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Le détroit de Malacca, enjeu asiatique et mondial majeur

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par Arnaud Menindes
Ecole des Hautes Etudes Internationales (EHEI) - Licence de Relations Internationales 2010
  

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Première partie : Le Détroit de Malacca, un espace polyfonctionnel mettant en contact des acteurs aux intérêts divergents face à des risques divers et nombreux

I) La superposition des intérêts dans le détroit

Le détroit étant une interface entre la mer et les terres émergées, il met en superposition plusieurs intérêts à des échelles différentes. Bien sûr le détroit a une importance vitale pour les puissances économiques mondiales pour lesquelles il constitue une artère du commerce international, mais il revêt aussi une importance, parfois peu relié à l'utilisation internationale de l'espace, pour les Etats riverains.

A) Un axe stratégique pour nombre de puissances mondiales

Le détroit a une double importance pour les puissances mondiales : économique et commerciale d'abord, militaire et stratégique ensuite.

1) L'importance économique : le détroit jugulaire des échanges mondiaux

Le détroit de Malacca est l'une des voies maritimes les plus empruntées au monde, une voie incontournable du commerce mondial car le plus court chemin entre l'océan Indien et Pacifique. La mondialisation économique a eu pour effet de multiplier les échanges internationaux qui passe à 90% par voie maritime. Passage entre deux espaces cruciaux du système économique international, le détroit de Malacca est devenu un point névralgique des routes commerciales mondiales pour les ressources énergétiques mais aussi pour l'ensemble des autres biens

a) L'importance du détroit dans le flux de ressources énergétiques

Le pétrole est la ressource énergétique la plus utilisée au monde. Selon l'Agence Internationale de l'Energie, le pétrole fournissait en 2007 32.84% des besoins énergétiques de la planète contre 27.93 pour le charbon et 22.93% pour le gaz4(*). Le détroit de Malacca est à mi-chemin entre deux zones clés de l'économie de l'énergie : à l'ouest se situe les plus grandes ressources pétrolières du monde, à l'est le groupe de pays le plus consommateur de pétrole au monde. Rien d'étonnant alors, à ce que le détroit soit l'une des voies de passage privilégiées de commerce pétrolier.

Le Moyen-Orient reste à l'heure actuelle une zone clé de la scène pétrolière, selon les sources, L'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, l'Irak et l'Iran qui composent la région possèdent entre 57% et 66% des réserves mondiales de pétrole, soit 120,4 milliards de tonnes5(*). Un pays domine les autres dans ce cadre géographique : l'Arabie Saoudite. Le royaume possède en effet environ 30% des réserves avérées de la région, soit environ 36,1 milliards de tonnes6(*).Si aujourd'hui seul 27% du pétrole brut mondial y est produit, l'étendue des réserves conjuguée à l'explosion de la demande réserve à la région une place de choix à l'avenir. Cette prévision est corroborée par la facilité de l'extraction : le cout de production du baril de brut y est le plus bas du monde. En 2003, la production régionale a été de 1,1 milliards de tonnes, soit la production la plus importante au monde et sur ce volume environ 775 millions ont été destinés à l'exportation.

Le continent asiatique absorbe à lui seul environ 60% des importations pétrolifères moyen orientales. Il compte trois des cinq premiers consommateurs de pétrole : la Chine (7,86% de la consommation mondiale), le Japon (5,05%) et la Corée du Sud (2,37%)7(*). Ces Etats sont dans des situations bien différentes les uns des autres

