les glaciers... On y trouve surtout les vigognes, les lamas, les loups andins, le condor...

Structure agraire

79% du territoire de la possession de la terre correspond à la propriété communale. Le reste appartient à de petits propriétaires individuels sans titres de propriété. La taille des parcelles dans la possession communale est de 0.25 ha par famille, consacrée à la production agricole. Elle est plus importante dans la possession individuelle, mais seulement 1.5% ont des parcelles de plus de 50 ha alors que 80% ont des parcelles entre 0.5 et 4.9 ha.

J

LI

On distingue les producteurs "d'autosubsistance" --je cite - (toute la production agricole est destinée à la consommation, mais 90% du bétail pour le marché) de ceux qui produisent pour le marché. Ces derniers habitent plus aux abords des villes et possèdent plus de terre... (5 à 50 ha par famille 0. Leurs aspirations économiques sont lucratives et leur organisation exclut les principes de fraternité, de solidarité et de coopération (je cite).

Histoire

Huancavelica entre dans l'histoire par la porte coloniale quand le conquistador espagnol
découvre le mercure. A cette époque la ville a, comme Mexico, plus d'importance que

14 Ce qui ne fait même pas 0.03 cts d'euros.

Londres ou Paris...Marginalisé pendant 150 ans, par oubli de la république aristocratique, le département continue à donner des bénéfices à Lima avec les produits agricoles de ses haciendas.

A l'époque coloniale, la région de Huancavelica a été grandement exploitée pour ses mines. L'exploitation minière colonial requerrait une abondante main d'oeuvre, puisée dans une zone géographique assez ample. L'administration vice royale15 garantissait la disponibilité de travailleur par le système de la "mite". La production de mercure et d'argent généra la plus grande richesse de la couronne espagnole, notamment la fameuse mine de Santa Barbara. Quand la période de grande productivité cessa, la mine comme la ville de Huancavelica commença à chuter... Elle fut totalement oubliée.

De l'indépendance du Pérou à nos jours... Huancavelica était devenue la « ville fantôme »... Elle ne disposait pas d'autre recours pour couvrir le vide laissé par la chute de la mine de mercure. Son activité agricole et d'élevage était dans les mains d'une caste "féodalisant", propriétaire d'haciendas traditionnelles et improductives. L'apport des communautés paysannes était insuffisant, limité à l'autosubsistance...qui n'échappait pas à la suprématie de l'hacienda. C'est au 20 siècle que l'activité minière commença à resurgir, mais pas au niveau d'antan.

La réforme agraire, promulguée par le général Velasco au début des années 70 n'a pas donné les résultats escomptés : principalement, en raison du manque d'accès aux crédits et â. l'assistance pour les petits producteurs... Trente ans ont passé depuis la réforme agraire et peu de terres ont été redistribuées aux communautés paysannes.

Pendant les années 80, l'action de la violence politique du Sentier Lumineux accentua le retard du département, en agissant contre les commerces et installations minières et en obligeant les carnpesinos17 à s'enrôler avec eux...

Ces dernières années, les terres qui avaient été abandonnées, sont en train d'être récupérées, par le retour des comuneros18déplacés par la violence.

De nombreuses mines ont été fermées... [C'est le cas d'une dame de la Vizcachera qui est partie parce que son mari travaillait à la mine]

D'autres ressources ne sont pas exploitées et ont été abandonnées, comme l'élevage des camélidés. Huancavelica avait été le premier producteur de fibre de laine...

Démographie/ migration

Huancavelica se dispute avec Apurimac la faible augmentation de sa population (de seulement 1.67% en 60 ans, contre 3.81% au niveau national. Ce n'est pas seulement le haut taux de mortalité, mais aussi « la constante sangria de l'émigration19 ». C'est le département, qui proportionnellement expulse le plus d'habitants (le ne le savais pas, et ce n'est pas pour

15 Du « Vice royaume », régime colonial

16 "Mita : travail forcé imposé aux Indiens qui devaient travailler par roulement (pour des périodes d'un an tous les sept ans), dans les mines ou dans les ateliers à l'époque coloniale. La mita, instituée en 1572 par le vice-roi Francisco de Toledo, ne fut abolie qu'en 1812".Mitayo : Indien tributaire âgé de 18 à 50 ans, qui allait travailler dans les mines sous le système de la mita.

In : Carmen Salazar-Soler, Anthropologie des mineurs des Andes, L'Harmattan, 2002, p. 358

17 Paysans

18 Membres de la communauté

19 Main -- Huancavelica. Atlas departemental del Peru. N° 10. 2003. ed. PEISA. La republica

cela que je l'ai choisi) ; la majorité est partie vers la capitale, mais un bon nombre aussi vers les départements proches : Tunin (Huancayo), Ica et un peu Ayacucho. Huancavelica est une région située entre ces 4 départements et selon la zone géographique on s'oriente vers la plus proche... Certains mois, des gens s'en vont dans les villes les plus densément peuplées pour offrir leur main d'oeuvre dans la construction et le commerce ambulant et pouvoir compléter leur "panier" familial de base (revenus).

Un cas intéressant à étudier eut été, par exemple, celui des émigrés de la zone Sud de Huancavelica - les districts de la province de Castrovirreyna dispose désormais d'une route qui dessert la côte (dans le département de Ica). N'oublions pas que nous sommes dans une région de hautes montagnes et profondes vallées. Deux villages peuvent parfois paraître proches sur la carte mais ne sont pas reliés par une route, et sont séparés par de grands abîmes. C'est donc dans la ville de Chincha, célèbre pour sa population d'origine africaine, qu'ils ont élu domicile.

L'émigration de ce département s'est accentuée pendant la violence politique, mais est due à de nombreuses causes économiques20...

C'est dans le nord du département que se situe la majeure partie de la population (Tayacaja, Acobamba, Churcampa)

ü 7
· -- 21

47o de sa population vit en milieu rural (le plus haut pourcentage du Pérou)

(Churcampa n'a que 14.8% d'habitants dans les ensembles urbains) c'ets pour cette raison que ceux qui migrent s'en vont vers d'autres département (et peu à vers les villes de celui-ci...)

ü 27.5% de sa population est analphabète (34% selon INEI, surtout des femmes et une population adulte). Mais aujourd'hui, la majorité dispose de services sociaux (centre de santé et poste de santé) 10` 79% n'a pas dépassé le niveau d'éducation primaire

ü C'est aussi le département avec le plus grand pourcentage de personnes parlant le quechua comme langue maternelle (67%)

ü En comparaison avec Lima, les gens de Huancavelica ont une espérance de vie de 20 ans de moins I

ü La mortalité infantile est très élevée, et la dénutrition chronique importante.

ü L'accès aux services est très restreint : seulement 64.9% de la population dispose d'eau potable (en 2000) (au lieu de 72% au niveau national...). 92.1% ne possède pas le tout à l'égout.

ü Très paradoxal, seul 32.4% de la population dispose de l'éclairage public (69.3% au niveau national), alors qu'il s'agit du département qui génère la plus grande quantité d'énergie électrique, avec sa centrale hydroélectrique sur le Rio22 Mantaro : elle ne jouit ni de l'énergie produite, ni des bénéfices de celles-ci (centralisation... f), et pis r Le coût de l'électricité pour Ies habitants est plus élevé qu'ailleurs...

ü L'indice de développement humain des nations unies situe Huancavelica à l'avant dernière place. Encore faut-il savoir quelles en sont les références...

Le message délivré par ces statistiques démographiques : éloquent : « des chiffres terribles qui dessinent une situation de retard centenaire et qui sont également un urgent appel à l'action qui doit mobiliser tout le monde : l'Etat, les entreprises privées, les ONG, et bien sûr, les habitants de Huancavelica 23».

Huancavelica est classée comme région d'extrême pauvreté, puisque les nécessités basiques ne sont pas satisfaites. D'après L'INEI, plus de 90% des foyers ont des carences de logement, de santé et d'alimentation.

Ibid.

21 Sources INEI (Institut National de statistiques et informatique)

22 Fleuve

23 Ibid.

TAYACAJA

Regards sur les migrations et les familles.

A Pampas et Akrakia

Pampas est la "capitale" de la province de Tayacaja ; actif centre d'échange commercial entre les villages de la vallée et des hautes zones, elle se consacre à l'élevage et à la culture de céréales et de pomme de terre. Beaucoup de ses districts produisent de la pâte de sucre et de l'eau de vie de canne à sucre ("Cana").

Elle se trouve sur la route entre Huancayo et Ayacucho (via Churcampa). Cette province est découpée en plusieurs districts, certains sont déjà en zone selva et d'autres sont très difficilement accessibles. Si toutes les routes du département sont en terre, certains districts n'ont pas de route d'accès.

Les personnes que j'y ai rencontrées --des femmes, en l'occurrence, viennent souvent d'autres petits districts et sont venues s'installer à Pampas.

Dans le petit district de Salcabamba, j'ai fait la connaissance d'hommes qui sont revenus y vivre après des années d'absence. Ils content leurs parcours, en montrant leur vision de la migration. Ils nous livrent aussi leur propre vision de la migration.

Pampas, ou le club de madres24du quartier de Cbalampapa...

C'est chez Irma que les dames préparent les repas du comedor popular25 dont elles font partie. Les femmes, membres du comedor, se sont réunies sous la forme d'un club de mères pour pouvoir appartenir au comedor ; elles viennent régulièrement pour se rencontrer, en dehors des jours où elles viennent, tour à tour, par petits groupes, préparer la cuisine.

Irma les a convoquées, un jour... Je ne m'y attendais guère Elles sont toutes là, assises sur l'herbe, devant chez elle, affairées au tricot, en train de deviser, et de m'attendre

Comme je lui avais parlé de mon sujet d'étude, elle m'avait répondu que les mamans du groupe "viennent toutes de partout"...

Et par petits groupes, nous commençons à échanger....Chacune raconte un peu son parcours, les autres participent, ou prêtent une oreille attentive... Elles semblent se reconnaître dans les dires des autres... La situation est assez étrange... la rencontre assez systématisée...mais pourquoi pas En fait, on sent que ces femmes sont toujours là, au cas où elles pourraient profiter de quelques opportunités... Elles semblent curieuses, aussi.

Cette situation m'a d'abord paru peut-être surréaliste. Puis elle m'a semblé intéressante : pourquoi ne s'exprimeraient-elles pas directement sur le sujet, de manière « communautaire », comme elles ont l'habitude de fonctionner, notamment par le biais de leur groupe de mamans.

24 Mères de famille

25 La cantine populaire est aidée par une institution de l'Etat : le PRONAA, qui leur donne des aliments qu'elles vont préparer (leur donne ?)

« Todas somos vecinas » (nous sommes toutes voisines)

A travers leurs petites histoires (parce qu'elles n'en racontent qu'un petit morceau 1), on se rend compte que souvent, elles sont les seules de leur famille à. être restées ici. Leur situation, assez difficile, exprime un quotidien incertain et une distance d'avec la chacra. Ont-elles choisie de "s'émanciper" (entendons par là, obtenir ce qu'elles n'ont pas ou peu chez elles comme l'école, les services) ou des conditions trop rudes, sans issue, les ont-elles obligées à partir, à conquérir ailleurs?...Maintenant, ce ne sont que de petits boulots incertains qui font le quotidien, du travail « quand il y en a », « ce qu'il y a »... Les gens qui « galèrent » le plus semblent bien être ceux qui n'ont pas de terres, ou trop peu...Elles permettent seulement -et à peine, l'autosubsistance (« juste pour manger ! »). Alors de la famille, ne reste qu'un enfant ou deux pour aider les parents... Et toujours, mise en avant, comme essentielle: l'éducation des enfants. Les enfants. Est-ce une raison qui en dissimule une autre ? « Salir adelante ». Aller de l'avant. Ne pas s'engluer là où l'on est, sans possibilités, sans perspectives...Sens ?

Ni a ria est la seule de ses frer(:.'s et surs a être testée ici. Les autres sont a Arequipa, Lima.. Huancayo, ou dan:-., la Selva...elle ne sait pas hien. Son mari a occasionnellement du travail. iii travail occasionnel

Jeralda vient de la province de Chut-campa. A 17 ans, elle partait étudier à Huancayo, puis travailler à Izcuchaca ("exploitée par des suisses !"), puis elle est venue habiter avec son mari à Pampas. Ses frères et soeurs sont dans la Selva ou à Huancayo. Deux sont restés au pueblo. Elle veut envoyer son fils à. Lima, parce qu'ici : il n'y a pas de travail. Et la paye est très basse... Mais le problème, c'est qu' "il n'a pas où arriver, on n' pas de famille là-bas..." Comme beaucoup d'autres, elle vient d'un autre district et s'est rapprochée de la capitale de province. Beaucoup ont leurs frères et soeurs dispersés entre Huancayo, Lima, la Selva et parfois certains sont restés au pueblo.

Et toujours le même leitmotiv, significative : « ici, il n'y a pas de travail ».

Rodolfa Nient clé Salcaliainha Elle me niconte des histoires sur ses fre.res, ses nièces.. ce qui leur est arrivé, on ils vont_. ils sont à Lima. à Huancayo, les tins voulant aller .t.}1.1 sont les autres

tlit 'est thf/h de. te- /Me i.mye.«js-scinc,111,

il 11.%,Jble df.11,1 ChilLIVS soin

?pistes . 1! 1/.t, a pas de quoi in, finnii.' (te ferre. ça
·apih-)rte .

ir Oit part tous. ll n'y a pas de futur

Constantina - Femme "déplacée26" d'Ayacucho

« On est pauvre, on n'a qu'un petit terrain, là-bas... »

Ils sont venus ici parce que son mari, de Huanta (près de Churcampa) avait de la famille ici, qui est maintenant repartie au pueblo. Avant, ils s'étaient même rendu dans la Selva de Pucalpa (ce qui n'est vraiment pas tout près) pour travailler (yuca, platano.,.). Son mari travaille dans la chacra mais celle des autres, comme "peon"27 . Il n'y a pas toujours du travail... « On travaille pour que les enfants puissent étudier (école).

26 On dit « déplacé » ("desplazados") des gens qui ont dû partir ailleurs à cause du terrorisme, qui n'ont pas choisi,

27 Ouvrier agricole. Celui qui travaille la terre d'autrui.

Nilda. ieune remine est partie de son district de l'hic». à Linta comme c'inpl,:udÉi- quand

a\ an ies terroristes. à [instar de cinq de ses frères et soeurs Puis. die est revcrine ici. a Pampas. Certains sont repartis au plle'Ne..1 Son epoux, quelle a rencontré dans son vil;aLfe natal le ii.1111- des élections. vit du travail occasionnel.. que ce son dans la diacra. ou comme riii
·rier
· .ce "ilt
·

Je Ji,' fillIS. 1111 11'nlei ici, 4:'11 . )111 élit' M'Ils 11(111111/Ce cgrec ele's

U111 VIle'r debni, le:luisais toit er,.

'e phi'," 11(111114, haiffle. tache.'.

c'OdleJliS Ve.'lith,' .41/1 _le lit' .StIrCil.s' 3 mais ou

f iinrin01S1, dit rettfmcer on tivraii.

Q?) CCIllSiTifirc.' !WC 11.iii1V011. Mire L' gnami fi/Wh!, Hn n'a pus Lei/

/,/ partir ). pour "'sdir inicionie" r(infin.

.%'untilforci.), i=on!' cil,:" étudie dans un meilleur collège.

Lima c'est bien quand nt sah travailler. sinon, tu meurs (le faim Ndda

Flavia (du nord)

« Non je ne vais plus là-bas, ma maman est morte

« Ici, on n'a pas de "casa propia"

C'est souvent ce qu'il se passe, quand les parents sont décédés, on ne trouve plus de raisons de retourner dans le lieu d'origine...

Enfin, Alejandra

Elle me demande comment on va pouvoir converser. puisque je ne parle pas quechua, el qu'elle ne parlé pas espagnol_ Nous avons mis un certain temps à nous mettre d'accord sur la possibilité de notre dialouue. C'était un jeu assez tin de sa part. elle voulait si:renient me montrer que je n'étais pas apte a parler avec elle, pas disposée a entrer en relation avec elle. si je rie parlais pas sa langue. Elle nia naturellement parlé d'un bon espagnol, mais est restee distante. Je ne doute pas que si avais parlé le quechua. la conversation se serait den.-}tilee autrement Espiègle [lie m'interroge sur ce que je fais. . Le pourquoi.

Elle vient du district de Colcabamba. et habite ici depuis 3 ans. "pour les enfants'. Poui qu s étudient.

Ici. Il fait plus froid Ils s ont acheté un lot Niais ils ostt encore leurs terres là-bas et rendent pour semer.

tan/h:Hum on qm., Je ra:r\
· aller el I (l'hW(' ),),e,K, fti Nell'u, J'eh;

/os. 1)1011 e'r011.5"' lie' tUni 1111

pus si C.' i',!1 , lai pelf.%.* r`: s'ils

r11

A Pampas, beaucoup de familles viennent des autres districts de la province, plus ruraux, D'autres sont arrivés de Churcampa, notamment de Cobriza, où se trouve la mine-9.

Comme disait une dame qui a toujours vécu à Pampas : « son de acientro» (ils viennent de l'intérieur des terres. Ils ne sont pas d'ici même... Non loin de là, à Daniel Hernandez, beaucoup de gens, des déplacés du terrorisme. Ils se sont groupés en 3 associations, selon leur provenance. Un groupe vient du district de Tintay, dans la province, et les deux autres semblent provenir de districts du département d'Ayacucho.

28 Employée de maison

29 J'ai d'ailleurs rencontré une famille qui s'était installée en bordure de Lima (Carapongo) depuis quelques années. Le mari allait travailler quelques semaines à la mine. Et il revenait là une semaine. Elle l'accompagnait souvent aussi là-bas, à San Pedro... Elle expliquait que beaucoup, là-bas, avaient opté pour vivre ainsi...

Dans les petites villes, on juge très durement les gens de « adentro », ceux qui vivent dans les milieux ruraux, les paysans. Selon l'origine de ces paysans, les jugements divergent.

« Ils sont paresseux, oisifs...11 manque de développement humain, d'éducation. Ils sont pauvres... Ils ne travaillent pas, ils dorment ! »

Aller à Lima ? Une dame du district de Alirakia (village à côté de Pampas)

Ses enfants ne parlent pas quechua : "ils ne peuvent pas !" . Ils comprennent mais ne parlent pas. A l'école, ils ne parlent qu'espagnol. Ce sont des professeurs qui viennent de la ville, souvent... Mais, « dans les hauteurs, si, ils parlent quechua! »

Comme beaucoup, elle a deux frères à Lima, un à Huancayo, qui sont partis après le collège pour travailler. Elle ne sait pas trop ce qu'ils font maintenant (pas de nouvelles ?).

« Ils reviennent 2/3 jours toutes les x années, en visite, seulement. Oui, ils ont changé, leur caractère est différent. Ils me disent pour aller à Lima, mais non... Eux se sont habitués là- bas déjà...

