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L'être en devenir, considérations aristotéliciennes sur le devenir

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par Martin MBENDE
Grand séminaire philosophat Paul VI Bafoussam, Cameroun - Graduat de philosophie 2008
  

Disponible en mode multipage

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    DEDICACE

    A mes parents,

    KOUM TOUNGA Pierre Damien et KOUM Augustine

    A M. TUWA Jérôme,

    qui le premier initia mon esprit à l'exercice de la pensée

    REMERCIEMENTS

    Que parents, Xavériens, enseignants et amis dont les efforts conjugués ont permis la réalisation de cette oeuvre de l'esprit, trouvent ici l'expression de ma profonde et sincère gratitude. Et qu'en tout et pour tout, le Nom du Seigneur en qui nous avons « la vie, le mouvement et l'être », soit sans fin béni !

    INTRODUCTION GENERALE

    « L'arbre de la philosophie croît du sol nourricier de la métaphysique »1(*) disait Martin Heidegger. En effet, comme l'avait perçu Leibniz, toute philosophie s'origine dans la question métaphysique du pourquoi : pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? La métaphysique est donc la science des fondements qui s'efforce d'appréhender l'« Etre en tant qu'Etre. »2(*) Dans sa quête de l'Être, la métaphysique se heurte à son devenir.

    D'après l'Encyclopédie philosophique universelle, « on entend par le terme «devenir» soit l'ensemble des changements présents si l'on ne veut attirer spécialement l'attention sur aucun d'entre eux, soit la série des changements susceptibles d'affecter, spécialement dans l'avenir, une chose, une personne, une institution etc. »3(*) André Lalande s'inscrit dans cette même logique et attribue à son tour au terme devenir, « le changement considéré en tant que changement, c'est-à-dire en tant que passage d'un état à un autre. »4(*)

    En effet, avant d'être une donnée métaphysique, le devenir ou tout simplement le changement, « est un fait d'expérience courante. »5(*) N'importe qui peut faire l'expérience du caractère éphémère de sa propre vie, des saisons qui se succèdent les unes aux autres, des choses qui changent au fil du temps. Cependant, plus qu'une simple caractéristique qu'on collerait facilement aux choses, le devenir pose de véritables difficultés métaphysiques. En effet, le devenir s'attaque particulièrement au principe d'identité. Car, « le changement consiste en ceci que ce qui était n'est plus et que ce qui n'était pas est maintenant. »6(*) Dans cette perspective, le devenir est donc « une destruction de l'identité de l'être avec lui-même. »7(*)

    Le premier à faire sienne cette approche est incontestablement Héraclite d'Ephèse. Portant à l'extrême l'expérience du changement, celui-ci a ruiné le principe d'identité et par là l'Etre lui-même. Dès lors, rien n'existe en dehors du mouvement. Toutefois, il sera vite remis en question par Parménide et son école. Ceux-ci, voulant sauvegarder la certitude intellectuelle du principe d'identité, ont suivi le chemin inverse de Héraclite en figeant l'Etre dans l'éternelle stabilité.

    L'opposition Héraclite-Parménide au sujet du devenir marque l'affrontement de deux systèmes philosophiques qui ont chacun perçu un aspect de la vérité de l'Etre et sont par la suite tombés dans l'erreur en se radicalisant. En effet, s'il est vrai que le devenir est un fait d'expérience courante, il est également vrai que du néant, rien ne peut surgir. Le problème du devenir se rapporte finalement à la question : comment concilier changement et principe d'identité ? Autrement dit, comment adéquationner au sein d'un même être mouvement et stabilité ?

    L'examen d'un tel problème exige que nous organisions notre réflexion en cinq mouvements. Dans le premier, il sera question pour nous de remonter aux sources du problème. A cet effet, nous nous appesantirons sur les différentes approches héraclitéennes et parménidiennes du devenir pour aboutir à la première tentative de leur conciliation par Platon. Viendra ensuite le second mouvement qui sera consacré à la présentation de quelques critiques apportées par Aristote sur les précédentes conceptions du devenir. Le troisième mouvement ainsi que le quatrième, étayeront l'analyse aristotélicienne du devenir. Celle-ci abordera le problème du devenir à partir des catégories de l'Etre. Ces catégories seront résumées en trois couples de notions qui constituent selon François Châtelet « les trois distinctions cardinales de l'aristotélisme. »8(*) Ce sont : les couples substance et accident, acte et puissance, matière et forme. « Tous trois ont pour fonction de servir de schèmes d'intelligibilité à la représentation d'un monde ordonné à des réalités autonomes en devenir. »9(*) Toutefois, il est important d'avoir présent à l'esprit au moment où nous abordons cette étude, qu'Aristote emploie indifféremment le terme ×éíçóéò (mouvement) pour désigner aussi la ãåíåóéò (devenir) ou la ìåôáâïëç (changement).10(*)

    Par ailleurs, si l'analyse aristotélicienne du devenir résout le conflit Héraclite-Parménide, elle ne laisse pas cependant de susciter quelques interrogations. D'où le cinquième mouvement de notre réflexion qui sera en même temps une lecture critique de la contribution aristotélicienne à propos de l'étude du devenir et une mise en évidence de quelques perspectives que cette contribution ouvre dans le champ de la philosophie en général et du vécu quotidien de l'homme en particulier.

    CHAPITRE I : DIFFERENTES APPROCHES ANTE ARISTOTELICIENNES DU DEVENIR

    Introduction

    La réflexion d'Aristote sur la notion du devenir marque un tournant décisif dans l'étude de l'Etre et de ses déterminations. En effet, bien avant lui, le problème du devenir de l'Etre avait déjà été l'une des préoccupations majeures de tant de présocratiques. C'est qu'en effet, ce problème cachait un autre plus complexe : celui de l'Un et du Multiple. Comment une chose peut-elle être à la fois une et multiple sans qu'il y ait pour autant contradiction ? Telle fut la grande question dont les enjeux à la fois métaphysiques et dialectiques allaient faire émerger des grands courants présocratiques, soucieux d'apporter une réponse satisfaisante au problème du devenir. Parmi eux, deux allaient se distinguer par la pertinence de leurs arguments dialectiquement opposés : A Ephèse l'héraclitéisme qui doit son nom à Héraclite et à Elée l'éléatisme dont Parménide est le fondateur. Si pour Héraclite toutes choses sont dans un flux continu sans repos, Parménide pose l'Etre comme négation du non-Etre. Par conséquent, il est immuable, infini, et éternel. Comme nous pouvons le remarquer, la solution que propose chacune de ces philosophies au problème du devenir est assez radicale : pour l'une, le devenir perpétuel des choses est leur caractère spécifique. Pour l'autre, il n'est que pure illusion. Il faudra attendre Platon, le disciple fidèle de Socrate, qui le premier a tenté une conciliation de Héraclite et de Parménide, pour que le problème du devenir trouve dans la théorie des Idées une explication plus convaincante.

    I. Position de Héraclite d'Ephèse.

    Les spéculations milésiennes sur la nature, inaugurent la rupture de la pensée philosophique avec les cosmogonies d'Homère et d'Hésiode. Pour les principaux représentants de l'Ecole de Milet à savoir Thalès, Anaximène et Anaximandre, ce sont respectivement l'eau, l'air et l'infini qui sont retenus comme principes de ce qui est et de ce qui devient. Avec Héraclite, c'est une nouvelle approche du devenir de l'univers qui voit le jour. En effet, Héraclite à qui on attribue la paternité de tous les philosophes du devenir,11(*) a démontré dans son oeuvre De l'univers que le conflit entre les contraires est principe de l'harmonie et du devenir de l'univers. Ainsi, notre réflexion sur l'approche héraclitéenne du devenir portera essentiellement sur sa philosophie des contraires et partant, sur le mobilisme qu'il suppose.

    1. La philosophie des contraires

    Le conflit des contraires

    A la base de l'héraclitéisme, il y a cette conviction selon laquelle l'origine et le devenir des choses sont tributaires du principe d'opposition. Il assure la naissance et la conservation des êtres par le conflit des contraires. Une telle vision du devenir heurte les aspirations de paix d'un Homère. Cependant, Héraclite fait remarquer qu'« Homère avait tort de dire : «Puisse la discorde disparaître entre les dieux et les hommes !» Il ne voyait pas qu'il priait pour la destruction de l'univers, car si sa prière était entendue, toutes choses périraient. »12(*) Ainsi, l'absence du conflit provoquerait une destruction de l'univers. Il s'ensuit que « la discorde est seule créatrice. »13(*)

    En effet, le conflit des contraires permet le maintien de la pluralité. Et on pourrait même dire que la loi de la nature est ce conflit perpétuel entre les opposés qui la composent : jour et nuit, guerre et paix, jeune et vieux, abondance et manque, froid et chaud, droit et courbe etc. On le voit, Héraclite entre ici en opposition avec la conception pythagoricienne de l'univers comme lieu de paisibles et immobiles harmonies. Pour lui, les harmonies apparemment paisibles du cosmos, cachent « une lutte temporairement indécise entre les forces contraires ; la belle immobilité de la détermination visible recouvre un mouvement qui échappe à notre vue. Ainsi, l'arc et la lyre (emblèmes d'Apollon si chers aux pythagoriciens) ne doivent chacun leur réalité, leur capacité fonctionnelle, qu'au jeu des forces divergentes du bois et des cordes. »14(*)

    Ainsi, il apparaît que toutes choses de l'univers sont soumises au devenir par le conflit des contraires et Héraclite peut dire à ce sujet que « polemos (guerre ou conflit), est le père de toutes les choses et le roi de tout ; et quelques-unes il les a faites dieux, quelques-unes hommes, quelques-unes esclaves et quelques-unes libres. »15(*) Notons ici un parallélisme entre la philosophie des contraires et le taoïsme qui impute la responsabilité du devenir de l'univers à deux principes sans cesse opposés et pourtant complémentaires : le ying et le yang. Cependant, on pourrait être porté à penser avec Anaximandre que « toutes choses se paient mutuellement compensation pour empiétements. »16(*) Autrement dit, le conflit des contraires serait ipso facto cause de la ruine des contraires et partant du devenir même de l'univers. Héraclite répond que ce conflit n'est ni aveugle ni anarchique : il est harmonie entre les forces opposées.

    L'harmonie des contraires

    Pour Héraclite, le cosmos n'est pas le siège d'un amas de conflits susceptibles de le faire craquer. En effet, le conflit qui oppose les contraires est mesuré et réglé par une instance supérieure qu'il a personnifiée sous les traits de la Justice. La Justice assure donc l'équilibre entre les forces antagonistes et de cet équilibre surgit le devenir harmonieux de l'univers. « Par exemple, le fleuve garde son identité dans et par le mouvement continu de ses eaux...On penserait ici volontiers aux conceptions modernes de l'organisme vivant sur les équilibres interspécifiques. »17(*) Ainsi pouvons-nous affirmer que du devenir harmonieux de l'univers, surgit aussi son unité, laquelle est cachée dans sa diversité. C'est dans ce sens qu'imitant les milésiens, Héraclite en est arrivé à poser l'existence d'une substance première : le feu. Mais ce feu, il faut le préciser, « n'est plus un de ces grands milieux physiques, comme l'étendue marine, ou l'atmosphère génératrice des tempêtes, qui obsédaient l'imagination des milésiens : c'est plutôt une force qui est incessamment active, un feu «toujours vivant»»18(*) qui « s'allume et s'éteint avec mesure. »19(*) D'où le perpétuel devenir de l'univers qu'Héraclite a exprimé dans sa célèbre formule « tout coule » et qu'on a appelé le mobilisme héraclitéen.

    2. Le mobilisme Héraclitéen

    Le perpétuel écoulement

    Dans le système héraclitéen, l'Etre est en perpétuel écoulement, en perpétuel devenir. Cette considération procède d'un constat opéré dans la nature. En effet, le jour cède à la nuit et vice-versa. La vie quant à elle cède à la mort. L'enfant devient vieux. L'herbe verte aujourd'hui, quelque temps après sèche. Une saison succède à une autre. Et Héraclite d'écrire : « Le froid devient chaud, le chaud devient froid, le mouillé devient sec, l'aride devient humide. »20(*) On pourrait multiplier les exemples. Cependant, il y a lieu de remarquer que dans ce perpétuel écoulement dont parle Héraclite, certains contraires admettent la réciprocité et d'autres pas. Prenons un exemple : le jour cède à la nuit et la nuit au jour. Par contre, l'enfant qui devient vieux ne pourra plus retourner à sa jeunesse physique. Tout ceci fait dire à Héraclite : « Tu ne peux pas descendre deux fois dans le même fleuve ; car, de nouvelles eaux coulent toujours sur toi. »21(*) Tout en faisant état du flux continu de l'univers, cette célèbre formule qui a traversé tant de siècles, met en évidence un couple de contraires selon le style héraclitéen : le Même et l'Autre. En effet, « pour les hommes qui entrent dedans, ces fleuves sont toujours les mêmes, d'autres et d'autres eaux toujours surviennent. »22(*) En arrière fond de cette philosophie, il y a l'idée maîtresse de la préséance du mouvement sur l'Etre.

    Préséance du mouvement sur l'être

    Nous abordons ici l'une des idées les plus originales de la philosophie du devenir chez Héraclite : la préséance du mouvement sur l'Etre. En effet, pour Héraclite, « ce qui existe, ce n'est pas l'être mais le devenir : Il n'y a de réel que le changement. »23(*) Cette affirmation qui se situe au sommet de toute la réflexion de Héraclite sur le devenir, nous livre la clé d'interprétation de sa pensée. Pour celui-ci, l'Etre n'est pas, c'est le mouvement qui est. Ceci ne signifie pas pour autant que Héraclite nie l'Etre. En effet, l'impossibilité à se baigner deux fois dans le même fleuve est déjà une preuve que le fleuve existe. Cependant, la nouveauté chez Héraclite, c'est qu'il a perçu que l'Etre n'est que l'instrument par lequel la véritable substance qu'est le mouvement se manifeste. En effet, si tout coule et rien ne demeure, après extinction complète de l'Etre, quelque chose pourtant demeure : le mouvement. D'où le primat du mouvement sur l'Etre. On le voit, Héraclite se situe ici aux antipodes de ce que sera plus tard l'approche aristotélicienne du devenir. En effet, alors que pour Aristote « sans le lieu, le vide et le temps, il n'est pas de mouvement possible »,24(*) c'est tout le contraire pour Héraclite : c'est le mouvement qui donne sens au lieu, au vide, au temps, à l'Etre. A ce propos, A. Jeannière écrit : « Dire que l'être est en mouvement, c'est dire que le mouvement précède les êtres qu'il crée. Fond dont se tirent tous les êtres, le mouvement explique tout, est l'unité de tout. »25(*) 

    Eu égard à ce qui précède, il apparaît que Héraclite d'Ephèse l'« obscur », comme aimaient à le désigner les Anciens, a développé une pensée qui s'écarte de la méthode analytique propre à son temps, trop faible pour rendre compte de la complexité du langage. Sa préoccupation ne fut nullement d'expulser de la pensée et de la réalité les contradictions. On ne peut non plus dire qu'il n'accorde aucun intérêt à la vertu de la cohérence. Il nous semble juste de reconnaître avec François Châtelet au sujet de Héraclite qu'il « a plutôt lutté avec le langage pour lui faire rendre, par la fulguration des chocs verbaux, le sentiment, élémentaire peut-être, en tout cas puissant qui s'enveloppe dans la formule cardinale selon laquelle «le combat est le père et roi de tout». »26(*) Toutefois, l'approche héraclitéenne du devenir sera remise en question par Parménide pour qui l'Etre n'est pas devenir mais stabilité.

    II. Position de Parménide

    L'Ecole d'Elée dont se réclame Parménide, a eu pour précurseur un émigré ionien originaire de Colophon : Xénophane. Né vers 570 avant Jésus Christ, poète errant et rhapsode, il mourut centenaire à Elée. C'est sous son impulsion que la physique milésienne cède le pas à de véritables problématiques philosophiques dont la plus poignante est une espèce d'introduction au problème ontologique : le problème de l'Un. Ce problème il convient de le rappeler, se situe dans la perspective de démontrer qu'un quelconque devenir de l'Etre n'est pas possible. C'est Parménide en qui l'histoire reconnaît le fondateur de l'Ecole d'Elée, qui systématisera cette philosophie et aboutira à la thèse selon laquelle l'Etre est et le non-Etre n'est pas. Dans cette logique, le devenir n'est alors que pure illusion.