La Corée du Sud ou le Japon ont un secteur industriel particulièrement développé et actif mais ne disposant quasiment pas de ressources énergétiques8(*). Pour soutenir leur activité économique ces pays ont fait le choix du pétrole qui représente 43,1% de la consommation énergétique du Japon et 39,3% de celles de la Corée du Sud (contre une moyenne de 37,3% pour les pays de l'OCDE9(*)).Leurs principaux fournisseurs sont les pays du Moyen Orient. Pour reprendre l'exemple du Japon, les importations de pétrole en provenance du golfe arabo-persique représentent 87% des importations totales de pétrole. Nombre de pays du Moyen Orient compte parmi leurs premiers clients des pays asiatiques : le Japon, la Corée du Sud et la Chine sont respectivement les deuxième, troisième et quatrième consommateurs du pétrole saoudien et le Japon suivi de la Chine sont les deux premiers consommateurs du pétrole iranien. La Chine se trouve cependant dans une situation de dépendance bien différente. L'empire du milieu est en effet l'un des principaux producteurs de pétrole au monde. Jusqu'à la fin des années 1980, le pays est auto suffisant, s'appuyant sur ses larges gisements situés dans le nord, le nord est et l'ouest du pays, au point d'être même exportateur. Mais dans les années 1990 la situation se renverse : 1993 marque l'entrée de la Chine dans le groupe des pays importateurs de pétrole. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D'une part la stagnation de la production de pétrole, d'autre part la forte augmentation de la consommation, due à l'explosion de la croissance10(*). Malgré la forte part que conserve le charbon dans la consommation totale d'énergie de la Chine (65% en 2003) et sa relative stabilité prévue à l'avenir, la part du pétrole n'a cessé d'augmenter depuis 20 ans au point d'atteindre 25% en 2003. (augmentation de 80% des importations entre 2000 et 2005) Face à ce besoin, les pays du Moyen Orient jouent un rôle clé. La région fournit environ 45% des importations totales de la Chine et ses trois premiers fournisseurs sont l'Iran (dont elle est le deuxième débouché), l'Arabie Saoudite et Oman. A l'heure actuelle la dépendance chinoise vis-à-vis des importations pétrolières atteint environ les 50%, auxquelles il faut ajouter les importations en provenance d'Afrique que Pékin semble vouloir augmenter.

Le détroit de Malacca qui sépare les deux régions est donc au coeur des échanges énergétiques. Environ 80% du pétrole à destination du Japon transite par cette voie. Pour la Chine, ce chiffre s'élève à 60% environ. Les Etats asiatiques, importateurs du pétrole moyen oriental sont donc particulièrement préoccupés par la viabilité du transport dans cet espace. Et l'échec des stratégies de contournement (création d'un canal dans l'isthme de Kra, différents avec la Russie plus tournée vers ses échanges avec l'Europe,...) renouvelle la préoccupation asiatique

Principaux flux pétroliers en 2003 (en millions de tonnes)11(*)

b) L'importance du détroit dans le flux des autres ressources.

Les flux traversant le détroit ne se limitent pas au commerce du pétrole. L'Asie est depuis plusieurs décennies déjà un acteur central du commerce mondial. Le maintien du Japon comme puissance importatrice et exportatrice, l'expansion aujourd'hui sans limites de la Chine sont autant d'arguments qui militent pour une place majeure de l'Asie dans le commerce mondial.

Les flux de biens passant par le détroit de Malacca sont ceux ayant pour origine ou destination les pays d'Europe. Ils passent par le détroit de Malacca puis continuent leur route par le canal de Suez afin de rejoindre les grands ports français, anglais ou encore hollandais.

Le commerce de produits agricoles est le premier flux à prendre en compte. La Chine est un pays où la production agricole est conséquente. Elle est le premier producteur de blé et de riz et le deuxième de mais. Elle s'est donc imposée comme un exportateur majeur de biens agricoles et l'Europe reçoit à hauteur de ??? % ses exportations

Le Japon, et dans une moindre mesure la Corée, se trouvent dans une situation inverse. Le Japon dont le taux d'auto-approvisionnement n'est que de 42%, se trouve dans l'obligation d'importer une masse considérable de biens agricoles. Sur la totalité de ses importations, l'Europe représente une part significative avec 12,4% des importations agricoles totales12(*). Au total ce sont 30% des importations alimentaires du Japon qui transitent par le détroit de Malacca en provenance de l'UE ou de l'Inde. La qualification du détroit comme d'un intérêt vital reprend ainsi son sens premier.