Ils ont tous des droits sur les terres [ici]. Ils laissent la moitié, ou ils louent. Parfois, ils viennent semer.»

Je lui demande si elle penserait aussi partir. Elle me rétorque : « non, nous ici on est habitué avec les animaux, les vaches... » Entre temps, elle rappelle une vache qui s'en va, car nous sommes au milieu de la pâture ! «Marta ! ». A Lima, « todo es comprarm ». [Cela rappelle le « todo es platasi » tant entendu à Lima 1] Ici, on a les aliments, les animaux, tout ! Nous sommes sur la pampa32, et de là elle me montre, au fond, dans les hauteurs, son village natal...Ils sont venus ici parce que son mari travaille dans une hacienda d'animaux .

En conversant avec d'autres femmes, je leur demandais si elles avaient des terres. Elles répondent affirmativement, puis ajoutent qu'elles les louent, à ceux qui sont partis à Lima et ont beaucoup de terres !

En général, quand on rencontre quelqu'un dans les Andes, les 3/4 de sa famille au minimum, sont partis. Comme ils sont de nombreux frères et soeurs, il en reste souvent un ou deux, ici (dans la capitale du coin) ou là-bas, au village...

A regarder le phénomène depuis Lima, on se rend compte qu'il reste toujours un frère ou une soeur restés "là-bas", et souvent, les parents, s'ils ne sont pas morts, ou s'ils ne les ont pas fait venir chez eux, à Lima... Ils restent les seuls représentants de la famille sur la Sierra, et de ceux qui sont partis?

En discutant avec les gens dans les Andes, on ne peut imaginer qu'ils pourraient partir demain à. Lima, par exemple. Ils en paraissent tellement éloignés. Et souvent, bien qu'ils se déplacent pour aller vers de plus gros centres, pour l'école, ils ont une mauvaise image de Lima! En revanche, nombreux sont ceux qui ont passé une étape, celle de partir de leur village natal. Pour aller à côté, mais déjà en ville... (Quoique, Pampas n'est pas une ville... Et ils y ont leurs champs et leurs animaux !)

30 Tout est « acheter »...en d'autre ternie tout coûte et on n'a pas ses produits, et il faut toujours acheter pour pouvoir vivre, il faut de l'argent, donc travailler beaucoup...

il. Tout est fric !

32 Le plateau

On pourrait penser que les familles sont là-bas divisées, qu'elles ont perdu leur cohésion et leur fondement (base des rapports, de l'organisation...etc.) Peut-être. L'organisation doit s'en trouver changée ainsi que le fonctionnement des rapports sociaux. Rappelons que les familles sont très nombreuses du dedans, et très élargie ! Mais ils connaissent ça depuis déjà longtemps... !? Et les gens ont l'habitude d'aller vers d'autres flancs pour trouver une meilleure activité (beaucoup partent vers la Selva33 pour les cultures...)

En outre, ces départs sont aussi un élargissement du réseau, une relation à distance mais qui fonctionne et propose de nouveaux éléments, de nouveaux échanges.

Les migrants, de retour (passager) chez eux, apportent certes de nouveaux éléments, sur l'ailleurs, mais aussi une croyance en la possibilité de réussir, là-bas.

On peut quand même se demander si cela n'est pas parfois juste lié à la fête, par le retour des « anciens » du village, qui sont partis, mais sont encore « les gens d'ici » et reviennent pour participer ; ou organiser, forme de prestige avant tout ? Sont-ils seulement soucieux de la communauté elle-même ?

Mais est-ce que la fête est quelque chose de « limitée » puisqu'elle rythme la vie de la
communauté d'une année à l'autre avec ses préparations, ses échanges et ses services rendus ?

La question du départ

Mais comment le départ est-il provoqué ? S'agit-il de quelque chose de réfléchi ou de spontané ?

Cerner la préparation et surtout le déclenchement du départ, la décision de quitter sa terre natale, n'est pas aisé. Etait-ce un désir depuis longtemps ? Y a t-il eu une impulsion provoquée par quelqu'un déjà là-bas, de Lima...dans la Sierra ? (C'est en général parce que l'on a quelqu'un qui nous incite à venir ou nous permet l'arrivée là-bas). J'ai rencontré des gens pour qui Lima était un autre monde, un monde matérialiste. Ils y avaient de la famille, bien éloignée maintenant. Pour eux, la vie était ici, où tout est à portée de main.

Lima représente parfois un monde peu attrayant :

«Le désordre, le danger, trop d'informalité, de délinquance... », entendra-t-on dire. « Une fois j'ai été à Lima...on m'a trimbalée par ci par là, mais je n'aime pas, il n'y a pas de tranquillité. Il ne leur reste pas de temps, parce qu'ils travaillent beaucoup. » (Marna Salo)

Mais ces gens-là semblent un jour se décider à partir, et conquérir ce nouveau monde ? Quand ce modèle plus occidental, dirions-nous, s'impose à l'esprit comme finalité... selon des critères plus économiques, ou d'ascension sociale ?

Eux aussi s'approprient-ils de nouveaux modèles ; ou sont-ce des conditions de plus en plus rudes, auxquelles il faut remédier?! Sont-ce certains --les pionniers, qui sont d'abord allés "tâter le terrain" et reviennent avec la gloire de la conquête : la réussite "là-bas" ?

Ces gens qui reviennent ont véhiculé une image, mais peut-être ce processus s'effectue-t-il
aussi à distance ? En envoyant des lettres, en téléphonant (si le village dispose au moins d'un
téléphone), de l'argent (le fait d'envoyer de l'argent, symboliquement, doit représenter

33 Sur Je piedmont, souvent

beaucoup I), des encomiendas34 (qui maintiennent le lien et véhiculent des objets, des produits de la ville mais par lesquelles aussi les émigrés en reçoivent de leur terre d'origine ! Le rôle des médias, de la télévision est évident, comme véhicule d'une autre idée du bien être, économique, mais surtout du bien être ailleurs. Pas ici.

Le départ peut aussi être le début d'une véritable coupure. D'aucun ne dira qu'il ne sait pas grand chose d'un frère à Lima, qu'il ne revient pas beaucoup ; et vice-versa, beaucoup à Lima diront qu'ils n'ont pas été depuis longtemps au village, qu'ils n'ont que très peu de nouvelles...

Quelqu'un là-bas me donnait sa version de la migration (A. Ascurra, de la municipalité de D. Hernandez (prés de Pampas). « Le cas le plus courant, ils ont une maison "là-haut" et leurs enfants à Pampas. Ils vont, ils viennent (les parents). Les enfants reviennent pour les vacances. Puis un autre frire vient et un autre et ça y est les parents restent avec eux. Puis ils partent étudier à Huancayo. Et parfois, les parents finissent par suivre. C'est tout un processus, pas juste une migration. »

34

Colis. Hist Institution coloniale espagnole. Octroi par la Couromie d'Espagne à un conquistador ou à un émigré espagnol d'un certain nombre d'Indiens qui devront travailler dans ses propriétés. En échange, l'encomendero s'engage à oeuvrer pour l'évangélisation de ce "troupeau humain" (In Carmen Salazar-Soler. Ibid. p. 356). "Puis, en second lieu, on appela encomienda l'envoi recommandé d'un paquet par l'intermédiaire d `un voyageur particulier ou d'un fonctionnaire de postes [...]". La dernière édition consigne, en plus de l'acceptation historique américaine encomienda: "paquet postal" en téférence au Pérou et à d'autres pays d'Amérique du méridionale et centrale. (In dicctionnaire de peruanismes, Markka Hildebrandt 1994, Biblioteca Nacional del Peru, p. 186-188)

Salcabamba -- district de la province de Tavacaja Qu'y pense-t-on de la migration?

Avec Samuel, el tio de Lourdes ...

J'ai rencontré Don Samuel à Pampas. Il y vient régulièrement, puisque Pampas est la "capitale" de la province de Tayacaja et qu'il habite dans le petit village de Salcabamba -- capitale du district éponyme.

Nous dînions, avec Lourdes, sa nièce, dans la polleria35 de Pampas. Son oncle m'invita à venir connaître son village, sa terre... Lourdes est originaire du coin, mais elle a toujours vécu à Lima. Ayant été nommée responsable de la zone des Wawawasi35 , elle est retournée y vivre : « je viens d'ici, mais je ne connais personne ici ! »

Un homme de la municipalité disait :

« Quand je prend le bus, je regarde combien de personnes je connais : je n'en connais plus que 5/61 La population a changé »

« De ma famille, tous sont parfis. Je suis le seul à être revenu (pour le travail) Parce que les gens partent et de nouveaux arrivent des petits districts alentours... »

Depuis sa retraite, il est retourné vivre dans son village natal de Salcabamba. A huit ans déjà, il partait étudier à Huancayo. C'est la grande ville la plus proche qui attire beaucoup de gens des alentours. Il me raconte son enfance, difficile. Souffrances. Sans père, lui et ses 7 frères ont dû s'en sortir seuls pour étudier, par eux-mêmes, dit-il. Il a habité à la Victoria (« mais à Lima, il y a beaucoup de délinquance »), puis dans un quartier plus en retrait, plus rural, Chaclacayo... Avant d'aller travailler à Lima (instituteur), il a travaillé dans les provinces par ici. Ses autres frères et soeurs sont encore à Lima aujourd'hui, sauf un dont il m'a montré, chemin faisant, son village, au loin....Du versant de montagne que nous dévalions avec sa voiture, on pouvait voir la partie "selva" (prémices de la Selva, végétations, climat plus chaud, moins d'altitude), là. où il habitait et fabriquait de la « cafta », alcool de canne à sucre que j'ai eu loisir de goûter chez Don Samuel, dans sa petite épicerie. Avoir ce petit lieu de vente, chez lui, est une diversion, dira-t-il... (« Je n'ai pas de responsabilité, pas d'enfants à charge ...je n'ai pas besoin de faire du commerce en fait... »).

« En revenant ici, ma maison était abandonnée. Et je vis ici maintenant, avec ma chacra, mes animaux...et c'est comme ça que je suis heureux I Je vais souvent dans mon champ... M'en occuper m'est agréable ... Si je ne sors pas, c'est dur, je m'ennuie ....alors qu'aux champs, non !

« A Lima, il y a un stade de Salcabamba, c'est le seul de tous les districts qui en a ! Et là, on fait les fêtes... Et ils boivent et dansent et chantent et mangent ne travaillent pas pendant ce temps.

« Ici, avant c'était mieux socialement et culturellement. Mais la plupart sont partis [la plupart des gens d'un certain niveau ?I, à cause du terrorisme. Il ne reste que les petits vieux...

Sa nièce ajouta : «Mes grands parents se préoccupèrent du fait que les enfants aient une profession, c'est pour cela qu'ils ont migré à la ville. Ils vécurent à la ville, mais les parents

35 On y mange du poulet â la braise, avec des frites et de la salade. Les pollerias sont plutôt des restos de la côte...

36

Wawawasi : maison (wasa) de l'enfant (wawa). Programme de garderie chez des femmes, "aide maternelle" en quelque sorte...

avaient toujours "la chacra" parce que leurs revenus pour maintenir la famille, provenaient de la production des semences et de l'élevage de bétail. De là-bas. (la chacra), ils leur envoyèrent la pension pour qu'ils puissent étudier, ils allaient par saison vivre un peu à la ville...

Ceux de ma famille qui vivent à Lima et même à l'étranger37 vont toujours en visite sur la terre de mes grands parents. Pendant les fêtes, beaucoup de familles qui résident à la ville, se rerencontrent là-bas. »

Il m'a emmené en disant à sa nièce que ce n'était pas pour que je fasse mon "enquête" sur la migration, mais pour connaître son village (pour le plaisir ?!), pour se promener...

Je ne l'ai pas questionné à dessein sur son histoire de vie. Il racontait et racontait. Assis dans son épicerie. Un peu plus de "Caria" ? Tant de choses. Enfouies quelque part dans ma mémoire... Au village tout le monde le connaissait et le respectait, Don Samuel... Notoriété de sa famille ? Ou parce qu'il venait de la ville, qu'il était professionnel ?

« Don » Samuel

Ce dont je me souviens est que ses parents étaient d'assez grands propriétaires terriens. Avec la réforme agraire, Don Samuel me dira que ses parents ont tout perdu ou du moins une grande partie... Lui et ses frères étaient déjà des "professionnels"... la chacra ne leur était vraiment pas destinée...

Avec le maire de Salcabamba....

« Ceux sont surtout les jeunes qui partent pour étudier ou travailler (mais surtout travailler, c'est dur de pouvoir faire les deux.) Ils ne reviennent pas : ils sont à la ville ...

Pour les fêtes d'octobre, beaucoup reviennent, d'Italie, des Etats-Unis...Alors il y a des "gringos", parce que certains se sont mariés là-bas ...et ont des enfants "gringos"...

« Ici, il n'y a pas de travail... (Qui dira le contraire ?)

Une dame dans le local où se trouve le seul téléphone du village : « comment tu trouves Salcabamba, c'est triste non ? »

Efrain, de retour auprès de sa mère après un long périple...

« Ici, la seule chose qui manque c'est l'éducation. A part ça, on a tout à portée de main »

a re.,k`eic., J.101e3. (:,01flinUï.;.aUté &dus ries iiauieur.

n'ee, quà.1e...ure, à pied e"ç'a dépend pour ..,). trianer une .cuàe,

Daru la fta-eie de femme, a snnt 1)..Fïrs "chez des ns".

De là 'à aep_z-k, 0;2 eu envie des étud.es....noewrne&, puiis

rie fait (-;:.-èmt ce ;:a (e..t

Iemps Feçio'nel e rameryer Les choss.,-F,;s.)

37 Beaucoup de familles ont quelques membres à l'étranger

Comme ils sont revenus, ou plutôt comme ils ..,àne du heu (même après 15 ans d'absence I) mais ont habité à rextérieur, ils sont assez "respectés" et l arrive que les gens viennent leur
renipi Ull peq)ier, baller des pogsibi-,iités... Ff..érk;i,': tjeuen,r

veulent partir, e,ual;? ),301'etii`S' ne In pas, paf-cé., ge; 'ils (Net hesoL. cur p'.6*-;"
S 'oechiper du bétail, de la chcera

est relicnu er,:e auprès de sa ciamerl, S, ans, 5près prescpe 20 am. d'abri.--,:nce.

C'es:: en a-.:1,3.nt étudier Hu K,i.C.:Ay0 te '+.u. un 1,1.'-zve..fi le* fàis.a.tit

Ç a ' changé ?f, Non i;eas jusie qut- tesei,ris ont », i.l senab:le aimer sa

Ç,'otemunaieê et V07123oir le 1-."eixe voit c..,,ns! >",ileir aiijleurz".

En effet, selon lui les gens partent pour "salir cidelante" (aller de l'avant, s'améliorer), pour sobresalir (se surpasser), travailler, étudier : « Ici, la seule chose qui manque c'est l'éducation. A part ça, on a tout à portée de main »

On voyait les gens qui revenaient de Lima ou d'autres coins et avaient réussi. 1h nous montraient les possibilités. Mes parents ne voulaient pas que l'on vive la même situation qu'eux, qui se limitait à la chacra38 et à l'élevage Ils donnaient une autre vision des choses, de ce qu'on n'avait pas... »

« On voudrait améliorer pour qu'au moins les enfants puissent avoir un uniforme bien, etc...Mais d'autres ne cherchent pas à sortir de cette situation.

« Ici on a besoin d'aide ...mais pas le poisson sans apprendre à pêcher. D 'autres programmes sont venus comme ça, donner des choses et à la fin : il n'y a rien ! Il faudrait plus de cuves, plus de bétail etc... Nous aider à nous développer... »

Beaucoup d'habitants de Salcabamba à l'étranger. C'est étrange parce que on se demande comment d'un tout petit village, ils peuvent partir presque directement à l'étranger, alors même que la distance culturelle est encore plus grande ! Et pourtant !! Il paraît qu'aux Etats- Unis, il y a la colonie de Salcabamba, dans une même ville ils y fêtent le Santiago39, etc. D'ailleurs, on parle de ces gringos qui reviennent pour les fêtes ici, accompagnants des anciens habitants de Salcabamba. Mais ces absents semblent appartenir à la communauté : ce sont les habitants de Salcabamba qui habitent ailleurs... Le lieu porte une mémoire qui est inscrite dans les générations qui s'expatrient et qui restent ?

Il est aussi important de noter qu'au Pérou les envois d'argent depuis l'étranger sont très importants (comme dans tous les pays du monde d'ailleurs'"), ils sont même le moteur économique le plus fort... On dit souvent que beaucoup sont là-bas juste pour avoir de l'argent. Travailler, gagner de l'argent, envoyer. "Mais leur pays reste le Pérou". Travailler, amasser et retourner. Rentrent-ils ? À l'occasion des fêtes, certes oui... (Il arrive même souvent qu'ils l'organisent !). Mais reviennent-ils vivre au Pérou ?!

38 La chacra, c'est-à-dire l'agriculture... la vie dans les champs, le travail des champs, mais aussi les insignifiants gains de la chacra...

9

Santiago - dans la région centrale du Pérou c'est la péri(xle qui correspond au marquage du bétail (le

changement des boucles d'oreille de laine) que l'on appelle "sellai" ou "herranza". On chante alors et on danse des "Sanfiaguilos", qui parlent des choses de la nature (plantes, animaux...) et bien sûr d'amour Les gens se promènent la nuit de maison en maison en chantant et en jouant de la "tinya" (un petit tambour). Santiago c'est vraiment la grosse fête à Huancayo et aux alentours...

40 Il est assez interpellant de noter que l'argent qu'envoient les émigrés à leur famille "au pays" représente beaucoup plus que l'aide au développement dans le monde,

Les témoignages de ces deux hommes, de niveaux assez différents, montrent un exemple de parcours de gens qui ont vécu ailleurs, à la ville, en étant devenu "professionnels". Ils semblent assez "respectés" dans la communauté. Est-ce parce qu'ils reviennent de la ville ? Parce qu'ils sont des "professionnels" ? Peut-être d'une certaine façon, ils sont perçus ainsi. Mais peut-être aussi une distance. Du reste, pour beaucoup. l'ailleurs n'est ni envisagé, ni désirable...d'où la question du départ, et de ce qui le provoque, de ce qui le permet...

Le chauffeur de "taxi" de Salcabamba...

...fait tous les jours des allers-retours entre Pampas et Salcabamba. Quel sport ! Il habite entre les deux, à Ayabamba. Mais il dort dans sa voiture, lors du dernier trajet qui le fait rester à Salcabamba, pour repartir avant le lever du jour avec les premiers voyageurs.

Cela ne fait pas si longtemps qu'il y a une route ; avant, il fallait y aller en cheval, ou à pied, cela limitait les départs, mais la construction de la route les a fait s'intensifier.

Comment a-t-il acheté cette voiture ? Un prêt ? "Point du tout, "nous avons des chacras dans la selva .1", ceux sont ses frères qui sont là-bas et cultivent le café. « Les fruits ça ne rapporte pas. La coca, c'est plus bas (en altitude) « Ils sont depuis janvier à la récolte, et vont bientôt revenir se reposer et puis repartir ». Il a un frère qui est à Lima, mais lui « il est à part », il ne revient que tous les 2/3 ans. Un exemple d'économie familiale : les départs stratégiques et les interactions des uns et des autres permettent à ce système de fonctionner. On ne peut pas avoir de prêt, d'ailleurs le système n'existe pas en tant que tel ! Alors on s'organise en famille. L'activité des uns aide celle des autres, l'investissement des uns, l'obtention d'un emploi pour l'autre, et faire le bon choix : le café est une bonne opportunité (hormis celle du coca)

On comprendrait presque comment les gens, grâce à leur réseau familial entre autres, arrivent à se débrouiller dans le néant urbain... C'est aussi multiplier de façon stratégique les activités et saisir les opportunités qui se présentent (départ à Lima, départ à la selva...). Si chacun fonctionnait seul, il n'aurait pas pu acheter de terres dans la selva et donc pas de voiture pour celui qui est resté au village. Ils restent encore liés à leur village et à la famille, et reviennent saisonnièrement (beaucoup de gens entrent dans les processus de migrations temporaires, ou saisonnières, souvent dans les cultures). (Hormis l'activité rotative des mines).

« N'ont-ils pas été, peu ou prou
influencés, mod4fiés, déménagées
en leur for intérieur... ? »
R. Jaulin

Des raisons de la migration aux modèles de l'ailleurs...

Il manque de perspectives pour le futur. Alors on envoie les enfants étudier pour qu'ils aient des possibilités. Ici : il n'y en a pas. Ici : pas de travail, pas de possibilités, rien. Juste la chacra, le ganado41 , lorsque l'on en a... et encore.

Ces expressions --que l'on entend tant à Lima que dans la Sierra, comme "salir adelante", "sobresalir", "superarse" . dénotent toutes l'idée d'amélioration et de « sortie » ; aller de l'avant, c'est partir, pour s'améliorer, avoir des objectifs plus ambitieux.

Le maître mot, l'éducation, devient le modèle qui participe de ce mouvement, pour tous. Si des familles ont pu, il y a un certain temps (cf. Efrain, Don Samuel) permettre à leurs enfants de partir pour devenir "professionnels", il semblerait qu'aujourd'hui, ce soit au moins une aspiration partagée par beaucoup, en essayant de mettre ses enfants dans une "meilleure" école.

Que ce soit ici ou à Lima, cette raison est essentielle dans les discours des gens. On est venu chercher un travail, mais on doit rester pour l'éducation des enfants. Il est préférable de partir, parce que les enfants doivent s'ouvrir sur le monde en étudiant. Besoin inculqué, désir d'éduquer : il faut que les enfants aient de meilleurs possibilités qu'eux n'ont eu, il faut qu'ils étudient à tout prix, peut-être vont-ils devenir « profesionales42 »... Les jeunes semblent en effet être les plus absents. Pourquoi rester s'il n'y a plus rien à espérer ? Bien souvent, on n'a pas les moyens de leur payer des études supérieures, mais l'idée était là. Egalement, lorsqu'ils partent, les jeunes combinent études et boulot, jusqu'à ce que le boulot ne permette plus

l' étude...

« Le bonheur ce n'est pas l'argent, c'est la tranquillité --disait une vieille dame dans un village. Il s'en vont travailler et vont laisser leurs enfants. C'est mal, leurs enfants vont rester seuls, orphelins... »

Si les adultes sont venus pour trouver du travail (dans la petite ville, dans la capitale), ils y restent pour les enfants. La vision n'est pas la même pour tous et évolue avec les générations. Beaucoup racontent que leurs parents sont venus à Lima et ne se sont pas habitués... "Ils sont tombés malades, parce qu'ils n'ont pas supporté" .. . Beaucoup ne peuvent pas partir loin de ce qui les lie avec leurs terres, leurs animaux. Pour rien au monde ils ne choisiraient le chaos de la ville et la dictature de l'argent contre leur vie tranquille riche de sens, et d'appartenances..

Un modèle qui semblerait s'imposer, mais pas directement, on n'oblige pas à éduquer, de l'extérieur (au contraire) : comme une idée qui se "contagionne", qui fait désirer autre chose, qui fait prendre conscience de sa réalité et de ce que peut être l'ailleurs, une idée qu'on s'approprie, un jour. Et l'on se décide.

Cela se fait d'une certaine manière, comme nous l'avons dit, pas le biais de ceux qui sont partis, et reviennent. Mais aussi par d'autres voies (encomiendas, échanges, communication,

41 Les champs, et le bétail

42 Devenir professionnel, en tant que statut social meilleur, et situation économique.

etc.) C'est dans cette mesure que l'on peut s'interroger, de la même manière que l'a fait Jaulin43 en Afrique, en parlant de "l'homme du lieu". Puisque l'identité de ceux qui sont partis prend nécessairement d'autres visages, qu'en est-il de ceux qui sont restés ?

Pour ceux qui sont partis, "ceux qui sont restés" appartiennent au monde d'avant inscrit dans la durée à un horizon qui précéda leur départ, inscrit dans un temps long. Mais on ne peut enfermer dans cet horizon ceux qui ne sont pas partis ; et d'ailleurs peut-on dire qu'ils ne sont partis en aucune façon? « N'ont-ils pas été, peu ou prou influencés, modifiés, déménagés en leur for intérieur » par les répercutions du monde global et surtout par les horizons "découverts" et véhiculés par ceux qui sont partis ?

« Les gens qui ne sont pas physiquement partis, ont cependant également été emmenés ; ils l'ont été en demeurant en retrait, mais ils l'ont été! Aussi les départs ne doivent être qu'en dernier ressort référés à l'identité ».

On peut suivre la démarche de Robert Jaulin et se poser la question de cette "part du non lieu".

Conquête d'un ailleurs : quête d'un futur ?

Ces modèles de l'autre, de l'ailleurs, du possible semblent en grande partie véhiculés par "les gens du retour", qui reviennent plus nantis, voir « émancipés », qui montrent --et parfois de manière ostentatoire, l'image de la réussite ? Preuve que c'est possible ? Désir que l'on transmet ? Etudier, c'est s'ouvrir des voies, celles du futur ? C'est pouvoir percer à la ville... ? Pour cela, il faut la conquérir...

Jaulin parle de l'identité culturelle dont les hommes sont porteurs (dont nous sommes tous porteurs 0, et éventuellement d'une identité "totalitaire" de laquelle sont porteurs les hommes, en cela qu'elle s'est imposée à eux. Les hommes du retour n'en seraient-ils pas d'éventuels porteurs de cet univers qui se situe entre départ et retour?

Le départ peut être lié à l'ouverture culturelle, là où la présence au monde est la plus forte, mais aussi être fonction de la déchirure d'une expulsion identitaire, présence d'un non lieu, d'un univers de l'entre-deux. Cette constatation, ou plutôt cette interrogation, nous pourrions plutôt la transposer pour les émigrés à Lima.

Néanmoins, on peut considérer qu'en deçà de cet entre-deux culturel et identitaire qui entraîne déchirure (« de l'expulsion identitaire »), coupure et désintégration de la personnalité, se met en oeuvre une volonté de vivre activement : aller de l'avant, déceler les opportunités, ne pas être redevables, et faire fi de l'indifférence d'un pays ingrat. En d'autres termes, une culture qui ne se sclérose pas. Peut-être, comme le laissait transparaître le poème de Lida Aguirre, la communauté choisit stratégiquement le départ pour se redonner vie. Et ce, en sachant que des membres resteront sur leurs terres. Faut-il que certains partent pour que les autres continuent ? N'est-il pas moins douloureux de partir lorsque l'on y laisse quelque chose de soi. Les liens symbolisent peut-être l'existence de ces absents.

Pour considérer la rupture que peut engendrer ces départs, la vision idéale n'est pas suffisante. Il serait erroné de penser que le lien avec la communauté d'origine est indestructible, quand pour certains, il s'agit d'une véritable rupture, parfois choisie pour mieux supporter l'éloignement, ou parfois subie malgré soi.

43 Robert JAULIN, Exercices d'ethnologie.

Ces quelques témoignages nous donnent peut être des idées de la vision de certaines personnes sur la migration, sur les migrants et laissent transparaître les aspirations des villageois aujourd'hui. Pour beaucoup, certes, mais pour tous ? Je ne crois pas. Pour qui ? Là est la question, je n'ai pas de réponses. Si tant est qu'à une époque les métisses des villes et les propriétaires terriens ont décidé d'aller chercher une meilleure vie à la ville (Lima D, en gardant leurs lopins et bénéficiant de gains, ou bien en permettant à. leurs enfants d'être professionnels, les choses semblent avoir changé aujourd'hui. Les gens de petits villages descendent vers la vallée puis se dirigent vers la ville. Les gens des hauteurs viennent-ils plus bas ? Rappelons que le terrorisme a fait bougé beaucoup de population contre son gré

Voici maintenant l'exemple des fêtes, patronales ou de carnaval. Comme on en fait dans toutes les provinces, tous les districts, à chacun sa tradition. Elle est souvent le moment de retour des émigrés. On verra peut-être à partir de cet exemple comment sont considérés ceux qui sont partis. Sont-ils des « lâches » ou au contraire, font-ils encore partie intégrante de la communauté ? Sont ils des exemples ?... sont-ils encore « présents » malgré leur absence... ? Qu'expriment ces retours : un réel attachement aux terres ? Qui revient ?

Churcampa et la fête. Liens avec Lima

La fête patronale - exemple des carnavals de Churcampa, dans la province et à lima

L

 

Le 15 août à Churcampa c'est la fête de la Sainte Patronne : la Virgen Asunta44 (aussi appelée "mamacha45 Asunta"). Quand on est élu mayordomo de la Virgen Asunta en août 2004, on s'engage pour deux fêtes : comadres (la fête de toutes les Saintes du village), qui a lieu en février 2005, pendant carnaval, toujours un jeudi, et le 15 août 2005.

Il y a aussi des mayordomos de San Juan et de San Pedro à Churcampa : ils s'engagent de la même manière vers le 18-19 août et sont chargés de

 
 
 
 

la fête de compadres (la fête de tous les Saints du village), qui a lieu en février, une semaine

avant comadres, toujours un jeudi, et puis le 16 (San Pedro) et 17 août (San Juan).

En fait, s'engager avec un Saint, c'est s'engager pour les deux fêtes : comadres ou compadres ainsi que le mois de la fête du Saint (fête patronale).

Dans d'autres villages on honore aussi comadres et compadres mais ensuite, la fête la plus importante n'a pas forcément lieu en août, elle dépend du saint patron (par exemple : la Virgen del Carmen est en juillet).

L

Avant chaque fête : on fait "llantakuy" : les gens qui veulent aider, vont couper du bois (llanta en quechua = bois sec) - on le stocke pour cuisiner le jour de la fête, environ 3/4 mois avant. Puis, une semaine auparavant : on prépare la chicha46 , le trago47 ... et quelques jours avant : les petits "bizcochuellos" , "bobs" et autres "sara roscas48" que l'on distribuera aux gens pour les "comprometer49" dans la fête, c'est-à-dire les engager à participer, les inciter à collaborer (avec quelque chose)...

44 La vierge de l'assomption

45 « petite mère »

46 A base de maïs fermenté

47 Souvent à base de Cana, alcool de canne à sucre, ou une imitation, appelé « quemadito ».

48 NOMS des petits pains et douceurs préparées en l'occasion.

49 Compromettre. Engager

Février est l'époque des carnavals. Oui, comme chez nous ! On ne se demandera pas pourquoi... Aussi de nombreuses "traditions" lui sont liées. Chacune des "activités" engage des gens pour l'année suivante, qui devront la réorganiser et d'autres, collaborer. Epreuve de grand prestige, le mayordomn devra fournir l'essentiel (nourriture et boissons et banda etc...) pour que la fête soit réussie. Tout dépend de lui et des gens qui collaborent.

A côté de cela, plus liées au "carnaval" en tant que tel, se déroulent les festivités comme le churanacuy, cortamonte51, etc.

Aussi, lors des fêtes, on voit revenir de nombreux émigrés. Nombreux, n'exagérons pas. Il en revient un certain nombre, souvent parti depuis déjà très longtemps, certains tous les ans, d'autres occasionnellement selon leurs possibilités (coût trop élevé) et les liens qu'ils ont gardés ou pas.. La mayordoma que j'ai vue cette année, habite à Lima. Elle est de ces « gens d'ici qui vivent à Lima ». De la même manière, on entendra dire « Lui est churcampino52 mais il vient de Lima ». La mayordoma organise toute la fête, et surtout celle, plus importante, du 15 août, pour laquelle plus d'émigrés (de l'étranger, de Lima, de Huancayo...) reviennent. Il s'agit d'une dépense très importante.

Il y a une différence fondamentale entre les "gens du lieu" et les gens de l'extérieur, qui sont venus s'installer. Les migrés, même partis depuis longtemps, sont bien plus du lieu que les gens venus s'établir depuis un certain temps : ce sont toujours des étrangers...

« Churanacuy »

La bande est le groupe musical fait de cuivres. Parfois, c'est quelqu'un d'autre qui se charge de payer la bande, c'est sa façon de collaborer, mais aussi de se lier dans un rapport de réciprocité avec autrui : en effet celui qui reçoit la bande devra en retour collaborer quand son tout viendra...

51 On danse par couple autour d'un arbre. Celui qui coupe l'arbre sera le mayordomo de cette activité de l'année à venir, il devra donc l'organiser et la financer.

52 Habitant de Churcampa

Pendant ce temps (ou presque !), à. Lima, dans le local de l'association des gens de Churcampa, la même fête est organisée. La même fête, aux saveurs liméniennes. La fête comme là-bas, faite par les émigrés, c'est-à-dire la fête des émigrés finalement, autrement dit, une autre fête, réinventée par les migrants, d'inspiration de "là-bas". Si l'on refait le caria monte, le churanacuy, le plat typique, etc., le tout est groupé en une journée ou deux. L'organisation n'est pas la même, les enjeux de participation qui lient les gens non plus, les rapports entre la communauté et la fête encore moins... Bref, c'est une autre fête, celle des migrants, où l'on se souvient, de la coutume, où l'on se lie entre personnes du même endroit, ou l'on se rencontre. On peut y inviter des émigrés que l'on connaît d'autres provinces aussi. Si des émigrés de la communauté à Lima se rendent aux fêtes de "là-bas", les gens de "là-bas" ne viennent pas aux fêtes d'ici. Les migrants créent donc leur propre fête, ce n'est plus tant la culture du lieu comme une simple copie, mais on peut parler d'un culture de migrants.

Qui n'y retrouvai-je pas ? La mayordoma, liménienne, de la "vrai" fête de Churcampa. C'est bien sûr une autre mayordoma pour la fête de Lima !

Alors on participe aux deux, ou alors on ne participe plus qu'à celle des migrants... le lieu des origines se transpose...

On entend beaucoup dire que les migrants « reproduisent leurs coutumes » ; certes, mais ils les "réadaptent" et y intègrent quelque chose de nouveau. Associées à d'autres fêtes53, elles jouent un tout autre rôle pour la communauté.

Il est surprenant --quoique, de voir des gens arrivés il y a longtemps à Lima, très jeunes, s'impliquer dans les "traditions" liées à leurs origines. A travers ce lien, on décèle une transmission assez forte à travers ces générations (aujourd'hui, cette transmission semble moins forte). Il y a même des gens (pas tout jeunes) nés à Lima, de parents provinciaux, qui y participent toujours : « nos coutumes sont belles, elles sont importantes. Mes terres me viennent de ma mère, de ses grands parents et de ses ancêtres ! ». On voit aussi les derniers arrivés à la capitale... Viennent-ils retrouver une certaine cohésion, un réseau fiable ? Faut-il de nouveau s'intégrer dans le groupe de gens très anciens de Churcampa, qui n'ont plus grand-chose à voir avec là-bas ? Un réseau à reconstruire... Mais peut-être l'un des plus sûrs, après la famille.

« Ily a beaucoup de gens d'avant qui ne viennent plus, parce que ça a changé de local, ils se sont divisés... Avant c'était mieux, c'était un petit groupe d'une migration plus ancienne, tout le monde se connaissait. Et c'est vrai que maintenant, il y a beaucoup de churcampinos à Lima 1 »

Peut-être qu'à travers ces fêtes liméniennes d'origine provinciale, les rapports se nouent d'une autre façon.

Aussi, les migrants qui se rendent "là-bas" appartiennent encore au réseau de là-bas, ou celui des "retournants", en même temps qu'ils appartiennent à celui des gens de là-bas à Lima. Ce ne sont pas les mêmes. On peut aussi appartenir aux réseaux du lieu de provenance de différentes villes... Une dame de Churcampa a ses filles à Lima et à Huancayo. Elle

53 D'autres fêtes d'autres provinces, mais aussi, les fêtes que l'on crée pour le nouveau quartier fondé. C'est le cas avec la fête de la croix dans la porcherie de la Vizcachera, ou sur un des cerros de Carnpoy où la croix était également en fête au mois de mai, agrémenté d'un mélange de traditions d'ici et de là... Lors de cette fête, un homme me disait : « cela fait 15 ans que les gens habitent ici, ils sont vraiment liméniens maintenant, enfin... leurs enfants surtout. »

appartient donc à Churcampa, son village, au réseau des churcampinos de Huancayo et des churcampinos de Lima !

Certains retournent sur leurs terres juste pour les fêtes, certains y vont très régulièrement pour semer (ce sont souvent les plus anciens, pour qui le lien à la terre semble plus fort, ou sont-ce d'abord ceux qui disposaient de plus de terres qui ont migré ?), d'autres, par exemple, parce que le corps de la mère y repose. Le cas échéant, ils ne reviennent que très rarement.

Une dame lors d'un carnaval de Jauja :

Venue avec sa fille, une dame au style très citadin, disait : « quand j'étais plus jeune et que j 'habitais ici, je n'allais pas au carnaval. C 'est seulement depuis que je suis à Lima que j'y participe. Mes parents ne voulaient pas : ils disaient que j'allais M'enrhumer » La fille semble venir pour la première fois.

Un jeune étudiant de Huancayo proposait son interprétation, ou sa vision des gens qui migrent :

« Quand enfin, ils gagnent bien, qu'ils ont une bonne situation, ils envoient là-bas, des cadeaux, des aides...

« S'ils n'ont pas une bonne situation, ces sont leurs familiers de là-bas qui les aident...

« Quand ça y est, ils sont bien, depuis un moment, ils reviennent pour les carnavals comme des visiteurs, ils sont bien considérés.

Sayad parle de la façon dont les émigrés (« en vacances ») participent aux actes de ferveurs religieuses ou de sociabilité traditionnels par pure ostentation avec une sorte d"hyper correction". Le cas est différent, mais c'est peut-être un peu ce qu'il se passe, parfois, à travers le retour de certains émigrés pour les fêtes...

De la tradition et du folklore dans la migration

La fête et le folklore semblent parfois être l'expression la plus ostentatoire de la région dont on est originaire. Lorsque l'on est parti, on voit d'un côté le fait de ne pas annoncer ni signifier ses origines : on est maintenant d'"ici", pas de "là-bas"... On dissimule certaines pratiques. Mais quand il s'agit d'évènements et de pratiques collectives « costumbrista54 », il semble que l'on ne soit plus la risée des "criollos" et autres "cholos", ils redeviennent fiers, à la fois, pour eux-mêmes, et pour ces "autres" qui valorisent la diversité, la culture, la tradition de leur pays. Les "provincictnos" semblent pouvoir enfin « se lâcher » dans ces traditions réinterprétées, justement. Ils parlent beaucoup de leur folklore et ont l'impression que c'est ce qui fondamentalement intéresse l'anthropologue. Mais ce folklore a un second rôle, social, qui l'éloigne de la connotation qu'il a pour nous... Il n'est pas « que folklore » étant donné l'attachement qu'il suscite. Je l'ai ressenti, et en tant qu'ethnologue, il pensait que j'accordais un intérêt spécial au « folklore » à la « tradition »

On peut aussi se demander si certains programmes de télévision (comme « costumbres55 »)
n'ont pas contribué à ce que les gens se rendent compte que les coutumes étaient importantes

54 « Coutumières » : fiesta costumbrista : fêtes « de coutumes », traditionnelles.

55 Ce programme est dédié à la démonstration de tout le folklore péruvien, fêtes, chants, habits, danses... La danse "folklorique" est d'ailleurs largement pratiquée, et l'on envient à danser des styles d'autres régions, par ce "melting-pot".

et que l'on pouvait en être fier ? Malgré une certaine discrimination, les gens semblent avoir toujours conservé cette fierté à l'égard de cette partie de leur culture. Peut-être ont-elles peut- être joué ce rôle au niveau du public national, en général...

A travers la fête, c'est aussi une certaine forme de prestige qui est mise en scène. Mais ce dernier --ou une certaine recherche de considération, se manifeste également à travers diverses aspirations. L'ascension sociale, les langues pratiquées (être bilingue quechua et espagnol), avoir sa maison à soi, être propriétaire --ou la fierté de posséder une petite terre! Et puis ensuite, aller à Lima ? On dit beaucoup que les gens viennent, au-delà des raisons de labeur et d'étude, rechercher un statut. Lorsque l'on a des enfants qui sont devenus "professionnels", on est très fier et n'hésite pas à s'en vanter...

r

n

Les mayordomos, à Churcampa. Derrière, suit la banda...

3EME PARTIE
DU RAPPORT A LA TERRE 1

LE MANQUE, LA TERRE DEVENUE PAUVRE ? MAL ETRE DE LA PAYSANNERIE ? 3

LA RELATION A LA TERRE. Du SYMBOLIQUE AU SOCIAL. 4

Des termes au sens de la terre 4

La communauté et son territoire 6

Attachement à la terre. La chacra ? Propriété ? 8

Évolution 8

LE DROIT A LA TERRE... 9

Propriété privée vs. Propriété communale 9

La communauté et les terres. 9

L 'évolution 12

Communauté campesina et terres 12

Des liens. Lima /Sierra 13

RETOUR SUR LA MIGRATION A LIMA 14

Que font-ils de leurs terres quand ils s'en vont 2-2 14

Ou sont-ils enterrés 2 15

LES MIGRANTS ET LA TERRE : DE L'INVASION A LA "FORMALISATION" 16

L 'invasion 16

La formalisation à Lima, par l'institution COFOPRI 17

TERRITOIRES ET PROPRIETE 19

De l'importance du territoire commun 19

Le sens de la lutte vers la propriété 20

Du rapport à la terre

« Immigration et émigration sont les deux faces indissociables d'une même réalité, elles ne peuvent s'expliquer l'une sans l'autre". »

Faut-il penser l'origine avant de penser l'arrivée ? Penser l'arrivée puis remonter aux origines ? Cela n'a que peu de sens. C'est un réel va et vient. Il n'est pas un seul lieu de départ qui amène à un point d'arrivée. Le processus est plus complexe. La coupure existe parfois, tacite ou nette. Mais le lien peut rester très fort. La migration est une possibilité, la migration est un fait, elle traverse le temps, et transgresse les espaces. Aussi faut-il la penser en de multiples dimensions...

La question de la terre est centrale dans la migration dans la question migratoire. La terre comme territoire d'appartenance, la terre comme lieu de l'activité paysanne, la terre comme lieu du souvenir, la terre comme propriété, la terre conquise pour l'installation, la lutte pour la propriété... On y établit une forme d'organisation, elle devient le lieu du soi que l'on défend...

Le rapport à la terre évolue. C'est par la migration que la quête pour la propriété semble s' exacerber.

Il est important de comprendre quel lien lie les hommes à la terre, dans un rapport symbolique, social et enfin juridique (tous étant d'ailleurs liés). Aussi, on peut s'interroger sur le sens et le rapport à la terre pour les habitants des Andes, et sous quelles formes il s'exprime à Lima, notamment dans la lutte pour la propriété, et la défense du territoire. Non pas pour peindre une vision romantique des paysans (d'ailleurs tous les migrants ne sont pas des paysans !) qui migrent. Simplement, la conquête et la lutte pour le territoire à Lima sont avérées. Aussi le lien au sol des communautés urbaines est très fort (Cf. la Vizcachera et autres).

On pourra aussi se rendre compte qu'il y a toujours une lutte sous-jacente, lutte pour la reconnaissance de ses terres, lutte parce qu'il faut toujours lutter, rien n'est acquis.

On pourrait aussi tenter d'appréhender l'évolution du rapport à la terre au fil du temps dans les Andes, dans les processus de formalisation et de propriété (dans les Andes), et aussi à travers la migration (rapport avec les terre de "là-bas", rapport à la propriété "ici").

Ce qui semble d'ailleurs éminent dans la migration c'est le rapport à la terre, en tant que lieu des origines, le rapport au nouvel espace conquis, les aspirations à la propriété ; tout cet ensemble qui questionne sur le sens de l'appartenance à travers une terre, un espace, des lieux.

C'est aussi comprendre les rouages qui rendent difficile la condition paysanne (problème d'accès à la terre...)

C'est enfin, trouver un sens à la conquête et redonner vie à une communauté, recréer une identité.

On pourra aussi remarquer, sans systématiser ou "plaquer" des similitudes, le rapport entre des pratiques dans les Andes et leurs nouvelles formes dans la ville.

1Sayad. Ibid.

Ce qui à travers tout cela semble prégnant, c'est la communauté. Le sens de la communauté et les rapports qui la construisent. C'est aussi ce croisement entre diverses communautés d'appartenances, phénomène accru par la migration.

I/

Un regard sur l'accès aux terres et la condition paysanne peut être intéressant pour appréhender la réalité de la communauté et de ses membres ; et pour comprendre le rapport à la propriété qui se joue ici, et là-bas (à Lima), à travers la conquête d'un nouvel espace. La propriété est source de conflits et de changements dans l'ensemble de la vie paysanne et se joue dans la migration.

Soulever la question de la paysannerie permet aussi d'interroger les moteurs de la migration. En effet qu'en est-il de la condition paysanne pour que tant de gens la délaisse ? D'autre part, quels problèmes liés à la terre, à la propriété sont source de mal-être de la condition paysanne ? (Peu de terres ?)

Le rapport à la terre peut aider à réfléchir sur l'attachement qu'elle suscite et la difficulté vécue par ceux qui en ont peu. Le problème de la terre semble avoir traversé les siècles, depuis la colonisation. Contrairement à d'autre pays latino-américains, le Pérou n'est plus un pays de grands latifundia2. La réforme agraire3 a voulu redonner la terre à celui qui la travaille... Mais celle-ci semble avoir été un échec de part et d'autre: les grands propriétaires naturellement se plaignent d'avoir perdu beaucoup de terres ; et pour les autres, elle a été mal redistribuée, de manière peu organisée... (régime collectiviste de la propriété agraire, puis libéralisation dans les années 90...) On peut se demander si une meilleure redistribution et organisation de la terre n'aiderait pas les gens à sortir de l'abîme dans lequel ils se sentent précipités.

2 Les immenses propriétés foncières représentaient jusqu'à 80% des terres labourables. Aussi, la multitude d'exploitation familiale minuscule était menacée en permanence par l'expangion latifundiste, émiettée par le jeu des partages de succession, privées [...] obligeant la majorité de la population agricole à tenter la survie dans les conditions misérables du minifundiura.1.1

« pour résister à la concurrence du secteur capitaliste moderne, le latifundium traditionnel péruvien réagit, entre le MX' et le )O( siècle, en aggravant l'exploitation et l'em)oliation des communautés indiennes, il ne fait que traduire à sa façon les lois du développement inégal. Le vrai responsable de l'expansion latifundiste précapitaliste qui se produit au début du _XX' siècle dans les Andes péruviennes, c'est la pression exercée sur le secteur latifundiste traditionnel par le capitalisme agraire lui-même ». (Jean Piel, Le latifundium traditionnel au Pérou jusqu'en 1914. Marginalisation et résistance, Etudes rurales)

3 1969, sous Velasco. Voir annexe

Le manque, la terre devenue pauvre ? Mal être de la paysannerie ?

«La faim, ce n'est pas seulement ce qu'il faut te mettre dans le ventre, c'est aussi la faim du dos [qu'il faut habiller], des pieds [qu'il faut chausser], du mal de ventre [qu'il faut soigner], du toit, de la tête [éducation des enfant]. 11 ne faut pas que tu aies besoin de quelque chose mais surtout que tu aies besoin d'argent. Or c'est d'argent que tout le monde a besoin, même au village, tout s'achète comme en ville. » Un paysan d'Algérie4.

Un modèle qui s'impose ? Manque ressenti. Pour certains, une évidence : il n'y a plus rien à espérer de la chacra, autrement dit, de la vie paysanne. On vit tout juste dans l'autosubsistance, et on cherche autre chose. On est pauvre, de plus en plus pauvre. L'Etat ne nous aide pas. On ne doit pas rester dans cette situation, mais aller au-delà. Plutôt que de rester dans l'abandon et l'enfermement, ils vont chercher ailleurs... Ils laissent leurs terres car elles n'apportent pas d'espoir de mieux. Pis, on possède de moins en moins ; le prix de la pomme de terre baisse (à 0.03 € le kilo pour les plus bas !), et les années où il y a des sécheresses, qu'a-t-on en substitution ? Rien, ou pas grand-chose. Vicissitudes du monde paysan. C'est à la ville, que se trouvent les opportunités ; d'autres ont réussi. C'est un peu la démarche qui semble sous-jacente à ces départs, la paysannerie étant devenue trop limitée... ?

Comme le souligne Sayad, « croire encore, ne serait-ce qu'un temps, à la condition paysanne, adhérer à la terre, avec toute la vigueur du néophyte, ne peut être qu'une attitude de défi ». En sont-ils arrivés au Pérou à un tel engourdissement de l'esprit paysan ? Je me pose la question, pour ne pas tomber dans le fatalisme, et ne pas me résigner comme beaucoup le font : pourquoi resteraient-ils dans la Sierra Ils ne peuvent plus rien ! C'est ce que l'on entend dire de la part de tous, les paysans arrivés à Lima ou partis comme les autres. Pourquoi ne pas aussi chercher avec eux les solutions à l'accomplissement de leurs aspirations, dans le cadre de leur vie quotidienne, sans pour autant rejeter le choix de la migration qui est aussi un choix de vie, une stratégie pour réinventer ce qui ne fonctionne plus.

Ils savent bien que c'est à la ville qu'ils trouveront des opportunités : il faut un travail, un travail rémunéré parce qu'il procure de l'argent devenu indispensable aujourd'hui. Et pourtant, combien ne diront pas que la difficulté de la ville, de Lima, c'est que "tout est argent"... Ici, non...

« Tu travailles tous les jours sans compter, tous les jours que Dieu a fait, tu rapportes ce qu'il te faut pour vivre et ne vis que de ce que tu rapportes. » paysan d'Algérie...

Je reprends ces paroles d'une culture qui, penserait-on, n'a rien à voir avec les campesinos péruviens... Et pourtant, c'est dans le même ordre d'idée ! Cela se rapporte à cette phrase si souvent répétée... Ça donne juste de quoi manger »

Aussi, la conception du travail semble avoir changé aujourd'hui (mais qu'était-elle avant ?) : le travail des terres n'est pas un travail, aussi pénible soit-il... Trop ingrat ? D'où cette recherche de « travail », parce que c'est ça qui procure de l'argent, et non pas le travail de forcené dans les champs, qui ne mènerait qu'à l'autosubsistance, aujourd'hui (en tout cas condition qui est rejetée désormais). C'est peut être pour cela qu'on considère toujours qu'il n'y a pas de "travail" dans la Sierra (d'ici ou de là-bas). Travail renvoie maintenant au salaire... Alors ils s'en vont pour recueillir ce salaire.

Et pourtant la terre de la sierra, c'est aussi l'abondance. Combien ne se sont pas étendus dans
de longues énumérations pour évoquer les produits d'ici, la sierra, ou de "là-bas", pour ceux

4 A. SAYAD. La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré Seuil. 1999.

qui sont à Lima. Même s'ils donnent une vision négative de la vie agricole et paysanne, les produits qu'offre la terre sont toujours une grande fierté ! C'est toujours ce qu'il y a de si positif quand on parle de "sa terre". (Cf. les histoires de vie, ou les commentaires des autorités, ou des gens en général...)

450 KM

-e>

mouvements migratoires

forêt

piedmont en cours de défrichement culture de la coca

le littoral

dé5ert

cultures irriguées: légumes, coton

les Andes

- montagnes «hauts platem

agticulture vivrière, élevage extensif

l'Amazonie

/ ..-.._

/ ..

;fj,:f.."-+..,,-

Ikt.M.k
·FM. :11:,-.. ,

· ,:if-W.,-7i:i1;:-e.i;T:er,,v

et4:e

:kEEP.

Océan

Pacifique

\
·

Lima 1.9'

· ;
· AnC(.0

y
·

CU2OD

Ica `.
·-" .

La relation à la terre. Du symbolique au social.

« Cette relation est présente où que ce soit, mais cette présence peut-être donnée en creux ou en interrogation, laissant le soin des pleins à l'univers culturel et ses racines. »

En Afrique : « où que ce soit, l'homme, lors même qu'il est nomade, y est la terre. Cette terre est pour toute globalité culturelle, une mère partagée, et ce partage enveloppe des échanges, il se développe en faisant de la terre une terre partagée. » Jaulin

La terre s'offre comme épouse, elle enfante (d'où la "terre mère"), afin qu'un univers humain soit enfanté. Vision symbolique, reposant sur des conceptions dites traditionnelles, elle peut néanmoins être interrogée. L'espace est toujours un espace partagé et conquérir un nouvel oblige à réinventer, recréer. Il s'agit de partager le inonde avec des gens qui nous sont liés ou pas.

Des termes au sens de la terre

I.« De la terre à « mi tierra »

Il existe un grand nombre d'acceptation différente pour le concept de terre, cette polysémie nous révélant les différents sens qu'elle peut avoir, en tant qu'élément.

ri

1 . 4 . r-

1/ Elément solide qui supporte les êtres vivants et leurs ouvrages, et où poussent les végétaux ; 1/ Surface sur laquelle l'homme, les animaux se tiennent et marchent Le sol.

2/ Matière qui forme la couche superficielle de la croûte terrestre. C'est là que l'on enterre. 3/ Elément où poussent les végétaux, étendue de ces éléments.

4/ Etendue limitée, bornée, de surfaces cultivables, considérées comme objet de possession (bien, domaine, héritage, propriété).

5/ vaste étendue de la surface solide du globe (territoire, zone)

II/ le milieu où vit l'humanité ; notre monde.

1/ Ensemble des lieux où l'homme peut aller, considérés à l'échelle humaine. 2/ Le milieu où vit l'humanité 3/ notre monde considéré comme un astre.[...]

Au Pérou, on peut ajouter les sens d'appartenance "en mi tierra" que l'on ne rencontre pas ici... Là-bas « en mi tierra », disent les émigrés. Je vais rendre visite à "mi tierra". Ma terre, ma région, ma communauté, mes origines.

Mais bien d'autres, il est d'autres mots en quechua pour signifier certains concepts de terre. Mais il est des mots en quechua qui ont une signification bien plus large et complexe que la simple terre.

-1-- La pachamama

Au Pérou (mais aussi dans toute la partie andine du continent), on entend parler de la pachamama ou mamapacha (Cf. poème Lida Aguirre), ce qui peut vouloir dire la « terre mère ». Ce concept se rapporte notamment à la fertilité de la terre. Aussi, on lui fait des offrandes, par exemple, on lui donne beaucoup de chicha, de cocci pour qu'elle soit contente, elle peut se mettre en colère ! De la même manière, il faut des offrandes aux Apus (les montagnes ou les divinités, les seigneurs qui vivent dans les montagnes). Il faut être bienveillant avec eux parce que sinon, ils se vengent : ils volent du bétail, font des huaycos6...

n
n

E]

L

L

L

1

Mais le terme quechua "pacha" est à la fois un espace et un temps... "kay pacha" c'est "ce monde" - d'ici (par différence avec le paradis et l'enfer --vision transmise par les missionnaires !) et de maintenant (par différence avec d'autres périodes... comme celle des Gentils' (quand le soleil n'était pas encore là) puis la période des Incas, puis la période des espagnols...

D'autres mots s'utilisent. La terre des champs c'est "allpa" (comme la revue "allpanchis" : notre terre), c'est dans le sens de "la matière". Mais le champ c'est la chacra, c'est l'endroit, l'espace. ?

De la cosmogonie andine...

Nous voici au coeur de l'ethnologie, telle qu'on la vue chez les grands classiques ! On peut lire un ensemble de représentations cosmogoniques qui semblent être plutôt une vision idéale du monde andin qu'une réalité...

Pacha et le temps...

Ainsi que Grillo le suggère: "Dans les Andes, il n'existe pas de distinction catégorielle ou
antinomique entre le "passé" et le "futur" parce que le "présent" les contient tous deux. existe, par

5 La feuille de coca

6 Les haycos sont les glissements de terrains sur la chaussée pendant la période des pluies.

Les Gentils : il y encore leurs os dans des grottes et ça peut donner des maladies, ils vivaient avant que le soleil n'apparaissent, ils se mariaient entre frères et soeurs, ils vivaient dans "le péché" ; et ensuite, le soleil est arrivé alors : ils ont été brûlés mais pas tous car certains se sont réfugiés dans des grottes et ils continuent à provoquer des maladies aujourd'hui avec leurs os, c'est pour cela que les gens ont peur de toucher les os des grottes...

contre, la notion de séquence, la notion d'avant et d'après, mais ceux-ci ne s'opposent pas l'un à l'autre comme le font le passé et le futur dans le paradigme Occidental. Ils se retrouvent ensemble dans le présent, dans le "toujours", toujours re-créé, toujours régénéré".

