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Mouvement associatif et dynamique de développement au nord-Kivu. cas des associations de tendance religieuse en territoires de Beni et Lubero

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par Emmanuel MUSONGORA SYASAKA
Université catholique de Louvain - Diplôme de master complémentaire en développement-environnement et société 2007
  

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Conclusion partielle

La précision des mots clés dans un travail scientifique est d'une importance capitale. Elle permet d'éviter la confusion au cours de l'investigation.

En ce qui concerne notre sujet de recherche, la précision de certains concepts, comme association, société civile et développement, n'est pas facile à atteindre en raison de la diversité des définitions adoptées par les chercheurs.

En dépit de cette diversité et pour éviter d'entrer dans cette polémique, l'essentiel pour ce travail a été de comprendre dans quel contexte les associations naissent ainsi que les rôles qui leurs sont assignés par la collectivité. Bien qu'il y ait des similitudes, le contexte associatif qui caractérise la société civile varie d'un continent à l'autre. Le contexte occidental diffère ainsi des cas africains en cette matière.

CHAPITRE II

HISTORIQUE DU CHRISTIANISME ET DE LA SOCIETE CIVILE EN TERRITOIRES DE BENI ET LUBERO

L'histoire du christianisme et de la société civile des territoires de Beni-Lubero s'inscrit dans des contextes en évolution. Nous pouvons évoquer d'une part le contexte colonial, d'autre part, la crise économique et politique qu'a traversé la RD. Congo. Avant de passer en revue cette histoire, il est important de présenter la zone d'étude où nous avons mené les investigations.

II.1. Présentation du milieu : cadre physique, démographique, économique, culturel et réalités politiques

Cette section vise à donner un aperçu général sur les aspects physiques, démographiques, économiques, socioculturels et politiques du milieu d'étude afin de comprendre dans quel contexte se situe la dynamique associative. Les actions de ces associations ne peuvent être étudiées dans un territoire pris isolement car leur rayon d'action est souvent étendu sur les deux territoires.

Cependant, même si ces territoires ont une population relativement homogène, parce que la majorité est constituée des Nandes, quelques différences peuvent être relevées parci, par-là. Ces diversités sont d'ordre social, économique, climatique, administratif, religieux,...C'est pour cette raison qu'il est nécessaire de présenter ces deux territoires séparément.

1. Le territoire de BeniLe territoire de Beni est situé dans la province du Nord Kivu, à l'Est de la République

Démocratique du Congo. Il se situe entre 29° et 30° longitude Est. Sa superficie est de 7484 km2. Il est limité à l'Est par le mont Rwenzori (haut de 5119 m au pic Marguerite), au Sud-Est par le Lac Edouard et le territoire de Lubero, et au Nord par les territoires de Mambasa et le district de l'Ituri. A son extrême Nord et à l'Ouest, on trouve la forêt équatoriale alors que l'Est a une partie importante couverte par le Parc National des Virunga38.

Etant situé entièrement dans la zone équatoriale sous un climat tropical humide, ce milieu connaît une succession alternative des saisons pluvieuses et sèches. En effet, comme le dit Michel EECKHOUDT cité par Christien Kathaka Kiswere39, les régions centrales

38 Source : rapport administratif du territoire de Beni. Informations recueillies en juillet 2007.

39 KATHAKA KISWERE, Christien, les initiatives locales et incidences sur l'économie du territoire de Beni. Cas de l'enseignement primaire privé agréé, mémoire de licence, UNIC-BENI, 2005-2006, p.12.

situées en bordure immédiates de l'Equateur connaissent une chaleur étouffante, des pluies abondantes et répandues sur toute l'année. La température moyenne oscille entre 25 et 27°.

Du point de vue administratif, le territoire fût créé en 1894 sous la dénomination « Territoire de la Semuliki » et dépendait du district de Kibali-Ituri, l'actuel district de l'Ituri en province Orientale. Il prendra le nom de territoire de Wanande-Nord suivant l'ordonnance du 21 mars 1932 avec Beni comme chef lieu mais sera sous la dépendance du district de Kibali-Ituri. Par ordonnance du 15 mars 193540, il est rattaché à la province du Kivu toujours avec le même chef lieu. L'année connaît l'introduction de la culture du café et du palmier à huile. Avec l'avènement de la guerre, considérée comme guerre d'agression ou par certains de « première guerre continentale africaine 41» déclenchée sous la coalition rwando-burundo-ougandaise le 2 aout 1998 à Goma, le chef lieu a été transféré de Beni à Oicha le 1er juillet 2000 puis reconnu officiellement en 2003 par le gouvernement congolais42.

Le territoire compte quatre entités coutumières dont le secteur Rwenzori, le secteur Beni-Mbau, la chefferie Watalinga et la chefferie Bashu. A cela s'ajoutent cinq cités dont Bulongo, Lume, Oïcha, Mangina et Kyondo. La principale ville de ce territoire est celle de Beni.

Du point de vue démographique, le territoire de Beni est habité en général par les nandes. Cependant, la ville de Beni est souvent appelée cosmopolite en raison de la présence de plusieurs autres ethnies qui y vivent. De 2000 à 2004, la population a évolué comme illustré dans le tableau suivant :

Tableau n°1 : Situation démographique de Beni ville et territoire

Année

2000

2001

2002

2003

2004

Ville de

141312

156943

180832

185618

250929

Beni

 
 
 
 
 

Territoire de Beni

653248

682792

710049

747559

808808

Total

794560

839735

890881

933177

1059737

Source : Bureaux de l'Etat civil du territoire de Beni à Oicha et de la ville de Beni

En analysant ces statistiques, nous retrouvons respectivement les taux de croissance annuels à partir de l'an 2000 : soit 5,68%, 6,09%, 4,75% et 13,56%. Soit une moyenne quinquennale de 7,52%. Ces pourcentages suscitent une attention particulière quant à leur

40 Ordonnance n°44/A.I.M.O du 15 mars 1935.

41 WILLAME, Jean-Claude, Les « Faiseurs de paix » au Congo. Gestion d'une crise internationale dans un Etat sous tutelle, Collection Livres du GRIP, n°288-289, GRIP, Bruxelles, 2007, p. 15

42 Reconnaissance de Beni comme ville par le décret n° 041/2003 du 28 mars 2003.

interprétation. En effet, de 2000 à 2003, l'augmentation de la population semble avoir été stable avant de doubler en 2004, année qui coïncide avec l'afflux des déplacés de l'Ituri ayant échappé aux atrocités subies dans leurs milieux d'origine.

Ce que soutient Olivier Lanotte en disant:

« depuis fin 2002, l'Est du Congo est en proie à une recrudescence dramatique des violences ethniques. Le retrait des troupes étrangères a en effet favorisé une reprise des combats au Sud-Kivu et dans l'Ituri où différentes milices congolaises soutenues par l'Ouganda ou le Rwanda se livrent à une lutte sans merci. Un conflit qui fait des dizaines des milliers de victimes et de déplacés » 43.

La ville ainsi que le territoire de Beni ont accueilli des milliers des déplacés sur la route Beni-Eringeti qui mène vers Bunia. Cela a eu des conséquences sur le plan social et démographique.

En mettant un accent sur l'aspect démographique, les statistiques données par les différents bureaux de l'Etat civil doivent être prises avec beaucoup de prudence. Comparer le taux de croissance de 7,52% obtenu pour la ville et le territoire de Beni au taux annuel national de 3,3% du recensement de 198444, on serait tenté de dire qu'il y a surpeuplement. Or, depuis 1984, aucun recensement scientifique n'a plus été organisé. On se contente actuellement de l'identification et de l'enrôlement effectués à Beni par la Commission Electorale Indépendante du 21 août au 4 novembre 2005. C'est cette commission qui a fourni les cartes d'électeurs considérées aujourd'hui comme pièces d'identité. Comparer à l'heure actuelle ce taux à celui de la croissance démographique annuelle de la RD. Congo, ce serait fausser l'interprétation dès lors que certains déplacés qui se sont enregistrés dans différents bureaux de l'Etat civil sont rentrés en Ituri. Il faudra attendre le nouveau recensement pour se prononcer sur cette question.

Sur le plan économique, la situation de Beni est diversifiée. Après l'agriculture qui est la base de l'économie du territoire vient le commerce, puis la petite industrie et la pêche. Pour rappel la pêche se développe sur le lac Edouard qui couvre une superficie de 2.240 km2, dont 1.630 km2 se trouvent au Congo (73 %) et 600 km2 en Ouganda (27 %). Il se trouve dans la zone ouest du Rift africain situé à une altitude de 914 mètres45.

43 LANOTTE, Olivier, République Démocratique du Congo. Guerres sans frontières. De Joseph-Désiré Mobutu à Joseph Kabila, Collection Livres du GRIP, n°266-268, GRIP, Bruxelles, 2003, p.156

44 HAMULI KABARUZA Baudouin, et al. , La société civile congolaise. Etat des lieux et perspectives, Editions colophon, 2003, p. 18

45 RENE, François, et DANIEL, Patrick, Archives de documents de la FAO. Les ressources halieutiques du lac Edouard/Idi Amin, Recueil de documents présentés à la Consultation technique des lacs Edouard et Mobutu partagés entre le Zaïre et l'Ouganda, 17-21 septembre 1990, Kampala/Ouganda. Disponible sur : http://www.fao.org/docrep/005/AC758F/AC758F04.htm visité le 15 juin 2008

L'agriculture quant à elle est basée sur la culture de produits industriels, tels que le café, l'huile de palme, la papaye, l'arachide, et des produits vivriers comme le manioc, les haricots, la banane, la patate douce, la pomme de terre, le riz, le soya, le maïs et divers fruits. De toutes ces cultures, celle du café était la base économique du territoire de Beni, il y a deux décennies. Malheureusement, les plantations ont été décimées par la trachéomicose. Quelques centres de recherche et Organisations Non Gouvernementales (ONG) cherchent à contourner ce problème en vulgarisant d'autres variétés de caféiers résistant à la maladie. Il s'agit du Centre de Formation et d'Animation pour un Développement Solidaire (CEFADES) de l'Université Catholique de Graben/Butembo et du Syndicat des Défenses des Intérêts Paysans (SYDIP).

S'agissant du commerce, celui-ci est parti de bases fragiles, car il est fondé sur l'exportation des produits agricoles et forestiers et l'importation des produits élaborés à partir du Moyen Orient. La quasi-totalité des magasins et boutiques est tenue par les Nandes. Ils ont leur sièges commerciaux à Butembo, une ville proche et située à 54 km. L'importance du territoire de Beni, sur le plan socio-économique, est liée d'une part à l'exportation des cultures industrielles et du bois de la forêt équatoriale, mais également aux usines de café, de papaïne et d'autre part de services publics. Ce commerce constitue la raison d'implantation de plusieurs services comme l'Office de Douanes et Accises, l'Office congolais de Contrôle, l'Office National du café, ... A ce titre Omer Kambale Mirembe nous décrit ce qui suit :

« En plus Beni a l'avantage de se trouver sur la route menant à la frontière de Kasindi, principale porte d'entrée pour cette partie du Congo. Mais si les opérations de dédouanement se font à Beni et Kasindi la plupart des cargaisons, particulièrement les importations sont destinées à Butembo. [...] Seuls 10 à 20% des importations sont destinées à Beni, et il s'agit principalement des produits pétroliers, le reste constitue des importations en transit vers Butembo. Cependant, Beni réalise une quote-part plus importante des exportations : plus de 60% du tonnage. »46

C'est également à Beni qu'est situé l'aérodrome Wageni dans l'enceinte de l'entreprise ENRA (Enzymes-Raffiners Association). Cet aérodrome accueille plusieurs avions cargos de moyen tonnage pour le commerce régional.

Sur le plan industriel, l'activité tourne principalement autour de quelques produits. Il s'agit à titre illustratif de47 :

46 KAMABALE MIREMBE, Omer, op.ci., p.99.

47 Emmanuel MUSONGORA SYASAKA, « le rôle du marché dans la synergie agriculture et industries agroalimentaires du territoire de Beni et Lubero », Le marché. Parcours et initiatives, Centre de Recherches Interdisciplinaires du Graben, U.C.G-Butembo, N°5, octobre 2006, pp 257-278.

- Enzymes-Raffiners Association (ENRA) qui a fonctionné depuis 1969 à Mutwanga pour l'achat de la papaïne, le café, l'exploitation du bois et la fabrication des meubles ;

- Le Complexe Théïcole de Butuhe (CTB) dans la fabrication du thé depuis 1970 ;

- La savonnerie Industrielle de Butuhe dans la fabrication du savon de ménage depuis 2000 ;

- La Plantation du Nord-Kivu (PLANOKI) dans le traitement du café, ...

Du point de vue culturel, il faut remarquer que le territoire de Beni occupé en majorité par les nandes répond aux caractéristiques culturelles dont parlent Muwiri Kakule et Kambalume48. En effet, les nandes occupent un espace constitué de deux blocs, le grand et le petit bloc. Le grand bloc dans le territoire de Beni est constitué des nandes qui habitent les deux collectivités suivantes : Bashu, avec comme chef lieu Vuhovi et Ruwenzori avec comme chef lieu Mutwanga. Le petit bloc est constitué des nandes vivant dans le centrenord du territoire de Beni. Ils sont entourés par d'autres peuples. Dans le petit bloc on trouve le groupement des Nandes-Kainama avec comme chef lieu Kainama. Par rapport aux autres tribus qui l'entourent, le petit bloc est influencé par les cultures de celles-ci notamment, les Batalinga à l'est, les Bahema-Boga au nord, les Balese Avonkutu à l'ouest et les Bambumba-Kisiki au sud. Sociologiquement, ils s'identifient aux nande de part leur langue et autres traits caractéristiques. En somme, la culture des nandes est toujours liée à l'historique de l'implantation cette ethnie découlant de son itinéraire lors de l'immigration.

2. Le territoire de Lubero49

Le territoire de Lubero, comme celui de Beni, est une entité décentralisée située au Nord-Kivu et mesure 18096 km2. Ce territoire se situe entre 1°de latitude Nord et 1° de latitude Sud et entre 28° et 30° longitude Est. Traversé par l'Equateur, il est limité à l'Est par le lac Edouard, à l'Ouest par le territoire de Bafwasende, au Nord par les territoires de Beni et de Mambasa, au Sud par le territoire de Rutshuru. Le chef lieu est situé à Lubero à environ 300 km au nord de Goma.

Il connaît un climat tropical d'altitude avec un relief montagneux dont l'altitude varie de 1500 à 2000 m. C'est une région qui pratique des cultures maraîchères.

La diversité des cultures agricoles est liée à celle du relief. Comme le souligne Anselme Paluku Kitakya50 en citant Kakule Vyakuno et Kasay Lenga Lenga, dans sa

48 MUWIRI KAKULE et KAMBALUME, Identité culturelle dans la dynamique de développement, Academia Bruylant /Presses de l'Université Catholique de Graben, Louvain-la-Neuve/Butembo, 2002, p.20.

49 Source : rapport administratif du territoire de Lubero. Informations recueillies en juillet 2007.

50 PALUKU KITAKYA, Anselme, Interactions entre la gestion foncière et l'économie locale en région de
Butembo, Nord Kivu, République Démocratique du Congo
, thèse de docteur en sciences sociales,

morphologie géophysique, la région présente un relief très contrasté, hérité de la tectonique des plaques qui s'est traduite par l'écartement des plaques africaines et somaliennes.

Cette différenciation morphologique permet de distinguer quatre zones d'altitude : le fossé tectonique (850-1000 m), les hautes terres fraîches (2000-3100 m), les hautes terres tièdes (1400-2000m) et le plateau occidental (900-1400 m). Ce qui conduit à distinguer trois zones édaphiques et climatiques : les hautes terres, les terres moyennes et les basses terres.

Sur le plan administratif, le territoire de Lubero compte quatre entités coutumières (Bamate, Bapere, Baswagha et Batangi), quatre agglomérations semi-urbaines (Lubero, Kayna, Kirumba et Kanyabayonga) et une ville, celle de Butembo.

Au niveau démographique, le territoire est occupé par les nandes. Comme le dit Christian KAPARAY, il est facile de trouver ici 60 ménages au km2, alors que dans les basses terres, la densité tombe dans les 10 ménages au km2. La région se caractérise par son organisation en plusieurs villages avec un habitat groupé. Représentés par un chef du village, assisté par les chefs de familles, ces villages sont de taille importante. Cette dernière est d'environ 500 habitants en raison de 8-10 personnes par ménages. Le village compte en moyenne 300 ménages51.

Les statistiques recueillies pour la seule ville de Butembo qui se trouve dans le territoire de Lubero montre que de 2000 à 2007 la population a tendance à la hausse. Nous dégageons à cet effet, un taux de croissance démographique moyenne de 4,66%. Mirembe souligne cela en ces termes :

« à la base de cet accroissement, il y a à la fois des facteurs endogènes mais aussi l'exode rural. De plus, depuis que Butembo a le statut de ville, ses limites se sont étendues et elle a incorporé une population dépendant auparavant des entités rurales dites groupements. On sait aussi que l'extrême est du Congo constitue une zone de concentration de peuplement où le taux de croissance démographique dépasse la moyenne nationale estimée en 1984 à 3,1 % » 52.

Sur le plan économique, le territoire de Lubero est axé sur l'agriculture. De façon générale, les cultures y pratiquées sont vivrières. Une grande partie de la récolte sert d'autoconsommation. On y rencontre quelques cultures industrielles. Il s'agit notamment du : caféier arabica, quinquina, pyrèthre. Actuellement certaines cultures industrielles sont en pleine vulgarisation par les Organisations Non Gouvernementales d'encadrement

Développement, population et enviroemment, Université Catholique de Louvain, Presses Universitaires de Louvain, Louvain-la-Neuve, 2007, p.79.

51 KAKULE KAPARY, Christian, Op.Cit, p.80.

52 KAMBALE MIREMBE, Omer, op. cit., p.101.

paysan. C'est le cas de l'aloès connu sous le nom « aloe verra » ou « ngaka » pour la langue vernaculaire. Cette base économique pousse la population à s'attacher à la terre. L'accès à la terre se fait soit par héritage, soit par cession du propriétaire terrien moyennant une redevance annuelle : poule ou chèvre selon l'étendue du lopin de terre. Les conflits fonciers y sont fréquents contrairement à ce qui se passe dans le territoire de Beni. Il s'agit souvent de conflits des limites des champs ou encore de mauvaise répartition des redevances perçues annuellement par les propriétaires terriens.

Pour rappel, la terre demeure sous un régime foncier communautaire. Chaque chef de ménage, membre de la communauté, jouit d'un lopin de terre à transmettre aux générations futures. Une telle gestion des terres est sans doute l'objet des conflits fonciers suite à un taux de croissance démographique élevé non maîtrisé dans le contexte d'un Etat faible. Par ailleurs, la terre est l'objet de plusieurs enjeux selon les différentes logiques d'acteurs internes et/ou externes. Il s'agit des hommes d'affaires, des paysans, des services publics, des propriétaires terriens et des intermédiaires. Dans cette optique s'inscrivent plusieurs projets de « glissement des populations » exécutés par des ONGD et des associations confessionnelles. Il s'agit de projets qui consistent à sensibiliser les populations des Hautes Terres de Lubero, considérées comme région surpeuplée, à migrer vers les Basses Terres, territoire de Beni et le Sud-Ouest de Lubero où l'accès à la terre serait encore plus facile.

Du point de vue commercial, le territoire de Lubero dépend des commerces situés dans la ville de Butembo qui sont depuis ces deux dernières décennies en pleine croissance. En effet, en 2001-2002, comme le dit Mirembe dans son étude, on pouvait compter plus ou moins 1200 boutiques et magasins dont la plupart sont des entreprises individuelles ou familiales, 160 officines pharmaceutiques, de nombreux métiers artisanaux et plusieurs micro-unités marchandes. Ces commerçants sont issus du paysannat dont ils gardent les traits de comportement. Ils effectuent souvent des échanges transnationaux : avec par exemple, l'Ouganda, le Kenya, le Moyen Orient, ...

Nous pensons ainsi avoir donné un aperçu général sur les territoires de Beni et de Lubero. C'est dans ce même cadre qu'il faudra passer en revue l'historique du christianisme et de la société civile.

II.2 Histoire du christianisme des territoires de Beni et Lubero.

Dans son histoire, l'implantation du christianisme dans les territoires de Beni et Lubero s'inscrit dans un projet d'ensemble du Congo-Belge sous la bénédiction du gouvernement colonial. Sur le plan pratique, on s'aperçoit que le pays a été d'abord en contact avec le christianisme dans sa partie Sud-Ouest. Pour mieux comprendre cette évolution historique,

il est plus intéressant d'analyser cela sur trois périodes : la période précoloniale, la période coloniale et la période d'après l'indépendance.

Cette section nous aide également à comprendre comment le christianisme s'est installé plus particulièrement dans les territoires de Beni - Lubero afin d'établir une liaison avec la dynamique associative religieuse au sein de la société civile locale. Nous partons d'abord de l'aspect global de l'évangélisation du Congo pour finalement orienter le regard vers le territoire d'étude en mettant, d'un côté, un accent sur les missionnaires (catholiques et protestants) et de l'autre sur les églises de guérison ou prophétique qui se situent actuellement dans le courant des églises évangéliques.

II.2.1. Période précoloniale : phase exploratoire

1. Les catholiques

Comme le souligne Edouard Litambala Mbuli53, l'Eglise catholique en RD. Congo a connu trois périodes dans son histoire de l'évangélisation. La première va de 1483, date de la découverte de l'embouchure du fleuve Congo par le navigateur portugais Diego Cão, à 1835 par la christianisation du royaume Kongo sur la côte atlantique. La deuxième évangélisation se situe entre l'organisation de la conférence de Berlin en 1885 et 1980, année du centenaire de l'évangélisation au Congo. Et la troisième phase d'évangélisation dénommée « évangélisation en profondeur » en 1980. Elle est développée par l'épiscopat qui congolais continue à se situer face à l'actualité du pays et au contexte sociopolitique.

En se référant à la Conférence Episcopale Nationale du Congo, l'historique sur l'évangélisation au Congo peut-être classée en deux phases. Les évêques de la RD. Congo disent:

« à la fin du 15ème siècle, le Congo est entré en contact avec des missionnaires portugais. Cette première phase de l'évangélisation, limitée à la partie Sud-Ouest du pays fut malheureusement interrompue en 1835 avec l'expulsion du dernier Capucin de Luanda par les calvinistes hollandais. La seconde phase de l'évangélisation, à partir de 1880, constitue une reprise de l'activité missionnaire par de nouvelles congrégations avec des équipes renouvelées et renforcées. Ces missionnaires pénétrèrent à la fois par l'Est et l'Ouest » 54.

Toutefois, quelques points essentiels peuvent être retenus pour ces deux phases.

53 LITAMBALA MBULI, Edouard, op.cit., p23.

54 CONFERENCE EPISCOPLE NATIONALE DU CONGO, Nouvelle évangélisation et catéchèse dans la perspective de l'Eglise de Dieu en Afrique. Instructions à l'usage des agents de l'évangélisation et de la catéchèse en République Démocratique du Congo. Ed. Secrétariat Général de la CENC, Kinshasa, 2000, p. 27.

En ce qui concerne la première, le premier contact du christianisme avec le royaume Kongo date du 3 août 1482/3, jour de l'arrivée de Diego Cão à l'embouchure du fleuve Congo. A l'époque des découvertes, le peuple du Nord-Ouest de l'Angola et celui du Sud-Ouest du Congo constituaient un seul et même royaume. Le premier prêtre à avoir foulé le sol du Congo est sans doute l'aumônier de la flottille portugaise de l'explorateur. A son retour au Portugal, Diego Cão prit à bord quatre Solongo qui devaient apprendre la langue portugaise et servir d'interprètes par la suite. Ceux-ci furent ramenés dans leur pays au deuxième voyage de l'explorateur. C'est en cette occasion en 1487, le roi N'zinga Nkuwu accepta l'offre d'amitié de Dom João II, roi du Portugal et demanda l'envoi de missionnaires et d'artisans pour entreprendre l'évangélisation du royaume et initier les habitants aux divers métiers exercés au Portugal. C'est pendant la deuxième mission de Diego Cão que l'amitié entre Lisbonne et Mbanza Kongo fût scellée. Ce qui ouvrit le pays au christianisme. Il y avait à bord de la flottille, conduite par le capitaine Rui Sousa, quelques franciscains et divers artisans : maçons, charpentiers, tuiliers, cordonniers, ménagères,... munis tous de leurs outils respectifs.

L'évangélisation débuta par la province de Soyo, avec le baptême du Mani Soyo, oncle du roi du Kongo, ainsi que celui d'un de ses fils le 3 avril 1491, en présence des notables et d'une foule immense de gens. Un mois après, le 3 mai 1491, le roi N'zinga Nkuwu fut baptisé du nom de Dom João avec six dignitaires du Royaume. Par le baptême du roi, le royaume du Kongo est entré officiellement dans l'Eglise catholique. Cependant, il est à souligné qu'on ne doit pas prétendre que dès ce moment tous les habitants faisant partie du petit peuple, aient été convertis par la prédication des missionnaires, ni que tous les baptisés aient vécu en chrétiens. Mais, d'après le principe de l'époque « selon lequel le pays suit la religion du roi », le royaume Kongo était devenu chrétien officiellement. Dans la réalité, l'impact initial de cette évangélisation fut minime. La preuve est qu'après le départ de la flotte portugaise en 1492, le roi N'zinga Nkuwu baptisé Dom João, renonça à sa foi chrétienne. Ce qui entraîna dans son apostasie l'un ou l'autre des notables baptisés. Néanmoins, il ne manifesta aucune hostilité particulière à la religion chrétienne, ni aux missionnaires à Mbanza Nsudi : lieu qui devint dans la suite un centre de gravité du christianisme au Kongo.

La deuxième phase de l'évangélisation, intervient suite à l'apport de l'ordre des Capucins. En effet, la conférence Episcopale écrit à ce propos ce qui suit :

« Après 30 ans d'interruption, la Sacrée Congrégation pour la Propagation de la
Foi décida la reprise de l'activité missionnaire dans le pays. Par le décret du 9
septembre 1865, la Préfecture apostolique du Congo, confiée autrefois aux

capucins italiens, fut transférée aux spiritains français. Le 23 novembre 1874, Boma fut proposée comme point de départ pour la pénétration à l'intérieur du Congo. Et, après bien des visites de reconnaissance et de nombreuses démarches, deux Spiritains débarquèrent à Boma, pour y fonder une mission, au bord du fleuve, sur l'actuel Mont Saint-Esprit. C'était le 12 mai 1880. En novembre de la même année, les pères Blancs Missionnaires d'Afrique débarquaient eux aussi à Mulewa, à l'Est du pays 55».

Sur base de la déclaration de la conférence épiscopale, on s'aperçoit clairement que les protestants calvinistes ont été présents sur le territoire pendant la période précoloniale. Ce qui nous amène effectivement à passer en revue la mission protestante.

2. Les protestants

Le protestantisme, dans son expansion, a profité de la période de la recherche des matières premières et de nouveaux débouchés commerciaux par les nations européennes. MUNAYI MUNTU-MONJI dit à ce propos :

« à la fin de 1877, cette confession était déjà entre autres dans une région littorale de l'Afrique Centrale, non loin de la côte atlantique du Zaïre. Le protestantisme fit son entrée au Zaïre avec la visite de la côte atlantique par deux missionnaires de la Baptist Missionary Society (B.M.S) partis du Cameroun, George Grenfell et Thomas J. Comber. Momentanément rentrés au Cameroun, l'oeuvre évangélisatrice protestante démarra avec deux autres missionnaires appartenant à la Livingstone Inland Mission (LIM).»56.

En se référant à Emile-Michel Braekman57, on se rend compte que le protestantisme y est arrivé bien avant notamment lorsqu'il parle des précurseurs du protestantisme au Congo.

Les précurseurs sont des missionnaires qui s'intéressaient, d'une manière ou d'une autre, à la découverte de l'autre monde dont l'Afrique. Ils sont des calvinistes belges qui ont, au 16ème siècle, participé de près ou de loin à découvrir le Congo en appuyant les expéditions. Il s'agit principalement de Adrien Saravia, Pierre Placius, Pierre Van Den Broecke et de certains trafiquants évangélistes flamands. Emile-Michel Braekman, poursuit en disant qu'à ceux là s'ajoute l'écossais David Livingstone qui effectua plusieurs voyages entre l'Angleterre et l'Afrique. Il commença d'abord son exploration et

55 CONFERENCE EPISCOPLE NATIONALE DU CONGO, Ibidem., p35.

56 MUNAYI MUNTU - MONJI, les vingt - cinq ans de la faculté de théologie protestante au Zaïre : 1959 - 1984. Presses Typo-Offset de la SODAZ, Kinsahsa, 1984, p.12

57 BRAEKMAN, Emile-Michel, Histoire du protestantisme au Congo, Editions de la librairie des eclaireurs unionistes, Collection Histoire du protestantisme en Belgique et au Congo Belge, Tome 5, Bruxelles, 1961, lire p.23-88.

évangélisation au sud de l'Afrique, puis sur la côte orientale du même continent avant de découvrir le lac Tanganyika en avril 1867. Il s'établit à Ujiji en Tanzanie suite à la fatigue et à la maladie. De là, après son rétablissement, il va aller jusqu'au Maniema dans le Kivu où il parcourut l'Est du territoire du Congo pendant deux ans (du 12 juillet 1869 au 23 octobre 1871) explorant la rivière Lualaba qu'il croyait être le Nil. C'est en évangélisant dans cette partie du continent qu'il prit connaissance du fléau de l'Afrique noire : la traite des esclaves à laquelle il fallait mettre fin. Le massacre de Nyangwe perpétré par les arabes le 14 juillet 1871 l'obligeant à quitter le territoire, il rentra à Ujiji où il va rencontrer Henri Morton Stanley, explorateur anglais qui collaborera plus tard avec le roi Léopold II. Livingistone trouva la mort le 30 avril 1873 à Chintambo cherchant coûte que coûte à trouver les sources du Nil. Il est considéré comme le premier à avoir introduit le protestantisme à l'Est du Congo avant que cette partie du pays ne soit acquise par le roi Léopold II, histoire qui caractérisera la période coloniale.

Outre les personnes citées comme précurseurs, selon MUNAYI MUNTU-MONJI58, il faut ajouter les pionniers protestants qui débarquèrent en 1878 à l'Ouest du Congo. Il s'agit de la Livingstone Inland Mission (L.I.M.) conduite par Henri Craven connu jusqu'aujourd'hui comme le premier missionnaire à commencer son oeuvre de façon permanente sur le territoire du Congo. Ils furent les premiers à fonder une mission protestante sur le sol congolais : ce poste est Mpalabala. En 1884, ne pouvant plus continuer à faire face aux innombrables difficultés, surtout d'ordre financier, la LIM céda ses postes et ses effectifs à d'autres sociétés missionnaires, l'une américaine et l'autre suédoise. Outre la LIM, comme pionniers il y a lieu de citer la Baptist Missionary Society et la Garanganze Evangelical Mission. A cette époque le Katanga s'appelait la Garaganze dirigé par le roi Msiri qui s'était farouchement opposé aux hommes blancs.59

II.2.2. Période coloniale : 1885 - 1960

1. Les catholiques

Durant cette période l'histoire du christianisme du Congo est directement liée à celle de la colonisation. Les transactions internationales qui avaient précédé la naissance de l'Etat Indépendant du Congo (E.I.C) eurent pour conséquence la politisation de l'évangélisation. En effet, le roi Léopold II qui venait d'acquérir cette partie du continent à la Conférence Internationale de Berlin (1885) sera confronté à plusieurs problèmes de collaboration avec les missionnaires non belges qui étaient dans le pays parce que,

58 MUNAYI MUNTU - MONJI, Idem., p.12.

59 Braekeman, Emile-Michel, op.cit., p81.

visiblement, ils ne lui obéissaient pas. Son entreprise était plus menacée par les visées d'autres puissances.

Matthieu Sitone en citant la lettre du Frère Orban relate ce qui suit dans sa thèse de doctorant :

« Au Congo-Belge, le pouvoir colonial préférait avoir des nationaux belges car les autres puissances européennes avec leurs missionnaires semblaient peu favorables à la petite Belgique. Les missionnaires établis au Congo étaient presque tous des « étrangers ». Les uns baptistes, les autres évangélistes et plus dévoués aux idées anglaises, surtout ceux qui dépendaient du cardinal Lavigerie. Il existait une opposition entre les missionnaires dirigés par Lavigerie et le roi Léopold II. C'est pourquoi, le roi Léopold II observait une grande réserve à l'égard des

missionnaires étrangers de toute confession religieuse et souhaitait une majoritébelge parmi les congrégations religieuses »60.

Pour lutter contre la campagne menée autour de l'Etat Indépendant du Congo, le roi décide de faire appel à d'autres congrégations religieuses qui pouvaient lui obéir même si elles étaient étrangères. C'est dans cette optique que la congrégation anglo-hollandaise des Prêtres de Mill-Hill va être sollicitée. Dans la suite cette congrégation aura le privilège d'être considérée comme une mission nationale, bien qu'étrangère. Ce n'est qu'en 1886 que le Pape Léon III va accorder le monopole de l'évangélisation de l'Etat Indépendant du Congo au roi61.

Pour réaliser ce destin, le roi proposa la création, ou encore mieux, l'ouverture d'un séminaire africain à Louvain en 1886 en vue de former des missionnaires belges destinés pour le Congo. Il obtint la permission d'ouvrir ce séminaire en 1886 par l'entremise de l'archevêque de Malines et grâce à la collaboration des évêques belges. Par ailleurs, le roi sollicita la collaboration des Pères de Scheut et des Jésuites qui étaient plutôt orientés vers linde. Grâce à l'intervention du pape Léon XIII, Léopold II obtint gain de cause auprès des Scheutistes qui [...] acceptèrent la mission du Congo. Cette dernière fut érigée par le pape en Vicariat apostolique du Congo Indépendant le 11 mai 188862. Les scheutistes furent

60 Lettre du Frère Orban de Xivry à Lambermont cité par Matthieu Muhemu Subao Sitone, Naissance et croissance d'une église locale (1896/97 - 1996). Le cas du diocèse de Butembo-Beni au Congo Kinshasa (RDC), thèse de docteur en histoire, Faculté de géographie, Histoire de l'art et tourisme, Université Lumière Lyon 2, juillet 2006, p.11.

61 De MEEUS, D.F. et STEENBERGHEN, D.R., Les missions religieuses au Congo Belge. Anvers, Editons du Zaïre, 1947, p. 25-26.

62 Matthieu Muhemu Subao Sitone, Naissance et croissance d'une église locale (1896/97 - 1996). Le cas du diocèse de Butembo-Beni au Congo Kinshasa (RDC), thèse de docteur en histoire, Faculté de géographie, Histoire de l'art et tourisme, Université Lumière Lyon 2, juillet 2006,, p.4.

rejoints par plusieurs autres congrégations dont ceux du diocèse de Gand, les rédemptoristes, les jésuites, les trappistes, etc. 63

Le vicariat64 comprenait toute la colonie à l'exception de la partie orientale entre la rivière Lualaba et le Tanganyika confiée aux Pères Blancs qui y placèrent un personnel religieux belge, alors que les jésuites s'implantèrent en 1893 dans la mission du Kwango. En outre le souhait du roi Léopold II était d'établir une collaboration religieuse, humanitaire et politique avec des missions nationales. Ces missions devraient être placées sous sa responsabilité et dirigées par les belges qui enverraient au Congo un personnel suffisant parmi les belges.

C'est dans ce contexte, d'après Matthieu SITONE, que le Père Léon Déhon, fondateur des Pères de Sacré-Coeur de Jésus appelés aussi déhoniens, demandait une mission dans sa lettre adressée à Rome le 12 février 1897. Il venait de créer sa congrégation en 1877 et disposait de religieux en suffisance. Cette demande d'une mission au Congo fut bien accueillie à Rome pour l'évangélisation du Congo belge dans la province orientale. Cela coïncidant avec le désir immense du roi qui était en quête des missionnaires pour cet immense territoire qu'il venait d'acquérir à la conférence de Berlin en 1885. Les territoires de Beni et Lubero, qui constituent notre zone d'étude, dépendaient en cette époque de la province orientale. Ils se retrouvèrent ainsi dans sa juridiction.

Comme l'écrit Matthieu, bien que la mission de Beni considère le 24 septembre 1906 comme la date anniversaire de sa fondation, il est à remarquer que le christianisme apparaît dans les contrées de Beni et de Lubero peu avant vers les années 1896/1897. La date du 24 septembre 1906 correspond à l'ouverture de la mission de Beni par les Déhoniens envoyés par le gouvernement de l'Etat léopoldien au Congo. C'est à cette date que le missionnaire de Sacré-Coeur (Déhonien), le Père Gabriel Grison, fut accueilli à Beni. Pour les autochtones ces différentes dates rappellent l'Etat Indépendant du Congo et particulièrement l'établissement du poste d'Etat dans le territoire de Beni en 1894. Sur le plan juridique, cette mission dépendait de la préfecture apostolique de Stanleyville car Beni n'a été reconnue comme mission au sens juridique qu'en 193465.

Selon Matthieu toujours, avant la colonisation, les Nandes auraient subi l'influence des missionnaires du Cardinal Lavigerie, établis en Ouganda depuis 1893. C'est grâce à ceux-ci qu'on a des renseignements sur le passage dans la région de l'explorateur Henri Morton Stanley. Il s'agit plus particulièrement des Pères Blancs Auguste Achte et

63 BONTINCK, François, L'évangélisation du Zaïre, Kinshasa, Ed. Saint-Paul Afrique, 1980, p.48.

64 Le vicariat apostolique est une subdivision administrative dans l'église catholique dirigée par un vicaire apostolique ou encore mieux par un évêque chargé de l'administration d'un pays de mission qui n'est pas encore érigé en diocèse.

65 Matthieu Muhemu Subao Sitone, Ibidem, p.8.

Verangot. En plus cette influence missionnaire semble avoir été facilitée par les liens culturels partagés entre le peuple Nande vivant de part et d'autre de la rivière Semuliki. Des jeunes gens se rendaient à Fort-Portal, paroisse Virika en Ouganda, pour visiter leurs familiers et, à ces occasions, ils se préparaient au baptême. Revenus chez eux, ils devenaient les évangélisateurs de leurs congénères.

Ce récit confirme la thèse selon laquelle les Nandes sont originaires de l'un des anciens royaumes des grands lacs d'Afrique, le Bunyoro-Kitara en Ouganda qui était prêt de la frontière avec le Congo. A ce propos le Père assomptionniste Lieven Bergmans66 dit que le Bunyoro Kitara comptait plusieurs tribus d'origines différentes. Il fut abord dirigé par les nilotiques (les Bahema) qui furent expulsés par les hamites (les Bachwezi). Avec le bouleversement politique au Bunyoro vers le 17ème siècle, cela va entrainer le départ des populations vers l'Ouest du royaume. Il s'agit des Barega, des Babira, des Banande,... La minorité des Nandes qui restèrent dans le pays constituant le nom des kondjo. La majorité pénétra le Congo et s'établit sur la crête Zaïre-Nil dans les actuels territoires de Beni et de Lubero.

Sur le plan social, Anselme PALUKU KITAKYA dit :

« les émigrants Nandes disposaient encore des facilités d'entretenir des relations avec leurs terroirs d'origine au kitara-Bunyoro dans l'Ouganda voisin » 67.

De ce qui précède, on comprend bien que les prémisses du christianisme de cette contrée (territoires de Beni et Lubero) sont venues de l'Ouganda. L'influence missionnaire ougandaise ne pouvait qu'inquiéter l'Etat belge. Ainsi, le but d'implantation du poste d'Etat et de la mission de Beni semble, pour certains, non seulement de limiter l'influence musulmane et anglaise mais aussi améliorer les conditions morales et sociales des populations. Il s'agissait pour les belges de « civiliser » les indigènes. Le mot « civilisation » impliquant dans cette logique des aspects politiques (le changement du système politique traditionnel dirigé sous l'autorité coutumière, le « Mwami »), religieux (le rejet des valeurs traditionnelles religieuses), économiques (introduction de l'agriculture moderne et traçage des routes), sociales (construction d'hôpitaux, écoles et foyers sociaux), etc.

Dans leur méthodologie d'évangélisation, les missionnaires contactaient d'abord les chefs des villages dont ils tentaient de gagner la confiance. Ensuite, il s'agissait de prêcher dans les villages même si ceux-ci étaient dispersés. Du point de vue sociologique, la région

66 BERGMANS, Lieven , Histoire des Baswagha, Edition A.B.B., Butembo, 1970, p.8.

67 PALUKU KITAKYA, Anselme, Les institutions foncières rurales et leur impact sur le développement local. Cas des Hautes Terres du Bunande au Nord-Kivu (République Démocratique du Congo), Mémoire, DEA en Développement, Environnement et Sociétés, Louvain-la-Neuve, janvier 2003, p. 42.

est constituée par un habitat groupé. Les villages traditionnels sont dispersés. Les habitats sont construits de manière à former des rangées constituant ainsi le « Mulongo ». Les missionnaires y instruisaient ceux qui se présentaient et recouraient aux catéchistes itinérants ou parfois résidents qui devenaient les responsables spirituels des villages. Une autre méthode utilisée en vue de se faire accepter était d'enseigner les chrétiens dans la langue locale. Mais cela ne fut pas facile. Selon Matthieu Muhemu Sitone dans la contrée de Beni, il y avait un groupe de personnes qui ne voulait pas apprendre le swahili mais qui voulait suivre le catéchisme dans sa propre langue. C'est pourquoi, les missionnaires enseignaient dans la langue de l'Ouganda. C'est ce qui explique la confusion qu'a connu le Père Gabriel Grison à Beni dans la grande chapelle en utilisant le kiganda au lieu du kinande.

Après le territoire de Beni, ce fut le tour de Lubero. Pendant que se poursuivaient les démarches d'une mission juridiquement autonome, à cause de l'expansion déhonienne dans le territoire même de Beni, les Pères du Sacré-Coeur étendaient leurs activités apostoliques notamment par la création dès 1924 du poste de mission Kimbulu Saint-Joseph, dans le territoire de Lubero. Toutefois, quatre ans avant, ils décidèrent d'ouvrir un petit séminaire à Beni. Le choix de l'emplacement du poste de Kimbulu fut fortement motivé par l'exploitation minière de la compagnie Minière des Grands Lacs (M.G.L.), par le poste d'État de Lubero, et enfin par la forte densité de la population ainsi que par fertilité présumée du sol qui pourvoirait aux besoins du poste. Cette implantation rappelle ce qui est qualifié de « trinité coloniale ». Celle-ci se compose de l'Etat, des Grandes compagnies minières et du poste de mission. Certes, insiste-il, les Pères n'étaient pas à la recherche de l'or, ni du platine mais de la sécurité en présence du groupe d'européens qui y travaillait et de l'Etat qui, éventuellement, dans une contrée encore insoumise offrirait une protection aux missionnaires68. Ils y installèrent un moulin et introduisirent la culture du froment. Pour faire face à une concurrence des protestants, il fallait placer de nombreux catéchistes dans les villages et leur rendre visite fréquemment.

Au cours de cette période, les missionnaires ont été confrontés à plusieurs problèmes: à la situation sociopolitique provoquée par les révoltés repliés dans les montagnes qui les considéraient en connivence avec le pouvoir oppresseur de la colonisation ; à la situation culturelle, suite à la destruction de certaines chapelles par les conservateurs ne voulant pas que leurs enfants apprennent à connaître le « dieu » des blancs au détriment des valeurs ancestrales ; à la situation climatique favorable à la mouche tsé-tsé vecteur de la maladie du sommeil ; à la présence de l'ouragan qui démolit

68 Matthieu Muhemu Subao Sitone, Ibidem, p.20.

une grande partie de la mission ; à la pénurie du personnel au sein de la congrégation expliqué par la recherche d'un personnel belge ou hollandais sur le terrain alors que les allemands disponibles en étaient refoulés...

En somme la mission de Beni fut abandonnée car une partie des missionnaires y connurent la mort. C'est dans ce contexte, aux dires de Matthiieu Sitone, que le Père Léon Cambron, considéra Beni, dans ses déclarations, comme une hécatombe des Pères du Sacré-Coeur de Saint-Quentin .

Il a fallu attendre l'intervention des assomptionnistes pour prendre la relève dans la région en 1929. Ceux-ci travaillèrent beaucoup pour créer d'autres postes de missions dont Muhangi en 1933, Mulo en 1934. Mais ils avaient moins de marge de manoeuvre car ils dépendaient de la préfecture de Stanley-Falls. C'est pourquoi il fallait travailler sur l'autonomie. Beni fut officiellement reconnu comme vicariat apostolique dans un décret papal le 22 juin 1934 avec le Père Henri Piérard, comme Supérieur ecclésiastique de la mission de Beni. Renforcés par les soeurs oblates de l'assomption et en collaboration, ils ouvrirent des oeuvres sociales comme les dispensaires, les foyers sociaux, et les centres d'alphabétisation. D'autres postes des missions furent ainsi ouverts : à Bunyuka (1935), à Mbingi (1935), à Manguredjipa (1937) et à Kyondo (1938).

Cependant le secteur scolaire était pénalisé faute du personnel qualifié. Les enfants ou écoliers doués étaient envoyés à Kilo dans la préfecture du Lac Albert à plus ou moins 370 km. Là on rencontrait des spécialistes d'enseignement au service des enfants du personnel minier. Des enfants en provenance du vicariat apostolique de Beni étaient acceptés en nombre très limité et devaient être les plus doués. Cela tend à confirmer que l'Etat belge implantait les structures sociales dans les contrées auxquels il portait intérêt. Devant la nécessité d'obtenir un personnel enseignant qualifié dans la région, les assomptionnistes décident en 1936 d'ouvrir une école normale à Beni. Elle sera ensuite sera transféré à Mulo en 1937 dans un climat froid sans trop de risques paludiques.

Cette école normale fonctionnera, malheureusement, avec des limites car le cycle d'orientation se trouvait à Muhangi à environ 70 km pendant plus de trente ans. Ce n'est qu'au début des années 70 qu'un cycle d'orientation, le cycle d'orientation Biondi, sera ouvert dans le même milieu sous la deuxième république. Lubero qui était le poste d'Etat n'avait aucune école secondaire. Il en fut ainsi jusqu'aux années 1990. Il se posait donc un sérieux problème d'accès aux écoles. Et si l'on pouvait y accéder, la seule option à fréquenter était la pédagogie.

Dans ce cadre, devant la floraison de la chrétienté et des oeuvres pastorales, sociales et caritatives avec un personnel diversifié constitué de religieuses et de religieux de

l'assomption, le pape Pie XI nomma le Père Henri Piérard, vicaire apostolique de Beni et évêque titulaire d'Andropolis en Afrique du Nord. Il fut sacré évêque à Mulo le 21 novembre 1938, date qui coïncida avec le 58ème anniversaire de la mort du fondateur des assomptionnistes, le Père Emmanuel D'Alzon. Le sacre de Mgr. Henri Piérard et l'érection de Beni comme vicariat donna un nouvel an élan au christianisme. Malheureusement la deuxième guerre mondiale, les maladies tropicales et l'éloignement de la métropole freinèrent cet élan. C'est après cette guerre que la nouvelle conquête missionnaire s'est poursuivie sous Mgr. Henri Piérard qui déboucha sur l'ouverture des postes suivants : Musienene (1945), Butembo-Kitatumba (1946), Mutwanga (1947) et Bwisegha (1948). Dix autres postes furent ouverts entre 1950 et 1960. Cette période est considérée comme celle de la grande expansion du christianisme dans le vicariat de Beni.

Dans l'entretemps Rome devança les politiques des indépendances en nommant des évêques locaux. Ce qui fut une phase transitoire vers l'Eglise locale. C'est dans ce contexte que Mgr. Henri Piérard sera nommé évêque résident et sa juridiction devint diocèse qui dépendra désormais de Bukavu (Sud Kivu comme chef lieu provincial) et non plus de Stanley-Falls (Kisangani) à plus ou moins 800km de la même ville. Le vicariat de Beni, devenu diocèse en 1959, comptait vingt paroisses dont six dans le territoire de Beni et quatorze dans le territoire de Lubero, ce dernier étant plus peuplé.

2. Les protestants

Du côté protestant, l'histoire est également liée à celle de la colonisation. L'acquisition du Congo par Léopold II eut une influence sur l'évangélisation du pays. Dès ce moment, la course était engagée entre ces missionnaires catholiques belges, dits nationaux et soutenus par l'Etat, et les missions protestantes seulement tolérées et exclusivement composées de non-belges. Il s'agit notamment des américains, des britanniques et des suédois. La fin du siècle vit s'installer deux autres importantes sociétés protestantes provenant des Etats-Unis, les presbytériens en 1891 et les disciples du Christ en 1899 au Kasaï et dans l'Equateur. D'autres sociétés missionnaires s'ajoutèrent, notamment : les méthodistes au Sud et au centre du Congo respectivement en 1907 et en 1914 ; l'Africa Inland Mission en 1912 ; la Mission au coeur de l'Afrique en 1913 ; la Mission Baptiste suédoise en 1919, etc.69

Faisons remarquer que contrairement au catholicisme, le protestantisme a fait son entrée au Congo par plusieurs portes, les uns sont entrés par l'Ouest et les autres par l'Est. Ils ne semblaient pas parler un même langage et cela en raison de la diversité des dénominations et à des appartenances des missionnaires à plusieurs nationalités, ... Ces

69 MUNAYI MUNTU - MONJI, Op.Cit. p.14.

divisions et particularités, bien qu'ayant un esprit commun d'évangile, renforçaient la faiblesse dans laquelle se trouvaient ces « étrangers » face à la toute puissante Eglise Catholique romaine solidement centralisée, structurée et hiérarchisée. Dans le but d'harmoniser la collaboration entre ces missions et de constituer un bloc dans leur rapport avec l'Etat, les responsables de différentes sociétés protestantes avaient songé à créer un cadre de concertation qui commença par une conférence tenue en 1902. C'est de cette initiative, comme le dit MUNAYI, qu'est née l'Eglise du Christ du Congo (E.C.C) en juin 1934. Elle s'inscrit à la suite de plusieurs étapes dont la création du Conseil Chrétien du Congo en 1922 (C.C.C) et du Conseil Protestant du Congo (C.P.C) en 1924. 70 Dans sa philosophie, l'E.C.C montre que l'Eglise protestante est unique bien que sur place existent plusieurs communautés. Ainsi s'explique pourquoi en cette époque on assista à la délivrance d'une carte de membre pour les protestants congolais, comme témoignage de l'appartenance à une même église.

L'analyse du contexte protestant est particulièrement complexe au regard non seulement de plusieurs communautés qui font partie du protestantisme en RD. Congo mais aussi des dissensions et schismes qui apparurent surtout dans les territoires de Beni et de Lubero. C'est pourquoi, parler des protestants, revient également à évoquer la question de l'implantation de l'E.C.C qui est aujourd'hui une union de soixante deux communautés protestantes de la RD. Congo. Selon, Musuvaho Paluku Dieudonné, elle est implantée à la suite de l'oeuvre évangélisatrice entreprise par les Eglises issues d'outre-mer. Poussés par le contexte du temps colonial, les protestants au Congo décideront de s'unir en une Eglise afin de répondre non seulement au Seigneur (...) et de faire un front commun vis-à-vis de l'autorité coloniale jadis injuste à l'endroit de la mission Protestante. L'ECC aura ainsi pour mission de s'occuper de l'évangélisation, des cultes, des oeuvres médicales, de l'éducation et de toutes les oeuvres sociales ayant trait au bien-être de l'homme. 71

De façon générale, comme le dit MUNAYI Muntu-Monji, les communautés protestantes n'ont pas collaboré avec l'Etat. Leur caractère étranger et la non-soumission à certaines réglementations coloniales n'ont fait qu'accentuer les choses. Dans le domaine scolaire, ils ne voulaient pas suivre les instructions du gouverneur général de la colonie qui pouvaient les faciliter l'accès aux subsides. Après l'octroi généralisé des subsides de l'Etat aux missions catholiques dès 1925 -1926, les protestants ont compris qu'ils ne pouvaient pas, sans subsides gouvernementaux, développer leur enseignement au rythme de l'évolution de pays et de faire concurrence aux catholiques. C'est pourquoi ils mirent tout

70 MUNAYI MUNTU - MONJI, Op.Cit. p.15.

71 MUSUVAHO PALUKU, Dieudonné, Aujourd'hui comment être l'Eglise du Christ au Nord-Kivu ?, Défis et espoirs pour l'Eglise du Nord-Kivu, éd. Littérature Biblique, Bruxelles, 1999, p.28.

en oeuvre pour remplir les conditions imposées par l'Etat pour obtenir les subsides. C'est qui semble expliquer pourquoi les oeuvres sociales protestantes, comme les structures scolaires, sont moins nombreuses durant la période coloniale. Il a fallu attendre en 1946 l'avènement du libéral Robert Godding, ministre belge des colonies, pour mettre toutes les missions chrétiennes dans la colonie sur un pied d'égalité. Cette égalité concernait plus particulièrement l'agréation des écoles et l'octroi par l'Etat des subsides relatifs à l'enseignement : avantages dont jouissaient déjà les missionnaires catholiques depuis 192672.

Dans l'Est du Congo, plus particulièrement au Kivu73, le pionnier protestant fut George Gendell de la Baptist Missionary Society (B.M.S.) qui arrive à Nyangwe le 16 mai 1903 puis vint le pasteur Smith qui continua sa mission en créant le poste de Waïka dans le Maniema. Ensuite ce fut la mission Méthodiste du Congo Central (M.M.C.C.) qui ouvrit deux stations au Kivu : Tunda en 1922 et Kindu en 1954. Durant cette époque, le Kivu sera marqué par l'afflux de plusieurs missionnaires protestants, comme la Mission Libre Suédoise (M.L.S.) en 1921, considérée au Congo comme la première oeuvre du mouvement pentecôtiste de Suède, la Mission Libre Norvegienne (M.L.N.) en 1928, l'Evangelisation Society Africa Mission (E.S.A.M.) en 1922, l'Union Pentecostale des Missionnaires de Grande Bretagne et d'Irlande (U.P.M.G.B.I.) en 1922, l'Unevangelized Africa Mission (U.A.M).

L'U.A.M, attire particulièrement notre attention en ce qui concerne l'évangélisation dans les territoires de Beni et Lubero74. L'article du Père Vincent K. Machozi 75 est également riche à ce propos. Dans son analyse parue dans Beni-Lubero Online, le 11 mai 2006, l'historique de l'église protestante dans les territoires de Beni et Lubero peut se résumer en ces quelques paragraphes.

L'origine de l'Eglise Protestante au Grand Nord remonte au vaillant missionnaire américain Charles Hurlburt (communément appelée "Horove" par les nandes qui avaient du mal à prononcer son nom) qui était parti de Philadelphie en 1898 pour fonder une première mission à Kijabe au Kenya, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Nairobi.

72 MUNAYI MUNTU - MONJI, Op.Cit. p.17.

73 Braekman, Emile-Michel, Op.Cit., p.209.

74 Lire à ce propos KANISA LA KRISTO MU CONGO, shirika la kibatste katikati ya Afrika, poste ya katwa, « hotuba ya historia ya CBCA kuhusu yubile ya miaka sabini na tanoya upashaji ya habari njema katika jamuhuri ya kidemucratia ya Congo, [discours de l'histoire de la CBCA à l'occasion du 75ème anniversaire de l'évangélisation de l'église protestante au Congo], document swahili traduit en français et prononcé à Katwa le 23 mai 2004, 16p.

75 MACHOZI K., Vincent a. a, « Enjambée historique de l'Eglise protestante du Grand Nord », in BeniLubero Online disponible sur : http://www.benilubero.com/index.php?Itemid=2&id=316&option=com content&task=view visité au 13 mai 2008.

Profitant du passage du Président américain Théodore Roosevelt en tourisme au Kenya en 1909, Charles Hurlburt passa par celui-ci pour obtenir une permission du Roi Albert de Belgique de fonder une mission au Congo Belge. Le roi de Belgique accorda cette permission en 1910 à l'Eglise Missionnaires à l'Intérieur de l'Afrique (AIM= African Inland Mission). Paul Hurlburt, fils de Charles Hurburlt, ayant étudié à l'Ecole Presbytérienne de Los Angeles rejoignit son père en 1917 au Congo Belge et s'installa à Abba, au Nord-Est du Congo Belge.

Neuf ans après, une dissension eut lieu en 1926 au sein de l'AIM quand Charles Hurburlt démissionna de l'Eglise AIM en signe de protestation contre les autres missionnaires qui voulaient élargir la mission à d'autres lieux que Kijabe (Kenya) et Abba (Nord-Est du Congo). Il rentra aux USA pour s'occuper de la présidence de la Société Biblique de Los Angeles. Ayant reçu un don de 25 000 US$ d'un riche fidèle du nom de Mr. McCormick, Charles Hurburlt demanda à son fils Paul Hurlburlt de fonder une nouvelle société missionnaire dans les coins non encore évangélisés d'Afrique. Ce schisme au sein de l'AIM donna naissance à l'UAM (Unevangelized Africa Mission = Mission pour l'Afrique non Evangélisée). Ce schisme se consolida en 1928 quand cinq missionnaires des familles Hurburlts, Williams, McIntoshes, Bigelows, et Belles arrivèrent en Afrique par la Tanzanie avant de s'installer le long de la Rivière Kabiro à Irango dans le territoire de Lubero après plusieurs mois de voyage par Bukavu, Sake et Masisi.

Paul Hurburlt qui avait déjà appris le swahili au Kenya commença directement l'évangélisation auprès de la population locale qui connaissait un peu de swahili simplifié appelé « Kingwana ». Paul Hurburlt va apprendre le Kiswahili Sarufi à quelques fidèles pour que ces derniers soient en mesure de lire la Bible ainsi que d'autres écrits liturgiques écrits en Kiswahili du Kenya. Confronté à la difficulté de communiquer en Kiswahili avec la population locale de Lubero, Paul Hurburlt se résolut d'apprendre le Kinande, la langue locale. Son apprentissage rapide du Kinande impressionna beaucoup les populations contrairement aux autres expatriés colons et missionnaires. Très tôt, Paul entreprit la traduction de la Bible en Kinande.

Cette église en naissance va connaître la première difficulté. C'est fut le refus de l'administrateur du territoire de Lubero qui représentait les intérêts miniers et commerciaux de plusieurs multinationales, de laisser les missionnaires évangéliser et éduquer la population de son territoire. Mais le Gouverneur de la Province résidant à Kisangani accorda aux missionnaires protestants le droit de poursuivre leur mission d'évangélisation dans la région.

En 1929, quand le temps fut venu de construire une mission permanente, le choix de ces missionnaires protestants baptistes tomba sur Katwa, située à 5 Km au sud de Butembo. Un docteur du nom de Carl Becker s'y installa et ouvrit le premier dispensaire et la première léproserie. Pendant la même année, c'est-à-dire fin 1929, la deuxième mission fut construite à Kitsombiro, au sud de Lubero. La soeur de Paul Hurburlt et son mari James Bell ouvrirentt la mission d'Oicha, au Nord de Beni en 1930 et Frank Manning ouvrit celle de Rwanguba à 15 Km à l'Est de Rutshuru en 1931.

Vincent Machozi poursuit en disant, la grande dépression économique des années 30 aux Etats Unis comme en Europe, affecta les efforts de ces vaillants missionnaires protestants du Grand Nord. C'est fut la deuxième difficulté. Certains missionnaires étaient appelés à survivre avec 60 dollars américains par mois. Cette somme modique pour eux arrivait au lieu de la mission avec un grand retard. Cette dépression économique provoqua des dissensions au sein de la mission faute des moyens financiers pour accomplir leur apostolat. En fait, comme raconte Vincent, ce sont les moyens financiers qui déterminent le genre d'apostolat à entreprendre dans les églises.

A la suite de la grande dépression, la question du salaire des catéchistes protestants se posa avec acuité et les missionnaires eurent des visions divergentes là-dessus. Pour Paul Hurburlt, il ne fallait pas payer les catéchistes car ils auront leur vrai salaire au ciel. Un missionnaire du nom de Bigelow qui était un très bon chasseur d'éléphants, entreprit d'autofinancer sa mission avec le commerce de l'Ivoire. Selon Vincent Machozi, on raconte qu'il fut tué dans les années 1950 par un éléphant. Un autre missionnaire du nom de MacIntosh était populaire en donnant des habits aux fidèles en récompense du travail manuel rendu au bénéfice de la mission. Ce dernier était aussi le plus libéral de ces pionniers car il tolérait la polygamie, la consommation de l'alcool local, etc.

Il y avait aussi une dissension au sujet de la langue liturgique. Pendant que Paul Hurlburt recommandait le kinande comme seule langue liturgique, MacIntosh continuait à prêcher en Kingwana. Ces différences créèrent par la suite un fossé infranchissable au sein des missionnaires.

Le premier grand conflit entre les missionnaires éclata en 1933 quand le patron de la mission, Paul Hurburlt, arriva à Katwa en provenance de Kitsombiro et s'installa dans une ancienne maison de Becker avec l'intention de mettre ce dernier à la porte. Avec l'arrivée de Paul à Katwa, l'Eglise fut divisée en deux pendant plusieurs semaines, avec d'un côté le service liturgique en Kinande avec Paul et de l'autre le service liturgique en Kingwana avec MacIntosh. Finalement Paul fut le vainqueur de ce bras de fer. MacIntosh plia ses bagages et se rendit plus au Nord-Est du Congo pour rejoindre les missionnaires

de l'AIM. Au départ de MacIntosh de Katwa, les pasteurs congolais n'avaient plus de salaire et Paul Hurburlt trouva l'opportunité de poursuivre son enseignement selon lequel celui qui veut travailler pour l'argent n'est pas digne du royaume des cieux. Selon cet enseignement, aucun salaire ne peut récompenser le travail fait pour l'Eglise car au Ciel Dieu donnera le juste salaire à ceux qui auront travaillé pour l'Eglise sur terre...

Cette situation provoqua le premier grand départ des fidèles et des pasteurs congolais vers des Eglises ou lieux où ils pouvaient gagner un peu d'argent. C'est le cas d'un certain Makenzi qui émigra en Ouganda chez les Anglicans et qui à son retour à Katwa fut sacré champion de la liberté religieuse avant de se voir exiler à Bukavu. Après le départ de MacIntosh, Paul déménagea de Kitsombiro à Katwa. Pour gagner la confiance des gens, Paul commença à faire ce qu'il reprochait à ses frères américains qui donnaient des salaires aux catéchistes. En effet, il distribuait une cuillerée de sel à ceux qui venaient à l'Eglise et organisait des grandes fêtes à plusieurs occasions pendant lesquelles les fidèles venaient manger gratuitement. Pour renforcer son enseignement, Paul recommanda, comme méthode d'évangélisation, l'apprentissage de la Bible par coeur, l'abandon total des pratiques fétichistes traditionnelles, etc. Il se dévoua à la formation des catéchistes qu'il envoyait par après dans les villages de la région pour fonder des stations ou paroisses.

Paul Hurburlt est connu comme le premier protestant à avoir construit une école et un internat pour les enfants issus des unions des expatriés blancs avec des femmes congolaises ou africaines. Ces « mulâtres » furent éduqués par l'UAM à Kitsombiro pour les garçons et à Katwa pour les filles.

Cette mission connut de continuelles difficultés financières. Elle fut dans une situation désespérée à la fin de la deuxième guerre mondiale. Plus tard, la Conservative Baptist Foreign Mission Society va reprendre à son compte toutes les stations de l'U.A.M. En 1946, comme le relate Emile-Michel Braeckman, la Mission Baptiste du Kivu composée de 13 missionnaires de la Conservative Baptist Foreign Mission Society arriva au Kivu pour rouvrir les 5 stations momentanément abandonnées par l'U.A.M. Il s'agissait des missions de Ruanguba (Rutchuru) ouverte en 1932, Mushweshwe en 1938, Kindindu en 1940, Kistombiro et Katwa en 1928. Malheureusement, le 12 janvier 1948 fut une journée dramatique pour ces missionnaires. Paul Uhlinger, George Kevorkian et Edna Mae Sill qui se rendaient en avion de Katwa à Rwanguba pour y ouvrir une école biblique s'écrasèrent au sol quelques minutes après le décollage et moururent dans les flammes76.

76 Braekman, Emile-Michel, op.cit., p.210

3. Les églises messianiques

Durant la même période, comme le dit René DEVISCH77, au Congo belge, les premiers prophètes prolifèrent en milieu kongo au moment où le peuple est affaibli par la maladie du sommeil qui, de 1904 à 1906, se répand dans la région où l'on aménage le chemin de fer au prix de nombreuses vies humaines et d'une déstabilisation désastreuse de l'écosystème et de l'ordre social. Vers les années 20, dit-il, les prophètes surgirent qui cherchaient à domestiquer la puissance blanche. Ils étaient sans doute influencés par les soldats congolais qui revenaient du Cameroun avec un esprit anticolonial suite à leur mission de contrôle de la force allemande dans ce pays. C'est en cette époque qu'apparaissent les prophètes kongo, les ngunza, messagers de la tradition kongo qui représentent le chef et les ancêtres. Ils semblent être issus de branches marginalisées de familles prestigieuses.

Ces mouvements prophétiques, connus sous le vocable « ngunzisme », visaient l'anti-culturation. Dans ce contexte, c'est dans la même région que Simon Kimbangu découvrit la voie du salut. En 1917-1918, il eut la vision d'aller prêcher, mais il se buta à l'opposition farouche des pasteurs. Il fut rejoint par six autres compagnons qui s'adonnèrent avec force à leur oeuvre prophétique. La guérison par imposition des mains, les sermons et la lutte efficace contre les pratiques de sorcellerie attirèrent sur eux l'attention des foules, mais très vite aussi la répression coloniale. Il faut remarquer qu'au début des années 20, le pouvoir colonial ne pouvait accorder la liberté d'action aux fondateurs charismatiques de ces mouvements religieux indigènes. A la veille de l'indépendance, la reconnaissance officielle par le pouvoir colonial du kimbaguisme en tant qu'église à part entière, sous le vocable d'Eglise de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon kimbangu (EJCSK), ouvrit une nouvelle période pour le courant messianique.

II.2.3. Période post coloniale : 1960 à nos jours

1. Les catholiques

Après l'indépendance, dans le souci de rapprochement du pasteur avec ses fidèles Mgr Henri Piérard va décider en 1965 de transférer son siège épiscopal à Butembo. Il sera dans le même temps confronté aux problèmes internes avec ces propres missionnaires qui se plaignaient de sa gestion. Affaibli par la maladie, il va déposer sa démission comme évêque et proposer la présence d'un jeune évêque responsable de prendre la relève. Cette demande sera maintes fois refusée jusqu'à ce qu'il fut transféré le 17 mai 1966 en

77 René DEVISCH, " « Le pillage de Jésus » : les églises de guérison et la villagisation de Kinshasa", in Gauthier de VILLERS (Eds.), Phénomène informels et dynamiques culturelles en Afrique, Institut AfriainCEDAF, n°19 - 20, L'Harmattan, Paris, 1996, p.93.

Mauritanie comme évêque titulaire par le Pape Paul VI et par la même occasion, l'Abbé Emmanuel Kataliko, un natif et membre clérical diocésain de Beni, sera nommé comme évêque du diocèse. Il sera sacré évêque le 11 octobre 1966 à Butembo. Dans son évangélisation, le nouvel évêque va intégrer la dimension sociale comme cheval de bataille.

Ce sacre de Mgr. Kataliko ouvrit ainsi une nouvelle étape pour le diocèse. Il va s'investir dans une double action : évangélisation et action sociale. Par exemple, il ouvre le centre de catéchèse à Butembo en 1969 ; il crée les paroisses de Mangina en 1968 et Mukuna en 1988, Bingo en 1990 et Kanyabayonga en 1990. A cela s'ajoutent plusieurs autres congrégations religieuses qu'il va accepter. Il va apparaître comme véritable « Evêque-cantonnier » avec des qualités exceptionnelles. Il va participer lui-même à plusieurs travaux d'ouverture des tronçons routiers reliant les milieux paysans dans le but de stimuler le petit commerce et rapprocher les pasteurs des chrétiens. Autour de sa résidence, il va ouvrir des coordinations comme le Bureau des OEuvres Médicales, (B.O.M.), la Caritas diocésaine et une pharmacie desservant les postes de santé les plus reculés dans les paroisses du diocèse.

Sur le plan culturel et intellectuel, il va ouvrir l'Université Catholique du Graben à Butembo en 1989. Pour rappel, durant la période antérieure à 1989, il n'y avait pas d'établissement d'enseignement supérieur et universitaire dans cette partie du pays. Aussi devait-on effectuer de longs voyages pour entreprendre des études supérieures et universitaires. Ce qui entrainait une forte déperdition scolaire encore accentuée par la suppression de la bourse d'études du gouvernement. Il fallait donc aller à Bukavu et Bunia pour les uns, à Kisangani et Lubumbsashi et, pour les plus fortunés, à Kinshasa. Après 1989, certaines notabilités ont pris l'initiative d'ouvrir des établissements privés d'enseignement supérieur. Cette initiative a démarré timidement grâce au professeur NSAMAN-O-LUTU avec l'ouverture de l'Institut Supérieur de Gestion des Affaires (ISGEA) dénommé ultérieurement Université du CEPROMAD (Centre pour la promotion du Management et le Développement), UNIC en sigle.

En somme, les oeuvres de l'Evêque Emmanuel Kataliko seront considérées comme un éveil de conscience à une société civile locale. Cela peut se lire dans son article écrit en 1970. Il s'agit pour lui d'une réflexion sur les possibilités et moyens de passer du sousdéveloppement au développement . A ce propos il dit :

« Je ne suis pas prophète, mais j'envisage le problème tel qu'il se présente. Pour autant que je le pense, je crois que l'on commencera à sortir de ce sous- développement :

1. Quand les gens commenceront à posséder des propriétés privées qu'ils pourront améliorer à leur guise.

2. Quand la population aura compris elle-même le sens et l'avantage de se grouper en associations, en coopératives, car l'individualisme favorise la stagnation, se contente d'un bénéfice médiocre, et l'on ne montre pas clairement ce que l'on vaut.

3. Quand les moyens de communication seront développés : entretien des routes existantes, construction de nouvelles routes : ce qui facilitera par conséquent les moyens d'évacuation des produits et d'importation d'autres marchandises.

4. Quand on se sera penché sur le problème de sélectionner la semence pour rendre plus rentables les cultures actuelles.

5. Quand on aura réorganisé le service sanitaire qui manque de médecins et de médicaments.

6. Quand tout le monde aura compris la valeur de ces trois mots : justice, paix ; travail.

7. Quand chacun, petit et grand, aura compris sa responsabilité pour la construction du pays.

8. Quand on aura élevé le niveau intellectuel de la population : pour cela une mise en place de plusieurs écoles, primaires et secondaires, s'avère nécessaire. (...). En outre pour une région si populeuse une école même supérieure ne serait pas de luxe.

9. Quand on aura organisé et construit des librairies et des bibliothèques où les étudiants et les intellectuels pourront cultiver et développer leurs connaissances »78.

Sous sa responsabilité, le diocèse a traversé des moments de crise durant la phase post coloniale. Tout d'abord l'évêque Emmanuel Kataliko a hérité du diocèse juste après l'instabilité politique et la rébellion qu'a connu le pays au début des années 60. D'autres difficultés sont également à signaler. Il s'agit notamment de la pénurie du personnel ecclésiastique, du manque des moyens financiers, de la question linguistique avec le swahili comme langue d'évangélisation par les missionnaires au lieu du kinande connu de la population autochtone,...

Sur le plan politique, les territoires de Beni et Lubero, ou encore mieux le diocèse de Butembo-Beni, connut les mêmes difficultés que celle qui furent vécues dans tout le pays.

78 KATALIKO, E. (Mgr), Connais-tu ta région et ton Diocèse..., Sint Unum spécial, n°24,

mars 1970, pp.27-28. Cité par KAMBALE MALEMBE Maurice, Impact de l'U.C.G sur le développement local. Essai d'évaluation économique et sociale, Mémoire de licence en sciences économiques, UCG, Butembo, 2006-2007, p.24.

La collaboration qui existait entre les missionnaires et les chrétiens eut à subir une nouvelle épreuve : celle de la crise sociale et religieuse des années 70 due à la politique de l'authenticité établie par le président Mobutu. Cette politique déboucha sur le changement des noms des lieux. Pour Isidore Ndaywel79, le changement des prénoms chrétiens fut l'objet d'une controverse entre l'Eglise et l'Etat. Il semble avoir été une réaction à une provocation du quotidien belge La Libre Belgique qui se moquait de la loi du 5 janvier 1972 exigeant que les mulâtres prennent des noms africains. Cette recherche de l'authenticité suscita des réactions au sein de l'Eglise catholique considérée en ce moment là comme la seule force capable à faire face à un parti unique, le Mouvement populaire de la Révolution (MPR). Les jeunes furent interdits de participer aux organisations confessionnelles pour les faire adhérer au parti unique. Les solennités comme l'Ascension, l'Assomption et de la Toussaint ne pouvaient plus être célébrées en jours de semaine. La messe scolaire fut interdite et les leçons de religions remplacées par l'éducation civique. Les mouvements de jeunesses catholiques furent également supprimés. La conséquence de cette politique fut la perte de la liberté individuelle.

Durant les années 80, les forces armées zaïroises occupèrent les territoires de BeniLubero justifiannt cela par la poursuite des rebelles ougandais repliés dans les Monts Ruwenzori, les NALU. L'Est de l'ex-Zaïre sera ainsi le théâtre d'affrontement plus particulièrement avec les deux guerres successives : celle de l'AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo) de septembre 1996 ayant mené Laurent Désiré Kabila au pouvoir, et celle déclenchée le 2 aout 1998 à Goma par le RCD, Rassemblement Congolais pour la Démocratie ; toutes deux étant sous la bénédiction du Rwanda. Cette dernière date coïncide avec le sacre de Monseigneur Paluku Sikuli Melchisédech à Butembo. Il remplaça Kataliko comme évêque du diocèse qui venait d'être nommé archevêque de Bukavu à la suite de l'assassinat de l'archevêque Christophe Munziyirwa. Faisons remarquer que l'évêque Kataliko était reconnu pour son opposition à la dictature de Mobutu et plus tard par ses dénonciations des violations des droits humains commises par les différentes branches rebelles à l'Est du Congo. Son opposition la plus marquante est consignée dans son message adressé le jour de Noël 1999. Olivier Lanotte note que :

« après s'être insurgé dans son message de Noël contre le pillage des ressources du Congo par une petite élite venue d'on ne sait où et avoir appelé la population kivutienne à la résistance civile pour protester contre l'occupation rwandaise,

l'archevêque de Bukavu, Mgr Kataliko, est interdit de séjour dans son diocèse par les autorités rebelles et exilé à Butembo au Nord-Kivu »80.

Il passera environ six mois à Butembo de février en septembre 2000. Il trouvera la mort à Rome deux semaines après son retour à l'archevêché de Bukavu.

3. Les protestants

Comme vu précédemment, dans le cours de la période coloniale et dans l'analyse de Vincent K. Machozi, une série de dissensions eurent lieu. Ce qui provoque la naissance d'autres églises au sein du protestantisme dans les territoires de Beni et Lubero pendant la période post-coloniale81.

En 1989, par exemple, ce furent les événements appelés "affaire Katwa" à 5km de la ville de Butembo. En effet, jusqu' à cette année, il existait une seule communauté à Katwa, la Communauté Baptiste au Kivu (C.B.K), l'ancienne Mission Baptiste du Kivu qui connut des pertes des vies humaines suite à l'écrasement d'un avion petit porteur. A la suite d'un conflit de leadership, la CBK Katwa s'est scindée en deux, avec d'un côté l'aile du Pasteur Kamala et de l'autre la CEBA (Communauté des Eglises Baptistes en Afrique) représentée par Paluku Kalwaghe. Ce dernier s'était replié avec son église à Vukaka à 3 km de Katwa. Cette crise qui avait causé la mort de 3 fidèles avait aussi provoqué une très forte rivalité entre chrétiens, rivalité qui fut apaisée par la médiation de Mgr. Emmanuel Kataliko, à l'époque Evêque de Butembo-Beni. Quelques temps après, la CEBA va connaître aussi un autre schisme qui va donner naissance au début des années 90 à l' l'Eglise Evangélique du Rite Africain, EERA en sigle.

Le fondateur de l'Eglise EERA, le pasteur Paluku Kalwaghe décédé en 1994, sera remplacé par après par son fils, le Patriarche Wasingywa Kalwaghe Jean Hus. Il s'est donné le titre de Représentant Légal et de Métropolitain de l'Eglise EERA, avec le village de Vukaka comme Quartier Général du Patriarcat de l'Afrique, Terre Sainte et Jérusalem des fidèles EERA de par le monde.

80 LANOTTE, Olivier, op. cit, p121.

81C'est dans ce contexte que l'administration des sacrements constitua un autre bras de fer entre Paul Hurburlt et les autres missionnaires installés à Kitsombiro. Pour les uns comme Deming, Holland, Manning, et Pickett, il fallait abandonner le baptême par immersion car il n'est pas biblique. Certaines argumentaient que le baptême est l'oeuvre du Saint Esprit, et il est conféré par un ministre qui évoque le Saint Esprit et qui impose les mains au baptisé. L'autre exemple cité est celui qui divisa Paul et ses confrères américains missionnaires fut le cas d'une jeune femme divorcée qui voulut se remarier à l'Eglise de Kitsombiro. Paul lui refusa le mariage mais Deming l'autorisa à se marier car la jeune femme n'avait pas en fait divorcé mais était abandonnée par son mari parti dans les Mines des Grands Lacs, MGL où il était resté pendant plus de 4 ans sans nouvelles. Quand la tension fut vive autour de ces questions sacramentaires, Deming et ses amis cités cidessus démissionnèrent de l'UAM et partirent s'installer au Burundi en 1938. Plusieurs fidèles de Kitsombiro les suivirent, dont le couple de la divorcée remariée. Au Burundi, ils fondèrent l'Eglise appelée « Worldwide Grace Testimony ».

En somme, pour connaître les communautés existant sur le terrain d'étude au sein de l'Eglise protestante dans les territoires de Beni et Lubero, il est nécessaire de se rappeler les différentes dissensions qui ont eu lieu durant l'époque coloniale, puis post-coloniale. Ces dissensions sont liées non seulement à l'interprétation et pratiques bibliques suivies des difficultés financières des missionnaires mais aussi au leadership au sein de l'église locale.

Néanmoins, quels que soient les hauts et les bas vécus par cette église, il est malhonnête, voire ingrat, de passer sous silence les oeuvres importantes et louables réalisées jusqu'à ces jours par la communauté protestante. Il s'agit de la modernisation de l'hôpital de Katwa qui, pratiquement, est devenu hôpital de référence, l'ouverture des différentes universités issues de la communauté protestante : l'Université Divina Gloria (U.D.G depuis 2002) et l'installation de l'Université libre des Pays des Grands Lacs, l'ULPGL campus de Butembo depuis 2002. Plusieurs projets d'ordre social ont été réalisés par cette église. A cela s'ajoute l'émergence d'une classe moyenne des commerçants issus de la même communauté. Certains sont même tentés de dire que le commerce de Butembo est tenu par les commerçants protestants. Ce qui reste une hypothèse encore à vérifier

4. Les églises indépendantes

En 1960, le pays connu les événements de l'indépendance produits d'un patriotisme exaspéré déjà en germe dans les mouvements messianiques à caractère politique et religieux dont le kimbanguisme en 1921 et le kitawala en 1940. Ces mouvements revendiquaient la libération de la colonisation et une religion pour les noirs. Ils furent condamnés par les missionnaires non seulement pour leur syncrétisme religieux, mais aussi en raison de la démolition des fondements du christianisme et la multiplication du nombre des renégats. En outre le pouvoir colonial prétextant leur xénophobie, ces mouvements seront persécutés avant l'indépendance seront obligés d'évoluer dans la clandestinité.

Dans les années 70, précise René Devisch82, l'esprit messianique s'est manifesté sous une nouvelle forme avec la politique du recours à l'authenticité prônée par le parti-Etat, le Mouvement populaire pour la Révolution (MPR) qui se voulait à l'avant-garde du nationalisme africain. Au cours des années 80, le déclin de ce régime politique et de son idéologie s'est accompagné du surgissement de centaines d'églises charismatiques du Saint-Esprit.

La plupart de ces églises, portant aussi le nom d'assemblées de Dieu, prennent naissance autour d'une figure prophétique, dont le lieu de résidence offre aux adeptes du voisinage un cadre d'accueil familial. Ces communautés religieuses rompent avec la

82 René DEVISCH, op.cit. 94.

logique sociale traditionnelle des milieux villageois qui s'appuient sur les liens de sang et une gérontocratie masculine rigide. Elles sont soudées entre elles par la référence à Simon Kimbangu considéré comme le Christ noir. Elles s'attribuent comme prophète-fondateur l'un ou l'autre de ses contemporains. C'est dans ce cadre qu'on évoque souvent les termes « Dieu de Simon Kimbangu, Dieu de SIKATENDA, Dieu de... », qui sont, en fait, des prophètes-fondateurs. Au cours des années 90, ces églises sont vues comme comblant le vide éthique et législatif suscité par la désertion des tribunaux et la dissolution du partiEtat. Les cérémonies liturgiques sont organisées dans l'enceinte de la parcelle du prophète.

Pour les assemblées, une annexe couverte de feuilles de palmier ou une cabane en bâche sert souvent à abriter les fidèles. C'est dans ce contexte que Laurent Pierre-Joseph dit :

« les assemblées de Dieu s'illustrent à la fois par leur prosélytisme agressif, par le

caractère de leur recrutement (classes défavorisées) et enfin par l'atmosphère

d'exaltation de leurs campagnes d'évangélisations et de leurs cultes »83.

A l'Est surtout de la RD. Congo, dans les territoires de Beni et Lubero, ces églises se sont installées en masse vers les années 90. Elles ont été importées de l'Ouest du pays, dans la plupart de cas, par des agents ou fonctionnaires de l'Etat en mutation. En fait, avec le pouvoir centralisé à Kinshasa, il n'était pas étonnant de voir plus d'agents de l'administration publique, des entreprises étatiques ou paraétatiques débarquer à l'Est. Il s'agit des agents de l'administration publique (services de cadastres, titres immobiliers, parquets et tribunaux,...), des entreprises étatiques (le service des impôts, l'Office de douane et assise, ...) ou des entreprises paraétatiques (l'Office Congolais de Contrôle, la REGIDESO, ...), des officiers de l'armée et police nationale,... Il est souvent courant que, dans ces entreprises, on qualifie ces agents comme « pasteur ou apôtre X ». La langue de prédication est souvent le lingala, langue parlée à l'Ouest de la RD. Congo ou encore dans l'armée congolaise. Ces églises se comptent aujourd'hui par dizaines surtout dans des centres urbains comme Butembo et Beni, contrairement aux milieux ruraux où le catholicisme et le protestantisme sont encore bien enracinés.

Dans ces églises, les fidèles sont issus essentiellement de classes particulières. Ce sont les migrants, les « mères monoparentales », les employés des bureaux et autres

83 Laurent Pierre-Joseph, "Prosélytisme religieux, intensification agricole et organisation paysanne. Le rôle des « Assemblées de Dieu » d'Oubritenga (Burkina Faso), in J.-P Jacob et Ph. Lavigne Delville. Les associations paysannes en Afrique. Organisation et dynamiques, APAD-Karthala- IUED, Paris, 1994, p.160.

représentants des classes moyennes, les personnes déplacées ainsi que les jeunes gens souvent coupés de leurs milieux d'origine84.

84 DEVISCH, René, « Les Eglises de guérison à Kinshasa. Leur domestication de la crise des institutions », in. André Corten et André Mary (éds), Imaginaires politiques et pentecôtismes. Afrique/Amérique latine, Karthala, Paris, 2000, p119.

II.3 Contexte évolutif de la société civile dans les territoires de Beni et Lubero

Parler de société civile dans les territoires de Beni et Lubero dans son contexte historique semble être difficile en raison des obstacles rencontrés dans l'obtention d'écrits sur son origine. Considérée comme une vague des années 80, son historique s'inscrit dans le contexte national du mouvement associatif.

II.3.1. Rappel

En RD. Congo, l'émergence de la société civile a été lente en raison des restrictions des libertés associatives sous la dictature de l'ancien régime de Mobutu. A partir des deux dernières décennies (1980 et 1990), la société civile congolaise a connu une expansion plus rapide, à la faveur de l'ouverture politique au multipartisme et de la promotion de la coopération indirecte avec la communauté internationale. Dans sa configuration nationale, on trouve les ONG de développement, les ONG des droits humains, les syndicats, la presse libre et indépendante, les associations féminines, etc85.

Pour Guy Boyoma86, vice-président de la société civile de la ville de Beni, la société civile de Beni-Lubero existe depuis bien longtemps. Dans ses propos, la société civile est née de la conférence Nationale Souveraine, CNS tenue à Kinshasa du 7 août 1991 au 6 décembre 1992. Cela se confirme dans les propos de Tabu Eboma André-Robert qui écrit :

« au Centre Bondeko, dans la ville de Kinshasa les représentants de quelques associations civiles ont décidé de mettre sur pied une organisation regroupant, en dehors des partis politiques et des institutions publiques, toutes les associations civiles du Zaïre en vue de leur permettre de participer d'une manière responsable à la Conférence Nationale Souveraine (CNS) réclamée par le peuple. Cette organisation a été dénommée "La société civile". Elle comprenait huit groupes d'associations : les associations religieuses, les associations syndicales, les associations professionnelles, les associations humanitaires, les associations de réflexion, les associations de nature économique, les associations de femme et de la jeunesse et enfin les associations sportives et culturelle. Elle était censée représenter toute la Société Civile du Zaïre à la CNS. Selon l'esprit des fondateurs » 87.

Pour rappel, cette conférence a été réclamée par le peuple suite à un constat du bilan négatif des trente une années d'indépendance du Zaïre, l'actuelle RD. Congo. Pour

85 HAMULI KABARUZA Baudouin, et al. , Op. Cit., p. 27.

86 Notre entretien avec Guy Boyoma lors de nos enquêtes.

87 TABU EBOMA, André-Robert, La société civile,. Congonline.

Alexis Kabambi88, il s'agissait spécialement de la situation socio-économique négative. Les travaux de cette conférence ont débouché sur l'élection de 453 de ses membres comme Conseillers de la République. Leur mandat tel que définit dans l'Acte de Transition, est de nature législative. A sa clôture, les participants mettront en place un Acte Constitutionnel de transition, un Gouvernement de transition, le Haut Conseil de la République, et le Conseil électoral. Cette conférence a élaboré un projet de constitution et un calendrier électoral.

Pour le territoire de Beni et Lubero, le mot société civile est apparu dans un contexte de guerre. Ce mouvement existait déjà au début des années 90 lors du retour des participants à la conférence nationale souveraine tenue à Kinshasa. C'est dans un contexte de guerre que ce mouvement va se confirmer lors des préparatifs du Symposium International pour la Paix en Afrique tenu à Butembo du 26 février au 1er mars 2001. Ce forum a regroupé 1324 participants. Il a été organisé sous les auspices de l'Eglise du Christ au Congo Sud-Kivu, de l'archidiocèse de Bukavu (Eglise catholique), de la Société Civile du Sud-Kivu en collaboration avec les composantes de la société civile italienne (Beati I Costruttori di pace, Chiama l'Africa, Operazione Colomba), le diocèse de Butembo - Beni, l'Eglise du Christ au Congo Nord-Kivu et la société civile de Beni-Lubero. Il faut noter qu'environ 25089 italiens ont participé à ce forum alors que la région était en proie à la guerre.

Pour la réussite de ce forum, cette organisation a été montée d'urgence pour que les points de vue des participants puissent converger. Il fallait participer au forum de façon organisée. En effet, avant ces assises, le comité qui assurait la coordination de la société civile à Butembo était démissionnaire et dirigé par monsieur Jean-Chrysostome Vahamwiti Mukesyayira, ancien secrétaire exécutif du Syndicat de Défense des Intérêts Paysans, une ONGD locale. Cette démission serait due aux menaces sécuritaires en période de rébellion dont étaient victimes certains dirigeants de la société civile de Butembo, à l'époque point focal de la société civile de Beni et Lubero90.

L'abbé Apollinaire Malumalu91 qui était en cette époque, en France et membre influent de la société civile de Butembo s'est mobilisé en vue de sensibiliser quelques personnes à la constitution d'un comité de pilotage pour la réussite du forum. Ce comité a

88 KABAMBI, Alexis, « Aperçu historique de la Conférence Nationale Souveraine », in La Renaissance, N°21, mensuel de l'Union de la Diaspora Congolaise, 31 octobre 1998, Montréal, Canada.

89 Nous avons également participé à ce forum dans la commission traduction des textes italiens avec le professeur Kivete

90 ROOIJACKERS, Marinus & PLOQUIN Jean-François, alerte à l'opinion nationale et internationale, communiqué de presse, Centre d'Information et de Solidarité avec le Congo-Kinshasa (COSI), Lyon 16 novembre 1999, disponible aussi sur http://www.congonline.com/Forum1/Forum04/Katahwa05.htm.

91 L'abbé Malumalu est l'actuel président de la Commission Electorale Indépendante de la RDC.

été dirigé par Roger Nzama, Kilundo alors secrétaire exécutif de l'ONGD SEPRONA (Symbiose des Ecologistes pour la Protection de la Nature). C'est le comité de pilotage du SYPA qui par la suite deviendra la coordination de la société civile en majorité formée par les ONG locales et l'Eglise catholique.

Une collaboration active s'est manifestée entre la société civile et l'Eglise catholique. En cette époque, certaines lettres ont été signées entre Roger Nzama, comme coordinateur de la société civile de Grand-Nord, et l'Evêque du diocèse de Butembo-Beni, Monseigneur Sikuli Paluku Melchisédech pour dénoncer les bavures des groupes armées. C'est le cas de la lettre adressée le 30 janvier 2002 au président ougandais concernant l'intervention de l'armée ougandaise à l'Est de la RD. Congo. Les deux signataires reprochaient à cette armée d'être responsable d'une insécurité totale dans les territoires de Beni et Lubero. Ainsi, en pleine période de guerre, l'Eglise catholique locale est devenue incontournable pour toute question sociale, politique et économique. Les actions communes de la société civile avec l'Eglise locale font même jusqu'aujourd'hui l'objet d'émissions radiodiffusées. C'est le cas de la Radio Moto Butembo-Beni (RMBB) qui, créée depuis 2000 et gérée par les missionnaires assomptionnistes, organise des émissions radiodiffusés dans ce sens.

Aujourd'hui, outre les associations et ONGD, les universités et instituts supérieurs de la place sont parmi les principaux acteurs de cette organisation. C'est le cas de l'Université Catholique du Graben de Butembo. La question que l'on pourrait se poser est de savoir comment les associations, les ONG locales et l'Eglise sont arrivées à dominer ce mouvement ? Il paraît certain que celles-ci aient une influence économique et sociale dans les territoires de Beni et Lubero. C'est dans cette logique que, avant de passer aux études des cas des quelques associations de tendance religieuse, il est important d'analyser le contexte évolutif du mouvement associatif et des organisations non gouvernementales des territoires de Beni et Lubero.

II.3.2. Le mouvement associatif et ONGD de Beni-Lubero.

En remontant dans l'histoire de la culture du peuple Nande qui habite en majorité les territoires de Beni et Lubero, on se rend compte que l'apparition des associations n'est pas une chose récente. Comme le dit Jean-Pierre Olivier De Sardan92, les sociétés paysannes ont toutes une histoire de l'animation rurale, de la vulgarisation agricole, des coopératives, du parti unique, des micro- projets, des macro-projets, des groupements de producteurs, de la création des associations de ressortissants, etc.

92 De Sardan, Oliver, op.cit , p127.

En Afrique, il existe beaucoup d'expressions populaires qui révèlent que, face aux difficultés de la vie rurale, l'individu seul est bien faible, mais qu'en s'engageant dans une forme de coopération, il devient puissant pour les affronter. On connaît par exemple les difficultés de construction de l'habitat en milieu rural. Ces travaux ne se réalisent qu'en groupes de travail solidaires, véritables associations dont le but est d'aider à tour de rôle les membres de la communauté93.

Pour ce qui concerne la RD. Congo et plus précisément les territoires de Beni et Lubero, on peut distinguer les associations traditionnelles des associations modernes.

1. Les associations traditionnelles

Avant la colonisation il existait déjà des associations « primitives ». C'est au cours de cette période qu'on peut situer le premier niveau de coopération. On peut énumérer certaines pratiques qui ont existé chez les nandes dans les territoires de Beni et Lubero94 :

- le « kirimba », et le « lusumba » qui sont à l'origine deux pratiques de regroupements des jeunes en initiation à la vie communautaire. La première pratique était appropriée aux filles, alors que la seconde était un rite d'initiation des jeunes garçons. Au départ, cette initiation renforçait les liens de solidarité car, grâce à elle, l'individu sortait de la lignée familiale pour en créer d'autres liens avec les jeunes de sa génération. Elle s'est transformée aujourd'hui sous forme de tontine dans la mobilisation de ressources monétaires et non monétaires. Dans le cadre de la solidarité, la pratique va ainsi se transposer même chez les garçons. On rencontre actuellement les mêmes types de tontine masculine portant également le nom de « kirimba 95». En effet, comme tontine, le « kirimba » actuel est une association, ou encore mieux une mutuelle, basée sur les affinités et sur la confiance entre les membres du groupe. Les membres s'entraident et s'accordent des crédits mutuels tour à tour.

- Le « kihingirano » ou « kirimya » qui est une pratique d'exécution des travaux champêtres et de construction observée encore en milieu rural. Ces travaux se font en commun à tour de rôle entre les membres qui ont souscrit à la pratique. Cette pratique présente l'avantage également de renforcer les liens entre les membres du groupe. Cependant, elle présente également des limites. En effet, c'est une association souvent ouverte : sans précision sur le nombre limité des membres qui la composent. L'expérience démontre que lorsque le nombre augmente, l'association devient inefficace dans la

93 MONDJANAGNI, Alfred, « structures sociales et développement rural participatif en Afrique », in MONDJANAGI, A.-C., La participation populaire au développement en Afrique noire, Institut Panafricain pour le Développement (I.P.D.)/Karthala, Paris, 1984, pp. 24.

94 Outre le texte de KAKULE KAPARAY Christian, nous nous sommes intéressés aux détails fournis par KALIVANDA, notre grand-mère.

95 Le « kirimba » chez les Nande est ce qu'on appelle en lingala le « likelemba »

satisfaction des membres. Par exemple, sur le plan agricole, étant donné que le groupe consacre toute la journée à travailler dans un champ d'un membre, plus on est nombreux, plus il va falloir de jours pour boucler le cercle alors que le calendrier agricole a aussi ses exigences. Par ailleurs, l'homme étant un facteur de production avec des limites (sa force est limitée), il n'est pas sûr de cultiver les étendues des champs de manière identique tour à tour. Du point de vue météorologique, les membres sont obligés d'obéir aux aléas du climat : quand il pleut le travail doit être interrompu. Une autre limite qui peut être évoquée est l'empêchement d'un membre (maladie ou autre) qui bouleverse énormément le calendrier des travaux. Bien entendu, les membres peuvent prendre des compromis pour éviter ces désagréments. Malheureusement ces compromis n'ont pas souvent de base solide.

- Le « kighona », ou grenier en français, a été dans le temps une pratique par laquelle la communauté villageoise constitue une banque agricole de la récolte obtenue dans le but d'utiliser la quantité collectionnée à de fins circonstancielles : mariage, deuil, disette, prévoyance de semence,.... La banque agricole est souvent constituée des céréales.

- Le « Ovuruma » et le « Ovutsura », sont de véritables associations des consommateurs. Les membres s'offrent tour à tour de la bière ou autre chose suivant une périodicité et un rythme de versements de cotisation prédéfini par les membres en fonction des participants. Ces deux types d'associations se composent de membres « fondateurs » et « non-fondateurs ». Pour les premiers, les membres fondateurs peuvent inviter un ami (appelé Omuhekwa) et lui offrir sa part pendant la consommation et ce dernier n'est pas automatiquement redevable au groupe alors que pour les seconds, celui-ci l'est obligatoirement. C'est-à dire pour le second type, les gens s'associent autour d'une boisson que prennent seuls ceux qui ont souscrit à la convention de se l'offrir à tour de rôle. Dès lors, un intrus devient automatiquement redevable étant donné qu'il n'a pas qualité.

Ces pratiques témoignent des formes traditionnelles d'associations. C'est pour cette raison que Christian KAPARAY dit :

« l'exécution commune et à tour de rôle des travaux, cette invitation au partage ou à la consommation constituent une ou des forme(s) primitive(s) de la coopérative "Ovusangi" » 96.

Il faut souligner que ces pratiques relèvent d'une économie toute à fait informelle. Il s'agit d'une économie qui échappe au contrôle de l'Etat.

Dans l'analyse de KAKULE MUWIRI et KAMBALUME KAHINDO97, on constate que la conception de l'association chez les nandes part du principe que l'individu

96 KAKULE KAPARAY, Christian, Op.Ct., p.95.

est au service non seulement de la communauté parentale mais aussi au service de la communauté villageoise. La communauté parentale est celle où existe le lien de consanguinité. Dès lors, les membres ou individus qui la composent vivent sous la même loi, celle de la prohibition des rapports sexuels. La communauté villageoise, au contraire part du principe que l'individu comporte nécessairement deux dimensions, la dimension familiale et la dimension sociale. Cette caractéristique lui confère un double statut : il est membre d'un groupe familial déterminé et en même temps membre ou citoyen de l'entité politico-administrative où il habite. Le premier statut le présente comme membre d'une communauté familiale donnée et le second comme membre d'une communauté de territoire.

Chaque adulte suivant les obligations liées à son sexe, est tenu de prendre part au combat, aux rites agraires et aux travaux collectifs. Il est convié à assister aux séances de la justice98 surtout si un membre de la communauté est concerné. Il doit prendre part activement aux activités nécessitées par la célébration d'un mariage du membre. En outre, au niveau des activités d'entraide, un individu ou membre de la communauté bénéficie du concours des autres notamment dans des situations et activités qui l'engagent normalement seul : transport de matériaux de construction, moissonnage, labour, réception d'hôtes, maladie,... C'est pourquoi l'individu est tenu à s'associer aux autres pour vivre en harmonie dans la communauté. Le fait de ne pas s'associer peut le conduire à une vie malheureuse. De cette logique naît l'esprit associatif qui serait manifestement aujourd'hui la base des associations modernes dans les territoires de Beni et Lubero.

2. Les associations modernes

L'histoire du mouvement associatif actuel des territoires de Beni et Lubero est directement liée à celle du Nord-Kivu. Le mouvement associatif a été d'abord animé par les leaders paysans. Pour Kambale Malembe99, la première génération était composée des paysans mi-intellectuels et quasiment orientés vers le mouvement coopératif. Ce qui est confirmé par Vahamwiti Mukesyarira100 qui essaie de distinguer diverses périodes marquant l'évolution du mouvement associatif. Durant la première période, les premières

97 KAKULE MUWIRI et KAMBALUME KAHINDO, Identité culturelle dans la dynamique du développement, Académia Bruylant/Presses de l'Université Catholique du Graben, Louvain-laNeuve/Butembo, 2002, pp.125-145.

98 Ici nous faisons allusion aux palabres traditionnelles

99 KAMBALE MALEMBE, Joseph, Identité et contribution des ONGD de Beni-Lubero au développement socioéconomique. Cas du CAUB et de COTEDER, Mémoire, Faculté des sciences économiques et de gestion, UCG, 2004-2005, p.49.

100 VAHAMWITI MUKESYAYIRA, Leadership associatif et auto promotion paysanne. Eude comparative des associations coopératives, des comités villageois de développement et des radios clubs. Cas du NordKivu/Zaïre, Mémoire de diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales, Univesité de Lyon II, septembre, 1996.

associations identifiées relèvent du mouvement coopératif. Elle s'étend jusqu'à la fin des années 70. Il distingue ensuite une série d'autres périodes suivantes :

- 1945 - 1960, correspond à l'apparition du coopératisme social avec le cas de la Coopérative des Pêcheurs Indigènes du Lac Edouard.

- 1967, prolifération des coopératives, seule forme associative acceptée après

l'interdiction de plusieurs mouvements sociaux par le régime de Mobutu,

- 1979, somnolence de plusieurs coopératives suite aux conséquences de la

démonétisation anarchique de la monnaie Zaïre,

- 1985, renaissance du mouvement associatif grâce à la présence de plusieurs organismes d'appui aux coopératives. Cette année sera marquée par la création de la FERCOOP ( Fédération Régionale des Coopératives du Kivu) avec un accompagnement important de l'ONGD Solidarité Paysanne oeuvrant à partir du Sud-Kivu à Bukavu, avec la naissance de l'Union des Services pour la Promotion des Coopérative (USPROCO Beni- Lubero) et la création du Conseil Technique pour le Développement Rural (COTEDER) par un groupe des jeunes finalistes de l'Institut Supérieur de Développement Rural de Bukavu originaires des territoires de Beni et Lubero.

Bien qu'il exista des initiatives purement religieuses comme le Bureau Diocésain de Développement (BDD) en 1972, connu à cette époque sous le nom de Service de Développement Diocésain (SEDIDE) , le mouvement associatif s'enracine dans les années 80. La dynamique s'est amplifiée avec la crise économique et sociale. Les jeunes diplômés sans emploi, ainsi que les agents assainis de la fonction publique sont ainsi parmi les initiateurs d'associations au statut d'ONG. La plupart de ces ONG ont été installées d'abord dans le territoire de Lubero et ont été en majorité actives dans l'encadrement paysan. La situation a été renforcée par l'apparition des organismes internationaux oeuvrant dans le domaine agricole. Il s'agit de la Coopération canadienne en 1986, de l'ONG Agro Action Allemande (AAA) depuis 1998 et depuis 2006 l'arrivée des Vétérinaires Sans Frontières (Espagne et Belgique). Toutes ces associations avec statut d'ONGD sont basées à Butembo mais avec des activités qui s'étendent sur les deux territoires.

Du point de vue structurel, les associations et ONGD locales présentent quelques caractéristiques qu'il convient de relever. Kambale Malembe101 constate que dans les territoires de Beni et Lubero, les ONGD se regroupent pour constituer des réseaux, collectifs, conseils,... Ces regroupement sont constitués à la base ou en amont par les Initiatives locales de Développement appelées ILD. La plupart des ONGD, membres de

101 KAMBALE MALEMBE, Joseph, op.cit, p.52.

réseaux ou collectifs des territoires de Beni et Lubero, ont comme caractéristique d'avoir soit un rayon d'action et un secteur d'activités commun, soit s'unissent parce qu'ils ont un même bailleur de fonds. D'autres se regroupent par une sorte d'amicalité, selon l'origine (provenance), ou alors la formation scolaire. Par ailleurs, certains se comportent en organisation d'appui plus technique que financier parce qu'elles connaissent elles-mêmes des difficultés financières.

A Beni c'est avec l'installation du Fonds International du Développement Agricole de la coopération allemande (GTZ/FIDA) en 1996 et plus tard avec l'arrivée de Vision mondiale (World vision) que les initiatives locales ont commencé.

Si à Butembo la plupart d'ONGD sont multi fonctionnelles102, à Beni la spécificité a été d'abord dans les droits humains et l'action humanitaire. C'est avec la crise politique et l'afflux des déplacés dans la ville de Beni en provenance de l'Ituri que plusieurs associations sont nées sous l'appui des organisations internationales dont la plupart y sont fonctionnelles depuis l'an 2000. Une dizaine d'ONG internationales y travaillent jusqu'aujourd'hui. A titre indicatif, nous pouvons citer CESVI (Cooperazione e Sviluppo entre 2002 et 2005), World Vision, Lutheran World Federation (LWF), Oxfam/GrandeBretagne, le Conseil Norvégien pour les Réfugiés (NRC), Solidarités Françaises, Médecins Sans Frontières, Save the Children, Première Urgence, les agences des Nations Unies comme la FAO, PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et la Mission des Nations Unies au Congo.

Ces organisations se concertent régulièrement pour la mise en oeuvre et le suivi de leurs actions sur terrain. Dans la ville de Beni, par exemple où est basé le bureau de coordination des affaires humanitaires, OCHA, chaque association ou ONG a au moins une place dans une de ses commissions. Cela renforce les activités de la société civile. Dans le cadre de la synergie associative au sein de la société civile, les activités sont plus orientées vers le plaidoyer, les dénonciations, les émissions radiodiffusées.

A Butembo où il n' y a pas de cadre de concertation comme OCHA, les synergies entre associations se manifestent à travers les partenariats et les projets mis en place à travers les réseaux. Dans la mise en place la synergie, la coordination de la société civile fait intervenir aussi les confessions religieuses.

Toutes ces différentes associations produisent des effets socioéconomiques. Leurs apports ne peuvent tout de même pas conduire à ignorer les critiques et les limites qui les concernent. Nous essayons d'illustrer cela par une étude des cas dans laquelle nous

102 A Butembo, où l'on trouve les sièges de la majorité d'ONGD de cette région, les interventions sont orientées vers l'accompagnement agricole, les microcrédits, les droits humains, le développement communautaire, la lutte contre le VIH-SIDA, violences sexuelles ...

analysons les apports et les limites de cinq associations considérées selon nos critères comme ayant une tendance religieuse. Il s'agit notamment pour l'Eglise catholique de trois associations dont le réseau « Tuungane », l'association « waibrahimu » et de l'ADLassomption. Pour le réseau protestant, de MAAMS et de PEAC.

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