Ensuite les flux de bien industriels se doivent d'être analysés pour comprendre l'intérêt stratégique du détroit de Malacca. Pour la Chine, le Japon et la Corée, l'Europe représente un débouché et une source d'approvisionnement importante. Elle représente 20,5% des exportations et 12,4% des importations de la Chine ; 11,6% des importations et 15,3% des exportations japonaises ; 11,3% des importations et 14,9% des exportations sud coréennes13(*) (tout bien confondus). La part des importations en provenance de Chine dans le total des importations de produits manufacturés de l'UE s'élève à 6,2% et dans certains secteurs la part est beaucoup plus importante comme dans celui des vêtements où les importations chinoises représentent 17,9% du total. Et la production chinoise, en augmentation constante et à des prix souvent plus compétitifs que ceux pratiqués par les entreprises occidentales sont promis à un développement accru dans les prochaines décennies. Sur ce flux de marchandises, une majeure partie passe par la voie maritime qui est la voie la plus rapide pour atteindre l'Europe comparée à la voie terrestre traversant la Russie.

A l'issue de l'examen des indicateurs économiques des puissances asiatiques, il est d'évidence que le détroit de Malacca a un rôle de la plus haute importance pour ces économies accomplies ou en devenir. La tendance déplaçant le centre de gravité des activités économiques mondiales de l'Occident vers l'Asie ne peu que renforcer cette dépendance.

2) L'importance militaro-stratégique : la redécouverte des enjeux de sécurité global dans le détroit

Si le détroit de Malacca est une voie de passage majeure économiquement parlant, ce n'est pas là sa seule importance. Nombre de puissances l'envisagent comme la clé de voute de la stabilité politique dans la région. Parmi celles-ci, deux en particulier retiennent l'attention : les Etats-Unis et la Chine, pour des raisons bien différentes

a) Le regain d'importance du détroit pour les Etats-Unis depuis 2001

L'intérêt des Etats-Unis pour le sud est asiatique et pour le détroit de Malacca n'ont pas été constant au cours des cinquante dernières années. Jusqu'aux années 1950 la région attire surtout l'indifférence. La guerre du Vietnam (1959-1975) se trouve être le premier moment dans l'histoire contemporaine où la région du sud est asiatique devient une priorité pour les Etats-Unis. Cette volonté d'endiguement de l'influence soviétique conduit à une plus grande présence américaine. Celle-ci se trouve matérialisée par la multiplication des facilités militaires dans la région. Outre celles localisées dans l'archipel des Ryu-Kyu (Japon) et en Corée du Sud, les Etats-Unis possèdent alors deux bases aux Philippines14(*), disposent de facilités en Thaïlande15(*) et à Singapour ainsi que d'une base aérienne à Darwin en Australie, certes plus lointaine mais importante stratégiquement. Afin de permettre un ravitaillement de leurs troupes et un libre passage de leur VIIe flotte, la sécurité du détroit de Malacca est déjà une priorité car ne disposant alors pas de flotte basée dans l'Océan indien, le commandement militaire américain y détachait des navires de la VIIe flotte pour des patrouilles régulières.

La défaite au Vietnam a pour conséquence un déclin de la présence militaire américaine. L'implantation survit cependant aux années 1970, la VIIe flotte du Pacifique restant un élément stabilisateur dans la région qui, jusqu'en 199516(*) doit autant répondre aux risques du Pacifique qu'à ceux de l'Océan Indien. Et cette zone à l'ouest du détroit de l'archipel indonésien va au cours des décennies suivantes comportait un certain nombre de situations préoccupantes (Bangladesh en 1971, guerre du Kippour en 1973, crise afghane en 1980 et surtout première guerre du golfe en 1991) auxquels les Etats Unis vont devoir répondre. Pour toutes ces opérations, les Etats-Unis sont contraints d'utiliser la VIIe flotte qui, stationnée dans le Pacifique, doit, pour rejoindre ces théâtres d'affrontements, traverser les détroits indo-malais, détroits de Lombok et de Malacca en tête. La libre circulation en leur sein ainsi que leur sécurité sont donc dès cette période un objectif de l'armée américaine afin de s'assurer une rapidité d'intervention ainsi que d'un soutien logistique. La zone est cependant reléguée au rang de priorité secondaire par l'administration américaine, notamment à partir de 1991 et de l'implosion de l'URSS. Fait révélateur, les bases américaines de Subic Bay et de Clark Field aux Philippines sont fermées en 1992 à la demande de Manille sans grande opposition des Etats Unis. Cette indifférence cessera bientôt dans la tragédie des attentats du 11 septembre aux Etats Unis.

2001 va ainsi marquer un renouveau de la position américaine vis-à-vis du sud-est asiatique. Cette mise en lumière de la région aura, à la différence des années 1960 où les regards étaient focalisés sur la péninsule indochinoise, comme point central le monde malais et indonésien et en son centre le détroit de Malacca. En 2001 donc, au lendemain des attentats du 11 septembre, si l'attention internationale est focalisée sur l'Asie centrale et plus précisément sur l'Afghanistan, une autre partie de l'Asie va bientôt attirer l'attention des politiques américaines et il s'agit de l'Asie du Sud Est. La région a en effet sous l'effet de plusieurs facteurs conjuguées vu se développer une montée du radicalisme religieux qui se trouve au bord d'exploser, notamment aux Philippines, en Thaïlande mais aussi en Malaisie et en Indonésie. Cette montée du radicalisme est telle qu'au lendemain de la défaite des talibans, nombre de hauts responsables des organisations islamistes clandestines implantées en Asie centrale ont pu trouvé refuge dans ces pays. Les Etats-Unis engagés dans une guerre globale contre le terrorisme ne peuvent donc plus se permettre d'ignorer la région et en 2002 l'Asie du Sud Est est érigée au rang de second front de la guerre contre le terrorisme, après le Moyen Orient bien entendu.

La montée en force des préoccupations américaines concernant le détroit ont beaucoup à voir avec la présence du passage stratégique qu'est le détroit de Malacca dans la région. Il constitue en effet avec le port de Singapour, siège des intérêts des grandes entreprises occidentales dans la région, la cible idéale à viser pour tout groupe voulant porter préjudice à la puissance américaine, à ses alliés dans la région et au camp occidental dans sa puissance économique. Les attentats de Bali en 2002 sont venus rappeler que la région était une source de dangers

La seconde guerre du Golfe déclenchée en 2003 et la formation d'une coalition comprenant nombre d'alliés asiatiques et océaniens. En premier lieu on trouve l'Australie et la Nouvelle Zélande. Suivis ensuite par le Japon qu'il peut être surprenant de retrouver au rang des contributeurs. La constitution japonaise, à son article 9, contraint à n'entretenir qu'une force d'auto défense ne pouvant se déployer à l'étranger qu'en cas de menace directe des intérêts japonais. La parade juridique fut double. D'une part il fut assuré que les troupes japonaises limiteraient leurs actions à des tâches humanitaires et de logistique, d'autre part il fut « prouvé »par le gouvernement de Junichiro Koizumi que la détention par l'Irak de Saddam Hussein d'armes de destruction massive était une menace directe à la sécurité du territoire et de la population japonaise. Dans une moindre mesure, la Corée du Sud, les Philippines ou encore Taiwan fournirent des troupes à la coalition. Le chemin emprunté par les marines nationales de ces pays situés dans la zone Pacifique doit forcément suivre un tracé traversant le détroit de Malacca afin de rejoindre le terrain des opérations irakiennes situé dans la zone de l'Océan Indien. De même les bases américaines du Pacifique (Okinawa, Corée du Sud, ...) et qui furent en partie réquisitionnées pour des opérations militaires ou de soutien logistique devaient elles aussi faire emprunter le détroit à leurs bâtiments. Le recentrement de la stratégie américaine sur la guerre en Afghanistan depuis l'arrivée à la Maison Blanche du Président Obama ne change en rien l'utilisation du détroit dans la stratégie militaire américaine étant donné que le terrain afghan situé en zone océano-indienne nécessite lui aussi une traversée du détroit afin d'être rejoint par les alliés de Washington.

La montée en puissance de la Chine, économiquement et militairement, la rend capable d'exercer un rôle de plus en plus important sur la région et d'en devenir progressivement la puissance dominante au point de contester aux Etats-Unis leur rôle de gendarme régional. Cette perspective inquiète les officiels américains qui refusent d'être relégué au rang d'influence secondaire et subordonnée à Pékin. L'Asie du Sud Est ne peut et doit pas échapper au contrôle de Washington car cela aboutirait à une trop grande incertitude économique et sécuritaire17(*). Lawrence Spinetta, commandant de l'US Air Force a ainsi pu plaider pour une plus grande implication et une multiplication des moyens militaire, aériens notamment, afin de contenir ce qui peut être ressenti aux Etats-Unis comme la menace militaire chinoise L'Asie du Sud Est est donc une région de plus en plus importante et pourrait bien être à l'avenir le théâtre d'une lutte d'influence américano-chinoise18(*).

b) Le détroit, fermoir du « collier de perles » chinois

La montée en puissance de la Chine est un élément incontournable dans l'étude des relations internationales contemporaines. Crainte, idéalisée, déformée, sur ou sous estimée, elle n'en est pas moins une réalité. Si cet horizon peut parfois sembler lointain vu d'Europe ou d'Amérique, il est le présent en Asie et plus particulièrement dans le sud est de la région. Au contraire des Etats-Unis qui viennent d'être évoqués, Pékin n'est pas une puissance extérieure au sud est asiatique qui, pour elle, est une zone d'influence et d'intérêt traditionnelle. L'histoire des rapports entre ces deux espaces le démontre largement. Malgré une première influence historiquement menée par l'Inde, la Chine a toujours considéré les sultanats ou royaumes du sud est asiatique comme des débouchés commerciaux et un arrière pays où elle pouvait exercer une lourde influence. Ces interconnexions anciennes sont encore aujourd'hui visibles par la large représentation de la diaspora chinoise dans les pays de la région et notamment Singapour à dominante ethnique chinoise. La guerre froide et la transformation du pays en puissance communiste va renouveler l'intérêt pour cette région située à son sud. Le soutien aux Viêt-minh lors de la guerre d'Indochine puis au Cambodge face au Vietnam lors de la guerre de 1978 renforce l'influence chinoise sur la région Concernant le détroit de Malacca dans l'ère contemporaine, la Chine émet des positions quant à son utilisation dés 1971. Elle va en effet soutenir la Malaisie et l'Indonésie à l'encontre de Singapour dans leurs efforts conjoints de limitation du trafic international et notamment militaire par la principale voie de communication entre l'Océan Indien et Pacifique. Cette position et ce soutien ne sont que peu dictés par le désir de bonnes relations avec les deux Etats mais surtout par le désir de gêner la stratégie américaine, soviétique ou japonaise par l'opposition à l'internationalisation des détroits. Cette ligne de conduite vis-à-vis du détroit, liée à la peur de l'encerclement du territoire par des forces militaires ennemies et la vulnérabilité face à la maitrise des mers soviétique ou américaine, s'avérera bientôt contraire aux ambitions militaro-stratégique de l'Empire du Milieu.

Les années 1990 marquent le renforcement de l'Armée Populaire de Libération (APL), peu développée jusqu'alors. Le budget officiel de la défense augmente plus vite que le PIB (13% contre 9%) à partir de 1989 ce qui signifie donc que la Chine utilise une part croissante de ses ressources économiques dans la défense. Et le mouvement s'est particulièrement accéléré depuis le plan de Jiang Zemin, les dépenses militaires passant de 30 milliards de dollars en 2005 à 45 milliards en 2007. Si l'on en croit les propos de Michel Masson, général du corps aérien de l'armée française et ancien directeur du renseignement militaire, la marine est devenue un élément essentiel et prioritaire du développement militaire chinois19(*). Et cette force, si elle est destinée à être projetée dans le monde entier en fonction des intérêts chinois de plus en plus disséminés sur la planète20(*), est plus directement promise à assurer la sécurisation du sud-est asiatique notamment grâce au « collier de perles »

L'expression, employée pour la première fois en 2004 par Booz-Allen-Hamilton, une firme contractante du Pentagone dans un rapport interne du Département de la défense américaine à l'intention du Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, condense en elle seule les craintes de montée en puissance de la force militaire maritime chinoise en Asie et plus généralement dans le monde21(*). Elle désigne la constitution par Pékin d'un ensemble de bases militaires navales, de ports et de facilités octroyés par des Etats tiers, localisés sur une aire géographique allant du détroit d'Ormuz et des côtes orientales d'Afrique aux côtes sud du territoire chinois en passant par les rives de l'océan Indien. Le dessein de ce collier apparait assez évident une fois étudié son tracé. Suivant la route empruntée par les pétroliers en provenance du Moyen Orient et à destination de la Chine, il a pour but principal et premier de sécuriser l'alimentation en pétrole de l'Empire du Milieu et de sa vigoureuse économie en l'absence de voie de contournement crédible et suffisante et de fournisseurs alternatifs assez importants et décidés22(*). Le PCC prit donc la décision de résoudre le « dilemme de Malacca »23(*) à des fins de sécurité et d'invulnérabilité aux pressions américaines.

La composition du collier démontre de façon probante l'importance du détroit pour Pékin qui a, au gré d'alliances, d'accords et d'efforts, réussi à l'encercler à l'ouest comme à l'est. A l'est tout d'abord, l'île d'Hainan, part du territoire chinois est en sorte la dernière perle du collier qui ne peut bien sûr pas être contestée car sur le territoire chinois mais dont le développement récent incarne l'intérêt pour les zones situées au sud du territoire chinois. On compte ensuite la base aérienne de l'île Woody et celle, navale cette fois, localisée à proximité des champs pétroliers off shore en Mer de Chine du Sud. Mais c'est à l'ouest du détroit que l'effort d'implantation a bien entendu été le plus grand. La Thaïlande, la Birmanie, le Sri Lanka, les Maldives, le Bangladesh et le Pakistan ont, à la suite d'accords bilatéraux de sécurité, mis à la disposition de Pékin les infrastructures de certains de leurs ports. La Chine a de ce fait pu déjouer l'influence que pouvait avoir New Delhi sur certains de ces pays (Sri Lanka, Maldives et Bangladesh surtout) mais s'est aussi attirée les critiques pour le soutien apporté à des régimes très critiqués. On pense ici bien sûr à la junte militaire de Pyinmana

Le collier de perles chinois24(*)

Cette expansion vers l'Asie du Sud Est, fortement médiatisée aux Etats Unis et dans l'ensemble de l'Asie grâce au concept accrocheur de collier de perle a suscité le doute vis-à-vis de la capacité de Pékin à assurer un « développement pacifique », promis par Hu Jintao. Et les nations du sud est asiatique, notamment celles ayant un contentieux territorial maritime avec la Chine25(*) s'inquiètent de l'augmentation de la force de frappe chinoise et de sa désormais omniprésence. Face à ses suspicions la Chine reste dans le déni le plus total, arguant de l'inscription des accords bilatéraux dans le cadre de la coopération économique normale, du « développement harmonieux » et de la « coexistence pacifique » et dénonçant la volonté occidentale de la diaboliser. S'il parait difficile de croire à de simples coïncidences, il est nécessaire de remettre sur le long terme les relations bilatérales de la Chine avec chacun de ces Etats détenteurs d'une perle du collier. Comme le note Olivier Zajec26(*), assez sceptique vis-à-vis du concept, celles ci, bien souvent antérieures à la constitution même de bases militaires chinoises en terre étrangère, répondent à des préoccupations diverses.

Quoi qu'il en soit, la préoccupation de balancement de l'influence américaine dans la région semble destinée à l'emporter sur les autres et à dominer la suite des relations bilatérales entre la Chine et les Etats d'Asie du Sud-est et du Sud présentant un avantage géostratégique pour Pékin. Si la position catastrophiste américaine de 2006 semble particulièrement pessimiste vis-à-vis de la faculté de la Chine à assumer un développement militaire non menaçant, il ne peut être nié que la Chine ne pourra tolérer à l'avenir et à l'aune de sa puissance en perpétuelle croissance, de voir son arrière pays méridional dominé par une puissance extérieure et ses intérêts vitaux soumis aux aléas des décisions politiques de la Maison Blanche et du Pentagone. Dans cette optique, le détroit de Malacca sera forcément un point d'appui incontournable de la Chine.

* 4 U.S. Energy Information Administration / Annual Energy Review 2009

* 5 BP statistical review, 2004

* 6 ibid

* 7 http://www.unites.uqam.ca/ERE-UQAM/planetedortaugaz/activite-petrole.htm

* 8 Le taux d'autosuffisance énergétique du Japon n'est que de 19%, Rapport d'information du Sénat, Japon, l'archipel des paradoxes, 2008-2009

* 9 Bilans énergétiques des pays de l'OCDE, 2009

* 10 Le taux de croissance annuel moyen passe de 4,3% en 1970-1980 à 7,6% en 1980-1990 puis à 8,5% en 1990-2005, la croissance chinoise étant responsable d'environ 12,5% de la croissance du PIB au niveau mondiale entre 1995 et 2004, Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales, base de données Chelem

* 11 Source : http://www.planete-energies.com/contenu/petrole-gaz/transport-petrole/tanker-petrolier.html

* 12 Statistiques du commerce international 2006, OMC

* 13 Chiffres pour 2007, Annuaire statistique du commerce international 2007, Nations Unies

* 14 Base aérienne de Clark Field et base navale de Subic Bay

* 15 Sur la base aérienne d'Utapao, et dans les ports de Bangkok et de Pattaya

* 16 Les menaces de l'Irak de Saddam Hussein sur le Koweït finissent de convaincre les autorités militaires américaines de la nécessité d'une flotte permanente dans l'océan indien. Le 1er juillet 1995, le retour de la Ve flotte, célèbre entre 1942 et 1947 pour avoir joué un rôle décisif dans le dénouement de la guerre du Pacifique est officialisé afin de répondre aux défis sécuritaires posé les pays du Proche Orient, de la corne de l'Afrique, de la mer Rouge, du golfe persique ainsi que sur une partie de ceux de l'océan Indien. Son siège est installé le jour même à Bahreïn.

* 17Selon le commandant Lawrence Spinetta de l'US Air Force dans sa these intitulée The Malacca dilemma, countering China's «string or pearl» with land-based air power, 2006 «the United States cannot cede control of the region's strategic waterways without incurring immeasurable risk to vital US interests»

* 18 Freedman, Michael, Obama renews focus on Southeast Asia, 9 novembre 2009, Newsweek

* 19 « La Chine a des intérêts stratégiques maritimes aussi bien économiques que sécuritaires qui plaident en faveur d'un développement de sa puissance navale », Michel Masson interrogé par Barthélémy Courmont, La Chine puissance militaire du XXIe siècle in Monde Chinois, n°18, été 2009

* 20 Comme le prouve l'opération au large des côtes de la Somalie en 2009 afin de lutter contre les risques de piraterie menaçant notamment son approvisionnement en pétrole.

* 21 Le rapport en question fut révélé par le Washington Post en janvier 2005 suite à une fuite du secrétariat à la défense et suscita une grande suspicion de la part des officiels et de l'opinion publique américaine vis-à-vis de la montée en puissance de la Chine en tant que puissance militaire de la part du monde politique américain et plus généralement occidental.

* 22 Le projet d'un pipeline entre la Russie et la Chine ayant finalement échoué après que Tokyo fut entré et eut remporté le projet, modifiant en conséquence son trajet au profit du territoire japonais et au détriment de Pékin. Quant au projet de canal à travers l'isthme de Kra, il est peu souhaité par Bangkok qui ne souhaite pas couper géographiquement l'extrême sud de son territoire en proie aux revendications indépendantistes de la population largement musulmane.

* 23 Selon l'expression même de Hu Jintao, secrétaire général du PCC

* 24 Source : Spinetta, Lawrence, « The Malacca Dilemma, Countering China's « string of pearls » with land based air power, 2006, p8

* 25 Philippines, Malaisie et Vietnam à propos des Paracels et des Spratleys sur lesquels Pékin ne cesse de revendiquer sa souveraineté «indiscutable»

* 26 Zajec, Olivier, Actualité et réalité du «collier de perles» in Monde Chinois n°18, été 2009

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