La cosmogonie Andine est également intimement liée à la nature de l'environnement de l'agriculture, la nature du terrain, des plantes cultivées, des animaux et ainsi de suite.

Il semblerait que le temps soit considéré comme cyclique plutôt que linéaire.

Le temps est intimement relié au flux de la vie: les rythmes et les cycles de la lune_ du soleil. du climat. et les cycles de l'agriculture. Les activités agricoles. tels que les différents "crianzas" (dons, soins à la vie), les rituels et les festivités ne sont pas déterminées par un calendrier mais suivent le rythme des cycles saisonniers. »

Mais parfois les interprétations, transpositions et applications de concepts vont plus loin.... On personnifie la chacra, le champ. On en fait un monde harmonieux, interpénétré...

Et la chacra...

« Chaque chacra, tout comme chaque semence, est unique, avec son propre mode d'être et sa propre personnalité. Cela requiert une grande sensibilité de la part des membres de rayllte afin d'entrer en résonance avec ses besoins. »

« Les concepts de Pacha qui forment le tout vivant s'interpénètrent sur le site de la chacra. Mais la chacra est aussi tout site où la communauté humaine, la communauté naturelle et la communauté surnaturelle conversent et entretiennent des rapports de réciprocités pour régénérer la vie 9 »_

La conclusion du PRATEC : « partout dans les Andes et à Lima, les germes de la non sujétion ont poussé et ont donné leurs fleurs en régénérant tranquillement un monde ancien mais toujours nouveau ».

Cela montre un peu dans quelle perspective se trouvent ces mouvements. Réinventer une
tradition perdue ? Lutter contre l'occidentalisation ou l'univers totalitaire (Cf. Jaulin) qui

« envahi » le monde andin

Visions idéales, romantiques, passéistes se mélangent. C'est aussi toute une littérature indigéniste qui mythifie un peu la culture andine. En outre, les élites --ou intellectuels des villes- qui s'y intéressent semblent avoir cette tendance à réinventer la tradition, redonner une identité andine parfois passéiste, parfois tout droit sortie de l'invention des anthropologues ou autre... Ou des associations de soutien aux communautés andines et à l'agriculture, qui cherchent à "revalorise?' le monde andin...

La communauté et son territoire

Il est important d'évoquer la façon dont on peut « plaquer" » des réalités sur des questions de

« Société et identité » et surtout de « Communautés et ethnicité »12.

s Relation de parenté entre les membres de la communauté

La régénération de la culture andine. La cosmovision traditionnelle du paysan andin tel qu'il se régénère à l'heure actuelle. PRATEC. Interculture. n°126

PRATEC (Proyecto Andino de Tecnologias Campinas). Objectif : donner de la vigueur d la culture et l'agriculture andines. Groupe d'auteurs autochtones des Andes péruviennes (ONG fondée en 1987). Ils cherchent à contrer l'influence du système éducatif officiel qui dévalorise la façon de faire et de vivre du paysan. en récupérant des pratiques et connaissances que les jeunes générations ont abandonnées, [Reirivention de la tradition ? Réaction contre "l'univers totalitaire"qui s'est imposé ? (Cf. Jaulin)

Il Ce terme n'est pas très élégant. mais il correspond bien à cette attitude ellmocentriste de nos jugements et interprétations...

On a tendance aujourd'hui à identifier les gens qui parlent quechua comme des « quechuas ». Il s'agit plutôt d'une confusion entre identité linguistique et identité ethnique13. A l'époque coloniale, le terme « quechua » n'était employé que dans un sens linguistique et ce n'est qu'au début du 19ème siècle qu'il apparaît pour la première fois, sous la plume d'intellectuels créoles (criollos), pour désigner une catégorie ethnique. Rien n'est pourtant plus étranger à l'histoire et à. la réalité sociale andines qu'une telle assimilation.

On est de telle communauté ou de telle région. Le parler quechua du Cuzco distingue dans son vocabulaire deux catégories ethniques : les runa ou « Indiens » et les misti ou « non Indiens ». A la première catégorie appartiennent les personnes qui sont membres d'une communauté ; à la seconde toutes celles qui ne le sont pas, depuis les petits agriculteurs ou petits commerçants d'un bourg de province jusqu'aux touristes étrangers, en passant par les membres de la communauté qui ont émigré et rompu leurs liens avec celle-ci.

Seule l'appartenance à une communauté définit le statut d' « indigène » aux yeux de la société. L'appartenance communautaire est quant à elle fondée sur un sentiment de parenté entre ses membres, comme l'indique le terme qui la désigne en quechua, ayllu, qui désigne un ensemble d'éléments appartenant à une même espèce, ayant une même origine.

Elle possède un territoire réputé avoir été constitué dans les temps très anciens par des êtres mythiques : les Gentils. Les membres actuels de la communauté se considèrent comme leurs héritiers, sinon comme leurs descendants et ne peuvent en principe vendre hors de la communauté aucune parcelle de ce territoire ancestral.

Après la disparition des Gentils, la communauté a été refondée par un Saint ou une Vierge, qui constitue dans le présent une espèce de divinité tutélaire des membres de l'ayllu.

La communauté possède également des terres communes, essentiellement des pâturages, et tous ses membres y ont accès à la mesure de leurs besoins. Enfin, les membres d'une communauté sont liés par des obligations de travail en commun (nettoyage des canaux, construction d'une route ou d'une école) et de réciprocité : on ne peut refuser son aide à un voisin qui vous sollicite pour un travail agricole ou pour construire sa maison. On recevra en échange une prestation de travail équivalente (ayni) ou une compensation en nature (mink' a). »

Notons aussi que les dits indiens des Andes sont désormais appelés "campesinos", c'est-à-dire paysan. Cela renvoie plus à la notion de communauté paysanne que d'ethnicité... Il est vrai que le terme « indio » était connoté négativement...

La communauté semble être le lieu même de l'appartenance et de l'identification. Elle est située en un territoire, la terre des ancêtres. Cette forme d'existence semble se retrouver à travers la migration, mais sur une autre terre, dans un nouveau territoire que l'on construit et défend ensemble. Il serait intéressant de voir quelles relations, en dehors du rapport au sol peuvent encore exister. N'oublions pas que les rapports de réciprocités et de solidarités sont encore très forts...

L'héritage semble être une dimension importante, et souvent les terres restent à l'intérieur de la communauté... mais la tendance à la propriété privée ne va-t-elle pas changé ce principe 'h

12 D'après César Itier, Parlons quechua, L'Harmattan, 199'7p. 26

13 Qui correspond davantage à l'histoire de l'Europe contemporaine qu'au contexte andin

Attachement à la terre. La chacra ? Propriété ?

Je ne sais pas dans quelle mesure ces représentations demeurent (ou meurent) aujourd'hui et comment elles ont évolué (ou réellement existé). Des changements de modèle, pas seulement "cosmogoniques" (peut-être même pas du tout) poussent à la migration (mais peut-être tout simplement la pauvreté, ou la non possession de terres obligent à aller ailleurs...). C'est une dynamique de vie qui permet à la communauté de ne pas dépérir en allant chercher ailleurs, mais ce sont aussi d'autres aspirations qui ne font plus croire en la condition paysanne.

Cependant, on constate un certain attachement, de manière générale, à la terre, sous ses différents vecteurs... Les gens donnent un nom à leur chacra (par exemple "wayra para" "cdturitas del viento" "petite hauteur du vent"... Les gens qui en ont peu (les gens « hurnildes » -humbles, comme ils les dénomment) l'appelle de manière affective : « mi chacrita » (mon petit champ) Tout le monde sait à qui appartiennent les champs dans la province. Même les enfants ! Ils savent aussi de qui ils ont hérité telle ou telle terre, ou si c'est une expropriation ou combien elle a été vendue. Cela montre que la terre doit être importante pour eux. Dans quelle mesure ? Le rapport avec elle et donc avec les autres ? La possession ?...

Les gens gardent précieusement des titres de propriété vraiment anciens (sans valeur officielle, mais qui servent quand même de preuve pour ce processus de formalisation !), mais c'est aussi parce qu'aujourd'hui la lutte pour la terre est tenace et que de nombreuses mutations (vers la propriété, ou problème de délimitation des parcelles ou invasions, etc...)

Il est important d'avoir des terres à soi (pour s'en sortir, mais aussi par rapport à l'attachement que l'on a au sol, aux choses à soi...), de ne pas louer (les terres d'autrui, sa maison). Ceux sont les plus pauvres qui sont dans ce cas là.

Les migrants laissent d'ailleurs parfois leurs terres en location.

Évolution

Est-ce que l'évolution du rapport à la terre fait tendre vers la propriété ? Attachement... car c'est aujourd'hui la seule garantie ? Le seul moyen de la faire vivre encore ?! Les réformes sont-elles celles qui décident ces changements juridiques en dehors des volontés communautaires, influant sur les aspirations des gens ?

Il est vrai que dans la migration, la propriété peut être un avantage pour la revente lorsque l'on part, et ensuite à travers la recherche d'une casa propia et du terrain à soi.

["1

n

Le droit à la terre...

« Les conflits de terres constituent une réalité qui affecte beaucoup de communautés paysannes. Le manque de formalisation de la propriété communale limite la capacité des communautés d'exercer leurs droits pleinement et la possibilité d'accéder à des crédits agraires ; ils génèrent des conflits à l'intérieur de la communauté, entre communautés et avec des entreprises ou des particuliers. Cette situation de conflit a été aggravée à partir de l'entrée en vigueur de la « ley de tierras » (loi des terres), en 95, parce qu'elle octroie les cadres nécessaires pour la libéralisation du marché des terres en faveur des institutions privées'4 »

Propriété privée vs. Propriété communale La communauté et les terres.

Le(s) système(s) est (sont) assez compliqué(s). Je ne pense pas en avoir saisi tous les rouages. C'est en en discutant avec des gens plus "spécialistes" que j'ai pu comprendre quelques éléments. Et surtout leur importance...

.1- CEPES est une ONG péruvienne qui travaille avec les communautés paysannes. Son action a été importante pour résoudre les problèmes de droit à la terre et soutenir les conflits liés aux terres communales, à Huancavelica (province). Souvent il ne s'agit pas de propriété privée, mais de passation par héritage ou de ventes avec des papiers sans aucune valeur officielle.

Il explique les dilemmes des formes d'accès à la terre... (Je reprends ses propos)

En fonction des patrons culturels, de la taille des predios (peu de rentabilité des terres communales) et comme il n'y a pas plus d'un hectare par comunero, il y a davantage de limites à créer la propriété privée. La dispersion entraîne plus de conflits. En effet, lorsque l'on divise, les terres sont plus dispersées et souffrent d'une moins bonne organisation : il vaut mieux les partager.

· Pour les terres individuelles, on pratique la monoculture, ce qui est plus facile. Alors que pour les collectives, il faut décider ensemble de ce que l'on va cultiver, et il faut se mettre d'accord, ce qui n'est pas toujours évident...

· En dépit de la réforme agraire, il y a eu un manque de redistribution des terres. Cela a mal été fait : les gens n'ont pas été "capacités" (formés) pour entreprendre la gestion et l'organisation de cultures

Ils ont travaillé avec des problèmes de conflits de propriétés "intercomuneros" (entre membres de différentes communautés), en raison des limites peu nettes entre les terres communales. Parfois, cela vient de l'époque coloniale et n'a pas été redéfini après. Parfois même, des conflits "intracomuneros" (entre membre d'une communauté), lorsqu'il y a des invasions de parcelles ou des comuneros qui reviennent, et leurs terres sont travaillées par d'autres...

14 W. Abusabal. Conflicto por tierras ne las comunidades del departamento de Huancavelica. CEPES.

Cela peut être, par exemple, à cause d'un tiers. Prenons le cas d'une mine : elle prend possession d'un ensemble de terres pour les exploiter, alors qu'elles appartiennent à d'autres. Parfois, ce sont des entreprises... Ou bien une terre est en jachère et certains en profitent... Il fallait donc essayer de régler le conflit entre les différents protagonistes...

Souvent, les conflits sont latents depuis longtemps, et ne permettent pas d'occuper au mieux les terres. Ils vont même parfois jusqu'à lancer des pierres et autres choses pour se défendre C'est beaucoup plus compliqué ici dans la Sierra que sur la Costa (ce sont d'autres règlements.

L'invasion de parcelle est une pratique constante entre les comuneros. La pression sur le territoire, produit de l'augmentation de la population et du minifundium (comme conséquence de la répartition des terres entre héritiers elles se divisent !), augmente la rareté des terrains cultivables et de pâtures et amène les paysans à envahir des parcelles voisines

C'est aussi une question de distribution des terres, déterminées par le président de la communauté, en fonction de la quantité de bétail que possède chaque famille. Ce sont donc les moins pourvus qui sont les plus affectés par les droits de possession entre famille et communauté15.

Ce n'est que dans les provinces de Churcampa et Acostamba qu'il y a vraiment la propriété privée. Il y a encore la propriété communale, mais elle est en subdivision : on octroie la possession temporelle, elle devient "tenencia" (détention) par habitude, par coutume ; ils se la transmettent et ça devient comme quelque chose de permanent.

En effet, dans le cas de la province de Churcampa : ils se sont répartis les terres qui étaient d'anciennes haciendas. (Elles n'ont pas été communales dans le passé), c'est pour cela que l'on ne trouve plus de propriétés "privées".

Mais on constate toujours une nostalgie ("ahoranza") des formes anciennes, collectives... On voyait la rentabilité de ce qui se fait en association ; ils rationalisaient et cultivaient de manière rotative.

Depuis les années 50, on constaterait un manque de rentabilité de la terre. En outre, le coût de la production augmente et l'accès au marché est difficile. Aussi, comme la majorité des paysans ont de toutes petites propriétés, ils ne peuvent pas s'en sortir. Seuls les moyens et grands propriétaires ont un appui « technologique » et un accès au marché.

« C 'est aussi pour cette raison que les paysans n'espèrent plus rien de la 'te/tuera" » Abandon de la condition paysanne, devenue trop limitée dans l'esprit des gens ?

D'importants changements peuvent être engendrés par la fermeture d'une mine, la zone n'est plus agricole, les gens vont donc à la ville. La construction d'une route, par son ouverture matérielle sur le monde, entraîne un bouleversement culturel.

Travail actuel du CEPES. Ce sont les leaders des communautés qu'ils cherchent à fortifier. Les maires ont montré leur intérêt pour s'associer.

Mais les gens ne s'approprient pas ce nouveau système décentralisé, la corruption du système ayant toujours nui à la démocratie et à la participation politique.

15 Ibid.

1- Explications de « Jala Uma », l'avocat de Churcampa

Je ne connais que son surnom, qui lui a été donné en raison de son crâne un peu chauve...

Il tente d'expliquer les problèmes liés à la propriété aujourd'hui, qu'il doit régulièrement tenter de régler... Comme précédemment, ce sont ses propos que je reprends, avec quelques commentaires en allant...

« C'est comme le droit romain, [c'est copié du droit romain], les règles et les normes changent, mais les institutions sont semblables. Seulement pour le communal, les héritages de la famille restent, l'appartenance communale intervient auparavant.

Sur les terres privées, certains peuvent demander prescription pour être propriétaire d'une terre, parce qu'ils l'occupent :

Soit depuis 5 ans, s'il est de bonne foi (a déjà payé un pourcentage de terrain, pas le

reste, mais s'est installé)

-

r

Soit depuis 10 ans, s'il est de mauvaise foi (il s'est installé alors qu'il n'a rien payé,

mais ses dix années d'occupation sans réclamation du possesseur d'avant lui donnent droit à cette prescription !)

Dans ces cas là, l'autre (le proprio d'avant) ne peut rien dire et perd ses droits sur la terre. Cela donne lieu à certains conflits...

Assez subjectif comme critère ! La bonne foi, la mauvaise foi... Confiance ?

Sur les terres communales, la distribution se fait de manière égale. Souvent on y appartient parce que cela se fait déjà depuis plusieurs générations, de manière familiale ; ou lorsque l'on a peu de ressources : la communauté octroie une parcelle. Mais si l'on manque à ses obligations, on est « jeté » et on redistribue la terre

« C'est le système qui vient des Incas »

« Le droit andin, il n'y en a presque plus : ils peuvent acheter des terres privées ! Mais celui qui dirige (les terres communales), ne peut pas vendre quelques parcelles : elles sont inaliénables ! »

Pendant le terrorisme, certains ont vendu leurs terres pour pouvoir s'en aller, et cela a changé beaucoup les choses, parce que de ce fait, elles n'étaient plus transmises. « Hacian remotes para que se vendan pe I ». (« Ils les bradaient pour qu'elles se vendent quoi ! »)

Quand les gens meurent, les terres sont transmises aux enfants, mais, quand il n'y a pas de bénéficiaire, pas d'héritier, c'est la beneficiancia : elles appartiennent à l'institut de l'Etat. Celui-ci va soit l'exploiter, soit la redonner à des gens qui en ont besoin.

Notons qu'il parle du cas de Churcampa, qui est un peu différent dans le reste du département, chaque province ayant une histoire particulière pour ses terres. Elles ont fait leur propre choix en fonction...

« Quand il y a deux "papiers" pour une possession, c'est le plus ancien qui vaut bien sûr ! »

« A Churcampa, le problème, c'est que, en 1926, des terres privées ont été mises sous terres communales ; elles ont continué à l'être dans la pratique, mais pas sur le papier.

Ça, ils ont dû le résoudre pour COFOPRI

« Ils viennent pour la titularisation de la terre... Pour que les gens puissent demander des crédits ...Ils demandent des papiers, des documents pour faire les registres. Et quand il n'y en a pas : ce sont les témoignages des voisins, de la inunicipalite qui peuvent dire qui la délient; où qui est en train de ».

COFOPRI"', dont nous avons déjà parlé, est venu dans quelques villes de provinces pour régulariser, et, en parallèle avec le programme PETTI7, plus propre aux terres rurales.]

« Et à Lima, c'est très différent : ce ,furent des invasions depuis longtemps sur terres de l'état ou celles des cultivateurs alentours. Ils ont dû créer des lois pour faire jurisprudence (« formaliser »), parce que c 'était une situation qui n'existait pas. C'est différent, parce que c'est une situation violente, de violence ».

Voilà la vision de ce qui se fait à Lima, par un avocat des Andes

L'évolution

--> Un processus d'accès à la propriété privée et de formalisation de la possession est en place... Il faut enregistrer (« registrar ») les terres communales et privées. Des tensions existent entre les avantages qu'apporte la propriété privée, et la protection (et l'organisation) que permet la propriété communale... Dans ce cas, les terres sont transmises et si une famille a beaucoup d'enfants, la communauté peut leur en concéder davantage, en fonction... C'est aussi un programme de la banque mondiale pour que les terres puissent être "marchandables", être sur la Marché... C'est d'ailleurs celle-ci qui a financé COFOPRI dans ses premières années. Est-ce une véritable résolution au problème de la terre au Pérou 'il

Pour les émigrés, la propriété privée peut être d'une certaine façon bénéfique, puisqu'ils peuvent désormais "vendre" à proprement parler leurs terres qu'ils ne désirent plus cultiver... Beaucoup affirment avoir déjà vendu leurs parcelles, mais dans quel mesure, puisque celle-ci n'avaient pas été formalisée ? Quelle régularisation ? Souvent, des certificats de vente, plutôt officieux. Souvent, c'est ainsi que les actes fonctionnaient, la valeur de l'écrit (la fonnalitél8 n'avaient que peu d'importance, puisque tel n'était pas le fonctionnement). Néanmoins, les gens peuvent ressortir de vieux actes de leurs greniers...

Communauté campesina et terres

D'après le groupe allpa'9, la communauté, en ayant une reconnaissance juridique, assure la défense de son territoire ainsi que toute son organisation interne, l'accès aux ressources naturelles et son propre développement en investissant pour l'accès aux services (ces fameux services que les gens semblent chercher en allant ailleurs)

Pendant longtemps, la fausse image d'une communauté comme un organisme collectiviste a
été diffusée, alors que la dynamique culturelle avantage l'individuel et le collectif. Et c'est de

16 Commission de formalisation de la propriété informelle voir COFOPRI LIMA

17 Proyecto Especial Titulacién de Tierras y Catastro Rural (PETT), du ministère de l'agriculture. "

18 Je parle de "formalité" par opposition à "informalité". C'est le terme employé en espagnol

19

Le groupe allpa aide les communauté à lutter pour la reconnaissance de leurs terres, à Hnancavelica et ailleurs, et pour former les dirigeants communaux et les membres en terme de législation sur les terres et les communautés,. Elle est aussi un centre de réflexion avec la population sur la propriété et l'autonomie des communautés paysannes, si importantes au Pérou.

cette interrelation que surgit une structure qui vise à renforcer la capacité productive de chaque famille, en recueillant l'apport de chacune, tout en respectant les décisions de chaque unité productive. C'est en rompant cet équilibre que l'organisation communale deviendrait invivable... Aussi elle défend la communauté qui est une nécessité pour la population paysanne, qui individuellement aurait des difficultés pour affronter les limitations du monde andin et la marginalisation de la société globale. Il faut qu'elle avance et se projette dans l'espace local, tout en consolidant les compromis et responsabilités avec les institutions autres.

Aussi, l'accès individuel à la terre s'imbrique dans le collectif

C'est un appui qui semble contrecarrer les limites de la condition paysanne d'aujourd'hui, conditions que les habitants délaissent de plus en plus !

Des liens. Lima / Sierra

Les conflits dans et entre les communautés sont aussi très importants, ainsi qu'avec d'autres organisations (entreprise minière par exemple)...

On constate également que les invasions sont des pratiques qui existent dans la Sierra et que les comuneros s'en défendent amplement, ce qui naturellement crée davantage de conflits. L'invasion provient aussi d'un problème de délimitation des frontières.

Peut-on mettre en parallèles ce phénomène d'invasion de parcelles avec l'invasion de terrain à Lima par les migrants en vue d'y habiter, réponse à la pénurie d'habitations dans la ville (ou à l'inhibition de la ville devant tous ces migrants)? Il me semble qu'on peut également lier cela à un désir de fondation.

Force est de constater que des changements importants sont en cours, vers la "formalisation" et la "privatisation". Néanmoins, les terres communales semblent chercher à s'équilibrer dans ce mouvement, tout en restant ce qu'elles sont. Une loi peut être lourde de conséquences, c'est le cas de celle de 95 dont on a vu les conséquences dans la Sierra comme à Lima (-dans les terres rurales de Lima), à travers le litige de la Vizcachera.

Peut-on faire un parallèle avec les conflits inhérents à la Vizcachera ? Ou avec le rapport à la terre des habitants ?

III

Retour sur la migration à Lima

Ces conflits liés à la propriété communale (dans les Andes) se retrouvent aussi dans quelques situations de discordes liées aux terres de Lima.

A la Vizcachera, le système des terres communales dit « inaliénables » (rurales mais côtières, ce qui est différent) a engendré un conflit aux mesures disproportionnées. Les autres quartiers qui rencontrent cette même rivalité sur le statut d'occupation des sols, sont confrontés à une situation analogue

Il serait également intéressant de mettre en lien le rapport à la terre des paysans avec cette conquête de la propriété que l'on constate dans la migration.

Les migrants attachent donc une réelle importance au statut d'occupation du sol, en d'autres termes à la propriété. Cela se joue à un double niveau. Individuel, avoir son terrain et sa maison à soi revêt un caractère fondamental chez eux. Communal : lutter ensemble pour la reconnaissance de la propriété privée, et appartenir à un territoire donné dont les règles et les rapports semblent d'ordre communautaire.

A Lima, conquérir la propriété, c'est obtenir un statut, une reconnaissance sociale dans les dissensions urbaines et une assise dans une situation économique difficile. Lutter sur un territoire commun, c'est aussi consolider sa nouvelle identité et son appartenance à un groupe.

Il n'est pas vain de se demander si l'accès à la terre dans la Sierra influe sur leurs conditions et donc sur la migration. En effet, les conditions de vie sont plus difficiles pour quelqu'un qui ne jouit pas de terres et elles amènent plus volontiers à rechercher d'autres possibilités, par la migration. Mais cela n'est peut-être ni le seul ni le premier facteur de migration, et l'on a vu et voit encore des paysans laisser leurs terres aux bons soins des autres, ou les revendre.

Que font-ils de leurs terres quand ils s'en vont ? ?

« Ils vendent oui, mais plus couramment ils les gardent. Le problème, c'est toujours que si quelqu'un vient sur la terre d'un autre et que ce dernier est absent il peut la lui usurper !! » D'après Jala Uma (voir § « le droit à la terre »)

« Mon père a gardé ses terres, mais il ne va plus les cultiver, connue avant. Mais il l'a 1011.1011r là-bas. Il les CI laissées entre les mains de ses frères là-bas... le problème là-bas, c'est que quand tu n'es pas là, ils prennent ton terrain... Et ici, il est avec les chanchos...làbas aussi, il a du bétail, mais différent...ce sont des vaches, des moutons... » Une jeune femme de la Vizcachera.

En revanche, certaines terres semblent jouir d'un certain respect des gens me disaient que les terres de telles personnes, on les respectait. On sait très bien que ce lopin de terre appartient à "Untel", et on n'y touche pas

Nombreux sont ceux qui les louent à des gens qui n'en ont pas ou peu.

Soit, d'autres les exploitent et ils partagent les récoltes ; c'est néanmoins souvent à un neveu, un oncle, un parent qu'ils confient les terres... Certains reviennent régulièrement pour semer et récolter, mais cela est plus rare.

Soit, ils les vendent, mais c'est un peu plus compliqué dans la mesure où une partie des terres est communale et une autre individuelle ; souvent elles ne sont ni formalisées ni registrées. Certaines régions, où elles ont été individualisées, favorisent peut-être ce choix.

Ou sont-ils enterrés ?

Les personnes plus âgées, dont le lien à la communauté et son territoire est plus fort, émettent le souhait d'être enterrées dans « leurs terres ». Ainsi, implicitement, elles retransmettent leur lien à la terre d'origine à leurs enfants. Désireux de visiter leurs proches, nombreux sont ceux qui « fréquentent » les cimetières à Lima, et, s'ils le peuvent, occasionnellement dans la Sierra.

Le nombre de cimetières, des plus informels (flanqués dans les collines auprès des maisons) aux plus luxuriants, est à l'image des "invasions" et arrivées fulgurantes des Andins à Lima. Visitées régulièrement, beaucoup de tombes d'immigrés donnent une image des pratiques liées à la mort par les objets significatifs qui y sont déposés.

de tombes... qu'un mur sépare

A la Vizcachera, le cimetière se trouve à plus de 30 minutes de marche dans les collines environnantes. On le nomme : « le cimetière des pauvres », probablement parce qu'il se trouve à la limite de cet opulent parc parsemé pour rappeler que ce sont deux mondes qui s'excluent... ?

AiFY C'est vers la gauche qu'il faut

se diriger pour accéder au cimetière, entre les collines, sur un site archéologique funeste. Ces arbres séparent les collines arides de la vallée fertile, avec le cimetière luxuriant de

1 Campo Fé. (Cf. introduction

Vizcachera)


·rib:Pg. à
·

.7_

-; I"

4 1-ty:

Certaines croix comme ci-dessus, portent des symboles andins, comme le soleil et la lune (et 1 ' échelle)

te

Les migrants et la terre de l'invasion à la "formalisation"

L'invasion

Il est question d'invasion dans la partie sur la Vizcachera. C'est ce mode presque usuel et banal d'occupation d'un terrain par un groupe de personnes, de familles plus précisément qui décident d'en prendre possession afin d'y élire domicile.

Généralement, c'est au cours de la nuit que les protagonistes viennent avec leurs esteras pour y construire leur maison, qui verra jour dès le lendemain, telle une "cabane"... Ce sont souvent les migrants (ou des enfants de migrants) "en attente de terrain" qui viennent envahir, et donc s'approprier le lieu. Ils conquièrent des lieux "vierges", sur les collines vertigineuses de Lima, encore inoccupées, de plus en plus ingrates (étant donné la rareté croissante des terrains).

Si ce n'est pas la façon dont a été occupée la Vizcachera, c'est ainsi que se sont constitués de nombreux quartiers de Lima. La Vizcachera est d'ailleurs sujette à ce mode d'invasion contre laquelle elle lutte.

Dans le journal, on peut régulièrement lire qu'il y a eu une nouvelle invasion à tel endroit. Parfois, c'est en couverture, parce qu'il y a eu des conflits, des « guerres » entre « irwasores » ou avec les voisins ou encore les éventuels propriétaires... Il y a peu, on a pu assister à une invasion organisée par les autorités : il fallait reloger toute une population qui

20 ,'Envahisseurs"

Ii

[

L

H

faisait exploser le district de Villa el Salvador, et quelques familles d'autres quartiers... Cette invasion a eu lieu sur les dunes de Ventanilla (district de Lima): c'est la naissance de Pachacutec... Parfois, ceux sont les municipalités qui les déclenchent pour augmenter leur électorat...

Historique de l'invasion dans la migration Ce phénomène a commencé dans les années 40, où l'on voit apparaître un système d'urbanisation informel basé sur l'appropriation illégale des terrains de l'Etat, municipalités ou privés, ou aux abords de terres agricoles21, par des pobladores en carence de logement, alors convertis en « invasores ». Il s'est intensifié avec l'augmentation incontrôlée d'immigrants venant de province, en quête de meilleures conditions de vie à la ville. José Matos Mar22 fut un des premiers à en parler et à souligner qu'il se présente de manière spontanée et organisée dans la périphérie urbaine. Selon Christophe Martin23' c'est "un terrain à faire". « L'invasion est comme une victoire sur la vie et la nature qui en est la clé. Pour que cela devienne un « chez soi ». Mais, ils vivent toujours dans le danger du « desalojamiento » (délogement). La fondation est un moment sublimé ».

L'invasion a pris d'autres dimensions aujourd'hui. Elle n'est plus seulement le moyen sine qua non pour obtenir une terre à habiter, puisqu'elle est devenue l'apanage des "trafiquants"de terrains, spéculations aidant... On dit souvent que des familles viennent envahir pour laisser les terres à d'autres membres de leur famille, ou qu'ils envahissent ci et là, dans un but lucratif et recommencent ailleurs (une invasion).

Un vocabulaire presque "guerrier" se retrouve dans cette migration : "conquête", "lutte", "invasion", "défense". Cela nous montre peut-être la représentation que se font les gens de la migration. Migrants ou citadins, tous parleront d'invasion, des combats qui lui sont liés. La lutte est une dimension que les migrants semblent s'approprier. La conquête, c'est ce que l'on peut constater dans cette façon de venir "habiter" la ville.

L'invasion peut nous paraître insolite et inconcevable en tant que mode d'accès à la terre. C'est pourtant si banal à Lima ! Si cette pratique existe dans les terres andines, c'est plutôt en tant que "débordement" sur d'autres parcelles, lorsqu'on les considère trop exiguës ou mal délimitées, ce qui est foncièrement différent. Mais ceux sont quand même les immigrés à Lima qui ont développé cette possibilité d'accès au sol, lorsque la ville n'était pas prête à leur octroyer un logement (aujourd'hui encore)

La formalisation à Lima, par l'institution COFOPRI

Si la formalisation de la propriété est en cours dans les Andes, elle l'est aussi depuis quelques années à Lima pour régulariser toutes ces terres...

Voilà ce que commente un juriste, Marta, qui travaille dans le programme COFOPRI, à Lima.

« Dans le Sierra, souvent, il s'agit d'une propriété de fait. S'ils ont des titres, c'est de leurs ancêtres. Ils ne sont pas "registrés".

Les migrants s'approprient, ils prennent le pouvoir, ils prennent possession d'un terrain. De fait, ils vendaient sans documents, par possession, parce qu'ils occupaient. .11y a pourtant des

21 Lima était une petite ville, et autour, les terres cultivées de l'oasis de Lima, qui ont peu a peu été envahies.

22 José Matos Mar. Desborde popular y crisis del estado. El nuevo rostro del Peru en la decada de 1980

23 Christophe MARTIN. Ethnologie d'un bidonville de Lima, le petit peuple de Tupac Amaru.

façons de régulariser ! (Celles de l'état, par adjudication ; les privées, par prescription acquisitive)

Les invasions :

« Les gens sont habitués, quand ils voient des terrains libres, à les occuper et parfois comme ça ils en ont plusieurs et ils le donnent à. leurs enfants, par exemple... Ils abusaient et ils vendaient C'est parce que les gens sont habitués "à ce qu'on leur donne"! Cela peut arriver que des voisins jettent quelqu'un pour pouvoir avoir accès à ses droits.

Notre but : empêcher les invasions !

« Parfois il faut reloger les gens, parce qu'il y a des cas où l'on ne peut pas formaliser la propriété, mais souvent, les gens ne veulent pas. (Diagnostic de zone minière, archéologique ou d'irrigation)

« L'Etat avait donné des terres aux gens pour quelque chose de bien spécifique, bien déterminé : semer ou avoir du bétail. En fait, ils ne le firent pas mais à la place, vendirent ces terres ! Maintenant, l'état doit récupérer ses terrains !

« Pour les propriétés de l'Etat (PE) : il faut formaliser la propriété collective, Mais on ne peut pas formaliser les maisons individuelles.

« Voilà : notre action c'est de formaliser en masse, par groupes humains et puis par personnes individuelles ».

« L'idée, c'est de formaliser un lot, et c'est fait, mais les maisons aussi en registres publics pour qu'ils puissent hypothéquer, subdiviser, etc. Pour se faire, il faut réussir l'inscription aux registres publics. Les municipalités donnaient des titres sans le faire : à quoi bon ? Sans ces registres, ils vendaient à 3 ou 4 personnes et au final, il y avait plusieurs propriétaires ! »

Pendant ce temps, les gens luttent de leur côté pour pouvoir obtenir les titres de propriété essentiels à la pérennisation de leur logement. En outre, beaucoup d'institutions (de l'état) ne peuvent pas intervenir dans l'installation d'infrastructure (installation de l'eau, de l'électricité), tant que l'occupation des sols n'est pas "formalisée". On voit des quartiers se développer beaucoup plus vite que d'autres. Une des principales raisons réside dans la résolution des conflits et des jugements. Bien souvent les gens se sont installés sur des terres à leurs yeux "inoccupées", donc n'étant la possession de personne, qui sont ensuite revendiquées par un ou plusieurs propriétaires (l'un se présentant pour réclamer ses droits puis subséquemment un autre, revendiquant une propriété plus ancienne donc plus certaines... )!

Dans un district de Lima, par exemple, les dirigeants de tous les petits quartiers ont fondé une association pour aider les quartiers et les habitants dans la lutte pour la propriété. C'est le "Fridepz" : front indépendant de lutte pour la propriété de Zapallal, que j'ai connu par Leoncio.

n

Li

LI

Territoires et propriété

hi rcatitépiii,..J{:,rc., b),..uicinent rciiir d .421h'., pelisc'v

De l'importance du territoire commun

L'exemple de la Vizcachera illustre très bien le sens du territoire d'un groupe, appelé communauté (dans le cas de la Vizcachera) ou pueblo25 (pour les quartiers de Lima), qui par la participation de tous, a permis de construire un lieu de vie sur un espace inhabité (qu'on pourrait juger inhabitable). Dès lors, la cohésion du groupe semble revêtir une importance fondamentale. Défendre son territoire --dans la Sierra comme à Lima, est une dimension importante, et la lutte est évidente. L'espace commun semble enraciner l'appartenance, constructrice de l'identité.

Au-delà, il semble indispensable d'"habiter" --au sens strict de terme- le terrain que l'on a obtenu. Non seulement on est prêt à le défendre coûte que coûte contre la menace des "envahisseurs", mais aussi, il faut mériter son terrain, il faut le nécessiter. Dans certains quartiers, il est arrivé que des maisons soient "virées", ou des terrains récupérés parce que le pueblo (du quartier) estime que la personne n'est pas présente (ou autres raisons). Le concerné, en revenant, ne trouvera plus sa demeure... Le terrain sera alors redistribué à quelqu'un d'autre par l'assemblée directive du lieu. On assiste alors à des situations assez violentes dans le rapport à l'espace, mais cela a probablement son sens dans la manière de le concevoir. Le terrain ne doit pas être un lieu de spéculation et la présence sur celui-ci, et donc au sein du groupe, est primordiale. Attachement à la terre ?

Protection du soi, mais aussi repli sur soi...

Des "murailles" protègent beaucoup de quartiers. Les maisons "en dur" sont à Lima entièrement barricadées par des barreaux, et les rues commencent à être « fermées » : des grilles dans le pâté de maison filtrent les entrées indues. Cela reste à peu près "normal", et la tendance s'élargit aux quartiers récemment urbanisés (comme Zarate par exemple) dans les

nouveaux districts. Mais l'"enfermement"

Mil. ne I peut aller très loin, et c'est cela qui selon

moi, devient dangereux. Le cas le plus

le scandaleux (en première page du journal à

plusieurs reprises) ffit celle d'une maille

. OBmétallique au dessus d'une grille de 200 rn

de long qui sépare La Molina (district très


· -.,, 1 niri 1

'
·:,Iiiii.,.' résidentiel, si ce n'est "le plus" résidentiel)

..... . '

i

Mil 1.
· '

Il ly lie de Ate (district appartenant à. cette

séparation en "cône" de la périphérie de

. ' , 1 Lima), district populaire. Ces barrières spatiales ne sont souvent que trop sociales. ..

MAU...
· .tA
Uttc.

- - - - - - - -

.sta

.1441t-As;.:44,5 .

Titre photo : maille de la discorde. Source :El comercio, 11 mai 2005

24

Étude anthropo-juridique. Ibid.

25 Le pueblo est à la fois le lieu (village, quartier...) et le groupe (le "peuple")

Cela rappelle le mur qui sépare la Vizcachera de la vallée fertile de Huarochiri... (Cf photo dans l'introduction à la Vizcachera)

Ces thèmes (violence de l'espace --retrait du terrain ou barrières) serait intéressant à approfondir, mais malheureusement, je ne dispose que de quelques anecdotes et témoignages, qui ne permettent pas d'appréhender réellement le sens d'un tel phénomène.

Le sens de la lutte vers la propriété

Comme on a pu le voir à la Vizcachera, les terres n'échappent pas aux appétences spéculatives... On entend aussi beaucoup parler de trafics de terrains, et les habitants mêmes (outre les entreprises) entrent dans le jeu. Participer (ou organiser) à. une invasion, c'est aussi prendre possession du lieu, l'aménager26 (avec les autres familles) pour pouvoir le "revendre" Il y a toujours beaucoup de gens "en attente" (donc en location) de terrain, espérant un jour pouvoir "acheter" leur terrain et construire leur "chez eux". Comme partout, la valeur peut vite augmenter...

La propriété peut donc être aussi considérée comme un moyen sûr qui garantit la possession, toujours sujette à des invasions, des expulsions, des relogements, des limites au développement, etc.... L'obtention du "titre" semble être la victoire...

Est-ce aussi le moyen pour le migrant ?

Cela a-t-il un lien avec l'importance dans la Sierra d'avoir sa propre terre, pour les paysans et habitants de la Sierra ? Finie la culture --agricole (encore que, beaucoup prennent soin à faire pousser des plantes devant chez eux, malgré la carence en eau...un peu de verdure, au milieu du désert !), mais les animaux se promènent un peu partout autour des maisons! L'élevage reste une activité largement pratiquée, mais adaptée...une façon, plus citadine... ?!

Peut-on penser qu'il s'agit aussi d'une victoire (on parle de lutte, non ?) sur le sol, pour ceux qui n'avaient jamais eu ("là-bas") de terres, et qui vivaient difficilement en louant celle des autres... ou tout simplement une victoire sur la ville ?

Du point de vue des habitants, le poids du collectif protège par la propriété communale, mais le statut individuel ouvre sur de nouvelles possibilités, celle du monde d'aujourd'hui (garantie, hypothèque, revente...).

C'est aussi peut-être aussi un nouveau modèle --encore une fois! -- qui s'instaure et devient nécessaire, parce que le inonde extérieur (dans le sens « extérieur au groupe ») suit cette direction. Mais quelles conséquences cela aura-t-il ?

26 L'aménager revient souvent à aplanir k lot (souvent en pente) afin de le rendre constructible

SAYAD, à travers l'exemple algérien, remarque que la migration était "devenue une entreprise individuelle dépouillée de son objectif initialement collectif'. On pourrait également s'interroger sur la double dimension, collective et individuelle, de la migration à Lima, et quelles en sont ses tendances actuelles. Si la migration permettait, comme le souligne Lida Aguirre, à la communauté de retrouver vie, qu'en est-il aujourd'hui ?

Les liens de la migration d'une partie de la communauté changent-ils de caractère ? Le parcours individuel à travers la "casa propia" (et la propriété) et la réussite sociale s'inscrivent dans la lutte au sein du quartier, de la communauté.

L'accès à la propriété --comme symbole d'un « chez soi », d'une réussite sociale semble donner un sens à l'existence dans le nouveau contexte, tout en s'intégrant dans une dynamique communautaire.

En quittant la leur, ils ont besoin de reconquérir une terre pour démarrer une nouvelle existence.

L

La propriété est aussi la condition pour avancer et espérer obtenir plus d'aide pour se développer. Ces formes d'occupations de l'espace et du sol semblent s'inspirer du rapport à la terre important dans les Andes et des préoccupations d'aujourd'hui.

C'est le problème rencontré par les déplacés du terrorisme qui ont perdu leurs terres et trop souvent, n'en ont pas retrouvées d'autres (cas du district près de Pampas, Tayacaja)

Conclusions

L'émigration, pour ne pas être une pure « absence », appelle une manière d'« ubiquité » impossible [...] continuer à « être présent en dépit de l'absence ». Corrélativement, à ne pas être totalement présent là où l'on est.

Ce dilemme incite-t-il la présence « physique » en un lieu à. devenir aussi « morale » et l'absence physique à devenir « morale », c'est-à-dire une absence consommée, une rupture accomplie avec la communauté'.

Ce schéma est-il celui que les migrations au Pérou aujourd'hui représentent ? Les exemples précités nous ont permis de constater qu'il faut parfois rompre tout lien pour pouvoir vivre ici, dans le présent. Mais aussi le maintenir de façon constante par les réseaux familiaux, parfois entretenue par des retours fréquents ou occasionnels, des envois...

Qu'ils gardent ou non des liens forts ou distants, ostensibles ou tacites, les émigrés ou immigrés ne sont pas de fades reproductions de ce qu'ils étaient. Ils développent de véritables stratégies d'adaptation, reprenant à leur compte certaines des valeurs de la cité. S'organisant dans un nouveau groupe, elles s'imbriquent avec leurs propres manières de faire au sein des nouveaux codes et règles qu'ils ont, depuis quelques générations, développés à la ville.

Les transferts de droits émanant du contact de plusieurs cultures revêtent les caractères de l'acculturation juridique, en exigeant la transformation, sinon l'abandon des valeurs sur lesquelles reposent leurs systèmes juridiques2- On peut ici constater une véritable dynamique au sein de cette migration, loin des contextes d'acculturation forcée de la colonisation. Quant au droit foncier, il semble allier les systèmes traditionnels et les enjeux de la modernité vers un même dessein : la propriété et sa formalisation. Ces changements semblent être désirés, s'insérant dans le sens nouveau que lui donne la migration, mais aussi dans les possibilités d'aujourd'hui. Avoir des « titres » de propriété permet aussi d'accéder aux prérogatives du monde d'aujourd'hui. Le système des relations familiales reste le moins atteint par ces mouvances : la place des réseaux et de la parole reste première dans les codes de la ville.

La question de l'ethnocide mérite d'être soulevée dans ce processus migratoire. S'agit-il d'un modèle qui est venu s'imposer comme meilleur, appelant les communautés vers « l'ailleurs », un monde moderne offrant d'autres attraits et dévalorisant le monde dans lequel on vit ?

La "modernité" était un attrait exogène à imiter ? Est-ce une simple ouverture aux choses venues d'ailleurs, en les absorbant et les traduisant en ses propres termes ; ou ces influences se sont-elles imposées, à en devenir irréversibles ? C'est en combinant le collectif et l'individuel, ainsi que le "traditionnel" et le "moderne" qu'ils ont réussi à se développer... Cette articulation est très créative, par la réinterprétation et la réutilisation des liens, dans l'invention d'un nouvel univers de vie.

En outre, cette migration a peut-être aidé à raccourcir les distances (géographiques comme sociales .) et à reconsidérer les préjugés de la société...

N'est-ce pas aussi une culture de la vie, qui refuse cet abandon et qui tend à s'ouvrir à un monde qui ne s'ouvre pas à elle ? Une façon de ne pas subir mais réagir.

I D'après Sayad, la double absence.

2 Norbert Rouland. « L'acculturation juridique ». Anthropologie juridique. PUF

L'abandon du quechua que j'ai évoqué, est-il un réel choix, une évolution dans cette rencontre culturelle où il faut s'adapter pour ne pas être marginalisé ? Difficile d'en juger, la perte d'une langue nous paraît toujours déplorable, à bon escient, me semble-t-il. Néanmoins, si les migrants ont dû dissimuler et abandonner certaines habitudes qui ne les favorisaient pas, le folklore (les fêtes, les évènements chroniques, la danse, la nourriture...) leur permet de maintenir et revaloriser la « tradition3 ». La langue ne suivrait-elle pas aussi ce mouvement, parler quechua serait-il aujourd'hui « un plus » ? Mais pour qui : les intellectuels ou les migrants `h

J'ai choisi de mettre la question de la terre au creuset de la migration et des enjeux d'aujourd'hui. Non pas par élan d'exotisme, mais l'importance du rapport au sol s'est révélée prégnante à Lima : les combats des gens et les problématiques d'aujourd'hui dans le monde rural comme urbain en sont significatifs. Le rapport à la terre est aussi fondamental dans la question migratoire, en tant que lien, conquête... Il serait pertinent d'approfondir la réflexion. La question agraire est la clé de voûte des problèmes paysans ; et est au coeur l'histoire du Pérou, de ses terres et des législations. 11 faudrait analyser de plus près l'impact de la réforme agraire (qui redistribua la terre à ceux qui la cultivent et l'élimina du marché, promouvant des entreprises associatives avec propriété collective plutôt que des entreprises lucratives), mais aussi la situation avant celle-ci et depuis.

Vers quel accès à la terre ?

En 1990, des dispositifs légaux commencèrent à libéraliser la terre, pour générer un marché et attirer l'investissement et culminer les procédés d'adjudication et de titularisation. Le PETT s'est créé dans le cadre de la réforme institutionnelle du secteur public agraire pour effectuer ce registre et garantir la propriété sur la terre de manière communale ou privée. Jusqu'à 93 puis 95 où la "loi des terres" qui encouragea davantage l'investissement privé, etc.

On a donc considéré qu'un des facteurs les plus importants pour le développement de la vie et de l'économie paysanne, est la titularisation de la terre agricole, pour arriver aujourd'hui à une structure qui tend vers la propriété privée, avec grande participation du minifimdium.

Les terres deviennent "marchandables" avec les avantages et inconvénients que nous avons déjà évoqués et qu'il faudrait "creuser". Ces tendances sont appuyées --peut-être même lancées, par la Banque mondiale, désireuse de voir les terres de toute part sur le Marché.

Cela a un impact fondamental sur la migration tant dans le lieu d'origine que dans le nouveau territoire et questionne sur cet engouement vers la propriété, à cheval sur deux systèmes.

On pourrait s'interroger d'une manière plus globale sur l'évolution de la paysannerie qui ne peut que difficilement survivre aujourd'hui dans le contexte de la grande agriculture, là-bas comme chez nous...

Les questions d'ethnodéveloppement sont incontournables dans le cadre d'une démarche
d'approche ethnologique. Dans le cadre des transformations liées au mouvement migratoire,
on peut réaliser l'impact d'une certaine idée de "progrès", de modernité. Anecdotique, les

3 Il faut utiliser avec circonspection les termes comme tradition, coutume et autres, car ils revêtent un caractère parfois artificiel, les dissociant de ce qui leur donne sens, et sont connotés de passéisme et de nostalgie. J'ai évoqué le thème du folklore et des coutumes dans le mémoire, qui ont une place particulière au Pérou.

places d'armes de nombres de village ont été entièrement "bétonnisée" et les petites mairies ont été faites palaces... Dans quel but ?

La problématique est très large, il faudrait également poursuivre la recherche pour comprendre avec la population les manières de pallier aux manques dus à ces mouvements et à la difficile situation des campagnes.

Parmi tant de groupes et de gens rencontrés, il en est un qui m'a particulièrement attiré l'attention : celui des déplacés du terrorisme, dont les terres ont été totalement spoliées et qui n'en ont souvent guère retrouvées. Leoncio, à Lima, m'a "branchée" sur un projet d'élevage d'alpacas dans la région de Huancavelica dont il est originaire. « Nous avons beaucoup de terres là-bas » dit-il. Il veut donc trouver un financement pour acheter les camélidés, puis faire travailler la laine dans son quartier de Lima (ou/ et "là-bas"), par une association de mères de famille seules. Et, à bon escient, profiter du marché européen... J'ai reçu en moins de 24 heures 4 réponses d'associations en France intéressées pour appuyer et même se réapproprier le projet, aussi vague soit mon annonce... J'ai été plus qu'étonnée de voir une telle "demande" de la part de nos associations françaises. Seraient-elles de réelles "demandeuses" d'initiatives locales ? Et, beaucoup de gens, là-bas, qui ne demandent qu'à être soutenus... Alors, que se passe-t-il ? Que cache ce semblant d'équilibre non consommé ?!

**

La mémoire est essentielle dans les questions identitaires et migratoires. Les histoires de vie, les liens mais aussi les pratiques d'aujourd'hui en sont le reflet. Tout lieu est porteur de mémoire, pour et par ses habitants. Son corollaire est peut-être la transmission, question qui pourrait être approfondie davantage. La culture développée par les enfants d'immigrés, entre rejet et réappropriation, est une création permanente. Ils n'ont pas migré mais portent en eux la migration de leurs parents. Je me suis, aux débuts, interrogée sur les migrations que l'on pouvait voir à travers la ville : les deuxième et troisième générations de migrants étaient elles aussi en quête de terrain : elles fondent également des quartiers de toutes pièces, organisent des invasions, s'associent dans l'achat d'un terrain, etc.

La violence politique

La mémoire collective est au Pérou empreinte d'un récent passé d'une violence sans nom. Le terrorisme et ce qu'il a entraîné est toujours un fardeau et les déplacés semblent ne pas avoir eu de recours. Une mémoire blessée et un peuple oublié ?

Ils ont dû fuir, parce qu'on a brûlé leur maison, spolié leurs terres et leurs bétails, en dehors des enlèvements et meurtres de leurs proches.

Ils ont cherché refuge à la ville et à Lima. Ou dans des zones plus "tranquilles" des provinces. Quinze ans ou presque qu'ils sont là, sans terre, sans famille (juste quelques membres), sans rien. Autant d'années où l'on a rien fait pour eux.

J'ai rencontré un groupe à Lima, qui vivait dans des conditions plus lamentables que leurs voisins migrants, qui eux avaient obtenu des aides, quel paradoxe...

Près de Pampas, je suis arrivée dans une partie d'un village où 3 associations de déplacés demeuraient. Ils viennent d'autres districts du département et d'Ayacucho. Ce n'est que très récemment qu'ils ont pris conscience qu'ils pouvaient s'associer pour réclamer leurs droits (combien de lois, de politiques d'aide sont sorties et n'ont pas vu leurs applications l) « Nous étions ignorants ». Une population qui se dévalorise, parce que personne n'a jamais cherché à les "revaloriser", à les considérer au-delà de quelques assistances ponctuelles. Une population qui a souffert et qui reste marginalisée...

Pour accéder à leurs droits on leur demande des registres, qu'il faut payer très chers...

« Nous n'avons rien. « Nous sommes tristes, très mal. « Certains meurent en pourrissant dans leurs maisons. « Nous n'avons aucun type de travail. Aucunes terres... « On ne peut pas retourner là-bas, on n'a plus rien. Maintenant, les terrains sont de la communauté. « Ils profitent du fait que nous ne connaissons pas la loi... Ce sont des promesses, c'est tout !

*

La mine.

L'exemple de Cobriza, dans la province de Churcampa --département de Huancavelica- que j'ai évoqué, est bien d'actualité. Un village "minier" a été crée de toute pièce sur le versant voisin de celui qui est exploité par la mine. La situation des miniers est relativement précaire car à court terme la mine va fermer. Elle n'est plus rentable, tout a été extrait. A cela s'ajoutent les problèmes de sécurité. Ils ne rebouchent pas les anciennes galeries : les miniers seront tentés de retourner extraire des bricoles. Les conditions agricoles sont très difficiles. Les travailleurs risquent de se diriger vers les vallées alentours plus clémentes.

J'ai rencontré des familles qui venaient de là-bas, installées près de Lima : le chef de famille s'en allait travailler temporairement. Sa femme l'accompagnait de temps en temps. La vie des miniers était bien différente de celle des habitants du village originel (San Pedro), sur l'autre versant. La vie de ses habitants est régie par la mine. Les relations avec les habitants de San Pedro en étaient affectées, me soulignait une dame. Leurs enfants n'avaient pas accès au même collège et possibilité. La question minière est beaucoup plus ample, elle est source de migration permanente et de reconversion, mais de plus en plus les miniers s'installent ailleurs avec leur famille, comme à Lima. Un regard sur son évolution serait à approfondir.

Les migrations vers la Selva semblent aujourd'hui les plus importantes : quels changements dans cette partie du pays pour demain ? Est-ce un mouvement provisoire lié aux activités agricoles qui fonctionnent, ou cela amènera-t-il à des changements considérables et un essor de ces petites villes... ?

L'émigration vers l'étranger a lieu depuis le début de « l'exode rural ». Cela est assez surprenant de s'imaginer ce que représentait un départ d'un petit village des Andes, sans routes, vers les Etat Unis, par exemple ! Celles-ci continuent vers l'Europe aujourd'hui...

**

Questions épistémologiques.

Enfin, il s'agit de porter un regard rétrospectif sur son propre travail. Sur son écriture. Sur son ethnologie. Que cautionne-t-on ? Que condamne-t-on ? Cette ethnologie a-t-elle un rôle et quel est-il ?

L'écriture a sa propre créativité et sa capacité transformatrice. Retranscrire dans son propre langage, personnel et culturel les mots de l'ailleurs ; formaliser dans des mots des choses qui ne sont pas dites, qui ne sont pas manifestes... Quelle réalité et véracité entre ce que l'on observe et interprète.

C'est aussi une expérience passionnante. Un questionnement que la seule réflexion ne permettrait pas.

ri

111

ANNEXE

Diagnéstico de la titulacién agraria en el Perti / PETT-- D'après le "portai agrario" du ministère de l'agriculture

No se puede hacer una evaluacién del estado de la titulacién agraria en et Peri', sin hacer un alto para revisar lo que ha venido sucediendo en este campo durante las aimas décadas. El régimen de la propiedad rural es un tema que ha merecido la atenciôn del Estado Peruano de manera permanente. En efecto, la titulaciôn agraria y las distintas regulaciones que ha tenido la tenencia de la tierra en nuestro pais, han significado parte importante de la politica social y econémica de los gobiemos.

Hasta la décala del sesenta la distribucién de las àreas agricolas en el Perû tenta como caracteristica fundamental la concentracién de la tierra en muy pocos propietarios (se calcula que e190% de las tierras de uso agricola eran de propiedad de apenas el 5% de los propietarios). Por otro lado, la situacién social en el campo venia siendo cuestionada desde distintos fientes, dada las terribles condiciones de vida a las que se encontraban expuestos los campesinos.

En este contexto, el 24 de junio de 1969, el gobiemo presidido por el General Juan Velasco Alvarado promulgé el Decreto Ley N° 17716, Ley de Reforma Agraria. Las caracteristicas principales de la Reforma Agraria fieron las siguientes:

a. Fue de caràcter masiva, afectando no sôlo a los grandes latifimdios, sino también a la mediana e incluso pequefia propiedad.

b. Eliminé el mercado de tierras agricolas; se estableciô que la propiedad de la tierra no era transferible.

c. Se eliminé la inversién de empresas con fines de lucro en el agro, promoviéndose la creaciem de empresas asociativas, bajo un régimen de propiedad colectiva.

d. Se instauré un régimen colectivista en la propiedad agraria, a partir de la creacién de las SAIS y CUAS.

Con el fin del gobierno militar y la se promulgacién de la Constitucién de 1979 se initié un proceso que ha determinado un evidente cambio de modelo que continua hasta nuestros dias. El gobierno de Fernando Belaunde Terry promulgô la llamada Ley de Desarrollo Agrario (Decreto Legislativo N° 002), que entre sus normas mas saltantes permitia la parcelacién de las unidades agricolas en favor de campesinos individuales, parcelandose con ello gran cantidad de las tierras que habian sido adjudicadas a las empresas asociativas durante la Reforma Agraria. Como consecuencia de este proceso, la composiciôn de la propiedad agraria cambio dramaticamente, prevaleciendo la pequefia propiedad o minifundio.

A partir del aisio 1990 empezé a liberalizarse la propiedad de la tierra mediante dispositivos legales orientados a generar un mercado de tierra, atraer inversiôn, permitir la libre transferencia de propiedades y culminar los procedimientos de adjudicaciôn y titulaciôn.

acciones de catastro y titulaciôn para la inscripciôn de los predios nisticos de todo el territorio nacional que fueron adjudicados en la reforma agraria.

Asimismo, con fecha 13 de setiembre de 1991, se promulgô el Decreto Legislativo N° 667, Ley del Registro de Predios Rurales, que regulô el procedimiento aplicable para la formalizaciôn de los predios de propiedad del Estado -âreas reformadas- y los de propiedad de particulares -areas no reformadas-,.

Mediante la Octava Disposiciôn Complementaria del Decreto Ley N° 25902, Ley Orgânica del Ministerio de Agricultura, del 27 de noviembre de 1992, se creô El Proyecto Especial Titulaciôn de Tien-as y Catastro Rural - PETT. El PETT es una instituciôn especializada del Ministerio de Agricultura, que asumiô dentro de sus responsabilidades las funciones de la ex Direcciôn de Tenencia de Tien-as y Estructura, el Programa Nacional de Catastro (PROCNAC) e integrô el Proyecto Especial de Desarrollo Cooperativo y Comunal (PRODACC).

El PETT se creô como un proyecto dentro del marco de la reforma institucional del Sector Pùblico Agrario, bsicamente con el objeto de realizar las acciones necesarias para impulsar y perfeccionar la titulaciôn y el registro de los predios rurales expropiados y adjudicados durante la vigencia de las normas contenidas en Texto Unico Concordado del Decreto Ley N° 17716, complementarias y conexas; culminando los procedimientos de adjudicaciôn y titulaciôn que habian quedado inconclusos. Ademàs de realizar la titulaciôn de los predios de propiedad del Estado y lo que adjudique o transfiera con posterioridad a la vigencia del Decreto Legislativo N° 653.

Con la promulgaciôn de la Constitucién Politica del Perû de 1993, se marcô la orientaciôn hacia el mercado y la promociôn de la inversiôn privada en el sector agrario; asi se estableciô que el Estado apoya preferentemente el desarrollo agrario y, garantiza el derecho de propiedad sobre la tierra, en forma privada o comunal o en cualesquiera otra forma asociativa.

La Constituciôn Politica de 1993, sirviô de contexto a la daciôn de la Ley N° 26505, Ley de inversiôn Privada en el desarrollo de las actividades econômicas en las tierras dei territorio nacional y de las Comunidades Campesinas y Nativas promulgada con fecha 17 de julio de 1995, conocida mayoritariamente como "Ley de Tierras". Esta ley marcô un giro radical en la normatividad que rigiô la vida del agro nacional desde los alios de la reforma agraria, fundamentalmente por la eliminaciôn de las restricciones que lo limitaban. Su objetivo flic alentar la inversiôn privada en el sector agrario, eliminando la restricciones que impedian a los inversionistas orientarse a la agricultura. Fue modificada por las Leyes N° 26570, 26597, 26681.

Posteriormente, con fecha 15 de agosto de 1996, se expidiô el Decreto Legislativo N° 838, mediante el tuai se facultô al Ministerio de Agricultura para que adjudique en forma gratuita los predios rûsticos de libre disponibilidad del Estado, en zonas de economia deprimida, a partir de los 2000 metros sobre el nivel del mar; su reglamento fue aprobado por Decreto Supremo N° 018-98-AG. Esta norma estuvo vigente hasta el 31 de diciembre de 2000, actualmente se viene trabajando un proyecto de norma que regule el tratamiento legal de los predios disticos en general.

Peruano suscribiô el Contrato de Préstamo N° 906/OC-PERU con el Banco Interarnericano de Desarrollo - BID, para la ejecuciôn del Proyecto Titulaciôn y Registro de Tierras - PTRT a cargo del Ministerio de Agricultura a través de la Unidad de Ejecuciôn del Proyecto, con la participaciôn del PETT, la SUNARP y el INRENA en calidad de organismos subejecutores. El PETT tenia a su cargo los componentes de Regularizacién Predial y Catastro; la SUNARP, el registro de los predios rurales y el Instituto Nacional de Recursos Naturales - INRENA, la administraciôn y monitoreo de los recursos naturales.

Mas adelante, a inicios de su etapa de implementaciôn, el PTRT amplié sus objetivos hacia la generacién de las condiciones para el desarrollo de un merca.do de tierras rural, aga y transparente, mediante el saneamiento fisico-legal de la propiedad de todos los predios rurales, la rnodernizaciôn del catastro rural y el sistema unico y automatizado de registro de la propiedad rural.

En los ifitimos alios el mayor problema de la propiedad agraria ha sido la falta de titulaciôn. En efecto, a partir de la década del 80 se ha venido produciendo un fuerte proceso de parcelaci6n de la tierra agricola, el mismo que no ha venido acompaliado de la respectiva formalizaciôn legal de la tenencia de la tierra. De acuerdo a III Censo Nacional Agrario del atio 1994, la situaciôn de las tierras agricolas, respecto a si se cuenta o no con un titulo de propiedad es la siguiente:

Ver ti ex>

LI

Desde distintas perspectivas ideolôgicas y econômicas, se ha considerado que uno de los factores mas importantes para el desarrollo de la vida y de la economia campesina es la titulaciôn de la tierra agricola. Asi, en los ûltimos ailos el Perû ha devenido de un régimen de gran propiedad privada (Pre reforma), a un régimen colectivista (reforma), para Ilegar al dia de hoy a una estructura de propiedad agraria que tiende a la propiedad privada, pero con una gran participacién del minifundio.

ANNEXE : Les « bidonvilles » de Lima : la richesse sémantique de ces quartiers

On dénombre à Lima 5 appellations différentes pour ce phénomène occidentalement défini par le terme de « bidonville », qui d'ailleurs ne renvoie pas à une réalité propre_ Celles-ci sont liées à l'histoire, au statut du sol, et au type d'organisation de la population.

Les barriadas

Début de l'explosion démographique, les autorités ont dû tolérer cet état de fait (elles ne savaient pas où les reloger). En outre, les terrains en pente n'avait aucune valeur foncière. Cela paraissait être une bonne « zone d'attente ». Dans les années 50 explosent les premiers affrontements. Puis les collines proche de la périphérie sont envahies ainsi que les terrains agricoles plats (étant la propriété de grosses familles oligarchiques de Lima). Ainsi, en 1960, les migrants réclament leurs terres, une véritable force populaire se met en place . Face à cela, la loi 13517 de 1961 reconnaît le processus d'invasion et la nécessité de trouver des terrains pour les nouveaux arrivants. Cette loi permettrait d'attribuer des titres de propriété. En conséquence, s'il y a un litige sur le terrain, I ' Etat s'engage à trouver une nouvelle zone d'installation. Cette loi constitue donc un tournant décisif quant à la pérennisation des « barriadas » et quant à la conception qu'en avait l'Etat.

Les Pueblos Jovenes

Suite à un coup d'état, Velasco se retrouve au pouvoir et proclame la fin des barriadas insalubres, les substituant aux « pueblos jovenes ». Cela s'accompagne de la création d'un organe dépendant de l'Etat pour imposer un cadre législatif rigide qui sera appliqué automatiquement à chaque fois qu'un terrain faisant consensus sera trouvé. Ces PJ sont donc régis par une série de règles précises (plan de lotisation, zonification précise, place centrale obligatoire..). Ils se situent dans une ceinture de 15/20 km autour du centre ville et ont une trentaine d'années. Les maisons sont maintenant en brique, issues de l'autoconstruction (souvent avec eau et électricité mais rarement le tout à l'égout).

Les asentamientos humanos

A partir de 1980, avec l'avènement de Belaunde au pouvoir, la même démarche est de rigueur : il rebaptise alors ces nouveaux quartiers d'asentamientos humanos (les PJ représentaient déjà 40% de la population de Lima). Seul le nom changera cette fois, on garde la même gestion : un organe étatique qui répartit les terrains et régularise les titres de possessions.

Jusqu'en 1996, barriadas, pueblos jovenes et asentamientos humanos ne sont pas gérés par les mêmes règles. Ainsi, Fujimori, une fois au pouvoir, crée un organe étatique pour en uniformiser la gestion : le COFOPRI. Tous sont désormais des asentamientos humanos. Les A.H. se trouvent donc dans une ceinture de plus de 25 km sur des terrains désertiques, pourvus des mêmes caractéristiques urbaines que les précédents mais présentent une typologie d'habitat différente (ils sont rarement équipés en eau).

Les asociaciones de vivienda

Ce sont de plus petites unités à l'intérieur des PJ ou AH, et ne sont pas nées, quant à elles, d'invasions. Les habitants ont souvent une origine géographique commune. Ils se développent moins vite en raison de leur dépendance aux services. Ils ne jouissent pas de la gestion du COFOPRI mais dépendent des règlements urbains de la ville.

Les tugurios

Ce ne sont pas des « bidonvilles » mais les conditions de vie y sont pires ! et c'est en général le lieu d'arrivée des migrants à Lima, quant ils n'ont de pas de famille sur place. C'est là aussi que se déroulent les réunions pour les projets d'invasion. Les habitants préfèrent être propriétaire de 100m2 dans le désert plutôt que de payer un loyer pour un logement insalubre. Les représentations jouent un rôle très important dans leur rapport à la terre.

Toutes ces appellations ne sont pas dénuées d'importance et correspondent à des époques précises ainsi qu'au statut d'occupation du sol. Ils entrent pleinement en compte dans la détermination des habitants et leurs revendications territoriales, organisationnelles, etc..... En outre, le statut de la zone influe surtout sur la rapidité d'autoconstruction, en fonction des possibilités qui leur sont octroyées (c'est ce qui freine le développement des AV qui ne bénéficient pas de programmes spéciaux et qui portant dénotent une importante dynamique organisationnelle). Une fois assurée la propriété du terrain, on va pouvoir pérenniser le logement.

BIBLIOGRAPHIE

Photos :cQ Billie Zapata. 2005

Clr

i.

ABUSABAL W. Conflicto por tierras ne las comunidades del departamento de Huancavefica. (Allpa) CEPES

s.

ALTAMIRANO Mineros, campesinos y empresarios en la sierra central del Peru. N. Long, B.Roberts. IEP 2001

Migrantes campesinos en la cuidad. Liderazgo y organizacion de provincianos en Lima.

ALBER, Erdmute Migracion o movilidad en Huayopampa ? Nuevos terras y tendencias en la discusion sobre la comunidad campesina de los Andes. 1999

ARELLANO C Rolando, David Burgos A. Cuidad de los Reyes, de los Chaves, de los Quispe.Epensa 2004

ARGUEDAS Jose Luis. Eizoiro de arriba y el zorro de abajo

BALBI Carmen Rosa, CASTILLO Manuel. Movimientos sociales : elementos para une relectura. Lima, Aspiraciones, reconocimiento y cuidadania en los 90. Editora PUCP

BOURDIEU, Pierre. Le déracinement. La crise de l'agriculture traditionnelle en Algérie. Les éditions de minuit 2002

DECLERCK Patrick, Les naufragés. Plon, Terres humaines. 2003.

DE LA CADENA, Marisol. Comuneros en Huancayo. Migracion campesina a cuidades serranas. Iep no26

DIEZ HURTADO, Alejandro. Cuestionamiento sobre comunidades campesinas en los departamentos de Junin, Huancavelica, Ayacucho, Apurimac.

GOLTE, Juergen, ADAMS, Norma. Los caballos de Troya de los invasores, 1990. Cultura, racionalidad y migration andina. 2001

HUI3ER, A. STEINHAUF: F.WILSON, Despues de la violencia recuperacion de los Andes Centrales ; S.GONZALES MIRANDA, Tarapaca : el dio Cautivo. Reflexiones en torno al regionalismo de los Tarapaquenos del Callao)

ITIER César, Parlons quechua, L'Harmattan, 1997

JAULIN Robert. Exercices d'ethnologie. « L'invention culturelle »

LE ROY, Etienne 1991 (cf texte "analyse antliropo-juridique novatrice")

MALENGREAU Jacques, Structures identitaires et pratiques solidaires au Pérou. Gens du sang, gens de la terre et gens du bien. L'Harmattan.

Sociétés des Andes. Des empires aux voisinages. Karthala.

MANLOYA, R. Lucha por la tierra, reformas agrarias y capitalismo en el Peru del siglo XK

MARTIN Christophe. Ethnologie d'un bidonville de Lima, le petit peuple de Tupac Amaru. L'Harmattan

MATOS MAR, José. Desborde Popular y crisis del Estado. El nuevo rostro del Peru en la década del 80. TEP 1984

MENDEZ GASTELMENDI, Maria. Migracion, identidad y desarrollo. Hacia una vision del pais.1997 (Gama.m...)

MOLERO Javier Avila Lo que el viento de los Andes se llevo : diasporas campesinas en Lima y los estados unidos in DEGREGORI, Carlos Ivan : Corminidades locales y transnationales (5 études de cas).

MUCIJA L. in Autoridad en espacios locales, una mirada desde la antropologia. PUCP, 2000. La imagen de los diligentes en una organizacion de los asentamientos humanos.

NUGENT El laberinto de la choledad

de RIVERO Oswald Le mythe du développement. Enjeux planète. 2003, p. 220

RODRIGUES RAl3ANAL, Cesar. Las otras taras de la sociedad informai, una vision inultidiciplinaria. (aussi Matos Mar...)

SALAZAR-SOLER Carmen, Anthropologie des mineurs des Andes, L'Harmattan, 2002.

SOTO GUEVARA, Martin. Thiancavelica : violencia y desplazamiento. Cabalgando por el futures 1997

Atalas del departamento de Huancavelica. A.Rubina, J.Barreda (desco) Formalizacion de la propriedad urbana en Lima. COFOPRI

Extrait du rapports final de la Comision de la verdad y reconciliacion

Périodique

ARAMBURU. Familia y trabajo en el Peru rural

HERRERA. MESLIER E. Pobreza y desigualidad en el area andina. Bulletin IFEA. 2002, 31 no 3

In Debates en sociologia no 22. « Redes sociales y desarrollo economico en el Peru : los nuevos actores »

In Debates en sociologia. 2003 no 28. « Globalizacion y nuevos cartografias de la segregacion urbana en Lima inetropolitana »

ANTHROPOLOGIE JURIDIQUE / POLITIQUE BRETON, Roland. L'ethnologie politique. PUF -- Que sais-je ?

CROUSSE, LE BRIS, LE ROY. Espaces disputés en Afrique Noire. Pratiques foncières locales. Karthala, 86.

IÎ

JOUVE, Edmond. Le droit des peuples. PUF -- Que sais-je ?

MADJARIAN, G. L'invention de la propriété : de la terre sacrée à la terre marchande

rti MUNCK (de), J., VERHOEVEN, M. Les mutations du rapport à la norme. Un changement
dans la Modernité ?
1986

NAEPELS, Michel. Histoire de terres kanakes.

L1

L

n

Li

L

u

.LI

L.

L

ROULAN, N. Anthropologie juridique /Aux confins du droit.

SERIAUX, Main. Le droit, une introduction.

VANDERLINDEN, J. Anthropologie juridique. PUF.

YOUNES, C., LE ROY, E. (direction). Médiation et diversité culturelle. Karthala. Périodiques

1NTERculture. L'étude du pluralisme juridique : une approche diatopique et diagonale. (VACHON, R), in Dépasser la religion et la culture des droits de l'homme. No 144

AMERIOUE DU SUD

AUROI, Claude. Des incas au sentier Lumineux. Histoire violente du Pérou

GALEANO, Eduardo. Veines ouvertes de l'Amérique Latine. Plon, Terres Humaines. GOIRAND, Camille. La politique des favelas. Karthala. CERI 2000.

GRAS, P. L 'autre Pérou. L'intégration des indiens : mythe ou réalité ?

L'indianité au Pérou, mythe ou réalité ? CNRS 1983

GUNDER FRANCK, André. Développement du sous-développement. L'Amérique Latine. LANCHA, Charles. Histoire de l'Amérique hispanique, de bolivar à nos jours. L'Harmattan. Collection Horizons Amérique Latine.2003

NIEDERGANG. Les 20 Amériques Latines. Tome 2. Seuil,1962

PIEL, J. Crise agraire et conscience créole au Pérou. CNRS 1982

Périodiques

Problèmes d'Amérique Latine. La documentation Française.

- Argentine, Brésil, Colombie, Mexique, Pérou, un bilan de 15 ans de décentralisation. (avril/juin 2000)

- Pérou : l'agonie du Fujimorisme (juillet//septembre 2000)

- Le Pérou à l'heure du Néolibéralisme.

INTERculture. La régénération de la culture andine. No 126. (hiver 95)

America Latina : etnodesarollo y etnocidio. Ediciones FLASCO (faculdad latinoamericana de ciencias sociales), 1982

ANTHROPOLOGIE URBAINE

GRANOTIER, Bernard. La planète des bidonvilles Perspectives de l'explosion urbaine dans le Tiers-Monde. Seuil, 1980.

GRAFMEYER, Y. La sociologie urbaine. PUF 128 RAULIN, Anne. Anthropologie urbaine. Armand Colin

SAES, Sébastien. « Sur les dunes de Lima, une utopie entre deux bidonvilles ». (diplôme architecture)

METHODOLOGIE / THEORIE

AFFERGAN, Francis (direction). Construire le savoir anthropologique. PUF

Critique de la raison ethnologique. PUF

BALANDIER, George. Civilisés, dit-on.

BARLEY, N. L'anthropologie n'est pas un sport dangereux. Fayot, 97.

COULON, Main. L'ethnométhodologie. PUF -- Que sais-je ? L'étude ethnologique de terrain.

GHASARIAN, C (direction). De l'ethnographie à l'anthropologie réflexive.

KILANI, Mondher. L'invention de l'Autre. Essai sur le discours anthropologique. Fayotte. LAPLANTINE, François. La description ethnographique

LATOUCHE, Serge. L'autre Afrique, entre don et marché. Khartala

MAUSS, Marcel. Manuel d'ethnographie. Petite bibliothèque Fayot.

MALINOWSKI, B. Les argonautes du Pacifique occidental (introduction)

SERVIER, J. L'Ethnologie. PUF - Que sais-je ?

Méthode d'ethnologie. PUF - Que sais-je ?

URBAIN, JD. Ethnologue mais pas trop. Payot.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault