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La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean Cassien

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par Isabelle PEREE
Strasbourg (Théologie Catholique) - Master de théologie 2009
  

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III. Ce que demande le maître.

A. Exigences propres au désert.

Le rapport maître disciple a fortement changé entre l'époque d'Abba Antoine et celle de Cassien puisque d'une part, au temps d'Abba Antoine, les seuls exemples reçus et suivis sont ceux des saints de l'Ecriture car celle-ci suffit à enseigner (et les enseignements d'Antoine ne font donc que confirmer la doctrine scripturaire) et que d'autre part, l'accueil fait au disciple était bien différente. Pallade nous raconte qu'un vieillard nommé Paul (surnommé plus tard Paul le Simple) va trouver Abba Antoine pour devenir moine.

Antoine refuse de lui ouvrir et le laisse quatre jours devant sa porte, à jeun. Au bout de ce temps, c'est l'ancien qui cède et il apprend à tresser des feuilles au postulant. Mécontent de son travail, il défait les tresses et le fait recommencer à plusieurs reprises. Paul ne murmure même pas, alors qu'il est cependant toujours à jeun ! Antoine est alors touché de componction et cède mais l'épreuve de Paul est loin d'être terminée. Antoine lui propose de manger et le disciple accepte en répondant : « Comme il te plaira, Abba. » Avant de rompre le morceau de pain, Antoine récite douze fois le même psaume et dit douze fois la même prière mais Paul s'unit avec ardeur à cette prière. Les deux hommes mangent enfin mais Paul ne prend que la même quantité qu'Abba Antoine. Vient enfin la prière de la nuit. Comme Antoine voyait que Paul pouvait le suivre avec ardeur, il lui dit : « Si tu peux faire cela chaque jour, reste avec moi » et il lui dit le jour suivant « Voici que tu es devenu moine 90i

Pallade cite cette anecdote de manière à faire comprendre que l'accueil fait au novice peut se montrer glacial. La mise à l'épreuve est une étape indispensable à la vérification des motivations du jeune (ou moins jeune) moine. Celui qui dépasse cette épreuve et montre de la bonne volonté est retenu par l'ancien. Ne semble donc devenir pleinement « moine » que celui qui accepte avec patience les exigences du maître et qui peut dépasser le caractère parfois humiliant de ce temps de probation.

A l'époque de Cassien, l'accueil du jeune moine a, semble-t-il, quelque peu évolué. Lorsque l'ancien a accepté de guider un jeune moine, il se montre apparemment plein de

90 PALLADE in « Histoire lausiaque » S0 n° 75 Bellefontaine. 1999

prévenance contrairement au laconique Antoine qui ne prononçait que les quelques mots nécessaires à l'accueil et mettait son futur disciple à l'épreuve dès le premier jour. On voit Sérénus préparer de la sauce pour le repas offert à ses jeunes visiteurs et proposer des olives, des prunes et des pois chiches torréfiés, ce que les moines appellent « des friandises ». (Coll. 8) Abba Chérémon leur explique, comme à des enfants, qu'il faut restaurer le corps qui nous a été donné par Dieu, de peur qu'il ne défaille en chemin. (Coll. 11) Abba Piamun qui les accueille avec joie, leur donne de la nourriture à la mesure qui leur convenait. (Coll. 18)

Nous sommes donc loin de l'accueil réfrigérant d'Abba Antoine envers Paul le Simple91 !

Abba Nesteros s'adresse à Cassien à qui la jeunesse,dit-il, doit rendre plus difficile l'observation de ses avis en lui demandant un grand silence, premier pas à faire dans la voie de la pratique.

« Pour bien écouter les enseignements des anciens, il faut savoir les écouter de tout coeur, en silence, les retenir avec soin dans son âme et se hâter beaucoup plus de les pratiquer que de les enseigner aux autres, car en enseignant ces vérités, on s'expose à la vaine gloire, mais en les pratiquant, on en multiplie les fruits et l'intelligence. » (Coll. 14)

Pour Cassien, il faut n'interroger les anciens que pour leur demander ce qu'il est nuisible d'ignorer ou nécessaire de savoir et non pas les questionner sur ce que l'on sait déjà. (Coll. 14)

On notera que, souvent, la détermination du disciple touche le coeur de l'ancien. Au désert, le rapport au maître est respectueux, déférent et il n'y a aucune légèreté entre le jeune et l'ancien même si l'affection est bien présente. La distance est gardée. Abba Moïse recommande l'humilité vraie au disciple, il doit laisser au maître le jugement de ses actions et même de ses pensées. (Coll.1) Le jeune ne doit tenir pour bon que ce qui vient de la bouche de l'ancien, lui dévoilant la moindre de ses intentions, bonne ou mauvaise, le premier germe de tout projet. Rien n'est caché à l'ancien, comme rien ne doit l'être à Dieu.

L'exemple des anciens est donc une règle de vie chez Cassien. Le combat spirituel est dur et de tout instant, explique Abba Moïse (Coll. 2), il faut donc suivre la trace des Pères et leur déférer les pensées les plus secrètes, même celles qui font honte. Si le respect du jeune moine envers le maître transparaît de façon évidente dans les Conférences, il en va de même pour le maître envers le jeune. Certains ne ratent pas une occasion de s'humilier devant leur disciple en disant : « Désormais, tu es le maître et moi le disciple 92. »

91 PALLADE in « Histoire lausiaque » S0 n° 75 Bellefontaine. 1999.

92 Dom L.REGNAULT in « Abba, dis-moi une parole ! » Apopht. 353. Solesmes. 1984.

Cassien écrit que Paphnuce, après avoir gardé le silence, sembla vanter les propos de ses jeunes visiteurs, en louant leur démarche de vouloir imiter la vie anachorétique. (Coll. 3)

Le degré de perfection ne se juge pas en fonction du but à atteindre, mais en fonction du point de départ, nous rappelle Y.Raguin93. Le Christ n'a jamais demandé à ses disciples d'être parfaits mais seulement de le suivre et d'observer ( Mc 1,17 ; Jn 1, 39 ; Jn 1, 43). L'important semble donc « d'évoluer vers la sainteté » et non de « devenir saint ». Là se situe la véritable exigence au désert. La vie des disciples du Christ eux-mêmes fut une marche constante vers la perfection, a fortiori les jeunes novices ont-ils le temps devant eux pour devenir pleinement moines. Oui, l'apprentissage du désert est une longue marche dynamique. L'important est de progresser et non pas d'arriver trop vite à la perfection.

On a dit que les Pères se montraient intraitables quant au fait de garder la cellule en toutes circonstances. Celle-ci doit être le refuge du moine et son endroit de ressourcement. Les anciens envoient les jeunes moines pour y prier ou chercher un sens à leur présence au désert. Il est indispensable qu'ils y passent beaucoup de temps pour éprouver leur foi, leur obéissance et également leur amour de la solitude.

« Les anciens conseillent : restez dans vos cellules, mangez, buvez, dormez tant qu'iivous plaira, pourvu que vous y demeuriez constants ! » (Coll. 5)

Le disciple doit accepter de s'ennuyer un peu au début, dans sa cellule car il y a encore trop de contradictions en lui pour qu'il se sente à l'aise en cette Présence qui le dépasse. Cassien nous démontre que la patience et la fidélité dans le silence sont nécessaires. Seuls cette fidélité et ce silence permettront au jeune moine d'apprivoiser cette cellule qui deviendra son univers de prière, de travail et de paix et si le disciple est patient, il réalisera un jour, à son tour et avec émerveillement, qu'il n'est jamais moins seul que lorsqu'il est seul94.

L'ancien exige mais ne soumet pas le disciple à ses vues personnelles. Il sait que les voies qui mènent à Dieu sont multiples : il y a obéissance du jeune, certes, mais respect de son autonomie spirituelle et de l'appel individuel de l'Esprit. Dieu appelle pour un tel chemin et pas pour un autre et le rôle de l'ancien est d'aider le jeune moine à découvrir quelle sorte de chemin l'Esprit l'invite à parcourir.

93 Y.RAGUIN in « Maître et disciple » DDB/Bellarmin. 1985.

94 Un moine in « L'ermitage » Martingay/Genève 1969.

La discrétion est l'une des principales vertus exigées du disciple par l'ancien. Sans elle, les moines deviennent « la victime désignée des pièges et des précipices, et, même dans les sentiers unis et droits, choppera plus d'une fois. » (Coll. 2)

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