    1. L'être est, le non-être n'est pas

    La voie de la vérité et la voie de l'opinion

    Formé à la sagesse par Diochertès et Aminias tous deux pythagoriciens, Parménide exprime sa réflexion sur l'Un dans un poème philosophique auquel l'histoire a donné le nom resté fort célèbre de poème de Parménide. D'un style politico-mystique, à l'allure initiatique et orphique emprunté au pythagorisme qui dominait à cette époque, le poème de Parménide s'ouvre par une image métaphorique faisant état du poète conduit par les filles du Soleil chez la déesse : 

    « Le char qui m'emporte m'a conduit aussi loin que mon coeur pouvait le désirer, puisqu'il m'a amené et déposé sur la voie fameuse de la déesse qui dirige l'homme qui sait à travers toutes les villes...Et l'axe brillant dans le moyeu (car il était ceinturé à chaque extrémité par les roues tourbillonnantes) faisait entendre un son strident comme celui d'un pipeau, quand les filles du Soleil, se hâtant de me conduire à la lumière , écartèrent leurs voiles de leurs faces et quittèrent la demeure de la nuit...la déesse me salua amicalement, prit ma main droite dans les siennes et s'adressa à moi en ces termes : «Sois le bienvenu, ô jeune homme...Il faut que tu apprennes toutes choses, aussi bien le coeur inébranlable de la vérité bien arrondie, que les opinions illusoires des mortels dans lesquelles il n y a pas de vrai certitude.»»27(*)

    Fasciné par la beauté de cette poésie, nous sommes davantage impressionnés par sa teneur philosophique. En effet, l'accueil chaleureux réservé au poète par la déesse, est dû au fait qu'il s'est engagé sur cette voie qui est « loin du sentier des hommes battus. » Ce sentier dont Parménide se félicite de s'en être éloigné, est en effet celui qui affirme le devenir de l'Etre. Pour lui, le devenir des choses serait lié à leur appréhension par les sens et non par l'esprit. C'est pourquoi, c'est par une voie tout à fait nouvelle, précisément celle qui consiste à saisir les choses avec l'esprit et non par les sens que Parménide va quêter la vérité : « Considère fermement les choses avec ton esprit, bien qu'elles soient éloignées, comme si elles étaient à la portée de ta main... »28(*)

    L'esprit ne peut appréhender que ce qui est intelligible. Or la contradiction qui relève du devenir comme l'a montré Héraclite, semble être le lot du monde phénoménal. Naissance, mort, transformation, mouvement, sont autant de termes qui qualifient la chose sensible. On peut donc conclure que le monde sensible qui est celui du changement ne peut s'appréhender logiquement par l'esprit. Car, « changer suppose se nier pour devenir autre chose. »29(*) Ainsi, l'Etre reste la seule réalité qui puisse être pensée puisqu'il est impossible qu'il ne soit pas ou qu'il soit autrement qu'il est. Et toute pensée qui affirmerait qu'il n'est pas serait tout simplement vide de sens. Telles sont donc les deux voies que la déesse a décrites en ces termes :

    « ...Je vais te dire ...les deux seules voies de recherche que l'on peut concevoir. La première, à savoir qu'il est et qu'il est impossible pour lui de ne pas être, est la voie de la persuasion, car la vérité est son compagnon. La seconde, à savoir qu'il n'est pas, et qu'il n'est pas nécessaire qu'il soit celle-là je te le dis, est un sentier dans lequel nul ne peut rien apprendre. Car tu ne peux pas connaître ce qui n'est pas (c'est impossible) ni l'exprimer ; car c'est la même chose qui peut être pensée et qui peut être. »30(*)

    Il s'avère donc que la voie de l'opinion qui affirme l'existence du non-Etre et partant le devenir est à proscrire. Quant à celle de l'Etre qui est aussi celle de la vérité, elle nous achemine vers une véritable ontologie parménidienne.

    Caractéristiques de l'ontologie parménidienne

    De ce qui précède, nous pouvons dégager quelques traits fondamentaux de l'ontologie parménidienne. D'emblée, la quête de l'Etre se présente comme étant la finalité de la recherche philosophique. L'Etre est pourvu de nécessité logique : il ne peut ne pas être et ce caractère nécessaire lui confère son intelligibilité. Quant au non-Etre inintelligible qui évoque la possibilité du devenir, il répugne à l'esprit qui ne peut qu'appréhender l'Etre c'est-à-dire le nécessaire. Il se dégage donc un rapport d'identité entre l'Etre et la pensée. On retrouvera l'écho de cette position philosophique bien plus tard chez René Descartes qui, dans son cogito, assimilera l'Etre à la pensée : « Je pense donc je suis. »31(*) Kant suggérera plutôt que ce qui ne peut être appréhendé par la raison, n'est pas de l'ordre du connaissable. Il s'ensuit alors que toute science du monde sensible voué au devenir est impossible. C'est la raison pour laquelle l'Etre parménidien se veut incréé, indestructible, continu, immobile et fini comme l'atteste ces propos de la déesse : « Il est immobile dans les liens de chaînes puissantes, sans commencement ni fin...ne peut être infini, car il ne lui manque rien ; alors que s'il était infini, il manquerait de tout. »32(*) Ainsi, l'ontologie parménidienne se veut une négation du devenir de l'Etre

    Cependant, il faut remarquer que dans la seconde partie de son poème, Parménide fait allusion aux opinions des mortels qu'il a condamné plus haut comme étant la voie de l'erreur. Ceci s'explique peut-être par le fait qu'après avoir décrit l'Etre comme étant un et immobile, il a voulu lui opposer le monde du devenir. Néanmoins, Parménide reste le philosophe de la voie de la vérité qui le premier s'est attaqué à l'ontologie rationnelle de l'Etre nécessaire. On pourrait même dire que l'ontologie est née avec l'éléatisme. Toutefois, l'éléatisme devra faire face au pythagorisme florissant de cette époque qui apparaît comme l'exaltation du multiple, gage du devenir. Ce sera l'oeuvre des deux principaux successeurs du poète d'Elée : Zénon d'Elée et Melissos de Samos.

    2. Postérité de Parménide

    L'argument des apories et la grandeur infinie de l'être

    Né à Elée vers 490 et 485 avant Jésus Christ, Zénon se consacra à la défense systématique des idées de son maître. « L'essentiel des divers arguments de Zénon revient à mettre en évidence, dans tout effort pour penser pluralité ou mouvement, une composition de l'indivisible, qui fait la contradiction. »33(*) Pour arriver à cette fin, le puissant génie de Zénon mit sur pied une méthode tout à fait nouvelle à laquelle l'histoire donna le nom de dialectique. Elle consiste en trois étapes : premièrement, recueillir les affirmations de l'adversaire. Deuxièmement, mettre en évidence par le raisonnement les conclusions contradictoires qu'elles impliquent. Troisièmement, aboutir à la conclusion logique selon laquelle les affirmations de l'adversaire doivent être soit corrigées, soit purement et simplement rejetées. On retrouvera un tel raisonnement dans le domaine de la mathématique sous le nom de raisonnement par l'absurde.

    Au livre VI de La physique, Aristote nous rapporte trois apories34(*) de Zénon restées fort célèbres qui témoignent de l'impossibilité du mouvement et partant du devenir de l'Etre. Au regard de ces apories, nous pouvons conclure avec Zénon que penser le multiple et partant le devenir, c'est tout simplement être dans l'erreur. Par conséquent, la pensée vraie est celle qui a pour objet l'Un immobile, immuable et continu comme le voulait Parménide. Mais pour que la thèse de l'éléatisme parvienne à sa pleine maturité, outre l'apport dialectique de Zénon d'Elée, il fallut aussi la contribution d'un Melissos de Samos qui assigna à l'Etre une grandeur infinie.

    D'une dizaine d'année plus jeune que Zénon, Melissos de Samos peut être considéré comme le dernier grand éléate de l'histoire de la pensée. D'abord formé à la physique ionienne, il se convertit à l'éléatisme tout en conservant l'idée de l'infini propre à Anaximandre. L'apport de Melissos dans l'éléatisme trouve son originalité dans la notion de grandeur infinie qu'il attribue à l'Etre. Si Melissos épouse l'essentiel de la pensée parménidienne qui assigne à l'Etre une infinité dans le temps, il soutient pour sa part qu'à cette infinité doit s'ajouter celle en grandeur. En effet, si l'Etre n'est pas infini en grandeur, il serait borné dans l'espace par quelque chose qui ne peut être que le non-Etre et son devenir serait par conséquent possible. Pour que l'Etre garde à la fois son unité et sa continuité, il est donc nécessaire qu'il soit infini en grandeur.

    Par ailleurs, l'argument de l'impossibilité du mouvement sera davantage corroboré par les Mégariques.

    Le point de vue des Mégariques

    Les Mégariques portent à l'extrême le principe de non-contradiction et l'appliquent sans restriction à toutes les propositions même à celles futures. Pour eux, ce qui est vrai est éternellement vrai et ce qui est faux sera toujours faux. Par conséquent, tout est déterminé par l'éternité. Le nécessaire sera toujours nécessaire et l'impossible toujours impossible. Dès lors, tout passage du non-Etre à l'Etre est impossible. Par cet argument, les Mégariques anéantissent la notion du possible et du coup, le devenir n'est plus qu'une simple chimère. En langage aristotélicien, nous dirons que les Mégariques professent l'identité de l'acte et de la puissance. Dans cette perspective, l'architecte ne le sera qu'au moment où il exerce son art. Aristote a bien résumé l'argument des mégariques en ces termes : « Il y a des philosophes, les Mégariques par exemples, qui prétendent qu'il n'y a puissance que lorsqu'il y a acte, et que lorsqu'il n'y a pas d'acte, il n'y a pas puissance : ainsi, celui qui ne construit pas n'a pas la puissance de construire, mais seulement celui qui construit, au moment où il construit. Et ainsi de suite. »35(*)

    De tout ce qui précède, il y a lieu de remarquer que l'intuition parménidienne de l'Être et de sa nécessité d'être marque un tournant important dans l'analyse du problème de l'Un et du Multiple. L'apport de Zénon d'Elée dans ce sillage, a laissé en héritage à la pensée une technique nouvelle de la démonstration : la dialectique. En effet, c'est avec lui qu'apparaît pour la première fois « une doctrine soucieuse de passer, pour assurer ses convictions, par l'examen consciencieux et rigoureux des positions adverses. »36(*) L'hégélianisme fera écho à ce procédé. En effet, quand Hegel découvrira à son tour la dialectique, celle-ci sera toujours un mouvement de la pensée qui prend en compte les opinions adverses. D'où le mouvement : thèse, antithèse et synthèse. Par ailleurs, il y a lieu de reconnaître la difficulté pour l'esprit humain qui, chaque fois qu'il veut penser le mouvement, se heurte à des paradoxes susceptibles de le conduire à des fausses théories. Chez les successeurs et rivaux des éléates, le problème de l'Un et du Multiple qui est aussi celui du devenir de l'Etre, restera au coeur du débat philosophique. Il sera davantage éclaircit par Platon.

    III. Position de Platon

    Philosophe idéaliste et dialecticien, Platon est le premier qui a tenté une solution au problème métaphysique du devenir en opérant à la fois un dépassement de Héraclite et de Parménide. Pour lui, le devenir de l'Etre est rendu possible, aussi bien par les Idées qui sont causes du mouvement des choses sensibles que par l'existence d'un non-Etre relatif qu'il a nommé l'altérité. C'est pourquoi, notre analyse de l'approche platonicienne du devenir, s'intéressera à la théorie des Idées et au problème de l'Un et du Multiple relatif à celui de la prédication.

    1. La théorie platonicienne des Idées

    Exposé de la théorie

    Pour Platon, c'est l'Idée qui réalise tout ce qu'il y a d'intelligible dans le monde. Celle-ci existe absolument par soi, et en dehors de toute pensée. Non générée et incorruptible, l'Idée subsiste toujours. Elle est douée d'intelligibilité, et n'est connue que par l'intellect. Platon affirme à propos dans le Timée :

    « Dans de telles conditions, il faut convenir qu'il est : premièrement l'ordre des êtres qui se conservent identiques, qui ne sont sujets ni à naître ni à périr, dont nul n'accueille en soi un autre distinct de lui ni ne se rend lui-même en un autre, qui sont invisibles et à tout autre sens inaccessibles ; ce sont précisément ces êtres que l'intellection à pour lot d'examiner. »37(*)

    Par ces termes, le disciple de Socrate établit clairement la distinction entre ce qu'il nomme Idée et la chose sensible vouée au changement, au mouvement et donc au devenir. En plus, il faut dire que chez Platon, la pluralité sensible existe par participation aux Idées qui ont le même nom qu'elle. Il affirme à ce sujet : « Ces Idées dont nous parlons, sont à titre de modèles, des « paradigmes», dans l'éternité de la Nature ; quant aux objets, ils leur ressemblent et en sont des reproductions ; et cette participation que les autres objets ont aux Idées ne consiste en rien d'autre qu'à être faits à leur image. »38(*)

    Par ailleurs, dans le Phédon, Platon soutient que les Idées sont causes des êtres et du devenir des choses. Ainsi, le mouvement et le changement observés dans le monde sensible qui traduisent son être en devenir, ont pour principe les Idées immuables et éternelles auxquelles Platon assigne une nature mixte.

    Les Idées considérées comme mixtes

    En dépit de leur individualité et du fait qu'elles ne sont pas immanentes aux choses sensibles, les Idées sont pourtant formées comme les choses sensibles : elles ont une matière à savoir la Dyade indéfinie du Grand et du Petit, qui porte soit chez Platon lui-même, soit chez ses disciples différents noms : l'inégal, l'infini, la multiplicité, le non-Etre. En plus d'une matière, les Idées sont investies d'une forme que Platon appelle l'Un. L'Idée platonicienne est donc mixte. Ce caractère mixte ne doit en aucun cas suggérer à notre esprit un quelconque devenir des Idées comme c'est le cas pour les êtres sensibles. Car en plus d'être immobiles, les Idées sont aussi causes d'immobilité comme le souligne Aristote. Ainsi exposée, la théorie des Idées éclairera la contribution platonicienne dans la résolution du conflit de l'Un et du Multiple lié au problème de la prédication.

    2. L'un et le multiple : le problème de la prédication

    Définition du problème

    Ce problème qui surgit de l'Ecole d'Elée et qui trouve son apogée chez les Mégariques, consiste en la coexistence de l'Un et du Multiple au sein d'une même réalité. En effet, comment l'unité de la chose peut-elle être compatible avec la multiplicité de ses déterminations ? Problème aux allures complexes dont l'enjeu est la réduction de toute prédication à une pure tautologie et qui selon Aristote obligeait les Anciens à se donner « beaucoup de mal pour éviter de faire coïncider en une même chose l'un et le multiple. »39(*) En effet, le problème de l'Un et du Multiple reprend celui du devenir mais l'envisage sous un autre angle : celui du discours prédicatif. Mais qu'en est-il vraiment du problème de la prédication ? Laissons parler Platon par la bouche de l'étranger du Sophiste :

    « Explique donc comment il peut se faire que nous désignons une seule et même chose par une pluralité de noms...Nous énonçons « l'homme » tu le sais, en lui appliquant de multiples dénominations, en lui rapportant couleurs, formes, grandeurs, vices et vertus toutes ces façons de parler, comme en des milliers d'autres, ce n'est point seulement homme que nous affirmons être, mais encore bon, et d'autres qualifications en nombre illimité. C'est ainsi que pour tous les autres objets ; nous ne posons, également chacun d'eux comme unique pour le dire aussitôt multiple et le désigner par une multiplicité de noms...A quoi il sera facile au premier venu d'objecter qu'il est impossible que le multiple soit un et que l'Un soit multiple. »40(*)

    Ceci étant, il apparaît que le problème de l'Un et du Multiple peut se réduire à celui du sens du verbe être. En effet, la difficulté porte sur le comment une chose peut être autre qu'elle-même en restant néanmoins égale à elle-même, ou tout simplement sur le comment l'Un peut être Multiple. Platon répond aux partisans de l'Un qui déclarent impossible le Multiple par l'existence du non-Etre relatif.

    Le non-être relatif : l'altérité

    Pour les l'Eléates et les Mégariques, il est clair que chaque chose est ce qu'elle est et n'est pas ce qui est autre qu'elle. Ce qui implique qu'il est impossible que « quoi que ce soit reçoive une dénomination autre que la sienne. »41(*) Cependant, cette position des Eléates repose sur une analyse insuffisante de la notion du non-Etre. Alors que ceux-ci l'entrevoient uniquement d'un point de vue absolu, Platon pose un non-Etre relatif qui est l'altérité. Cet argument est fondé sur le fait que tout ce qui est, est par rapport aux autres choses qui l'environnent, et par le même fait, est autre que le reste des choses. Ainsi pouvons-nous affirmer avec Pierre Aubenque qu'« admettre la possibilité de la dénomination multiple d'une même essence, revient donc à admettre la participation des genres, et cette dernière thèse entraîne (ou plutôt présuppose) l'existence de ce non-être relatif qui est l'Autre. »42(*) Dès lors, en posant l'existence d'un non-Etre relatif, Platon s'est efforcé non seulement de sauvegarder l'unité de l'Etre mais aussi son devenir qui implique nécessairement le multiple. La prédication est ainsi restaurée sans que celle-ci ne soit une simple tautologie comme le pensaient les Mégariques.

    Conclusion

    En somme, que l'on se situe du côté de Héraclite ou de Parménide, on voit émerger un discours philosophique qui rompt avec les spéculations purement physiologistes des milésiens pour jeter les bases de ce qu'on convient d'appeler aujourd'hui ontologie. Notre préoccupation dans ce chapitre, loin de remonter la pensée de tous les philosophes qui ont précédé celle d'Aristote sur le devenir, a consisté à mettre en évidence celles de Héraclite, de Parménide et de Platon.

    Avec Héraclite, il nous est apparu que le devenir est ce mouvement continu qui entraîne dans son flux toutes les réalités de l'univers. Toute chose de l'univers est donc continuellement en devenir sous l'impulsion de polemos le conflit. D'où la philosophie des contraires et le perpétuel écoulement qui en découlent. Toute la pensée de Héraclite est portée par l'idée centrale de la préséance du mouvement sur l'Etre. Cependant, peut-on vraiment parler de flux universel quand on sait que tout mouvement se déploie entre un état initial et un état final ? En outre, affirmer du mouvement qu'il est continu comme le fait Héraclite, n'est-ce pas ignorer que le repos participe de certains éléments du cosmos ?

    Parménide quant à lui restaure le principe d'identité en niant toute possibilité pour l'Etre de devenir. L'argument des apories et celui de la grandeur infinie de l'Etre corroborés par les Mégariques, auront contribué à démontrer l'impossibilité du mouvement. Cependant, ne peut-on pas dire que la position trop tranchée des éléates et de leurs disciples mégariques en faveur de l'Etre contraint au repos, procède d'une faible analyse de ses significations ? En effet, que dire de l'Etre en puissance et de l'Etre en acte qui rendent compte du devenir sans toutefois induire à la contradiction ?

    La théorie platonicienne de la participation et du paradigmatisme des Idées a tenté à sa manière de résoudre le problème de l'Un et du Multiple. Le faisant, Platon s'est efforcé de justifier contre les éléates l'existence d'un non-Etre qu'il a qualifié de relatif par opposition au non-Etre absolu. Il y a là une audace qui passe outre l'interdiction formelle de Parménide : « Non jamais, tu ne plieras de force le non-Être à l'Être ; de cette route, de recherche, écarte plutôt ta pensée »,43(*) pour affirmer l'existence du non-Etre : « Il est donc inévitable que le non-Être soit, non seulement dans le mouvement, mais aussi dans toute la suite des genres. »44(*) Cependant, si les Idées sont responsables du devenir des choses sensibles comme le prétend Platon dans le Phédon,45(*) et s'il y a Idée de tout, laquelle des Idées sera t-elle responsable du devenir de l'homme puisqu'il est à la fois animal, bipède, homme ? Et puis, étant donné que les Idées sont par nature immuables et cause d'immobilité, comment peuvent-elles rendre compte du mouvement des choses sensibles dont elles sont les modèles ?

    Au reste, les positions intangibles de l'héraclitéisme et de l'éléatisme, ont laissé en héritage à la pensée deux conceptions de l'Etre diamétralement opposées : en perpétuel écoulement pour Héraclite et toujours au repos pour Parménide. Au jugement d'Aristote, il est évident que « ni ceux qui prétendent que tout est au repos, ni ceux qui prétendent que tout est en mouvement ne disent vrai.»46(*) Ainsi, la réduction de l'Etre à ses accidents ou à sa substance, ou encore l'essai de leur conciliation par Platon n'étaient pas susceptibles de rendre compte de son devenir. D'où leur réfutation par Aristote.

    CHAPITRE II : REFUTATIONS ARISTOTELICIENNES DES CONCEPTIONS HERACLITEENNES, PARMENIDIENNES ET PLATONICIENNES DU DEVENIR

    Introduction

    Ce chapitre est entièrement consacré aux différentes critiques formulées par Aristote à l'endroit de ses principaux devanciers sur l'analyse du devenir de l'Etre. En dépit de la solidité de leurs argumentations, le père du péripatétisme se propose de mettre en lumière les failles de leurs réflexions. Ainsi va t-il critiquer entre autre chez Héraclite sa théorie de flux universel et de la continuité du mouvement, chez Parménide et son école leur impossibilité à concevoir le mouvement de l'Etre tant du point de vue physique que prédicatif et enfin chez Platon, sa théorie de la participation et du paradigmatisme des Idées ainsi que leur causalité.

    I. Critique de Héraclite

    1. Impossibilité de flux universel

    Par flux universel, il faut entendre un mouvement illimité qui affecte la totalité du cosmos. Le premier à s'ahurir devant une telle appréhension du devenir fut sans doute Platon. Préoccupé de fonder une science des phénomènes, il comprit très vite qu'il n'y a pas de science là où les choses sont dépourvues de toute stabilité. En effet, le monde de Héraclite voué à un perpétuel écoulement, se prêtait mal comme support à cette science et la solution platonicienne consista à s'évader de ce monde tel qu'il l'affirme lui-même dans le Théétète,47(*) pour conquérir un monde intelligible séparé de celui-ci, où les Idées auraient pour principal attribut l'immuabilité.

    Pour Aristote, comme le remarque si bien Bréhier, la conquête d'un monde intelligible n'est pas nécessaire car, « il n'y a point de flux universel : il n'y a qu'une collection de mouvements, dont chacun est limité d'une manière précise par un état initial et un état final. »48(*) Précisément, c'est dire que « tout changement va de quelque chose vers quelque chose. »49(*) Aristote circonscrit ainsi le mouvement entre un état initial et un état final. Par là, il ruine l'idée de flux universel qu'avait formulée Héraclite et énonce en même temps la possibilité d'une science du mouvement. Il observe en outre que le mouvement ne peut être continu : il est plutôt discontinu.

    2. Discontinuité du mouvement

    Pour Aristote, le mouvement est le propre des êtres naturels à des degrés divers. Cependant, il ne faut pas entendre par là que toute chose de la nature est continuellement en mouvement. Ce serait en effet donner raison aux propos de Héraclite contre lesquels s'insurge justement Aristote. Il écrit à ce sujet : « Il est assurément nécessaire, ou bien que tout soit toujours en repos, ou bien que tout soit toujours en mouvement, ou bien que certaines choses soient en mouvement, les autres en repos. »50(*) C'est dans cette logique que s'inscrit Aubenque lorsque partageant le point de vue d'Aristote, il déclare : « Les réalités de notre monde ne sont ni toujours immobiles ni toujours en mouvement, mais elles sont tantôt en repos, tantôt en mouvement. »51(*) Il s'avère ainsi que mouvement et repos participent d'un même genre : celui de la mobilité. Par conséquent, la nature qui est principe de mouvement est aussi principe de repos.52(*)

    Comme nous pouvons le constater, à la continuité des mouvements naturels qu'avait affirmée Héraclite, Aristote oppose la discontinuité de ceux-ci par le fait qu'ils s'acheminent vers leurs lieux de repos. Toutefois, ce repos n'est pas suppression totale du mouvement, mais « arrêt provisoire du mouvement précédent, attente du mouvement suivant. »53(*) Par ailleurs, Aristote reconnaît que pris dans sa globalité, le mouvement du monde est à tout égard continu. En effet, il y a toujours un aspect du monde qui est en mouvement lorsque d'autres sont au repos. Nous pouvons alors conclure que ce que Héraclite n'avait pas compris et que Aristote met ici en évidence, c'est que la continuité du mouvement global du cosmos masque en fait celui discontinu de ses parties.54(*) A ce propos, les éléates n'avaient donc pas raison de considérer l'Etre uniquement au repos, de lui soustraire toute possibilité de devenir.

    II. Critique de Parménide

    1. Du non-être à l'être : possibilité du multiple

    Si Aristote s'intéresse à l'ontologie parménidienne, c'est parce que derrière la polémique de l'Un, c'est en fait le mouvement qui est mis en question. Pour lui, l'erreur des éléates procède de la réduction de l'Etre à l'une de ses catégories : la substance. Or selon Aristote, la substance demeure stable mais offre à ses attributs la possibilité de changer. C'est pourquoi il affirme contre le monophysisme des éléates, la pluralité des expressions de l'Etre : l'Etre se dit de plusieurs manières, il se dit comme substance mais aussi comme accident. Dès lors, il n'est pas qu'Un comme le pensait Parménide et son école, mais aussi Multiple. En effet, il est Un en substance et Multiple dans ses accidents. Et Aristote de dire : « Être et l'Être signifient tantôt l'Être en puissance, tantôt l'Être en entéléchie. »55(*)

    En abordant l'Etre sous l'angle de la pluralité, Aristote restaure à celui-ci sa capacité à devenir autre. Du non-Etre quelque chose peut donc surgir, à condition d'entendre par non-Etre l'Etre en puissance. Cette scission de l'Etre qui aboutit à la distinction de l'Etre en acte de l'Etre en puissance, c'est encore le mouvement lui-même qui l'opère. C'est ce qui justifie le fait que Aristote assigne au mouvement un caractère extatique c'est-à-dire « qu'il fait sortir l'Être de soi-même en l'empêchant de n'être qu'essence, en le contraignant à être aussi ses accidents. »56(*) Le mouvement de l'Etre est donc possible et les apories de Zénon d'Elée ainsi que la théorie de la grandeur infinie de Mélissos de Samos, se trouvent réfutées par la diversité des sens de l'Etre. L'Etre pouvant devenir autre que ce qu'il est, le devenir du Même s'avère également possible, chose pourtant absurde pour les mégariques.

    2. Réfutation des mégariques

    Disciples des éléates, les mégariques posent le problème du devenir dans le cadre de la prédication. Pour eux, le devenir est impossible car il est suppression de l'Etre. C'est ce que révèlent ces mots du sophiste de l'Euthydème à propos de l'ignorant Clinias: « Vous voulez qu'il devienne savant et non ignorant...Vous voulez donc qu'il devienne ce qu'il n'est pas et qu'il ne soit plus ce qu'il est à présent, c'est que vous désirez sa mort. »57(*) Pareille doctrine a une triple conséquence : premièrement, elle anéantit « mouvement et devenir. »58(*) Deuxièmement, elle identifie la puissance à l'acte.59(*) Troisièmement, elle distingue Socrate assis de Socrate debout, réduisant par là le monde à « une juxtaposition d'existences monadiques entre lesquelles tout passage et, par conséquent, toute unité son introuvables. »60(*) Aristote s'inscrit en faux contre la thèse mégarique en faisant observer que l'erreur de ceux-ci est une conséquence de leur ignorance « du rôle dissociateur du mouvement et sa force unifiante ; ils ne voient pas qu'il supplée lui-même par sa continuité, qui rend possible le progrès, à la scission qu'il introduit dans l'être. »61(*)

    Ainsi, à la question des mégariques : comment le Même peut-il devenir autre sans cesser d'être lui-même, Aristote répond que c'est par ce qu'il devient qu'il n'est pas toujours ce qu'il est. Toutefois, c'est pour être ce qu'il est que l'Etre devient. C'est donc parce que les mégariques n'arrivaient pas à saisir l'unité et la continuité de l'Etre dans sa double dimension de puissance et d'acte qu'ils ont fini par le fragmenter et à soutenir que « l'être debout sera toujours debout et l'être assis toujours assis »,62(*) faisant ainsi à tort du devenir une succession de mort et de renaissance. Platon, mieux averti que les éléates et les mégariques, n'arrivera malheureusement pas à rendre compte du devenir avec clarté. D'où les reproches à lui adressés par Aristote.

    III. Critique de Platon

    1. Critique de la théorie de la participation et du paradigmatisme des Idées

    Aristote est très sévère à l'égard de la théorie platonicienne de la participation qu'il considère vide de sens. Il affirme à cet effet : « Dire que les Idées sont des paradigmes et que les autres participent d'elles, c'est se payer de mot vide de sens et faire des métaphores poétiques. »63(*) Il reproche en effet à son ancien maître son ambiguïté entre participation entendue comme mélange ou comme rapport de modèle à copie entre participé et participant. Tout compte fait, il est clair pour Aristote que si les Idées sont mélangées, elles perdent leur individualité et s'avèrent confuses. Cette confusion entraîne finalement l'impossibilité à saisir laquelle de celles-ci serait l'essence propre de l'homme, mieux encore cause de son devenir.64(*) Dès lors, la thèse soutenue par Platon dans le Phédon qui confère aux Idées la causalité du devenir des choses sensible n'est plus recevable.

    2. Critique de la causalité des Idées

    D'emblée, Aristote rejette l'argument du non-Etre relatif de Platon. Pour lui, la relation n'est pas à proprement parler « le contraire ou la négation de l'Être »65(*) mais « elle est en réalité un genre de l'Être, au même titre que l'essence ou la qualité. »66(*) Ce que Platon n'avait donc pas compris, c'est que ce qui est autre n'est pas forcement non-Etre. En effet, ce qui n'est pas substance peut être accident. Ainsi, « le fondement de la multiplicité n'est pas à chercher hors de l'être, dans un non-être qu'on réintroduirait ensuite contradictoirement dans l'être pour en faire un principe efficace, donc existant. Mais il est à chercher au sein même de l'être dans la pluralité de ses significations. »67(*)

    Par ailleurs, Aristote pense qu'il est absurde de poser les Idées comme principes de mouvement. Et il y a là une simple question de bon sens. En effet, comment les Idées qui par nature sont par excellence immuables et cause de repos peuvent-elles causer le mouvement des choses sensibles ? Aristote est très clair à ce sujet : les Idées ne sont « causes d'aucun mouvement, ni d'aucun changement. »68(*) Elles ne peuvent non seulement se mouvoir mais aussi mouvoir. Voilà pourquoi dans son Traité du Ciel, Aristote en vient à déclarer que les choses corruptibles doivent avoir les mêmes principes qu'elles. Il affirme à ce propos : « En effet, il faut sans doute que les principes des choses sensibles, ceux des choses périssables, et de manière générale les principes soient du même genre que ce qui leur est subordonné. »69(*) C'est donc dire en dernière analyse que les Idées n'étant pas elles-mêmes en mouvement, elles ne sauraient être tenues pour responsable du devenir des choses en mouvement dont elles sont les modèles. Précisons toutefois qu'Aristote ne restera pas fidèle à cette pensée jusqu'au bout. En effet, il assignera l'éternité aux principes des choses corruptibles.

    Conclusion

    En somme, notre préoccupation tout au long de cette réflexion a consisté à mettre en lumière quelques unes des critiques formulées par Aristote à l'endroit de ces principaux devanciers sur l'examen du problème du devenir. Si le devenir apparaît à tout égard comme le propre des êtres naturels, il n'est ni un flux universel, ni continu comme l'avait pensé le philosophe d'Ephèse Héraclite. Et si pour les éléates l'Un est immobile et l'attribution impossible pour les mégariques, « c'est parce qu'ils n'ont pas distingué les significations (de l'Etre) qu'ils se sont égarés. »70(*) Ceux-ci en effet, n'avaient pas compris que si l'Etre ne peut provenir du non-Etre en soi, il peut tout de même provenir de cette sorte de non-Etre qu'est l'accident. Nous sommes donc de l'avis de François Châtelet qui résumant les approches héraclitéennes et parménidiennes du devenir affirme :

    « Dans le premier cas, ce qui manque, c'est un point fixe, un sujet premier, c'est-à-dire, l'essence ou la substance, l'être qui est chaque être en lui-même, l'ousia exclusive de toute autre en sa consistance propre, mais susceptible de recevoir des attributs distincts d'elle. Dans le second cas, l'ousia tient toute la place et ce qui manque c'est la reconnaissance des attributs comme d'une certaine sorte de réalité distincte de celle des essences. On avait successivement, dans la confusion de l'essence avec ses attributs, fait s'évanouir l'essence, dans la réduction des attributs à des essences, supprimé tout attribut. La racine commune de cette double erreur est une extension illégitime de la notion de contradiction, elle -même permise par des conceptions trop simples de l'être. »71(*)

    Quant aux Idées, leur immuabilité suffit à réfuter leur causalité. En plus de cela, la faiblesse de l'approche platonicienne du devenir tient en ce qu'il ne rend pas suffisamment explicite le comment du passage de l'Etre au non-Etre, de l'Un au Multiple, du sensible à l'Idée, en dépit de la pertinence du mythe de la caverne. Finalement, c'est dans l'analyse profonde du mouvement et des différentes scissions qu'il introduit dans l'Etre, qu'Aristote abordera la question du devenir.

    CHAPITRE III : LE MOUVEMENT ET SES INCIDENCES

    SUR LE DEVENIR

    Introduction

    « L'Être se prend en de multiple sens. »72(*) Du point de vue du mouvement, il se laisse appréhender avant tout comme matière et forme. Dès lors, le mouvement apparaît comme le processus au bout duquel la forme advient à la matière. Ce processus presque toujours imparfait, requiert un certain nombre de causes qui sont nécessaires pour sa mise en marche. Le mouvement est donc provoqué et suppose de ce fait un moteur. Au terme de la série des moteurs intermédiaires, se trouve le Premier Moteur qui meut sans être mû. L'analyse du mouvement met par ailleurs en évidence des principes qui pourraient s'appliquer à tout être en devenir : la matière, la forme et la privation. Mais avant d'y arriver, commençons par quelques considérations d'ordre général.

    I. Généralités sur le mouvement

    1. Définition et propriété

    Par mouvement, il faut entendre dans le contexte du devenir, le changement d'état des êtres déterminés. Vu sous l'angle du discours, le mouvement est « la coupure qui sépare le monde de l'accident du monde de la nécessité. »73(*) En effet, seul le mouvement permet de distinguer le sujet du prédicat et partant de comprendre que « tout ce qui change est nécessairement divisible. »74(*) Le mouvement suppose donc la divisibilité. Mieux encore, il introduit dans l'Etre une dissociation que nous pouvons appréhender à deux niveaux : au premier niveau, le mouvement permet de différencier ce qui devient de ce dont il est devenu. Au second, il enseigne que ce qui devient se dit en un double sens : « Il y a ce qui disparaît dans le devenir et s'efface devant ce qui advient ; il y a d'autre part ce qui se maintient dans le devenir et fait que c'est bien le même être qui devient ce qu'il n'était pas. »75(*) Par ailleurs, le mouvement apparaît chez Aristote comme la caractéristique essentielle des êtres naturels. Il ne leur est pas accidentel mais consubstantiel. Il peut obéir aux simples lois de la nature ou être provoqué par un agent extérieur à l'Etre. Dans le premier cas il est dit naturel et dans le second artificiel.

    2. Mouvement naturel et mouvement artificiel

    Aristote appelle êtres naturels ceux qui ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement à savoir la nature. Il écrit précisément à cet effet : « Ce qui est mû soi-même sous sa propre action est mû par nature (...) et toutes les choses qui ont en elles le principe de mouvement, nous disons qu'elles sont mues par nature. »76(*) Cependant, si tout ce qui est naturel est par le fait même en mouvement, tout mouvement par contre n'est pas naturel. En effet, Aristote évoque dans sa Métaphysique d'autres sortes de mouvements qui n'ont pas la nature pour principe. Il affirme à ce sujet : « Nous voyons chaque chose se mouvoir (...) par contrainte ou par intelligence ou par quelque autre cause. »77(*) Ainsi, à l'opposé du mouvement naturel, il y a le mouvement artificiel ou intelligent dont le principe se trouve dans un agent extérieur au mobile. Aristote écrit à ce propos : « L'art est un principe de mouvement résidant dans une autre chose. »78(*) Toutefois, le mouvement artificiel reste corrélatif à la nature qu'il imite et supplée aux défaillances. Ainsi pouvons-nous affirmer avec Aristote que « l'art achève pour une part ce que la nature est incapable d'effectuer, et pour une part l'imite. »79(*) Si l'art achève et imite la nature, celle-ci quant à elle rend possible les effets de l'art dont les productions n'existent pourtant pas par nature. En effet, leur « forme est dans l'esprit de l'artiste. »80(*) Il y a donc chez Aristote contrairement à Platon, une vision positive de la mimésis (imitation).

    En outre, en dehors de la nature et de l'art, il est possible que quelque chose advienne par hasard : « Parmi les choses qui deviennent, certaines sont des productions de la nature, d'autres de l'art, d'autres, enfin du hasard. »81(*) Cependant, le hasard n'est pas une cause première : il n'est cause que par accident. Au reste, l'art nous suggère que tout devenir consiste dans l'union d'une forme avec un être capable de la recevoir. Cet être d'abord en puissance et ensuite en acte après avoir revêtu la forme, Aristote l'appelle matière. Matière, forme et privation sont donc principes du mouvement.

    II. Mouvement et principes

    1. Matière, forme et privation

    L'analyse du devenir révèle une triplicité des principes : la matière, la forme et la privation. En effet, dans le devenir, il y a la chose qui devient qu'on nomme matière. Ensuite, il y a ce qui advient à cette matière à savoir la forme. Enfin, il y a à l'opposé de la forme, ce à partir de quoi la forme est advenue c'est-à-dire la privation. Ces termes peuvent s'illustrer analogiquement par ce que la pierre est à la statue, le bois au lit, avant que sculpteur et menuisier aient façonné leurs ouvrages. C'est par cet argument qu'Aristote a réfuté la thèse des éléates qui, dans leur ignorance de la privation, n'avaient de considération que pour un seul principe : la matière pour Mélissos, la forme pour Parménide. Dès lors, « si la triplicité des principes de l'être est imposée à l'être par le fait qu'il est en mouvement, on comprend inversement maintenant pourquoi la doctrine de l'unicité du principe était liée à celle de l'impossibilité du mouvement. »82(*)

    Cependant, il faut signaler qu'il n'y a pas de devenir de la forme car « l'essence ou la forme est un acte. »83(*) Par conséquent, dans le devenir de l'airain par exemple, ce qui naît, ce n'est point la forme de la sphère d'airain mais plutôt l'union de la forme sphérique et de l'airain. Aristote affirme à ce sujet : « Ce qu'on appelle forme ou substance n'est pas engendrée, mais ce qui est engendré, c'est le composé de matière et de forme, lequel reçoit son nom de la forme ; et tout être engendré renferme de la matière, une partie de la chose étant matière, et une autre partie, forme. »84(*) Toutefois, ceci ne veut pas dire que toute forme est éternelle. Les formes éternelles en effet sont uniquement celles qui ne sont pas engagées dans le sensible (Dieu par exemple) et celles qui pour produire une nouvelle substance doivent préexister dans un autre individu de la même espèce. Par contre, lorsqu'une nouvelle qualité surgit d'une substance, celle-ci n'est pas éternelle bien qu'elle ne soit pas soumise au devenir.

    Par ailleurs, lorsque nous disons que l'Etre en devenir comprend la matière, la forme et la privation, il faut préciser que matière et forme sont des éléments de l'Etre ou mieux ses composantes immanentes et premières85(*) tandis que la privation est de l'ordre du non-Etre. Elle est absence mais absence de telle présence particulière. Au reste, tout devenir peut-être appréhendé par l'analogie universelle de « la forme, la privation et la matière ; mais chacun d'eux est autre en chaque genre : par exemple, pour la couleur, c'est respectivement le blanc, le noir, la surface, et, pour le jour et la nuit, la lumière, l'obscurité, l'air. »86(*) Toutefois le mouvement reste un acte imparfait et par conséquent infini.

    2. Imperfection du mouvement

    Aristote appréhende le mouvement comme un acte imparfait. Il écrit à ce propos dans sa Physique : « Le mouvement semble être un certain acte, mais inachevé, à cause du fait que le possible dont il est acte est inachevé. »87(*) C'est dire que pour Aristote, l'acte même du mouvement consiste paradoxalement à n'être jamais en acte, car la puissance dont il est acte est de l'ordre de l'indéterminé. Dès lors, le mouvement qui se veut passage de la puissance à l'acte se rapproche de l'infini par son imperfection. La notion d'infini rejoint ici celle de la puissance qui n'a jamais fini d'être puissance. Dans ce sens, « l'infini se caractérise par le fait qu'il n'en a jamais fini de devenir »88(*) et Aristote peut écrire : « Il ne faut pas considérer l'infini comme une chose déterminée, par exemple un homme ou une maison, mais comme on parle du jour et de la compétition, dont l'être n'est pas advenu comme une certaine étance, mais est toujours en génération et en périssement, et certes limité, mais toujours différent. »89(*) Il y a donc un lien entre infini et mouvement en tant que renouvellement perpétuel. Et Pierre Aubenque observe qu'il serait injuste de réduire le mouvement à une simple transition, à un simple passage. En effet, le mouvement « ne renvoie qu'à lui-même, achèvement toujours inachevé, commencement toujours commençant, qui s'épuise, mais en même temps se réalise dans la recherche d'une impossible immobilité. »90(*)

    L'expérience du mouvement est donc, à tout égard, l'expérience toujours inachevée du passage de la puissance à l'acte, car son achèvement signifierait sa suppression. Par conséquent, de l'irréductible imperfection du couple puissance-acte ou encore matière-forme, jaillit l'éternité du mouvement. Cependant, le mouvement est « incapable de se soutenir de lui-même en cette éternité imparfaite. »91(*) C'est pourquoi, tout ce qui est mû est mû par quelque chose. D'où l'élaboration par Aristote de la théorie des quatre causes et plus tard du Premier Moteur.

    III. Théorie des quatre causes

    et du Premier Moteur

    1. Théorie des quatre causes

    L'étude du mouvement ou du devenir prend en compte la théorie des quatre causes. « On appelle cause, ce à partir de quoi quelque chose advient et qui lui appartient de manière immanente, par exemple le bronze est cause de la statue, l'argent de la coupe. »92(*) Cependant, le bronze ne produit pas par lui-même la statue : il faut pour cela l'intervention d'un sculpteur qui usant de son savoir-faire, donne au bronze la forme de la statue. Par ailleurs, remarquons que l'oeuvre de l'artiste ou du sculpteur n'est pas toujours désintéressée. Celui-ci agit souvent en vue d'une fin, selon une intention préalable. D'où la formule aristotélicienne : « Tout ce qui devient, devient, par quelque chose, et à partir de quelque chose, quelque chose. »93(*)

    Telles sont donc les quatre causes qui interviennent dans le devenir de l'Etre : d'abord la cause matérielle qui se rapporte à la matière de la chose, ensuite la cause formelle qui est la forme que revêt la matière, puis la cause efficiente entendue aussi comme cause motrice et enfin la cause finale, c'est-à-dire ce pour quoi la chose est faite. Dans l'exemple ci-dessus, la cause matérielle est l'airain, la cause formelle la statue, la cause efficiente le sculpteur et la cause finale la représentation d'une divinité, l'exaltation d'une beauté contemplée dans la nature ou tout simplement une destinée commerciale.

    En outre force est de constater que c'est toujours la nature qui offre à l'artiste la matière première. Celle-ci, toujours inséparable de la forme, est donc la condition de possibilité du devenir. Aristote dit en effet : « Le devenir est impossible, si rien ne préexiste. Qu'une partie de l'être produit doive donc nécessairement préexister, c'est manifeste ; car la matière est une partie, puisqu'elle est le sujet immanent du devenir. »94(*) Kierkegaard renchérit en ces termes : « Tout changement a toujours présupposé un quelque chose. »95(*) L'art suppose donc la nature. Mais leur distinction découle du rapport de la forme à la matière, intérieur dans la nature, extérieur dans l'art. En somme, « la liaison entre forme et matière commande l'idée qu'Aristote se fait du mouvement. »96(*) Tout mouvement est causé par un moteur. Incapable de remonter à l'infini la série des moteurs, nous devons nous arrêter et poser avec Aristote un Moteur Premier.

    2. Le Premier Moteur et ses caractéristiques

    Puisque tout ce qui est mû est mû par quelque chose, « il y a par suite aussi quelque chose qui le meut ; et puisque ce qui est à la fois mobile et moteur n'est qu'un terme intermédiaire, on doit donc supposer un extrême qui soit moteur sans être mobile, être éternel, substance et acte pur. »97(*) Et cet être, c'est Dieu. Ainsi, tout ce qui existe, participe à quelque degré selon sa propre perfection, à l'existence de l'être divin. Cet être, comme vient de le souligner Aristote, est par nature Acte pur parce qu'absolument dégagé de toute matière et donc de toute potentialité. Il est cause formelle et suprême intelligible qui contient tous les intelligibles : « Il est l'intelligence qui se pense elle-même en saisissant l'intelligible. »98(*) Il ne peut pas être mû car « si une chose est mue, elle est susceptible d'être autrement qu'elle n'est. »99(*) Or Dieu ne peut pas être autre que ce qu'il est. Le Premier Moteur est aussi cause finale par excellence, attraction et aimantation universelle, moteur éternel et immobile qui « meut comme objet de l'amour, et toutes les autres choses meuvent du fait qu'elles sont elles-mêmes mues »100(*) par lui. En effet, toute chose du monde sensible aspire au mouvement éternel du Premier Moteur. Mais à cause de son éloignement de celui-ci et du nombre des moteurs intermédiaires qui la sépare de lui, le mouvement qu'elle reçoit de lui, lui arrive dans un état dégradé : d'où sa finitude. C'est pour palier à cette finitude, cette impossibilité d'atteindre le mouvement éternel du Premier Moteur que la nature a attribué à l'espèce et non à l'individu, l'éternité au moyen de la perpétuité par la génération.

    En outre, le Premier Moteur n'est pas une idée, un idéal qu'on dirait projeté dans le futur : il est « un être nécessaire, et en tant que nécessaire, son être est le Bien. » 101(*) Mieux encore, il est le Souverain Bien. Par ailleurs, Aristote appréhende le Premier Moteur non pas comme possédant la vie mais comme étant la vie elle-même. Il dit précisément : « Ce principe est une vie, comparable à la plus parfaite qu'il nous soit donnée à nous de vivre par un bref moment. »102(*) Pour Aristote donc, Dieu se confond avec la vie. Et cette vie éternelle et parfaite qui n'appartient qu'à Dieu seul en tant que Pensée pure, nous n'en faisons l'expérience que pendant les rares moments de notre vie où nous philosophons. Philosopher c'est donc apprendre à vivre. Mais pour y arriver il faut, comme le pensait Platon, apprendre à mourir. Ainsi, mourir pour vivre, c'est s'affranchir des pesanteurs de la matière pour permettre à l'esprit de vivre de la vie même de Dieu qu'est la pensée.

    Conclusion

    En dernière analyse, il était question pour nous dans ce chapitre d'examiner les incidences du mouvement sur le devenir. Ce faisant, il nous est apparu que l'Etre en devenir est aussi l'Etre en mouvement. Le mouvement introduit dans l'Etre une scission permettant de distinguer le sujet de l'attribut, la forme de la matière. Matière, forme et privation sont les principes universels qui s'appliquent au devenir de tout être. Mais cette triplicité des principes nous rappelle Pierre Aubenque,

    « n'est pas une quelconque tripartition physique ou logique d'un tout qui serait dès lors physiquement ou logiquement «composé,» mais la triplicité, ou plutôt la double dualité, qui jaillit de l'être lui-même, dès lors qu'il comporte la possibilité du mouvement. Ce n'est pas nous qui comptons trois principes dans l'être, pour en tirer un schéma «général» d'explication, mais c'est l'être qui, à chaque fois, en chacun de ses instants, se dédouble et se redouble, «éclate» si l'on peut dire, selon une pluralité de sens, de direction, qui définit l'unité pourrait-on dire «extatique» de sa structure. »103(*)

    On peut ajouter à ceci que la forme est comme l'avenir du mobile, la privation son passé et la matière ce qui demeure toujours présent. D'où le lien entre devenir et temps. En outre, le mouvement ne pouvant s'effectuer par lui-même est provoqué par une série de moteurs intermédiaires qui ont la source de leur mouvement dans le Premier Moteur. Par ailleurs, puisque l'Etre se dit de plusieurs manières, il se dit aussi comme substance et accident, acte et puissance.

    CHAPITRE IV : SUBSTANCE ET ACCIDENT, ACTE ET PUISSANCE, ET LEURS IMPLICATIONS DANS LE DEVENIR

    Introduction

    Devenir se dit passage du non-Etre à l'Etre, « passage de la possibilité à la réalité. »104(*) Ce mouvement que les présocratiques à cause d'une mauvaise interprétation du principe de non-contradiction jugeaient absurde, trouve son fondement chez Aristote dans l'analyse des couples substance et accident, acte et puissance. Il sera donc question dans ce chapitre, de s'interroger sur les différents rapports que ces notions entretiennent entre elles pour ainsi dégager leurs différentes implications dans le devenir de l'Etre. Pour ce faire, il convient que nous commencions notre réflexion par préciser les différents sens que nous allouons à ces concepts.

    I. Terminologie

    1. Substance et accident : prédication essentielle et prédication accidentelle

    En dehors de la forme et de la matière, une autre scission que le devenir introduit dans l'Etre est celle de la substance et de l'accident. Aristote écrit à cet effet : « L'Être se dit de l'être par accident ou de l'Être par essence. »105(*) Considérons la proposition suivante : « Socrate est musicien. » Celle-ci est dite attributive parce qu'elle attribut au sujet Socrate, le prédicat musicien. Le fait pour Socrate d'être musicien n'est pas une propriété permanente de son être : nous disons alors en terme aristotélicien que musicien est un accident de Socrate et la proposition « Socrate est musicien » est donc une proposition accidentelle. L'accident se rapporte au prédicat ou mieux encore à l'ensemble « des déterminations qui peuvent appartenir à une même chose, mais aussi ne pas lui appartenir, et sont donc en nombre indéterminé. »106(*)

    Nous pouvons dès lors noter quelques traits de l'Être par accident : d'abord il est instable : « Accident se dit de ce qui appartient à un être et peut en être affirmé avec vérité, mais n'est pourtant ni nécessaire ni constant. »107(*) Ensuite, il n'a pas de cause déterminée mais seulement « une cause fortuite, autrement dite indéterminée. »108(*) Enfin, « l'accident se produit et existe non pas en tant que lui-même, mais en tant qu'une autre chose. »109(*) C'est dire que l'être musicien en soi n'existe pas : il n'a de sens qu'en rapport avec le sujet dont il est le prédicat. Le sujet est donc la condition de possibilité de l'attribut et partant la substance celle de l'accident. De même qu'il n'existe pas de prédication sans sujet, de même il n'existe pas d'accident qui ne soit en relation avec la substance. On pourrait peut-être objecter qu'un prédicat peut s'attribuer à un autre. Par exemple : « Le blanc est musicien. » Aristote riposte qu'« un accident n'est accident d'un autre, que si l'un et l'autre sont accidents d'un même sujet : je dis, par exemple, que le blanc est un musicien et que le musicien est blanc, seulement parce que tous les deux sont des accidents de l'homme. »110(*)

    Qu'est-ce donc la substance ? C'est ce qui n'est pas prédicat d'un sujet mais dont les autres choses en sont prédicats.111(*) Aristote accorde au terme substance un triple sens : « La substance c'est en premier sens, la matière, c'est-à-dire ce qui par soi, n'est pas une chose déterminée ; en un second sens, c'est la figure et la forme suivant laquelle, dès lors, la matière est appelée un être déterminé, et, en troisième sens, c'est le composé de la matière et de la forme. »112(*)

    On le voit, substance se dit aussi en un certain sens comme quiddité de l'Etre c'est-à-dire « ce qu'il est dit être par soi. »113(*) La substance est donc le support indispensable qui donne sens et corps à l'accident. Celui-ci à la limite serait un pur non-Etre s'il n'était lié à quelque chose de concret. C'est pourquoi Aristote définit l'accident comme « un quasi non-Être. »114(*)

    Si nous considérons maintenant la proposition « Socrate est un homme », nous dirons que «homme» est une caractéristique essentielle de Socrate : la prédication est alors dite essentielle. Comme nous pouvons le constater, la distinction entre substance et accident assure la permanence du sujet dans le devenir. C'est le même Socrate en effet qui est assis, qui marche, qui dort, qui discoure etc. Et on pourrait ajouter que Socrate a la puissance de marcher, de parler etc. D'où l'intérêt des notions d'acte et de puissance dans l'analyse du devenir.

    2. L'être en acte et l'être en puissance

    Voici la dernière scission que le devenir opère dans l'Etre après celles de la matière et de la forme, de la substance et de l'accident : l'acte et la puissance. Mais qu'entendons-nous précisément par puissance ? « On appelle puissance le principe du changement ou du mouvement dans un autre être en tant qu'autre ou par le fait d'un autre être dans un autre. C'est aussi la faculté d'être changé ou mû par un autre être, ou par soi-même en tant qu'autre. »115(*)

    Puissance s'entend donc de deux façons : primo, au sens de transitivité de l'action qui est la puissance pour un être de produire un changement dans un autre. Secundo, au sens de possibilité c'est-à-dire la faculté pour un être de passer à un nouvel état par lui-même. Ces deux sens nous permettent de résumer la notion aristotélicienne de puissance en deux catégories : la puissance active et la puissance passive.

    La puissance passive d'un être se dit du « principe du changement qu'il est susceptible de subir par l'action d'un autre être. »116(*) Quant à la puissance active, elle correspond à la capacité d'un être d'agir sur un autre. Ces deux puissances sont corrélatives car, à la puissance active de l'agent répond celle passive du patient. Cependant, bien qu'elles soient distinctes, puissance passive et puissance active participent d'une seule et même puissance. En effet, « un être est puissant, soit parce qu'il a lui-même la puissance d'être modifié, soit parce qu'un autre à la puissance d'être modifié par lui. »117(*) En outre, étant donné que la puissance appartient aussi bien aux êtres animés qu'inanimés, Aristote appelle puissance rationnelle celle qui réside dans les êtres animés et puissance irrationnelle celle qui habite les êtres inanimés. La dissemblance entre les deux procède de ce que la première est en même temps puissance de contraires tandis que la seconde ne produit qu'un seul effet. « Par exemple, la chaleur n'est puissance que de l'échauffement, tandis que la Médecine est puissance à la fois de maladie et de santé. »118(*)

    Par ailleurs, de même que la matière ne trouve pleinement son sens que lorsqu'elle a revêtu la forme, de même la puissance ne s'exprime le mieux qu'une fois parvenue à l'acte. L'acte « est le fait pour une chose d'exister en réalité et non de la façon dont nous disions qu'elle existe en puissance. »119(*) En effet, la statue qui est en puissance dans le bois ne sera en acte que lorsqu'elle aura surgit du bois. L'acte est alors par analogie ce que « l'être qui bâtit est à l'être qui a la faculté de bâtir, l'être éveillé à celui qui dort, l'être qui voit à celui qui a les yeux fermés mais possède la vue. »120(*)

    De ce qui précède, il apparaît que substance et accident, acte et puissance, sont autant de manières de dire l'Etre. Dans le devenir en effet, il y a un sujet (substance) qui perdure et des contraires (accidents) qui s'alternent.

    II. Devenir de l'être par la mutation

    Des contraires

    1. La mutation des contraires

    Dans le devenir, on distingue généralement deux états : un état initial qui est le contraire de l'état final. C'est dans ce sens qu'Aristote écrit : « Tout changement se fait de contraire à contraire, par exemple du chaud au froid. »121(*) Les contraires peuvent être assimilés à des accidents puisqu'étant voués au devenir, ils ne font pas partie des propriétés permanentes de l'Etre. Toutefois, si le devenir s'explique par la mutation des contraires, il serait faux de le réduire à une succession de contraires car, « il est impossible que les contraires pâtissent l'un pour l'autre. »122(*) Comme le remarque si bien Aubenque, la négation à laquelle Aristote fait ici allusion porte « non sur la passion elle-même (car les contraires pâtissent l'un par l'autre et c'est dans cette «passion» que consiste le mouvement), mais sur la réciprocité de la passion. »123(*)

    Considérons en effet un couple de contraires : le froid et le chaud. Le passage de l'un à l'autre provoque incontestablement la mort de l'un. Dans ce sens, la réciprocité n'est pas possible. Ainsi, « s'il n'y avait que les contraires en présence, le mouvement serait une succession de mort et de naissance sans continuité. Mais l'expérience nous apprend que le mouvement selon les contraires est réversible, sans qu'il faille voir dans cette réversibilité une renaissance, mais seulement un retour, non pas la négation d'une négation, mais la restauration d'une privation. »124(*)

    C'est donc dire que la réversibilité des contraires exige dans l'analyse du devenir la prise en compte d'un troisième terme. En effet, il serait absurde de penser que le contraire advenu au terme du devenir aurait été engendré par son contraire qu'il a chassé en lui succédant ou qu'il serait lui-même la cause de son devenir. Il faut donc poser un sujet, une substance qui supporte le devenir des contraires car ceux-ci « n'ont pas leur essence dans le rapport qu'ils soutiennent l'un avec l'autre, mais ils sont dits seulement contraires les uns des autres. »125(*) Considérons la proposition : « L'homme devient musicien Celle-ci évoque de toute évidence une seconde qui traduit cette fois-ci le mouvement par lequel le sujet est devenu ce qu'il est maintenant : « Le non musicien est devenu musicien. » Cette formule met en exergue le couple de contraire présent dans le devenir : le non-musicien, le musicien. Cependant, si on s'arrêtait là, le musicien n'adviendrait qu'en détruisant le non-musicien de façon irréversible. D'où l'importance du sujet : « L'homme non-musicien devient musicien. »

    La substance est ainsi la condition de possibilité du devenir pour les contraires entre lesquels il n'existe aucun intermédiaire. Quant à ceux qui admettent un intermédiaire, « il n'est nullement nécessaire que l'un d'eux appartienne au sujet ; il n'est pas nécessaire, en effet, que tout sujet qui les reçoit soit par exemple forcement blanc ou noir, chaud ou froid, puisque rien n'empêche qu'entre les contraires on insère un moyen. »126(*) En effet, le blanc provient ou du noir ou du gris qui est leur intermédiaire. Par ailleurs, l'analyse du devenir par la mutation des contraires nous conduit à reconnaître que ce qui devient peut être soit simple, soit composé.127(*)

    Au regard de ce qui précède, le devenir exige donc un sujet qui assure le passage d'un contraire à un autre dans le cas où l'un d'eux réside dans le sujet. Dans le cas contraire, il faut tenir compte d'un intermédiaire. Et puisque les contraires appartiennent au même genre, le devenir prend alors une orientation bien précise que nous avons convenu d'appeler la logique du devenir.

    2. La logique du devenir

    Le devenir suppose le mouvement d'un contraire à un autre. Et par contraires, il faut entendre « ceux des attributs différents par le genre, qui ne peuvent coexister dans le même sujet, ceux qui diffèrent le plus dans le même genre, ceux qui diffèrent le plus dans le même sujet qui les reçoit. »128(*) Cette définition qu'Aristote donne aux contraires est très significative dans l'étude du devenir : elle permet de préciser de quels contraires il est exactement question.

    En effet, les contraires qui participent du devenir de l'Etre sont ceux qui appartiennent nécessairement à un même genre. Aristote affirme à ce sujet : « Il est nécessaire que les couples de contraires soient dans tous les cas, ou bien dans le même genre, ou bien dans des genres contraires, ou bien enfin soient eux-mêmes des genres. »129(*) Ainsi, le devenir ne se réalise pas entre haut et blanc mais entre blanc et noir, haut et bas. Car haut et bas, blanc et noir, participent d'un même genre : le genre de la grandeur et celui de la couleur. Dès lors, il s'ensuit que « le devenir n'est pas désordonné au point de ressembler à un chaos et que tout ne naît pas de n'importe quoi. »130(*) Il y a donc une logique dans le devenir, laquelle est imposée par le genre auquel appartiennent les contraires.

    Puisque le devenir exige des contraires une communauté de genre, « il y aura donc autant de genres suprêmes de mouvement qu'il y a de genre de l'être qui admettent les contraires ; or parmi les catégories, seules celles de la qualité, de la quantité et du lieu sont dans ce cas. »131(*) En effet, « ce qui change, change toujours selon l'étance, la qualité, la quantité ou le lieu. »132(*) Ainsi, les trois seuls genres de changements que nous pouvons envisager sont les suivants: l'altération (changement selon la qualité), l'accroissement ou le décroissement (changement selon la quantité) et la translation (changement selon le lieu).

    Quant à la génération et à la corruption, elles ne sont pas classées parmi les changements pour deux raisons : La première est que tout changement s'effectue entre contraires. Or « relativement à la substance, il n'y a pas de mouvement, parce que la substance n'a aucun contraire. »133(*) La deuxième raison c'est qu'elles relèvent des attributs contradictoires et signifient de ce fait la naissance ou la mort d'une substance. En effet, le changement selon les contraires ne modifie pas la substance des choses, « alors qu'une chose qui reçoit un attribut contradictoire cesse par là même d'être ce qu'elle était ; elle est détruite en tant que telle ou, inversement, est produite. »134(*) En dernière analyse, il n y a donc de changement que selon la qualité, la quantité et le lieu. Mais puisque « l'Être a un double sens, tout changement s'effectue de l'Être en puissance à l'Être en acte. »135(*)

    III. Devenir de l'être sous la modalité de

    l'acte et de la puissance

    1. De la puissance à l'acte

    Devenir se dit passage de la puissance à l'acte. Toutefois, « quelque chose peut avoir la puissance d'être, et cependant n'être pas. »136(*) Dès lors, pour que le mouvement soit possible, il faut une opération d'actualisation de la puissance. C'est la raison pour laquelle Aubenque appréhende le mouvement comme étant « l'actualisation de la puissance. »137(*) Cette opération se situe au niveau de la puissance rationnelle qui, à la différence de celle irrationnelle, est productrice des contraires. Cependant, « comme il n'est pas possible que deux états contraires appartiennent ensemble au même sujet »138(*) car la présence de l'un exclue celle de l'autre, un seul des contraires pourra être actualisé. Le problème qui se pose alors est celui de savoir sur quelle base doit se fait cette actualisation.

    Pour Aristote, les critères d'actualisation d'une puissance sont au nombre de deux : le désir et le choix rationnel d'une part, le rapprochement avec le patient d'autre part. Il écrit à ce propos au sujet de la puissance rationnelle : « Il est nécessaire qu'il y ait pour elle quelque autre élément déterminant, je veux dire le désir ou le choix rationnel : quelle que soit celle des deux choses que l'agent désire d'une manière décisive, il l'accomplira dès qu'il y aura présence et rapprochement avec le patient, d'une façon appropriée à la puissance dont il s'agit. »139(*)

    Le désir préside donc au choix de la puissance à actualiser. Mais seul il ne suffit pas. En effet, si tel était le cas, le choix serait de l'ordre de l'arbitraire, de la passion ou tout simplement du sentiment. C'est pourquoi Aristote associe au désir la raison, faculté de juger selon Kant, lumière naturelle pour Descartes qui nous permet de « distinguer le vrai d'avec le faux. »140(*) Le choix rationnel s'écarte donc de toute subjectivité pour quêter l'objectivité et partant l'universel. Toutefois désir et choix rationnel ne suffisent pas : il faut encore qu'« aucun obstacle extérieur n'empêche l'action de la puissance. »141(*) D'où la nécessité du rapprochement entre l'agent et le patient. En effet, ce n'est pas par un simple désir et un choix rationnel de fabriquer une statue que le sculpteur forgera la statue. Il faut bien que ses mains et ses instruments se rapprochent du bronze.

    Connaissant ces critères, on pourrait se demander comment se fait-il que l'homme actualise le mal par exemple plutôt que le bien dans certaines circonstances. Aristote répond dans son Ethique à Nicomaque que état de chose est dû à la faiblesse de la volonté.

    Eu égard à ce qui précède, il apparaît que « tout changement, provenant de ce qui peut-être pour l'amener à être actuellement, est le passage de l'être en puissance à l'être en acte, c'est-à-dire de la possibilité d'être à l'existence actuelle. »142(*) C'est l'acte qui révèle la puissance puisqu'il est son accomplissement. On peut donc dire que la puissance désire l'acte qui pourtant lui est antérieur.

    2. L'antériorité de l'acte

    Nous touchons ici à l'un des aspects les plus fondamentaux de la réflexion d'Aristote sur le devenir. Mais avant d'aborder cette étude, il convient de rappeler que l'acte et la puissance sont deux notions inséparables. Par conséquent, « la distinction de l'être en acte et de l'être en puissance ne serait jamais née sans les apories classiques sur le mouvement. »143(*)

    D'emblée, il semble, que la puissance précède l'acte. En effet, c'est de l'architecte en puissance que surgit l'architecte en acte. Seulement, du point de vue métaphysique, c'est en fait l'acte qui est antérieur à la puissance. Cette antériorité, Aristote la situe à trois niveaux :

    Primo : selon la logique, l'antériorité s'explique par le fait que la puissance n'existe qu'en vue de l'acte. Elle est faite pour l'acte et n'est connue que par lui. L'acte est donc la ratio conoscendi de la puissance. Aristote s'explique en ces termes : « Que selon la notion l'acte soit antérieur, cela est évident : c'est parce qu'il peut s'actualiser que ce qui est puissant, au sens premier est puissant. Par exemple, j'appelle capable de construire, celui qui peut construire. »144(*)

    Secundo : selon le temps, l'antériorité prend source dans le fait qu'il y a toujours un moteur premier et ce moteur existe déjà en acte : « Dans l'ordre du temps, un acte est toujours préexistant à un autre acte, jusqu'à ce qu'on arrive à l'acte du Premier Moteur éternel. »145(*) Aristote fait remarquer davantage qu'il semble impossible d'être architecte si on n'a rien construit auparavant.

    Tertio : selon la substance, « d'abord parce que ce qui est postérieur dans l'ordre de la génération est antérieur dans l'ordre de la forme et de la substance. »146(*) L'exemple typique est celui de l'enfant et de l'homme adulte. Selon la génération, l'homme adulte est postérieur à l'enfant. D'où le dicton : l'enfant est le père de l'homme. Mais selon la forme et la substance, l'homme adulte est antérieur à l'enfant car c'est de lui que celui-ci reçoit forme. Ensuite « parce que tout ce qui devient s'achemine vers un principe, c'est-à-dire une fin. »147(*)

    Tout devenir est ordonné à une fin et l'acte est la fin vers laquelle tend la puissance. A cet effet, Aristote écrit : « Ce n'est pas pour posséder la faculté de voir que les animaux voient, mais c'est pour voir qu'ils possèdent la faculté de voir. »148(*) De même, « la matière n'est en puissance que parce qu'elle peut aller vers sa forme. »149(*)

    Par ailleurs, l'acte peut se confondre avec l'exercice tout comme il peut être la fin d'un processus. On dit alors que l'acte est soit immanent à l'agent lui-même, soit transitif c'est-à-dire qu'il débouche sur la production d'une oeuvre extérieure à l'agent. Ainsi, « la vue a pour terme la vision, sans qu'il résulte de la vision aucune autre oeuvre que la vue tandis que de l'art de bâtir dérive non seulement l'action de bâtir mais aussi la maison. »150(*) Il ne faut donc pas restreindre la notion d'acte uniquement au mouvement, car elle est aussi présente dans le repos, et « il y a plus de plaisir dans le repos que dans le mouvement. »151(*)

    En outre, remarquons avec Aristote que les êtres éternels sont antérieurs aux êtres corruptibles. En effet, s'ils ne l'étaient pas, ceux-ci ne seraient pas non plus puisqu'ils dépendent d'eux d'une part et d'autre part parce que tout être corruptible qui a la puissance d'être peut aussi bien ne pas être. Ainsi, « tout ce qui est incorruptible existe en acte »152(*) et par conséquent, l'acte est antérieur à la puissance.

    En appliquant cette réflexion au Mal et au Bien, il apparaît que le Mal ne saurait exister comme principe parce que les principes sont des formes éternelles, immobiles. Or le passage du Mal au Bien suppose un changement qualitatif qui ruine la loi d'immobilité des principes et Aristote de conclure : « Il n'y a donc plus dans les réalités primordiales et éternelles, ni mal, ni péché, ni corruption, car la corruption compte elle aussi, au nombre des maux. »153(*) Par conséquent, le mal est un accident

    Conclusion

    En somme, il était question pour nous dans la précédente réflexion, d'analyser les notions de substance et d'accident, d'acte et de puissance, pour déceler leurs différentes implications dans le devenir. Il apparaît donc au terme de cette analyse, que chacune de ces notions participent au devenir de l'Etre à des degrés divers. Pour ce qui est de la substance et de l'accident, le devenir s'effectue entre les contraires appartenant au même genre. Notons que sans la substance, les accidents n'auraient aucun sens et ne pourraient se muter dans le cadre du devenir. L'acte et la puissance pour leur part présupposent toujours le mouvement qui s'opère par l'actualisation de la puissance rationnelle avec pour critère le désir et le choix rationnel d'une part, le rapprochement entre l'agent et le patient d'autre part. Le devenir est donc la caractéristique essentielle des êtres sensibles. Et l'analyse qu'Aristote en fait offre plus de précisons que celle de ses devanciers. Cependant, en dépit de son impressionnante clarté et de sa grande cohérence, la contribution aristotélicienne à propos de l'étude du devenir de l'Etre ne manque pas de susciter quelques réserves critiques. En même temps, les différentes perspectives qu'elle ouvre dans l'univers de la pensée sont si pertinentes qu'il s'avère nécessaire de les regarder de près.

    CHAPITRE V : OBSERVATIONS CRITIQUES

    ET PERSPECTIVES

    Introduction

    Dans ses Considérations actuelles sur l'Afrique, Ebénezer Njoh-Mouelle déclare : « Ce qui de tout temps caractérise la véritable philosophie, c'est son caractère essentiellement réflexif et critique. »154(*) En effet, la philosophie est essentiellement prise de recul, remise en question. Dans sa quête de la vérité, elle privilégie les questions plutôt que les réponses et « chaque réponse devient une nouvelle question. »155(*) C'est en raison de ce statut même de la philosophie, que nous voulons dans le présent chapitre, relever d'une part quelques insuffisances dans l'analyse fort brillante qu'Aristote réalise au sujet du devenir. D'autre part, toute philosophie étant toujours en rapport avec le cours général de la pensée, nous nous attèlerons à signifier quelques perspectives que le discours aristotélicien sur le devenir ouvre sur d'autres domaines de la réflexion philosophique. Enfin, la philosophie étant depuis son étymologie quête d'une sagesse destinée à ennoblir le cours de l'existence humaine, nous indiquerons en guise de portée existentielle, en quoi la réflexion sur le devenir interpelle l'homme quant à l'amélioration de son vécu quotidien.

    I. Observations critiques

    Le puissant génie d'Aristote qui se déploie dans l'analyse du devenir nous surprend aussi bien par sa pertinence que par son souci de clarté. La précision avec laquelle les termes sont employés et la finesse de leur développement nous offrent l'assurance d'une pensée qui a mûri sa réflexion. Cependant, la philosophie étant d'essence critique et réflexive, elle se dénaturerait dans un dogmatisme si ces qualités venaient à lui manquer. C'est pourquoi, en dépit de sa prestigieuse argumentation, nous voulons tout de même reconnaître que l'analyse aristotélicienne du devenir nous laisse insatisfait sur un certain nombre de points. Ceux-ci portent entre autre sur son analyse circulaire, sur l'étude du changement substantiel et sur la nécessité du devenir.

    1. Sur la circularité du devenir

    La formule l'Etre se dit de plusieurs manières, est à tout égard l'apport original d'Aristote dans l'analyse du devenir ainsi que le repère herméneutique à l'intérieur duquel le devenir prend sens. Les multiples manières d'être de l'Etre ne sont en fait que les différentes scissions que le devenir opère au sein de l'Etre. Cependant, l'explication qu'Aristote apporte au sujet du devenir, s'élabore sur fond de circularité.

    Une réflexion est dite circulaire dans la mesure où elle se déploie suivant un mouvement circulaire. Pour étayer notre propos, prenons l'exemple du cercle herméneutique. Au niveau grammatical, le cercle herméneutique se dévoile dans le fait que le mot ne se comprend qu'à l'intérieur de la proposition et inversement. La proposition à son tour ne se comprend qu'à l'intérieur du texte et inversement. Le texte pour sa part ne se comprend qu'à l'intérieur de l'oeuvre et inversement. Bref, la partie ne se comprend qu'à partir du tout et le tout à partir de la partie.

    Ceci étant, comment comprendre cette circularité au niveau de la pensée d'Aristote sur le devenir? Selon Aristote, le devenir opère le passage de la puissance à l'acte. Parvenu en acte, l'être en acte devient une nouvelle puissance à l'égard d'un autre acte. De même, la cause efficiente est ordonnée à la cause finale et celle-ci à son tour suppose celle-là. Nous ne nions pas le fait que le devenir est investi d'une logique dont le terme est le Premier Moteur. En effet, comme nous l'avons relevé dans l'étude du mouvement et de ses incidences sur le devenir, le Premier Moteur exerce une attraction sur l'Etre.

    Cependant, notre inquiétude porte sur cette circularité qui donne à la pensée l'impression de se répéter voir de tourner en rond. Dès lors, ne pouvons-nous pas reprocher à Aristote ce recours au cercle qui loin d'enrichir la pensée l'enferme plutôt sur elle-même ? Ne fallait-il pas comme l'a fait saint Thomas d'Aquin ouvrir une brèche pour s'évader du cercle vicieux en orientant le devenir vers le Premier Moteur qui n'est plus seulement une machine à produire le mouvement mais l'Absolu véritable ?

    En dehors de son aspect circulaire, la réflexion d'Aristote semble peu précise quant à l'explication du changement substantiel.

    2. Sur l'insuffisance de l'analyse du changement substantiel

    Pour certains présocratiques au nombre desquels Parménide, le devenir n'est qu'une illusion. Ce point de vue trouve son fondement dans l'idée selon laquelle l'Etre est totalité. En effet, si l'Etre est totalité, le devenir n'est qu'un simple dévoilement des différentes faces cachées de l'Etre sans qu'il y ait pour autant un changement véritable dans l'Etre. La conséquence de cette approche est qu'on ne peut pas devenir ce qu'on n'est pas d'où les mots de Pindare : « Puisses-tu devenir ce que tu es en apprenant. »156(*) Dans la même logique, Platon à travers la théorie de la réminiscence estime que notre vie actuelle est tributaire d'une vie antérieure.157(*) Elle est juste la remarque de Pierre Aubenque :

    « Ce que les grecs ont pressentis, c'est que par un paradoxe dont les prétendues arguties de Zénon et des sophistes ne sont que la forme la plus radicale, on ne part jamais que parce qu'on est déjà parti, on n'apprend que ce que l'on sait déjà, on ne devient que ce que l'on est. Devenir ce que l'on est, conquérir ce que l'on possède, apprendre ce que l'on sait, rechercher ce qu'on a déjà trouvé, s'approprier ce qui nous est le plus propre, nous approcher de ce qui nous est toujours déjà le plus proche : la pensée grecque n'enseignera jamais d'autre sagesse que celle qui appelle l'homme à partir à la conquête de ses propres limites, à s'accroître aux dimensions de ce qui est déjà. »158(*)

    Il convient dès lors d'admettre que si le devenir se contente de dévoiler ou mieux d'actualiser ce qui était déjà, il n'est pas à proprement parler devenir. En effet, tout devenir suppose un changement substantiel. Raison pour laquelle il faut se garder de voir dans le devenir une simple « actualisation d'une réalité ; ce serait tomber sous la coupe de Parménide et considérer le devenir comme un moindre d'être ; on risquerait ainsi de le transformer en un mirage ou une apparence. »159(*) La pertinence de cette réflexion de Vancourt nous interpelle quant au contenu que nous donnons au terme actualisation.

    En effet, si nous entendons par actualisation une simple manifestation plénière ou un dévoilement du déjà-là, il serait un peu déplacé de parler de changement en matière de devenir. Toutefois, si du néant rien ne peut surgir, le devenir ne peut se passer d'un présupposé, d'un quelque chose qui est donné par avance. Et l'actualisation devient alors non pas un simple dévoilement de l'Etre, mais le passage de la possibilité d'être à la réalité effective. C'est donc dire que l'actualisation fait advenir quelque chose de nouveau, quelque chose qui n'était pas et qui maintenant est.

    Cependant, si les catégories d'acte et de puissance lèvent l'ambiguïté sur le devenir en distinguant clairement ce qui devient de ce qui est advenu, n'est-il pas juste d'observer que l'analyse d'Aristote semble peu claire et peu précise quant à l'explication du changement substantiel qui implique l'avènement de quelque chose de radicalement nouveau dans le devenir ?

    Par ailleurs, que penser du caractère nécessaire qu'Aristote prête au devenir ?

    3. Sur la nécessité du devenir

    Aristote appréhende le devenir comme étant le propre des êtres naturels. Cette appréhension le rapproche de Héraclite qui, le premier, avait observé que toute chose est soumise au devenir sous l'impulsion du conflit. Cependant, à la différence de celui-ci, Aristote concilie devenir et principe d'identité si chère aux éléates. Ainsi, c'est le même être qui devient : c'est le même Socrate assis qui cette fois-ci marche.

    L'observation d'Aristote selon laquelle le devenir est une qualité nécessaire liée aux êtres naturels est tributaire du fait que produire le mouvement est un acte nécessaire du Premier Moteur. La cause étant nécessaire, l'effet ne peut que l'être aussi. Il écrit à ce propos : « Parmi les choses nécessaires, les unes ont en dehors d'elles la cause de leur nécessité, les autres l'ont en elles-mêmes, et sont elles-mêmes sources de nécessité dans d'autres choses. »160(*)

    Cependant, Søren Kierkegaard nous fait remarquer que « la nécessité est tout à fait autonome. »161(*) Ainsi, si le nécessaire est autonome, ce qui est causé n'est plus nécessaire. Car, il dépend de la cause qui l'a produit et s'inscrit de ce fait dans la catégorie du contingent. Dès lors, ne pouvons-nous pas admettre avec Kierkegaard que « tout devenir s'opère par liberté, non par nécessité »162(*) surtout quand on sait que « même la conséquence d'une loi naturelle n'explique la nécessité d'aucun devenir, dès qu'on réfléchit définitivement sur le devenir ? »163(*)

    Au demeurant, ces différentes critiques, loin de ternir la pensée combien profonde d'Aristote, nous ont permis de retrouver la philosophie dans son essence critique. Normative par excellence, la finalité de tout discours philosophique, est l'ennoblissement du vécu de l'homme dans sa double dimension de « roseau pensant » et d' « animal politique. » D'où l'importance d'une étude des différentes perspectives métaphysiques et existentielles du discours sur le devenir

    II. Perspectives

    Dans son brillant livre intitulé Introduction à la philosophie, Karl Jaspers affirme : « Faire de la philosophie, c'est être en route. »164(*) En effet, la philosophie est toujours en route parce qu'elle est recherche de la vérité et non sa possession. Elle n'est jamais un discours clos, définitif, mais ouverture sur des horizons toujours plus nouveaux et plus vastes. C'est pourquoi, après avoir examiné la contribution d'Aristote sur la question du devenir ainsi que quelques unes de ses faiblesses, il convient maintenant de préciser quelques perspectives que celle-ci ouvre dans le champ de la pensée et du vécu. Au niveau spéculatif, nous nous pencherons sur la question du sens de la vie et sur le lien entre devenir et éthique. Au niveau existentiel, nous analyserons le devenir de l'homme en relation avec le bien et nous ferons un rapprochement de cette notion avec le cas précis de l'Afrique. Nous sommes conscients de ce que compte tenu de leur pertinence, ces perspectives requièrent un plus grand développement. Cependant, dans le cadre de ce travail, nous nous limiterons à une analyse succincte.

    1. Perspectives métaphysiques et éthiques

    La question du sens de l'existence

    Si la théorie de l'évolution et la loi de l'entropie permettent d'attester scientifiquement que le cours de l'univers à un sens, les avis restent cependant très partagés quant au sens de l'existence humaine. Le problème ne porte pas tant sur le sens de l'existence en lui-même mais sur la question de savoir si un sens est d'emblée donné à notre existence.

    Pour Sartre, « l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. »165(*) Condamné à être libre, il est maître de son destin et du sens de sa vie. L'existentialisme sartrien affirme donc l'entière responsabilité de l'homme sur le cours de sa vie. N'ayant de compte à rendre à personne, il est lui-même la mesure de sa propre existence.

    Par ailleurs, bien avant Sartre, Nietzsche avait déjà jeté en terre la semence de cette conviction lorsque philosophant à coup de marteau, il proclama la mort de Dieu et l'avènement du surhomme. Le surhomme nietzschéen est un vrai dur qui a sous son entière responsabilité le sens de son existence. Nous avons pour nous en convaincre ces mots de Zarathoustra : « (...) Dieu est mort ! Hommes supérieurs, ce Dieu était votre pire danger. C'est depuis qu'il gît au sépulcre que vous êtes ressuscités. C'est maintenant enfin que va luire le grand Midi, que l'Homme supérieur va être - le maître. »166(*)

    Pour Marcel que Sartre qualifie d'existentialiste chrétien, il y a bel et bien un sens d'emblée donné à notre existence. Ce sens est progressivement assumé par l'homme dans la quête de l'Être parfait, quête qu'anime l'espérance.

    On le voit, la controverse au sujet d'un sens d'emblée donné à notre existence n'est pas sans rapport avec l'épineux problème de l'existence de Dieu, problème abordé par la théodicée mais dont l'échec d'une analyse purement rationnelle ouvrira les portes à la philosophie de la religion. Cependant, l'approche aristotélicienne du devenir peut éclairer davantage notre réflexion sur cette question.

    En admettant avec Aristote que la puissance est ordonnée à l'acte et que la fin attire en unifiant et en perfectionnant l'Être en devenir, nous pouvons concéder qu'il existe un ordre inhérent à ce qui est, de sorte que ce qui est, est en vue de quelque chose. Par conséquent, il y aurait un sens d'emblée donné à notre existence. Peu importe par qui ce sens est donné, il est là tout de même. Les dérapages des technosciences de ces dernières années viennent à point nommé illustrer le fait que chaque fois que l'ordre inhérent aux choses est bafoué, le fruit vendangé s'appelle désastre, sinistre ou catastrophe et souvent à l'échelle mondiale. Par ailleurs, s'il y a un sens d'emblée donné à notre existence, il y aurait aussi une vérité absolue: une vérité qui précède l'histoire, qui éclaire l'histoire, qui donne sens à l'histoire et qui transcende l'histoire. Dans ce contexte, l'homme reste certes la mesure de toute chose mais cette mesure est désormais définie par la cause finale vers laquelle le devenir nous achemine. Cette cause finale étant le Souverain Bien, le devenir fera alors appel à l'éthique.

    Devenir et éthique

    Le discours sur l'Être en devenir appelle de toute évidence le discours éthique. En effet, dans l'analyse qu'il réalise au sujet du devenir, Aristote élabore sa réflexion autour d'une notion fondamentale : l'antériorité de l'acte. Nous avons déjà suffisamment expliqué cette notion. Qu'il nous soit permis d'observer tout simplement que l'Acte pur vers lequel le devenir est ordonné correspond au Souverain Bien. Dès lors, nous pouvons appréhender le devenir comme mouvement de l'Être vers le Bien. Et si l'éthique est la réflexion sur les attitudes à tenir en vue de faire le bien et éviter le mal, elle s'avère être le complément premier de la réflexion sur le devenir. Il y a donc un rapport de complémentarité entre devenir et éthique.

    Par ailleurs, remarquons que le devenir intègre les trois dimensions de la temporalité à savoir le passé, le présent et le futur. En effet, dans le devenir, il y a ce qui était et qui n'est plus, ce qui est maintenant et qui après ne sera plus, ce qui sera et qui maintenant n'est pas encore. A cet effet, plus qu'une éthique des circonstances présentes, le devenir fait appel à une éthique du futur qui devient sa condition de possibilité. Car, si le futur n'est pas possible, le devenir non plus ne le sera. D'où l'importance d'une éthique futuriste à l'exemple de celle de Hans Jonas, éthique fondée entre autre sur l'heuristique de la peur et le principe de responsabilité asymétrique qui plaide en faveur de l'avenir de l'humanité, avenir ou devenir pourtant menacé par les multiples conquêtes des technosciences sur l'homme et son environnement. Cependant, loin de condamner les technosciences, condamnation qui serait injuste quant à leur portée positive, il faudrait plutôt y voir un mal nécessaire et conclure avec Rabelais que la conscience scientifique doit se dédoubler de la conscience éthique.

    Il est donc établit, le lien entre devenir et éthique. Toutefois, le discours sur l'Etre en devenir relevant de la métaphysique, celle-ci apparaît finalement comme le fondement même de l'éthique. Dès lors, l'éthique n'est plus un simple complément de la métaphysique, mais le fruit même de son développement. D'où la structure de l'arbre philosophique de René Descartes dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique et les branches qui sortes de ce tronc la mécanique, la médecine et l'éthique. Et à ce propos, on comprend pourquoi Levinas n'a pas pardonné à Heidegger d'avoir développé une métaphysique qui ignora l'éthique. Pour Levinas, le lien entre métaphysique et éthique est si fort que finalement, les deux semblent se confondre.

    En effet, une éthique qui ne repose pas sur un fondement métaphysique n'est rien d'autre qu'une éthique de la contingence. Cette éthique s'applique aux conventions sociales. Elle est plastique, malléable selon les circonstances. Une telle éthique ne partage pas la préoccupation de la philosophie dans sa quête de l'objectivité. Si l'éthique kantienne du devoir reste la référence en matière de morale, c'est justement parce qu'elle a su se fonder non pas sur des supports contingents mais sur des principes a priori qui relèvent purement de la métaphysique. D'où le titre même de son oeuvre : Fondements de la métaphysique des moeurs dans laquelle il écrit : « Une métaphysique des moeurs est rigoureusement nécessaire, non seulement parce qu'elle répond à un besoin de la spéculation, en recherchant la source des principes pratiques, qui résident à priori dans notre raison, mais parce que la moralité même est exposée à toute sorte de corruption, si nous n'avons, pour l'apprécier exactement, ce fil conducteur et cette norme suprême. »167(*)

    Ceci étant, il ne serait pas exagéré de s'interroger sur la nature de cette métaphysique qui fonde l'éthique. Est-ce une métaphysique de l'immanence ou une métaphysique ouverte sur l'absolu ? Pour Pierre Gire, « il n'est pas d'éthique fondamentale sans une métaphysique de la transcendance. »168(*) C'est dire que la métaphysique qui fonde l'éthique est une métaphysique ouverte sur la transcendance, mieux sur l'absolu. Et Pierre Gire justifie les raisons de cette ouverture sur l'absolu en ces termes : « La position de l'Absolu est nécessaire au fondement de l'éthique parce que la réciprocité humaine ne suffit pas à établir l'obligation, à moins que l'on s'arrête à une morale contractuelle imposée par les nécessités de l'existence, mais défaite au premier retournement du destin. »169(*)

    Ainsi, l'absolu permet d'affranchir l'éthique de la contingence des situations humaines. Gire a donné un nom à cet absolu : Dieu.170(*) C'est aussi à Dieu que renvoie l'absolu du visage car selon Levinas, « dans l'accès au visage, il y a certainement aussi un accès à l'idée de Dieu. »171(*) Comme nous pouvons le remarquer, cette approche de l'absolu selon Pierre Gire et Emmanuel Levinas porte la marque de leur conviction religieuse respectivement fondée sur le christianisme et sur le judaïsme. Certes, notre préoccupation dans cette réflexion n'est nullement d'établir la nature de l'absolu vers lequel nous ouvre la métaphysique. Qu'il nous suffise seulement d'observer qu'au fondement de l'éthique, il y a la métaphysique voir une métaphysique ouverte sur l'absolu.

    Au demeurant, il apparaît que l'existence de l'homme a un sens qui lui est d'emblé donné et que l'éthique est le complément nécessaire pour sa réalisation effective. Du point de vue existentiel, le discours aristotélicien sur le devenir nous offre une nouvelle approche de l'homme comme être pour le bien.

    2. Perspectives existentielles

    L'être pour le bien

    L'approche aristotélicienne du devenir partant de la notion de l'antériorité de l'acte, nous ouvre à une nouvelle dimension de l'homme. Il n'est plus seulement un être pour la mort comme le pensait Heidegger mais aussi un être pour le bien : l'homme est un être pour le bien. Pareille déclaration peut paraître scandaleuse voire naïve quand on sait que chaque jour, l'humanité traverse des graves crises provoquées par la méchanceté de l'homme. Il convient de préciser que l'être pour le bien n'est pas toujours en acte mais souvent en puissance. Il n'est jamais totalement réalisé mais toujours en cours de réalisation. Même si « l'être n'est pas amour du matin au soir »172(*) comme l'observe Mounier, il est un être pour le bien en tant que la fin vers laquelle l'achemine le devenir est le Souverain Bien.

    Evidement, l'homme porte en lui des penchants mauvais qu'il doit réprimer non sans peine pour que son être pour le bien devienne progressivement effectif. C'est à cet égard que Kierkegaard nous rappelle que « tout devenir est souffrance. »173(*) Il est, dirions-nous pour emprunter les mots à Ricoeur, distanciation et appropriation. Distanciation parce que le devenir nous fait prendre distance avec ce que nous étions hier. Appropriation parce que la logique même du devenir consiste à nous approprier ce que nous n'étions pas encore. Par ailleurs, l'être pour le bien est nécessairement ouvert à l'altérité entre autre par l'épiphanie du visage. Et « l'épiphanie du visage ouvre sur l'humanité »174(*) par le principe de responsabilité à l'égard de soi et des autres, dans la promotion du bien commun et des valeurs utiles à tous. Tout peuple et spécialement le peuple africain, aspire à des lendemains meilleurs. Toutefois, demain ne sera meilleur que si dès aujourd'hui, l'Afrique prend au sérieux la question de son devenir.

    Devenir et Afrique

    La réflexion que nous entendons mener ici consiste à examiner dans quelle mesure le discours aristotélicien sur le devenir interpelle t-il l'Afrique et particulièrement l'Afrique actuelle. Précisément, il s'agira pour nous de tenter quelques esquisses de solutions à la question : comment concilier en tant qu'africain identité et changement ? L'analyse de cette problématique est d'autant plus urgente que nous nous situons dans un contexte dit de mondialisation que Senghor qualifie de rendez-vous du donner et du recevoir. Dès lors, comment donner et recevoir tout en restant le même ? Ou encore, comment vivre soi-même comme un autre en tant qu'africain ? S'interroger sur le comment concilier identité et changement suppose au préalable qu'on ait pris conscience que chacune de ces tendances portées à l'absolu, comme ce fut le cas pour Héraclite et Parménide, fragilise l'équilibre tant nécessaire pour le développement intégral du continent.

    Il nous semble que nous pouvons appeler « Afrique parménidienne » cette Afrique qui a fait du repli identitaire sur soi son étendard. A ce propos, force est de constater que nombre d'africains semblent opposés au changement des structures, des mentalités, bref à l'ouverture. Ce sont les africains de la stabilité dont le fondamentalisme traditionaliste est un bouclier, un rempart infranchissable devant tout appel au progrès et à la nouveauté. Toutefois, observons que c'est surtout au niveau culturel que cette fermeture sur soi se fait sentir avec acuité. En effet, la mentalité traditionaliste jalouse de ses valeurs culturelles a fini par les ériger en absolu. Pour le traditionaliste, aucune culture en dehors de celle de ses ancêtres n'est recevable. La règle de vie, la façon de penser et d'agir sont celles qui ont toujours été pratiquées par les ancêtres fondateurs de la tribu ou du clan. C'est cet état de chose qui est à l'origine du conflit de génération. Car, le dynamisme des jeunes générations montantes se heurte au statu quo des vieilles générations. En outre, la mentalité traditionaliste diabolise tout ce qui est apport extérieur et voit dans l'ouverture à la nouveauté une menace de mort. C'est ce qui explique l'adoption d'une attitude rétrograde au nom de l'inflexibilité et de l'éternité des valeurs traditionnelles, des pratiques coutumières, des visions culturelles de l'homme, de la société et du monde. Et il n'est pas exclut que l'ethnophilosophie, en se constituant comme chantre des valeurs traditionnelles africaines, en soit finalement prisonnière.

    A l'opposé de cette Afrique fermée sur elle-même, il y a une autre que nous pouvons qualifier d'héraclitéenne. L'« Afrique héraclitéenne » est celle qui se situe aux antipodes de la fermeture sur soi, du fondamentalisme traditionaliste. C'est l'Afrique de l'ouverture, mais alors une ouverture sans borne. Les africains héraclitéens sont continuellement habités par un désir de fuite en avant. Ils sont motivés par la conscience selon laquelle tout ce qui est digne d'être recherché se trouve au-delà de leurs frontières. C'est de ceux-ci dont parle Paul Fokam quand il écrit : « Pendant des siècles, (...) on a réussi, par le développement de la communication audiovisuelle, à faire admettre à l'Africain qu'il est incapable d'activités scientifiques, que sa culture n'apporte rien de significatif à la culture universelle. Pour son développement, le seul choix intelligent serait de sortir de la «barbarie» pour rejoindre le monde «civilisé.» »175(*)

    De cette observation de Paul Fokam, il en découle les raisons qui justifient l'extraversion dans laquelle sombrent nombre d'africains en quête des valeurs du monde occidental sans aucun discernement et parfois au détriment de leur originalité. On comprend aussi pourquoi l'africain qui a opté pour l'extraversion, a en horreur tout ce qui l'attache à ses origines notamment son histoire et sa culture.

    Face à ces deux tendances dont l'une prône le repli identitaire sur soi c'est-à-dire la stabilité et l'autre l'ouverture ou le changement irréfléchi, il faut tenter une position d'équilibre. Trouver l'équilibre signifie concilier identité et changement. Ainsi, le devenir de l'Afrique exige à la fois la sauvegarde de son originalité c'est-à-dire de son identité, et l'ouverture à la nouveauté ou encore la capacité de changer. L'Afrique doit prendre conscience du potentiel culturel, économique et humain dont elle dispose et en être fière. Toutefois, cette prise de conscience ne doit en aucun cas conduire à la fermeture sur soi : ce serait en effet se mettre en marge du progrès. L'être parménidien n'évolue pas parce qu'il est totalité. Pour évoluer ou changer, il faut bien se dire que nous avons encore quelque chose à apprendre, quelque chose à recevoir des autres. D'autre part, l'ouverture ou le changement si nécessaire au progrès, doit s'effectuer sur la base du discernement et de la prudence. De même que le mouvement ne saurait être continu et illimité comme l'a démontré Aristote, de même l'Afrique ne saurait être le jouet des grandes puissances.

    Le changement qui passe par la signature des accords et des partenariats, doit être défini par des motifs précis et orientés vers un développement intégral. En examinant le passage de la puissance à l'acte, Aristote faisait remarquer que les puissances qui sont porteuses de contraires (puissances rationnelles) exigent entre autre pour leur actualisation le désir et le choix rationnel. Appliquée au contexte de sous-développement que traverse l'Afrique, cette remarque nous enseigne qu'il n'y aura pas de développement sans désir réel de celui-ci de la part des africains. Mais le désir ne suffira pas : il faudra encore prendre des initiatives. C'est ici que la raison devra alors intervenir pour purifier les mentalités cupides et égoïstes des uns et des autres et canaliser les énergies vers la recherche du progrès de chaque pays en particulier et du continent en général. Par ailleurs, si l'avenir est au métissage, la nécessité de concilier identité et changement est d'une urgence sans précédente. L'aventure ambiguë de Cheick Amidou Kane, en est une parfaite illustration. Le contexte actuel de mondialisation exige plus que jamais, la capacité de rester soi-même pour enrichir le patrimoine culturel de l'humanité tout en étant prudemment ouvert à l'altérité.

    Conclusion

    En somme, notre préoccupation au cours de cette analyse a consisté à mettre en lumière quelques insuffisances de l'explication qu'Aristote apporte sur la question du devenir. Celles-ci ont porté entre autre sur le caractère circulaire de son analyse, l'analyse du changement substantiel et la nécessité du devenir. D'autre part, nous avons évoqué quelques perspectives que la réflexion d'Aristote sur le devenir ouvre dans le reste du champ de la pensée. S'agissant de la métaphysique, il s'est avéré que la notion de l'antériorité de l'acte qui est au coeur de l'étude du devenir, pose le problème du sens de l'existence. En outre, cette notion établit un lien entre devenir et éthique, lien qui se justifie par le fait que la cause finale vers laquelle le devenir est orienté correspond au Souverain Bien. Par ailleurs, en syntonie avec Karl Marx qui pense que la philosophie ne doit pas se contenter d'interpréter le monde mais aussi le transformer, il nous a semblé nécessaire d'élargir le champ de notre réflexion au niveau existentiel. Ceci nous a permis d'une part de saisir l'homme dans sa nouvelle dimension d'être pour le bien et d'autre part de souligner l'urgence qu'il y a aujourd'hui en Afrique à concilier identité et changement. Le choix de l'Afrique est subjectif et relève beaucoup plus de notre appartenance au dit continent. Toutefois, on peut très bien partir d'un contexte précis pour mener une réflexion qui engage l'universel. Ici encore, la dialectique de l'un et du multiple a beaucoup à nous enseigner.

    CONCLUSION GENERALE

    En dernière analyse, la notion du devenir est complexe. C'est cette complexité que nous avons voulu expliciter en nous proposant de réfléchir sur le thème : L'Etre en devenir. Pour ce faire, il nous fallait un repère à partir duquel structurer toute notre pensée. C'est ce qui justifie le second membre de notre thème : Considérations aristotéliciennes sur le devenir. Essayer une élucidation de la notion du devenir en nous appuyant sur la métaphysique aristotélicienne, telle fut la préoccupation essentielle de cette investigation philosophique. Au coeur de cette préoccupation, il y avait la question : comment concilier principe d'identité et changement ? Pour répondre à celle-ci, il nous a semblé judicieux de commencer notre analyse par remonter aux sources mêmes du problème marqué par l'opposition entre ceux qui prônent d'une part la mobilité et d'autre part la stabilité de l'Etre.

    A l'aurore de la métaphysique ionienne, l'une des figures particulières qui retient l'attention est celle de Héraclite d'Ephèse. Partant du constat empirique selon lequel toute chose sensible change au fil du temps, il en déduit que l'Etre est continuellement voué au devenir. C'est cette philosophie du mouvement que nous avons résumé par la formule, elle-même inspirée de Héraclite : « Tout coule et rien ne demeure. » Et le moteur de ce mouvement perpétuel est le conflit des contraires régulé par dikè la justice.

    A Elée, Parménide et son école prennent le parti opposé à Héraclite et soutiennent la stabilité de l'Etre au nom de l'inviolabilité du principe de l'identité : « L'Être est, le non-Être n'est pas. » Par conséquent, le devenir s'avère une pure chimère puisque l'Etre est totalité.

    Platon est le premier qui, à travers la théorie des Idées et des genres d'être, a tenté une conciliation des deux antagonistes en proposant d'adjoindre à l'Etre, un non-Etre extérieur et relatif : l'altérité.

    Telles ont été les différentes conceptions anté aristotéliciennes du devenir que nous avons évoquées. Après avoir mis en évidence quelques limites de celles-ci, la contribution d'Aristote au sujet du devenir se livre toute entière dans cette pensée : « Tout ce qui devient, devient par quelque chose et à partir de quelque chose, quelque chose ; et ce quelque chose, je l'entends selon chaque catégorie : substance, quantité, qualité ou lieu. »176(*) On y retrouve les trois grands couples de notions autour desquels toute sa réflexion s'articule : matière et forme, substance et accident, puissance et acte. En ce qui concerne la matière et la forme, le mouvement consiste en ce que la forme advient à la matière par le travail de l'artiste ou par une simple loi de la nature. Quant à la substance et à l'accident, le mouvement se laisse saisir dans le caractère nécessaire de la substance qui soutient la contingence des accidents. Enfin, le passage de la puissance à l'acte nécessite une opération d'actualisation de la puissance avec pour critères le désir et le choix rationnel d'une part, le rapprochement de l'agent et du patient d'autre part. Ainsi, l'Etre en devenir est donc un être composé de matière et de forme, de substance et d'accident, de puissance et d'acte.

    Si convaincante fut-elle, l'analyse aristotélicienne du devenir, n'a pas manqué de soulever quelques critiques notamment sur l'idée du cercle qui s'en dégage, sur l'analyse du changement substantiel et sur le caractère nécessaire du devenir. En dépit de celles-ci, outre l'éclairage qu'elle apporte sur la question du devenir, elle ouvre la réflexion sur d'autres domaines de la connaissance tout en soulignant quelques implications existentielles.

    Au niveau de la spéculation philosophique, l'analyse du devenir nous a conduit premièrement à poser l'épineux problème du sens de l'existence. Si le devenir a un sens, il va de soi que notre existence vouée au devenir a elle aussi un sens. Seulement ce sens n'est pas arbitraire comme le pensent certains existentialistes athées. Il est donné d'emblée et atteste donc aussi l'existence d'une vérité absolue qui serait la vérité vers laquelle devrait converger toute recherche. Ensuite, l'analyse du devenir nous mène à des considérations d'ordre éthique. Car si le devenir est mouvement vers l'Acte pur correspondant au Souverain Bien, l'éthique en tant que réflexion théorique sur le mal à éviter et le bien à faire, s'avère de prime abord son complément obligé. Par suite, le discours sur le devenir relevant de la métaphysique, il apparaît finalement que la métaphysique est le fondement même de l'éthique. Celle-ci n'est donc plus son complément, mais son fruit.

    Quant aux implications existentielles, il faut souligner en premier lieu cette nouvelle appréhension de l'homme comme être pour le bien : l'homme est fait pour le bien au nom du principe de l'antériorité de l'acte. Cependant, cet être est à construire au jour le jour. Puis, appliquée au cas précis de l'Afrique, la réflexion aristotélicienne sur le devenir permet de mettre à l'ordre du jour le comment concilier en tant qu'africain, identité et changement. Une telle préoccupation s'avère urgente compte tenu du contexte de mondialisation dans lequel nous nous trouvons, et des enjeux à la fois épistémologiques, culturels et économiques qui en découlent.

    Au demeurant, le devenir suppose à la fois quelque chose qui perdure et quelque chose qui change au fil du temps. Cet alliage entre « identité-idem » (qui ne change pas) et « identité-ipse » (qui change) selon les termes de Ricoeur177(*), n'est possible que dans la mesure où l'Etre se dit de plusieurs manières. Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer le fait que si brillante soit-elle, l'analyse aristotélicienne du devenir reste tributaire du degré de savoir de son temps. Notre temps actuel est largement dominé par la science, une science raffinée par l'usage des techniques et des instruments d'une grande performance. Il serait donc intéressant pour l'évolution de la pensée, de confronter l'approche aristotélicienne du devenir avec les nouvelles considérations que nous livre la physique contemporaine sur la question du devenir.

    BIBLIOGRAPHIE

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    PLATON, Euthydème

    Menon

    Parménide

    Phédon

    Sophiste

    Théétète

    Timée

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    Dictionnaire et encyclopédie

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    · LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Quadrige/P.U.F, 1997, (volume 1).

    TABLE DES MATIERES

    DEDICACE i

    REMERCIEMENTS ii

    INTRODUCTION GENERALE 1

    CHAPITRE I : DIFFERENTES APPROCHES ANTE ARISTOTELICIENNES DU DEVENIR 4

    Introduction 4

    I. Position de Héraclite d'Ephèse. 5

    1. La philosophie des contraires 5

    Le conflit des contraires 5

    L'harmonie des contraires 7

    2. Le mobilisme Héraclitéen 7

    Le perpétuel écoulement 7

    Préséance du mouvement sur l'être 8

    II. Position de Parménide 10

    1. L'être est, le non-être n'est pas 10

    La voie de la vérité et la voie de l'opinion 10

    Caractéristiques de l'ontologie parménidienne 12

    2. Postérité de Parménide 13

    L'argument des apories et la grandeur infinie de l'être 13

    Le point de vue des Mégariques 15

    III. Position de Platon 16

    1. La théorie platonicienne des Idées 16

    Exposé de la théorie 16

    Les Idées considérées comme mixtes 17

    2. L'un et le multiple : le problème de la prédication 18

    Définition du problème 18

    Le non-être relatif : l'altérité 19

    Conclusion 20

    CHAPITRE II : REFUTATIONS ARISTOTELICIENNES DES CONCEPTIONS HERACLITEENNES, PARMENIDIENNES ET PLATONICIENNES DU DEVENIR 22

    Introduction 22

    I. Critique de Héraclite 22

    1. Impossibilité de flux universel 22

    2. Discontinuité du mouvement 23

    II. Critique de Parménide 24

    1. Du non-être à l'être : possibilité du multiple 24

    2. Réfutation des mégariques 25

    III. Critique de Platon 26

    1. Critique de la théorie de la participation et du paradigmatisme des Idées 26

    2. Critique de la causalité des Idées 27

    Conclusion 28

    CHAPITRE III : LE MOUVEMENT ET SES INCIDENCES

    SUR LE DEVENIR 30

    Introduction 30

    I. Généralités sur le mouvement 30

    1. Définition et propriété 30

    2. Mouvement naturel et mouvement artificiel 31

    II. Mouvement et principes 32

    1. Matière, forme et privation 32

    2. Imperfection du mouvement 34

    III. Théorie des quatre causes et du Premier Moteur 35

    1. Théorie des quatre causes 35

    2. Le Premier Moteur et ses caractéristiques 36

    Conclusion 38

    CHAPITRE IV : SUBSTANCE ET ACCIDENT, ACTE ET PUISSANCE, ET LEURS IMPLICATIONS DANS LE DEVENIR 39

    Introduction 39

    I. Terminologie 39

    1. Substance et accident : prédication essentielle et prédication accidentelle 39

    2. L'être en acte et l'être en puissance 41

    II. Devenir de l'être par la mutation des contraires 43

    1. La mutation des contraires 43

    2. La logique du devenir 45

    III. Devenir de l'être sous la modalité de l'acte et de la puissance 46

    1. De la puissance à l'acte 46

    2. L'antériorité de l'acte 48

    Conclusion 50

    CHAPITRE V : OBSERVATIONS CRITIQUES ET PERSPECTIVES 52

    Introduction 52

    I. Observations critiques 53

    1. Sur la circularité du devenir 53

    2. Sur l'insuffisance de l'analyse du changement substantiel 54

    3. Sur la nécessité du devenir 56

    II. Perspectives 57

    1. Perspectives métaphysiques et éthiques 58

    La question du sens de l'existence 58

    Devenir et éthique 59

    2. Perspectives existentielles 62

    L'être pour le bien 62

    Devenir et Afrique 63

    Conclusion 67

    CONCLUSION GENERALE 68

    BIBLIOGRAPHIE 71

    TABLE DES MATIERES 73

    * 1 HEIDEGGER M., Questions I et II, Paris, Gallimard, 1968, p. 25.

    * 2 ARISTOTE, Métaphysique, , 1, 1003 a, 20.

    * 3 JACOB A., (dir.), Encyclopédie philosophique universelle, Les notions philosophiques, Paris, P.U.F, 1990, p.628.

    * 4 LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Quadrige / P.U.F, 1997, p. 224.

    * 5 DAUJAT J., Y a-t-il une vérité ?, Paris, TEQUI, 1974, p. 59.

    * 6 Idem.

    * 7 Idem.

    * 8 CHÂTELET F., La philosophie païenne du VI e siècle av. J.-C. au III e siècle ap. J.-C., Paris, Hachette, 1999, p. 162.

    * 9 Idem.

    * 10 AUBENQUE P., Le problème de l'être chez Aristote, Paris, P.U.F, 1962, p. 420.

    * 11 THONNARD F.-J., Précis d'histoire de la philosophie, Paris, Tournai, Rome, Desclée, 1955, p. 12.

    * 12 HERACLITE, De l'univers, fragment 43, cité par CARATINI R., La philosophie, France, Seghers, 1984, p. 51.

    * 13 CHÂTELET F., op. cit., p. 40.

    * 14 Ibid., p. 41.

    * 15 HERACLITE, De l'univers, fragment 44, cité par CARATINI R., op. cit., p. 51.

    * 16 PARRAIN B., (dir.), Encyclopédie de la Pléiade, Histoire de la Philosophie, Paris, Gallimard, 1969, p. 419.

    * 17 CHATELET F., op. cit., p. 41.

    * 18 BREHIER E., Histoire de la philosophie, Paris, P.U.F, 1997, p. 51.

    * 19 CARATINI R., op. cit., p. 52.

    * 20 JEANNIERE A., Héraclite, Paris, Aubier, 1977, p. 114.

    * 21 BREHIER E., op. cit., p. 51.

    * 22 PARRAIN B., op. cit., p. 420.

    * 23 HERACLITE cité par THONNARD F.-J., op. cit., p. 12.

    * 24 ARISTOTE, La physique, III, 200 b, 20.

    * 25 JEANNIERE A., op. cit., p. 18.

    * 26 CHATELET F., op. cit., p. 39.

    * 27 Le poème de Parménide, fragment 1, cité par CARATINI R., op. cit., p. 57.

    * 28 Le poème de Parménide, fragment 2, cité par CARATINI R., op. cit., p. 58.

    * 29 Idem.

    * 30 Le poème de Parménide, fragments 4-5, cité par CARATINI R., op. cit., p. 58.

    * 31 DESCARTES R., Discours de la méthode suivi des méditations, Paris, Union Générales d'Editions, 1951, p.278.

    * 32 Le poème de Parménide, fragment 8, cité par CARATINI R., op. cit., p. 59.

    * 33 CHATELET F., op. cit., p. 48.

    * 34Il s'agit des apories sur la flèche, Achille et la dichotomie.

    * 35 ARISTOTE., Métaphysique, È, 3, 1046 b, 30.

    * 36 CHATELET F., op. cit., p. 49.

    * 37 PLATON, Timée, 52 a.

    * 38 PLATON, Parménide, 132 d.

    * 39 ARISTOTE, La physique, I, 2, 185 b, 25.

    * 40 PLATON, Le Sophiste, 251 a-c.

    * 41 Ibid., 252 b.

    * 42 AUBENQUE P., op. cit., p.147.

    * 43 Le poème de Parménide, fragment 7, cité par AUBENQUE P., op. cit., p. 151

    * 44 PLATON, Le Sophiste, 256 d.

    * 45 PLATON, Phédon, 100 d.

    * 46 ARISTOTE, Métaphysique, , 8, 1012 b, 23.

    * 47 PLATON, Théétète, 176 a.

    * 48 BREHIER E., op. cit., p. 184.

    * 49 ARISTOTE, La physique, V, 244 b, 1.

    * 50 Ibid., VIII, 3.

    * 51 AUBENQUE P., op. cit., p. 425.

    * 52 ARISTOTE, La physique, II, 1, 192 b, 21.

    * 53 AUBENQUE P., op. cit., p. 426.

    * 54 ARISTOTE, Métaphysique, ë, 6, 1071 b, 8.

    * 55 ARISTOTE, Métaphysique, Ä, 7, 1017 b, 1.

    * 56 PARRAIN B., op. cit., p. 658.

    * 57 PLATON, Euthydème, 283 d.

    * 58 ARISTOTE, Métaphysique, È, 3, 1047 a, 14.

    * 59 Ibid., È, 3, 1046 b, 29.

    * 60 AUBENQUE P., op. cit., p. 450.

    * 61 Ibid., p. 452.

    * 62 ARISTOTE, Métaphysique, È, 3, 1047 a, 14.

    * 63 Ibid., A, 9, 981 a, 21.

    * 64 Ibid., A , 9, 991 a, 27.

    * 65 Ibid., N, 2, 1089 b, 7.

    * 66 Ibid., N, 2, 1089 b, 19.

    * 67 AUBENQUE P., op. cit., p. 154.

    * 68 ARISTOTE, Métaphysique, A, 9, 991 a , 11.

    * 69 ARISTOTE, Traité du Ciel, III, 7, 306 a, 10-11.

    * 70 ARISTOTE, La physique, I, 8, 191 b, 10.

    * 71 CHÂTELET F., op. cit., p. 156-157.

    * 72 ARISTOTE, Métaphysique, Z, 1026 a , 10.

    * 73 AUBENQUE P., op. cit., p. 419.

    * 74 ARISTOTE, La physique, VI, 4, 234 b, 10.

    * 75 AUBENQUE P., op. cit., p. 431.

    * 76 ARISTOTE, La physique, VIII, 3, 254 b, 14-16.

    * 77 ARISTOTE, Métaphysique, ë, 6, 1071 b, 35.

    * 78 Ibid., ë , 3, 1070 a, 7.

    * 79 ARISTOTE, La physique, II, 8, 199 a , 15.

    * 80 ARISTOTE, Métaphysique, Z, 7, 1032 b, 1.

    * 81 Ibid., Z, 7, 1032 a , 10.

    * 82 AUBENQUE P., op. cit., p. 431.

    * 83 ARISTOTE, Métaphysique, È, 8, 1050 b, 12.

    * 84 Ibid., Z, 8, 1033 b, 15-19.

    * 85 Ibid., Ä , 3, 1014 a, 26.

    * 86 Ibid., ë, 4, 1070 b, 18-20.

    * 87 ARISTOTE, La physique, III, 2, 201 b, 32.

    * 88 AUBENQUE P., op. cit., p. 454.

    * 89 ARISTOTE, La physique, III, 6, 206 a, 30.

    * 90 AUBENQUE P., op. cit., p. 455.

    * 91 CHÂTELET F., op. cit., p. 169.

    * 92 ARISTOTE, La physique, II, 3, 194 b. 24.

    * 93 ARISTOTE, Métaphysique, Z, 7, 1032 a, 13.

    * 94 Ibid., Z, 7, 1032 b, 30.

    * 95 KIERKEGAARD S., Les miettes philosophiques, Paris, Seuil, 1967, p. 125.

    * 96 AUBENQUE P., op. cit., p. 181.

    * 97 ARISTOTE, Métaphysique, ë, 7, 1072 b, 24.

    * 98 Ibid., ë, 7, 1072 b, 20.

    * 99 Ibid., ë, 7, 1072 b, 4.

    * 100 Ibid., ë, 7, 1072 b, 3.

    * 101 Ibid., ë, 7, 1072 b, 10.

    * 102 Ibid., ë, 7, 1072 b, 15.

    * 103 AUBENQUE P., op. cit., p. 432-433.

    * 104 KIERKEGAARD K., op .cit., p. 125.

    * 105 ARISTOTE, Métaphysique, Ä, 7, 1017 a, 6.

    * 106 AUBENQUE P., op. cit., p. 135.

    * 107 ARISTOTE, Métaphysique, Ä, 30, 1025 a, 14.

    * 108 Ibid., Ä, 30, 1025 a, 24.

    * 109 Ibid., Ä, 30, 1025 a, 28.

    * 110 Ibid., , 4, 1007 b. 1.

    * 111 Ibid., Ä, 8, 1017 b, 13.

    * 112 ARISTOTE, De l'âme, II, 1.

    * 113 ARISTOTE, Métaphysique, Z, 4, 1029 b, 12.

    * 114 Ibid., E, 2, 1026 b, 21.

    * 115 Ibid., Ä, 12, 1019 a, 19-20.

    * 116 Ibid., Métaphysique, È, 1, 1046 a, 11.

    * 117 Ibid., È, 1, 1046 a, 20.

    * 118 Ibid., È, 2, 1046 b, 6.

    * 119 Ibid., È, 6, 1048 a, 31.

    * 120 Ibid., È, 1048 b, 1.

    * 121 Ibid., K, 10, 1067 a, 5.

    * 122 ARISTOTE, La physique, I, 190 b, 33.

    * 123 AUBENQUE P., op. cit., p. 434.

    * 124 Ibid., p. 434.

    * 125 ARISTOTE, Catégorie, 10, 34-35.

    * 126 Ibid., 10, 31.

    * 127 ARISTOTE, La physique, I, 7, 190 a, 1-10.

    * 128 ARISTOTE, Métaphysique, Ä, 10, 1018 a, 25.

    * 129 ARISTOTE, Catégorie, 11, 14 a, 20.

    * 130 CHÂTELET F., op. cit., p. 163.

    * 131 BREHIER E., op. cit., p. 183.

    * 132 ARISTOTE, La physique, III, 2001 b, 34.

    * 133 ARISTOTE, Métaphysique, K, 12, 1068 a, 10.

    * 134 AUBENQUE P., op. cit.,p. 433-434.

    * 135 ARISTOTE, Métaphysique, ë, 2, 1069 b, 15.

    * 136 Ibid., È, 3, 1047 a, 20.

    * 137 AUBENQUE P., op. cit., p. 453.

    * 138 ARISTOTE Catégorie, 11, 14 a, 10.

    * 139 ARISTOTE, Métaphysique, È, 5, 1048 a, 10.

    * 140 DESCARTES R., Discours de la méthode, France, Fernand Nathan, 1986, p. 34.

    * 141 ARISTOTE, Métaphysique, È, 5, 1048 a, 16.

    * 142 DAUJAT J., op. cit., p. 63.

    * 143 AUBENQUE P., op. cit., p. 443.

    * 144 ARISTOTE, Métaphysique, È, 1049 b, 14.

    * 145 Ibid., È, 8, 1050 b, 5.

    * 146 Ibid., È, 8, 1050 a, 4.

    * 147 Ibid., È, 8, 1050 a, 7.

    * 148 Ibid., È, 8, 1050 a, 24.

    * 149 Ibid., È, 8, 1050 a, 15.

    * 150 Ibid., È, 8, 1050 a, 7.

    * 151 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VII, 15, 1154 b, 17.

    * 152 ARISTOTE, Métaphysique, È, 8, 1050 b, 18.

    * 153 Ibid., È, 9, 1051 a, 20.

    * 154 NJOH-MOUELLE E., Considérations actuelles sur l'Afrique, Yaoundé, Clé, 1983, p. 26.

    * 155 JASPERS K., Introduction à la philosophie, Paris, Plon, 1981. p. 10.

    * 156 PINDARE, cité par AUBENQUE P., op. cit., p. 446.

    * 157 PLATON, Menon, 80 e.

    * 158 AUBENQUE P., op. cit., p. 446.

    * 159 VANCOURT R., Pensée moderne et philosophie chrétienne, p. 34, cité par TREMBLAY J., Finitude et Devenir, Québec, Fides, 1992, p. 17.

    * 160 ARISTOTE, Métaphysique, Ä, 5, 1015 b, 10.

    * 161 KIERKEGAARD S., op. cit., p. 126.

    * 162 Idem.

    * 163 Ibid., p. 127.

    * 164 JASPERS K., op. cit., p. 10.

    * 165 SARTRE J.-P., L'existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1970, p. 22.

    * 166 NIETZSCHE F., Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Flammarion, 1996, p. 345.

    * 167 KANT E., Fondements de la métaphysique des moeurs, Paris, Bordas, 1988, p. 10.

    * 168 GIRE P., Les fondements de la morale, Paris, Tequi, 1989, p. 90.

    * 169 Idem.

    * 170 Ibid., p. 91.

    * 171 LEVINAS E., Ethique et Infini, Paris, Fayard, 1982, p. 86, cité par GIRE P., Idem.

    * 172 MOUNIER E., Le personnalisme, Paris, P.U.F, 1949, p. 37.

    * 173 KIERKEGAARD S., op. cit., p. 125.

    * 174 LEVINAS E., Totalité et Infini, Paris, Livre de poche, 1971, p. 234.

    * 175 FOKAM P.-K., Et si l'Afrique se réveillait ?, France, Jaguar, 2000, p. 20.

    * 176 Aristote, Métaphysique, Z, 1032 a, 7, 13.

    * 177 RICOEUR P., Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1996, p. 13.






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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand